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TRAVAUX ET DOCUMENTS Responsable de la collection : Daniel Bach La Corée du sud et l’Afrique Sang-Hoon Rhee Diplômé du DEA d’Études Africaines Centre d’Étude d’Afrique Noire – IEP de Bordeaux N° 40 - 1993 CENTRE D'ÉTUDE D'AFRIQUE NOIRE Institut d'Études politiques de Bordeaux 11, allée Ausone Domaine Universitaire F-33607 PESSAC CEDEX Tél. (33) 05 56 84 42 82 Fax (33) 05 56 84 43 24 E-mail : [email protected]

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TRAVAUX ET DOCUMENTS Responsable de la collection : Daniel Bach

La Corée du sud et l’Afrique

Sang-Hoon Rhee Diplômé du DEA d’Études Africaines

Centre d’Étude d’Afrique Noire – IEP de Bordeaux

N° 40 - 1993

CENTRE D'ÉTUDE D'AFRIQUE NOIRE Institut d'Études politiques de Bordeaux

11, allée Ausone Domaine Universitaire F-33607 PESSAC CEDEX

Tél. (33) 05 56 84 42 82 Fax (33) 05 56 84 43 24

E-mail : [email protected]

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LA CORÉE DU SUD ET L’AFRIQUE* Les rapports entre la Corée du Sud et le continent africain ont été profondément façonnés par les effets de la

seconde guerre mondiale et de la guerre froide, qui ont fait de la Corée un lieu privilégié de l’affrontement entre les deux Grands (URSS, États-Unis). Il en résulte alors une énorme tension entre les deux parties du pays qui, jusqu’à présent, n’entretiennent aucune relation diplomatique bilatérale, malgré des échanges économiques et culturels en accroissement constant depuis le début des années 1990.

La Corée du Sud, après sa libération du colonialisme japonais et l’établissement d’un gouvernement en 1948, a cherché, pour asseoir sa légitimité extérieure, à nouer des relations diplomatiques en particulier avec les pays du Tiers monde. C’est donc tout naturellement que l’entrée sur la scène internationale des États africains nouvellement indépendants a suscité un grand intérêt de sa part.

Durant les années 1960, les deux Corées tendent à projeter leurs rivalités en Afrique, où elles poursuivent initialement des objectifs plutôt politiques qu’économiques, leur but étant de s’attirer des appuis et de bénéficier de la reconnaissance diplomatique des gouvernements africains. Avec le temps, la Corée du Sud évoluera quant à sa stratégie de pénétration du continent. Pragmatique, elle renonce, en particulier, à appliquer la doctrine Hallstein** qui restreint considérablement le développement de ses échanges avec le continent. De ce fait, dans une première partie, les grandes étapes de la diplomatie africaine de la Corée du Sud seront retracées puis le volet économique sera examiné.

Les grandes étapes de la diplomatie sud-coréenne

Le début des relations entre la Corée du Sud et les États africains a été marqué par une ère dite de la “pêche

aux voix”, destinée à permettre le maintien de la Corée du Sud aux Nations unies, face aux communistes nord-coréens. Le régime de Séoul avait alors besoin du soutien des États africains non seulement pour sa légitimation extérieure, mais aussi pour contrer la présence de Pyongyang sur le continent noir. A partir de la deuxième moitié des années soixante- dix, la Corée du Sud tente de renforcer avec les États africains des liens dits “positifs”, à même d’engendrer un commerce bilatéral et une coopération économique sur la base d’intérêts communs. Dans cette perspective, le gouvernement de Séoul augmente de façon sensible les invitations adressées aux dirigeants africains en vue principalement d’explorer les possibilités d’extension du marché et des échanges économiques entre l’Afrique et la Corée du Sud.

On distinguera quatre grandes étapes dans la diplomatie africaine de la Corée du Sud : l’émergence de celle-ci en 1960-1961 ; son expansion durant la même décennie, puis son redéploiement dans les années soixante-dix et, enfin, la diplomatie au sommet pratiquée depuis les années quatre-vingt.

* Je remercie Abdoulaye Niandou Souley pour son aide efficace ** Décision ouest-allemande de rompre les relations diplomatiques avec tout État qui reconnaîtrait l’Allemagne de l’Est

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L’émergence d’un intérêt sud-coréen (1960-1961)

Durant la première République, le président Syng-Mann Rhee poursuit une politique rigide d’auto-isolement,

qui se manifeste par l’application des principes de “non-contact avec la Corée du Nord et de non-contact avec le Tiers monde”, y compris l’Afrique (1).

Certes, malgré l’antipathie du président Rhee vis-à-vis du Tiers monde, l’émergence des nouveaux États sur

le continent africain l’oblige à envoyer en janvier 1960 des missions de bonne volonté dans nombre de pays africains (Liberia, Libye, Tunisie, Ghana, Éthiopie, Soudan), en vue d’obtenir leur appui diplomatique (2). Toutefois, les contacts demeurent limités et sans lendemains car, en 1960, un changement de régime survient en Corée du Sud : le président Rhee est évincé du pouvoir à la suite de la “révolution étudiante”, et le régime Chang Myong lui succède. Le gouvernement intérimaire alors mis en place, avec à sa tête Huh Chung, entend prendre en compte la nouvelle donne internationale qui résulte de l’accession des colonies françaises et anglaises d’Afrique à la souveraineté internationale. Deux missions de bonne volonté sont envoyées dès juin-juillet 1960 dans les nouveaux États indépendants. L’une d’elle effectue un périple au Congo, au Cameroun, au Nigeria, au Togo, en Guinée, au Mali, au Maroc ; l’autre se rend à Madagascar, en Somalie et au Soudan (3). Cette initiative du gouvernement intérimaire n’aura toutefois pas un grand effet car le gouvernement ne reste au pouvoir que quatre mois (avril-août 1960). En vérité, ce n’est qu’à compter de l’instauration de la deuxième République que la Corée du Sud amorce une politique active en direction des pays du Tiers monde en général, et de l’Afrique en particulier.

Dès la formation de son gouvernement, le 23 août 1960, le premier ministre Chang Myong déclare que “le temps de l’opportunisme dans la politique extérieure est révolu” (4). Cette critique de la politique extérieure d’auto-isolement du régime Rhee sous-tend une volonté d’élargir le champ diplomatique sud-coréen aux États nouvellement indépendants d’Afrique. Le nouveau régime met désormais en avant le slogan de l’établissement de relations diplomatiques avec “les pays neutres”, et atténue ainsi l’attitude antérieure qui consistait à garder ses distances, voire à manifester de l’hostilité, envers le monde extérieur (5). Conformément à cette nouvelle doctrine, le gouvernement sud-coréen reconnaît le Congo-Brazzaville le 17 août 1960 et entre août 1960 et mai 1961, envoie des missions de bonne volonté dans 13 pays (6). Mais, très rapidement, un coup d’arrêt est mis à cette politique en raison des problèmes internes de la Corée du Sud et notamment du conflit entre le gouvernement et les forces armées (7). De fait, le 16 mai 1961, un coup d’État dirigé par le général Park Chung-Hee renverse le régime civil de Chang Myong et porte au pouvoir un nouveau régime militaire.

L’expansion des relations diplomatiques (1961-1968)

La décennie 1960 illustre une phase nouvelle dans la conduite de la politique étrangère de la République de

Corée. En particulier, la première moitié des années soixante avec l’établissement de la troisième République par le général Park, est marquée par l’inauguration d’une diplomatie d’ouverture à l’égard des pays non-alignés. Des relations diplomatiques sont établies avec ces pays, non seulement pour les rendre favorables à la cause de la Corée du Sud aux Nations unies, mais aussi pour développer la coopération économique et technique ainsi que les débouchés à l’exportation.

L’évolution de ces relations fait apparaître deux phases, la première allant de 1961 à 1963, et la seconde de

1964 à 1968. Dès sa prise de pouvoir, le général Park Chung-Hee ressent le besoin d’établir une politique dite “positive”

dans tous les domaines, tant sur le plan intérieur qu’extérieur, afin de consolider son régime : le principe “compter sur soi-même” est renvoyé aux calendes grecques (8). Chef du gouvernement militaire entre 1961 et 1963, puis président de la Corée du Sud à partir de 1963, Park Chung-Hee énonce sept objectifs en matière de politique extérieure :

- obtenir la compréhension et l’appui international pour mener à bien la “révolution militaire” ; - consolider les liens avec le monde libre et élargir les relations extérieures ; - promouvoir la coopération avec l’ONU et les autres organisations internationales ;

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- promouvoir les relations avec les États-Unis ; - résoudre le contentieux entre la Corée du Sud et le Japon ; - guider et protéger la position des résidents coréens dans les pays étrangers ; - renforcer la publicité et l’information concernant la culture et les arts (9). L’une des premières actions marquantes du régime Park consiste à lancer une offensive diplomatique en

direction du Tiers monde : le gouvernement militaire envoie cinq délégations de bonne volonté dans le monde, dont trois dans les 30 pays non-alignés (10).

Cette diplomatie des missions de bonne volonté se poursuivra par des missions commerciales en Éthiopie, au Kenya, au Congo-Brazzaville, au Nigeria, au Gabon, au Liberia et au Maroc. Par ailleurs, la Corée du Sud ouvre des ambassades au Maroc et au Congo-Brazzaville (11).

Le bilan de cet intense effort diplomatique du gouvernement militaire sud-coréen est positif, si l’on considère

que la Corée du Sud réussit à s’assurer l’appui des pays africains nouvellement indépendants aux Nations unies (12). A la fin de l’année 1963, la Corée du Sud entretient des relations diplomatiques avec 18 des 35 États africains indépendants, pour la plupart francophones ; pour sa part, la Corée du Nord n’a de relations diplomatiques qu’avec quatre pays francophones : l’Algérie, la Guinée, le Mali et l’Égypte.

On peut expliquer le succès diplomatique sud-coréen en Afrique francophone par la décolonisation massive

des pays sous souveraineté française, à la différence des colonies britanniques qui n’ont pas accédé à l’indépendance en bloc. Les anciennes colonies françaises ont tendance à agir de concert sur le plan des relations extérieures et conformément aux suggestions de l’ancienne puissance tutélaire qui entretient, à cette époque, de bons rapports avec Séoul (13).

A partir de 1964, la diplomatie sud-coréenne en Afrique rencontre des succès de plus en plus limités, compte tenu d’une tendance à appliquer avec de plus en plus de rigidité la doctrine Hallstein. On constate en outre, un ralentissement des décolonisations africaines. Entre 1964 et 1965, par exemple, seuls trois territoires accèdent à l’indépendance : le Malawi, la Zambie (1964) et la Gambie (1965), avec lesquels la Corée du Sud ne tarde d’ailleurs pas à établir des relations diplomatiques.

Le gouvernement de la troisième République de Corée qui a succédé au régime militaire en décembre 1963, ne cesse de promouvoir une politique étrangère active vis-à-vis des pays africains. Toutefois, à partir de 1964, la diplomatie sud-coréenne est confrontée à différents défis car la Corée du Nord commence à intensifier sa pénétration sur le continent africain où une tendance à la reconnaissance simultanée des deux Corées fait son apparition. Il va en résulter des ruptures diplomatiques entre Séoul et certaines capitales africaines.

Ainsi, après avoir reconnu la Corée du Nord et établi avec elle des liens, la Mauritanie rompt ses relations diplomatiques avec la Corée du Sud, le 10 décembre 1964 ; c’est ensuite le tour du Congo-Brazzaville qui prend la décision d’échanger des ambassadeurs avec la Corée du Nord : le gouvernement de Séoul rompt alors avec le pays, le 11 mai 1965 (14), conformément à la doctrine Hallstein, alors appliquée en matière de politique étrangère par le régime Park qui refuse catégoriquement toute coexistence avec la Corée du Nord, dans une même capitale étrangère. Cette doctrine entend être l’instrument d’une politique de réunification de la Corée avec pour principe d’action la dissuasion en ce qui concerne la reconnaissance diplomatique de la Corée du Nord par les États tiers.

Dans l’application de ce principe, la Corée du Sud prend parfois des mesures de représailles pouvant aller jusqu’à la rupture diplomatique. Si cette doctrine n’avait pas été appliquée dans le cas du Congo-Brazzaville, les risques encourus selon le point de vue de Séoul auraient été :

- le repositionnement international favorable de Pyongyang par rapport à Séoul ; - la voie ouverte par Séoul à une participation de la Corée du Nord aux délibérations de l’Assemblée générale

des Nations unies sur la question coréenne, délibérations auxquelles seul le représentant de la Corée du Sud sera convié jusqu’en 1972 (observateur) ;

- une extension de l’influence nord-coréenne dans les pays voisins du Congo-Brazzaville ; - l’absence de continuité dans la ligne diplomatique sud-coréenne. Au Congo-Brazzaville, en effet, depuis le 15 août 1963, date de l’éviction du président Fulbert Youlou à la

suite des “trois glorieuses”, Alphonse Massemba Debat est le nouvel homme fort du pays. Ce dernier va faire passer

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le Congo du groupe des “modérés” à celui des “révolutionnaires” en adoptant une attitude qui consiste à entretenir des relations diplomatiques avec tous les pays du monde, à la différence de son prédécesseur anticommuniste, Fulbert Youlou (15).

A vrai dire, dans le cas congolais, le gouvernement sud-coréen hésite d’abord à appliquer la doctrine Hallstein,

car il est soucieux de ne pas perdre une base fondamentale de pénétration sud-coréenne dans le Centre-Ouest de l’Afrique. Mais finalement le régime Park décide de rompre ses relations diplomatiques avec le Congo-Brazzaville, afin de dissuader d’autres États africains de s’engager dans la voie de la reconnaissance simultanée des deux Corées.

Au total, on peut constater que l’application rigide de la doctrine Hallstein ne va pas permettre à la diplomatie

sud-coréenne de remporter un très large succès sur le continent africain. Les États jadis pro-socialistes comme la Tanzanie, le Mali ou le Ghana, n’ont toujours pas de relations diplomatiques avec la Corée du Sud. Le Nigeria lui-même, accroché avec ténacité à sa politique de non-alignement, n’a pas établi de relations diplomatiques avec l’une ou l’autre des Corées, prétendant ainsi rester neutre. De ce fait, l’application rigide de la doctrine Hallstein a pour résultat la limitation de l’ouverture diplomatique de la Corée du Sud en direction des États nouvellement indépendants d’Afrique.

A la fin de l’année 1968, Séoul n’a noué des liens diplomatiques qu’avec 24 États africains sur les 30 admis aux Nations unies (tableau I, p. 7). Il s’agit certes d’un succès, mais il est limité : durant la période 1963-1973, des conséquences en sont tirées, et il en résulte une flexibilité diplomatique nouvelle, consécutive au redéploiement de la diplomatie sud-coréenne en Afrique.

Le redéploiement de la diplomatie sud-coréenne (1969-1973)

A la fin des années 1960 et au cours des années 1970, la Corée du Nord mène une offensive diplomatique

acharnée dans les pays du Tiers monde en général, et sur le continent africain en particulier. L’année 1969 est marquée par un important succès de la Corée du Nord qui réussit pour la première fois à

établir des liens diplomatiques avec quatre pays d’Afrique déjà en relation avec la Corée du Sud (16). Tenant compte de la percée nord-coréenne en Afrique, le régime de Séoul se montre capable d’adaptation. En fonction des évolutions internationales, la politique étrangère du gouvernement Park se caractérise tantôt par une extrême rigidité, tantôt par une “flexibilité tactique” (17). Puisque l’option des États africains en faveur du mouvement des non-alignés donne un faible impact au principe Hallstein, en décembre 1969, le porte-parole des Affaires étrangères déclare devant la Commission du même nom de l’Assemblée nationale, que l’application de ce principe sera désormais moins rigide, et se fera au cas par cas suivant l’intérêt national (18). A partir de 1973, on assiste à une intensification de l’offensive diplomatique nord-coréenne en Afrique : le gouvernement sud-coréen abandonne la doctrine Hallstein. Certains événements internationaux qui ont abouti à une certaine détente Est-Ouest exercent aussi une influence sur la diplomatie de Séoul : la Chine populaire fait son entrée aux Nations unies en 1971, puis le président américain Nixon accomplit un voyage dans ce pays en 1972. Ce sont autant de gestes qui contribuent à la détente entre l’Est et l’Ouest, et à la réorientation de la politique étrangère sud-coréenne. Compte tenu de cette détente, la Corée du Sud prend une série de mesures importantes tendant d’une part à apaiser les tensions existantes entre les deux Corées, et d’autre part à obtenir des amitiés diplomatiques dans le monde entier (19).

Cette déclaration de Park restructure entièrement les principes diplomatiques de la Corée du Sud. Le refus d’admettre sous quelque forme que ce soit la représentation simultanée des deux Corées, ne demeure plus la condition sine qua non posée par le gouvernement de la Corée du Sud, pour l’établissement de relations diplomatiques avec un État étranger. Les dirigeants de Séoul sont clairement décidés à faire passer au second plan leurs préoccupations idéologiques.

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Pourtant, l’habileté politique du régime Park ne va pas porter ses fruits rapidement. En dépit de sa nouvelle

politique étrangère, la Corée du Sud doit subir des ruptures diplomatiques avec le Togo (septembre 1974), puis le Bénin (mai 1975), qui ont reconnu la Corée du Nord en 1973. Pyongyang comble son retard sur Séoul à la fin de l’année 1973, date de l’abandon officiel de l’application de la doctrine Hallstein par la diplomatie sud-coréenne : le régime nord-coréen est alors reconnu par 28 États africains, tandis que le régime sud-coréen ne bénéficie que du soutien de 26 États (voir tableau II).

Tableau II : Graphique comparatif concernant l’évolution des

relations diplomatiques entre les deux Corées et les États africains

La nouvelle politique étrangère de la Corée du Sud s’avère en réalité plutôt contre-productive, notamment sur

le continent africain. La Corée du Sud perd l’exclusivité du soutien des pays africains car en application du principe de non-alignement, la plupart de ceux-ci reconnaissent simultanément les deux Corées. Durant la période 1974-1979, la Corée du Nord a réussi à élargir ses relations diplomatiques de 28 États d’Afrique en 1974 à 42 États en 1979. Cet essor prodigieux de la pénétration nord-coréenne en Afrique peut être expliqué à partir des trois points suivants :

- en participant à la guerre du VietNam en 1965, la Corée du Sud a été condamnée par les pays africains comme dépendante des États-Unis (20) ;

- pour cette raison, les États africains se sont rapprochés de la Corée du Nord, État non-aligné, dont les activités diplomatiques au sein du Tiers monde atteignent leur apogée en 1975. Cette année-là, elle s’inscrit comme membre du mouvement des non-alignés lors de la conférence des ministres des Affaires étrangères des pays non-alignés, qui s’est tenue à Lima (Pérou) (21).

- La Corée du Nord fournit enfin une assistance militaire aux mouvements de libération et à la lutte antiguérilla (22).

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En fait, il apparaît que la Corée du Nord a profité, indirectement, de la nouvelle politique extérieure de Séoul. Celle-ci a en effet conféré à Pyongyang une supériorité diplomatique au détriment de la Corée du Sud, hier dominante sur le continent africain. Dès lors, le gouvernement sud-coréen pratiquera à partir de 1980 une diplomatie au sommet en mettant en avant des motivations économiques avant toute autre préoccupation.

La diplomatie au sommet : l’économie avant tout, à partir de 1980

Entre 1978 et 1979, la Corée du Sud connaît une grande instabilité politique. En effet, malgré une répression

sévère, l’opposition s’était élevée contre le système Yushin (les réformes “revitalisantes”). Certes, sous le régime Park, la Corée du Sud avait connu une forte croissance économique qui s’était traduite à des degrés divers, par une amélioration tangible du niveau de vie de la majorité. Mais au cours de l’année 1979, une détérioration de la situation économique (inflation, récession économique, baisse du pouvoir d’achat) provoque un mécontentement. Il s’ensuit une crise profonde du régime ; le 26 octobre 1979, le Président Park est abattu par l’un de ses hommes de confiance, Jae-Kyu Kim, directeur de la toute puissante Agence centrale de Renseignement coréenne (KCIA). Cet assassinat crée un vide politique tant au plan intérieur qu’au plan extérieur : l’économie continue de se dégrader, et la loi martiale est toujours en vigueur lorsque Doo-Whan Chun, commandant de la sécurité militaire prend le pouvoir en août 1980. Bien que son ambition majeure soit de créer une “Grande Corée”, il demeure conscient du danger que la Corée du Nord représente pour le Sud tant au niveau militaire que diplomatique. La politique étrangère de Doo-Whan Chun (Ve République) est donc fondée sur la quête de la sécurité nationale, la réunification pacifique, et la croissance continue de l’économie (23).

En Afrique, le Président Chun met fin à la diplomatie très pro-occidentale pratiquée par les gouvernements

précédents : le régime Chun établit désormais des relations diplomatiques avec les États de son choix, indépendamment de l’idéologie dont ceux-ci se réclament. Au regard de leur situation, le gouvernement sud-coréen préconise de développer la coopération économique avec les États africains, selon les principes de l’intérêt mutuel (24). Ce faisant, la Corée du Sud s’efforce de donner à sa politique dans le Tiers monde une connotation “Sud-Sud”, qui désormais domine les rapports avec les pays africains (25).

Dans cette optique, le voyage du Président Chun en Afrique, du 17 au 31 août 1982, revêt une grande signification diplomatique, car il s’agit du premier déplacement d’un chef d’État sud-coréen sur le continent. Après ce voyage, qui l’amène à visiter 4 pays africains (le Kenya, le Nigeria, le Gabon, le Sénégal), le Président Chun propose la formation d’un “Front de développement” regroupant la Corée, l’Afrique et les autres pays du Tiers monde. Ce concept de “Front de développement”, qui ne sera jamais défini clairement, avait officiellement pour objet de mobiliser l’ensemble du Tiers monde dans la lutte contre la pauvreté, la maladie et l’analphabétisme.

Il s’agit là des objectifs initiaux. Quant aux objectifs ultimes, ils concernent le développement des échanges commerciaux et technologiques entre pays en voie de développement, dans le but de réduire le fossé existant entre le Sud et le Nord d’une part, et de corriger un ordre économique international nettement favorable aux pays industrialisés d’autre part (26).

Le volet économique de la diplomatie sud-coréenne en Afrique Pour ne pas laisser le champ libre à la Corée du Nord, le régime de Séoul a élargi la coopération économique

avec les pays d’Afrique de diverses manières. D’une part, la Corée du Sud adresse à divers titres une aide au développement, avec l’envoi de médecins, le don de produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux, etc... D’autre part, le régime sud-coréen a entrepris de développer une coopération bilatérale.

Dès les années 1960, le gouvernement sud-coréen avait envoyé des médecins en Afrique, ainsi qu’un soutien

en matière de produits pharmaceutiques et d’équipements sanitaires. La Corée du Sud assure également la formation de stagiaires africains dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’industrie.

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Les Sud-Coréens, ayant eux-mêmes été victimes du colonialisme, affirment vouloir coopérer avec les États

africains sur la base du principe de l’égalité et de la réciprocité (27).

Les échanges commerciaux Il a fallu attendre le début des années 1970 pour que se développent les relations commerciales entre la Corée

du Sud et les États africains. Durant les années 1960, le volume du commerce entre la Corée du Sud et le continent est très modeste. En 1964 par exemple, à la suite de diverses missions de bonne volonté du régime de Séoul en Afrique, les exportations sud-coréennes s’élèvent à seulement 277 000 US$, tandis que les importations ne sont que de 28 000 US$ (28).

Le commerce entre la Corée du Sud et l’Afrique augmente considérablement dans les années 1970. Comme

l’indiquent les tableaux ci-après, les exportations totales de la Corée du Sud sur la période 1965-1980 ont augmenté en moyenne annuelle de 10 %, tandis que celles à destination de l’Afrique progressaient de 22 %. Quant aux importations totales de la Corée du Sud, durant la même période, elles augmentaient plus modestement de 4,8 % par an, les importations provenant de l’Afrique connaissant un accroissement annuel de 5,16 %. Ces chiffres soulignent que le taux de croissance des échanges commerciaux entre la Corée du Sud et les États africains s’est accru plus rapidement que celui du commerce total de la Corée.

Toutefois, malgré les efforts de la Corée du Sud pour pénétrer le marché africain au cours des années 1970, le volume du commerce avec les partenaires africains est resté relativement faible. En 1965, les exportations sud-coréennes vers l’Afrique ne représentaient que 1,19 % des exportations du pays (4,8 %), la part des importations de l’Afrique étant de 0,86 % (2 % en 1982).

En dépit d’une croissance remarquable (29) durant les années 1980, le volume du commerce avec l’Afrique reste encore très faible au regard du commerce total de la Corée du Sud.

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Les exportations coréennes en direction de l’Afrique ont augmenté plus rapidement que ses importations africaines.

Les exportations coréennes vers l’Afrique portent essentiellement sur les biens d’équipement et les textiles, ainsi que sur le matériel électronique. On n’étonnera personne en disant que l’un des premiers domaines d’exploitation touche au matériel de navigation destiné quasi exclusivement au Liberia. On trouve ensuite avec moins de 10 % du total, les produits sidérurgiques, le matériel mécanique, les vêtements, ainsi que des matières premières (voir tableau VII).

Quant aux importations sud-coréennes en provenance de l’Afrique, plus des 3/5 portent sur le pétrole, fourni

essentiellement par la Libye, l’Égypte, le Nigeria, l’Angola ; le solde des importations est constitué principalement de rachats de navires d’occasion pour le ferraillage. On retrouve également selon les années, un peu de coton d’Égypte et du Soudan, ainsi que des produits tel le cuivre qui provient principalement de Zambie.

La Libye, le Liberia, l’Égypte et le Nigeria représentent à eux seuls 70 à 80 % des échanges. La part des

autres pays (hormis l’Afrique du Sud), n’est en aucune manière significative. Seuls quatre grands Jaebuls (ces énormes conglomérats calqués sur les Zaï batsus japonais d’avant-guerre : Daewoo, Samsung, Hyundai et Lucky-Goldstar) sont présents en Afrique. C’est sur eux que repose la présence économique de la Corée du Sud sur un continent où, à ce jour, ils n’ont pas beaucoup cherché à pratiquer leur politique générale de diversification à l’exportation.

De fait, l’activité des Jaebuls cités demeure limitée à quelques domaines : infrastructures routières et

immobilières, pêche, mines et industries mécaniques. En bref, la Corée du Sud importe des matières premières du continent africain, et y exporte des produits

manufacturés. Elle vend au continent beaucoup plus qu’elle ne lui achète même si, depuis 1983, un certain rééquilibrage s’est opéré.

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En ce qui concerne l’Afrique du Sud, les relations économiques avec la Corée du Sud ont présenté un caractère fortement politisé. En 1979, sur le conseil des spécialistes des Affaires étrangères, la Corée du Sud a fermé le bureau du Korea Trade Associations (KOTRA) à Johannesburg, et a rompu ses relations diplomatiques avec Pretoria. Depuis lors, la politique sud-africaine de la Corée du Sud exclut toutes relations politiques et culturelles, mais laisse aux hommes d’affaires sud-coréens la liberté d’entretenir des relations commerciales avec ce pays. Cette ambiguïté de l’attitude sud-coréenne renvoie à la volonté plus générale qu’a Séoul de commercer avec le monde entier, sans tenir compte de l’idéologie et du système politique des États.

Le gouvernement sud-coréen s’est tout naturellement intéressé au marché sud-africain, étant donné que celui-ci est le plus important en termes d’importations de biens et de services sur l’ensemble du continent (voir tableau VIII et IX, p. 16).

On peut constater que les exportations sud-africaines vers la Corée du Sud sont essentiellement composées de

produits miniers et en particulier de métaux dits stratégiques (chrome, platine, vanadium, etc...) A l’occasion, l’Afrique du Sud exporte également des produits chimiques de base et du textile.

A la suite du boycott occidental de l’Afrique du Sud, le commerce sud-africain avec les NPI a augmenté rapidement dans les années 1980. Les exportations sud-africaines vers les pays asiatiques sont passées, en effet, de 19 % en 1980 à 31 % de ses exportations totales en 1987 (30). L’Afrique du Sud vend aux NPI des produits agricoles et des matières premières et leur achète des machines-outils, du textile et du matériel électronique pour l’essentiel. Il existe aussi des accords de pêche, les bateaux de la Corée du Sud et de Taïwan étant présents dans les eaux de

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l’Afrique australe. Enfin, des investissements des NPI ont été effectués dans les “homelands indépendants” du Transkei, Bophutatswana, Venda et Ciskei (31). Les investissements sud-coréens.

En 1976, pour la première fois, la Corée du Sud a décidé d’investir au Gabon dans un complexe de 15 étages,

comprenant un grand magasin, des bureaux et des appartements. Dix ans plus tard, le montant des investissements coréens en Afrique se chiffrait à 33,14 millions US$, soit 2,8 % du total des investissements sud-coréens à l’étranger (tableau ci-dessous).

De manière générale, la Corée du Sud a commencé à investir à l’étranger au début des années 1970, mais c’est

surtout à partir de 1973 qu’elle a véritablement commencé à s’intéresser aux pays en voie de développement. A cette époque, ces derniers avaient en effet besoin de capitaux pour faire face aux conséquences du choc pétrolier. A la fin de 1983 (32), on comptait une vingtaine d’opérations effectuées en Afrique, dans les domaines de l’industrie manufacturière (66%), du commerce et de la construction (14%), et des pêcheries (20%).

En réalité, l’Afrique n’est pas la destination préférée des investisseurs coréens, la situation économique de la plupart des pays africains y est jugée peu encourageante : ils connaissent une grave pénurie de devises étrangères, et leurs marchés sont en général étroits ; en outre, la dette extérieure des pays africains s’est accrue de façon notable ces dernières années, sans que les perspectives de remboursement apparaissent clairement. Ce sont là autant de facteurs qui expliquent la frilosité des investisseurs sud-coréens vis-à-vis de l’Afrique.

Au total, la stratégie des investissements de la Corée du Sud en Afrique reste empreinte d’une grande

prudence (environ 2 % de ses investissements), même si les opérations qui participent de cette stratégie ont un certain impact. A court terme, ces opérations assurent ou améliorent le flux des échanges commerciaux entre la Corée du Sud et les pays d’Afrique : exportation de produits manufacturés de la Corée du Sud en Afrique, et importation par la Corée du Sud de produits de base provenant des pays africains.

A plus long terme, ces opérations préparent l’avenir car elles sont à l’origine d’une meilleure compréhension

des problèmes africains, non seulement par les entreprises, mais aussi par le gouvernement de la Corée du Sud. De plus en plus, on se demande d’ailleurs si celle-ci ne pourrait pas constituer un modèle de développement pour l’Afrique.

La Corée du Sud : un modèle de développement pour l’Afrique ?

Les Américains et les Japonais, au milieu des années soixante, puis les Européens une décennie plus tard, ont

découvert que quelques pays en voie de développement avaient acquis une base industrielle importante, et commençaient à concurrencer sérieusement leurs industries. La Corée du Sud est l’un de ces pays.

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Dévastée par la guerre, surpeuplée par rapport à ses ressources, elle semblait particulièrement “mal partie” en

1960. Aujourd’hui, elle a acquis un poids économique comparable à celui des Pays-Bas, et un PNB annuel de 321 milliards de dollars en 1991. Pourtant, la Corée du Sud a subi dans son histoire deux catastrophes effroyables. La première a été la colonisation japonaise de 1905 à 1945, avec la tentative d’assimilation culturelle du pays. La seconde fut la guerre de Corée, qui a conduit les États-Unis à tenir la Corée du Sud à bout de bras jusqu’au début des années soixante (33).

Les militaires qui ont pris le pouvoir en 1961 ont instauré la stabilité à l’aide d’un programme économique et

une politique de réduction de la dépendance du pays vis-à-vis des Américains, de plus en plus réticents à poursuivre leur aide. L’objectif premier était de promouvoir les industries exportatrices, afin de procurer au pays les devises qui lui faisaient tant défaut (34).

Par cette option, la Corée du Sud est devenue ainsi l’un des premiers laboratoires de l’industrialisation par

l’exportation. L’arrivée des militaires au pouvoir (1961) coïncide avec l’épuisement de la stratégie d’import-substitution. La pauvreté et l’instabilité politique du Sud inquiètent alors les protecteurs américains, qui soutiennent les militaires. Ils imposent un programme de promotion des exportations dans les industries qui ont besoin de beaucoup de main-d’oeuvre. Ce programme a abouti à la mise au travail du peuple sud-coréen. L’industrialisation par le textile-habillement et l’assemblage électronique a pu se faire à la campagne, et offre souvent un complément de

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revenu aux familles paysannes. On peut remarquer qu’au cours de cette période, la Corée n’a pas encore recours aux zones franches d’exportation, qui accueillent les firmes internationales (FMN).

Entre 1972 et 1979, c’est la période de marche forcée vers l’industrialisation lourde (aciérie, pétrochimie,

construction navale). Dans leurs plans successifs, les responsables de la Corée du Sud ont toujours pour objectif de créer une industrie aussi intégrée que possible, composée en particulier des industries en amont coûteuses en équipement (35).

Les chocs pétroliers révèlent aussi l’aptitude des entreprises coréennes à saisir toutes les occasions qui se

présentent : par exemple, le secteur de la construction conquiert au Proche-Orient des marchés importants. A partir de 1980, on passe à une période d’ajustement (1983), puis de promotion des industries exportatrices

à plus haute valeur ajoutée (automobile, machine électronique). C’est la période de l’histoire coréenne qui apparaîtra à beaucoup d’égards comme étant la plus surprenante. La Corée du Sud a en effet démontré à cette époque sa capacité à entrer dans le secteur des industries extrêmement coûteuses en biens d’équipement. Sa stratégie suivie s’est organisée autour d’une idée centrale appelée “la remontée de filière”. Dans cette économie, de grandes entreprises constituées en groupe de sociétés, les Jaebuls, ont été les acteurs de la croissance industrielle et d’une importante concentration de l’appareil productif (36).

Il convient cependant de rappeler que les succès économiques de la Corée du Sud n’ont pas été obtenus en un

jour, ni en dehors de certaines difficultés très graves : chocs pétroliers, surinvestissement dans les industries lourdes au cours des années soixante-dix, forte dépendance technologique à l’égard du Japon et des États-Unis. Pourtant, ce pays a su éviter le piège de l’endettement dans lequel sont tombés la plupart des pays d’Amérique latine. A cela, on peut donner deux principales explications :

- une stratégie de développement fondée sur l’expansion des exportations, se traduit nécessairement par une

compréhension rapide des changements du contexte international de la croissance ; ce qui, en fin de compte, réduit la vulnérabilité du pays.

- petit pays dans une situation géostratégique délicate, la Corée du Sud n’entend pas remettre en cause les

règles du jeu de l’économie internationale (37). Ce survol des grandes étapes du développement de la Corée du Sud laisse de côté bien d’autres aspects

importants pour rendre compte de la réussite de ce pays. Mais il permet de mettre en rapport situation interne et relations extérieures.

Au regard de la situation des NPI, dont la Corée du Sud est un exemple, les Africains ne désespèrent pas

d’accéder un jour au développement. Les défis à relever sont nombreux, et la difficulté centrale réside dans la question suivante : comment rendre les économies africaines suffisamment compétitives et assurer leur insertion dans le marché mondial ? Les États africains parviendront-ils à promouvoir l’accumulation interne, en tirant le maximum de rentes de leur environnement international ?

Ce qui est sûr, c’est que la Corée du Sud, elle, a su tirer profit de sa dépendance extérieure, et se veut un

modèle de développement pour les autres pays du Tiers monde. Mais ces derniers savent que les contextes socioculturels sont différents, que les contraintes à surmonter ne sont pas identiques, et que l’environnement international ne leur offre pas les mêmes ressources que celles dont a pu bénéficier la Corée du Sud, dans le contexte de la guerre froide et des rivalités entre l’Est et l’Ouest.

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NOTES

(1) Sang-Seek Park, Africa and two Koera : a study of african non-alignement, African studies Review, XXI(1), April 1978, p. 76 ; pour le détail du changement non-aligné de la Corée du Sud, voir Sang-Seek Park, Bi dong meng Undong kwa HANKUK (Le mouvement non-aligné et la Corée), Séoul, Institut of Foreign Affairs and National Security, 1978 (2) OEMBU, Hankuk Oekyo Samsip Nyeon, 1948-1978 (Trente ans de politique étrangère coréenne), p. 226-227. (3) Ibid ., p. 227 (4) The Korea Republic, 17 août 1960. (5) La politique extérieure du gouvernement CHANG se résume alors en sept points : - d’après les résolutions de l’ONU, l’unification de la Corée devrait être réalisée grâce à des élections libres sous la supervision des Nations unies ; - un effort concerté devrait être mené pour obtenir l’admission aux Nations unies ; - il faudrait renforcer les relations entre la Corée et les États-Unis ; - il faudrait normaliser les relations entre le Japon et la Corée ; - il faut promouvoir l’unité des nations libres ; - il faut assurer l’expansion des activités diplomatiques en direction des pays non-alignés ; - il faut encourager la diplomatie populaire. (6) The Korea Republic, 17 juin 1961. (7) John P. Loveall, The military and politics in post war Korea, p. 153-199 in : E.R. Wright, Ed., Korean politics in transition. (8) Cheung-Hee Park, The Country, the Revolution and I, [s. l.], [s. n.], 1962, p. 88 (9) Ibid. (10) En Afrique, les missions de bonne volonté dirigées par l’ambassadeur coréen en France, Sun-Yup Back, visitent16 pays (Sénégal, Mauritanie, Sierra-Leone, Liberia, Côte-d’Ivoire, Haute-Volta, Niger, Togo, Dahomey, Nigeria, Tchad, Egypte, Cameroun, Gabon, Congo-Brazzaville, Madagascar) (11) Hankuk Oekyo samsip Nyeon, op. cit., p. 228-229. (12) Le 18 décembre 1962, la commission de l’Assemblée générale a adopté par 65 voix contre 11, avec 26 abstentions, le projet de résolution favorable à la Corée du Sud (A/C. 1/L322). Les voix africaines favorables sont celles du Cameroun, Congo-Brazzaville, Côte- d’Ivoire, Dahomey, Gabon, Mauritanie, Niger, Centrafrique, Rwanda, Tchad ; les abstentions viennent de l’Algérie, Burundi, Ethiopie, Ghana, Guinée, Mali, Sénégal, Sierra-Leone, Somalie, Soudan, Togo, Tunisie. (13) La France commencera à changer d’attitude au sujet de la politique africaine de la Corée du Sud après sa participation à la guerre du Viet-Nam aux côtés des États-Unis. (14) Moon-Hyong Choi, Neuf mois au Congo-Brazzaville, Oekye (Diplomatie), novembre 1965. (15) Oembu, Le cas du retrait de l’ambassadeur coréen du Congo, mai 1960. (16) Tchad, Sierra-Leone, République centrafricaine, Soudan. (17) Byung-Chul Koh, Korea’s options in the new area, The Korean Journal of International Studies, III(3 et 4), 1972, p. 117-133. (18) Chungang Ilbo (Qoudien), 1 décembre 1969, le gouvernement sud-coréen abandonna déjà partiellement

l’application du principe Hallstein reconnaissant simultanément les deux Corées ; 4 pays (Tchad, Sierra-Leone, République centrafricaine, Soudan), n’ont pas été mis au ban des nations ennemies par Séoul. (19) Cf. la déclaration spéciale du président Chung-Hee Park sur la politique étrangère pour la paix et la réunification, le 23 juin 1973. Voir Chung-Hee Park, Toward peaceful unification, Séoul 1976, p. 76-79. (20) Joon-Yung Park, The political and economic implication of South Korea’s Vietnam involvment, 1964-73, Korea and World affairs, vol. 5, 1981, p. 471-489. (21) La demande de la représentation sud-coréenne au mouvement non-aligné a été refusée. Voir Dal-Jung KIM, Hankuk ei Bi Dong Maeng Oekyo (La diplomatie sud-coréenne à l’égard du mouvement non-aligné), Revue de l’administration de l’Université Yeon Sei, vol. 5, 1978, Séoul, p. 119-131. (22) Jae-Kyu Park, North Korea’s policy toward the Third world ; the military dimension, p.87-101 in : Two Koreas in World Politics (Séoul, Institute of Far-east), [s.d.]. (23) Korea News Review, 14 août 1982, p. 6 (Special report on President Chun Doo-Whan). (24) Eui-Sup Shim, Africa Sahéjû ei Jakuk Kwa Hankuk ei Kyongjé Heop Yeok [Les relations économiques entre les pays socialistes africains et la Corée du Sud], Journal of Korean Association of African Studies, 1(1), 1986, p. 179-186. (25) Won-Tak Park, Hankuk ei Dae Africa Gaebal Wonjô [L’aide au développement de la Corée pour le continent africain], Journal of Korean Association of African Studies, 4(1), p. 93-131. (26) Courrier de la Corée, 6 septembre 1982, p. 5. (27) Cf. déclaration de M. Byon-Hyun Shin, Korea Herald, 11 septembre 1982. (28) Ministère de la planification Enonomique, Hankuk Tonggae Yeon-Gam [Annuaire de la statistique coréenne], Séoul, Corée, 1964. (29) En particulier, durant la période de 1978 à 1988, la Corée du Sud a enregistré plus de 15 % de croissance de ses exportations en Afrique (en moyenne). Cette croissance est supérieure à celle de ses exportations totales (14 %) pour la même période. (30) J. Pickle and J. Woods, Taiwanese investment in South Africa, African Affairs, 88(353), octobre 1989, p. 509. (31) Ibid. (32) J.-D. Avenel et M. Peyrard, Les pays du Pacifique, investisseurs en Afrique, p. 101 in : Les pays du Pacifique et l’Afrique, Paris, CHEAM, 1988. (33) Ces financements américains ont été fournis essentiellement à titre de subvention. (34) A. Gallez, Les signes d’essouflement du miracle économique coréen, Mondes en développement, 1981, n°34, p. 90-91. (35) Les nouveaux pays industrialisés d’Extrême-Orient, Problèmes politiques et sociaux, n° 523, 15 novembre 1985, p. 6-8. (36) Y.-K. Shin et J. Savary, op. cit., p. 929. (37) En Corée du Sud entre 1946 et 1978, le flux financier au titre de l’assistance économique américaine atteignait le chiffre total de 6 milliards de dollars, comparé à celui de 6,89 milliards, montant consacré à l’ensemble de l’Afrique noire au cours de la même période (Voir Achille Mbembe, Comment organiser le sauvetage des économies africaines ?, Le Monde diplomatique, novembre 1990).