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LA CLINIQUE, HISTOIRE, THÉORIE, PRATIQUE la science infirmière ») Depuis vingt-cinq siècles au moins le rapport à la maladie fait l’objet de pratiques médicales ; Cel~les-ci s’efforcent de connaître pour guérir. Des professions sont apparues, se sont développées ; elles constituent aujourd’hui un monde. Dans celui-ci un secteur est appelé « clinique »; il regroupe des médecins, des chercheurs, des soignants. -Or, le terme « clinicos » vient de la Grèce antique. Que signifiait-il au cin- quième siècle avant notre ère ? Y a-t-il une continuité le long de l’histoire des thérapeutiques ? Qu’est-ce, aujourd’hui, que la clinique ? Plus précisément : peut- on conceptualiser la nature de la clinique dans la science et la pratique infirmière ? Ce sont ces questions que notre exposé va examiner, sous trois chefs : l’histoire ; la théorie classique ; la « science infirmière » dans la dynamique maladie-san- té. En conclusion, nous rechercherons ce qui est le propre de la clinique dans la << science infirmière ». 1. BRÈVE HISTOIRE ; NÉCESSITÉ ET DIFFICULTÉS DE LA,CLINIQUE Nous allons nous référer à l’article de Monique FOR- MARIER (RSI, n’ 24, p. 64-69), sur la méthodologie. Notre terme « clinique » vient du verbe grec « klinô » (se pencher, être alité), d’où est venu le mot « klini- kos », qui désigne le médecin qui visite les malades alités : il se penche vers l’homme alité ; notons que le terme implique déjà une réciprocité dans les attitudes (celui qui se penche, celui qui est alité et qui se tourne vers le médecin, qu’il a appelé à son aide). - L’art clinique existe, et il va se développer, pour aider le malade. L’histoire de l’art médical remonte à Hippocrate, qui vécut au Ve siècle avant notre ère (on peut consulter à ce sujet l’ouvrage très complet de Jacques JOUANNA : « Hippocrate », Fayard, 1992). On connaît le célèbre adage : « Ars Longa, vita brevis » (l’art clinique est donc une longue patience, qui traverse les vies indivi- duelles). Dans l’article de Monique FORMARIER (RU, n” 24), on trouve, page 66, le résumé de la consigne générale du maître : c< considérer ce qui est saisissable par l’intermédiaire de la vue, du toucher, de l’ouïe, de l’odorat, de la parole - ce que l’on peut parvenir à discerner par tous les moyens à notre disposition » : vaste programme, toujours valable, où il faut souligner l’importance des termes « discerner » et «tous les moyens à notre disposition ». Dans sa pratique, le médecin considère les trois dimen- sions du temps : - ce qui a été : c’est I’anamnèse ; - ce qui est : c’est le diagnostic ; - ce qui sera : c’est le pronostic ; entre les deux derniers temps, il insère son traitement ; mieux, peut-être, comme nous le verrons : les indica- tions. Depuis cette origine, on peut poser deux grandes pé- riodes : 1. Ce fut d’abord la collecte, parfois la synthèse, des faits : oeuvre de I’Ecole hippocratique (voir le travail de Louis BOURGEY, cité en bibliographie); trois ten- dances se sont parfois affrontées : a) les « empiristes », auteurs de catalogues disparates de phénomènes ; b) les « spéculatifs », dont le désir d’intelligibilité allait à des thèses abstraites, sur les quatre éléments, les quatre humeurs, etc. ; c) les « expérimentaux », qui furent les vrais disciples d’Hippocrate de Cos, recherchant les faits significatifs, s’efforçant de valider leurs hypothèses grâce à un va-et- vient entre les faits et les thèses. 2. A partir surtout de Galien (11~ siècle de notre ère) commence un temps qui dure encore, qui, d’ailleurs se préparait dans la troisième tendance hippocratique : ce- lui de la création de sciences auxiliaires de l’art médi- cal ; avec Galien, c’est l’anatomie et la physiologie ; puis de nombreuses disciplines seront peu à peu élabo- rées ; aujourd’hui ce mouvement continue sa marche : cytologie, embryologie, génétique, etc.

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LA CLINIQUE, HISTOIRE, THÉORIE, PRATIQUE(« la science infirmière »)

Depuis vingt-cinq siècles au moins le rapport à lamaladie fait l’objet de pratiques médicales ; Cel~les-cis’efforcent de connaître pour guérir. Des professionssont apparues, se sont développées ; elles constituentaujourd’hui un monde. Dans celui-ci un secteur estappelé « clinique »; il regroupe des médecins, deschercheurs, des soignants. -Or, le terme « clinicos »vient de la Grèce antique. Que signifiait-il au cin-quième siècle avant notre ère ? Y a-t-il une continuitéle long de l’histoire des thérapeutiques ? Qu’est-ce,aujourd’hui, que la clinique ? Plus précisément : peut-on conceptualiser la nature de la clinique dans lascience et la pratique infirmière ?

Ce sont ces questions que notre exposé va examiner,sous trois chefs : l’histoire ; la théorie classique ; la« science infirmière » dans la dynamique maladie-san-té. En conclusion, nous rechercherons ce qui est lepropre de la clinique dans la << science infirmière ».

1. BRÈVE HISTOIRE ; NÉCESSITÉET DIFFICULTÉS DE LA,CLINIQUE

Nous allons nous référer à l’article de Monique FOR-MARIER (RSI, n’ 24, p. 64-69), sur la méthodologie.

Notre terme « clinique » vient du verbe grec « klinô »(se pencher, être alité), d’où est venu le mot « klini-kos », qui désigne le médecin qui visite les maladesalités : il se penche vers l’homme alité ; notons que leterme implique déjà une réciprocité dans les attitudes(celui qui se penche, celui qui est alité et qui se tournevers le médecin, qu’il a appelé à son aide). - L’artclinique existe, et il va se développer, pour aider lemalade.

L’histoire de l’art médical remonte à Hippocrate, quivécut au Ve siècle avant notre ère (on peut consulter àce sujet l’ouvrage très complet de Jacques JOUANNA :« Hippocrate », Fayard, 1992). On connaît le célèbreadage : « Ars Longa, vita brevis » (l’art clinique estdonc une longue patience, qui traverse les vies indivi-duelles). Dans l’article de Monique FORMARIER (RU,

n” 24), on trouve, page 66, le résumé de la consignegénérale du maître : c< considérer ce qui est saisissablepar l’intermédiaire de la vue, du toucher, de l’ouïe, del’odorat, de la parole - ce que l’on peut parvenir àdiscerner par tous les moyens à notre disposition » :vaste programme, toujours valable, où il faut soulignerl’importance des termes « discerner » et «tous lesmoyens à notre disposition ».

Dans sa pratique, le médecin considère les trois dimen-sions du temps :

- ce qui a été : c’est I’anamnèse ;

- ce qui est : c’est le diagnostic ;- ce qui sera : c’est le pronostic ;

entre les deux derniers temps, il insère son traitement ;mieux, peut-être, comme nous le verrons : les indica-t ions.

Depuis cette origine, on peut poser deux grandes pé-riodes :

1. Ce fut d’abord la collecte, parfois la synthèse, desfaits : oeuvre de I’Ecole hippocratique (voir le travail deLouis BOURGEY, cité en bibliographie); trois ten-dances se sont parfois affrontées :

a) les « empiristes », auteurs de catalogues disparatesde phénomènes ;

b) les « spéculatifs », dont le désir d’intelligibilité allaità des thèses abstraites, sur les quatre éléments, lesquatre humeurs, etc. ;

c) les « expérimentaux », qui furent les vrais disciplesd’Hippocrate de Cos, recherchant les faits significatifs,s’efforçant de valider leurs hypothèses grâce à un va-et-vient entre les faits et les thèses.

2. A partir surtout de Galien (11~ siècle de notre ère)commence un temps qui dure encore, qui, d’ailleurs sepréparait dans la troisième tendance hippocratique : ce-lui de la création de sciences auxiliaires de l’art médi-cal ; avec Galien, c’est l’anatomie et la physiologie ;puis de nombreuses disciplines seront peu à peu élabo-rées ; aujourd’hui ce mouvement continue sa marche :cytologie, embryologie, génétique, etc.

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Mais, maintenant, cette partie, auxiliaire, tend à sedétacher ; ses oeuvres, les examens scientifiques systé-matiques approfondis deviennent auto-suffisants ; unindice : la supériorité sociologique du spéci+te parrapport au généraliste. A la limite, le malade disparaîtdevant le « cas », et même devant le schéma patholo-gique. - Cela provoque une réaction, qui se marquedans le sens moderne du mot « clinique », surtout enpsychologie et dans les sciences humaines : volonté dene pas réduire l’homme à un objet d’expérimentation,l’abstraction systématique n’étant pas une fin en soi ;souci de reconnaître l’originalité, l’unicité de I’indivi-du. Retour au réel. C’était déjà l’idée d’Aristote, philo-sophe, certes, mais aussi médecin et biologiste,; ainsion peut lire dans le premier chapitre de sa Métaphysi-que : « si on possède la notion sans l’expérience, etque, connaissant l’universel, on ignore l’individuel quiy est contenu, on commettra souvent des erreurs detraitement, car ce qu’il faut guérir, c’est l’individu ».

Ce que l’on appelle aujourd’hui « clinique » répond àce principe aristotélicien ; ainsi, dans l’article déjàcité, Monique FORMARIER résume les idées deLACACHE (1903.62) : « Toute démarche clinique visel’étude d’un cas en situation et en évolution » ; LA-GACHE étend cette règle aux u sciences humaines ».Mais cela soulève des problèmes théoriques et métho-dologiques :

a) théoriques : << si la clinique est l’étude approfondie d’uncas, peut-on fonder une science sur la singularité » CRS/,n’ 24, p. 67) ; plus encore : « l’homme devient l’objetd’une science dont il est lui-même le sujet » (p. 68) ;

b) méthodologiques : comment « épuiser » un cas :« quand nousanalysonsdessituations, nous lessimplifions,alors que le réel est composé d’une multitude de fac-teurs non maîtrisables et non appréhendables. Le nom-bre de variable est tellement important qu’il est difficilede les séparer. De ce fait, les principes explicatifs pourun même contenu peuvent être contradictoires » (p. 68).

De là les tentatives contemporaines d’éviter res fâ-cheuses contradictions en construisant des instrumentsd’analyse très fins et pénétrants. Prenons seulementl’exemple du DSM Ill, exposé dans le « Manuel diag-nostique et statistique des troubles mentaux D, publiépar l’Association psychiatrique américaine (voir PierrePICHOT, L’approche clinique en psychiatrie, p. 13sq.) ; on veut s’en tenir à l’approche descriptive, y.athéorique » (opposée aux spéculations de la psychia-trie allemande classique) ; mais on propose une stand-ardisation des entretiens, une systématisation des ‘algo-rithmes qui permettraient, évitant les contradictions, etmême les divergences, d’obtenir un diagnostic automa-tique et objectif ; la clinique serait alors devenue par-

faitementscientifique,surmontantles aléas de I’intui-tion Subjective.

Mais ~Peut-on établir de tels canevas d’entretien ! N’ya-t-il vraiment aucune thèse a priori sous cette entre-prise ?.D’autre part, HECHT rappelle à juste titre(PICHOT, p. 15-17) : « Il faut au clinicien un certainnombre de qualités innées qui peuvent bien se fortifieret se développer, mais qui ne sauraient que difficile-metit s’acquérir quand on ne les possède pas dans unecertaine mesure. C’est de ce point de vue que l’on a pudire~que la clinique est à la fois une science et un art[...I La clinique est la médecine pratique qui puise sesressources dans chacune des branches médicales pourles diriger vers son but spécial : l’étude de l’organismemalade et son retour à l’état de santé [...l Elle étudienon pas des maladies, mais des organismes malades[...l Elle doit apprécier les modifications que les diffé-rences individuelles inhérentes à chaque organismeimpriment nécessairement à la maladie dont il est af-fecté » ; elle se distingue ainsi de la pathologie, sciencethéorique des maladies générales.

Le problème posé dès l’origine se retrouve aujour-d’hui, : science ou art 3 ou plutôt : science et art. « II n’ya de science que du général, de l’universel » (Aristote),mais il n’,y a de réalité que de l’individuel, et la cliniquedoit être la saisie du singulier. Pour pouvoir examinerce problème au fond, il faut d’abord rappeler lesconcepts classiques appliqués à l’approche clinique.

2. BASE THÉORIQUE

a) Premier groupe de concepts, ordinairement rete-nus :~individualité, totalité

1) INDIVIDUALITÉ : c’est le trait principal d’un êtrevivant, qui dispose d’une pluralité de fonctions et d’or-ganes, et qui marque cet ensemble d’un caractère sin-gulier, qu’i lui est propre ; l’individu sedistinguedetousles autres, au sein même d’une espèce commune ; noussavons maintenant que l’individualité a une base dansle code génétique qui n’appartient qu’à un individudéterminé. Cependant : a) cette individualité quicomporte originalité et insécabilité ne s’arrête pas à lalimite du corps propre : aucun individu ne se suffitentièrement à lui-même, il ne peut vivre qu’avec d’au-tres, dans~un monde social et un univers cosmique ; b)l’individu, avec d’autres, appartient à une espèce : il ya donc, des caractères communs, plus ou moins nom-breux:et essentiels.

2) UNICITÉ (singularité) : distinct des autres, l’individutend à se considérer comme unique au monde ; en

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1845 Max STIRNER a publié le manifeste de I’indivi-dualité sous le titre : « L’unique et sa propriété » ; ilaffirme que le moi, souverain, ne connaît qu’une seuleloi : rester fidèle à soi-même. « Ni Dieu, ni maître » ;c’est la thèse de l’anarchisme philosophique. Cepen-dant : il éprouve le besoin de répandre sa doctrine, etmême de la rendre universelle (il la tient pour vraie) ;« être fidèle à soi-même » n’est pas être absolumentindépendant des autres : tout homme désire communi-quer, être reconnu.

3) TOTALITÉ : LACACHE a montré que l’étude seg-mentaire de la personne laisse échapper la réalité ;ainsi le behaviorisme (WATSON), qui découpe lecomportement en éléments (les réflexes) aboutit à descontradictions, ce qui a conduit les disciples de cethéoricien (Tolman en Amérique, Tilquin en France) àreconnaître que tout comportement, même considéréseulement de l’extérieur, n’est pas « moléculaire »,mais « molaire x (il existe comme masse synthétique) ;c’est le « principe de totalité ». Cependant : a) leterme « totalité » semble impliquer suffisance et indé-pendance : quand cela est-il réalisé chez l’être hu-main ! Celui-ci est-il un « tout total » ? ; b) une totalitéréelle est immuable (elle ne peut ni acquérir, ni per-dre) ; or, l’homme change : il est en proie à des pro-blèmes, à des conflits internes ou externes, il est par-couru par un dynamisme (progrès ou régression).

Ces concepts, classiques, pointent vers la réalitéhumaine ; mais ils doivent être corrigés, affinés ; pource faire, nous sommes aidés par une remarque deJuliette FAVEZ-BOUTONIER.

b) La vérité en < clinique » : l’authenticité

Les sciences mathématiques ou expérimentales mesu-rent, et cherchent à établir leurs résultats avec exacti-tude, précision. Mais dans les sciences humaines, et enclinique tout particulièrement, le critère du vrai, c’estl’authenticité ; en histoire, un document est authenti-que quand on a établi sa date, son genre, tout ce quipeut assurer de la coïncidence entre ce qu’il exprimeet les faits passés ; de même en psychologie : « on peutdire que l’authenticité de l’expérience, c’est cette sortede rencontre avec le vécu qui nous frappe, qui fait quenous nous rendons compte que nous sommes là enprésence d’une sorte de réel, et non pas d’un tissu deconventions plus ou moins artificielles » (1. FAVEZ-BOUTONIER ; Cours cité en bibliographie ; l’auteuroppose ici l’approche clinique à l’expérimentation enlaboratoire de psychologie. « La psychologie peut fa-briquer du faux en expérimentant. Mais dans la psycho-logie clinique on cherche à se rapprocher des condi-tions les plus authentiques de l’existence. L’étude des

cas individuels, c’est un effort qui est fait en ce sens »(p. 11 l-1 13). L’observation, l’entretien, la conversa-tion, les enquêtes biographiques : ces renseignementsorientent vers /a compréhension, qui doit faire l’unitéde toutes ces données. L’auteur ajoute que ces donnéesne se limitent pas à l’individu : « une observation au-thentique nous montre que l’homme est toujours enga-gé dans une relation avec autrui, puisque l’observateurmême est toujours engagé dans cette relation » (p. 113-114) ; il faudrait dire : « dans des relations avec d’au-tres )l) ; conclusion : la psychologie clinique est << unepsychologie de l’individu dans sa situation réelle, c’est-à-dire toujours engagé dans ses relations avec autrui »(p, 114). L’authenticité est bien une note propre à I’ap-proche clinique, qu’elle soit psychologique, historique,médicale, sociologique ; elle nous conduit au respectde la réalité humaine.

c) La réalité humaine : complexité, interaction, rapport vivant stabilité-dynamisme

1) COMPLEXITÉ : ce terme est plus précis que « totali-té », car il n’implique pas clôture ; par complexité, onentend :

- qu’une chose est formée d’un grand nombre d’élé-ments différents, hétérogènes ;

- ces éléments sont étroitement organisés entre eux :plus un être est complexe, plus il s’unifie, organisantsolidement ses parties entre elles.

« Complexité » réunit les idées justes des termes << in-dividualité » et r totalité », sans impliquer la limite quenous avons trouvée en chacun d’eux. II permet decomprendre la différenciation d’avec les autres, sanstomber dans la thèse anarchiste, qui tendait à confon-dre l’individu avec une espèce.

2) INTERACTION : il a été établi que l’unicité n’est pascelle de l’espèce, et qu’elle ne se réduit pas à lasolitude ; l’individu n’est pas indépendant. La réalité del’interaction est la base des travaux de la psychologiesociale contemporaine :

I’Ecole interactionniste de Chicago (BETTELHEIM,COFFMAN) ;

- I’Ecole systémiste de Palo Alto (Gregory BATESON,Paul WATZLAWICK, Maria SELVINI-PALAZZOLI, etc.) ;

- I’Ecole psycho-dynamique : le champ comporte-mental selon Kurt LEWIN

- et bien d’autres !...

3) De là découle le RAPPORT VIVANT ENTRE STABI-LITÉ ET DYNAMISME : rapport réel, historique, qui

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nous conduit à dépasser deux psychologues « clini-ciens » contemporains : André REY, Daniel LACACHE(qui avaient cependant découvert des idées justes,correspondant à ce qui a été exposé jusqu’ici)!

u) André REY : met en rapport la clinique et I’expéri-mentation (celle-ci devant apporter des éléments àcelle-là) ; mais, selon lui, le but de la vie est de rétablirI’homéostase, qui avait été détruite par une crise ;

j3) Daniel LAGACHE : le psychologue, dit-il, veut étu-dier « l’être humain, en tant qu’il est porteur d’unproblème, et d’un problème mal résolu... » (L’unité dela psychologie, p. 33-34) ; sa méthode, c’est I’ap-proche clinique de la conduite humaine concrète ; lapsychologie est ainsi « la science de la conduite, celle-ci étant comprise comme l’ensemble des réponses si-gnificatives par lesquelles l’être vivant en situation in-tègre les tensions qui menaçent l’unité et l’équilibre del’organisme » (p. 70-71).

Mais le passage de la stabilité à la dynamique, etinversement, ne ses déclenchent-il qu’à l’occasion duconflit ! Qu’en est-il de la crise !

d) Crise, conflit et homéostasie

Peut-on considérer comme exacte la thèse : « le sensde la conduite est TOUJOURS de rétablir l’unité de

l’organisme lorsque celle-ci est compromise parla ten-sion inhérente à un besoin physiologique ou acquis »(LACACHE, L’unité de la psychologie, p. 58) ; c’est leprincipe d’homéostasie énoncé par CANNON, pour laphysiologie, en 1929 ; FREUD avait parlé de « principede constance », voire de << Nirvana » (tendance à I’anéan-tissement des tensions) ; LAGACHE dit que c’est« comparable au phénomène anatomique de I’enkyste-ment » (p. 59).

Une question pertinente est posée à ce sujet dansl’article déjà cité (RSI, n” 24, p. 67) : parlant deLACACHE, l’auteur écrit : « Les cliniciens ont tendance àdire que seule la crise révèle l’individu, et ils mettentl’accent sur l’étude de la crise, de l’erreur. La cliniquepeut-elle s’intéresser à l’homme normal ? ». Cette ques-tion, excellente, conduit aux remarques suivantes :- crise, ou maladie, sont-elles séparées de la santé ?n’y a-t-il pas un dynamisme dans les deux cas ?- que signifie « normal n ? est-ce II statistiquementmoyen » ?

- la conservation, I’homéostase sont-ils des signes desanté ? d’existence heureuse !

Bref : l’homme est-il une machine homéostatique !Nous retrouvons le cours de )uliette FAVEZ-BOUTO-

NIER : « Je me demande s’il existe des êtres humainsqui soient stabilisés au point de ne plus pouvoir régres-ser ou s%néliorer. M. André REY dit se référer auschéma de l’être humain « moyen et majoritaire ». Jeme demande où on peut bien trouver un être humainqui ne donne pas l’impression de pouvoir toujoursrégresser ou s’améliorer 1, (p. 58-59). Bref, REY et LA-GACHE réduisent au conflit ce qui peut aussi êtredynamique et progrès.

e) l’homme normal intéresse-t-il la clinique ?

Nous devons considérer cette question, qui est fonda-mentale ; effectivement, le psychiatre, le médecin, lesoignant en général, voient l’être humain en crise,malade, en conflit ; mais le sens, le but de son action :c’est lasanté, le bonheur. II ne peut donc pas écartercela de sa science, même quand il est « au lit dumalade » : il faudra que le malade sorte de son lit !Ajoutons que le point de vue propre de l’infirmière sesitue concrètement dans ce processus :- elle est présente plus constamment,

- elle fait lever le malade,- elle suit pas à pas le processus, tendue vers laguérison (celle-ci n’est pas un simple rétablissement deI’homéostase, du statut antérieur : on ne sort pas d’unemaladie, surtout grave, tel qu’on y était entré).

S’il y a une K science infirmière », c’est une clinique duPASSAGE progressif (ou, hélas parfois, régressif) ; il fautétudier pour lui-même le rapport maladie-santé.

3. MALADIE ET SANTÉ *LA « SCIENCE INFIRMIÈRÉ x

a) Le malade veut guérir : cela, la clinique qui est aulit du malade ne doit pas l’oublier. Sans doute, la santéest-elle sentie comme menacée, extérieurement(microbes, poisons, etc.), intérieurement (faiblesses,tares génétiques, conflits internes, vieillissement, etc.) ;le célèbre docteur KNOCK disait que la santé est unétat ‘précaire, qui ne présage rien de bon, «tout hommebien portant étant un malade qui s’ignore ». Assuré-ment, la comédie est une charge ; toutefois, il est vraique maladie et santé ne sont pas deux états séparés,étrangers l’un à l’autre : tel homme est tantôt malade,tantôt sain - voire, plus exactement : tantôt plutôtmalade, plutôt en bonne santé (le docteur KNOCK araison de nous mettre en garde contre une confianceaveugle).’ L’homme établit, au moins physiologique-ment, ses normes de vie : malade, il restreint son uni-vers, ses activités, ses buts immédiats ; cela se fait soit

Recherche en soins infirmiers N’ 34 -Septembre 1993

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passivement (il s’effondre), soit plus ou moins rageuse-ment (il s’irrite), soit avec lucidité et volonté (il cherchecomment se rétablir au mieux et au plus vite) Lamaladie n’est pas simplement l’absence de la santé :elle consiste, pour l’individu malade, à vivre selond’autres normes (d’autres règles). Un médecin-chirur-gien, René LERICHE et un médecin-philosophe,Georges CANCUILHEM, ont bien mis cela en lumière.

b) CANCUILHEM, dans son Essai sur quelques’pro-blèmes concernant le normal et le pathologique, arappelé que la vie, à la différence de la matière inerte,est une activité en débat avec le milieu (nous verronsque c( débat » n’implique pas nécessairement « conflit ))) ;le vivant porte en lui :

- soit des principes fixes d’action, qu’il tend à impo-ser à son milieu (c’est l’animal) : ce sont là des« normes spécifiques » ;

soit le principe de la création (relative) de sesnormes : c’est la liberté humaine ; CANCUILHEM ap-pelle ce pouvoir : la normativité, capacité d’établir sesnormes, de nouvelles normes ; c’est pourquoi « débat »n’est pas identique avec conflit (Kurt COLDSTEIN,nous allons le voir, a démontré ce point).

La maladie se traduit par une réduction des normes, ou,plus exactement, par des normes nouvelles qui nepermettent plus ce que l’on pouvait faire auparavant,dans l’ordre physique et physiologique, car, dans l’or-dre spirituel et moral c’est différent : nous connaissonstous des grands malades qui font notre admiration etnous donnent même parfois des raisons de vivre. Lecoureur normal est celui qui bat les records, et instituede nouvelles normes ; à un point de vue plus essentiel,le héros est créateur dans l’ordre spirituel : rappelant ladestinée de son ami Jean CAVAILLÈS (résistant fusillépar les allemands), CANGUILHEM écrit : il « a décidéde défendre les valeurs qui se justifient par la chancequ’elles permettent à l’homme- d’en créer de nou-velles » (La viedelean CAVAILUS, dans le « MémorialCAVAILLÈS j>, Publications de la Faculté des Lettres deStrasbourg, 1947, p. 149). Idée qui sera reprise à la finde « Connaissance de la vie » : « toujours le conceptde << normal », dans l’ordre humain, reste un conceptnormatif et de portée proprement philosophique... », etqui était déjà posée page 194 : « Un homme ne vitpas uniquement comme un arbre ou un lapin ».

Qu’en résulte-t-il au niveau de notre « clinique » mé-dicale ou infirmière 1 Ceci :

- ,I’homme malade, restant un homme, même s’il vitselon d’autres normes biologiques, nouvelles par rap-port à la santé, est toujours un être normatif ;

- il veut guérir : retrouver les anciennes normes, sansdoute ; peut-être même les dépasser (on ne se trouvepas après une maladie, surtout grave, comme on étaitavant) ;

- même si la maladie dure, est chronique, voire fa-tale, la normativité, au moins spirituelle, au moinspotentielle, doit être respectée ; plus : aidée. C’est là ledevoir de tout soignant, dont l’activité n’est pas seule-ment au service du corps, mais aussi de l’être entier,corps et âme. C’est ce que l’on voit bien chez RenéLERICHE.

c) LERICHE avait établi la pratique clinique exigéepar cette réalité humaine complète ; il a exposé sapratique en particulier dans sa biographie, Souvenirsde ma vie morte :

- observation longue, lente, patiente, après laquelleseulement on peut se livrer à une exploration, celaparce que l’individualité du malade l’exige (p. 122 à128) ;

- parallèlement, la chirurgie doit se faire en douceur,et noti d’une manière brillante, acrobatique, spectacu-laire (il a vu ce modèle de chirurgie patiente, calme,efficace, chez le grand HALSTED, aux Etats-Unis :p. 184) ;

- I’interrogation du malade doit s’établir dans unerelation cordiale (p. 118) ;

- le passage du diagnostic à l’indication se pose avecle sens de la responsabilité du médecin (LERICHEpréfère parler d’indication plutôt que de traitement : iln’y a pas ici de machine automatique) : page 110 ;

- la maladie, l’opération surtout, créent des étatsnouveaux (p. 126) ;

- le rapport avec le malade est fondamental ; à cepropos LERICHE signale qu’il n’a jamais manqué, jus-qu’à sa retraite, à 70 ans, la visite de ses malades,surtout le dimanche soir (p. 31).

LERICHE a bien vu que la « maladie-du-malade » (etnon « en soi 1)) est << une physiologie nouvelle » ; « il ya en nous, à chaque instant, beaucoup plus de possibi-lités physiologiques que n’en dit la physiologie. Mais ilfaut la maladie pour qu’elles soient révélées... » ; la vieest un donné inépuisable que la science, par exemplela physiologie, cherche à connaître de mieux en mieux.Dans son Essai..., où il expose les idées de LERICHE,CANCUILHEM écrivait : la théorie de LERICHE « est lathéorie d’une technique, une théorie pour qui la tech-nique existe, non comme servante docile appliquantdes ordres intangibles, mais comme conseillère et ani-matrice, attirant l’attention sur les problèmes concrets

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et orientant la recherche en direction des obstacles,sans rien présumer à l’avance des solutions tlieoriquesqui leur seront données » (p. 57) ; n’est-ce pai là unejuste indication de ce qu’est une « science infirmière » ?

d) Ces deux médecins ont rejoint le neuro-chirurgienKurt COLDSTEIN ; il constateque le malade blessé parune lésion cérébrale est atteint dans la totalité de sesconduites : il ne comprend plus l’abstraction, il ne litplus un plan, mais il agit concrètement, il se retrouvedans la rue ; aussi GOLDSTEIN donne-t-il cette pre-mière règle de méthode : « II faut tenir compte de tousles phénomènes que présente un organisme, par exem-ple un malade, et, dans /a description qu’on en fait, nedonner tout d’abord /a préférence à aucun d’entreeux » (La structure de l’organisme, trad. fr., p, 20). Lamaladie, liée à la lésion, n’en dépend pas comme uneffet simple, dans la matière, dépend d’une cause sim-ple : un organisme n’est pas une anatomie, mais unvivant dont tout l’être est atteint, même à l’occasiond’une blessure locale ; le médecin est renvoyé « au toutde l’organisme » ; le monde du malade est changé,réduit : « un organisme déficient ne parvient à uncomportement ordonné que par une réduction de sonmilieu en proportion de son déficit » (p. 42) : fermeturesur soi, ankylose, hantise du changement. Et, surtout,tendance à la conservation, homéostase. C’est pour-quoi le malade se sent « en conflit » : une vie conflic-tuelle n’est pas saine ; la santé, c’est le débat, le dialo-gue (GOLDSTEIN écrit : « Auseinandersetzung »)organisme-milieu : « L’observation des malades mon-tre que /a simple conservation est un signe de vieanormale, devieen déclin. Pour le malade, le maintiende l’état est la seule possibilité d’existence. La forceimpulsive de la vie normale est la tendance de I’orga-nisme à /‘activité, au développement des capacités, àune réalisation aussi haute que possible de sari es-sence » (on retrouve l’idée d’ARISTOTE pour qui l’es-sence, c’est ce que l’être a à être : to ti ên eïnaï) ;« la maladie est un ébranlement de l’existence [...l.La maladie apparaît au moment où l’organisme estmodifié de telle sorte que des réactions catastrophiquesse produisent dans le milieu même auquel il appar-tient... » (p. 345-346).

Nous sommes toujours en présence de l’idée de « l’or-ganisme total », que COLDSTEIN met en rapport avecl’extériorité :

- des relations humaines,

- du nionde naturel (du cosmos) dans son ensemble.

GOLDSTEIN montre, d’une part, que l’organisme estbien un tout, unifié, et non une juxtaposition de seg-ments : « les segments établis ne font que renvoyer au

tout de l’organisme, mais ils ne le composent pas »(p. 338-339 : l’organisme est premier, et non pas lerésultat d’une composition ; au reste l’embryologie l’abien établi) ; d’autre part, ce tout n’est pas un « touttotal » ;-c’est un « certain tout » : si l’idée de Tout estpremière, si c’est à partir d’elle que l’on pose I’lndividu,elle n’est pas absolue ; « relativement parfait, commeun mode d’être ordonné, en conformité avec son es-sence individuelle ; plus ou moins imparfait par rapportà l’essence de sa classe ou de son espèce, ou même parrapport au tout de l’être. Cette imperfection s’exprimepar l’individualité et provient de la séparation artifi-cielle de l’individu d’avec IeTout » (p. 443).

Est-ce que ces analyses sont périmées aujourd’hui, en1993 ? Non, un médecin contemporain les retrouve, àpartir,de sa pratique en psychiatrie et en psycho-somatique.

e) Léon CHERTOK : relation, empathie, suggestion.Ce médecin est parti des idées de FREUD ; il a subi unepsychanalyse par LACAN. Ouvert au réel, il a étéconduit à élargir les thèses trop idéologiques. En parti-culier il a découvert toutes les implications de la rela-tion malade-médecin ; on vient de publier un ensem-ble de ses travaux, sous le titre « L’énigme de la relationau cceur de la médecine * (avec une bonne préfaced’Isabelle STENGHERS). Il a vu que la base, souventcachée, de cette relation obscure, c’est I’empathie(terme qui traduit l’allemand Einfülhung) ; cette réalitécomplexé est à la fois connaissance intime réciproque,par une.sorte d’union sympathique, qui laisse chacundans sa personnalité ; partant du mouvement affectif desympathie, elle passe dans l’ordre de la connaissancecompréhensive de l’autre, et réciproquement : . « lecourant passe » (dit CHERTOK) ; chaque identité per-sonnelle s’ouvre et se livre à l’autre dans une commu-nication corporelle, affective, intellectuelle à la fois, oùl’altérité est conservée (p. 456-457 de l’ouvrage cité).

L’empathie permet ensuite de comprendre le pourquoiet l’importance de la suggestion ; on pense souvent à lasuggestion provenant du médecin, mais le mouvementinverse n’est pas moins réel. La suggestion qui va dumédecin au malade médiatise une influence, et est« capable de produire des changements psychologi-ques et physiologiques manifestes » (p. 474) ; CHER-TOK a bravé d’abord un interdit lacanien : le célèbreLACAN avait jeté l’anathème sur la suggestion ; puis ils’est aperçu que le Maître usait et abusait de ce procédé(ce,qula d’ailleurs confirmé, entre autres, CatherineCLEMENT). Ensuite on voit que la suggestion va aussi,et parfoisd’abord, du malade au médecin ; ainsi CHER-TOK cite odes phénomènes tels que les « cystalgies àurine claire >> et, surtout, le cas d’un polyopéré extraor-

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LA CLINIQUE, HISTOIRE, THÉORIE, PRATIQUE (cc la science infirmière »)

dinaire que nous exposerons plus loin, dans notreconclusion ; il rappelk l’un des~maîtres de la psychia-trie, qui a impulsé les grands du XXe siècle, depuisFREUD : CHARCOT ; dès 1887, l’éminent psychiatrede la Salpêt+re avait découvert et exposé le doublephénomène réciproque de la « mania operativa passi-va » (le malade qui veut se faire opérer, puis ré-opérer,etc.) et de la « mania operativa activa » du chirurgien,qui entre dans ce jeu ; et nous avons alors des cas telsque celui du polyopéré dont nous parlerons (dont I’ac-tivité de patient candidat à la chirurgie dura près de

La réalité (l’homme), il faut l’écouter, c’est-à-dire larecevoir dans ce qu’elle communique d’elle-même :les signes qu’elle émet, volontairement ou non ; signesde divers ordres (physiologiques, mimiques, paroles,etc.) ; nous croyons parfois que certains signes « neveulent rien dire » ; mais est-ce bien sûr ? est-ce que cene sont pas parfois les plus importants ! La réalitéhumaine en effet, est une sorte de totalité, decomplexité non close, problématique, en ce sensqu’elle est à elle-même problème (de cela résulte l’idéede conflit relevée par REY et LACACHE).

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« Falsifiabilité » exclut « irréfutabilité ». Or, la« science infirmière » est affrontée, minute après mi-nute, à la réalité du processus individuel ; c’est doncune clinique de /a temporalité fine.

2) Ensuite, et par conséquent, cette science rejettel’esprit de système (nosographie générale et purementthéorique : seconde tendance des hippocratiques). Ellecorrespond exactement aux idées du chirurgien RenéLERICHE : pas de ,chirurgie systématique : « il y a ennous beaucoup plus de possibilités physiologiquei quen’en dit la physiologie. Mais il faut la maladie pourqu’elles soient révélées » (Physiologie et pathologie dut issu osseux, p. 11). CANGUILHEM commente (Essai,

‘,p. 57) : la théorie de LERICHE est la « théorie d’unetechnique, une théorie pour qui la technique existe,non comme servante docile et appliquant des ordresintangibles, mais comme conseillère et animatri&, at-tirant l’attention sur les problèmes concrets, et orien-tant la recherche en direction des obstacles, sans rienprésumer à l’avance des solutions théoriques qui serontdonnées ». C’était déjà l’enseignement d’ARISTOTE,des hippocratiques de la tendance clinico-expérimen-tale.

La « science infirmière » peut donc être ainsi caractéri-sée : c’est la clinique dans son analyse fine, observa-,trice attentive, du rapport de tel homme à sa maladie,dans le déroulement temporel effectif :

- rapport de cet homme, actuellement malade, encrise ;

- qui garde

- son individualité propre (donc son passé),

- sa totalité non close et problématique,

- ses interactions (de tous niveaux, y compris cellesquise déroulent ici et maintenant),

ses visées, au moins dans une perspective qu’il sou-haite ;- il n’est pas seul dans sa maladie - au moins enprincipe -, car il n’y a pas pire misère ici que lasoli tude.

La science infirmière, c’est bien I’ars longa d’HIPPO-CRATE, et il faut que celui ou celle qui la pratique ne

\soit pas réduit a une « vita brevis » !...

Cette « science infirmière » a échappé à Michel FOU-CAULT ; étudions, par exemple le livre sur « Naissancede la clinique ; une archéologie du regard médical »(1963) : c’est une spéculation sur les dits (discours,écrits, etc.) et non une analyse des pratiques et desconnaissances scientifiques ; certes, la critique des

courants de pensée, des opinions, est un secteur parti-culier des « sciences humaines » ; mais elle est endehors de l’histoire de la clinique dans sa réalité (demême pour sa critique de PINEL).

La « science infirmière », technico-théorique, animel’humanisation de l’hôpital : comme le disait JulietteFAVEZ-BOUTONIER, l’observation clinique nousoblige à voir « que l’observateur n’est pas indépendantde ce qu’il observe, et qu’il entre dans des relationshumaines avec l’individu qu’il observe [...l sa positiond’observateur l’engage... n (Cours cité, p. 110 ; un a-méricain, ROSENTHAL, a étudié cet effet de I’expéri-mentateur sur les sujets : « l’effet ROSENTHAL » ;Georges DEVEREUX a analysé avec soin tous ces faitsde « contre-transfert » : voir bibliographie). De là ré-sulte ce que l’on appelle « l’humanisation de I’hôpi-tal » : « on a vu se modifier récemment tout un ensem-ble de règlements concernant les relations entre lepersonnel soignant et les malades dans les hôpitaux »(id., p. 110) ; « ce sont des modifications de détail,mais qui sont importantes tout de même, concernantpar exemple la possibilité de garder des objets person-nels avec soi, des vêtements personnels, lorsque cesvêtements ne sont pas une entrave aux soins qu’ilconvient de donner, bien entendu, et la possibilité ausside laisser des personnes de la famille cri contact plusfréquent avec les malades, surtout s’ils sont dans un étatgrave... D (id.).

Dans la science infirmière, I’« écoute clinique » estcritique, parce qu’elle est équipée des connaissancesthéoriques précises ; dans le déroulement de la vie duservice, elle suit les méandres de la durée, du « tempsvécu ». Elle ne prend pas des sortes de photographiesinstaritanées, des « clichés » (au sens péjoratif duterme), mais c’est plutôt un film. Un art scientifique ausens d’HIPPOCRATE.

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