La « Bonne Gouvernance » est-elle une Bonne Stratégie de Développement ? 2007 11[1]

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Numéro 2007/11 - Novembre 2007 La « Bonne Gouvernance » est-elle une Bonne Stratégie de Développement ? Nicolas MEISEL * et Jacques OULD AOUDIA

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La ‘Bonne Gouvernance’est-elleune Bonne Stratégie de Développement ?

Transcript of La « Bonne Gouvernance » est-elle une Bonne Stratégie de Développement ? 2007 11[1]

  • Numro 2007/11 - Novembre 2007

    La Bonne Gouvernance est-elle une Bonne Stratgie de Dveloppement ?

    Nicolas MEISEL * et Jacques OULD AOUDIA

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 1 ___________________

    La Bonne Gouvernance est-elle

    une Bonne Stratgie de Dveloppement ?

    Nicolas MEISEL * et Jacques OULD AOUDIA**

    Ce document de travail nengage que ses auteurs. Lobjet de sa diffusion est de stimuler le dbat et dappeler commentaires et critiques.

    * Nicolas Meisel est conomiste au dpartement de la recherche de lAgence Franaise de Dveloppement. [email protected] ; + 33-1 53 40 30 89.

    ** Jacques Ould Aoudia est conomiste la Direction Gnrale du Trsor et de la Politique Economique du Ministre de lEconomie, des Finances et de lEmploi (France). [email protected] ; + 33-1 44 87 72 73.

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    Nous remercions tout particulirement pour leur soutien, leurs conseils et leurs commentaires critiques : Christiane Arndt, Pierre Berthelier, Bernard Billaudot, Aymeric Blanc, Herv Bougault, Reynold de la Boutetire, Philippe Bouyoux, Jean-Raphal Chaponnire, Jocelyne Delarue, Benjamin Delozier, Ambroise Fayolle, Ramon Fernandez, Hazel Gray, Pierre Jacquet, Mushtaq Khan, Thomas Melonio, Guy de Monchy, Jean-David Naudet, Paul Owen, Robert Peccoud, Max-Everest Phillips, Julien Rencki, Jrme Sgard and Fatiha Talahite.

    Nous remercions galement tous les participants du sminaire de Paris Measuring Law ( Attractivit Economique du Droit - EconomiX) des 15 et 16 dcembre 2006, ainsi que ceux du sminaire de Londres Governance for Economic Growth in Developping Countries du DFID-SOAS des 2 et 3 juillet 2007.

    Les analyses statistiques ont t menes en collaboration avec Till Grossmass et Baptiste Thornary, stagiaires lEcole Nationale de la Statistique et de lAdministration Economique (ENSAE) et avec Sbastien Lidy, stagiaire lEcole Polytechnique. Nous les remercions pour la qualit de leur travail.

    Les auteurs restent seuls responsables des ides publies et des erreurs et imprcisions qui pourraient subsister dans le texte.

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    SOMMAIRE

    Rsum / Abstract 4 Introduction 5 Section 1 : Prsentation de la base de donnes Profils Institutionnels 10

    1.1. Dfinitions et paramtres de la base de donnes institutionnelles 1.2. Une base tourne vers le rle des institutions dans la croissance et le dveloppement 11 1.3. Les outils statistiques utiliss dans ce document

    Section 2 : Bonne Gouvernance et Dveloppement Economique : que disent les donnes ? 13

    2.1. Le degr de formalisation des rgles est le principal facteur de discrimination des profils institutionnels 2.2. Quest-ce que la bonne gouvernance ? Rponse : un systme de rgulations sociales hautement formalis, systme qui prvaut dans les pays dvelopps 17 2.3. Bonne gouvernance et croissance conomique de moyen-long terme 19 2.4. Quels sont les facteurs institutionnels qui expliquent les diffrences de performances conomiques des pays en dveloppement ? 21

    Section 3 : Fragments dAnalyse Thorique sur le Rle de la Gouvernance dans les Processus de Dveloppement 27

    3.1. Comprendre le changement institutionnel : un long processus de dpersonnalisation des systmes de rgulation sociale 28 3.2. Dans les pays en dveloppement, les systmes de rgulation sociale sont confisqus par le jeu de groupes dintrts troits au niveau des lites : les systmes dinsiders (insiders system) 32 3.3. Lhypothse du Monopole Focal de Gouvernance pour amorcer le dcollage conomique 40

    Section 4 : Un concept largi de Gouvernance pour le Dveloppement 45 Conclusion 47 Rfrences bibliographiques 48 Annexe 1 : Les 85 pays de la Base de Donnes Profils Institutionnels 51 Annexe 2 : Grille de capture des Institutions de la Base de donnes 52 Annexe 3 : Prsentation des variables de la Base aprs rduction 53 Annexe 4 : Analyse en Composantes Principales (ACP) des indicateurs de la base de donnes Profils Institutionnels 55 Annexe 5 : LAnalyse Factorielle Discriminante (AFD) sur les 85 pays rpartis en 3 groupes 60

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    RSUM Nouvelles donnes, nouveaux concepts, nouveaux rsultats : ce travail offre des outils pour repenser le rle de la bonne gouvernance dans les stratgies de dveloppement. Quest-ce que la bonne gouvernance ? La transparence de laction publique, le contrle de la corruption, le libre fonctionnement des marchs, la dmocratie et lEtat de droit. Avec la stabilisation macro-conomique, la bonne gouvernance sest impose comme impratif universel des politiques de dveloppement depuis les annes 1990.

    Pourtant, laide dune nouvelle base de donnes (Profils Institutionnels 2006), nous montrons que si la bonne gouvernance est corrle au niveau de dveloppement (le PIB par tte), elle nest pas corrle la vitesse de dveloppement (la croissance de moyen-long terme). Pourquoi ? Parce quelle ne touche pas aux ressorts du changement institutionnel, conomique, politique et social. Nous laborons donc de nouveaux concepts pour analyser la ralit de la gouvernance dans les pays en dveloppement, et les testons laide de la base de donnes Profils Institutionnels .

    Nous identifions ainsi les capacits de gouvernance dont les pays en dveloppement ont vraiment besoin : la bonne gouvernance ne ressort pas comme une priorit pour le dcollage conomique. Elle le devient dans un second temps, ainsi que louverture du systme de rgulation sociale, lorsque, bnficiant dune croissance soutenue et prolonge, un pays cherche converger avec les pays dvelopps. Dans les autres pays en dveloppement (non-convergents), la priorit rside dans la construction de capacits danticipation stratgique et de coordination entre lites. Nous proposons alors une dfinition largie de la gouvernance (la gouvernance pour le dveloppement) et de nouveaux indicateurs pour la mesurer.

    Mots cls : Institutions, Gouvernance, Corruption, Informel, Dveloppement, Croissance, Ordre social.

    JEL : C8, K0, O10, O17, O4, O57, P0, P1.

    ABSTRACT New data, new concepts, new results: This working paper offers tools to rethink the role of good governance in development strategies. What is good governance? Transparency of public action, control of corruption, free operation of markets, democracy and the rule of law. With macroeconomic stabilisation, good governance has imposed itself as a universal imperative in development policies since the 1990s.

    Yet, with the help of a new database (the 2006 Institutional Profiles database), we show that there is a correlation between good governance and the level of development (per capita GDP), but there is no correlation between it and the speed of development (medium-to-long-term growth). Why? Because it does not touch on the driving forces behind institutional, economic, political and social change. We therefore elaborated new concepts to analyse the reality of governance in developing countries, and tested them with the help of the Institutional Profiles database.

    In this way, we identified the governance capabilities that developing countries truly need: good governance does not emerge as a priority for economic take-off. It becomes one later, along with the opening of the social regulation system when, having experienced sustained and lengthy growth, a country seeks to converge with developed countries. In other, non-converging developing countries, the priority is to built capacities for strategic vision and co-ordination among elites. We therefore propose a wider definition of governance (governance for development) and new indicators to measure it.

    Keywords: Institutions, Governance, Corruption, Informal, Development, Growth, Social order

    JEL: C8, K0, O10, O17, O4, O57, P0, P1.

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    Verba volent, scripta manent Proverbe latin

    Lcriture nest que lombre de loralit. Amadou Hampt B

    LA BONNE GOUVERNANCE EST-ELLE UNE BONNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT ?

    Les rformes de bonne gouvernance sont elles efficaces pour faire dcoller les conomies en dveloppement ?

    De quelles capacits de gouvernance les pays en dveloppement ont-ils vraiment besoin ?

    Elments de rponse partir de lexploitation de la base de donnes Profils

    Institutionnels 2006 et de quelques lments thoriques.

    INTRODUCTION La croissance long terme dune conomie reste un phnomne encore largement inexpliqu. Cela vaut pour les dcollages conomiques mens depuis 60 ans par un nombre limit de pays dAsie de lEst, mais aussi pour le Japon de la fin du XIXme sicle. En remontant dans le temps, nous nous interrogeons encore sur les causes qui ont singularis une petite partie de lhumanit du reste du monde, la pninsule europenne.

    Ds le XIXme sicle, les conomistes ont identifi le rle des facteurs de production que sont le capital et le travail dans la croissance. Les modles conomiques labors ultrieurement expliquent en partie la croissance long terme par la mobilisation de ces facteurs. Mais en partie seulement : il reste un large facteur inexpliqu, que les conomistes ont associ au progrs technique et la faon dont les facteurs sont combins entre eux.

    Lconomie institutionnelle est alors intervenue, notamment dans le dernier quart du XXme sicle, qui a ouvert des voies nouvelles. Si laugmentation des quantits de capital et de travail a un impact positif sur la croissance, quest ce qui permet (ou non) la mobilisation de ces facteurs de production ? En outre, il ne suffit pas de mobiliser massivement ces facteurs pour assurer une croissance durable : quest-ce qui rend cette mobilisation efficace dans la dure ?

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    Douglas North apporte une rponse ces questions : ce sont les rgles du jeu en vigueur dans les socits, reliant lensemble des acteurs sociaux, y compris lEtat, qui modlent les comportements et les anticipations et concourent (ou non) la croissance. Ces rgles du jeu, ce systme dincitations, ce sont les institutions, quelles soient formelles ou informelles. Ces rgles crent, des degrs divers et selon de multiples modalits, le cadre essentiel qui permet un agent de nouer (ou non) une transaction avec autrui, de sengager (ou non) dans un projet long terme (investir, duquer ses enfants), actes qui sont au cur de la cration de richesse et de son extension, la croissance conomique. Ce cadre procure (ou non) llment fondamental du processus de cration de richesse : la rduction de lincertitude. Cette rduction de lincertitude, cest la confiance que les individus ont dans le respect des rgles au niveau de lensemble de la socit. Cest elle qui scurise les transactions et les anticipations des acteurs.

    Le questionnement se dplace ainsi vers les facteurs qui gnrent cette confiance entre acteurs, qui permettent de rduire lincertitude dans les relations conomiques, sociales et politiques. Quels sont ces facteurs ? Comment les susciter ?

    Sur le terrain des politiques de dveloppement, les Institutions Financires Internationales ont apport une rponse de facto ces questions en proposant un outillage oprationnel dcalqu des institutions existantes dans les pays dvelopps. Cet outillage, cest la bonne gouvernance : droits individuels respects, contrats scuriss, administration efficace, institutions politiques dmocratiques. Cette bonne gouvernance est prsente comme solution universelle permettant de gnrer la confiance ncessaire la croissance conomique. Il est demand aux pays en dveloppement de sapproprier cet outil, formul comme un ensemble de mesures techniques, pour que le processus de dveloppement samorce.

    La bonne gouvernance laisse toutefois en suspens plusieurs questions majeures.

    Installe parmi les priorits des programmes daide au dveloppement par tous les bailleurs depuis plus de dix ans, la bonne gouvernance suscite de srieuses interrogations :

    - tout dabord sa transfrabilit dans les pays en dveloppement : les politiques daide la bonne gouvernance ont-elles amlior la gouvernance dans ces pays ?

    - en second lieu, son efficacit en termes de croissance : les rformes de bonne gouvernance ont-elles conduit un relvement significatif des rgimes de croissance long terme ?

    - enfin, la bonne gouvernance, qui est effectivement un puissant facteur de confiance luvre dans les pays dvelopps, est-elle lunique moyen de gnrer de la confiance pour tous les pays, quelles que soient leur ressources, leur histoire, leur dynamique ?

    Ces interrogations nous amnent ouvrir notre rflexion sur les processus mmes de transition institutionnelle menant au dcollage conomique, processus marqus par des ruptures profondes dans les modes dorganisation des systmes politiques, conomiques et sociaux, ainsi que dans les comportements des individus. Nous esquissons alors des pistes thoriques pour penser le dveloppement partir des ides de rupture et de rsistance au changement.

    Pour ce faire, nous combinons la recherche de nouveaux concepts aptes mieux apprhender le processus du dveloppement avec une approche empirique adosse lexploitation dune base de donnes originale, Profils Institutionnels , valuant les caractristiques institutionnelles de 85 pays en dveloppement et dvelopps. La prsentation dtaille de la base est accessible dans un document de travail (Meisel et Ould Aoudia, 2007) disponible sur le site du CEPII (www.cepii.fr) et sur celui de lAFD (www.afd.fr). Nos travaux sinscrivent dans une srie de rflexions critiques sur lanalyse standard porte sur les pays en dveloppement, notamment celles de Mushtaq Khan (2004, 2006) et de North, Wallis, Webb et Weingast (2006 et 2007), proposant une vision radicalement diffrente du fonctionnement des socits en gnral, et des socits en dveloppement en particulier.

    Au plan de la thorie conomique, lensemble de ces travaux, y compris les ntres, procdent dune approche liant indissolublement le fonctionnement des systmes conomique et politique, et ce,

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    tous les niveaux de dveloppement. Applique aux pays en dveloppement, cette dmarche ouvre des voies nouvelles, lheure o le paradigme dominant du dveloppement est contest par les succs de pays qui sen sont dmarqus.

    Dfinition des concepts utiliss dans ce document

    Les institutions de gouvernance recouvrent, daprs les Institutions Financires Internationales, les institutions de scurisation des droits individuels et de rgulation des marchs, ainsi que le fonctionnement des administrations publiques et du systme politique.

    Notre dmarche consiste tester la pertinence de la priorit accorde aux politiques de gouvernance pour le dveloppement, laune de la croissance de long terme. Elle nous conduit distinguer la croissance conomique du dveloppement. Le dveloppement est avant tout un processus de transformation des institutions (le changement institutionnel). Il rsulte des effets conjugus de nombreux facteurs conomiques, dmographiques, politiques et sociaux. Il implique, par dfinition, une mutation profonde des systmes de rgulation des groupes humains. Le changement institutionnel se produit une chelle de temps qui nest ni celle de la conjoncture, ni celle de lhistoire longue. Cest lchelle du moyen-long terme, laquelle les ruptures conomiques et sociales caractristiques dune mutation capitaliste se sont opres dans les pays qui ont entam leur dcollage conomique au cours de la seconde moiti du XXme sicle.

    Nous cherchons lucider les liens entre changement institutionnel et croissance. Par croissance conomique, nous nous intressons la croissance du PIB par tte de moyen-long terme. Parmi les facteurs institutionnels de la croissance, nous concentrons notre analyse sur les facteurs institutionnels spcifiques au dcollage conomique (acclration durable de la croissance des pays en dveloppement). Ce dcollage combine gains de productivit et amlioration des conditions de vie sur le moyen-long terme. Cest dans cette phase de dcollage que les ruptures institutionnelles les plus profondes sont engages (changement de paradigme).

    Nous distinguons le dcollage du rattrapage conomique, qui concerne les pays ayant dj procd leur dcollage et sont engags dans une phase de convergence soutenue de leur niveau de revenu par tte avec celui des pays dvelopps.

    Nous distinguons enfin les fonctions institutionnelles, universelles et atemporelles (comme le fait de produire de la confiance, de prserver lordre et la scurit dans la socit) des arrangements institutionnels (ou formes institutionnelles) qui prennent des visages diffrentes selon les pays, selon leur niveau de dveloppement, leur histoire

    Nos travaux dbouchent sur les principales conclusions suivantes :

    1/ la bonne gouvernance est effectivement un facteur cl dtablissement de la confiance dans les pays dvelopps, procurant, via le respect des rgles formelles, un niveau lev de scurit des transactions un niveau systmique. Cest cette scurit qui procure son tour un avantage dcisif dans la capacit dune socit produire de la richesse ;

    2/ comme toutes les socits depuis des milliers dannes, les socits en dveloppement fonctionnent avec un mode de production de la confiance fond sur les liens personnels. Mais la transition dmographique, lurbanisation croissante, engagent inluctablement ces socits dans un processus de dpersonnalisation des relations sociales. Cette dpersonnalisation sape les facteurs traditionnels de production de confiance dans ces socits ;

    3/ les socits dveloppes fonctionnent sur un mode de production de confiance radicalement diffrent, puisquil est fond sur des rgles impersonnelles qui sappliquent tous en faisant abstraction des caractristiques intrinsques de chaque individu : les institutions sont ainsi

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    dtaches des personnes. Ce dtachement, fruit dune longue laboration de rgles formalises, assure une confiance leve dans le respect des rgles et ce, un niveau systmique ;

    4/ dans les socits en dveloppement, le mouvement de dpersonnalisation des rgles nentrane pas spontanment le basculement vers le mode de production de confiance des pays dvelopps. Se cre ainsi un entre-deux o le facteur de production de confiance antrieurement prdominant ne fonctionne plus, tandis que celui des pays dvelopps nest pas institu ;

    5/ les mesures de bonne gouvernance prconises visent instaurer le mode de production de confiance luvre dans les pays dvelopps. Elles reviennent, de fait, prescrire la formalisation des institutions (des rgles) et leur application universelle (dtache des personnes) ;

    6/ la transposition de cette dmarche de formalisation impersonnelle des rgles dans les pays faible niveau de revenu ne fonctionne pas. Les rsistances aux risques de dstabilisation des ordres sociaux quelle entrane constituent des obstacles insurmontables court-moyen terme. Dsirable en soi, elle nest pas applicable dans ces conditions : cest ce qui explique que la relation entre bonne gouvernance et croissance soit si faible, et que les programmes de soutien cette bonne gouvernance provoquent si peu deffets ;

    7/ les pays en phase de dcollage conomique ont mis en place un autre dispositif de cration de confiance, la plupart du temps organis autour dun Etat-stratge qui assure, sur un mode spcifique chacun de ces pays, les fonctions de coordination des acteurs et de scurisation de leurs anticipations : ces fonctions sont synthtises dans le concept de Monopole Focal de Gouvernance. Ces pays parviennent amorcer un changement institutionnel qui implique des ruptures profondes des modes de rgulation des systmes sociaux, conomiques et politiques ;

    8/ les pays qui ont expriment cette phase de dcollage sur le moyen-long terme ont accumul suffisamment de ressources et dexprience conomique y compris sur les marchs mondiaux pour sengager dans un processus de rattrapage des niveaux de vie des pays dvelopps. Leurs mutations institutionnelles portent alors sur lacquisition, leur rythme, des caractristiques institutionnelles des pays dvelopps (formalisation et ouverture du systme de rgulation sociale antrieur) ;

    9/ de ces rsultats, un cheminement institutionnel merge, fonction du dynamisme conomique des pays : des pays en dveloppement faible croissance vers les pays en dveloppement qui ont amorc leur dcollage conomique, puis de ceux-ci vers les pays dvelopps (rattrapage conomique) ;

    10/ se dessine ainsi un nouveau concept largi de gouvernance, la gouvernance pour le dveloppement, qui englobe les diffrents arrangements institutionnels produisant de la confiance selon le niveau de revenu des pays et la dynamique douverture de nouveaux acteurs. Cette ouverture du systme de rgulation se dcline sur les plans conomique (largissement des capacits dentre sur le march de nouveaux acteurs), social (rle accru du mrite) et politique (dmocratie). Nous sommes ainsi en mesure de dfinir ce que sont de bonnes institutions sur un registre non normatif : celles qui assurent durablement la confiance entre agents, entre agents et organisations (Etat, entreprises) ;

    11/ de cette nouvelle dfinition de la gouvernance directement tire de son lien avec la croissance, nous passons sa mesure, en proposant un ensemble dindicateurs de gouvernance pour le dveloppement reprenant lensemble des lments constitutifs de la production de confiance (Monopole Focal de Gouvernance, Formalisation des rgles) et ceux qui traitent de lOuverture du systme de rgulation.

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    Plan du document :

    Aprs avoir prsent la base de donnes Profils Institutionnels (Section 1), nous menons une srie danalyses empiriques partir des donnes de la base, pour situer la bonne gouvernance dans le champ institutionnel, valuer lefficacit de la bonne gouvernance relever les rgimes de croissance des pays en dveloppement, et identifier les caractristiques institutionnelles des pays qui se sont engags dans un processus de dcollage ou de rattrapage conomique (Section 2).

    Nous laborons ensuite des lments thoriques pour rendre compte des rsultats des analyses empiriques menes prcdemment : le changement institutionnel est un processus qui passe par de profondes ruptures des modes de rgulations des systmes sociaux, conomiques et politiques antrieurs. Il fait lobjet de fortes rsistances, de la part des lites notamment. Sur ces bases, nous analysons les diffrents facteurs de production de la confiance entre les acteurs, ainsi que lconomie politique du changement la lumire de la stabilit des systmes sociaux et politiques, et dbouchons sur deux concepts : celui de monopole focal de gouvernance dsignant les capacits de coordination des acteurs et danticipation stratgique, dune part, celui de systme dinsiders (insider system) dsignant le jeu des intrts au sein des lites dautre part (Section 3).

    Nous proposons enfin dtendre le concept et la mesure de la gouvernance (la gouvernance pour le dveloppement) par la prise en compte de lconomie politique locale (Section 4).

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    SECTION 1 : PRESENTATION DE LA BASE DE DONNEES PROFILS INSTITUTIONNELS

    1.1. Dfinitions et principaux paramtres de la base de donnes institutionnelles

    Une dfinition large des institutions. La base de donnes est fonde sur la dfinition des institutions de la Banque mondiale (1998) qui reprend celle de D. North (1990) : les institutions sont constitues de lensemble des rgles formelles (Constitution, lois et rglements, systme politique...) et informelles (systmes de valeurs et croyances, reprsentations, normes sociales) rgissant les comportements des individus et des organisations, ces dernires tant des groupes dindividus qui poursuivent des buts communs (entreprises, syndicats, ONG). Dans ce contexte, les institutions structurent les incitations qui agissent sur les comportements et offrent un cadre aux changes conomiques.

    Le champ gographique. Les pays constituant la base couvrent toutes les zones en dveloppement, en transition et dveloppes (voir la liste en Annexe 1). L'ensemble des pays reprsente 90% du PIB et de la population de la plante, offrant ainsi une large diversit de trajectoires conomiques et institutionnelles. Les 85 pays se rpartissent comme suit : Asie de l'Est et Pacifique (11), Europe et Asie centrale hors OCDE (12), Amrique Latine et Carabe (11), Moyen Orient et Afrique du Nord (11), Asie du sud (4), Afrique sub-saharienne (21), pays dvelopps (15).

    Le champ des institutions couvert par la base est structur en neuf thmes ou fonctions (1/ institutions politiques, 2/ ordre public, 3/ fonctionnement des administrations publiques, 4/ libert de fonctionnement des marchs, 5/ coordination des acteurs et capacits danticipation, 6/ scurit des transactions, 7/ rgulations des marchs, 8/ ouverture et 9/ cohsion et mobilit sociales). Ces neuf thmes institutionnels sont croiss avec quatre secteurs (A- Institutions publiques, socit civile, B- March des biens et services, C- March des capitaux, D- March du travail). Au total, le champ institutionnel est captur par la grille des institutions prsente en Annexe 2.

    Transparence de la base. La base est en libre accs pour les chercheurs et les institutions de dveloppement sur le site du Centre dEtudes Prospectives et dInformations Internationales (CEPII)1 et sur celui de lAgence Franaise de Dveloppement (AFD). Elle fait lobjet de documents de prsentation dtaills disponibles sur le site do elle est tlchargeable en format Excel (Berthelier et alii, 2004 ; Meisel et Ould Aoudia, 2007). Toutes les variables lmentaires partir desquelles ont t construits les indicateurs utiliss dans le document sont disponibles, et les mthodes dagrgation adoptes sont clairement exposes (dautres mthodes sont possibles, au gr des chercheurs).

    Elaboration de la base. La base a t labore par des chercheurs appartenant au Ministre franais de lEconomie, des Finances et de lEmploi (MINEFE) et lAgence Franaise de Dveloppement (AFD). Elle a t alimente notamment partir dun questionnaire rempli par leurs agences respectives dans chacun des 85 pays couverts.

    Deux enqutes ont dj t ralises, lune en 2001, la seconde en 2006. La prochaine aura lieu en 2009.

    1 /www.cepii.fr/

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    1.2. La base est tourne vers le rle des institutions dans la croissance et le dveloppement. La plupart des bases de donnes institutionnelles sont tournes vers un objectif tabli : mesurer lavance de la libert dans le monde (Freedom House), la libert de la presse (Reporters Sans Frontires), la corruption (Transparency International) etc. La base Profils Institutionnels est tourne vers la croissance de long terme et le dveloppement : elle vise identifier les facteurs qui favorisent ou bloquent la croissance, dans le domaine des institutions.

    Lorientation de la base vers les problmatiques de dveloppement implique que le champ thmatique retenu englobe un espace beaucoup plus large que la simple gouvernance . En dautres termes, la gouvernance, quelle soit entendue au sens strict (rgulations des marchs et fonctionnement des administrations publiques) ou au sens large (incluant le fonctionnement des institutions politiques) est une composante essentielle mais non exclusive du champ institutionnel.

    En consquence, la base comporte un nombre lev dindicateurs, couvrant un champ thmatique le plus complet possible. Le questionnaire sur lequel elle est tablie comporte 356 variables lmentaires. Agrges un premier niveau, ces variables produisent 132 indicateurs : 110 indicateurs dtat des institutions (indicateurs de stock) et 22 indicateurs de rformes (indicateurs de flux).

    En outre, lattention porte aux liens entre institutions et croissance conomique implique que les questions poses lors des enqutes portent davantage sur lefficacit des dispositifs institutionnels (approche de facto), que sur leur existence et leur forme juridique prcise (approche de jure).

    Ce point constitue une caractristique fondamentale de la base de donnes, car il touche la question du respect des rgles, qui tablit le lien entre institutions et dveloppement : ladoption de rgles ne garantit pas en soi leur application effective. Cest de leur respect que dpend la qualit de facto des institutions. Et cest cette dimension prcise de lapplication (ou non) des rgles que la base de donnes vise capturer.

    1.3. Les outils statistiques utiliss dans ce document. A ce stade de notre travail, nous utilisons les donnes de la base selon une approche multicritres ne comportant pas de dimension infrentielle : nous laissons les donnes parler delles-mmes. Lutilisation des outils statistiques de lAnalyse de Donnes (ADD) 2 rpond cette option (Lebart et alii, 1997 ; Robin, 1999).

    Nous donnons de ces outils une illustration pour montrer ltendue du champ institutionnel couvert par la base de donnes Profils Institutionnels (PI). Au moyen de deux Analyses en Composantes Principales (ACP), nous comparons cette base avec les six indicateurs de gouvernance du World Bank Institute (WBI), eux-mmes rsultat de lagrgation de plusieurs dizaines dindicateurs institutionnels existants.

    Sur le Graphe 1, qui reprsente les cercles des corrlations qui captent le plus dinformation contenue dans les deux ensembles dindicateurs (voir en Annexe 4 des informations mthodologiques sur lACP), ltendue du champ couvert par la base PI svalue au fait que les flches (chacune des flches

    2 LADD, ou statistique descriptive multidimensionnelle, est une mthode statistique applique un ensemble dindividus caractriss par un nombre lev de variables. Elle vise obtenir une description aussi fidle que possible dun ensemble dobservations trop nombreuses et dpendantes les unes des autres pour tre interprtables en premire lecture. Cette technique de reprsentation des donnes ne ncessite pas dhypothses statistiques sur la distribution jointe des donnes ni de rfrence un modle particulier. Elle nemprunte pas la modlisation ni aux procdures infrentielles : on laisse les donnes parler delles-mmes (Lebart, Morineau et Piron, 1997). Dans les analyses dveloppes ici, cela signifie que nous ne partons pas dun modle a priori sur le lien entre institutions et dveloppement. Parmi les multiples outils statistiques de lADD, nous utilisons ici lAnalyse en Composantes Principales (ACP) et lAnalyse Factorielle Discriminante (AFD) qui comporte, elle, un certain degr dinfrence. Nous dtaillons ce point plus bas.

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    reprsente un indicateur) se dploient dans presque toutes les directions, tandis que celles de la base du WBI sont trs concentres autour dune seule direction : laxe horizontal vers la droite.

    Graphe 1 : Projection des deux ensembles dindicateurs sur le cercle des corrlations3

    Indicateurs de la base PI Indicateurs de gouvernance du WBI

    Sources : Profils Institutionnels et WBI. Logiciel SPAD.

    On note en outre que cinq des six indicateurs du WBI sont trs fortement corrls entre eux (langle form entre elles par les flches qui les reprsentent est trs ferm). Linformation dlivre par ces six indicateurs, et au travers eux, par les dizaines dindicateurs qui les composent, est donc trs peu diversifie.

    Au total, la base PI couvre donc un champ institutionnel beaucoup plus large que celui de la gouvernance.

    *****

    3 Dans ces deux ACP, nous menons lanalyse sur les 85 pays prsents dans la base Profils Institutionnels . Dans cette dernire, nous avons rduit les 110 indicateurs de stock en 71 indicateurs agrgs. Pour la base du WBI, nous analysons les 6 variables de gouvernance.

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    SECTION 2 : BONNE GOUVERNANCE ET DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE : QUE DISENT LES DONNEES ?

    Dans cette section, nous soumettons les analyses standards sur le bonne gouvernance aux rsultats de lexploration des indicateurs institutionnels fournis par la base de donnes.

    2.1. Le degr de formalisation des rgles est le principal facteur de discrimination des profils institutionnels Lexploration des donnes est ralise, dans un premier temps, au moyen dune ACP (Analyse en Composantes Principales) sur lensemble des donnes de la base4. Cette premire analyse permet de dterminer les caractristiques institutionnelles les plus significatives des pays documents. Les deux premiers axes de dispersion des variables rvls par lACP forment le premier plan factoriel sur lequel se projette lensemble des pays (Graphe 2). Ces deux axes captent 45,1% de la variance totale, c'est--dire de linformation contenue dans lensemble de la base de donnes. On se reportera lAnnexe 4 pour une analyse dtaille de cette ACP.

    Graphe 2 : Projection des pays sur le premier plan factoriel de lACP (85 pays, 71 variables de stock actives)

    ZWE

    ZAFYEM

    VNM

    VEN

    UZB

    USA

    UKR

    UGA

    TUR

    TUN

    THA

    TCD

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    SYR

    SWE

    SGP

    SEN

    SAU

    RUS

    ROM

    PRT

    POL

    PHL

    PER

    PAK

    NZL

    NOR

    NGA

    NER

    MYS

    MUS

    MRT

    MOZ

    MLI

    MEX

    MDG

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    LKA

    LBN

    KWT KOR

    KHM

    KEN

    KAZ

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    JOR

    ITA

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    IRLIND

    IDN

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    HKG

    GTM

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    GBR

    GAB

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    ETH

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    CZE

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    CIV

    CHN

    CHL

    CAN

    BWA

    BRA

    BOL

    BGR

    BGD

    BFA

    BEN

    ARG

    -5

    -3

    -1

    1

    3

    5

    7

    -9 -4 1 6 11

    CUB

    Impo

    rtan

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    u r

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    tat

    Degr de dpersonnalisation/formalisation des systmes de rgulation sociale Source : Profils Institutionnels

    4 Seuls les indicateurs de stock ont t utiliss dans ce document. La base forme par les 110 indicateurs a t ensuite rduite par agrgations successives (voir la mthode utilise dans Berthelier et alii, 2004), pour aboutir un ensemble de 71 indicateurs institutionnels partir desquels sont menes les diffrentes Analyses de Donnes prsentes ici (voir en Annexe 3 la liste des indicateurs utiliss).

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 14 __________________

    Sur le premier axe (34.9% de la variance totale) se projettent notamment les variables suivantes : niveau de scurit des droits de proprit et des transactions, fonctionnement des administrations, niveau de corruption, niveau de rgulation des marchs, fonctionnement des solidarits personnelles (sant, chmage, vieillesse), fonctionnement des institutions politiques. Il oppose :

    - gauche les systmes o ces fonctions sont essentiellement assures sur un mode informel, fond sur des relations interpersonnelles,

    - droite les systmes o ces fonctions sont assures un niveau systmique sur un mode formalis, crit et opposable, et fondes sur des relations impersonnelles.

    En outre, de par le choix de lapproche de facto dans le recueil des informations ayant conduit llaboration de la base de donnes (voir Section 1), les indicateurs valuent lapplication effective des dispositifs institutionnels (le respect des rgles).

    Au total, laxe 1 reprsente une photographie, un instant donn, de la situation des pays selon le degr de dpersonnalisation de leur systme de rgulation sociale5 et selon lefficacit de la rponse apporte par la formalisation et le respect des rgles formelles.

    Le premier facteur qui discrimine les pays rvle ainsi deux modes dtablissement des rgles sociales, c'est--dire deux modes de production de la confiance dans le respect des rgles, les uns plutt fonds sur rgles informelles et interpersonnelles, les autres sur des rgles formelles et impersonnelles, c'est--dire dtaches des personnes. Il dcrit, de gauche droite, la situation des pays selon le degr de formalisation de leurs systmes de rgulation conomique, politique et sociale.

    Les socits actuellement dveloppes ont galement suivi cette longue marche allant de systmes sociaux construisant la confiance sur la base de relations interpersonnelles une chelle limite, vers des systmes dans lesquels la confiance est davantage systmique et fonde sur des relations de droit impersonnelles. Ainsi, les droits et statuts attachs la naissance abolis pendant la Rvolution franaise (dans la nuit du 4 aot 1789), relevaient du lien (de naissance) et non de rgles formelles indpendantes des individus.

    Ce premier rsultat empirique rejoint des analyses classiques en sociologie labores ds la fin du XIX (Weber, Durkheim) et reprises par North (1973, 2005), Kuran (2005) et Greif (1993, 2004) notamment.

    Le deuxime axe est, par construction, celui qui vient en second quant la quantit dinformation capture dans la base de donnes (10,2% de la variance totale). Il oppose :

    - vers le haut, des variables marquant la prsence de lEtat sur les plans politique, institutionnel et conomique

    - vers le bas de laxe, des variables caractrisant des liberts politiques et sociales et un faible engagement de lEtat dans lconomie et la socit.

    Le second facteur discrimine donc les pays selon le poids relatif de lEtat dans les rgulations conomiques politiques et sociales. Lorientation principale de cet axe vertical oppose les socits o linfluence de lEtat sur les socits est important (pouvant aller jusqu des formes autoritaires : Cuba, Syrie, Iran), aux socits o les liberts conomiques et politiques sont plus tendues, o lEtat est peu actif, voire dfaillant, en Afrique sub-saharienne notamment.

    5 Cependant, il faut se garder de voir la prgnance des relations interpersonnelles (plutt sur le mode informel) uniquement comme une survivance du pass, un rsidu qui se rsorberait inluctablement selon un processus linaire et matrisable. A lchelle de groupes restreints, de nouvelles formes dinformalit se maintiennent et mme se dveloppent tous les niveaux de dveloppement conomique, et ce, non seulement en bas de la socit , mais aussi en son cur et y compris jusqu la pointe de linnovation (Braudel, 1986 Aoki, 2000).

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 15 ___________________

    Deux remarques gnrales sur cette reprsentation des pays :

    - sur laxe horizontal, on constate la forte corrlation entre degr de formalisation des rgles et niveau de dveloppement : les pays droite du graphe rassemblent les pays dvelopps qui disposent de systmes de rgulation sociale hautement formaliss et, gauche, les pays en dveloppement, dont les rgulations sociales sont peu formalises. Ce point sera dtaill plus loin.

    - le nuage capt sur ce premier plan est en forme dentonnoir : large vers la gauche o prvalent les rgles informelles et troit vers la droite o les rgles sont formalises et le niveau de dveloppement conomique lev. Ceci suggre, mesure que le niveau de richesse augmente, une stabilisation relative des profils institutionnels autour de systmes de rgles formalises et respectes, propres aux pays dvelopps, rgles quils promeuvent au travers de leurs relations multiples avec le reste du monde. En revanche, on constate lextrme diversit des systmes institutionnels dans les pays en dveloppement et en mergence ( gauche du graphe). Cest lanalyse de cette diversit institutionnelle qui devrait nous permettre dapprofondir notre comprhension des phnomnes favorisant (ou bloquant) le dcollage conomique.

    Formalisation des rgles et bonne gouvernance

    Les systmes de rgulation sociale hautement formaliss, o les rgles sont globalement respectes ( droite sur laxe horizontal du Graphe 2), prsentent en fait lensemble des caractristiques qui dfinissent la bonne gouvernance : un fonctionnement effectif des rgles formelles assurant le respect de la proprit et des contrats, une administration efficace et peu corrompue, des marchs rguls efficients, des rgles de la dmocratie respectes.

    Nous confirmons ce rsultat en menant une ACP sur les deux ensembles dindicateurs runis : dune part les six indicateurs de gouvernance du World Bank Institute6 et dautre part lensemble des indicateurs de la base Profils Institutionnels (P.I.)7. Cette analyse permet de vrifier que laxe horizontal du Graphe 2, qui reprsente de gauche droite le degr de dpersonnalisation/formalisation des systmes de rgulation sociale, est de fait lexpression exacte de ce que les Institutions Financires Internationales appellent bonne gouvernance (Graphe 3).

    Lexamen du graphe de droite nous montre en effet :

    - Pour la base P.I. (nom des indicateurs en lettres fines) : les indicateurs qui contribuent le plus la formation de cet axe (avec des valeurs leves) sont le niveau de Scurit des transactions sur les marchs des biens et services (6secutr) et dans le systme financier (6Fsecutr), de Scurit des droits de proprit formels (6dprof), de Contrle de la corruption (3corupt), de Qualit du fonctionnement de ladministration (3Adm).

    - Pour la base du WBI (noms des indicateurs en lettres grasses), on trouve les six indicateurs de bonne gouvernance (avec des valeurs leves) : une administration efficace (GovEff), une bonne application des rgles (Rulaw), un haut niveau de Contrle de la corruption (ContCor), de libert de fonctionnement des marchs (RegQual) et de dmocratie (V&A). Lindicateur de stabilit politique (PolStab) est galement corrl laxe horizontal, mais un niveau moins lev8.

    6 Il sagit de 1/ Voice et Accountability (V&A : indicateur de niveau des liberts civiles et de fonctionnement des institutions politiques), 2/ Political Stability (PolStab : indicateur du niveau de stabilit politique), 3/ Government Effectiveness (GovEff : capacit de lEtat formuler et appliquer sa politique), 4/ Regulatory Quality (RegQual : libert de fonctionnement des marchs), 5/ Rule of Law (RuLaw : respect des lois et rglements par les citoyens et lEtat) et 6/ Control of Corruption (ContCor : indicateur de contrle de la corruption). 7 Cette ACP est ralise avec 77 variables actives : les 71 de la base P.I. et les 6 variables de gouvernance du WBI. 8 On notera que deux des indicateurs prsents dans les deux bases, Corruption (ContCor et 3corupt) et Dmocratie (V&A et 1democ), sont fortement corrls (langle quils forment entre eux est ferm). Les quatre

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 16 __________________

    Graphe 3 : Projection des indicateurs de Profils Institutionnels et des indicateurs de gouvernance du WBI sur le mme cercle des corrlations

    Lensemble du cercle des corrlations

    Focus sur la partie droite de laxe 1

    Sources : Profils Institutionnels et World Bank Institute. Logiciel SPAD.

    Au total, cette premire analyse de la base rvle trois rsultats importants :

    - le degr de dpersonnalisation des systmes de rgulation sociale et lefficacit de la rponse apporte par les socits travers la formalisation et le respect des rgles constituent les dterminants fondamentaux des profils institutionnels des pays ;

    - ces dterminants sont troitement lis au niveau de dveloppement des pays ;

    - un degr lev de formalisation et dapplication effective des rgles formelles recoupe pour lessentiel la bonne gouvernance, qui caractrise de fait les systmes de rgulation sociale des pays dvelopps.

    A partir de ces premiers rsultats, nous chercherons approfondir les liens entre processus de transition institutionnelle et dveloppement.

    Dans la suite de cette section, nous vrifions la forte relation entre bonne gouvernance et niveau de revenu (2.2.), tandis que la relation de la bonne gouvernance avec la croissance du revenu napparat pas tablie : mme niveau de mauvaise gouvernance, les pays en dveloppement peuvent connatre des performances conomiques opposes en termes de croissance de moyen-long terme (2.3.). Nous cherchons alors identifier les facteurs institutionnels qui distinguent les pays en dveloppement croissance leve de ceux dont la croissance est faible (2.4).

    autres indicateurs du WBI ne trouvent pas strictement de correspondants dans la base P.I. qui est plus dsagrge sur ces items.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 17 ___________________

    2.2. Quest-ce que la bonne gouvernance ? Rponse : le systme de rgulation sociale qui prvaut dans les pays dvelopps

    Nous avons repr que laxe horizontal de lACP, celui qui discrimine le plus les pays, est aussi celui du dveloppement, opposant les pays pauvres gauche aux pays riches droite.

    Nous cherchons maintenant approfondir cette observation en examinant la relation entre les variables formant cet axe (la formalisation des systmes de rgulation des pays) et le niveau de dveloppement ici mesur par le revenu. Pour ce faire, nous prenons en abscisse les coordonnes des pays sur laxe horizontal de lACP (comme indicateur de la dpersonnalisation/formalisation des systmes de rgulation) et en ordonne le (logarithme du) PIB par tte.

    Graphe 4 : Relation canonique entre bonne gouvernance et niveau de revenu

    ZWE

    ZAF

    YEMVNM

    VEN

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    UGA

    TURTUN THA

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    LKA

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    IRN

    IRL

    IND

    IDN

    HUN

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    GHA

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    CHN

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    CAN

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    BOL

    BGR

    BGD

    BFA

    BEN

    ARG

    y = 0.2665x + 7.9346R2 = 0.7126

    4

    5

    6

    7

    8

    9

    10

    11

    12

    -9 -4 1 6 11

    Degr de dpersonnalisation / formalisation des rgles (coordonnes de l'axe 1 de l'ACP)

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    en lo

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    'bonne gouvernance'

    niveau de revenu

    Sources : Profils Institutionnels, World Development Indicators (Banque mondiale).

    Cette analyse permet de retrouver la relation canonique, conforme notamment aux rsultats du World Bank Institute (Kaufmann et alii, 1999), montrant que la bonne gouvernance (le degr de formalisation des rgles) est trs fortement corrle au niveau de dveloppement des pays9, dans une relation de causalit circulaire : crant un environnement favorable aux changes, la formalisation des rgles

    9 Nous avons utilis ici, pour mesurer la bonne gouvernance, les coordonnes de laxe 1 de lACP portant sur lensemble de la base de donnes Profils Institutionnels agrg en 71 variables (voir en Annexe 3 la liste des indicateurs utiliss). Dautres mesures, portant sur un champ plus restreint de variables [les variables des thmes 3 (fonctionnement de ladministration), 5 (coordination et anticipations), 6 (scurit des transactions) et 7 (rgulations)] donnent des rsultats similaires.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 18 __________________

    permet une production de richesse accrue laquelle, en retour, permet de financer les dispositifs institutionnels coteux assurant la scurit des transactions une chelle systmique.

    Ce que les institutions de Bretton Woods appellent bonne gouvernance ne dsigne finalement rien dautre quun stade avanc dans la formalisation des rgles.

    Encadr n1 : Gouvernance et niveau de revenu. Quelle est la cause ? Quel est leffet ?

    La question du sens de la relation entre gouvernance et niveau de revenu a fait lobjet dune abondante littrature : la gouvernance est-elle cause ou effet du niveau de revenu ?

    Aprs avoir dtermin que le sens de la causalit allait des institutions vers le niveau de revenu ( Governance Matters - Kaufmann et alii, 1999), Kaufmann et Kraay (2002), dans un document intitul Growth without Governance , concluent que la relation nest pas circulaire : si une meilleure gouvernance tend promouvoir la croissance conomique, la croissance, elle, namliore pas ncessairement la gouvernance.

    Ils arrivent ce rsultat au prix de deux hypothses fortes : 1/ la dispersion actuelle des niveaux de PIB par tte exprime les diffrentiels de croissance long terme entre les pays et 2/ la gouvernance volue trs lentement, au point que la dispersion actuelle de ses mesures selon les pays exprimerait surtout les carts de gouvernance entre les pays avant que la croissance ne les diffrencie. Autrement dit, ce serait ltat de la gouvernance dil y a (au moins) 40 ans qui dterminerait le niveau de revenu aujourdhui.

    Arndt et Oman (2006) rexaminent les travaux de Kaufmann et dbouchent sur une conclusion de causalit circulaire entre niveau de revenu et gouvernance, donc sans quil soit possible de dterminer un sens unique de la relation valable en tous temps et pour tous les pays.

    Nous faisons cependant deux remarques :

    1/ Le fait, pour Kaufmann et alii, de prendre comme hypothse dans leur modle la quasi-fixit de la gouvernance sur le long terme laisse, paradoxalement, peu despoir aux politiques visant amliorer cette gouvernance, politiques qui constituent la priorit des Institutions Financires Internationales aujourdhui.

    2/ Aussi bien Arndt et Oman que Kaufmann ne prcisent pas dune faon suffisamment claire, selon nous, lun des termes de la relation : parle-t-on du niveau ou de la croissance du revenu ? Rodrik (2006) pointait dj cette ambigut dans la plupart des travaux portant sur les liens entre institutions et croissance, commencer par ceux dAcemoglu et alii. (2001). Le fait que le niveau de revenu actuel de chaque pays exprime sa croissance de long terme est trivial : le niveau du revenu aujourdhui rsulte des flux de croissance passs. Cependant cette relation nest pas linaire, comme en atteste le cas de pays qui, comme lArgentine au cours du XXme sicle, ont connu des reculs du niveau de vie.

    Si la relation entre flux de croissance et niveau de revenu est valable sur le trs long terme, elle ne rend pas compte des volutions de moyen-long terme (15-20 ans), chelle laquelle se sont prcisment jous les pisodes de dcollage conomique des 60 dernires annes (Core, Taiwan, Malaisie, Chine, Vietnam) o la croissance a t trs rapide pour des niveaux de revenu et de gouvernance trs faibles. Le travail qui reste effectuer porte donc selon nous sur la relation entre croissance de moyen-long terme du revenu et niveau de gouvernance.

    En ce qui nous concerne, nous en restons cette causalit circulaire sans entrer dans le dbat sur le sens de cette causalit. A trs long terme, gouvernance et niveau de revenus sont lis en effet, mais cette constatation historique apporte peu doutils pour penser les dcollages conomiques qui sont survenus depuis cinquante ans. A moyen terme, niveau de revenu et niveau de formalisation des rgles avancent de conserve, par ajustements successifs. Lun peut dpasser lautre un moment donn puis tre nouveau dpass, selon les situations historiques propres chaque pays.

    Une tude conomtrique en coupe sur lensemble des pays ne peut saisir, ni a fortiori expliquer, ce type de phnomne.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 19 ___________________

    2.3. Bonne gouvernance et croissance conomique de moyen-long terme Nous conservons toujours le mme axe des abscisses (niveau de formalisation des rgles), et prenons cette fois-ci, en ordonnes, une mesure de la vitesse de dveloppement conomique (croissance du PIB par tte sur 15 ans : 1990-2004).

    Si le niveau de formalisation des rgles apparaissait fortement corrl au niveau de dveloppement, il nen va pas de mme pour la vitesse de dveloppement (Graphe 5)10.

    Graphe 5 : Linsaisissable relation entre bonne gouvernance et croissance de moyen-long terme

    ZWE

    ZAF

    YEM

    VNM

    VEN

    UZB

    USA

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    NGA

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    BGD

    BFABEN

    ARG

    y = 0.0861x + 1.9816R2 = 0.0522

    -3

    -1

    2

    4

    6

    8

    10

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    Cro

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    nce

    du P

    IB p

    ar t

    te (

    1990

    -200

    4)

    'bonne gouvernance'

    performance conomique

    Degr de dpersonnalisation / formalisation des rgles (coordonnes de l'axe 1 de l'ACP)

    Sources : Profils Institutionnels, PNUD.

    La relation tablie comme allant de soi entre bonne gouvernance et croissance de moyen-long terme apparat pour le moins distendue. Ce rsultat converge avec lanalyse de Khan (2004).

    A ce stade, la question la plus intressante dmler reste la suivante : comment expliquer que les pays en dveloppement affichant les meilleures performances conomiques (pays du groupe 2 sur le Graphe 6 ci-aprs) nont pas de performances leves en matire de gouvernance ? Ou, autrement formul, pourquoi des pays avec des niveaux de gouvernance sensiblement quivalents connaissent-ils des performances conomiques extrmement diffrentes ? Il en va ainsi de la Chine, du Vietnam dune part, du Zimbabwe, de Madagascar, de la Cte dIvoire, du Venezuela dautre part.

    Ces rsultats questionnent la priorit la marche vers la bonne gouvernance qui constitue, depuis une quinzaine dannes, lune des prescriptions majeures des politiques daide publique au dveloppement.

    10 La performance conomique est ici mesure par la croissance du PIB par tte sur la priode 1990-2004 (source PNUD). Lexercice men avec la croissance moyenne de la productivit du travail, tire des Penn World Table de septembre 2006, donne des rsultats comparables.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 20 __________________

    Ladoption des rgles de bonne gouvernance suivant la prescription standard est-elle la rponse approprie pour relever les rgimes de croissance moyen-long terme des pays nayant pas amorc leur dcollage conomique (Graphe 6)?

    Graphe 6 : La prescription standard de bonne gouvernance

    ARGBEN

    BFA

    BGD

    BGRBOLBRA

    BWA

    CAN

    CHL

    CHN

    CIV

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    ETH FRA

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    GBRGHA

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    JOR JPN

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    USA

    UZB

    VEN

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    YEM

    ZAF

    ZWE

    y = 0.0861x + 1.9816R2 = 0.0522

    -3

    -1

    2

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    6

    8

    1 0

    -9 -7 -5 -3 -1 2 4 6 8 1 0 1 2

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    2

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    "bonne gouvernance"

    performance conomique

    Cro

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    du P

    IB p

    ar t

    te

    Degr de dpersonnalisation / formalisation des rgles (coordonnes de l'axe 1 de l'ACP)

    Source : Profils Institutionnels, PNUD.

    Trois groupes de pays apparaissent sur le Graphe 6 : le groupe 1 rassemble les pays en dveloppement rgime de croissance faible, le groupe 2 ceux au rgime de croissance lev, et le groupe 3, les pays dvelopps, dont le rgime de croissance apparat intermdiaire. En passant du groupe 1 au groupe 2, les pays sont en phase de dcollage conomique. En passant du groupe 2 au groupe 3, les pays sont en phase de rattrapage conomique.

    La prescription standard (flche) se prsente sous la forme dune injonction faite aux pays en dveloppement, et notamment ceux du groupe 1, de progresser cote que cote vers les systmes formaliss de rgulation conomique, politique et sociale (droits de proprit formels, rgulation des marchs, efficacit et transparence de laction publique, systmes juridiques et judiciaires efficients, dmocratie etc.) qui prvalent dans les pays dvelopps.

    Sans mme questionner la pertinence de cet agenda, nous nous interrogeons sur sa faisabilit : le chemin dsign par la flche dans le Graphe 6 est-il seulement possible ? Ou bien faut-il plutt envisager que la transition institutionnelle puisse emprunter dautres voies, plus dtournes mais aussi plus praticables (flche en pointill sur le Graphe 7) ?

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    Graphe 7 : Une alternative plus raliste ?

    ARGBEN

    BFA

    BGD

    BGRBOL

    BRA

    BWA

    CAN

    CHL

    CHN

    CIV

    CM R COL

    CUB

    CZE

    DEU

    DOM

    DZA

    EGY

    ESP

    EST

    ETH FRA

    GAB

    GBRGHA

    GRC

    GTM

    HKG

    HUN

    IDN

    IND

    IRL

    IRN

    ISRITA

    JOR JPN

    KAZ

    KEN

    KHM

    KOR

    KWT

    LBN

    LKA

    LTU

    M AR

    M DG

    M EX

    M LI

    M OZ

    M RT

    M US

    M YS

    NER

    NGA

    NORNZL

    PAK

    PER

    PHL

    POL

    PRTROM

    RUSSAU

    SEN

    SGP

    SWESYR

    TAI

    TCD THA

    TUN

    TUR

    UGA

    USA

    UZB

    VEN

    VNM

    YEM

    ZAF

    ZWE

    y = 0.0861x + 1.9816R2 = 0.0522

    -3

    -1

    2

    4

    6

    8

    1 0

    -9 -7 -5 -3 -1 2 4 6 8 1 0 1 2

    1

    2

    3

    'bonne gouvernance'

    performance conomique

    Cro

    issa

    nce

    du P

    IB p

    ar t

    te

    ou bien?

    Degr de dpersonnalisation / formalisation des rgles (coordonnes de l'axe 1 de l'ACP)

    Source : Profils Institutionnels, PNUD.

    Nous cherchons, dans le paragraphe suivant, identifier les institutions les plus propices au dcollage conomique (flche de la zone 1 la zone 2), puis au rattrapage conomique (flche de la zone 2 la zone 3).

    2.4. Quels sont les facteurs institutionnels qui expliquent les diffrences de performance conomique des pays en dveloppement ?

    Nous visons ici identifier, partir des indicateurs de la base de donnes Profils Institutionnels , les facteurs spcifiques qui peuvent expliquer qu niveau de gouvernance gal, des pays connaissent une croissance conomique leve et durable, tandis que dautres demeurent pigs dans des rgimes de croissance faibles.

    Autrement formul, notre recherche visera trouver les variables institutionnelles-cls pour amorcer la croissance (dcollage conomique), et des variables institutionnelles-cls pour rendre soutenable cette croissance long terme (rattrapage conomique).

    Nous inspirant des travaux de Khan (2006), nous effectuons une partition des 85 pays de la base en trois groupes : les pays dvelopps (tels que dfinis par la Banque mondiale) ; les pays en dveloppement et en transition convergents (qui ont un taux de croissance suprieur la moyenne des pays dvelopps), et les pays en dveloppement et en transition divergents (qui ont un taux de croissance infrieur la moyenne des pays dvelopps)11. Lindicateur de performance conomique retenu est la croissance du PIB par tte sur la priode 1990-200412. Ces trois groupes ainsi constitus13 (voir Annexe 5, Tableau A), on cherche identifier les institutions les plus caractristiques de chacun dentre eux relativement aux autres.

    11 Ces trois groupes correspondent ceux grossirement indiqus par des cercles dans les graphiques 6 et 7 ci-avant. 12 Source PNUD. 13 Les pays dvelopps sont au nombre de 15, les Pays en dveloppement et en transition convergents de 24 et les Pays en dveloppement et en transition divergents de 46, soit au total 85 pays.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 22 __________________

    Loutil statistique utilis est lAnalyse Factorielle Discriminante (AFD) qui permet didentifier les variables qui discriminent le plus les groupes dindividus (ici, de pays) pralablement constitus partir dune donne exogne (ici, la performance conomique), en minimisant la variance intra-groupe (au sein de chacun des groupes) et en maximisant la variance inter-groupes. Un test statistique permet de sassurer de la qualit de discrimination de chacune des variables et dliminer dans linterprtation des rsultats les variables non discriminantes (voir en Annexe 5 le dtail de la mthode et les tableaux de rsultats complets)14.

    Lanalyse est mene en comparant les trois groupes de pays deux deux. Elle permet didentifier la trajectoire institutionnelle possible des pays en dveloppement, de divergents vers convergents (dcollage conomique), puis de convergents vers dvelopps (rattrapage conomique). La comparaison des trois groupes de pays deux deux dlivre trois analyses.15.

    Premire analyse comparative : Pays divergents versus Pays convergents: La comparaison entre ces deux groupes de pays fait ressortir de faon non quivoque la famille des indicateurs marquant les capacits de lEtat coordonner les agents et scuriser leurs anticipations comme discriminant le plus significativement ces groupes (voir analyse dtaille en Annexe 5, tableau B). Ces indicateurs font partie de la fonction institutionnelle n5 de la grille de lAnnexe 2 prsentant lensemble des indicateurs de la base de donnes (Coordination des acteurs, Anticipations stratgiques).

    Pour aller dans le dtail, on obtient comme indicateurs singularisant les pays convergents par rapport aux pays divergents (entre parenthses, le numro de la fonction institutionnelle laquelle appartient lindicateur Annexe 2) : Priorit des lites pour le dveloppement (5), Concertation pour faire merger lintrt commun (5), Vision stratgique des autorits (5), Aptitude de la socit linnovation (5), Capacit des autorits politiques (5),Environnement technologique des entreprises (5) et Coordination des ministres et des administrations (5). Sajoutent deux autres indicateurs : la Qualit des biens publics de base (sant et ducation) (3) et la Scurit des droits et transactions fonciers agricoles (6). Ce dernier tant lunique indicateur de formalisation des rgles intervenant dans cette comparaison.

    Entre ces deux groupes nintervient aucun autre facteur de confiance d la formalisation des rgles, cest dire la bonne gouvernance. Celle-ci napparat pas comme un facteur de dcollage conomique.

    On trouvera en Annexe 5 les intituls des questions lmentaires au niveau le plus dtaill correspondant aux principaux indicateurs prsents dans cette analyse16. Nous renvoyons la base de donnes sur le site internet pour linformation dtaille exhaustive.

    14 Par rapport loutil de lADD utilis prcdemment (ACP), lAFD introduit un dbut dinfrence puisque la partition des individus (les pays) sest effectue selon un critre exogne aux donnes (un critre conomique : le taux de croissance des pays). 15 Aucune reprsentation graphique nest possible pour ces analyses. Le nombre daxes factoriels gnrs par lAFD est gal au nombre de groupes dindividus moins un. Seules les analyses effectues avec trois groupes produisent un graphique prsentant un plan factoriel deux axes. Celles effectues avec deux groupes, comme ici, se projettent sur un seul axe, dont le logiciel utilis (SAS) ne dlivre pas de reprsentation. 16 A titre dillustration, on dtaille ici lindicateur Capacit des autorits politiques (extrait du questionnaire):

    Capacit des autorits politiques : lindicateur 5coor9 est form par la variable A510, elle-mme rsultat de lagrgation de trois variables lmentaires, celles qui ont donn lieu aux rponses du questionnaire : A5100, A5101 et A5102 : A510 - Capacit des autorits politiques (de 1=faibles capacit, cohrence, autorit, rapidit 4=fortes capacit)

    A5100 - Capacit de dcision des autorits politiques en matire conomique (comptence, rapidit...) (de 1 4) A5101 - Cohrence et continuit de l'action du gouvernement en matire conomique (de 1 4) A5102 - Autorit du pouvoir politique sur l'Administration (de 1 4)

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    On touche ici au paradoxe de la gouvernance : des pays ayant en commun la mme mauvaise gouvernance peuvent avoir des performances conomiques totalement opposes, les uns connatre une croissance leve qui assure leur dcollage conomique et les autres, au contraire une croissance trs basse qui les maintient dans la pauvret. Cette premire analyse comparative nous a permis didentifier le facteur de confiance qui se substitue la formalisation des rgles : les capacits de lEtat coordonner les acteurs et scuriser les anticipations.

    La srie dindicateurs ainsi identifis permet de pointer les capacits de gouvernance prioritaires sur lesquelles les Pays divergents devraient porter leurs efforts pour se rapprocher, dans un premier temps, des caractristiques des pays convergents : les capacits de coordination des acteurs et de scurisation des anticipations. Le chemin parcourir est plus abordable que celui qui viserait acqurir directement les facteurs de confiance caractristiques des Pays dvelopps : des rgles hautement formalises et dpersonnalises.

    Deuxime analyse comparative : Pays convergents versus Pays dvelopps : La comparaison entre pays convergents et pays dvelopps identifie, comme indicateurs de diffrenciation majeure, des fonctions institutionnelles totalement diffrentes de celles identifies dans la premire analyse entre pays divergents et pays convergents (voir Annexe 5, Tableau C).

    Par rapport aux Pays convergents, les Pays dvelopps prsentent les traits discriminants suivants (la numrotation est donne par la grille de lAnnexe 2) :

    Droits politiques et liberts civiles (1), Dcentralisation (1), Liberts syndicales (1), Efficacit de ladministration publique (3), Contrle de la corruption (3), Transparence de laction publique (3), Scurit des droits de proprit formels (6), Scurit des transactions (6), Rgulation de la concurrence (7), respect du Droit du travail (6), Rgulation (7) et Scurit (6) des transactions dans le systme financier, Solidarits institutionnelles (9) et Mobilit sociale (9).

    Aucune variable relevant de la fonction 5 (coordination-anticipation) ne figure dans ces facteurs discriminant pays convergents et pays dvelopps. En revanche, on trouve une srie dindicateurs de Formalisation des rgles : une administration efficace transparente et peu corrompue (3), des droits de proprit et des transactions protgs par des rgles formelles (6), le respect du droit du travail (6), et des systmes de solidarits formalises (9).

    Les autres variables discriminantes : Dmocratie politique et sociale (1), Dcentralisation (1), Rgulation de la concurrence (7), et Mobilit sociale (9) relvent dun champ que lon peut identifier comme tant celui de lOuverture des systmes de rgulation sociale dans les domaines politique, conomique et social.

    Lensemble de ces fonctions qui seraient acqurir par les Pays convergents pour rattraper les Pays dvelopps relvent donc de champs profondment diffrents de ceux qui distinguent pays divergents des pays convergents. L aussi, le chemin parcourir est raliste, puisque les pays convergents, grce leurs capacits de coordination des acteurs et danticipation stratgique, ont dj expriment sur les 15-20 dernires annes une vitesse de croissance leve, une amorce de formalisation des rgles notamment dans le domaine agricole, un niveau lev dducation et de sant de base et un dbut daccumulation technologique. Il leur reste acqurir ce qui les diffrencie encore des Pays dvelopps : la poursuite de la formalisation des rgles et louverture du systme de rgulation sociale.

    Troisime analyse comparative : Pays divergents versus Pays dvelopps: Les plus grandes diffrences se retrouvent, bien videmment, entre ces deux groupes de pays. Pratiquement toutes les fonctions institutionnelles distinguent ces deux groupes : capacits de

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    coordination et danticipation stratgique de lEtat, ouverture des systmes de rgulation sociale et formalisation des rgles (voir Annexe 5, Tableau D).

    Le saut franchir est trs grand pour que les Pays divergents accdent aux caractristiques institutionnelles des Pays dvelopps.

    Se dessine ainsi un squencement du processus de changement institutionnel

    Pour les pays qui ont dj largement entam leur dcollage conomique (les convergents), leffort serait porter sur lOuverture et la Formalisation des systmes de rgulation sociale, tandis que les pays qui connaissent la croissance la plus faible (les divergents) devraient concentrer leurs ressources sur lacquisition des capacits de Coordination-Anticipation, sur lamlioration de la Qualit des biens publics de base, et, dans le domaine juridique, sur un facteur de formalisation des rgles essentiel pour les socits en majorit rurales : les Droits de proprit fonciers agricoles.

    Se dessine ainsi une approche par tape du dveloppement institutionnel, adapte aux caractristiques des pays selon le dynamisme de leur croissance, faisant jouer lEtat un rle stratgique dans les processus de dcollage et de rattrapage conomique. Ce rle nemprunte pas aux modles de dveloppement ports par lEtat interventionniste des annes 1960-70 articuls autour de la substitution aux importations. Lapproche du rle de lEtat que nous esquissons sinscrit bien dans le contexte dconomies de march ouvertes sur les changes conomiques et financiers.

    Les capacits de Coordination-Anticipation des Etats apparaissent donc comme un lment majeur dans le processus de dcollage conomique. Elle touche aux fondements les plus politiques du fonctionnement des socits, rejoignant sur ce point les travaux de North, Wallis et Weingast (2006) pour qui les dimensions conomiques et politiques sont indissociablement lies dans lexplication du fonctionnement des socits et notamment du dveloppement (ou du non-dveloppement). La fonction de coordination-anticipation que lEtat a su organiser dans les pays ayant connu une croissance rapide, avant mme que le systme de rgulation ne soit formalis, relve dune combinaison troite et singulire entre les sphres politique et conomique, propre lhistoire de chacun des pays. Elle concerne la capacit de lEtat proposer aux acteurs des formes crdibles de coordination, de gestion des divergences dintrts, dentranement de la socit vers la prise de risque et la ralisation dun bien commun suprieur la somme des intrts particuliers. En un mot, sa capacit rduire lincertitude et diffuser de la confiance pour tous les agents.

    Se prcisent ainsi les rles successifs des deux facteurs majeurs de confiance : la fonction de Coordination-Anticipation et la Formalisation des rgles, validant lhypothse selon laquelle la confiance des agents conomiques est un lment cl de la croissance long terme, du dveloppement. Cette fonction universelle (rduire lincertitude, dlivrer de la confiance un niveau systmique) se dcline travers des arrangements diffrents selon les pays, en fonction de leur histoire, de leur dynamisme conomique et de leur niveau de revenu.

    Sarticule avec ces deux facteurs louverture des systmes de rgulation sociale, qui se manifeste par llargissement du nombre des acteurs conomiques et politiques, louverture de perspectives sociales aux individus mritants (indpendamment de leur statut personnel, de leur appartenance aux groupes sociaux dominants), lextension des espaces de libert pour la socit civile, le fonctionnement sur un mode plus dmocratique des institutions politiques. Nous reviendrons sur cette dynamique douverture des systmes sociaux dans la suite du texte.

    *****

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    SECTION 3 : FRAGMENTS DANALYSE THEORIQUE SUR LE ROLE DE LA

    GOUVERNANCE DANS LES PROCESSUS DE DEVELOPPEMENT

    Le dveloppement comme rupture

    Nous comprenons le dveloppement comme un processus long, complexe, difficile, en raison des ruptures profondes, des changements radicaux, quil implique tous les niveaux du fonctionnement des socits, pour les groupes comme pour les individus.

    Changement radical entre une socit o lexistence na de sens que par lappartenance hrite un groupe (famille, clan, village), versus une socit o les tres sont avant tout des individus libres de choisir leur identit. Changement radical entre des socits o prvaut la soumission lautorit du dirigeant, du pre, de la tradition, des croyances, versus celles o la libert de lindividu est tablie sur la base de droits impersonnels. Changement radical des mcanismes de solidarit face la maladie, au chmage, la vieillesse, de solidarits fondes sur le partage des risques au niveau familial, villageois des solidarits institutionnalises, fondes sur des droits universels (impersonnels). Changement radical face la fcondit, dune attitude faisant de lenfant une ressource pour limmdiat et une scurit pour le grand ge, versus lenfant comme cot, pour lavenir duquel les parents investissent. Changement radical entre les systmes o cest le capital social de chacun qui dtermine la position dans la socit, versus les systmes o le mrite individuel est reconnu quelle que soit son origine. Changement radical dans lapproche de linvestissement conomique, dun systme o la diversification des activits est la rponse rationnelle, en termes de survie, aux risques climatiques, conomiques, politiques, de sant, versus linvestissement visant la maximisation du profit dans un environnement institutionnel scuris une large chelle par des droits universels (impersonnels). Changement radical entre les socits o laccs au march est verrouill par les lites en place, versus les socits o la cration dentreprise, laccs au crdit, la scurit des droits de proprit pour tous permettent un grand nombre de se lancer une chelle significative dans lentreprenariat. Changement radical dun systme o les organisations (Etat, entreprises) sont indissociablement lies aux personnes qui les animent versus un systme o ces organisations subsistent au-del de leurs dirigeants, adosses des dispositions juridiques indpendantes des personnes, grant sur un mode formel les dispositifs de dvolution et de changement du pouvoir. Changement radical entre les socits o la menace permanente de dstabilisation de lordre social rduit lhorizon des acteurs versus les socits o les conflits politiques, sociaux, sont encadrs par des rgles formelles et acceptes, permettant un largissement de lhorizon pour la prise de risque individuelle et collective dans linvestissement, la cration, linnovation.

    Ces ruptures renvoient, au total, un changement radical de systmes tablissant les relations sociales conomiques et politiques sur la base de relations personnelles et de rgles le plus souvent non crites, vers des systmes fonds sur le droit impersonnel et sur lcrit.

    Les systmes progressivement mis en place au niveau national dans les pays dvelopps depuis plusieurs sicles, souvent au prix de luttes sociales et politiques denvergure, sont sans conteste conomiquement plus efficaces, socialement plus justes et scuriss, politiquement plus stables et dlivrent plus de liberts aux individus. Ils apparaissent dsirables en soi.

    Pourquoi ces systmes plus efficaces, plus justes, plus scuriss, plus stables, plus libres ne parviennent-ils pas prvaloir dans la totalit des pays en dveloppement alors quils miroitent aux yeux des populations du monde entier ?

    Un besoin doutils thoriques

    Les analyses empiriques prsentes en section 2 ont dbouch sur des rsultats qui contredisent un certain nombre de prjugs : contrairement ce qui relve aujourdhui de la sagesse commune, les liens entre bonne gouvernance et croissance ne sont pas tablis, loin de l.

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    Nous apportons des lments de rponse partir dun dtour thorique qui portera dans un premier temps sur le changement institutionnel au niveau de lensemble de la socit (3.1.) puis au niveau des groupes conomiques et politiques dirigeants (3.2.). Nous explorerons enfin le dispositif institutionnel original que les pays ayant connu une phase de croissance acclre ont mis en place, le Monopole Focal de Gouvernance (3.3.).

    3.1. Comprendre le changement institutionnel : un long processus de dpersonnalisation des systmes de rgulation sociale. Le processus dmergence des institutions formelles dans les pays aujourdhui dvelopps

    Comme le souligne North (1990), ainsi que les auteurs de la Nouvelle conomie institutionnelle, lhistoire du processus de dveloppement est fortement marque par la tension entre conomies dchelle et spcialisation dune part, cots de transaction dautre part.

    Dans une petite communaut rurale, ferme, les cots de production sont levs car le niveau de division du travail et dinnovation est limit par la taille du march, mais les cots de transactions sont bas car celles-ci stablissent sur la base de relations interpersonnelles. Tout particulirement, les cots fixes sont peu levs, car les infrastructures institutionnelles sont peu labores. Pour partager linformation, le pouvoir, pour pratiquer les changes conomiques, pour faire respecter les rgles, les mcanismes de rgulation sociale sont surtout fonds sur des relations interpersonnelles largement informelles et sur des rgles non crites (pays gauche sur laxe horizontal du Graphe 2). Toutes les socits ont vu prdominer ce type de rgulation des relations sociales.

    A mesure que la population saccrot, que la taille du march slargit, que lconomie devient plus complexe et plus ouverte, que les opportunits dchange se multiplient, le cot du respect des rgles sur le mode antrieur saccrot pour chaque nouvelle transaction. En effet, linvestissement personnel requis par le systme de rgulation prdominant (confiance fonde sur la qualit des liens interpersonnels) est extraordinairement coteux en temps. Un individu ne peut soutenir quun nombre limit de relations (donc de transactions) tablies sur ce mode. Les cots des transactions (lis la recherche dinformation, la spcification et au contrle de lexcution des accords) augmentent jusqu ce quil devienne moins onreux dlaborer des institutions pour soutenir les transactions effectues entre personnes qui ne se connaissent pas (changes impersonnels).

    Les socits aujourdhui dveloppes ont rpondu la dpersonnalisation des systmes de rgulation en construisant progressivement des institutions plus formelles, plus complexes, fondes sur lcrit, pour rduire lincertitude des interactions sociales, procurer des mcanismes crdibles dapplication des rgles, partager linformation un niveau systmique, dtacher le pouvoir des personnes, et au total, assurer un niveau plus lev de respect des rgles au niveau de lensemble de la socit (pays droite sur laxe horizontal). Cet ensemble dinstitutions assure des niveaux levs de confiance une chelle systmique dans le cadre de leur fonctionnement normal. La fonction sociale de base des normes lgales rside ainsi dans leur capacit canaliser les comportements individuels et les anticipations de chacun sur le comportement d'autrui. Ce long processus de changement institutionnel sest effectu dune faon endogne, sur la base dapprentissage et demprunts aux autres socits (Chang, 2001).

    Laboutissement de cette volution vers la prise en charge formalise de la production de confiance est reflt par la part leve des dpenses publiques rapporte au PIB dans les pays dvelopps relativement aux pays en dveloppement : cette part est gnralement de lordre de 35 50% du PIB dans les pays riches, contre 15 25% dans les pays moins dvelopps, sur la base de niveaux de PIB de surcrot nettement infrieurs. Ces dpenses permettent de faire assumer par la collectivit une large part des cots de transaction et des risques lis la rgulation des changes humains. Ces cots de transaction et ces risques sont ainsi transforms pour lessentiel en cots fixes. Leur mutualisation par des institutions publiques (ou prives, par exemple bancaires, fournissant des services caractre de biens public) permet de diminuer considrablement le cot marginal de chaque transaction individuelle.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 27 ___________________

    Logique de maximisation du profit versus logique de diversification du risque

    Sous ces scurits et protections institutionnalises lchelle de lensemble de la socit, la logique de maximisation des profits peut se dployer : grce cet ensemble complexe dinstitutions de march et dinstitutions publiques dpersonnalises, les acteurs individuels peuvent recueillir les fruits des gains de productivit dcoulant des conomies dchelle et du progrs technique.

    En revanche, en labsence de systme gnralis de production de confiance et de scurits, le producteur fait face individuellement des risques levs, au plan personnel (corruption, arbitraire administratif, maladie) et collectif (accidents climatiques, instabilit sociale et politique). Une atteinte supplmentaire cet quilibre instable comporte des risques pour sa survie en tant quactif et pour sa famille. Sa rponse rationnelle est de diversifier ses activits pour minimiser les risques encourus, puisquaucune institution publique ne les prend en charge, comme cest le cas dans les pays dvelopps (une autre rponse rationnelle pour diminuer radicalement les risques encourus au niveau individuel est de devenir fonctionnaire). En consquence, il ne peut atteindre un haut degr de spcialisation dans son activit et son horizon temporel reste court : les conomies dchelles et les augmentations de productivit sur des investissements disperss et de court terme sont faibles ou nulles17. Le cercle vicieux de la pauvret se boucle : les faibles rendements conduisent des investissements mietts, lesquels procurent de faibles rendements.

    Dans les pays en dveloppement, le basculement des modes de rgulations vers la formalisation ne sest pas opr

    Le systme de rgulation qui continue de dominer la sphre sociale reste fond sur le lien, la relation personnelle, le respect des normes non crites et contraignantes (soumission lautorit, la tradition). Le respect des accords entre personnes est difficilement vrifiable par un tiers en position de neutralit, puisqu'il ne disposerait pas des informations ncessaires pour formuler un arbitrage impartial, du fait qu'il n'est pas partie prenante de la relation. La confiance (dans la relation au pouvoir, dans la circulation de l'information et dans le respect des rgles) est produite et partage sur une base idiosyncratique, cest--dire en fonction de caractristiques propres aux personnes, ou de leur appartenance un groupe (familial, ethnique) de taille restreinte par dfinition.

    Dans ces conditions, le recours des incitations simplement fondes sur des normes juridiques et financires est largement illusoire, du fait de lopacit des rgles, du trs faible niveau d'information disponible, et dune dvolution du pouvoir verrouille. Le fait que ces normes formalises nmergent pas dun processus dlaboration interne aux socits constitue un facteur-cl pour lexplication des freins au dveloppement.

    Un mouvement de dpersonnalisation exogne aux institutions

    Mais une srie dvolutions totalement exognes aux institutions intervient dans les pays en dveloppement : laugmentation de la population qui multiplie les acteurs, lurbanisation croissante et lextension de lespace gographe des relations conomiques qui distendent les relations fondes sur les liens jusqu les rendre conomiquement insoutenables. Toutes choses gales par ailleurs, la confiance sestompe mesure que la taille du march slargit.

    Ces volutions conjugues provoquent un processus inluctable de dpersonnalisation des systmes de rgulation sociale, conomique et politique, processus qui rode puissamment les systmes traditionnels de production de confiance.

    Deux systmes de production de confiance, radicalement diffrents

    On se trouve ainsi devant deux modes de production de la confiance , confiance la base mme de lordre social et de lactivit conomique : celui prdominant dans les socits en dveloppement, largement fond sur des rgles informelles ancres dans des relations interpersonnelles, et celui qui sest gnralis dans les conomies plus avances, fond sur le droit, les conventions crites,

    17 Polanyi (1944) fait du passage du mobile de subsistance au mobile de gain une caractristique majeure des rvolutions industrielles en Europe au XIXme sicle.

  • Les Documents de Travail de la DGTPE n 2007/11 Novembre 2007 - p. 28 __________________

    impersonnelles. Et ces deux systmes de production de confiance connaissent deux mouvements asymtriques : lun inluctable (la dpersonnalisation), lautre qui ne samorce pas spontanment (la formalisation des rgles). Une grande partie des difficults du dveloppement tient cette asymtrie des mouvements de fond qui traversent les socits du Sud.

    Les transitions institutionnelles se font-elles de faon progressive ou sagit-il plutt dune marche par -coups ?

    La transition institutionnelle associe au changement de systme de rgulation ne se produit pas dune faon uniforme au sein de la socit mais se manifeste plutt par une srie de ruptures traversant le champ social.

    Le processus de dpersonnalisation des relations sociales impacte les socits dune faon ingale : un instant donn, certains secteurs adoptent des rgles formelles tandis que dautres demeurent sur un registre informel de relations interpersonnelles. Un mme acteur peut avoir jouer sur les deux registres simultanment (par exemple des clients formels et des fournisseurs informels). On peut ainsi voir se juxtaposer, au mme moment, en un mme lieu, des acteurs qui se situent diffrents stades de rponse cette dpersonnalisation des rgles18.

    Le processus de dpersonnalisation des systmes de rgulation fonds sur linformel est marqu par la baisse du respect de la parole, alors que souvent la force de lcrit (qui suppose alphabtisation gnralise, normalisation des procdures, instances de recours accessibles, crdibles et efficaces) ne sest pas encore impose (Aoki, 1995).

    Plusieurs systmes juridiques peuvent aussi tre amens coexister. Par exemple, dans le domaine du droit foncier : systmes traditionnels (surtout fonds sur le tmoignage des personnes), systmes de proprit collective (