“La bête qui prie Dieu” : la Mante religieuse - · PDF filela vie l'ivresse...

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Les mâles de la Mante religieuse, reconnaissables à leurs longues antennes, finissent souvent entre les mandibules de leur partenaire. Cliché L. Baliteau Insectes 27 n°133 - 2004 (2) D érangée, la mante peut adop- ter une attitude d'intimida- tion : elle écarte ses pattes anté- rieures pour exposer à l'agresseur la base de la face inférieure de ses fémurs où figure un ocelle blanc sur fond noir. Elle complète cette L'oothèque Les œufs sont pondus par groupes de 150 à 400 dans une oothèque de deux à quatre centimètres de long formée d'une sorte d'écume qui, en séchant, les isolera effica- cement des intempéries mais pas des micro-mammifères préda- teurs ni des parasites. Dès la fin de l'été, on la remarque sur des sup- ports très variés (principalement au bas des tiges sèches dans le nord de la France ou bien plus fré- quemment sur les pierres, voire dessous, parmi les anfractuosités, dans le sud du pays). En prélevant une oothèque en hiver et en la plaçant à l'abri des préda- teurs dans une pièce non chauffée, on peut observer l'émergence de di- zaines de petites Mantes. Les éclo- sions peuvent s'effectuer en quelques minutes au mois de mai, en plein soleil. Pour éviter de s'abî- mer, “L'animalcule naît donc em- Par Lucas Baliteau . “La bête qui prie Dieu” : la Mante religieuse La Mante religieuse (Mantis religiosa L.) est la plus commune des mantes européennes (Dictyoptères). Elle peut être verte, brune ou jau- nâtre. Le mâle est plus mince que la femelle ; il s'observe en vol autour des friches et buis- sons, lors de chaudes journées ensoleillées. posture par l'émission d'un son obtenu par frottement de son ab- domen sur ses ailes un peu rele- vées. La biologie et les mœurs de la Mante religieuse ont été décrites par Jean-Henri Fabre qui a tenté d'expliquer son comportement. Beaucoup savent que la femelle consomme souvent le mâle lors de l'accouplement. “La mante, dans bien des cas, n'est jamais assouvie d'embrassements et de festins conju- gaux. Après un repos de durée va- riable, la ponte déjà faite ou non, un second mâle s'accepte, puis se dévore comme le premier. Un troisième lui succède, remplit son office et disparaît mangé. Un quatrième a semblable sort. Dans l'intervalle de deux se- maines, je vois ainsi la même Mante user jusqu'à sept mâles. À tous, elle livre ses flancs, à tous elle fait payer de la vie l'ivresse nuptiale 1 . Dans la na- ture, les sept mâles peuvent ainsi arriver au même moment 2 . 1 Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, Études sur l'instinct et les mœurs des insectes, La Mante, Les amours 2 Cf. la photo de C. Mille dans Insectes n°121-2001 (2), p. 6. La femelle a-t-elle eu le temps d'engloutir la tête et le thorax de chaque mâle ? Attitude spectrale adoptée par la Mante reli- gieuse en présence d'un danger. Cliché H. Guyot

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Les mâles de la Mante religieuse, reconnaissablesà leurs longues antennes, finissent souvent entre

les mandibules de leur partenaire.Cliché L. Baliteau

I n s e c t e s 2 7 n ° 1 3 3 - 2 0 0 4 ( 2 )

D érangée, la mante peut adop-ter une attitude d'intimida-

tion : elle écarte ses pattes anté-rieures pour exposer à l'agresseurla base de la face inférieure de sesfémurs où figure un ocelle blancsur fond noir. Elle complète cette

■ L'oothèqueLes œufs sont pondus par groupesde 150 à 400 dans une oothèquede deux à quatre centimètres delong formée d'une sorte d'écumequi, en séchant, les isolera effica-cement des intempéries mais pasdes micro-mammifères préda-teurs ni des parasites. Dès la fin del'été, on la remarque sur des sup-ports très variés (principalementau bas des tiges sèches dans lenord de la France ou bien plus fré-quemment sur les pierres, voiredessous, parmi les anfractuosités,dans le sud du pays).En prélevant une oothèque en hiveret en la plaçant à l'abri des préda-teurs dans une pièce non chauffée,on peut observer l'émergence de di-zaines de petites Mantes. Les éclo-sions peuvent s'effectuer enquelques minutes au mois de mai,en plein soleil. Pour éviter de s'abî-mer, “L'animalcule naît donc em-

Par Lucas Baliteau .

“La bête quiprie Dieu” :

la Mantereligieuse

La Mante religieuse (Mantis religiosa L.) est laplus commune des mantes européennes(Dictyoptères). Elle peut être verte, brune ou jau-nâtre. Le mâle est plus mince que la femelle ; il s'observe en vol autour des friches et buis-sons, lors de chaudes journées ensoleillées.

posture par l'émission d'un sonobtenu par frottement de son ab-domen sur ses ailes un peu rele-vées. La biologie et les mœurs de laMante religieuse ont été décritespar Jean-Henri Fabre qui a tentéd'expliquer son comportement.Beaucoup savent que la femelleconsomme souvent le mâle lors del'accouplement. “La mante, dansbien des cas, n'est jamais assouvied'embrassements et de festins conju-gaux. Après un repos de durée va-riable, la ponte déjà faite ou non, unsecond mâle s'accepte, puis se dévorecomme le premier. Un troisième luisuccède, remplit son office et disparaîtmangé. Un quatrième a semblablesort. Dans l'intervalle de deux se-maines, je vois ainsi la même Manteuser jusqu'à sept mâles. À tous, ellelivre ses flancs, à tous elle fait payer dela vie l'ivresse nuptiale 1”. Dans la na-ture, les sept mâles peuvent ainsiarriver au même moment 2.

1 Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, Études sur l'instinct et les mœurs des insectes, La Mante,Les amours

2 Cf. la photo de C. Mille dans Insectes n°121-2001 (2), p. 6. La femelle a-t-elle eu le temps d'engloutir latête et le thorax de chaque mâle ?

Attitude spectrale adoptée par la Mante reli-gieuse en présence d'un danger.Cliché H. Guyot

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Le parasite Podagrion pachymerum pondant sur une oothèque de Mantis religiosa.Cliché G. Delvare

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mailloté (...) La bestiole tiraille, se dé-mène, oscille, se courbe, se redresse. Lespattes sont extraites de leurs fourreaux ;les antennes, deux longs fils parallèles,se libèrent semblablement. L'animalne tient plus au nid que par un cordonen ruine. Quelques secousses achèventla délivrance.” (Jean-Henri Fabre, LaMante, L'éclosion). Toutes cesjeunes larves, aux gros yeux noirs,jaunes au sortir de l'œuf, se colo-rent en grisâtre une fois sèches. Lespremières sautillent déjà, les der-nières tardent. Certaines, coincéesdans l'oothèque y meurent peu àpeu. D'autres n'auront même paseu la chance de s'en extraire, vic-times de petites guêpes parasites(Podagrion pachymerum,Hyménoptère Chalcididé) dont lasortie s'effectue à la base de l'oo-thèque. Un petit trou rond est taillépar les mandibules de chaque in-secte dont les femelles fécondéesreviennent sur l'oothèque d'où ellesont émergé, y enfoncent leur ta-rière pour y insérer leurs œufs. Leslarves de Podagrion pachymerumpeuvent ainsi se développer aux dé-pens des œufs de la Mante qui au-raient pu éclore l'année suivante.Les adultes de cette seconde géné-ration, qui émergent en juillet-août,pondent sur les nouvelles oo-thèques déposées le mois suivant.

mouches, mais attention à cer-taines espèces de syrphes au corpsjaune et noir, parfois toxiques. Les adultes acceptent de nombreuxgros arthropodes (Lépidoptères,Orthoptères, Diptères, Aranéides…).Il faut se méfier des sauterelles. Siles petites sont consommées sansproblème - Jean-Henri Fabre a ob-servé longuement “l'audacieusechasseresse” harponnant, immobili-sant entre ses pattes ravisseuses etcroquant délicieusement la Truxale,le Dectique - certaines peuvent êtrede redoutables adversaires ! En pla-çant une grosse femelle de Manteavec une grande Sauterelle verte(Tettigonia viridissima), l'attaque estlancée par la Mante mais la riposteest rapide : les pattes épineuses et lesvigoureuses mandibules de la saute-relle piègent l'attaquant et sa cuticuleest bien trop épaisse pour que lesépines de la Mante s'y enfoncent. En cas de disette, on peut utiliserle lait écrémé en poudre mélangéavec de l'eau (50%), formule adop-tée par Matthieu Houssin 3 ; le fro-mage blanc, la pomme et le jam-bon blanc sont aussi acceptés.

■ La maturation des œufsEn élevage, la femelle de mantebien pourvue en proies, grossit re-lativement vite sans dépense éner-gétique importante. Qu'en est-ildans la nature où j'imagine peuprobable qu'une femelle grossissesuffisamment rapidement pourpermettre la ponte de ses œufsjuste avant les premières chutesde températures.J'ai effectué quelques observationsen septembre 2001. Sur une fe-melle récoltée juste après sa mueimaginale, j'ai constaté que sonabdomen gagne peu en volumepar la consommation de papillonset autres petits insectes. Dans lanature, j'ai pu voir une autre fe-melle, énorme, incapable de prê-ter attention à une mouche mar-chant à côté d'elle. Est-ce bien sacorpulence qui l'en empêchait ?

■ La mue imaginaleChez cet insecte hétérométabole, lepassage de la larve à l'adulte estétonnant à voir. La larve bien grasses'immobilise, dos vers le bas, letemps que la future cuticule s'éla-bore correctement sous l'ancienne.Puis, au bout de plusieurs heures, lethorax se gonfle jusqu'à faire éclaterl'ancienne cuticule au niveau dudos. Les contractions se succèdentet le corps se gonfle pour que l'in-secte puisse s'extraire de son an-cienne “peau” devenue trop étroite.L'adulte sort, s'agrippe au supportpour laisser circuler son hémo-lymphe. La Mante change d'aspect :ses moignons d'ailes se transfor-ment en ailes, passant de quelquesmillimètres à plusieurs centimètres.En une demi-heure, les ailes trans-lucides deviennent vertes. Il lui fautbien deux jours pour durcir sa nou-velle cuticule et partir en chasse.

■ L'alimentationLes jeunes mantes doivent cher-cher de petites proies à consom-mer (pucerons, drosophiles, etc.).En élevage, j'ai pu leur donner desmoustiques. Elles les acceptent etgrossissent vite. Pour les larves detroisième stade, les moustiquessont fastidieux à récolter et pas as-sez énergétiques. On passera aux 3 Insectes n°92-1994 (1), p. 12

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D'où tenait-elle cette corpulence ?Lorsqu'un premier mâle s'est trouvéattiré par la femelle, je l'ai placé en sacompagnie, en prenant soin de lanourrir afin qu'elle ne le dévore pas.Le lendemain, après l'accouple-ment, il est reparti indemne. Un se-cond mâle a ainsi été accepté sansêtre dévoré. Le temps s'est rafraîchirapidement. Les deux premiersmâles sont rapidement mortsd'épuisement, refusant de s'alimen-ter ! Il y avait encore des mâles deuxsemaines plus tard dans les envi-rons, se rassemblant par deux outrois sur les hauteurs ventées, nonloin des sites favorables à la ponte.

■ Une dépense énergétiqueminimaleFace à la maigreur de la femelle enélevage, j'ai mis à sa dispositiontrois autres mâles : un par jour.Chacun a eu le même sort : montésur le dos après reconnaissance parattouchements des antennes, ils sesont fait dévorer alors que débutaitl'accouplement. Les contractions de l'abdomen des deux premiers se sont accentuées pendant laconsommation de leur tête et deleur thorax. Le troisième n'a pasmême eu le temps de s'agripper, ils'est fait décapiter. Leur spermato-phore (petite boule, remplie d'un li-quide trouble, laiteux, contenant lesspermatozoïdes) a été rapidementrejeté par l'abdomen de la femelle,dès les dernières pattes et boutsd'ailes tombés au sol. Grâce à ce ré-gime roboratif, la femelle a assuré

la croissance de son abdomen sansle moindre effort pour capturer depetits insectes.

■ Pérenniser à tout prixEn 2002, dans un autre élevage,une femelle a accepté cinq mâlespour pondre deux oothèques. Alorsque le 4e mâle se nettoyait les an-tennes, il s'est fait attraper par la fe-melle affamée. Agrippé par le basdu thorax, le mâle a étiré son abdo-men sur la gauche de la femelle.Puis, ne parvenant pas à s'accou-pler, il s'est rabattu lentement sur ladroite en posant peu à peu ses 4pattes postérieures sur le dos de lafemelle. Consommé par la tête, lamoitié du thorax en moins, il a co-

pulé durant plus de quatre heures !La localisation au bout de l'abdo-men des ganglions nerveux respon-sables de la reproduction l'expliqueparfaitement. Un curieux compor-tement tout de même ! r

Les murs de pierres sèches représentent des lieux de prédilection pour la ponte des oothèques.Cliché L. Baliteau

Pour en savoir plus...

• Binet L., 1999 – La vie de la mante reli-gieuse – Éd. Vigot frères, Association pourla Promotion de la Protection desInvertébrés, Paris, 54p.• Fabre J.-H., 1889 – Souvenirs entomolo-giques, études sur l'instinct et les mœurs desinsectes – Éd. Robert Laffont, Paris.• Houssin M., 1994 – Élevage de Mantisreligiosa en conditions artificielles –Insectes, Éd. OPIE, n°92 p 12.• Pasteur G., 1995 – Biologie et mimétismes,de la molécule à l'homme – Éd. Nathan,Paris.

Lu pour vous ■ Les insectes pollinisateurs85 % des végétaux disparaîtraient de la surfacede la terre sans l’intervention des insectes.Parmi tous les animaux transporteurs de pollen(oiseaux, chauves-souris, etc.), ils sont incontes-tablement les plus importants : pas seulementles abeilles, guêpes et bourdons, mais aussi lescoléoptères, mouches et papillons qui partici-pent activement à la pollinisation.Cet ouvrage a pour but d’enseigner précisémentau plus grand nombre – du profane au profession-nel (jardinier, producteurs agricoles…) – le proces-sus de pollinisation et le rôle essentiel joué par lesinsectes. L’auteur évoque leur contribution néces-saire dans la culture des productions agricoles,

dans les vergers et dans les jardins de particuliers.Le lecteur pourra alors appréhender l’utilité biolo-gique et économique des insectes au service deshommes et se rendre compte de leur responsabili-té dans le maintien de la diversité naturelle et, che-min faisant, de la nécessité de les protéger.Il s’agit donc de faire le rapprochement entre lesinsectes du quotidien et son assiette, de décou-vrir qu’un beau fruit est le résultat du travail despetites bêtes et d’une nature intelligente, parfoisétonnante, lorsqu’on constate des phénomènesde co-évolution plantes-insectes.

Par André Pouvreau ; avec le concours de l’OPIE ; préf. deMinh-Hà Pham-Delègue, 2004 – 176 p. - Delachaux et Niestlé -18, rue Séguier, 75006 Paris - Tél. : 01 56 81 11 40 - Fax : 01 56 81 11 49– Sur Internet à www.delachaux-niestle.com/

en bref…