La culture canadienne-française Les Québécois · 2002-01-14 · la culture à des activités...

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La culture canadienne-française Les Québécois Les dictionnaires définissent la «culture» comme l’ensemble des connaissances qui permettent à l’esprit de développer son sens critique, son jugement et son goût. L’auteur français, Edouard Herriot (1872-1957), a écrit «La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié.» 1 Cette définition semble limiter le sens de culture au folklore et nous avons souvent tendance à limiter notre interprétation de la culture à des activités folkloriques comme la danse, le chant et le théâtre. Par contre, lorsqu’on parle de culture dans son sens large, le terme englobe beaucoup plus que le folklore. Et ce, même si le folklore a toujours été un élément important des cultures canadienne-française, québécoise, acadienne ou même fransaskoise.

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La culture canadienne-françaiseLes Québécois

Les dictionnaires définissent la «culture» comme l’ensemble des connaissances qui permettent àl’esprit de développer son sens critique, son jugement et son goût. L’auteur français, Edouard Herriot(1872-1957), a écrit «La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié.»1 Cette définition semblelimiter le sens de culture au folklore et nous avons souvent tendance à limiter notre interprétation dela culture à des activités folkloriques comme la danse, le chant et le théâtre. Par contre, lorsqu’onparle de culture dans son sens large, le terme englobe beaucoup plus que le folklore. Et ce, même sile folklore a toujours été un élément important des cultures canadienne-française, québécoise,acadienne ou même fransaskoise.

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En 1919, l'auteur français Paul Valéry (1871-1945) a écrit un essai qui commence ainsi:«Nous autres civilisations, nous savonsmaintenant que nous sommes mortelles.»2 Danscet essai, Valéry fait référence aux civilisationsgrecques et romaines. Toutefois, comme cescivilisations, notre culture est mortelle. Cela neveut pas nécessairement dire qu’elle disparaîtra,mais plutôt qu’elle est constamment enévolution, changeant et s’adaptant à son milieuet à son environnement. C’est la raison pourlaquelle les cultures québécoises et acadiennesont des différences, même si elles sont demême souche: de l’ancienne France. C’est aussila raison pour laquelle la culture fransaskoise aévolué différemment de celle du Québec (mêmesi le folklore reste le même pour les deuxgroupes).

Plusieurs facteurs, tels que la politique,l’économie et la religion, influencent la cultured’un peuple ou d’un groupe. En étudiantl’histoire politique, sociale, économique etreligieuse du peuple québécois, est-il possiblede définir sa culture? C’est ce que nous allonsessayer de faire dans ce document.

À la fin des années 60, lorsque la révolutiontranquille bat encore son plein dans la provincedu Québec, un auteur issu du Manitoba français,Léandre Bergeron, écrit un volume qu’il intitulePetit manuel d’histoire du Québec. Dans cevolume, Bergeron décrit le peuple québécoiscomme étant un peuple qui:«subissons lecolonialisme. Nous sommes un peupleprisonnier.»3 Pour cesser d’être un peuplecolonisé, Bergeron croit qu’il est important pourles Québécois de connaître leur histoire. Bien

sûr, il est important de connaître l'histoire d'unpeuple afin de bien comprendre sa culture, sescroyances et ses moeurs.

Selon Léandre Bergeron, il est possible dedifférencier trois grandes périodes decolonisation dans l’histoire du Québec: le régimefrançais (1608-1760), le régime britannique(1760-1919) et le régime américain (1920-?). Ensuivant ce schéma établi par Bergeron, est-ilpossible de voir l’évolution de la culturequébécoise? Oui!

Les Français au Québec

Lorsque les premiers colons français arrivent surle sol canadien en 1608, leur culture estfrançaise, il n'y a pas encore de culturequébécoise. Ils arrivent donc avec leur bagagede connaissances acquises en Europe au dix-septième siècle. La démocratie, comme on laconnaît aujourd’hui, n’existe pas en France àcette époque. Elle commence seulement à fairedes percées en Angleterre, tandis qu’en France,le roi demeure le pouvoir suprême. En France,comme dans tous les autres pays d’Europe, il ya une hiérarchie bien établie avec le roi en hautde la pyramide; il est suivi de la noblesse etenfin, en bas, on trouve le peuple. Au dix-septième siècle, le peuple commence déjà à sediviser en deux groupes, c’est-à-dire lesbourgeois d’un côté et les paysans de l’autre.

À cette époque, tout le monde connaît sa placeet tout le monde connaît ses responsabilités.Les paysans ensemencent les champs pournourrir les gens du royaume; les artisans

Chapitre un

Le régime français

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fabriquent les outils; les bourgeois vendent lesproduits des autres et la noblesse gouverne lepays.Arrivés sur le sol canadien, les premiers colonsfrançais poursuivent ce mode de vie qu’ils ontconnu en France. Ils suivent les mêmestraditions, célèbrent les mêmes fêtes, bref, laculture en Nouvelle-France est une prolongationde celle de la France.

Toutefois, les colons français ne peuvent éviterd’être influencés par leur nouveau milieu. Leclimat rigoureux du Canada, par exemple, obligeles nouveaux colons à changer leur façon des'habiller. Les Indiens du pays initient lesFrançais à de nouveaux mets, comme la viandede pigeon, le maïs, etc. Même le tabac est unproduit nord-américain que les colonsdécouvrent en arrivant ici.

En Nouvelle-France, on découvre petit à petit denouveaux moyens de transport: le canot, letravois, etc. De nouveaux métiers s’ouvrent auxcolons français en Amérique du Nord, la traitedes fourrures en étant le principal.

Au début, on essaie de transplanter la culturefrançaise en Nouvelle-France. On rétablit sur lesol canadien le même système degouvernement qu’on avait connu en France. Onoffre des seigneuries à certains membres de lapetite noblesse qui acceptent de venir s’établirici. On retrouve les mêmes liens entre l’État etl’Église qu’on avait connus en France.

Une grande partie du folklore qu’on connaîtaujourd’hui est venu de France au début de lacolonie. Par exemple, la Sainte-Catherine estune fête française qui vient de Normandie. «Ilétait d’usage, autrefois en Normandie, dedécorer la statue de sainte Catherine et mêmede la revêtir des habits à la mode du pays. Cettefonction revenait à la plus âgée des filles de lamaison ou du couvent. C’est ainsi qu’avec letemps, l’expression “coiffer Sainte-Catherine” envint à signifier “rester vieille fille”, et que cettesainte fut consacrée, dans l’esprit des gens,

patronne de toutes les filles de trente ans et plusqui n’avaient pas encore trouvé de mari.»4

Au Canada, la Sainte-Catherine prend denouvelles dimensions. Marguerite Bourgeoys,dit-on, avait ouvert sa première école à Ville-Marie (Montréal) un 25 novembre. Chaqueannée, elle faisait de la tire pour commémorercet événement. Dans la tradition orale duQuébec, on dit aussi que Marguerite Bourgeoysfaisait de la tire pour attirer les petits Indiensdans son école. Donc, comme on peut voir, devieilles traditions sont peu à peu transforméesen Nouvelle-France.

La politique

Comme on l'a mentionné plus tôt, la politique estun des éléments qui aide à former et àcaractériser une culture. C’est le cas, auCanada, du temps du régime français. Parexemple, en 1627, le cardinal Richelieu, quidirige la France au nom du roi Louis XIII, fondela «Compagnie des Cent Associés» car il n'y aqu’une centaine d’habitants français enAmérique du Nord. En créant la «Compagniedes Cent Associés», Richelieu espèreaugmenter le nombre de colons français enNouvelle-France.

Chacun des Cent Associés doit fournir au moins3 000 livres5 et encourager activement lepeuplement de la Nouvelle-France. En retour,les Cent Associés reçoivent tout le pays du pôleNord jusqu’à la Floride, ainsi qu’un monopolesur la traite des fourrures.

Toutefois, le cardinal Richelieu insiste sur le faitque les associés «doivent peupler la colonieavec des colons français et catholiques.»6 Cettedirective du cardinal, et du roi Louis XIII, n’exclutpas nécessairement les Huguenots français; ellevise plutôt à exclure les non-Français. Quantaux Huguenots, même si on ne les exclut pas,on ne les encourage pas nécessairement àimmigrer au Canada.

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La population en Nouvelle-France n’étant qued’une centaine de personnes en 1627, cettepolitique du cardinal Richelieu veut dire que,sous le régime français, la Nouvelle-France estavant tout catholique et française. On verra plusloin le rôle que va jouer l’Église catholique dansle développement de la culture canadienne-française du Québec.

Quels fut le résultat du travail de la «Compagniedes Cent Associés»? Au début des années1660, la Compagnie peut se vanter d’avoir attiréplus de 5 000 immigrants. «On retrouve parmices immigrants des membres des trois groupessociaux de l’époque: 3 % de nobles, 8 % debourgeois et le reste en “petites gens”; la plupartde ceux-ci sont venus liés par un contrat(d’ordinaire de trois ans) qui leur assure latraversée, un salaire annuel et même le retour,s’ils désirent rentrer en France à l’expiration ducontrat.»7

Les nouveaux immigrants peuvent choisir deretourner en France ou de s’établirdéfinitivement au Canada. La plupart (on dit lesdeux-tiers) choisissent de retourner en France àla fin de leur contrat. Donc, en 1660, il n’y a pasbeaucoup plus de colons installés définitivementen Nouvelle-France qu’il n'y avait en 1627.

Mais, ceux qui décident de s’établirdéfinitivement au Canada vont faire évoluer laculture française petit à petit pour la rendrecanadienne-française, puis, par lasuite,québécoise. Il est donc importantd’examiner qui sont ces Français qui choisissentde s’établir définitivement en Nouvelle-Franceentre 1608 et 1663.

Le nouvel immigrant est généralement unhomme (80 %) et l’âge moyen est de 24 ans. Engénéral, il est célibataire et a reçu peud’éducation quoique 57 colons puissent signerleur nom. Même si son contrat le lie à la«Compagnie des Cent Associés» pendant troisans, le colon qui choisit de rester au Canadaattend généralement encore deux ans avant

d'entrer en possession de son propre terrain.Les hommes célibataires attendentgénéralement cinq ans après leur arrivée avantde se marier, tandis que pour les femmes, quine sont pas encore nombreuses au Canada, ledélai n’est que d’un an.

Puisqu’un faible nombre d’immigrants choisit des’établir définitivement en Nouvelle-France,l'utilité «Compagnie des Cent Associés» estremise en question par le roi de France. En1663, la population canadienne est d’environ3 000 habitants, une belle augmentation parrapport aux quelque 100 personnes de 1627.Toutefois, ces 3 000 Français sont noyés aumilieu des quelque 90 000 Anglais établis enNouvelle-Angleterre. Notons que parmi les3 000 habitants des colonies de Québec, Trois-Rivières et Montréal, le long du Saint-Laurent,en 1663, 42 % sont nés au Canada. Cela veutdire que la population de la colonie commencedéjà à s’éloigner de la culture de son paysd'origine.

Même si le système seigneurial est transplantéde France au Canada par le gouvernement, leshabitants du Canada ne deviennent pas pourautant des vassaux totalement subordonnés auseigneur comme c’était le cas au Moyen-Âge.Toutefois, ils n’ont pas, comme en Nouvelle-Angleterre, un système leur permettant d'êtrepropriétaires du terrain. Le terrain est auseigneur et l’habitant doit lui remettre une partiede sa récolte. Puisque le système seigneurialexiste en Nouvelle-France, il y auranécessairement deux classes sociales: lesseigneurs et les paysans. Ce n’est pas le cas enNouvelle-Angleterre à cette époque.

Il existe donc entre la Nouvelle-France et laNouvelle-Angleterre des différences politiquesqui ont un impact sur le développement cultureldes deux nations. Les méthodes decommunications jouent un rôle plus importantdans l’évolution culturelle des Canadiensfrançais de la Nouvelle-France, que dans celledes Anglais de la Nouvelle-Angleterre.

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Les communications

Au dix-huitième siècle, on voit apparaître enEurope, et principalement en Angleterre, larévolution industrielle. Ce phénomènecommence à se manifester vers le début dusiècle. Tout en modernisant l’industriebritannique, la révolution industrielle entraîneaussi le développement de nouvelles idéologies.

En Nouvelle-Angleterre, ces nouvellesidéologies se propagent rapidement dans lesjournaux, les revues et les brochures. Tel n’estpas le cas en Nouvelle-France: «On ne trouverien de la sorte au Canada, où il n’y a pas depresse écrite, où l’éducation secondaire etcollégiale ne fait que débuter et où l’instructionest entre les mains du clergé.»8 Les débats quise déroulent en Nouvelle-Angleterre, enAngleterre et en France à cette époquen’existent pas en Nouvelle-France. L’absencede moyens de communication efficaces veutdire que, dans certains cas, l’évolution culturelledes Canadiens français ne se fait pas aussi viteque celle des Français. C’est une des raisonspour laquelle certaines vieilles traditionsfrançaises continuent d’être propagées auCanada alors qu’elles ont disparu en France.

L’économie

Un autre élément important à considérer estl’économie. Comme on l'a mentionné plus tôt, leclimat a eu un effet sur l’évolution de la culturecanadienne-française; les habitants ont dûmodifier leurs vêtements à cause du climatrigoureux. Le climat et la géographiedéterminent aussi le genre de travail deshabitants.

En agriculture, par exemple, à cause du climatet de l’état des sols, les semences sontdifférentes en Nouvelle-France et en Nouvelle-Angleterre. Il y a même une différence entrel'agriculture pratiqué par les colons français duQuébec et par les colons français en Louisiane.

Les fermiers des colonies de Québec, Trois-Rivières et Montréal récoltent surtout desproduits qui ne se vendent pas bien en Europeaux dix-septième et dix-huitième siècles, commele blé, l’avoine et l’orge. Par contre, lesagriculteurs de la Louisiane ensemencent desproduits qui sont en grande demande enEurope, comme le tabac, le riz, le coton etl’indigo.

Les fermiers canadiens-français produisentsurtout pour subvenir aux besoins de la colonie,comme les fermiers des États du nord de laNouvelle-Angleterre. Leurs compatriotes deLouisiane, par contre, ont des grandesplantations comme les fermiers de Virginie etdes Carolines. Ces différences entre lesfermiers du Canada et ceux de Louisianeexpliquent aussi pourquoi en Louisiane, lesFrançais sont favorables à l’esclavage tandisque la pratique en est moins commune dans lescolonies de Québec, de Trois-Rivières et deMontréal.

Puisque les produits agricoles de la Nouvelle-France ne se vendent pas bien en Europe, lesCanadiens vont nécessairement développerd’autres industries qui seront moins importantesen Louisiane, comme la traite des fourrures, lapêche et l’industrie forestière. Les vieux conteset le folklore de la Nouvelle-France font état del’importance de ces industries. On retrouve doncdes coureurs de bois, des bûcherons ou despêcheurs comme personnages principaux descontes et des histoires d’antan au Canada.

Il faut aussi reconnaître que la classe dirigeantede la Nouvelle-France est aussi ambitieuse quecelle de la Nouvelle-Angleterre. Pierre Boucher,seigneur de Trois-Rivières, publie à Paris en1664, un volume intitulé Histoire véritable etnaturelle... de la Nouvelle-France. Dans cetouvrage, il compare la situation en Nouvelle-Angleterre avec celle de sa colonie. «Ilsconstruisent des navires de toutes sortes, ilsouvrent des mines de fer, ils ont de belles villes,ils ont des services de diligences 9 et de postes

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entre les colonies, ils ont des carrosses commeen France... Cependant, ce pays n’est pasdifférent du nôtre; ce qui peut se faire là-baspeut se faire ici.»10

Boucher, comme d’autres seigneurs del'époque, ne veut pas que les Français duCanada se limitent à la traite des fourrures et àl’agriculture. Comme les Américains, il croit queles habitants du Saint-Laurent devraient selancer dans différentes industries. L’arrivée enNouvelle-France de l'intendant Jean Talon en1665 permettra à Pierre Boucher de réaliser sonrêve, partiellement.

Jean Talon est un de ceux qui contribue à ladiversification des industries en Nouvelle-France. Nommé intendant de la colonie par leroi Louis XIV en 1665, Talon encourage lesfermiers canadiens à cultiver des plantes nonalimentaires comme le chanvre et le lin. Il créeune industrie forestière au Canada et encouragela construction de navires. Il s'occupe dudéveloppement de l’exploitation minière etpousse les colons à s’ouvrir au commerceinternational.

Peuplement

Pour combattre la menace des Iroquois, laFrance envoie le régiment Carignan-Salières enNouvelle-France. Puisque le nombre de colonsn’est pas encore très élevé, Talon essaie deconvaincre les soldats de rester dans la colonieune fois que le danger est passé. Il offre desseigneuries et des récompenses aux officiers.

«Entre 1665 et 1672, la Nouvelle-France connaîtsa plus grande vague d’immigration avecl’arrivée de 1500 nouveaux colons quis’installent le long du Saint-Laurent. Parmi eux,on compte des officiers, dont le tiers des soldatsdu régiment Carignan-Salières. Plusieurss’établissent dans la vallée du Richelieu, là oùils avaient été en garnison dans les fortsnouvellement construits.»11

Pour que ces nouveaux colons soient heureux,l’intendant fait venir des femmes qui deviendrontles épouses des soldats et des autres colonscélibataires. «Plus de 1000 jeunes femmesvaillantes, les “filles du roi”, viennent au Canadapendant la même période, pour chercher unmari parmi les ouvriers, les commerçants et lesanciens soldats.»12

Le choix des «filles du roi» est important parrapport à l’évolution culturelle des Canadiensfrançais. D’où venaient-elles? Qui étaient-elles?Léandre Bergeron, dans Petit manuel d’histoiredu Québec, les décrit comme suit: «bâtardes degrandes dames de France, orphelines,prostituées par nécessité.»13 La plupart deshistoriens sont d’accord avec Bergeron surl’origine des «filles du roi», mais ils ne sont pastous prêts à la limiter autant. En somme, laplupart des historiens maintiennent que les«filles du roi» étaient les pauvres et lesdéshéritées de la société française. Comme tantd'autres facteurs, les origines des «filles du roi»influencent l'évolution culturelle des Canadiensfrançais. Souvent, les Canadiens français onttendence à se voir comme les pauvres et lesdéhérités de la société canadienne.

Malheureusement, lorsque Jean Talon quitte laNouvelle-France en 1672, la plupart de sesprojets sont abandonnés par le gouverneurFrontenac qui est constamment en désaccordavec le clergé, les bourgeois et les seigneurs. Sile développement économique de la coloniestagne après le départ de Jean Talon, l’évolutionculturelle de la population canadienne-française,elle, se poursuit.

Sous le régime français, la Nouvelle-Francen'existe qu'en tant que fournisseur de lamétropole. Même durant les années deprospérité, toutes les industries du Canadafrançais doivent s’organiser pour ne pas nuireaux industries d’une autre colonie ou de laFrance. La traite des fourrures demeure laprincipale industrie.

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Avant la cession de la colonie à l’Angleterre en1763, la nouvelle classe dirigeante semble êtrecomposée de bourgeois et de marchands defourrure. La plupart d’entre eux retournent enFrance après la perte du Canada. Lors durecensement de 1666, la majorité de lapopulation de Nouvelle-France vit dans les troisgrandes villes (Québec, Montréal et Trois-Rivières). L'agriculture ayant été négligée parles gouvernements français de l’époque, il est

fort probable qu’en 1763, la majorité deshabitants vivait encore en milieu urbain.

Au fur et à mesure que la Nouvelle-France sedéveloppe, la culture canadienne-françaisechange. Elle prend au cours des années uncaractère plus nord-américain. Sous le régimebritannique, de nouvelles influences viennentrediriger cette évolution culturelle.

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Chapitre deux

Le régime britannique

Lorsque l’Angleterre prend possession du paysen 1763, elle trouve une société qui est prête àl’accepter, car les dernières années du régimefrançais n’ont pas été favorables aux colons dela Nouvelle-France. L’intendant Bigot a laisséd’énormes dettes et les longues guerres entreFrançais et Anglais ont créé de l'apathie auCanada.

L’Angleterre, ne voulant pas complètementbouleverser la société canadienne-française,garde les lois existantes, permet aux capitainesde la milice de continuer à exercer leursfonctions et au clergé catholique de veiller auxbesoins spirituels des colons. Ceux quin’acceptent pas l’autorité britannique retournenten France. Le clergé, pour sa part, accepte dese soumettre au nouveau maître, et, puisqueplusieurs dirigeants ont quitté la colonie, lapopulation canadienne-française se tourne deplus en plus vers les membres du clergé.

Sous le régime français, même s’il existait unesociété dominée par la métropole, les Françaisnés en Nouvelle-France avaient autant dechance de réussir que les membres de la petitenoblesse des vieux pays. C’est le cas pour LaVérendrye, né près de Trois-Rivières, qui vadevenir un des grands explorateurs du Canada.Mais le nouveau groupe de «Canadiens» va voirses ouvertures se fermer progressivement aprèsla conquête.

«Sous le régime français, aucune carrière n’étaitinterdite aux Canadiens. L’empire françaiscomptait sur eux pour continuer à survivre et àprospérer. La situation était toute autre sous le

régime anglais. L’administration de l’armée, dela marine et le commerce étranger passaientexclusivement sous le contrôle desBritanniques.»14 Les Canadiens françaisacceptent donc de limiter leurs ambitions et dene pas viser trop haut. De plus en plus, lesCanadiens français se retirent à la campagnepour vivre à la ferme; les membres du clergédeviennent leurs nouveaux chefs.

De leur côté, les nouveaux arrivés britanniquesont bien l’intention de transformer le nouveaupays pour le construire à leur image. «Ils avaientla légitime ambition d’y jeter les bases d’uneprospère et permanente colonie britannique quiserait leur patrie et celle de leursdescendants.»15 Ils n’ont donc pas l’intention departager la direction de la colonie avec lenouveau peuple conquis, les Canadiensfrançais. Ils croient même que leurs nouveauxsujets s’assimileront rapidement.

Il y a, toutefois, des liens qui se forgent entreCanadiens français et Britanniques. «L’élite dela société canadienne démontre un esprit decollaboration avec les vainqueurs.Immédiatement après la conquête, plusieursjeunes filles ont marié des officiers de l’arméevictorieuse. Quelques personnes ont étéscandalisées, mais elles représentaient l’opinionde la minorité.»16

La Conquête est donc un autre facteur del’évolution de la culture québécoise. Bien queles vainqueurs leur permettent de garder leurreligion et leur système de justice, lesCanadiens français voient une partie de leur vie

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transformée. Ils cessent d’être la classedirigeante; ils passent d’un peuple degouvernants à un peuple de gouvernés.

Cette évolution se fait lentement. Elle s'accéléreentre 1776 et 1783 à cause de la révolutionaméricaine. Là, les Canadiens françaischoisissent de se joindre à l’Angleterre contreles treize colonies de la Nouvelle-Angleterre.Mais, immédiatement après l’indépendance desÉtats-Unis, les Canadiens français sont presquenoyés par l’arrivée des Loyalistes. Plus de 6 000viennent se réfugier au Québec. Quelques-unss’établissent au sud du fleuve Saint-Laurent,dans les Cantons de l’Est. Mais, la majorités’établit au nord des lacs Ontario et Erié.«Aussitôt arrivés, ils ne veulent rien savoir desCanayens, leur tenure seigneuriale et leurs loisciviles françaises. Les Loyalistes exigent undistrict séparé avec la tenure et les loisanglaises.»17

L’ancienne province de Québec est donc diviséeen deux par l’Acte constitutionnel de 1791. Cetacte crée le Bas-Canada et le Haut-Canada.L’Acte constitutionnel précise que le peupleCanadien français peut conserver plusieursdroits acquis depuis la Conquête; les lois civilesfrançaises demeurent en vigueur et le clergé neperd aucun de ses droits. S'il convient auxLoyalistes du Haut-Canada, l’Acte ne plaitcertainement pas aux Canadien-anglais établisdans le Bas-Canada. La création d’assembléesreprésentatives des deux nouvelles provincesredonne aux Canadiens français l’occasion dereprendre en main leur propre destinée.

Sur le plan politique, un autre épisode vientmarquer l’évolution culturelle des Canadiensfrançais. Il s’agit de la rébellion de 1837-1838.Même si la rébellion a lieu dans les deuxprovinces, l’impact culturel n’en est pas le mêmedans les deux. Dans le Haut-Canada, lesdescendants des anciens Loyalistes se battentpour gagner une plus grande force politique. AuQuébec, ou dans le Bas-Canada, il s’agit plutôtd’une lutte entre anglophones et francophones.

L’assemblée représentative est élue par lepeuple, donc elle est dominée par lesCanadiens français. De l’autre côté, le sénat, lecomité exécutif et le gouverneur sont nommés,donc ils sont dominés par les Canadiensanglais.

Le conflit mène les Patriotes canadiens-françaisà prendre les armes. Même s’ils perdent labataille, la rébellion de 1837-1838 demeure unélément clé de l’évolution culturelle desCanadiens français. La culture québécoise estencore riche des images de cette rébellion: lespeintures des soldats-fermiers avec leur tuqueet leur fourche, et la chanson «Un Canadienerrant».

Le régime anglais nous permet alors de voir uneréorganisation sociale du peuple canadien-français. De peuple dirigeant et urbain, lesCanadiens français deviennent un peuplesoumis et rural. Léandre Bergeron, dans sonPetit manuel de l’histoire du Québec a créé unepyramide pour montrer la relation anglophone-francophone au Canada sous le régimebritannique.

Durant le régime britannique, le Québec sevoyant dominé par les Canadien anglais, laculture canadienne-française va évoluer car lesCanadiens français commencent à se tourner deplus en plus vers le passé, vers le régimefrançais pour y trouver leurs héros. SelonLéandre Bergeron, «l’élite qui a collaboré avecle colonisateur anglais après la défaite de laRébellion de 1837-38 a agi comme toute élited’un peuple colonisé. Au lieu de lutter pourdébarrasser le Québec du colonisateur, elles’est retournée vers un passé “héroïque” pourne pas faire face au présent. Elle s’est mise àglorifier les exploits des Champlains, desMadeleines de Verchères, des Saints MartyrsCanadiens pour nous faire croire qu’à unecertaine époque nous aussi nous étions degrands colonisateurs.»18

Le peuple canadien-français se retranche alors

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société anglaise

société canadienne-française

société indienne

administrateurs

marchands

clergé et seigneurs

petite bourgeoisie

habitants

chefs, guerriers et chasseurs

Pyramide culturelle conçue par l'auteur québécois, LéandreBergeron.

sur lui-même pendant les années du régimeanglais. Le folklore glorifie les exploits deDollard des Ormeaux, d’Étienne Brûlé et deRadisson et Groseilliers. Tout en gardant deséléments de la culture du peuple, comme lesimages du coureur de bois, du pêcheur et du

bûcheron, on ajoute maintenant celle du fermierqui protège sa ferme de l’envahisseur anglaisarmé seulement d’une fourche. Le Patriotedevient ainsi la nouvelle icône culturelle dupeuple.

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Chapitre trois

Le Canada français depuis la Confédération

Alors que la population canadienne-françaiseétait majoritaire et urbaine au recensement de1666, elle est complètement différente 200 ansplus tard lors de la Confédération. En 1867, lesCanadiens français ne représentent plus que letiers de la population. De plus, environ 85 %d'entre eux vivent à la ferme ou en milieu rural.

Contrairement à l’Ontario ou aux États-Unis, leQuébec est surtout un pays agricole.L’industrialisation du Québec n’a pas encorecommencé. Pendant la dernière partie du XIXesiècle, il y a une grande migration vers les villesindustrialisées de la Nouvelle-Angleterre. Desmilliers et des milliers de Canadiens françaisquittent le Québec pour aller chercher desemplois dans les villes du New Hampshire, duMassachusetts, du Rhode Island, de New Yorket du Maine.

C’est qu’au Québec où la revanche du berceaua été fortement encouragée par le clergé et lesautres membres de l’élite, il y a des familles quiont huit, dix, douze et même parfois vingtenfants. Le peuple canadien-français continued’être composé d'agriculteurs, mais les bonnesterres ont toutes été prises et les jeunes nevoient aucunement comment gagner leur viedans la province.

Mais le clergé et la petite élite canadienne-française ne veulent pas perdre leur pouvoir surle peuple. On dénonce alors la migration versles villes industrialisées. On glorifie de plus enplus le métier d’agriculteur. «Toute personne quichoisissait de s’en aller en exil aux États-Unisou qui émigrait vers la ville était dénoncéecomme étant un traitre ou un déserteur, et lemythe de l’agriculture comme dernier recours

pour la nation était perpétué par des romans etdes chansons.»19

Puis ensuite, c’est l’industrialisation de l’Est dupays. Là, le peuple canadien-français doitapprendre comment respecter un horaire detravail, comment faire fonctionner les machinesde l’usine et comment se soumettre à sonpatron. Ce dernier apprentissage aurait été plusfacile si le patron avait été Canadien français.Mais, ce sont généralement les Canadiensanglais ou les Américains qui occupent lespostes de patron.

Les Canadiens français commencent de plus enplus à se voir comme un peuple inférieur; ilssont la main-d’oeuvre des investisseursaméricains et canadiens-anglais. Ce sentimentd’infériorité doit être combattu! Le nationalismequébécois commence à prendre de l’ampleur.Ce mouvement de nationalisme se répandd'abord parmi les politiciens, ce qui conduit àl’émergence des Rouges ou du parti libéral duQuébec.

Ensuite, ce sont les mouvements syndicaux quiprennent de l’ampleur. Avant la Confédération,puisqu’il n’y avait presqu’aucune industrie auQuébec, il n’y avait pas vraiment de mouvementsyndical. Lorsque l’industrialisation de laprovince commence, à la fin du XIXe siècle, lapopulation de la province devient de plus enplus syndicalisée.

Tout cela mène inéluctablement à la révolutiontranquille des années 60 en commençant parl’élection de Jean Lesage, libéral, en 1960,suivie de la nationalisation de plusieursindustries au Québec et de la laïcisation de

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l’éducation. La révolution tranquille est avanttout un mouvement de «nationalisme étatisé».«Un des principaux effets de ce nationalismeétatisé est l’ouverture aux francophones duQuébec de certains secteurs de l’économie àlaquelle ils n’avaient pu participerauparavant.»20 Le mouvement des caisses dedépôts et Hydro-Québec forment un nouveaugroupe de nationalistes «capitalistes»québécois. C’est aussi le cas du service publicdu Québec.

Tout en continuant d’être fortement influencéspar le Canada anglais et les États-Unis, lesCanadiens français du Québec commencent àse voir comme une société distincte et bonnombre d'entre eux réclament l’indépendance.La révolution tranquille devient un autre élémentde la révolution culturelle québécoise. Même sion continue à écouter, et souvent préférer, lamusique américaine, on développe une industriede la musique au Québec. Le théâtre,nationaliste et québécois, met de côté lesgrands classiques comme Molière, Racine etCorneille et prend goût aux pièces de Michel

Tremblay, de Jean Barbeau, de FrançoiseLoranger et de Marie Laberge.

Mais, hormis les arts, la culture évolue dansd’autres sens au Québec. L’Église catholiqueperd beaucoup de son influence après leConcile du Vatican, en 1963. Les Québécoisdeviennent de plus en plus urbanisés. Et onréclame de plus en plus un statut spécial àl’intérieur de la Confédération canadienne.

La culture québécoise, elle, a été formée par lepassé, mais elle continue à évoluer avec letemps. Elle ne peut se réfugier uniquement dansson folklore, elle doit continuer à évoluer avecles changements politiques, économiques,sociaux et idéologiques.

Le peuple québécois d’aujourd’hui n’est pas lemême que celui du régime français, ou durégime britannique. Les Québécois d’aujourd’huine sont même pas semblables à leurs parentsdu début du XXe siècle. C’est la nature d’uneculture d'être constamment en voie d’évolution,changeant et s’adaptant au temps et au milieu.

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Notes et références

1 Paul Robert, — Petit Robert 1. — Paris : LeRobert, 1981. — P. 436

2 René de Chantal ; Alfred Ewert ; Jean-Charles Falardeau ; Henri Légaré. — TheFrench Language and Culture In Canada.— Brandon : Brandon University, 1969. —P. 27

3 Léandre Bergeron. — Petit manueld’histoire du Québec. — Éditionsquébécoises. — P. 5

4 Yvon Desautels. — Les coutumes de nosancêtres. — Montréal : Éditions Paulines,1984. — P. 7

5 Livre: ancienne monnaie de compte,représentant la valeur d’une livre d’or oud’argent.

6 Guy Frégault. — Canadian Society in theFrench Regime. — Vol. 3. — Ottawa :Canadian Historical Association, 1964. —Traduction. — P. 3

7 Marcel Trudel. — «Nouvelle-France, de1603 à 1663». — Horizon Canada. —Saint-Laurent : Centre d’Étude enEnseignement du Canada. — Vol. 1, no 3(1984). — P. 54

8 Guy Frégault. — Canadian Society in theFrench Regime. — P. 5

9 Diligence: voiture à chevaux qui servait àtransporter des voyageurs.

10 Guy Frégault. — Canadian Society in theFrench Regime. — P. 7

11 Bernard Pothier. — «La guérilla enNouvelle-France». — Horizon Canada. —Saint-Laurent : Centre d’Étude enEnseignement du Canada. — Vol. 1, no 7(1984). — P. 147

12 Ibid., p. 14713 Léandre Bergeron. — Petit manuel

d’histoire du Québec. — P. 3514 Michel Brunet. — French Canada and the

Early Decades of British Rule, 1760-1791.— Vol. 13. — Ottawa : Canadian HistoricalAssociation, 1965. — Traduction. — P. 5

15 Michel Brunet. — «Adieu, mère patrie». —Horizon Canada. — Saint-Laurent : Centred’Étude en Enseignement du Canada. —Vol. 2, no 19 (1984). — P. 435

16 Michel Brunet. — French Canada and theEarly Decades of British Rule. — P. 4

17 Léandre Bergeron. — Petit manueld’histoire du Québec. — P. 67

18 Ibid., p. 419 Denis Monière. — Ideologies in Quebec :

The historic development. — Toronto :University of Toronto Press, 1981. —Traduction. — P. 143

20 Christian Dufour. — A Canadian Challenge- Le défi québécois. — Halifax : Institut derecherches politiques et Oolichan Books,1990. — P. 91

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La culture canadienne-françaiseLes Acadiens

La culture québécoise commence à évoluer dès l’arrivée, au Canada, des premiers colons et elle semétamorphose au cours des années. Est-ce que ce même phénomène se produit avec les autresgroupes francophones hors Québec? Les Acadiens ont-ils, eux-aussi, développé leur propre culture?

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L’histoire de l’Acadie précède celle du Québec.Les Français ont donné le nom d’Acadie auterritoire qui comprend aujourd’hui la Nouvelle-Écosse, une partie du Nouveau-Brunswick, l’Îledu Prince-Édouard et le Maine. «Les termesamérindiens quoddy (langue malécite), signifiantterre fertile, ou algatig (langue micmac), lieu decampement, ont sans doute inspiré Verrazanoqui révèle avoir baptisé ce pays Arcadie en 1524à cause de la beauté des arbres.»1

Le régime français en Acadie

C’est en 1604 que le Sieur de Monts, le baronde Poutrincourt et Samuel de Champlainviennent établir un poste de traite en Acadie. Legroupe d’hommes qui les accompagne construitdes habitations sur l’île Sainte-Croix, dans labaie de Fundy. Poutrincourt a plus de chance

que les autres membres de cette expédition, carà l’automne de 1604, de Mont le renvoie enFrance avec une cargaison de fourrures.

Le premier hiver en Acadie est particulièrementdifficile pour le groupe de Français: «Les ventsmugirent dans la baie et à travers la landedéserte. La température tomba. Le gel bloqua labaie, empêchant les colons de se rendre sur lecontinent. À court d’eau douce et de bois dechauffage, ils se terrèrent dans leurs abris, enattendant le printemps. Un à un, la mort vint lesprendre, par le scorbut et par le froid. Auprintemps, il ne restait que la moitié deshommes.»2

N’ayant pas prévu un tel climat, les hommes nese sont pas approvisionnés en viande pourl’hiver. «Au printemps, les Indiens Etchemins,qui campaient autour de la Baie de

Chapitre un

L’expérience acadienne

Port-Royal et la baie de Fundy.

Baie-Française (la baie de Fundy)

Bassin de Port-Royal

l'habitation de Champlain et 1er Port-Royal (1604-1624)

Port-Royal

Île-aux ChèvresÎle de l'Ours

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La culture canadienne-françaiseLes Métis

La culture québécoise, comme on l’a vu, a commencé à évoluer dès l’arrivée des premiers colons.Est-ce que la même chose s’est produite pour les autres groupes francophones du pays tels que lesMétis ou les Franco-Ontariens? Les Manitobains et les Franco-Colombiens ont-ils la même culture?Étudions un peu l'histoire du peuple métis, l'évolution de leur mode de vie et de leur culture.

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Qui sont les Métis? Lorsque les premiersexplorateurs européens arrivent sur le sold'Amérique, plusieurs d’entre eux prennent desIndiennes pour femme. Chez les Métis, à laquestion: «Quand a été le début du peuplemétis?», on répond, en plaisantant: «Neuf moisaprès l’arrivée du premier homme blanc.»

Au début, les Anglais leur donnent le nom de«half-breed», mais ce ne sont pas tous les Métisqui ont 50 % de sang blanc et 50 % de sangindien. Au début, oui, ils étaient des «half-breed», mais lorsqu’une personne n’a que 25 %de sang blanc, est-elle encore une «half-breed»?

Les Français, eux, leur ont donné le nom de«Sang mêlé» et ensuite celui de «Bois-brûlé» àcause de la couleur de leur peau. Plus tardencore, vers le milieu du XIXe siècle, ilscommencent à s’appeler «Métis». Ce termevient peut-être de l’espagnol «mestizo» ouencore du latin «miscere» (mélanger).Aujourd’hui, il est difficile de déterminer qui estMétis, ou plutôt qui a du sang indien. On ditmême que tous les descendants de canadiens-français ont du sang indien dans les veines.

Au début de l’exploration de l’Ouest canadien,des Français, comme La Vérendrye,s’aventurent jusqu’aux Rocheuses. Ils ouvrentdes postes de traite dans le nord-ouest del’Ontario, et, au Manitoba, dans la région du lacWinnipeg. Partant de la baie d’Hudson, desAnglais, comme Henry Kelsey, suivent lesrivières et se rendent jusque dans les Prairies.Francophones et anglophones, tous sont à la

recherche des riches pelleteries. Au fur et àmesure qu’ils avancent vers l’ouest, ils prennentdes Indiennes pour femmes.

Donc, le Métis est le descendant d'une allianceentre Blanc (Français ou Anglais) et Indienne. Àcause de ce mélange, les Métis ont adopté deséléments des cultures de toutes ces sources.On les retrouvera dans leur langage, leurscoutumes et leurs traditions.

Au cours des premières années de colonisationdu pays, les Métis s'identifient à un des deuxgroupes dont ils sont issus. Dans l’Est du pays,bon nombre de Métis sont assimilés par lessociétés canadiennes-françaises et américaines,parce que les Européens deviennent vite legroupe dominant. Mais dans l’Ouest, la situationest différente. Ici, il n’y a pas de sociétéeuropéenne dominante. Au début, les peuplesindiens sont majoritaires. Ensuite, ce seront lesMétis qui formeront la majorité. Donc, dans leNord-Ouest, le Métis se range d'abord du côtéde la famille de sa mère. Il se joint à la tribuindienne et est adopté comme un de sesmembres. Mais, qu’adviendra-t-il lorsque lesMétis seront le groupe dominant, au milieu duXIXe siècle?

Dès le début du XIXe siècle, les Métiscommencent à se considérer de plus en pluscomme un peuple unique. Ils se différencientdes Européens et des Indiens. C’est à cemoment qu’ils commencent à s'identifier comme«les Bois-brûlés», et plus tard comme la «nationmétisse».

Chapitre un

Les origines du peuple métis

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Les origines

Une alliance entre Blanc et Indienne peutprendre différentes formes: «Dans certains cas,un attachement permanent se développait entrele couple. Certains des traiteurs de fourruresretournaient en Nouvelle-France ou enAngleterre avec leurs femmes indiennes;quoique ces unions n’étaient rarementheureuses puisque les femmes venaient às’ennuyer, elles ne pouvaient pas parler lalangue du pays et elles étaient mises au ban dela société. Mais plus souvent, le coureur de boisou un membre d’une compagnie de traite desfourrures prenait une femme indienne pourpartager son lit seulement aussi longtemps qu’ildemeurait dans le Nord-Ouest.»1 Lorsqu’il estrappelé dans son pays, le coureur de bois laissederrière lui sa femme indienne et ses enfantsmétis.

La mère indienne, «quoique soumise à sonmari, comme l’était d’ailleurs la femme chez lespeuples primitifs, était traitée avec des égardsqui en faisaient une compagne plus encorequ’une servante.»2 Elle est donc appelée àjouer un rôle plus important que la femmeblanche. Elle partage le travail et lesresponsabilités quotidiennes. Pendant que leshommes s’occupent de chasse et de pêche, lesfemmes cueillent les fruits sauvages, ellestransportent l’eau, préparent les repas et ellesentretiennent le feu. Mais, ce sont aussi lesfemmes qui débitent les carcasses de bisons,préparent la viande et le pemmican et préparentles fourrures.

La plupart des Métis français sont de ferventscatholiques, comme leurs ancêtres canadiens-français. Mais, avant l’arrivée des missionnaires,les hommes blancs et les Métis avaient adoptéles traditions du mariage indien. «Le mariagechez les Indiens prenait des formes diversesselon les tribus. En général, ce n’était guère plusqu’un marché entre le jeune homme et lesparents de la jeune fille ou même parfois entreles parents des deux conjoints.»3

Ces mariages viennent à être connus sous lenom de «mariage à la mode du pays». Avecl’arrivée des missionnaires, vers le milieu duXIXe siècle, les Métis n’abandonnent pascomplètement ces mariages à la mode du pays,surtout que les missionnaires ne sont pastoujours présents pour bénir les mariages. Il estdonc commun au XIXe siècle que des Métiss’unissent d'abord «à la mode du pays», puisqu’ils fassent bénir leur mariage quelques moisplus tard lorsque le missionnaire vient dans lacolonie ou dans la prairie. Il en est toujours ainsià la fin des années 1870 lorsque Louis Rielépouse Marguerite Monette dit Belhumeur.

Puisque les Métis, comme leurs ancêtresindiens, n’ont pas laissé de documents écrits àpropos de leur histoire, il faut se fier aux conteset aux histoires transmis oralement. Ou, il fautse fier aux documents laissés par les Blancs,missionnaires et autres. Pour cette raison, on aparfois tendance à accorder un lieu derésidence à des Métis qui en réalité vivaientailleurs.

À cette époque, les missionnaires tiennent desregistres des mariages, des baptêmes et desdécès. Au début, les missionnaires s’établissentà la Rivière-Rouge. Mais, il y a des Métis quivivent ailleurs: à la Montagne de Bois, dans lavallée de la Saskatchewan ou encore au lacRabasca (lac Athabasca). De temps à autre, cesMétis se rendent à Saint-Boniface dans lacolonie de la Rivière-Rouge où ils font bénir leurmariage par le curé et baptiser leurs enfants.Les missionnaires inscrivent ces mariages etbaptêmes dans leurs registres, donnantl’impression que ces Métis vivent à la Rivière-Rouge. Il est alors très difficile de savoir où etquand certains Métis sont nés.

Plus tôt, nous avons mentionné que certainshommes blancs abandonnent leur femmeindienne ou métisse et leurs enfants lorsque leurcontrat avec la compagnie de traite desfourrures prend fin et qu’ils retournent au Bas-Canada ou en Europe. Qu’advient-il alors des

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femmes abandonnées? Beaucoup d’entre ellesretournent dans la tribu de leur mère. «Danscertaines tribus la veuve d’un guerrier, ou lafemme abandonnée par son mari, avait leprivilège de se choisir un nouvel époux parmi lesprisonniers de guerre. Dans d’autres tribus, lesfemmes croyaient à l’efficacité de philtresspéciaux qui devaient leur garantir l’amour et lafidelité du mari: pratique d’une valeur à peu prèssemblable à celle de la bague et du jonc chezles blancs.»4

La nation métisse

Le peuple métis, comme les Canadiens françaisdu Saint-Laurent et les Acadiens, emprunte deséléments culturels ici et là. Ils empruntent deséléments de la culture et du mode de vie de leurpère, Français ou Écossais. D’autres élémentsseront empruntés à leur mère indienne.

Au début du XIXe siècle, on voit émerger lanation métisse. Entre 1760 et 1821, c’est lagrande épopée des voyageurs et des coureursde bois. La Nouvelle-France a été cédée àl’Angleterre et les deux grandes compagniesrivales, la Compagnie de la Baie d’Hudson et laCompagnie du Nord-Ouest, se font concurrencepour les riches pelleteries de l’Ouest.

Les Métis, ayant assez de force physique pourendurer la vie de voyageur et de coureur debois, se lancent dans la traite des fourrures.«Les hommes, chez les Métis, sont en généralde haute taille. Les uns possèdent même lastructure de colosses. Leur visage, auxpommettes saillantes sous des yeux d’un noiréclatant, est généralement cuivré, souventcouronné d’une longue chevelure noire commedu jais ou garni d’une barbe touffue. Leurphysionomie est empreinte de noblesse et defierté.»5

Ils suivent l’exemple de leur mère indienne,s’adonnant au nomadisme. Pas question de selancer dans l’agriculture. Les Métis « se

rapprochaient donc par leur mode de vie,également dominé par le nomadisme,également étranger à toute occupationsédentaire»6 de leurs ancêtres indiens. Ce n’estqu’au XIXe siècle qu’il y aura quelquesexpériences agricoles à la Rivière-Rouge,quoique les Métis aient de grands potagers pourse fournir en légumes.

La plupart des Métis s’adonnent à la traite et autransport des fourrures. Jusqu’en 1821, ils n’ontaucun problème pour se tailler une place dans lasociété du Nord-Ouest. Toutefois, avec l’arrivéedes colons de Lord Selkirk au début du XIXesiècle et la fusion, en 1821, des deuxcompagnies de traite des fourrures, le rôle etl’importance des Métis se transforment. Lorsqu’iln’y a plus qu’une seule compagnie de traite desfourrures, beaucoup de Métis se retrouvent sansemploi. D’autre part, avec l’établissement descolons de Lord Selkirk sur des terres et l’arrivéede colons de l’Est, beaucoup des Métiscommencent à penser à s’établir enpermanence à la Rivière-Rouge. Ils établissentalors leur ferme comme c'est la coutume auQuébec, sur un lot de rivière.

Le drapeau métis, un huit à l'horizontale sur un fond bleu,a été utilisé pour la première fois lors de la bataille desSept-Chênes, le 19 juin 1816.

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Tout au long du XIXe siècle, les Métisdéveloppent, petit à petit, le sentiment d’être unpeuple unique, une nation. À cette époque, ilsont à leur tête des hommes comme CuthbertGrant, Louis Riel, père et Louis Riel, fils. Cetteidée de nation est renforcée par certainesvictoires politiques et militaires.

Cette cette conviction d'être une nouvelle nationcommence dès le début du XIXe siècle, lorsqueles colons de Selkirk arrivent à la Rivière-Rouge,en 1812. Le conflit qui règne entre laCompagnie de la Baie d’Hudson et laCompagnie du Nord-Ouest continue à coûtercher aux deux Compagnies. Étant un desprincipaux actionnaires de la Compagnie de laBaie d’Hudson, Lord Selkirk obtient uneconcession de terre à la Rivière-Rouge pourl’établissement d’Écossais. Cette décision deSelkirk ne plait pas aux actionnaires de laCompagnie du Nord-Ouest.

Lorsque les colons arrivent en 1812, leurgouverneur, Miles Macdonnell, commence àimposer des règlements qui choquent les Métis.Il émet une proclamation interdisant l’exportationdu pemmican de la colonie. «Plusieurs Métisgagnaient leur vie en vendant du pemmican etils étaient ulcérés par cette proclamation.»7 Plustard, il soulève à nouveau la colère des Métis:«Mais le gouverneur Macdonnell souleva ànouveau la fureur des Métis en interdisant qu’onchasse le bison, à dos de cheval, sur le territoireentourant la jeune colonie.»8

Puisque c’est la guerre entre les employés de laCompagnie de la Baie d’Hudson et ceux de laCompagnie du Nord-Ouest, les Nor’Westers9 semêlent à ce conflit entre Métis et Écossais, ducôté des Métis. «Ils leur insufflèrent la convictionqu’ils étaient les seuls véritables maîtres duNord-Ouest et qu’ils n’avaient pas à obtempérerà une autre loi que la leur.»10

Le conflit conduit les Métis et les Écossais àprendre les armes le 19 juin 1816. La batailledes Sept Chênes coûte la vie à vingt-et-uncolons et soldats écossais, et beaucoupd’historiens voient cette bataille comme untournant pour les Métis. Dorénavant, ils n’ontplus à chercher à s’intégrer aux Indiens ou auxEuropéens: ils se voient comme la «nationmétisse».

Au cours des années suivantes, ils remportentd’autres victoires: contre le monopole de laCompagnie de la Baie d’Hudson (l’affaire Sayeren 1849) et contre Ottawa (la création duManitoba en 1870).

La période entre 1816 et 1870 est «les bellesannées» du peuple métis; c’est l’époque deschasses annuelles au bison, du frétage et de latraite des fourrures. C’est aussi le début del’établissement des Métis dans des villagespermanents de la Rivière-Rouge (Saint-Boniface, Saint-Vital, Pembina, etc.) et quasi-permanent en Saskatchewan (Petite-Ville etMontagne de Bois).

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Chapitre deux

Le mode de vie

Les Métis pratiquent le nomadisme: «Le Métisétait habituellement nomade, autant par sa mèrehabituée à la vie libre des plaines, que par sonpère, friand de courses et d’aventures... Letravail de la terre n’avait aucun charme pourlui.»11 Toutefois, les Métis ne sont ni paresseux,ni irresponsables. Ils ont bien du travail pours'occuper: «les Métis s’occupaient de laconstruction de leurs maisons, meubles,traîneaux, charrettes, canots, etc.»12 De plus,leurs services sont souvent recherchés en tantque voyageurs, arpenteurs, et guides. «Ons’adressait de préférence au Métis parce qu’ilpouvait servir d’interprète auprès des Sauvageset parce qu’il était plus digne de confiance queces derniers.»13

Lorsqu’ils décident enfin de s’établir enpermanence à un endroit, les Métis choisissentsouvent le meilleur terrain. Louis Riel écrit:«Lesétablissements métis ont été les jalons de lacivilisation future. Ils ont été si bien choisis qu’ilsdeviennent partout les centres sur lesquelss’appuie l’émigration pour coloniser et rayonnerdans tous les sens.»14 Il avait raison car ce sontles Métis qui ont été les premiers à s’établir làoù naîtront de grandes villes, comme Winnipeg,Prince Albert, Edmonton et Calgary.

La chasse au bison

Mais entre 1821 et 1870, ce sont la chasse aubison et le frétage qui constituent les principalesoccupations des Métis. Ils deviennent lesfournisseurs de viande (pemmican) de l’industriede la traite des fourrures. Et, avec leurscharrettes de la Rivière-Rouge, les Métisdeviennent transporteurs d'approvisionnement

des postes de traite de l’Ouest et du Nord, ettransporteurs de fourrure vers les magasins dela Compagnie de la Baie d’Hudson à la Rivière-Rouge.

La chasse au bison est donc la principaleoccupation des Métis, et leur favorite: «Le gibierle plus important était le buffle ou bison, car cetanimal fournissait non seulement la nourriture,mais encore une bonne partie du vêtement et del’abri.»15 À cause de son importance pour lasurvie de leur communauté, les Métis ne partentpas à la chasse de façon désordonnée: «Autantpour se tenir en garde contre les Indiensmalveillants, les Métis, à la veille d’une grandechasse au bison, se réunissaient ets’organisaient.»16

Les Métis sont fiers de s’appeler des «hommeslibres». Toutefois, pour que la chasse soit uneréussite, il est important d’imposer des lois. Ceslois sont simples mais elles doivent êtrerespectées par tous les membres du groupe.

«En fait, ils ne faisaient qu’entériner une fois deplus les règlements établis lors des chassesprécédentes, règlements qui restèrent à peuprès inchangés jusqu’aux dernières chassesau bison, quarante ans plus tard.

1. Nul ne doit chasser le dimanche.2. Nul groupe ne doit s’écarter du convoi, ni le

précéder, ni traîner en arrière.3. Nul groupe ou individu ne doit chasser le

bison avant le signal.4. Chaque capitaine et ses hommes, à tour de

rôle, doivent patrouiller à l’intérieur du campet monter la garde.

5. Dans le cas d’une première infraction, laselle et la bride du contrevenant seront

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lacérées.6. Dans le cas d’une deuxième infraction, le

manteau du coupable sera saisi et lacéré.7. Dans le cas d’une troisième infraction, le

coupable sera fouetté.8. Toute personne trouvée coupable de vol,

même si c’est une peccadille, sera amenéeau milieu du campement et le crieur crierason nom trois fois, y adjoignant chaque foisle mot “voleur”.»17

Plus tard, lorsqu’ils sont établis dans la vallée dela Saskatchewan, à Saint-Laurent et à Batoche,les Métis continuent de se gouverner en utilisantles règlements de la chasse. Toutefois, avecl’arrivée dans l’Ouest de la Police montée en1874, les Métis devront se soumettre à la loi dupays. Un incident survient en 1875 lorsqueGabriel Dumont juge certains chasseursindépendants coupables d’avoir violé lesrèglements métis de la chasse. Les chasseursse plaignent auprès du juge de paix, LawrenceClark, qui demande à la Police montée d’arrêterDumont. Bien que le chef Métis puisse sejustifier, les résidants de Saint-Laurentacceptent dorénavant de se soumettre à la loidu pays.18

Lorsque le bison disparaît, les Métiscommencent à penser à changer leur mode devie. Mais beaucoup d’entre eux choisissent dese diriger vers le nord où ils peuvent continuer àpratiquer leur vie de chasseurs.

Le frétage

Suivant les traces de leur père canadien-français, les Métis deviennent d’habilesvoyageurs sachant manier les canots d’écorcesde bouleau, les barques York et les charrettes.Les Métis deviennent les principauxtransporteurs de biens dans le Nord-Ouest.«C’est dans le groupe des Bois-Brûlés que serecruteront de plus en plus les conducteurs decharrettes qui, bientôt, parcourront la Prairie:activité qui répondait à leurs habitudes de vieaussi fidèlement que la profession de “voyageur“où leurs pères s’étaient longtempsdistingués.»19

Une fois qu’ils ont gagné le droit de «commerce-libre» avec les Américains et qu’ils ont brisé lemonopole de la Compagnie de la Baie d’Hudsonavec l’affaire Sayer en 1849, les Métis créentdans l'Ouest un vaste réseau de pistes pourleurs charrettes. Ces pistes vont de Saint-Boniface et Fort Garry jusqu’à Edmonton enpassant par Batoche et Fort Carlton, et dePrince Albert jusqu’aux États-Unis en passantpar la Montagne de Bois et la Montagne deCyprès.

Lorsque l’industrie du frétage est remplacée parles chemins de fer, les Métis doivent chercherd’autres emplois. Toutefois, plusieurs continuentdans cette industrie, devenant camionneurs outravaillant pour les compagnies de chemin defer.

L’architecture

Étant un peuple nomade, les Métis ne procèdentpas immédiatement à la construction d’unehabitation, comme l'avait fait Samuel deChamplain à Port-Royal en 1604 et ensuite àQuébec en 1608. Ce n’est que lorsqu’ilscommencent à abandonner la vie nomade, versle milieu du XIXe siècle, que les Métis sepréoccupent de bâtir une maison.

Une charrette de la Rivière-Rouge.Source: Dépliant publicitaire, Maison

Alexandre McGillis, Saint-Victor, Saskatchewan

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Lorsqu’ils sont sur la route, lorsqu’ils sepromènent dans la prairie à la recherche desbisons, ou transportant approvisionnement etfourrures d’une place à l’autre, leur logis est unetente en peau, de forme conique. Comme leursancêtres maternels, les Métis ont adopté le tipicomme habitation.

En une journée, une caravane de charrettes dela Rivière-Rouge peut faire jusqu’à 30kilomètres. «Chaque soir, les éclaireursdésignaient le lieu du campement, autant quepossible à proximité de l’eau et du bois. Onformait un grand cercle avec les charrettes quiservaient de barricades contre les attaquestoujours à redouter des Indiens. À l’interieur ducercle, se trouvait le camp proprement dit, lestentes, le mobilier, et les animaux attachés àdes pieux. Enfin, tout au centre, un feu allumé, àla chaleur duquel les femmes faisaient cuire lerepas de la famille.»20

Mais, lorsqu’ils commencent à s’établir dans descampements d’hiver permanents, Légaré à laMontagne de Bois, les Dumont à la Petite Villeet les Trottier à la Prairie Ronde (voir GabrielDumont), ils commencent à se bâtir desmaisons de rondins. «Leurs habitationsbordaient les rivières et les lacs, sous l’abri depointes boisées. Les chaumières où les Métispassaient l’hiver étaient construites de troncsd’arbres équarris, enclavés les uns dans lesautres en queue d’aronde. La hache était le seuloutil utilisé pour ce travail.»21

Dans son Histoire de Willow Bunch, l’abbéClovis Rondeau décrit les maisons métisses:«Ces premières demeures n’avaient, certes, riend’un palais; mais elles étaient suffisantes et,jusqu’à un certain point, confortables... Cescabanes étaient construites en rondins de boisde tremble, plâtrées en dehors; et à l’intérieur,bien enduites et étanchées avec la terre glaisedu pays. Cette terre est, en effet, ténue commede la farine, et lorsqu’elle a séché, devient d’unedureté et d’une consistance remarquables.»22

Dans certains cas, il est même questiond’ajouter une couche ou deux de chaux sur lesmurs intérieurs et extérieurs. «Les toitstriangulaires étaient couverts de chaume,d’écorce ou d’argile. Une seule porte au centre,entre deux fenêtres à panneau de peauparcheminée, permettait aux habitants et à lalumière de pénétrer dans l’unique pièce du logis,souvent dépourvue de plancher.»23

Plus tard, d'abord à la Rivière-Rouge et ensuiteen Saskatchewan, les Métis veulent bâtir deslogis plus permanents, et plus grands. Ilschoisissent alors des maisons dans le style de laRivière-Rouge. Ce style de construction, qu’on aaussi nommé pièces sur pièces, a été empruntépar les Métis à leurs ancêtres québécois etmême acadiens. Ce type de construction étaitcommun au Québec au XVIIe et au XVIIIesiècles. Dans le Nord-Ouest, la Compagnie dela Baie d’Hudson avait utilisé ce genre deconstruction pour les bâtiments de ses forts.

Vers 1880, à Batoche, plusieurs richescommerçants se font bâtir des maisons dans lestyle de la Rivière-Rouge. «Les maisonsspacieuses de Xavier Letendre, Salomon Venneet Emmanuelle Champagne illustrent bien lepremier type. Il s’agit de constructions derondins habituellement recouvertes de planches,avec une toiture en bardeaux. La maison deLetendre est en deux sections de deux étages,et mesure environ 9,75 m sur 13,4; les mursintérieurs sont revêtus de panneaux de bois oude crépi.»24

Donc, vers la fin du XIXe siècle, les Métisdeviennent de plus en plus sédentaires et celase révèle par le type de maison qu’ilsconstruisent. Au fur et à mesure qu’ilsabandonnent la vie nomade, les habitationsdeviennent de plus en plus luxueuses.

Alors qu’au début du XIXe siècle, la plupart desmaisonnettes des Métis n'avaient qu’une seulepièce, ce n’est plus le cas vers la fin du siècle.

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«Les demeures devinrent plus spacieuses,continrent plusieurs pièces: cuisine, petit salon,chambres à coucher; des escaliers conduisirentau grenier que l’on aménagea; les bardeauxremplacèrent le chaume, l’écorce et l’argile; lavitre aux fenêtres remplaça le parchemin.»25

L’habillement

Lorsque la «nation métisse» commence àprendre forme au début du XIXe siècle, lesMétis sont obligés de se suffire pour leurhabillement. Il n’est pas question d’aller aumagasin pour acheter une nouvelle chemise, unpantalon ou des souliers.

L’habit du Métis, comme celui de ses ancêtresmaternels, est donc fabriqué de peau (bison) oude fourrures. «Les Amérindiens des Plainesportaient des vêtements de peau de cerf deVirginie (chevreuil), de wapiti et d’antilope. Desmocassins à semelle épaisse, habituellement enpeau de bison, protégeaient leurs pieds. Partemps froid, ils s’enveloppaient les épaules dansune grande couverture, également en peau debison... Les femmes portaient des robes de cuirde cerf de Virginie (chevreuil), d’antilope ou dewapiti, des guêtres26 et des mocassins. Lesenfants s’habillaient comme leurs parents, maisils étaient généralement nus en été.»27

Lorsque des traiteurs blancs commencent àarriver à la Rivière-Rouge, surtout après l’arrivéedes colons de Lord Selkirk, les Métiscommencent à adjoindre à leur habit traditionneldes vêtements fabriqués ailleurs. «Pendant leslongs mois d’hiver, les hommes s’enveloppentdans leurs longs capots bleus, mettent leursbelles ceintures fléchées multicolores et sepromènent sur les routes de la colonie dansleurs carrioles tirées par leurs meilleurschevaux.»28

Vers la fin du XIXe siècle, le changement estpresque complet: «Les vêtements traditionnelsdu milieu du XIXe siècle sont pour la plupart

détrônés par les habits “européens” à partir desannées 1870.»29 À la Rivière-Rouge, les Métisessaient de suivre les modes les plus récentesde Montréal et de Saint-Paul au Minnesota.Mais dans les campements d’hiver enSaskatchewan, on continue à porter desvêtements traditionnels jusqu’au début du XXesiècle (châle, ceinture fléchée et «capot» de poilde chat). Aux pieds, les Métis portent desmoccasins qu’ils nomment «souliers à cuirmou». La préparation du cuir mou à soulier étaitune affaire assez compliquée. Il fallait enenlever le poil, puis assouplir la peau nue en lafumant et en la frottant, jusqu’à ce qu’elle devîntsouple comme du drap et douce comme duchamois.»30

Les femmes ont abandonné les robes de peaupour des robes de coton ou de laine. Le fréteurmétis, Louis Goulet a décrit le costume de lafemme: «les femmes portaient aussi dessouliers mous, surtout brodés, des mitasses,une longue jupe de robe qui descendaitjusqu’aux pieds, surmontée d’une espèce dejustaucorps appelé basque, à manchesbouffantes entre le coude et l’épaule, qui seterminaient en pointes montant à la hauteur desoreilles. Le velours était le plus porté.»31

Donc, petit à petit l’habillement du Métis setransforme, allant du costume traditionnel del’Indien à celui de ses ancêtres paternelsd’Europe. C’est le cas à Batoche entre 1880 et1910. «Des photographies montrent que leshommes s’habillaient davantage à l’européenne(ou à la nord-américaine); ils portent souvent “laceinture à flèche des vieux halfbreed(s)” mais lesoulier “français” était porté le dimanche par lesfréteurs-cultivateurs et les journaliers, etquotidiennement par les commerçants, lesfonctionnaires et les autres “gens de bureau”.»32

Pendant la semaine, les fréteurs-cultivateursportent toujours les vieux moccasinstraditionnels.

Les Métis ne vont pas acheter chemises,pantalons et chaussettes dans un magasin:

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«Peu de gens achètent le prêt-à-porter, saufpeut-être quelques personnes à l’aise. Lesfemmes métisses sont habiles avec le fil etl’aiguille, et les vêtements sont faits à lamaison.»33

Les loisirs

Les Métis avaient bien compris l'importance dela coopération. «La vie de famille étaitrespectée, les moeurs pures, l’honnêteté et lacharité une religion. La colonie des premiersMétis constituait une grande famille où la paix,l’hospitalité et la camaraderie réglaient leurexistence.»34

Il ne faut pas grand-chose pour pousser lesMétis à faire la fête, même si leurs curésn’aiment pas ça: ils adorent danser et chanter.Les mariages sont une occasion de seregrouper. «Les Métis aiment s’amuser etprendre un p’tit coup; chez eux, la générosité etl’hospitalité sont de règle. Les “musiques” sontindispensables aux veillées: violons,accordéons, “ruine-babines” (harmonicas),tambours, guitares, bombardes (guimbardes)ainsi qu’une batterie composée de cuillers,assiettes ou bols de bois ou de fer blanc, etc.»35

On disait même qu’elle était rare la maisonmétisse où il n’y avait pas de violon.

«On danse des reels, gigues, stepdances,cotillons, quadrilles (danses carrées), châtises etdes menuets, surtout chez les plus anciens. Cesdanses ont pour noms “two-step”, “seven step”,“châtise”, “drops of brandy” (danse du crochet),“reel O’Cats”, “reel à huit” (eight hand reel),“danse aux mouchoirs”, “pair of fours”, “dansedu lièvre” (rabbit dance), cette dernièreaccompagnée de petits cris.»36 Certaines deces danses métisses viennent du Québec, de lavieille France et des États-Unis, tandis qued’autres viennent d[Écosse et d'Angleterre. Oninvente aussi des nouvelles danses à la Rivière-Rouge et à Batoche.

Les Métis aiment aussi chanter. Certaineschansons, transmises de pères en fils, viennentdu Québec.37 D’autres, sont des chansonsécrites par les Métis eux-mêmes. Comme lesQuébécois et les Acadiens, les Métis composentdes complaintes. Le poète métis, Pierre Falcon,par exemple, a écrit une complainte pourmarquer la victoire des Bois-Brûlés à la batailledes Sept-Chênes.

«Chanson de la Grenouillère par Pierre Falcon

Voulez-vous écouter chanterUne chanson de vérité?Le dix-neuf de juin la bande des Bois-BrûlésSont arrivés comme des braves guerriers.

En arrivant à la GrenouillèreNous avons pris trois prisonniers:Trois prisonniers des ArkanysQui sont ici pour piller notre pays.

Étant sur le point de débarquerDeux de nos gens se sont mis à crier:Deux de nos gens se sont mis à crier:“Voilà l’Anglais qui vient nous attaquer!”»38

Il y a aussi d’autres occasions de se rencontrer.À Batoche, vers la fin du XIXe siècle, onorganise un pique-nique annuel. «Le pique-nique s’accompagne de courses de buggy, dejeux pour les enfants, de tirages, ainsi que deconcours de “tir au poignet” (bras de fer) et de tird’armes à feu pour les hommes. Les femmesexposent leurs travaux à l’aiguille et au crochet,des dentelles, broderies et couvertures piquées,ainsi que des catalognes et des ceinturesfléchées.»39

Dans d’autres régions, ce sont les rodéos quiretiennent l’attention des jeunes hommes et desfemmes aussi. Même quand il n’y a pas derodéos, les jeunes hommes aiment montrerleurs prouesses à cheval: «Sur un autreparcours de la plaine les cavaliers s’élancentcomme dans une classe de manège dontchaque membre s’évertuerait à surpasser l’autre

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en virtuosité. Les uns piquent leur coursier desdeux, jetant un objet sur l’herbe, reviennent surleurs pas à la même vitesse pour ramasserl’objet sans modérer d’allure. D’autres vont àfond de train, sautent sur le sol, et du mêmebond, remontent à dos de cheval et répètentl’acrobatie de l’autre côté de leur cheval,toujours sans ralentir.»40

Même le vieux chef métis, Gabriel Dumont,s’adonne à ces passe-temps. Pendant environdeux ans, Dumont se présente en spectacleavec Buffalo Bill Cody et son «Wild WestShow».

La nourriture

Les Métis étant, avant tout, un peuple nomadevivant des profits de la chasse, ils mangentbeaucoup de viande. Le Métis Louis Goulet enfait état dans ses mémoires: «Les repas étaientce qu’il y avait de plus simple, composésprincipalement de viandes: chair de buffalocuite, fumée, séchée; mais le plus souventapprêtée sous forme de pemmican; chair depoisson, venaison, séchée ou fumée, galettes,tartes aux petits fruits sauvages, secs ou cuitsen confiture. Nous avions des tourtières dedifférentes sortes.»41

Même quand le bison disparaît vers la fin duXIXe siècle, la viande demeure un des metspréférés: «Suite à la disparition du bison, laviande “dite sauvage” le remplace, entre autres,le chevreuil, l’ours, les poules de prairie, lefaisan et le canard. On y mange aussi desjackrabbits (lièvres) et moins souvent, surtoutles jours maigres, du poisson (e.g. le doré etl’esturgeon) “boucanné”.»42

Lorsqu’ils commencent à s’établir dans descampements permanents, à la Petite Ville et àPrairie Ronde pour n’en nommer que deux, lesMétis commencent à planter des légumes dansleur grand potager, au printemps, avant de partirpour la chasse annuelle. Les légumes sont

récoltés à l’automne au retour des chasseurs etde leur famille. C’est aussi le cas lorsque lachasse au bison devient une chose du passé.

«Le jardin potager est un élément important del’alimentation. Les Métis cultivent en grandesquantités les patates (pommes de terre),carottes, choux de Siam (rutabagas), choux,navets, panais, citrouilles, oignons, haricots,concombres et laitue. Le maïs multicolore (bléd’Inde indien) est très populaire.»43 L’hiver, leslégumes étaient entreposés dans des caveauxintérieurs. Il est intéressant de noter qu’àl’emplacement de la Petite Ville, à environquinze kilomètres au sud de Batoche, lescaveaux sont la seule chose qui indique encorel'emplacement de l’ancien campement métis.

Le parler métis

Alors que la culture métisse se développe,influencée par une multitude d’événementssociaux, politiques et économiques, la languefrançaise parlée par les Métis évolue à son tour.Dans le parler Métis, les «t» sont prononcés«ch», et la langue métisse devient alors la«langue méchif». «Ce parler est présentementen voie de disparition dans une bonne partie deslocalités où il se parlait autrefois et ne semblerésister à l’assimilation que dans certains petitsvillages du Manitoba.»44

Le parler méchif est avant tout un dialecte oral,mais on peut en retrouver des exemples écritsdans les récits de Guillaume Charette, L’espacede Louis Goulet et dans les mémoires de LouisSchmidt publiés au début du siècle dans lePatriote de l’Ouest.

Voici quelques exemples du parler méchif tirésde «Les gens libres - Otipemisiwak» Batoche,Saskatchewan, 1870-1930, de Diane Payment:

«Savez-vous tu (Savez-vous que)- Que viens-tu cri (chercher)- Agréillez-vous (préparez-vous)

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- Nous nous sommes fait galvander (poursuivre)- Ça dit ça (on dit cela)- Aller rôder (visiter)- Aller aux graines (cueillir des fruits sauvages)- Camper (coucher dehors)Jongler (penser)-Wow boy (arrête)»45

D'après ces exemples, il est possible de déduireque l’anglais a eu une influence sur le parlerméchif (Wow boy). Mais, il y a d’autresinfluences comme les langues indiennes «tanchi(bonjour), nanti (apporter) et mishatim (cheval)du cris»46 ou l’ancien français «estampe(estamper) pour fer à marquer (le bétail),jaquette (jaquete) pour pyjamas».47 Il est doncfacile de comprendre ces influences; l’ancêtrematernel était indien, et, des mots de vieuxfrançais venant des ancêtres paternels ontsubsisté dans le langage méchif parce que lesMétis, pendant longtemps, ont vécu isolés, loinde la société canadienne-française.

Malheureusement, beaucoup des Métis ontchoisi de s’assimiler au groupe dominantcomposé d'anglophones: «Graduellement, pouréchapper à la discrimination ou pour s’identifierà la majorité, plusieurs optent pour l’anglais.»48

Il est aussi possible que les Métis ont tellemententendu dire qu’ils parlaient mal le français qu’ilsont tout simplement abandonné cette langue.

«Une fois qu’ils se sont aperçus qu’ils neparlaient pas le français comme les autres(Français et Canadiens français), qu’ils avaientbeaucoup d’expressions particulières, là ils sesont lancés sur l’anglais.»49

Hélas, l’assimilation veut dire que nous perdonsgraduellement un langage français qui est imagéet coloré, un langage qui utilise souvent lasyntaxe indienne: «votre fils son livre (le livre devotre fils), Marie sa vache (la vache de Marie) etc’est ma fille son mari, ça (c’est le mari de mafille).»50

Conclusion

Tous ces éléments, politiques, sociaux etéconomiques font que les Métis développentune culture différente de celle de leurs cousinsdu Québec et de l’Acadie, et même différente decelle des Indiens de l’Ouest. Au cours desdécennies, des siècles même, ils développentun mode de vie qui est unique, mais qui subitl'influence du Québec, de la France, del’Angleterre et de l’Écosse, des tribus indienneset des Canadiens anglais et Américains.

La culture métisse est bien vivante, même si lelangage est en voie de disparition, car cetteculture s'étend bien au delà de la langue.

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Notes et références

1 D. Bruce Sealey ; Antoine S. Lussier. — TheMetis, Canada’s Forgotten People. —Winnipeg : Manitoba Métis FederationPress, 1979. — P. 5

2 Auguste-Henri de Trémaudan. — Histoirede la nation métisse dans l’Ouest canadien.— Saint-Boniface : Éditions des Plaines,1979. — P. 33

3 Ibid., p. 334 Ibid., p. 345 Ibid., p. 486 Marcel Giraud. — Le Métis canadien. — Vol. 1. — Saint-Boniface : Éditions du blé,

1984. — P. 857 D. Bruce Sealey. — Cuthbert Grant et les

Métis. — Agincourt : Société Canadienne duLivre, 1979. — (Collection Bâtisseurs duCanada). — P. 6

8 Ibid., p. 79 Nor’Westers: nom donné aux employés de

la Compagnie du Nord-Ouest.10 D. Bruce Sealey. — Cuthbert Grant et les

Métis. — P. 711 Auguste-Henri de Trémaudan. — Histoire

de la nation métisse dans l’Ouest canadien.— P. 49

12 Ibid., p. 5013 Ibid., p. 5114 Ibid., p. 5215 Ibid., p. 5816 Ibid., p. 5917 George Woodcock. — Gabriel Dumont, le

chef des Métis et sa patrie perdue. —Traduit par Pierre Desruisseaux, FrançoisLanctôt. — Montréal : VLB Éditeur, 1986. —P. 44

18 George Woodcock. — Gabriel Dumont. —Edmonton : Hurtig Publishers, 1975. —P. 103-110

19 Marcel Giraud. — Le Métis canadien. — P.755

20 Clovis Rondeau, abbé ; Adrien Chabot,abbé. — Histoire de Willow Bunch. —

Gravelbourg : Diocèse de Gravelbourg,1970. — P. 9

21 Auguste-Henri de Trémaudan. — Histoirede la nation métisse dans l’Ouest canadien.— P. 52

22 Clovis Rondeau, abbé ; Adrien Chabot,abbé. — Histoire de Willow Bunch. — P. 31

23 Auguste-Henri de Trémaudan. — Histoirede la nation métisse dans l’Ouest canadien.— P. 52

24 Diane Paulette Payment. — «Les genslibres - Otipemisiwak». — Batoche,Saskatchewan, 1870-1930. — Ottawa :Environnement Canada, Service des parcs,1990. — P. 47

25 Auguste-Henri de Trémaudan. — Histoirede la nation métisse dans l’Ouest canadien.— P. 54

26 Guêtre: jambière de cuir qui couvre lesjambes, du dessus du pied jusqu’au genou.

27 James Cass. — Mistatin, Les Amérindiensdes plaines. — Éditions Études Vivantes,1985. — (Collection Les PeuplesAutochtones du Canada). — P.1

28 George Woodcock. — Gabriel Dumont, lechef des Métis et sa patrie perdue. — P. 32

29 Diane Paulette Payment. — «Les genslibres - Otipemisiwak». — P. 48

30 Guillaume Charette. — L’espace de LouisGoulet. — Saint-Boniface : Éditions Bois-Brûlés, 1976. — P. 67

31 Ibid., p. 6832 Diane Paulette Payment. — «Les gens

libres - Otipemisiwak». — P. 4933 Ibid., p. 4934 Auguste-Henri de Trémaudan. — Histoire

de la nation métisse dans l’Ouest canadien.— P. 55

35 Diane Paulette Payment. — «Les genslibres - Otipemisiwak». — P. 57

36 Ibid., p. 5737 Marie-Louise Perron. — Chants que les

anciens m’ont donnés : Vieux chants

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français de la Saskatchewan. — Regina :Commission culturelle fransaskoise, 1989

38 D. Bruce Sealey. — Cuthbert Grant et lesMétis. — P. 9

39 Diane Paulette Payment. — «Les genslibres - Otipemisiwak». — P. 60

40 Guillaume Charette. — L'espace de LouisGoulet. — P. 43

41 Ibid., p. 2042 Diane Paulette Payment. — «Les gens

libres - Otipemisiwak». — P. 5143 Ibid., p. 5344 Robert Papen. — «Un parler français

méconnu de l’Ouest canadien : le métis». —Centre d’études franco-canadiennes de

l’Ouest. Colloque. (3e, 1983, Regina). —Actes du colloque. — P. 123

45 Diane Paulette Payment. — «Les genslibres - Otipemisiwak». — P. 64

46 Robert Papen. — «Un parler françaisméconnu de l’Ouest canadien : le métis». —P. 132

47 Ibid., p. 13248 Diane Paulette Payment. — «Les gens

libres - Otipemisiwak». — P. 6549 Ibid., p. 6550 Robert Papen. — «Un parler français

méconnu de l’Ouest canadien : le métis». —P. 129

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Bibliographie

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Passamquoddy, vinrent leur apporter de laviande fraîche, en échange d’outils de fer.»3 Leprintemps suivant, des renforts arrivent deFrance. Champlain et de Monts décident dedéménager de l’autre côté de la baie, à unendroit qu’ils appellent Port-Royal.

Comme il va le faire à Québec quelques annéesplus tard, Champlain fait construire un fort qu’ilappelle «L’habitation».

Parmi les premiers colons d'Acadie, il y a deuxhommes qui exercent, pour la première fois enAmérique du Nord, des métiers anciens.

Voyant la nécessité pour la colonie d’êtreautosuffisante, Champlain et de Montsencouragent l’agriculture. Louis Hébert, uncousin germain du baron de Poutrincourt, estapothicaire (pharmacien). En 1606, dePoutrincourt fait semer les premières grainesd'Acadie. «Dès le lendemain de l’arrivée, M. dePoutrincourt “fit cultiver un parc de terre pour ysemer du blé et planter la vigne, à l’aide del’apothicaire (Louis Hébert), homme qui outrel’expérience de son art, prend plaisir aulabourage.»4 Louis Hébert devient ainsi lepremier fermier d'Amérique du Nord.

Un autre colon qui est parmi les premiersarrivants d'Acadie est un avocat de Paris, MarcLescarbot. En 1606, Champlain, de Poutrincourtet Louis Hébert quittent Port-Royal pour explorerle littoral. Durant leur absence, Lescarbot restesur place comme chef de L’habitation, à Port-Royal. «Le 14 novembre, les explorateurs sontde retour à Port-Royal. Lescarbot leur réserveun accueil triomphal: les bâtisses sont décoréesde guirlandes de verdure, qui en cachent larusticité. Il fait même dresser un théâtre, qu’ilnomme Théâtre de Neptune, où l’on représentequelques scènes.»5 Le Théâtre de Neptunedevient ainsi le premier théâtre d'Amérique duNord.

Cette même année, Samuel de Champlain créel’Ordre du Bon-Temps à Port-Royal afin de

maintenir le moral de ses hommes durant l’hiver.Tous les hommes qui mangent à la table dePoutrincourt deviennent, à tour de rôle, maîtred’hôtel, c’est-à-dire responsable du repas. Leshommes prennent cette responsabilité ausérieux et la colonie mange bien cet hiver-là.

Malgré cela, quatre hommes meurent du scorbutet au cours de l’été 1607, on décided’abandonner Port-Royal. «Le 11 août 1607,tous s’embarquaient pour la France et laissaientau chef indien de la région, du nom deMembertou, la garde du fort.»6 Ce n’est qu’en1610 que des colons français reviennent enAcadie. Entre temps, Samuel de Champlainfonde la colonie de Québec sur la rive du fleuveSaint-Laurent.

C’est le baron de Poutrincourt qui obtient, en1610, la permission du roi de France de reveniren Acadie pour relancer le projet decolonisation. Le baron encourage ses hommes àse lancer dans différentes entreprises plutôt quede se limiter à la traite de fourrures. Ainsi, il estreconnu comme le père du premier moulin à eaud'Amérique du Nord.

Il est peut-être bon que le baron de Poutrincourtait encouragé les siens à être indépendants, carau cours des 150 années suivantes, lesAcadiens deviendront des pions, passantconstamment des mains des Anglais à cellesdes Français.

Même si la première colonie d'Acadie ne durepas longtemps, plusieurs de ses entreprisesaident à forger la culture acadienne, y comprisl'oeuvre théâtrale de Marc Lescarbot.

L’Acadie et les guerres entre la Franceet l'Angleterre

Les guerres, toutefois, seront l’élément clé dudéveloppement culturel de l’Acadie. Rien d’autrene semble avoir autant marqué l’évolutionculturelle des gens. On en parle dans des

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romans, comme Pélagie la charrette d’AntonineMaillet, et dans les chansons populaires ettraditionnelles.

Trois ans seulement après son rétablissement,la colonie d’Acadie est détruite par un aventurieranglais de l'état de Virginie. «Samuel Argall, unaventurier de la Virginie, colonie anglaise quicomptait déjà 3 000 colons à l’époque, surpritles colons de Saint-Sauveur et de Port-Royal etdétruisit tout sur son passage.»7 Les Acadiensne sont même pas présents pour défendre leurcolonie. «Les colons français étaient absents, autravail des champs ou aux affaires avec lesIndiens. Argall et ses hommes envahirent levillage, tuèrent les animaux domestiques,dérobèrent tout ce qu’ils purent et mirent le feuaux bâtiments.»8

Immédiatement après qu'Argall a causé cesdégâts, le roi d’Angleterre décide que l’Acadielui appartient. Il nomme le territoire Nova Scotia,c’est-à-dire Nouvelle-Écosse, et le donne à SirWilliam Alexander, un lord écossais. Alexanderdécide de peupler son nouveau territoire, maisles Acadiens y sont toujours. Des escarmouchesont lieu entre les colons acadiens et lesÉcossais qui viennent s’établir à Port-Royal.

Finalement, la France et l’Angleterre signent untraité de paix et l’Acadie est remise au roi deFrance en 1632. Vingt-deux ans plus tard, en1654, l’Acadie est à nouveau conquise parl’Angleterre. Cette fois, les Anglais ne semblentpas trop intéressés à coloniser la Nouvelle-Écosse, ils s’en servent plutôt comme territoirede pêche et de traite des fourrures.

C’est durant cette période que les Acadienscommencent à forger des liens avec lesmarchands et les pêcheurs du Massachusetts.Lorsque le territoire acadien est à nouveaurendu à la France en 1670, on continue àdévelopper des liens commerciaux entre lesdeux colonies. «Le commerce entre l’Acadie et

le Massachusetts, même s’il était défendu, futassez florissant au XVIIe siècle pour que desindividus des deux colonies s’y engagent.»9

L’Acadie est de nouveau aux mains des Anglaisde 1690 à 1697, avant d'être rendue à la Francepar le traité de Ryswick, puis elle est cédéedéfinitivement à l’Angleterre par le traitéd’Utrecht en 1713. Cette année-là, le contactentre la France et l’Acadie est rompu pourtoujours. Ainsi, le régime français prend fin dansles Maritimes. L’Acadie cesse d’exister commeterritoire; elle ne survit que dans la conceptionidéologique et nationaliste du peuple françaisdes Maritimes.

L’héritage français des Acadiens semble en êtreun d’oubli et d’abandon. La France, lorsqu’elleest propriétaire de la colonie, ne se porte jamaisvraiment à sa défense. Durant les dernièresannées, les Acadiens sont souvent abandonnésà leur propre sort malgré des possibilitésd’attaques de la part des habitants duMassachusetts. «La France n’investit pas lessommes d’argent nécessaires pour faire venird’autres colons et améliorer le système dedéfense de la colonie acadienne.»10

Ce sentiment d’oubli et d’abandon poussenécessairement le peuple acadien à développerun sens d’indépendance. Contrairement auxCanadiens français de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal, les Acadiensapprennent vite qu’ils ne peuvent pas comptersur la métropole (Paris) et ils prennent alors desmesures pour survivre indépendamment. C’estainsi qu’ils peuvent justifier leur commerce avecles colonies américaines. «Pour les Acadiens,c’était là le moyen d’écouler une productionexcédentaire de céréales (blé, avoine), et defourrures pour recevoir en échange des produitsmanufacturés (couteaux, aiguilles, vaisselle,tissus, etc.) ainsi que des denrées des Antilles(sucre, mélasse, rhum).»11

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Donc, un des premiers éléments qui marque ledéveloppement de la culture acadienne est lesentiment d’être oublié et abandonné par lamère patrie, tout en étant soumis à denombreuses guerres qui n’apportent jamais rienà l’Acadie.

Le grand dérangement

Comme nous venons de le voir, l’Acadie estcédée définitivement à l’Angleterre par le traitéd’Utrecht de 1713. Pourquoi les Acadiens n’ont-ils pas quitté la Nouvelle-Écosse pour allers’établir, cette fois, le long du Saint-Laurent, ouà Louisbourg (sur l’Île du Cap-Breton) qui estresté territoire français?

Il y a deux raisons pour lesquelles ils sont restésdans leur pays. Premièrement, les autoritésanglaises ne leur permettent pas de quitter leterritoire. Deuxièmement, la reine Anned’Angleterre avait promis que les Acadienspourraient garder leurs terres. «C’est notrevouloir et bon plaisir que tous ceux qui tiennentdes terres sous notre gouvernement en Acadieet Terre-Neuve, qui sont devenus nos sujets parle dernier traité de paix, et qui ont voulu restersous notre autorité, aient le droit de conserverleurs dites terres et tenures et d’en jouir sansaucun trouble, aussi pleinement et aussilibrement que nos autres sujets peuventposséder leurs terres ou héritages.»12

Toutefois, il arrive que les gouverneurs deNouvelle-Écosse ne suivent pas toujours lesordres de Londres. On enlève souvent desterres aux Acadiens. On leur demande de prêterserment d’allégeance à l’Angleterre; lesAcadiens demandent à leur tour le droit decontinuer à pratiquer leur religion et, en cas deguerre entre la France et l’Angleterre, de ne pasêtre obligés de prendre les armes contre leurancien souverain. Il y a malentendus surmalentendus entre les Acadiens et les autoritésanglaises.

Malgré ces mésententes, les Acadiensréussissent à vivre en paix pendant plus dequarante ans. C’est la première fois depuis lafondation de la première colonie à Port-Royalqu’ils vivent en paix si longtemps. Ils restentmême neutres durant la guerre de la Successiond’Autriche (1744-1748).

Cependant, bien que les Acadiens ne participentpas à la guerre de 1744-1748, les autoritésanglaises se méfient quand même d’eux. Ilscraignent toujours un soulèvement acadien,surtout que les Anglais et les Écossais sont enminorité en Nouvelle-Écosse. Donc, lorsque lapaix se rétablit en Europe en 1748, l’Angleterrelance une campagne de colonisation del’ancienne Acadie. «Londres demeuraientinsatisfaite de la situation en Nouvelle-Écosse,colonie anglaise avec toutes les caractéristiquesd’un territoire français. La solution s’imposait:“britanniser” la colonie en y amenant un grandnombre de colons d’origine anglaise.»13 Depuisla cession du territoire à l’Angleterre en 1713, ona essayé, sans succès, d’encourager des colonsdu Massachusetts à venir s’établir en Nouvelle-Écosse. On recrute alors des colons enAngleterre et en Allemagne. Plus de 2 000personnes arrivent en 1749.

Avec l’arrivée de ces nouveaux colons anglais,les Britanniques décident de faire valoir leurautorité sur les Acadiens. La capitale duterritoire est déménagée de Port-Royal(rebaptisée Annapolis Royal par les Anglais) àHalifax. Puis, arrive le gouverneur, CharlesLawrence.

Lawrence envisage une colonie anglaise sansAcadiens. Selon lui, les Acadiens refusent d’agircomme des sujets britanniques. «Ils acceptaientencore l’autorité des missionnaires; ils aidaientles Amérindiens et fournissaient des vivres auxsoldats des forts Beauséjour et Louisbourg.»14

En 1755, après avoir demandé, à nouveau, auxchefs acadiens de prêter serment au roid’Angleterre, Lawrence décide de les déporter.

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Environ 7 000 seront déportés dans descolonies américaines (2 000 au Massachusetts).La déportation se poursuit jusqu’à la fin deshostilités en Amérique du Nord, en 1763.Ensuite, certains Acadiens déportés serontrapatriés en France, en Louisiane et dans lesAntilles. D’autres iront au Québec, maintenantcolonie anglaise comme la Nouvelle-Écosse.Enfin, beaucoup reviendront dans le territoire del’ancienne colonie d’Acadie.

Mais, ce ne sont pas tous les Acadiens quisubissent la déportation. «Certains Acadiensrésistèrent à la déportation, par la rébellion oul’évasion.»15 Ceux qui choisissent l’évasion vontse réfugier à l’Île Saint-Jean (aujourd-hui Île duPrince-Édouard) et dans le territoire qu’onconnaît aujourd’hui comme la province duNouveau-Brunswick. D’autres vont trouverrefuge sur l’île du Cap-Breton dans la région dufort de Louisbourg.

La migration des Acadiens vers d’autres régionsdes Maritimes a même commencé avant 1755.«De 1749 à 1755, plus de 3 000 Acadiens,venant surtout du Bassin des Mines, émigrentdans l’Île Saint-Jean. L’abbé Le-Loutre, de soncôté, s’occupe d’établir les Acadiens refugiésdans l’isthme de Shédiak (Chignectou): il fondepour eux deux colonies, l’une à Tintamarre, àl’embouchure de la rivière du même nom(aujourd’hui Tantramarre); l’autre, au fond de laBaie de Cocagne.»16

Un deuxième événement qui a une influence surle développement de la culture acadienne estdonc le grand dérangement, ou la déportationde 1755-1763. Être arrachés de leur foyer,placés sur des navires et envoyés aux quatrecoins du monde ne peut que marquer lesAcadiens. Mais, ce peuple est de nature àsurvivre. Les Acadiens ne sont-ils pas lesdescendants des premiers colons français enAmérique du Nord? Leurs ancêtres n’ont-ils pasété victimes du froid, du scorbut et des guerresentre Anglais et Français?

Le retour à la patrie

Comme nous venons de le mentionner, certainsAcadiens s'arrangent pour ne pas être déportés.«Les Acadiens qui s’étaient cachés dans lesbois avoisinant leurs terres, décidèrent de tenterleur chance dans le nord du Nouveau-Brunswick.»17 Parmi ceux qui sont déportés,certains se rendent en Louisiane et d’autres auQuébec. Certains choisissent même de resterdans les colonies américaines et de s’intégrer àla culture anglaise et américaine.

Mais nombreux sont ceux qui rêvent de revenirau pays, dans l’Acadie de leur jeunesse. «En1766, une caravane de 200 familles vivant dansle Massachusetts, s’en vint à pied, à travers lesbois. Une trentaine de familles s’installèrentdans la région de Frédéricton, sur la rivièreSaint-Jean. Elles n’avaient pas les titres de leursterres et durent les abandonner quand arrivèrentles Loyalistes. Ces Acadiens se dirigèrent alorsvers le nord. Ce sont les fondateurs duMadawaska actuel.»18 Les Acadiens quireviennent de leur exil vont créer de nouvellesparoisses acadiennes dans les régions deMoncton, de Baie-Sainte-Marie, de Yarmouth etde Bathurst.

La vie de ces colons rapatriés n’est pas facile.«Ces Acadiens, enfin de retour au pays, vivaientdans le dénuement le plus complet. Ils n’avaientqu’un but, se faire oublier. Sans ressources,sans instruction, ils vécurent dans l’isolement etl’abandon le plus complet.»19

L’expérience de la déportation, de l’exil enNouvelle-Angleterre et du rapatriement sur le solde l’Acadie forge aussi la culture acadienne. Leroman d’Antonine Maillet, Pélagie la charrette,raconte le voyage de retour de Pélagie. D’autrepart, cette expérience crée, dans la cultureacadienne, un sentiment de crainte vis-à-vis desanglophones. «Chez les Acadiens, l’Anglais futlongtemps un personnage qui inspirait lapeur.»20 Cette crainte des anglophoness’explique facilement par des événements

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comme la déportation et la perte des terresacadiennes en faveur des Loyalistes. Commeon l’a mentionné plus tôt, les Acadiens tententde survivre dans l’isolement et l’abandon le pluscomplet.

Ce n’est qu’au XIXe siècle que les Acadienscommenceront enfin à s’affirmer, qu’ils exigerontleur système d’éducation et qu’ils mettront surpied leurs institutions nationales. Mais, lessouffrances qu'ils viennent de vivre, le granddérangement et leur retour en Acadie,influencent l'évolution de leur culture.

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Chapitre deux

La vie quotidienne acadienne

Deux métiers prédominent en Acadie depuis legrand dérangement: la pêche et l’agriculture.Ces métiers ont grandement influencé la cultureacadienne.

L’agriculture ou les «défricheursd’eau»

Nous avons parlé auparavant du rôle de LouisHébert, le premier fermier d'Amérique du Nord.Lorsque les premiers colons arrivent de France,ils doivent, comme les Hollandais, s'approprierles terres basses de la mer. «Les premierscolons à Port-Royal s’étaient aperçus de larichesse de ces terres et avaient inventé unefaçon de les endiguer pour les préserver desinondations des marées. De longues diguesfurent donc construites le long des rivièresdéversant dans le bassin d’Annapolis et, àmesure que les colons se dispersaient à traversla province, dans la région du bassin des Mineset de Beaubassin.»21

La construction des digues est un travail quipeut seulement se faire quand la marée estbasse. Donc, comme au Québec, et par la suitedans l’Ouest, les Acadiens apprennent vitell'importance de la coopération. Des corvéessont organisées pour bâtir les digues. Une foisque ces digues sont construites, et que le sels'est écoulé (quelques saisons sontnécessaires), les fermiers ensemencent descéréales, du foin et des légumes sur ces terresfertiles.

À cause de cette pratique qui consiste àapproprier les terres fertiles de la mer, lesAcadiens ont été nommés «Les défricheurs

d’eau». «Même s’il est resté très semblable àson frère de Nouvelle-France, il est un domaineexclusif au fermier acadien, duquel il demeure lespécialiste incontesté et c’est la culture desmarais.»22

Le fermier acadien a souvent été accusé d'êtreparesseux. Pourtant, la culture des marais estplus difficile et demande plus de travail que laculture des champs, car il faut bâtir lesaboiteaux (digues) avant même de commencerà cultiver le terrain. Ce n'est certainement pasun métier pour un homme parresseux.

Les Acadiens apprennent vite l'importance de lacoopération: la culture des marais devient untravail qui requiert toute la communauté. «Lesterres marécageuses étaient généralementréparties entre les membres d’un village oud’une communauté. L’entretien des aboiteauxsera donc à caractère très social. Lorsqu’il y aune brèche dans une levée et que la maréemontante menace d’inonder, chacun, sans sepréoccuper de savoir si c’est sa partie de lalevée qui est brisée, va avec ses voisins la“rapiécer”. Car le danger menace tous lesfermiers puisque chacun est propriétaire d’unepartie du pré.»23

Dans ces marais, on ensemence des céréaleset des légumes de toutes sortes comme deschoux, des navets et des pois. «À l’automne, ilsamassaient des tas de ces légumes dans leschamps et les couvraient de foin; la neige venaitensuite les recouvrir. Ainsi, les légumesrestaient frais jusqu’au printemps, et leshabitants pouvaient en prendre quand ils enavaient besoin.»24

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Dans certaines régions, on utilise les maraisseulement pour le foin. «Légèrement salé, cefourrage est excellent pour la diète des vaches.De plus, autre avantage, il reste vert tard dans lasaison.»25

Avant la déportation, les Acadiens étaientsurtout fermiers. Lorsqu’ils reviennent en Acadieaprès le grand dérangement, ils s’établissentcette fois dans la région nord du Nouveau-Brunswick et deviennent principalementpêcheurs. De plus, les méthodes agricoles ontchangé au cours des années. «Ce métier de“défricheur d’eau” vieux comme l’Acadie et enquelque sorte unique à celle-ci, est aujourd’huien train de disparaître et avec lui une scienceteintée de poésie.»26

La pêche

Lorsque les Acadiens regagnent leur paysd'origine, après le grand dérangement, ils nepeuvent reprendre leur ferme car elles sontmaintenant entre les mains des Anglais et desÉcossais, des Allemands et des Américains.Plusieurs d’entre eux choisissent alors d’allers’établir dans le nord-est du Nouveau-Brunswick. Là, ils fondent de nouvellescommunautés avec des noms comme Shediac,Bouctouche, Tracadie, Shippagan et Caraquet.

La plupart vivent dorénavant de la pêche. Lamorue est pendant longtemps le seul poissonacheté par les compagnies anglaises, mais lesAcadiens pêchent aussi le saumon, lemaquereau et le hareng. Mais puisque c’est lamorue que les Anglais veulent, c’est ce poissonqu’on pêche. «Toujours vendue salée ouséchée, on l’exporte dans des barils.»27

À cause de son importance économique etsociale, la pêche devient un élément clé de laculture populaire acadienne. Il n’est donc passurprenant de trouver des références à la pêcheet à la mer dans les contes, les chansons (et lescomplaintes28 ) et dans le théâtre de l’Acadie.

Parfois, les récits de la mer sont tirés d’unlointain passé, mais dans d’autres cas il peuts’agir d’un événement qui est arrivé récemment.Voici deux extraits de complaintes acadiennes.Une raconte l’histoire de Firmin Gallant, mort enmer en 1862, tandis que l’autre relate l’histoired’un bateau qui chavire en 1959 à Baie-Sainte-Anne au Nouveau-Brunswick.

«La complainte de Firmin Gallant (23 juin 1862)1. C’est dans notre petite île

Nommée du nom de Saint-Jean,De Rustico quelques milles,J’entrevois un cher enfant.Dans une petite barque,Du rivage bien éloigné,Qui par beaucoup de recherchesSes filets s’en va chercher.

3. Survint une vague haute,Le bateau a chaviré.À moins d’un mille de la côteCe cher enfant s’est noyé.Étant au fond de l’abîmeCe cher enfant a crié:“Dieu qui mesurez l’abîme,“Oh! daignez (me) délivrer.”»29

Cette complainte compte un total de onzecouplets. L’auteur, bien sûr, ne révèle pas lenom du cher enfant avant le dernier couplet.

«Le désastre de Baie-Sainte-Anne (20 juin1959)1. La chanson que je m’en va’s vous chanter,

C’est sur le malheur qui est arrivé.C’était un vendredi soir,Les pêcheurs ont été driver,30

La tempête s’est élevéeIl y en a la moitié qui sont noyés.»31

Puisque ces complaintes viennent de la traditionorale et qu’elles n’ont été écrites querécemment, il peut souvent y avoir plusieursversions d’une même complainte.

Dans la tradition acadienne, comme au Québec,on va également trouver des complaintes à

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propos de la vie en forêt, des départs de lamaison familiale, mais nombreuses sont cellesqui chantent les malheurs de la mer. C’est quela pêche est très importante pour les Acadiens.

L’architecture

Dès le début de la colonie, comme c’est le casau Québec à cette époque, les premièresmaisons permanentes sont construites dans lestyle «pièces sur pièces». C’est le style qu’onretrouvera plus tard dans l’Ouest canadien, chezles Métis, et que ces derniers appellent «stylede la Rivière-Rouge».

Toutefois, durant une longue période au tempsdu grand dérangement, les Acadiens sontconstamment chassés et harcelés par lesAnglais et ils ne peuvent que rarement prendrele temps de bâtir une maison «pièces surpièces». Ils vivent donc dans des maisons«construites à la hâte, très rustiques, chaufféesà l’aide de foyers de pierre et ouvertes à tousvents malgré le peu de fenêtres.»32

Ce n’est qu’après l’arrivée des Loyalistes et lacréation du Nouveau-Brunswick, en 1784, queles Acadiens reçoivent les titres de propriété deleur terre et qu’ils peuvent reconstruire leurvillage, comme avant la déportation de 1755.«De nombreux petits villages naîtront, constituésde maisons plus solides possédant plusd’ouvertures, cloisonnées à l’intérieur, chaufféesavec un poêle: on y sent plus depermanence.»33

Il est intéressant de noter que le style deconstruction de maisons «pièces sur pièces»disparaît d'Acadie vers les années 1840, aumoment même où se style devient populairechez les Métis de l’Ouest canadien. Après 1840,dans l’Ouest, on construira la plupart desbâtiments dans le style de la Rivière-Rouge(pièces sur pièces), surtout les postes de traitedes fourrures. Le fort Carlton est construit dansle style de la Rivière-Rouge.

Toutefois, les Métis sont encore un peuplenomade, vivant de la traite des fourrures et de lachasse au bison. La plupart de leursmaisonnettes sont très rustiques, construitesdans les styles américains (saddle-back) ou enqueue d’aronde. À partir du milieu du XIXesiècle, ils commencent à s’établir définitivementle long des rivières Rouge et Assiniboine, auManitoba. Là, ils vont se construire des maisonsplus permanentes dans le style de la Rivière-Rouge (pièces sur pièces).

En Acadie, les années 1840 marquent unecertaine renaissance; on ouvre des collèges, oncrée un premier journal et certains hommes selancent en politique. Cette renaissance semanifeste également dans l’architecture. «Plusspacieuse, construite différemment et beaucoupplus confortable, la maison acadienne connaîtune évolution sans précédent. L’habitation depièces sur pièces est maintenant disparue.»34

Comme au Québec, et par la suite dans l’Ouestcanadien, la vie sociale des Acadiens semble sedérouler dans la cuisine. Les gens ont tendanceà se regrouper autour du poêle pour chanter,danser et conter des histoires. Notons que lessalons n’apparaissent pas dans les maisonsacadiennes avant 1860.

À cause de leur isolement, et plus tard de ladéportation, les Acadiens ne peuvent pas fairevenir de meubles de France, quoique certainsd’entre eux, les plus riches, en ont sans doutefait venir des colonies de la Nouvelle-Angleterre.Les Acadiens sont alors obligés de fabriquerleur propre mobilier. On dit: «L’économie demoyens sera la règle d’or; le besoin et ladisponibilité des matériaux les seuls critères.»35

C’est-à-dire que les Acadiens n’ont que le strictminimum dans leur maison et ce qu’ils ontdépend de la disponibilité des matériaux commele bois, le métal, etc.

Après la déportation et après le retour desAcadiens en 1784, la plupart des meubles sontfaits de pin, un bois qu'on trouve en abondance

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1. Sole ou sablière inférieure

2. Solive de plancher

3. Poteau vertical

4. Bras de force

5. Poutre horizontale etsolive de plafond.

6. Sablière inférieure

7. Chevron

8. Entrait

9. Panne

10. Copau

11. Mortaise

12. Tenon

13. Cheville

14. Recouvrement extérieur -vertical

15. Recouvrement extérieur -horizontal

16. Lambris de bardeau

17. Joint à queue d'arondeConstruction d'une maison dans le style pièces-sur-pièces tel qu'utilisé en Acadie auXVIIIe siècle. Reproduit du livre Les Défricheurs D'eau avec la permission du Villagehistorique acadien, Caraquet, Nouveau Brunswick.

dans le nord du Nouveau-Brunswick.«Assemblés à tenons et mortaises, d’uneextrême simplicité, les meubles acadiens sontgénéralement fabriqués par l’usager.»36

Comme c'est le cas pour la construction desmaisons, le mobilier est déterminé par lecontexte historique. Par exemple, avant 1784,on trouve peu de meubles dans une maisonacadienne. «Jusqu’en 1784, très peu demeubles, une table, quelques bancs, les lits...

On se sert d’un coffre aussi bien pour s’asseoirque pour ranger: les pièces de mobilier sont àce titre souvent polyvalentes.»37

Comme toute autre société, cependant, lesAcadiens ne manquent pas d'être touchés parl’industrialisation de la fin du XIXe siècle: «Lavenue de meubles de facture industrielle ferainévitablement disparaître en le dévalorisant lemeuble de fabrication domestique.»38

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Chapitre trois

Le nationalisme acadien

Après le grand dérangement, il n’est passurprenant que les Acadiens, de retour auNouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse,essayent de se soustraire au regard d’unepopulation anglophone qu’ils considèrentcomme une ennemie. Ils choisissent alors «desrégions isolées, évitant de se faire connaître oud’attirer l’attention sur eux. Ils y réussirent sibien qu’ils finirent par s’ignorer eux-mêmes.»39

Le poète américain, Henry WadsworthLongfellow, auteur du poème Évangeline (1847),dit des Acadiens: «les pères sont revenus del’exil pour mourir dans leur pays natal.»40 Ilsreviennent, selon Longfellow, pour mourir dansl’oubli.

Il est intéressant de noter qu’on voit le débutd'une «Renaissance» acadienne à peu près aumoment de la publication du poème Évangeline.C’est vers le début des années 1850 qu’on voitun réveil chez les Acadiens. Certains sont élus àl’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick,ou même au Parlement canadien. C’est à cemoment qu’on commence à s'intéresser àl’éducation des jeunes.

En 1854, c’est l’ouverture du séminaire Saint-Thomas à Memramcook, dont la mission est dedonner un enseignement supérieur auxAcadiens. En 1864, on voit la fondation ducollège Saint-Joseph. Enfin, en 1867, année dela Confédération canadienne, c’est la créationdu journal français acadien, Le MoniteurAcadien.

Le congrès national de 1881

Même s’il reconnaît l’importance de chacun deces événements sur le développement culturel

et nationaliste des Acadiens, l’historien ÉmeryLeblanc est d’avis que la «Renaissance» necommence pas vraiment avant 1881. «Maisc’est à partir du congrès national de 1881 queles Acadiens ont commencé à vivre commeentité distincte.»41

Comme ce sera le cas en Saskatchewan en1912 avec la fondation de l’ACFC, c’est unévénement survenu au Québec qui pousse lepeuple acadien à se regrouper en associationnationale. En 1880, c’est la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec qui invite le peuple acadienà la célébration de sa fête nationale. «Vousviendrez, aussi, Acadiens courageux et fidèles,race indomptable que ni la guerre ni laproscription n’ont pu courber ni détruire, rameauplein de sève, violemment arraché d’un grandarbre mais qui renaît et reparaît au soleil de laliberté.»42 En 1912, c’est la grande conventionde la Société du Parler Français à Québec quipousse les Franco-Canadiens de laSaskatchewan à se regrouper.

Un autre point commun qu’on retrouve entre lesAcadiens de 1880 et les Franco-Canadiens dela Saskatchewan de 1912, c’est que lesdélégations, dans les deux cas, sont formées deprêtres et d’hommes politiques. Les femmessont exclues, dans les deux cas.

Un an plus tard, les 20 et 21 juillet 1881, ungrand congrès a lieu à Memramcook. Plus de5 000 Acadiens participent à ce premier congrèsnational. Un comité de 12 hommes essaie dechoisir une date pour «la fête nationale desAcadiens». Certains veulent le 24 juin, la Saint-Jean-Baptiste. D’autres veulent le 15 août, fêtede l’Assomption.

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Le lendemain, après un débat houleux, ons’accorde pour choisir le 15 août comme jour dela fête nationale des Acadiens. Débats houleux?Au point même que des Acadiens accusentd'autres d’être vendus ou assimilés: «les espritss’échauffaient et on en vint aux personnalités,reprochant par exemple à certains Acadiensd’angliciser leur nom ou d’épouser desanglaises.»43

Trois ans plus tard, lors d’un deuxième congrèsnational à Miscouche, sur l'Île-du-Prince-Édouard, les délégués ont adopté la propositionsuivante: «Que le drapeau tricolore soit ledrapeau national des Acadiens-français.Comme marque distinctive de la nationalitéacadienne, on placera une étoile, figure deMarie, dans la partie bleue, qui est la couleursymbolique des personnes consacrées à lasainte Vierge.»44

Donc, comme on peut voir, petit à petit lesAcadiens se munissent d’outils qui favorisent ledéveloppement de leur culture: journal,association nationale, drapeau, écoles.

Dans le domaine de l’éducation, l’établissementde séminaires, comme celui de Memramcook etle collège Saint-Joseph, mènent en 1961 à lacréation de l’Université de Moncton.

Comme en Saskatchewan, une autre structuresociale permet au peuple Acadien de survivre etéventuellement de grandir et de développer saculture: c’est l’Église. Comme c’est le cas audébut du XXe siècle en Saskatchewan, lescurés sont les chefs spirituels et politiques desAcadiens. Comme les Acadiens ont leurs abbésLe Loutre, Doucet et Cormier, nous enSaskatchewan nous avons nos Myre, Baudoux,Mathieu, Royer et Gravel.

La culture acadienne compte 300 ans d’histoire,de peines et de joies. Elle continue à s’adapterde jour en jour, empruntant ici et là. Vibrante,cette culture se traduit par des chants, desromans, des histoires de ses fils et de ses filles.Réveille chanté par Édith Butler rappelle legrand dérangement de 1755, mais UIC dugroupe 1755 raconte aussi les peines et lesmisères des Acadiens d’aujourd’hui. Et, biensûr, il y a les chansons de la mer: lescomplaintes, comme La complainte de Pierre àEusèbe.

«Approchez-vous si vous voulez entendreUne complainte qui vous fera comprendre,Que l’homme n’est pas pour toujours ici-bas,Mais qu’un seul pas peut le conduire autrépas.»45

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Notes et références

1 Jean-Claude Dupont. — Héritage d’Acadie.— Montréal : Éditions Leméac, 1977. —

P. 192 Rosemary Neering ; Stan Garrod. — La vie

en Acadie. — Toronto : Fitzhenry &Whiteside, 1978. — (Collection Une nationen marche). — P. 7

3 Léopold Lanctôt, o.m.i. — L’Acadie desorigines 1603-1771. — Montréal : Éditions duFleuve, 1988. — P. 10

4 Ibid., p. 145 Ibid., p. 156 Jean Daigle. — «L’Acadie, colonie perdue».

— Horizon Canada. —Vol. 1, no 5. — St-Laurent : Centre d’Étude en Enseignementdu Canada,1984. — P. 98

7 Ibid., p. 98 Rosemary Neering ; Stan Garrod. — La vie

en Acadie. — P. 99 Jean Daigle. — «L’Acadie, colonie perdue».

— P. 10210 Ibid., p. 10311 Ibid., p. 10212 Émery Leblanc. — Les Acadiens. —

Montréal : Éditions de l’Homme, 1963. — P. 18-1913 Jean Daigle. — «La déportation des

Acadiens». — Horizon Canada. — Vol. 1, no 12. — St-Laurent : Centre d’Étude en

Enseignement du Canada,1984. — P. 26714 Ibid., p. 26815 Ibid., p. 26916 Léopold Lanctôt, o.m.i. — L’Acadie des

origines 1603-1771. — P. 14117 Émery Leblanc. — Les Acadiens. — P. 2118 Ibid., p. 2119 Ibid., p. 21-2220 Jean-Claude Dupont. — Héritage d’Acadie.

— P. 5521 J. Alphonse Deveau. — L'abbé Le Loutre et

les Acadiens. — Agincourt : Société

Canadienne du Livre, 1983. — (CollectionBâtisseurs du Canada). — P. 21-22

22 Cécile Chevrier. — Les Défricheurs d’eau. —Caraquet : Village Historique Acadien, 1978.— P. 24

23 Ibid., p. 2524 J. Alphonse Deveau. — L'abbé Le Loutre et

les Acadiens. — P. 2625 Cécile Chevrier. — Les Défricheurs d’eau. —

P. 2526 Ibid., p. 2527 Ibid., p. 2728 Complainte: n.f., chanson populaire d’un ton

plaintif dont le sujet est en général tragiqueou pieux. C’est le récit chanté, jusqu’à uncertain point mimé, d’un malheur connu quel’on aime se remémorer.

29 Jean-Claude Dupont. — Héritage d’Acadie.— P. 46

30 Driver: v.intr. De l’anglais. Pêcher avec uneligne en mouvement fixée à l’arrière d’unebarque.

31 Jean-Claude Dupont. — Héritage d’Acadie.— P. 49

32 Cécile Chevrier. — Les Défricheurs d’eau. —P. 38

33 Ibid., p. 3834 Ibid., p. 3835 Ibid., p. 3936 Ibid., p. 3937 Ibid., p. 3938 Ibid., p. 3939 Émery Leblanc. — Les Acadiens. — P. 2540 Ibid. p., 2541 Ibid. p., 2642 Ibid. p., 2643 Ibid. p., 2944 Ibid. p., 3745 Jean-Claude Dupont. — Héritage d’Acadie.

— P. 52

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Bibliographie

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Breton, Raymond ; Savard, Pierre. — The Quebec and Acadian Diaspora in North America. —Toronto : Multicultural Society of Ontario, 1982

Chevrier, Cécile. — Les Défricheurs d’eau. — Caraquet : Village Historique Acadien, 1978

Conseil de la Vie française en Amérique. — Les Acadiens. — Québec : Conseil de la Vie françaiseen Amérique, 1987

Daigle, Jean. — «L’Acadie, colonie perdue». — Horizon Canada. — Vol. 1, no 5. — St-Laurent :Centre d’Étude en Enseignement du Canada, 1984

Daigle, Jean. — «La déportation des Acadiens». — Horizon Canada. — Vol. 1, no 12. — St-Laurent :Centre d’Étude en Enseignement du Canada, 1984

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Dupont, Jean-Claude. — Héritage d’Acadie. — Montréal : Éditions Leméac, 1977

Hautecoeur, Jean-Paul. — L’Acadie du discours. — Québec : Presses de l’Université Laval, 1975

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Leblanc, Émery. — Les Acadiens. — Montréal : Éditions de l’Homme, 1963

Neering, Rosemary ; Garrod, Stan. — La vie en Acadie. — Toronto : Fitzhenry & Whiteside, 1978. —(Collection Une nation en marche)

Surette, Paul. — Petcoudiac : Colonisation et destruction 1731-1755. — Moncton : Éditions d’Acadie,1988

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La culture canadienne-françaiseLes Fransaskois

La culture québécoise commence à évoluer dès l’arrivée, au Canada, des premiers colons. Le mêmescénario se reproduit en Acadie et dans l’Ouest avec les Métis. En est-il de même pour lesFransaskois? Dans cet article, nous allons parler surtout des Fransaskois, mais il sera aussi questiondes francophones des provinces voisines. Même s’il y a des différences entre les Fransaskois, lesFranco-Albertains et les Franco-Manitobains, il y a aussi beaucoup de similarités.

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La culture canadienne-française, comme nousl’avons vu dans les documents portant sur leQuébec, l’Acadie et les Métis, a évoluédifféremment dans les différentes régions dupays. Chaque groupe a été influencé pardifférents facteurs. La politique, l’économie, lssociété sont tous des facteurs qui influencent ledéveloppement de la culture d’un groupe.

Ces mêmes facteurs ont aussi influencé lesfrancophones de l’Ontario et de l’Ouestcanadien. En Ontario, par exemple, plusieurscommunautés francophones se trouvent àproximité du Québec, comme celles de la valléede l’Outaouais. L’influence du Québec sur lesFranco-Ontariens est donc plus forte qu’elle nel'est dans l’Ouest, en Saskatchewan parexemple. Par contre, il y a des éléments quipermettent à la communauté franco-ontariennede se développer différemment de ses voisinsdu Québec.

La crise scolaire de 1912 a longtemps marqué lapopulation canadienne-française de l’Ontario.«Le Règlement 17, loi publiée en 1912,interdisait brutalement l’enseignement enfrançais dans les écoles de l’Ontario. Même si larésistance que la population francophone de laprovince a manifesté à l’égard de cette mesuretrouvait ses fondements essentiellement dansune attitude nationaliste et conservatrice, elledemeure une page importante et exemplairedans l’histoire des luttes franco-ontariennes.»1

C’est-à-dire que même si au départ, larésistance franco-ontarienne à ce règlementprend ses racines dans les mouvementsnationalistes du Québec dirigés à cette époque

par Henri Bourassa, cette résistance setransforme au cours des années et forme lenoyau de la culture franco-ontarienne. Cetteculture liée à la résistance franco-ontarienne semanifeste à nouveau durant les années 1980.Le cas de Penetanguishene en est un exemple.

Le cas des écoles a aussi marqué l’évolution dela culture franco-manitobaine. Louis Riel n’avait-il pas gagné, en 1870, l’égalité du français et del’anglais à l’Assemblée législative, devant lestribunaux et dans les écoles? Alors que lacommunauté anglophone est minoritaire en1870 comparativement aux Métis et auxfrancophones, cela n’est plus le cas en 1890.«En 1890, la législature adopta une loi quichangeait radicalement le système d’éducation,le système double d’écoles publiquesconfessionnelles était réduit en un systèmeunique d’écoles soi-disant neutres, mais non-confessionnelles.»2 Les parents qui veulent queleurs enfants reçoivent une éducation catholiquedoivent fonder leurs propres écoles privées. Ilsdoivent cependant continuer à payer des taxespour entretenir le système public. La plupart desfrancophones et des Métis de langue françaiseétant catholiques, ils désirent que leurs enfantsreçoivent une éducation religieuse et ils sontdonc obligés de payer des taxes à un systèmequ’ils ne fréquentent que rarement.

La communauté francophone du Manitobaréussit à faire changer cette loi en 1896 par lecompromis Greenway-Laurier: «Il permettaitl’enseignement de la religion dans une écolepublique pendant une demi-heure après lesheures de cours.»3 Vingt ans plus tard en 1916,la population fanatique anti-française réussit à

Chapitre un

La culture et nos cousins de l’Ontario, du Manitoba, del’Alberta et de la Colombie-Britannique

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faire interdire l’enseignement du français dansles écoles publiques du Manitoba.

Comme en Saskatchewan, les francophonesdoivent fonder une association pour défendreleurs intérêts. Il s’agit de l’Association desCanadiens français du Manitoba. «De 1916 à1966, cette association, indépendante de tousles organismes publics, a joué le rôle d’unministère de l’instruction publique pourl’enseignement du français.»4

La communauté franco-manitobaine sedéveloppe aussi différemment de celle de laSaskatchewan. La plupart des paroissescanadiennes-françaises étant groupées autourde Saint-Boniface, il est facile de regrouper lesfrancophones. En Saskatchewan, les distancesénormes entre les centres francophones rendentpresque impossible les regroupements sociaux,politiques et économiques.

Donc, même si en Saskatchewan nous avonsconnu aussi nos crises scolaires, la dynamiqueculturelle a été différente de celle du Manitoba etde l'Ontario.

Comme on le dit du Canadien français de laSaskatchewan, on dit du peuple franco-albertainqu’il était déterminé à survivre et à participerpleinement au développement de l’Ouest.«D’abord, ces Canadiens français étaientdéterminés à garder intactes les institutions enprovenance du Québec. Ensuite, leur idéal étaitde se créer une nouvelle patrie. Enfin, ilscroyaient que, par leur action dans la société del’Ouest, ils pourraient rendre l’Ouest vraimentbiculturel.»5

Ne pouvons-nous pas dire la même chose denos ancêtres fransaskois? Toutefois, desdifférences politiques (créditistes en Alberta etnéo-démocrates en Saskatchewan),économiques (le pétrole en Alberta et le blé enSaskatchewan) et même géographiques (lesRocheuses en Alberta et la Prairie enSaskatchewan) sont tous des éléments qui

mènent les Franco-Albertains et les Fransaskoisà développer des éléments culturels différents,une façon de penser et d’agir qui sera différente.

Enfin, si nous nous rendons sur la côte duPacifique, nous allons à nouveau trouver desdifférences avec nos cousins franco-colombiens.

La communauté francophone de Victoria datede l’époque de la ruée vers l’or dans la valléeFraser, en 1856. Lorsque le gouverneur Douglasannonce la découverte d’or en avril 1856, desmilliers d’hommes quittent la Californie pour serendre en Colombie-Britannique. Auparavant,lors de la ruée vers l’or de Californie en 1849,4000 Français environ étaient venus de Francepour s’établir en Californie. «La France étaitalors en pleine révolution et connaissait desdifficultés financières. Ceci explique qu’entrenovembre 1849 et avril 1851 quatre milleFrançais émigrèrent en Californie.»6

En 1856, plusieurs de ces hommes viennent àVictoria. «Les Français formaient la populationétrangère la plus remarquable et la plusimportante, tant au point de vue du nombrequ’au point de vue des éléments qui lacomposaient.»7 Dans le groupe français deVictoria, à la fin des années 1850, il y a descapitalistes, des médecins et des architectes,comme il y a de simples ouvriers.

Dès 1858, le groupe français a déjà son proprejournal, Le Courrier de la Nouvelle Calédonie,qui témoigne de l’importance numérique dugroupe. On organise même une choralefrancophone, La Société des Enfants de Paris,sous la direction artistique de George Sandrie.

Un nombre important de Canadiens français duQuébec ont aussi suivi la ruée vers l’or enCalifornie en 1849 et certains de ces Canadiensfrançais vont eux aussi à Victoria en 1856. Ainsi,un jeune Québécois, Antoine Marcelin, séjourneà Victoria en 1866 avant de se diriger versEdmonton, puis ensuite vers le Dakota. En

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1890, Antoine Marcelin s’établit enSaskatchewan et fonde le village qui porte sonnom.8

L’histoire d’un autre groupe francophone deColombie-Britannique, celui de Maillardville, estcomplètement différente de celle du groupe deVictoria. Maillardville est fondé au début dusiècle. «En 1909, la compagnie Fraser Mills yétablit une scierie et va recruter des travailleursau Québec, notamment dans les Cantons del’Est et dans l’Outaouais.»9

Une centaine de familles québécoises viennents’établir à Maillardville cette année-là. Chacunede ces familles canadiennes-françaises arriveen Colombie-Britannique avec le même métierou objectif: l’industrie forestière.

Durant la grande sécheresse et la criseéconomique des années 1930, desfrancophones de la Saskatchewan vontrejoindre les descendants des premiershabitants de Maillardville. Ce nouveau groupeest formé principalement de fermiers chassés deleurs terres par une longue sécheresse, la terre

fertile de leur ferme ayant été balayée vers leManitoba par les grands vents.

Cette population variée va former la base de laculture franco-colombienne qu’on connaîtaujourd’hui.

Donc, dans chaque province canadienne,différents facteurs influencent le développementculturel des francophones. Un élément de notreculture, la langue, fait que nous sommestoujours francophones, quoiqu’il y ait desdifférences régionales au niveau de la langueparlée.

Mais, à part la langue française, tous ont évoluédifféremment, si bien que la culture desQuébécois va être différente de celle desFranco-Colombiens et que notre culturefransaskoise va être différente de celle desAcadiens et des Franco-Ontariens.

Bien sûr, nous allons avoir beaucoup desimilitudes avec nos voisins du Manitoba et del’Alberta.

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Chapitre deux

La colonisation de l’Ouest canadien

En 1871, le premier ministre, John A.Macdonald, instaure un système d’arpentagepour le Nord-Ouest, un système qui doitpermettre à des milliers de colons de venir seréfugier dans l’Ouest canadien. Il s’agit dusystème américain de townships. Le Nord-Ouest canadien devient ainsi un énormeéchiquier, chaque case de cet échiquierreprésentant un township ou canton, d’unedimension d’environ 10 kilomètres carrés (6milles sur 6) divisé en 36 sections de 640 acreschacune. Chaque section est à nouveausubdivisée en quatre carreaux de 160 acres.

En 1872, le gouvernement canadien adopte laLoi des Terres du Dominion (Dominion LandAct) qui permet à un colon d’obtenirgratuitement une terre (homestead) de 160acres dans le Nord-Ouest. Le colon n’a qu’àpayer le coût d’inscription fixé à 10 $. Au bout detrois ans, si le colon a répondu à toutes lesexigences de la Loi des Terres du Dominion,c’est-à-dire s’il a défriché un certain nombred’acres et a construit une maison sur sonhomestead , il reçoit ses lettres patentes, c'est-à-dire le titre de sa propriété.

Ce n’est qu’à partir de 1896 et l’élection deslibéraux de Sir Wilfrid Laurier que le Canada selance dans une campagne agressive depeuplement des vastes prairies du Nord-Ouest.Entre 1896 et le début de la sécheresse desannées 30, plus d’un million de colons viennents’établir en Saskatchewan. Sous la direction duministre de l’immigration, Clifford Sifton, lescompagnies de chemin de fer et legouvernement commencent une vastecampagne publicitaire en Europe dans le but derecruter des milliers de colons.

C’est l’Église catholique, appuyée par certainescompagnies d’immigration, les compagnies dechemin de fer et le Gouvernement, qui prend enmain la colonisation canadienne-française del’Ouest. «Dès la création de la province duManitoba en 1870, l’Église de Saint-Bonifaceprend en main le peuplement des Territoires duNord-Ouest; son but est de créer des blocscompacts de paroisses, comme autantd’enclaves françaises et catholiques.»10

Comme on l’a vu dans l’article traitant de laculture au Québec, après la Conquête, lesCanadiens français sont devenus en majoritédes fermiers. Au début du siècle, dans l'Ouestcanadien, l’Église catholique tente toujours depropager le mythe de «l’agriculturisme». Oncherche alors des jeunes qui accepteraient devenir s’établir sur un homestead enSaskatchewan. «Si la jeune population duQuébec ne parvient plus à trouver de bonnesterres dans la province natale, sa destinéel’oblige à venir s’établir dans l’Ouest plutôt quede s’exiler dans les centres manufacturiers desÉtats-Unis.»11

Au début, on tente d’établir les colons de languefrançaise le long des rivières Rouge etAssiniboine, au Manitoba. Bien sûr, en 1870, onne croit pas que les terres du sud des Territoiresdu Nord-Ouest puissent servir à l’agriculture,car, l’expédition Palliser a conclu que ceterritoire était presque un désert. En plus depenser aux régions des rivières Rouge etAssiniboine, le clergé tourne aussi son attentionvers le parkland, au centre de la Saskatchewan,mais on ne tarde pas à chanter la gloire desprairies du sud de la Saskatchewan.

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Mgr Adélard Langevin, l’archevêque de Saint-Boniface, recrute des missionnaires-colonisateurs qui iront recruter des colons delangue française: les abbés Jean-Isidore Gaireet Paul Le Floc’h iront en France et en Belgique,et les abbés Louis-Pierre Gravel et Philippe-Antoine Bérubé iront au Québec et en Nouvelle-Angleterre.

Entre 1901 et 1931, ils viennent par milliers deFrance, de Belgique, de Suisse, du Québec etde Nouvelle-Angleterre tenter leur chance enSaskatchewan. Alors que la population delangue française n'est que de 2 634 en 1901,elle est de plus de 50 000 en 1931.12

Malheureusement, le rêve du clergé catholique«de créer des blocs compacts de paroisses»13

ne se réalise pas. L’immigration française estlente; les prêtres québécois n’encouragent pasnécessairement le départ de leurs paroissiensvers l’Ouest canadien. Selon eux «lesCanadiens français seront fatalement appelés àdisparaître, trop éloignés de la mère patrie etforcés à lutter constamment pour leursurvivance religieuse et linguistique contre unemajorité anglaise mal intentionnée.»14

La politique fédérale ne plaît pas toujours auxCanadiens français: «Ils reprochaient aussi auxautorités de l’immigration de vouloir détourner lepeuple canadien-français de sa missioncolonisatrice dans l’Ouest; le passage Liverpool-Regina, grassement subventionné par legouvernement, ne coûtait-il pas moins cherqu’un billet Lévis-Regina?»15

Pour cette raison, le clergé catholique ne réussità établir que quelques petits noyaux françaisdans les régions de Bellegarde, Montmartre,Radville, Willow Bunch, Ferland, Ponteix,Gravelbourg et Laflèche dans le sud; ZénonPark, Saint-Brieux, Albertville, Debden,Bellevue, Domrémy, la Trinité, Duck Lake,Marcelin, Léoville, Delmas, Edam et Vawn dansle nord.

Trop souvent, ces communautés francophonessont éloignées l’une de l’autre et elles doivent seprendre en charge pour éviter d’être «fatalementappelées à disparaître».16 Elles deviennent ainsiune série de petits îlots isolés dans la vasteprairie de la Saskatchewan. Malheureusement,ces petits îlots francophones de laSaskatchewan ont énormément de difficulté àsurvivre car ils sont soumis aux pressions del’assimilation, surtout depuis la fin de la SecondeGuerre mondiale (1945) et depuis l’avénementde nouvelles technologies qui permettent unecommunication rapide: voitures, radio,télévision, informatique.

L’avènement de ces nouvelles technologies faittomber les murs du chateau fort de la viefrançaise: la famille. La voiture permet à unjeune Fransaskois de Bellevue, par exemple, dequitter facilement son foyer francophone pouraller voir un film anglais à Prince Albert, ou unconcert rock à Saskatoon. Autrefois, on pensaitlongtemps à ce voyage de 50 kilomètres (ladistance Bellevue à Prince Albert) avant del'entreprendre.

Au lieu de passer de longues heures à écouterles histoires de nos grands-pères et de nosgrands-mères, des histoires qui souventvenaient de France, de Belgique ou du Québec,le jeune Fransaskois d’aujourd’hui passe plutôtde longues heures devant la télévision, àregarder des émissions en anglais et enprovenance des États-Unis.

Au lieu d’écouter des chansons françaises, etmême de participer à des soirées de la BonneChanson, comme il le faisait autrefois,l'adolescent d’aujourd’hui écoute plutôt la radioqui lui offre la musique rock la plus récente.Cette musique rock, il la trouve rarement àRadio-Canada.

Mais, est-ce que ce sont ces éléments qui vontformer la culture fransaskoise? Est-ce qu’il y avéritablement une culture fransaskoise? Ou, est-ce que nous sommes, comme certains veulent

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nous le faire croire, un peuple sans histoire etsans culture?

Dans les articles portant sur la culturequébécoise, acadienne et métisse, nous avonspu voir que l’évolution de ces cultures était

influencée par plusieurs facteurs sociaux,économiques, politiques et mêmegéographiques. Nous, Fransaskois, avons-nousété influencés par des facteurs politiques?Économiques? Sociaux? Lesquels? Comment?

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Chapitre trois

La culture de nos grands-parents

Ils sont venus, jadis, du Québec: de la Beauceet des Cantons-de-l’Est, de l’Abitibi et du lacSaint-Jean, de la Gaspésie et de l’Outaouais. Et,ils sont aussi venus de France: de Bretagne, deNormandie, de Saintonge, de Provence, d’Artoiset d’Auvergne. Ils ont été recrutés en Belgiqueet en Suisse et on a essayé de les rapatrier duRhode Island, du Connecticut, duMassachusetts, du Maine, du Minnesota et duMichigan.

Nos ancêtres sont venus en Saskatchewan pardifférents moyens (paquebots, trains, charrettesde la Rivière-Rouge, bateaux à vapeur) et dedifférents lieux (des usines de textile de NewBedford, de Providence et de Woonsocket, desrégions aurifères de Californie, de Colombie-Britannique et du Klondike, des Alpes suisses,du port de mer de Saint-Malo et des plaines deBelgique).

Peu importe leur point de départ, ils quittentfamilles et amis pour s’aventurer dans un payslointain, pour commencer une nouvelle viecomme fermiers, petits commerçants,bûcherons, mineurs et instituteurs. Nombreuxont été ceux qui ont réussi et se sont installésdéfinitivement dans l’Ouest canadien, mais il yen a aussi qui ont choisi de regagner leur paysd’origine.

En quittant familles et amis, les futursFransaskois emmènent avec eux un peu de laculture de leur pays d’origine. Ainsi, les recruesbelges et françaises qui suivent l’abbé Jean-Isidore Gaire vers la terre promise, en 1892, envue de fonder les paroisses de Bellegarde,Cantal et Wauchope, apportent certaines deleurs valeurs sociales, économiques et

politiques avec eux. De même, les recruesbretonnes de Saint-Brieux apportent certainesde leurs valeurs avec elles lorsqu'ellesembarquent sur le «Malou» en 1904. Il en est demême pour les Québécois de Ham-Nord quisuivent l’abbé Bérubé jusqu’à Debden en 1910,et pour les Franco-Américains qui, eux, lesuivent jusqu’à Arborfield la même année.Chacun, qu’il soit Canadien français, Belge,Suisse ou Français, arrive en Saskatchewanavec un bagage de valeurs culturelles, socialeset économiques.

Pour quelle raison, les cercles locaux de laSociété Saint-Jean-Baptiste ont-ils un énormesuccès à Willow Bunch et à Gravelbourg, maispresque aucun à Saint-Brieux? Serait-ce parceque la majorité des colons de Willow Bunch etde Gravelbourg sont originaires du Québec où laSaint-Jean-Baptiste est une fête nationale,tandis que les immigrants de Saint-Brieuxviennent de Bretagne où la fête nationale est àune autre date.

Les valeurs culturelles d'un jeune cultivateurcanadien-français de Ham-Nord ne peuvent secomparer à celles de son cousin qui vient depasser dix ans dans une ville industrielle de laNouvelle-Angleterre. Le rôle du clergé ne serapas consiédé de la même façon par l’arrière-petit-fils du Français qui était à la Bastille en1789, par le petit-fils du Patriote de la Rébellionde 1837-1838 et par le fils du Métis qui, en1885, s’est battu contre un cousin canadien-français venu du Québec.

Au niveau de la langue aussi, il y a desdifférences entre les immigrants français, mêmesi tous parlent la langue de Molière. L’accent du

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Breton est différent de celui du Méchif; certainsmots sont différents: alors que dans la région deMontréal on dit canard pour une bouilloire, dansla région de Québec on dit une bombe. Et,l’Auvergnois, que va-t-il dire: bouilloire, bombe,canard? Et le Belge?

Puisque au départ, les francophones ne sedisent pas tous «Canadiens français», oncommence à se dire «Franco-Canadiens»: «Icidans l’Ouest, la population de langue françaiseétant constituée d’éléments aux originesdiverses, un terme nouveau s’imposait pour lesreprésenter tous. Canadiens de la province deQuébec et des autres provinces, Franco-Américains, Acadiens, Français, Belges, etc., cesont tous autant de nuances que le termegénéral “franco-canadien” parce que tousparlent la belle langue française.»17 En 1913,l’Association francophone fondée l’annéeprécédente à Duck Lake prend le nomd’Association Franco-Canadienne de laSaskatchewan.

Une fois rendus dans l’Ouest canadien, lesnouveaux colons français trouvent des facteursculturels, sociaux et économiques différentsd’une région à une autre. Au niveau del’habitation, on peut construire une maison enbois rond dans le nord, ou plutôt dans le centrede la province. Mais, dans le sud, les arbressont plutôt rares. Le colon, s’il ne peut pas sepermettre de faire venir des planches deWinnipeg, par exemple, doit accepter de vivreun certain temps dans une maison de tourbe, unsoddie comme on l’appelle en Saskatchewan.D’autres acceptent de vivre un an, parfois deux,dans une tente. Pascal Bonneau, le premiercommerçant de Regina, passe l’hiver 1882 dansune tente avec sa famille.

Dans d’autres cas, ces facteurs seront lesmêmes d’une région à une autre, mais il faudraapprendre à en parler dans un vocabulairenouveau, pour ne pas dire étranger. La terre surlaquelle on s’installe porte le nom populaire dehomestead au lieu de l’équivalent français

«concession». À l’automne, en attendantl’arrivée des «batteux», le colon coupe le blé enutilisant un binder pour ne pas dire une «lieuse»;cet équipement agricole fait des sheaves«gerbes de blé» que le fermier place ensuite enstouques «meulons». Donc, notre ancêtreapprend peu à peu un tout nouveau langage.

Au début, ce langage doit en dérouter plusieurs,mais plus tard, après la Seconde Guerremondiale, lorsque les moissonneuses-batteusesarrivent des États-Unis en Saskatchewan, leCanadien français n’hésite même pas avantd’adopter le terme anglais combine. C’est lanature de l’évolution d’un peuple, d’une culture.

La famille et la communauté

Au début de la colonisation, avant le transportrapide, la télévision et les disques compacts,chacun des éléments culturels ancestrauxpeuvent être transmis de père en fils et de mèreen fille, car la famille revêt un caractère spécial.«Le principal château fort de la vie française,c’est encore la demeure familiale. C’est là queparents et enfants se retrouvent à la fin de lajournée et se retrempent dans une atmosphèrefrançaise.»18

Avant la création du premier journal de languefrançaise en Saskatchewan, Le Patriote del’Ouest, et même après, beaucoup de Franco-Canadiens s’abonnent à des journaux et à desrevues françaises du Québec et de France.Puisqu’il est difficile de se procurer des livres enfrançais en Saskatchewan, le journal publierégulièrement des feuilletons.

Pour que les jeunes puissent avoir accès à deslivres en français, on ouvre même desbibliothèques dans certaines communautésfransaskoises. C’est le cas à Wauchope où lecercle local de la Société Saint-Jean-Baptistecrée une bibliothèque pour les francophones dela région vers 1910. Ailleurs, comme à WillowBunch, la Société Saint-Jean-Baptiste organise

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des conférences où des orateurs locauxprésentent à la population des discours surdifférents sujets.

Puisque plusieurs de leurs communautésdemeurent majoritairement françaises (Debden,Zénon Park, Saint-Brieux et Saint-Front,Bellevue, Domrémy et Saint-Louis, Saint-Denis,Prud’homme et Vonda, Delmas, Vawn, Jackfishet Saint-Hippolyte, Ponteix, Dollard et LacPelletier, Ferland, Milly et Meyronne,Gravelbourg et Laflèche, Willow Bunch, ScoutLake, Lisieux et Saint-Victor, Montmartre, Forgetet Radville, Wauchope, Bellegarde, Storthoakset Cantal, Whitewood et Saint-Hubert), lesFranco-Canadiens de la Saskatchewan peuventencore organiser des activités en français sansgêner les étrangers.

Beaucoup d’activités ont lieu en français dansles communautés franco-canadiennes de laprovince: des concerts, des soupersparoissiaux, des parties de cartes et, bien que leclergé s’y oppose, des danses.

Mais malgré cela, on commence, dès le débutde la colonisation, à adopter des élémentsculturels des colons étrangers: des mets commeles perogies, des habitudes, des expressions.On commence à considérer ces élémentscomme faisant partie intégrante de notre culturefranco-canadienne.

La politique et l’économie

D’autres facteurs mènent à l’évolution culturelledes Franco-Canadiens de la Saskatchewan.Même si on reconnaît que le château fort de lavie française est la famille, nos ancêtresfrancophones ne pouvaient pas s’isoler dansleur maison. Ils étaient venus dans l’Ouestcanadien et ils devaient accepter de seconformer à certaines normes de leur nouveaupays d’adoption.

Même si, au début, certaines communautésfrançaises sont homogènes, c’est-à-dire quetout le monde est d’origine française, tout lemonde ne vient pas de la même région ou d’unpays francophone commun. Par exemple, Saint-Isidore de Bellevue a été peuplé majoritairementpar des Canadiens français du Québec, plusparticulièrement de la région de Saint-Jacquesde l’Achigan (les Gareau, les Gaudet et lesGrenier). Mais, dès le début du siècle, il y a àBellevue des Français de France (les Duval etles Cousin) et des Franco-Américains (lesDeault et les Éthier). Chacune de ces famillesapporte certaines valeurs culturelles qui sontéchangées entre les gens de Bellevue.

D'autre part les francophones étant minoritairesdans la province, il est inévitable qu’ils aient àcommuniquer avec les autres groupes ethniquesde la province. Leur culture est donc influencéepar le mode de vie, la pensée et la philosophiedes autres groupes comme les Ukrainiens, lesPolonais, les Allemands et même les Anglais.

Puisque les francophones de la Saskatchewanne peuvent pas s’isoler de la société qui lesentoure, ils adoptent des habitudes d'autresgroupes. Donc, tout ce qui se passe dans laprovince influence l’évolution culturelle desfrancophones.

La politique et l’économie sont deux facteurs quijouent un rôle important dans l’évolutionculturelle des Franco-Canadiens de laSaskatchewan.

Côté politique, les luttes sans fin pour lareconnaissance du droit à l’enseignement enfrançais conduisent à la fondation de plusieursassociations franco-canadiennes - ACFC,Association des commissaires d’écoles franco-canadiens (ACEFC), l’AssociationInterprovinciale (dont le but était de recruter desenseignants francophones au Québec) et plusrécemment l’Association provinciale des parents

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francophones (APPF). L’histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan est marquée parune série de crises scolaires et de procès pourassurer le droit à l’enseignement en français.

Mais, il y a aussi des éléments de fierté danscette lutte pour l’éducation. Tout francophonepeut être fier du travail accompli par lespionniers de l’Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan pour mettre surpied les «Concours de français». En grandepartie, c’est cette fierté qui nous permet derésister à l’assimilation.

Côté économique, la sécheresse et la crise de1929-1939 a marqué toute une génération.Même si la sécheresse était pire dans le sud,dans la région de Ponteix par exemple, qu’ellene l’était dans le nord, à Debden, il n’empêcheque les deux régions ont été influencées parcette catastrophe. À cause des difficultésfinancières que nos ancêtres ont connuesdurant cette période, les francophones de laSaskatchewan sont généralement plus prudentsaujourd’hui dans leurs investissements que ceuxdont les ancêtres ont vécu la crise ailleurs.

On voit donc que plusieurs facteurs sont venusinfluencer et nourrir le développement cultureldes francophones de la Saskatchewan.

Savez-vous, par exemple, que ce n’est qu’audébut des années 1970 que les francophonesont commencé à s’appeler «Fransaskois»? Etcette désignation n’a pas été adoptée à brasouverts par les Franco-Canadiens de laSaskatchewan. Ce n’est vraiment que durant lesannées 1980 que le terme a commencé à êtreutilisé communément.

Savez-vous que ce n’est qu’en 1979 que lesFransaskois se sont donnés un drapeau? Et,comme pour le nom «Fransaskois», on a étéréticent à lever haut notre drapeau.

Tous les jours, différents facteurs influencentnos vies, notre façon de penser. Tous les jours,notre culture change. Le folklore (les danses, lescontes et les chants traditionnels) sera toujourslà. C’est cette partie de notre culture qui estvenue d’ailleurs, qui a été apportée par nosancêtres. Mais, la culture fransaskoise nes’arrête pas là. Il y a bien d’autres facteurs quifont que nous sommes qui nous sommes.

Nous ne sommes plus des Québécois, desFrançais, des Franco-Américains ou desAcadiens, pas plus que ceux qui sont issus demariages mixtes ne sont Ukrainiens, Anglais ouAllemand. Nous sommes Fransaskois! Noussommes fiers d’être Fransaskois.

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défi de la radio française en Saskatchewan.— Laurier Gareau. — Regina : Sociétéhistorique de la Saskatchewan, 1990. —

P. xiii11 Ibid., p. xiii12 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. —

Histoire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — Regina : Sociétéhistorique de la Saskatchewan, 1986. —

P. 7913 Richard Lapointe. — «Avant-propos». — Le

défi de la radio française en Saskatchewan.— Laurier Gareau. — P. xiii

14 Ibid., p. xiv15 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. —

Histoire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — P. 69

16 Richard Lapointe. — «Avant-propos». — Ledéfi de la radio française en Saskatchewan.— Laurier Gareau. — P. xiv

17 «L’Association Franco-Canadienne de laSaskatchewan». — Le Patriote de l’Ouest.— (30 janv. 1930)

18 Richard Lapointe. — «Avant-propos». — Ledéfi de la radio française en Saskatchewan.— Laurier Gareau. — P. xv

Notes et références

1 Création collective La Corvée. — La paroleet la loi. — Ottawa : Prise de parole, 1980.— P. 6

2 Lionel Dorge. — Le Manitoba, reflets d’unpassé. — Saint-Boniface : Éditions du Blé,1976. — P. 113

3 Ibid., p. 1154 Ibid., p. 1165 Marie Moser. — «Le groupe canadien-

français d’Edmonton et des environs : sescaractéristiques selon l’Ouest canadien(1898-1900)». — Aspects du passé franco-albertain. — Edmonton : Salon d’histoire dela francophonie albertaine, 1980. — P. 77

6 Présence francophone à Victoria, C.B.,1843-1987. — Victoria : Associationhistorique francophone de Victoria, 1987. —P. 13

7 Ibid., p. 138 Richard Lapointe. — «Antoine Marcelin». —

100 Noms. — Regina : Société historique dela Saskatchewan, 1988. — P. 260

9 Dictionnaire de l’Amérique française. —Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa,1988. — P. 231

10 Richard Lapointe. — «Avant-propos». — Le

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Bibliographie

Moser, Marie. — «Le groupe canadien-français d’Edmonton et des environs : ses caractéristiquesselon l’Ouest canadien (1898-1900)». — Aspects du passé franco-albertain. — Edmonton : Salond’histoire de la francophonie albertaine, 1980

Création collective La Corvée. — La parole et la loi — Ottawa : Prise de parole, 1980

Dictionnaire de l’Amérique française. — Ottawa : Presses de l’Université d’Ottawa, 1988

Dorge, Lionel. — Le Manitoba, reflets d’un passé. — Saint-Boniface : Éditions du Blé, 1976

Gareau, Laurier. — Le défi de la radio française en Saskatchewan. — Avant-propos de RichardLapointe. — Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1990

Lapointe, Richard. — «Antoine Marcelin». — 100 Noms. — Regina : Société historique de laSaskatchewan, 1988

Lapointe, Richard ; Tessier, Lucille. — Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan. —Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1986

«L’Association Franco-Canadienne de la Saskatchewan». — Le Patriote de l’Ouest. — (30 janv.

1930).

Présence francophone à Victoria, C.B., 1843-1987. — Victoria : Association historique francophonede Victoria, 1987

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Les coutumes et les loisirs dansla communauté francophone d’antan

Les pionniers ont travaillé à la sueur de leur front pour défricher et mettre en culture les terres del’Ouest canadien. Souvent, ils étaient isolés les uns des autres, vivant dans leur petite maison de boisrond, ou de tourbe, chacun sur son homestead. Il n’est donc pas surprenant que les pionniers aientcherché toutes les occasions possibles de se rencontrer, se divertir, s’amuser. Et puisque l’argentétait rare, dans bien des cas, il fallait que ces loisirs soient peu coûteux.

Photo: Henri Poulin

Des membres de l'équipe de lacrosse de ZénonPark.

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Toute société a sa façon de se divertir, des’amuser. Les jeux d’un groupe culturel ne sontpas nécessairement les mêmes que ceux d’unautre groupe. Au Québec, au temps de nosancêtres, plusieurs coutumes, telles que lecharivari, permettaient aux gens de se divertir.

Avant la conquête en 1760, et même après, onorganisait un charivari lorsqu’un couple semariait sans inviter les voisins, ou lorsque unveuf ou une veuve épousait un célibataire ou seremariait trop vite après le décès de son premierconjoint, ou encore lorsque l’âge des époux étaitinégal (l'homme étant de vingt ans plus vieuxque sa femme). Quand les voisins apprenaientla nouvelle d’un tel mariage, «des bandes dejeunes gens et de jeunes filles s’amenaient endéfilé jusque devant la maison des nouveauxmariés. Munis d’instruments hétéroclites: vieilleschaudières, trompettes d’étain, cornes de bélier,bombardes, violons, tambours, la joyeuse troupemenait un véritable tintamarre. L’assembléeréclamait le paiement d’une taxe. Et pour lacirconstance, on avait composé des chansonsqui ridiculisaient le nouveau couple.»1

En Acadie, on organise encore un charivari lejour de la fête des Acadiens, le 15 août. ÀCaraquet, par exemple, tout le monde montedans sa voiture vers 15 h et défile dans la rueprincipale de la ville. Les participants créent unvéritable tapage avec des klaxons, des vieuxseaux, des trompettes, etc.

Le charivari ne semble pas faire partie de nostraditions. Toutefois, à l’occasion de la deuxièmeFête fransaskoise à Saint-Laurent, en 1981, onavait organisé un charivari. Plus de cinquante

jeunes, déguisés en clowns, avaient défilé sur leterrain de la fête pendant une demi-heure,derrière la vieille voiture de Normand Denis deSaint-Denis. Comme leurs ancêtres québécois,ces jeunes s'étaient munis de trompettes,tambours, etc., pour faire du bruit.

La veillée est une autre occasion de serencontrer au Québec de nos ancêtres. Tout lemonde est invité. «Les familles, alors asseznombreuses, s’amènent en bloc. On n’est pasregardant et comme on dit, “plus il y a decompagnie, plus on s’amuse”.»2 Nos ancêtrescherchent toutes les occasions de se réunir,pour chanter, danser et «prendre un “petitboire”». Le «petit boire» est «un petit coup degros gin pour les hommes. Les femmesacceptent un thé chaud ou encore de la bièred’épinette maison.»3

Bien sûr, au Québec de nos ancêtres, lesoccasions de se réunir ne manquent pas. Audébut de l’année, il y a le Jour de l’An, la Fêtedes Rois et le Mardi gras, le temps des sucresau printemps, la fête du mai, la Saint-Jean-Baptiste, l’épluchette de blé d’Inde au début del’automne, la Sainte-Catherine et Noël. Et, il y ade nombreuses noces, anniversaires, etc. qu’ilfaut fêter à tout prix.

Jour de l’An

La veille du Jour de l’An, un petit grouped’hommes, de femmes et d’enfants de la régionse réunissent pour faire la «guignolée». Ils serendent d’une maison à l’autre pour recueillirdes dons destinés aux pauvres. En arrivant à un

Chapitre un

Thème: Coutumes ancestrales

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foyer, ils chantent ce chant:«Bonjour le maître et la maîtresseEt tous les gens de la maison,Nous avons fait une promesseDe venir vous voir une fois l’an.Une fois l’an ce n’est pas grand’choseQu’un petit morceau de chignée,Un petit morceau de chignéeSi vous voulez.»4

Le père de famille offre un petit coup aux«guignoleux» comme on les appelle, la mèreleur prépare des petites choses pour lespauvres, telles que vieux vêtements ou«mangeaille» et le groupe repart en chantantpour se rendre à la maison suivante.

Le lendemain matin, Jour de l’An, toute la famillese réunit chez les grands-parents. L’aînédemande à son père la bénédiction paternelle.Tous les membres de la famille se mettent àgenoux devant le grand-père qui étend lesmains au-dessus de la tête de ses enfants. Puisil dit une petite prière de bénédiction. Ensuite,les membres de la famille s’embrassent ets’offrent des voeux de nouvel an. «La formule seterminait presque toujours par “Et le paradis à lafin de tes jours!”»5

Avant de se rendre à la messe, les membres dela famille échangent des cadeaux, car à cetteépoque on les échange le Jour de l’An et nonpas à Noël comme on le fait aujourd’hui. «Saufdans les familles aisées, les présents étaientplutôt modestes et surtout pratiques. On offraitdu linge, des fruits, parfois des bonbons ou desjouets aux plus jeunes.»6 Après la messe, oncommence la ronde des visites chez les parentset les voisins. Ces rondes de visites peuvent sedérouler sur plusieurs jours, jusqu’à la Fête desRois, le 6 janvier.

Mardi gras

La période entre la Fête des Rois et le début duCarême s’appelle «les Jours gras». Les veilléeset les noces se multiplient durant cette période.Avant la Conquête, on semble préférer semarier après les fêtes de Noël. Par exemple,entre 1670 et 1759, environ 40 % des mariagesde la famille Gareau, au Québec, ont eu lieuentre le 6 janvier et le 15 février.

Le Carême commence le mercredi des Cendres.Puisque les gens devaient jeûner et se priverpendant les quarante jours du Carême, ilsvoulaient s’amuser avant. C’était surtout le casle Mardi gras, la veille du mercredi des Cendres.Tout le monde se rendait chez un voisin ou unparent et on faisait la fête. «Durant la journée etla soirée, c’était la coutume d’avoir la visite des“mardi gras”. Il s’agissait de personnes quis’affublaient de vêtements bizarres et colorés, etqui cachaient leur visage derrière des masquescomiques ou terrifiants. Ils allaient de porte enporte, dansant, mangeant et buvant.»7 Cettecoutume s'est poursuivie jusqu’à nos jours, entreautre à la Nouvelle Orléans.

Le temps des sucres

Au Québec, une des récoltes les plusprécieuses est celle du sucre d’érable. Chaqueprintemps, aux mois de mars et avril, on récoltela sève des érables pour en faire du sirop ou dusucre. Autrefois, tous les membres de la familledevaient participer à la récolte du sucre d’érable.On fait d’abord un entaille dans le tronc del’arbre, puis on installe un seau sous cetteentaille. Un arbre peut produire de 20 à 25seaux de sève dans une journée. «La cueillettes’effectuait à l’aide d’un traîneau surmonté d’ungrand tonneau de bois et qu’on conduisait surune trace préparée d’avance.»8 Les seaux desève sont vidés dans le grand tonneau.

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Lorsque le tonneau est rempli, on se rend à laCabane à Sucre où on fait bouillir la sève pouren faire du sirop, de la tire et du sucre. Même sile sucre et le sirop fait partie de l’alimentationfamiliale durant l’année, la journée des sucrestourne généralement en «partie de plaisir»durant laquelle on chante et on mange.

La fête du mai

En 1675, Frontenac organise la défense de laNouvelle France. Il nomme des capitaines demilice pour chaque village ou paroisse. Cecapitaine de milice devient bientôt aussiimportant que le curé et le seigneur. Onemprunte ensuite une fête à la France. Le 1ermai de chaque année, les gens de la régionviennent planter un mât devant la maison ducapitaine. Plus tard, c’est devant la maison duseigneur qu’on plantera le mât le 1er mai.

Le capitaine, ou le seigneur, est ensuite invité ànoircir le mai. Deux des plus importantshabitants lui apportent un fusil et une assiettegarnie d’une bouteille d’eau-de-vie. «Après lestoasts appropriés, le seigneur s’amenait sur leseuil de la porte du manoir... le seigneurdéchargeait son fusil sur l’arbre. Puis c’était autour de tous les membres de sa famille.»9

Ensuite, tous les habitants, chacun leur tour,tirent sur le mât. Plus on tire, plus le mât estnoir, plus le compliment est flatteur pour lecapitaine ou pour le seigneur.

Ensuite, tout le monde mange, boit et chante.Cette coutume disparaît au XIXe siècle.

La Saint-Jean-Baptiste

Le soir du 23 juin, veille de la Saint-Jean-Baptiste, on dressait autrefois un bûcher devantl’église paroissiale. Le curé était ensuite invité àvenir le bénir. Après avoir dit quelques prièresdevant le bûcher, le curé l’allumait avec soncierge. Lorsque le feu avait pris, la fête

commençait. Saint-Jean-Baptiste devient alorsle patron des Canadiens français.

En 1834, Ludger Duvernay organise la SociétéSaint-Jean-Baptiste. Cette Société commence àorganiser des défilés, des banquets et des balsle soir du 24 juin. «En 1874, la fête nationaleconnaît un succès exceptionnel, grâce àl’invitation lancée à tous les Canadiens-françaisdu Canada et des États-Unis. Le défilé s’étendsur presque trois milles et se poursuit pendanttrois heures.»10

Au début du XXe siècle, en Saskatchewan, onvoit apparaître, dans plusieurs villages, descercles locaux de la Société Saint-Jean-Baptiste. Mais Saint-Jean-Baptiste n’est pasnécessairement le patron de tous lesfrancophones qui viennent s’établir dans l’Ouest,tels ceux qui arrivent de France, de Belgique etde Suisse. Petit à petit, les cercles locaux de laSociété Saint-Jean-Baptiste disparaîssent. C’estseulement au cours des dernières années quecertaines écoles ou centres culturels ont essayéde faire revivre la Saint-Jean en Saskatchewan.

L’épluchette de blé d’Inde

L’automne est le temps des récoltes. Autrefois,lorsque le maïs était prêt à être récolté, nosancêtres invitaient leurs voisins pour une veillée.Au début de la soirée, on effeuillait les épis deblé d’Inde. Tout en effeuillant le maïs, onracontait des histoires et des contes ou onchantait de vieilles chansons traditionnelles.Pour les jeunes hommes, l’épluchette de bléd’Inde était aussi une occasion d’embrasser leurbien-aimée, car il y avait généralement un ouquelques épis rouges. La personne qui trouvaitun épi rouge avait le privilège d’embrasser celuiou celle qu’il ou elle voulait.

«Les garçons s’amusaient beaucoup à ce petitjeu. Souvent, le détenteur de l’heureusetrouvaille dissimulait son épi et allait embrasser,à l’improviste, une ingénue qui ne s’y attendait

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pas... Les jeunes filles, par contre, surmontaientplus difficilement leur timidité. Celle quidécouvrait l’épi rouge choisissait plutôt de lerefiler à son ami qui, en galant homme qu’il était,l’embrassait sur-le-champ.»11

La Sainte-Catherine

Le 25 novembre, on fête la Sainte-Catherine enfaisant de la tire. Toutefois, à l'époque de nosancêtres, la Sainte-Catherine était le jour où onfêtait les «vieilles filles», c’est-à-dire les femmescélibataires de plus de 25 ans. Cette fête nousvient de Normandie où il était d’usage dedécorer la statue de Sainte-Catherine le 25novembre.

C’était la plus vieille des filles de la maison, oudu couvent, qui avait l’honneur de revêtir lastatue des habits du pays. «“coiffer Sainte-Catherine” en vint à signifier “rester vieille fille”,et que cette sainte fut consacrée... patronne detoutes les filles de trente ans et plus quin’avaient pas encore trouvé de mari.»12 Au XIXesiècle, au Québec, puisque la Sainte-Catherine

est une fête religieuse, il n’y a pas d’école. Lesfamilles se rendent visite et la journée finitgénéralement par une veillée. «La Sainte-Catherine était, à cette époque-là, une date fortpopulaire pour la célébration des mariages. Àcroire que certaines jeunes filles craignaient de“coiffer Sainte-Catherine”.»13

Noël

Du temps de nos ancêtres, le jour de Noël étaitavant tout une fête religieuse. La fêtecommençait alors que la famille se rendait àl’église pour la messe de minuit. Après la messede minuit, les gens se réunissaient chez desparents ou amis pour un réveillon. On mangeaità sa faim et ensuite on passait une grandepartie de la nuit à raconter des histoires et àdanser.

À cette époque, on n’échangeait pas decadeaux à Noël mais plutôt au Jour de l’An.Noël marquait la fin de l’Avent et le début d’unepériode de deux semaines pendant lesquelleson faisait la veillée chaque soir.

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Chapitre deux

Thème: Les loisirs dans les communautés métissesfrancophones

Après avoir travaillé à la sueur de leur front pourrépondre aux exigences de la Loi des Terres duDominion, nos ancêtres francophones aimaientse réunir pour chanter, danser ou faire du sport.

Mais avant de parler des loisirs des Canadiensfrançais de Bellegarde, de Gravelbourg et dePonteix ou de ceux de Debden, de Bellevue etde Zénon Park, parlons des coutumes desMétis.

Comme c’est le cas dans les famillescanadiennes-françaises, les Métis aiment seréunir pour parler de choses et d'autres. Lepremier lieu de rencontre, c’est le perron del’église, après la messe du dimanche. «Mais,dans le domaine des sorties, comme dansplusieurs autres, il y a inégalité entre leshommes et les femmes. Selon les témoignagesd’une dame, “on sortait peu, nous les filles,même le dimanche il fallait revenir à la maison àsix heures pour tirer (sic) nos vaches. Les gars,eux, ils sortaient.»14

Les mariages sont une autre occasion de seréunir. «Bon nombre d’entre eux ont lieu l’hiver,entre les Rois (6 janvier) et le carême (mi-février); au tournant du siècle on choisit plutôt dese marier au printemps ou à l’automne, depréférence le mardi ou le mercredi, et tôt lematin. La noce dure deux jours, parfoisdavantage.»15 Même si pour plusieurs Métis, lemariage n’est qu’une cérémonie religieusevenant légitimiser le mariage fait «à la mode dupays»,16 c’est tout de même une occasion defêter.

En effet, au grand chagrin des missionnairesoblats, les Métis aiment faire la fête. «Les“musiques” sont indispensables aux veillées:violons, accordéons, “ruine-babines”(harmonicas), tambours, guitares, bombardes(guimbardes) ainsi qu’une batterie composée decuillers, assiettes ou bols de bois ou de ferblanc, etc.»17 On dit même qu’on pouvait trouverun violon dans chaque maison métisse à la findu XIXe siècle. Les Métis aiment aussi follementla danse: «On danse des reels, gigues,stepdances, cotillons, quadrilles (dansescarrées), châtises et même des menuets,surtout chez les plus anciens.»18

Les curés n’aiment pas voir danser les Métis, niles voir jouer au poker. «Ceux qui ne dansent oune chantent pas peuvent jouer aux cartes; lequatre-sept, l’euchre dit à l’écarté sont, dit-on,populaires. On joue parfois aux dés (poker) pourde l’argent, au grand mécontentement ducuré.»19

Dans la communauté métisse, les hommessemblent avoir une passion pour le billard. «Oncompte quatre tables de billard à Batoche en1885: chez Georges Fisher, Jean-BaptisteBoyer, Gabriel Dumont et Joseph Vandal.Cependant le billard est interdit le dimanchesous peine d’amende.»20

La table de billard de Gabriel Dumont a étévolée par des soldats canadiens durant larésistance de 1885; elle aurait été chargée surle bateau à vapeur «Northcote» lorsque celui-cidescendait la rivière Saskatchewan-Sud de Fish

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Creek à Batoche le 8 et le 9 mai. Cette table debillard aurait plus tard abouti au pénitencierfédéral de Stoney Mountain au Manitoba. Unautre endroit où on trouve une table de billard àBatoche en 1885 est chez Philippe Garnot.Durant la résistance, Garnot est le secrétaire deRiel.

À Batoche, on accorde beaucoup d’importanceà la fête nationale des Métis instituée pour fêterleur patron, saint Joseph. «Les célébrationscommencent par une messe où on arbore labannière de l’Association Saint-Joseph. Puisc’est la fête champêtre avec épreuves sportives,musique, danse et feux de camp, ainsi que leconcours et la vente d’artisanat.»21

La fête consiste généralement en un pique-nique paroissial qui a lieu près du village. Quandon parle de sports, on veut dire le tir au fusil, lescourses de buggy, le tir au poignet et le tir à lacorde. Plus tard, au XXe siècle, la balle molle,les courses de chevaux et les rodéosremplaceront plusieurs de ces sports. En ce quiconcerne les sports, la natation ne semble pasêtre très populaire auprès des Métis, quoiqu’onprétende que Gabriel Dumont ait été unexcellent nageur.

À Duck Lake, Métis, Canadiens français etAnglais se joignent, dès les années 1890, pourorganiser une foire agricole. Cette foire a lieuchaque automne, au mois d’octobre. «On ydonne des prix pour les meilleurs produits dansles catégories suivantes: chevaux, bétail,laitages, grains battus, légumes, viande fumée,confitures, cuirs (peaux de daim, mocassins,gants fourrés, paletots), peintures à l’huile,aquarelles, dessins au fusain ou au crayon; il y aaussi des prix pour les “travaux de dames” quicomprennent chemises et taies d’oreillerbrodées, pelottes à épingles, couvre-piedstricotés, coussins et pantoufles.»22

Les Métis, de la fin du XIXe siècle et du débutdu XXe, vivent encore la tradition orale de leurs

ancêtres. «Les “vieilles” surtout racontent deshistoires de l’ancien temps, des “histoires depeur”, de revenants et “d’avertissements” (i.e quiprédisent un malheur, un décès, etc.). La mortest le thème principal de plusieurs de ceshistoires.»23

Dans le sud de la province, surtout dans lesrégions de la Montagne de Bois et de laMontagne de Cyprès, les Métis s’adonnent àl’élevage du bétail et des chevaux. Une activitéqui capte vite leur intérêt est le rodéo (oustampede) annuel qui met en valeur leursprouesses sur un broncho ou sur un taureau, ouleur habileté au lasso. Un des plus vieux rodéosde la Saskatchewan est celui de Wood Mountainqui date des années 1890.

Dans une lettre qu’il avait adressée à LaurierGareau pour la chronique La Parlurefransaskoise, l’abbé Roger Ducharme deGravelbourg a décrit cet événement comme suit:«J’ai beaucoup entendu parler du stampede deWood Mountain (Sask.) le plus vieux, paraît-il,de l’Amérique du Nord. Lancé comme jeu social,avant le début du siècle, par les Sioux de laréserve de Sitting Bull, les blancs s’y sont jointspeu à peu. J’y suis allé finalement et j’ai vu, pourla première fois, tout ébahi, un cowboy raîder ourailleder (to ride), à poil, un bronco s’y tenantd’une seule main au lasso serré très fort autourdu corps du cheval, plus ou moins sauvage, serebiffant bruyamment. Retenu dans une chute,au signal donné, on lâche ce mâron dans lecorral pour qu’il désarçonne ce cavalier agaçantdont il veut se débarasser, au plus vite. Leséperons aux talons que le cowpoke darde encadence aux épaules et aux flancs de lamonture débridée qui se lance, s’arrêtebrusquement, en avant, en arrière, de côté...l’aident à tenir son équilibre. C’est un jeufascinant, mais dangereux. Si le broncobusterrésiste, les quelques secondes règlementaires,aux assauts du renâclant mustang absolumentrésolu de jeter cet intrus par terre, il est déclaréchampion.»24

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À part le rodéo, qui est une extension de songagne-pain, le cowboy métis ou canadien-français de Willow Bunch a-t-il d’autres loisirs?Les films et romans «western» nous ont décrit lecowboy comme étant un passionné de poker,mais aussi un homme qui aime parfois jouer dela guitare ou de l’harmonica. Cette image est-elle bien ancrée dans la réalité de la vie ducowboy? C’est dans Histoire de Willow Bunchqu’on trouve la réponse. En 1920, l’abbé ClovisRondeau tenait ces propos au sujet de la vie ducowboy: «Durant la saison d’hiver, les animauxétaient abandonnés à leurs instincts et leursgardiens prenaient des vacances. Ces derniers

faisaient alors leur apparition dans les villages etles villes frontières, par bandes de 10, 15 et 25individus. Ils étaient les bienvenus dans leshôtels où ils entraient les poches pleines pouren sortir les poches vides. Alors le fracascommençait, la boisson, le jeu, le bruit, tirantdes coups de feu à tort et à travers, chassant lesgens de la maison, l’hôtelier lui-même, mettanttout au pillage.»25

Eh oui, les cowboys vivaient une vie dure audébut du siècle; ils ne parlaient donc sûrementpas de leurs exploits dans les lettres qu’ilsadressaient à leurs parents.

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Chapitre trois

Thème: Les loisirs et les Franco-Canadiens de laSaskatchewan

La vie sociale et les loisirs, dans la communautéagricole de l’Ouest canadien, à la fin du XIXe etau début du XXe siècle, sont souvent les seulesoccasions qu’ont les pionniers de rencontrerleurs voisins, leurs parents et leurs amis. Lesfamilles habitent souvent à plusieurs kilomètresde leur plus proche voisin. Malgré tout, leshistoriens n'ont accordé que très peud’importance aux loisirs dans l’histoire de lacommunauté francophone de la Saskatchewan.

Au début, les pionniers francophones apportentavec eux les activités sociales et culturelles deleur pays d’origine, que ce soit la France, laBelgique, la Suisse ou le Québec. Puis petit àpetit, leurs activités se jumellent à celles desimmigrants venus d’autres pays, et les activitésde loisirs des francophones de la Saskatchewanprennent une nouvelle dimension.

À cette époque, les visites des pionniers ne sefont que rarement l’été; cette saison estréservée aux durs travaux de la ferme. C’estsurtout en hiver qu’on rend visite à ses voisins etparents de la région. Pour plusieurs pionniersfrancophones, l’hiver peut même être l’occasionde prendre le train et d’aller dans sa famille dansle Bas-Canada (Québec).

À cette époque là, on ne se préoccupe pas tropdes formalités; les pionniers ne verrouillent querarement leurs portes. Les moeurs du tempsveulent que si un visiteur se présente chezquelqu’un et qu’il n’y a personne, ce visiteurpeut entrer, allumer un feu, se préparer un repaset même passer la nuit. Si un visiteur est chezun voisin à l’heure du repas, il est invité à

s’asseoir et à partager le repas. Refuser denourrir un visiteur aurait été perçu comme uneinsulte.

La vie sociale des pionniers canadiens-françaisveut même que l’on aide ses voisins, qu’ilssoient parents ou étrangers. On se regroupesouvent en «bee» ou corvée pour aider à bâtirmaison et étable, ou même pour monter l’égliseet le presbytère. On organise parfois descorvées pour aider un voisin qui est malade oublessé à semer ses champs, ou à les récolter, àfaire ses foins ou à prendre soin de sesanimaux. Dans certains cas, les femmesorganisent des «bees» pour faire leursprovisions de savon ou pour «piquer» unecouverture. Quant aux hommes, la corvée estorganisée pour couper le bois de chauffage.Invariablement, ces corvées deviennentl’occasion d’une soirée ou «veillée».

Ces veillées peuvent être l'occasion de joueraux cartes: le bridge, le whist, le 500 et labarrouche sont des jeux de cartes populairesdans les foyers canadiens-français. Les veilléessont aussi l'occasion d’organiser des danses. Àcette époque, il n’y a pas encore de sallesparoissiales dans les communautésfrancophones de la Saskatchewan. Les dansesont donc lieu dans les maisons des gens; la plusgrande maison du coin est le lieu de plusieurssoirées. Bien sûr, chacun apporte un petitquelque chose pour améliorer le repas à lafortune du pot. Dans certaines régionsfrancophones, on emprunte même le motanglais «potluck» pour décrire ces repas à lafortune du pot.

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La Rolanderie

L’histoire de la Rolanderie, une colonie établiedans le sud-est de la Saskatchewan vers la findu XIXe siècle par des aristocrates français,montre comment certains groupes de pionniersfrancophones ont essayé de transplanter leursvaleurs culturelles dans cette province. Établiecomme colonie agricole par la petite noblessede France, la Rolanderie attire des hommescomme Rudolf Meyer, le comte de Roffignac, levicomte Joseph de Langle, le marquis Jean deJumilhac et le comte Henri de Soras, pour n’ennommer que quelques-uns.

Le village le plus près de la Rolanderie estWhitewood, mais on verra aussi naître lamission de Saint-Hubert en 1886. Mme JessieGrierson-Park, originaire de Whitewood, écrivaitdans le Herald de Whitewood du 3 octobre1940: «Ces “gentilshommes gais et gallants”venant de France, offraient un contraste avec leHongrois vêtu d’une peau de mouton et safemme vêtue d’une robe paysanne et d’un châlemulticolore. Les Français s’efforcent detransplanter la culture de la vieille France dansle sol de la Prairie; ils veulent continuer de vivredans ce nouveau pays avec les traditions duvieux.»26 Ces nobles bâtissent de beaux etgrand châteaux dans la région de Saint-Hubertet ils leur donnent le nom de leur château de

France, comme «Bellevue», «Richelieu» et«Rolanderie». Pour meubler ces châteaux, ilsapportent chaises, tables et lits de la France.Lorsque les nobles décident de retourner enFrance, ils vendent beaucoup de ces meubles àdes familles canadiennes: «Une famille a achetéune belle horloge de parquet, merveilleusementsculptée et datant de la Révolution française.»27

Cette petite noblesse de la Rolanderie aimefaire défiler ses plus beaux attelages; on dit quele comte de Langle se promenait «avec cocheret valet de pied» mais même lui n’attirait pasl’attention des pionniers. «Ils étaient acceptés,comme tous les autres colons, comme cettenouvelle et changeante vie du pays.»28

Les comtes, nouvellement arrivés de France,vivent dans un certain luxe: «Ils importaient desproduits alimentaires, des confiseries et des vinsdispendieux et tous objets de luxe qu’ils avaientconnus auparavant.»29 Ils amènent leurschevaux pur-sang et leurs chiens de race, ainsique leurs meilleurs attelages.

Chaque année, au mois d’août, tout le mondedans la région, nobles français, bergershongrois, fermiers finlandais et Indiens serencontrent près de Whitewood pour descourses de chevaux. «Assises dans lescharrettes à chien, on voyait quelques-unes desfemmes françaises titrées, vêtues dans desrobes et chapeaux de Paris... Aux yeux d’unenfant, ces dames apportaient une visionmomentanée de ce grand monde extérieur, etmême, elles semblaient être sorties d’un contede fée.»30

À Whitewood, on organise aussi des grandsbals, comme celui qui est organisé pourmarquer la visite du lieutenant-gouverneur desTerritoires du Nord-Ouest, Charles Mackintosh.Tout le monde est invité, bien sûr, à ces grandsbals. «Comme on peut l’imaginer, la tenue étaitvariée pour ces occasions et même peuconventionnelle. Certains venaient en costumedemi-cowboy, certains en pantalon et robe de

Photo: Archives de la Saskatchewan

La fanfare de Whitewood, vers 1885.

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flannelle, tandis que d’autres arrivaient en tenuede soirée.»31 Parmi les danses, Français,Hongrois et Finlandais exécutent des menuets,des quadrilles et des valses. Pour la musique,on peut compter sur des violons et des pianos.

Mais, vers la fin du XIXe siècle, la Rolanderiecommence à perdre de son importance; lesnobles français regagnent la vieille France etcette vie d’aristocrate qu’avait connue la régionprend fin.

La colonie française de Montmartre

Comme dans le cas de la Rolanderie, onespérait établir à Montmartre une colonieagricole française, même si celle-ci n’a jamaiseu l'honneur d’avoir des nobles à sa tête. En1893, Pierre Foursin et la Société Foncière duCanada quittent la France avec le rêve de créerune colonie française en Saskatchewan. Quatreans plus tard, le rêve s'effondre. Toutefois, leurMontmartre de la Saskatchewan devient unecommunauté francophone importante du sud dela province.

Les membres de la Société Foncière du Canadaont choisi saint Pierre comme patron de leurcolonie pour deux raisons: premièrement l’églisede Montmartre en France est sous la protectionde ce saint et deuxièmement, c’est le prénom dufondateur Pierre Foursin.

En France, à cette époque, on organise toujoursune fête au village le jour de la fête du saintpatron et les membres de la colonie font demême le 29 juin 1893: la Saint-Pierre. Lajournée commence avec la première messechantée de la colonie. Puis, c’est le pique-nique:«Le programme comprenait différents concours:courses à pied, sauts en hauteur, sauts enlongueur, courses de chevaux sur le terrain quiséparait les maisons Simonin etMouchenotte.»32 Pour cette journée, on a invitéles gens de la région; plusieurs Indiens participemême aux concours. Le soir venu, après le

départ des visiteurs, les colons français seréunissent dans la Grande Maison pour ungrand bal.

Une autre occasion de se rencontrer et de sedivertir à Montmartre a lieu le Jour de l’An. En1895, par exemple, on note qu’un banquet estorganisé dans la Grande Maison pour tous lescolons. «Chaque famille devait faire sa part,même les vieux garçons, Cyrille Mangenot,Amédée et Charles Écarnot et les frèresDeDecker, devaient apporter leurcontribution.»33 À l’occasion de ces fêtes, tout lemonde doit chanter une chanson. Les hommesn’ont pas le droit de refuser, mais les femmesont plus de liberté; elles peuvent accepter ourefuser à leur gré. Durant la soirée, JosephPerrey et Auguste de Trémaudan jouentl’accordéon chacun leur tour, tandis que lesautres dansent des valses, des polkas et desmazurkas.

Les soirs d’hiver, les colons se rendent souventà la Grande Maison. Ils lisent le courrierrécemment arrivé de Wolseley, ils échangentdes idées et ils jouent à des jeux: cartes,dominos, échecs et dames.

En 1896, les choses changent pour les colonsfrançais de Montmartre. Tôt dans l’année,l’enseignant, Auguste de Trémaudan, organiseun concert avec ses jeunes protégés.L’enseignant a même composé toutes leschansons du répertoire et a écrit la pièce dethéâtre, une tragi-comédie. Les comédiens sontHenri Bastien et Louise Douan. Après leconcert, les colons rangent les pupitres et ladanse commence. La danse se poursuitjusqu’au lever du soleil, chose importante car onne veut pas se perdre dans la prairie durant lanuit.

Peu de temps après cette soirée à l’école,Auguste de Trémaudan reçoit la visite du curéde Wolseley, l’abbé Roy. Il annonce à A. deTrémaudan qu’il a reçu ordre de mettre fin à cesdanses. «Le clergé du Canada n’allait pas

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tolérer les danses, surtout les danses comme lavalse, le polka et le mazurka et allait même aupoint de refuser les sacrements à toutespersonnes qui participaient ou organisaient desdanses.»34 Les colons de Montmartre sesoumettent aux directives de leur curé;dorénavant les soirées à Montmartreconsisteront en des jeux et de chants et engénéral, il n’y a pas de danse.

La danse

Comme on vient de le voir, le clergé du Canadadécide, en 1896, d’interdire les danses et lesbals. Toutefois, on a vu que la danse est trèspopulaire dans les soirées canadiennes-françaises et métisses de l’époque. Commentles colons de langue française enSaskatchewan réagissent-ils à cette décision duclergé?

Mais avant de parler de la réaction desfrancophones à cette décision, demandons-nouspourquoi le clergé est contre la danse. C’est queles curés et leurs évêques voient la dansecomme étant le premier des maux qui menera àd’autres comme le divorce, le suffrage féminin etl’abandon de la foi. Cette opposition du clergéaux danses et aux bals se poursuit jusque dansles années 1930. Voici un exemple d’articlespubliés dans Le Patriote de l’Ouest pour faireconnaître les dangers de la danse: «Qu’avez-vous à dire des danses? Bien, bien des choses,mais il faut être bref. Disons donc seulementqu’indifférentes de leur nature, les danses tellesqu’elles se pratiquent généralement de nos jourssont pleines de dangers. Elles sont condamnéespar les Saints, par les personnes graves etsincèrement chrétiennes, par des gens dumonde expérimentés, par la raison etl’expérience qui nous montre une foule dechoses comises: 1er AVANT LE BAL, à causedes dépenses excessives de toilette qu’ilentraine et des jalousies qu’il suscite; 2e

PENDANT LE BAL, à cause des libertés qu’onse permet et des tête-à-tête dont il est

l’occasion; 3e APRÈS LE BAL, à cause duretour seul à seul.»35

Enfin, c’était une époque différente; lesCanadiens français se soumettaient plusfacilement à la volonté de l’Église. Quand lecuré disait quelque chose, les gensl’écoutaient... la plupart du temps. Nous avonsdéjà vu, à Montmartre, qu’en «général il n’y avaitpas de danse».

En parcourant les histoires des villages et autresdocuments sur l’histoire des francophones de laSaskatchewan, on découvre d’autres référencesà la danse. Dans ses Reminiscences d’unpionnier, Denys Bergot écrit le récit suivant àpropos du voyage des Bretons qui viennentfonder la paroisse de Saint-Brieux: «Bloqués parles glaces, nous devons nous résigner à restersix jours dans le port de Saint-Pierre-Miquelon;pendant ce temps, les émigrants essayent de sedistraire de différentes façons: jeunes gens etjeunes filles dansent les rondes de leurs pays...Voilà des danses certes que l’Église auraitapprouvées; ce n’est pas le Fox Trot.»36

Photo: Archives de la Saskatchewan

Au début du siècle, il y avait plusieurs groupesde musiciens, tel celui-ci à Duck Lake, quijouaient pour des danses. Les membres sont:Joe Price, Émile Gregaust, Bill Barrette, Joe dela Gorgendière, Charles Urton, Gaston Dubois,Raoul St. Denis et Joe Fisher.

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À Marcelin, même la colère du curé, l’abbéPierre-Elzéar Myre, ne décourage pas lesenfants du docteur Victor Bourgeault et autressyndics d’organiser des danses et des soiréessociales. Ces soirées ont généralement lieudans la résidence au-dessus de la quincaillerieBourgeault. Ces danses et soirées sepoursuivent même après le mariage du fils dudocteur Bourgeault avec une jeune anglophonedu coin, Mary Crowe.37

À Ferland, le curé semble avoir été plusnégligent envers la danse. Mme LéophileFournier-Chabot raconte: «Dans ce temps-là,c’était défendu alors on n’y pensait pas. Le curéle défendait, surtout au commencement... plustard, après qu’on a eu l’église en 17, c’étaitpermis de danser aux noces seulement... unsoir... pas de noces éternelles...»38

Revenons un moment à Montmartre où MmeLéonie Labrèche raconte que durant sajeunesse, «on attachait un fanal sur une percheque l’on plantait au sol. C’était une annoncepour avertir qu’il y avait une soirée chezquelqu’un. On montait sur une petite butte pourvoir s’il se passait quelque chose.»39

La famille Béchard de Sedley, pour sa part, nehait pas se rencontrer de temps à autre pourfaire la fête. René Béchard raconte que durantla moisson, lorsque les batteux sont chez eux etqu’il pleut, «ça dansait; papa jouait du violon, çasteppait. Chacun avait un petit step. Mes soeursaccordaient; on avait toujours un piano à lamaison... On ouvrait tout grand... on pouvaitdanser quatre quadrilles... les valses... Quand ily avait de la pluie, quand on ne pouvait pastravailler, papa les faisait danser; les steps... lesgigues. Y’en avait qui étaient bon.»40

La veille de Noël, comme au Québec, plusieursfamilles canadiennes-françaises se rassemblentpour le réveillon. Souvent, après avoir mangé àleur faim, les gens se mettent à danser, commes’en souvient Mme Irma Privé de Ponteix: «Jeme rappelle très bien, on avait beaucoup de

plaisir. On passait jusqu’à cinq, six heures dumatin. On dansait même après que c’était fini leréveillon. C’était une belle réunion, parce quec’était une grosse famille.»41

Le bazar

Une autre activité que l’on retrouve souventdans l’histoire des francophones de laSaskatchewan, c’est le bazar et le souperparoissial. Cette activité est généralementorganisée pour prélever des fonds pour l’église.Par exemple, en 1925, le curé et les paroissiensde Bellevue décident qu’ils doivent bâtir unenouvelle église. Même s’il y a division dans laparoisse, quant à l’endroit où sera construit lenouvel édifice, les gens sont prêts à donner.

Un comité est mis sur pied pour organiser lebazar; deux jeunes femmes de la paroisseacceptent d’être candidates au concours dereine de la paroisse (celle qui ramassera le plusd’argent sera couronnée reine). Les deux jeunesfemmes font partie de groupes différents quantau futur emplacement de l’église. Une, avec unetrès grande parenté, organise des grossesparties de cartes; l’autre organise des soirées

Photo: Archives de la Saskatchewan

Un groupe de bûcherons, dans les buttesPasqua, avec leurs instruments de musique.

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amusantes avec un peu d'alcool et des jeux detoutes sortes.

Enfin, le grand jour du bazar arrive: «Le bazardura du premier au quatre novembre. Après lamesse de la Toussaint, on sortit les bancs, onrangea les autels pour faire place nette. L’égliseest la seule salle disponible... Des articles àvendre ou à rafler, la pêche, des jeux de toutessortes, même des pièces de théâtre que lemaître d’école, M. Rompré, avait exercées etdes chansons dans les entr’actes.»42

Une autre activité très populaire de ces bazars,dans les communautés francophones de laSaskatchewan, semble être une traditionaméricaine. Il s’agit de la «vente des paniers».Plusieurs femmes préparent un panier de pique-nique et lors des soirées, vers onze heures, onmet les paniers en vente. La femme doit mangerson pique-nique avec l’homme qui a acheté sonpanier.

L’abbé Roland Gaudet, dans St. Isidore deBellevue, 1902-1977, raconte qu’une telle ventea eu lieu au bazar de 1925. «Le clou du derniersoir fut la vente des paniers et les dernierspaniers à se vendre furent ceux des candidates.Celui de Bernadette se vendit pour $200.00,tandis que celui de Ina ne se vendit que pour$100.00.»43 Les deux jeunes hommes qui ontacheté ces paniers (ce sont deux frères)reçoivent bien sûr l’appui des autres membresde la communauté, car 200 $ représentent unesomme fabuleuse à cette époque.

Les concerts

Au début du siècle, une des activités populairesdans les communautés francophones est leconcert. Ces concerts empruntent librement auvaudeville qui est très populaire à cette époque,aux États-Unis. Le vaudeville mélangedifférentes genres artistiques. Le concert fait demême. On y retrouve des pièces de théâtre et

des chansons, des récitals de piano et desdanseurs à claquettes.

En parcourant les pages du Patriote de l’Ouest,nous pouvons trouver plusieurs articles sur lesconcerts des communautés francophones de laSaskatchewan. Dans une courte période de septmois, de janvier à juillet 1918, nous avons relevéun total de 53 articles parlant des concertsd'Arborfield, Delmas, Duck Lake, Gravelbourg,Howell (Prud’homme), Marcelin, Montmartre,Ponteix, Prince Albert, Saint-Denis, Sainte-Marthe, Saint-Hubert Mission, Saint-Louis,Vonda et Willow Bunch. En voici quelquesexemples.

Dans le Patriote de l’Ouest du 16 janvier 1918on peut lire l’article suivant dans la chronique deGravelbourg: «Le 27 du mois de décembre

Photo: Archives de la Saskatchewan

Angèle Delhommeau (née Regnier), de WhiteStar, dans le rôle de Madeleine de Verchères,en 1927.

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dernier a eu lieu, dans la salle Saint-Jean-Baptiste, une séance dramatique et musicale.On joua “Cercle de femmes” comédie tout à faitspirituelle de Jean Segaux. Les rôles étaientremplis par Madame Cadieux etmesdemoiselles Gravel, Blanchard, Labrèche,Belisle, Leblanc et Charlebois... Une autrecomédie intitulée: “Madame Beaucordon”, jouéepar Mademoiselle Belisle, Messieurs E. et G.Gravel et Georges Hébert.»44 Les deux frèresGravel sont Émile et Guy. Dans le livre del’histoire de Gravelbourg, on apprend que GuyGravel est un passionné du théâtre. «Aimantl’écriture, le chant, le théâtre, Guy rêvaitdavantage à Paris qu’à la prairie. Mais sonattachement à la famille l’emporta et, aussitôtreçu pharmacien, il accourut à Gravelbourg où ilse fit construire une petite pharmacie en1908.»45

Dans le même numéro du Patriote de l’Ouest du16 janvier 1918, on apprend qu’il y a aussi eu unconcert pendant les fêtes à Sainte-Marthe, prèsde Whitewood. «En la fête de l’Épiphanie, ungroupe de paroissiens manifestant leurs bonnesdispositions ont préparé une agréable, et trèsédifiante, soirée. Aussi bien une séance de deuxheures a paru courte à la nombreuseassistance.»46 Lors de ce concert, certains ontjoué du piano, des jeunes ont fait entendre leurshabiletés oratoires, il y a eu des chants et despièces religieuses.

À Delmas, entre temps, Aurélie Vallière, JulietteRoy et Margot Langlois répétent une pièce dethéâtre: «Nous offrons nos félicitations auxdames de la Croix rouge pour leur beau succèsde leur fête de Noël. La pièce “Le beignet deNoël” fut très bien rendue.»47 La soirée estorganisée par les dames de la Croix-Rouge et ilne faut pas oublier que la guerre bat encore sonplein en Europe, en janvier 1918. Pour terminercette soirée, les dames ont eu recours à unepersonnalité bien connue de Delmas à cetteépoque. «La belle voix de M. Jos Duval fut,comme toujours, très appréciée dans son jolirépertoire de chansons canadiennes.»48

Un mois plus tard, les 10 et 11 février 1918, lestrois communautés de Delmas, Gravelbourg etSainte-Marthe organisent de nouveaux concertspour mettre un terme aux Jours gras. LeCarême s’en vient, mais il faut avoir un dernierconcert avant le grand jeûne. C’est aussi le casà Ponteix. «Les élèves du couvent nous ontdonné les derniers jours du carnaval, dans lesoubassement de l’église, une soirée récréativeparfaitement réussie, bien que préparéeseulement depuis une semaine et complètementen dehors des heures de classe.»49

À cette époque, on organise souvent desconcerts comme moyen de prélever des fonds,comme celui qui a eu lieu à Willow Bunch enfévrier 1918 au profit de la Société Saint-Jean-Baptiste. À Saint-Hubert Mission, par contre, onorganise un concert en mars 1918 pour célébrerle retour de la guerre de quatre vétérans. Et,dans bien des cas, on organisait des concertsdans les sous-sols des maisons, toutsimplement parce qu’on aimait faire du théâtre.C’était le cas pour les enfants de RosarioGareau de Bellevue. Cette tradition théâtrales’est poursuivie jusqu’à nos jours avec lespetits-enfants et les arrière-petits-enfants deRosario Gareau.

Les sports

Des sports, il y en a toujours eu dans noscommunautés francophones. Dans les petitesécoles de campagne d’antan, les jeunesorganisent des parties de balle-au-camppendant l’été, et l’hiver, ils se regroupent sur lessloughs ou étangs pour jouer une bonne partiede chinny ou hockey. À la fin du siècle dernier etau début du XXe siècle, les sports ne sont pasorganisés comme ils le sont de nos jours. Dansbien des cas, la seule occasion de jouer contreune autre équipe c’est lors des Sports Day oufoires régionales.

Balle molle: Située dans la région deBellegarde dans le sud-est de la province, Antler

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connaît son premier Sports Day le 1er juillet1900. «La tradition commence le 1er juillet 1900alors qu’une équipe du CPR reçoit un congéd’une demi-journée et se joint aux hommes duvillage et de la région pour un après-midi departies de balle.»50

À Zénon Park, dans le nord-est de la province,on commence à jouer à la balle dès l’arrivée descolons, en 1910. «Les gens se regroupaient lesdimanches après la messe à la ferme de ZénonChamberland, un mille et demi au sud du villageactuel. Les femmes étaient occupées à préparerle dîner tandis que les hommes formaient deséquipes et jouaient au baseball et les enfantscouraient et jouaient des jeux.» 51 Cesrencontres ont lieu dans un parc à la ferme deZénon Chamberland et c’est de ce parc quevient le nom de Zénon Park.

À Debden, ce n’est qu’en 1931 qu’on organise lepremier club de balle molle. Ce club estorganisé par le maître de l’école de Debden,Irénée Lefrançois. Toutefois, on doit avoir jouéauparavant à la balle molle à Debden. Le clubde M. Lefrançois est composé de «Henri Blais,Conrad Cyr, Charles-Auguste Bélair, HectorBrunet, Roland Gagné, Edward Lajeunesse,Fernand Lajeunesse, Paul-Henri Paquette, LéoBrunet, Ubalde Lajeunesse et Omer Blais.»52

Hockey: Comme il a été mentionné plus tôt, lespremières parties de hockey en Saskatchewanont eu lieu au grand air sur des étangs gelés.Même le grand Gordie Howe, originaire deFloral au sud-est de Saskatoon, apprend àpatiner et joue au hockey sur un étang. À cetteépoque, les enseignants et les enseignantesn’aiment pas le terme hockey et les jeunes del’époque apprennent qu’ils doivent dire «gouret»au lieu de hockey.

Commençons notre tournée à Debden. «Lapremière patinoire ouverte, bordée en planchesfut construite sur le petit lac de Joseph Couturetout près du village. Organisée par Urgel Brunetpère, cette patinoire rudimentaire fut en usage

tous les hivers jusqu’en 1926.» À partir de1935, l’équipe de hockey de Debden porte lenom des Canadiens. Ce n’est qu’en 1955 que levillage de Debden construit un aréna.53

Comme Debden, Zénon Park n’a pas depatinoire couverte avant les années 1950.Toutefois, cette lacune n’empêche pas lesjeunes hommes de la région de se réunir pourun bon match. «Au début, le hockey est unexcellent jeu auquel on jouait les dimanches surun étang, tant en ville qu’à la campagne. Lesbâtons de hockey étaient faits de branches desaule et les jambières étaient commandéesgrâce aux catalogues d’Eaton’s et deSimpson’s.»54 Dans bien des cas, les jeunesn’ont pas les moyens de se commander desjambières d’Eaton’s ou Simpson’s. Des basbourrés de catalogues, attachés avec desélastiques, servent de jambières.

Curling: Le curling est un sport souvent associéaux Prairies et à la Saskatchewan, peut-être àcause des victoires des frères Richardsondurant les années 1950 et 1960. On disaitsouvent, il y a quelques années, qu’en hiver,dans les petits villages de la Saskatchewan, il

Photo: Archives de la Saskatchewan

Une partie de chinny comme celle-ci était chosecommune dans les communautés francophonesd'autrefois.

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était possible de trouver la plupart des gens àl’aréna de curling, le matin, l’après-midi et lesoir. C’est aussi le cas dans les communautésfransaskoises de l’époque.

Dans le sud-est, à Antler, une patinoire couverteavec place pour le curling est construite en1925. Il en coûte 8 $ pour les gens du village et6 $ à ceux de la campagne pour une saison decurling. «Le premier bonspiel a lieu dans lenouvel aréna, en 1927, avec dix-huit équipes. Lapopularité de ces bonspiels obligent lacompagnie à construire un autre terrain decurling sur le côté est de la patinoire, en1930.»55

Dans bien d’autres communautés, il fautattendre la fin de la deuxième guerre mondialeavant de se doter d’un terrain de curling couvert;Zénon Park (1946), Delmas (1947) etPrud’homme (1956).

Autres sports: Au cours des années, d’autressports connaissent un certain succès dans lescommunautés francophones de laSaskatchewan. Le tennis et le croquet font leurapparition à Debden en 1928. À Antler, il y adeux terrains de tennis qui datent déjà de

plusieurs années: «À un moment il y avait deuxterrains de tennis à l’ouest de la gare du CPR,entre la gare et la maison de l’agent; ils avaientété construits en 1906 et avaient déjà un bongazon en 1909.»56 Le premier terrain de golfd'Antler est construit en 1909. Et, dans cettecommunauté, on joue au basketball dès le débutdes années 1920.

Enfin, il semble y avoir eu un autre sportpratiqué dans toutes les fermes de laSaskatchewan entre le début du siècle et la finde la deuxième guerre mondiale. Il s’agit de la«chasse aux gophers».57 Tous les jeunespratiquent ce sport. Durant la crise économiquedes années 1930, le gouvernement offre mêmeune prime d’un cent la queue.

Dans un article de journal en 1910, dans larégion de Delmas, on encourage même lesfermiers à passer l’hiver à essayer d’inventer unmeilleur piège à gopher. «En 1920, WilfridGiroux et Joseph Poitvin ont inventé le piège àgopher à Ponteix, Sask.»58

Laurier Gareau, dans une chronique de laParlure fransaskoise, a décrit la chasse auxgophers comme suit: «Chaque printemps, à lafonte des neiges et lorsque les petites bêtesapparaissaient de leurs hibernations, nouspartions à la chasse aux “bizaines”.59 Nousattelions le “team”60 sur le “stone-boat”61 etnous nous rendions au Marais de roches (unétang à un demi-mille à l’ouest de la maison)pour remplir d’eau notre gros baril de cinquantegallons. Puis, nous nous rendions dans le“pacage”62 pour faire la chasse aux “bizaines”.Nous nous promenions dans le “pacage”jusqu’à temps de voir une de ces vilaines petitesrongeuses. Puis, nous la poursuivions jusqu’àson trou où la guerre commençait. Nous, lesenfants, nous étions munis de bâtons debaseball, ou de bouts de madrier, tandis quemon père maniait les seaux d’eau. La tactiqueétait bien simple. Mon père vidait seau d’eauaprès seau d’eau dans le trou et lorsque la“bizaine” osait se montrer le nez, nous

Photo: Archives de la Saskatchewan

Le croquet était aussi un sport pratiqué danscertains villages francophones de laSaskatchewan..

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l’assomions avec nos armes. Hélas, nous étionsrarement aussi rapide que la petite bête et ilarrivait neuf fois sur dix qu’elle réussissait às’échapper entre nos jambes. Nous neréussissions pas à en tuer tellement, mais nousavions beaucoup de plaisir à essayer.»63

Enfin, il y a eu une multitude d’autres formes deloisirs au cours des années. Quand il n’y avait

pas de télévision, de Nintendo ou de Game Boypour aider à passer le temps, il fallait bien queles gens trouvent d’autres façons de se divertir.Richard Lapointe et Lucille Tessier ont consacrétoute une section de leur livre, Histoire desFranco-Canadiens de la Saskatchewan, à la viesociale et aux amusements.64 Toutefois, il yaurait encore beaucoup d’autres recherches àfaire sur ce sujet.

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Notes et références

1 Yvon Desautels. — Les coutumes de nosancêtres. — Montréal : Éditions Paulines,1984. — P. 16

2 Ibid., p. 53 Ibid., p. 54 Ibid., p. 95 Ibid., p. 97 Ibid., p. 108 Ibid., p. 119 Ibid., p. 1310 Ibid., p. 1411 Ibid., p. 612 Ibid., p. 713 Ibid., p. 714 Diane Payment. — «Les gens libres -

Otipemisiwak». — Batoche 1870-1930. —Ottawa : Ministère des Approvisionnementset Services Canada, 1990. — P. 56

15 Ibid., p. 5716 À la mode du pays: (on dit aussi à la façon

du pays). Le mariage «à la mode du pays»était un simple contrat verbal entre l’hommeet la femme. Ces mariages étaient légitimesaux yeux de l’Église catholique, à cetteépoque, si le contrat était fait dans unerégion qui ne pouvait pas être visitée par unmissionnaire. Les mariés devaient fairebénir le mariage par un curé le plus tôtpossible.

17 Diane Payment. — «Les gens libres -Otipemisiwak». — P. 57

18 Ibid., p. 5719 Ibid., p. 5820 Ibid., p. 5821 Ibid., p. 6022 Ibid., p. 60-6123 Ibid., p. 6224 Laurier Gareau. — «La Parlure

fransaskoise». — L’Eau Vive. — (15déc.1988). — P. 14

25 Clovis Rondeau, abbé ; Adrien Chabot,abbé. — Histoire de Willow Bunch. —Gravelbourg : Diocèse de Gravelbourg,

1970. — P. 14326 L.W. Park. — «Early French Settlement in

Whitewood and District». — The WhitewoodHerald. — Regina : Archives de laSaskatchewan. — L'original a été publié àWhitewood en oct. 1940. — Traduction. —SHS 228

27 Ibid.28 Ibid.29 Ibid.30 Ibid.31 Ibid.32 Roméo Bédard, abbé. — History of

Montmartre, 1893-1953. — Regina :Archdiocese of Regina, 1953. — Traduction.— P. 24

33 Ibid., p. 2734 Ibid., p. 3435 Chanteclair. — «Qu’avez-vous à dire des

danses?». — Le Patriote de l’Ouest . — (19mars 1914)

36 Denys Bergot — Réminiscences d’unpionnier. — Regina : Archives de laSaskatchewan. — P. 12

37 Marcelin Historical Society. — History ofMarcelin and District. — Marcelin : MarcelinHistorical Society, 1980. — Traduction. —P. 2

38 Léophile Chabot. — Entrevue. — Regina :Archives de la Saskatchewan. — (Collectiondu ministère de la Culture et des Loisirs). —R-5191 ; R-5192

39 Léonie-Louise Labrèche. — Entrevueréalisée par Claudette Gendron. — Regina :Archives de la Saskatchewan. — R-5158

40 René Béchard. — Entrevue réalisée parClaudette Gendron. — Regina : Archives dela Saskatchewan. — R-5179

41 Irma Privé. — Entrevue réalisée parClaudette Gendron. — Regina : Archives dela Saskatchewan. — R-5157

42 Roland Gaudet, abbé. — Saint Isidore deBellevue, 1902-1977. — Bellevue : Roland

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Gaudet, 1977. — P. 1243 Ibid., p. 1344 «Gravelbourg». — Le Patriote de l’Ouest. —

(16 janv. 1918). — P. 345 Gravelbourg Historical Society. — Heritage,

Gravelbourg - District, 1906-1985. —Gravelbourg : Gravelbourg HistoricalSociety, 1987. — P 396

46 «Sainte-Marthe». — Le Patriote de l’Ouest.— (16 janv. 1918). — P. 3

47 «Delmas». — Le Patriote de l’Ouest. — (23janv. 1918). — P. 3

48 Ibid., p. 349 «L’Hirondelle de Ponteix». — Le Patriote de

l’Ouest. — (20 févr. 1918). — P. 1050 Antler and District History Committee. —

Footprints in the Sands of Time. — Antler :Antler and District History Committee, 1983.— Traduction. — P. 187

51 Zenon Park History Book Committee. —Yesterday-Hier, Today-Aujourd’hui, ZenonPark 1910-1983. — Zenon Park : ZenonPark History Book Committee, 1983. —Traduction. — P. 69

52 Le Livre Historique. — Écho des pionniers1912-1985, Histoire de Debden et district. —Debden : Comité du Livre historique deDebden et district, 1985. — P. 55

53 Aréna: patinoire qu’on connaît au Canada(amphithéâtre couvert pour les sportsd’hiver), différente de l’arène (la partiesablée pour les jeux et les combats) de

l’Europe.54 Zenon Park History Book Committee. —

Yesterday-Hier, Today-Aujourd’hui, ZenonPark 1910-1983. — Traduction. — P. 71

55 Antler and District History Committee. —Footprints in the Sands of Time. —Traduction. — P. 196

56 Ibid., p. 19357 Gopher: «Spermophile: n.m. zoologie. Petit

rongeur voisin de la marmotte, à abajouesvolumineuses, qui vit dans des terriers où ilentasse des graines.»

58 Delmas History Book Committee. —Delmas, A Harvest of Memories. —

Delmas : Delmas History Book Committee,1990. — Traduction. — P. 422

59 Bizaine: nom utilisé dans la région deBellevue au lieu de gopher.

60 Team: deux chevaux attelés à une voiture,une charrue.

61 Stoneboat: traîneau rudimentaire utilisé pourtransporter des pierres ou du fumier.

62 Pacage: pâturage.63 Laurier Gareau. — «La parlure

fransaskoise». — L' Eau vive. — (27 avr.1989). — P. 14

64 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. —Histoire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — Regina : Sociétéhistorique de la Saskatchewan, 1986. —P. 190-201

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Bibliographie

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Enregistrements sonores:

Chabot, Léophile. — Entrevue. — Regina : Archives de la Saskatchewan. — (Collection du ministèrede la Culture et des Loisirs). — R-5191 ; R-5192

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Labrèche, Léonie-Louise. — Entrevue réalisée par Claudette Gendron . — Regina : Archives de laSaskatchewan. — R-5158

Béchard, René. — Entrevue réalisée par Claudette Gendron. — Regina : Archives de laSaskatchewan. — R-5179

Privé, Irma. — Entrevue réalisée par Claudette Gendron. — Archives de la Saskatchewan. —R-5157

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Les Fransaskois et le système scolaire

Tout au long de l’histoire de la Saskatchewan, l’éducation a été la cause de nombreux conflits entrefrancophones et anglophones. Continuellement, les francophones de la Saskatchewan ont dû sebattre pour que leurs enfants soient éduqués en français. À certains moments, le français ne pouvaitêtre enseigné qu’une heure par jour, et pendant plus de 40 ans, c’est l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan qui va préparer les cours et les examens de français. Aujourd’hui, lalutte pour améliorer la qualité de l’enseignement du français se poursuit toujours.

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Chronologie des lois scolaires enSaskatchewan

Afin de mieux comprendre l'histoire de la luttepour le droit à l'enseignement en français enSaskatchewan, voici une chronologie des loisscolaires de la province. Les renseignementssont basés sur le document préparé par MeRoger Lepage pour présentation en cours duBanc de la Reine en 1985.

1875 - Acte des Territoires du Nord-Ouest (ilreconnaît aux habitants du Nord-Ouest le droitde créer des écoles publiques et séparées);

1884 - Ordonnance des Écoles (cette ordon-nance semble être en vigueur jusqu’en 1918quoiqu’il y ait eu de nombreux amendements aufil des ans);

1905 - Loi sur la Saskatchewan (rien n’est prévudans cette loi quant à la langue d’enseignement)

1918 - Loi des écoles (cette loi prévoit que lescours de première année pourront êtredonnésen français et qu'il y aura une heure defrançais par jour pour les autres années). La Loides écoles semble être en vigueur jusqu’en1978 quoiqu’il y ait eu de nombreuxamendements, dont ceux de 1929 à 1931;

1978 - Loi scolaire (cette loi autorise la créationd'écoles désignées).

L'enseignement du français avant 1905

Lorsque Louis Riel et le Conseil provisoire de laRivière-Rouge dressent la liste des droits des

Métis en 1870, ils demandent, comme conditiond’entrée dans la Confédération canadienne, lestatut de langues officielles, tant pour l’anglaisque pour le français, au palais législatif et dansles cours de justice. Ce statut de langues offi-cielles, les Métis de la Terre de Rupert le reven-diquent également en matière d’éducation; ilsveulent le droit à l’enseignement du français,comme de l’anglais, et aussi le droit à leursécoles confessionnelles (catholiques ou protes-tantes).

Pour Riel et ses partisans, en matière d’éduca-tion, le statut de langues officielles devait toutsimplement venir reconfirmer un droit accordédès le début du XIXe siècle par la Compagniede la Baie d’Hudson. «Dans deux documentsnotamment, un de 1813 et un autre de 1836émanant de la Compagnie de la Baie d’Hudson,il est prescrit de dispenser l’enseignement auxenfants dans leur langue maternelle “whetherEnglish or French”.»1

Bien sûr, il n’existait pas beaucoup d’écolesdans le Nord-Ouest à cette époque. La Compa-gnie de la Baie d’Hudson n'était préoccupée quede l’enseignement donné aux enfants de sesemployés. Quant aux Métis et aux Indiens, c’estl’Église qui devait leur fournir un enseignement,en français ou en anglais.

À la Rivière-Rouge, les abbés Provencher etDumoulin, les deux premiers missionnaires de larégion, commencent à enseigner le catéchisme,puis l’alphabet, dès leur arrivée en 1818. Unepremière école est fondée à Pembina par l’abbéDumoulin vers 1820 ou 1821. Puis, lorsquel’abbé Provencher s’établit en permanence àSaint-Boniface quelques années plus tard, il

Chapitre un

Les Français et l’enseignement avant 1905

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s'occupe d’ouvrir une école pour garçons, puisune pour filles: «L’événement le plus marquantde cette année-là reste cependantl’aboutissement des démarches entreprises en1924 pour mettre sur pied une école de filles.Angélique et Marguerite Nolin viennent en effets’établir à Saint-Boniface, où elles ouvrent lesportes d’une école de filles au mois de janvier1929.»2

Cette école pour filles ne semble exister quequelques années, car en 1844, les Soeurs gri-ses sont appelées à reprendre le travail desdemoiselles Nolin. «Le 11 juillet 1844, troissemaines après que les Soeurs grises eurentatteint la rivière Rouge, elles ouvrirent l’écolepour filles que Mgr Provencher voulait depuis silongtemps.»3

Les Frères des écoles chrétiennes viennentensuite appuyer le travail des Soeurs grises àSaint-Boniface. Louis Riel, par exemple, reçoitson éducation tant des Soeurs grises que desFrères des écoles chrétiennes. «Louis com-mença l’école à l’âge de sept ans. Il fréquentad’abord l’institution des Soeurs grises, à Saint-Boniface. Lorsque les Frères des Écoles Chré-tiennes ouvrirent une nouvelle école, il y futenvoyé.»4

S’il y a des écoles à la Rivière-Rouge dès 1820,la situation est toute autre dans la région quideviendra en 1905 la province de laSaskatchewan. Avant l’adoption de l’Acte desTerritoires du Nord-Ouest en 1875, les seulesécoles existantes en Saskatchewan sont lesécoles des missions. Les Soeurs grises, parexemple, ont fondé, dès 1860, une école à l’Île-à-la-Crosse. «Saint-Jean-Baptiste de l’Île-à-la-Crosse, la plus ancienne de toutes, où résidentdeux prêtres avec trois frères convers et autantde soeurs grises. Celles-ci avaient sous leurdirection une école pour les filles et un orpheli-nat pour les garçons.»5

D’autre part, les missionnaires oblats enseignentsouvent eux-mêmes le catéchisme, et parfois

l’alphabet, aux jeunes Métis de la Montagne deBois, de la Montagne de Cyprès, de la PrairieRonde (Dundurn), de la Petite Ville (le clanDumont s’établit à cet endroit au sud de Batocheen 1868) et de Saint-Laurent de Grandin.

Mais puisque les Métis et les Indiens sont despeuples nomades, il ne semble pas y avoird’école formelle dans ces régions avant le débutdes années 1870.

L’école de la mission de Saint-Laurent deGrandin

Les pères Alexis André, o.m.i, et VitalFourmond, o.m.i, ouvrent une première école àSaint-Laurent de Grandin en 1875. L’enseignantest Norbert Larence, un ancien surintendant destravaux publics sous le gouvernementd’Assiniboia (Compagnie de la Baie d’Hudson)et juge de paix dans le gouvernement provisoirede 1869-1870 à la Rivière-Rouge. Le pèreFourmond écrit à propos de cette premièreécole: «Ces petits enfants font vraiment laconsolation de leur Majesté par leur bonnetenue et leur bonne volonté. Déjà par leur zèle àchanter, ils relèvent dignement la solennité denos offices.»6 Le père Fourmond ne précise passi les jeunes apprennent à lire et à écrire. Ilschantent bien à la messe et le curé est heureux.

Le 17 juillet 1881, Mlle Onésime Dorval quitte leLac Sainte-Anne près d’Edmonton, en compa-gnie de sa protégée Marie Darmour et de MgrVital Grandin, évêque de Saint-Albert, pour serendre à la mission de Saint-Laurent de Grandincomme enseignante. Ils arrivent tous les trois àSaint-Laurent le 26 juillet, mais le curé de lamission, le père Vital Fourmond, o.m.i., ne sem-ble pas les attendre si tôt. Selon Mlle Dorval, «lepauvre père Fourmond... était à blanchir à lachaux l’église et le presbytère, accoutré pour lacirconstance.»7 À son arrivée, Mlle Dorvaldécouvre «une bien pauvre petite église, trèsbasse faisant suite à la maison du père, sansaucun confort; l’austère pauvreté règnait partout;

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pas loin de l’église une misérable masure ser-vant de cuisine, de classe, de réfectoire.»8

Malgré la pauvreté qui règne dans la mission,Mlle Dorval se met à la tâche. Elle ouvre l’écoleet y accueille ses premiers élèves. «MgrGrandin nous a amené une excellente institu-trice dans la personne de Mlle Onésime Dorvaldont le savoir égale le dévouement. 8 pension-naires, 3 petits garçons et 5 petites filles sontnourris à la mission. 30 enfants sont inscrits surles registres avec promesse de les envoyer àl’école toute l’année, ce qui n’a pas été faitjusqu’ici. Il ne nous manque qu’un logement plusconvenable.»9

Afin de comprendre cette citation, il faut connaî-tre le mode de vie des Métis. Le clergé essaiede les convaincre d’abandonner leur mode devie nomade et de s’établir dans des fermes lelong de la rivière Saskatchewan-Sud. Toutefois,les Métis sont toujours des chasseurs de bisonet des fréteurs et lorsqu’ils quittent la mission, ilsemmènent avec eux leur femme et leurs en-fants. Même s’ils ont promis de laisser leursenfants à l’école toute l’année, il est possibleque certains ne soient pas encore revenus de lachasse annuelle ou bien que, partis de FortGarry, ils soient sur le chemin du retour avecplusieurs charrettes de provisions.

1875: Acte des Territoires du Nord-Ouest

L’arrivée des Blancs, Français et Anglais, à la findu XIXe siècle va enfin mener à l’établissementde lois pour gérer les écoles. Ces lois ne serontpas toujours favorables aux francophones.

Lorsque l’Acte des Territoires du Nord-Ouest estadopté en 1875, il prévoit des dispositions pourla création de districts scolaires. «... il y seratoujours pourvu qu’une majorité de contribua-bles d’un district ou d’une partie des Territoiresdu Nord-Ouest, ou d’aucune partie moindre ousubdivision de tel district ou partie, sous quelquenom qu’elle soit désignée, pourra y établir telles

écoles qu’elle jugera à propos, et imposer etprélever les contributions ou taxes nécessairesà cet effet...»10 Les Canadiens français catholi-ques peuvent aussi créer des districts scolairesséparés où leur langue et leur foi feront partie duprogramme d’enseignement.

Le premier district scolaire public catholique desTerritoires du Nord-Ouest est mis sur pied àBellevue en 1885. «Que l’arrondissement com-posé des Sections vingt-quatre, vingt-cinq ettrente-six, et de telles parties des Sections vingt-trois, vingt-six et trente-quatre non comprisesdans la réserve des sauvages, connue sous lenom de la “Réserve du chef sauvage Une Flè-che” dans le Township quarante-trois au Rangvingt-huit...»11 Il existe quatre écoles publiquescatholiques en 1885, à Duck Lake, Bellevue,Saint-Louis et Saint-Laurent.

L’année précédente, le Conseil des Territoiresavait établi un système scolaire semblable àcelui du Québec et avait mis sur pied un Conseilde l’Instruction publique. «L’Ordonnance Sco-laire du 6 août 1884 instaurait un “Conseil del’Éducation”, subdivisé en une Section Protes-tante et une Section Catholique, comptant cha-cune six membres nommés par le Lieutenant-gouverneur en Conseil.»12

Chacune des deux sections du «Conseil del’Éducation» a la responsabilité d’administrerses écoles, d’accréditer son personnel ensei-gnant, d’accorder des diplômes aux ensei-gnants, de choisir les manuels scolaires et denommer des inspecteurs d’écoles. C’est MlleOnésime Dorval qui reçoit le premier certificatd’enseignement du district de la Saskatchewande la section catholique du Conseil de l’Éduca-tion des Territoires du Nord-Ouest. Elle devientainsi la première institutrice reconnue de laSaskatchewan.

En 1886, le gouvernement des Territoires duNord-Ouest adopte une nouvelle ordonnancequi réglemente pour la première fois l’enseigne-ment du français. Selon ces règlements, les

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commissaires d’un district scolaire ont le droit de«permettre l’enseignement du français à l’élé-mentaire». Dorénavant, l’anglais est la seulelangue d’enseignement officielle des Territoires,mais il est permis d’enseigner en français àl’élémentaire.«Ainsi donc, la première fois que lefrançais est mentionné dans une OrdonnanceScolaire comme une langue d’enseignement“permise”, c’est pour en réduire l’importance.»13

Deux ans plus tard, de nouveaux règlementslimitent à nouveau l’enseignement du françaisdans les Territoires. En effet, en 1888, uneordonnance déclare que les commissaires detoutes les écoles devront s’assurer «qu’un coursprimaire soit offert en anglais».14 Il n’est mêmepas question du français dans cette ordonnance.De plus, la composition du «Conseil de l’Éduca-tion» est changée par l’ordonnance scolaire de1888. «En effet, la participation des membres duConseil de l’Éducation des Territoires du Nord-Ouest est établie à trois catholiques, mais à cinqprotestants.»15

Jusqu’à présent, les Canadiens français nesemblent pas avoir réagi avec trop de vigueuraux différents changements apportés par le

gouvernement des Territoires du Nord-Ouest.Ce ne sera pas le cas avec l’ordonnance adop-tée en décembre 1892. «En effet, cette Ordon-nance supprimait le Conseil de l’Éducation, etles deux Sections qui le composaient. Cettemesure retirait donc complètement aussi auxdeux directeurs, protestants et catholiques, ledroit d’administrer leurs écoles. À leur place étaitinstitué un Comité de l’Instruction Publique,composé des membres du Comité Exécutif duConseil des territoires, et de quatre personnes,soit deux Catholiques et deux Protestants, nom-més par le Lieutenant-gouverneur, mais sansdroit de vote.»16

L’ordonnance de 1892 restaurait le cours pri-maire en français qui avait été permis jusqu’en1888, et permettait aussi l’enseignement d’uncours de religion, pourvu que ce cours soitdonné durant la dernière demi-heure de la jour-née. Mais ce qui choque particulièrement lesCanadiens français, et leur clergé, c’est la pertedu droit d’administrer les écoles. «Au plan reli-gieux également, la situation était sérieusementcompromise, puisque les catholiques avaientperdu le contrôle de leurs écoles.»17 L’ordon-nance de 1892 reste en vigueur jusqu’en 1896.

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Chapitre deux

L’éducation en Saskatchewan jusqu’en 1940

En 1905, lors de la création de la province de laSaskatchewan, la loi ne prévoit aucune nouvelledisposition au sujet de l’éducation française. «Le21 février 1905, Sir Wilfrid Laurier, Premierministre du Canada, déposa en première lectureles projets de loi décrétant l’autonomie des deuxnouvelles provinces. Le paragraphe 2 de l’article16 original du Projet de Loi No 70 prévoyait lerespect des principes et traditions inscrits dansl’Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1875.»18

Cet article crée des divisions au sein du cabinetlibéral et Wilfrid Laurier se voit obligé de retirercette clause.

La nouvelle Loi sur la Saskatchewan prévoitseulement «le droit d’établir des écoles sépa-rées, non confessionnelles, sujettes aux règle-ments du Ministère de l’Éducation.»19 Toutefois,pour l’archevêque de Saint-Boniface, MgrLangevin, cette décision est décevante. «Lemaintien d’un système d’écoles séparées nonconfessionnelles dans les deux provincesnouvellement créées, fut un objet de crueldésappointement pour Mgr Langevin, aux yeuxduquel “écoles neutres” et “écoles sans Dieu,”étaient synonymes.»20

Pour la communauté de langue française de lanouvelle province, la Loi sur la Saskatchewanveut dire qu’ils ont toujours le droit d’avoir uncours primaire en français. «Ils ne pouvaientd’ailleurs s’attendre à obtenir davantage, mêmed’un gouvernement bien disposé à leur égard,car ils ne faisaient figure, ni d’une force politiquepuissante, ni d’un groupe de pression in-fluent.»21

Entre 1905 et 1917, il y a une pénurie d’ensei-gnants de langue française en Saskatchewan.Toutefois, l’Association catholique franco-cana-dienne de la Saskatchewan n’est fondée qu’en1912, et pendant les premières années elle n’amême pas de personnel, elle n’est même pas aucourant de cette pénurie. «Nous manquionsd’instituteurs, d’institutrices, mais comme nousn’avions pas de secrétariat permanent, pas destatistiques officielles, nous ne réalisions pas dutout l’étendue du mal.»22

À cause de cette pénurie d’enseignants delangue française, les Canadiens français de laSaskatchewan se voient obligés de fermerplusieurs de leurs écoles françaises en 1917.Pour cette raison, les dirigeants de l’ACFCdécident cette année-là de se joindre à leursconfrères du Manitoba et de l’Alberta pour for-mer l’Association Interprovinciale. «Le nouvelorganisme recrutait des enseignants bilinguesau Québec et en Ontario en plus d’assurer leurentretien pendant un séjour obligatoire à l’écolenormale de la Saskatchewan. L’AI accordaitaussi des prêts aux jeunes Franco-Saskatchewanais qui suivaient les cours d’uneécole normale au Québec ou en Saskatchewan.Elle jouait le rôle de “bureau de placement” entenant à jour la liste des postes libres et en sechargeant de la correspondance avec les institu-teurs intéressés par l’un ou l’autre des pos-tes.»23

L’Association Interprovinciale existe jusqu’en1925, date à laquelle elle devient le comitéd’éducation de l’ACFC.

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1918: Amendements à la Loi des écoles

Jusqu’au début de la Première Guerre mondiale,en 1914, il ne semble pas y avoir de tensionouverte entre francophones et anglophones ence qui concerne les écoles de la province. Tou-tefois, avec la guerre de 14-18, les relationsentre francophones et anglophones changent enSaskatchewan. Des organismes comme laSaskatchewan Grain Growers, la SaskatchewanSchool Trustees Association et la SaskatchewanAssociation of Rural Municipalities demandentouvertement qu’on interdise l’usage des languesétrangères dans les écoles de la province.

Ces groupes s’en prennent surtout aux Alle-mands, mais les Canadiens français n’y échap-pent pas, en grande partie à cause de l’opposi-tion des Canadiens français du Québec à laconscription et aux efforts de guerre. Dans sesmémoires, Raymond Denis raconte l’atmos-phère qui règne dans la province à cette épo-que: «Nous ne pouvions pas assister à uneassemblée quelconque sans entendre crier “lesFrenchmen dans Québec” et dans toutes lesréunions, commissaires d’écoles, personnelenseignant, même chez les “Grain Growers” onn’entendait qu’un cri qui était devenu un slogan:“Une langue, une école, un drapeau”, c’est-à-dire la langue anglaise, l’école anglaise et ledrapeau anglais.»24

La contestation anglophone s’amplifie et aucongrès de la Saskatchewan School TrusteesAssociation à Saskatoon en 1918, les déléguésdemandent que l’anglais soit la seule langued’enseignement en Saskatchewan. À la suite dece congrès, le gouvernement libéral de WilliamMartin décide d’adopter un amendement à la Loides écoles. Martin est premier ministre et minis-tre de l’Instruction publique. «Le Gouvernementlibéral, dirigé par l’Honorable M. Martin, gouver-nement qui, jusque-là, s’était montré plutôttolérant, changea brusquement d’attitude etannonça qu’il allait soumettre à la législature unprojet de loi qui allait régler une fois pour toutesla question des écoles.»25

Bientôt les Canadiens français apprennent quel’amendement Martin vise à limiter l’usage dufrançais dans les écoles. «L’enseignement neserait plus donné qu’en anglais dans toutes lesécoles, bien que les commissions scolaires aientencore eu le droit d’autoriser l’enseignementd’une heure de français par jour.»26

Les francophones s’organisent; menés par MgrMathieu de Regina, ils réussissent à convaincrele gouvernement Martin de modifier sonamendement pour permettre l’enseignement dela première année en français ainsi qu'uneheure par jour dans les autres classes.

Pour le jeune Raymond Denis, ce compromisest inacceptable. Il veut continuer la bataillecontre le gouvernement et la SaskatchewanSchool Trustees Association dans l’espoir quel'on fasse une distinction entre la langue fran-çaise et les autres langues étrangères. MgrMathieu doit lui rappeler qu’au Manitoba et enOntario, les francophones ont voulu tout avoir etont fini par ne rien avoir du tout. Denis acceptela logique de l’Archevêque de Regina. «J’étaisjeune dans ce temps-là, à peine 33 ans, d’hu-meur plutôt batailleuse, mais j’avais une con-fiance profonde dans le jugement de MgrMathieu et je m’inclinai.»27

Avant même l’adoption de l’amendement Martin,et à la suite des déboires du congrès de laSaskatchewan School Trustees Association àSaskatoon en 1918, les Franco-Canadiens de laSaskatchewan décident de fonder une nouvelleassociation. Jusqu’à cette rencontre, les com-missaires d’école franco-canadiens avaienttoujours travaillé avec leurs confrères anglopho-nes.

Mais à la suite du congrès de 1918, les commis-saires francophones décident qu’ils n’ont plusrien à gagner en restant membres de laSaskatchewan School Trustees Association. Ilsdécident de fonder leur propre association. Troishommes sont responsables de la mise sur pied

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de l’Association des commissaires d’écolefranco-canadiens de la Saskatchewan (ACEFC).

Un soir, Raymond Denis se rend à l’atelier duPatriote de l’Ouest à Prince Albert pour discuterde la situation des écoles avec le père Achille-Félix Auclair, o.m.i., directeur du journal etDonatien Frémont, journaliste. Sans consulterles autres commissaires, les trois hommesnomment un comité provisoire: Émile Gravel deGravelbourg est nommé président et RaymondDenis est nommé secrétaire général. Fait inté-ressant à noter, aucun des commissaires nom-més membres du comité à cette réunion nerefuse sa nomination. Les autres membres dupremier comité de l’ACEFC sont SiméonDucharme de Saint-Victor, Jean Haran deForget, Jules Casgrain de Prince Albert,Théodule Lalonde de Zénon Park, CharlesHandfield de Storthoaks, Raymond Leducd’Assiniboia, René Rosy de Laflèche et J.A. Royde Delmas.

Le premier congrès de l’Association des com-missaires d’école franco-canadiens de laSaskatchewan a lieu en 1919 à Regina.L’ACEFC existera jusqu’au début des années1980, date à laquelle elle deviendra la Commis-sion des écoles fransaskoises, qui deviendraplus tard l’Association provinciale des parentsfransaskois. À partir des années 1930, les com-missaires francophones travailleront étroitementavec les commissaires anglophones catholi-ques.

Entre 1918 et 1928, les Franco-Canadiens de laSaskatchewan font tout ce qu'ils peuvent pouraméliorer leurs écoles. En 1925, l’ACFC com-mence à organiser un «Concours de français».Nous reparlerons de ce concours dans un autredocument.

1929: Élection de J.T.M. Anderson

À la veille de la crise économique des années1930, un nouvel élément vient menacer l’ensei-

gnement du français. Vers 1927, le Ku Klux Klanfait son apparition en Saskatchewan. Le Klanmène une campagne vigoureuse contre «l’en-seignement du français, le port de l’habit reli-gieux et la présence de crucifix dans les éco-les.»28

Les Canadiens français comprennent alors qu’ily aura d’autres attaques contre l’enseignementdu français dans les écoles de la province. En1917, l’ACFC a recommandé au gouvernementde la Saskatchewan d’utiliser les manuels sco-laires Roch Magnan pour l’enseignement dufrançais. Ce n’est qu’en 1920 que le gouverne-ment accepte enfin ces manuels de lecture,mais, en 1926, certains anglophones s’opposentà leur utilisation. «À la rentrée des classes en1926, le gouvernement reçut plusieurs plaintesau sujet des manuels de lecture Magnan,agréés quelques années plus tôt. Ces manuels,avançait-on, étaient trop “sectaires” et ils conte-naient des passages tendant à favoriser ouver-tement l’idéologie catholique.»29

Le Ku Klux Klan commence à recruter ouverte-ment de nouveaux membres et la «gent desencapuchonnés»30 a beaucoup de succès dansle sud de la province. Lorsque l’ACFC demandeau gouvernement, en 1927, de créer une Écolenormale dans la province pour la formationd'enseignants bilingues, le Ku Klux Klan mèneune campagne vigoureuse contre cette requête.

L’ACFC s’unit alors aux libéraux de laSaskatchewan pour essayer de discréditer lespropos des Klansmen. «Le premier ministrelibéral James Gardiner, en même temps ministrede l’Instruction publique, et le président del’ACFC, Raymond Denis, firent valoir certainspoints chacun de leur côté.»31

On révèle, entre autres, qu’environ 50 jeunesanglophones, seulement, utilisent les manuelsMagnan, comparativement à 8 000 jeunes Ca-nadiens français. Quant à la demande du KKKrequérant qu’on enlève les crucifix et autresimages religieuses des écoles, l’ACFC et le

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gouvernement répondent que cette question decrucifix ne concerne qu'une douzaine de districtsscolaires sur les 4 800 de la province.

Toutefois, toutes les protestations de l’ACFC etdu gouvernement Gardiner ne réussissent pas àmodérer l’élan des Klansmen. Ils s’associentavec les conservateurs, dirigés par JamesThomas Milton (J.T.M.) Anderson, et lesprogressistes. Aux élections de 1929, les libé-raux de James Gardiner subissent une défaite etles conservateurs prennent le pouvoir, appuyéspar les progressistes.

Anderson ne tarde pas à supprimer les droitsdes francophones. En septembre 1929, quel-ques mois seulement après les élections, ilabolit l’échange des brevets d’enseignementavec le Québec. Cette décision rend presqueimpossible le recrutement d’enseignants franco-phones pour les écoles de la province.

En décembre de la même année, le gouverne-ment annonce que le catéchisme ne sera, doré-navant, enseigné qu'en anglais. Le premierministre Anderson permettra, toutefois, auxfrancophones d’enseigner le catéchisme enfrançais pendant une demi-heure, si la classe alieu après la fermeture officielle de l’école à troisheures et demie.

Cependant, le gouvernement n’a pas encore finide harceler les Franco-Canadiens de laSaskatchewan. Le Bill 1 est déposé en février1930. Ce projet de loi interdit l’affichage dessymboles religieux et le port de l’habit religieuxdans les écoles publiques de la Saskatchewan.Le gouvernement Anderson veut aussi abolir ledroit d’enseigner en première année en français.En 1918, en plus d’avoir obtenu le droit à l’en-seignement du français pendant une heure parjour, les Franco-Canadiens de la Saskatchewanavaient également obtenu que l’enseignementen première année se fasse uniquement enfrançais. «Le 9 mars 1931, un projet de loi sup-primant le cours primaire en français étaitadopté en troisième lecture à l’Assemblée légis-lative de Regina. Désormais, le français nepouvait plus s’enseigner que comme matièred’étude à raison d’une heure par jour.»32

Même s’ils protestent ardemment contre cesmesures, les Franco-Canadiens de laSaskatchewan ne réussissent pas à faire chan-ger d’idée le gouvernement Anderson. De plus,ils ne sont pas un groupe suffisamment fort pourconduire les conservateurs à la défaite. Toute-fois, c’est la grande crise économique des an-nées 30; le gouvernement Anderson n’y peutrien et il perd les élections de 1934. Les libérauxreviennent au pouvoir et le premier ministreJames Gardiner accepte d’éliminer certainsrèglements imposés par ses prédécesseurs.

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Chapitre trois

Vers une école fransaskoise

Malgré les tentatives de la SaskatchewanSchool Trustees Association (1918) et du KuKlux Klan (1929) pour éliminer complètementl’enseignement du français en Saskatchewan, etdonc mener à l’assimilation des Franco-Cana-diens de la Saskatchewan, la communauté delangue française demeure stable jusqu’à la finde la Seconde Guerre mondiale. Au début desannées 1940, les Franco-Canadiens de laSaskatchewan sont environ 50 000.

Ils peuvent survivre en Saskatchewan en grandepartie parce qu’ils se trouvent encore dans desvillages isolés, comme Bellevue et Ferland etqu'il y a encore une forte population franco-phone dans des endroits comme Prud’homme etGravelbourg. Mais ce qui est encore plus impor-tant, pour leur survivance, c’est que les Cana-diens français contrôlent encore plusieurs deleurs districts scolaires.

En 1926, par exemple, il y a, dans la province,133 écoles où le cours primaire est offert enfrançais et où il y a une heure de français parjour de la 2e à la 7e année. Les Franco-Cana-diens peuvent donc dire qu’ils contrôlent jusqu’à133 écoles au temps du KKK. Malgré les tentati-ves du gouvernement Anderson, cette situationn’a pas tellement changé au début de la guerre.L’élection du parti CCF en 1944 va changer toutça.

1944: Le CCF et les grandes unités scolaires.

Depuis plusieurs années, on parle souvent enSaskatchewan d’abandonner le système despetits districts scolaires pour centraliser lesécoles et créer de grands districts, ou commis-sions scolaires. Même s’il en est question, le

gouvernement libéral au pouvoir dans la pro-vince ne fait rien quant à cette recommandation.

En 1944, il se produit un événement qui pousseplusieurs Franco-Canadiens de laSaskatchewan à se demander s’ils veulentcontinuer à appuyer leur allié traditionnel, le partilibéral de la Saskatchewan. Cette année-là, desreprésentants des associations francophones duManitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta serendent devant les gouverneurs de Radio-Ca-nada, à Montebello au Québec, pour demanderdes licences pour exploiter quatre stations deradio française dans l’Ouest canadien. Le Bu-reau des gouverneurs accorde une seule li-cence, celle de CKSB à Saint-Boniface.

Un des anciens chefs francophones de laSaskatchewan, Raymond Denis, employé de-puis 1935 par la Compagnie d’assurance laSauvegarde à Montréal, est irrité par cette déci-sion. Il blâme les libéraux qui sont au pouvoir,tant à Ottawa qu’en Saskatchewan. EnSaskatchewan, les libéraux de W.J. Pattersondoivent tenir une élection provinciale et pour lapremière fois en dix ans, un parti menace deleur enlever le pouvoir. Il s’agit de laCooperative Commonwealth Federation (CCF)dirigée par T.C. Douglas.

«Traditionnellement, les Franco-Canadiens de laSaskatchewan votent libéral. Pour cette raison,Patterson demande à Raymond Denis de reve-nir en Saskatchewan faire la cabale pour sonparti. Denis reçoit cette demande de Pattersonquelques jours après la décision du Bureau desgouverneurs de Radio-Canada concernant lespostes de la Saskatchewan.»33

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Raymond Denis refuse de venir faire la cabalepour le parti libéral de la Saskatchewan, maisbien d’autres Franco-Canadiens, comme l’abbéMaurice Baudoux de Prud’homme, pensent qu'ilfaut continuer d’appuyer ce parti contre la CCF.«Il craint l’avènement du parti socialiste-démo-crate parce que “dans le domaine scolaire (pourne parler que de celui-là) les tendances de ceparti sont à la centralisation à outrance et que lesystème de grandes unités auquel le gouverne-ment actuel n’a donné jusqu’ici qu’une adhésionde principe, serait tôt réalisé advenant la prisede pouvoir par la CCF.»34

Mais encore une fois, les Franco-Canadiens dela Saskatchewan ne forment pas un groupesuffisamment puissant pour empêcher l’électionde T.C. Douglas et de son parti en 1944. Lenouveau gouvernement implante, au cours desannées suivantes, un système de grandes uni-tés scolaires, ce qui veut dire la disparition despetites écoles de campagne et la pertesubséquente d’influence des francophones surl’enseignement.

«En 1944, dans le cadre de la campagne deregroupement des arrondissements en unitésplus étendues, le district de Lacadia n° 290 futrattaché à la Grande Unité Scolaire de Radville.L’école de Lacadia ferma ses portes à l’été de1955 et les élèves suivirent dorénavant leurscours à l’école régionale de Radville..»35

Les francophones perdent le contrôle de leursécoles car ils sont invariablement en minoritédans les grandes écoles centralisées, sauf dansquelques cas comme à Bellevue, à Zénon Park,à Gravelbourg et à Bellegarde. «Le quart desiècle qui s’écoula entre la mise en vigueur duplan de régionalisation et le retour aux écolesbilingues au début des années 1970 fut l’un deceux où l’on enregistra le plus haut tauxd’assimilation. Le désir de se fondre dans lamajorité anglaise côtoyée quotidiennement àl’école régionale poussa plus d’un jeune à dé-laisser sa langue maternelle.»36

La loi des écoles de 1969 et les écoles dési-gnées

Entre 1944 et 1964, les Franco-Canadiens de laSaskatchewan voient leurs écoles de campagnedisparaître et leurs enfants assimilés par unrégime centralisateur. L’Association catholiquefranco-canadienne de la Saskatchewan poursuitson travail de revendication auprès du gouver-nement provincial pour obtenir le droit, nonseulement d’enseigner le français, mais le droitd’enseigner en français. En 1958, le ministèrede l’Éducation reconnaît pour la première fois leprogramme de français de l’ACFC et accorde uncrédit pour ce cours. Auparavant, les jeunesfrancophones devaient passer l’examen de«French» pour prouver leur compétence enfrançais au gouvernement de la Saskatchewan.Malgré cette reconnaissance, l’Associationcatholique franco-canadienne de laSaskatchewan continue de s'occuper des coursde français et à faire passer les examens,comme elle l’a fait depuis 1925.

Au printemps 1965, des parents francophonesde Saskatoon annoncent qu’ils vont retirer leursenfants de l’école, le 14 avril, pour protestercontre l’article 203 de la Loi des écoles. Cetarticle déclarait que l’anglais était la seule lan-gue d’enseignement et que les parents pou-vaient obtenir pour leurs enfants jusqu’à uneheure de français par jour. «Cette décision est lerésultat immédiat des refus répétés par la Com-mission scolaire de mettre à la disposition desenfants canadiens français, les miettes culturel-les qui leur sont accordées par la loi actuelle-ment.»37

C’est une des premières fois qu’on parle devaleur culturelle canadienne-française dans ledébat des écoles. Afin de régler cette situation,le nouveau gouvernement libéral de RossThatcher met sur pied la Commission d’enquêteTait. Le rapport de cette commission d’enquêterecommande que le gouvernement permette etencourage l’enseignement du français, de l’alle-mand et de l’ukrainien.

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À la suite de ces recommandations, le gouver-nement Thatcher adopte des modifications à laLoi des écoles en 1967 et 1968. Auparavant, en1966, le gouvernement avait embauché un«Supervisor of French instruction». Le premiersuperviseur est Éric Poliquin de Regina. Ceposte de «Supervisor of French instruction» seratransformé en 1980 en Bureau de la minorité delangue officielle (BMLO).

C’est en 1968 qu’est adopté un amendement quipermettra la création d’écoles désignées. «LeLieutenant-gouverneur peut désigner des écolesoù le français peut être enseigné ou utilisécomme langue d’enseignement pour des pério-des d’une journée que les règlements lui per-mettront d’accorder.»38 Le ministère de l’Éduca-tion prend aussi en main le cours de français del’ACFC et offre maintenant deux crédits pour le«français avancé», anciennement francais del’ACFC.

Les Canadiens français transforment alors leursécoles en écoles désignées. Dans certainesrégions, les parents francophones rencontrentdes difficultés parce que certaines commissionsscolaires ne veulent pas respecter la Loi desécoles et créer une école désignée. C’est le casà Willow Bunch, à Debden et à Saskatoon, entreautres.

Cependant, dans ce conflit pour la créationd’écoles désignées, des francophones s’oppo-sent souvent à des francophones. «Le pluspénible dans cette affaire de Willow Bunch, c’estque la population francophone elle-même estdivisée. Et comme il s’agit d’une petite localitéoù l’on se connaît et où l’on est même procheparent, la situation devient particulièrementdouloureuse.»39 Dans le cas de l’affaire deWillow Bunch, le gouvernement Thatcher doitfinalement intervenir et obliger la Grande Unitéde Borderland à établir une école désignée.

La création d’écoles désignées et l’adoption dela Loi sur les langues officielles par Ottawaconduisent plusieurs parents anglophones à

choisir le français comme langue d’enseigne-ment pour leurs enfants. En 1978, le gouverne-ment néo-démocrate adopte la Loi scolairedonnant à tout élève le droit de s’inscrire dansune école désignée. Cette Loi scolaire changedonc le caractère des écoles désignées; dans laplupart des cas elles deviennent des écolesd’immersion pour les jeunes anglophones.

En 1979, le gouvernement adopte desamendements à la Loi scolaire. Cesamendements font une différence entre lesécoles désignées: «Type A» pour enfants fran-cophones et «Type B» pour enfants enimmersion. Toutefois, la loi ne limite pas l’accèsà une école ou à l’autre; un jeune anglophonepeut s’inscrire dans une école de «Type A» etvice-versa.

La création des écoles fransaskoises

Peu de temps après la création des écoles«Type A», l’ACFC et certains groupes de pa-rents francophones commencent à dire quel’école «bilingue» mène aussi à l’assimilation.«L’école bilingue est une utopie qui ne fait quecontribuer à l’anglicisation des francophones.»40

Les francophones commencent alors à deman-der leurs propres écoles, ainsi que la gestion decelles-ci.

Depuis 1919, la communauté francophone estreprésentée, dans tous ces débats scolaires, parl’Association des commissaires d’école franco-canadiens de la Saskatchewan (ACEFC). Enfévrier 1983, l’ACEFC change de nom et devientla Commission des écoles fransaskoises (CEF).«M. Leblanc a tenu à préciser que l’ACEFC nefaisait que changer de nom, et ne modifiaitd’aucune manière ses statuts.»41 Malgré cetteaffirmation d'un des parents, M. Gérard Leblanc,la CEF devient une association de parents plutôtque de commissaires d’école. En 1989, ellechange encore de nom pour devenir l’Associa-tion provinciale des parents francophones(APPF).

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En 1984, la Commission des écolesfransaskoises propose un projet qui permettraitaux francophones de gérer leurs écoles. Legouvernement conservateur de Grant Devinerejette la demande des parents fransaskois. Endécembre 1986, Maître Roger Lepage se pré-sente devant le juge Wimmer à Regina pourplaider la cause des Fransaskois. Deux ans plustard, en 1988, le juge Wimmer rend son juge-ment, un jugement favorable aux francophonesde la Saskatchewan.

Le gouvernement Devine répond au jugementWimmer en mettant sur pied le comité Gallantsur la gestion des écoles fransaskoises. Cecomité en arrive à une solution pourl’implantation de la gestion scolaire, mais legouvernement refuse de déposer à l’Assembléelégislative le projet de loi qui permettrait la ges-tion de leurs écoles par les Fransaskois.

Les parents francophones doivent attendrel'élection d'un gouvernement néo-démocrate en1991. Ce gouvernement amende la Loi scolaire,rendant aux francophones le contrôle de leursécoles, comme l'avaient eu leurs grands-parentsau début du siècle. Ces amendements permet-tant la gestion des écoles fransaskoises par des

Fransaskois sont adoptés le 2 juin 1993 parl'Assemblée législative de la Saskatchewan.

C'est le 24 juin 1994 qu'ont lieu les électionspour les premiers Conseils scolairesfransaskois. Les élections ont lieu dans huitcommunautés: à Regina (école Mgr de Laval),Saskatoon (école Canadienne-française), PrinceAlbert (école Valois), North Battleford (écolePère Mercure), Bellegarde, Saint-Isidore deBellevue, Vonda (école Providence) etGravelbourg (école Beau Soleil).

Une fois élus, les nouveaux commissairesd'école fransaskois commencent à se préparerpour prendre en main les huit écoles. Avant letransfert des écoles des commissions scolaireslocales aux huit conseils scolaires fransaskois(transfert qui a lieu en janvier 1995) les commis-saires d'école doivent négocier l'achat des bâti-ments et de l'équipement des écoles en ques-tion. Un Conseil général des écolesfransaskoises est créé pour aider à gérer lesécoles fransaskoises.

D'autres communautés viendront sûrements'ajouter aux huit premières écolesfransaskoises. Maintenant l'avenir semble pro-metteur pour la communauté fransaskoise.

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Notes et références

1 René Rottiers. — Soixante-cinq années deluttes... Esquisse historique de l’oeuvre del’ACFC. — Regina : Association culturellefranco-canadienne de la Saskatchewan,1977. — P. 20

2 Société historique de Saint-Boniface. —Histoire de Saint-Boniface. — Saint-Boniface : Éditions du Blé, 1991. — P. 106

3 Dennis King. — Les Soeurs Grises et lacolonie de la rivière Rouge. — Agincourt :Société Canadienne du Livre, 1983. —(Collection Bâtisseurs du Canada). — P. 34

4 Colin Davies. — Louis Riel et la NouvelleNation. — Agincourt : Société Canadiennedu Livre, 1981. — (Collection Bâtisseurs duCanada). — P. 6

5 René Rottiers. — Soixante-cinq années deluttes... Esquisse historique de l’oeuvre del’ACFC. — P. 21

6 Jules LeChevallier, o.m.i. — Saint-Laurentde Grandin. — Vannes : Imprimerie Lafolyeet J. de Lamarzelle, 1930. — P. 45

7 Solange Lavigne. — Kaleidoscope, Manycultures - One faith : The Roman CatholicDiocese of Prince Albert, 1891-1991. —Prince Albert : Diocèse de Prince Albert,1990. — Traduction. — P. 518

8 Codex historicus de la mission de Saint-Laurent-de-Grandin. — Archives de laSaskatchewan. — Micro R-9.45

Cette masure misérable fut démolie en1883 et remplacée par un hangar qui allaitservir de couvent aux religieuses de lacongrégation des Fidèles Compagnes deJésus.

9 Ibid.10 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. — His-

toire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — Regina : Société histori-que de la Saskatchewan, 1986. —

P. 3411 Ibid., p. 35

12 René Rottiers. — Soixante-cinq années deluttes... Esquisse historique de l’oeuvre del’ACFC. — P. 24

13 Ibid., p. 2514 Ibid., p. 2515 Ibid., p. 2516 Ibid., p. 2517 Ibid., p. 2818 Ibid., p. 2819 Ibid., p. 2820 Raymond Joseph Armand Huel. — L’Asso-

ciation Catholique Franco-Canadienne dela Saskatchewan : un rempart contrel’assimilation culturelle 1912-1934. —Regina : Publications fransaskoises, 1969.— P. 4

21 Ibid., p. 522 Raymond Denis. — [Mes mémoires]. —

Vol. 1. — Manuscrit. — Archives de laSaskatchewan. — P. 25

23 Richard Lapointe ; LucilleTessier. — His-toire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — P. 215

24 Raymond Denis. — [Mes mémoires]. — P. 3425 Ibid., p. 4026 Richard Lapointe ; LucilleTessier. — His-

toire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — P. 219

27 Raymond Denis. — [Mes mémoires]. — P. 4228 Richard Lapointe ; LucilleTessier. — His-

toire des Franco-Canadiens de laSaskatchewan. — P. 227

29 Ibid., p. 22730 Ibid., p. 22631 Ibid., p. 22732 Ibid., p. 23133 Laurier Gareau. — Le défi de la radio fran-

çaise en Saskatchewan. — Regina : So-ciété historique de la Saskatchewan, 1990.— P. 51

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34 Ibid., p. 5235 Richard Lapointe ; LucilleTessier. — Histoire des Franco-Canadiens de la

Saskatchewan. — P. 26336 Ibid., p. 26937 «Contre l’article 203 de l’Acte Scolaire». —

La Relève. — (16 avr. 1965). — P. 138 Roger J. Lepage. — «Les associations

francophones contre le Gouvernement dela Saskatchewan devant le juge Wimmer».

— Document préparé pour le procès à laCour du banc de la reine. — (Déc. 1986)

39 «Le conflit scolaire de Willow Bunch». —La Liberté et le Patriote. — (19 nov. 1969).— P. 1

40 «L’école bilingue : une utopie?». — L’EauVive. — (16 juill. 1975). — P. 16

41 «Raoul Granger est élu président». —L’Eau Vive. — (16 févr. 1983). — P. 1

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Articles de journaux

«Contre l’article 203 de l’Acte Scolaire». — La Relève. — (16 avr. 1965)

«Le conflit scolaire de Willow Bunch». — La liberté et le Patriote. — (19 nov. 1969)

«L’école bilingue : une utopie?». — L’Eau Vive. — (16 juill. 1975)

«Raoul Granger est élu président». — L’Eau Vive. — (16 févr. 1983)

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Les «Concours de français» de l’ACFC

À cause de politiques gouvernementales, l’enseignement du français en Saskatchewan est limité àune heure par jour durant la majeure partie du XXe siècle. De plus, les différents gouvernements dela Saskatchewan refusent de s’occuper du recrutement d’enseignants bilingues, de la préparationd’un programme d’études de français et de la préparation des examens de français. Pour cette rai-son, l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan décide en 1925 de préparer sespropres examens. Les «Concours de français» de l’ACFC deviennent ainsi, de 1925 à 1969, uneinstitution dans la province. Chaque printemps, un samedi matin du mois de juin, tous les élèves quisuivent les cours de français de l’ACFC se rendent à l’école pour écrire les examens. Ensuite, jusqu'àla fin de juillet, ils attendent patiemment l’arrivée du Patriote de l’Ouest et plus tard de la Liberté et lePatriote, afin de connaître leurs résultats. Le langage de l'ACFC a toujours été «d'écrire les exa-mens» et les élèves étaient «promus». Ces termes sont utilisés dans ce document.

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Chapitre un

L’élection d’un nouveau chef et le «Concours» de 1925

«C’était en 1926. J’enseignais alors dans le nordde la province, à Zenon Park, dans une petiteécole dotée du très joli nom de “La Marseillaise”.J’avais alors, en comptant plusieurs petits nou-veaux arrivés depuis les beaux jours du prin-temps, trente-huit élèves, répartis dans les septpremières années du cours élémentaire, ce qui,il va sans dire, me tenait fort occupée... À cettedate, l’ACFC n’était qu’un tout petit enfant, maison commençait à songer sérieusement depuisune ou deux années à inaugurer les examensfrançais. L’année 1924-25 s’était passée sansqu’on puisse mettre ce projet à exécution, maisen septembre 1925, on annonça au corps ensei-gnant qu’en juin 1926, ça y serait!»1

Puisque le gouvernement de la Saskatchewanrefuse de s’occuper des programmes de fran-çais pour les écoles de la province et de fairepasser des examens aux jeunes Franco-Cana-diens, l’Association catholique franco-cana-dienne de la Saskatchewan décide, à son con-grès biennal tenu à Regina en mars 1925, d’éla-borer ses propres examens de français.

«C’est durant ce même congrès que les com-missaires d’école réclamèrent avec insistancedes examens de français avec obtention dediplômes. Le but était évident. Tout dans l’écoledirige le personnel enseignant et les élèves versl’étude de l’anglais. Visites de l’inspecteur deuxfois par année, visites qui se limitent à la partieanglaise de l’enseignement et gare, si ces ins-pecteurs font des rapports non satisfaisants...Même si la petite institutrice fait tout ce qu’ellepeut au point de vue français, personne ne lesait, personne ne s’en aperçoit. Rien non pluspour encourager les élèves, ni inspection fran-çaise, ni examen, ni diplôme.»2

Au congrès de 1925, les membres de l’ACFC etde l’Association des commissaires d’écolefranco-canadiens de la Saskatchewan (ACEFC)décident que cette situation doit changer. Enplus d’élire Raymond Denis président des deuxorganisations, les délégués adoptent aussi desrésolutions demandant que l’ACFC instaure desexamens de français pour 1926 et les annéessubséquentes et qu’elle nomme deux visiteursd’école franco-canadiens.

Mais avant de pouvoir instaurer les examens defrançais et les visites d’écoles, l’ACFC etl’ACEFC doivent s’attarder sur la question d’unprogramme d’enseignement du français. Aucongrès de 1925, c’est un professeur dePonteix, David Gratton qui présente un rapportsur la situation des enseignants dans les écolesde la province.

«Nos élèves lisent d’une façon passable, mais ilen est très peu parmi eux qui sont en mesured’appliquer les règles de grammaire et d’écrireune dictée convenable. La faute n’en est pasuniquement au personnel enseignant. Certes lescommissaires d’écoles, quand ils engagent lesinstituteurs, leur recommandent d’enseigner lefrançais dans toute la mesure où la loi le permet,mais ensuite on ne les voit plus. Plus de visitesà l’école. Les curés de paroisses, à de raresexceptions près, ne viennent pas beaucoup plussouvent. L’instituteur reste seul, avec unoutillage défectueux, sans programme d’étudespour le français, seul devant des inspecteurs quitentent par tous les moyens à leur disposition deréduire de plus en plus la place allouée au fran-çais.»3

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David Gratton fait un rapport sur la situation quiest déplorable en Saskatchewan! Les ensei-gnants ont le droit d’allouer une heure par jour àl’enseignement du français, mais personne neleur a dit comment utiliser cette heure. Il n’y a niuniformité dans l’enseignement, ni programmesd’enseignement du français. Selon l’instituteurde Ponteix, c’est à l’ACFC de se pencher sur ceproblème. Il rappelle aux délégués qu’ils ontdéjà parlé d’examens de français. Ces examensfixeraient un but à l’enseignement du français etmotiveraient autant les élèves que les ensei-gnants.

«Mais, pour instituer des examens, il faut unprogramme qui soit le même pour toutes lesécoles. Pas d’examens possibles sans pro-gramme. Je vois donc un travail tout tracé pournotre ACFC. Nomination d’un comité pédagogi-que formé de professeurs compétents qui met-tront sur pied un programme qui sera imposé àtoutes nos écoles pour l’enseignement du fran-çais. Et ensuite des examens.»4

Le message de David Gratton est clair; il fautque l’ACFC se mette à l’oeuvre. Heureusement,les délégués élisent Raymond Denis à la prési-dence. C’est un homme convaincu et, plusimportant, un homme d’action.

«Au contraire de ses prédécesseurs plus effa-cés, Raymond Denis chercha à imprégnerl’ACFC de sa forte personnalité. Orateur detalent, homme d’une grande lucidité et douéd’une suprême confiance en ses moyens, ildésirait ardemment devenir le chef national desFranco-Saskatchewanais, ce qui lui valut mal-heureusement plusieurs ennemis. Quoi qu’il ensoit, l’ACFC avait bien besoin d’être revitaliséelorsque Raymond Denis fut élu président en1925.»5

Raymond Denis ne tarde pas à agir. Un moisseulement après son élection, il s'occupe duproblème des inspecteurs d’écoles. Depuis biendes années, l’ACFC demandait au ministère del’Instruction publique de nommer un inspecteur

d’école bilingue pour les écoles françaises,requête qui était toujours refusée. Il y avait euquelques inspecteurs canadiens-français,comme F.-X. Chauvin, J.-E. Morrier et LouisCharbonneau, mais il leur était rarement permisde visiter des écoles de langue française.

«Ainsi le tristement célèbre A.W. Keith se per-mettait d’ouvrir les portes des petites écoles decampagne à coups de pied, d’y interdire l’usagedes manuels français pourtant agréés par sonministère, d’interpréter les dispositions des loisscolaires comme bon lui semblait, d’arracher lescrucifix des murs comme à Bellevue et àDomrémy, de menacer ouvertement les com-missaires comme à Saint-Denis, de terroriser lesinstitutrices nouvellement sorties de l’écolenormale, de se vanter publiquement qu’aucunQuébécois n’obtiendrait jamais de brevet d’en-seignement dans son territoire, de rédiger desrapports de toute évidence mensongers et, par-dessus tout, de scandaliser la population catholi-que en visitant les écoles au bras de sa maî-tresse, au vu et au su de tout le monde!»6

L’ACFC décide alors, en avril 1925, de nommerses propres inspecteurs d’école. Travaillantétroitement avec les deux évêques de la pro-vince, Mgr Mathieu de Regina et MgrPrud’homme de Prince Albert, l’ACFC nommedeux Oblats comme inspecteurs d’école, lespères Auclair et Jan.

Et même si David Gratton a fait remarquer auxcongressistes qu’il faut établir un programmed’enseignement avant de pouvoir songer à unexamen, Raymond Denis, lui, est toujours prêt àmettre la charrue devant les boeufs.

«Ces examens me semblaient indispensables sinous voulions développer l’enseignement dufrançais, le faire aimer par le personnel ensei-gnant et par les élèves. On nous l’avait de-mandé pour 1926. Pourquoi ne pas commenceren 1925. Il faut battre le fer pendant qu’il estchaud... Les gens raisonnables me dirent quec’était une folie. Un examen de cette envergure

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ne s’improvise pas. Il doit être soigneusementpréparé. Qui va dresser le programme desexamens? Quelles matières couvrira-t-il? Qui enfera la correction? Il y a aussi bien d’autresdétails à étudier. Nous sommes à la fin avril.Comment pourriez-vous être prêts pour le 20juin, dernière date limite?»7

Malgré cela, Raymond Denis reçoit l’appui deplusieurs enseignants qui croient qu’un examenen 1925 aidera à améliorer celui de 1926. Dès ledébut de mai 1925, Raymond Denis annonce latenue du premier «Concours de français» del’ACFC. Il aura lieu vers le 20 juin et comprendraune dictée, un devoir de rédaction française etquelques questions de grammaire. Tous lesélèves de la 4e à la 12e année pourront écrirel’examen.

Les dirigeants de l’ACFC espèrent qu’au moinsmille élèves passeront les examens, soit environ15 % de ceux qui étudient le français. Au lende-main de l’examen, on apprendra que 1 062candidats ont écrit le premier examen. Toute-fois, durant les semaines qui précèdent l’exa-men, Raymond Denis doit convaincre certainsde la nécessité de participer.

«Durant un temps, j’ai eu peur. Un bon nombrede nos pensionnats refusaient de participerparce que leurs élèves étaient mal préparés.“Mais, mes soeurs, les élèves des autres pen-sionnats ne sont pas mieux préparés et si lesvôtres ne participent pas aux examens, nouscomprendrons que vous avez peur, parce queprobablement vous enseignez peu de françaisou vous l’enseignez mal.” Ce fut une campagnede persuasion qui nous fit dépenser bien dutemps.»8

1 062 élèves participent au premier «Concoursde français». Quatre-vingt districts scolaires etla plupart des couvents participent au premierconcours. À cette époque, c’est seulement dansles couvents et au Collège Mathieu que lesélèves peuvent suivre leurs études jusqu’à la12e année, mais au Collège Mathieu on ensei-

gne le cours classique et les élèves ne partici-pent pas au concours de l'ACFC. Parmi lescouvents représentés, mentionnons ceux desDames de Sion à Prince Albert, Notre-Damed’Auvergne à Ponteix, Laflèche, Prud’homme,Saint-Louis, Montmartre, Cantal et Bellegarde.

Selon Mme Victor Détilleux, alors Anna Dufort,l’école La Marseillaise ne participe au concoursde français qu’en 1926, mais dans ses mémoi-res Raymond Denis donne la liste des écolesqui ont participé au premier concours et LaMarseillaise No 3327 y figure; six élèves dequatrième année et trois de septième auraientécrit l’examen de 1925.

«Avec ce concours, c’est une page d’histoire quivient de s’écrire. Je suis fier d’y voir figurer lesnoms des trois écoles de ma paroisse St-Denis:Casavant, Dinelle et St-Denis et ceux des deuxécoles de mon autre paroisse, celle de Vonda.Cette liste des écoles françaises qui participè-rent aux examens de 1925 devrait être soigneu-sement conservée pour références. C’est pourelles un titre de gloire.»9

Étiennette Collin de Gravelbourg avait eu lamédaille d’or en 11e année, Yvonne Leray dePrud’homme l’avait eue en 10e année et JeanneCuelenaere de Prince Albert en 9e année.

Malgré son enthousiasme, Raymond Denis doitreconnaître qu’il a encore beaucoup de travail àfaire. À cette époque, il y a environ 133 écolesoù le français est enseigné de la 1re à la 7eannée. Puisqu’on ne compte pas les couventsdans ce chiffre, on constate que l’ACFC n’aréussi à faire passer son examen que dansmoins de la moitié des écoles françaises. C’estun problème qui se posera encore pendantquelques années.

«Il y avait seulement quelque 133 écoles dans laprovince où le français était enseigné de lapremière à la septième année et 171 écoles oùle français n’était enseigné qu’en septième ethuitième années. En 1926, 1 360 élèves seule-

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ment ont écrit l’examen annuel de l’ACFC (onestimait que 50 écoles n’avaient pas prispart).»10.

Même si l’ACFC a réussi à organiser un premier«Concours de français», son travail n’est pasfini. Plus tôt dans l'année, David Gratton a re-commandé la mise sur pied d’un comité pédago-gique qui étudierait la question d’un programmed’enseignement de français. Et, il faut aussis’occuper du problème de la pénurie d’ensei-gnants bilingues dans les écoles de la province.

Afin de faciliter le recrutement d’enseignantsbilingues, l’association persuada le surintendant

de l’Instruction publique du Québec de modifierle programme des écoles normales de sa pro-vince et d’y ajouter des cours d’anglais pour lesinstituteurs qui se destinaient à l’enseignementdans l’Ouest canadien. Les chefs de file cana-diens-français luttèrent également pour la nomi-nation d’un professeur d’expression française àl’École normale de Saskatoon et pour l’inclusionde cours de méthodologie de l’enseignement dufrançais au programme des écoles normales.L’ACFC réussit à convaincre le ministre d’ap-prouver le programme de français qu’elle avaitproposé et d’ajouter le français à la liste desexamens officiels.»11

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Chapitre deux

Une tradition s’établit en Saskatchewan

Tout devrait alors être en place pour des exa-mens annuels. Hélas, ce n’est pasnécessairement le cas. Il y a encore beaucoupde travail à faire et il semble y avoir beaucoupde problèmes à surmonter. Malgré cela, dansles districts scolaires, les enseignants commen-cent, dès septembre 1925, à préparer leursélèves pour les examens de juin 1926.

«J’étais à ma deuxième année d’enseignementà Zenon Park, et je commençais à préparersérieusement mes élèves pour cet événement.La leçon de grammaire était donnée trois foispar semaine, et les devoirs étaient corrigés etexpliqués. Chaque mois, il y avait un examenécrit sur tout ce que les élèves avaient prisdurant cette période, et à Noël sur tout ce quiavait été couvert durant le premier terme. AvantPâques, les élèves avaient revu presque tout lelivre; avec les examens mensuels ordinairessuivit donc aussi l’examen écrit, depuis le com-mencement du livre jusqu’à la dernière pageapprise.»12

Mais à Pâques, les enseignants sont informésqu’il sera peut-être impossible de préparer lesexamens à temps pour la fin de l’année scolaire.Les enseignants, comme les élèves, sont déçus.Au mois de mai, les enseignants reçoivent unelettre du secrétaire général de l’ACFC leur an-nonçant que les examens auront lieu tel queprévu.

«On enverrait les questions aux instituteurs justeà temps pour ce jour. C’était à peu près tout cequ’on nous annonçait. Pour la papeterie, lessurveillants, etc., il fallait se débrouiller! Je merappelle avoir commissionné un voisin qui se

rendait au village, de me rapporter deux grandestablettes de papier à écrire. Cela réglait la ques-tion “papier”. Si j’ai bonne souvenance, on nousavait conseillé de surveiller l’examen nous-mêmes et de faire preuve de la plus scrupuleusehonnêteté. C’était le mot d’ordre!»13

Plus tard, lorsque les examens seront mieuxrôdés, l’ACFC insistera pour qu’il y ait des sur-veillants autres que l’enseignant dans la salle declasse. L’examen de 1926 doit avoir lieu ledeuxième samedi de juin. Dans les écoles de laprovince, les instituteurs continuent à préparerleurs élèves pour le grand jour.

«Quelques jours avant l’examen, ma classe deseptième composée de trois ou quatre élèves,se plaignait de ne rien comprendre à l’analyselogique, et craignait ne pouvoir réussir l’examen.Alors la veille du grand jour, après souper, jepris les élèves à ma maison de pension et du-rant trois heures nous avons fait de l’analyselogique, après quoi ils se sentaient assez bienpréparés. Mais le lendemain... pas d’analyselogique aux questions d’examen. Les enfants enétaient presque déçus! J’espère tout de mêmeque ma leçon n’a pas été complètementoubliée.»14

Les premières années, Raymond Denis estsouvent appelé à donner un coup de main auchef du secrétariat de l’ACFC, Joseph-EldègeMorrier de Prince Albert, pour préparer les exa-mens. Ce n’est qu’avec l’embauche d’Antoniode Margerie au poste de secrétaire général, en1929, qu’un système bien organisé est mis enplace pour le «Concours de français» del’ACFC.

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En 1929, Raymond Denis approche Antonio deMargerie, alors jeune enseignant à Hoey, et luioffre le poste de secrétaire général de l’ACFC,poste qui était occupé depuis 1923 par Joseph-Eldège Morrier.

«Quand le commandeur Eldège Morrier aban-donne le poste de chef du secrétariat permanentde l’ACFC après quelques années de services,Antonio de Margerie accepte de prendre larelève. La rémunération pour ses nombreusesfonctions, il faut le dire tout haut, est et demeu-rera toujours bien modique. Le 1er juillet 1929, ilentre officiellement en fonctions, à peu près aumême moment où débute la crise économiqueet la terrible sécheresse des années 1930. Bonnombre de Franco-Canadiens de laSaskatchewan, dont une bonne partie de lacouche instruite, partent vers l’Est.»15

À cause de la situation économique, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan n’ont pas beau-coup d’argent à donner à leur association pro-vinciale. Antonio de Margerie doit presque fairecavalier seul pour assurer la survivance de lalangue française en Saskatchewan durant cettepériode. Il installe les bureaux de l’ACFC chezlui, à Vonda. Il met de l’ordre dans les affairesde l’organisme, entre autres le «Concours defrançais».

«De la 4e à la 8e année, les examens del’ACFC portaient sur l’orthographe, la grammaireet la composition. À partir de la 9e année, onajoutait un examen de littérature. Les examensavaient lieu “le samedi du mois de juin quitombe entre le 5 et le 13 de ce mois.”»16

Antonio de Margerie s’occupe de trouver lesenseignants qui vont préparer les examens etensuite les corriger. Il fait travailler les membresde sa famille à l’organisation des «Concours defrançais». Un de ses fils, l’abbé Bernard deMargerie, se souvient d’avoir aidé son père.

Je me rappelle avoir travaillé au Gestetner, aumiméographe, mais un ancien modèle, aussi

jeune que je peux me rappeler. Je pense bienque je devais tourner des copies aumiméographe quand j’avais six ans ou sept ans.Un temps fort de l’année, toujours, c’était lesfameux examens de français. Tout le travail sefaisait chez nous: le travail d’impression desquestionnaires, la mise sous scellé de ces ques-tionnaires-là, dans des enveloppes brunes avectous les timbres de caoutchouc que tu peuximaginer, avec toutes les mentions, “secret”, “nepas ouvrir avant telle heure”... Le matin où onenvoyait ça, tout le monde y travaillait... tousceux qui avaient l’âge de raison... même ma-man, qui n’est pas la plus grande épistolière, ytravaillait aussi... on y mettait notre orgueil defamille.»17

Une fois que les examens reviennent, la famillede Margerie se remet à l’oeuvre. Cette fois, ils’agit d’envoyer les examens aux correcteurs;les dictées d’un certain groupe sont envoyées àune certaine enseignante, etc. Une fois quetoutes les corrections sont faites, il faut colligerles résultats et préparer les listes pour Le Pa-triote de l’Ouest et plus tard pour La Liberté et lePatriote.

À la fin de juillet ou au début d’août, les jeunesFranco-Canadiens de la Saskatchewan atten-dent avec impatience l’arrivée du courrier, carles résultats de leur examen de français sontpubliés dans les pages du journal.

Cette tradition de se rendre à l’école par unebelle journée ensoleillée de juin pour écrire lesexamens de français de l’ACFC, la plupart denos parents l’ont vécue; de même, la traditiond’attendre l’arrivée de La Liberté et le Patriotepour découvrir les résultats. Avaient-ils étépromus avec honneur ou tout simplement pro-mus? Avaient-ils obtenus un prix provincial?

À partir de 1954, les élèves peuvent obtenir uncrédit du gouvernement de la Saskatchewanpour les cours de français de l’ACFC. En 1967,le gouvernement de la Saskatchewan prend enmain l’enseignement du français dans la pro-

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vince et élimine le «Concours de français» del’ACFC. Une tradition prend fin.

Qu’est-il advenu des jeunes Franco-Canadiensqui ont gagné les prix provinciaux au dernier«Concours de français» de l’ACFC, en 1967:«12e année: Claudette Bourgeois deGravelbourg (Langue française-90%) et RogerApril du Collège Notre-Dame à Prince Albert(Littérature-93%)11e année: Rita Gaudet de Bellevue (Languefrançaise-93%) et Sylvain Gaudet du CollègeNotre-Dame à Prince Albert (Littérature-93%)10e année: Ghislaine Beaulac de Debden (Lan-gue française-94%) et Estelle Blain de l’Acadé-mie de Prince Albert (Littérature-94%)9e année: Lucie Théoret de Bellevue (Languefrançaise-93%) et Marie Baillargeon de Vawn(Littérature-97%).»18

Tous les gagnants de prix provinciaux, tant del’élémentaire que du secondaire, recevaient unprix; généralement ces prix étaient des livresofferts par le Québec et la France. Antonio deMargerie, Raymond Denis et autres n’avaientpas peur d’aller quêter pour pouvoir offrir desprix aux jeunes de la Saskatchewan afin de lesencourager à parfaire leur français. Une desgrandes gagnantes du «Concours de français»a été Monique Gravel de Gravelbourg. Elle a finipremière de sa classe si souvent que l’ACFC abaptisé un trophée de son nom, en son honneur.Ce trophée était remis au meilleur élève dusecondaire.

Comme Mme Détilleux de Zenon Park, lesenseignants prennent à coeur les examens defrançais et s’assurent de bien préparer leursélèves. Si, en 1925, plusieurs religieuses hési-tent à participer au premier «Concours» parce

que leurs élèves sont mal préparés, il n’en estpas de même par la suite. La compétition est dela partie. Les Franco-Canadiens n’ont pas peurd’afficher leur fierté. Les filles du Couvent Jésus-Marie de Gravelbourg veulent battre les filles duCouvent des Soeurs de la Providence dePrud’homme. Les jeunes élèves de l’école deFerland sont en compétition avec ceux del’école de Bellegarde ou de Delmas.

Et, après avoir passé toute l’année à préparerleurs élèves, ces mêmes religieux et religieuseset enseignants et enseignantes laïques accep-tent de passer une partie de leur été à corrigerces mêmes examens. Et, ils le font par fierté,car l’ACFC n’a pas les moyens de les payer.C’est la raison pour laquelle l’ACFC a choisid’honorer Soeur Germaine Gareau à son con-grès de novembre 1991. À cette occasion,Soeur Gareau a été acceptée comme membrede la Société des Cents Associés à cause de sacontribution à l’enseignement du français enSaskatchewan. Soeur Gareau a sûrement étéchoisie pour représenter tous les religieux,religieuses et laïcs qui au cours des ans ontassuré le succès des «Concours de français» del’ACFC.

Les «Concours de français» de l’ACFC fontpartie de notre culture. Raymond Denis, qui aaidé à préparer les questions du premier exa-men de français en 1925, a été accusé par lasuite d’avoir laissé des erreurs dans certainesquestions de l’examen. Toutefois, s’il n’avait pasdonné un coup de main au commandeurJoseph-Eldège Morrier, il est fort probable qu’iln’y aurait jamais eu d’examen. Et des milliers dejeunes Franco-Canadiens de la Saskatchewann’aurait jamais vécu cette expérience inoubliablepar un beau samedi matin ensoleillé.

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Références

1 Anna Dufort. — L’Eau Vive. — (31 oct. 1979)2 Raymond Denis. — [Mes Mémoires]. —

Vol. 1. — Manuscrit. — Archives de laSaskatchewan. — P. 117

3 Ibid., p. 1194 Ibid., p. 1205 Richard Lapointe ; Lucille Tesiser. — Histoire

des Franco Canadiens de laSaskatchewan. — Regina : Sociétéhistorique de la Saskatchewan, 1986. —

P. 2226 Ibid., p. 2207 Raymond Denis. — [Mes Mémoires]. — P. 1228 Ibid., p. 1229 Ibid., p. 12610.Keith A. McLeod. — «Politics, Schools and

the French Language». — Shaping the

Schools of the Canadian West. — David C.Jones. — Calgary : University of Calgary,1979. — Traduction. — P. 76

11 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. — Histoiredes Franco Canadiens de laSaskatchewan. — P. 224

12 Anna Dufort. — L’Eau Vive. — (31 oct. 1979)13 Ibid.14 Ibid.15 Richard Lapointe. — 100 Noms. — Regina :

Société historique de la Saskatchewan,1988. — P. 270

16 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. — Histoiredes Franco Canadiens de laSaskatchewan. — P. 224

17 Richard Lapointe. — 100 Noms. — P. 27118 La Liberté et le Patriote. — (31 août 1967)

Bibliographie

Denis, Raymond . — [Mes Mémoires]. — Vol.1. — Manuscrit. — Archives de la Saskatchewan

Dufort, Anna VOIR AUSSI Anna Détilleux. — «En fouillant dans le passé, le premier examen defrançais de l’ACFC en Saskatchewan». — L’Eau Vive. — (31 oct. 1979)

Lapointe, Richard. — 100 Noms. — Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1988

Lapointe, Richard ; Tessier, Lucille. — Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan. —Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1986

McLeod, Keith A. — «Politics, Schools and the French Language». — Shaping the Schools of theCanadian West. — David C. Jones. — Calgary : University of Calgary, 1979

Résultat des examens de l’ACFC. — La Liberté et le Patriote. — (31 août 1967)

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Tout francophone de la Saskatchewan connaît bien le terme «assimilation»! Chez nous, comme nousle répètent constamment nos associations fransaskoises, l’assimilation est la plus grande menacepour notre survivance. Mais lorsqu’on voit des manchettes comme la suivante dans nos journaux,«une assimilation galopante», de quoi parlons-nous exactement? Enfin, est-ce que tous les facteursdu processus d’assimilation sont négatifs?

L’assimilation

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Avant d’aller plus loin dans cette discussion surl’assimilation, il est important d’essayer de définirce que veut dire le terme. Le Petit Robert 1 nouspropose certains éléments de définition: «(déb.XIXe) Acte de l’esprit qui s’approprie lesconnaissances qu’il acquiert. (v. 1840) Actiond’assimiler des hommes, des peuples; processuspar lequel ces hommes, ces peuples s’assimilent(américanisation, francisation). Le fait d’aller dudifférent au semblable.»1

La première définition proposée par le PetitRobert n’a rien de négatif; il s’agit du processuspar lequel nous nous approprions desconnaissances; chacun d’entre nous va, durantsa vie, s’approprier, ou assimiler, de nouvellesconnaissances. La deuxième définition, liée àl'assimilation des hommes ou des peuples, estcelle qui nous tracasse le plus. Il est important denoter que ce sens du mot date de 1840, annéeoù Lord Durham a proposé l’assimilation dupeuple canadien-français. Nous en reparleronsun peu plus tard. Enfin, la troisième définition, lefait d’aller du différent au semblable, peut êtrepositive, négative ou neutre.

Explorons maintenant la première définition dansle contexte de la population de la Saskatchewan.

S’il existe une culture fransaskoise, elle doit êtrebeaucoup plus que le folklore traditionnelcanadien-français; elle doit être un heureuxmélange entre le folklore de nos ancêtres, qu’ilssoient venus du Québec ou d’Europe, et centans de vie dans les prairies de l’Ouest. La cul-ture, pour ceux qui se disent Fransaskois, nesera pas seulement la fête de la Saint-Jean-Baptiste car elle n'a pas plus d’importance queles perogies empruntés à nos voisinsd'ascendance ukrainienne.

La culture fransaskoise est bel et bien vivante,mais à cause d’une multitude de facteursassimilateurs, elle est devenue aussi différentede la culture québécoise qu’elle est devenuesemblable à la culture anglo-canadienne. C’estque nos ancêtres se sont appropriés denouvelles connaissances dans leur paysd’adoption.

Examinons certains facteurs d’assimilation quiont changé la façon de vivre et la façon depenser des Fransaskois. Chacun de ces facteursa poussé les francophones de la Saskatchewanà devenir un peuple; ils sont devenus un peupledifférent du peuple québécois et du peuplefrançais. Au cours des années, tout en gardantcertaines traditions de leurs ancêtres venus deFrance, de Belgique ou du Québec, ils ontdéveloppé leurs propres traditions et coutumesen assimilant des éléments des traditions desautres peuples venus s’établir en Saskatchewan,comme les Ukrainiens, les Polonais, lesAllemands, les Anglais, etc.

Lorsqu’ils sont arrivés en Saskatchewan audébut du siècle, il y avait de grandes différencesentre les Français, les Belges et les Canadiensfrançais. Ces différences, on les retrouvait auniveau de la langue, des vêtements, de lanourriture et des coutumes. Si la Saint-Jean-Baptiste était la grande fête des Canadiensfrançais, elle n’avait pas la même importancepour les Bretons de Saint-Brieux ou les Belgesde Bellegarde.

Les Canadiens français n’ont pas eu à changerleurs vêtements lorsqu’ils sont arrivés dansl’Ouest canadien puisqu’ils connaissaient déjà lefroid sibérien de nos hivers canadiens. Tel n’étaitpas le cas pour les Bretons de Saint-Brieux.

Chapitre un

Un nouveau peuple

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«Tout le monde avait entendu parler des rigueursde l’hiver canadien, mais personne ne pouvait serendre compte exactement de ce que c’était. Ilsl’apprirent assez vite. Tout à coup, tout changeasubitement, le vent se mit à souffler du nordouest et ce fut la neige et le froid... Il faut aussise rappeler que les vêtements qu’ils avaientapportés avec eux de France n’étaient passuffisamment chauds pour les protéger contre lesrigueurs du froid canadien.»2

Puisque les vêtements de France ne sont passuffisamment chauds pour les grands froids de laSaskatchewan, les Bretons adoptent vite la modecanadienne et revêtent de gros parkas, degrosses mitaines de laine et des bottes de feutrecomme ceux que portent leurs cousinscanadiens-français. Dans ce cas, il est préférabled’être semblable et d’avoir chaud plutôt qued’être différent et d’avoir froid!

Les méthodes agricoles pratiquées au Québec,en France et en Belgique au début du siècle neconviennent pas à l’Ouest canadien où lasuperficie des fermes est trois, quatre même dixfois celle des fermes des vieux pays. Le fermiercanadien-français du Québec, élevé dans uneferme de 30 arpents (environ 10 hectares), doitchanger ses méthodes de culture une foisinstallé dans une ferme de 160 acres (environ 64hectares). Il doit adopter les méthodes de culturemises au point par ceux qui sont venus avant lui,qu’ils soient Français, Anglais ou d’une autrenationalité.

À cause des circonstances géographiques, lesfrancophones ont dû s’assimiler aux autres co-lons venus s’établir en Saskatchewan; mais ilsont aussi apporté avec eux des élémentsculturels de leur pays d’origine. Lorsque descentaines de recrues belges et françaises ontsuivi l’abbé Jean-Isidore Gaire en Amérique duNord, en 1892, pour fonder les paroisses deSaint-Maurice de Bellegarde, Saint-Raphaël deCantal et Saint-François-Régis de Wauchope, ilsont apporté avec eux certaines valeurs sociales,économiques et politiques. C’est aussi le cas desrecrues bretonnes de Saint-Brieux et de White

Star qui ont fait le voyage à bord du paquebot«Le Malou» en 1904. Les Canadiens français deHam-Nord au Québec et de New Bedford, Mas-sachusetts qui ont suivi l’abbé Philippe-AntoineBérubé jusqu’à Debden et Arborfield en 1910sont aussi venus avec leur bagage culturel.Chacun, qu’il soit Canadien français, Belge,Suisse ou Français, est arrivé en Saskatchewanavec un mode de vie.

Toutefois, ils n’ont pas seulement assimilé lescoutumes des autres, mais ils ont partagé leursvaleurs culturelles, sociales et économiques avecd’autres pour créer la culture fransaskoise. Trèsvite, les Belges de Wauchope ont inclus la Saint-Jean-Baptiste dans leurs traditions et fondé undes premiers cercles locaux de la Société Saint-Jean-Baptiste en Saskatchewan.

Cette assimilation, pour assurer leur survivancesociale, économique et culturelle, tous lesfrancophones de la Saskatchewan l’ont vécue.L’assimilation s’est même produite au niveau dela langue. Lorsqu’ils sont arrivés en Saskatch-ewan, les colons français, belges et canadiens-français parlaient tous le français, mais lefrançais pouvait varier d’un groupe à l’autre.Chacun avait ses expressions régionales etlocales, son patois, son dialecte, etc. En Sas-katchewan, afin de pouvoir se comprendre, uneassimilation est inévitable; on adopte des expres-sions de France dans certaines circonstances etcelles du Québec dans d'autres.

Non seulement l'assimilation se fait-elle entre lesdifférents groupes français de la Saskatchewanmais ceux-ci commencent aussi à emprunter desmots et des expressions à d'autres groupesethniques de la province. C’est surtout dans ledomaine agricole qu’on remarque ce phénomèneparce que la plupart des outils et de l’équipementagricole arrive des États-Unis. Puisqu’on neconnaît pas les noms français de ces outils et decet équipement, on utilise les termes anglais.Une combine c’est une combine et non pas unemoissonneuse-batteuse pour les fermiers deBellegarde, de Saint-Brieux ou de Bellevue. Cen’est que plusieurs années plus tard, une fois

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que le fermier sera bien habitué à parler de sacombine qu’il découvrira que le mot juste estmoissonneuse-batteuse. Trop tard! Dans laplupart des cas, il continue à parler de sa com-bine sauf quand la caméra de Radio-Canada estplantée devant lui; là, il va bredouiller le motmoissonneuse-batteuse!

Avant de devenir Fransaskois, les divers groupesfrançais de la province ont subi une certaineassimilation. Lorsqu’ils sont arrivés dans l’Ouest,ils étaient des Français, des Belges, desSuisses, des Canadiens français, des Acadienset des Franco-Américains. En Saskatchewan,seraient-ils tous des Canadiens français?

Dès le début du siècle, le terme «Franco-Canadiens» commence à être utilisé en Sas-katchewan pour décrire les immigrants de languefrançaise, car tous les francophones ne se disentpas «Canadiens français»: «Ici dans l’Ouest, lapopulation de langue française étant constituéed’éléments aux origines diverses, un termenouveau s’imposait pour les représenter tous.Canadiens de la province de Québec et desautres provinces, Franco-Américains, Acadiens,Français, Belges, etc., se sont tous autant denuances que le terme général “franco-canadien”parce que tous parlent la belle languefrançaise.»3 La nouvelle association françaisefondée en 1912 à Duck Lake a pris le nom de«L’Association Franco-Canadienne de la Sas-katchewan» en 1913. Au fil des années, lesdivers groupes de langue française de la pro-vince ont adopté le terme Franco-Canadien quia remplacé dans bien des cas les termes Belge,Suisse, Français et Canadien français.

Une nouvelle assimilation a lieu dans les années1970. Les francophones se donnent le nom de«Fransaskois» en 1972, à la suite d’un concoursde l’Eau Vive, mais ce terme n’est pas adopté àbras ouverts par les Franco-Canadiens de laSaskatchewan. Le terme Fransaskois necommencera à être utilisé sur une base régulièrequ'au début des années 1980. L’Association des

jeunes francophones de la Saskatchewan est lapremière à ajouter le terme Fransaskois à sonnom officiel lorsqu’elle devient l’Associationjeunesse fransaskoise en 1977 soit cinq ansaprès la tenue du concours de l’Eau Vive.Aujourd’hui, le terme Franco-Canadien estrarement utilisé et l’Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan est la seule quil’utilise encore dans son nom.

Certains demanderont qui est Fransaskois. Doit-on avoir habité la province pendant plusieursgénérations? Peut-on parler de Néo-Fransaskoispour décrire les francophones nouvellementarrivés dans la province, ou encore lesfrancophiles voulant se joindre au groupefransaskois? Et bien que le groupe français soitpassé du différent au semblable pour s’identifiercomme Fransaskois, il y a toujours de grandesdifférences entre eux.

René-Marie Paiement, un ancien employé del’ACFC écrivait dans l’Eau Vive en 1979 à proposdes Fransaskois: «Il y a des Fransaskois qui lesont jusqu’au bout des orteils. Il y a desFransaskois qui ne le sont que de nom ayantaccepté la langue, les valeurs, les schèmes depensée de la majorité. Entre ces deuxcatégories, il y a toute une gamme deFransaskois: ceux qui s’identifient au groupe;ceux qui sont sur la clôture; ceux qui secherchent; ceux qui sont francophones dans leurfoyer sans vouloir s’impliquer publiquement; ceuxqui se disent francophones tout en composantavec la majorité. Et on peut continuer!»4

L’assimilation s’est ainsi réalisée au fil desannées! Les groupes de langue française se sontd'abord accoutumés à la désignation de Franco-Canadien et ensuite celle de Fransaskois.Comme peuple, ils n'ont pas eu peur des’approprier des connaissances et d’aller dudifférent au semblable. Comme groupe, lesFransaskois ont évolué; ils ont subi les effetspositifs de l’assimilation. Malheureusement,l’assimilation a aussi un côté négatif.

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«Il y a des Fransaskois qui ne le sont que denom ayant accepté la langue, les valeurs, lesschèmes de pensée de la majorité.»5

Ils sont venus nombreux, les fils et les filles deFrance, de Belgique et de Suisse pour s’établirdans la Prairie de la Saskatchewan. Ils sontvenus pour s’éloigner de la persécutionreligieuse, de la pauvreté et de la guerre. Ils sontvenus plus nombreux du Québec et de laNouvelle-Angleterre; ils sont venus parce qu’il n’yavait plus de bonnes terres agricoles au Québec,parce qu’ils n’aimaient pas vivre dans lesgrandes villes industrialisées de la Nouvelle-Angleterre ou tout simplement parce que laSaskatchewan offrait une belle occasion pour unjeune professionnel de s’établir juriste, médecinou enseignant.

Les colons de langue française sont venusnombreux bien qu’on se soit souvent plaint quele gouvernement fédéral ait encouragél’immigration des Slaves au détriment de celledes Canadiens français et des Français. Biensûr, au Québec le clergé catholiquen’encourageait pas beaucoup l’émigration desCanadiens français. Dans Le Patriote de l’Ouestdu 16 mai 1912, Amédée Cléroux, agent decolonisation du gouvernement fédéral en Sas-katchewan, publie une lettre du père A.M. Josse,o.m.i., missionnaire-colonisateur à Grande-Prairie en Alberta. Selon le missionnaire oblat,«la faute, la grande faute, c’est que l’on n’a pointassez prêché la bonne croisade parmi lesCanadiens Français.»6

Entre 1885 et le début de la crise économiquedes années 1930, la population de languefrançaise des anciens districts d’Assiniboia et dela Saskatchewan des Territoires du Nord-Ouest

(la Saskatchewan, après 1905) est passée demoins de 700 personnes à plus de 50 000.

Au cours des années, depuis la criseéconomique, le nombre de personnes parlantfrançais a diminué de façon dramatique au pointqu'aujourd’hui il est d'environ 10 000. Où sontallés les autres francophones? Ont-ils quitté laprovince pour aller s’établir ailleurs ou ont-ils étéassimilés selon la définition de 1840 «Actiond’assimiler des hommes, des peuples; processuspar lequel ces hommes, ces peupless’assimilent.»7 Ont-ils accepté la langue, lesvaleurs, les schèmes de pensée de la majorité?

Depuis le début du siècle, les francophones sesont battus pour sauvegarder leur langue et leurculture: pour ne pas être assimilés. L’éducation aété l'arène principale des luttes pour la surviv-ance des Franco-Canadiens de la Saskatch-ewan. Et c’est toujours par l’éducation qu’onespère freiner la perte des nôtres.

Au début de la colonisation de l’Ouest canadien,le français, comme l’anglais, est la langueofficielle des Territoires du Nord-Ouest.Graduellement, au cours des années, les droitsdes francophones sont abolis par la majoritéanglophone. C’est surtout grâce àl’enseignement que les Franco-Canadiens de laSaskatchewan espèrent assurer leur survivanceen Saskatchewan.

Lorsque l’Acte des Territoires du Nord-Ouest estadopté en 1875, il prévoit des dispositions pourl’enseignement en français et la création dedistricts scolaires français. «... il y sera toujourspourvu qu’une majorité de contribuables d’undistrict ou d’une partie des Territoires du Nord-Ouest, ou d’aucune partie moindre ou subdivi-

Chapitre deux

La perte des nôtres

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sion de tel district ou partie, sous quelque nomqu’elle soit désignée, pourra y établir tellesécoles qu’elle jugera à propos, et imposer etprélever les contributions ou taxes nécessaires àcet effet...»8 Les Canadiens français catholiquespeuvent donc établir des districts scolairesséparés où leur langue et leur foi font partie duprogramme d’enseignement. Le français estégalement utilisé à l’assemblée législative desTerritoires du Nord-Ouest.

Mais par la suite, on commence à limiter le droità l’enseignement du français. En 1988, desrèglements limitent l’enseignement du françaisdans les Territoires en obligeant l’enseignementde l’anglais. Une ordonnance déclare que lescommissaires de toutes les écoles devronts’assurer «qu’un cours primaire soit offert enanglais».9 Il n’est même pas question du françaisdans cette ordonnance.

Une nouvelle ordonnance de l’Assembléelégislative des Territoires du Nord-Ouest, en1892, restaure le cours primaire en français, celuiqui avait été permis jusqu’en 1888, et permetaussi l’enseignement d’un cours de religion,pourvu que ce cours soit donné durant ladernière demi-heure de la journée. Mais ce qui aparticulièrement choqué les Canadiens français,et leur clergé, c’est la perte du droit d’administrerles écoles. «Au plan religieux également, lasituation était sérieusement compromise,puisque les catholiques avaient perdu le contrôlede leurs écoles.»10

Lorsque la province de Saskatchewan est crééeen 1905, la nouvelle Loi de la Saskatchewanprévoit «le droit d’établir des écoles séparées,non-confessionnelles, sujettes aux règlements duMinistère de l’Éducation.»11 Et les chosessemblent bien aller jusqu’au début de la premièreguerre mondiale, en 1914. Puisqu’ils ont souventtendance à se regrouper dans des régionsspécifiques (Gravelbourg, Ponteix, Bellegarde,Saint-Denis, Bellevue, Debden), lesfrancophones établissent leurs propres districtsscolaires et écoles où ils continuent d’enseignerle français.

Il y a souvent pénurie d’enseignants de languefrançaise en Saskatchewan et les Franco-Canadiens sont obligés de fermer plusieursécoles françaises. Les dirigeants de l’ACFC sejoignent à leurs confrères du Manitoba et del’Alberta pour former l’AssociationInterprovinciale en 1917. «Le nouvel organismerecrutait des enseignants bilingues au Québec eten Ontario en plus d’assurer leur entretien pen-dant un séjour obligatoire à l’école normale de laSaskatchewan. L’A.I. accordait aussi des prêtsaux jeunes Franco-Saskatchewanais quisuivaient les cours d’une école normale auQuébec ou en Saskatchewan. Elle jouait le rôlede “bureau de placement” en tenant à jour la listedes postes libres et en se chargeant de lacorrespondance avec les instituteurs intéresséspar l’un ou l’autre des postes.»12

Mais lorsque la guerre éclate en 1914, lesCanadiens français votent contre la conscriptionalors que bon nombre d’anglophones désirentvenir en aide à la mère patrie (Angleterre). Dessentiments anti-français se développent doncchez les Anglais de la province, comme il s'endéveloppe contre les Allemands. Dans sesmémoires, Raymond Denis raconte l’atmosphèrequi règne dans la province à cette époque:«Nous ne pouvions pas assister à uneassemblée quelconque sans entendre crier “lesFrenchmen dans Québec” et dans toutes lesréunions, commissaires d’écoles, personnelenseignant, même chez les “Grain Growers” onn’entendait qu’un cri qui était devenu un slogan:“Une langue, une école, un drapeau”, c’est-à-direla langue anglaise, l’école anglaise et le drapeauanglais.»13

Le gouvernement libéral de la Saskatchewandécide alors en 1918 d’adopter un amendementà la Loi des écoles. «Le Gouvernement libéral,dirigé par l’Honorable M. Martin, gouvernementqui, jusque-là, s’était montré plutôt tolérant,changea brusquement d’attitude et annonça qu’ilallait soumettre à la législature un projet de loiqui allait régler une fois pour toutes la questiondes écoles.»14 Comment allait-il régler l’affaire?

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«L’enseignement ne serait plus donné qu’enanglais dans toutes les écoles, bien que lescommissions scolaires aient encore eu le droitd’autoriser l’enseignement d’une heure defrançais par jour.»15

Durant les années 1930, le gouvernementconservateur de la Saskatchewan modifie la Loides écoles mais les Franco-Canadiens onttoujours droit à l’enseignement d’une heure defrançais par jour.

Malgré ces changements, le nombre depersonnes parlant français reste sensiblement lemême jusqu’à la fin des années 1950 puisquepresque tous les Franco-Canadiens sont isolésdans leur ferme ou réunis dans des petits vil-lages ayant une forte concentration defrancophones. Ils parlent régulièrement françaisentre eux et, dans bien des cas, les enfants vontseulement apprendre l’anglais à l’école. Leclergé décourage les mariages exogames; ilencourage même des mariages entre cousinspour que les deux conjoints soient francophoneset catholiques.

Il est alors relativement facile de s’isoler desméfaits de l’assimilation. Dans bien des cas, lespetites écoles de campagne, tout en respectantla loi scolaire et en n'enseignant qu'une heure defrançais par jour, sont un bassin de promotion dela langue française. La langue d’usage à larécréation est le français comme elle estgénéralement la langue d’usage lorsque vient letemps de préparer le concert de Noël. À lamaison, on lit des livres en français et ons’abonne à des journaux et à des revues delangue française. Puisqu’il n’y a pas encore detélévision, les soirées se passent en famille àjouer aux cartes, à chanter des vieux chantstraditionnels français ou à conter des histoires.Avec les frères et soeurs ou avec les amis, lesjeux sont en français.

Mais, qu’advient-il lorsque les murs de cetisolement sont brisés? Qu’advient-il lorsqu’onferme les petites écoles de campagne pourétablir des écoles centralisées? Qu’advient-il

lorsque les Franco-Canadiens abandonnent leurferme et leur petit village pour se diriger vers lagrande ville pour étudier à l’université ou pourtrouver du travail? Qu’advient-il lorsque le clergéperd son influence et que les mariages mixtesdeviennent en vogue? Enfin, qu’advient-il lorsquele plus puissant médium au monde, la télévision,et il n'y a que la télévision anglaise, envahit lesfoyers francophones? C’est l’assimilationgalopante!

La centralisation scolaire

Qu’advient-il lorsqu’on ferme les petites écolesde campagne? En 1944, les Franco-Canadiensde la Saskatchewan ne forment pas un groupeassez puissant pour empêcher l’élection du partiCCF. Au cours des années suivantes, lenouveau gouvernement procède à l’implantationd’un système de grandes unités scolaires quimène à la disparition des petites écoles decampagne et à la perte subséquente d’influencedes francophones sur l’enseignement. Unexemple se produit dans la région de Radville,un village avec une forte concentration defrancophones. «En 1944, dans le cadre de lacampagne de regroupement desarrondissements en unités plus étendues, ledistrict de Lacadia n° 290 fut rattaché à laGrande Unité Scolaire de Radville. L’école deLacadia ferma ses portes à l’été de 1955 et lesélèves suivirent dorénavant leurs cours à l’écolerégionale de Radville..»16 Noyés dans une écoleà prédominance anglaise, les Franco-Canadiensde Radville survivent pendant quelques annéesen envoyant leurs enfants dans des couvents etau Collège Mathieu, mais bientôt on ne lutte pluset aujourd’hui il n’y a même pas de programmed’immersion à l’école de Radville. Il n’y a qu’unprogramme de français de base. Ce mêmephénomène se reproduit dans bien d’autrescentres francophones de la Saskatchewan.

Les francophones perdent la gérance de leursécoles car ils sont invariablement minoritairesdans les plus grandes écoles centralisées, saufdans quelques régions comme Bellevue, Zénon

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Park, Gravelbourg et Bellegarde. «Le quart desiècle qui s’écoula entre la mise en vigueur duplan de régionalisation et le retour aux écolesbilingues au début des années 1970 fut l’un deceux où l’on enregistra le plus haut tauxd’assimilation. Le désir de se fondre dans lamajorité anglaise côtoyée quotidiennement àl’école régionale poussa plus d’un jeune àdélaisser sa langue maternelle.»17

L’urbanisation

Qu’advient-il lorsque les Franco-Canadiensabandonnent leur ferme et leur petit village pourse diriger vers la grande ville afin d'étudier àl’université ou de trouver du travail?

Avec la création des écoles centralisées, un plusgrand nombre d’élèves francophones finit la 12eannée. Beaucoup de ces jeunes s’inscriventensuite à l’université pour ensuite entreprendreune carrière. La plupart de ces nouveauxdiplômés choisissent de s’établir en ville plutôtque de retourner à la campagne.

Un autre facteur qui accélère l’urbanisation desfrancophones de la Saskatchewan, à la fin desannées 50 et au début des années 60, est lamécanisation de l’industrie agricole. Avec laprospérité de la période d’après guerre, leschevaux sont remplacés dans chaque ferme parun ou même deux tracteurs. Les combines, oumoissonneuses-batteuses, arrivent des États-Unis immédiatement après la guerre. Le travailde la ferme se fait de plus en plus vite. Puisquel’équipement agricole devient de plus en pluspuissant, les fermiers cherchent à agrandir leurferme. Alors qu’avant la guerre, un fermier peutbien gagner sa vie avec une demi-section deterre, la superficie moyenne d’une ferme en 1991est de sept carreaux (1 091 acres). En 1941, il ya au Canada plus de 732 000 fermes; en 1991,ce nombre est réduit à 267 000.18 Alors que lasuperficie des fermes augmente, le nombre defermiers diminue. Ne pouvant plus gagner leurvie grâce à la ferme, bon nombre defrancophones se dirigent vers les villes. En 1981,

la majorité des francophones (55 %) vivent enville.

Pour le jeune francophone urbain, ce n’est pasfacile de rencontrer d'autres francophones. Cen'est pas comme dans une plus petite villecomme Gravelbourg ou Zénon Park. Et puisqu’ila accès à une plus grande variété d’activités deloisirs que son cousin en milieu rural, il necherche pas nécessairement à trouver desactivités en français. Bientôt, il vit sa vieexclusivement en anglais.

Exogamie

Qu’advient-il lorsque les mariages mixtesdeviennent en vogue? De plus en plus defrancophones se marient à des personnes d’uneautre ethnie. Sauf dans quelques cas, l’anglaisest la langue prédominante de ces familles. Maisce n’est pas seulement la famille immédiate quisubit les effets de l’exogamie ou du mariagemixte.

Créons ici un petit scénario mettant en scène unproblème courant de nos villages fransaskois.Notre scénario met en vedette un couple mixtequi vit en ville. Lui, il est Fransaskois et elle, elleest Canadienne anglaise. Elle ne parle pas unmot de français, n’a jamais voulu l’apprendre, etleurs enfants ont été élevés uniquement enanglais. Il n’a même jamais été question de lesenvoyer à l’école d’immersion. Ses parents à luisont tous deux Fransaskois, mais ils parlentfacilement l’anglais.

Disons maintenant que le couple annonce que lafamille va venir pour les fêtes de Noël. Puisquedans le village fransaskois, la messe de minuit atoujours été dite en français, les parentsapprochent le comité de la paroisse etdemandent que la messe soit dite en anglais. Lemécontentement gronde dans le village.Finalement, le curé rétablit la paix en annonçantqu’il va prononcer une partie de son homélie enanglais et qu’il va demander à la chorale dechanter quelques cantiques en anglais. Les

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parents sont contents. Le soir de la messe deminuit, leur fils et sa famille ne réalisent mêmepas que des dissensions ont divisé le village, àcause d’eux. Ils se plaignent même qu’il y a eutrop de français à la messe.

L’année suivante, le curé prononce encore unepartie de son homélie en anglais et descantiques de Noël sont chantés en anglais. Unenouvelle tradition s’établit dans le villagefransaskois. Les années passent. On trouve quec'est gênant de sauter du français à l’anglais et,puisque tout le monde comprend l’anglais, ondemande au curé de dire la messe en anglais.Non seulement la messe de minuit mais aussicelle de chaque dimanche de l’année.

Voici un scénario qui s’est produit dans plusieurspetites communautés fransaskoises au cours desdernières années. On cite souvent des cascomme celui-ci pour expliquer le haut tauxd’assimilation dans la communauté fransaskoise.La faute ici n’est pas seulement celle du couplemixte, mais aussi celle de la communautéfransaskoise qui veut tellement plaire à lamajorité.

Un autre problème engendré par l’exogamie estque très souvent les enfants ne sont pas élevésen français. La langue d’usage à la maison estl’anglais puisqu’un conjoint ne parle pas français.Même si les enfants sont placés en immersion, lefrançais demeure une langue étrangère au foyer.

La télévision

Enfin, qu’est-il advenu lorsque la télévisionanglaise a envahi nos foyers francophones?

La télévision est sans aucun doute le plus puis-sant des moyens de communication. Elle envahitnos foyers avec ses images séduisantes qui sonttellement plus puissantes que la simple voix desannonceurs de radio ou le noir sur blanc desarticles de journaux.

Pour la communauté fransaskoise, la télévision

anglaise a, possiblement, été l’élément qui a leplus contribué à l’assimilation des francophones.C’est que la radio, et ensuite la télévisionanglaise, ont envahi les foyers au moins vingtans avant l’arrivée des médias français.

C’est en 1922 que le premier poste de radio,CKCK, ouvre ses portes à Regina en Saskatch-ewan. Immédiatement les chefs de lafrancophonie de la Saskatchewan voient lesdangers de la radio pour la survivance desFranco-Canadiens. «Le principal château-fort dela vie française, c’est encore la demeurefamiliale. C’est là que parents et enfants seretrouvent à la fin de la journée et se retrempentdans une atmosphère française. Les pires coupsde bélier, se rassure-t-on, ne viendraient mêmepas ébranler ces retranchements. Et pourtant!Quand les premières stations radiophoniquesentrent en ondes peu après la Première Guerremondiale, d’abord aux États-Unis, puis à Reginaet à Saskatoon, les murs de cette redoute, qu’onavait crue jusque-là inexpugnable, s’évaporent.Le danger ne vient plus de l’extérieur, mais biende l’intérieur; de cette petite boîte magique quiamuse, charme, envoûte, fait rire, chanter etpleurer, mais surtout, qui parle une autre langue,contrôlée par une autre race, obéissant à uneautre culture, colportant des valeurs opposées àl’esprit catholique. Une boîte magique qui sapeles fondements même de l’élément franco-catholique...»19

Les chefs de la communauté franco-canadiennede la Saskatchewan tentent par plusieursmoyens de contourner l’influence de la radioanglaise. Ils achètent, aux stations anglaises, dutemps d’antenne pour présenter des émissionsen français. Ils revendiquent une équité de tempsd’antenne de la station radiophonique d’État,CBK à Watrous. Enfin, 30 ans après l’ouverturede la première station, à Regina, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan obtiennent, en1952, la permission d’ouvrir leurs propres sta-tions à Gravelbourg et à Saskatoon.

Toutefois, la radio anglaise a déjà commencé lelong processus d’assimilation des francophones

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de la Saskatchewan. Depuis 30 ans, saufquelques petites demi-heures ici et là, lesFranco-Canadiens ont été bombardésd’émissions, de nouvelles et d’annoncespublicitaires en anglais.

Et au moment même où ils célèbrent l’ouverturedes stations de radio CFRG, Gravelbourg, etCFNS, Saskatoon, les francophones apprennentque les anglais auront bientôt ce nouveau médiaqui va séduire, enchanter et amuser les gens: latélévision. En effet, la télévision arrive à Regina(CKCK) et à Saskatoon (CFQC) en 1953-1954.Les francophones devront attendre jusqu’en1976 avant de capter en Saskatchewan lesimages de Radio-Canada. Pendant 22 ans, ilsseront bombardés d’images et de voix enanglais. Et puisque la plupart des émissionsproviennent des États-Unis, on commence à selaisser influencer par la culture américaine.

Et lorsqu’on obtient enfin la télévision française,la communauté a déjà été «conditionnée» à laculture américaine. On pense maintenant commeles Américains et non plus comme les Françaiset les Canadiens français. En bon Fransaskois,on tente d’écouter la télévision française mais ona tellement de difficultés à comprendre cetteculture étrangère qui vient du Québec et de laFrance qu’on préfère retrouver les simplespetites émissions américaines à la télévisionanglaise.

La culture fransaskoise n’est plus la même quecelle qui est présentée à la télévision de Radio-Canada, la SRC aujourd’hui, et il devienttellement plus facile de ne plus lutter pour con-server sa langue aussi. Bientôt, le processusd’assimilation est achevé.

La situation actuelle

Si on se fie aux chiffres que nous présentent Iesassociations fransaskoises, il y aurait encorequelque 50 000 personnes d’origine française enSaskatchewan aujourd’hui, soit autant qu’au

début de la crise économique des années 1930.Mais selon le dernier recensement, moins de10 000 parlent encore la langue de leursancêtres; les autres seraient assimilées.

Que font les associations fransaskoises pouressayer de freiner ce phénomène? Onrevendique l’établissement d’écolesfransaskoises. On demande plus de services enfrançais (gouvernementaux, de santé, etc.). Onessaie d’encourager les Fransaskois à écouter laradio et la télévision de la SRC plutôt que lesstations anglaises. On encourage les gens à lirele journal l’Eau vive et on crée des journaux etdes revues pour les jeunes. On tented’encourager les Fransaskois à demander,même exiger des messes en français.

Cependant, c’est à l’individu que revient laresponsabilité de choisir de garder sa langue etsa culture. L’individu va encore se diriger vers lagrande ville pour faire ses études universitairesou pour trouver du travail. Va-t-il prendre letemps de chercher à s’associer avec d’autresfrancophones pour s’amuser et se divertir?L’individu va encore chercher quelqu’un à aimeret les mariages mixtes vont continuer à seconcrétiser. Va-t-il chercher à convaincre sonconjoint ou sa conjointe d'apprendre le français?

En 1840, à la suite de la rébellion de 1837-1838,Lord Durham avait proposé au gouvernement deGrande-Bretagne de faire tout en son pouvoirpour assimiler les Canadiens français, un peuplesans histoire et sans littérature. Bien sûr, lepeuple québécois est aujourd’hui plus fort quejamais, fier de son histoire et de sa littérature.

Même si les recommandations de Lord Durhamne furent pas adoptées en 1840, il a existé, aucours des ans, une politique assimilatrice de lapart du Canada anglais. La communauté franco-canadienne de la Saskatchewan a été victime decette politique assimilatrice. Pourquoi a-t-onlimité le français à une heure par jour pendant 50ans? Pourquoi le gouvernement d'Ottawa a-t-ilrefusé d'accorder des licences pour des stations

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de radio jusqu’en 1952? Mais, malgré cela, lesFransaskois ont accompli de grandes chosesdans cette province, depuis un siècle. À notretour de découvrir la fierté de notre histoire. Ainsi,nous allons pouvoir freiner l’assimilation.

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Notes et références

1 Paul Robert. — Le Petit Robert 1. — Paris :Le Robert, 1981. — P. 115

2 Comité historique de Saint-Brieux. —Historique de Saint-Brieux, 1904-1979. —Saint-Boniface : Avant-Garde/Graphiques,1981. — P. 16

3 «L’Association Franco-Canadienne de laSaskatchewan». — Le Patriote de l’Ouest . —(30 janv. 1930)

4 René-Marie Paiement. — «Es-tuFransaskois?». — L'Eau vive. — (12 sept.1979)

5 Ibid.6 Le Patriote de l’Ouest. — (16 mai 1912)7 Paul Robert. — Le Petit Robert 1. — P. 1158 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. — Histoire

des Franco-Canadiens de la Saskatchewan.— Regina : Société historique de la

Saskatchewan, 1986. — P. 349 René Rottiers. — Soixante-cinq années de

luttes... Esquisse historique de l’oeuvre de

l’ACFC. — Regina : Association culturellefranco-canadienne de la Saskatchewan,1977. — P. 25

10 Ibid., p. 2811 Ibid., p. 2812 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. — Histoire

des Franco-Canadiens de la Saskatchewan.— P. 215

13 Raymond Denis. — [Mes mémoires, Volume1]. — Archives de la Saskatchewan. — P. 34

14 Ibid., p. 4015 Richard Lapointe ; Lucille Tessier. — Histoire

des Franco-Canadiens de la Saskatchewan.— P. 219

16 Ibid., p. 26317 Ibid., p. 26918 «Farm stats show need for solutions». —

Leader Post. — (8 juin 1992). — P. A719 Laurier Gareau. — Le défi de la radio

française en Saskatchewan. — Regina :Société historique de la Saskatchewan, 1990.— P. xv

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Bibliographie

Comité historique de Saint-Brieux. — Historique de Saint-Brieux, 1904-1979. — Saint-Boniface :Avant-Garde/Graphiques, 1981

Denis, Raymond. — [Mes mémoires, Volume 1]. — Archives de la Saskatchewan

Gareau, Laurier. — Le défi de la radio française en Saskatchewan. — Avant-propos de RichardLapointe. — Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1990

Lapointe, Richard ; Tessier, Lucille. — Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan. —Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1986

Robert, Paul. — Le Petit Robert 1. — Paris : Le Robert, 1981

Rottiers, René. — Soixante-cinq années de luttes... Esquisse historique de l’oeuvre de l’ACFC. —Regina : Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan, 1977

«L’Association Franco-Canadienne de la Saskatchewan». — Le Patriote de l’Ouest . — (30 janv.1930)

Le Patriote de l’Ouest. — (16 mai 1912)

Paiement, René-Marie. — «Es-tu Fransaskois?». — L’Eau vive. — (12 sept. 1979)

«Farm stats show need for solutions». — Leader Post. — (8 juin 1992). — P. A7