La Circulation Des Dirhams Dal-Andalus e

7/25/2019 La Circulation Des Dirhams Dal-Andalus e

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La circulation des dirhams d'al-Andalus entre Gascogne et Aquitaine au IXesicle.

Marc Parvrie

Dans une rcente tude1, nous avions tent de faire le point, cinquante ans aprs l'article fondateur

de Jean Duplessy2, sur la circulation des monnaies arabo-musulmanes dans les rgions mridionales de

l'empire carolingien.

L'tude de plus de soixante-dix monnaies issues de fouilles archologiques et surtout dedcouvertes fortuites a permis de confirmer et de prciser la chronologie de la priode comprise entre le

dbut du VIIIeet le milieu du IX

esicle avance par J. Duplessy. Les monnaies les plus anciennes (toutes

trouves en Septimanie) datent de la conqute (aprs 710). Le dirham le plus rcent (dcouvert en

Aquitaine) date des annes AH250 (vers 860). Cette priode est suivie d'un foss chronologique de deux

sicles et demi avant que ne commencent apparatre dans les trsors montaires les premiers dinars dor

almoravides (vers 1120-1130).

Ces nouvelles dcouvertes confirment de mme le cadre gographique de la circulation montaire

durant cette premire priode :

- un courant majeur diffuse depuis les ctes italiennes des dinars et dirhams provenant d'ateliers

nord-africains et orientaux dans toute la valle du Rhin et jusqu'en Angleterre ;

- en Septimanie, la conqute puis la domination musulmane de 719 759 ont livr 3 dinars, 3dirhams et 38fulsde bronze. Des dirhams frapps en al-Andalus continuent circuler aprs la conqute

carolingienne ;

- un courant important relie lEspagne musulmane l'Aquitaine : franchissant les cols des

Pyrnes3, les dirhams d'argent d'al-Andalus aboutissent dans les confins basques du sud de la Garonne,

puis suivant toujours les voies romaines, gagnent la valle de la Loire par le seuil du Poitou.

Dans ce dernier cas, la prsence des monnaies sur des itinraires de commerce, souvent de surcrot

des points de rupture de charge (passage dune rivire, au pied dun col) confirme la permanence des

voies dchanges longue distance entre la pninsule Ibrique et lAquitaine4durant le haut Moyen-ge.

Les trois monnaies, objet de la prsente communication, proviennent des bords de Garonne, sur

les marges de cette Wasconia qui semble encore au IXesicle sous un contrle assez thorique du pouvoircarolingien. Les deux premires ont t dcouvertes dans la commune de Donzac (82) sur un gu antique

ou alto mdival permettant la traverse de la Garonne. La troisime provient d'un champ de la commune

de Grenade (31), qui a livr aussi des monnaies du IVesicle et des ardillons de boucles mrovingiens.

Le premier dirham (Fig.1), frapp en al-Andalus, pse 0,99 g, pour 22 mm de diamtre. Bien que

cass et us, il peut tre dat de AH 199 (= 815, rgne d'al-HakamIer). Rfrence : Vives 105, Miles 90a.

Droit :

Il n'y a de divinit que Dieu, l'Unique, le Sans-Egal

]

[

]

[

Au nom de Dieu a t frapp ce dirham al-Andalus en l'an 199

Revers :

Coran CXII sur quatre lignes, avec un point entre les deuxime et troisime lignes.


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Coran IX,33 en lgende circulaire.

La cassure de la monnaie ne laisse apparatre que le dernier chiffre de la date (9), le nnfinal (

)

du chiffre des dizaines, et le t marbutafinal (

) du mot cent. Le style et la prsence d'un point dans les

champs du droit et du revers permettent d'attribuer ce dirham l'anne 199. Cette lecture est confirme

par la dcoration du motif circulaire avec alternance caractristique d'annelets points et de trois points en

triangle, dont on devine encore la prsence 11 heures5.

Le deuxime dirham (Fig.2) pse 1,45 g, pour 22 mm de diamtre. Il a t frapp al-Andalus en

AH227 (= 842, rgne de 'Abd al-Rahman II). Rfrence : Vives 181 (anne 227 avec point), Album 342.

Droit :


Au nom de Dieu a t frapp ce dirham al-Andalus en l'an 227

Revers :

Coran CXII sur quatre lignes, avec un point au-dessus, un au centre et un en dessous.

Coran IX,33 en lgende circulaire, en partie hors flan.

La lecture 227, rendue difficile par l'criture en partie corrompue des centaines et des dizaines, est

confirme par la prsence des trois points du revers (en haut, au milieu et en bas) et du point du droit

(effac, au milieu).

Le troisime dirham (Fig.3) ne pse que 0,59 g, pour 11 mm de diamtre. La rognure circulaire a

totalement limin les lgendes marginales, de sorte qu'il est impossible d'identifier avec certitude l'atelier

et la date.

Droit :


Lgende circulaire hors flan

Revers :

Coran CXII sur quatre lignes.

Lgende circulaire (Coran IX,33) hors flan.


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La prsence de la sourate CXII au revers montre cependant qu'il s'agit d'une monnaie de type

umayyade, qu'il est possible de dater au plus large de la priode 699-912 6. Cependant, le style de la

calligraphie, avec des "dl" (

), "sd" (

) et "kf" (

) remarquablement allongs, nous invite formuler

l'hypothse d'une frappe en al-Andalus dans les annes AH150-200 (768-816), peut-tre plus prcisment

des annes AH160 (vers 780) ?

Cette nouvelle dcouverte de dirhams d'al-Andalus s'intgre parfaitement dans le schma gnralde circulation prsent en introduction. Chronologiquement tout d'abord, les 2 dirhams du gu de Donzac

se placent plutt dans la partie basse de la priode tudie (9 dirhams dats des annes 750-800, 4 des

annes 800-820 et 4 des annes 840-860). La datation du dirham de Grenade est trop hypothtique pour

qu'un quelconque classement soit pertinent.

Gographiquement, ces trois exemplaires ont t dcouverts, comme les autres dirhams

d'Aquitaine, sur les grands itinraires reliant l'Espagne l'Aquitaine, le plus souvent sur des sites de

l'Antiquit tardive, et pour la plupart au sud ou proximit de la Garonne7.

L'originalit de la dcouverte des deux dirhams du gu de Donzac tient ce qu'elle a t faite en

marge des itinraires majeurs de l'Antiquit tardive. Le principal point de traverse de la Garonne se

trouve en effet au sud d'Agen, une douzaine de kilomtres en aval. C'est ici que traversaient les voies,mentionnes par la Table de Peutinger, venant de Toulouse8 et de l'ouest de la Wasconia, aprs s'tre

rejointes Lectoure. Depuis Agen, elles poursuivaient au nord vers Prigueux et Limoges 9, l'ouest vers

Bordeaux10 et l'est vers Cahors et Rodez. Une autre voie Toulouse Agen Bordeaux, dite voie

Tolosane, suivait la Garonne d'abord en rive gauche, puis partir de Castelsarrasin en rive droite, vitant

ainsi le territoire de la cit de Lectoure11.

Le gu de Donzac, quant lui, ouvrait au sud sur un itinraire secondaire de rive gauche de la

Garonne rejoignant probablement Toulouse. La prsence au sud du gu d'un embranchement vers

Lectoure est possible mais non confirm. Au nord, le gu permettait de rejoindre la "voie tolzane", tandis

qu'un embranchement situ sur la commune de Clermont-Soubiran (47) permettait peut-tre d'accder

un ancien cheminement rput relier les bords de la Garonne au Massif central12. Notons par ailleurs la

prsence sur cette rive droite de la Garonne de plusieurs ncropoles et sanctuaires palochrtiens, souventlis des villae de l'Antiquit tardive, notamment sur les communes de Puymirol et Saint-Pierre-de-

Clairac (47)13, ce qui pourrait indiquer une zone assez occupe et peuple pendant le haut Moyen-ge.

C'est dans cette mme zone de la valle de la Sanne, distante du gu d'une dizaine de kilomtres

seulement, qu'a t dcouvert un autre dirham d'al-Andalus dat de AH19014. Peut-tre les trois dirhams

faisaient-ils partie d'un mme "ensemble dispers"15?

Ainsi, les dirhams du gu de Donzac semblent bien tre sortis des grandes voies de long parcours

traversant l'Aquitaine, pour suivre des itinraires plus rgionaux et probablement tre utiliss dans un

circuit conomique local.

Cette hypothse est renforce par la rognure manifeste de ces deux monnaies. La premire, par

ailleurs casse, ne nous livre aucun lment dterminant. En revanche, on peut voir que la seconde a t

trs soigneusement ramene par coupure circulaire au poids d'un denier carolingien, pour un diamtre

peine suprieur. Depuis le capitulaire d'Attigny de 822, le poids du denier est fix 1/264e de livre soit

1,55 g16, mais le poids moyen constat dans les trsors de cette priode est plus proche d'1,48g17, ce qui

correspond assez bien notre exemplaire (1,45 g)18. Dans la mesure o la rognure des dirhams est

rarissime en al-Andalus mmeo existent encore cette poque des divisionnaires de bronze , il faut

en conclure que ces deux exemplaires ou trois, si l'on compte celui de Saint-Pierre-de-Clairac sont

arrivs entiers en Gascogne et y ont t volontairement dcoups pour leur permettre de circuler aux cts

des deniers carolingiens.

En effet, Jens-Christian Moesgaard19a bien montr que, contrairement aux zones d'conomie non

montaire des marges septentrionales du monde carolingien, o les monnaies, ne valant que leur poids de

mtal fin, sont dcoupespour faire l'appointplies, entailles ou testespour en vrifier la qualitl'empire carolingien dispose d'une conomie montaire trs contrle par le pouvoir central : monnaies

ayant un cours officiel garanti20, frquentes dmontisations d'espces anciennes21, traque de la fausse

monnaie22, obligation de porter aux ateliers montaires les monnaies trangres, pour qu'elles soient


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fondues et refrappes en deniers23. Ce contrle rigoureux de la masse montaire en circulation a pour

consquence de rendre, archologiquement, presque invisible la circulation des espces trangres.

Ainsi ne sont gure retrouvs, dans les marges les moins efficacement contrles, que des exemplaires

isols ou de petites bourses de marchands, c'est dire des pertes accidentelles ayant chapp au change et

la refonte par les ateliers montaires carolingiens24.

Le dirham de Grenade, ramen quant lui au poids d'une obole, renforce cette impression d'une

conomie montaire plus dveloppe qu'on ne l'imaginait, le besoin ne numraire poussant la population

locale rutiliser des monnaies trangres de poids ajust en appoint des espces officielles.

Peut-on avancer une datation de la circulation et de l'utilisation de ces dirhams dans les marges

mridionales de l'empire carolingien ? La datation du dirham de Grenade est trop hasardeuse pour

apporter la moindre indication. En revanche, pour les dirhams de Donzac, un terminus a quonous est

donn par la monnaie la plus rcente, c'est dire 842. On sait par ailleurs que vers 910, la taille des

deniers passe de 264 312 la livre25, ce qui entrane une rduction pondrale de 1,55 1,31 g. Il est peu

probable que notre exemplaire ait t ramen 1,45 g une poque o le poids lgal du denier tait de

10% infrieur, ce qui nous donnerait un terminus ad quem. Peut-tre peut-on resserrer encore un peu la

datation si l'on tient compte de l'impact de la dmontisation de l'Edit de Ptres de 864, qui a fait

disparatre totalement de la circulation les espces plus anciennes, et donc manifestement aussi la fausse

monnaie et les espces trangres26. On arriverait alors une priode d'une vingtaine d'anne seulemententre l'mission des dirhams Cordoue et leur perte en bord de Garonne o ils ont circul, ne serait-ce

qu'un laps de temps assez court, au poids et la valeur des deniers carolingiens.

Ces trois exemplaires provenant des bords de la Garonne ne sont pas les seules preuves d'unecirculation effective des monnaies trangresen l'occurrence les dirhams d'al-Andalusdans un circuit

conomique local. Trois autres cas seulement nous sont connus : un dirham dcouvert prs de Tours

ramen par coupure circulaire au module des deniers de Ppin27, un autre dat AH238 (852) pesant

1,36 g pour un diamtre de 20/22 mm, dcouvert dans le lit de la Loire prs d'Ancenis (44) 28, et le

troisime dat AH241 (856) pesant 1,69 g, dcouvert Castelnau (32), dans la valle de l'Adour29, lui

aussi en marge des voies principales.

Trs intressante dcouverte, ces trois nouveaux deniers arabes30 permettent non seulement de

confirmer l'apport rgulier par des marchands de dirhams d'al-Andalus dans l'empire carolingien, mais

encore de prouver l'utilisation d'une partie au moins d'entre eux dans un circuit conomique local, certains

tant cette fin soigneusement ramens au module et au poids du denier ou de l'obole.

Reste claircir certaines questions que le faible nombre de dcouverte ne permet pas encore de

trancher : cette pratique de la dcoupe des dirhams a-t-elle t constante au cours des VIIIeet IXesicles,

ou est-elle directement lie une pnurie plus ponctuelle de numraire intervenue au milieu du IXe

sicle31? Etait-elle limite aux marges qui pouvaient chapper au contrle rigoureux des autorits fiscales

et montaires, comme ici en bordure de Garonne, ou tait-elle aussi connue des rgions plus centrales et

mieux contrles de l'empire ? Les prochaines dcouvertes montaires ne manqueront pas, nousl'esprons, d'apporter des lments de rponse.

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Vives y Escudero A. (1893),Monedas de las Dinastias Arabigo-espaolas,rimpr. Madrid, 1998.

1 Parvrie 2007.

2 Duplessy 1956. Jean Duplessy montrait par ltude critique des trsors montaires et des sources littraires

limportance de la circulation et de lutilisation du numraire arabo-musulman dans lOccident mdival.3 Roncevaux et le Somport. Les Arabes nommaient prcisment les Pyrnes leDjebel al-Burtt, la montagne des ports

(c'est--dire des cols), ce qui renvoie plus lide de lieu de passage qu celle d'obstacle ou de frontire.4 Iter hispanicus dont Michel Rouche a bien montr limportance (Rouche 1979, 249-254). Il montre notamment que

les principales voies romaines sont toujours utilises durant le Haut Moyen ge.5 Merci Lutz Ilisch, de l'universit de Tbingen, pour son aide prcieuse.

6 Les califes umayyades de Damas frappent des dirhams de ce type entre 699 et 750 ; les mirs umayyades d'al-Andalus

entre 765 et 912.7 La Garonne reste jusqu' la fin du VIII

esicle une zone frontire entre l'Aquitaine et les cits sous domination

vascone. CAG47, 83.8 Voie ToulouseLectoureAgen mentionne par la Table de Peutinger et l'Itinraire d'Antonin.

9 La permanence au haut Moyen-ge de cet axe reliant les rgions pyrnennes au nord de l'Aquitaine apparat

notamment la lecture de la lettre de Ruricius, vque de Limoges, remerciant l'vque d'Eauze pour l'envoi decolonnes de marbre. Ruricius,Epist.II, 54.

10 Par la voie AgenBordeaux ou par la Garonne.

11 Peut-tre s'agit-il d'une dviation plus septentrionale de l'itinraire antique due la domination vasconne sur les Cits

du sud de la Garonne ?12

CAG 47, 281. Celle voie est dite voie clermontoise . Elle est atteste sur la commune de Saint-Urcisse (47),

quelques kilomtres au nord du gu.13

CAG 47, 217.2, 217.6, 217.9, 217.12, 269.14

Sur la commune de Saint-Caprais-de-l'Herm (47), au lieu-dit Lasbrugues. Gundelwein 1983, 224-225.15

Au sens donn par J.-P. Callu : groupement de monnaies forment l'origine un ensemble unique qui s'est trouv

dissmin sur une aire plus ou moins tendue.16

Depeyrot 1993, 23.17


Le poids thorique du dirham d'al-Andalus est 2,97 g, mais les poids rels constats pour cette priode sont plus

proches de 2,5-2,6 g.19

Moesgaard 2008b.20

Depeyrot 1993, 17 et 68-69 : il s'agissait tout d'abord d'imposer la circulation des monnaies officielles qui pouvaient

tre refuses soit en raison de l'existence de fausses monnaies, soit en raison de l'apparition de nouveaux typesmontaires officiels .

21 Depeyrot 1993, 16-17 et 70 : G. Depeyrot note l'absence presque totale de monnaies plus anciennes dans les trsors

enfouis aprs 864 (Edit de Ptres).22

Depeyrot 1993, 15-16.23

Moesgaard 2008a, 170-171.24

Moesgaard 2008b.25


Depeyrot 1993, 70 et Grierson 1991, 233.27

Duplessy 1956, Annexe 1, n5.28

Saget & Mnanteau 2003, 51, n29. Clment 2008, 161.29

Parvrie 2007, 236 et Annexe n23.30

L'expression "andalusi pennies" est de Lutz Ilisch.31 Depeyrot 1993, 23.

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