La dictature de la minceur

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300 Cah. Nutr. Diét., 40, 6, 2005 psychologie psychologie LA DICTATURE DE LA MINCEUR* Annie HUBERT, Matthieu DE LABARRE Dans le rôle que nous donnent aujourd’hui nos démocraties, il y a celui de la gestion du soi, de son corps, de sa santé. Les mots ne sont pas anodins : on parle du « capital santé », avec lequel nous serions venus au monde et qu’il nous convient de gérer au mieux. Plus insidieusement, on nous fait entendre que ce sont les femmes qui portent la plus grande part de responsabilité à travers le rôle qu’elles jouent dans la vie quotidienne de la famille, et avant tout, parce qu’elles font à manger et décident des nourritures de chacun. Il est clair cependant que les hommes ont une importance croissante dans la gestion quotidienne et ils sont en fait tout aussi concernés. N’empêche que c’est en majorité aux femmes que s’adresse le discours sur la santé, la forme et l’alimentation. Ce discours cependant, suivant sa source, est souvent contradictoire : information médicale ou information racoleuse de la publi- cité pour des aliments, messages médiatiques sur l’esthétique corporelle ou informations émanant de clichés bien intériorisés et perçu comme des réalités évidentes. Les effets de tout ceci ne sont pas forcément positifs et nous assis- tons actuellement à une dérive « normative » en matière d’alimentation qui peut mener à des comportements aberrants, surtout de la part des plus jeunes. Nous allons aborder ici les différentes sources à partir des quelles se forgent les représentations du corps et de la santé et les conséquences préoccupantes que cela peut avoir dans le domaine de la santé publique. Du côté des média Prenons une banale soirée de télévision, que je le veuille ou non l’écran me renvoie plusieurs messages : – dans le genre « questions de santé » : la manière de s’alimenter est-elle importante pour la santé ? oui, il faut manger équilibré. (on ne précise pas toujours comment il faut faire) ; – le produit « x » pauvre en lipides et en sucre, mais absolument délicieux, vous fait plaisir tout en vous per- mettant de garder la ligne (on oublie de dire que ce n’est pas en plus du reste de ce que l’on a mangé) ; – la barre « y », chocolat, lait, noisette, est idéale pour combler les « petits creux ». Qui a dit qu’on devait avoir des petits creux ?? la sauce « w » en sachet qui change tout dans la cui- sine : qui a dit qu’on voulait tout changer ? perdre des kilos ? Rien de plus facile avec les substi- tuts de repas z… oui, mais après ? On ne peut pas se nourrir toute la vie avec des milk-shakes amaigrissants ! idéal pour le goûter des enfants, le gateau xxx contient l’équivalent d’un grand verre de lait ! Oui mais le sucre, le gras, les arômes artificiels ? le saucisson « s » ressoude l’ambiance familiale autour de la table, du pépé au bébé tout le monde se régale, on précise que c’est du saucisson maigre. – les biscuits apéritifs aux croquants, craquants et autres cacahuètes vont finir par nous faire croire que les Français se nourrissent principalement de ces amuse gueule bourratifs. UMR 5678 « Adaptabilité biologique et culturelle » CNRS/ISTAB. Correspondance : A. Hubert, 239, rue Mandron, 33000 Bordeaux. * Texte issu d’une conférence donnée dans le cadre de la 6 e Journée de médecine et santé de l’adolescent à Poitiers en novembre 2004.

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300 Cah. Nutr. Diét., 40, 6, 2005

psychologie

psychologie

LA DICTATURE DE LA MINCEUR*

Annie HUBERT, Matthieu DE LABARRE

Dans le rôle que nous donnent aujourd’hui nos démocraties, il y a celui dela gestion du soi, de son corps, de sa santé. Les mots ne sont pas anodins :on parle du « capital santé », avec lequel nous serions venus au monde et qu’ilnous convient de gérer au mieux. Plus insidieusement, on nous fait entendreque ce sont les femmes qui portent la plus grande part de responsabilité àtravers le rôle qu’elles jouent dans la vie quotidienne de la famille, et avanttout, parce qu’elles font à manger et décident des nourritures de chacun. Ilest clair cependant que les hommes ont une importance croissante dans lagestion quotidienne et ils sont en fait tout aussi concernés. N’empêche quec’est en majorité aux femmes que s’adresse le discours sur la santé, la formeet l’alimentation. Ce discours cependant, suivant sa source, est souventcontradictoire : information médicale ou information racoleuse de la publi-cité pour des aliments, messages médiatiques sur l’esthétique corporelle ouinformations émanant de clichés bien intériorisés et perçu comme des réalitésévidentes. Les effets de tout ceci ne sont pas forcément positifs et nous assis-tons actuellement à une dérive « normative » en matière d’alimentation quipeut mener à des comportements aberrants, surtout de la part des plus jeunes.Nous allons aborder ici les différentes sources à partir des quelles se forgentles représentations du corps et de la santé et les conséquences préoccupantesque cela peut avoir dans le domaine de la santé publique.

Du côté des média

Prenons une banale soirée de télévision, que je le veuilleou non l’écran me renvoie plusieurs messages :– dans le genre « questions de santé » : la manière des’alimenter est-elle importante pour la santé ? oui, il fautmanger équilibré. (on ne précise pas toujours comment ilfaut faire) ;– le produit « x » pauvre en lipides et en sucre, maisabsolument délicieux, vous fait plaisir tout en vous per-

mettant de garder la ligne (on oublie de dire que ce n’estpas en plus du reste de ce que l’on a mangé) ;– la barre « y », chocolat, lait, noisette, est idéale pourcombler les « petits creux ». Qui a dit qu’on devait avoirdes petits creux ??– la sauce « w » en sachet qui change tout dans la cui-sine : qui a dit qu’on voulait tout changer ?– perdre des kilos ? Rien de plus facile avec les substi-tuts de repas z… oui, mais après ? On ne peut pas senourrir toute la vie avec des milk-shakes amaigrissants !– idéal pour le goûter des enfants, le gateau xxx contientl’équivalent d’un grand verre de lait ! Oui mais le sucre,le gras, les arômes artificiels ?– le saucisson « s » ressoude l’ambiance familiale autourde la table, du pépé au bébé tout le monde se régale,on précise que c’est du saucisson maigre.– les biscuits apéritifs aux croquants, craquants et autrescacahuètes vont finir par nous faire croire que les Français senourrissent principalement de ces amuse gueule bourratifs.

UMR 5678 « Adaptabilité biologique et culturelle » CNRS/ISTAB.

Correspondance : A. Hubert, 239, rue Mandron, 33000 Bordeaux.

* Texte issu d’une conférence donnée dans le cadre de la 6e Journée de médecine et santé de l’adolescent à Poitiers en novembre 2004.

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– des messages adressés aux enfants et aux adolescents :céréales de petit déjeuner, barres chocolatées et autresfriandises, messages qui leur font comprendre que c’estuniquement en consommant ces produits qu’ils serontgrands, forts, ou appartiendront au groupe de pairs auquelils veulent s’identifier.– enfin, vu hier soir : un café qui fait maigrir !Sortons des publicités et passons aux programmes :Des talk shows au cours desquels interviennent médecinsnutritionnistes et diététiciens : comment maigrir ? On faitle tour des régimes. On parle équilibré. Le summum estatteint lorsque l’on suit pendant quelques semaines desjeunes femmes qui désirent perdre du poids. On assiste àla consultation, on suit ce que dit la balance. Hormisl’aspect déontologique douteux de ce type d’approchemédicale, on constate que les jeunes femmes en question,dans leur majorité, sont très jolies comme elles sont, et onne comprend pas pourquoi elles veulent perdre deux outrois kilos, si ce n’est pour pouvoir entrer dans un jeantaille 36, et alors ? Le bonheur ne tient qu’à ça vraiment ?Et puis il y a les émissions qui traitent alors vraiment del’obésité, en tant que maladie. Nous y voyons des patientsénormes, qui ont un grand mal être, le corps difforme etles immenses efforts qu’ils sont obligés de faire pour per-dre un peu de poids. Nous sommes là dans le domaineclinique, mais néanmoins, on sent très bien que derrièrecela on nous agite, de manière subliminale le message :attention, si vous ne faites pas attention ça sera vous !Voyons ce que nous montrent les magazines :En couverture, on voit des mannequins de plus en plusjeunes et de plus en plus maigres [1]. Et quand par hasardet exceptionnellement un magazine féminin montre desfemmes un peu rondes, il suffit de tourner la page pourtrouver une autre photo avec une fille qui a des cuisses dela taille ordinaire d’un avant-bras à peine dodu. Si ces ima-ges s’imposent à nous avec encore plus de force que desmots, c’est que nous sommes là pour les regarder et lesaccepter. Côté texte de même, on ne compte plus lesmenus minceur, petits plats amaigrissants et autres recet-tes magiques. Des articles informant et donnant desconseils de santé se contredisent souvent, on ne sait pastrop d’où ils tiennent leur information. Rarement, un arti-cle sérieux aborde le sujet de l’alimentation, la santé et laforme de manière à informer sans effrayer. Il en faudraitdavantage. Le message médiatique est assez incohérent.

Esthétique et santé

Comment en sommes nous arrivés là ? Pourquoi sommesdevenus des obsessionnels de l’alimentation ? De la min-ceur ? Sans doute pour deux raisons : l’une étant le main-tien de la santé et l’autre le désir esthétique. Et commedans le discours médical tel qu’il est perçu aujourd’huidans le grand public, minceur et santé vont ensemble,nous nous dirigeons vers des préoccupations qui bien desfois nous font perdre tout sens des proportions.Commençons par la grosseur : à force de messages médi-caux relayés par un matraquage médiatique c’est bien ren-tré dans la tête de tout le monde, nous sommes trop gros,et l’épidémie d’obésité a déjà commencé, elle touchemême les enfants [2]. Les chiffres sont alarmants nousdisent les instances de Santé Publique. Ce thème a relé-gué tous les autres dans un arrière plan un peu flou. Mala-dies cardiovasculaires, cancers, diabète et j’en passe sont

moins importants, car précise-t-on, souvent liés à l’obé-sité. Par conséquent, c’est logique, si on maigrit et onreste maigre, on ne sera pas malade. Un peu caricaturalcertes, mais pas tant que cela, ce type de cliché a déjà prisracine dans le monde occidental.Les coupables :Il nous faut des coupables ! À qui la faute si l’on est tropgros ? Au gras, au sucre, aux fast-food (au fait, personnene nous oblige à fréquenter ces établissements), bref, ontrouvera toujours les raisons de nos comportementsailleurs qu’en nous-mêmes. Reprenons donc tout celadepuis le début.Le gras :Nom scientifique : lipides. Il joue un rôle essentiel dansnotre alimentation, nos cellules en ont besoin et la graissedu corps tient le rôle d’un organe. C’est aussi le gras quipermet de développer les saveurs des aliments, qui donnedu goût. Il confère aussi des calories, donc de l’énergie.Pour subsister au sein de l’Arctique, les chasseurs Inuitqui peuvent se trouver à des températures de l’ordre de– 45 °C ont besoin de près de 5 000 calories par jour. Ilsarrivent à consommer des quantités considérables (allantjusqu’à 1 kg par jour) de graisse de mammifères marins.Ces Inuit ne sont pas gros, ni obèses, ils brûlent les calo-ries pour conserver leur température corporelle et pourl’exercice physique que demande la chasse ou la pêche surla glace en hiver.De tous temps les humains ont valorisé le gras, particuliè-rement le gras animal, qui était rare pour la plupart desgens. Huiles et graisses furent offertes aux Dieux, auxpuissants. À ce jour dans bien des cultures, le gras repré-sente la meilleure partie de l’animal. Dans notre histoired’Occidentaux, il s’est fait rare pour le peuple. Les pay-sans ne mangeaient pas la soupe grasse tous les jours. Iln’y a pas si longtemps, dans le Lot et l’Aveyron, onconservait un vieux talon de lard rance que l’on faisaitbouillir dans la soupe pour lui donner du goût. Avant deservir on le retirait et on le raccrochait à sécher car ildevait servir durant plusieurs semaines. Saindoux etgraisse d’oie que l’on utilisait avec parcimonie, donnaientlors des jours fastes, du goût aux brouets autrement insi-pides. Il fallait des « yeux » sur le bouillon, quant aux fritu-res elles étaient le régal des repas d’exception. Le gras futaussi rare que la viande dans les assiettes populaires. Iln’est pas étonnant alors que le niveau de vie augmentant,les produits carnés devenant plus courants, l’alimentations’en trouve transformée. Et forcément, on s’est rué sur cequi avait le plus manqué depuis des siècles : le gras et laviande, dont la consommation a prodigieusement aug-menté en France durant la seconde moitié du XXe siècle.On a compensé pour des générations qui avaient « man-qué ». Les chiffres sont éloquents : en France, depuis1950 nous avons accru de 119 % notre consommationde corps gras [3].Le sucre :Il se banalise sur les tables et dans les cuisines à partir dela fin du XVIIIe siècle, avant cela c’était une denrée deriches. Mais ce n’est que vers la fin du XIXe qu’il devientaccessible à tous les niveaux de la population. Or, il setrouve que le sucré est physiologiquement la saveur spon-tanément préférée chez les humains et sans doute chezpas mal de mammifères. Il a du y avoir une satisfactionextraordinaire à pouvoir manger sucreries et pâtisseries,confitures et gâteaux pour une population qui avait du secontenter de miel parfois et de quelques fruits pour satis-

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faire son envie de sucre. D’autant que les scientifiques duXIXe siècle découvrent l’apport énergétique de cet aliment.Le sucre devient un fortifiant qui développe la perfor-mance physique. Mais il entraîne des maux dans sonsillage : caries dentaires, facilite le diabète, fait grossir…Le monde médical après avoir valorisé le sucre vacommencer à le diaboliser, et aujourd’hui il ne s’est tou-jours pas défait de cette image. Il faut dire que nousn’avons guère arrêté d’en consommer, nous avons mêmebattu des records. Ici encore des chiffres qui parlent :depuis 1950 notre consommation de sucre s’est accruede 76 % [3]. Aujourd’hui il semble bien que la populationmondiale qui a adopté une alimentation de type occidentalmange trop ou mal, par nécessité pour les pays du sud,par mauvais choix pour le monde occidental aisé.. Le dia-bète devient un problème planétaire, et si nos enfants onttendance à être un peu trop ronds, on peut le mettre surle dos des boissons gazeuses hyper sucrées, des « mamangâteau » et autres bonbons, biscuits, crèmes et glaces, letout lié à un manque d’exercice physique. Si on rajoute lesucre contenu dans les produits de l’industrie alimentairecomme agent de sapidité (même s’ils ne nous paraissentpas sucrés), nous atteignons des chiffres fort élevés.En réalité, les humains consommeraient suffisamment desucre pour couvrir leurs besoins sans avoir à en rajouterdans leurs aliments, mais c’est si bon !Et il est certain que l’excès de sucre s’ajoutant à l’excès degras, nous donne un profil alimentaire qui est loin demaintenir la minceur et la forme.L’information est bien passée, tout le monde sait qu’il fautmodérer ces deux éléments dans nos consommations. Ledégoût quasi général pour « le gras », ou le « trop sucré »exprimé par la plupart d’entre nous, va sans doute au-delàdu fait qu’il ne faut pas en manger trop. Ces aliments sontdevenus symboles de laisser aller, mollesse, échec, nousles avons chargés de valeurs morales négatives. Mais cene sont pas les aliments qui sont cause de désordres ali-mentaires, ce sont les mangeurs.Il y a sans doute un autre coupable, sans doute plus insi-dieux : l’industrie agro-alimentaire. Non pas parce que« ils nous empoisonnent », qui est un cliché trop répanduet totalement faux, mais parce qu’elle commercialise tropd’aliments sans intérêt nutritionnellement parlant, créantdésirs et sentiments de besoin tout à fait inutiles. Mais iln’y a rien qui puisse limiter les désirs d’augmenter lesgains des industriels de la nourriture. Arrêtez vous quel-ques instants dans le moindre supermarché et faites la listedes petites choses tentantes dont on n’a pas besoin : bar-res chocolatées ou autres, bonbons en cascade, les linéai-res de biscuits et viennoiseries sont ahurissants de variété,quant aux produits lactés c’est hallucinant ! Desserts,yaourt de toutes sortes, crèmes, glaces… sans mentionnerles diverses boissons sous forme de sodas. Pour se dédom-mager, ce monde de l’industrie a inventé le léger. Alorsdu zéro pour cent, du faux sucre, des produits miraclesgrâce aux petites bactéries actives qui vous feront dedansce que l’on verra dehors sont sensés « être bons pour lasanté » puisqu’il empêchent de grossir. On pourrait facile-ment éliminer les trois quarts de ces produits tout enconservant la variété et le bon goût nécessaires à la gour-mandise et à la bonne forme physique. Ce monde nousfait croire que nous avons effectivement des « petitscreux » qui sont essentiels à combler à la maison ou autravail, que ces biscuits ou gâteaux ne nous ferons pasgrossir d’un gramme, que pour les enfants c’est idéal, et

que si on leur en donne ils trouveront que « vous êtes laplus chouette maman du monde ».Je crois que cette industrie là dans certaines de ses orien-tations marketing serait une meilleure cible pour notreméfiance que la traque du gras et du sucre dans leurs pro-duits.En attendant le discours ambiant nous culpabilise surl’embonpoint de nos enfants, sur la forme de notre corps,et dans un certain sens il part de constats réels. Nousavons trop consommé : passons à l’action.

Des habitudes et des changements

En un siècle les modes de vie se sont transformés, ceschangements ont modifié les anciennes habitudes de vie,y compris celles qui concernent la famille.Les grandes dépenses physiques au quotidien ont disparuavec la banalisation de l’électroménager et les produitsd’entretien, les transports publics, la voiture, la mécanisa-tion des tâches les plus pénibles. Du coup nous n’avonsplus besoin de consommer autant d’énergie. Ceci a trans-formé nos habitudes alimentaires, mais pas encore aupoint où elles sont en phase avec nos besoins. Nos ryth-mes de vie aussi ont changé. En milieu urbain plus parti-culièrement, ceux qui travaillent doivent pour la plupartmanger en dehors de chez eux, au restaurant d’entrepriseou sur le pouce. Tout en se répétant qu’il faut mangercorrectement, équilibré, nous ne savons pas toujours lemettre en pratique. Nous ne savons plus nous rendrecompte si nous mangeons parce que nous avons faim ouparce que nous avons envie de manger. Notre quotidien,et particulièrement celui des femmes est rongé par unecourse contre la montre : enfants, maison, cuisine, travail,avec à peine le temps de souffler. En plus la société leurdemande d’être énergiques, belles, minces et performan-tes : mission souvent impossible ! Et si on ajoute à celaque le discours ambiant leur fait entendre que leursenfants sont trop gros, qu’elles mêmes devraient surveillerleur poids et changer leurs modes de vie, on peut imagi-ner le mal être de certaines.

Il n’y a pas que les gros (ses ?)

Une des conséquences de l’opprobre jeté sur le gros et lesdangers du gras à travers la valorisation d’une image ducorps très mince a été d’engendrer un développement del’anorexie chez les jeunes filles. Il s’agit ici de que JeanPierre Corbeau appelle les « petites anorexies » qui n’ensont pas moins graves, et non pas de la sévère pathologiementale qui peut en découler ou qui se développe demanière indépendante (cela dit, en dix ans, la fréquencede ces anorexies est passée d’environ 1,5 % à plus de 5 %pour les 15-25 ans) [4]. On parle donc beaucoup des grosmais on oublie de parler de celles qui ne veulent plus man-ger pour devenir toujours plus maigres. Elles sont nom-breuses, il n’y a qu’à regarder autour de nous. Commentne pas être frappé par le nombre de filles entre 12 et20 ans qui ont des hanches si étroites que l’on sedemande comment un jour elles pourraient donner nais-sance à un enfant, dont les bras et les cuisses n’ont plusaucune rondeur et se rapprochent de l’image du bâton.Elles s’habillent en 34 ou 36 et ne mangent pratiquement

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plus normalement. Cela débute le plus souvent à l’adoles-cence, au moment où l’on a besoin que l’on vous aime etque l’on vous admire au sein d’un groupe. Il faut bienentendu être belle, c’est-à-dire ressembler le plus possibleaux stars des shows télévisés, aux top-models, aux imagesde femmes extrêmement minces auréolées de succès.C’est normal puisqu’on les érige en modèles. Les chosesse gâtent lorsqu’elles ne perçoivent plus leur corps et sonimage autrement qu’insatisfaisants, qu’elles se voient tou-jours trop grosses. L’échantillon de jeunes femmes entre18 et 25 ans d’une enquête récente sur l’image du corpssouhaitent un poids qui rapporté à leur taille correspondà de la maigreur [5]. Alors elles mettent en place une dedeux stratégies possibles :– manger moins, beaucoup moins, se mettre au régimedraconien,– manger quand la faim et la tentation se font trop fortes,pour se faire vomir tout de suite après.Ces jeunes filles peuvent développer des stratégies d’évi-tement de la nourriture fort efficaces pour passer inaper-çues au sein du milieu familial. Il faut parfois trèslongtemps aux parents pour s’en apercevoir et ils ne s’enaperçoivent pas tous. En maigrissant, et refusant une ali-mentation normale, elles découvrent aussi les effets quecela peut avoir sur leur famille, lorsque les parents se ren-dent compte que leur fille ne mange plus. Elles acquièrentainsi un grand pouvoir de manipulation sur l’ensemble dugroupe familial, elles peuvent en arriver à régir tout lequotidien d’un groupe de personnes à travers leurs attitu-des et comportements [4]. Qui plus est, elles découvrentle plaisir immense que l’on peut avoir à se dominer soimême, autre forme d’exercice de pouvoir dont elles sontextraordinairement fières. En s’abstenant de manger ellese sentent très fortes. Et en même temps, très souventelles sont obsédées par la nourriture : elles font la cuisine,lisent des recettes. Si tout cela se prolonge, elles se retrou-vent en psychiatrie et parfois hospitalisées. Dans les casles plus graves, elles peuvent se laisser mourir. Le désir dedépart était celui d’un corps mince, comparable aumodèle valorisé par la société. Cela dégénère en véritablemaladie du comportement. Les modes pour jeunes et lesimages présentées dans leurs magazines ne font rien pourchanger le modèle. Cet engrenage anorexique existe aussichez des jeunes femmes établies dans une vie familiale,avec des conséquences que l’on imagine. Il y a quelquesmois un reportage télévisé montrait une jeune mère dedeux enfants en parcours anorexique. Elle finissait par ter-roriser et démolir son couple et ses enfants. Ce qui m’ale plus frappée c’est qu’on la montrait dans son rituel dusoir : en se couchant elle prenait sa tension. Avec un cer-tain triomphe et une grande auto satisfaction elle remar-quait : « 3/6, c’est presque incroyable, il y a des gens quine survivent pas à ce stade ! ». Elle avait encore gagné unpari étrange avec son corps.Car les conséquences peuvent être graves pour l’ensemblede la société : ces jeunes filles se préparent des ostéopo-roses à 40 ans, auront des problèmes de fécondité, et sielles arrivent à une grossesse, celle-ci pourrait mal se pas-ser : c’est à l’adolescence que les corps se construisent etpréparent leur rôle biologique, en fabriquant à cet effet,du gras. Cette graisse s’étale et se résorbe en grandissant :les jeunes mammifères, y compris les petits d’humains,sont enrobés jusqu’à la fin de l’adolescence. Une expres-sion anglaise souligne bien ce fait en parlant, pour lesenfants, de leur période de « graisse du chiot » (puppy fat).

Nous sommes dans une position contradictoire : au seind’une société d’abondance alimentaire nous devons refu-ser de la nourriture si nous voulons nous conformer à unecertaine idée de la « réussite » personnelle et sociale. Et là,apparaissent surtout parmi les plus jeunes d’entre nous,des désordres qui affectent à la fois la société dans sonensemble et les corps de femmes plus particulièrement :anorexie, boulimie, obsession sur des régimes, obésité.Ces phénomènes sont presque inexistants dans d’autrescultures de la planète, mais ils ont pris chez nous des pro-portions très alarmantes. Car poussée jusqu’au bout, lalogique du corps mince, devient celle du corps léger, ducorps « pur » : manger devient un acte obscène [6]. Ceglissement vers un désir constamment dominé de nourri-ture, ou non dominé mais où l’on rejette physiquement ceque l’on a avalé (boulimie – vomissement), cet usage de lanourriture en période de pléthore pour exprimer un malêtre, est caractéristique de nos sociétés industrielles.

Des régimes

Nous sommes en présence aujourd’hui de générations defemmes et d’hommes de plus en plus préoccupées parl’apparence de leur corps, fruit à la fois d’un modèleambiant sur lequel nous reviendrons, et d’un discoursmédical pas toujours bien formulé ni bien perçu. Il accom-pagne logiquement l’esthétique du corps léger, donc beau,donc désirable, corrélé à l’émergence d’un narcissismecroissant, un amour de l’image de soi, de son proprecorps que l’on va modeler à son gré, pour que l’image quenous renvoie le miroir corresponde aux critères esthéti-ques établis par notre système culturel.La population en général, mais féminine en particulier,souffre du désir ou de la pratique d’une alimentation « dié-tétiquement TROP correcte ». Les adeptes d’une imagecorporelle aux normes minceur (qui peuvent utiliser l’argu-ment santé pour masquer l’argument narcissique) ont unenouvelle manière de se nourrir. Elles décortiquent lestables de composition de chaque produit, la préparationdu repas ne recouvre plus des envies mais des impératifsnutritionnels. Le poisson par exemple n’est pas quelquechose qui a bon goût, mais du phosphore et des oméga3, un plat délicieux n’est plus qu’une masse de protéines,de fibres et de vitamines…Tout ceci va de pair avec les préoccupations majeures quesont aujourd’hui le maintien de la santé, de la forme etl’activité physique. D’un désir d’éternelle jeunesse quiviendrait remplacer l’idée religieuse de salut pour la vieéternelle ? Il nous faut un corps léger, de forme mince,sain, et jeune jusqu’à 120 ans.Est-ce une nouvelle conception de l’immortalité ?Une récente enquête [5] indique que 75 % des Françaisesentre 18 et 65 ans ont fait et font encore des régimespour maigrir. C’est considérable et certainement excessif.Encore une fois, l’obésité ni même le surpoids ne tou-chent plus de 10 % à 15 % (selon certains, 18 %) de lapopulation (ce qui est d’ailleurs bien suffisant !).Cette même enquête nous apprend que 78 % des femmesentre 18 et 24 ans pensent qu’être minces est une obliga-tion pour se sentir « normales ». Et les deux tiers des fem-mes qui ont un poids normal se trouvent trop grosses etvoudraient perdre 5 kilos. Enfin, la moitié des femmesayant des Indices de Masse Corporelle normaux ont faitdes régimes pour maigrir. En fait, ce ne sont pas les plus

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opulentes qui veulent faire des régimes, mais « les norma-les » ! Ajoutez à cela que 83 % des femmes entre 18 et65 ans sont insatisfaites de leur corps, de leur silhouetteet nous voilà devant un tableau bien sombre sur le moraldes femmes.Comment se fait-il que presque toutes les femmes disentvouloir perdre des kilos, ceci à des périodes stratégiquesde l’année, annoncées et bien visées par les magazines :avant les vacances pour se montrer en maillot, après lesagapes de fin d’année pour se préparer à faire un régimepour se mettre en maillot, avant les vacances d’hiver pouraller se mettre en maillot dans des pays au soleil, en fait,tous les moments sont bons pour recommander unrégime, cela fait vendre.Par ailleurs, un corps léger est vu comme l’acquisitiond’une plus grande efficacité sociale, une condition de per-formance et de vitesse. Comme dit mon collègue Jean-Pierre Corbeau, les très jeunes femmes en arrivent àdévelopper une maigreur de « surconsommation média-tique ».Mais, dans le vrai quotidien des femmes, quel est le« signal d’alarme » qui entraîne un régime amincissant ?Le plus souvent, c’est quand on ne rentre plus dans sesvieux jeans. Estomac comprimé, boutons qui craquent àla taille, difficultés à s’asseoir suffisent à engendrer unesoudaine aversion du soi, on se voit énorme, on ne veutmême plus se regarder dans la glace, on est sur le cheminde l’obésité ! Seule solution : régime immédiat. La majo-rité des femmes qui font un régime n’ont pas besoin de lefaire, et il faut savoir qu’au bout du compte près de vingtpour cent d’entre elles finissent avec un poids supérieur àcelui qu’elles avaient quand elles ont commencé !Les habitudes de vie et les regards que l’on porte sur soiont beaucoup changé en une génération. Aujourd’hui,une jeune femme de 25 ans aura fait 5 fois plus de régi-mes amincissants que sa mère de 55 ans [5] Et oncommence de plus en plus tôt. Certaines mères ont éga-lement tendance à voir leurs enfants plus gros qu’ils ne lesont, et touchées par le discours médiatique et médical,vont mettre leurs filles en particulier, au régime à des âgesoù elles sont en train de se construire leur corps defemmes et futures mères. Ce faisant, en conférant à leursenfants leur propre obsession de la nourriture et du « nutri-tionnellement correct », elles encouragent sans doute desdérapages possibles chez certains, qui compenseront etdévelopperont des pathologies nutritionnelles de sur ousous alimentation. Les filles se mettront au régime toutesseules, consultant les amies ou les magazines pour diver-ses recette minceur, et ce très tôt, dès 12 ou 13 ans.Un de mes étudiants préférés, jeune sociologue, étudie lesjeunes femmes qui font des régimes. Il m’apprend deschoses alarmantes : il semble que le premier régime se faitavec des médicaments. On trouve un médecin qui vousprescrit des amphétamines, cela coupe l’appétit, cela mar-che très bien et très vite et en quinze jours, fini les kilosen trop. Outre que cette pratique est aujourd’hui rigoureu-sement interdite et que ceux qui prescrivent ce genre demédicament se mettent dans l’illégalité, elle initie, commetout régime trop brusque et draconien, un cycle infernald’où l’on ne revient pas : le fameux « yoyo ».En effet, lorsqu’on arrête un régime amaigrissant et quel’on reprend ses habitudes, on reprend aussi ses kilos, enen rajoutant un peu. Ce qui va engendrer un autre épi-sode de régime, et reprise de poids à la fin, chaque foisun peu plus de poids, Jusqu’au moment où, biologique-

ment, on ne peut plus revenir en arrière : le corps refusede perdre du poids au-delà d’un seuil qui se situera bienau dessus de la minceur. On conçoit bien que dans ces cason peut parler d’une « carrière » de régimes qui peut durertoute une vie et rendre les femmes malheureuses, insatis-faites et obsédées par les kilos durant toute leur existence.

Un corps pur et le gras qui tue

On va donc faire un petit régime : pour la plupart desfemmes en France pensent savoir comment faire : entreles conseils diététiques des magazines, et les avis desparents et amies, on restreint la teneur des repas, onenlève le gras et le sucre, on fait tout cuire à la vapeur.Pendant le régime on ne sort pas au restaurant, on éviteles occasions de convivialité, et on ne parle que de ça avecles amies. Le mari ou le compagnon ne sont pas souventconcernés, et souvent nous ne les croyons pas quand ilsdisent qu’ils nous aiment comme on est. La vie commenceà devenir un exercice d’ascèse. Au bout de quelquessemaines, l’euphorie : on peut remettre le vieux jean ! Àpart elles, l’entourage familial n’a pas l’air de s’en rendrecompte. Cela ne fait rien, cela leur fait du bien au moral.Et dans quelques mois, tout recommence. Une foisentrées dans la carrière régime, elles (mais c’est le cas debien des hommes aussi) développent ce qu’on appelle ensciences sociales, des « représentations » : des idées et desimages sur les aliments et leurs effets. Par exemple l’hor-reur et la méfiance profonde du gras, comme du sucre,les premiers coupables. Pour les attaquer on voit dansl’acidité l’antidote idéal, le parfait anti-gras, sensé le dis-soudre et l’annihiler par sa sensation astringente etrâpeuse. J.-P. Corbeau l’a longuement commenté etdétecté. Le cornichon (entre autres) fait office de « tamponà récurer » du dedans, et de plus il ne contient presquepas de calories.Quand on a faim, on boit de l’eau ! On l’a bien vu à latélévision ! L’eau est un partenaire dans la lutte contre leskilos, elle nous fait « éliminer » (quoi au juste ?) On la voiten fait comme un agent nettoyeur, purificateur de l’inté-rieur, abolisseur de tout gras répugnant. Par ailleurs elleremplit l’estomac et coupe très momentanément la sensa-tion de faim.On ne voit plus son corps que comme une sorte de tubequ’il faut bien nettoyer, où les aliments ne doivent quepasser rapidement, le laissant d’une pureté parfaite, etdont la minceur propre devient le nec plus ultra de labeauté.Les très jeunes ne sont pas les seules à avoir cette visiondu corps composé de tuyaux à décrasser et de chasse augras qui tue.Nutritionnistes ou diététiciens sont là aussi pour donnerdes conseils, mais tout le monde ne va pas les consulter.Et ils diront tous qu’en fait de régime, on aurait plutôtintérêt à réapprendre à manger raisonnablement, à déve-lopper de nouvelles habitudes qui seront intériorisées.Dans certains cas même, des femmes qui étaient en pleinecarrière amaigrissante sans succès, ont maigri lorsqu’ellesont arrêté le « régime » et se sont mises à manger norma-lement.Une trop grande obsession nous entraîne à voir notrecorps plus gros qu’il n’est, les images sont déformées parnotre pensée. Les critères que nous invoquons pour justi-fier nos efforts ne sont pas tous bons, et l’idée de santé a

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souvent bon dos. Certaines femmes, dont des adolescen-tes, se fixent des buts impossibles à atteindre, et emplis-sent leur vie de préoccupations que je n’oserais pasappeler futiles car elles font réellement souffrir. Toutecette énergie et cette volonté pourraient peut être s’orien-ter vers quelque chose de plus satisfaisant ?Comment se fait-il que tant de candidats au régime aientperdu leur référence interne de seuils de faim et desatiété ? Ce signal naturel qui vous fait sentir que le corpsa suffisamment engrangé de nourriture ou au contrairequ’il en a besoin. S’est-il perdu dans la cacophonieambiante de conseils, informations diverses et contradic-toires ? L’absence de ces références basiques font de biendes jeunes et très jeunes femmes la proie des images,donc des créateurs de modèles, et elles fondent leur êtresur l’amour de leur corps et le contrôle qu’elles entendentexercer sur lui, cela est d’autant plus facile que les modèlessont efficaces parce qu’impersonnels, où chacune peutimaginer se projeter.

Conclusion

Éloge de la gourmandise

Les représentations du corps et de la manière de le nour-rir opérant aujourd’hui chez les jeunes sont alarmantes.L’idée d’un modèle esthétique unique et trop mincedemeure la norme et conduit à des comportements nutri-tionnellement néfastes. Chez les plus âgés, la lente trans-formation actuelle de ce modèle prônant une diversité desformes ne les pas encore atteints. De nouvelles imagesplus diversifiées sont nécessaires, pour permettre aux plusjeunes de mieux accepter et de mieux vivre leur corps, etde se réconcilier avec les nourritures saines et bonnes, deretrouver une gourmandise raisonnable et une convivialiténécessaire à la communauté humaine.Il faut dans l’existence des petits moments de bonheur etde plaisir partagés. Que nous soyons minces ou pas, il estdes instants où gratifier son sens du goût est bon pour lasanté, bon pour la tête, bon pour la vie. Comme le rireest une bonne thérapie, la gourmandise (et non la goin-frerie !) peut l’être aussi, quand on sait la mesurer. Elle faitintimement partie du partage convivial autour d’un repas,d’une nourriture, c’est une des spécificités humaines. Jene résiste pas à la tentation de vous offrir deux textes deBrillat Savarin, qui mieux que quiconque a su parler desfemmes et de la table :« Rien n’est plus agréable à voir qu’une jolie gourmandesous les armes : sa serviette est avantageusement mise ;une de ses mains est posée sur la table ; l’autre voiture àsa bouche de petits morceaux élégamment coupés, oul’aile de perdrix qu’il faut mordre ; ses yeux sont brillants(sic) ses lèvres vernissées, sa conversation agréable, tousses mouvements sont gracieux ; elle ne manque pas de cegrain de coquetterie que les femmes mettent à tout. Avectant d’avantages elle est irrésistible ; et Caton le censeurlui même se laisserait émouvoir ».« Le penchant du beau sexe pour la gourmandise estchose qui tient de l’instinct, car la gourmandise est favo-rable à la beauté. Une suite d’observations exactes etrigoureuses a démontré qu’un régime succulent, délicat etsoigné, repousse longtemps et bien loin les apparencesextérieures de la vieillesse. Il donne aux yeux plus debrillant, à la peau plus de fraîcheur et aux muscles plus de

soutien ; et comme il est certain, en physiologie, que c’estla dépression des muscles qui cause les rides, ces redou-tables ennemies de la beauté, il est également vrai de direque, toutes choses égales, ceux qui savent manger sontcomparativement de dix ans plus jeunes que ceux à quicette science est étrangère. » [7].

Résumé

Le message médical contemporain insiste sur la responsa-bilité de l’individu sur la gestion de son corps et sa santé.Les messages médiatiques prennent le relais et envoientdes messages souvent contradictoires, parfois confus, auxquels s’ajoutent les publicités omniprésentes pour des ali-ments ou des produits « bons pour la santé » parce qu’ilsfont maigrir. L’équation minceur et santé est une repré-sentation forte particulièrement chez les jeunes femmes,voire les adolescentes. La norme minceur, parfois extrême,influe fortement sur le comportement alimentaire desadolescentes plus particulièrement, menant à des « petitesanorexies » selon l’expression de Jean-Pierre Corbeau.L’obsession du régime mène à des pathologies alimen-taires à la négation du plaisir et de la convivialité que ladiabolisation du surpoids ne fera qu’accroître.

Mots-clés : Minceur – Régime – Jeunes et très jeunesfemmes – Image du corps – Messages médiatiques.

Abstract

The contemporary medical message insists on the indi-vidual’s responsibility in managing his own health. Themessages relayed by the various media are oftenconfusing and contradictory, to which are added all thepublicities for “healthy foods” because they are “light”and will insure weight loss. The equation slimness oreven thinness is a particularly strong representation,especially among young and very young women andhas great influence on the food behaviour of adoles-cents. These lead to “small anorexia” as defined byJ.-P. Corbeau. Obsession with diet leads to nutritionalpathologies, negation of pleasure and conviviality thatthe moral condemnation of fatness will only increase.

Key-words: Slimness – Diet – Young and very youngwomen – Body image – Media and messages.

Bibliographie

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[7] Brillat Savarin A. – « Physiologie du Goût » A. Sautelet etCie. Paris 1829, 299-301.

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