La chute de l'Empire Romain

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LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN

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DU MEME AUTEUR :

LES MOYENS D'ACTION DE L'ORDRE DU CLERGÉ AU CONSEIL DU ROI (1561-1715) (Sirey, 1954).

LES GUERRES DE RELIGION (Julliard, 1962).

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Y A TOUJOURS UN REPORTER "

Julien COUDY

LA CHUTE DE L'EMPIRE ROMAIN

JULLIARD 30, rue de l'Université PARIS

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© René Julliard, 1967. Imprimé en France

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A Maggy Menard archéologue en Languedoc.

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INTRODUCTION

Le 17 janvier 395, Théodose, imperator, va mourir. Depuis que, près d'Aquilée, en Italie, il vainquit le Franc Arbogast, il a régné à peine quatre mois sur les deux moitiés provisoirement réunies de l'Empire romain.

Contre Arbogast, maître de la milice, vrai roi de l'Occident par l'assassinat, en 392, de Valentinien II, Théodose s'est appuyé, non seule- ment sur le meilleur de ses généraux, le Vandale Stilicon, mais aussi sur le chef goth Alaric, inquiétant fédéré qui commande de façon auto- nome ses troupes barbares.

Francs, Vandales, Goths, où sont les Romains en ces guerres civiles ? Et voilà que Théodose va mourir, laissant deux jeunes fils : Arcadius qui a 18 ans, et Honorius, seulement onze.

Désormais c'en est fini. Il n'y aura plus jamais d'unité dans les faits pour cette immense domi- nation qui s'étend encore, ce jour-là, des fron- tières de la Calédonie (Ecosse) jusqu'aux bords de la Perse.

Ce qui demeurera de vie et de vigueur dans l'antique héritage se réfugiera dans sa part orien-

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tale. Rome et avec elle l'Occident connaîtront des jours parfois tragiques et, en tout cas, nou- veaux.

Un combat, d'autant plus désespéré qu'il sera inaperçu ou dédaigné de beaucoup de ses contem- porains, opposera ce qui reste, à Rome ou à Milan, d'administration et de force de l'Etat aux bandes des chefs barbares de tout poil, peu nom- breuses, décidées et fortes de la faiblesse adverse.

Qui sont, du côté impérial, ces « patrices », généraux et dictateurs, qui ont le pouvoir réel à côté de celui nominal de l'empereur ? Eux aussi des barbares :

Stilicon, qui battra encore, en 405, à Fiesole, l'Ostrogoth Radagaise, ses Alains et ses Quades ;

Aetius, lui-même, surnommé « le dernier des Romains » est né en Dobroudja, à la frontière, et a vécu chez les Huns une bonne part de sa vie ;

Rikimer, le Skire, qui tuera, en 461, l'empereur Majorien, et régnera par personnes interposées ;

Odoacre, enfin, qui accomplira le geste, final et spectaculaire, de déposer, en 476, Romulus Augustule, dernier empereur d'Occident.

Bientôt, au nord de la Gaule, Clovis et ses guerriers vont amorcer la marche vers le sud qui fera des Mérovingiens, pour deux siècles et demi, les maîtres du pays. Bientôt, au pas de ces bar- bares, va commencer l'histoire de la France.

Rome est demeurée pourtant, depuis plus de quinze siècles, comme le modèle accompli de la domination politique dont, de tout temps, philo- sophes et historiens ont analysé les causes de décadence.

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Pour les uns, il y a eu une sorte d'immense cataclysme moral et politique. Une société déca- dente (se rappeler le cliché fameux : « les empe- reurs de la décadence »...) se serait effondrée brusquement sous les coups de barbares, tantôt Germains, tantôt Mongols. Ainsi rêvait-on il y a cent cinquante ans.

Pour d'autres, et c'est la tendance de la recher- che historique contemporaine, il ne s'est passé, aux IV. et V siècles de notre ère, rien d'imprévisi- ble. Il n'y a plus eu d'empereur à Rome et per- sonne ne s'en est aperçu. Chacun des princes des royaumes barbares, entre lesquels s'est réparti le pouvoir politique de l'empire, s'est théorique- ment considéré comme le délégué de l'empereur régnant à Constantinople. La fiscalité ancienne s'est maintenue, et avec elle, les fonctionnaires, les échanges commerciaux, la navigation médi- terranéenne. Il faudra attendre l'Islam et ses conquêtes, les années 630 à 730 pour assister à la véritable rupture économique et idéologique entre l'Est et l'Ouest, qui, entraînant l'effondre- ment de tous les échanges, a fait basculer l'Eu- rope occidentale dans la féodalité.

Pourtant, cette thèse ne saurait escamoter l'im- portance, sur tous les plans, de la détérioration puis de l'abolition de l'institution impériale. Dans la mesure où le « politique » exprime puis, condi- tionne, dans une incessante dialectique, le rap- port des forces économiques, sociales, morales, la fonction d'empereur couronnait un édifice qui était la romanité, exprimait la mutation pénible qui s'était effectuée, au premier siècle avant notre ère, de la cité antique à l'empire méditerranéen. L'empire était une conséquence de la force des choses.

Or, à une date qui, comme toujours quand on

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scrute les profondeurs de l'Histoire, est difficile à préciser — est-ce vers l'an 200 ou 250 ? — quelque chose se détraque qui excède les fron- tières politiques, un ample mouvement de reflux démographique, économique, qui réduira lente- ment les entreprises humaines à des superficies de plus en plus réduites, qui dissociera les liens de l'Etat, qui transférera peu à peu l'activité quotidienne dans les campagnes aux dépens des villes. L'Empire romain devient trop grand pour ce rythme ralenti. Il se fragmentera. Ses maî- tres, quels que soient leurs mérites, ne pour- ront, ne sauront, retourner la tendance. Pour- tant, rien de plus faux que de les croire incapa- bles, ces empereurs dits « du Bas-Empire > depuis le règne du grand Dioctétien, en 284.

Moralement, la victoire du christianisme, au- quel au IV siècle l'Etat se ralliera, ne pourra sauver Rome, au contraire, tant on devine, au travers des textes, que les préoccupations des têtes de l'Eglise sont ailleurs : définition de la foi, extirpations des hérésies, plans étrangers à la réforme d'un organisme auquel les chrétiens ne doivent rien.

Ainsi, la force fuit, année après année, ce grand corps auquel on cesse d'obéir, qui cesse d'être utile et par là même aimé. Les proprié- taires fonciers se féodalisent.

L'impôt, destiné à soutenir l'impossible redres- sement, accable les citadins, provoque la désertion civique. L'armée, dans ses troupes, ne compte plus de citoyens dès lors que le recrutement s'ef- fectue mal dans les grands domaines. On solde des barbares. Bientôt « colonels », puis « géné- raux » sont également des barbares qui jouent un destin personnel.

Les barbares de l'extérieur, qui durant un mil-

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lénaire ont toujours pesé aux frontières, sont fortement pressés depuis les environs de 370, par les peuplades asiatiques, des Huns, ou des Hioungnou comme disent les Chinois, et trouvent des passages, des pénétrations plus faciles. L'im- migration devient l'invasion, invasion réduite d'ailleurs, quelques centaines de milliers d'hom- mes, de femmes, d'enfants, canalisés, tant bien que mal, comme fédérés auxquels on distribue des terres. Un demi-siècle après, devant le vide impérial, les chefs de ces nomades que quel- ques légions solides auraient mis en déroute, sont devenus dans leur aire l'autorité et la solu- tion de remplacement, se sont trouvés rois terri- toriaux, pour leurs hommes et pour les citoyens. L'Empire n'est pas mort des barbares, mais les barbares l'ont achevé.

C'est l'histoire de cette lente agonie, puis de cette mort tragique que nous allons à présent retracer, sans prétendre fournir d'explication nouvelle au vieux problème mais, pour être fidè- le à l'esprit de cette collection, en nous effor- çant de montrer ce que celles ou ceux qui ont connu cette époque ont ressenti ; en nous effor- çant de montrer le peu que voit et comprend celui qui vit une période dite de décadence ; mais en nous efforçant aussi de montrer, qu'il n'y a sans doute que des périodes de changement, que cer- tains disent de décadence car elles sont celles de leur propre disparition.

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PREMIERE PARTIE (de 235 à 395)

LES PROBLEMES INSOLUBLES

Nous entendîmes, la nuit et nous, les sabots lourds et cadencés Des troupes s'en allant ; les dernières cohortent partirent

Par la porte du Nord. Cette nuit-là d'aucuns écoutèrent Très tard, les paupières tournées vers le Septrentrion.

Le matin s'embrasa ; les jeunes détruisirent les trophées Et les ornements de guerre ; les arcs étaient solides

Mais rien que pierres au soleil ; les conquêtes N' ornaient plus nos colonnes ; tout l'Etat gisait En morceaux... Nous ne savions pas que la fin serait proche ; ni pourquoi Elle aurait lieu ; sinon que bien avant la fin

D'aucuns avaient voulu mourir... Il nous restait les impôts. Le sel était cher. Les soldats Partis...

John Peale BISHOP.

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HISTOIRE POLITIQUE DE 235 à 395

En 235, l'empereur Alexandre, dernier de la dynastie des Sévères, est tué par ses soldats, à Mayence, alors que le danger des barbares Ala- mans menace.

Avec sa mort commencent trente années d'anarchie et d'invasions barbares dont Rome ne sortira qu'en 284-285, avec l'empereur Dioclé- tien, premier de ceux que l'on appelle les empe- reurs illyriens. (L'illyrie correspond sensible- ment à la Yougoslavie et à la Grèce actuelles.) Leurs efforts de redressement manifestent la désorganisation économique et sociale qu'ils ne feront que retarder.

LES EMPEREURS ILLYRIENS.

Dioclétien pour administrer et défendre le trop vaste Empire, dont les problèmes orientaux et occidentaux divergent déjà, organise entre 287 et 293 la tétrarchie, c'est-à-dire le gouvernement à quatre : l'Empire, unique en son principe, est

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gouverné par deux Augustes, assistés de deux Césars. Les deux Augustes sont : Dioclétien et Maximien ; les deux Césars : Galère et Cons- tance Chlore, l'un et l'autre provinciaux : Dace (Roumain) ou Illyrien (Yougoslave).

En 305, Dioclétien et Maximien abdiquent et sont remplacés par les deux Césars devenus Augustes. Dioclétien et Maximien ont nommé deux nouveaux Césars : Severus pour l'Occident ; Maximus Daia pour l'Orient.

CONSTANTIN.

Les fils des deux nouveaux Augustes n'admet- tront pas d'être ainsi privés de la succession paternelle. L'on entre alors dans une nouvelle phase de guerre civile, marquée notamment par la bataille du pont Milvius (28 octobre 312) au cours de laquelle Constantin, bâtard de Cons- tance Chlore, bat Maxence, fils de Maximien. De son côté, Licinius, autre Auguste, surgi des remous de ces sept années, vainc Maximien en 313. C'est en ces années 311-313 qu'en vertu de ce que l'on appelle l'édit de Milan le christia- nisme est officiellement toléré.

Licinius toutefois reprendra les persécutions. Adoptant la cause du christianisme, Constantin le bat en 324, rétablit entre ses mains l'unité de l'Empire et fonde à Byzance (Constantinople) sa nouvelle capitale, ce qui montre que l'essentiel de l'Empire glisse vers l'Orient. En 325, à Nicée, le premier concile œcuménique condamne l'héré- sie arienne. Puis Constantin défend la frontière, s'installe à Constantinople enfin terminée (330) et meurt en 337.

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CONSTANCE ET JULIEN.

Après avoir massacré leurs oncles, ses trois fils, Constantin, Constant et Constance partagent l'Empire. En 340, Constant vainc et tue Constan- tin à Aquilée. Constance garde l'Asie et l'Egypte ; Constant, le reste y compris Constantinople. Constant est fidèle au Symbole de Nicée. Cons- tance est arien. Toutefois, les deux frères n'en viennent pas aux mains. Ils s'entendent pour lutter contre les Barbares et les païens.

En 350, Constant est assassiné près d'Autun par un conspirateur militaire, Magnence, un officier. En 351, les forces de Constance et de Magnen- ce s'affrontent à Mursa, en Illyrie. Le meilleur des troupes romaines s'y exterminera. Constance, vainqueur, rétablit une fois encore, l'unité impé- riale.

Mais les invasions, mettant à profit cette guerre civile, ont repris : les Francs et les Ala- mans envahissent ou menacent la Gaule.

En 355, Constance nomme César son neveu Julien et le délègue en Gaule. L'été de 357, Julien écrase les Alamans à Strasbourg. Il maî- trise les Francs qu'il installe comme fédérés (alliés) chargés de garder la frontière au nord du Brabant actuel.

Julien réside souvent à Lutèce où, en février 360, ses troupes, révoltées contre Constance, le proclament empereur.

En 361, Constance meurt en marchant contre Julien. Les luttes entre chrétiens orthodoxes et ariens se poursuivent.

Julien, élevé dans le christianisme, apostasie,

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se proclame païen et contrôle l'Empire. Peu à peu sa politique anti-chrétienne se précise. Mais, le 27 juin 363, il meurt de ses blessures au cours d'une campagne contre les Perses.

Après le bref passage de Jovien à la tête de l'Empire (363-364), les Orientaux et les Gaulois de l'armée s'accordent sur le nom de Valentinien, un Pannonien (Hongrois ou Croate), ils d'offi- cier et officier lui-même.

LA DYNASTIE VALENTINIENNE.

Valentinien confère le titre d'Auguste à son frère Valens. Les deux frères qui inaugurent la dynastie valentinienne partagent véritablement l'Empire, ses troupes et ses fonctionnaires en deux parties bien distinctes.

Puis, l'un comme l'autre, ils luttent contre les Barbares.

De 365 à 375, date de sa mort, Valentinien, empereur d'Occident, qui a fixé, en 367, sa capi- tale à Trèves, sur le Rhin, combat sur toutes ses frontières, assisté d'un habile stratège, Théodose l'Ancien. Il meurt en Pannonie (sud de la Hon- grie) en pleine campagne contre les Quades et les Sarmates.

Ses deux fils, Valentinien II et Gratien, lui succèdent.

En 377, Gratien écrase près de l'actuel Col- mar l'invasion alamanique. La ligne du Rhin sera tenue jusqu'en 406.

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ANDRINOPLE.

En Orient, Valens mènera de 367 à 369 une rude expédition contre les Goths. Rallié à l'aria- nisme, il persécutera les païens et les orthodoxes. En 372-373, il lutte contre les Perses. Mais, en 374, les Huns ont franchi la Volga. Les Wisi- goths sont refoulés sur le Danube. L'empereur les accueille en Thrace. Très vite, ils se révoltent. Le 9 août 378, Valens est vaincu et tué par eux à Andrinople.

Désormais, et pour treize siècles, les cavaliers l'emporteront sur les fantassins. Constantinople est menacée. Les Goths, avec lesquels la paix est faite en 382, vont demeurer errants dans l'Em- pire comme fédérés à peine soumis et, jusqu'en 400, s'infilteront dans l'administration impériale.

THEODOSE.

En 379, Gratien, empereur d'Occident, confie l'Orient à Théodose, fils de Théodose l'ancien. En 380, par l'édit de Thessalonique, Théodose proclame le christianisme religion unique et obligatoire. En 382, à Rome, Gratien ordonne d'emporter du Sénat l'autel païen de la Victoire et supprime les privilèges des prêtres païens et des vestales.

En 383, un général espagnol de l'armée de Bretagne (Angleterre), Maximus, se révolte et tue Gratien. L'empereur a trois maîtres : Maximus, Valentinien Il et Théodose. Chacun a sa politi- que religieuse. Valentinien II favorise les païens qui, en 384, par Symmaque essaient de restaurer

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à Rome l'autel de la Victoire. Maxime persécute les hérétiques.

En 388, Théodose et Valentinien II, aidés de généraux d'origine barbare, Arbogast et Rikimer, battent Maxime et l'exécutent.

En mai 392, Arbogast fait pendre Valenti- nien II et proclame empereur Eugène, un bureau- crate, auquel se rallient les nobles païens de Rome.

Le 5 septembre 394, à la Rivière froide, sur le Carso, Théodose, Stilicon et Alaric viennent à bout d'Arbogast.

Théodose rétablit entre ses mains l'unité impériale et meurt le 17 janvier 395. L'empire sera partagé entre ses deux fils Honorius et Arcadius.

Le VI siècle (301-400) de l'empire a donc pour constantes, d'une part, les luttes successorales ou religieuses, d'autre part, les guerres contre les Barbares.

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CHAPITRE PREMIER

LA SUCCESSION IMPERIALE

L'Empire romain n'a jamais eu d'autre prin- cipe de succession que la force. Le Sénat, sur ce point, obéit à l'armée ; d'abord aux prétoriens, garde d'élite stationnée à Rome. Puis, dès les années 160, aux légions des frontières. Leur rôle sera prépondérant. Quand elles ne sont pas d'accord, elles se battent. Chaque succession, chaque règne, est un risque de guerre civile.

Les six auteurs de l'Histoire Auguste publient, entre 290 et 320 environ une série de biographies d'empereurs, d'Hadrien (en 117) à Numérien (en 284). Ce sont de mauvais reporters, suspects et arrangeurs de vérité. Ce qu'ils écrivent est plu- tôt du roman-feuilleton historique mais, même dans le feuilleton, on discerne une part de vérité populaire. Et leur style est vivant.

L'un d'eux, Pollion, nous introduit, avec la véracité partielle d'un Alexandre Dumas, dans

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les méandres du pouvoir, lors du règne de Gallien, vers 259, au cours de la période d'anarchie qui a suivi la fin de la dynastie des Sévères.

Pollion :

Gallien, au milieu de débauchés, d'histrions et de courtisanes, achevait de s'abrutir de vin et d'infâmes voluptés. Ingenuus, qui gouvernait les Pannonies (pro- vinces au sud du Danube hongrois), fut proclamé empe- reur par les troupes des Mésie (au sud de l'actuelle Bel- grade). Les autres légions des Pannonies s'empressèrent de reconnaître son autorité.

Les Sarmates (Barbares) menaçaient l'empire. Ces soldats ne pouvaient faire mieux pour la république que faire empereur un homme dont la valeur porterait remède à ses maux. Ingenuus était un chef courageux et, ce qui excite le plus la défiance des princes, très aimé des soldats. Gallien, tout perdu de débauche qu'il fût, deve- nait à l'occasion actif, furieux, violent, sanguinaire : il vint livrer bataille à Ingenuus, le vainquit ; le tua, et exerça d'horribles cruautés contre les troupes et contre les habitants de la Mésie : personne n'échappa à sa fureur. Son implacable vengeance alla si loin, que, dans la plupart des villes, il extermina les hommes. On dit qu'Ingenuus, voyant prise la ville où il s'était ren- fermé, se retira dans sa maison et se poignarda pour ne point tomber au pouvoir de ce tyran féroce.

... Du temps de Gallien, quiconque put, usurpa l'Empire. Regillianus, qui avait le commandement de l'Illyrie (Yougoslavie, Albanie et Grèce), fut à son tour créé empereur par les habitants de la Mésie, qui, après avoir soutenu Ingenuus, avaient eu à subir les impla- cables vengeances de Gallien. Ce nouveau prince déploya un grand courage contre les Sarmates. Malgré ses nom- breux succès, les Roxolans le mirent à mort, avec l'accord

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de l'armée et des autres habitants de ces pays, qui crai- gnaient d'attirer sur eux de nouvelles et plus horribles cruautés... Un jeu de mots lui donna l'Empire. Un jour qu'il dînait avec quelques-uns de ses officiers, un tribun (colonel) nommé Valérianus se mit à dire : « D'où croyons-nous que vienne le nom de Regillianus ? — Sans doute de roi ou de régner », répondit un des assis- tants. Le tribun, qui se souvenait de ses classes se mit à expliquer la dérivation grammaticale de ce nom en décli- nant : Rex, regis, regi d'où Regillianus. Les militaires se laissent naturellement aller à la première idée qui leur vient : « De fait, se disent-ils, pourquoi ne serait-il pas roi ? — Pourquoi, dit un autre, ne régnerait-il point sur nous ? » Un autre enfin : « C'est Dieu, dit-il à Regillianus, qui vous a donné le nom de roi. » En un mot, le lende- main matin, lorsqu'il parut hors de sa tente, il fut salué Empereur par les principaux officiers de l'armée.

CONSTANCE ET JULIEN

Ces complots se trament en pleine guerre. La dramatique histoire de Constance et de

Julien, dit l'Apostat, en est la preuve. En 351, Constance a rétabli à son profit l'unité

impériale. Mais à nouveau Francs et Alamans menacent la Gaule.

Avec Ammien-Marcellin (330-400) l'égal de Tacite, nous entrons dans l'histoire authentique et vivante. Ce jeune aristocrate d'Antioche, avant de se retirer à Rome pour écrire les trente et un livres de son Histoire romaine dont les dix- huit derniers nous sont restés, a servi longtemps comme officier dans la cavalerie ; en particulier, sous les ordres de Julien « l'Apostat » auquel il vouera une grande admiration. C'est un témoin direct.

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Voici son récit du choix de Julien par l'Empe- reur Constance comme César, c'est-à-dire comme second, pour lutter contre les Barbares ; on remarquera le rôle de l'armée :

Constance était gravement inquiet. Les courriers se succédaient sans interruption, annonçant que c'en était fait des Gaules. Les Barbares ne trouvaient de résis- tance nulle part et mettaient tout à feu et à sang. Il réflé- chit longtemps pour trouver un remède qui ne l'obligeât pas à quitter sa résidence d'Italie. Le parti auquel il s'arrêta fut très sage : associer à son pouvoir Julien, fils de son oncle maternel, qu'il venait depuis peu de rappeler de Grèce, et qui portait encore le costume des philosophes du pays.

Au jour marqué, devant toutes les troupes de Milan, Auguste (Constance), tenant Julien par la main, monta sur la tribune élevée à dessein fort au-dessus du sol, et décorée sur toutes ses faces d'aigles et d'étendards. Le visage serein, il prononça ce discours :

« Généreux défenseurs de l'empire, je viens plaider auprès de vous une cause qui nous est commune, il s'agit du salut de la patrie... Plus d'une fois la rébellion a dirigé contre nous ses fureurs : les auteurs de ces tentatives insensées ne sont plus ; mais voilà que les Barbares font couler des flots de sang romain. Ils ont rompu tout traité, franchi toute limite, et foulent aux pieds les Gaules dévastées, comptant sur l'énorme distance qui les sépare de nous. Le mal est grand. Une prompte déci- sion peut y porter remède. J'ai pris une résolution où se fondent les plus belles espérances ; c'est à vous d'en seconder l'effet. Voici Julien. Sa jeunesse a déjà donné les gages les plus brillants ; je veux l'élever au rang de César. Si le choix vous paraît heureux, je vous demande de le ratifier. »

A ces mots, un murmure de faveur l'interrompit. L'empereur attendit patiemment que le silence se rétablît,

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CET OUVRAGE A ÉTÉ IMPRIMÉ SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE MOURRAL POUR RENÉ JULLIARD, ÉDITEUR A PARIS

Numéro d'éditeur : 3687 Numéro d'impression : 2809

Dépôt légal : 1 trimestre 1967

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