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CHEAr I 2009 45 e session nationale 119 COMITÉ #7 La course technologique en matière d’armement : une nécessité qui peut être maîtrisée ou, au contraire, un risque technologique déconnecté de la réalité opérationnelle et géostratégique

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COMITÉ #7

La course technologique en matière d’armement :une nécessité qui peut être maîtrisée ou,au contraire, un risque technologique déconnecté de la réalité opérationnelle et géostratégique

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« L’un des pires démons de la civilisation technologique est la soif de croissance. »René Dubos

INTRODUCTION

Exposé de la problématique et compréhension du sujet

Dans un monde en perpétuel changement, la technologie demeure un facteur de progrès évident. Elle innerve tous les secteurs économiques au plan national et international. Elle peut même se révéler décisive lorsqu’une logique de compétition s’instaure. Les affaires de défense ont, de ce fait, un rapport très fort avec la technologie, notamment dans le cas de conflits ouverts et de préservation des intérêts de la nation face à un ou plusieurs types de menace.

Le paramètre temporel entre évidemment en ligne de compte. En matière de défense, l’avantage opérationnel s’évalue à un instant donné face aux adversaires. La situation peut différer selon le positionnement dans le continuum paix-crise-guerre. Dans le cas extrême (celui de la guerre), l’issue victorieuse reste l’objectif à atteindre. Il se pose alors la question d’une transposition technologique. Dans la mesure où la technologie peut induire une supériorité opérationnelle, elle risque de se retrouver au cœur d’une véritable escalade dénommée couramment "course aux armements". Le terme de course n’est pas innocent car il résume bien l’émulation d’une compétition entre prétendants à la victoire ou, à tout le moins, à un objectif partagé.

Une telle affirmation est à resituer dans le contexte actuel de défense et de sécurité. Les analyses prospectives sont nombreuses et convergent sur un point : la complexification du paysage géostratégique engendre des situations de menaces et de conflits nouvelles, difficiles à appréhender. Par ailleurs, les priorités nationales évoluent. D’une part, comme le Livre blanc le détaille, la défense et la sécurité intérieure trouvent un terrain d’intérêt et de coopération commun. D’autre part les contraintes budgétaires, l’Europe, mais aussi les préoccupations de notre société occidentale, rentrent en ligne de compte pour structurer la politique de défense. Enfin, les objectifs de développement durable et de préservation environnementale sont à intégrer à l’analyse.

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Dès lors, la course à la technologie mérite d’être repensée : quelle technologie pour quel armement, quel lien nouveau entre technologie et armement ? Il faut reprendre totalement les modes de pensée et d’analyse des situations en intégrant l’ensemble des contraintes qui pèsent sur les choix en matière de défense.

Le sujet traité par le comité n° 7 participe à une telle réflexion. En fait, il relève de plusieurs problématiques qu’il convient de distinguer :

– la notion de course technologique, largement répandue dans tous les secteurs industriels et notamment dans l’industrie de l’armement, a-t-elle encore un sens aujourd’hui ? Comment la course actuelle aux armements se manifeste -t-elle alors que les problématiques de conflit ont fortement évolué, que le cadre géostratégique s’est compliqué et que les contraintes économiques remettent en question les priorités en matière de défense et de sécurité ?

– sous réserve qu’un consensus puisse se dégager sur le caractère inéluctable de cette course technologique, est-elle pour autant maîtrisée par les différents participants? Y a-t-il un ou plusieurs leaders et quels sont leurs moyens d’atteindre leurs objectifs de supériorité militaire, industrielle voire politique ? Les règles du jeu sont-elles partagées par tous les compétiteurs et respectées comme telles ou y a-t-il un risque de dérapage et d’escalade ?

– en corollaire de la question précédente, comment se prémunir du risque de surenchère technologique et de ses conséquences sur le système de défense ? Le risque de déconnection avec la réalité opérationnelle doit être maîtrisé, ce qui implique une approche méthodologique. De quels outils dispose-t-on actuellement et à l’avenir pour assurer le juste équilibre entre besoin de défense et réponse technologique ? Cette question mérite d’être abordée de façon prospective et en tenant compte de l’environnement géostratégique.

Démarche retenue par le comité

Dès le début des travaux, s’est imposée l’idée d’une réflexion tirant partie des enseignements de l’Histoire. En effet, les exemples de course technologique sont nombreux et leurs conséquences s’avèrent emblématiques. Cela a logiquement abouti à un recensement qui, s’il ne prétend pas être exhaustif, a le mérite d’être suffisamment diversifié pour permettre de dégager de réelles tendances. Il fait l’objet du chapitre "La course à La technoLogie en matière d’armement : des réussites fLagrantes et des échecs cuisants".

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Ces tendances permettent d’identifier clairement les acteurs en présence et leurs motivations. Au-delà de ce constat, l’analyse doit être confrontée au contexte géostratégique actuel et futur. La dimension internationale, les contraintes environnementales, l’émergence de nouvelles menaces mais aussi la prise en compte de contraintes économiques et politiques impactent significativement les caractéristiques de la course technologique en matière d’armement. Il s’avère donc indispensable de dégager les relations entre les différents paramètres de cette course. Cette phase, objet du chapitre "La course technoLogique aux armements : des enjeux muLtipLes", est le cœur de notre réflexion. Elle s’est enrichie des entretiens menés tout au long de l’année et qui ont concerné un éventail très large de personnalités : dirigeants industriels, opérationnels, scientifiques, responsables stratégiques, académiques, internationaux…

Les enjeux de la course technologique actuelle et future ont pu être formalisés ainsi que leurs interactions. Un véritable ensemble systémique focalisé sur la recherche technologique et ses applications militaires a pu être déterminé. C’est sur cette nouvelle base que le comité a axé ses travaux pour rechercher une optimisation et établir des propositions concrètes. Dans la mesure où le secteur de la défense n’est pas le seul à conduire des travaux de recherche technologique, il s’est avéré également souhaitable de s’inspirer d’expériences issues d’autres domaines industriels et d’effectuer une analyse comparative au plan international.

Au terme de la démarche, des conclusions ont pu être tirées sous forme de constats et de recommandations pour garantir la maîtrise au juste nécessaire des développements technologiques pour les systèmes d’armes. Le chapitre 4 présente ces recommandations et définit des perspectives pour un éventuel approfondissement.

Limitations de l’étude

Les travaux devant s’inscrire dans un délai relativement court, il n’a pas été possible d’explorer en profondeur la totalité des facettes de la problématique. En particulier, le recensement des cas de course technologique à l’échelle mondiale a été réduit, le comité préférant se focaliser sur le contexte national et européen. De même, il n’a pas été jugé nécessaire, ni même pertinent, de balayer l’ensemble des domaines technologiques de l’armement pour dégager une quelconque quantification. En conséquence, les recommandations de l’étude restent relativement

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générales et focalisées sur une approche méthodologique. Toutefois, elles demeurent suffisamment robustes pour s’appliquer à la quasi-totalité des secteurs de défense.

Enfin, un léger regret pourrait être formulé quant à l’analyse comparative avec d’autres secteurs économiques. Il aurait été intéressant de poursuivre l’étude des outils et problématiques traités notamment par le ministère de la Recherche et creuser les pistes de synergie entre domaines civil et militaire.

Quelques définitions de base

Course : "Épreuve de vitesse, compétition sur une distance, parcours donné".(1) Cette définition met le doigt sur le paramètre temporel inhérent à l’épreuve ainsi que sur la notion de parcours. Il est important de déterminer la trajectoire visant à l’atteinte de l’objectif.

Technologie  : Théorie générale et études spécifiques des techniques (outils, procédés, machines) au sens didactique. Ce terme désigne également, dans une acception anglo-saxonne, une technique moderne et complexe. C’est donc bien en ce sens que l’on peut parler de technologies de pointe, de nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), de biotechnologies… ou encore de transfert de technologie. C’est également d’après cette définition que se comprend la notion de course technologique.

La technologie est directement concernée par cette action d’investigation d’où la notion de recherche et technologie (R&T) qui englobe les travaux dédiés à l’exploration de nouvelles technologies pouvant avoir une application pratique.

Technique  : La technique relève de domaines particuliers de la connaissance ayant des applications, au delà de la théorie, dans le domaine de la production et de l’économie. Toujours selon une définition académique, la technique peut également désigner un ensemble de procédés méthodiques fondés sur des connaissances scientifiques et employés en production. Les différentes techniques (de pointe, informatique, managériales, etc.) se conçoivent ainsi comme une déclinaison scientifique de domaines variés. Il est également intéressant de souligner que

(1) Définition du dictionnaire Le Robert.

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dans un sens très général, une technique est mise en œuvre dans le cadre d’actions d’investigation ou de transformation de la nature.

Il existe donc un lien évident entre technique et technologie. Afin de le prendre en compte, c’est dans le sens le plus large que le terme de technologie est employé par la suite dans ce rapport.

« Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit. »

Napoléon

LA COURSE À LA TECHNOLOGIEEN MATIÈRE D’ARMEMENT :DES RÉUSSITES FLAGRANTES ET DES ÉCHECS CUISANTS

Un concept vieux comme le monde

Depuis que l’homme a découvert la guerre, soit probablement dès l’aube de l’humanité, il s’est attaché à développer de nouvelles technologies pour ses armements en vue d’obtenir la supériorité sur l’adversaire. Sans remonter jusqu’à la préhistoire et les premiers silex taillés, l’histoire abonde d’exemples de ce type comme nous allons le voir.

Un exemple intéressant est l’évolution du char de guerre, non pas le monstre d’acier de plusieurs dizaines de tonnes que nous connaissons aujourd’hui, mais celui de quelques dizaines de kilos, principalement fait de bois qui domine les champs de bataille proche-orientaux entre 3000 et 500 av. J.-C. Apparu dans les cités mésopotamiennes vers 2600 av. J.-C., tiré initialement par des onagres, il ne s’agit au début que d’une plateforme sommaire servant uniquement de véhicule d’apparat. Il devient petit à petit une arme de guerre, tout d’abord simple plateforme de tir (chars égyptiens du Nouveau Royaume par exemple), avant de s’alourdir et de devenir une arme de choc (chars assyriens de la dynastie sargonide par exemple).

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Symbole de puissance, arme de suprématie du champ de bataille(2), le char de guerre fait durant ces siècles l’objet d’une recherche technologique poussée, afin de lui donner une robustesse maximale pour un poids minimum.

L’évolution de l’artillerie à poudre est également instructive. Inventée en Chine au XIIe siècle, elle est mise en œuvre pour la première fois en Europe lors de la bataille de Crécy en 1346, même si la victoire anglaise est davantage due à l’arc long des archers gallois et à l’impétuosité folle des chevaliers français qu’à la puissance de feu des 5 bombardes déployées ce jour là. Une vraie course à l’armement est néanmoins lancée à partir de cette date entre les différentes grandes nations européennes pour se doter de l’artillerie la plus performante. Les princes d’Europe n’hésitent pas à offrir de véritables ponts d’or pour prendre à leur service les maîtres canonniers les plus réputés. C’est le cas des frères Bureau sous le règne de Charles VII, dont les canons jouent un rôle décisif à Castillon en 1453, puisque cette victoire française marque la fin de la guerre de 100 ans. Certains privilégient des canons de fort calibre, comme par exemple les Turcs, avec leurs monstrueux canons d’un calibre de 750 mm, construits au XVIe siècle pour détruire les murs de Constantinople ou défendre les Dardanelles(3). D’autres nations privilégient des pièces de plus petit calibre mais plus mobiles, destinées à être engagées en masse sur le champ de bataille. C’est par exemple le cas de l’armée bourguignonne de Charles le Téméraire qui dispose, en 1476 à Grandson, de 400 canons pour 18 000 combattants. L’avènement de l’ère industrielle ne fera qu’accélérer le phénomène.

Il y a naturellement des exceptions, des cas où des nations se sont abstenues de développer des technologies liées à l’armement, pour des raisons philosophiques ou religieuses. L’exemple le plus significatif est celui de la Chine à partir de la dynastie Ming. Alors que l’Empire du Milieu s’était toujours trouvé à la pointe du développement technologique en matière militaire(4), un brutal coup d’arrêt est marqué à partir de la fin du XVe siècle sous l’influence du confucianisme. La Chine n’est alors menacée que par quelques tribus turco-mongoles, que les armes en service suffisent à contenir. Même en cas d’invasion réussie, la richesse de la culture et de la civilisation chinoise entraîne une assimilation rapide des vainqueurs. Le réveil sera brutal lorsqu’à partir du XIXe siècle, la Chine se trouve confrontée aux

(2) Ainsi à Kadesh, en 1300 av. J.-C., s’affrontent pour la domination de la Syrie près de 6000 chars égyptiens et hittites.(3) http://en.wikipedia.org/wiki/Great_Turkish_Bombard.(4) Citons l’invention de la poudre à canon, des fusées, de l’arbalète, des navires de guerre hauturiers.

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puissances européennes et au Japon, qui a rapidement rattrapé son retard à partir de l’ère Meïji. Un autre exemple moins connu touche à l’influence de l’Église au Moyen Âge qui s’efforça, en vain, de freiner le développement de nouvelles armes, comme l’arbalète sous prétexte qu’elle permettait de tuer des adversaires sans les voir.

Ces quelques exemples illustrent bien le caractère permanent de la course technologique au fil de l’Histoire. La course aux armements a toujours été entretenue par la recherche technologique, une carence d’investissement en la matière se traduisant, tôt ou tard, en défaite militaire.

Pour autant, la technologie a-t-elle toujours été synonyme de supériorité militaire ? Là encore quelques exemples méritent d’être étudiés.

La course aux armements comme élément clé de la victoire

Nous avons évoqué précédemment le cas de la Chine et du Japon. Le succès des puissances européennes en Chine au XIXe siècle, et de manière plus générale dans leur expansion coloniale, a été directement lié à la supériorité technologique des armements des troupes européennes face aux armées indigènes. Le XIXe siècle regorge de succès de corps expéditionnaires européens, balayant des adversaires indigènes à la fois plus nombreux et ayant l’avantage du terrain. Les seuls échecs rencontrés par des corps européens sont dus à des circonstances particulières, liés notamment à l’exercice de commandants particulièrement incompétents (Islandwhana en 1879 pour les Britanniques face aux Zoulous, Adoua en 1896 pour les Italiens face aux Éthiopiens(5)). À noter que les Boers d’Afrique du Sud furent parmi les adversaires les plus coriaces rencontrés dans ces guerres. Contrairement aux autres peuples indigènes, les Boers, d’origine européenne, s’étaient dotés d’armement modernes (fusils Mauser et canons Krupp, Creusot et Schneider) supérieurs à ceux de leurs adversaires britanniques. Il fallut quatre années de durs combats, l’envoi de milliers de soldats (au summum du conflit, 250 000 hommes venus de tout l’Empire britannique affrontaient 30 000 Boers) et le recours à des méthodes radicales (notamment l’emploi de camps de concentration pour couper les Boers de la population locale), pour que les Britanniques finissent par s’imposer.

(5) Mais ceux-ci prendront leur revanche en 1936, grâce à leur armement moderne comparé à celui des troupes du Négus (troupes motorisées, aviation, gaz de combat…).

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Le cas du Japon est particulièrement intéressant. Plongé pendant des siècles dans une léthargie profonde, il se lance à partir de l’ère Meïji dans la construction d’une armée moderne, équipée à l’occidentale. Si au début il se contente d’importer des matériels de guerre d’origine européenne, il bâtit en quelques années une industrie de défense capable de produire des armements de qualité équivalente, voire même supérieure à ceux des autres nations. L’Empire du Soleil Levant ne tarde pas à tirer rapidement les bénéfices de cette politique en matière d’armement : victoire sur la Chine en 1895, victoire sur la Russie en 1905. Et pendant les premiers mois de la campagne du Pacifique, les avions chasseurs Zéro et les torpilles "longue lance" permettent à la marine japonaise de dominer le Pacifique face à l’US Navy et de conquérir l’essentiel de ses objectifs territoriaux. C’est pourtant la technologie qui va coûter la victoire au Japon car il ne dispose pas de la puissance industrielle et de la capacité de R&T des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers parviennent simultanément à développer et mettre en service des armements supérieurs en quantité et en qualité à ceux des japonais (par exemple les chasseurs Hellcat et autres Corsair qui balaient des cieux le Zéro). De plus, ils exploitent totalement leur suprématie technologique. C’est le radar qui permet à la marine américaine de s’imposer lors des féroces combats de nuit dans les eaux de Guadalcanal, neutralisant l’entraînement supérieur des marins japonais dans ce type de combat. Mais c’est surtout l’arme nucléaire qui donne la victoire aux États-Unis en brisant l’esprit de résistance japonais, illustration parfaite de la technologie comme élément clé de la victoire.

Plus près de nous, c’est la supériorité technologique avérée des États-Unis qui leur donne la victoire dans la guerre froide, l’URSS se révélant incapable de suivre la course technologique lancée par les États-Unis à l’occasion de leur Strategic Defense Initiative (SDI).

Il n’est pas surprenant que les États-Unis se livrent aujourd’hui encore à une course aux armements même s’ils n’ont plus en face d’eux de challengers dignes de ce nom. En effet, les Américains ont toujours été fascinés par la technologie, que ce soit dans la vie courante ou en matière militaire. Ainsi les différents conflits reflètent une véritable doctrine américaine fondée sur le principe que tout problème peut être traité par la technologie. Cette supériorité technologique dans le domaine de la défense permet aux États-Unis d’être la seule superpuissance militaire dans le monde.

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Nous voyons donc que les exemples abondent où une supériorité technologique en matière d’armement constitue un élément clé de la victoire. Dans le cadre des États-Unis, la politique très volontariste depuis de nombreuses années a conduit ce pays à acquérir une avance technologique décisive qui ne semble pas susceptible d’être remise en cause de manière globale.

Une option qui ne garantit pas la victoire opérationnelle

Quand tactique et effet de masse priment 

Cependant l’Histoire montre que la suprématie technologique en matière d’armement peut aussi se révéler une option coûteuse non décisive pour la victoire finale. Par exemple, avant la Première Guerre mondiale, Grande-Bretagne et Allemagne se sont livrées à une intense course aux armements dans le domaine naval, en construisant de nombreux bâtiments cuirassés. Les autres nations européennes ont suivi la logique participant de fait à la course technologique (France, Italie, Autriche-Hongrie, etc.). Pourtant ces systèmes d’arme se sont révélés totalement inadaptés aux besoins opérationnels réels. Ils ont passé la majeure partie du conflit à l’ancre dans des ports, devenant même dans le cas de l’Allemagne des foyers d’insurrection. Nul n’avait perçu le potentiel d’un nouveau système d’armes, le sous-marin, arme peu coûteuse en comparaison des cuirassés et qui a failli donner la victoire à l’Allemagne.

Toujours pendant la Première Guerre Mondiale, sur le front terrestre, les puissances de l’entente cordiale et celle de l’Axe Central se sont livrées en vain à une course effrénée aux armements : canons de plus en plus gros, nouvelles armes (gaz de combat, mortiers de tranchée, pistolet mitrailleur, char, avion, etc.). La logique des tranchées résiste à toutes ces innovations, réseaux de barbelés et mitrailleuses brisant tous les assauts. La solution allait venir non pas de la technologie, mais d’un changement de tactique. Ce sont les Allemands, qui bien qu’ils aient eu dans la plupart des domaines une suprématie technologique face aux alliés, développent des tactiques d’infiltrations, à l’opposé des assauts massifs des années précédentes. Ces nouvelles tactiques brisent le statu quo des tranchées et relancent la guerre de mouvement. Mais il est trop tard, l’armée allemande est épuisée par quatre années de conflit et ses adversaires sont trop nombreux. L’offensive allemande est un échec et les contre-offensives de l’Entente qui lui succèdent ne rencontrent que

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peu d’opposition ; les chars dont sont massivement dotées les armées de l’Entente jouent certes un rôle important, mais c’est l’épuisement de l’armée allemande et l’avantage numérique des alliés qui leur donnent la victoire.

Un scénario similaire se produit durant la Deuxième Guerre mondiale. Globalement, quelle que soit la période du conflit, les armements des deux camps sont sensiblement équivalents. La différence se fera tout d’abord sur la tactique (le Blitzkrieg des premières années de guerre) puis sur la quantité de matériels dont disposeront les Alliés en fin de conflit.

L’inadéquation technologique dans les conflits asymétriques

Même si la suprématie technologique n’est pas toujours l’élément déterminant de la victoire, elle reste un atout important dans le cadre d’un conflit conventionnel. Néanmoins, elle s’avère beaucoup moins pertinente dans le cadre de confrontations asymétriques. L’adversaire, dans ce type de conflit, s’engage sur des terrains ou choisit des modes d’actions où la technologie est inefficace. C’est notamment le cas des différents conflits de guérilla ou de terrorisme qui ont marqué les 50 dernières années.

Ainsi, bien que l’État d’Israël ait su militairement vaincre les nations arabes dans tous les conflits qui les ont opposés, en jouant habilement d’armements, de technologies, et de tactiques supérieures, il s’est révélé incapable de briser la volonté et la capacité de résistance des Palestiniens. Que peut faire le char ou l’avion le plus sophistiqué contre un terroriste kamikaze ?

La situation peut même être aggravée quand l’adversaire a recours à des technologies civiles facilement disponibles pour des applications militaires. C’est, par exemple, le recours à des téléphones mobiles pour déclencher des Improvised Explosive Device IED en Irak et Afghanistan, ou l’emploi de fibres optiques pour les communications du Hezbollah au Sud Liban, lors du conflit de 2006.

Ce dernier cas qui peut remettre en cause la pertinence du tout technologique constitue un des paradigmes actuels qui mérite une analyse plus approfondie.

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La technologie à l’épreuve du temps

Il apparaît qu’un élément fondamental du succès de la technologie est le paramètre temporel. En effet, l’effet de surprise lié à l’apparition d’une nouvelle arme est souvent décisif pour son succès. Une fois celui-ci passé, l’adversaire ne tarde pas à développer des matériels ou des tactiques pour contrer cette arme, avant de la copier. Un bon exemple est le premier emploi des chars lors de la bataille de Cambrai en 1917. Lors de leur premier engagement initial dans cette bataille, ils obtiennent une percée décisive mais totalement inespérée côté anglais. À tel point que les généraux n’ont pas prévu les troupes nécessaires pour l’exploiter. Les Allemands ne tardent pas à ramener leurs réserves pour colmater la brèche. Plus tard, ils développeront un panel d’armes antichars qui se révéleront relativement efficaces lors de la suite du conflit, et les chars n’obtiendront plus jamais de succès d’une telle ampleur.

Plus près de nous, le conflit du Kippour est éloquent. Dans les premiers jours des combats, l’armée de l’Air israélienne est pratiquement neutralisée par les réseaux de défense sol-air des nations arabes, permettant à celles-ci d’obtenir des gains territoriaux significatifs, en particulier dans le Sinaï. Ce n’est que grâce à la fourniture de systèmes de guerre électronique par les États-Unis et la mise au point de tactiques adaptées que les Israéliens pourront reprendre partiellement la supériorité aérienne, ce qui leur permettra de reprendre l’initiative et de remporter au finish une courte victoire.

Les conflits asymétriques sont également représentatifs de cette problématique. Au Liban, en 2006, même après plusieurs semaines de conflit, l’armée israélienne n’a pas su trouver les dispositifs aptes à contrer les tactiques et armements du Hezbollah. En Irak, il a fallu plusieurs années aux États-Unis pour trouver les moyens de réduire leurs pertes par IED.

Avec le développement rapide des technologies civiles, dont un certain nombre peuvent avoir des applications duales (systèmes de télécommunication, d’observation, etc.), l’aspect temporel de la course technologique deviendra de plus en plus important à traiter. En effet, les cycles de développement des programmes d’armement étant relativement longs, il faudra faire preuve de réactivité et d’agilité dans le futur pour faire face aux nouvelles formes de combat.

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La technologie à l’épreuve du moral

Autre point souvent négligé au niveau de la technologie, l’importance de l’effet du moral. Il est surprenant de constater le peu d’impact de la technologie militaire sur la volonté de résistance d’une nation ou d’un peuple. Que ce soit pendant la Deuxième Guerre mondiale, au Viêt-Nam, en Cisjordanie, des campagnes de bombardement massives n’ont eu que peu d’effet sur la volonté de résistance des populations bombardées, quand elle ne la renforçait pas. Plus près de nous, la petite Serbie a résisté 78 jours avant de céder aux bombardements des avions de l’Otan.

En fait, la résilience de l’être humain est beaucoup plus importante qu’il n’y parait, à moins d’un choc psychologique extrême. Ce fut notamment le cas avec les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, qui conduisirent le Japon à capituler.

En synthèse, il convient de noter que jusqu’à présent la technologie est clairement un atout dans la résolution des conflits, mais qu’elle ne garantit pas la victoire dans tous les cas. De multiples paramètres venant interagir, il est nécessaire de bien les identifier.

« La technologie n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce que l’on en fait. » Général d’armée aérienne Stéphane Abrial

LA COURSE TECHNOLOGIQUE AUX ARMEMENTSDES ENJEUX MULTIPLES

À ce stade de la réflexion, il importe de s’intéresser aux différents facteurs entrant en ligne de compte et pouvant avoir un impact sur la course technologique en matière d’armement. Si le besoin opérationnel reste le point de départ de l’analyse, il convient aussi de passer en revue les enjeux scientifiques, l’intérêt industriel et son incidence économique voire politique. Même les enjeux sociétaux, notamment ceux qui relèvent du développement durable, doivent également être confrontés aux impératifs de défense. L’ensemble des entretiens a permis de dresser un bilan qui est présenté dans le présent chapitre.

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Point de vue opérationnel

De tout temps, le besoin militaire a été de rechercher la prise de l’ascendant sur l’ennemi si possible en profitant d’une supériorité technologique. Il fallait tirer plus loin, plus vite, plus juste, voler plus longtemps, naviguer par tous les temps, etc. De nos jours, avec la quasi disparition des menaces symétriques au profit de la résurgence d’affrontements asymétriques, la course technologique perd de son intérêt et peut devenir contre-productive.

Cependant il convient de nuancer cette affirmation. La doctrine terrestre a mis en exergue l’existence de trois phases dans le déroulement des conflits actuels : intervention, stabilisation et normalisation. Il est évident que cette dernière ne nécessite pas d’avantage technologique particulier. En revanche, la phase d’intervention impose d’avoir une forte supériorité tactique, donc des armements dont le niveau technologique doit permettre de prendre cet ascendant le plus vite possible, avec le moins de pertes possibles, tout en minimisant les dommages collatéraux. Concernant la stabilisation, il faut pouvoir "transformer" les engins et véhicules utilisés précédemment, mais avec une empreinte moins agressive. Cela demande un changement fort dans la conception des matériels terrestres. D’un point de vue militaire, le concept de polyvalence de systèmes d’armes prend une importance croissante.

En raisonnant sur le besoin de chaque armée, il semble notable que la Marine et l’armée de l’Air aient besoin de technologies pouvant leur conférer un avantage capacitaire important. Mais si la technologie peut rendre plus efficace et donner des éléments nécessaires pour gagner la guerre, il est illusoire de penser qu’elle est à même de rendre plus fort et plus puissant. Ce constat est désormais reconnu depuis les années 2000 ; en effet, plus les équipements seront chers, plus le format des armées diminuera. On peut donc très facilement entrer dans une spirale d’évolution/dépendance de la technologie en échange d’un format de plus en plus réduit. Or, rien ne garantie que la technologie soit suffisante à suppléer cette diminution des forces ; à titre d’exemple peut-on déduire des performances techniques qu’un hélicoptère Tigre équivaut opérationnellement à 5 à 10 Gazelles, ou qu’un système Felin peut remplacer quatre ou cinq fantassins ?

Il est donc nécessaire de déterminer la zone d’efficacité entre la technologie, son coût et le nombre d’unités disponibles comme le résume le graphique ci-après.

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Pour compléter cette analyse, il est apparu que la notion de course technologique ne soulève pas un enthousiasme fort auprès des responsables opérationnels. Il n’y a pas de véritable besoin d’une course avec quiconque, stricto sensu. Le terme "coopération" ressort beaucoup plus souvent que celui de course et dans un sens le plus large possible. Compte tenu des budgets actuels, du moins en Europe de l’ouest, il serait quasiment suicidaire de vouloir se livrer à une course en matière de technologie que ce soit au sein de l’Union européenne ou même vis-à-vis d’autres pays comme les États-Unis. Le besoin reste de conserver quelques pôles d’excellence permettant de pouvoir tenir son rang ou sa place avec des équipements fiables.

Un autre volet possible est de raccourcir les délais entre l’expression du besoin militaire et la livraison de la série. Il est aussi envisageable d’avoir des moyens légèrement différents entre l’entraînement et l’engagement opérationnel, pour limiter les coûts.

Pour comprendre cette mutation, on peut se référer à la transformation de l’armée de Terre 2009-2014(6). Selon cette référence, l’armée de Terre devra avoir une aptitude

(6) N° 500034/Def/Emat/PS du 01/10/08 p.14.

Zone d’e�cacité

Complexité technologique

Nombre d’unités

Niveau technologique

La politique industriellea tendance à déplacercette zone vers la droite

À budget constant, plus la technologie est complexe et donc chère, moins les unités en seront équipées, d’où un format réduit.On doit chercher la zone d’efficacité. Il y a forcement conflit entre politique industrielle qui inclut plus de technologie et besoin militaire (armée efficace au juste format).

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à remonter en puissance, sur préavis de six mois, par l’acquisition d’équipements ou de compléments opérationnels. C’est donc une nouvelle orientation de la "politique" d’équipement de l’armée de Terre(7). Les entretiens menés auprès des responsables opérationnels conduisent à penser que les plates-formes futures pourraient ne remplir qu’un pourcentage partiel de l’ensemble du besoin total. L’écart correspondrait soit à des technologies non abouties, soit à un besoin opérationnel particulier en rapport avec un engagement soudain de nos forces.

Cette nouvelle approche va nécessiter un changement dans le dialogue au sein du trinôme État-major (des Armées ou d’Armées), DGA et industrie. Le besoin opérationnel devra vraisemblablement être l’objet de multiples déclinaisons, avec des priorités hiérarchisées.

Enfin, parmi les enjeux de la compétition technologique, il demeure important de définir et de concevoir des systèmes suffisamment ouverts tout en ayant des avancées technologiques pertinentes. En effet, il est primordial que les nouveaux systèmes destinés aux armées soient compétitifs sur le marché international permettant, grâce aux ventes à l’export, des séries conséquentes et donc des coûts de développement et de fabrication plus largement répartis.

Il apparaît donc qu’il n’y a pas de besoin opérationnel intrinsèque nécessitant de mener une course technologique. En revanche, il est important de pouvoir disposer du matériel suffisant au moment adéquat. Ceci requiert un changement dans le dialogue entre État-major, DGA et Industrie.

Enjeu scientifique

Introduction

La course technologique est intimement dépendante de la recherche et technologie (R&T). La R&T reste essentielle pour développer les futurs systèmes d’armes, acquérir et maintenir les compétences scientifiques requises pour explorer les pistes technologiques prometteuses, évaluer les menaces…

(7) Compte tenu de la composition du comité n° 7, ce paragraphe sera assez orienté armement terrestre. Dans le Livre blanc, la période de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) prévoit d’être centrée sur la restauration des capacités terrestres. Il nous est donc apparu que cette orientation n’était pas un non-sens.

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L’enjeu de la R&T est très fort pour ce qui touche aux bas niveaux de TRL (TRL1-3(8)) ce qui a conduit certaines personnes interrogées à affirmer que le leadership de la course technologique revenait aux laboratoires de recherche. Les avancées technologiques présentent effectivement une capacité de réactivité aux menaces émergentes et d’anticipation des besoins opérationnels futurs. Ces deux paramètres sont d’ailleurs mis en valeur par le Livre blanc.(9)

Pour mieux saisir cet enjeu, les critères suivants doivent être approfondis :– le choix des domaines technologiques à explorer ;– l’efficacité de l’effort de recherche Européen au plan mondial ;– l’intérêt de la dualité civile - militaire ;– la mise en œuvre opérationnelle et la pérennité d’une technologie.

Le choix des domaines technologiques

Les choix doivent anticiper les besoins de demain et ainsi préparer l’avenir de nos forces. La difficulté reste que les besoins de demain ne sont pas toujours imaginables à partir des solutions d’aujourd’hui.

La limitation des ressources financières reste le principal frein à une véritable course technologique tous azimuts et impose de faire des choix ciblés. Cette situation n’est pas complètement négative car elle force à décider plus clairement quelles sont nos priorités. Si la contrainte financière exclut de fait tout risque de surarmement, elle ne doit pas non plus conduire à faire des impasses technologiques qui pourraient déboucher sur un retard ultérieur sur certaines capacités opérationnelles. Il faut donc disposer de puissants outils d’appréciation. La veille technologique constitue donc un enjeu majeur et doit faire l’objet d’une circulation à tous les niveaux (top-down depuis le besoin opérationnel au bottom-up à partir des perspectives technologiques).

À titre de comparaison, les États-Unis (Darpa) ont depuis des années adopté une stratégie systématique consistant à lancer plusieurs études en parallèle, chacune par une piste différente, pour résoudre le défi technologique. Cette stratégie est bien entendu beaucoup plus coûteuse mais produit des résultats spectaculaires.

(8) TRL – Technology Readiness Level. Une échelle qui comprend 9 niveaux de maturité d’un système ou équipement. Les niveaux 1-3 correspondent aux principes, conceptions ou développements très basiques d’une technologie de faible maturité. (Référence : Guide TRL-RCTI).(9) Chapitre 16 – L’industrie et la recherche.

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L’efficacité de l’effort en recherche et technologie (ERT) en Europe

La dimension internationale est importante car elle conditionne la performance des centres de compétences scientifiques. Le bilan actuel que l’on peut établir montre que le budget Américain en R&T est six fois supérieur à celui des pays Européens. Un tel écart n’est pas acceptable et doit être réduit au travers d’une véritable politique de R&T européenne. Celle-ci devrait s’attacher à réduire les doublons et privilégier les coopérations, dans la mesure où elles ne portent pas atteinte aux souverainetés nationales. Actuellement 20 % seulement des études R&T des pays européens font l’objet de coopération.

L’Agence européenne de défense dont c’est l’une des principales missions, doit développer son action pour harmoniser les politiques de R&T et de coopération entre les pays européens, en veillant à limiter les domaines de souveraineté.

La dualité civile - militaire

Suite à la fin de la guerre froide, les budgets militaires ont fortement diminué entraînant la fin du leadership de la recherche militaire sur la recherche civile. Néanmoins, sur les TRL bas niveau et à quelques domaines technologiques près, il est difficile de faire une distinction entre recherche civile et militaire.

En revanche, la logique de marchés a imposé des règles distinctes : le marché civil exige des temps de développement très rapides comparés à ceux constatés pour les systèmes militaires. Les pressions commerciales donnent lieu à un investissement en R&T bien supérieur à celui des budgets militaires. Il faut donc savoir profiter de technologies civiles, tout en intégrant leurs limites car les normes de sécurité, de conditions environnementales, de robustesse ou de fiabilité diffèrent parfois radicalement. La transposition à moindre coût reste donc exceptionnelle. La plupart du temps, il est impératif de requalifier une technologie dans son environnement opérationnel, au risque d’échec douloureux.

Au bilan, la recherche civile est bénéficiaire de l’effort de défense puisqu’il ressort que 60 % des technologies développées pour le secteur militaire sont transposables, contre 20 % seulement en sens inverse. De même, la synergie est croissante entre les programmes de sécurité et de défense, et 15 % des programmes d’études amont intéressent directement la sécurité intérieure.

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Mise en œuvre opérationnelle et pérennité technologique

Une première étape importante consiste à transférer une technologie du domaine du chercheur à celui de l’ingénieur.

Lors de la conception d’un programme, il peut s’avérer nécessaire de recourir aux démonstrateurs de technologie afin de mieux maîtriser les risques associés à la faible maturité d’une technologie. Ces démonstrateurs peuvent aussi aider à affiner le besoin opérationnel et comprendre les capacités émergentes d’une nouvelle technologie. Le processus conduit à définir, bien en avance, la technologie choisie alors que cette technologie ne sera mature qu’à la mise en service opérationnel. Dans cette démarche, il y a forcement un risque compte tenu de la durée de développement, que le système ne soit plus cohérent à sa mise en service avec le besoin opérationnel du moment. Pour minimiser l’écart entre le besoin pressenti et réel, il est donc nécessaire d’avoir un délai le plus faible possible entre le choix d’une technologie et son application.

Dans la mesure où ce choix technologique doit se faire assez tôt dans le déroulement d’un programme, la question se pose de garantir la pérennité de la technologie jusqu’à la phase de mise en service. Dans les premiers temps d’utilisation, la performance technologique du système d’armes va devenir la référence mais deviendra rapidement obsolète, ce qui entraîne le plus souvent une nécessaire modernisation à mi-vie. Il est fort possible que la fréquence de telles modernisations évolue selon le besoin opérationnel et l’émergence de technologies de rupture. Pour permettre la réactivité et l’adaptabilité de nos matériels, il faut donc continuer à mener des travaux de R&T tout au long de l’utilisation en veillant systématiquement à déterminer et piloter le point d’application opérationnelle.

Nous voyons donc que l’enjeu scientifique est très fort et en interaction avec l’enjeu opérationnel en terme d’applicabilité à un horizon donné et à un coût acceptable. La R&T demeure stratégique pour les programmes d’armement et doit, malgré les contraintes financières, être préservée. L’ERT est donc à maintenir à un niveau élevé même si toutes les pistes explorées ne trouveront pas d’applications opérationnelles.

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Intérêt industriel

Il a semblé évident, pour la plupart des personnes interrogées, que l’industrie a sa part de responsabilité dans la course technologique. Mais au-delà de cette évidence, il convient d’examiner quelles sont les raisons qui incitent un industriel à rechercher toujours plus d’innovation. Nous verrons que ces raisons peuvent être regroupées en trois catégories : la réponse à une demande très exigeante, la recherche de l’avantage concurrentiel par rapport aux autres industriels du même secteur, et enfin, le maintien des compétences.

Ceci étant posé, nous regarderons quels sont les éléments modérateurs face à la course technologique. D’un point de vue industriel, il s’agit principalement des contraintes financières qui limitent les investissements dans la R&T, des modalités de prise en compte des risques et de l’aptitude à savoir innover de manière pérenne.

Ce qui pousse l’industrie à la course technologique

Le point de vue des industriels laisse à penser que le besoin opérationnel a tendance à entretenir la course à la technologie par simple comparaison avec ce qui se fait de mieux au sein des armées potentiellement ennemies, ou plus souvent même, alliées. Il est vrai que les armées françaises, très largement déployées et au contact d’autres armées, identifient en permanence des capacités nouvelles "intéressantes", parce qu’elles multiplient l’efficacité des troupes déployées, ou parce qu’elles facilitent l’interopérabilité ou encore parce qu’elles permettent de nouveaux modes d’action.

Ces nouvelles capacités identifiées seront demandées aux industriels. Or, pour que deux équipements fabriqués par deux industriels différents soient au même niveau technologique, à peu près au même moment, il faut que les industriels aient atteint le même niveau de développement dans les technologies considérées. Ainsi, le seul moyen de satisfaire sans délais excessifs une demande tirée par l’exemple de ce qui est disponible dans d’autres armées, ne peut se faire qu’au travers de programmes en coopération et/ou d’investissements permanents en R&T. Pour être en phase avec l’offre d’un fournisseur, une entreprise n’a d’autre possibilité que de coopérer avec celui-ci en matière de R&T ou d’innover de manière autonome, sans attendre qu’une technologie intéressante à copier ou intégrer n’arrive sur le marché. C’est incontestablement une forte incitation à "courir" derrière la technologie.

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Au-delà de la réponse aux attentes d’un client particulier, il est évident que la question de l’avantage concurrentiel se pose pour toutes les campagnes export. Les facteurs différentiateurs, lors d’une mise en concurrence, sont de quatre ordres :

– financier (le prix ainsi que les modalités de paiement) ; – opérationnel (la réponse du produit aux demandes du client) ;– industriel (l’importance des compensations ainsi que la nature des technologies

qui seront transférées au pays client) ;– politique (tout ce qui, en marge de l’acquisition proprement dite, peut inciter

un pays à acheter son équipement à tel ou tel fournisseur).

Parmi ces quatre facteurs, on note que trois d’entre eux ont un rapport direct avec la technologie mise en œuvre au sein de l’équipement : le prix (l’introduction de nouveaux procédés de fabrication peut permettre de réduire les coûts de production d’un équipement donné), la réponse au besoin opérationnel (dont les conséquences sur la course à la technologie ont été évoquées supra) et les transferts de technologie associés au contrat. Ces derniers ne sont possibles qu’à la condition que la technologie transférée soit suffisamment attractive pour constituer un apport pour le pays client sans pour autant faire perdre tout avantage concurrentiel à l’industriel qui exporte. Celui-ci doit donc avoir, en quelque sorte, "une longueur d’avance" dans son réservoir de technologies pour se permettre de transférer une technologie dont il sait qu’une fois exportée, il ne sera plus en mesure d’en contrôler l’utilisation.

En résumé, la recherche de l’avantage concurrentiel est un moteur de la course à la technologie pour :

– réduire les coûts en agissant sur la composition de l’équipement et/ou sur les procédés de fabrication et/ou de soutien ;

– offrir un produit plus performant ;– permettre au vendeur de transférer des technologies sans compromettre son

avenir ;– s’ouvrir vers de nouveaux "marchés" en proposant des fonctionnalités

nouvelles.

Ces aspects s’observent de manière similaire sur les marchés civils et militaires, chaque domaine faisant l’objet d’une veille technologique de plus en plus active ainsi que d’une réévaluation fréquente de la criticité des technologies employées vis-à-vis de la concurrence (la terminologie consacrée étant celle de core/non core).

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Mais il convient également d’examiner les aspects de maintien de compétences, qui recouvrent en fait deux notions différentes. Il s’agit d’une part de se donner les moyens d’entretenir un réservoir d’ingénieurs aux connaissances critiques pour l’entreprise, d’autre part de faire en sorte qu’un équipement produit une année donnée puisse l’être encore, de manière parfaitement fonctionnelle, plusieurs années après.

Pour entretenir un réservoir d’ingénieurs, il faut que ceux-ci aient un plan de charge stable et des perspectives d’évolution valorisantes. Or, lorsque le développement d’un programme s’achève, il est fort probable que le programme suivant ne sera pas immédiatement lancé, de sorte que des effectifs importants du bureau d’études vont se retrouver sans études spécifiques. Cette situation a en général deux conséquences : certains des ingénieurs désœuvrés se mettent en quête d’un emploi chez un autre employeur alors que ceux qui restent n’arrivent pas à transmettre leur savoir, faute d’études capables de faire venir des plus jeunes. Le risque de perdre des compétences est d’autant plus grand que le cycle des grands programmes d’armement tend à espacer les différentes générations de matériel, de sorte que le temps qui passe entre deux programmes majeurs successifs multiplie les départs, sans permettre le maintien et la transmission du savoir en interne. La seule solution pour éviter cette fuite des cerveaux est de recourir aux études de R&T, pour maintenir un niveau de charge minimal du bureau d’études entre deux programmes.

Conséquence entre autres de la course à la technologie, mais également de l’introduction de nombreux règlements en faveur du développement durable, le renouvellement des procédés de fabrication et des matériaux utilisés pour réaliser un composant donné est de plus en plus rapide. Cet aspect est perceptible en partie au travers des nombreuses obsolescences que connaît un matériel au cours de sa vie. Mais au-delà des obsolescences et en supposant que celles-ci seront gérées convenablement, il est considéré comme fort probable que l’on ne saura pas produire dans vingt ans un produit rigoureusement identique à celui que l’on produit aujourd’hui, du simple fait que la composition des matières premières aura évolué (les matériaux pourront être d’une pureté différente) et que le niveau de finition des sous-composants sera différent parce que les outils et procédés de fabrication le seront ou simplement parce que la formation des personnels mis à contribution sera différente. Aussi, fabriquer un armement à un moment donné

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n’implique pas toujours la capacité à le reproduire de nouveau plus tard. Selon ce principe, une technologie n’est jamais pérenne. C’est en particulier vrai pour les armements de la dissuasion, ce qui rend nécessaire la prise en compte de marges dans la conception des armes actuelles et le développement de moyens capables de vérifier que les armes produites ultérieurement seront fonctionnelles. Ainsi, même lorsqu’une technologie peut être considérée comme suffisante pour répondre à un besoin donné, il est vraisemblable que celle-ci ne puisse continuer à répondre à ce besoin, fut-il inchangé, sans un minimum d’études complémentaires afin de garantir sa durabilité.

En comparant les domaines civil et militaire, il apparaît que la principale différence réside dans l’origine du besoin. Dans le domaine militaire, ce sont principalement les utilisateurs finaux qui sont force de proposition et d’innovation au travers des besoins exprimés, alors que dans le domaine civil, c’est avant tout la concurrence qui tire l’innovation au niveau de l’offre. Il est d’ailleurs assez logique dans ces conditions que les modes de financements de la R&T diffèrent selon les domaines : la R&T destinée aux équipements militaires est justifiée par la réponse à un besoin, au regard de son coût mais aussi et surtout au regard des performances souhaitées, alors que la R&T destinée aux équipements civils est évaluée en permanence sous le prisme du retour sur investissement.

La durée des cycles, souvent évoquée, n’est pas différente pour un secteur d’activité donné ; en revanche on observe en général une bonne complémentarité des cycles civils et militaires, de sorte que l’activité moyenne civile et militaire connaît une évolution plus mesurée que celle d’un seul des deux domaines, ce qui incite logiquement beaucoup d’industriels à équilibrer, lorsque c’est possible, leurs portefeuilles entre ces deux domaines, avec des retombées évidemment favorables pour les technologies duales.

Une autre différence, enfin, entre le civil et le militaire, concerne les aspects de propriété intellectuelle, appréciée dans le civil sous l’angle des enjeux de concurrence et considérée dans le militaire comme constitutive d’un enjeu de souveraineté nationale. Ce dernier point est, nous le verrons dans le paragraphe "poids politique", une autre clé de la course à la technologie.

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Les freins industriels à la course technologique

Les montants consacrés à la R&T, dans le domaine de la Défense, sont assez faibles, de l’ordre de quelques pourcents du chiffre d’affaires. Ils sont, en pratique, du même ordre de grandeur que les marges opérationnelles des industriels concernés, ce qui illustre bien le choix cornélien auquel ceux-ci sont confrontés chaque année, lorsqu’il faut choisir entre le résultat immédiat, au bénéfice d’actionnaires pressés avec lesquels le marché est souvent en phase, et la préparation de l’avenir au détriment de la rémunération à court terme des actionnaires. D’une manière générale, c’est l’équilibre qui prévaut, ce qui donne de fait une limite aux montants investis dans la recherche.

Au bilan, il est difficile pour un industriel de faire varier de façon franche et/ou irrégulière le volume de son activité de R&T. Aussi, la course aux technologies, lorsqu’elle est menée, aura tendance à se faire à un rythme constant ou en faibles variations. C’est donc ici une limitation.

Autre facteur limitant : le risque technologique. En effet, la complexité croissante

des armements rend l’intégration d’une nouvelle technologie dans un environnement existant de plus en plus délicate, alors qu’elle allonge les durées de développement de systèmes entièrement nouveaux. Certes, les moyens de CAO et de simulation, sans cesse plus performants, permettent de réduire les incertitudes associées à une innovation donnée, mais ils ne les lèvent pas complètement. À contrario, les incertitudes résiduelles sont d’autant plus difficiles à évaluer que l’homme a pris l’habitude de s’en remettre aux outils informatiques pour prévoir le comportement d’un système et a ainsi parfois perdu l’usage du bon sens, du "flair" dans son analyse des dysfonctionnements possibles. À cela s’ajoute la complexité des moyens de simulation et de tests, dont les paramétrages sont devenus tellement évolués, pour mieux prendre en compte les infimes variations des conditions environnementales réelles, qu’ils génèrent par eux-mêmes de nouvelles sources d’incertitude et d’erreurs. Or les risques sont difficilement partageables. La multiplication des exemples où des partenaires censés partager les risques (communément appelés risk sharing partners), se retrouvent en fait dans une logique de rejet de la responsabilité sur l’autre dès qu’un problème survient, tant les enjeux financiers, voire légaux, sont importants. En matière de programmes d’armements, il y a ces dernières années une tendance de fond qui vise à transférer le plus possible de risques de l’État vers l’industrie, pour

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différentes raisons qui vont de la recherche de la moindre responsabilité personnelle (face au juridisme croissant de notre société) à la meilleure prédiction possible des flux financiers (à l’extrême, un programme où l’industriel maîtrise effectivement tous les risques ne devrait pas connaître la moindre dérive, ni calendaire ni financière). Ainsi, les mécanismes mis en place par la Lolf ne laissent pas de place aux surcoûts inattendus et ne permettent pas de dégager facilement les ressources requises face à un risque qui aurait été sous-évalué côté étatique. En résumé, la tendance observée ces dernières années est celle d’une augmentation des risques liés à l’introduction de nouvelles technologies, doublée d’une moindre répartition de ces risques entre différents partenaires. Les parades sont malheureusement peu nombreuses : soit les risques sont réduits par recours à des technologies davantage matures, soit des provisions calendaires et financières pour risques sont prises, ce qui se répercute dans le coût du programme. Là encore, nous avons affaire à un facteur limitant la course à la technologie.

Dernier facteur limitant : la nature variable des innovations. Il est désormais

acquis que l’innovation procède par une combinaison de petits sauts, souvent appelés "évolutions", et par des grands bonds, communément qualifiés de "ruptures technologiques". Or il est très difficile de choisir entre innovation incrémentale et saut technologique comme il est rare de savoir distinguer dans les différentes trouvailles celle qui pourra déclencher une rupture technologique, de sorte que l’innovation suit un rythme peu prédictif en dehors de quelques règles statistiques élaborées de manière empirique et jamais vraiment prises en compte lors de la définition d’un produit futur, par crainte que la règle, non démontrée, ne devienne fausse. Or les matériels développés pour répondre aux besoins de la Défense ont tendance à être de plus en plus complexes et interdépendants. Ces deux aspects, complexité et interdépendance, ont comme conséquence que les cycles de développement des différents systèmes doivent être régulièrement recalés. Il est peu vraisemblable qu’une technologie de rupture puisse facilement être intégrée dans un environnement dont la plupart des composants ne connaîtraient que de simples évolutions. Par exemple, en matière de télécommunications, l’accroissement très significatif des débits de données transmissibles avec le passage de l’analogique au numérique n’a pu être pleinement pris en compte qu’à partir du moment où les éléments d’interface (écrans de contrôles, postes radio, outils de programmation de fréquences, etc.) et le format des données ont été rendus compatibles avec le numérique. Pour poursuivre l’exemple, la transmission d’images par voie radio est arrivée bien après la capacité de transmettre des signaux

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numériques par cette voie ; elle a en effet dû attendre l’introduction de capteurs d’images numériques. Une limitation similaire se retrouve pour des systèmes dont au moins un des composants ne peut évoluer pendant plusieurs années, soit parce qu’il est difficile techniquement de le faire évoluer facilement (cas du moteur d’un avion de combat, par opposition à ses calculateurs) soit que cela ne soit pas acceptable économiquement (cas d’un satellite de communications dont il est impossible de faire évoluer la gamme de fréquences sans changer le satellite lui-même). Il apparaît donc que l’interdépendance des différents composants d’un système d’armes introduit des limites importantes à l’introduction de nouvelles technologies dans une partie de ce système et, de fait, freine la course à la technologie.

Notons enfin, pour ajouter un peu à la complexité de l’ensemble, que

l’augmentation de l’écart entre deux générations consécutives d’un système d’armes devrait inciter les concepteurs à rechercher des technologies de rupture, plus à même de donner un écart significatif de performances entre les deux générations, alors même que la maîtrise des risques associée à cet écart important entre deux programmes incite, au contraire, à se contenter d’innovations limitées.

En synthèse, il apparaît un intérêt fort pour l’industrie à entretenir la course technologique en réponse au besoin opérationnel exprimé ou pressenti, tout en gardant en mémoire les facteurs limitants que sont la capacité des bureaux d’étude, la maîtrise du risque technologique et les investissements requis.

Incidence économique

L’armement au cœur du développement économique de la nation

De tous temps, l’armement a permis de développer une industrie de pointe au service d’un projet politique, celui d’affirmer la puissance d’une nation.

Le XXe siècle est très révélateur de cette course aux armements ayant eu une incidence économique : reconstruction de l’Allemagne après la défaite de 1918, course à l’arme nucléaire, bouclier antimissiles… Très logiquement, les avancées technologiques réclament des investissements majeurs que seuls les pays riches peuvent s’offrir. Elles peuvent servir un véritable projet de société comme ce fut

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le cas pour la conquête spatiale aux États-Unis. Une telle volonté suppose la hiérarchisation des priorités de la Nation. Ainsi, une grande cause nationale est facilement évoquée pour accéder à une nouvelle capacité de défense et allouer des budgets massifs à la Défense dans la mesure où le pays demeure sous le coup d’une menace d’agression connue ou pressentie.

L’exemple français mérite d’être souligné. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale et dans le contexte de la guerre froide entre les États-Unis et les pays du Pacte de Varsovie, l’indépendance stratégique, dont la Nation française avait fait sa priorité, s’est traduite par l’acquisition d’un outil de défense de premier rang mondial. La DGA a été constituée pour répondre à cet objectif politique basé principalement sur la dissuasion nucléaire. L’outil industriel a largement bénéficié des finances publiques jusqu’à la fin des années 1980. Un tel cycle a pu s’accomplir en bénéficiant du développement économique de l’après guerre (les Trente Glorieuses) et a résisté aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.

Avec l’effondrement du Mur de Berlin en 1989 et la constitution progressive de l’Europe de la Défense, la situation a changé radicalement. Même si des risques de conflits intra-européens peuvent encore être identifiés, la plupart des pays occidentaux ne vivent plus sous une menace adverse. De façon naturelle, les priorités économiques ont été revues depuis le début des années 1990. Confortée par la maturité de son industrie de Défense et son niveau technologique, la France a pu revoir sa politique de la défense en adaptant l’effort financier au juste nécessaire. Une logique d’acquisition de capacités militaires a laissé place à une logique de gestion financière, avec le risque de voir la défense être régulièrement la variable d’ajustement d’un budget contraint.

Selon les données actuellement recensées, il est difficile d’évaluer précisément le nombre d’emplois concernés par les programmes de R&T de défense mais on peut raisonnablement l’estimer à 30 000 emplois directs en France.

Aspects budgétaires

Au plan nationalPour mesurer l’effort consenti par la nation dans le domaine des technologies

de sécurité et de défense, il convient d’extraire la part budgétaire relevant de l’effort de recherche technologique (ERT) en amont des programmes d’armement

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et permettant d'acquérir l'expertise, les connaissances et capacités scientifiques, et techniques nécessaires à la définition et au lancement des futurs équipements. Celle-ci relève principalement des crédits d’études amont regroupés pour la majeure partie dans l'action 4 "Maintien des capacités technologiques et industrielles" du programme 144 "Environnement et prospective de la politique de défense" et aux subventions versées aux organismes de recherche sous tutelle du ministère (Onera, ISL). L’ERT a représenté 850 M€ en 2008.

En élargissant aux programmes de recherche duale de la MIRES (P191), aux études de défense et à la part R&D des développements de systèmes d’armes, on constate que l’agrégat de la R&D de défense atteint 3,62 G€ en 2008 contre 3,46€ en 2007 soit une progression de 4,6 %.(10)

Toutefois, on peut constater que la part défense dans la dépense nationale R&D totale est en baisse depuis 1998 : elle était de 9,5 % en 1998 alors qu’elle ne représente plus que 7,4 % en 2008.(11)

Au plan internationalSelon les données recensées par l’Agence européenne de défense(12), la France

et le Royaume-Uni représentent à eux seuls les deux tiers de l'effort de recherche et technologie de défense européen (2,5 G€) et de R&D (9,5 G€ en 2007) ce qui atteste du rôle majeur que jouent ces deux nations dans la construction de l’Europe de la défense. Les autres grands contributeurs sont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède, tous signataires de la LOI. L’ensemble des dépenses européennes en matière de défense représentaient 41,8 G€ en 2007 d’où un ratio R&T/total de 6 %.

Concernant plus particulièrement la France, la contribution à l’effort européen de R&T est croissant depuis 2003 : l’effort de recherche technologique est ainsi passé de 497,7 M€ en 2003 à 850 M€ en 2008. Il est significatif car il intervient dans une loi de programmation caractérisée principalement par l’équipement des forces(13) et le soutien opérationnel. Il demeure néanmoins modeste au regard des dépenses consacrées par les États-Unis estimées à 13,3 milliards d'euros en 2008.

(10) Source : "Projet de Loi de Finances", 2008.(11) Source : Annuaire statistique de la Défense, 2007-2008, publié le 26 juin 2008.(12) Source : "National Defence Expenditure 2006-2007".(13) Notamment Rafale, Tigre, Felin, VBCI, Fremm, Barracuda, A400M.

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L'écart avec les États-Unis est encore plus marqué si l'on se réfère à l'agrégat R&D : l'effort français ne représente alors qu’à peine 5 % de l'effort américain (3,6 G€ contre 77,3 G€) !

Face aux contraintes économiques qui pèsent sur l’ensemble des pays occidentaux, il devient indispensable de privilégier la mutualisation des budgets dédiés à la préparation de l’avenir. C’est bien dans cette perspective que s’inscrit la France qui consacre une part importante de sa R&T à des coopérations européennes confiées à l’Agence européenne de défense (AED). Outre sa participation au budget opérationnel commun qui s'élève depuis 2005 à environ 5 millions par an pour des études de recherche et technologie, la France est présente dans tous les grands projets de l'AED financés sur budget dédié : Musis, programme de protection des forces (Force Protection), radio-logicielle (Essor) ou programme de concepts innovants et technologies émergentes (ICET)…

Nécessité d’une BITD

L’investissement de R&T consenti par la défense bénéficie principalement à l’industrie de défense et aux PME du secteur. L’objectif principal est bien de constituer et entretenir une industrie de défense et de sécurité compétitive au plan mondial.

La constitution d’une véritable base industrielle et technologique de défense (BITD) innovante et à la pointe des technologies de défense restera principalement alimentée par les contrats étatiques. Les contrats de R&T représentaient ainsi, en 2005, à 1,79 milliard d’euros, soit les deux tiers du financement public de la R&D des entreprises (2,56 G€). Ils concernaient près d’une centaine d’entreprises, dont environ 60 PME (moins de 500 salariés). Il faut noter que le nombre de PME bénéficiaires de contrats de R&D pour la défense s’est sensiblement accru après 1996, tout en connaissant des évolutions fluctuantes. Leur part du montant total des contrats reste cependant très faible.

Ce constat, regretté par les PME, paraît difficile à faire évoluer car les grands industriels systémiers souhaitent légitimement maîtriser le risque de transposition technologique à leurs produits.

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L’enjeu économique des exportations d’armement

L’enjeu économique des exportations d’armement est double. D’une part, elles allègent l’effort financier de l’État que ce soit sur les matériels actuels (effet de volume des commandes) ou les programmes futurs (participation au développement de nouveaux systèmes d’armes dont la France pourrait être cliente). D’autre part, elles confortent l’implantation de l’industrie française à l’étranger et accroissent le chiffre d’affaires total.

Le marché des exportations d’armement reflète la performance de notre outil industriel et l’effort d’innovation technologique qui est indispensable pour maintenir la place de la France sur l’échiquier mondial. Or, la place de la France est menacée. L’étude des exportations françaises d’armement(14) montre que les commandes ont régressé en volume entre 1998 (8,64 G€) et 2004 (3,49 G€) avant d’amorcer une remontée. L’objectif est désormais d’atteindre 7G€ d’ici 2010 soit 13 % du marché mondial. Cet objectif reste ambitieux au regard des difficultés rencontrées précédemment : certains programmes emblématiques n’ont pas encore trouvé de débouchés à l’export (exemple typique du Rafale), d’autres ne convainquent pas dans la mesure où ils ne sont pas acquis par la France. De façon générale, la part française des exportations d’armement est en réduction sous l’effet de lobbying des grandes Nations exportatrices et l’émergence de nouveaux acteurs sur ce marché stratégique.

Même si le niveau des exportations demeure somme toute modeste au regard d’un budget national, la branche armement se caractérise par un taux d’exportation important, de l’ordre de 60%, largement imputable à l’innovation technologique de l’industrie de défense(15).

La course technologique participe donc au développement économique de la nation mais induit un effort budgétaire conséquent, qui peut partiellement être allégé par les exportations d’armement et les perspectives de coopération entre pays européens.

(14) Source DGA/DDI.(15) Source : comptes nationaux, branche armement base 2000 et Insee.

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Poids politique

Le Livre blanc(16) précise que les « compétences scientifiques, technologiques et industrielles de la France conditionnent sa capacité à satisfaire les besoins des armées, ceux de nos partenaires européens, et de plus en plus ceux des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile. Elles doivent permettre à la France de conserver son autonomie stratégique et contribuent à promouvoir l’Europe comme pôle d’excellence industriel et technologique. » La dimension politique de la technologie employée dans les outils de défense est ainsi clairement posée.

Après avoir présenté la compétitivité de l’industrie française, le Livre blanc constate la fragmentation de l’industrie de défense européenne, précisant que seuls « certains secteurs, essentiellement l’aéronautique et l’électronique de défense, ont vu l’émergence de grands groupes européens. » Et encore, ceux-ci sont le fruit de rapprochements guidés par « la volonté des États de conserver sur leur territoire des capacités de R&D de production et de maintenance jugées stratégiques, » de sorte que les capacités technologiques et industrielles n’ont pas été réparties dans un but de performance économique. Or il est précisé plus loin qu’il « existe, entre tous les acteurs de la sécurité nationale, des problématiques technologiques partagées, pour lesquelles seule une approche d’ensemble est de nature à dégager des synergies. Des approches séparées pourraient créer des duplications et nuire à l’interopérabilité des équipements. »

C’est là tout le paradoxe lié à l’innovation et aux technologies mises en œuvre dans les équipements de défense, considérées par les uns comme instrument de coopération et, par les autres, comme parties intégrantes de la souveraineté.

D’ailleurs, les préconisations du Livre blanc en matière de mutualisation des démarches de recherche abordent le problème sous l’angle strictement national (avec la recherche d’efficience au travers du renforcement des synergies des programmes de R&T de sécurité et de défense, dans le cadre d’une coordination interministérielle) mais également dans le cadre européen, qui constitue « une opportunité pour fédérer les efforts en matière de R&T » et « pour jeter les bases de coopérations futures. »

(16) Préambule du chapitre 16 : "l’industrie et la recherche".

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La technologie au service de la coopération

Si les enjeux de souveraineté associés à certaines technologies sont évidents, il est en revanche beaucoup moins simple, aujourd’hui, de définir le contour des technologies susceptibles d’être partagées, ainsi que les raisons de ce partage. Ce point est sans doute le premier à examiner et peut se résumer à une question : pourquoi coopérer ? Un bref retour sur les coopérations lancées ces cinquante dernières années permet de mettre en évidence trois catégories de motivation :

– la recherche d’un partage des coûts et des risques ;– l’acquisition des compétences et/ou l’accession à un marché export, dans le

cadre d’une politique industrielle ;– une volonté de coopération inter-étatique à travers des industriels, dans le

cadre d’une politique étrangère.

Or, en examinant chacune de ces trois catégories, les résultats sont pour le moins mitigés. En effet :

• En matière de partage des coûts et des risques dans le domaine des technologies, il apparaît que la coopération permet des investissements qui n’auraient été tout simplement pas possibles en national mais a également tendance à renchérir le coût des programmes et à compliquer la résolution des problèmes techniques par une inévitable dilution des responsabilités.

• Dans le cadre d’une politique industrielle, l’Eurofighter est un exemple de véritable réussite au sens de l’acquisition de compétences et de la mise en œuvre d’une politique de développement d’une industrie nationale, en particulier dans le cas de l’Espagne. En revanche, les limites de cette politique industrielle peuvent se trouver confrontées aux intérêts des industriels concernés. En matière d’accès à un marché, le Scalp/Storm Shadow est souvent cité comme l’exemple d’un programme en coopération réussie, dans l’intérêt commun des industriels et des armées acheteuses. En revanche, il existe des cas où la volonté politique d’avoir un programme commun n’a pas été couronnée de succès. Ainsi, le lancement dans les années 1950 d’un projet de char de combat commun à l’Allemagne, la France et l’Italie a débouché sur l’acquisition de trois chars différents.

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Les politiques volontaristes de coopération ont connu de francs succès, avec, par exemple, le Transall, fruit d’une coopération politique entre l’Allemagne et la France, et les achats croisés d’hélicoptères Gazelle, Puma et Lynx, qui sont le reflet d’une volonté politique de coopération entre la France et le Royaume Uni. En revanche, la volonté politique ne suffit pas toujours, en particulier si elle ne s’accompagne pas d’une convergence des besoins tant calendaires que capacitaires. Le VBCI et le missile anti-char AC3G sont ainsi de bons exemples d’une coopération voulue au niveau politique, mais insuffisamment déclinée sur les plans calendaire, capacitaire, voire industriel.

Il ressort des exemples précédents que la technologie ne peut être considérée comme un instrument efficace de coopération que dans certaines conditions, la principale d’entre elles étant l’existence d’une volonté politique forte et pérenne de coopération. Il faut, en outre, que les industriels concernés par cette coopération y trouvent un intérêt et ne soient pas contraints de procéder par des alliances de circonstance lorsqu’il est prévu de faire travailler ensemble sur un programme conjoint des entreprises concurrentes sur d’autres. Enfin si la convergence des calendriers et des besoins capacitaires n’est pas satisfaite, la technologie devient le plus petit dénominateur commun.

Les réflexions menées dans le cadre de la préparation du Livre blanc ont abouti à la conclusion que la France considère qu’en dehors du domaine de souveraineté, concentré sur les capacités nécessaires au maintien de l‘autonomie stratégique et politique de la nation, c’est le cadre européen qui doit être privilégié pour l’ensemble des technologies et capacités qu’elle souhaite acquérir. Ce cadre européen n’exclut pas, bien au contraire, l’existence d’une politique industrielle nationale, même s’il est par ailleurs admis que l’industrie d’armement ne peut plus s’en remettre aux seules dépenses militaires des États pour assurer l’intégralité de ses plans de charge.

La technologie joue ici un rôle tout particulier puisque le gouvernement considère que l’industrie de défense peut en revanche attendre des États qu’ils lui assurent les conditions de son développement, en lui donnant les moyens de se maintenir au plus haut niveau de la technologie, en favorisant ses exportations (elles-mêmes bien souvent conditionnées par le contenu technologique des équipements), et en la protégeant contre des concurrences déloyales.

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La première priorité : se maintenir aux frontières de la technologie

Dans son discours du 10 octobre 2008 devant la convention de l’Association européenne des industries de l’aéronautique, de l’espace et de la défense, M. Fillon, Premier ministre, a ainsi déclaré, que « la première priorité pour cette industrie, c’est de se maintenir aux frontières de la technologie. C’est vrai pour l’ensemble de la filière : naturellement pour les grands ensembliers qui ne peuvent exister qu’au niveau mondial, mais aussi pour les équipementiers, pour les sous-traitants qui ont leurs assises au niveau national et européen, un niveau pour lequel l’implication des pouvoirs publics est déterminante. C'est la raison pour laquelle notre effort de recherche et de développement ne peut pas se limiter aux grands ensembliers. » La conclusion du discours fait la part belle à la technologie, indiquant que « dans l’instabilité actuelle, les pouvoirs publics ont plus que jamais le devoir d'investir dans la sécurité naturellement, mais aussi d'investir dans la technologie, parce que la recherche et la technologie constituent […] la meilleure réponse à la crise que nous rencontrons. »

La France place donc, résolument, la technologie au centre du débat sur l’avenir de l’industrie nationale et européenne d’armement. Ce qui ne constitue pas pour autant un chèque en blanc fait à l’industrie. Ainsi, le gouvernement est pleinement conscient des résultats publiés dans un récent rapport du General Accounting Office américain, selon lequel 70 % des 96 principaux programmes d’armement américains accusent de sérieux retards et dépassements de coûts, pour l’essentiel dus à l’utilisation de technologies insuffisamment matures (ce qui découle notamment de prototypes dont la faisabilité opérationnelle n’était pas pleinement démontrée), ainsi qu’à des modifications de spécifications au cours du développement des systèmes. En France, le constat de dérives similaires a incité les auteurs du Livre blanc à préconiser le renforcement de la maîtrise technique, économique et financière des programmes d’armement, notamment à travers le renforcement des capacités d’analyse économique et financière du ministère de la Défense, la mise en place d’un comité ministériel des investissements de défense et la consolidation progressive des devis des programmes, au fur et à mesure de l’avancement des travaux de préparation.

L’importance de la volonté politique est donc bien démontrée, elle est une des raisons de la course technologique et s’appuie sur des outils décrits dans l’annexe 1.

Le cas du Royaume Uni est décrit en annexe 3.

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Développement durable et course à la technologie

Le métier des armes et l’utilisation de l’armement ne peuvent plus se concevoir sans prendre en compte les règles posées par la protection de l’environnement, que ce soit en conflit armé ou dans le cadre de l’entraînement de nos forces. L’environnement doit faire partie des missions de la défense à tous les stades :

– éco-conception des systèmes d’armes ; – utilisation des armes à travers le droit des conflits (interdiction des armes

chimiques) ;– fin de vie des équipements à travers le démantèlement des matériels.

Nous avons donc choisi d’illustrer l’impact des nouvelles réglementations, Reach en particulier (détaillé en annexe 2), sur la recherche et les progrès technologiques. Ces réglementations et leurs objectifs, dont chacun reconnaît la nécessité, sont malgré tout souvent ressentis comme un mal nécessaire, impliquant des surcoûts qui par nature ne sont pas, ou rarement, financés, puisqu’il ne s’agit que d’appliquer la loi. Elles sont cependant à l’origine de nouveaux champs de recherche technologique, qui ont d’ores et déjà abouti à des résultats et des applications en rapport avec le domaine de l’armement.

Il faut noter que Reach prône l’innovation en réponse aux nouvelles contraintes et prévoit à cet effet des dérogations pour les activités de recherche et développement sur les substances.

Les progrès technologiques associés au développement durable

Les substances objet de la directive Rohs et du règlement Reach sont en général toxiques, cancérigènes ou mutagènes. Elles représentent souvent un danger pour l’environnement de par leur très longue durée de vie. Une de leurs particularités est la résistance aux "agressions" extérieures (exemple du Chrome 6 utilisé pour ses propriétés anticorrosives). L’abandon de telles substances constitue donc un défi technologique, dans la mesure ou il faudra essayer de développer des solutions alternatives présentant les mêmes avantages ou performances que les substances interdites, mais n’en ayant pas les inconvénients.

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Un facteur indéniable de progrès sera la course que ne manqueront pas de faire les industriels, afin de pénétrer le marché des substances conformes aux nouvelles réglementations et y gagner des parts significatives.

Les nombreux développements menés dans des domaines diversifiés reflètent bien cette évolution. À titre d’exemple, citons :

Les biocarburants : produits à partir de matériaux organiques non fossiles, ils ont atteint des degrés de maturité divers. Ceux de première génération (filière huile et alcool), du type bio-éthanol, sont déjà utilisés dans de nombreux cas. Les biocarburants dits de deuxième génération sont développés pour se substituer, au moins partiellement, au kérosène. Deux vols d'essais ont eu lieu fin 2008 et début 2009 sur un Boeing 747, puis un 737, dont un des réacteurs a été alimenté avec 50 % de biocarburant et 50 % de kérosène traditionnel. Les mélanges se sont comportés sans altérer le fonctionnement des moteurs, sinon une baisse de consommation inférieure à 2 %. Les biocarburants à partir de micro-algues sont appelés de "troisième génération". D’un point de vue théorique 30 à 100 fois plus efficaces que les oléagineux terrestres, les agro-carburants pourront être produits avec les meilleurs rendements, rendant ainsi envisageable une production de masse (par exemple pour l'aviation), sans déforestation massive ni concurrence avec les cultures alimentaires. La Darpa américaine a décidé de financer à hauteur de 25 M$ des projets de recherche sur la production de biocarburant pour l’aviation militaire.

Toujours dans le domaine des énergies propres, les piles à combustible sont des convertisseurs d’énergie en progrès permanent, dont les applications se développent dans différents domaines, et commencent à intéresser la défense, en particulier aux États-Unis et au Canada.

Le MIT a développé une membrane semblable à du papier buvard, constituée de nano-fibres. Totalement imperméable à l’eau, elle peut absorber jusqu’à 20 fois son poids d’huile. L’Army Environmental Policy Institute a relevé les implications militaires de ce nouveau matériel et le MoD américain est intéressé par cette technologie pour ses capacités d’absorption de solvants.

De manière plus générale, les textiles techniques offrent une perspective d’utilisation écologique pour la défense : structures gonflables pour créer des hôpitaux mobiles, stores économiseurs d’énergie, etc.

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Il apparaît donc que ceux qui auront maîtrisé, voire anticipé, les contraintes imposées par le domaine du développement durable, auront un avantage certain.

Synthèse : La course technologique dépend de plusieurs paramètres qui interagissent entre

eux. En se basant sur le cas très concret d’un programme d’armement, on peut illustrer la plupart de ces interactions par le schéma suivant :

Le trinôme des relations dans un programme d’armement.

États-majorsopérationnels

IndustrielLaboratoires

R&T

DGA

CoordinationASF, DP/OP

Études technico-opérationnelles,

Retex

Contrat

Pression dupolitique et dela compétitivité

Contrainteséconomiqueset réglementaires

Besoinopérationnel,�exibilitéadaptabilité

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« Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau. »

Albert Einstein

COMMENT RENDRE LE SYSTÈME PLUS EFFICACE ?

Les enjeux et interactions entre les différents acteurs de la course technologique étant déterminés, il incombait au comité de réfléchir à l’évolution d’un tel système au regard de l’environnement actuel et futur de notre outil de défense.

Cette étude prospective s’est basée sur les orientations suivantes :– maîtriser le coût technologique des systèmes d’armes ;– maîtriser l’intégration de la technologie dans les systèmes de défense ;– concilier évolution technologique, enjeux politiques et sociétaux et impératifs

opérationnels ;– cibler les domaines technologiques prioritaires pour notre outil de défense.

Maîtriser le coût technologique des systèmes d’armes

La plupart des entretiens effectués par notre comité a mis en lumière le caractère primordial du paramètre coût. Il semble que, tant pour les responsables opérationnels que pour les industriels de l’armement, la limite financière demeure le principal frein à la recherche de solutions technologiques pouvant garantir la supériorité opérationnelle. Il est donc à la fois nécessaire de rentabiliser au mieux les investissements en matière de R&T et de les maintenir à un niveau nécessaire et suffisant en cohérence avec les objectifs capacitaires de la Nation. Une telle maîtrise suppose une stratégie visant à optimiser l’effort financier en amont des programmes d’armement, mais également tout au long du cycle de vie des systèmes d’armes.

L’optimisation n’est pas un objectif irréaliste : pour s’en convaincre, il suffit de constater que, malgré des investissements de R&T dix fois supérieurs, l’avancée technologique des États-Unis par rapport aux Nations européennes ne se traduit pas par un écart capacitaire et qualitatif équivalent. Toutefois, il est raisonnable de penser que les marges de progrès sont réduites.

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En amont des programmes d’armement, la recherche technologique demeure stratégique pour la Nation. Dans la mesure où elle conditionne la majorité du coût des systèmes futurs, elle doit rester à un niveau d’investissement important. Il est donc indispensable de piloter l’ERT non pas comme un pourcentage du budget global de Défense, mais comme une valeur absolue. Cet ERT doit être conçu en tenant compte des capacités que la France veut préserver afin de maintenir son rang. En effet, réduire les financements en deçà d’un certain seuil reviendrait à renoncer à un secteur technologique et à devenir dépendant d’autres Nations. La cartographie technologique doit être mise à jour régulièrement afin de mieux cerner les priorités de dépenses R&T et alerter sur la criticité de leur évolution. À l’inverse, les investissements doivent être pensés beaucoup plus en termes de rentabilité sur la durée. Le rôle de la DGA/D4S est, sur ce point, déterminant.

Recommandation n° 1Maintenir l’ERT et veiller à la rentabilité sur le long terme des investissements par grands secteurs technologiques.

Une piste d’allègement de l’effort consenti par l’État pourrait consister à formaliser un retour sur investissement : à l’instar de ce qui se pratique dans le domaine de l’aviation civile, il conviendrait de recourir à des avances remboursables selon des critères préétablis et basés sur le nombre de matériels vendus, notamment à l’export, intégrant la technologie concernée. Le financement des développements militaires s’en trouverait ainsi réduit a posteriori.

Face aux impératifs budgétaires qui peuvent se traduire par des réductions importantes pour les budgets de Défense, la préservation d’un budget R&T passera également par la mutualisation des efforts de recherche avec d’autres partenaires. Deux composantes doivent ainsi être exploitées :

La dualité des technologies civiles et militaires : les avis ont pu être partagés sur les perspectives et limites d’une telle dualité. S’il est vrai que les technologies de pointe ont souvent été développées initialement pour des applications militaires, le secteur civil est aujourd’hui leader sur de nombreux secteurs technologiques intéressant le monde militaire. On peut citer toutes les NTIC, les systèmes embarqués de détection, reconnaissance, navigation, les systèmes énergétiques et propulsifs, les nanotechnologies, etc. De telles technologies seront développées, pour une

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grande partie, dans un contexte d’applications civiles pour lesquelles les volumes seront importants (cf. annexe 4 pour la vision du ministère de l’Industrie sur le sujet et l’annexe 5 pour l’application à un cas concret, celui de l’automobile). Leur transposition au monde militaire devrait donc se faire à coût raisonnable.

La mutualisation des coûts de développement est déjà une réalité et la bonne collaboration entre le ministère de la Défense et le ministère de la Recherche a pu être constatée. De même le partage de responsabilité entre DGA et DGAC pour ce qui touche au domaine aéronautique apparaît globalement satisfaisant. La R&T doit rester l’un des principaux domaines de coopération interministérielle ce qui peut nécessiter le renfort des structures actuelles. En revanche la dualité ne peut être considérée comme la solution miracle aux questions de défense.

La dissymétrie des transferts technologiques entre les mondes civil et militaire est déjà un signal instructif, car il montre que le militaire continue globalement à irriguer le monde civil. Par ailleurs, les cycles de développement industriel sont le plus souvent différents. L’exemple de l’automobile est instructif : alors que des fortes similitudes, possibilités de transferts de technologies ou d’utilisation d’items duaux pourraient être envisagées, la réalité montre qu’il n’en est rien. Les modèles de la gamme civile évoluent tous les trois à cinq ans alors que les véhicules militaires similaires restent en service de 20 à 25 ans. Cela induit deux problèmes, la maîtrise des évolutions et le suivi des obsolescences. Actuellement la durée de vie et de soutien des équipements de l’industrie automobile est de dix ans. Il faut donc que le cycle de rénovation des véhicules militaires soit inférieur à cette limite malgré un taux d’emploi et d’usure faible comparativement au civil (par exemple le moteur du VBL est un moteur PSA, prévu pour parcourir 250 000 km en dix ans, alors que le VBL a été conçu pour un emploi de 2 500 km/an soit 25 000 km en dix ans …).

Le MRTT, dont la plate-forme est dérivée de plates-formes civiles (qu’il s’agisse de l’A330 ou du B767) est une bonne illustration des technologies civiles réutilisées pour des applications militaires ; il aurait été illusoire aujourd’hui de développer une plate-forme militaire spécifique à cette fin, ce qui avait pourtant été le cas dans les années 1950, avec le KC135 dont a été dérivé le Boeing 707.

Une tendance générale peut être dégagée sous forme de recommandation.

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Recommandation n° 2 Dans le cas de transposition de technologies civiles, piloter systématiquement le coût financier et calendaire d’adaptation aux contraintes opérationnelles les plus dimensionnantes (disponibilité, maintenabilité et obsolescence des composants notamment).

La dualité deviendra stratégique notamment pour les programmes de sécurité. Le Livre blanc insiste sur le lien étroit entre sécurité et défense et les armées assurent déjà de nombreuses missions à vocation sécuritaire : sûreté aérienne, sauvegarde maritime, assistance à la sécurité civile, sécurité des forces et des populations en opérations. De fait, beaucoup de technologies intéressent la Défense et la Sécurité : renseignement, drone, système de communication et de gestion de crise, surveillance des frontières, détection, protection, NRBC… Leur mutualisation doit passer par une forte coopération avec les ministères civils (Intérieur, Transports, SGDN) comme c’est déjà le cas mais aussi par une plus grande implication dans les programmes sécurité sous l’égide de l’Agence nationale pour la recherche (programme Sécurité) ou des projets sécurité des pôles de compétitivité.

Recommandation n° 3Renforcer l’implication du ministère de la Défense dans les instances de gouvernance des pôles de compétitivité, afin de garantir la prise en compte des applications militaires dans les projets R&T de sécurité.

La coopération internationale : Souvent promue, parfois décriée, la coopération demeure un moyen efficace de partager les coûts de développement technologique entre les pays. Se pose régulièrement la question de l’équité du partage de responsabilité et du retour sur investissement. Le débat dépasse largement le strict cadre de cette étude et ne sera donc pas approfondi ici. Cependant de grandes lignes peuvent être dégagées. D’une part, le Livre blanc confirme très clairement la volonté d'accentuer la part des recherches réalisées en coopération européenne, essentiellement au travers de l'Agence européenne de défense à laquelle la France proposera des "projets mobilisateurs" et dont elle souhaite voir le budget propre s'accroître significativement. Il est en effet indispensable de mettre en commun les réflexions et de recouper les résultats, d'éviter la dispersion des ressources européennes en la matière, déjà très inférieures à celles dégagées par les États-Unis et de favoriser l'émergence de programmes communs sur les équipements futurs.

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Par ailleurs, le projet de loi de programmation militaire mentionne des « projets ambitieux en coopération européenne de recherche et acquisition de technologies visant à :

– augmenter l'effort d'innovation très en amont pour détecter et soutenir les technologies émergentes et de rupture, dans les laboratoires de recherche et les PME innovantes, au travers de la coopération avec l'Agence nationale de la recherche et les pôles de compétitivité ;

– consolider le socle technologique en portant à maturité les technologies pour les drones, les robots, les radars passifs, la communication numérique, les systèmes de systèmes et la protection de l'homme et des sites et les technologies spatiales des futurs programmes de télécommunications, d'observation et de surveillance, à la base de la supériorité de l'information ;

– développer l'approche des démonstrateurs technologiques qui servent à maîtriser les risques technologiques des programmes, à s'assurer très tôt de l'adéquation des solutions technologiques à un emploi militaire et qui fournissent un cadre structurant pour l'industrie européenne. »

Face aux investissements américains et à la montée du potentiel scientifique asiatique, une politique scientifique à l’échelle européenne demeure nécessaire. Dans cette optique, la participation de la défense aux réseaux de la recherche civile européenne (PERS, PCRD…) continue à se développer. Dans le domaine de la défense, l’Agence européenne de défense devrait non seulement avoir l’ambition de piloter des démonstrateurs technologiques d’envergure, mais aussi des programmes de R&T de base. Même si ceux-ci n’ont pas la visibilité politique de démonstrateurs technologiques, ils n’en sont pas moins utiles pour consolider les capacités scientifiques indispensables au maintien à long terme de l’indépendance technologique européenne dans certains secteurs stratégiques pour la défense.

La recherche systématique de coopérations R&T en amont des programmes d’armement doit permettre de partager les coûts et d’aider à la rationalisation des capacités opérationnelles en Europe. Cette construction prendra du temps et implique une forte volonté politique de tous les États membres. Compte tenu de la forte disparité économique et industrielle des pays de l’Union, il est plus réaliste de rechercher des coopérations entre pays signataires de la Letter of Intent (Loi). Si des choix devaient intervenir au niveau européen, il est probable que ces pays se verraient confortés dans leur leadership tout en veillant à offrir des compensations

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aux petits pays n’ayant pas de réelle industrie de défense. L’approche pragmatique, signalée par plusieurs personnalités interrogées, consiste à initier des coopérations bilatérales équilibrées puis à étudier leur possible élargissement à d’autres partenaires européens. La fin de la règle du juste retour par pays coopérant et la montée en puissance d’agence internationale ayant mandat des nations (telles que l’AED et l’Occar) devrait rendre l’approche plus objective et limiter les coûts par programme. Enfin, la constitution de véritables programmes d’armement européens devrait être bénéfique pour les exportations intra et extracommunautaires.

Recommandation n° 4Privilégier les coopérations bilatérales sur des technologies innovantes dont l’applicabilité opérationnelle justifie d’aller jusqu’au niveau démonstrateur. Ces coopérations doivent permettre de légitimer le rôle majeur de l’AED.

Maîtriser l’intégration de la technologie dans les futurs systèmes d’armes

Si nous avons pu voir tout l’enjeu du paramètre coût, il convient également de mieux appréhender la déclinaison de nouvelles technologies dans les futurs systèmes d’armes. Cela suppose d’avoir une parfaite maîtrise des enjeux scientifiques (maturité de la technologie), mais également industriels (faisabilité industrielle, maîtrise en production) et opérationnels (capacité sur le terrain, soutien et formation) donc de maîtriser la prise en compte de la technologie à tous les stades du cycle décrit ci-après :

Le Retex La R&T

La formationLa doctrine

La miseen œuvre

opérationnelle

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Formalisation du besoin opérationnel et mise en œuvre opérationnelleIl n’est pas souhaitable de spécifier une solution technologique, néanmoins

l’impact technologique est sous-jacent et ne peut être traité de façon indépendante. Il est donc nécessaire d’avoir dès cette étape une idée des technologies qui seront appliquées et leur coût respectif. Cela suppose une parfaite communication entre les acteurs de la conduite des programmes d’armement. Comme évoqué par certains industriels, il n’y a donc pas opposition entre technologie et besoin, l’essentiel étant d’avoir une analyse fonctionnelle rigoureuse, véritable outil de dialogue entre maître d’ouvrage étatique et maîtres d’œuvre industriels.

Recommandation n° 5Disposer dans la phase d’expression du besoin d’une analyse fonctionnelle et de la valeur orientée "technologie" qui mettent en évidence la maturité des technologies concernées ainsi que les risques, coût d’acquisition et coût de soutien.

De plus, de nombreux outils sont déjà mis en place par les industriels en phase de conception et méritent d’être cités : ingénierie concourante prenant en compte les problématiques de soutien, conception à coût objectif, Lean Engineering et Lean Manufacturing(17), développements incrémentaux, tableau de bord technologique s’appuyant sur les TRL, etc.

Il n’en demeure pas moins que la conception d’un système hautement technologique

implique une prise de risque qui ne peut être portée uniquement par le maître d’œuvre. À ce sujet, plusieurs idées émises lors des entretiens sont à signaler :

– renforcement de l’implication du client étatique dans le processus de conception, notamment au travers de tableaux de bord technologiques partagés entre la DGA et les industriels. De tels outils de pilotage doivent permettre de suivre, tout au long de la conception, l’applicabilité des technologies en termes de calendrier et de coût ;

– recherche d’architectures de systèmes ouvertes, autorisant la prise en compte ultérieure de nouvelles capacités technologiques. Cela doit passer par une gestion de configuration rigoureuse, en particulier au niveau des interfaces entre sous-ensembles, l’idée étant de concevoir une capacité technico-opérationnelle comme un équipement plug-and-play sur une plate-forme modulaire ;

(17) Le Lean Engineering est une optimisation de l'organisation R&D qui permet de diminuer les gaspillages dans les phases de recherche et de développement. Le Lean Manufacturing est, lui, dédié au processus de production.

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– afin de limiter le risque technologique en cours de développement, recours à des audits réguliers jugeant de la cohérence système et focalisée sur la compatibilité intersystème ou sous-systèmes. En effet les problèmes apparaissent souvent aux interfaces et la technologie doit être évaluée dans son environnement opérationnel.

Recommandation n° 6Privilégier les architectures ouvertes et la notion de plug-and-play sur des plateformes modulaires, systématiser les tableaux de bord visant à piloter l’application de nouvelles capacités technologiques dans les systèmes futurs.

La validation d’une capacité technologique passe souvent par la réalisation d’un démonstrateur technologique. Si certains industriels maintiennent leur souhait de voir de grands démonstrateurs, il n’est en revanche pas évident qu’il faille y recourir systématiquement. Il est illusoire de s’en remettre au "tout démonstrateur" pour juger de la pertinence d’une technologie en réponse à un besoin. D’une part, le démonstrateur est rarement un démonstrateur opérationnel et ne peut prétendre valider un concept d’emploi. D’autre part, le démonstrateur technologique est insuffisant pour lever tous les risques et juger du coût complet de prise en compte d’une technologie dans un système d’armes opérationnel (cf. les déboires rencontrés par les États-Unis dans leurs programmes d’avions de combat qui ont eu systématiquement recours aux démonstrateurs technologiques avant le choix du maître d’œuvre). Il faut notamment intégrer la mise au point de l’outil industriel de production et de soutien, les conséquences de formation du personnel nécessaire pour opérer et assurer le maintien en condition opérationnelle.

Il est donc hautement souhaitable de traiter ce point au cas par cas selon le niveau de complexité de la technologie et les enjeux opérationnels et industriels concernés.

RetexIndispensable pour valider un concept opérationnel et adapter la doctrine

d’emploi, le retour d’expérience (Retex) contribue également à la validation technologique. Il est le juge de paix et se traduit souvent par une évolution, parfois en profondeur, du besoin. Il serait intéressant de mutualiser ce Retex avec d’autres nations, européennes en particulier, impliquées dans des opérations conjointes.

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DoctrineLes opérationnels interrogés ont été clairs : la technologie doit rester au service

du besoin opérationnel en tant que solution et non pas comme but en soi. La doctrine pourra cependant tirer les enseignements de l’emploi d’une capacité technologique pour faire évoluer le concept d’emploi. Ainsi, elle contribue à modifier le besoin opérationnel. L’enjeu de ce décalage progressif entre besoin initial et besoin instantané est traité au § "Concilier impératifs opérationnels et cycle de développement technologique".

FormationL’impact technologique est souvent sous-estimé. En particulier la technicité

nécessaire pour l’emploi de fonctions complexes (interconnectivité, reconfigurabilité des systèmes, sophistication de l’interface homme-machine) doit être mieux intégrée au dimensionnement des futurs systèmes. La technologie doit être facilitatrice et garantir l’adaptation des armes aux hommes(18).

La formation à la technologie sera un des enjeux essentiels de systèmes futurs. L’entraînement des forces mais également le maintien en condition opérationnelle des systèmes d’armes vont fortement impacter les choix technologiques à venir. Il faut donc s’assurer que la R&T intègre bien cette dimension dès les premiers travaux de recherche jusqu’au niveau ultime de démonstration opérationnelle.

Recommandation n° 7Au-delà des aspects techniques purs liés aux progrès technologiques des systèmes d’armes, il faut prendre en compte, le plus en amont possible, les impacts sur la doctrine, la formation et le soutien de ces nouveaux systèmes.

Concilier impératifs opérationnelset cycle de développement technologique

Le paramètre temporel reste une clé essentielle de la réalisation de système de défense adapté à la menace. Tous les opérationnels et industriels interrogés ont souligné la difficulté à anticiper le besoin futur. Cela conduit souvent à sur-spécifier le besoin initial ou à faire des évolutions coûteuses en cours de développement

(18) Voir les travaux du comité n° 5.

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et à gérer les obsolescences. Le bilan des entretiens réalisés nous a également confortés dans l’idée qu’une des plus grandes difficultés auxquelles le monde militaro-industriel(19) est confronté de nos jours est celle de l’allongement des délais de réalisation. Il faut absolument que le processus soit revu et que les délais soient raccourcis. Dans une période où les budgets sont de plus en plus contraints, les délais sont une source de surcoût exorbitant.

En priorité, le cycle présenté au paragraphe précédent doit être raccourci pour en garantir toute son efficacité. Il faut se rapprocher des temps de développement et de fabrication actuellement en vigueur dans l’industrie civile. Cela justifie une augmentation des budgets de recherche et technologie (R&T) et de recherche et développement (R&D) pour mener en parallèle les différentes pistes technologiques prometteuses. Par ailleurs et comme déjà évoqué précédemment, la nécessité d’aller jusqu’au niveau du démonstrateur poussé est jugée ni nécessaire ni suffisante dans la plupart des cas. En effet, seul le passage en production permet de valider un prototype et d’assurer la réalisation d’un système répondant vraiment au besoin.

Recommandation n° 8Raccourcir les cycles de développement, et ne pas se contenter uniquement de prototypes pour valider des choix technologiques.

L’approche incrémentale(20) des nouveaux systèmes implique la meilleure compréhension possible des attendus instantanés et futurs. La DGA est naturellement l’acteur majeur du côté étatique, mais il doit être possible de gagner encore plus en efficacité en faisant intervenir les opérationnels dans la validation des solutions technologiques. Il nous est ainsi apparu que l’immersion(21) d’un opérationnel au sein de l’équipe chargée du développement industriel permettrait d’optimiser le processus. Cette implication suppose une stabilité dans la durée, au-delà des trois ans classiquement retenus pour un poste opérationnel.

(19) Ce terme est utilisé ici pour définir l’ensemble des intervenant, dans un programme d’armement ou dans une opération d’achat, soit l’état-major qui exprime le besoin opérationnel, la DGA qui lance la consultation et procède à l’acquisition et l’industriel qui réalise le système d’armes (au sens le plus large du terme).(20) Principe de développement en intégrant de nouvelles capacités par versions successives.(21) Il faut que les états-majors acceptent de détacher un officier pour une durée longue (supérieure à 3 ans) comme cela se fait au profit des certains ministères.

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La diversité des théâtres d’opérations et des phases d’engagements (Intervention, Stabilisation ou Normalisation) oblige à rédiger une expression de besoin de plus en plus large et globale. L’idée serait de réaliser un système ne répondant qu’à une partie "centrale" des capacités totales demandées, le reste correspondant des évolutions ou ajouts et serait alors réalisé sous forme d’urgence opérationnelle ou d’adaptation réactive.

Dans le prolongement de la recommandation R6, l’application d’une sorte de règle de partage sur l’insertion de technologies est apparue comme une bonne idée. Ainsi, X % du besoin par rapport à l’expression initiale (FCM & STB) lors de l’adoption d’un système (plate-forme) serait acceptable pour toute la durée de vie, alors que les Y % restant (correspondant à des sous-parties) seraient réalisés dans une sorte d’urgence opérationnelle en fonction du type d’engagement du moment. Ces Y % peuvent alors représenter les équipements très sensibles au développement ou demandant une avance technologique (système d’armes). Cela débouche sur une notion de "plate-forme adaptative". Cette proposition demande toutefois une étude approfondie des aspects relatifs à la formation, l’entraînement et au maintien en condition opérationnelle.

Recommandation n° 9Impliquer plus fortement les opérationnels dans le développement industriel et concevoir des plates-formes modulaires compatibles avec une approche incrémentale du besoin.

La dichotomie entre programmes de R&T et programmes d’armement demeure. Les acteurs ne sont pas exactement les mêmes. Il n’y a pas non plus de véritable vase communicant au niveau budgétaire, la R&T ne tirant pas de bénéfice d’éventuels reports de programmes d’armement. Il faut donc revoir cette cohérence d’ensemble. Cela ne passe pas forcément par la création de nouveaux outils de planification, ces derniers étant déjà suffisamment développés : plan pluriannuel à trente ans (PP30), plan stratégique des ressources techniques (PSRT), politique et objectifs scientifiques (Pos), etc. En revanche, l’articulation n’est pas évidente et sa déclinaison jusqu’au programme d’armement n’est pas garantie. Cette déclinaison doit se traduire par un véritable plan d’actions technologiques. Ce plan, dont l’horizon type serait de 15 ans, serait positionné entre le PP30 et le Pos et définissant la feuille de route technologique avec les objectifs visés et la politique de coopération associée.

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Recommandation n° 10Disposer d’un véritable plan d’actions technologiques couvrant du grand programme d’armement jusqu’à l’achat sur étagère.

En accord avec le Livre blanc, la réflexion doit s’appuyer sur les trois "cercles" de la politique industrielle :

– le premier concerne les domaines pour lesquels la France veut et doit garder une autonomie complète (nucléaire, système de communication et d’information, spatial…). Ce premier cercle nécessite de maîtriser la chaîne complète depuis la R&T jusqu’à la fabrication ;

– le second serait "européen" avec une sorte de partage des technologies et des capacités de production au sein de l’Union européenne sous-pilotage de l’AED ;

– le troisième ne serait pas du même ordre et concernerait les systèmes achetés clés en main sur le marché mondial.

Cette classification apporte également une certaine souplesse dans la gestion des achats. À ce sujet, il a semblé à certains opérationnels et industriels que l’achat dit "sur étagère" demeurait très perfectible. La mise en place de structure de type "achat urgent opérations" est donc une bonne chose si elle prévoit des circuits de décision courts. De façon générale, il faut continuer à lutter contre l’idée que les règles contractuelles entravent l’acquisition de matériels identifiés comme répondant parfaitement au besoin opérationnel (22).

Enfin, la place grandissante des normes environnementales et des préoccupations de développement durable justifie leur prise en compte à tous les niveaux de l’expression du besoin au démantèlement des armements. Cette tendance est encore très limitée et le secteur de la Défense n’est pas le premier concerné. Néanmoins, comme précisé au § "Développement durable et course à la technologie", le développement durable est perçu comme un facteur concurrentiel et l’innovation technologique intégrant cette problématique sera donc de plus en plus forte dans les systèmes d’armes futurs. Pour s’y préparer, le comité a retenu le principe de réserver un paragraphe spécifique à ces normes environnementales dans les STB des contrats d’armement et demander aux industriels de chiffrer le coût (et économies attendues) de leur prise en compte. Cela doit contribuer à affiner progressivement le poids technologique et financier de ces spécifications.

(22) Procès souvent fait à la DGA par les états-majors : ne pas être capable d’acheter à un industriel donné son matériel, souvent par ignorance des règles de mise en concurrence européenne.

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Recommandation n° 11Dédier un paragraphe dans les STB des contrats aux exigences de développement durable et demander le chiffrage de leur prise en compte.

Cibler les domaines technologiques à privilégier

L’ensemble de la démarche prospective (PP30, Pos) doit s’inscrire dans le cadre des objectifs stratégiques nationaux. Le Livre blanc a détaillé les priorités technologiques et industrielles à l'horizon 2025. En matière de R&T, un effort important sera consacré aux technologies spatiales, afin de préparer les futurs programmes de télécommunications, d'observation et de surveillance. Par ailleurs, alors que la phase de développement de nombreux grands programmes s'achève, une politique de maintien des compétences industrielles et technologiques critiques sera mise en œuvre, notamment avec la réalisation de démonstrateurs technologiques.

Le projet de loi de programmation militaire précise clairement les priorités par grandes fonctions stratégiques :

– maintien de la crédibilité de la dissuasion avec démarrage des études du futur moyen océanique de dissuasion et adaptation des vecteurs balistiques et aérobies à l'évolution de la menace ;

– maîtrise des technologies pour la connaissance et l'anticipation : renseignement spatial, surveillance, exploitation du renseignement, charges utiles pour le renseignement spatial et tactique, opérations en réseaux, lutte informatique, technologies militaires de surveillance de l'espace et de radio logicielle ;

– poursuite de l'effort technologique pour la protection : surveillance des espaces nationaux, interception de cibles furtives, défense NRBC, soutien santé et protection des systèmes informatiques ;

– maintien de l'effort pour l'intervention : protection des forces, adaptation des systèmes d'armes aux menaces asymétriques, maintien de la capacité à frapper dans la profondeur, aviation de combat, technologies des missiles complexes et des munitions de précision ;

– prévention : maîtrise de l'énergie, impact des systèmes sur l'environnement.

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Les axes d’effort sont donc bien formalisés et doivent être désormais pilotés au travers de projets structurants. Le rôle des ASF est sur ce point déterminant et doit être réaffirmé. La politique nationale et européenne du transfert de technologie est à concevoir en cohérence.

« Dans la course à la [technologie], il n’y a pas de ligne d’arrivée. »David Kearns

Cette étude a montré que la course technologique en matière d’armement est une constante de l’histoire. Elle découle d’une multiplicité de facteurs : opérationnels, technologiques, économiques, politiques, industriels dont

aucun ne peut être considéré comme prédominant. La conjonction de ces facteurs crée la course technologique, celle-ci n’étant pas directement corrélée avec le strict besoin opérationnel. Disponible au bon moment, la technologie s’est avérée être un élément clé dans la victoire dans certains conflits ; dans d’autres, elle n’a été qu’un leurre.

Les récents conflits asymétriques ont démontré que la technologie et la sophistication n’apportent souvent pas la réponse attendue. Cependant, les états-majors expriment toujours plus de besoins en termes de performances, modularité, interopérabilité, maintenabilité et pérennité. Ces besoins conduisent à développer de nouvelles capacités technologiques.

De plus, les principaux pays développés se doivent de rester dans le peloton de tête, donc être compétitifs en matière de technologie. Il en est de même des grands industriels qui doivent, a minima, se maintenir au niveau de leurs homologues étrangers afin de rester concurrentiels à l’export. À défaut, l’Histoire est là pour rappeler les conséquences désastreuses sur le long terme d’un arrêt unilatéral de course à la technologie.

Pour toutes ces raisons, la course technologique perdurera, mais il est devenu nécessaire de mieux la maîtriser dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint. Pour limiter les coûts, deux axes se dégagent :

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– le partage : • BITD européenne et programmes en coopération : cette orientation

doit encore faire ses preuves. L’Europe de la défense se cherche encore, les retombées de l’AED sont faibles et les membres de l’UE dépensent la majeure partie de leur énergie à régler des problèmes internes aux 27 pays. Les programmes en coopération n’arrivent à montrer leur efficacité que lorsqu’ils se limitent à 2 ou 3 partenaires.

• Dualité civil/militaire : la R&T peut souvent être partagée, en revanche, on constate que c’est en général le civil qui profite des retombées des développements militaires et non l’inverse.

• Dualité défense/sécurité, conformément aux orientations du Livre blanc, qui implique une plus grande coopération avec les ministères civils.

– le contrôle, la maîtrise, voire la réduction des coûts des programmes, à tous les stades : préparation, conception, réalisation, utilisation. Les recommandations formulées par le comité visent à améliorer l’efficacité des dépenses, la maîtrise/réduction des coûts des systèmes d’armes ainsi que l’optimisation des délais, tant en matière de processus d’acquisition que de réalisation. Ces efforts ciblés doivent nous prémunir d’être "en retard d’une guerre" malgré un contexte budgétaire très contraint.

Les axes viables à court ou moyen terme concernent principalement ce dernier point. À plus long terme, la coopération européenne demeure une nécessité pour la défense. Les recommandations formulées dans ce rapport constituent le point de départ de plans d’actions à élaborer plus finement. La priorité devrait être accordée à la réduction de la durée du cycle des programmes d’armement, gage de réactivité et d’efficacité opérationnelle accrue.

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages et publications officielles

– Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, juin 2008.– La technologie militaire en question, le cas américain, par Joseph Henrotin.– Defence Industrial Strategy – Defence white paper. Cm 6697, MoD R.-U decembre

2005.– Defence Innovation Strategy – Creating a new environment for innovation within

the defence supply chain. Rapport MoD de decembre 2007.– Maximising benefit from defence research – A review of defence research and

technology for alignment, quality and exploitation. Rapport MoD de septembre 2006.

– Defence Technology Strategy for the demands of the 21st Century. Rapport MoD de 2006.

– Maximising Defence Capability through R&D – A review of defence research and development, rapport MoD d’octobre 2007.

Articles divers

– "Le champ de bataille du futur : le défi technologique" par Michel Ascencio, octobre 2008.

– "Technologies et innovations militaires" par Joseph Henrotin et Jean-Jacques Mercier, DSI Technologies, mars-avril 2009.

– "L’innovation technologique dans les conflits irréguliers" Col. Lassalle – DGA, 25 novembre 2008.

– "Quelle articulation pour les dispositions technico-militaires dans la période à venir, réflexions pour des temps de crise" Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS.

– "Striking the right balance" par Robert.M. Gates paru dans le National Defence Strategy de juin 2008.

– Articles de Jean-Paul Hebert (EHESS) • La dérive des prix des programmes d’armement est un phénomène

stratégique • Une nouvelle course aux armements ? • L’évolution des relations stratégiques transatlantiques vers une nouvelle

course aux armements

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– Extrait de Defense news du 19 mars 2009 Elbit Touts Incremental Approach par Antonie Boessenkool .

– "Le danger du fétichisme technologique" par Alain Bauer, paru dans TTU du 27 mars 2009.

– Intervention de Louis Gautier au colloque "Participation et Progrès" – ADEDS - École militaire, 15 octobre 2008.

– Discours de François Fillon, Premier ministre à la Convention de l’Association européenne des industries de l’aéronautique, de l’espace et de la défense - Paris, 10 octobre 2008.

Rapports CHEAr

• SN 39 comité n° 4 "Conséquences du développement des conflits asymétriques sur les systèmes de défense".

• SN 39 comité n° 6 "Les armes modernes répondent-elles aux évolutions des besoins pour faire face au nouvel environnement mondial".

• SN 44 comité n° 7 "Comment susciter et favoriser l’innovation au profit de la défense et la sécurité ?".

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LISTE DES ACRONYMES

AED Agence européenne de défense ANR Agence nationale pour la rechercheASF Architecte de systèmes de force BITD Base industrielle technologique de défenseCAO Conception assistée par ordinateurDarpa Defence Applied Research Projects AgencyDGA Délégation générale pour l’armementDGAC Délégation générale de l’aviation civileDP/OP Directeur de programme/Officier de programmeERT Effort de recherche technologiqueFCM Fiche de caractéristiques militairesFelin Fantassin équipé de liaison intégrée IED Improvised Explosive Device (Engin explosif improvisé)ISL Institut franco-allemand de recherche de Saint-LouisLPM Loi de programmation militaireLoi Letter of IntentLolf Loi organique des lois de financesMires Mission interministérielle pour la recherche et l’innovation scientifique MoD Ministry of DefenceMRIS Mission pour la recherche et l’innovation scientifiqueMRTT Multi-Role Transport TankerMCO Maintien en condition opérationnelleMSO Mise en service opérationnelleNRBC Nucléaire, radiologique, biologique, chimiqueNTIC Nouvelles technologies de l’information et de la communicationOccar Organisation conjointe de coopération en matière d’armementOco Officiers de cohérence opérationnelleOnera Organisation national d’études et de recherches aéronautiquesOtan Organisation du traité de l’Atlantique du NordPCRD Programme cadre de recherche et développement PESD Politique européenne de sécurité et de défensePers Politique européenne de recherche et de sciencePME Petite ou moyenne entreprisePP30 Plan pluriannuel à trente ans

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Pos Politique et objectifs scientifiquesPSRT Plan stratégique des ressources techniquesREACH Registration, Evaluation, Autorisation of CHemicals Retex Retour d’expérienceROHS Restriction of the use of certain Hazardous Substances R&D Recherche et développementR&T Recherche et technologieSDI Strategic Defence Initiative (aux États-Unis)SGDN Secrétariat général de la défense nationale SSI Sécurité des systèmes d’informationSTB Spécification technique de besoinTRL Technology Readiness Level (Mesure de maturité technologique)VBCI Véhicule blindé de combat d’infanterieVBL Véhicule blindé léger

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ANNEXE 1Des outils pour une politique de l’innovation

Prospective des systèmes de force

L’identification des domaines technologiques clés s’inscrit dans la démarche plus globale de la prospective des systèmes de force. Celle-ci regroupe les activités destinées à identifier les besoins opérationnels, à orienter et à exploiter les études de défense en vue de les satisfaire. Ces activités sont conduites conjointement par les architectes de systèmes de forces (ASF), qui relèvent de la DGA, et les officiers de cohérence opérationnelle (Oco), qui relèvent de l'État-major des Armées. Il s’agit d’éclairer les choix nationaux qui vont permettre de définir l’outil de défense futur en contribuant à la construction européenne en matière de sécurité et de défense. On peut noter qu’une telle démarche prospective n’est aujourd’hui développée que par quelques États de manière indépendante.

Les cinq systèmes de forces sur lesquels l’ensemble de la démarche est décliné sont :– dissuasion ;– commandement et la maîtrise de l’information ;– projection, mobilité, soutien ;– engagement combat ;– protection sauvegarde.

PP30

L’élaboration du "PP30", plan prospectif à 30 ans, est également inscrite dans cette démarche prospective. Sous la responsabilité du collège ASF-Oco, le PP30 est, au sein du ministère de la Défense, l’instrument principal d’identification des besoins en équipements et d’orientation des études et des recherches de défense. Il fait partie du processus conduisant à leur planification et programmation. Actualisé chaque année, il matérialise l’avancement des travaux prospectifs et capacitaires. Il est également un instrument de dialogue privilégié avec les organismes du ministère impliqués dans la préparation du futur, les partenaires étatiques européens et les industriels européens des domaines de l’armement et de la sécurité. Il contient une partie consacrée à la prospective des systèmes de forces qui a vocation à

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évoluer chaque année au fur et à mesure des résultats des études menées et des déclinaisons des thèmes transverses, ainsi qu’un corpus documentaire qui comprend les éléments généraux de prospective et reprend, en les mettant à jour, tous les acquis encore pertinents des thèmes transverses des éditions précédentes.

MRIS et Pos

La "Mission pour la recherche et l’innovation scientifique" (MRIS), créée en 2005, est dirigée par le conseiller scientifique du Délégué. Cette mission élabore le document de "Politique et objectifs scientifiques" (Pos), assure la lisibilité et la cohérence des actions de la DGA vis-à-vis de la communauté scientifique et est chargée d’identifier, de développer et de capitaliser les actions de recherche et d’innovation dans le domaine des sciences et technologies de base. La MRIS assure une veille scientifique et technique, un soutien de la formation par la recherche, un financement réactif de travaux de recherche et d’innovation scientifique. Elle est organisée en 8 domaines scientifiques :

– informatique, mathématiques, automatique ;– traitement de l’information ;– physique et mécanique des fluides et des solides ;– ondes et systèmes associés ;– électronique ;– optique et photonique ;– matériaux et chimie ;– biologie ;– facteurs humains.

Le Pos a vocation à orienter l’effort d’investissement que représente le budget d’études amont consacré par la DGA à la R&T de base et à l’innovation. Il présente les grandes thématiques scientifiques d’intérêt pour la Défense et les différents modes d’action permettant de soutenir ces thématiques en partenariat avec la recherche civile. C’est un document évolutif dont la réactualisation est prévue tous les deux ans. Les orientations scientifiques, proposées dans le Pos, se répartissent en deux catégories. D’un côté, on trouve les thématiques visant à lever des obstructions techniques majeures dans des domaines essentiels identifiés par la Défense. De l’autre, des thématiques récentes porteuses de ruptures technologiques potentielles, faisant souvent l’objet d’un "bouillonnement" mais dont l’intérêt pour la Défense reste à confirmer.

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Les principales données d’entrées du Pos sont le PP30, les plans stratégiques de la DGA, les documents équivalents établis par des partenaires en France ou à l’étranger, les feuilles de route des capacités technologiques de la Défense, des éléments de prospective et de veille scientifique et technique, les rapports scientifiques des laboratoires et des grands organismes de recherche et les orientations scientifiques et techniques des industriels.

Synergie avec la recherche civile

Recherche militaire et recherche civile évoluaient jusque récemment dans des mondes distincts. Mais l’heure est désormais au rapprochement entre chercheurs civils et militaires. Mise en place en 2005 à la DGA, la Mission pour la recherche et l’innovation scientifique est aujourd’hui le point focal de la DGA pour l’ensemble de la communauté scientifique. Élaboré par la MRIS, le Pos présente les grandes thématiques scientifiques d’intérêt pour la Défense et les différents modes d’action permettant de soutenir ces thématiques en partenariat avec la recherche civile. La DGA participe par ailleurs à de nombreux comités de pilotage de programmes de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) (par exemple dans les domaines sécurité globale, biotechnologies, piles à combustibles, matériaux et procédés, nanotechnologies…).

De manière plus générale, la recherche de Défense occupe une place importante dans le dispositif de recherche français. Elle a été principalement tirée par le nucléaire et les grands programmes aéronautiques et a conduit à de prestigieuses réalisations. Aujourd'hui, l'effort national de 1,4 milliard d'euros représente près de 15 % de l'effort national en matière de recherche. La France est au premier rang européen à un niveau comparable au Royaume-Uni et devant l’Allemagne.

Enfin, les pôles de compétitivité constituent des lieux privilégiés pour les programmes de recherche duale soutenus par le ministère de la Défense, ces pôles facilitent la coopération autour de projets innovants sur un espace géographique donné, entre des entreprises, des centres de formation et des unités de recherche publiques ou privées. Le ministère de la Défense contribue largement à la politique des pôles de compétitivité, puisque sur les 66 pôles de compétitivité labellisés, le ministère est correspondant chef de file de 7 pôles (2 pôles mondiaux (AESE et Systematic), 2 pôles à vocation mondiale (mer Bretagne et mer PACA) et 3 pôles

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nationaux (route des lasers, photonique et Elopsys)) et 2e contributeur au fonds interministériel commun, qui constitue un guichet unique pour le financement des projets de R&D des pôles par l'État (45 millions d'euros sur 3 ans, pour un total de 300 millions de crédits ministériels, portés à 600 millions d'euros grâce à un abondement décidé par le Premier ministre).

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ANNEXE 2 : LE RÈGLEMENT REACH

Entré en vigueur le 1er juin 2007, cinq ans après la directive européenne ROHS qui visait à restreindre de l'utilisation de 6 substances dangereuses dans les équipements électriques et électroniques, REACH permet l’application harmonisée dans toute l’Union européenne d’un système de contrôle et de mise sur le marché des produits chimiques géré intégralement par l’Agence européenne des produits chimiques basée à Helsinki. Il a pour objectif de faire reposer sur les producteurs la responsabilité de l’évaluation des caractéristiques toxicologiques, écotoxicologiques de quelque 30 000 substances, ainsi que les mesures de réduction de risques liés à leurs usages afin qu’ils soient valablement maîtrisés et ceci tout au long du cycle de vie des substances. Toutes les substances chimiques en tant que telles, ou contenues dans les préparations ou dans les articles, sont visées, et toutes les matières premières, les composants, les alliages sont donc potentiellement concernés.

REACH appelle deux principes fondamentaux : le renversement de la charge de la preuve de l’innocuité des substances (vers les producteurs et les industriels et non plus les États), et la traçabilité totale et transparente ("no data, no market"). Sont concernés les fabricants européens, les importateurs, les utilisateurs en aval et les distributeurs.

L’objectif in fine est d’identifier les substances à interdire ou dont l’usage doit être restreint, afin de mieux protéger de l’environnement et la santé des personnes (fabricants, utilisateurs).

Il faut noter que REACH prône l’innovation en réponse aux nouvelles contraintes, et prévoit à cet effet des dérogations pour les activités de recherche et développement sur les substances. Enfin, les intérêts de la Défense demeurent un cas d’exemption à l’application du règlement :

• Le présent règlement devrait assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances, telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles, tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. Le présent règlement devrait aussi promouvoir le développement de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances (…)

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• (…) Toutefois, pour encourager l'innovation, les activités de recherche et de développement axées sur les produits et les processus devraient être exemptées de l'obligation d'enregistrement pendant une certaine période, au cours de laquelle une substance n'est pas encore destinée à être mise sur le marché à l'intention d'un nombre indéfini de clients, parce que son application dans des préparations ou des articles exige encore que des activités de recherche et de développement supplémentaires soient réalisées par le déclarant potentiel lui-même ou en coopération avec un nombre limité de clients connus. Il convient, en outre, de prévoir une exemption analogue pour les utilisateurs en aval qui utilisent la substance à des fins d'activités de recherche et de développement axées sur les produits et les processus, à condition que les risques pour la santé humaine et l'environnement soient valablement maîtrisés conformément aux prescriptions de la législation relative à la protection des travailleurs et à l'environnement.

• Les États membres peuvent prévoir des exemptions du présent règlement dans des cas spécifiques pour certaines substances, telles quelles ou contenues dans une préparation ou un article, lorsque cela s'avère nécessaire aux intérêts de la défense.

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ANNEXE 3 :Cas du Royaume-Unien matière de politique de R&T de défense

Politique générale

Suite aux publications par le ministère de la défense (MoD) britannique des Defence Industrial Strategy de 2002 et 2005, l’approche vis-à-vis de l’industrie britannique en matière de R&T a changé et une nouvelle stratégie a été définie. Il a été reconnu dans ces documents le besoin de promouvoir une base industrielle et technologique de défense qui maintiendrait les capacités industrielles nécessaires pour garantir la sécurité nationale. Les principes et les processus qui doivent être appliqués lors des acquisitions ont été posés. Une analyse sur les lacunes en termes capacités industrielles et technologiques du Royaume-Uni a été faite, ainsi que sur la manière dont elles pourraient être comblées.

Ces revues ont précisé que : Technology is a key driver in the modern world and is crucial to network enabled, adaptable and rapidly deployable forces(23). Elles ont mis en évidence que les grands programmes d’armement auront une durée de vie de plus en plus longue. Une réorganisation de la base industrielle et technologique de défense sera nécessaire pour prendre en compte l’importance croissante de soutenir les équipements ou systèmes déjà en service. L’importance du maintien en condition opérationnelle (MCO) et l’insertion rapide de technologie pour répondre aux nouvelles menaces et saisir les opportunités d’innovation seront accrues. Il ne s’agira plus, comme précédemment, de développer systématiquement de nouvelles générations d’équipements ou de systèmes.

Au Royaume-Uni, il faudra que :– la recherche soit cohérente avec le besoin opérationnel ;– soit maintenue une capacité world class dans les domaines critiques pour la

souveraineté et la sécurité nationale (voir graphique ci-après) ;– soit préservée l’attractivité du Royaume-Uni pour les partenariats ou la

coopération avec d’autres nations ;

(23) Dans le monde moderne, la technologie est un facteur clé et est fondamentale pour le travail en réseau, l’adaptabilité et le déploiement rapide de forces.

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– le MoD agisse comme un acheteur "éclairé" de systèmes et technologies et se fournisse sur le marché mondial ;

– puissent être adoptés et modifiés rapidement pour répondre aux besoins militaires les matériels civils adéquats ;

– soient identifiés les domaines essentiels.

Financement

Suite à la fin de la guerre froide, le ministère de la Défense britannique a connu une réduction de la part de son budget consacré à la recherche de 30 % entre 1994 et 2004. Sur cette même période, le budget de défense n’a été diminué que de 4,5 %. Le budget de recherche annuel du MoD est de l’ordre de 500 M£ (soit environ 550 M€), mais chaque année 83 % de ce budget est consacré aux paiements inéluctables. En 2005, les sommes allouées à la recherche au Royaume-Uni correspondaient à 1,9 % du PIB (22 Md£), réparties entre les investissements de l’industrie (1,1 %) et du gouvernement (0,8 %). Le gouvernement britannique, en prenant en compte la productivité et les succès économiques du Royaume-Uni, a défini une stratégie visant à porter entre 2004 et 2014 à 2,5 % de PIB l’investissement en R&D par l’industrie et le gouvernement.

Source: Defence Technology Strategy for the demands of the 21st Century. Rapport MoD de 2006

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Politique en matière de R&D de défense

En 2007 la Defence Innovation Strategy (DIS) était publiée. Elle a précisé que l’innovation était fondamentale, puisqu’elle menait à l’apparition et au développement d’opportunités et à l’amélioration de la rentabilité des entreprises. Afin de développer une culture d’innovation, elle identifiait des points clés :

– définir une vision des capacités partagée entre le MoD et l’industrie ; – mettre en œuvre les principes de road-mapping de capacités et de technologies.

Le principe est développé dans le Defence technology Plan et sera mis en œuvre par le Future Business Group et les programmes d’armement ;

– améliorer l’application de l’ingénierie de systèmes dans les domaines de la modularité et des architectures ouvertes ;

– mettre à point des business models entre le gouvernement et l’industrie pour partager une vision commune ;

– améliorer la réactivité, notamment au niveau du processus de contractualisation et de l’organisation de la recherche.

Cette stratégie a précisé aussi les domaines d’intérêt stratégiques qui sont l’anticipation, la protection, l’identification rapide et la mise en réseau.

Le document Maximising Benefit from Defence Research, publié en 2006, était le premier rapport bisannuel, revue de la R&T de défense. Il établissait un processus qui avait pour but de mesurer la performance, la qualité et l’efficacité d’exploitation de la recherche et de la technologie. Il est désormais clair qu’un certain nombre de domaines, qui étaient tirés par les grands programmes de recherche militaires pendant la guerre froide, par exemple les communications et les systèmes d’information, sont désormais pilotés par le domaine civil. Le défi pour le MoD a été d’identifier les domaines clés (soit militaires, soit civils) qui doivent être maintenus pour des raisons de sécurité ou de souveraineté. Le Royaume-Uni doit maintenir son effort d’investissement en R&T en mettant l’accent sur les menaces émergentes, sans négliger celles conventionnelles. La cohérence entre les programmes de recherche et les programmes d’armement doit être vérifiée et maintenue. L’exploitation de la R&T doit être fondamentale afin de faciliter l’insertion de technologie pendant toute la durée de vie d’un système. Le document conclut en évaluant la cohérence de la politique de R&T par rapport aux objectifs stratégiques définis (85 % des programmes de recherche ont eu un lien clair

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par rapport aux objectifs). Il recommande l’exploitation commerciale de l’effort de R&T dans le domaine de la défense, en proposant à des sociétés dites "Spin out", qui s’appuieraient sur la dualité des marchés civils et militaires, d’exploiter potentiellement ces technologies. Le principe est décrit dans le graphique ci-dessous, où le gouvernement britannique veut transférer vers l’industrie le développement et l’exploitation de technologies.

Source: Defence Technology Strategy for the demands of the 21st Century. Rapport MoD de 2006.

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ANNEXE 4L’innovation technologique vue par le ministère de l’Industrie

Identification des technologies clés en R&T

Afin d’aider les chercheurs et industriels à trouver les compétences complémentaires requises pour mener à bien un projet de R&D ou de transfert technologique, le ministère de l’Industrie a conduit une étude "Technologies clés 2010" publiée en décembre 2006(24). Cette étude répertorie les principaux centres de recherche privés et publics qui contribuent au développement de 83 technologies clés classées selon 8 domaines technologiques :

– technologies de l'information et de la communication ;– matériaux – chimie ;– bâtiment ;– énergie – environnement ;– technologies du vivant-santé – agroalimentaire ;– transports ;– distribution – consommation ;– technologies et méthodes de production.

Cette étude constitue ainsi un complément d’informations par rapport aux champs couverts par les pôles de compétitivité dont les thèmes de R&D ne couvrent pas la totalité des 83 technologies clés.

Le ministère de l’Industrie dispose donc d’outils organisationnels et opérationnels pour piloter une véritable stratégie technologique. Il privilégie la constitution de champions territoriaux incluant les centres de recherche et de formation et focalisés sur des projets innovants. Le développement international des pôles passe par la recherche de coopérations technologiques avec des clusters étrangers, afin d’y trouver des briques manquantes ou de nouveaux marchés. Les dispositifs financiers impliquent les entreprises et les collectivités locales.

(24) Voir détail sur le site internet www.industrie.gouv.fr/techno_cles_2010/.

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Les pôles de compétitivité

Les pôles de compétitivité rassemblent, sur un territoire donné, des entreprises, des centres de recherche et des organismes de formation, afin de développer des synergies et des coopérations, notamment au travers de projets coopératifs innovants. Ils peuvent s'inscrire dans une perspective internationale : l'enjeu est de permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan dans leurs domaines, tant en France qu'à l'international. Créés en 2004, ils sont au nombre de 71 répartis sur tout le territoire français(25). On peut les assimiler à des clusters thématiques ayant une forte visibilité internationale.

Une politique stratégique a été mise en place pour cadrer les financements alloués par l’État aux pôles de compétitivité. Elle a pour objectifs de développer la compétitivité de l’économie française en accroissant l’effort d’innovation et de conforter sur des territoires des activités, principalement industrielles, à fort contenu technologique ou de création. Au sein du ministère de l’Économie, de l'Industrie et de l’Emploi, la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) assure, conjointement avec la Délégation interministérielle à l'Aménagement et à la Compétitivité des territoires (Diact), la mise en œuvre, l'animation et le suivi de la politique des pôles de compétitivité.

La première phase (2006-2008) a porté sur un financement global de 1,5 G€ répartis entre l’État (830 M€), les agences (520 M€ au titre de l’ANR, Oseo, AII et la CDC) et 160 M€ d’exonération fiscale. Les financements principaux sont destinés à soutenir les projets de R&D. Les exonérations fiscales et une partie des crédits d’intervention sont réservées aux entreprises implantées dans la zone de recherche et développement d’un pôle et qui participent à un projet de R&D.

De nombreuses collectivités territoriales apportent un soutien supplémentaire aux pôles implantés sur leur territoire. Les pôles peuvent également s’appuyer sur les réseaux de recherche mis en place par le ministère de la Recherche et sur les programmes européens (PCRD de la Commission européenne notamment).

(25) Voir le détail sur le site internet www.competitivite.gouv.fr.

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Le programme entre dans sa seconde phase (2009-2011). Doté d’une enveloppe globale équivalente à la première phase, elle permettra l’accompagnement de la R&D civile selon trois axes :

– le renforcement de l’animation et du pilotage stratégique des pôles, notamment avec la création des "contrats de performance" et le renforcement des correspondants d’État : ces contrats en cours d’élaboration visent à responsabiliser plus fortement les acteurs industriels, étatiques et les collectivités locales. Ils se basent sur une feuille de route stratégique à 3-5 ans à l’instar des stratégies d’entreprise. Celle-ci précisera les domaines et thématiques prioritaires, les objectifs technologiques et de marchés visés et les objectifs de développement du pôle ;

– de nouvelles modalités de financements notamment pour les plates-formes d’innovation. Ces plates-formes regrouperont des moyens humains et matériels dédiés à des projets de R&D et d’innovation fortement concurrentiels. Plus particulièrement attachées aux pôles mondiaux ou à vocation mondiale, elles seront le fer de lance de l’excellence scientifique nationale ;

– le développement d’un écosystème d’innovation et de croissance, notamment le recours plus important aux financements privés et la recherche de meilleures synergies territoriales. La notion d’écosystème est intéressante car elle traduit bien l’interaction entre les différents acteurs et éléments contributeurs de la R&D comme l’illustre le schéma ci après.

Le fonctionnement des pôles réside essentiellement sur les coopérations croisées

entre les acteurs. On peut identifier plusieurs types de coopération :• Le partenariat entreprises-centres de formation : l'objectif est de définir des

formations spécialisées, d'approfondir la gestion des compétences, etc. • Le partenariat entreprises-organismes de recherche : création d'incubateurs

technologiques, valorisation, recherche contractuelle, travaux de R&D collaboratifs, etc.

• Le partenariat centres de formation-organismes de recherche : ils couvrent la recherche universitaire, l'attractivité vis-à-vis des enseignants chercheurs, etc.

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Cœur du dispositif = acteurs économiques et acadé-miques dans un espace géographique donné (entreprises, centres de recherche, organismes de formation).

L’assise du dispositif  (les  racines) = Les compétences des hommes, notamment leurs idées et leurs talents, ainsi que les moyens financiers tels les financements privés (investisseurs providentiels ou business angels, "capitaux risqueurs") et les aides publiques ciblées, sont la "sève" de ces pôles de compétitivité. Elles conditionnent largement leur dynamisme et leur développement.

L’ancrage  territorial  (le substrat) = L’ancrage du pôle dans son territoire est lié à la définition même d’un pôle de compétitivité.

Le rôle des clients et des fournisseurs spécialisésLa présence à proximité des pôles, de fournisseurs spé-cialisés, mais aussi de clients susceptibles d’adopter de manière précoce des solutions innovantes, voire de les tester avant mise sur le marché et de contribuer à leur amélioration comme c’est le cas dans les laboratoires d’usage, constitue un atout essentiel.

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ANNEXE 5Un exemple dans le secteur de la grande distribution : l'automobile

Un marché sous fortes contraintes

Le marché automobile est l’un des tous premiers au plan mondial. En 2007, il a représenté 70,46 millions de véhicules neufs vendus dans le monde? dont 23,8 millions en Europe. Il couvre 2,25 millions d’emplois dans l’Union européenne et a dégagé un chiffre d’affaires 2007 de 728 Ge(26). Ayant fait l’objet de profondes restructurations depuis les années 1980, le secteur automobile demeure fortement concurrentiel, les rares alliances entre constructeurs se faisant sur des programmes spécifiques.

Ce marché caractérisé par une forte valeur ajoutée technologique (VA/Production de l’ordre de 20 %) subit actuellement de plein fouet l’effet de la crise financière et économique. Les difficultés de financement des particuliers et des entreprises couplées à l’inflation des matières premières conduisent le secteur à revoir drastiquement les coûts de structure et à demander l’aide des pouvoirs publics. Pour ces raisons, le secteur est au cœur des priorités gouvernementales du plan de relance économique.

Sur le plan technique, la fin programmée des énergies fossiles et les impératifs de limitation de l’effet de serre vont conditionner fortement les développements technologiques des voitures de demain(27). La réduction des taux d’émission de CO2 devient obligatoire tandis que les consommateurs souhaitent voir développer de nouvelles solutions alternatives au pétrole et sont en train de repenser leur besoin de mobilité. La prise de conscience est réelle et les dispositions du Grenelle de l’environnement (bonus/malus écologique, primes) contribuent aussi à l’évolution du marché. Le véhicule propre fait partie des priorités liées au développement durable. L’enjeu technologique est de taille puisqu’il se double d’une recherche d’assistance à la conduite (gestion informatisée, reconnaissance, navigation…) et de sécurité.

(26) Source : Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).(27) Le domaine des transports consomme plus de la moitié de la production mondiale de pétrole et contribue à hauteur de 13 % à l’effet de serre (référence : Observatoire de l’automobile 2009).

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La stratégie technique des constructeurs automobiles

Les constructeurs automobiles sont dans une situation fortement contrainte : ils doivent développer des solutions alternatives au moteur à combustion interne et améliorer la qualité environnementale de leurs produits tout en restant compétitifs. En réponse aux attentes liées au développement durable, ils doivent mettre en place l’éco-conception de leurs futurs véhicules en optimisant son impact sur l’environnement tout au long du cycle de vie. Le recyclage fait partie inhérente de cette conception : la réglementation européenne stipule que 8 à 9 millions de véhicules mis à la casse chaque année doivent être recyclés à 85 %. Ce niveau sera porté à 95 % à l’horizon 2015.

Le virage technologique a été amorcé il y a trois ans par l’ensemble des constructeurs. Pour tenir dans des enveloppes budgétaires acceptables par les consommateurs, les futurs véhicules limiteront leur taille à l’inverse des modèles précédents qui avaient tendance à prendre du poids et du volume sur le même segment. Du coup, tout est fait pour alléger les véhicules : nouveaux aciers et aluminium, développement de petites motorisations turbocompressées. Ce processus de downsizing permet de réduire la consommation tout en maintenant le niveau de confort.

La R&D en matière d’énergie devient stratégique et porte sur les modes de propulsion et les nouveaux carburants : pile à combustible, électricité, hydrogène, agro-carburants et carburants synthétiques, solutions de motorisation hybrides. Un véritable foisonnement d’innovations caractérisera donc la période 2010-2020, avec notamment des solutions hybrides. Une projection 2015 laisse penser que les énergies nouvelles ne concerneront toutefois que 20 % du parc.

En parallèle, les recherches se poursuivent sur la voiture électrique considérée comme la meilleure solution accessible à moyen terme. L’objectif visé est de trouver le bon compromis entre coût et autonomie : il est aujourd’hui possible de concevoir un véhicule de 300 km d’autonomie mais coûtant encore plus de 100 ke. Les futures technologies de batteries imposeront de construire de nouvelles usines et doivent donc être intégrées dans les investissements futurs (exemple du programme Renault-Nissan avec une usine de 74 Me). À plus long terme la maîtrise de la pile à combustible hydrogène suscite de nombreux espoirs mais les investissements seront lourds L’ensemble des énergies alternatives sont plutôt perçues comme des marchés de niche pour les dix ans à venir.

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Un bel exemple de course technologique : la F1

La Formule 1 concrétise la course technologique par excellence puisque les victoires se gagnent essentiellement sur l’innovation des voitures et la préparation technique. Il est important que les innovations techniques soient valorisées au travers de tels évènements à vocation sportive. En revanche, il serait illusoire de penser qu’elles sont définies en fonction de cette recherche de performances extrêmes.

La Formule 1 représente un investissement important des constructeurs (3 G$ en 2008 dont 445 M$ pour Toyota et 350 M$ pour BMW� ), mais très faible au regard des profits attendus sur le marché grand public. Car il s’agit bien, avant tout, d’un vecteur de publicité à l’attention des consommateurs. Vitrine technologique, la Formule 1 vise surtout à renforcer l’image d’excellence et à doper les ventes de véhicules. Les constructeurs qui se sont retirés du monde de la course automobile l’ont tous fait pour des raisons commerciales plus que pour des raisons techniques.

Malgré la fin programmée du pétrole et les aspirations des consommateurs, le marché de l’automobile ne connaîtra pas à moyen terme de rupture technologique brutale compte tenu des infrastructures existantes et

des impératifs économiques. La question essentielle des constructeurs demeure de savoir si une technologie peut se développer rapidement pour arriver à être produite à moindre coût et en grande série. Cela les conduit à raisonner par continuité et à s’orienter naturellement sur les solutions hybrides sur le court - moyen terme tout en continuant à explorer les solutions plus innovantes sur le long terme.

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Remerciements :

Ce rapport n’aurait pu être rédigé sans les informations, conseils et recommandations des différentes personnalités rencontrées à l’occasion des interviews menées pendant la durée de la session.

Les auditeurs du comité n° 7 leur adressent donc leurs plus sincères remerciements, ainsi qu’aux conseillers du comité pour leurs conseils avisés et leur soutien actif et sans faille tout au long de cette année.

Conseillers

Monsieur Patrick Michon,directeur adjoint export optronique Sagem Défense et SécuritéMonsieur Emmanuel Nommick, avocat à la CourCommissaire Colonel Eric Rémy-Néris, chef du bureau finances de l’Ema/CPCO

Personnalités rencontrées

GCA Palomeros, Emaa/ MGAAGDI Desportes, directeur du collège interarmées de DéfenseGDI Helly Emat/Sous-chef plans programmesGBR Giaume, Ema/ESMGCA Brulez, Ema/OcoIGA Devaux DGA/D4S/SASFIGA Queffelec EMM/Sous-chef plans programmesIGA Berthet, DGA/DDI IGA Moraillon DGA/D4S/SRTSIGA Burg DGA/D4S/SIIEIGETA Marchis DGA/DSA/Dum TerM. Cornut-Gentile, député-maire de St DizierM. l’ambassadeur Guntmann, conseil scientifique de DéfenseMme Grogran, attachée d’armement, ambassade britanniqueM. Veillard, directeur de la prospective stratégique, CEISM. Battesti, directeur stratégie systèmes terre et interarmées, ThalesM. Pujes, ministère de la recherche, chargé de l’espace

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M. Sahut d’Izarn, responsable des programmes moteurs militaires SnecmaM. Couillard, président du conseil d’administration de l’IsaeM. Lahoud, directeur général adjoint EADSM. Renouil, directeur du développement commercial de BertinM. de la Sayette, directeur technique adjoint Dassault AviationMM. Stoufflet et Hermann, direction de la prospective Dassault AviationMM. Hervé et Bouty, direction du marketing stratégique Nexter Systems

COMPOSITION DU COMITE

Président : Col. Jean-Baptiste de Fontenilles Secrétaire : ICA François Bouchet Rapporteur : ICA Claude Chenuil

Autres auditeurs : Mark W�ay Alexandre Dupuy Emmanuel Jullien Conseillers : Patrick Michon Emmanuel Nommick Commissaire-colonel Éric Remy-Neris