La création du mythe de Rome éternelle Guy Lanoue, Université de Montréal 2008-14.

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La création du mythe de Rome éternelle

Guy Lanoue, Université de Montréal 2008-14

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Rome: ville ou mythe? Surtout un ensemble de paradoxes: 1) connue pendant des siècles pour ses produits d’artisanat, aujourd’hui il y peu d’industrie; 2) dépendant d’importations et située sur une fleuve, il n’y a pas de port; 3) pendant des siècles, elle vivaient de tribut des pays chrétiens d’Europe, mais elle n’a pas de centre financier; 4) en dépit de ses millions de touristes, il n’y a pas de quartier chaud; 5) la population du centre a baissé même si la population banlieusarde a augmenté par un facteur de 5, mais ces zones périphériques hébergent autant les personnes déplacées par

la reconstruction fasciste du centre (les borgate), autant les zones de nouveaux riches (Appia, Olgiata); 6) renommée pour ses ruines iconiques, la grande partie des quartiers traditionnels (Monti, Trastevere, Campo de’ Fiori) aujourd’hui appartiennent aux banques, aux spéculateurs dans l’immobilier, ou aux richissimes étrangers;

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7) le caput mundi depuis l’époque des Romains, il n’y a pas de district gouvernementale; 8) ayant inspiré l’idée du centre symbolique d’un pays (le Capitoline), aujourd’hui son centre politique est réduit à un musée et à une mairie sans bureaux administratifs; 9) après avoir créé les tropes et les images qui définissent l’Occident, la ville a du attendre 2000 ans pour qu’au moins la moitié de sa population soit alphabétisée, et ses universités ne sont pas entourées par un quartier étudiant.

À gauche, Il Trullo, un des borgate de Rome créé par Mussolini pour héberger les personnes déplacées lors des rénovations fascistes censées mettre en évidence les qualités historiques du centre.

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Barzini (L'antropometro italiano, Mondadori, Milan, 1973:131): “Ce n’est pas facile ignorer un impératif architecturel qui impose de mémoires, de styles de vie, de gouts et la socialité de façon tellement imposante que même les étrangers qui vivent dans une de nos villes le ressentent”.

10) en dépit d’être une capitale pendant deux millénaires (d’un empire, de l’Église, de mouvements artistiques), Rome a rarement eu un gouvernement compétent; 11) l’accumulation de 2800 ans de changements est masquée par une histoire qui insiste sur la qualité iconique et inchangeable du passé, tandis que le présent souligne le recyclage (Montecitoro est un palais construit pour un neveu papal; le Quirinal était les appartements privés des papes; la Farnesina était le quartier général du parti fasciste); 12) Rome n’a pas de vrai centre.

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1) Vieux Rome (13,7 km2) à l’intérieur des murailles auréliens (construit au 3e siècle); 2) les zones modernes bourgeoises construites après l’Unification (Parioli, Prati, Ostiense), érigées entre 1870 et la 1re Guerre mondiale; 3) les vieux borgate ont sont hébérgées les citoyens déplacés par la reconstruction fascsiste, avec le nouveaux borgate où se trouvent les migrants arrivés avec le boom économique des années 1950-60s; 4) les zones périphériques prolétaires (Garbatella, Tiburtino, Gianicolense) et les anciennes périphéries (Monti, de Rome classique, et San Lorenzo, construites après 1870), et les autres périrphéries construites après les années 1940s par INA Casa de 1951-1963, 355,000 unités); 5) les sans-abris, 70,000 en 1970, qui vivaient sans services, sous les ponts et sur les rives du Tibre; aujourd’hui, la mairie déclare qu’il y a toujours 7,000.

Cinq espaces

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Les sept collines, avant la fondation de Romeon y voit également l’emplacement des futurs murs Aurélien

http://davidderrick.files.wordpress.com/2008/10/seven-hills.png

Six des sept collines soulignent l’emplacement central du mont Palatin (d’où les mots palais et place) lieu légendaire de la fondation de Rome. Les sept sont donc un espace de l’imaginaire, car le Palatin est aussi le lieu au se situe la grotte du Lupercal, qui défendait les troupeaux appartenant aux bergers latins contre les loups (lupus, dont l’origine du mot). Le Palatin est donc symbole de la protection, de la survie, de la naissance (et donc le lupercalia se célébrait en fin d’hiver, en février, car le Nouvel An romain était le 1er mars), mais aussi du danger constant au sien de la communauté (d’où le mot paladin, le plus haut grade de chevalier). Le Palatin a également deux sommets, et donc incarne l’idée de la mère-terre qui allaite ses « enfants ». Pourtant, le gouvernement siège au Capitole, la colline la plus basse; toujours cette notion.de la faiblesse de la civilisation, qui doit être donc protégée par la vertu civique, de virtus, l’excellence et le courage, de vir, homme.

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Rome à l’époque d’Auguste-OctaveNotez son emplacement à l’est du fleuve

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Ancienne carte de Rome qui montre uniquement les églises importantes (8e siècle, d’après un livre paru en 1255)

Même au 15e siècle, la polysémie de Rome avait rendu impossible à dessiner une seule carte topographique de la ville, car aucun plan ne pouvait communiquer la richesse sémantique du paysage urbain (les sept collines, les sept églises, les monuments classiques devenus symboles de l'Église par un processus de remythification, etc.). La densité symbolique était telle que la topographie de la ville était déformée; les cartes de l'époque ne correspondent pas l'une à l'autre, ni à la réalité spatiale.

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Rome en forme de lion (détail), artiste inconnu, fin 13e siècle, en C. Imbert, Rome n'est plus dans Rome (2011).

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Rome circulaire, Taddeo di Bartolo, 1413-17, en C. Imbert Rome n'est plus dans Rome (2011). Le cercle est un symbole de la perfection.

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http://www.studiumurbis.org/images/fig1_thumb.png

Plan de Rome, par Leonardo Buffalini, 1551

Ceci est considéré le premier plan « vrai » de Rome, mais notez que l’orientation est déformée: le Vatican, au nord-ouest de la ville, est en bas à gauche où normalement se trouve le sud-ouest. Le Tibre, qui coule nord-sud a ce point de son trajet, ici va de gauche à droite. Pour avoir une idée plus exacte de la topographie, il faut tourner la carte 90o dans le sens des aiguilles d’une horloge (en fait, 70o). Il faut attendre la carte de Giambattista Nolli de 1748 pour un portrait plus fidèle, mais il lui faut 12 plaques pour communiquer toute l’information requise.

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Les églises de Rome, avec déformation géographique du paysage: les collines sont invisibles, en dépit du fait

qu’ils ont été, depuis l’époque des Romains, les symboles par excellence de la ville.

Les sept églises principales de Rome:

San Giovanni in LateranoSan Pietro in VaticanoSan Paolo fuori le muraSanta Maria MaggioreSan Lorenzo fuori le muraSanta Croce in Gerusalemme San Sebastiano fuori le mura

Notez que l’orientation de la carte est un exemple où la topographie est ajustée pour souligner la thématique; ici, que St-Pierre est l’église la plus importante et la première qu’un visiteur voit arrivant du nord; elle est donc placée en bas. Le nord est indiqué par l’orientation de la flèche.

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Les sept églises en 1599de Giacomo Lauro; le nord est toujours en bas

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Les obélisques qui définissent l’espace sacré de Rome

Dès la papauté de Sixte V (1585-1590), Rome a été massivement transformé pour unir le passé et l'orientation utopique et futuriste de l'Église. Par exemple, le centre, sous ce plan, était un espace rituel délimité par les obélisques recyclés que les empereurs Adrian et August-Octave avant lui avaient importés d'Égypte. Ils étaient arrangés pour définir une trajectoire entre St-Pierre et le Latéran liant les autres cinq grandes églises de Rome, formant une arche qui projetait ainsi l'entrée au Paradis en mettant la dimension verticale de l'arche sur le plan horizontal, une stratégie sémiotique qui soulignait non seulement le contrôle de l'espace civique, mais également la vision de l'Église que Rome n'était pas un lieu normal: le vertical (le temps) projeté sur l’horizontal (l’espace) symbolisait également la fusion du passé, du présent et du futur.

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http://www.romeartlover.it/Mapobeli.jpg

2, 1, 7, 11 (en bleu) indiquent où Sixte V a situé d’anciens obélisques (Rome en avait 13: 8 égyptiens et 5 romains) pour définir un portail horizontal (les autres ont été récupérés par d’autres papes; le rouge indique leur emplacement original). Sixte a voulu réaménager la ville sur un plan radial, mais il est mort avant de l’achever; donc, on ne peut confirmer qu’il voulait souligner que les visiteurs arrivant normalement par Piazza del Popolo (nº 1) entraient dans un espace sacré. (La carte de 1912 inclut des quartiers qui n’étaient pas si développés au 16e siècle; les confins de Rome se traçaient par une ligne imaginaire entre 2 et 11). Le Vatican est au nord-ouest (nº 2), la cathédrale de Rome St-Jean Latéran est au sud-est (nº 11).

Voir http://www.romeartlover.it/Obelisks.html#Maggiore (26-10-2011), un des meilleurs sites pour une aperçue de la ville historique et de ses obélisques.

Le sommet de l’arche passe par Piazza del Popolo (1) et Santa Maria Maggiore (7). À l’époque,ces églises sont sur le périmètre de Rome, quais en dehors de l’ancienne ville; ont-elles été choisies parce qu’elles sont des « gardiennes » de Rome éternelle?

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Le thème de l’arche horizontale comme portale à une zone sacrée est repris par la place St-Pierre, conçue par Bernini en 1656-67. L’idée a émergé ailleurs en Europe:

Pamela Hemzik, 1987, “The Fortune of Bernini’s Colonnaded Piazza San Pietro and the City Frontispiece in Urban Planning”, pp.137-176, Hellmut Hager and Susan S. Munshower (eds.), Light on the Eternal City: Observations and Discoveries in the Art and Architect: Christopher Wren, Plan de l’hôpital Saint-Paul, Londres

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De la même source, l’église Notre Dame de Kazan, St-Pétersbourg

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Le plan radial de Rome antique; les murs (ligne hachée) et le fleuve sont indiqués comme points de référence. De Massimo Birindelli, Roma italiana. Come fare una capitale e disfare una città, Savelli, Rome, 1978.

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La même arche/entrée tracée sur un plan (de Birindelli 1978) les réaménagements effectués par Sixte V aux rues de Rome. On voit mieux l’intention de souligner la partie « chrétienne » la plus dense de Rome

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Les restes archéologiques du Forum

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Le PanthéonLe projet est généralement attribué à l’empereur Hadrien

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http://www.gothereguide.com/Images/Italy/Rome/Pantheon_rome.jpg

http://www.rome-in-italy.com/PHOTOS/pantheon/pantheon-Rome_2404.jpg

D’autres images du Pantheon vu de l’intérieur

(voir le PPT L’architecture et la représentation de la communauté pour plus de détails)

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Le Théâtre de Marcellus, avant les rénovations post-1870 (Birindelli 1978).

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La bourgeoisie fait une sortie en carrosse, fin 19e siècle; notez le recyclage de matériaux anciens (Birindelli 1978).

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Le plan des rues après les travaux de Sixte V (Birindelli 1978). Le tracé blanc est une rue, dont une partie (de Piazza di Spagna au Vatican, indiqué par les deux flèches) était connue par le nom via Barcaccia, dont certaines parties avaient d’autres noms, p.e., via Trinitatis. Aujourd’hui, Baracaccia survit dans la fontaine située en place d’Espagne, et via Trinitatis est devenue, en partie, via Condotti .L’autre partie, Tor di Nona, est simplement disparue.

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La fontaine barcaccia (« vieux bateau ») qui domine la place d’Espagne, face à l’escalier qui lie la place à l’église Trinità dei Monti, construit en 1723-5.

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Le plan du réseau en Rome baroque, deux siècles après les travaux de Sixte; la configuration de la ville est essentiellement la même (Birindelli 1978).

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Rome au 17e siècleNotez le Vatican à l’ouest, dans l’ancien forum de Néron en dehors des murs de la ville

Isolé géographiquement et sémiotiquement de la ville sur le «mauvais» bord du fleuve, le Vatican avait été situé pour son impact visuel sur les envahisseurs, les alliés et les pèlerins venant du nord. En franchissant le sommet de la dernière colline avant de joindre leur destination, la première vision de Rome était le Vatican

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Vue de la fontaine barcaccia (tache bleue au centre, entourée de la foule) du haut de l’escalier espagnol, montrant une partie de l’ancienne via Barcaccia, aujourd’hui bloquée par de nouvelles constructions entre via di Ripetta (au bord du fleuve) et il Corso (la rue principale du trident, avec via del Babuino), sorte qu’elle n’atteint même plus le fleuve et donc le Vatican (dont la coupole est visible en haut à droite). On voit également que les édifices au flanc de la piazza ont été reconstruits au 19e siècle pour qu’ils soient plus haut que les bâtiments plus anciens vers le fleuve (cachés, justement, par ces réaménagements). La flèche bleue indique le point de vue de la photo de la diapo qui suit.

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http://www.fortogden.com/02-rome449.jpg

Voici via Condotti vue de l’autre direction, vers la fontaine barcaccia (ici, cachée par la foule) et l’escalier espagnol, avec l’église Trinité des Monts en haut. Aujourd’hui, connue pour ces boutiques ultra-chics, la rue est renommée comme un noyau de la mode mondiale; son ancien rôle comme conducteur (conduttore, justement) vers le Vatican a été éliminé. La flèche bleue indique la différence des hauteurs entre les anciens et les nouveaux toits. L’obélisque est relativement récent et ne fait pas partie des réaménagements de Sixte V, avec de faux hiéroglyphes gravés par des artisans romains au 18e siècle, mais on dit que la pierre est originellement égyptienne.

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Le plan après 1870; via Barcaccia est disparue, pour isoler le Vatican, et de grands boulevards qui traversent la vieille ville ont été construits pour faciliter le mouvement de soldats en cas d’émeutes; la zone en rose (Campo Marzo) a été largement restructurée (Birindelli 1978). Pour une aperçue plus détaillée basée sur la fameuse carte de G. Nolli (1748), voir: http://nolli.uoregon.edu/map/index.html?xurl=6.2&yurl=127.75&surl=720

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http://rst.gsfc.nasa.gov/Sect6/RomeAerial.JPG

http://rst.gsfc.nasa.gov/Sect6/Roma_L.jpg

Vue aérienne de Rome contemporain. Rome est dominée par le Vatican. À droite, on voit l’emplacement du Vatican (la flèche à gauche) a été bien choisi pour impressionner les visiteurs – amis et ennemis – arrivant du nord (l’emplacement de Rome antique est indiqué par la flèche bleue à droite).

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La vue de Rome venant du nord, 19e siècle

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L’emplacement de nouveaux édifices censés dominer le Vatican après l’Unification

Le Vatican avait limité la hauteur des édifices à quatre étages. Le résultat, pour une relativement petite ville comme Rome (population 160,000 en 1860), était autant spectaculaire qu'efficace, car le dôme du Vatican semblait flotter au-dessus la ville, visible de n'importe quel quartier. La coupole était donc transformée en synecdoque, et sans doute l'idée de permanence était ainsi liée métonymiquement au concept que la partie supérieure, la tête métaphorique, guettait sur son troupeau.

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Les nouveaux édifices de 6 étages qui cachent le Vatican (vue de la rue)

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Un exemple de nouveaux édifices érigés après 1870 Palais de justice, Prati, sur la rive du Tibre

http://www.romanhomes.com/vacation_rentals/images/rome-panorama-domes-sights/rome-panorama-palace-justice-12-m5-t.jpg

L’emplacement de ce palais n’est pas idéal du point de vue de la construction, car ses fondations reposent sur un sable continuellement mouillé par le fleuve (qui ici est invisible, mais qui passe devant l’édifice). Cependant, il est parfaitement aligné avec via Condotti (ancien via Trinitatis) et donc avec via Barcaccia, qui est aujourd’hui invisible dû aux réaménagements du nouveau gouvernement qui bloquent l’accès à St-Pierre; derrière était le parcours qui menait au Vatican, aujourd’hui effacé par les nouvelles constructions de Prati.

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Les familles d’ouvriers venus du sud pour reconstruire Rome après 1870; elles vivent dans des tentes et dans les ruines abandonnées; notez la coupole de St-Pierre; début 20e siècle (Birindelli 1978). Le gouvernement voulait embellir Rome, mais surtout créer Rome monumentale.

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“The place of execution was near the church of San Giovanni decollate [sic; Decollato, “décapité”] (a doubtful compliment to

Saint John the Baptist) in one of the impassable back streets without any footway, of which a great part of Rome is composed--a

street of rotten houses, which do not seem to belong to anybody, and do not seem to have ever been inhabited, and certainly were

never built on any plan, or for any particular purpose, and have no window-sashes, and are a little like deserted breweries, and might

be warehouses but for having nothing in them … At the end of the street, was an open space, where there would be a dust-heap, and piles of broken crockery, and mounds of vegetable refuse, but for

such things being thrown anywhere and everywhere in Rome, and favouring no particular sort of locality.” (

http://www.dickens-literature.com/Pictures_From_Italy/10.html, 16-07-2012).

Il est difficile de communiquer l’image de Rome d’une époque où la photographie était encore une nouveauté, pour souligner l’indifférence du gouvernement envers le peuple et son intérêt à créer une Rome monumentale qui effacerait la Rome de l’Église. Nous avons une description très évocatrice de la plume de Charles Dickens, qui publie son Pictures from Italy en 1846. Ici, il décrit le lieu d’une exécution publique:

http://www.telesanterno.com/wp-content/uploads/2010/03/MastroTitta21.jpg

À droite, Mastro Titta à l’œuvre; de 1796 à 1864 il a mis à mort 516 « clients » pour les papes

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http://www.info.roma.it/foto/roma_sparita/grandi/1.jpg

La rive avant

Pour les Romains, le Tibre n'est pas un fleuve, mais la métaphore de leur fondation, et les papes ne sont que les descendants contemporains des prêtres de l'époque classique, les Pontifes, Pontifex en latin, «fabricants de ponts», qui étaient chargés d'établir les chroniques officielles de l'histoire de Rome en clé religieuse, et de lier le monde vécu avec les cieux où vivent les dieux. Ils lient le passé au présent et le bas au haut en utilisant l'écoulement du fleuve et le lien entre ses deux rives comme une métaphore pour le passage du temps et pour le passage d’une domaine à l’autre, et donc pour la survie.

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La rive avant

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http://www.lib-art.com/imgpainting/7/5/8957-view-of-the-tiber-and-castel-st-ang-jacques-louis-david.jpg

La rive avant la conquête

Jacques-Louis David, Vue du Tibre et du Castel St Angelo, 1800?

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La rive Tor de Nona, avant les rénovations des 1880s, montrant le pont principal (Ponte Sant’Angelo, aujourd’hui limité aux piétons) qui liait Rome antique au Vatican (Birindelli 1978).

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La rive aprèson discerne avec difficulté le temple de Ercule Victor dans le Forum Boarium

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La rive après

http://saintpetersbasilica.org/Pics/EXT/Tiber-PVtEman-SP-01.jpg

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La rive du fleuve après l’aménagement

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Notez les édifices hauts pour bloquer la vue du fleuve et du Vatican à l’ouest (pas visible ici; St-Pierre sera, dans cette orientation, à droite)

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Tombeau de HadrienNotez la rive aménagée et les nouveaux bâtiments qui le séparent de l’ancienne ville

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Le borgo qui bloquait la vue de St-Pierre (en bas)Avant le réaménagement des années 1930; l’épine centrale est intacte

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Après l’intervention de MussoliniVia della Conciliazione qui a éliminé l’épine du borgo; St-Pierre est maintenant

partiellement visible de la ville au-delà du fleuve (en haut); notez les nouveaux bâtiments au flanc de la rue: plus haut, plus grand, qui bloquent les autres vus de St-Pierre

http://www.christusrex.org/www1/citta/B2-Conciliazione.jpg

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http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/aa/Rossetti_-_Proclamazione_della_Repubblica_Romana,_nel_1849,_in_Piazza_del_Popolo_-_1861.jpg/350px-Rossetti_-_Proclamazione_della_Repubblica_Romana,_nel_1849,_in_Piazza_del_Popolo_-_1861.jpg

Proclamation de la République de 1849 à Piazza del Popolo, février (à droite, sans la foule; à droite en bas, une procession religieuse; anonyme, École romaine, 19e siècle). Le Pape Pie IX a quitté Rome, mais quelques mois plus tard les soldats français et espagnols ont assiégé la ville, et l’armée républicaine a quitté Rome. Le Pape est revenu seulement en 1850.

http://www.christies.com/lotfinderimages/D53987/roman_school_19th_century_a_view_of_piazza_del_popolo_r

ome_with_a_reli_d5398772h.jpg

http://www.tour-europe.org/media/italy/rome/medi/piazza-del_Popolo.jpg

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Una macchina On voit l’échelle de ces constructions par les personnages de l’avant-plan

Les tableaux allégoriques érigés pour renforcer la présence et l’importance du Vatican, appelés macchine, «machines», c'est-à-dire par le même nom utilisé pour les chars dans les processions de carnaval, apparaissaient et disparaissaient à un rythme fou durant ces dernières années du pouvoir papal et dans des lieux non seulement désacralisés, mais appartenant dans les places et les rues du peuple.

Cette image et celles qui suivent sont reproduites, avec permission, de l’oeuvre de l’historien romain Luciano Nasto, Le feste civili a Roma nell'ottocento, Gruppo Editoriale Internazionale, Rome, 1994.

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Una macchina

Ces spectacles allégoriques étaient des vraies mises en scène, consistant d'énormes tableaux théâtraux construits de papier mâché, généralement avec une arche de triomphe au centre (reprenant non l'arche de Constantin, mais l'arche horizontale définie par les obélisques au cœur de Rome sacrée).

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Una macchinaUne reproduction de Piazza del Popolo

Santa Maria in Montesanto, via del Corso (centre), Santa Maria dei Miracoli

En brisant le lien traditionnel entre domaine sacré et lieu (les deux agissant simultanément de signifié et de signifiant, dans une danse sémiotique complètement ritualisée), l'église a permis au peuple d'attacher ses propres significations à l'espace urbain.

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Macchina

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Le trident de Poséidon,avec Piazza del Popolo en haut

via del Babuino (droit), via del Corso (centre), via di Ripetta (gauche)

Piazza del popolo, en haut, est censé, dans la mythologie populaire, dériver du fait que les églises qui encadrent le trident ont été construites par des donations populaires; en fait, le nom dérive de populus, les peupliers qui encadraient la place. Ceci est un autre exemple de mythification populaire, une tentative de saisir le contrôle du lieu, en détachant le nom de son signifié officiel. D’autres exemples: via Larmeri, censé commémorer, selon les légendes populaires, les armuriers qui y habitaient, mais du fait qu’elle était, au 15e siècle, la rue principale du quartier des Arméniens; la statue du satyre située sur Via del Babuino est populairement interprétée comme un babouin; l’obélisque au centre de St-Pierre est censé contenir les cendres de Jules César, etc.

http://4.bp.blogspot.com/_OUq0iYU6sEg/S-sEY-j7nWI/AAAAAAAAAFs/7X_dtEVvizU/s1600/fontana%2520del%2520babuino%2520roma.jpg

Page 56: La création du mythe de Rome éternelle Guy Lanoue, Université de Montréal 2008-14.

Les rues rectangulaires de Praticonstruit après l’unification; notez l’emplacement du Palais de Justice, au centre-bas

Prati est le seul quartier de Rome avec des rues droites en imitation des villes d'Europe septentrionale. Elles entourent complètement le Vatican, avec des orientations qui ne permettaient aucune vue de la coupole ou de la basilique. Notez, en bas, le nouveau trident construit pour rivaliser et éclipser le trident de Rome pontificale à Piazza del Popolo. http://www.grotta-azzurra.it/mappa_big.gif

Page 57: La création du mythe de Rome éternelle Guy Lanoue, Université de Montréal 2008-14.

Prati tel que projeté par les architectes du pape Pie IX en 1869. Notez le grand jardin autour de Castel Sant’Angelo et la tentative de respecter l’environnement naturel avec les rues courbées qui reprennent la forme du fleuve; de Birindelli 1978.

Page 58: La création du mythe de Rome éternelle Guy Lanoue, Université de Montréal 2008-14.

Prati tel qu’il a été construit; photo aérienne du début du siècle (Birindelli 1978).