La Catalogne et l'Europe des nations
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La Catalogne et l’Europe des nations
Émancipations et européisme dans l’histoire du catalanisme
Travail de Recherche
par
Esteve Cabré
Tutrice : Montserrat Bolós
IES Montserrat (Barcelona)
2014-2015
1
TABLE DES MATIÈRES
Préface 2
1. La comparaison des aspirations catalanistes avec les autres mouvements
d’émancipation occidentaux (1890-1929) 7
2. La revue Mirador ou la Catalogne dans une Europe unie (1929-1936) 23
2.1. Mirador et la politique internationale 28
2.2. Les thématiques traitées dans Mirador 29
La Grande Guerre et les problèmes qu’elle a apportés ―
Vers un nouvel ordre global pour la paix : la Société des
Nations dans Mirador ―Des précédents de l’Union
européenne : la vision de l’unité de l’Europe dans ce
nouveau cadre international ― À l’autre côté, les
totalitarismes : l’Italie, l’Allemagne et la URSS dans Mirador
― « « L’Europe au ras de l’abîme » : l’échec final d’un
modèle de l’Europe et de la Catalogne.
3. L’intérêt actuel pour l’Union européenne et les autres nations 61
Conclusions 76
Bibliographie 79
Illustrations 82
Annexe 1. Interview à Borja de Riquer 85
Annexe 2. Documents complémentaires 99
2
PRÉFACE
Le travail que vous avez dans vos mains part, évidemment, d’un intérêt personnel. Tout
d’abord, il faut reconnaître que l’histoire du monde entier, et plus particulièrement
l’histoire occidentale et l’histoire contemporaine, m’ont toujours passionné. Mais pour
mieux comprendre l’histoire en général, ce n’est pas suffisant de choisir un aspect
quelconque qui nous plaît et en faire un travail ; à mon avis, il vaut mieux s’appuyer sur
des faits actuels qui ont intrinsèquement un lien direct avec notre passé. Pour ce faire, la
situation politique de la Catalogne, très marquée dans ces dernières années par les
initiatives souverainistes, me paraissait idéale et m’offrait du reste un champ d’étude
très large.
Ainsi, cet étude historique est, d’un côté, motivé par la curiosité pour le passé
qui m’occupe et que je professe depuis toujours. De l’autre côté, il peut représenter,
pour moi et pour le lecteur, une manière de comprendre davantage le présent et la
société actuelle de la Catalogne. En définitive, j’essaierai de prouver si l’histoire est
vraiment le maître de la vie, comme disait Cicéron ; c’est-à-dire, si la recherche d’un
aspect historique concret qui est toujours en vigueur dans la situation politique actuelle
peut nous servir à réfléchir et à comprendre mieux le monde que nous habitons.
Alors, quelles sont les circonstances actuelles dont je suis parti au début ? J’ai
observé que, depuis quelques années, on compare souvent le cas de la Catalogne
revendiquant son indépendance avec d’autres régions ou pays du monde occidentale qui
ont des aspirations égales ou similaires. C’est le cas du Québec ou des pays baltes et,
plus récemment, de l’Écosse ; c’était également le cas du conflit de l’Ukraine et de la
Crimée, qui a attiré l’attention de l’opinion publique lorsque j’avais déjà commencé ce
travail. C’était mon objectif initial de suivre et d’analyser ces comparaisons tout au long
de l’histoire du catalanisme, car elles ont commencé à apparaître déjà à la fin du XIXe
siècle, autour du Memorial de Greuges (1885), comme on verra dans la première partie.
Je songeais surtout à démontrer si elles étaient bien fondées ou si elles n’étaient qu’une
sorte d’instrument politique du catalanisme, ainsi qu’à les mettre en rapport avec la
situation politique présente.
3
Malheureusement, j’ai dû réserver à cette étude une place complémentaire et
forcement plus réduite que celle que j’avais imaginée, à cause d’une première
difficulté : au fur et à mesure que je cherchais des publications utiles (surtout journaux
et revues), dont la plupart se trouvent sur le site ARCA (Arxiu de Revistes Catalanes
Antigues) de la Biblioteca de Catalunya, j’ai constaté que la digitalisation des
documents ne permettait pas une recherche rapide et régulière avec des mots clés (tels
« Écosse-Catalogne » ou « Québec-Catalogne »). Néanmoins, cette recherche initiale
n’a pas été inutile : je me suis servi de beaucoup du matériel trouvé et il a fini par
composer la première partie et la plupart de la troisième partie du travail, complété avec
plus de bibliographie et des articles de presse récents ou actuels sur ce thème (presque
tous de La Vanguardia et de l’Avui), comme j’expliquerai plus en avant.
Par ailleurs, lors de la lecture de ces revues et journaux de l’ARCA j’ai prêté
tout de suite une attention particulière à la revue Mirador. Cette revue des années 30 du
XXe siècle nous donne une vision très intéressante sur les idées de la Catalogne d’avant
de la Guerre Civile (concrètement depuis sa naissance en 1929 jusqu'à son acquisition
par un parti politique en septembre 1936). Comme on remarquera dans la deuxième
partie du travail, son statut de revue indépendante (quand la plupart des publications de
l’époque appartenaient à un parti politique ou similaire) et démocratique, catalaniste
modérée et européiste à la fois, avec une grande partie de ses sections dédiées à la
culture et, enfin, avec un haut niveau intellectuelle, lui rend un caractère spécial.
D’autre part, la brève période de publication de Mirador coïncide avec toute une série
d’événements, nationaux et internationaux, qui vont changer pour toujours l’histoire
catalane, européenne et mondiale. C’est l’ensemble de tous ces traits qui faisaient de
Mirador un possible objet d’étude très singulier, outre l’accessibilité de la digitalisation
de l’Universitat Autònoma de Barcelona (UAB).
Ce statut de « mirador » représentatif de la société catalane et, surtout, ce
contexte de changements décisifs à l’étranger m’a poussé à analyser avec plus de
profondeur Mirador et sa section de politique internationale et européenne (c’est la
deuxième partie du travail). On en relève une vision catalane de l’Europe préoccupée
notamment d’observer la politique du continent comme un ensemble et de faire
beaucoup d’attention à l’idée d’une Europe unie économiquement ou politiquement,
sans oublier complètement la situation de la Catalogne dans ce tout. C’est dans ce
moment que le travail a commencé à prendre la forme qu’il a actuellement : j’ai pensé
4
qu’un objectif du travail pourrait être l’analyse de cette vocation européiste des hommes
de Mirador, qui au même temps étaient des catalanistes convaincus, et de comment ils
combinaient ces deux idéologies. Ce serait très intéressant de contraster cet européisme
des années 30 avec les comparaisons individuelles avec des autres régions ou
nationalités de l’Europe qui se déroulaient depuis le XIXe siècle, soit mon idée
originaire. En plus, déterminer la relevance de la section de politique étrangère de
Mirador à son époque et dans l’actualité serait aussi un autre objectif, plutôt secondaire,
de la recherche.
Pourtant, c’est grâce à une documentation plus extensive et à la même rédaction
du travail que j’ai achevé de clarifier les objectifs. Pendant ce temps, il est devenu
apparent pour moi que l’Europe était, bien sûr, le point en commun des deux parties,
mais qu’il s’agissait dans beaucoup d’exemples des deux cas de la recherche d’un
modèle de l’Europe qui pouvait accepter la Catalogne, un modèle nommé normalement
l’ « Europe des nations » face au modèle de l’ « Europe des états » : finalement, je pars
de l’hypothèse que les deux représentent en réalité la même manière de regarder
l’Europe. Mes objectifs principaux sont, en conséquence, constater et connaître
l’évolution au sein de l’histoire du catalanisme de cette aspiration d’une Europe des
nations ; étudier ses objectifs nationaux et internationaux ; et mesurer son succès en
Catalogne et à l’étranger face à l’évolution réelle de la politique du continent, organisé
maintenant dans une Union européenne assez différente du concept catalaniste et où, en
revanche, les procès et mouvements souverainistes ont un poids inéluctable. De cette
manière, j’essaierais aussi d’étudier et de vérifier ce qui est en fait une autre façon
d’annoncer le travail : la célèbre association entre catalanisme et européisme qu’on a
assez de fois proclamé.
D’accord avec l’objectif principal, j’ai divisé en trois parties l’histoire de cette
idée de l’Europe des nations qui imprègne le catalanisme depuis ses origines : la
première analyse les comparaisons du catalanisme avec des autres nationalités de la fin
du XIXe siècle jusqu'à la Guerre Civile ; dans la deuxième je me centre exclusivement
sur le côté internationale et européiste de Mirador ; et dans la troisième je fais un
parcours des comparaisons et de l’européisme depuis la transition démocratique
espagnole jusqu’à la situation actuelle. De plus, j’ai deux autres grands objectifs, qu’on
pourrait classifier comme secondaires : j’ai déjà dit qu’expliquer et reconnaître
l’importance de Mirador en est un, à lequel on doit ajouter celui de noter les leçons de
5
ce morceau d’histoire du catalanisme qu’on pourrait appliquer à la réalité politique
actuelle.
En outre, le travail a connu plusieurs difficultés après la concrétion des objectifs,
dont la plus exaspérante a été, comme dans tout travail de lettres, l’abondance de
sources et d’information sur le thème. La nécessite de synthétiser et sélectionner le plus
relevant de deux grands courants politiques catalanistes (ceux des comparaisons
étrangères et de l’européisme), qui s’expriment d’ailleurs pendant plus d’un siècle, a été
sans doute la grande restriction générale de la recherche, et un problème au moment de
le conclure. C’est surtout à cause de cette nécessité que le nombre de notes
d’éclaircissement est peut-être trop élevé. À côté du besoin de résumer, le problème de
la structuration (thématique et chronologique) a été complexe jusqu'à ce que, après
beaucoup de délibérations, j’ai penché vers la division générale en trois parties.
Finalement, revenant aux difficultés, le fait de devoir l’écrire en français d’après des
documents entièrement en catalan et en espagnol a aussi ralenti tout le procès à l’heure
de rédiger, car chaque phrase qui intégrait une citation supposait un effort
supplémentaire de traduction et d’interprétation, tâche inexistante si je l’avais écrit en
n’importe quelle des deux autres langues.
Par contre, l’obtention du matériel originel n’a pas entraîné des tels contretemps.
L’accès facile aux documents digitalisés, surtout dans le cas de publications périodiques
anciennes, et aux bibliothèques et hémérothèques publiques, dans le cas des livres ou
des articles récents, a beaucoup aidé à la disposition d’un matériel de bonne qualité et
ajusté à mes objectifs. D’autre part, la méthode suivie pour l’analyser a varié selon le
type de document : dans les publications périodiques (quant aux récentes, elles sont
choisies selon la valeur et le nombre des comparaisons avec l’étranger et des analyses
de l’UE), j’ai utilisé un système de cherche générale par paroles clés ou (dans La
España Regional et Mirador) une recherche plus exhaustive, mais ne choisissant qu’un
certain nombre de numéros par mois ; avec les livres et les articles, j’ai lu les parties qui
avaient un intérêt pour le travail, j’en ai pris des notes et, puis, j’ai séparé les citations
qui devaient s’introduire au travail.
Pour conclure cette préface, j’aimerais de remercier une série de personnes sans
lesquelles il aurait été compliqué de surmonter ces difficultés : Montserrat Bolós, la
tutrice du travail, qui m’a guidé sagement depuis l’élection du thème jusqu'à la
6
conclusion et l’exposition du travail ; le professeur Borja de Riquer, dont les réponses à
l’interview de l’annexe 1 ont été clés pour préciser le contexte et bien structurer la
première et la deuxième partie ; Jordi Bañeres, qui m’a fourni une bonne dose
d’information et des sources dont j’avais besoin pour la partie la plus moderne ; et mes
parents, dont l’appui et l’aide dans la recherche, dans le méthode et, en général, dans le
savoir-faire d’un travail académique a été sans doute précieuse. Ainsi, et sans plus de
divagations, je vous laisse avec ce travail de recherche qui suit ci-dessous.
7
1
LA COMPARAISON DES ASPIRATIONS CATALANISTES
AVEC LES AUTRES MOUVEMENTS D’ÉMANCIPATION OCCIDENTAUX
(1890-1929)
Depuis les plusieurs révolutions libéral-nationalistes de 1848, le « printemps des
peuples », le problème des minorités opprimés et des nations sans reconnaître s’épand
parmi presque tous les pays et empires de l’Europe et devient, par la suite, une question
d’actualité pressante. Des futurs états indépendants, comme par exemple l’Hongrie, la
Tchécoslovaquie ou l’Irlande, commencent autour de cet éclat à revendiquer leur
reconnaissance comme nations. Au même temps, en Catalogne, certains secteurs de la
société commencent aussi à faire noter, quoique pacifiquement, la « différence »
catalane, et à s’organiser dans des associations politiques pour travailler dans la
propagation du concept. C’est ce qu’on appelle la naissance du catalanisme politique,
une nouvelle étape après la simple récupération de la culture et la langue catalane que la
Renaixença représente. La rédaction et postérieure remise au roi Alphonse XII du
Memorial de Greuges (1885), document qui montre les greuges ou injustices de
l’Espagne concernant la Catalogne, en est la première action notable1.
1. La livraison du Memorial de Greuges au roi Alphonse XII, en 1885.
1 Pour plus d’information sur ce période du catalanisme voir Josep Termes, De la Revolució de setembre
a la fi de la Guerra Civil (1868-1939), Pierre Vilar (ed.), Història de Catalunya (Barcelona: Edicions 62,
1987), pp. 83-86.
8
Évidemment, les premiers catalanistes feront déjà beaucoup d’attention à leurs
« partenaires » européens et les prendront souvent comme modèle2 : c’est le début des
comparaisons qui sont l’objet de ce travail. Parmi ce catalanisme de la fin du XIXe
siècle, on va regarder concrètement celui de La España Regional (1886-1893), revue
née après le Memorial qui dépasse le seul intérêt pour la langue et étudie des autres
aspects du régionalisme à travers ses nombreuses sections (politique, juridique ou
économique). Ainsi, une de ces sections, « El regionalismo en el extranjero » (« Le
régionalisme à l’étranger »), parue périodiquement pendant les trois dernières années de
la revue et rédigé chaque fois par A.E. (auteur impossible d’identifier), démontre
parfaitement cette volonté de regarder et de se comparer avec des autres communautés
nationales similaires, la plupart minoritaires, tout en regardant hors les frontières de
l’Espagne.
Dans tous ces articles internationaux, La España Regional a une prémisse un peu
romantique qu’elle répète sous plusieurs formes : le régionalisme ou le nationalisme
(presque la même chose à cette époque) est l’idéal du siècle et, donc, il va triompher
quoiqu’on l’empêche avec la force. On insiste sur une espèce de raison naturelle,
appuyé sur le droit et la science, qui, en conséquence, pousse ce courant et rend inutile
toute opposition3. Si on tient en compte ces conditions « naturelles », c’est normal que,
quant au futur du « régionalisme à l’étranger », l’optimisme domine depuis les
premières lignes du premier tome, où on revendique que l’idéale du régionalisme
s’étend inexorablement (« Es preciso cerrar los ojos á la evidencia para no ver cómo va
extendiéndose por doquiera la idea regionalista4 »).
On va prouver cette déclaration avec des reportages plus ou moins longs sur la
situation de beaucoup de régions occidentales. La plupart d’elles appartiennent aux
Empires centraux, qui sont traités au-dessus de ces dernières lignes presque comme des
démons impérialistes qui veulent se partager le monde (« « los tres ó cuatro » que
querían repartirse el absoluto imperio del mundo »). Du point de vue des nations
2 C’est un peu le cas, même s’il ne s’agit pas de nations sans état, du « fondateur » du catalanisme
républicain et fédéraliste Valentí Almirall, qui a écrit sur l’organisation territoriale de la Suisse ou les
États-Unis dans son chef-d’œuvre, Lo catalanisme, après l’avoir traitée spécialement dans un autre livre.
Voir Valentí Almirall, Lo catalanisme (Barcelona : RBA, 2013), pp. 367-389, ainsi que Valentí Almirall,
La confederación suiza y la Unión americana : estudio político comparativo (Barcelona : Librería de
López Bernagossi, 1886). 3 « El regionalismo en el extranjero », La España Regional, VIII (1890), p. 255.
4 Ibídem, p. 67.
9
soumises, A.E. annonce, dans ce même article initial, une liste qui ne cite que quelques-
unes des protagonistes des articles :
Irlanda, Alsacia, el Slewich, Polonia, Hungría, Croacia, Bohemia, los Estados de los
Balkanes, etc… por todas partes se levantan llenos de vida los pueblos que los más
contaron entre los muertos.
Une première conclusion qu’on peut remarquer de la section, c’est que, parmi
les empires qui ont des problèmes des minorités, le plus bouleversé est sans doute
l’Autriche-Hongrie5. Les disputes du gouvernement de Vienne avec les nombre infini
d’ethnies qui forment l’empire devient vite la question prépondérante dans « El
regionalismo en el extranjero ». Par exemple, le cas de la Bohème (actuellement une
partie de la République Tchèque) occupe un espace régulier qui peut verser sur les
concessions de l’Autriche-Hongrie (qui mène à l’époque une politique tout à fait
fédéraliste) ou sur les disputes dans la Diète régionale entre les partis tchèques et les
représentantes de la minorité allemande, disputes qui arrivent souvent à la violence6.
Un autre cas constamment expliqué est celui de l’Irlande. On suit passionnément
les essais du député autonomiste Charles Stewart Parnell de faire approuver le Home
Rule pour son pays et, de même, l’espèce de feuilleton parlementaire, pareil à la Diète
de Prague, que l’alliance de Parnell avec le chef des libérales anglais William Gladstone
entretient. Le fait que la Grande-Bretagne soit un pays plus démocratique que les autres
Empires n’empêche pas qu’on considère sa domination de l’île une « tyrannie » et
qu’on croit le débat nécessaire afin que la Grande-Bretagne, « ce grande État », atteigne
sa « constitution naturelle7 ».
5 Pour regarder la grande quantité d’ethnies que cet empire contenait, voir l’annexe 2, partie a).
6 En effet, on y voit l’inévitable côté xénophobe du nationalisme, par exemple quand A.E. montre
fièrement les phrases du parti des jeunes Tchèques dirigées aux allemands: « Con mucha razón algunos
jóvenes tchecos interrumpieron al orador, diciéndole : « ¡Retiraos, idos á vuestra casa ! » ». 7 « El regionalismo en el extranjero », La España Regional, VIII (1890), p. 251.
10
2. Intervention de Gladstone pendant un débat sur le Home Rule irlandais, en 1886.
De pair avec la Bohême ou l’Irlande on peut connaître, grâce à ces textes, la
situation d’une infinité d’autres régions dont A.E. explique les peines, les souffrances et
les victoires8. La tendance générale de la revue est, comme on a déjà cité, de condamner
les pays ou les empires qui ne font absolument rien pour solutionner ces problèmes-là et
qui, au contraire, essaient d’ignorer ou même d’éliminer les minorités dissidentes. De
cette manière, la Prusse et surtout la Russie sont fort critiquées car elles tentent
d’assimiler les territoires de la Pologne à n’importe quel prix, soit à travers l’émigration
forcée des natifs ou la scolarisation en allemand9.
En revanche, l’attitude de l’Autriche-Hongrie, déjà signalée, de contenter les
habitants tout en formant une sorte de fédération est sincèrement applaudie par A.E. On
voit habituellement des éloges de l’« harmonie et cohésion de l’empire austro-
hongrois », basée sur une reconnaissance constitutionnelle des diverses ethnies qui,
paradoxalement, renforce un certain « patriotisme commun » et écarte les possibles
« séparatismes10
» : « le peuple hongrois ne rêve plus de son indépendance11
», et les
minorités tchèques ou italiennes non plus.
8 Dont des exemples curieux sont un article sur les difficultés de la communauté francophone du Québec
(c’est l’année 1890!), un autre sur un plan pour décentraliser la France qui est arrivé jusqu’à l’Assemblée
Nationale, ou un dernier sur le régionalisme de l’ « Allemagne du Sud ». 9 Le phénomène peu connu de l’émigration, impulsée par la Russie, de paysans polonais au Brésil est
dénoncé dans « Desde Polonia » (La España Regional, IX, pp. 532-534). Quant à leur opinion sur la
germanisation, on la qualifie de la façon la plus légère comme « el repugnante espéctaculo de la
germanización del Slewig y de Polonia ». 10
« El regionalismo en el extranjero », La España Regional, IX (1890), pp. 236-239. 11
Ibíd., p. 334.
11
Pour conclure le chapitre sur La España Regional, on peut se demander la cause
et le but de ces comparaisons ; en fait, cette opinion sur l’organisation territoriale de
l’Autriche-Hongrie est l’une des clés pour définir plus exactement l’idéologie
régionaliste de la fin du XIXe siècle, ou ce qu’ils essayent d’atteindre pour la Catalogne.
L’appui à ses ambitions fédéralistes, je répète, est constant, et on le voit aussi dans des
articles sur une possible confédération entre les peuples bulgare, serbe et grecque aux
Balkans. L’exemple de l’Empire autrichien démontre « l’efficacité des principes
régionalistes12
», qu’on devrait appliquer sans délai en Espagne.
En effet, cette idéologie régionalo-fédéraliste est confirmée ailleurs dans la revue
dans une sorte d’article-manifeste signé par S. Cabeza y Léon, « El regionalismo y la
federación » (« Le régionalisme et la fédération »), dont le titre est lui-même explicite et
qui éclaire assez leur programme politique vis-à-vis l’organisation de l’État13
.
El regionalismo […] reconoce y proclama el derecho que asiste á las regiones y
nacionalidades diferenciadas históricamente […] á gozar de una vida autonómica, pero
coordinada á un fin nacional común14
.
C’est à peu près la définition du catalanisme dominant à l’époque : selon eux, les
deux concepts, régionalisme et fédéralisme, sont inséparables15
. Même si on y trouve
encore des points assez vagues, c’est clair qu’ils voient le fédéralisme comme une
excellente solution pour l’Espagne, et ils espèrent qu’on y arrive. C’est très évident,
donc, que l’un des buts politiques de la section est recueillir et expliquer des autres
modèles fédéralistes qui démontrent la viabilité de ce modèle en Europe.
Les doutes et les indécisions qui imprégnaient le jeune catalanisme vont peu à
peu disparaître lorsqu’on entre dans le XXe siècle. La conscience politique d’appartenir
à une patrie catalane va continuer à se définir et à s’éteindre sous l’égide d’un nouveau
parti, la Lliga Regionalista, et de son chef, Enric Prat de la Riba16
. Le catalanisme
12
Ibíd., p. 335. 13
Sur ce fait, ils insistent beaucoup sur le « carácter eminentemente político » du régionalisme ; il va au-
delà d’un simple mouvement culturel. 14
« El regionalismo y la federación », IX (1890), pp. 289-290. 15
Du reste, l’article est une réponse à Pi i Margall, chef des républicains fédéralistes espagnols, qui a
essayé de séparer les deux idéologies. À cette affronte, l’auteur répond: « […] ¿se me tachará de
temerario por equiparar ambos sistemas, y sostener que no pueden establecerse entre ellos diferencias
sustanciales? ». 16
Son livre La nacionalitat catalana, chef-d’œuvre du catalanisme, a aidé beaucoup en ce sens. Pour plus
d’information sur ce période constructif du catalanisme, ainsi que sur la formation et rupture de la
Soldaritat Catalana, voir Termes, De la Revolució, pp. 202-227.
12
commence, depuis 1901, à participer au Parlement espagnol dans le but d’obtenir la
reconnaissance de cette patrie et, de même, l’implantation d’institutions propres
régionales.
Dans la première décennie du siècle, cette mobilisation a son climax dans la
fondation de la Solidaritat Catalana (1906-1909), union de tous les partis catalans, sauf
les républicains radicaux d’Alejandro Lerroux, qui obtiendra plus de 40 députés à
Madrid. À partir d’ici, en dépit de la parenthèse de la Setmana Tràgica (Semaine
Tragique), révolte populaire anarchiste et anticléricale qui va rompre la Solidaritat en
juillet 1909, les efforts catalanistes se centrent sur la consécution de la Mancomunitat,
c’est-à-dire l’union des quatre députations provinciales catalanes sous un seul
organisme. À cause des obstacles des Cortes espagnoles, elle ne sera obtenu qu’en 1914
et sans aucune cession de compétences de l’État, mais elle sera reçue comme un échelon
décisif, bien que provisionnel, vers l’autonomie.
3. Manifestation en faveur de la Solidaritat Catalana, en 1907.
Au fur et à mesure que le nationalisme catalan se consolide et que ses objectifs
deviennent un sujet de discussion dans la politique espagnole, les comparaisons
internationales dont La España Regional était pionnière se multiplient et s’établissent au
sein des institutions et des moyens de communication catalans, concrètement chez les
catalanistes17
. Quant à la destination des comparaisons, on est toujours captivés avec les
17
Notamment El Poble Català et La Veu de Catalunya, l’intérêt politique de celle-ci étant évident dû à
son appartenance à la Lliga. Quant aux institutions, un aspect rare des comparaisons fin-de-siècle sont les
« messages » officiels adressés à des autres nations en difficultés, comme la Grèce ou la Finlande. Pour
13
disputes chez l’Empire autrichien, surtout en Bohême18
, mais, de plus, des autres
évènements remarquables allument l’intérêt des catalans pour l’extérieur et modifient
leur discours.
L’indépendance pacifique de la Norvège, par exemple, est la cause immédiate
d’un article presque doctrinal de l’écrivain et idéologue de la génération culturelle
noucentista19
Eugeni d’Ors, dans lequel il interprète la séparation comme une preuve de
l’avènement d’un nouvel idéal, l’impérialisme civilisateur, au lieu du nationalisme
isolationniste qui a dominé le siècle antérieur. Comment c’est possible qu’il arrive à
cette conclusion ? Peut-être naïvement, probablement pour cohérence avec son
idéologie à l’époque, il croit que la Norvège sera l’un des chefs de cette nouvelle vague,
et que sa séparation de la Suède n’est qu’un « épisode » et une « condition
indispensable » pour la « reconstruction de la Scandinavie20
». Il l’arrive à mettre aux
mêmes termes que la Prusse et ses ambitions impérialistes en Europe !
Néanmoins, il faut juger correctement cette mentalité qui exalte l’impérialisme,
à la mode en Catalogne et en Europe, et qui peut paraître très inopportune chez un
catalaniste, donné le contexte espagnol. Selon moi, c’est précisément, du côté
strictement politique, une façon de confirmer que le modèle idéal continue à être, aux
années 1900, celui de la fédération de nations, et pas celui du séparatisme. Si on reprend
l’article d’Ors, qui utilisait, en outre, des autres arguments culturels pour défendre
l’impérialisme, on voit comment il remarque constamment le fait que, comme on disait
déjà alors, l’union fait la force : « Son idéale [de la Norvège] n’est pas une Norvège
heureuse : c’est une Scandinavie forte ». En définitive, ce n’est qu’un exemple que, à
côté de la formation d’une conscience catalane et des objectifs politiques, les
comparaisons se manipulent de plus en plus pour les mettre d’accord avec la pensée qui
domine à l’époque ; on y réfléchit même s’ils n’ont rien à voir avec la Catalogne21
.
L’établissement, enfin, de la Mancomunitat ouvre un période décisif de
revendications catalanistes. À partir de 1914 et jusqu’en 1919 on voit se développer un
les comparaisons de cette époque, voir Albert Balcells, « El catalanisme i els moviments d’emancipació
nacional a la resta d’Europa, entre 1885 i 1939 », Catalan Historical Review, 6 (2013), pp. 189-205 (pp.
191-194). 18
Voir, comme exemple, Benet R. Barrios, « Txeques. Datos estadístichs » Joventut, 29-III-1906. On
retrouve l’auteur de cet article plusieurs fois dans cette revue catalaniste ; il est une espèce d’envoyé
spécial dédié à couvrir ces autres cas similaires. 19
On reviendra à ce mouvement dans la deuxième partie. 20
« Noruega imperialista », El Poble Català, 1-VII-1905. 21
Apud Balcells, « El catalanisme… » (p. 192).
14
dernier effort pour approuver, à travers le système parlementaire espagnol, un Estatut
d’autonomie pour la Catalogne. Mais dans cette même année, 1914, un autre conflit
beaucoup plus étendu et démesuré commence : la Première guerre mondiale. Les
connotations de la lutte entre nations et grands empires, ajoutées à l’émancipation de
plusieurs nations dès les armistices de 191822
, vont accroître et accélérer les aspirations
des catalanistes tout au long et juste après le conflit.
Du point de vue des frontières, la massive conflagration européenne entraîne la
disparition de quatre empires (allemand, autrichien, russe et ottoman) qui laissent
derrière eux des nouveaux états, complètement indépendants, en théorie sous la
protection de la jeune Société des Nations (SdN), une sorte de précédent de l’ONU.
L’Autriche-Hongrie, par exemple, devient d’un jour à l’autre la Tchécoslovaquie,
l’Hongrie, la Yougoslavie et l’Autriche, ainsi qu’une partie de la Pologne, de la
Roumanie et de l’Italie. Cette implosion de l’Europe ne sera que confirmé avec les
nombreux traités de paix, accordés sous la divise des quatorze points du président
américain Wilson : on va dessiner l’Europe d’accord avec le droit des peuples ou des
nations à disposer d’eux-mêmes. Bref, elle sera une « Europe des nations » tandis que
jadis elle avait été des États.
Si on ajoute à cet après-guerre illusionnant (du point de vue des émancipations)
le projet d’autonomie présenté à Madrid en janvier 1919, trois mois après la fin de la
guerre, le résultat est un moment d’excitation catalaniste comparable à celui dû à la
Solidaritat. On croit que le contexte international est un signe des temps favorable, et
qu’il faut s’adhérer à ce courant qui traverse, pour l’instant, l’Europe. Conséquemment,
on assiste à une floraison de reportages sur les nouveaux états. La Bohême, qui s’est
étendu pour former la Tchécoslovaquie, continue à être analysée, maintenant avec sa
récente condition de république indépendante et démocratique. La figure de Tomas
Masaryk, père de la république, est l’objet d’articles favorables et, en général, il sera un
homme politique admiré au sein du catalanisme modéré, même s’il est le promoteur
d’une séparation23
.
22
Voir les plans de l’Europe d’avant et après la guerre dans l’annexe 2, partie b). 23
Comme on relève de l’article « Tomàs Masaryk » (La Veu de Catalunya, 3-II-1919), c’est grâce à son
caractère énergique bien que modérée à la fois, son idéologie nationaliste et ses convictions profondément
démocratiques qu’il devient un modèle idéal. L’admiration pour lui va demeurer jusqu’à les articles de
Mirador lors de sa mort.
15
Cette ambiance, donc, paraît être idéal pour que les partis catalanistes, avec
Francesc Cambó et la Lliga en tête, rédigent un projet d’autonomie ambitieux (avec un
parlement et un gouvernement catalan, ainsi que des compétences dans tous les
domaines) qui en théorie devrait compter avec la protection du roi Alphonse XIII24
.
Mais, quand on doit le débattre au Parlement espagnol, le roi abandonne les catalanistes
et l’Estatut est refusé par les partis dits dynastiques (libéraux et conservateurs) sans
avoir presque commencé à le discuter. L’échec est si soudain et si brutale qu’il
représente la fin d’une ère pour le catalanisme modéré. Puis, la croissante tension
sociale, notamment concernant la grève de La Canadenca25
, finira par rompre
définitivement ce pacte des partis catalans autour de l’Estatut.
4 et 5. Francesc Cambó (gauche), principal promoteur du projet d’autonomie de 1919 (droite).
Ensuite, le modèle de fédération de l’Autriche-Hongrie qu’on voulait importer
en Espagne depuis les temps de La España Regional est abandonné par un secteur des
catalanistes. Selon eux, les intentions de la Lliga d’être influents en Espagne, la « voie
piémontaise », sont désormais trop modérées et tout à fait inutiles26
; c’est le modèle
irlandais qu’on doit copier à présent. Car ce ne sont pas que les Empires centraux
24
Pour les relations toujours compliquées entre le roi et Cambó, voir Borja de Riquer, Alfonso XIII y
Cambó. La monarquía y el catalanismo político (RBA Libros: Barcelona, 2013). 25
Grève d’une entreprise catalane, initié en février 1919, qui a eu comme suite une grève générale à
succès dont le mouvement ouvrier a obtenue des améliorations notables. Pour ce période d’agitation
sociale, voir Termes, De la Revolució, pp. 273-277 et 299-308. 26
Ce n’est pas ce qu’opine Cambó, partisan de la « concòrdia » des peuples de l’Espagne, dans son
« testament » politique à l’égard du thème publié en 1930 d’après une conférence de 1923 : voir Francesc
Cambó, Per la concòrdia (Barcelona : Llibreria Catalònia, 1930).
16
vaincus dans la guerre qui souffrent les conséquences du séparatisme puissant. L’Irlande
est à nouveau, depuis l’insurrection de Pâques en 1916, un problème grave pour la
Grande-Bretagne. Les diverses tentatives autonomistes (telle celle de Parnell que La
España Regional décrivait) ont toutes échoué à Westminster27
et le peuple irlandais, en
majorité, a choisi irrémédiablement la voie subversive et violente du Sinn Féin, qui
demande une indépendance complète. C’est le début de la guerre d’indépendance de
l’Irlande, qui ne va terminer qu’en 1921 avec la concession pour une grande partie de
l’île du statu d’Irish Free State (État Libre d’Irlande)28
.
En Catalogne, les deux côtés vont citer souvent l’exemple irlandais dans
l’espèce de débat de refondation qui démarre en 1919 après la défaite parlementaire.
L’intérêt temporaire pour un événement international comme la guerre anglo-irlandaise
se transforme vite dans un sujet de discussion politique interne. Cambó lui-même, chef
de la Lliga et donc partisan des autonomistes, s’y mêle et plaide pour le talent
« conciliateur » de l’Angleterre face aux révoltes de 1916 afin de convaincre l’État
espagnol de suivre les mêmes pas lors d’un débat parlementaire de la même année.
Selon lui, le refus des nationalistes autonomistes irlandais d’appuyer la violence aurait
été différent
[…] si no hubiese habido un partido nacional inglés, como el partido Liberal, que
acogiese todas las reivindicaciones irlandesas ; que presentase e hiciese aprobar por el
Parlamento un proyecto de autonomía política29
[…]
C’est une interprétation au moins habile des luttes irlandaises.
Des hommes comme Antoni Rovira i Virgili, situé dans les lignes du
nationalisme républicain fédéraliste et expert dans la question des nationalités,
soutiennent aussi la voie de l’autonomie pour l’Irlande, notamment dans La Veu de
Catalunya30
. Dans ses articles il respecte la position des « sinn-feiners »
indépendantistes et défend l’application pour l’Irlande du statu de dominion (comme le
27
La dernière tentative a été celle du député John Redmond en 1914, arrêtée à cause de la guerre et de
l’opposition des protestants « orangistes » de l’Irlande du Nord ou Ulster lorsque l’Act était presque
approuvé. Voir Joan-Carles Ferrer Pont, Nosaltres sols : la revolta irlandesa a Catalunya (Barcelona :
Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 2007), pp. 67-71. 28
Un état presqu’indépendant qui appartenait à la Commonwealth britannique, partageait conséquemment
le roi et ne comptait plus avec l’Ulster. 29
Apud Ferrer-Pont, Nosaltres sols, p. 99. 30
Des exemples sont « El problema d’Irlanda », La Veu, 3-II-1919 ; « Els irlandesos i els catalans », La
Veu, 1-II-1919 ; ou l’anonyme « L’exemple d’Irlanda », La Veu, 9-XII-1921.
17
Canada ou l’Australie), c’est-à dire d’avoir une autonomie très étendue tout en
appartenant à la Commonwealth impériale. De même que Cambó, il croit que la leçon la
plus intéressante du cas est l’attitude de Westminster :
No hem de discutir ara si és viable o no la solució independentista que els « sinn
feiners » proposen […] Però és evident que, davant el principi de les nacionalitats,
resulta molt diferent la posició de l’Estat que nega a una nació l’autonomia política de la
posició d’un Estat que, tot negant-li la independència absoluta li ofereix una autonomia
amplíssima31
.
Le parallélisme avec l’État espagnol y est flagrant ; on doit se rappeler, quand-même,
qu’il a écrit cet article en 1919, avant l’éclat de la sanglante guerre dont le
gouvernement anglais était, en partie, responsable.
Peut-être la démarche de cette guerre est ce qui a convaincu certains catalanistes
de l’impossibilité de négocier avec l’État et d’établir une autonomie d’accord avec lui.
Certainement, quand on regarde l’ouvrage Irlanda, el batlle de Cork i Catalunya de R.
Negre i Balet, publié en pleine guerre anglo-irlandaise en 1921, on se rend compte que
l’opinion favorable à un accord entre les deux parties a changé et que ce qu’on relève du
conflit est l’unité et le sacrifice des irlandais dans leur lutte pour la patrie (« La vera
lliçó que la Irlanda d’avui ofereix heroicament és […] la de la unitat i la solidaritat del
poble en el daler de la llibertat nacional32
»), écrit le même Rovira i Virgili au préface.
Si on parlait auparavant de la compréhension de l’Angleterre, désormais on critique son
hypocrisie et l’oppression qu’elle est en train d’exercer.
6. Antoni Rovira i Virgili, versé dans la question de nationalités.
31
« El problema d’Irlanda », La Veu, 3-II-1919. 32
R. Negre i Balet, Irlanda, el batlle de Cork i Catalunya (Barcelona: Atenes A.G., 1921), p. 5.
18
Finalement, le succès de la cause irlandaise sera un des facteurs qui va pousser
un secteur du catalanisme vers la voie insurrectionnelle : c’est ce qui a inspiré au futur
Président de la Catalogne Francesc Macià la création du parti Estat Català, ainsi que son
expédition militaire destinée à libérer la Catalogne, découverte et détenue en 1926 à
Prats de Molló, en France. Mais c’est principalement l’arrivé au pouvoir du militaire
Primo de Rivera en 1923 ce que bouleverse le tableau politique et ce qui suppose un fort
coup aux aspirations autonomistes. Primo de Rivera, appuyé au début par une Lliga
inquiétée par les luttes sociales, va instaurer une dictature et va supprimer la
Mancomunitat, repoussant à nouveau la Catalogne au niveau de région. La déception
avec l’Espagne et, surtout, avec la Lliga entraîne l’apparition de mouvements
catalanistes distanciés de celle-ci, comme les insurrectionnels de Macià ou Acció
Catalana, parti de centre-gauche qui estimait qu’on devait mener une politique moins
inhibée face à l’État.
Pourtant, devant l’impossibilité d’agir politiquement dans une Espagne
dictatoriale, le catalanisme va se réorganiser et va chercher à présenter le « problème
catalan » à l’étranger. Les hommes de Macià et d’Acció Catalana, ainsi que la Lliga,
essaieront de promouvoir la « valoració internacional de Catalunya » (la « appréciation
internationale de la Catalogne »), titre d’un tract de l’intellectuel Joan Estelrich, proche
à Cambó, qui sert un peu de planification de cette internationalisation de la question
catalane. Écrit en 1920, avant l’arrivée, donc, de la dictature, le pamphlet est une
exaltation à la création d’ « organismes de propagande externe » qui travailleraient avec
plusieurs objectifs :
Hi ha el foment de l’assistència dels nostres especialistes als Congressos, Conferències,
Assemblees, Exposicions i Concursos de caràcter internacional. Hi ha la intervenció en
la premsa estrangera […] la dotació, als principals diaris de fora, de bons corresponsals
a Catalunya […] l’intercanvi de propaganda amb els pobles, regions, nuclis, entitats,
que es troben en situació cultural i política semblant a la nostra33
[…]
Et comme ceux-ci une très longue liste, titré « La tasca immediata » (« La tâche
immédiate »), d’objectifs politiques et culturels dans le but qu’on reconnaisse la nation
catalane à l’extérieur.
33
Joan Estelrich, Per la valoració internacional de Catalunya (Barcelona : Editorial Catalana, 1920), pp.
26-27.
19
Alors, à partir de 1923, le nouveau régime va presser davantage les catalanistes
chargés de ces propos. Acció Catalana, la Lliga et quelques partisans de Macià vont
chercher des « voies du droit », c’est-à-dire légitimes (contraires aux manières plutôt
insurrectionnelles de Macià lui-même), pour confronter à l’étranger la politique
oppressive du régime34
. La Lliga va déployer pendant toute la dictature une activité
frénétique dirigée à Paris par Estelrich et payée par Cambó ; on prend contacte avec des
hommes politiques européens, on encourage et publie des revues sur la Catalogne et on
promeuve des entreprises et des associations culturelles variées, normalement à travers
des plateformes comme la Société pour l’Encouragement de la Culture Catalane ou la
revue Le Courrier Catalan35
.
De son côté, Acció Catalana va soutenir cette propagande centrée en France au
même temps qu’elle va explorer, d’abord isolée, une autre voie qui semblait la plus
autorisée dans ces affaires : la toute nouvelle SdN. Comme les points de Wilson avaient
déjà recommandé, un des objectifs de cet organisme était précisément la protection des
minorités nationales ou ethniques qui, après la redistribution des frontières de 1918,
s’étaient trompées et étaient tombées dans un état où ils ne partageaient pas l’ethnie,
nationalité ou religion de la plupart des habitants. De cette manière, Acció Catalana,
dont l’historien et homme politique Lluís Nicolau d’Olwer36
devient l’avant-garde quant
aux contactes à l’étranger, va diriger une pétition à cet organisme. Rédigé et présenté en
avril 1924, le mémorandum adressé à la SdN
[…] exposava la voluntat majoritàriament nacionalista i expressada en successives
eleccions del poble català, així com el seu caràcter no separatista ; denunciava la
persecució de què Catalunya era objecte per part del directori militar espanyol i incidia
[…] [en] que el govern de Primo de Rivera havia prohibit l’ús del català en l’esfera
34
Pour une information plus complète des manouvres politiques et diplomatiques du catalanisme dans ce
période, voir Xosé Manoel Núñez Seixas, Internacionalitzant el nacionalisme. El catalanisme polític i la
qüestió de les minories nacionals a Europa (1914-1936) (Catarroja-València : Afers-Universitat de
València, 2010), pp. 113-195. 35
Comme curiosité de cette revue, on voit déjà parmi les collaborations du régionaliste français François
Jean-Desthieux le côté européiste des revendications catalanes, qu’on analysera dans la deuxième partie:
« l’État décentralisé serait assurément plus préparé à la formation des États-Unis de l’Europe qu’un État
de centralisation comparable à la France, l’Espagne ou l’Italie », il a écrit en 1925. 36
Ce classiciste est un des hommes politiques les plus actifs de l’époque et un prolifique écrivain
politique ; il a écrit beaucoup sur ce thème des minorités et de leur statu en Europe. Pour ses écrits
politiques, qu’on retrouvera constamment plus en avant, voir Lluís Nicolau d’Olwer, Democràcia contra
dictadura. Escrits polítics, 1915-1960 (Barcelona : Institut d’Estudis Catalans, 2007).
20
pública i en l’ensenyament, i havia suprimit la institució d’autogovern fins aleshores
operant a Catalunya, la Mancomunitat37
.
En résumé, c’est toute une explication des difficultés internes de la Catalogne
que la SdN était obligée d’écouter et de répondre. Mais la lettre de réplique du
Secrétaire Général Eric Drummond (écrite d’accord avec le représentant espagnol à
l’organisme) a déçu le possible espoir : elle écartait n’importe quelle résolution sur la
question catalane, parce que les lois des minorités ne s’appliquaient pas aux pays qui ne
les avaient pas signées (« el règim jurídic dels tractats de minories tan sols era aplicable
als països amb obligacions subscrites38
»). Cet argument, que l’Espagne n’est pas liée
du tout aux traités sur les minorités, a été suffisant pour réfuter la première mise en
contacte avec la SdN.
L’échec a été relatif, car ce qu’on cherchait (et ce qu’on a atteint) était
d’internationaliser le problème dans une presse européenne qui s’en ferait l’écho39
. En
plus, malgré ce refus, les manœuvres catalanistes ne se sont pas arrêtées. Parmi
plusieurs initiatives40
, on a tenté une autre voie proche à la SdN, concernant cette fois-ci
le Congrès des Nationalités Européennes (CNE)41
, naît en 1925 de l’accord entre les
minorités allemandes et slaves du centre et de l’est de l’Europe de protéger leurs droits
ensemble. C’était, en fait, une sorte d’instrument du gouvernement de Berlin (celui-ci
représenté à l’étranger par le ministre Gustav Stresemann) pour revendiquer une
révision pacifique des frontières de 1918 ; ce contrôle germanique a empêché, pour une
variété de raisons, aux catalanistes d’y entrer au début, mais on a réussi à convaincre ce
secteur de la pertinence de la participation catalane.
Conséquemment, à partir du II Congrès de 1926, Acció Catalana, la Lliga et
certains macianistes vont fréquenter beaucoup cet organisme qui, même s’il n’était pas
reconnu par la SdN, inquiétait assez la délégation espagnole. Ici, le rôle d’Estelrich
redevient fondamental : il n’est pas que l’homme de la Lliga au CNE, il y est le chef du
37
Núñez Seixas, p. 123. 38
Ibíd., p. 125. 39
Ibíd. 40
Dont on peut souligner, par exemple, celle d’utiliser comme moyen de revendication le réseau influent
de l’Union Internationale des Associations pour la Société des Nations. Voir Nuñez Seixas,
Internacionalitzant el nacionalisme, pp. 129-136. 41
Ibíd., pp. 136-195.
21
catalanisme tout entier42
. Appuyé par une délégation plus ou moins unitaire43
, il y
assiste, il y négocie et, en général, il y dirige les opérations des catalans, grâce à ses
contacts dans la plupart des gouvernements européens et à son contrôle du financement
de la propagande à l’extérieur. À partir de 1929, ses fonctions en tant
qu’« ambassadeur » catalan en Europe vont lentement diminuer de pair avec l’activité
du catalanisme en ce sens-là, comme on verra maintenant.
Parmi les triomphes du CNE on trouve, par exemple, la proclamation de l’année
1929 comme l’ « année des minorités », et la visite dans ce cadre de Stresemann à
Bilbao et à Barcelone, où il a été reçu euphoriquement. Mais outre ces petites victoires,
accompagnées elles aussi d’échecs44
, les résultats palpables au cours de ces années
d’appartenance au CNE sont maigres. En réalité, l’appui réticent de l’Allemagne est fini
par n’être pas assez fort pour que le CNE puisse réaliser quelque action relevant, car il
comptait depuis le début avec l’opposition franco-britannique, incarnée dans le ministre
français d’Affaires Étrangers Aristide Briand. Son projet de Fédération Européenne,
dont on parlera mieux dans la deuxième partie du travail, a suscité précisément des
critiques pour être contraire aux aspirations de reconnaissance des minorités
nationales45
.
Après l’ « année des minorités », on peut dire que l’intérêt des états européens,
et donc de la SdN, se centre plutôt sur cette Union européenne qu’on commence à
discuter ; le contexte européen devient un obstacle pour les missions des catalanistes,
encore plus depuis la mort de Stresemann en octobre 1929. En Espagne, le contexte
espagnol se bouleverse aussi après la chute de Primo de Rivera en janvier 1930.
L’avènement de la République le 14 avril 1931 change toute la politique catalane encore
une autre fois, et on obtient, finalement, l’espéré Estatut d’autonomie, quoique très
éloigné des prétentions initiales. La combinaison de tous ces facteurs contribue à relaxer
les activités internationales du catalanisme, ainsi qu’à traiter d’une autre façon la
42
Sur ce période de l’activité politique d’Estelrich, voir Borja de Riquer, « Joan Estelrich. De
representant catalanista als Congressos de Nacionalitats Europees a delegat franquista a la UNESCO »,
L’avenç, 368 (mai 2011), pp. 37-39. 43
Par exemple, la délégation de 1926, présidée par le juriste Francesc Maspons, était hétérogène,
composée du même Estelrich, de Lluís Nicolau d’Olwer et Estanislau Duran i Reynals (Acció Catalana),
du latiniste Marià Bassols de Climent et du socialiste Rafael Campalans. 44
Le plus important de ceux-ci est l’incapacité de freiner la nomination du nationaliste espagnol Aguirre
de Cárcer comme directeur de la section de minorités de la SDN. 45
Voir Nuñez Seixas, Internacionalitzant el nacionalisme, pp. 188-190. On parlera du projet Briand dans
le contexte des précédents de l’Union européenne observés dans Mirador.
22
question des minorités, sans que les comparaisons avec des autres nations de l’Europe
disparaissent complètement46
. On peut dire qu’on entre dans une phase inédite d’analyse
du problème, encadrée dans le nouvel ordre mondial que la SdN représente et dont
l’Union européenne est le futur ; c’est cette nouvelle phase qui est l’objet d’étude de la
partie suivante.
7. À gauche, Joan Estelrich, ambassadeur du catalanisme en Europe pendant la dictature de
Primo de Rivera. 8. À droite, Francesc Macià (droite) dans le jugement suite aux faits de Prats
de Molló, en 1926.
46
On peut citer les livres L’exemple de Txecoslovàquia d’Amadeu Serch, pays dont on admire les
organisations juvéniles nationalistes ou Sokols qu’on essaiera de copier en Catalogne, et Irlanda i
Catalunya. Paral·lelisme político-econòmic de Joan P. Fàbregas. Dans les deux cas on rappelle que
l’autonomie est mince et qu’il faut demander plus pour la nation catalane. Dans des autres milieux
politiques, on admire aussi l’URSS et sa politique dans cet aspect-ci : voir Balcells, « El catalanisme… »
(pp. 198-203).
23
2
LA REVUE MIRADOR OU LA CATALOGNE
DANS UNE EUROPE UNIE (1929-1936)
On a vu, dans la première partie du travail, comment on comparait la Catalogne avec
des autres régions, pays ou communautés nationales européennes ou occidentales qui
désirait s’émanciper, et aussi comment on essayait d’internationaliser le problème
catalan. En général, on peut conclure que ces activités ne visaient pas seulement à faire
connaître le problème du peuple catalan à l’étranger mais aussi à convaincre les mêmes
citoyens catalans pour qu’ils rejoignent la cause catalaniste ; d’un certain point de vue
elles étaient mises en place, en regardant dedans. Maintenant on va essayer, comme on
a déjà dit au préface, de décrire une autre façon de mettre la Catalogne au plan
internationale et, surtout, européen, qui est plus ouverte et s’intéresse à l’Europe entière
et à une Europe unie ; sans oublier la place de la Catalogne dans ce tout, on regarde
dehors et on s’intègre, en ce sens, dans les courants politiques les plus avancés du
continent. Pour expliquer cette vision et les articles et publications qu’elle entraîne, on
va se servir de l’analyse de la revue hebdomadaire Mirador (1929-1937).
Tout d’abord, il faudrait parler du contexte politique autour de cette revue ; elle a
vécu une époque qui a marqué le cours de l’humanité pendant le XXe siècle. D’un côté,
en Espagne il y a plusieurs régimes qui se succèdent dans une période très instable.
Dans un premier temps, on se trouve sous la Dictature du militaire Primo de Rivera
(1929 – janvier 1930), encore active lors de la création de la revue ; puis, après sa
démission, on passe à la Dictablanda (janvier 1930 – avril 1931), un intervalle
d’incertitude, avec les généraux Berenguer et, après, Aznar à la tête d’une dictature
(déjà moins répressive) qui va durer jusqu'aux élections municipales d’avril 1931 ; suite
aux résultats de ces élections, on a la proclamation, le 14 avril, de la Deuxième
République, régime qui, avec ses crises politiques et changements de gouvernement, va
continuer jusqu’au putsch du général Franco en juillet 1936 ; finalement, les derniers
mois de publication de Mirador coïncident avec les débuts de la guerre civile espagnole,
conflit qui à la fin va provoquer sa disparition.
24
De l’autre côté, en Catalogne les milieux politiques sont aussi bouleversés
presque constamment. D’abord on est dans un régime, la dictature de Primo de Rivera,
qui avait supprimé la Mancomunitat, premier organisme de gouvernement autonomique
en deux-cents ans. Alors, avec l’avènement de la République et la proclamation de la
République Catalane par Macià, on assiste à un grand moment d’espoir du secteur
catalaniste qui mène à l’approbation d’un Estatut d’autonomie de la Catalogne en 1932.
Dans un contexte de croissante confrontation sociale (on peut citer, par exemple, le
conflit entre paysans et propriétaires en ce qui concerne la Llei de Contractes de
Conreu), le tout nouveau gouvernement de la Generalitat de Catalunya sera annulé au
but de deux courtes années à cause des Fets d’Octubre, une sorte de coup d’état
indépendantiste qui échoue rapidement, dirigé par Lluís Companys, président de la
Generalitat à l’époque. Le gouvernement autonomique sera récupéré en février 1936
lors de la victoire du Front Populaire (alliance de partis de gauche) en Espagne,
seulement pour être annulé encore une autre fois avec la victoire de Franco après la
longue et meurtrière guerre civile (1936-1939).
9. Jour de la proclamation de la République à Barcelone, le 14 avril 1931.
En outre, parmi cette situation politique convulse, on trouve, surtout du point de
vue culturel, une génération de jeunes qui, outre leur catalanisme, sont très européistes.
Afin de moderniser vraiment la Catalogne, ils iront étudier et, en général, se former en
Europe. C’est à partir de quelques-uns de ces intellectuels et universitaires, appartenant
ou héritiers de ce qu’on appelle le mouvement noucentista (« du XXe siècle »,
littéralement), que Mirador va naître en janvier 1929. Cette mentalité européiste,
25
ajoutée normalement à un caractère démocrate et libéral, est une caractéristique
essentielle de la revue et sera l’objet d’analyse principal de cette partie du travail.
Ainsi, la revue, avec le sous-titre Setmanari d’art, literatura i política, est
fondée en janvier 1929 par un homme dans ces lignes politiques, Amadeu Hurtado
(1875-1950). Avocat et politicien lié (pendant l’époque de Mirador) d’abord à aucun
parti politique, puis à Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) et finalement à Acció
Catalana (AC)47
, il avait déjà participé et participera plus en avant dans des autres
entreprises de presse (notamment avec le journal La Publicitat)48
. Hurtado, pourtant,
commençait celle-ci motu proprio et, comme il raconte dans ces mémoires, avec un
certain esprit de modernité:
[…] jo iniciava una nova intervenció a la premsa, però aquesta vegada per compte
propi, amb la publicació a Barcelona del setmanari català Mirador, de vuit planes
acuradament presentades, d’art, literatura i política, que amb un estil fàcil i un esperit
modern […] traduís el sentit humà de les lluites i dels sentiments populars en les formes
més amables i més assequibles al gran públic49
.
Même s’il ne participe pas trop à la revue, il en sera sans doute l’inspirateur de la ligne
politique, en tant que propriétaire de la publication. De plus, les deux premières années
il comptera avec l’aide du journaliste Claudi Ametlla50
, président du Conseil
d’Administration de l’entreprise, qui grâce à cette situation aura aussi une certaine
influence sur le contenu de la publication.
Au début, Mirador aura comme directeur littéraire Manuel Brunet et au poste de
chef de la rédaction Just Cabot. Puis, lorsque Brunet rejoindra le journal La Veu de
Catalunya, Cabot occupera également la place de directeur. Au même temps, Víctor
Hurtado, le fils du fondateur, sera le gérant de l’entreprise, et va s’occuper de l’édition
47
Apud Carles Singla Casellas, Mirador (1929-1937). Un model de periòdic al servei d’una idea de país
(Barcelona: Institut d’Estudis Catalans, 2007), pp. 42-43. 48
Ibíd., p. 15. 49
Amadeu Hurtado, Quaranta anys d’advocat. Història del meu temps (Ciutat de Mèxic: Xaloc, 1958), p.
252. 50
Ami de Rovira i Virgili et sympathisante du nationalisme républicain fédéraliste, il avait été notamment
le directeur de la revue « aliadophile » (favorable à l’Angleterre et la France lors de la Première Guerre
mondiale) Iberia, ce qu’on pourrait relier avec l’orientation générale de Mirador. Voir Joan Safont, Per
França i Anglaterra. La I Guerra Mundial dels aliadòfils catalans (Barcelona : Acontravent, 2012), pp.
137-148.
26
et de la gestion de la revue51
. Il sera chargé, dû à cette poste, de l’incorporation de
nouveaux collaborateurs52
, tâche réalisée aussi par Cabot.
D’ailleurs, ce sont ces collaborateurs qui feront de la revue un des modèles à
suivre dans toute l’histoire de la presse catalane. On reconnaît en général que Mirador,
outre la valeur historique de ses textes, nous offre des articles d’un très haut niveau
littéraire, avec les signatures de célèbres journalistes ou écrivains comme le même Just
Cabot, Josep Maria de Sagarra, Rafael Tasis, Carles Soldevila ou Martí de Riquer53
.
D’autre part, ce sont les collaborations dans les sections culturelles, situées à partir de la
page 4 de la revue, qui donnent à Mirador son statu actuel de publication exemplaire ;
on peut dire qu’elle est une revue qui est culturelle dans son essence. En effet, on
confirme cela dans les nombres, avec plus de la moitié de l’espace écrit (55%) dédié à
des aspects comme le cinéma, les lettres ou les arts plastiques, pour en citer quelques-
uns54
.
En revanche, les articles qui concernent la politique, normalement placés dans
les trois premières pages, n’auront pas tellement de présence et, en plus, ils seront
limités par la censure gouvernementale dans certains périodes (pendant la Dictature de
Primo de Rivera et la Dictablanda et, après, depuis les Fets d’Octubre jusqu’aux
élections de février 1936). Pourtant, il ne faut pas ôter leur importance, donnée par le
contexte particulièrement agité de l’époque mais surtout par leur caractère critique et
indépendant, fort différent de celui d’autres publications. En ce sens, jusqu’à
l’interruption de sa publication en août 1936 (considéré la fin de la première époque),
qui sera suivie d’une courte ressuscitation (ou deuxième époque) comme publication
vinculé au Partit Socialista Unificat de Catalunya (PSUC)55
, Mirador aura de
l’indépendance de parti politique (même si Hurtado participe dans des gouvernements
autonomiques), un distinctif rare dans un période si crispé. Cette indépendance est
accompagnée d’une pluralité quant aux collaborateurs, qui sont situés dans des partis de
centre-gauche, comme ERC ou AC, ainsi que (en moindre nombre) de droite, comme la
Lliga Regionalista.
51
Singla, pp. 45-46. 52
Hurtado, p. 253. 53
Singla, p. 47. 54
Ibíd., p. 78. 55
Ibíd., p. 50.
27
Quand-même, outre son indépendance de parti, son caractère critique et sa
pluralité, le Mirador de la première époque suivra, dans l’ensemble, quelques lignes
idéologiques assez claires. On a déjà cité sa mentalité européenne, à laquelle on doit
ajouter, d’un côté, la conviction catalaniste, référence idéologique par-dessus des autres
différences, et, au même temps, la croyance sans exceptions aux principes de la
démocratie. À leur avis, et on relève cela de la plupart des articles, ces deux lignes
idéologiques sont inséparables l’une de l’autre et donnent, du point de vue de
l’échiquier politique, une position plus ou moins libérale-démocrate à la revue56
. Cette
orientation générale, partagée entre la plupart des collaborateurs, coïncide à peu près
avec celle d’AC, qu’à nos jours pourrait se définir comme un parti de centre ou centre-
gauche catalaniste ; leur affinité idéologique entraînera un appui discret au parti dans la
première époque, sans y être « vinculé organiquement »57
.
En définitive, ce sont toutes ces caractéristiques qui font de Mirador une revue
unique et représentative de son époque, même si, en vue des données approximées, sa
portée n’était que de 10.000 lecteurs, à peu près. Mais ce qu’on doit tenir en compte, à
long terme, est l’influence d’une revue qui, s’il faut faire attention aux lecteurs, touchait
à un groupe sociale de la Catalogne des années 30 très actif et culte, formé, selon le
collaborateur Alexandre Galí, par une jeunesse très inquiète et des intellectuels, artistes,
professionnels et même des gens d’entreprise (« una joventut interessada i àdhuc
freturosa […] [i una] vasta gamma d’intel·lectuals, artistes i professionals, i àdhuc de
gent de negocis58
»). On doit remarquer, donc, que ses lecteurs se trouvaient dans la
classe plutôt intellectuelle.
10. Amadeu Hurtado (gauche). 11. Just Cabot (droite).
56
C’est l’opinion de Borja de Riquer : voir l’annexe 1, p. 13. 57
Singla, p. 108. 58
Ibíd., p. 60.
28
2.1. MIRADOR ET LA POLITIQUE INTERNATIONALE
La partie de Mirador qu’on va étudier est sa section de politique internationale. Il n’y a
aucun doute, si on l’étudie régulièrement, de l’importance que la rédaction lui donnait,
due à cet intérêt pour l’extérieure et pour l’Europe. En fait, d’après la déclaration de
principes dans l’éditorial du premier numéro on peut bien observer l’identification avec
l’Europe ; on y remarque qu’ils essaieront d’observer et d’interpréter la réalité avec un
critère autochtone, mais proche à la pensée du centre et de l’ouest européen (« Mirador
vol ésser un espectador que observa amb els ulls de tothom i que interpreta amb un
temperament i amb un criteri propi, acostat, però, al temperament i al criteri del centre-
occident europeu59
»). Comme illustration de l’ouverture à l’étranger, on peut donner le
chiffre de l’11 % de l’espace dédié à la politique internationale60
. Au contraire de ceux
consacrés à la politique espagnole, c’est surtout la continuité des articles, qui occupent
dans presque tous les numéros une partie de la page 3 ou la page entière61
, ce qui leur
concède une place de prépondérance. Par ailleurs, une partie de cet espace fait partie
chaque numéro de la section humoristique d’articles brefs « Mirant a fora »
(« Regardant dehors »), copie de la célèbre section « Mirador indiscret » (« Mirador
indiscrète ») qui nous fournit des anecdotes quotidiens ironiques.
Les auteurs qui vont s’occuper de la politique internationale ne sont pas fixes et
vont changer tout au long des années d’apparition. De cette façon, la liste de ceux qui y
ont collaboré est longue : Manuel Brunet, Miquel Capdevila, Gonçal de Reparaz, Octavi
Artís, la initiale non-identifiée W. (peut-être Víctor Hurtado), ne constituent qu’une
partie des spécialistes. À mon avis, il faut en relever deux noms notamment
participatifs. D’un côté, l’italien Tiggis, pseudonyme de Giuseppe Torre Caprara, libéral
exilé à cause du régime fasciste de Mussolini et devenu journaliste dans La Publicitat et
Mirador, où il sera le collaborateur indispensable de la section de politique
internationale de 1932 à 193662
. Il consacre habituellement ses articles hebdomadaires à
l’actualité de la semaine, et donc très fréquemment aux tâches de la SdN, de laquelle
Tiggis, dans la ligne générale de la revue, était un grand défenseur63
. De l’autre côté,
59
Mirador, « Bon dia », 31-I-1929. À partir d’ici, tous les articles cités appartiennent à Mirador si on
n’indique pas le contraire, et on n’écrit que son titre et la date de publication. 60
Singla, p. 82. 61
Voir annexe 2, partie e) pour une image de la page 3 de Mirador. 62
Carles Geli i Josep M. Huertas, Mirador, la Catalunya impossible (Barcelona: Proa, 2000), p. 203. 63
Européiste convaincu, Torre Caprara est un personnage étrange qui, à partir de cette époque, a dû
s’exiler encore plusieurs fois et qui a quand-même aidé les essais de négociation séparée de paix entre la
29
son grand ami Fermí Vergés, journaliste qui écrit sur politique internationale de 1930 à
193664
(sans la régularité de Tiggis), et qui fera de même beaucoup d’attention à
l’Europe. Toutefois, il va se centrer plutôt sur la politique intérieure des pays du
continent, comme par exemple l’Angleterre, que sur les débats européens dans
l’ensemble.
Finalement, un autre aspect à noter est l’inclusion de récits ou d’interprétations
d’écrivains ou intellectuels étrangers qui proviennent d’agences étrangères, notamment
de la française Opera Mundi. Ils arrivent à donner un autre point de vue sur des
événements d’actualité (comme « La guerra del Chaco », reportage de Jean Alloucherie
sur la guerre entre la Bolivie et Paraguay) ou des sujets tels l’unité européenne (« Els
intel·lectuals i Europa », série avec la participation, parmi des autres intellectuels
français, d’André Maurois ou de Paul Valéry) ou le péril d’un nouveau conflit mondial
(« Europa arran de l’abisme », suite d’articles de H. R. Knickerbocker).
2.2. LES THEMATIQUES TRAITEES DANS MIRADOR
Ici on va essayer d’analyser les grandes lignes thématiques qu’on observe dans les
articles de politique internationale de Mirador et dans d’autres articles contemporains
qui servent à les complémenter. Ces thématiques sont essentiellement connectées entre
elles et parfois on en trouve plusieurs dans un même article, mais on a essayé de les
séparer et étudier de la meilleure façon qu’on a pu, dans le but d’en relever leur vision
complète de l’Europe de ces années. Par ailleurs, les textes qu’on va étudier
appartiennent à la première époque, car on a considéré que c’est l’époque qui représente
le mieux l’esprit et les valeurs originels (déjà expliqués) de Mirador, tandis que dans la
deuxième époque la revue nous offre, à cause du changement de propriétaire, une vision
plus partielle des conflits des pays étrangers. Enfin, une dernière précision : on va se
centrer davantage sur les écrits qui décrivent la politique européenne dans son
ensemble, c’est-à-dire des articles sur des réunions ou des conférences internationales,
des conflits entre pays différents ou des projets qui atteignent toute l’Europe, au lieu des
Catalogne et l’Italie lors de la guerre civile. Voir Arnau González Vilalta, Cataluña bajo vigilancia. El
consulado italiano y el fascio de Barcelona (1930-1943) (València: Publicacions de la Universitat de
València, 2009), pp. 243-251. 64
Ibíd., p. 205.
30
articles sur, par exemple, des crises intérieures de gouvernement, fréquentes à l’époque
chez les pays démocratiques.
La Grande Guerre et les problèmes qu’elle a apportés
La Première Guerre mondiale (1914-1918) suppose aux européens un choc économique
et moral sans précédents dans l’histoire contemporaine. Même si l’Espagne ne l’a pas
souffert autant que la France ou l’Allemagne grâce à sa neutralité, on a quand-même
observé ses terribles conséquences et on doit adopter une position au respect. De cette
manière, Mirador fait référence très souvent à l’héritage de la guerre, soit avec des
articles sur la décadence européenne qu’elle entraîne, soit avec des chroniques sur les
efforts afin de la « liquider » à tout jamais.
Du côté moral, c’est claire que l’impacte du conflit provoque une déception
envers la civilisation et, plus concrètement, envers l’Europe et les principes qu’elle
représente. Avant les années de Mirador, on peut constater cette désillusion d’après une
série d’articles sur l’Europe et le nouvel ordre issu de la guerre du politicien et
intellectuel d’AC Lluís Nicolau d’Olwer (la plupart d’eux publiés dans La Publicitat)65
.
Il considère la Grande guerre un enseignement contondante qui a dégouté complètement
l’homme de la rue (une « lliçó contundent [que] va entrar-li a l’home del carrer per tots
els sentits i totes les potències66
») et qui, donc, devrait faciliter un changement de
mentalité chez les gouvernements du continent.
En plus, parmi les préoccupations de Nicolau, on en trouve une qui est partagée
à l’époque aux pays méridionaux de l’Europe : la crise et le destin de la civilisation
latine, soit l’héritière de l’Empire Romain, face à la supériorité totale de pays du Nord
et à la « mauvaise réputation » que Mussolini donne à cet Empire. L’Hollande ou la
Scandinavie, par exemple, pourraient donner des leçons d’humanité aux mêmes qui se
proclament héritiers de Rome, il dit en allusion aux italiens (« Holanda i Escandinàvia,
per exemple, quines lliçons d’humanisme no podrien donar a molts que avui fan grans
bocades de llur llatinitat67
? »). En ce sens il proclame que « L’esprit romain du fascisme
65
Voir Lluís Nicolau d’Olwer, Democràcia contra dictadura. Escrits polítics, 1915-1960, ed. Albert
Balcells (Barcelona: Institut d’Estudis Catalans, 2007), pp. 153-204. 66
« La consciència internacional », dans Nicolau, Democràcia, p. 184. 67
« El nostre romanisme », dans Nicolau, Democràcia, p. 157.
31
n’est rien d’autre qu’un esprit d’esclavage68
» et il arrive jusqu’à nier l’existence d’une
latinité commune à des différents pays.
12. Lluís Nicolau d’Olwer, intellectuel et homme politique catalaniste et européiste.
Si on se centre déjà dans Mirador, on trouve une première critique à la
différence entre un progrès matériel évident et un progrès moral invisible au début du
XXe siècle avec une référence au période entre 1888 et 1929 (dates des deux
Expositions Universelles organisées à Barcelone) : « 1888-1929. El progrés material és
evident : electricitat, automòbils, asfaltats, etc., etc. I el progrés moral?69
». Plus en
avant, cette opinion demeure et, en fait, s’aggrave au même temps qu’on se rend compte
du péril du totalitarisme. Dans un article en 1935 sur le nouveau livre de l’écrivain
français André Suarès, on reproduit sa vision de la crise morale et politique qui vit
l’Europe ; selon lui, on peut la définir comme une « crise du droit », car tous les pays
européens (fascistes ou pas) ne gardent que leurs propres intérêts et s’oublient d’un
supposé « ordre universel ». En résumé, « La grande crise de l’Europe est ce mépris de
l’universalisme de la règle et de sa nécessité70
».
À mon avis, l’article qui démontre le mieux ce sentiment presque de fin d’ère est
« El destí de les races blanques » (« Le destin des races blanches »), déjà avec un titre
68
« Llatinitat i política », dans Nicolau, Democràcia, p. 204. 69
Manchette (phrase courte qu’on trouve dans la première page de tous les numéros de Mirador, écrite en
gros caractères), 16-V-1929. 70
« La crisi del dret », 23-V-1935.
32
explicite, qui d’ailleurs est écrit par le même Just Cabot. En raison de la publication du
livre du même titre (Le Destin des races blanches) de l’écrivain eugéniste français
Henri Decugis, Cabot explique ses idées principales et annonce un futur noir pour la
culture européenne et son papier prépondérante, qui, attaqué par des ennemis comme le
Japon et mis en cause par les mouvements indépendantistes africains, recule de plus en
plus partout71
. La cause immédiate de cette diminution d’influence est, évidemment, la
Première Guerre mondiale :
Vingué 1914 […] Queda sotraguejat el fons moral i cultural patrimoni comú de la raça
blanca […] La torbació material va acompanyada de la torbació moral, igualment
dilatada i profunda72
.
On peut dire que, selon Cabot, la guerre signifie, ajoutée à la crise du 29, le début de la
fin de la culture et la civilisation européenne.
Du côté économique et politique, Mirador va suivre exhaustivement et
encourager sans exception les tentatives de solution des nombreux problèmes dérivés de
la guerre, quoique ce soit le pays qui dirige les efforts. Dans cet aspect de l’héritage de
la Grande guerre on trouve aussi le précédent des articles de Nicolau, où il analyse le
problème et du désarmement des puissances européennes, besoin qui est le centre,
comme on verra maintenant, de presque toutes les négociations d’après-guerre. En effet,
même s’il reconnaît que ce n’est pas une entreprise facile, il presse pour qu’on ne se
relâche plus devant les adversités parce que « si cette génération qui a souffert la guerre
et a des vives mémoires de ses horreurs ne stabilise pas la paix ─ et cela est impossible
sans le désarmement ─, aucune ne le fera73
». En outre, il signale ces adversités pour
réussir au désarmement : les intérêts des fabricantes d’armes et, encore plus,
l’exagération du patriotisme (l’ « exacerbament morbós del patriotisme74
»), c’est-à-dire
le nationalisme avec des teints fascistes.
Peu après ces réflexions de Nicolau, l’année 1929 commence avec une déception
quant à cette dernière question, avec un éditorial dans la première page de Mirador qui
nous décourage simplement avec le titre, « Tota una setmana parlant del desarmament, i
tot ha estat a debades » (« Toute la semaine en train de parler du désarmement et tout a
71
« El destí de les races blanques », 11-VIII-1935. 72
Ibíd. 73
« Desarmament moral », dans Nicolau, Democràcia, p. 182. 74
Ibíd.
33
été en vain »). Ensuite, l’espoir d’un accord global revient avec l’approbation du plan
Young, projet qui concerne cette fois-ci les dettes provoquées par la guerre ainsi que les
réparations que l’Angleterre et surtout la France réclament à l’Allemagne. « Aucune
conférence d’experts avait eu tellement de succès comme celui de ce comité75
»,
informe l’éditorial qui occupe la moitié de la première page de la revue ; il s’agit peut-
être du moment le plus euphorique au respect de tous les années de Mirador. Bref, on
croit qu’on est proche de la « liquidation de la guerre », et que « l’atmosphère
internationale est de plus en plus propice76
» pour un grand accord dans ces lignes.
L’opinion de Mirador quant aux pactes sur les dettes contraintes pendant la guerre va
être claire et se résume dans ce passage :
Som partidaris de la cancel·lació pura i simple dels deutes de guerra, que consitueixen
una feixuga i odiosa herència de l’espantosa conflagració que durant quatre anys
convulsionà el món77
.
Malheureusement, peu après la « victoire » du plan Young, et comme s’il
s’agissait d’un présage, le ministre d’Extérieures allemand Gustav Stresemann mort.
Grand artifice de la paix (et prix Nobel) en compagnie de son homologue français
Aristide Briand (prix Nobel aussi et dont on parlera plus après), pendant les mois
suivants on voit succomber avec lui toute une idée de réconciliation et rapprochement
des peuples européens. Avant, à l’occasion de son décès, Mirador lui fait un hommage
dédié à un « pacifiste, disciple de Bismarck78
» qui, grâce à sa politique, a réussi à se
mettre d’accord avec les autres puissances dans des traités comme le plan Young et le
pacte de Locarno (concernant la stabilisation des frontières occidentales d’après la
guerre) ou des actions comme l’entrée de l’Allemagne dans la SdN.
En fait, et comme on a vu dans la première partie, Stresemann va rester un
personnage très admiré en Catalogne puisqu’il était, dû à des raisons plus ou moins
irrédentistes, un grand défenseur des minorités nationales de l’Europe. En ce sens, la
réception de son court séjour à Barcelone en juin 1929 est remarquable, comme on peut
lire dans un article de Nicolau motivé par sa visite, où il fait un éloge du politicien
allemand, « Un homme d’état de la nouvelle Europe », « une mentalité de l’après -
75
« La liquidació de la guerra », 20-VI-1929. 76
Ibíd. 77
« Ensenyaments de la crisi francesa », 22-XII-1932. 78
« Gustav Stressemann », 10-X-1929.
34
guerre79
» : un homme nouveau. En conséquence, c’est facile à comprendre qu’on lui
continue à donner cette attention assez remarquable lors de sa mort et, de la même
manière, qu’on soit déçus lorsque on se rend compte, avec la publication de ses
mémoires quatre ans après (sous le régime nazi), que sa « sincérité » pacifiste n’était
qu’un moyen de tromper ses ennemis, y compris la France et la politique de
rapprochement avec elle80
».
Revenant à la question de l’avenir de la paix, on observe comment, désormais, la
situation d’espoir euphorique va empirer peu à peu, à côté (pas du tout par hasard) de la
montée des totalitarismes et malgré les résistances de certains hommes politiques
courageux qui ne désistent pas en face de ces nouveaux obstacles, tout en provoquant
l’admiration de Mirador (« […] hi ha homes que donen prova d’un coratge lloable
persistint amb energia a treballar en interès de la pau81
»). Ainsi, tandis que lors de la
mort de Stresemann on proclamait toujours que « l’esprit de Locarno est vivant82
», les
premiers signes d’éloignement de la lutte pour la paix sont vite apparus chez
l’Angleterre, qui pose souvent des difficultés. Naturellement, la revue en fait une
critique sévère ; par exemple, suite à une glorieuse réclamation de Snowden (ministre
d’économie anglais à l’époque) dans une conférence de réparations, on se surprend que
parmi les dévastations de la guerre on devait tenir en compte un supposé et égoïste
prestige anglais83
».
Dans les faits, c’est précisément lors de l’échec du plan Young à partir du
moratoire des réparations allemandes que Mirador interprète que l’attitude des
gouvernements nationaux est incorrigible. Cette fois-ci c’est l’Allemagne l’objet des
critiques les plus dures et injustes si on regarde sa pénurie économique. De cette façon,
Mirador se plaint qu’on favorise les allemands et qu’on les concède des moratoires
quand ce sont eux les responsables ultimes de la guerre (« […] [una] gran injustícia que
exigeix les reparacions que paga Alemanya84
») et de ses conséquences.
79
« Un estadista de la nova Europa », dans Nicolau, Democràcia, p. 193. 80
« El bloc d’ordre », 23-II-1933. 81
Ibíd. 82
« Gustav Stressemann », 10-X-1929. 83
« L’arronçada de Snowden », 5-IX-1929. 84
« La moratòria Hoover », 16-VII-1931.
35
Dans ce même article, on lie la question des dettes et des réparations à celle du
désarmement, qui est un « problème de vie ou mort85
». Toutefois, la tendance négative
se confirme bientôt dans cet aspect aussi : le désarmement ne se produit pas, des fois il
n’arrive même pas à se discuter quand il était prévu, et pendant ce temps l’Europe est
enveloppé par une « vague de pessimisme86
» qui fait que la situation soit aussi grave
qu’avant la guerre. L’oubli de la celle-ci et la descente progressive vers une autre
catastrophe est inévitable : l’Allemagne se réarme et rompe le traité de Versailles,
l’Angleterre n’obéisse qu’à elle-même, les accords ne sont jamais respectés… « Si
c’était possible de recommander moins égoïsme nationale et plus d’intérêt européen87
»,
on se lamente devant les disputes nationalistes précédentes à une Conférence de
Désarmement qui ne va résoudre presque rien.
Cependant, on trouve sur ce chemin quelques exceptions notables : la
constitution de la Petite Entente, union pacifiste de la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie
et la Roumanie, saluée comme un « exemple salutaire88
» ; le Pacte Oriental, une sorte
de traité de Locarno pour les frontières orientales de l’Allemagne ; ou les innombrables
mais toujours échouées initiatives de résolution du conflit du désarmement. De plus, ces
exceptions donnent lieu à des déclarations vraiment poignantes qui reflètent une
préoccupation sincère sur cette dérive européenne, dont la meilleure illustration est cette
référence au ministre français d’Affaires étrangers assassiné Louis Barthou :
Ens parlava amb accent d’horror de la guerra, en la qual havia perdut un fill, i deia :
« Tots els homes haurien de sentir com el compliment d’un deure la cooperació, amb els
mitjans que tinguin, al manteniment de la pau »89
.
En dépit de ces cris à la paix on va tomber, atour de l’année 35, dans une
déception très visible, qui peut même se classifier comme désespoir, en vue de
l’évidence qu’on ignore déjà les millions de morts et les destructions du conflit (« És
amb profunda amargor que hem de constatar que no es tenen en compte els
ensenyaments de la gran guerra, que costà deu milions de vides i estralls
innombrables90
[…] ») ; enfin, le choc de la guerre n’a pas été suffisant, on n’a pas
85
Ibíd. 86
« El desarmament », 17-IX-1931. 87
« La Conferència del Desarmament i les possibilitats d’un conveni », 31-V-1934. 88
« El bloc d’ordre », 23-II-1933. 89
« L’atemptat de Marsella », 18-X-1934. 90
« Després de la resposta alemanya », 21-II-1935.
36
appris la leçon du conflit et on est en route vers un autre qui fait de plus en plus de peur,
comme on verra quand on parlera des totalitarismes.
13. À gauche, la dynamique envisagée par le plan Young. 14. À droite, les trois artisans du
pacte de Locarno (1925) : Stresemann (gauche), le britannique Austen Chamberlain et Briand.
Vers un nouvel ordre global pour la paix : la Société des Nations dans Mirador
Afin d’atteindre cet objectif idéal de paix, après la Grande guerre on va essayer,
parallèlement, un nouvel ordre mondial, dont la pièce principale sera la SdN. Organisme
crée en 1919 avec le traité de Versailles à l’initiative du président américain Woodrow
Wilson, elle va devenir l’instigatrice de la plupart des traités et des conférences
concernant n’importe quelle dispute internationale de poids91
. Mirador va prêter, donc,
une attention régulière à ses réussites et à ses échecs, tout en adoptant, dans la ligne
pacifiste qu’on a observée avant, un point de vue fort favorable à l’institution.
Au début, cette adhésion à la SdN se montre à travers des articles qui sont
optimistes sur son rôle et son importance générale dans la politique internationale.
Ainsi, Nicolau, qui, comme on a vu dans la première partie du travail, y a participé,
disait en 1928 que l’actuation de l’organisme était de plus en plus intéressant pour
« l’opinion publique internationale92
», et repérait qu’elle était « une nécessité reconnue
par tous93
» pour pouvoir gouverner le monde d’après-guerre. D’ailleurs, cet argument
qui considère la SdN indispensable sera répété fréquemment dans Mirador. Si on
91
Comme celles que nous avons vues dans le chapitre antérieur, ainsi que dans la première partie, où elle
assume la fonction de protéger les minorités nationales. 92
« L’opinió pública internacional », dans Nicolau, Democràcia, p. 177. 93
« La consciència internacional », dans Nicolau, Democràcia, p. 184.
37
observe les premiers articles de la revue, on y voit un exemple de cette confiance dans
un article sur l’Union Internationale des Associations pour la Société des Nations, où on
remarque comme un fait à tenir en compte la réunion à Madrid de cette organisation qui
« fait de la propagande pour les principes pacifistes94
» de la SdN. En définitive, on peut
résumer la sensation qu’elle s’est bien établie avec cette manchette en gros caractères de
la première page de la revue en septembre 1929 : « La Société des Nations a déjà dix
ans95
».
En outre, on confirme ces aspirations de longévité de la SdN lors qu’on envoie
les premières chroniques de ses Assemblées générales ou d’autres événements en
relation avec elle, comme les Conférences pour le désarmement qu’on a vu auparavant.
Les impressions des journalistes sont positives après l’Assemblée de septembre 1929,
où la signature d’une loi sur la « faculté d’arbitrage » de la SdN (son droit d’intervenir à
faveur du pays agressé dans une guerre) est approuvée, ce qui donne plus de pouvoir à
l’organisme :
Els que des del començament de l’actuació de la Societat de Nacions han cregut que
aquest organisme internacional està destinat a renovar l’aspecte del món, els romàntics
de sempre, seran potser els únics que hauran tingut raó en la lluita contra els escèptics
[…] No hi ha cap Estat amb prou força ni amb prou atreviment per enderrocar-la96
Celui-ci et d’autres petits triomphes vont consolider l’image de la SdN comme un
exemple moral (« potència moral97
»), un organisme qui n’a pas peut-être le pouvoir
qu’on voudrait mais qui, avec son bon exemple, influence les décisions de l’époque en
faveur de la paix. Désormais, on parle souvent d’un certain « esprit de Genève » (la SdN
y siégeait) qui est présent dans tous les coins du continent et qui entraîne la résolution
de conflits variés.
94
« La Unió d’Associacions per la Societat de Nacions », 16-V-1929. 95
Manchette, 5-IX-1929. 96
« La política d’arbitratge i la federació econòmica europea », 19-IX-1929. 97
Ibíd.
38
15. Une séance de l’Assemblée Générale de la SdN.
Pourtant, l’« esprit de Genève » qui, d’abord, est assez respecté, ne va demeurer
hégémonique que quelques mois, et seulement si on tient en compte les conflits les plus
importants. Si on observe, notamment, les chroniques sur l’Assemblée de l’année
suivante, on se rend compte que, en utilisant ces mêmes termes « morals », elle a perdu
son autorité sur les états qui la forment et souffre une « crise spirituelle98
» suite à la
terrible crise économique du 29. On relève du même article que la disparition de la
scène politique d’Aristide Briand, qui « représentait à Genève le mysticisme de la
paix », est en grande partie responsable de l’état pénible des négociations, telle celle de
Stresemann l’année précédent. En effet, ces deux hommes politiques, aidés par le
ministre conservateur anglais Austen Chamberlain, avaient été les principaux
protecteurs de l’institution genevoise, et leur substitution ou mort aura par conséquence
une SdN plus faible face aux possibles ennemis :
La decadència de l’institució s’ha agreujat des de la mort de Briand i l’absència de
Chamberlain, que ha significat un canvi de l’actitud anglesa envers la S. de les N., els
millors defensors de la qual són França i les nacions democràtiques99
.
Par ailleurs, c’est dans la résolution des combats armés où cet organisme va
démontrer sa faiblesse face à l’impérialisme de quelques-uns de ses membres. Le
premier conflit de ce type est celui entre la Chine et le Japon pour la Mandchourie,
région au nord-est de la première. Les besoins d’espace pour pouvoir répartir sa
croissante population, non moins que sa mentalité « panasiatique », feront du Japon une
98
« Les dues Assemblees », 9-X-1930. 99
« Pro o contra de la S. de les N. », 30-XI-1933.
39
nouvelle puissance impériale et militaire sans scrupules que la SdN, malgré ses
intentions pacifiques, ne saura pas arrêter : « […] jusqu’à maintenant la Société des
Nations s’est avéré inefficace pour une action rapide et énergique face à un conflit de
guerre100
», déclare le journaliste chargé de décrire les réunions de la SdN sur cette
question. Seulement le fait qu’elle soit une guerre asiatique qui ne concerne pas
l’Europe va sauver à la SdN d’une chute dans tous les sens du terme. En revanche, ce
caractère européen va la distancier du reste du monde et va lui amener assez de critiques
américaines, surtout pendant la guerre du Chaco entre la Bolivie et le Paraguay.
Mirador sera peut-être plus attentif que la SdN à cet événement international, comme le
montrent la suite de chroniques de Jean Alloucherie sur les combats entre les deux pays
sud-américains.
Donc, c’est à partir de l’arrivée au pouvoir du nationalisme extrême en
Allemagne ou ailleurs que la SdN aura beaucoup plus de problèmes à continuer sa lutte
pour l’entente des états. Selon Amadeu Hurtado, délégué de l’Espagne à l’Assemblée de
1932, un nouvel air angoissé qui prévoit un affrontement presque sûr (« una mena
d’angoixa, precursora d’una futura impotència davant l’esclat possible d’un odi
secular101
») va envahir ses salles. Les intentions des fascistes d’aller à la guerre seront
d’abord cachées par les gouvernements de ce couleur politique, mais dans Mirador on
va tout de suite proposer un « front unique102
» des nations démocratiques et pacifistes
pour faire face aux sabotages et aux intrigues fascistes et préserver le statu quo,
expression qu’ils associent dorénavant à la paix.
Cet avertissement de Mirador ne sera écouté que très peux de fois,
malheureusement. De cette façon, les positions dans la SdN des deux principales
démocraties, la France et l’Angleterre, seront contrastées dans les articles sur les
réunions internationales. La revue va y appuyer presque toujours la France, avec ses
initiatives de pacte et son idée que tous les problèmes « d’un caractère international103
»
soient traités à Genève et solutionnés par toutes les nations. Enfin, la France est
considérée la garante de la permanence de la SdN, l’État sans lequel elle aurait fini par
être un « souvenir historique104
». Au même temps, Mirador va dénoncer l’attitude
100
« L’Assemblea de la Societat de Nacions », 3-III-1932. 101
« L’Estatut de Catalunya », 20-X-1932. 102
« La XIIIa Assemblea », 29-IX-1932.
103 « La represa ginebrina », 10-V-1934.
104 Ibíd.
40
égoïste (et même hypocrite) de l’Angleterre, plus concernée avec sa propre société,
l’Empire, qu’avec l’organisme genevois. Dans un cas concret, on voit comment
l’Angleterre, devant le péril imminent qui représente l’Allemagne, ne s’intéresse point à
la contrôler :
A Anglaterra no sembla que s’hagi arribat encara a la persuasió que, si es vol evitar la
guerra, no hi ha altra solució que la reunió, dintre del marc de la S. de les N., d’una
agrupació d’estats que faci de « gendermaria »105
.
Le résultat est une division inévitable entre les pro-SdN (« esforçats defensors »), c’est-
à-dire la France et ses alliés, dont l’Espagne républicaine, et les anti-SdN (« malèvols
denigradors106
»), surtout en référence à l’Italie et l’Allemagne, avec l’Angleterre jouant
entre les deux, ce qui va provoquer une inévitable décadence de la SdN.
Finalement, la méthode française, basée sur la recherche d’un « ordre juridique
général » qui pouvait régler toutes les controverses à travers la SdN, sera battue par la
conception anglaise « opportuniste107
». Alors, on va entrer dans une dynamique
négative où, contrairement à l’ « esprit de Genève », les négociations bilatérales entre
les pays appartenant à la SdN vont remplacer les réunions de tous ses intégrants,
toujours invoquées par les journalistes de Mirador. Parmi ses dernières victoires on
trouve l’entrée de l’Union Soviétique, de laquelle on doit être satisfaits108
, victoire qui,
ajoutée à d’autres succès éphémères, va maintenir un certain optimisme jusqu’à le coup
de grâce au prestige international de la SdN : la gestion de la guerre italo-éthiopienne.
Avec l’invasion italienne du pays africain, l’organisme « connaît un grave
péril109
» à cause de sa position dubitative et sa gestion déficiente de l’illégalité d’un
régime fasciste. Les différences dont on a parlé entre l’Angleterre et la France (qui ont
des intérêts dans la région) seront décisives et l’unité d’action réclamé dans Mirador va
manquer dans ce cas chez la SdN, jusqu’au point où elle va perdre toute crédibilité. Une
guerre mondiale sera évitée cette fois-ci, mais l’incapacité pour freiner l’Italie de
Mussolini, qui va enfin quitter l’organisme, va mettre en relief la véritable et presque
nulle efficacité de la SdN, ainsi que la subordination du « droit et la justice des plus
105
« Després de la resposta alemanya », 21-II-1935. 106
« Dintre i fora de la S. de les N. », 5-X-1933. 107
« El conflicte italo-etíop », 1-VIII-1935. 108
« La U.R.S.S. de Gènova a Ginebra », 31-V-1934. 109
« El conflicte italo-etíop », 1-VIII-1935.
41
faibles » à « la raison des plus forts110
», selon la réponse de Joan Casanelles dans une
enquête de la revue sur la situation internationale. L’ « esprit de Genève » va lentement
disparaître pour donner lieu à une nouvelle guerre effrayante.
16. La guerre italo-éthiopienne, l’une des causes immédiates de la perte de prestige de la SdN.
Des précédents de l’Union européenne : la vision de l’unité de l’Europe dans ce
nouveau cadre international
Dans ce nouveau statu quo d’après-guerre, dont la SdN va être la clef de voûte, une
sorte de conception paneuropéenne, très rare avant le conflit, va commencer à s’établir
et à se développer au sein des intellectuels et des hommes politiques de l’époque. Cette
idée d’unité morale du continent va se manifester dans des mouvements parfois très
différents, mais toujours dans le but de combattre la montée des nationalismes extrêmes,
faciliter la collaboration des peuples ou des États européens et aider la SdN dans ses
tâches ardues de pacification du monde. Évidemment, Mirador sera prêt à révéler tous
les avances en cette direction-là, ainsi qu’à leur annoncer comme des nouvelles
positives pour l’avenir pas seulement de la Catalogne et de l’Europe, mais de
l’humanité entière.
Tout d’abord, les bases idéologiques du paneuropéisme primitif (déjà appuyé
auparavant par Napoléon ou Victor Hugo, par exemple) seront issues en grande partie
de Richard de Coudenhove-Kalergi. Ce noble autrichien, autant cosmopolite
qu’européiste convaincu, va profiter du rapprochement franco-allemand autour des
110
« Davant la situació internacional », 26-IX-1935.
42
années 1924-1925 pour relancer l’idée européenne et devenir, par la suite, un
personnage clé dans la genèse de cette idéologie.
Ainsi, en printemps 1923 il publie l’œuvre Pan-Europa, où il explique son plan
ambitieux de créer une espèce d’Union fédérale européenne afin d’éviter la
désintégration totale du continent, qui est sujet pour l’instant à l’anarchie des
nationalismes et aux menaces de la Russie communiste et des puissants États-Unis.
Certes, il y a des aspects que Coudenhove ne précise assez, comme le type de liens entre
les États de Pan-Europa (fédérales, confédérales ou des autres qualificatifs du genre) ;
mais, en outre, il en définisse clairement les frontières externes (il en exclue en ce sens
l’Empire britannique) et il en remarque son appartenance indiscutable à la nouvelle ─
bien que mal construite, selon le comte ─ SdN. En résumé, il rédige une série de
concepts qui, ensemble, représentent un premier pas pratique dans la construction de
l’Europe, en s’éloignant des idées trop intellectuelles qui existaient même avant la
guerre. La pensée de Coudenhove va déboucher dans la naissance de l’Union
paneuropéenne (UPE) et d’autres organismes (comités nationaux, etc.) en rapport avec
elle111
.
D’autre part, ces avances pionniers de Coudenhove vont attirer l’attention des
écrivains et des hommes politiques catalans intéressés à la « question européenne »,
dont Nicolau avec ses articles engagés qu’on va citer à nouveau. Son article le plus
important dans ce domaine, presque une étude, est le tract Idees i fets entorn de
Paneuropa, paru en 1928, une analyse, critique dans quelques points, du projet du
comte autrichien, déjà appuyé par une partie de la « jeunesse universitaire de
l’Europe112
» et qui peu à peu était en train de s’établir.
D’abord, on trouve dans le tract une description des causes d’un certain pan-
continentalisme globale qui s’accroît, dont la Pan-Amérique serait un référent
incomplète. Puis, c’est le tour d’expliquer la Pan-Europa envisagée par Coudenhove,
qui résoudrait des problèmes comme la guerre, la crise économique, les frontières
disputés ou les minorités nationales à travers, d’abord, l’union douanière. Bref, elle
111
Pour information sur le projet de Coudenhove-Kalergi et d’autres projets européistes, voir Franck
Théry, Construire l'Europe dans les années vingt. L'action de l'Union paneuropéenne sur la scène
franco-allemande, 1924-1932 (Genève : Institut Européen de l'Université de Genève, 1998), pp. 14-19. 112
« Idees i fets entorn de Paneuropa », dans Nicolau, Democràcia, pp. 160-173.
43
serait une union positive qui défendrait « le citoyen contre l’étatisme, la nation contre
l’impérialisme et l’État contre la guerre ».
Quand-même, dans la plupart de l’étude Nicolau souligne les inconvénients du
projet de Coudenhove, qu’on peut réduire à deux des plus remarquables. D’un côté, le
besoin que l’Angleterre fasse partie du pacte, car elle a toujours été une partie
essentielle de la civilisation européenne et, en plus, domine un Empire utile pour
communiquer l’Europe avec le monde. De l’autre côté, la peur qu’à propos de ce noble
objectif on conçoive une « mystique », un « idéal » paneuropéen équivalent à celui
qu’utilisent les fascismes contemporains. Les effets de cette déformation de la culture
du continent seraient probablement une guerre à plus grande échelle, intercontinentale ;
donc, on doit se contenir et, surtout, intégrer le projet au sein de la SdN, qui doit
« l’inspirer, le diriger et le canaliser ». Seulement avec ces conditions on pourra
« construire l’édifice » peu à peu (avec des mesures proposées par Coudenhove comme
le passeport européen), dans un esprit tout à fait humain et de solidarité entre les peuples
du monde entier ; pas du tout comme une collaboration limité au continent qui
strictement « vise les États113
», une autre sort de modèle (proposé par le diplomate
grecque Nikolaos Politis) trop minimaliste, selon Nicolau.
17. Richard de Coudenhove-Kalergi et la couverture de Pan-Europa.
Postérieurement, à la fin des années vingt, au même temps que l’UPE
poursuivait ses objectifs et avançait, notamment avec les Congrès paneuropéens, dans la
113
Ibíd., p. 172.
44
mise en place de « structures militantes114
», le mouvement européiste a commencé à
s’éteindre parmi les milieux diplomatiques gouvernementales dans une version plus
modérée, peut-être moins idéaliste et dirigée davantage au plan économique. Le
meilleur exemple de cet autre aspect de l’européisme d’après-guerre est la Fédération
économique européenne d’Aristide Briand.
De cette manière, les notions entretenues par l’UPE vont infiltrer le Quai
d’Orsay français, occupé de 1926 à 1932 par Briand, qui promettra à Coudenhove lui-
même, fin 1928, son soutien à l’union de l’Europe, préparée dans « une conférence
paneuropéenne des gouvernements115
». Pourtant, des actions définitives n’arrivent que
pendant l’année 1929. Alors, on va commencer une sorte de campagne de propagande
de l’initiative, dirigée en secret par l’UPE et le ministère français, afin de bousculer les
gouvernements (surtout l’allemand) pour qu’ils appuient ces premiers mouvements et
de convaincre en ce même sens l’opinion publique européenne. En conséquence, les
rumeurs d’un rapprochement franco-allemand (Briand-Stresemann), qui pouvait être
accompagné d’une nouvelle entente entre les pays européens, vont circuler à partir de
juillet dans la presse française et étrangère, jusqu’à sa confirmation dans le discours de
Briand dans l’Assemblée de la SdN en septembre.
De pair avec ces rumeurs on trouve des enquêtes et des articles sur cette
« fédération » dont on ne connaît que des aspects vagues. On le nomme le projet Briand
ou « Les « États Unis d’Europe » », titre d’un article de Jaume Ruiz Manent paru en
juillet 1929 dans le journal catholique El Matí, suite à des « révélations » de la
publication française L’Œuvre. « L’idée attribuée à Briand de former des États Unis
d’Europe ne nous semble pas si négligeable comme on veut supposer116
», opine Ruiz
Manent ; selon lui, la compétence des États-Unis (américains), aggravée par le
protectionnisme économique du président Hoover, est la cause immédiate de la
formation d’une Fédération à l’est de l’Atlantique. Quant à sa réception, il compte sur
l’appui des propres français, car maintenant, dix ans après la guerre, l’haine vers
l’Allemagne n’est pas la même, ainsi que sur celui de Stresemann, duquel on arrive à
supposer qu’il s’est mis d’accord avec Briand (« [de Stresemann] podien sospitar-se
clares insinuacions cap a la mateixa fi, de manera que ara no falta qui diu que ja s’havia
114
Théry, Construire l’Europe, p. 6. 115
Ibíd., p. 119. 116
« Els « Estats Units d’Europa » », El Matí, 17-VII-1929.
45
posat d’acord amb Briand mateix »). Ruiz Manent finisse par déclarer son optimisme
mesuré sur le progrès et la prochaine réalisation du projet Briand (« ¿Però hem de
desesperar que dins més o menys temps arribin a ésser un fet ? »).
Chez Mirador on va trouver les mêmes réactions à cette ambiance de l’année 29,
ou d’autant plus joyeuses dû à son statu particulier. Ils vont montrer leur européisme en
donnant de la relevance aux suppositions ; c’est claire qu’ils voudront partager ces
informations car ils les considèrent dans l’intérêt général des ses lecteurs. Pour ce faire,
ils ne vont pas seulement expliquer le processus, mais ils vont chercher aussi les
réactions qu’il suscite chez eux, en Catalogne, dont une première collection va être une
enquête faite à des hommes politiques de l’époque sur ce projet Briand, publiée en
juillet et août 1929 sous le titre « Què en pensen els nostres homes del projecte Briand »
(« Ce que nos hommes pensent sur le projet Briand »). Grâce à elle on peut connaître les
opinions et les intentions par rapport au plan de personnages influents comme Nicolau
d’Olwer, Amadeu Hurtado ou Francesc Cambó. D’ailleurs, la plupart donne des
réponses informées et, en plus, des points de vue variés sur le thème, même si, en
général, ils sont tous favorables à son succès.
Dans une première partie de l’enquête, Nicolau insiste beaucoup sur la non-
exclusion de l’Angleterre, qui, comme d’habitude, ne semble guère intéressée aux
problèmes européens. Un vrai anglophile, comme on peut observer, il va insister peu
après dans « Entre Europa i l’Imperi » (« Entre l’Europe et l’Empire ») sur le « double
rôle qui lui appartient117
», à la Grande Bretagne. Elle doit faire partie des États-Unis de
l’Europe (sinon on ne verrait pas l’union « matériellement trop solide ») au même temps
qu’elle devrait conserver, utiliser et s’approcher de son vaste Empire, « l’instrument de
paix le plus formidable qui existe ».
Revenant à sa réponse de l’enquête, il ajoute des considérations sur le but à long
terme de la Fédération, qui peut devenir un « pas vers le libre-échange118
» ou, au
contraire, un échelon vers une nouvelle guerre. Ensuite, l’écrivain et intellectuel Pere
Coromines prévient aussi le lecteur contre ce péril, puisqu’il aperçoit parmi l’Union une
prépondérance des États impérialistes, comme la France ou l’Allemagne, sur les nations.
Il ne voit pas, donc, l’utilité d’unir ces puissances (« congerminar tots aquests [el
117
« Entre Europa i l’Imperi », dans Nicolau, Democràcia, p. 195. 118
« Què en pensen els nostres homes del projecte Briand », 25-VII-1929.
46
francès, l’alemany i l’italià] i els altres imperialismes »), et il propose, d’abord, un
changement d’objectif et de nom : il doit s’agir d’une Fédération des Nations de
l’Europe, qui respecte les revendications nationalistes qui existent dès la guerre.
Dans une deuxième partie, on peut contraster l’opinion de deux hommes proches
à la ligne idéologique de la revue, le propriétaire Hurtado et Antoni Rovira i Virgili, et,
de l’autre côté, de deux hommes politiques de la Lliga, Ferran Valls i Taberner et Lluís
Duran i Ventosa. Les quatre montrent une évidente satisfaction face aux avances de
la Fédération, avec leurs nuances particulières. Hurtado fait référence au versant
pratique du projet Briand, s’oppose au statu de « conception abstraite d’un projet
inconnu119
» que certains veulent lui donner et met en valeur le fait qu’elle signifie
« une orientation de groupe à la nouvelle politique européenne » ; Rovira i Virgili
s’exprime plus ou moins dans les mêmes lignes, mais il remarque que ce n’est qu’une
machination diplomatique, bien que sincère, d’Aristide Briand pour répondre aux
manœuvres de Stresemann, afin d’enlever de la « force explosive » au problème des
minorités que le ministre allemand voulait résoudre.
De l’autre côté, l’impression que les annonces de Briand produisent aux deux
dirigeants de la Lliga est assez différente dans quelques aspects, mais ils ne cachent pas
un ferme européisme similaire à celui de leurs adversaires politiques. Toutefois, Valls i
Taberner analyse la Fédération exclusivement du point de vue de la protection des
minorités et, de cette façon, défend le projet s’il s’oriente vers le « respect à la liberté et
aux caractéristiques naturelles de toutes les collectivités ethniques et linguistiques ». De
même, il propose de solutionner avant des « nombreux problèmes de justice
internationale », c’est-à-dire concernant les frontières, pour après pouvoir appliquer
dans des étapes concrètes cet organisme pacifique120
.
Duran i Ventosa écrit un article beaucoup plus pessimiste, comme il reconnaît
lui-même, et se centre sur les effets (plutôt négatifs) qu’une union douanière aurait pour
les pays petits, comme la Catalogne, car ils devraient faire compétence aux puissances
très industrialisées, soit l’Angleterre ou l’Allemagne : « […] l’établissement d’un libre-
échange au continent européen doit être une tâche pleine de difficulté », conclue Duran i
Ventosa121
. Il insiste sur cette conséquence et opine qu’on ne doit pas obéir aux intérêts
119
Ibíd., 1-VIII-1929. 120
Ibíd. 121
Ibíd.
47
des grandes entreprises qui sont en train de former des Cartels et des Trusts
paneuropéennes; selon lui, cela est un « phénomène purement politique » qui n’a rien à
voir avec « l’idée politique des États Unis Européens ».
En revanche, dans la troisième et dernière partie de l’enquête, le chef de son
parti politique, Francesc Cambó, ne valorise pas le rôle de la politique dans ces débats ;
au contraire, il offre une vision de la politique internationale presque néolibérale où la
politique est subordonnée aux intérêts économiques privés. Il faut prévenir les
gouvernements de déranger les entreprises (« que els governs no pertorbin el camí que
en aquesta direcció està ja fent la iniciativa privada122
»), car « au fur et à mesure que
ces Cartels se multiplieront, les compétences économiques entre les États de l’Europe
vont se réduire ». C’est suffisant avec une politique extérieure limité qui puisse éloigner
« tout péril de guerre » ; comme ça on pourra « avancer dans le chemin d’amoindrir les
nationalismes économiques » et rapprocher les économies des pays de l’Europe (« fer
que a Europa les economies nacionals […] esdevinguessin no enemigues, sinó
complementàries »). Donc, parmi les hommes en question, Cambó est celui qui fait la
moindre confiance aux politiciens européistes et au mouvement paneuropéen qui est en
train de se dérouler.
Juste un mois après cette enquête révélatrice, Briand confirme le projet d’une
Fédération économique européenne devant l’Assemblée de septembre de la SdN. Dans
son célèbre discours du 5 septembre, il propose un « lien fédérale » face aux difficultés
de tous les pays du continent sur le plan économique et commerciale, aspects qui
constituent la « nécessité la plus pressante123
», en ses mots. Briand a annoncé aussi que
ce lien pourrait s’éteindre aux milieux politiques et sociaux, sans en donner beaucoup de
détails non plus. Tout de suite, Gustav Stresemann s’est uni à ce propos, ce qui a
entraîné une accélération des évènements ; on a eu, du coup, une réunion des
gouvernements européens sur la proposition, où on a accordé la présentation par le
gouvernement français d’un mémorandum du projet le 1er
mai de l’année suivante.
122
Ibíd., 8-VIII-1929. 123
Théry, Construire l’Europe, p. 119.
48
18. À gauche, image de Briand en train de prononcer son discours du 5 septembre. 19. À droite,
les deux défenseurs du nouvel ordre européen, Briand et Stresemann.
En attente toujours de ce mémorandum définitif, le discours de Briand est fort
célébré par Mirador, qui le mentionne d’abord pour élever le ministre à la catégorie
d’homme qui dépasse son époque et qui entre dans les annales historiques (un « home
de la pau i que, per la magnitud de la seva obra, traspassa la història de França i
s’incorpora a la història del món124
»). Quant au projet lui-même, il dit que Briand n’en
a presque rien commenté dû à la situation internationale, qui n’est pas encore favorable
à ce type de propos. Une consigne similaire, concernant la fragilité du plan et la
conséquente modération de Briand, est répétée la semaine suivante, dans un article qui
explique un peu plus le plan : « La idea és encara tan tendra, tan trencadissa i sobretot
tan perillosa que Briand no va poder precisar gaire més en el seu discurs a
l’Assemblea125
», avertisse au début du texte le correspondant de la revue à Genève. Au
moins, c’est sûr qu’elle va être circonscrite à la SdN.
Par contre, il a pu recueillir quelques réactions plus concrètes des autres
gouvernements. Ici l’Angleterre réapparaît comme l’obstacle le plus puissant à la
Fédération, de pair avec l’internationaliste Union des Républiques Socialistes
Soviétiques (URSS), qui utilise néanmoins un ton plus modéré. Arthur Henderson,
124
« De La Haia a Ginebra hi ha cent llegües de mal camí », 12-IX-1929. 125
« La política d’arbitratge i la federació econòmica europea », 19-IX-1929.
49
ministre un peu impoli du Foreign Office, a déclaré publiquement sa « répugnance126
»
au terme « fédération ». Pour le journaliste c’est l’occasion de déclarer, comme Nicolau,
que si l’Angleterre persiste dans son isolationnisme, la Fédération n’a aucun futur:
« Sans l’Angleterre cette fédération économique ne peut pas se former ». Peut-être pour
cette raison, les bizarres appuis anglais aux idées européistes seront publicités dans
Mirador, comme le montre cette phrase du premier ministre Ramsay MacDonald parue
à la première page en juin 1929 : « Rien ne s’oppose qu’autour de l’année 1940 nous
ayons une chose équivalent à des États Unis d’Europe127
».
D’ailleurs, cette dernière phrase est un signe des temps ; on espère vraiment que,
suite aux propositions de Briand, cette Fédération se réalise dans les prochaines années.
On ne craint ni le fascisme italien ni les crises intérieures des démocraties : après une
démission temporelle du gouvernement Briand, on s’assure que « Même si Briand ne
continuait pas au pouvoir, sa politique serait assurée128
». Plus en avant, c’est avec cette
attitude positive et pleine d’espoir qu’on accueille la présentation en mai du
mémorandum qui peut sauver « l’unité morale européenne129
» et dont on a besoin
urgemment :
Europa […] és un país políticament incòmode. I, no obstant, cal salvar aquestes
diversitats que són el tresor espiritual d’Europa […] sense amenaçar la pau i sense
consumar la ruïna moral i econòmica d’un continent que encara té el seu prestigi130
.
Finalement, cette fois-ci on a pu savoir, d’après le complet document présenté,
plus de détails sur le projet. Le nouveau système, « embryon d’une organisation
fédérale, cadre d’une future coopération européenne durable », avait pour principe
d’être un régime de solidarité entre des États, basé sur « l’idée non pas d’unité mais sur
l’idée d’union131
». Les autres conditions indispensables étaient, d’un côté, sa
subordination absolue à la SdN (dont la Fédération serait une sorte de délégation
régionale, et située également à Genève) afin d’éviter des affrontements avec des autres
continents ; de l’autre côté, le respect à la souveraineté des États membres.
126
Ibíd. 127
Manchette, 20-VI-1929. 128
Ibíd., 31-X-1929. 129
« Mentre la França democràtica ens parla de pau, la Itàlia feixista ens parla de guerra », 22-V-1930. 130
Ibíd. 131
Ronan Blaise, « Aristide Briand et le projet d’Union fédérale européenne. Aux origines ─ mal connues
─ de l’actuelle UE », Le Taurillon. Magazine eurocitoyen, 20-VII-2008, consulté sur
<http://www.taurillon.org/Aristide-Briand-et-le-projet-d-Union-federale-europeenne,02125#nb2>.
50
Les propositions plus concrètes et pratiques (éloignées de la « littérature
mystique et socialiste de Macdonald132
», Mirador nous rappelle) versaient sur des
nombreux aspects. Pour l’instant, on n’aurait pas d’Union douanière. D’abord on devait
approuver une ampliation du traité de Locarno à toutes les frontières européennes, ce
qui assurerait la paix avec un système d’ « arbitrage et de sécurité collective beaucoup
plus général », une vieille revendication de la France. Après cela on pouvait commencer
un « rapprochement des économies européennes » à travers, par exemple, de l’Union
douanière ou de la gestion commune des « questions monétaires133
».
Puis, on trouvait aussi dans le document l’organisation politique de la nouvelle
fédération, fondée sur un corps législatif, une Conférence paneuropéenne
intergouvernementale (pas de Parlement ni de démocratie dans ce projet, donc) qui se
réunirait constamment. En outre, des « organes exécutifs », un Comité et un secrétariat
permanent, pourraient « assurer le fonctionnement administratif pratique » de la
Fédération. Les compétences réservées à ces organismes restaient encore mal définies,
mais elles se répandaient sur les affaires économiques, les communications routières ou,
dans une espèce de précédent des Erasmus, les échanges universitaires134
.
En définitive, le projet, appuyé de plus en plus parmi les élites économiques et
politiques, était déjà dans son étape la plus sérieuse ; sa publication faisait de « 1930
[…] un tournant dans l’histoire de la cause européiste135
». Après l’avoir fini de rédiger,
Briand l’a envoyé à la presse et à tous les gouvernements européens, dont il a reçu,
pendant l’été, les suggestions et les objections. Selon Mirador, l’idée « a été bien
accueilli, mais la manière de l’appliquer a suggéré des opinions contradictoires136
».
Pourtant, outre ces commentaires des puissances européennes, le plan suivait son
chemin sans délai ; on a arrivé jusqu’à programmer une réunion des gouvernements lors
de l’Assemblée de la SdN du septembre suivant.
Mais la réalité, c’était autre. Ce qui devait représenter « La gran quinzena de
Ginebra » (« La grande quinzaine de Genève »), titre d’un article préalable à la réunion,
est finie par être une déception, et l’attendue Conférence paneuropéenne ne sera pas
entretenue. Cependant, Mirador a été tout le septembre à l’égard de ce qui se passait là-
132
« Mentre la França democràtica ens parla de pau, la Itàlia feixista ens parla de guerra », 22-V-1930. 133
Apud « Aristide Briand et le projet d’Union fédérale européenne ». 134
Ibíd. 135
Théry, Construire l’Europe, p. 129. 136
« La gran quinzena de Ginebra », 11-IX-1930.
51
bas, désireux d’un pacte ou de quelque geste des États européens concernant les
propositions de Briand. Le discours de celui-ci a été comme toujours une source
d’optimisme dû à ses arts rhétoriques (« Habilíssim en l’art de passar la maroma […]
Briand ha fet un discurs sense deixar marge als contradictors eventuals137
»), et
subséquemment on avait l’impression que, malgré les réticences, on aurait une
acceptation générale d’un projet qui se concrétisait de plus en plus (« Totes [les
nacions], però, acceptaven de bon grat o a contracor un projecte contra el qual és una
mica arriscat parlar d’utopia »). Qu’est-ce qu’il s’est passé, alors, pour que cette réunion
ne se concrétise pas ?
D’un point de vue économique, on peut blâmer la crise du 29 de l’échec du
projet. On doit se rappeler qu’une des parties essentielles de l’initiative à mi-terme était
l’union douanière ; ainsi, la crise aurait retourné au sein des États le nationalisme
économique, c’est-à-dire les peurs protectionnistes de toujours, incompatibles avec les
idées, par exemple, d’abaissement des tarifs douaniers. Quand-même, c’est d’un point
de vue politique qu’on trouve les causes les plus irréfutables. En effet, ce qui a empêché
finalement sa réalisation a été le changement d’attitude de l’Allemagne ; depuis la mort
inopportune de Stresemann en octobre 1929, on a assisté à une croissance de l’hostilité
allemande envers le projet, commençant par le substitut médiocre de Stresemann, Julius
Curtius, dirigeant convaincu qu’il ne fallait pas « satisfaire les ambitions hégémoniques
françaises138
». La pression des secteurs nationalistes et révisionnistes allemands, accru
lors d’un changement de gouvernement en mars 1930, a forcé davantage une réponse
froide mais, en général, négative au mémorandum. En plus, cette objection à la
Fédération se voit encouragée en grande partie lors des résultats des élections célébrés
aussi en septembre 1930, qui montrent une montée incroyable des nazis ou, comme on
les appelle alors, « racistes ».
137
« La Federació Europea », 18-IX-1930. 138
Théry, Construire l’Europe, p. 135.
52
20. À gauche, Benito Mussolini. 21. À droite, le ministre d’Affaires étrangers allemand Julius
Curtius, deux des responsables de l’échec du projet Briand.
Dans Mirador on trouve de la consternation en ce sens-là et on reconnaît que
« Le projet Briand a été présenté dans des circonstances peu favorables139
». Peu à peu,
on va se rendre compte du rejet à l’essence de la Fédération économique européenne,
car elle était trop ambitieuse pour le goût de la plupart des pays140
. Enfin, Briand a
renoncé pour l’instant à l’idée originelle141
et tout le procès a été réduit à une maigre
Commission d’études européennes qui ne s’occupait que de quelques affaires
économiques. Toujours optimiste, Mirador met en valeur cette commission, à
l’occasion de sa constitution, comme un premier organisme vraiment européen :
[…] tota la importància del Comitè d’Estudis Europeus consisteix en el fet que els
ministres d’Estat d’Europa tinguin un nou motiu per veure’s i tractar-se humanament
[…] es reuneixen en nom d’una Unió Europea ; accepten, en certa manera, la idea que
Europa forma com una família142
.
Mais cette Commission d’études européennes ne va se consolider non plus : dès 1932
elle ne va plus se réunir, au même temps qu’on assistait à un endurcissement à jamais de
la relation franco-allemande. La proposition de Mussolini, en 1933, de former un « Club
des Quatre » pour diriger l’Europe, avec la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre,
va être un coup décisif à la Fédération.
139
« La Federació Europea », 18-IX-1930. 140
« La Comissió d’Estudis Europeus », 29-I-1931. 141
Ibíd. 142
Ibíd.
53
Par ailleurs, entre cet échec et la fin de Mirador on trouve rarement des mentions
à une possible Union européenne, et très écartées les unes des autres. Les plus réalistes,
peut-être, se mêlent parmi les articles sur une possible Union danubienne entre les
territoires de l’ancien Empire autrichien. L’impact de la crise du 29 y est tellement
terrible qu’on a pensé à cette solution, qui peut, après, être un modèle pour une future
Union européenne. Les conférences sur le thème sont reçues comme un « premier pas
du chemin d’une véritable union économique européenne143
» et, en 1936, on dédie un
article entier à analyser la situation désastreuse de ces pays ; si celle-ci se résout avec
une union douanière, dit-on, la situation de l’Europe va s’améliorer (« s’obrirà un camí
envers temps millors144
»). En outre, la mort d’Aristide Briand, l’« homme de la
paix145
», va motiver aussi une référence à son caractère visionnaire, grâce à lequel (et
on y croyait encore !) « il existe dans la Société des Nations le germe d’une future
Union Européenne ».
Pour conclure, c’est obligé de parler d’un dernier cri à une action pour
l’Europe chez Mirador : l’enquête « Els intel·lectuals i Europa » (« Les intellectuels et
l’Europe », décembre 1935-janvier 1936), où des différents écrivains et penseurs
français s’expriment sur son idée d’une unification du continent ainsi que sur le rôle
qu’eux-mêmes, qui se nomment les « clercs », doivent jouer dans sa construction. Tout
d’abord, l’historien Georges Soria présente leurs interventions savantes comme quelque
chose de nécessaire pourvu le contexte noir pour l’Union européenne, où il n’y a rien
debout ni stable à cause des folies du nationalisme : « […] les cartes del castell europeu
s’han escampat segons els temperaments nacionals en una llunyana sarabanda i els joves
s’han quedat amb les mans penjants146
».
Alors, on voit devant nous, dans sept tomes consécutifs (une pour chaque
intellectuel), des différentes opinions sur l’existence d’un « esprit européen » et sur ce
qu’il faut faire pour l’inculquer aux âmes des citoyens. Certains, comme Julien Benda
ou Georges Duhamel, recommandent aux « clercs » d’avoir un rôle plutôt actif dans la
résolution de ce problème en réveillant l’humanité dans les âmes des européens : « Els
clercs han d’obrar davant l’ànima dels pobles, invitar-los a sacrificar alguna cosa de
143
« La Unió danubiana », 7-IV-1932. 144
Ibíd., 14-V-1936. 145
« La mort de Briand », 10-III-1932. 146
« Els intel·lectuals i Europa », 12-XII-1935.
54
llurs particularitats nacionals en favor d’una concepció profundament humana147
». Par
exemple, ils peuvent influencer sur la société avec l’enseignement des jeunes : « en
tenim una [d’acció] de més profunda, la que exercim sobre les ànimes joves148
». De
cette manière, ils doivent se distancier de l’œuvre des « laïques », les politiciens et les
chefs d’entreprise, car l’action des intellectuels est beaucoup plus effective
(« L’intel·lectual, doncs, pel sol efecte del seu pensament, pot fer molt més per l’Europa
que tals grans actes de polítics149
»), ajoute Paul Valéry.
Des autres se préoccupent de la création d’une mentalité européiste, notamment
Jules Romains et André Maurois, car, selon le deuxième, il n’y a pas un esprit
occidentaux (« […] l’Europa pot esdevenir una realitat vivent […] però no ho és
pas150
»). La solution, selon Romains, est d’engendrer à nouveau une sorte de
mythologie qui renforce l’Europe et la SdN, similaire à celle des fascismes (ce qui était
inacceptable, si on s’en rappelle, du point de vue de Nicolau) :
En la meva opinió és indispensable crear mites […] No m’amoïnaria gens que es fessin
desfilades, focs artificials, que s’engeguessin bombes al cel, per anunciar a la multitud
que hi ha un ideal de la SdN151
.
Pour finir, il y a un troisième bloc d’enquêtés, disons les « contraires », formé
par Romain Rolland, écrivain pacifiste et communiste qui est directement contre
n’importe quel projet européiste (la « masque d’un nouveau nationalisme plus
dangereux152
»), et Jean-Richard Bloch. Celui-ci accepte les projets du « vieux
humanisme libéral153
», c’est-à-dire la SdN, mais appuie plutôt la voie européiste de
l’ « humanisme socialiste », proposée par l’URSS comme une étape nécessaire avant
d’arriver à l’internationalisme. Tout cela après avoir fait un parcours historique très
informatif des précédents d’une unité européenne, concept d’abord basée sur les valeurs
du christianisme, puis sur ceux de l’Illustration française.
Évidemment, les propos de ces hommes-ci n’auront aucune répercussion sur la
politique européenne, et, comme on sait déjà, le continent va tomber dans la Deuxième
147
Ibíd. 148
Ibíd., 26-XII-1935. 149
Ibíd., 19-XII.1935. 150
Ibíd., 9-I-1936. 151
Ibíd., 16-I-1936. 152
Ibíd., 2-I-1936. 153
Ibíd., 23-I-1936.
55
guerre mondiale avec le reste du monde. Néanmoins, toutes les idées déposées dans ce
chapitre forment, ensemble, un précédent à tenir en compte de l’Union européenne
présente, dont les fondations seront posées juste une quinzaine d’années après cette
enquête (avec l’impacte pas méprisable d’un autre carnage, la Deuxième guerre
mondiale). Elles peuvent constituer, de même, une leçon primordiale face aux
problèmes actuels, surtout si on étudie aussi, comme on fera maintenant, les adversaires
qu’elles ont eu, ainsi que les conséquences de ne les avoir pas appliquées.
22 et 23. Julien Benda, intellectuel européiste et critique du rôle actuel des « clercs » dans la
société, comme on voit dans son livre La Trahison des clercs.
À l’autre côté, les totalitarismes : l’Italie, l’Allemagne et la URSS dans Mirador
Jusqu’à présent on a parlé du statu quo issu de la Grande Guerre (1914-18) dont
Mirador appuyait presque toujours les initiatives, telles que la consécution de la paix
permanente, la stabilisation de la SdN ou les projets d’Union européenne. Dans ce
chapitre, on va essayer de résumer les opinions négatives que la revue gardait sur ce
qu’on considérait les ennemis de ce nouvel ordre : le totalitarisme et les dictatures, dans
ses plusieurs versions. On va faire un résumé plus ou moins chronologique des articles
sur le fascisme italien, la montée et les premières opérations d’Hitler ou la toute novelle
et surprenante URSS.
56
Lors des premiers numéros de Mirador, l’opinion que les collaborateurs ont du
fascisme n’est pas du tout favorable, mais on traite cette nouvelle idéologie comme
quelque chose d’étrange et, surtout, de peu dangereux. La pauvre influence de l’Italie de
Mussolini dans les enjeux internationaux revête les demandes et les excentricités du
régime d’un versant comique qui contribue à sa fréquente ridiculisation,
particulièrement chez les caricatures de Feliu Elias, Apa. À la même époque, la
méconnaissance de quelques-uns des bases du fascisme mène à qu’on ignore les dangers
que le nationalisme radical entraîne. C’est le cas d’un article sur le futur politique de
l’Allemagne de M. Rossell i Vila qui maintenant nous paraîtrait tout à fait fasciste. En
résumé, il y justifie le caractère nationaliste « consubstantiel à la race germanique154
» et
il recommande aux allemands de suivre le chemin du nationalisme au lieu de choisir
ceux du césarisme ou du socialisme. C’est sans doute un article étonnant quand on voit
le résultat de ce « chemin » ─ rien d’autre qu’une autre forme de césarisme ─ et, du
reste, bizarre dans une revue comme Mirador.
Car, bien sûr, on va très vite distinguer les périls du fascisme, et, au même
temps, des démocraties fragiles, comme Rovira i Virgili avertissait déjà au premier
numéro de la revue. Dans une réflexion très théorique il exposait son opinion sur la
démocratie et les conséquences de la célèbre souveraineté du peuple : « Le nombre, la
foule, est un contrôle et pas une guide155
», concluait Rovira, dans une allusion très
claire aux révolutions à droite ou à gauche qui pouvaient mener à une dictature. C’est un
article curieux qui trouvera, quatre ans après, une sorte de continuation avec un
reportage de Rafael Tasis sur un débat de deux intellectuels, le catholique G.K.
Chesterton contre le socialiste G.B. Shaw, autour du gouvernement des démocraties. La
position de Tasis est franchement favorable au premier, qui défend « la démocratie pure
et simple, avec tous ses inconvénients reconnus et inévitables156
».
Plus en avant, on observe davantage des références régulières à Mussolini et des
articles sur la croissance du nombre de dictatures en Europe ou la montée des nazis en
Allemagne, dont on n’a pas le temps de traiter tous les aspects. On a vu déjà que,
d’abord, les premiers récits sur le fascisme ont souvent un ton assez dédaigneux, car on
154
« La Revolució Política d’Alemanya », 7-II-1929. 155
« Les seleccions », 31-I-1929. 156
« Els intel·lectuals i el govern del món », 30-XI-1933.
57
croit que les dictatures sont une « mode » qui « n’est plus en vogue157
», propre aux
pays arriérés politiquement ; c’est un phénomène temporel dû aux crises économiques
qui va vite échouer. Ainsi, même en Allemagne ce ne serait pas si grave de laisser le
pouvoir aux nazis, car ils vont tout seuls s’entretuer : « Deixem els racistes al poder. En
més poc temps del que la gent es pensa es cremaran les ales158
», on opine en octobre
1930. Jusqu’à 1932, c’est la blague et la satire ce qui domine l’analyse du fascisme, et
on relève cela clairement, par exemple, des plusieurs références à des personnages
fascistes (dont Hitler, Mussolini ou Goebbels) dans « Mirant a fora ».
Pendant ce temps, l’URSS et le Japon ne sont tellement attaqués chez Mirador,
peut-être parce qu’ils sont plus éloignés du terrain politique européen. L’impérialisme
japonais est évidemment condamné comme un danger, mais on le justifie par des
raisons naturelles, comme sa grande surpopulation, même si « humainement ils n’ont
pas de raison159
». La dictature soviétique est traitée autrement, de fois très
bénignement ; ainsi, elle est visitée par J. Terrassa en 1931-32 dans un esprit impartial
de découverte d’une nouvelle société qui peut nous apprendre certaines leçons. En effet,
le reportage du voyage souligne quelques avantages qu’ « ont peut voir, en premier
lieu » si on vient d’arriver au pays, tels la massification de la culture ou de l’éducation.
Pourtant, malgré ces impressions initiales, Terrassa discerne à l’URSS une manque de
commodité et de liberté (une « falta general de confort, de repòs veritable, de
distracció ») et du caractère entrepreneur (il y a une « atròfia de la iniciativa
individual »), ainsi que des autres inconvénients liés au régime politique, une « dictature
personnelle » dont « personne peut contrôler ses décisions arbitraires160
». En
conclusion, il finit par se vérifier la devise des extrêmes qui se touchent et affirmer que
la dictature du prolétariat ressemble dans l’essence au régime tsariste.
Enfin, revenant aux périls plus proches du fascisme, la réalité s’impose et, au fur
et à mesure qu’Hitler se consolide, depuis septembre 1932, au pouvoir en Allemagne,
les articles deviennent de plus en plus sérieux et graves. La politique intérieure, basée
sur l’oppression et les mensonges, est observée et déplorée assez souvent, soit lors des
campagnes électorales et des meetings, où Hitler prononce ses discours démagogues
157
« Contra el perill de dictadura », 24-VII-1930. 158
« Un alemany seriosament pacifista », 2-X-1930. 159
« El Japó a la Manxúria », 26-XI-1931. 160
« La República dels Treballadors », 18-II-1932.
58
(« bolos de propaganda electoral161
») qui excitent les gens, soit quand il met en place,
déjà au gouvernement, les lois et les actions totalitaires qu’il avait promis et qui
achèvent dans une « dictature légale162
». Un exemple de sa politique de menace et de
manipulation est le plébiscite du Sarre, région limitrophe avec la France qui a choisi de
revenir à l’Allemagne, retour que Mirador dénonce effrayé dans plusieurs articles et où
on répète l’argument de la trompeuse et mystique souveraineté du peuple: « molts
confonen la doctrina democràtica de la sobirania del poble amb una afirmació tota
mística d’infal·libilitat de la voluntat popular163
». En plus, ces résultats provoquent
l’exode de beaucoup de familles suite à l’annonce de répressions sans scrupules d’Hitler
qui dit que « només hi haurà vint-i-quatre hores concedides per a les represàlies, i caldrà
anar per feina164
» ; tout un spectacle horrifiant en plein XXe siècle.
Au plan international, on a déjà vu que l’Allemagne va refuser de payer les
réparations de guerre, de respecter la démilitarisation de la Rhénanie et, en général,
d’obéir au traité de Versailles. « Le germanisme s’est éveillé spécialement avec
l’arrivée d’Hitler au pouvoir165
» est la conclusion principale du putsch de janvier 1933
qui a instauré de facto la dictature de l’encore ridiculisé « ex-tinyaire austríac », et il ne
faut attendre qu’une seule année pour qu’on pressente déjà « perillar la pau europea » à
cause de la politique qu’Hitler préconise de « faits accomplis166
», c’est-à-dire d’actions
(militaires) sans l’approbation internationale. La sécurité du continent est « En gravetat
creixent » (« En gravité croissante »), titre d’un article de décembre 1933, voire
inexistante à partir de son arrivée au pouvoir. L’étourdissement face à lui du reste des
nations démocratiques est lamenté et combattu dans Mirador, qui alerte devant ce fait
qu’il serait bête de sous-estimer ce danger (« seria imitar l’estruç negar l’existència d’un
perill167
»). Malheureusement, ces recommandations d’une alliance anti-Hitler ne seront
pas écoutées et le nazisme va amener le continent inexorablement vers une nouvelle
guerre.
161
« La qüestió de les reparacions », 21-VII-1932. 162
« Adolph Hitler », 10-III-1932. 163
« La farsa plebiscitària del Tercer Reich », 23-VII-1934. 164
« El plebiscit del Sarre », 17-I-1935. 165
« Eslavisme i germanisme », 18-II-1933. 166
« La tivantor austro-alemanya », 24-VIII-1933. 167
« En gravetat creixent », 28-XII-1933.
59
Deux totalitarismes affrontés aux idées de Mirador. 25. À gauche, une défilée à Moscou. 26. À
droite, l’entrée des nazis au Sarre en 1935.
« « L’Europe au ras de l’abîme » : l’échec final d’un modèle de l’Europe et de la
Catalogne
En définitive, l’histoire de Mirador vis-à-vis de l’Europe est le récit d’une défaite
absolue. Rien n’illustre mieux cette affirmation que la série d’articles d’H. R.
Knickerbocker « Europa arran de l’abisme » (juin-juillet 1936), un témoignage étranger
formidable de l’insécurité qui plane sur le continent malgré ce nouvel ordre qui était naît
à peu près vingt ans avant, où, du reste, la SdN ne comptait plus. Dans cet été de 1936,
on se retrouve avec les mêmes erreurs et les mêmes craintes que dans cet été fatidique
de 1914 où on avait rentré machinalement dans la Première guerre mondiale. Il semblait
aux intellectuelles et aux hommes politiques de l’époque que cet été serait,
probablement, le début d’un nouveau conflit :
A l’hora actual, Europa és un somnàmbul caminant arran de l’abisme de la destrucció
total, i en el curs de l’estiu vinent, el malson de la guerra s’alçarà i lluitarà contra les
esperances de pau, per a turmentar els 400 milions d’habitants que poblen aquest
continent amenaçat168
.
Selon Knickerbocker, l’Europe avait été jusqu'à cinq fois sur le point d’être en
guerre, très près du fossé qu’elle représente (« prou a prop de la timba perquè hagi
pogut veure la seva esgarrifosa fondària169
»). Il observe que ces moments se répètent
périodiquement, et qu’à cet été lui pourrait correspondre une autre alarme, peut-être la
168
« Europa arran de l’abisme », 4-VI-1936. 169
Ibíd.
60
dernière. Alors, les articles analysent les alliances bilatérales qui vont à la fin
fonctionner, ainsi que les forces qui vont se mesurer, telles les armées des deux géants
allemand et soviétique, ou les flottes méditerranéennes italienne et britannique. Bref, on
est déjà dans une mentalité de pré-guerre, ─ même si le reporteur conclue, après six
longs articles, que « La tension européenne ne va s’aggraver jusqu’au point d’être
accablante qu’à partir de l’été de 1937170
». L’Europe pacifique que Mirador avait
envisagé s’écroulait et débouchait dans une autre course à l’abîme de la guerre
mondiale.
Finalement, donc, l’été de 1936 n’a pas marqué le début du conflit européen.
Pourtant, ce qui ne soupçonnaient pas les rédacteurs de Mirador quand ils lisaient les
nouvelles de Berlin ou de Londres, c’était que ce même été une autre guerre, beaucoup
plus proche, allait commencer. Lorsqu’on attendait le conflit mondial, la guerre
espagnole a éclaté avec toute sa force en face de ces hommes modérés. Le putsch de
l’armée espagnole, le 18 juillet 1936, suivi de la révolution sociale dans presque tous les
coins ou la République avait subjugué les rebelles, a été trop pour la revue. La
Catalogne qu’ils avaient essayé de construire pendant ces années, la Catalogne
européenne et moderne, finissait dans une guerre civile qui aurait comme conséquence
ultime la dictature de Franco. Avant de cela, Mirador avait été, d’abord, réprimandé par
les révolutionnaires à cause des ses opinions trop retenues, puis vinculé directement au
PSUC, et enfin close par ce même parti. Un triste destin pour une revue qui a sans doute
fait fureur et influencé beaucoup à l’époque, et qui reste un référent exemplaire de
l’histoire de la presse catalane.
170
Ibíd., 16-VII-1936.
61
3
L’INTÉRÊT ACTUEL POUR L’UNION EUROPÉENNE ET LES AUTRES
NATIONS
Le traitement en Catalogne de la question des minorités et de leur inclusion dans une
nouvelle Europe reçoit un coup presque meurtrier, comme tout le catalanisme, lors de la
guerre civile (1936-1939) et de la dictature du général Franco (1939-1975) qui la suit. À
partir de la défaite républicaine, une grande partie des hommes politiques et des
intellectuels catalanistes se voient obligés à s’exiler, et ceux qui ne suivent pas ce
chemin rejettent ses idées antérieures ou sont condamnés à la censure et même à la
répression du franquisme, beaucoup plus longue et dure que celle de Primo de Rivera.
Ainsi, pendant les 36 ans de durée du régime, les activités et les efforts
catalanistes vont être orientés autrement, voire à la simple survivance de la langue, de la
culture et de la pensée catalane171
, et pas à la recherche ailleurs d’exemples d’autonomie
ou d’indépendance de nations afin de les copier. L’attention des catalans aux
mouvements des minorités étrangères ne commence à s’éveiller, en général, qu’au
milieu des années 1960, avec des auteurs comme Jordi Ventura, expert dans la question
des minorités en Europe et, concrètement, dans l’occitanisme. Ses livres Les cultures
minoritàries europees (Les cultures minoritaires européennes) et Els catalans i
l’occitanisme (Les catalans et l’occitanisme), celui-ci un excellent résumé de l’histoire
de ce mouvement, sont une exception bizarre parmi le franquisme.
Avec l’arrivée de la transition démocratique, les activités en relation avec
l’internationalisation du cas catalan se normalisent un peu, bien que sans arriver aux
niveaux de la dictature de Primo de Rivera ou de la Deuxième République. La
consécution de la reconnaissance institutionnelle sous la forme d’un autre Estatut
entraîne une relaxation, comme dans la République, des revendications politiques : les
années 1980 et 90 constituent une époque sans un horizon politique claire, ce qui est
représenté par l’attitude plutôt conformiste du président de la Generalitat (1980-2003)
171
Comme curiosité, on trouve quelques livres qui devaient servir à internationaliser le cas catalan, et qui
vont être utilisés désormais à aider à résister l’offensive franquiste et à conserver la catalanité. C’est le
cas de Josep Trueta et L’esperit de Catalunya, ainsi que, quoique moins évident, de Josep Ferrater Mora
et Les formes de la vida catalana.
62
Jordi Pujol et de son parti, le nationaliste de centre-droite Convergència i Unió (CiU).
D’une façon résumée, on peut dire que le catalanisme dominant du période priorise
davantage les résultats concrets, comme les cessions de compétences, au-dessus d’une
stratégie à long terme ou de concevoir un statu différent dans l’Espagne, attitude
renommée en Catalogne avec l’expression peix al cove172
.
Conséquemment, devant l’absence d’une motivation politique définie ou dirigée,
c’est surtout du point de vue culturel qu’on retrouve quelques exemples de
rapprochement catalaniste avec des autres régionalismes ou nationalismes étrangers173
.
Aux années 1970, le CIEMEN (Centre Internacional Escarré per a les Minories
Ètniques i les Nacions) est fondé sous la conviction que
[…] sense la projecció internacional, la nació catalana quedaria estancada. I en
conseqüència, no entraria a formar part del concert de les nacions lliures i seria víctima
de la ignorància o de l’arraconament a l’exterior174
[…]
L’activité de ce centre continue encore, notamment à travers d’un journal digital,
Nationalia, qu’on pourrait parfaitement considérer La España Regional du XXIe siècle
dû à ses infos exclusivement sur les nations sans État en Europe et au monde.
Outre ces liens culturels permanents avec l’extérieur, les circonstances
internationales, comme auparavant, poussent les moyens à voir dans celles-ci quelque
référence pour la Catalogne. Même dans ce période plus ou moins « tranquille » chez
nous, deux événements entraînent une certaine discussion à leur égard : la dissolution de
l’URSS (entre 1989 et 1991) et les référendums québécois (en 1980 et 1995).
Dans le premier cas, on assiste à une floraison de nouveaux états similaire à celle
d’après la Première guerre mondiale, avec à peu près les mêmes protagonistes : dans la
place de l’URSS et de l’ancien Empire autrichien, on verra naître les Pays baltes, la
Biélorussie, l’Ukraine, la République Tchèque et la Slovaquie, ainsi que les six pays
issus de la Yougoslavie175
. Avec tellement d’émancipations, les unes concédées, les
autres pas, on va reconnaître une certaine « résurgence nationaliste176
», tandis qu’on va
172
Apud « Els 5 trets del pujolisme », Ara, 2-VIII-2014. 173
Comme le CAOC (Cercle d’Agermanament Occitano-Català), visant à « fer conèixer a la societat […]
la realitat de la llengua i la cultura occitana » ; les Grups de Defensa de la Llengua, déjà disparus, qui
essayaient de copier le modèle belge ; ou l’Institut de Projecció Exterior de la Cultura Catalana. 174
Aureli Argemí, « Orígens de Nationalia », CIEMEN, <http://www.ciemen.cat/mapespublicacions.cf>. 175
Vous pouvez voir le résultat de la dissolution du bloc soviétique sur le plan de l’annexe 2, partie c). 176
« Per un projecte nacional », Avui, 29-XI-1990.
63
revoir aussi les problèmes que cette idéologie peut entraîner, voir la guerre et le
génocide que les pays des Balkans ont souffert. Ces nations-ci ne seront pas,
évidemment, la référence dans une Catalogne déjà démocratique, mais plutôt les pays
Baltes, qui ont arrivé à l’indépendance pacifiquement. La Lituanie, concrètement (dont
on écrivait déjà suite à la Première guerre mondiale), deviendra le pays approprié avec
lequel se comparer, étant données ses divisions linguistiques similaires aux catalanes et
son chemin particulier vers la séparation, affronté aux désirs de l’URSS177
.
Mais si on parle des comparaisons avec la Catalogne, c’est le Québec178
qui
remporte la plupart de commentaires de ces années, surtout car on y tient deux
référendums d’indépendance dans ce période. Le deuxième, en 1995, emporté par le
« Non » avec seulement 50,58% des voix, est le centre d’une époque d’intérêt pour cette
nation et sa gouvernance. Ici, on retrouve le même Jordi Pujol, qui en Catalogne ne
faisait, obligé ou pas par les circonstances, que quelques gestes en faveur de
l’autonomie, comme presque le seul homme politique qui nous fournit des exemples
claires de comparaisons ; ainsi le démontrent les fréquents voyages à l’étranger de lui-
même ou de son équipe179
.
Pujol fait attention aussi à la dissolution de l’URSS, mais c’est le Québec son
modèle numéro un180
, ce que démontrent les articles de presse qui versent sur cette
particulière préférence, parfois critiques avec lui, parfois en son appui. Par exemple,
Xavier Batalla, dans « ¿Qué Quebec? » (« Quel Québec ? »), démontre l’scepticisme
concernant la comparaison de Pujol et il en questionne la manque d’exactitude : « los
líderes independentistas quebequeses podrían preguntarse a qué Quebec se refiere ahora
el presidente catalán181
», car il y a trop d’aspects qui se ressemblent à peine, comme la
présence dans la province canadienne de plusieurs éléments propres d’un « fédéralisme
asymétrique » qu’on n’a pas en Catalogne. Pujol insistait, pourtant, dans le fait que
« nous aspirons à un statut semblant à celui qui a maintenant le Québec, c’est-à-dire, de
177
Pour plus d’information sur le problème de la langue et le processus lithuanien d’émancipation, voir
Jordi Bañeres i Marc Leprêtre, Lituània dels inicis a la tercera independència (Barcelona: El Llamp,
1990), pp. 53-105. 178
On analysait ses problèmes linguistiques déjà au XIXe siècle: voir supra, note 8.
179 Voir « Traques : a Quebec i a Brussel·les », El Punt, 11-VI-1985 et « Altaveus », Avui, 27-VI-1990.
180 C’est encore son modèle en 2011, comme on relève de l’article du Centre d’Estudis Jordi Pujol « Del
Tribunal Constitucional a la independència. Passant pel Quebec », pas disponible en ligne à cause de la
fermeture de cette fondation. 181
« ¿Qué Quebec? », La Vanguardia, 14-IV-1996.
64
reconnaissance de la personnalité différenciée182
», tout en écartant habilement de ses
objectifs la sécession qu’une grande partie des québécois appuyaient.
Les buts des comparaisons et de la politique étrangères de Pujol sont un peu
confus, mais on en peut relever une idéologie partagée dans presque toute la société
catalane du période : l’européisme. Il faut se rappeler qu’après avoir été abandonné lors
de la Deuxième guerre mondiale, le procès de construction européenne a été repris dès
les années 50. Tout d’abord, on a négocié la constitution d’organismes pratiques (le
premier étant la CECA ou Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) et puis,
lors du traité de Rome en 1957, la création définitive d’une Communauté Économique
Européenne (CEE), intégrant la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et les Pays
Bas. Tout de même, l’évolution de cette nouvelle Union européenne (UE)183
, de plus en
plus grande et unie, ne s’est pas avérée telle que les catalanistes d’avant-guerre
l’attendaient, d’autant plus en ce qui concerne le la structure de gouvernement. En effet,
elle comptait, et compte toujours, avec l’adhérence des États membres pour approuver
et exécuter les lois ; c’est une UE qui dépende et qui est orientée aux gouvernements
centraux, comme Viviane Reding confirmait d’une façon directe, même en train de
parler du cas catalan :
La Unió Europea és una unió d’estats membres, així que són els estats membres els qui
han de veure com és la relació dins dels propis estats membres, amb les seves regions184
.
En revanche, l’Europe que Pujol envisage pendant sa présidence est clairement
orientée aux nations, aux peuples, ce qui n’est pas contradictoire avec cette renaissance
régionaliste de l’Europe des années 90 (selon lui, « une contribution au dynamisme et
au progrès185
»). Convaincu du futur européen de la Catalogne et de l’Espagne186
, il a
appuyé inconditionnellement l’entrée de celle-ci dans l’UE en 1986, peut-être avec
l’espoir d’en faire un pays vraiment moderne et, conséquemment, d’obtenir plus
d’autonomie pour la Catalogne. En ce sens, on pourrait également spéculer sur le but de
182
Ibíd. 183
On ne peut pas la traiter d’une façon plus exhaustive dans ce travail. Pour une synthèse de l’histoire de
ses institutions, de ses objectifs et de son influence, voir John Pinder et Simon Usherwood, The European
Union (Oxford: Oxford University Press, 2013). 184
« Viviane Reding : Per l’amor de Déu : dialogueu. Trobeu un camí sense dividir-vos », Ara, 24-II-
2014. 185
« Pujol apuesta por Europa como « el valor más sólido y prometedor » », La Vanguardia, 7-V-1992. 186
L’européisme est un des piliers du pujolisme selon Xavier Casals, fait démontré par sa promotion du
Patronat Català Pro-Europa ou par sa présidence de l’Assemblée des Régions de l’Europe. Voir « Els 5
trets del pujolisme », Ara, 2-VIII-2014.
65
son épaulement des gouvernements en minorité de Felipe González et de José María
Aznar, qui aurait servi à stabiliser la politique espagnole afin de l’intégrer au sein de
l’UE. Après tout, Pujol a beaucoup intervenu dans la politique espagnole, ce qui lui a
amené la même critique qu’à Francesc Cambó : « vouloir être au même temps le
Bolívar de la catalogne et le Bismarck de l’Espagne187
».
26 et 27. Jordi Pujol, ferme champion de l’Union européenne, organisation ébauchée avec la
signature du traité de Rome en 1957 (à droite).
Par ailleurs, il ne faut pas aller très loin pour trouver ses interventions
européistes, surtout lors des voyages ou lors des visites de diplomates ou d’hommes
d’État étrangers. Par exemple, en 1992 il déclarait que l’Europe pouvait devenir « un
valeur solide et prometteur » grâce à, par exemple, un « contenu culturel dense et
diverse188
». En outre, entre les propositions lancées regardant l’Europe au cours des
années Pujol, on peut citer la revendication de la circonscription catalane au Parlement
européen mais surtout son encouragement, déjà aux portes du XXIe siècle, du débat de
l’officialité du catalan dans l’UE, soutenue par tout le catalanisme. Dans la réception du
Conseil européen, qui s’est réuni à Barcelone en 2002, il a reproché « la faible présence
du catalan » dans cette réunion-là, mettant en valeur aussi la « vocation européenne de
la Catalogne », ce qui lui donnait le statu de « moteur de l’européisme espagnole189
».
Enfin, les efforts pour faire du catalan une langue officielle de l’union, un des derniers
187
« Del mite al contramite », Ara, 2-VIII-2014. 188
Ibíd. 189
« Pujol recibe a las delegaciones con un discurso en inglés », La Vanguardia, 16-III-2002.
66
projets de Pujol et aussi de CiU avant d’abandonner le gouvernement190
, ne vont pas
réussir, en partie à cause des obstacles du gouvernement du Parti Populaire (PP)
d’Aznar, déjà dans une nouvelle étape d’opposition frontale au catalanisme.
Car, depuis la deuxième législature du PP (2000-2004), l’affrontement ne fera
que croître. En 2003, les élections autonomiques entraînent un changement de majorité,
formée par le PSC (socialistes), ERC (centre-gauche indépendantiste) et ICV (éco-
socialistes) qui donne le gouvernement au socialiste Pasqual Maragall. À l’instigation
de celui-ci et du président socialiste José Luis Rodríguez Zapatero, on propose et
approuve au Parlement catalan un nouvel Estatut pour la Catalogne, amélioré et avec
plus de compétences, grâce à l’alliance de ces trois parties avec CiU : c’était une
nouveauté après 25 ans sans guère de changements quant aux compétences nationales,
mais qui devait passer par le filtre des Cortes espagnoles.
D’abord, celles-ci ont tout de suite éliminé une grande partie des articles les plus
souverainistes, et les catalanistes n’ont pu conserver que quelques extraits, grâce à des
accords renommés comme celui entre Artur Mas (chef de CiU) et Zapatero qui
garantissait des transferts d’argent plus ou moins équivalents au célèbre « déficit fiscal »
(ou différence entre les tributs qu’on apporte et les transferts qu’on reçoit) entre la
Catalogne et l’État espagnol. Puis, une fois on l’avait déjà approuvé par référendum en
2006, un arrêt attardé du Tribunal Constitucional (TC) en 2010, en réponde à un appel
du PP, a restreint davantage un Estatut qui a fini par être presque pire que celui de la
transition. L’arrêt a provoqué la colère de la plupart des partis et d’une fraction notable
de la société catalane ; à la fin, au lieu d’un pacte décisif entre la Catalogne et
l’Espagne, ce qu’on a obtenu est un mécontentement permanent d’une grande partie des
catalans, ainsi que l’origine d’une animosité croissante entre les deux côtés.
De plus, la crise économique, ravageant la région (comme tout le continent
européen) depuis 2008, s’est mêlée dans l’affaire dès que l’argent à commencé à
manquer. La Generalitat présidé par Mas, très acculée depuis la fermeture des marchés
de la dette, a accusé constamment l’État de ne pas payer l’argent stipulé par l’Estatut, ce
qui a fomenté les campagnes qui dénonçaient le « déficit fiscal », voire le « vol » des
impôts catalans par et pour le reste de l’Espagne. Enfin, le changement du modèle de
190
Voir « CiU hace un acto de fe en la coalición y se presenta como un equipo que suplirá a Pujol », La
Vanguardia, 28-VII-1999.
67
normalisation linguistique en catalan à l’école a aussi été un point pas seulement de
discussion sinon d’affrontement entre les deux gouvernements. Donc, ce sont ces trois
causes, la déception dû à l’arrêt sur l’Estatut, la pression (selon quelques-uns asphyxie)
économique espagnole et les tentatives du gouvernement espagnol de modifier la loi en
faveur de l’espagnol, celles qui ont poussé et radicalisé une grande partie du catalanisme
vers un horizon politique inusité et minoritaire jusqu’à ce moment : l’indépendance. Le
nouveau courant d’opinion a culminé dans la grande manifestation de septembre 2012,
et, ensuite, le président Mas a convoqué des élections au Parlement qui ont certifié une
majorité en faveur d’un référendum pour décider le futur de la Catalogne : ce
référendum à double question a été fixé un an après au 9 novembre 2014.
28. À gauche, la manifestation à Barcelona pour l’indépendance de la Catalogne (11 septembre
2012). 29. À droite, une manifestation contre cette indépendance (Día de la Hispanidad, 2014).
Ces choix ont eu comme conséquence le conflit où nous nous trouvons
actuellement, qui oppose plus ou moins les partisans d’un vote (la plupart d’eux
indépendantistes) et les unionistes (dont la plupart ne souhaitent absolument pas une
consultation), ainsi que la Generalitat et l’État. Celui-ci est le dernier chapitre de ce petit
commentaire politique ; on est arrivé jusqu’ici dans le but de voir comment on utilise
dans ce contexte du « procès souverainiste » les comparaisons avec des autres nations,
sans oublier la question de l’appartenance à l’UE. De cette manière, on va essayer de
résumer quelques opinions, d’un côté et de l’autre, qui ont paru dans la presse
récemment, c’est-à-dire dans les deux dernières années (septembre 2012 - septembre
2014).
68
Le premier aspect qu’on peut relever est la distinction nette dans tous les moyens
entre la problématique de la sécession dans des états étrangers et le débat sur la future
appartenance ou expulsion de l’UE. En général, les uns discutent, par exemple, soit sur
la validité d’un référendum illégal (pourvue des autres cas comme celui du Kosovo),
soit sur les points en commun avec l’Écosse ; les autres, de moins en moins présents, ne
regardent que l’acceptation ou pas d’une Catalogne indépendante au sein de l’Union.
On n’a retrouvé qu’un ou deux articles qui attachaient les deux questions, parmi
lesquels « Otros tricentenarios191
», du philosophe Jordi Graupera. Profitant de la
renommée du tricentenaire des faits de 1714, il esquisse un parallélisme entre le conflit
Espagne-Catalogne et une tendance générale (une « histoire ignorée ») de ces trois
siècles, celle de « l’infatigable destruction des minorités en Europe ». Telles que les
hommes de Mirador ou Pujol pensaient, Graupera croit que l’UE devait franchir cette
étape de mépris des minorités, mais les élites des états l’ont enlevée pour la reconvertir
en une autre prison (« la enésima jaula de las minorías ») : elle a contribué à la
« résignation » des minorités tout en offrant un marché unique cosmopolite. De ce fait,
il conclue, c’est cet organisme qui doit réagir maintenant qu’une partie du pays
demande de changer le statu national.
Un deuxième aspect qu’on a observé est la croissante instrumentation des
comparaisons, surtout dans le cas de la Crimée et des autres pays récents de l’Europe de
l’est, singulièrement le Kosovo. Le gouvernement espagnol a exhibé l’affrontement et la
séparation de la péninsule de l’Ukraine comme l’exemple du cataclysme qui se passerait
en Catalogne si on insistait sur le référendum ; puisque dans les deux cas on voulait
violer la Constitution d’un État, le ministre d’Affaires Étrangers José Manuel García-
Margallo a jugé qu’il s’agissait d’un « parallélisme absolu192
». Comme le démontrent
parfaitement les caricatures de l’annexe 4, côté Catalogne on a très vite refusé toute
comparaison malvenue avec une région qui avait appelée aux armes afin de se séparer,
outre le fait qu’elle avait un protecteur étranger (la Russie) qui n’a pas d’équivalent dans
le cas catalan.
De son côté, le bloc indépendantiste a cherché ailleurs des modèles de
séparations légales et accordées pour démontrer à l’État et, indirectement, aux catalans,
191
« Otros tricentenarios », La Vanguardia, 3-V-2014. 192
« El PP arrecia sus ataques a Mas con acusaciones de extremista y radical », La Vanguardia, 18-III-
2014.
69
la viabilité d’un référendum et d’une future indépendance. L’accord exemplaire entre
l’Écosse et la Grande-Bretagne était une comparaison idéale avec l’attitude de refus du
gouvernement espagnol. Quoique la même Generalitat, dans un informe officiel, ait
qualifié d’ « impossible193
» tout rapport, plusieurs débats de la campagne écossaise se
sont introduites parmi la catalane très facilement. « S’il y a quelque élément qui met sur
le même plan la question écossaise et la catalane il s’agit, sans doute, de la tranquillité
jusqu’à présent des investisseurs sur ce sujet », rassurait, par exemple, Manel Pérez,
chef d’économie de La Vanguardia, en avril 2014, placidité due au fait, pourtant, que
« se consideran muy remotas las posibilidades de que las independencias propuestas se
conviertan en realidad194
».
Carles Casajuana ignore aussi les recommandations de la Generalitat et, outre la
question de la langue, il contraste les deux cas en utilisant le nombre de présidents
catalans de l’Espagne avec les premier ministres écossais ou de famille écossaise de la
Grande-Bretagne : depuis la deuxième guerre mondiale, cinq pour l’Écosse, pendant
que la Catalogne n’en a aucun depuis 1873. Enfin, ce n’est qu’une autre preuve qui
renforce le doute : « ¿No dice esto algo llamativo sobre las relaciones entre Catalunya y
el resto de España195
? ». Enfin, il ne faut qu’on observe le titre d’un documentaire de la
chaîne 8tv juste avant le référendum, « La Catalogne regarde vers l’Écosse », pour voir
l’intérêt à mettre en rapport les deux nations et la relevance du cas écossais maintenant
qu’on s’approche de la date du 9-N.
La Flandre et ses revendications seront aussi un modèle « sérieux » pour les
catalanistes, dû à une certaine similarité du problème linguistique et à la sensation des
flamands qu’ils soutiennent trop à la Wallonie ; on montre des nouvelles des études sur
les conséquences d’une indépendance flamande196
, ou tout simplement de l’évolution
des projets d’améliorer la fédération. En fait, tous ces pays du nord sont les modèles de
certains penseurs souverainistes qui croient à une Catalogne indépendante sociale-
démocrate et, en général, européenne. Le livre Com Àustria o Dinamarca. La Catalunya
193
« Un informe del Govern ve « imposible » el paralelismo con el proceso escocés », La Vanguardia,
21-III-2014. À son avis, l’attitude différente du gouvernement britannique et l’absence d’un conflit
identitaire sont les raisons du dissentiment. 194
« Escocia, Catalunya y los mercados », La Vanguardia, 20-IV-2014. 195
Dans « De Escocia a Catalunya », La Vanguardia, 17-V-2014. Il fait un intéressant parallélisme entre
les figures intellectuelles renommées écossaises qui ont écrit en anglais et les catalanes qui ont écrit en
espagnol. 196
« La independencia costaría a Flandres 237.000 millones », La Vanguardia, 18-III-2014.
70
possible prend comme exemple, depuis tous les points de vue, ces deux pays-ci, ainsi
que la Belgique, la Finlande, la Norvège, l’Hollande, la Suède ou la Suisse197
.
Un autre penchant du débat est celui de la légalité du référendum, aspect peut-
être le plus commenté depuis le début du « procès »198
. D’un côté, si on veut délégitimer
une consultation faite à n’importe quel prix, on peut exhiber les votes « chaotiques » et
sans aucune reconnaissance internationale qu’Albert Branchadell199
énumère dans un
article de l’Ara. L’indépendance du Kosovo de la Serbie, de la Transnistrie et de la
Gagaouzie de la Moldove, de l’Ossétie du Sud de la Géorgie… Ils sont tous des
exemples négatifs de vouloir exercer le « droit à décider » unilatéralement, qui finissent
par isoler et, ainsi, par nuire aux terres concernées (« ajudar al territori afectat a
ingressar en la categoria dels conflictes congelats200
»). De l’autre côté, de même que
l’accord écossais, les référendums québécois représentent l’antécédent « sérieux » : les
faits sont assez récents et ils sont le produit d’une cession accordée entre les deux
parties, quoique temporelle, des compétences pour les convoquer. Le Québec redevient
par conséquence le sujet de beaucoup de comparaisons parfaites pour ceux qui sont
favorables au « procès ».
Mais des écrivains comme Rafael Jorba interprètent différemment les cessions
canadiennes et britanniques. Selon son point de vue favorable au fédéralisme201
(car on
trouve des personnes qui sont au milieu de cette dialectique), le cas catalan est tout à fait
unique :
197
Voir Xavier Cuadras Morató, Modest Guinjoan, Miquel Puig, Com Àustria o Dinamarca. La
Catalunya possible (Barcelona: Pòrtic, 2013). 198
C’est intéréssant à noter, quant aux questions elles-mêmes de référendums passés, la liste publié dans
« Les preguntes dels referèndums », El Temps, 10-XII-2013. 199
Du même auteur, fréquemment opposé aux maximes indépendantistes, on trouve une étude sur les
conséquences d’une politique mono-linguistique dans un État catalan en observant celle de la Lettonie
postsoviétique. Voir Albert Branchadell, « Les llengües a Letònia », L’avenç, 393 (septembre 2013), pp.
43-47. Pour une réponse à cet article, voir Lluís Jou, « El català i les llengües oficials als petits estats
europeus », L’avenç, 394 (octobre 2013), pp. 6-9. 200
« Referèndums il·legals : de Kosovo a Gagaúsia », Ara, 2-II-2014. 201
Il défend cette solution plusieurs fois, en utilisant constamment des exemples internationaux. Voir, en
ce sens, « La vía federal según Dion », La Vanguardia, 29-III-2014, d’après une conférence à Barcelone
du libéral québécois Stéphane Dion, et aussi, quant au sujet des possibles éléctions plébiscitaires,
« Plebiscitos en democracia », La Vanguardia, 25-X-2014.
71
El escenario de Catalunya no es el de Escocia ni el de Quebec ; tampoco el
Gobierno de España responde como lo ha hecho la Gran Bretaña o como lo hizo
en su día el de Canadá202
.
Pour justifier cette affirmation, il cite le problème de la question du référendum, qui est,
selon lui, confuse en Catalogne lorsqu’elle est précise en Écosse. Au Canada, il ajoute,
on vient d’approuver une « loi de Clarté » qui stipule une question et une majorité
claires dans le cas d’un référendum. D’autre part, il rappelle que « la voie catalane ne
cadre non plus avec les modèles du Québec et de l’Écosse » ; c’est-à-dire, là-bas on
retrouve des lois qui soutiennent la recherche d’un pacte, lorsqu’ici on a un conflit qui
est, certes, la faute des euphémismes et l’unilatéralité de Mas, mais aussi du fait qu’on
comprend la Constitution comme « le toit de l’édifice et pas ses fondements ». En
conclusion, on doit chercher un pacte et réformer la Constitution pour maintenir la
cohésion des divers peuples de l’État.
Après avoir vu ces points de vue, on peut se demander pour finir si on peut
généraliser, systématiser ou, en définitive, comparer ces processus d’émancipation
contemporaines avec le procès souverainiste catalan. La presse anglo-saxonne, qui
craignait, comme les marchés, une indépendance écossaise, n’hésitait pas à mettre tous
les mouvements dans le même sac et ne cessait pas d’avertir sur ses conséquences au
continent à cause des tensions qu’elle créerait : « Perciben tensiones en Cerdeña, en
Tirol del Sur, en Flandes… Si en Escocia gana el sí […] ¡Europa se desintegra! 203
»,
ironise le journaliste économique Ramon Aymerich.
Cette interconnexion des mouvements indépendantistes pourrait être un idéal
pour quelques-uns ; le philologue Josep Maria Ruiz Simon, au contraire, ne le pense
pas. D’après un épisode hasardeux du Parlement catalan, où on vote sur
l’autodétermination des peuples kurde, sahraoui et palestinien, il analyse l’histoire de ce
droit, comparable au « principe des nationalités204
» que le président américain Wilson a
imposé lors de la Première guerre mondiale. Celui-ci peut être, en théorie, un bel
principe, mais il a été utilisé souvent d’une façon partiale. Sans aller plus loin, il a été
l’excuse pour la répartition des zones d’influence de la France et de l’Angleterre après
202
« Ni Escocia ni Quebec… », La Vanguardia, 21-XII-2013. C’est une deuxième partie de « De Escocia
a Quebec », La Vanguardia, 15-VI-2013. 203
« El anclaje continental », La Vanguardia, 13-IX-2014. 204
« Los principios y los intereses », La Vanguardia, 15-VII-2014. Cette expression apparaît, en effet,
dans les articles d’après la Première guerre mondiale de Rovira i Virgili ; voir supra p. 17.
72
cette guerre ; l’excuse, comme on a vu, pour que le gouvernement allemand d’après-
guerre ait revendiqué des territoires où habitaient les minorités germaniques ; et, tout de
suite, il a été aussi l’un des moyens (la « légitimation diplomatique ») des campagnes
militaires d’Hitler. À partir de ce tragique parcours on peut affirmer qu’ « une des
utilités des principes généraux c’est de légitimer des intérêts particuliers » ; attention,
donc, aux généralisations.
30 et 31. Les voix (lors du référendum pour l’indépendance de l’Écosse) contre les tanks (lors
de la guerre du Kosovo) : deux modèles dont la plupart des catalanistes choisissent le premier.
Pour finir la dernière partie, voyons le rôle dans cette histoire des articles sur
l’UE, autant sur le plan de ses réactions au procès, autant sur le plan de la possible
accession à l’union d’un État catalan. En fait, ces reportages sont devenus de plus en
plus sporadiques au cours de ces deux années du procès, mais les articles et les experts
sont quand-même assez recherchés par les deux côtés de la dispute.
Quant aux réactions, on voit assez de commentaires sur la Commission
Européenne (CE) et son point de vue lors des grands succès indépendantistes, tels les
diades en 2012 et 2013. Dans les faits, sa position a demeuré toujours impassible et
neutre, en argumentant que l’UE ne doit pas intervenir dans des discussions internes des
États. Ainsi se sont prononcés trois des cinq candidats à la présidence de la CE,
d’ailleurs les plus votés, quand le thème de la Catalogne est entré dans le débat des
élections de mai 2014205
: « Je suis favorable au principe qu’il faut toujours respecter les
constitutions nationales », a dit le conservateur Jean-Claude-Juncker ; « c’est un sujet
dans lequel l’UE ne doit pas s’immiscer, surtout en négatif, comme l’a fait Barroso », a
205
« Europa pasa por Catalunya », La Vanguardia, 16-V-2014.
73
nuancé le libéral Guy Verhofstadt. Toutefois, les deux autres candidats, notamment
l’écologiste Ska Keller, ont défendu le droit a l’autodétermination des nations comme la
Catalogne. Depuis la Commission européenne, la seule exception vient de la
commissaire Viviane Reding206
, qui a plaidé plusieurs fois pour la négociation aux deux
parties, réclamant que
[…] per l’amor de Déu, seieu en una taula i trobeu en una solució […] m’encanta la
vostra gent, la vostra cultura […] i no m’agradaria que marxéssiu, m’agradaria que us
quedéssiu […]
Néanmoins, elle n’ôte pas leur importance aux traités de l’union qui limitent
décisivement ses compétences vis-à-vis les états membres.
En ce qui concerne les spéculations sur les relations entre un État catalan et
l’UE, beaucoup d’études et d’analyses ont circulé (de moins en moins suite aux
élections de 2012) qui annoncent les problèmes pour y rentrer si on devient
indépendants. Un des plus récents, « Catalunya y la Unión Europea207
» (« La Catalogne
et l’Union Européenne »), signé par les experts Joan Ridao et Alfonso González Bondia,
certifie d’après un informe de la Generalitat que la Catalogne aurait quatre voies pour y
accéder, dont aucune, pourtant, « défend l’admission automatique ». Alors, trois des
options pronostiquent une « réponse de l’UE […] affirmative à l’admission du nouvel
état à travers des diverses formules juridiques », tandis que la quatrième présuppose un
« veto sine die » de l’Espagne à l’entrée de la Catalogne. Dans ce cas-ci, elle serait
obligée de s’adhérer à des accords commerciaux moins étendus (« de relación bilateral o
multilateral de carácter comercial o con […] la Asociación Europea de Libre
Comercio »).
Pourvu toutes ces possibilités, tout le thème est aujourd’hui doté de différentes
interprétations (« hoy por hoy y sin precedentes idénticos al caso que nos ocupa, esta
cuestión […] [es] opinable »). De plus, le silence de la CE quant à la possible
indépendance a continué sépulcral, brisé seulement quand la même Viviane Reding a
déclaré polémiquement en 2012 qu’aucun traité ne réglait l’expulsion automatique de la
206
« Viviane Reding : Per l’amor de Déu : dialogueu. Trobeu un camí sense dividir-vos », Ara, 24-II-
2014. 207
« Catalunya y la Unión Europea », La Vanguardia, 5-V-2014.
74
UE208
, ou par Joaquín Almunia, qui a dit que « ce n’est pas honnête de dire que la
Catalogne resterait dehors de l’UE209
».
De cette manière, on a aussi songé et débattu sur les conséquences d’une
Catalogne qui n’était complètement européenne, situation que peu de personnes
souhaitent. Parmi beaucoup de présentations catastrophiques ou idylliques selon la
sphère politique, on a choisi un article représentatif puisque ce sont plusieurs auteurs
pour et contre l’indépendance qui le signent. Publié lors de la campagne des élections de
novembre 2012, « Independencia, euro y UE210
» (« Indépendance, euro et UE »)
reconnaît que l’expulsion de l’UE est vraisemblable et donc qu’on doit l’accepter
quoique temporellement, mais prévient contre les alarmismes qui anticipent un
effondrement de l’économie. Par exemple, devant la question de la divise ils rassurent
que « une Catalogne indépendante et hors de l’Union européenne ne devrait pas
abandonner l’euro », même si « elle ne pourrait pas proposer des candidates pour faire
partie […] de la Banque Centrale Européenne », condition pas si grave donné le rôle
dérisoire qu’une Catalogne indépendante aurait dans la politique économique de
Bruxelles.
32 et 33. L’UE demeure essentielle autant pour les indépendantistes (à gauche) que pour
les unionistes (à droite, logo d’une campagne du parti unioniste Ciutadans).
208
Voir « Ninguna ley dice que Catalunya debe salir de la UE si se independizara », Diario de Sevilla, 30-
IX-2012. Le gouvernement espagnol a tout de suite souhaité une rectification de la commissaire, qu’il a
obtenu : voir « Reding aclara que si Catalunya se independiza de forma unilateral saldría de la UE », La
Vanguardia, consulté sur <http://www.lavanguardia.com/politica/20121030/54353650784/bruselas-
catalunya-ue.html>. 209
« La UE resiste a la presión y no se moja », La Vanguardia, 31.X-2014. 210
Voir « Independencia, euro y UE », La Vanguardia, 18-XI-2012. C’est un article circonscrit dans la
série « Las nuevas relaciones Catalunya/España : la economía », très objective quant à cette question.
75
En définitive, l’article défend qu’une Catalogne hors de l’Europe est viable
économiquement. Au même temps, il démontre, et il n’est pas le seul à le faire, qu’une
des préoccupations, pour l’instant, des catalans est si ce procès va les amener à perdre
leur statu d’européens, et si on va devenir, par la même, un pays marginé de ce
continent lorsque, d’après les mots informés de Reding, les catalans ont un « sentiment
profondément européen211
». En attendant la résolution du conflit sur le référendum, on
peut dire que la mentalité européiste demeure toujours en grand nombre dans la société
de nos jours.
211
« Ninguna ley dice que Cataluña debe salir de la UE si se independizara », Diario de Sevilla, 30-IX-
2012.
76
CONCLUSIONS
L’extension limitée de ce travail de recherche ne permet pas d’explorer à l’aise tout ce
qu’on voudrait savoir sur la question analysée ; évidemment, il ne constitue qu’une
sélection d’exemples pour faire une esquisse de la vision catalaniste de l’Europe des
dernières 130 années. Quand-même, les grandes lignes qu’on avait profilées à la préface
se sont vues plus ou moins confirmées ou rejetées, et on peut passer, par la suite, aux
essais de réponse des questions qu’on se faisait au début du travail.
On se demandait, alors, si les comparaisons individuelles avec des autres
nationalités et l’européisme d’une partie des catalanistes étaient vraiment deux facettes
d’une même médaille, visant l’ « Europe des nations » face à l’ « Europe des états ».
Après avoir lu tous ces témoins, on peut affirmer qu’il y a une ressemblance quant à
l’origine et à l’objectif des articles ou des livres des deux tendances, mais qu’elle arrive
jusqu’à certaines limites. Par exemple, d’après les articles de Nicolau d’Olwer,
notamment son Idees i fets sobre Paneuropa, l’allusion au conflit des nationalités est
facilement relevée bien qu’il parle d’une possible unification du continent européen ;
alors que, d’après les numéros de Mirador, la double intentionnalité est moins évidente
que ce qu’on soupçonnait. Certes, on peut y trouver quelques articles sur les minorités
européennes, ou des allusions à leur combat lors des conflits impérialistes
internationaux (sans parler de la section de politique espagnole), mais lorsqu’on parle
du projet d’unification de Briand, ce thème-là disparaît et on montre un enthousiasme
irréprochable pour le plan et pour l’union des états, combiné avec une critique aigue aux
mysticismes nationalistes. Bref, ce n’est ni blanc ni noir, surtout dans le cas des
contradictions de Mirador ; comme le prouvent les articles actuels, il existe un certain
degré de séparation (ou de mélange, de même) entre le problème des nationalités et
l’aspiration à une Europe unie.
D’autre part, après cette réflexion sur l’hypothèse, on peut répondre à un autre
objectif avec sûreté. L’idée de l’ « Europe des nations » suit un parcours continu tout au
long de l’histoire du catalanisme, de La España Regional aux discours de Pujol,
jusqu’aux débats actuels sur l’accession de l’Écosse (ou de la Catalogne) à l’UE. La
revendication de la nation comme l’élément de base d’une Europe juste se répète
périodiquement, avec des moments d’euphorie comme la fin de la Première guerre
77
mondiale ou la dissolution de l’URSS, et elle va associée à la demande d’un organisme
supranational qui défende les identités des nations qui ne sont pas reconnues, soit avec
la SdN aux années 20 ou avec l’UE aux années 90.
Cependant, comme réponse au deuxième objectif, derrière de tout article ou
étude qui identifie la Catalogne avec le reste de nations européennes on a presque
toujours une motivation politique ou un objectif national. Ceux-ci sont très évidents lors
des interventions de Pujol avec le Québec ou du gouvernement espagnol actuel avec la
Crimée ; ils utilisent cette méthode de la comparaison avec un cas étranger pour
convaincre la population du chemin correct à suivre. D’ici à la manipulation il n’y a
qu’un pas, et, donc, on doit conclure que, même si les finalités tactiques sont une partie
inhérente à ce type d’analyses, elles les nuisent quelquefois excessivement pour qu’ils
soient une source véritable. Au contraire, les essais de démontrer à la communauté
internationale le statu européen de la Catalogne, soit les objectifs internationaux, qui
apparaissent de pair avec les situations d’oppression (dictature de Primo de Rivera) ou
d’affrontement (l’actualité), n’ont pas autant d’influence, en général, sur le contenu des
textes dû au fait qu’ils sont plus sporadiques.
Mais est-ce que les auteurs des comparaisons avec des autres nations ou des
approximations à l’Europe ont réussi à créer, en Catalogne, un état d’opinion relevant ?
Leur succès est complètement discutable, car on ne saurait compter ni combien de
personnes ont changé de point de vue dû à ces articles qui unifient, d’une certaine
manière, le cas catalan avec l’extérieur, ni les personnes auxquelles ces facteurs ne lui
provoquent aucune réaction. Les faits nous disent, tout simplement, qu’on continue à les
écrire ou à les produire, et que, subséquemment, ils doivent avoir un effet sur les
votants. Au plan international, les objectifs de propager une vision de la Catalogne
européenne ont pendant ce siècle et demi échoué brutalement car ils ont eu une
répercussion presque nulle. Il ne faut que regarder aux interventions au CNE des années
20 ou à la toute petite participation aux actuels organismes de Bruxelles (une
incontestable « Europe des états ») pour constater cette thèse.
Passons maintenant à l’objectif qui concerne Mirador. D’après l’analyse de tous
ces numéros et « pages 3 » de politique internationale, on a appris la valeur que les
hommes de cette revue détiennent comme des garants et des exemples de l’européisme
catalan d’avant-guerre, adjectifs basés sur leur observation et leur minutieux
78
dévouement aux questions politiques les plus actuelles qui se discutaient en ce moment
en Europe, ainsi qu’à l’art et à la culture du continent. De plus, on a vu que le poids de
l’espace consacré à la politique européenne dans l’ensemble de la revue n’était pas du
tout méprisable, et que l’entreprise avait, en rapport avec la presse et la société, un statu
spécial qui en fait un accident dans la Catalogne politisé de l’époque. De tout cela on
peut déduire que Mirador constitue une contribution bizarre à l’histoire de la presse, de
la politique et de la culture catalane.
Pour finir, on s’était aussi proposé dans la préface d’extraire quelques leçons du
travail qu’on pourrait appliquer à la réalité actuelle. D’abord, puisqu’elles ont une
répercussion du moins moyenne sur l’électorat, on devrait dénoncer, si cela était
possible, la manipulation des données et des circonstances en rapport avec la situation
politique d’une autre région ou nationalité avec quelques traits similaires. Par malheur,
cette pratique est de plus en plus étendue à cause du contexte du procès souverainiste, et
donc elle serait difficile à renverser. Puis, on pourrait aussi appliquer l’idée de Mirador
d’avoir une plus grande confiance dans les institutions européennes (pas dans les
gouvernements eux-mêmes), sans que cela implique une aveugle autorisation de tout ce
qui provient de la Commission et du Parlement européen. Finalement, et d’un point de
vue d’un catalaniste modéré, c’est également intéressant de remarquer l’unité avec
laquelle, avant la guerre civile, les partis ou les groupes catalans (de la Lliga
conservatrice à l’Union Socialiste de la Catalogne) agissaient à l’extérieur lorsqu’il était
question de défendre, face à l’opposition d’un gouvernement aussi peu indulgent que
maintenant, les intérêts de la Catalogne et des catalans.
79
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<http://dolcacatalunya.com/2014/09/23/confirmado-manifestacion-unitaria-el-12-o/>
30. Votants lors du référedum d’indépendance d’Écosse.
<http://fullcomment.nationalpost.com/2014/09/12/john-ivison-as-referendum-nears-
scotland-seems-on-the-verge-of-a-nervous-breakdown/>
31. Défilée de tanks lors de la Guerre du Kosovo
<http://voiceseducation.org/content/review-natos-war-over-kosovo>
32. Drapeau indépendantiste et de l’UE
<http://www.ara.cat/mon/Comissio-Europea-independencia-Catalunya-
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33. Logo d’une campagne du parti Ciutadans
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85
ANNEXE 1. INTERVIEW A BORJA DE RIQUER
Cette interview a eu lieu le 6 mai 2014, au bureau du professeur Borja de Riquer,
professeur agrégé d’Histoire Contemporaine de l’Universitat Autònoma de Barcelona.
En el procés sobiranista que es viu a Catalunya des de fa un temps sovint es fan
comparacions amb altres països o regions en procés d’emancipació, com ara
Escòcia o Crimea, com de fet ja s’esmentava de vegades, en època del president
Pujol, el cas del Quebec o el dels països bàltics. M’agradaria demanar-li, per
començar, què en pensa d’aquestes comparacions: creu que s’instrumentalitzen
políticament o hi ha una base històrica per fer-les?
És clar, són històries diferents, tot i que, evidentment, hi ha elements similars i
susceptibles de ser comparats. El que passa és que, normalment, fins i tot les causes dels
moviments tenen poc a veure. És cert que hi ha, en alguns casos, un element comú,
podríem dir-ne el “dret a decidir”, és a dir, el dret d’una comunitat a poder expressar
com vol organitzar-se políticament; en d’altres aspectes, no. Per exemple, el procés de
Crimea sense els russos al costat segurament no hauria tingut lloc i, en el cas d’Escòcia,
segurament sense el fair play britànic la cosa tampoc no hauria rutllat. Per tant, és cert
que els historiadors hem de buscar els elements específics i els elements comuns; ara,
avui dia el cas català és històricament molt diferent dels altres.
També ho és, per exemple, del cas del Quebec?
Sí, perquè en el Quebec hi ha hagut un fair play que no hi hagut aquí: el nacionalisme
canadenc mai no ha jugat a fons negant l’existència del Quebec. En el cas espanyol no
és així: el nacionalisme espanyol ha negat l’existència de la nació catalana i continua
negant-la, i això que és una qüestió que ve de lluny. Per tant, d’entrada s’estableixen
unes relacions diferents. En el cas canadenc, fins els més pro-britànics sempre em diuen
que el Quebec és diferent!
És a dir, que sí que s’instrumentalitzen, en general, aquestes comparacions?
Sí, definitivament.
86
Buscant una mica, he vist que aquest interès per fer comparacions ja el trobem des
dels inicis del catalanisme. Concretament, he vist que a la revista La España
Regional hi ha, de l’any 1890 al 1893, una secció dedicada especialment a això: “El
regionalismo en el extranjero”. Podria explicar, a grans trets, quina era la possible
motivació política darrere d’aquests articles? Quina era ben bé, doncs, l’orientació
política dels col·laboradors de la revista, que s’anomenaven regionalistes? Quines
diferències tenia aquest catalanisme amb l’actual?
La España Regional, per entendre’ns, és una revista catalana publicada en castellà que
el que vol és plantejar la qüestió del regionalisme a tot Espanya. Evidentment, com que
està feta per catalans, parteix molt dels pressupòsits catalans, però hi conviden i hi
participen gallecs, bascos, navarresos, castellans, entre d’altres, per intentar incentivar
un cert regionalisme espanyol de diferents territoris més o menys històrics, perquè en
aquests moments, a tot Europa, la qüestió dels nacionalismes està prenent força. A partir
de la primavera dels pobles de 1848, sobretot a Centreeuropa, el fet que s’estaven
construint uns estats nous, estats moderns, liberals, burgesos, que no coincidien amb els
pobles històrics, es converteix en un tema polític fonamental. Per això, aleshores, els
polítics catalanistes l’incorporen i diuen que Catalunya no és un cas específic, que es
vegi el que està passant amb els txecs i els hongaresos, amb Grècia o amb Irlanda; per
tant, que a tot Europa hi ha estats, a vegades en forma d’imperi com el rus o l’austríac,
que inclouen pobles diferents, i això és anormal i hi hauria d’haver un reconeixement
(que no vol dir independència) d’aquestes realitats històriques, culturals i fins i tot
religioses: tot això adquireix una gran relleu. Aquí és on els catalanistes volen apuntar-
s’hi, per buscar similituds i diferències, per veure si és un fenomen comú que es pot
aplicar aquí. Per exemple, el model de la monarquia dual austrohongaresa és un
referent, ja que es pot fer que el rei d’Espanya sigui rei de Castella i rei de la Corona
d’Aragó, i que dins de la Corona d’Aragó hi hagi diferents corts o dietes que permetin
tenir un legislatiu propi, etc. Això, el tema d’una monarquia dual amb el reconeixement
d’Hongria, serveix a Catalunya, com més endavant servirà el cas d’Irlanda, amb Parnell
i la irrupció en els Comuns britànics de parlamentaris irlandesos que diuen que Irlanda
és diferent i que té dret a un autogovern, a un Home Rule, que tampoc vol dir
independència del tot. Després apareix el cas dels txecs, i, per exemple, hi ha un fet
famós: quan l’emperador va a Praga a principis del segle XX, l’alcalde se li adreça en
txec i li planteja les reivindicacions dels txecs; després ja li tradueix a l’alemany, però se
87
li adreça d’entrada en txec. És clar, aquests gestos (o tot el que significa, per exemple, la
lluita per la independència de Grècia, el front dels turcs que dura tot el XIX però que a
finals de segle és molt important) provoquen respostes, com ara un famós missatge de
solidaritat dels catalans al rei Jordi de Grècia que crea molt conflicte en comparar
l’opressió otomana sobre Grècia amb l’opressió espanyola sobre Catalunya, cosa que no
fa cap gràcia als polítics espanyols.
I hi havia hagut abans manifestacions d’aquesta mena. He llegit sobre la Unió
Catalanista (UC), però m’agradaria saber ben bé quin és el paper d’aquesta
associació en la política catalana.
La UC té com a element innovador que és una associació molt plural, de catalanistes de
tota mena, a la qual es pot estar adherit individualment o col·lectivament, és a dir, hi
poden ingressar entitats i persones. Té un ideari molt genèric, molt lax: per exemple, els
membres no es defineixen ni monàrquics ni republicans, ni catòlics ni laics, ni
d’esquerres ni de dretes... Per tant, dins de la UC pot entrar-hi tothom, i aquest és
l’objectiu: tots els catalanistes, tothom que se senti catalanista, és a dir, tothom que
cregui que Catalunya és la pàtria, que necessita reconeixement institucional i que s’ha
de fer propaganda dins de Catalunya perquè la gent en prengui consciència. Per tant, la
primera actuació és interna, propagandística, que vol dir actes, conferències,
publicacions, revistes, revistetes... Després, cada cop que es planteja la qüestió de fer
política ja ve la controvèrsia, perquè fer política vol dir presentar-se a les eleccions, i en
quines eleccions? Contra els partits espanyols? A tot arreu? Aquí és on no es posen
d’acord. En canvi, sí que es poden fer manifestos i missatges. Així el que el 1888, quan
l’exposició de Barcelona, Àngel Guimerà redacta adreçat a la Reina regent i molt
centrat a comparar Catalunya amb el cas d’Àustria-Hongria: s’adreça a la regent com a
Maria Cristina d’Àustria, com a arxiduquessa d’Àustria. Llavors diu que el que s’ha fet
a Àustria es podria fer a Espanya, i altres coses. Amb la crisi del 98, hi ha més
manifestos, i després hi ha els manifestos com el del rei Jordi de Grècia, que ja he
esmentat. Són manifestos signats per moltes persones, cada cop més, i també per
entitats, que poden ser culturals, recreatives, colles sardanistes, revistes, de tot.
88
Tornant a la qüestió del catalanisme regionalista, l’orientació política general de
l’època, doncs, no és d’independència sinó de...
... de reconeixement del fet diferent, i que això s’ha d’arbitrar d’alguna forma
administrativa i política, que no vol dir independència necessàriament, perquè hi ha
casos, com el d’Hongria, en què no hi ha una independència. Els irlandesos es belluguen
entre reconeixement i govern propi, que tampoc vol dir independència.
I Valentí Almirall, teòric del catalanisme, tenia en compte també els models
estrangers?
Almirall coneix molt bé el model suís i el model nord-americà. És federalista, i llavors
té fins i tot un llibret sobre Suïssa, un model confederal, i molts articles sobre els
EE.UU. El 1886, a Lo catalanisme, de fora en parla molt poc, però coincidint amb Lo
catalanisme, l’any 1885 o 1887 té aquest llibret sobre Suïssa.
Més endavant, aquestes comparacions continuen en els anys previs a l’arribada de
la Mancomunitat, sobretot en diaris com La Veu de Catalunya, pròxim a la Lliga
Regionalista. En aquest període del primer decenni del segle XX, quin és el paper
de la Lliga en el context polític, sobretot a partir de la Solidaritat Catalana? A què
s’aspirava ben bé a través d’una mobilització transversal com aquesta?
A principis de segle hi ha la irrupció dels catalanistes, de la Lliga en aquell moment, en
la política espanyola. Aconsegueixen diputats a Madrid, i amb la Solidaritat encara més,
que, com a organització plural, treu 40 parlamentaris. Per tant, la qüestió catalana es
planteja dins de la política espanyola: aquest és el fet nou. Es pensa en un
reconeixement progressiu de les peculiaritats i anar veient com es pot arribar a unes
institucions pròpies. Això és el plantejament d’Enric Prat de la Riba, que comença a dir:
l’Estat no és la pàtria; ens trobem un divorci entre l’Estat i Catalunya com a pàtria dels
catalans però sense unes institucions pròpies i dins d’un Estat molt més ampli. Davant
d’aquesta contradicció, s’han d’establir les formes de relació amb l’Estat, i això implica
reconeixement, de forma progressiva, mitjançant passos institucionals, el primer dels
quals serà la Mancomunitat des de 1914. La Mancomunitat no és, doncs, cap tancament;
és només aconseguir que en els debats de la Llei d’Administració Local s’afirmi que les
diputacions provincials que vulguin es puguin confederar entre elles i actuar com un
organisme propi comú, però per les atribucions i competències que tenen exclusivament
89
les diputacions, sense cap delegació de serveis. Això costa moltíssim. La gestació de la
Mancomunitat és llarga i conflictiva, i hauran de passar quatre governs fins que
finalment l’any 14 funcioni, ja que és vista per certs sectors de la política espanyola com
un primer pas cap a la separació. Hi ha discursos en el Congrés de Diputats, sobretot per
part de liberals, dient que la Mancomunitat és el primer pas cap a la secessió.
Uns altres anys clau en què es tornen a fer reivindicacions importants, cosa que
també es reflecteix en l’aparició de més articles comparatius, són els del final i els
de just després de la Primera Guerra Mundial. És en aquests anys, a més a més,
quan Francesc Cambó, entre d’altres, planteja un projecte d’autonomia. Quin era
el paper polític de Cambó en aquests anys? En què consistia el projecte?
Després de la Mancomunitat vindrà el salt que representarà el debat de 1918-1919 al
voltant de l’autonomia. Per què el 18-19? Evidentment, el marc internacional influeix.
És a dir, la Primera Guerra Mundial té diverses influències en el catalanisme. En primer
lloc, perquè un dels elements de la guerra és l’afer de la lluita dels serbis enfront de
l’Imperi austrohongarès. Per tant, té una connotació de petites nacions lluitant contra
imperis poderosos amb connotacions opressores i autoritàries, sobretot en el cas
austrohongarès. Si a això li afegim els punts del Wilson, que diuen que la nova Europa
s’haurà de remodelar de manera que els pobles tinguin dret a organitzar-se en tant que
pobles o nacions (“l’Europa de les noves nacions”), tot plegat provoca que aquí es pensi
una mica allò d’“aquesta és la nostra”. Per tant, s’ha d’aprofitar aquesta onada
internacional europea de reconeixement d’aquestes especificitats per incloure-hi la
qüestió catalana. Hi ha una relació perquè l’ambient creat per la guerra afavoreix les
reivindicacions de les petites nacions no reconegudes.
Llavors, què passa a finals del 18? Al novembre del 18 hi ha la famosa entrevista
de Cambó amb Alfons XIII, que el crida i li diu que està molt esverat. Acaba de rebre
els últims telegrames dient que han destronat el kàiser alemany i l’emperador d’Àustria;
fa un any ha caigut el tsar de Rússia, l’any 10 havia caigut la monarquia portuguesa:
estan caient les monarquies perquè no són estables. En el cas espanyol, el rei es troba
que té massa fronts alhora: la qüestió social radicalitzada, amb un moviment obrer molt
fort, la qüestió del Marroc molt dura, la qüestió catalana, malestar a l’exèrcit... Són
massa fronts, massa guerres perquè una monarquia tan feble les pugui resoldre. I per
això li diu a Cambó: mirem de resoldre el problema català. És el que veu més fàcil de
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resoldre. Li dóna a entendre que li donarà el suport, que si els catalans plantegen a les
Corts com volen organitzar-se, doncs la monarquia no ho veurà malament, i fins i tot els
ajudarà. Aquí és quan Cambó i els de la Lliga veuen que és l’hora de Catalunya. Això
vol dir elaborar un Estatut i presentar-lo a les Corts.
I aquest Estatut en què consistia?
Aquest Estatut es redacta des de la Mancomunitat i és clarament un Estatut d’autonomia
política. És un projecte que parla d’un parlament català, d’un govern català; per tant, hi
ha tot un sistema institucional propi, competències bastant àmplies en qüestions bastant
sensibles, com ara les culturals, entre elles la llengua, i també en qüestions com les
econòmicofiscals. És un Estatut que en aquell moment era molt avançat, i que fins i tot
posa en qüestió alguns aspectes de la sobirania espanyola: és un projecte poc elaborat
perquè no arriba ni a discutir-se, però especifica que certes competències que són
catalanes ho són sense intervenció espanyola, és a dir, no hi pot haver-hi legislació
espanyola que pugui desnaturalitzar-les. Aquest projecte fracassa perquè desperta les
ires de tots els parlamentaris dels partits espanyols; es diu de tot. Hi ha aquella famosa
frase de Maura que reflecteix la mateixa essència del debat: “No se elige a la patria,
como no se elige a la madre”. Això vol dir que els catalans no es poden definir com a
tals; són espanyols encara que no els agradi. Es nega la fonamental: la identificació de
nació i pàtria, ja que s’afirma que no hi ha més nació i pàtria que Espanya. Per tant, el
màxim que els poden donar és una petita descentralització, però no un poder en tant que
pàtria o nació catalana.
És a dir, res de govern, ni atribucions polítiques de debò...
És a dir, un govern, però que només seria una mica més que la Mancomunitat. D’alguna
manera, penso que d’allà, si no s’arriben a produir una colla de fets que vindran després
(tot el conflicte de la vaga de La Canadenca, etc., unes tensions socials que ho ajornen),
en el cas que l’Estatut hagués tirat endavant, n’hauria sortit una ampliació de la
Mancomunitat. Més competències, alguna capacitat legislativa molt minsa i un control
absolut en molts aspectes clau com el fiscal, el cultural o l’idiomàtic, que els tenia molt
nerviosos. Però ni això. Això què demostra? És la fi d’una etapa, d’una etapa
parlamentària, de presentar la qüestió catalana al Parlament espanyol. S’ha intentat
presentar la qüestió des de 1901, i al 1919, amb l’Estatut que s’ha presentat el gener
d’aquest any, això no tira endavant, és a dir, per la via parlamentària: si s’ha de pactar
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amb els partits espanyols, el màxim que s’aconsegueix és la Mancomunitat. D’aquí que
hi hagi una crisi en el catalanisme i que certs sectors acusin la Lliga de moderada, de
pactista, perquè a canvi de participar en la política espanyola i estar en els governs
espanyols no juga a fons la carta de l’autonomia política catalana. D’aquí que vingui
l’any 1920 l’escissió d’Acció Catalana i s’obri en aquell moment allò que se’n dirà
l’altra via. A Cambó i als de la Lliga se’ls demanarà llavors què significa això de la via
piemontesa, és a dir, que Catalunya sigui el motor econòmic i polític d’Espanya, i per
tant, una autonomia, però amb un cert predomini dins de la política espanyola, fins i tot
amb una hegemonia catalana dins de la política espanyola. Es diu que això era el
projecte de la Lliga. Potser és una mica exagerat, però hi ha un fons de raó. Ara, si això
naufraga i fracassa perquè els polítics i els partits espanyols i el rei no accepten ni una
autonomia catalana ni un predomini polític i ideològic català, sinó que diuen de
mantenir el sistema centralista i una subordinació catalana, queda una altra via, la via
irlandesa, que és lluitar per la independència o l’Estat propi pels procediments que sigui.
Per tant, creu que aquests anys del moment 1918-19, de l’Estatut, signifiquen un
trencament amb les comparacions amb models com l’austrohongarès?
És l’última carta del model austrohongarès. No acceptar l’Estatut del 19 vol dir que el
model d’una autonomia dins d’una Espanya plural no és acceptat per la política
espanyola. Per tant, apareix l’any 22 Macià, amb Estat Català. Aquest nom ja és
significatiu: un Estat català, que pot ser independent, dins d’una república federada,
però bé, amb la sobirania catalana i amb el model irlandès. I els irlandesos van a trets.
L’any 22 finalment aconseguiran l’Estat Lliure d’Irlanda, dins d’una Commonwealth
britànica; el sobirà continuarà sent el rei d’Anglaterra, però hi comença a haver un
govern propi en bona part de l’illa.
Després, el 1923, va venir la Dictadura de Primo de Rivera i la supressió de la
Mancomunitat, i en aquests anys hi ha diverses iniciatives catalanes per obtenir
algun tipus de reconeixement internacional, a través del Congrés de Nacionalitats
Europees, per exemple. Quin paper hi tenia Cambó i amb quin horitzó polític es
portaven a terme aquestes iniciatives?
Aquest període és interessant perquè, d’una banda, Primo de Rivera es carrega la
Mancomunitat i margina bona part de l’obra de catalanització feta des de la
Mancomunitat, cosa que obliga als de la Lliga a fer una política, diguem-ne, bastant
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hipòcrita: per un costat, en un pla intern, espanyol i català, res d’oposició a la dictadura,
passivitat, però, en canvi, internacionalització de la qüestió catalana. Amb això sí que la
Lliga juga a portar la qüestió catalana a fora, i aquí es trobarà amb la gent d’Acció
Catalana i amb la gent de Macià. On? A la Societat de Nacions (SDN), creada per la
Pau de Versalles a Ginebra, que és la que vol estabilitzar el nou mapa d’Europa després
de la Primera Guerra Mundial. I un dels temes importants és la insatisfacció que ha
produït la forma de resoldre la qüestió de les petites nacions. Per què? Perquè en alguns
casos sí que certament s’ha pogut construir un Estat-nació relativament coherent (s’ha
creat Polònia, s’ha ampliat Romania...), però després s’ha desmembrat l’imperi
austrohongarès i s’ha creat el regne de Iugoslàvia (el regne dels eslaus del sud, on hi ha
serbis, montenegrins, bosnians, eslovens, a més de Kosovo, un poti-poti); Txèquia i
Eslovàquia, dues nacions en un mateix estat; s’ha creat Hongria, i Àustria, etc. Però a
dins de cada territori d’aquests hi ha importants minories nacionals. Hi ha sis milions
d’europeus que tenen una identitat que no correspon amb la de l’estat on han anat a
parar: alemanys a Polònia, alemanys a la zona dels Sudets, hongaresos a Polònia,
hongaresos a Romania, hi ha serbis a Hongria... Llavors, és d’aquí que surt la iniciativa
dels congressos de les nacionalitats, amb la idea de dir quins drets han de tenir els petits
col·lectius nacionals que han anat a parar dins d’uns estats grans. I aquí s’afegeixen els
catalans, que diuen: “Ei! Aquí entrem també nosaltres; som una minoria dins d’un estat
que no ens reconeix”. Per tant, si la SDN arriba a dictar un tipus de normatives sobre
reconeixements nacionals que obliguen els estats, aquí s’hi afegeixen, aquí hi participen,
des de l’any 26 (cada any es fa un Congrés de les Nacionalitats Europees), aquí hi van
catalans, catalanistes. La Lliga envia el braç dret de Cambó, Joan Estelrich, a tots els
congressos des del 26 fins al 30, però també hi van els d’Acció Catalana, amb Nicolau
d’Olwer i un home molt interessant anomenat Alfons Maseras, que porta una oficina de
propaganda catalana a París. Es dediquen a fer publicacions, manifestos, etc. perquè han
de fer propaganda. Fins i tot en Josep Pla, que es ficava a tot arreu, apareix en un
congrés d’aquests. Què aconsegueixen aquests homes? Aconsegueixen que es parli de
Catalunya, i (cosa relacionada amb l’última pregunta) que aquesta idea d’Europa dels
anys trenta no sigui simplement l’Europa dels estats sinó que també sigui l’Europa dels
pobles, i en això tenen aliats (curiosament, a la SDN no hi van ni els bascos ni els
gallecs, tot i que els catalans els conviden perquè hi vagin, per fer més força, però
només hi van els catalans). Llavors, evidentment, això canvia radicalment el 14 d’abril
de 1931 amb la República.
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Ha esmentat Lluís Nicolau d’Olwer, estudiós i polític. Va ser impulsor d’Acció
Catalana però després ministre de la República, catalanista i europeista. Com era
possible tot això alhora?
Ell és dels més europeistes. És clar, és un intel·lectual, un universitari, ha estudiat a
Alemanya, coneix Europa. És important el fet que, a diferència dels modernistes, la
generació noucentista, els joves, són molt europeistes i van a Europa a formar-se. Molts
d’ells van a universitats alemanyes, angleses, franceses, italianes, i son filòlegs,
arqueòlegs, científics... Tots van a fora, a conèixer Europa per tornar-hi. Això és molt
típic del Noucentisme: “som molt europeistes fins al punt que ens hem de formar per fer
una Catalunya realment moderna”. Per tant, les idees d’Europa s’han de portar a
Catalunya i la forma de portar-les és que ens anem a formar a Europa i tornem. De la
gent jove de la Lliga i els d’Acció Catalana, molts han estat per Europa, entre ells
Nicolau d’Olwer. Llavors, aquesta gent com Nicolau està primer en el món de la Lliga
però la seva militància política és relativa; és regidor de l’Ajuntament de Barcelona, i
per exemple, quan assassinen aquell advocat laboralista, Francesc Layret, el que
presideix l’enterrament en nom de l’Ajuntament és en Nicolau d’Olwer, i en Layret era
republicà i ell de la Lliga (fins i tot hi ha uns incidents i el taüt cau perquè carrega la
Guàrdia Civil i en Nicolau d’Olwer, que porta la vara de regidor, s’esbatussa amb la
Guàrdia Civil). És un home que està en aquest món dels intel·lectuals de la Lliga, dels
que l’any 22 se’n van de la Lliga perquè consideren que ha claudicat i que Cambó ha
traït, i anirà a Acció Catalana. La seva actuació política després serà notable en l’etapa
final de la Dictadura de Primo de Rivera, perquè és dels que conspira en contra des
d’Acció Catalana; és un home que intervé en aquestes conspiracions, de manera que
anirà al Pacte de Sant Sebastià, i això explica que, quan es formarà el govern de la
República el 31, els catalans que hi ha són Nicolau d’Olwer i Marcelino Domingo, ja
que tots dos han estat en el Pacte. En el primer govern republicà espanyol, el que encara
presideix Niceto Alcalá-Zamora, Nicolau d’Olwer és ministre i Marcelino Domingo
també. Durant la República tindrà càrrecs i durant la guerra també.
Ja situats als anys trenta, amb l’adveniment de la República i les noves
reclamacions d’un Estatut, es produeix un altre moment d’efervescència
catalanista. En aquesta època, quina és la sensació imperant, que és un procés que
es quedarà com està, amb un cert grau d’autonomia, o que continuarà cap a una
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possible independència? Quina és la posició del partit dominant de l’època,
Esquerra Republicana de Catalunya?
És clar, estem davant d’un trencament: és l’enfonsament de l’estat monàrquic espanyol,
un buit de poder absolut i l’audàcia de Macià i companyia de proclamar la República
catalana, ja amb una perspectiva d’acte de sobirania, dins d’una Espanya federal. I
aquesta és la carta de les esquerres catalanes, i d’aquest partit que s’ha creat, de poti-
poti, que és ERC: l’opció és una Espanya plural, reconeguda constitucionalment, una
República federal, en la qual Catalunya sigui un estat sobirà. Aquesta és la idea d’ERC,
i a això respon el projecte de l’Estatut de Núria. L’Estatut del 31 és un estatut
sobiranista: parteix d’un acte de sobirania catalana, estableix unes atribucions molt
àmplies i estableix també unes relacions econòmico-fiscals amb Espanya (uns impostos
es queden a Catalunya, els directes, i els indirectes es passen a Espanya), i després unes
competències sobiranes molt clares. Què passa? Això naufraga perquè, quan es
discuteix la Constitució espanyola al desembre del 31, resulta que a la fórmula federal li
donen suport només uns 50 diputats, dels quals 40 són catalans. És a dir, es queden sols.
Resultat: l’Estat republicà és el estado integral, que es dirà, que és sobirania única
espanyola i acceptació d’autonomies.
Per tant, res de federació d’estats?
Exacte, i aleshores hi ha un debat al parlament l’any 32, un debat interessantíssim i
llarguíssim, sobre l’Estatut. I allà finalment hi ha un acte de força d’Azaña perquè
s’aprovi l’Estatut, perquè necessita l’aliança amb les esquerres catalanes per consolidar
la República, i també hi ha un acte de pragmatisme dels republicans catalanistes, que
diuen: bé, és un primer pas, finalment hi ha un govern català després de dos segles de
centralització; no és el que volíem, però ens interessa consolidar aquesta República
espanyola i establir pactes amb les esquerres (identifiquen república amb esquerres,
considerant que les dretes espanyoles i catalanes de republicanes en tenen molt poc). I
llavors diuen de fer un pacte d’esquerres. Això explica perquè hi ha gent d’ERC en els
governs d’Azaña; per això en Companys és ministre de Marina, quan és un home que
no sabia ni nedar perquè era de la Catalunya profunda, però és la quota catalana en els
governs d’Azaña. Aleshores hi ha aquest pacte, no sense tensions, que aguanta fins a
l’esclat de la guerra.
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Així, doncs, la posició del partit dominant (ERC) era en principi la d’una federació
d’estats i després es veu limitada per, diguem-ne, la política espanyola.
Exacte, i aleshores es pensa a consolidar la República. La República ja és un salt
endavant en molts aspectes (econòmics, socials, ideològics...) i ens situem en unes
relacions diferents amb Espanya. Com a mínim ens han reconegut; no tot el que
voldríem, però hem obtingut potser el cinquanta per cent del que voldríem, encara que
és clar que abans estàvem a zero. Amb la Dictadura de Primo de Rivera tornàvem a ser
província: Catalunya no existia, era com Cuenca o Badajoz. Ara tenim un president. El
president de la Generalitat és el representant de la República a Catalunya, i no té ningú
per sobre. No hi ha delegat de govern, no hi ha governadors civils; la primera autoritat
de Catalunya és el president de la Generalitat, que està per sobre dels ministres
espanyols. Només el president del Govern i el president de la República estan per sobre
del president de la Generalitat. Encara que sigui un element simbòlic, és important.
Aquest Estatut, doncs, és diferent del d’ara.
Home, en alguns aspectes l’Estatut del 32 tenia més atribucions que el d’ara. Per
exemple, per l’Estatut del 32 es tenen competències totals en ordre públic. La Guàrdia
Civil ha de posar a les seves casernes la bandera catalana al costat de la republicana;
poca broma: casernes de la Guàrdia Civil amb la senyera.
D’altra banda, en aquest període de trànsit entre la Dictadura de Primo de Rivera
i la República, també he vist, llegint la revista Mirador, un gran interès per Europa
com a conjunt, és a dir, com una mena de federació econòmica o política; ho
confirma la publicació posterior, entre 1935 i 1936, d’unes entrevistes a una colla
d’intel·lectuals europeus sobre la qüestió. Creu que en aquests anys hi ha l’opinió
generalitzada que el futur passa per una major unió europea? Dit d’una altra
manera, hi ha una convicció europeista entre la societat política catalana?
Evidentment, als anys trenta, en aquesta etapa d’entreguerres, l’impacte de la Primera
Guerra Mundial ha estat brutal. Hi ha una sensació en el món intel·lectual i cultural d’un
fracàs d’Europa: no s’ha aconseguit per procediments pacífics evitar la guerra, i la
guerra ha enfrontat i destrossat Europa fins i tot moralment, no solament
demogràficament i econòmicament. Llavors, s’ha d’intentar reconstruir. Es pensa
bastant en la SDN. A diferència de l’ONU, que vindrà després de la Segona Guerra
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Mundial, la SDN és de fet europea, els americans no volen ser-hi. És molt europea i es
troba amb problemes com, per una banda, que hi ha una crisi moral i cultural del que
podríem dir els països llatins i la cultura llatina. Es parlava de la “decadència dels
llatins” enfront dels germànics i els anglogermànics, de l’Europa del Sud respecte
l’Europa del Nord, tant en l’aspecte cultural com en l’econòmic. L’Europa més
avançada econòmicament, culturalment o científicament és la del Nord (els britànics, els
danesos...i fins i tot els belgues) i l’Europa en crisi és l’Europa llatina (Portugal,
Espanya, Itàlia, Grècia...). Aleshores, a aquest element, del qual els intel·lectuals parlen
molt, s’hi afegeixen dos components nous: l’aparició dels feixismes i després del
nazisme. Aquests moviments són expansionistes, volen la revenja, no accepten el
resultat de la guerra (sobretot en el cas d’Alemanya, que es considera massa
penalitzada) i menystenen la SDN. No volen àrbitres, creuen que tenen el seu destí, i
que al seu destí ningú hi pot posar traves. Per tant, ens trobarem que els principals
problemes que tindrà la SDN seran els provocats per l’expansionisme. Primer, el cas
italià amb la guerra d’Abissínia: Itàlia serà expulsada i condemnada per la SDN, però no
en farà cas. Després els alemanys, que també prescindiran de la SDN i s’integraran amb
Àustria, i també hi ha tot el problema amb els txecs pels Sudets l’any 38... La SDN
queda desautoritzada i qui negocia amb Hitler i Mussolini són Chamberlain i Daladier,
és a dir, els francesos i britànics, a Munic al 1938. Es margina la SDN, en la qual tenen
veu tots els altres. Es torna a la política de grans potències que pacten entre elles
marginant la SDN. És clar, això és el que explicarà que mesos després es vagi a la
guerra al 1939. La crisi d’Europa és resultat que el projecte europeista de la SDN ha
estat desautoritzat per tots, no solament pels feixistes italians i els nazis sinó per les
altres potències, les que l’havien creada, i això sobretot per part dels francesos, que
durant molt de temps n’havien sigut el gran motor. Així, Aristide Briand, que és el
ministre d’exteriors francès, i Stresseman, el ministre d’exteriors alemany, són els
artífexs de la SDN (i després rebran el premi Nobel de la Pau), però l’any 34 ja tothom
ignora la SDN, començant pels francesos. Per tant, és clar, política de potències i guerra
del 39.
Des de Mirador es veu amb preocupació tot això.
És clar, es troben molts articles parlant-ne, suposo.
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Sí, sobretot d’aquest projecte de Briand i de la posició d’Alemanya amb
Stresseman.
És clar, Stresseman es mor de seguida. El motor dels congressos de les petites nacions,
per exemple, és Stresseman, els alemanys, perquè hi ha molta minoria alemanya que ha
quedat dins de Polònia, dins de la República Txeca, etc. i vol defensar aquestes minories
d’alguna manera, però és clar, amb els nazis les coses quedaran desbordades, a partir del
1933 i la pujada al poder de Hitler.
Per acabar, m’agradaria parlar una mica més de Mirador i els seus col·laboradors.
N’hi havia molts que, d’una banda, eren europeistes, però, de l’altra, eren
catalanistes i, per tant, defensaven la nació catalana. Com conjugaven aquestes
dues orientacions, la idea d’una unitat europea amb el seu nacionalisme català,
quan nacionalistes com Hitler o Mussolini estaven atacant aquesta idea d’Europa?
Bé, Amadeu Hurtado és qui té l’iniciativa, com explica a les seves Memòries. A
Mirador hi ha gent del món de la literatura, molts, i gent del món de la crítica política.
En general és gent situada dins d’Acció Catalana, ERC i fins i tot n’hi ha algun de la
Lliga. És gent jove, en general. Evidentment, són nacionalistes però també són
profundament demòcrates, i no veuen que això es pugui separar. Per tant, només
entenen la idea de nació com un acte de sobirania democràtica, i doncs estan en contra
de qualsevol acció autoritària, vingui per l’extrema dreta o vingui per l’extrema
esquerra. En aquest sentit són liberal-demòcrates, la majoria d’ells, amb matisos i
diferències. Per tant, el que sí que consideren és que la tradició espanyola és un tradició
no democràtica perquè ha negat l’existència de Catalunya, i que finalment amb la
democràcia republicana hi ha hagut un primer reconeixement, que això és important,
però que cal i són partidaris d’anar més enllà de l’Estatut del 32. Per tant, en l’àmbit
europeu creuen que la mateixa política s’hauria d’aplicar a tot arreu, que allà on hi ha un
minoria nacional que se sent nacional haurien de ser reconeguts els seus drets.
Per tant, són catalanistes però dins dels límits de la democràcia.
Sí, i sobretot consideren que no és incompatible ser nacionalista català i ser europeista.
Al contrari, pensen que la forma més moderna de ser nacionalista català és que això
estigui impregnat de les idees culturals europees: és a dir, no a l’aïllament de Catalunya.
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Catalunya ha d’aspirar a ser una comunitat europea de prestigi, reconeguda dins de les
cultures europees; no una de segona fila, sinó reconeguda com una de les importants.
Aquesta visió contrasta molt, doncs, amb l’opinió que, sovint, atribueix al
nacionalisme un component xenòfob i fins i tot racista, després de Hitler.
És clar: al nacionalisme se li poden donar moltes connotacions depenent de la intenció
que tinguis.
Bé, moltes gràcies per aquesta conversa. M’ha ajudat molt pel treball.
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ANNEXE 2. DOCUMENTS COMPLÉMENTAIRES
a) Plan de l’Autriche-Hongrie en 1910, avec les ethnies qui la forment:
<http://en.wikipedia.org/wiki/Austria-Hungary>
100
b) Plans de l’Europe d’avant et d’après la Première guerre mondiale
L'Europe en 1914 : <http://www.philatelicdatabase.com/wp-content/uploads/2009/04/map-
europe-1871-1914.jpg>
101
L'Europe sortie de la guerre : <http://www.emersonkent.com/map_archive/europe_1919.htm>
102
c) La dissolution de l’URSS
L'Europe avant la dissolution de l’URSS :
<https://www.sandafayre.com/stampatlas/indexofmaps.html>
103
L'Europe après la dissolution de l’URSS et les guerres des Balkans : < www.vbmap.org>
104
d) Connotations politiques des comparaisons : les caricatures
Dessin paru dans le journal digital Directe.cat :
<http://www.directe.cat/comissiobotifarra/647/0057-comisbotifarra-catalunya-no-es-
espanya-ni-crimea>
Dessin paru dans La Vanguardia, 15-III-2013, p. 23.
105
e) Aspect normal de la page 3 de la revue Mirador (17-IX-1931, p. 3).