La bataille de Paris, un duel entre socialistes et écologistes ?

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Diffusion en totalité ou en partialité interdite sans l’accord de l’auteur ou de l’Institut Français de Géopolitique © La bataille de Paris : un duel entre socialistes et écologistes ? Institut Français de Géopolitique Master 1 2011 / 2012 Hugo SOUTRA, sous la direction de Philippe SUBRA.

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Mémoire réalisé par Hugo SOUTRA en juin 2012, dans le cadre de ses études à l'Institut Français de Géopolitique. Sujet: élections municipales 2014 à Paris, et rivalités entre PS et EE-LV

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Diffusion en totalité ou en partialité interdite sans l’accord de l’auteur ou de l’Institut Français de Géopolitique ©

La bataille de Paris : un duel entre

socialistes et écologistes ?

Institut Français de Géopolitique – Master 1 – 2011 / 2012

Hugo SOUTRA, sous la direction de Philippe SUBRA.

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Table des matières

Remerciements ......................................................................................................... 4

Introduction ............................................................................................................... 5

I Elections législatives 2012, la pré-bataille de Paris .............................................. 7

A) La conquête de Paris sera politique ou ne sera pas ............................................. 7

1) Les écologistes veulent entrer dans la cour des grands ................................................ 7

2) Une nouvelle dynamique qu’ils cherchent à appliquer à la capitale ............................ 13

B) Le test des élections législatives à Paris ............................................................. 28

1) Les écologistes peuvent être satisfaits ..................................................................... 28

2) La bonne séquence d’EE-LV ne pénalise pas le PS .................................................. 40

II Rivalités de pouvoirs entre frères ennemis ....................................................... 47

A) «L’unité est un combat» ................................................................................... 47

1) Interdépendances et rivalités de pouvoirs ................................................................ 47

2) Des relations «bipolaires» exacerbées à Paris ........................................................... 59

B) Les relations PS / EE-LV à l’épreuve du pouvoir .............................................. 74

1) 2001-2008, la douloureuse construction d’un rapport de forces .................................. 74

2) 2008-2014, la contrainte d’un rapport de forces évolutif ........................................... 90

III Enjeux géopolitiques des élections municipales 2014 ................................... 103

A) La Mairie de Paris, au cœur des stratégies politiques ...................................... 103

1) Paris, un territoire plus que convoité ..................................................................... 103

2) Une super-institution au service d’ambitions nationales .......................................... 110

B) Vers un duel interne à la majorité municipale ? .............................................. 117

1) Socialistes et écologistes affûtent leurs armes en vue de 2014.................................. 117

2) Paris peut encore réserver bien des surprises .......................................................... 134

Conclusion ............................................................................................................ 145

Résumé : ................................................................................................................ 156

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Remerciements

Tout d’abord, je tenais à remercier les différents acteurs et observateurs de cette rivalité

parisienne entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les Verts. Les discussions que j’ai pu

avoir avec les différents élus ainsi que leurs collaborateurs mais aussi les militants locaux

m’ont permis de mieux appréhender les positions de chaque parti et de chaque personnalité

politique. Ces différents entretiens ont été indispensables à ma réflexion et viennent nourrir

cette recherche tout au long des pages suivantes. J’ai aussi pu avoir des échanges riches avec

plusieurs journalistes suivant la vie politique parisienne, qui n’ont pas hésité à me consacrer

de leurs temps personnel pour aborder cette recherche comme mon avenir professionnel. Je

profite donc ici de l’opportunité qui m’est offerte de leur exprimer ma gratitude, qui va bien

au-delà de ces quelques lignes.

Dans un second temps, il me paraît indispensable de souligner le rôle joué par l’ensemble du

corps enseignant de l’Institut Français de Géopolitique, qui m’a donné l’occasion tout au long

de cette première année, d’acquérir des compétences indispensables à l’exercice du métier de

journaliste auquel j’aspire. Leurs différents cours, séminaires et présentations, m’ont permis

de saisir les tenants et les aboutissants d’un conflit géopolitique, dans toute sa complexité.

Plus particulièrement, mes remerciements s’adressent à Philippe SUBRA qui a dirigé ce

mémoire. Il a su m’orienter dès l’automne dernier sur les éléments clés permettant de

comprendre la concurrence entre ces deux formations à Paris, et s’est montré disponible tout

au long de ma recherche pour répondre à mes interrogations.

Le soutien et les conseils de Mathilde COSTIL, allocataire de recherche à l’IFG, ainsi que de

Guilhem MAROTE, me furent également précieux tant dans la rédaction de ces pages que

dans la confection de mes cartes géopolitique disséminées dans cette recherche. Il va aussi de

soi d’exprimer ma reconnaissance à mon entourage proche parfois mué en correcteurs, pour

leur aide et leur soutien exprimé au cours de ces semaines de travail.

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Introduction

lors que les élections législatives viennent de prendre fin ce 17 juin 2012, les

acteurs politiques parisiens ont déjà les municipales de 2014 à l’esprit. Si elle

devrait progressivement monter en intensité, la bataille pour la Mairie de Paris

était déjà prégnante dans les stratégies des élus écologistes et socialistes ces derniers mois.

Galvanisé par un poids politique qu’il n’a jamais eu à l’échelle nationale, Europe Ecologie

Les Verts (EELV) a pour ambition de concrétiser la bonne dynamique enregistrée dans la

capitale au cours des précédents scrutins locaux. Concrètement, il s’agira pour eux d’ancrer la

Mairie de Paris à gauche tout en parvenant à inverser les rapports de forces de la majorité

plurielle, aujourd’hui sous la domination du Parti Socialiste et de Bertrand Delanoë.

Discipline à l’intersection de la géographie, de l’histoire contemporaine et de la science

politique, la géopolitique étudie les rivalités de pouvoirs sur un territoire, susceptible de

d’aboutir à un conflit. Dans cette définition d’Yves Lacoste, il est entendu que le terme

«rivalités de pouvoirs» peut recouvrir un large champ de relations : il peut aussi bien s’agir

d’affrontements que se livrent deux camps ennemis aux idéologies antagonistes, que de la

concurrence exprimée entre deux forces partenaires aux intérêts divergents. Dans tous les cas,

le territoire, qu’il s’agisse de celui d’un Etat ou d’une collectivité, doit être considéré comme

un enjeu de pouvoir en tant que tel. Bien que les litiges locaux n’engagent ni armées ni ne

remettent en cause la souveraineté des peuples, les rivalités qui se déroulent dans des

procédures démocratiques (débats, élections, etc) n’en sont pas moins fortes que certains

conflits interétatiques. Dès lors que l’enjeu du conflit a été spatialisé et confronté aux rapports

de forces dans leur épaisseur historique mais aussi aux représentations de chaque acteur, ces

joutes locales deviennent éminemment géopolitiques.

Dans la foulée des sénatoriales de septembre dernier où la droite parisienne s’est violemment

divisée, les socialistes de la capitale ont vivement combattu l’implantation de l’écologiste

Cécile Duflot lors des législatives de juin 2012. Bien que moins intense et moins médiatique,

de fortes tensions couvent également entre les deux principaux partis politiques formant la

majorité plurielle, qui domine et contrôle la Mairie de Paris depuis onze ans. Dès mai 2010,

certains élus écologistes de la capitale clamaient leur intérêt pour le poste de Maire de Paris.

Quelles divergences opposent le Parti Socialiste et EE-LV dans la gestion quotidienne de la

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politique municipale de la capitale, au point de susciter de telles ambitions et de telles rivalités

plusieurs années avant le scrutin municipal ? Pourquoi sont-ils en conflit à Paris, alors que

leurs relations semblent plutôt au beau fixe dans d’autres exécutifs locaux de province ou au

Conseil régional d’Ile-de-France, ainsi qu’au niveau national ?

Si les trois forces politiques qui composent la majorité rose-verte-rouge de la capitale se

rejoignent dans l’objectif commun de faire battre la droite, ils n’en sont pas moins soumis à

des rapports de forces politiques internes : le Front de Gauche souhaiterait concurrencer le

groupe écologiste, qui lui-même a pour ambition de dépasser son grand frère socialiste,

aujourd’hui le plus haut dans la hiérarchie. Se comparant constamment entre eux, ils font des

calculs, des hypothèses, opèrent des choix et appliquent des stratégies politiques pour arriver à

leurs objectifs respectifs, qu’ils s’agissent de prendre le contrôle ou de conserver le fauteuil de

Maire de Paris, d’augmenter leur poids politique en remportant davantage de postes électifs,

de faire primer leurs idées sur celles des autres, de gagner en crédibilité pour s’inscrire

durablement dans l’exercice du pouvoir, etc. Bien souvent, les rivalités personnelles

s’entremêlent aux rivalités partisanes. Dans un environnement comme Paris, dans un théâtre

géopolitique comme celui de l’Hôtel de Ville, les rivalités personnelles sont même peut-être

plus importantes encore que les divergences idéologiques.

Réalisé à la suite d’un travail de recherche ponctué d’une enquête de terrain, ce mémoire a

pour objectif d’analyser les rivalités et les tensions rythmant les relations entre le Parti

Socialiste et Europe Ecologie-Les Vert,s depuis 2001 jusqu’à aujourd’hui et la préparation du

prochain scrutin municipal. Alternant entre l’échelle nationale et locale, cette recherche

tentera de comprendre le lien entre leurs rivalités et le climat politique propre à la capitale. En

prenant également en compte les dynamiques de chaque partis, leurs stratégies politiques,

leurs plans de communication ainsi que leurs capacités de mobilisation, nous tâcherons de

répondre à cette problématique : la conquête géopolitique de l’Hôtel de Ville de Paris

réinterroge t’elle le leadership du Parti Socialiste sur Europe Ecologie-Les Verts ?

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I Elections législatives 2012, la pré-bataille de Paris

A) La conquête de Paris sera politique ou ne sera pas

1) Les écologistes veulent entrer dans la cour des grands u’il est loin le temps où les écologistes manifestaient à vélo contre les autoroutes

urbaines du Président Georges Pompidou ou tractaient dans les marchés

accompagnés de joyeux orchestres. Dimanche 10 juin, ils étaient plutôt du genre à

scruter dans le détail les résultats du premier tour des législatives, calculette à la main pour

préparer le bureau politique du lendemain. Le sourire aux lèvres. Les réactions dans les

médias pleuvent. Alors que le MoDem s’est écroulé et que le Front de Gauche se tasse, les

écologistes font remarquer qu’eux progressent par rapport à leur triste performance

présidentielle, qu’ils ne subissent plus «l’effet vote utile» et qu’ils retrouvent «leur électorat

qui s’était porté sur Hollande le 22 avril dernier pour virer Sarkozy.» Après les 2,31%

récoltés par Eva Joly, peu avaient «imaginé franchir la barre des 5%.» Pour couronner le

tout, «leurs têtes d’affiches se portent bien1» : Noël Mamère est réélu à Bègles dès le premier

tour avec 52% des voix, Cécile Duflot et François de Rugy n’ont pas été loin de l’imiter en

recueillant 48,7% à Paris et 47,3% à Nantes. Reprenant en cœur plusieurs éléments de

langage, ils font une lecture très politique de ces résultats pourtant mitigés de premier tour,

par le biais d’une langue de bois qu’ils n’ont longtemps pas su maîtriser.

Car avant d’être politique dans les urnes, l’écologie a longtemps été revendicative sur le

terrain : dans la France des 30 glorieuses, une poignée de citoyens - qu’ils soient défenseurs

de l’agriculture biologique, militants de la cause homosexuelle, féministes ou partisans de la

non-violence – rêvent de freiner la croissance pour donner naissance à une société alternative.

Ils forment des groupes locaux, se réunissent, réfléchissent, manifestent, sensibilisent, se

divisent, se déforment : l’écologie est un mouvement citoyen désorganisé, hétéroclite. Avant

de s’illustrer avec leurs amis altermondialistes dans l’occupation de terrain du Larzac ou les

combats ayant trait à l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff, les écologistes ont

longtemps été cloisonné en lisière de la société, à force de bousculer les certitudes d’un

monde en mutation.

1 L’Express : Europe Ecologie a le sourire mais pas encore de groupe parlementaire, le 11 juin 2012

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Il faudra véritablement attendre 1974 et la candidature à l’élection présidentielle de

l’agronome René Dumont, pour que le mouvement écologiste se fasse entendre. La large

médiatisation du jeu politique dont ils bénéficièrent pour la première fois pendant cette

campagne provoqua même un débat interne à la mouvance écologiste : quelle est la méthode

optimale à employer pour «changer le monde» ? Faut-il continuer à être un mouvement

citoyen influençant la société civile ou bien se structurer et faire son entrée dans le monde

politique ? Tout en se démarquant des organisations traditionnelles, refusant d’intégrer les

codes du milieu politique, une partie des écologistes privilégia la deuxième solution et

inventèrent des comités de campagne «biodégradables», disparaissant au lendemain de chaque

scrutin. Déçus de l’alternance socialiste et des premières années d’un mitterrandisme bousculé

par les crises, ils décident de s’inscrire comme une force politique durable : le parti des Verts

naît au congrès de Clichy, en janvier 1984. Mais lorsque se posa quelques années plus tard

l’épineuse question de la stratégie électorale à suivre, l’autonomie politique renvoyant dos-à-

dos la droite et la gauche fût privilégiée à une stratégie d’alliances permettant de «modifier les

choses de l’intérieur». Le clivage était profond entre d’un côté les militants de gauche voire

d’extrême-gauche affirmés et revendiquant leur politisation à voix haute, et de l’autre ceux,

pas forcément de droite, désireux de créer une troisième voie au-delà de l’opposition gauche /

droite, entre marxisme et libéralisme. La division était d’autant plus dévastatrice pour les

Verts qu’elle était attisée… par une guerre des chefs, entre les quelques élus nationaux et

régionaux. Traduction dans les urnes : les écologistes réalisaient du yoyo électoral, selon le

mode de scrutin, les enjeux de la campagne… et la profondeur de leurs divisions.

Après un quart de siècle d’échecs électoraux où les écologistes ne parvinrent que très

rarement à transformer en mandats leur relative popularité, les Verts changeaient donc

radicalement de stratégie : le congrès de 1994 sacra Dominique Voynet et son idée de

contourner les contraintes du scrutin majoritaire, par le biais d’alliances avec les partis de

gauche. Selon elle, c’était l’unique moyen de participer au pouvoir tant au niveau des

collectivités locales que de l’Etat, et seule une entrée dans les exécutifs locaux et le

gouvernement pouvait permettre aux écologistes de confirmer aux scrutins nationaux sans

proportionnelle (présidentielle, législatives) les «percées» réalisées lors des européennes et

régionales. Au milieu des années 90, l’amateur associatif devint alors un professionnel de la

politique, les élections n’étaient plus un moyen d’influencer les autres partis mais une porte

d’entrée dans les exécutifs de gauche : les Verts ne voulaient plus seulement être un

laboratoire d’idées réfléchissant pour changer la vie mais être une force politique associée à la

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gestion des politiques publiques. Trois ans après avoir acté leur participation à la gauche

plurielle de Lionel Jospin, ils obtenaient pour la première fois de leur jeune histoire six

députés et un poste ministériel.

Mais l’efficacité de cette stratégie n’en resta pas moins toute relative : sans expérience

politique et ne disposant d’aucune marge de manœuvre –«je me suis aperçu que lors des

décisions ministérielles, on n’arbitrait pas forcément sur la base d’arguments objectifs mais

en fonction du poids des Ministres et des groupes politiques au Parlement, de l’émotion des

faits divers, de l’influence des lobbys, etc»2 – Dominique Voynet et les écologistes

déchantaient rapidement. Tout en perdant des électeurs, les divisions entre écologistes

s’accentuèrent. Le fait que les élus courent après les mandats – dans le but de crédibiliser le

mouvement - n’empêchaient pas les militants, selon qu’ils soient libertaires ou pragmatiques,

de continuer à débattre de façon véhémente sur la participation au pouvoir. Pour ne rien

arranger, le choc du 21 avril 2002 éclipsa le score historique de Mamère –considéré comme

un des responsables de l’élimination au premier tour de Lionel Jospin- et plomba

définitivement leur stratégie de conquête électorale adossée aux succès socialistes, qui devait

théoriquement les aider à évoluer. Faute de personnalités bénéficiant d’une notoriété nationale

et disposant de fiefs électoraux, les écologistes réalisaient toujours des scores honorables lors

des élections sur listes (municipales, régionales, européennes), mais continuaient à se

ridiculiser lors des scrutins uninominaux majoritaires (législatives, présidentielle). Alors que

les thèmes environnementaux étaient au premier plan de la campagne présidentielle de 2007,

Dominique Voynet réalisa même le plus mauvais résultat des Verts… depuis René Dumont !

Les rêves que nourrissaient les écologistes de devenir la «majorité culturelle du 21ème

siècle»

ne semblaient alors plus être qu’un lointain espoir, alors que dans le même temps Nicolas

Sarkozy écologisait son début de quinquennat3.

A l’automne 2008, le constat est implacable : les écologistes ont le choix entre s’auto-

décerner un satisfecit pour avoir eu «raison avant tout le monde» ou devenir crédible et

prendre le pouvoir. Sous l’initiative de Daniel Cohn-Bendit, José Bové et Cécile Duflot

émerge rapidement la nécessité de dépasser le parti des Verts, de se débarrasser de leur image

de vassal du Parti Socialiste pour s’affirmer comme une nouvelle force politique autonome, et

ainsi réapparaître positivement dans les radars médiatiques. Les adhérents des Verts mais

2 Source : « La saga des écolos ».

3 Il lança le Grenelle de l’Environnement le 6 juillet 2007, pour «refonder la politique de l'écologie en France et

inventer les conditions d'une croissance nouvelle.»

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aussi les acteurs associatifs ou syndicaux environnementalistes (Greenpeace, WWF, les Amis

de la Terre, Fondation Nicolas Hulot) ainsi que les écolos-centristes, socialistes ou électeurs

d’extrême-gauche sont tous appelés à s’unir dans une structure provisoire, Europe Ecologie.

Objectif initial de cette stratégie fédératrice ? Progresser dans les élections et acquérir une

présence dans d’autres segments de la vie publique, comme le débat d’idées ou l’éducation

populaire. Mais c’est encore et toujours au niveau électoral qu’ils se font remarquer. La

création d’Europe Ecologie est aussitôt couronnée d’un succès historique, lors des élections

européennes de 2009 : la nouvelle coalition, représentant des tendances assez diverses au sein

de la galaxie écologiste, dépasse les prédictions les plus optimistes en recueillant 16,3% des

suffrages exprimés, frôlant le résultat du Parti Socialiste. Le scénario se répète quelques mois

plus tard – sans être au coude à coude avec le PS cette fois-ci – lorsque les écologistes, malgré

leurs faibles audiences dans les communes périurbaines, présentent aux élections régionales

2010 des listes autonomes sur l’ensemble du territoire. Réalisant en moyenne 12,2% avec des

performances inédites en Rhône-Alpes, en Ile-de-France et en Alsace, Europe Ecologie

confirme la viabilité de cette alliance politique entre écologistes et environnementalistes. Une

dynamique qui mérite toutefois d’être nuancée : ces deux scrutins élisent des assemblées

politiques dont les compétences collent aux thèmes de campagne écologistes, et dont le mode

d’élection à la proportionnelle prend mieux en compte les petits partis dont Europe Ecologie

fait partie.

Le nouveau parti de l’écologie politique, copié-collé de ses deux derniers noms, naît

formellement à l’automne 2010 dans le but de peser véritablement dans l’exercice du pouvoir,

et non plus seulement d’y participer pour moderniser le marketing électoral du PS. La création

d’Europe Ecologie-Les Verts est la stratégie des écologistes pour professionnaliser l’écologie

politique dont l’histoire a pour l’heure été marquée par des hauts et des bas continus. Plus que

réaliser des scores honorables et être représentés symboliquement, le nouveau parti écologiste

aurait vocation à obtenir davantage de mandats pour agir et inventer les prémisses de la

société de demain. En quête d’indépendance mais surtout d’influence, les écologistes ne

peuvent pour autant exclure de leur stratégie les accords politiques de second tour, qui leur

permettent de négocier des contrats de majorités. Dès 2011 et au terme d’un premier

rapprochement avec Solférino, ils investissent le Sénat en passant de 4 à 12 élus4 mais surtout,

ils y fondent leur premier groupe parlementaire et disposent d’une influence inégalée

4 10 élus le 25 septembre 2011, puis 12 avec la nomination du gouvernement de François Hollande. De même,

16 eurodéputés écologistes siègent désormais au Parlement européen au lieu de 14 élus en 2009.

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puisqu’ils font la bascule dans une majorité de gauche étriquée (177 sénateurs de gauche

contre 171 de droite).

Pragmatiques depuis leur renouveau et leur entrée de plain-pied dans la real-politik, les

écologistes s’attaquent dès l’automne 2011 à la séquence tant redoutée des élections

présidentielle et législatives… encore avec l’aide du Parti Socialiste. La réalité institutionnelle

de la 5ème

République et les contraintes du scrutin uninominal à deux tours, contraindrait

Europe Ecologie-Les Verts à passer par cet exercice difficile : «C’est compliqué de faire des

alliances avec le PS. Oui, on est une troisième voie ; oui, on est capable de passer des

accords ; mais non, ce n’est pas automatique. Nous revendiquons à la fois l’autonomie de

notre projet politique différent, et la possibilité de passer des accords» tente de justifier

Cécile Duflot dans le livre d’Erwann Lecoeur5. Objectif : proposer à leur partenaire un

programme de transition écologique et être l’initiateur d’une future majorité qui se

structurerait autour de réformes radicales et structurelles. Sans illusions sur une «vieille

gauche productiviste et néo-libérale», les écologistes qui redoutent toujours autant d’«être le

poil à gratter de la social-démocratie»6 refusent de se vendre aussi facilement qu’en 1997

7 et

entament d’égal à égal la négociation d’un accord électoral et programmatique, censé leur

permettre d’acquérir à terme leur indépendance politique. Réclamant une centaine de

circonscriptions dont la moitié de gagnables pour peser à l’Assemblée nationale et se garantir

une visibilité politique au cours de la prochaine mandature, ils obtinrent finalement 63

circonscriptions dont 25 à 30 gagnables. De quoi assurer une représentation proportionnelle à

leur poids politique et ainsi leur faire espérer la création d’un second groupe parlementaire

indépendant, à l’Assemblée nationale cette fois-ci. Les deux formations publient en parallèle

un document de trente pages où ils actent 80% d’idées communes dont un retrait militaire

d’Afghanistan, un contrôle public des banques, l’harmonisation de la taxation des revenus du

capital et de ceux du travail, une réduction de la part de l’énergie nucléaire dans la production

d’électricité française et la non-prolongation de 24 centrales nucléaires en fin de vie, etc. Une

clause de revoyure est signée en ce qui concerne des sujets plus polémiques, comme l’arrêt de

la construction de l’EPR de Flamanville ou le moratoire sur l’arrêt de la construction de

l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, où les représentations opposées de chacun étaient

5 « Des Écologistes en politique », 2011.

6 Tribune publiée le 18 août 2010 dans Le Monde « Yes we can »par Patrick Farbiaz et Pascal Durand

7 «En 1997, nous avons été achetés pour pas cher» avouera Jean-Luc Benhamias, à l’époque secrétaire national

des Verts, dans Le Monde du 30 septembre 1998. Noël Mamère estimera pour sa part que Lionel Jospin a donné

aux Verts des «hochets pour amuser la galerie.»

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susceptibles de faire sombrer leur partenariat. C’est sans nul doute l’accord le plus abouti

jamais signé entre les deux partis notamment «grâce au talent des négociateurs d’Europe

Ecologie-Les Verts.8» Après une séquence électorale plus que difficile symbolisée par les

2,31% d’Eva Joly, les écologistes se rassurent en obtenant 17 députés mais sans empêcher le

Parti Socialiste d’avoir la majorité absolue à lui tout seul.

Tantôt autonomes et capables de concurrencer le PS pour la place de première force politique

de gauche, tantôt réduits à subir l’hégémonie de leur partenaire voire même à observer leur

place d’alternative à la social-démocratie raflée par les communistes (dernièrement, le Front

de Gauche à la présidentielle), les écologistes courent comme toujours après la régularité

électorale. Mais contrairement à l’après-2007, ils croient de nouveau en l’objectif de

transformer une opinion sensibilisée en réussites électorales en attendant la réforme

institutionnelle instaurant de la proportionnelle aux scrutins majoritaires nationaux que leur a

promise François Hollande. De fait, EE-LV est persuadé d’avoir devant lui un espace

politique à conquérir, tout en étant conscient qu’il est tout autant susceptible de disparaître.

«Soit le Parti Socialiste est capable d’intégrer les ambitions et les orientations proposées par

l’écologie politique, ou bien il n’en est pas capable, et c’est les écologistes qui dépasseront,

un jour ou l’autre, les socialistes» estime Dominique Voynet, dans le documentaire La Saga

des écolos. Selon Jean-Marie Bouguen, collaborateur parlementaire de Jean-Vincent Placé,

«nous sommes au troisième âge de l’écologie politique» : après la naissance des Verts puis

l’accès au pouvoir, Europe Ecologie-Les Verts achève «la mutation des écologistes vers un

parti classique et doit aujourd’hui s’inscrire de façon décomplexée en situation de

responsabilité, afin d‘agir au maximum sur les politiques publiques». Cette entreprise de

normalisation qui doit voir les élus EE-LV se banaliser dans l’exercice du pouvoir est en

bonne voie, mais son avenir ne peut être préjugé à l’heure où ces lignes sont écrites. Alors que

Les Verts, au fonctionnement trop brouillon pour arriver à leur objectif, n’étaient jamais

parvenus à se métamorphoser en vingt ans d’existence, Europe Ecologie-Les Verts doit veiller

à ne pas retomber dans leurs travers passés, sous peine de dilapider le capital-sympathie

accumulé depuis les européennes 2009. La stratégie politique professionnalisante des

dirigeants doit s’accompagner d’une rigueur interne visant à trouver le bon équilibre entre

Verts historiques et nouveaux venus d’Europe Ecologie, apparatchiks et militants d’ONG ; le

sectarisme des premiers ne devant pas cannibaliser l’utopisme des seconds.

8 Pascal Durand sur Public Sénat, le 6 juin 2012.

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2) Une nouvelle dynamique qu’ils cherchent à appliquer à la capitale

omme l’écologie politique à ses débuts ou les Verts en leur temps, Europe

Ecologie-Les Verts est un parti résolument urbain : ils réalisent leurs meilleurs

résultats dans les territoires les plus dynamiques économiquement et

démographiquement (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Alsace), dans les grandes

villes où se produisent des changements à la fois culturels et sociologiques. «Pourquoi

pensez-vous que Dominique Voynet, conseillère régionale de Franche-Comté puis Députée du

Jura ait décidé d’aller se faire élire Maire à Montreuil ? Chez les Verts, les figures, comme

les programmes, se recentrent automatiquement vers les villes, terreau de l’écologie

politique» explique Jean-René Bourge, chercheur en science politique à Paris VIII. De par la

sensibilisation de l’électorat des grandes villes à l’écologie politique, les résultats électoraux

de Lille, Bordeaux, Lyon mais aussi Paris sont étroitement analysés par l’état-major

écologiste. Europe Ecologie-Les Verts, qui ne gère aujourd’hui que 57 municipalités, dont

seule la ville de Montreuil dépasse les 100.000 habitants, souhaite consolider ses bases

acquises et conquérir de nouvelles grandes villes… dont Paris serait le symbole le plus

prestigieux.

Si le succès des européennes 2009 n’a pas permis d’arriver devant le Parti Socialiste à

l’échelle nationale (16,28% contre 16,46% au PS), il n’a pas échappé aux écologistes que leur

liste autonome était arrivée largement devant celle de leur partenaire-adversaire socialiste…

dans la capitale : Daniel Cohn-Bendit y réalise 27,46% quand Harlem Désir ne parvient à

rallier que 14,69% des suffrages derrière lui. L’année suivante aux régionales, la liste de

Cécile Duflot avait limité les dégâts face à celle d’Anne Hidalgo. De quoi faire naître l’idée

que Paris et sa région pourrait être le potentiel lieu du dépassement de la social-démocratie

par l’écologie politique. «Dire qu’ils y pensent n’est pas un euphémisme : étant donné que le

national ne lui réussit pas, EE-LV compte d’abord doubler le PS sur le plan local avant de

tirer des plans de dépassement politique. A ce titre, ils surveillent attentivement les grandes

villes comme Paris, Lyon ou Grenoble où ils savent que leurs élus sont costauds et que les

électeurs répondent généralement présents. Dans ces villes, le PS n’est pas rassuré: les nids

écologistes qui pourraient éclore au niveau local risquent de s’étendre et de toucher un jour

C

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ou l’autre les oiseaux du PS» analyse Rosalie Lucas, journaliste qui couvre le Parti Socialiste

et Europe Ecologie-Les Verts pour le compte du Parisien.

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Depuis trois ans, la victoire d’écologistes sur les socialistes lors de scrutins locaux n’est plus

seulement une ambition farfelue inventée dans les cerveaux verts. «Nous avons pris

conscience que si nous arrivons à être plus sérieux et à la jouer intelligemment et

collectivement, nous pourrions peut-être concrétiser cette ambition» décrypte Adrien

Saumier, un militant parisien. Autant dire que la présidentielle et les législatives – scrutins

nationaux qui ne réussissent traditionnellement pas aux écologistes – les intéressaient

localement dans une logique de préparation du prochain scrutin municipal.

«Les centres-villes sont une de nos meilleures bases, donc l’objectif de conquérir Paris en

2014 est bien réel. Depuis des années, nous avons de plus en plus d’élus, la prochaine étape

consiste à prendre le pouvoir au

sein de l’exécutif local» raisonne

Yves Contassot, le porte-drapeau

des Verts lors des élections

municipales dans la capitale en

2001. Particularité de cette nouvelle

stratégie insufflée par Europe

Ecologie-Les Verts : les écologistes

n’hésitent plus à crier haut et fort

leur ambition.

Lors des premières élections

municipales organisées depuis un siècle dans la capitale, en 1977, Brice Lalonde avait déjà

obtenu 10,1% des suffrages. Et depuis, la configuration politique n’a cessé de changer : la

sociologie de l’électorat parisien a évolué, les quelques citoyens de gauche qui votaient pour

des raisons essentiellement sociales ont été remplacés par un vivier d’électeurs de la «gauche

sociétale». «La forte concentration de classes moyennes et supérieures déjà sensibilisée à

l’écologie politique, qui dispose des ressources intellectuelles comme le montre son fort

niveau de diplôme, est typiquement un électorat auquel notre discours peut plaire» reconnaît

Claire Marynower, une cadre locale d’EE-LV-Paris. Au-delà de la structure même de la

population, les écologistes ont également été associés à la gestion de la ville depuis 2001 et

l’accession au pouvoir de Bertrand Delanoë. Etre la pierre angulaire de la future majorité

parisienne en 2014, une de leurs bases militantes et électorales les plus importantes, est dans

leur esprit une étape rationnelle et logique de leur évolution.

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Mais contrairement aux élus

socialistes bien implantés localement

et disposant pour certains d’une aura

nationale, le casting des écologistes

parisiens manquait jusqu’ici de

personnalités susceptibles d’incarner

le rôle de Maire de Paris. Leurs bons

résultats jusqu’ici étaient liés aux

caractéristiques de l’électorat

parisien plutôt qu’au profil de ses

représentants locaux, peu reconnus.

Conscients qu’un bon score en 2014

ne sera possible que si le vote pour

EE-LV induise plus qu’un simple

vote de témoignage, les écologistes

ont profité des élections législatives

pour donner davantage de poids à

Denis Baupin, ainsi que pour

implanter la secrétaire nationale,

Cécile Duflot, à l’est de la capitale.

Une stratégie qui pourrait s’avérer

être la bonne, selon Marie-France

Gairaud, journaliste du Parisien : «la

candidature d’une personnalité

d’envergure nationale sur Paris est

une bonne chose pour EE-LV : ils

pourraient davantage marquer le

coup qu’avec des élus parisiens»

médiatiquement inexistants. «Pour

2014, il nous faut une candidate

emblématique, avec une forte

notoriété : la candidature d'une

membre du gouvernement contre

une liste socialiste n'est pas à exclure» explique Denis Baupin. Evoquée depuis un an lors de

Cécile Duflot, apparatchik carriériste ou plébéienne désintéressée ?

Qui est réellement Cécile Duflot ? Si elle est loin de correspondre à l’image de la «jeune femme arrivée par hasard en politique» qu’elle cherche à donner; la présenter comme une horrible cumularde revient à sauter bien des étapes de son parcours. Fille d’une professeure et d’un cheminot du Val-de-Marne, Cécile Duflot intègre - après avoir suivi un DEA de géographie à l’université Paris VII- l’ESSEC, une prestigieuse école de commerce parisienne. Diplômée en 2000, elle prend le contrepied du parcours-type de sa promotion en intégrant un groupe immobilier spécialisé dans le logement social. Un an plus tard, elle s’engage chez les Verts qui participent alors au gouvernement, mais pour «agir au niveau communal» à Villeneuve-Saint-Georges, dans sa proche banlieue parisienne. Du moins, tel était l’objectif initial. En janvier 2003, elle est élue au Collège exécutif des Verts, où elle est chargée de la réforme interne. Aux premières loges de l’échec de la participation gouvernementale et de la gauche plurielle, mais aussi des divisions intrinsèques aux Verts, elle entame une ascension fulgurante, digne d’une apparatchik passée par les pépinières de partis –type MJS ou Unef. Désignée porte-parole du courant le plus à gauche du parti, qui deviendra majoritaire au sein des Verts en 2005, Cécile Duflot s’impose rapidement comme une figure incontournable : en multipliant les choix politiquement judicieux, elle comble son «retard». A 31 ans, elle prétend déjà à l’investiture pour l’élection présidentielle de 2007, ne recueillant qu’un peu plus de 23% des suffrages… mais gagnant considérablement en notoriété. Consécration au congrès national de décembre 2006, où elle devient la plus jeune secrétaire nationale des Verts ! La tâche qui lui incombe n’est pas une mince affaire : (suite) visibilité et des espoirs à l’écologie politique. A partir de ce moment, Cécile Duflot s’emploiera à des réformes internes en cherchant à rassembler l’ensemble de la mouvance écologiste, qu’elle soit investie politiquement ou au niveau de la société civile, avec les milieux associatifs. «Le parti était électoralement, humainement et financièrement en difficulté, mon rôle a été de remettre le train – qui avait fait un tête à queue - sur les rails pour le cas où le contexte nous serait à nouveau favorable.»

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Cécile Duflot, apparatchik carriériste ou plébéienne désintéressée ?

(suite) alors que Dominique Voynet vient d’enregistrer le plus mauvais résultat des écologistes (1,57%) à la présidentielle depuis la candidature de René Dumont en 1974, elle doit redonner de la visibilité et des espoirs à l’écologie politique. A partir de ce moment, Cécile Duflot s’emploiera à des réformes internes en cherchant à rassembler l’ensemble de la mouvance écologiste, qu’elle soit investie politiquement ou au niveau de la société civile, avec les milieux associatifs. «Le parti était électoralement, humainement et financièrement en difficulté, mon rôle a été de remettre le train – qui avait fait un tête à queue - sur les rails pour le cas où le contexte nous serait à nouveau favorable.» Elle semble donner satisfaction puisqu’elle est reconduite pour un second mandat en décembre 2008. Refusant d’être candidate au scrutin européen malgré la proposition d’une place éligible, Cécile Duflot remporte toutefois sa première bataille : les listes Europe Ecologie, portées par des candidats aussi différents que le «faucheur d’OGM» José Bové ou le «leader de Mai 68» Daniel Cohn-Bendit, réalisent 16,28% en juin 2009 –six points au-dessus de leur précédent record de 1989- et obtiennent 14 députés européens ! Du jamais vu. Face au succès de cette stratégie d’union et d’autonomie, elle se lance à son tour comme tête de liste aux élections régionales en Ile-de-France, accompagnée de l’ancien directeur de la Caisse des Dépôts Robert Lion, du co-fondateur des Enfants de Don Quichotte Augustin Legrand ou encore de la présidente d’Act-Up Emmanuelle Cosse. Suite au succès collectif des européennes, «il y avait le besoin de personnaliser le moment pour grimper une nouvelle marche. Et j’étais la bonne personne pour le faire puisque j’avais l’atout d’avoir un certain altruisme politique, de ne pas être cataloguée comme celle qui avait utilisé les Verts pour sa gloire personnelle.» La patronne des Verts, qui expliquera peu après avoir été lassée de «passer la serpillère», se révèle alors dans le paysage politico-médiatique, en assurant la majeure partie des apparitions médiatiques d’une campagne à enjeux locaux. La liste qu’elle conduit dans la région-capitale recueille 16,58% des suffrages (plus que la moyenne nationale) et lui donne le droit d’aller négocier doublement à Solférino durant l’entre-deux tours : d’abord l’accord global avec le PS de Martine Aubry en sa qualité de secrétaire nationale puis ensuite son ralliement francilien à Jean-Paul Huchon, en l’échange d’un groupe écologiste (qu’elle présidera par la suite) passant de 28 à 50 élus. Plus d’un an plus tard, elle décroche un troisième et dernier mandat en interne avec 50% des voix, «véritable sacre» illustrant à merveille son «sans-faute» en interne, selon ses proches. Un sans-faute qui n’empêche pas le paradoxe Duflot d’apparaître au grand jour : estimant que les éléments les plus forts de l’histoire de l’écologie politique ont déjà été écrits et qu’elle est «de l’âge de ceux qui ont à faire» et à agir, Cécile Duflot ne concrétise pas elle-même ses belles paroles. Auréolé du plus important poids politique que n’a jamais eu un leader écologiste, le côté calculateur de la secrétaire nationale transparaît lorsqu’elle refuse de se lancer dans la difficile course à la présidentielle en 2012 puis une place indécise sur la liste sénatoriale du Val-de-Marne. Elle officialise le jour de ses 5 ans à la tête du mouvement écologiste, le 16 novembre 2011, sa candidature aux élections législatives à Paris.

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réunions informelles, la candidature de Cécile Duflot aux élections municipales n’a cependant

toujours pas été confirmée par la principale intéressée : si elle reconnaissait à l’automne

dernier sur le journal de France 2 que cela faisait «partie des choses possibles», elle a depuis

ajouté que ce n’était pas encore d’actualité... L’arrivée de la très médiatisée Cécile Duflot

dans la 6ème

circonscription de Paris démontre la volonté du parti de se donner les moyens de

son ambition municipale. Depuis les débuts de l’écologie politique française, l’histoire verte

était teintée d’un amateurisme revendiqué, marquée par le refus du vedettariat.

Automatiquement, toute stratégie d’un individu ressemblant à une marque d’ambition

personnelle s’exposait à de vives critiques, dans un parti où la base militante a une forte

propension à «couper les têtes» et à considérer cela comme une forme de notabilisation «à la

mode radical-socialiste, voire socialiste tout court…»9 L’ancienne présidente de France

Nature Environnement et aujourd’hui députée européenne Sandrine Bélier confirme à

Slate.fr10

que «nous avons une logique de partage du pouvoir qui peut conduire à une

méfiance envers nos leaders, mais cette culture change en ce moment» avec Europe Ecologie-

Les Verts, où les têtes d’affiches sont de mieux en mieux acceptées.

Autre point de satisfaction pour la direction nationale, l’arrivée de Cécile Duflot ne semble

pas avoir froissé les élus écologistes parisiens : au fil des élections, ils semblent avoir pris

conscience de leurs carences naturelles – dont l’absence de leadership - pour progresser au

sein de la capitale, au point de réclamer presqu’unanimement l’implantation de la secrétaire

nationale. Mieux, certaines voix laissent espérer qu’une candidature consensuelle de Duflot

aux municipales en 2014 pourrait mettre un terme à leurs historiques querelles internes… «Il

y a eu des animosités très fortes chez les Verts à Paris. Le débat sur la participation au

pouvoir, sur lequel s’entremêlaient les amitiés et inimitiés personnelles, ont provoqué des

dégâts internes considérables au cours de la première mandature. En 2002, nous nous

insultions entre nous» révèle l’actuel patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel.

«Dès notre arrivée au pouvoir, les batailles d’appareils et de personnes ont remplacé les

batailles d’idées : les «leaders» voulaient que tous les écologistes parisiens s’impliquent dans

leur conflit privé et fassent allégeance à l’un ou l’autre» explique Anne Le Strat, ex-

Conseillère de Paris verte, siégeant désormais en apparenté au groupe PS. Tout au long de la

première mandature de Bertrand Delanoë (2001-2008), les Adjoints au Maire Yves Contassot,

9 Blog de Pierre Minnaert, propos d’un militant de base. Article : « Législatives : candidature du mouvement ou

notabilisation ? » 10

« Pourquoi les écologistes n’ont pas la main verte avec la présidentielle », 13 février 2012

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opposé nationalement à la participation gouvernementale, et Denis Baupin, ancien conseiller

ministériel de Dominique Voynet, se livrèrent une bataille feutrée en vue de l’investiture pour

les municipales 2008. Depuis, les crispations semblent moindres. «Notre groupe n’a pas

connu de départs, de conflits de personnes ni de divergences de vote depuis quatre ans.

Mieux, il a enregistré l’arrivée de deux anciens PS11

» se félicite le co-président d’EE-LV au

Conseil de Paris, Sylvain Garel. Au contraire, explique un ancien Conseiller de Paris Vert,

«les échos que j’ai m’indiquent que la seconde mandature est pire que la première : le groupe

n’aurait plus d’existence en tant que tel, chacun pousserait les projets de son arrondissement

dans son coin.» A défaut de connaître la véritable ambiance régnant actuellement au sein du

groupe écologiste, j’ai interrogé Hervé Morel pour savoir si les rivalités couvant à propos de

l’investiture législative dans l’autre circonscription accordée par le PS12

aurait pu faire

renaître cette haine déchirant les écologistes parisiens : «Joker !», lance-t-il avant de se

reprendre, «tout le monde voit bien que cette investiture aurait pu rallumer la flamme qui

nous a ravagé il n’y a pas si longtemps, mais franchement, cela aurait fait un peu

réchauffé…»

En dépit de l’image de maturité que les écologistes parisiens cherchent à afficher depuis

quelques années, ils n’ont pas été loin de retomber dans leurs turpitudes passées sous l’appel

de nouveaux enjeux de pouvoirs et de postes. Pour choisir son candidat aux législatives dans

la seconde circonscription réservée selon l’accord avec le PS, Europe Ecologie-Les Verts a eu

l’embarras du choix, avec pas moins de neuf candidatures présentées : « Il y a tellement de

prétendants à l'atterrissage dans la 10e circonscription de Paris qu'il faudra bientôt une tour

de contrôle » s'amusait René Dutrey, candidat sur cette circonscription en 2007. Au-delà de

plusieurs personnalités parisiennes – les Adjoints au Maire Denis Baupin et Véronique

Dubarry, mais aussi Yves Contassot désormais élu dans le 13ème

arrondissement – quelques

cadres du parti avaient également déposé leurs candidatures, en l’occurrence la trésorière Eva

Sas et le porte-parole Pascal Durand. Car si le candidat écologiste aux dernières municipales

Denis Baupin a finalement été élu député en juin 2012, sa désignation interne ne s’est pas

faite sans remous en décembre 2011. Cécile Duflot ayant fait main basse sur «sa» 6ème

circonscription et le 20ème

arrondissement où il est élu depuis 1995, l’Adjoint de Bertrand

Delanoë prévoyait initialement de se présenter dans une circonscription de sa ville d’origine,

11

Il s’agit des élus du 20ème

arrondissement, Michel Charzat et Katia Lopez 12

Dans le cadre de l’accord, le PS soutient également le candidat écologiste dans la 10ème

circonscription de

Paris

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Caen. Problème : celle-ci n’a pas été intégrée à l’accord PS/EE-LV rendant ses chances d’être

élu inexistantes. Il s’est finalement rabattu sur les désignations internes en Essonne, à

Grenoble, à Saint-Brieuc… et dans la 10ème

circonscription de Paris ! «C’est vrai que cela m’a

un peu mis en difficulté» avouera-t-il peu après au Parisien13

. «Son investiture ne l’honorait

pas, je n’aurais jamais déposé une candidature interne là où Denis est élu, dans la 6ème

circonscription… Les plans de carrières personnels doivent être mis de côté quand ils peuvent

avoir une incidence sur l’ambition du parti. Les apparatchiks l’ont fait gagner en interne

mais il n’a plus que les militants du PS pour faire sa campagne» enrage en privé le local de

l’étape Yves Contassot. Preuve de leur professionnalisation, ce dernier eut toutefois la sagesse

de ne pas tenir de tels propos sur la place publique.

L’autre évolution remarquable de la stratégie parisienne d’EE-LV est d’avoir fait des

prochaines municipales un enjeu moins en termes de performances électorales qu’en terme de

multiplication de postes à responsabilité. L’objectif est d’imiter l’UMP et le PS, quasi-assurés

de parvenir à la tête d’exécutifs locaux puisque contrôlant la majorité des postes électifs – des

maires aux parlementaires en passant par les conseillers généraux (ou de Paris) et les

conseillers régionaux – et ayant su nouer un système d’alliances les inscrivant comme le parti

dominant de leurs camps respectifs. Pour s’inscrire durablement et peser dans la vie politique

parisienne, le parti écologiste doit posséder davantage de fiefs électoraux14

, avec des élus

confirmés et réélus possédant un solide réseau local15

, à l’exemple de Jacques Boutault dans

le second arrondissement de la capitale. La Mairie remportée en 2008 par Dominique Voynet

à Montreuil, les bons scores d’EE-LV enregistrés dans les 2, 3, 10, 11, 18, 19 et 20ème

arrondissements lors des européennes et régionales suivantes, en écho à la circonscription sur

laquelle s’est faite triomphalement élire Cécile Duflot en juin 2012 sont autant de raisons qui

peuvent laisser espérer aux écologistes de construire un «fief» dans le nord-est parisien. Il

semble y avoir là une assise électorale, un potentiel qui reste toutefois à consolider pour en

faire à terme une situation «acquise».

13

« Les écologistes se déchirent à Paris », Le Parisien, 15 décembre 2011. 14 Refusant d’entrer dans le jeu des partis politiques puis engluée dans des coalitions avec le PS, les écologistes

n’ont jamais pris le temps de constituer des fiefs électoraux, des zones de forces où s’accumulent municipalités,

cantons, circonscriptions avec différentes échelles d’élus locaux, des forces militantes ou encore des relais

syndicaux et associatifs. 15 Bien que cela ne soit pas le cas de Jacques Boutault, un mandat de parlementaire a son utilité dans la

construction d’un fief politique. Ne serait-ce que grâce à sa réserve parlementaire, évaluée annuellement de

150.000 à 200.000 euros par députés. Ils peuvent ainsi financer des projets dans leur circonscription, ou encore

distribuer des subventions aux associations…

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Pour Marie-Anne Gairaud, qui traite la vie politique parisienne au Parisien, «les écologistes

auront tout de même du mal à faire du 20ème

arrondissement leur fief parisien : il y a de

nombreux logements sociaux autour des boulevards des maréchaux, et la population est plus

préoccupée par les questions sociales qu’environnementales.» Même son de cloche chez

Jean-Marc Pasquet, conseiller régional EE-LV d’Ile-de-France et ancien patron des Verts

Paris : «Notre discours est très «centre de Paris» à parler de démocratie locale plus que de

logement ou de petite enfance, et peut paraître en décalage dans un quartier où il y a 10%

d’illettrisme, le double du chômage et de nombreux bénéficiaires du RSA…» Tout l’enjeu à

terme pour le parti écologiste est de parvenir à démontrer que leurs combats contre la

pollution ou encore le bruit pénalisent en premier lieu les catégories les plus populaires.

«Notre positionnement «bobo» peut nous faire passer à côté d’un score à deux chiffres si

nous ne nous adressons pas en parallèle aux plus faibles : nous avons le devoir de nous

intéresser autant au cadre célibataire qu’aux familles nombreuses. Il faut trouver des ponts

entre les attentes écologistes d’une population qui n’a plus de besoins matériels et les attentes

sociales d’un électorat bien plus fragile» continue ce cadre local. Car si les cadres moyens et

supérieurs représentent plus de la moitié de la population dans les 11ème

et 20ème

arrondissements depuis les nombreuses opérations d’urbanisme16

touchant l’Est de la capitale,

la gentryfication ne s’est faite qu’à la marge dans certains micro-quartiers tels que les Hauts

de Belleville ou Léon Frot. Une population socialement défavorisée est parvenue à s’y

maintenir dans des cités de logements sociaux, où les préoccupations sociales sont très fortes

et où le vote écologiste est lui, très faible. S’ils veulent un jour devenir dominateur dans l’Est

parisien, les écologistes doivent parvenir à «transcender les classes sociales», à discourir par

exemple autant sur la généralisation du bio dans les cantines municipales – où ils marqueront

des points parmi leur électorat aisé – que sur les problèmes d’obésité qui touchent

massivement les enfants des classes populaires.

Une telle stratégie couplée à des scores historiques et une ambition inédite de la part des

écologistes parisiens, aujourd’hui minoritaires dans l’exécutif de Bertrand Delanoë, n’a pas

manqué de faire réagir les socialistes de la capitale. Avant même la conclusion de l’accord

entre Europe Ecologie-Les Verts et le Parti Socialiste, ils se sont employés à minimiser les

dégâts pour que «Paris ne soit pas sacrifié». Par exemple, en transmettant une position pour

16

Les opérations d’urbanisme dans ces quartiers (réhabilitations, rénovations, reconstructions) ont débuté dans

les années 1980.

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le moins malhonnête intellectuellement aux négociateurs de Solférino - «la fédération de

Paris est favorable à un accord électoral cédant aux écologistes parisiens deux

circonscriptions gagnables, mais refuse toute candidature commune là où un Député PS

sortant souhaite se représenter.» Alors que les onze parlementaires socialistes de la capitale

souhaitaient initialement briguer un nouveau mandat, seule une17

des douze circonscriptions

gagnables était théoriquement «libre» pour un candidat EE-LV… Il faut reconnaître que

lorsque la fédération de Paris a transmis ce «mandat-piège» à la direction nationale du PS, des

rumeurs de plus en plus insistantes faisaient état de l’implantation de Cécile Duflot dans la

capitale. Le patron de la fédération PS de Paris Rémi Féraud – qui a fait allégeance au Maire

de Paris Bertrand Delanoë – menace alors son propre parti de présenter des dissidents partout

«là où la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts se présenterait.» En parallèle, il

intoxique les médias : «Cécile Duflot à Paris, c’est du bluff… Son parachutage ne fait pas

partie d’un accord envisageable entre le PS et EE-LV»18

. Sous couvert de «off», un proche du

Maire de Paris va même plus loin: « Jamais on ne se laissera flinguer de l'intérieur. Nous

sommes prêts à faire exploser l'accord au niveau national ! »19

.

17

Il s’agit de la 11ème

circonscription, qui plus est fragilisée par le redécoupage électoral. 18

Sur France Bleu Ile de France, 8 novembre 2011. 19

Source : Rue 89, «A Paris, Duflot attendue avec un bazooka par le PS » le 10 novembre 2011

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Dans les jours précédant la

signature de l’accord, Anne

Hidalgo, la première adjointe

et candidate à la succession

de Delanoë en 2014, ne dit

pas autre chose : selon Le

Parisien, elle envoie à ses

soutiens des SMS du type «Il

faut tenir bon. Pas de

parachutage, sinon pas

d’accord possible. Si pas

d’accord, c’est pas la

cata !»20

. Le contenu de la

négociation entre les deux

formations – accordant à Paris

la 6ème

et la 10ème

, deux

circonscriptions jugées

comme excellentes et

permettant l’implantation de

Cécile Duflot – est dévoilé au

bureau national du Parti

Socialiste, le 15 novembre au

soir.

20

Le Parisien, « A Paris, Aubry lâche Delanoë », le 17 novembre 2011.

Le parachutage, une pratique ancestrale à Paris

S’ils peuvent être légitimes lors de scrutins locaux, les débats sur le parachutage ont-t-il leur place lors d’élections nationales telles que les législatives ? La députation, contrairement aux cantonales ou aux municipales où il est nécessaire d’être inscrit sur les listes électorales et de payer des impôts depuis au moins cinq ans sur le territoire convoité, ne requiert aucune obligation de domicile. Pourquoi ? Parce que comme l’explique la Constitution de 1791, les députés «ne sont pas représentants d’un département en particulier, mais de la Nation entière.» Ne représentant pas les habitants d’une circonscription mais l’ensemble des Français, la géographie ne devrait avoir en théorie que peu d’importance dans le scrutin législatif. Auparavant, le rattachement à une circonscription n’était considéré que comme une modalité du mode de scrutin : des hommes politiques d’envergure nationale comme Georges Clémenceau se parachutaient ainsi dans plusieurs circonscriptions à la fois, pour s’assurer une chance d’être élu. Battu aux élections législatives de la Seine en 1928, Léon Blum s’est lui, fait élire à l’Assemblée nationale un an plus tard, lors d’un scrutin partiel… à Narbonne. La fidélité électorale des citoyens locaux était ensuite récompensée par la mise à disposition du réseau et de l’entregent de ces pontes : une fois élu Président de la République en 1981, le charentais-landais François Mitterrand n’oublia pas, loin de la, le département de la Nièvre où il a été élu Député pendant près de 35 ans. «Qu’on le veuille ou non, les parachutages ont toujours existé en politique. J’ai le regret de vous annoncer que François Mitterrand n’est pas né dans la Nièvre. Et à ce que je sache, l’arrivée de Royal à La Rochelle, c’est ça la politique autrement ? Et puis, est-ce qu’un parachuté fera moins bien la loi qu’un non-parachuté ? Est-ce qu’il aura moins d’empathie avec le territoire dans lequel il est élu… au suffrage universel ?» fait remarquer malicieusement une sénatrice PS rencontrée à l’automne dernier. Reste que depuis une trentaine d’années, le parachutage est connoté négativement, (suite) décentralisation de la vie politique a peu à peu inscrit l’ancrage local comme une condition sine qua non pour être élu député. Soucieux de disposer de fiefs leur assurant d’être élus et réélus, certains barons locaux ont accrédité l’idée qu’un député devait, à travers les lois votées «dans l’intérêt de la Nation», défendre des projets locaux comme n’importe quel élu de terrain (sic).

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«Ils me prennent vraiment pour un con! Ils se foutent de ma gueule» s’énerve le Maire de

Paris, à la sortie de la réunion. Même colère chez Anne Hidalgo, qui lança à Martine Aubry

dont elle était la porte-parole au cours de la primaire socialiste, et dont le mari est le directeur

de cabinet de la première secrétaire, «que je ne te croise plus jamais !» Cheffe du parti et donc

Le parachutage, une pratique ancestrale à Paris

(suite) le parachutage est connoté négativement, associé à de basses manœuvres parisiennes. La décentralisation de la vie politique a peu à peu inscrit l’ancrage local comme une condition sine qua non pour être élu député. Soucieux de disposer de fiefs leur assurant d’être élus et réélus, certains barons locaux ont accrédité l’idée qu’un député devait, à travers les lois votées «dans l’intérêt de la Nation», défendre des projets locaux comme n’importe quel élu de terrain. Bien que bénéficiant d’un statut à part par rapport aux autres territoires concernés par les lois de décentralisation, Paris a elle aussi versé dans cette ode au localisme. Il est loin le temps où Jacques Chirac cumulait son mandat de Maire de la capitale… à celui de Président du Conseil général de Corrèze (NDLR : de 1977 à 1979). Au cœur du pouvoir central, la capitale a en effet été le lieu d’atterrissage de nombreux professionnels de la politique qui n’étaient pas Parisiens de souche, dont Bertrand Delanoë dans les années 70. Plus un territoire est acquis à un camp, plus la résistance des élus locaux est forte contre les candidats «imposés d’en-haut» : en 1977, Jacques Chirac a combattu le candidat soutenu et envoyé de l’Elysée par Giscard d’Estaing, Michel d’Ornano ; de même pour Jean Tibéri en 2001 face à Philippe Séguin. Cette année-là, Paris a basculé à gauche après la victoire d’un sénateur parisien quasiment inconnu jusqu’alors, qui a profité du forfait à gauche de «parachutés» populaires comme Dominique Strauss-Kahn puis Jack Lang. Bertrand Delanoë a-t-il pour autant installé par la suite une culture politique empêchant tout parachutage, dont celui de Cécile Duflot, comme il l’affirme aujourd’hui ? Peut-être. Mais ce n’était pas encore le cas lors des législatives 2002, où l’ancien Ministre (Verts) de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement de son ami Lionel Jospin et jusqu’alors Député du Val-d’Oise, Yves Cochet, s’est fait élire dans la 11ème circonscription de Paris à la suite d’un accord local. Concernant ses adversaires, le Maire de Paris ne s’est pas ému sur les implantations surprises de Christine Lagarde ou de Rachida Dati lors des municipales 2008… mais a réagi au parachutage du Premier Ministre François Fillon, pressenti pour être le candidat de l’UMP en 2014. Rémi Féraud, patron de la fédération PS de Paris et proche de Bertrand Delanoë analyse : «Duflot, c’est le parachutage d’une dirigeante nationale pour en réalité préparer les prochaines municipales, à un moment où nous dénonçons le parachutage de François Fillon à Paris.» Plus qu’une culture politique éthique interdisant les parachutages dans la capitale, il semble surtout que le PS parisien réagisse en fonction de ses intérêts et de ses stratégies de campagne.

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25

organisatrice de cet accord entre le PS et EE-LV, la Maire de Lille21

– dont c’est le seul

mandat d’élue – est dans ses fonctions locales de dépendante des écologistes lillois. En

organisant le rapprochement des deux formations politiques au niveau national, il apparaît

incontestable que Martine Aubry marque des points précieux dans la course à sa propre

réélection aux municipales 2014.

Mais la colère de l’exécutif socialiste parisien ne s’explique pas seulement par cette seule

«trahison» : cet accord contrecarre directement les plans de Bertrand Delanoë, qui a déjà

annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2014 mais qui avait pour ambition que sa première

adjointe – qui n’est toujours pas parvenue à imposer son leadership - lui succède à la tête de

l’Hôtel de Ville de la capitale. Les deux caciques parisiens n’avaient pas anticipé la nouvelle

stratégie parisienne d’Europe Ecologie-Les Verts, plus ambitieuse et conquérante. Et encore

moins prévu que leur secrétaire nationale - qu’ils considéraient comme une partenaire

ambitieuse mais soucieuse de son image d’élue proche des banlieues – ne prenne le risque de

traverser le périphérique pour se faire élire à Paris. Déçus que ni le candidat PS ni la première

secrétaire n’aient plié ni face à leurs exigences personnelles ni face au mandat délivré par la

fédération de Paris, à quoi l’on peut rajouter l’amertume provoquée par leurs difficiles années

de cohabitation avec les Verts parisiens, Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo dénonceront dans

la foulée une «insulte faite aux parisiens», des «modifications arbitraires», des

«parachutages» et des «tripatouillages» ; ils répèteront à qui veut bien l’entendre que cet

accord «n’est pas dans la culture politique que nous avons installée à Paris depuis 2001» et

que «s’ils me demandaient de favoriser le parachutage d’un socialiste, je m’y opposerai

également.»

Premier motif d’insatisfaction des socialistes de la capitale : la terre d’implantation que

Solférino a accordée à Cécile Duflot. Il s’agit de la 6ème

circonscription, une des plus à gauche

de France et donc l’une des meilleures, détenue jusqu’ici par Danièle Hoffmann-Rispal. «Un

peu âgée et n’étant pas une figure possédant un gros poids politique, le PS parisien avait déjà

pensé à la remplacer en interne et plusieurs scénarios avaient prévu de la faire sauter pour

laisser la place à Seybah Dagoma, Pascale Boistard ou Frédérique Calandra. Désormais,

celle dont la principale utilité avait déjà été de dégager le chevènementiste Georges Sarre en

2002 redevient un atout pour s’occuper du cas Duflot» décrypte Marie-Anne Gairaud,

21

Martine Aubry n’est ni Ministre, ni Députée. La Mairie de Lille est son seul mandat électif.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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journaliste couvrant la vie politique de la capitale pour le compte du Parisien. La députée

sortante est désormais le dernier espoir des socialistes pour éviter l’arrivée de Cécile Duflot,

et que cette circonscription «10 étoiles», à leurs yeux «plus prolo que bobo», ne soit

abandonnée à l’écologiste de 37 ans. Organisant la riposte du PS parisien, Anne Hidalgo

confie à plusieurs journalistes que «la guerre ne fait que commencer. Hoffmann-Rispal

maintiendra sa candidature. Et si Duflot choisissait une autre circonscription, elle trouverait

de toutes façons un candidat socialiste sur son chemin22

Seconde inquiétude, les bruits qui prêtent à Cécile Duflot la volonté de se présenter aux

prochaines élections municipales dans la capitale –en langage fleuri, de vouloir «bouffer le PS

et tout faire péter en 201423

.» Se disputant les mêmes électeurs – les classes moyennes et

supérieures diplômées – le PS et EE-LV ont jusqu’ici observé chacun de leur côté la

proximité de leurs scores dans l’Est de la capitale et le rôle que ces territoires pourraient jouer

en 2014 du fait du nombre de Conseillers de Paris qu’ils possèdent : «la stratégie des

écologistes et de Duflot a évidemment une visée municipale. Est-ce qu’elle a des visées sur la

Mairie du 20ème

arrondissement ? Les bruits courent, nous les entendons, et ils nous

inquiètent» ne se cache pas le patron du PS parisien, Rémi Féraud. «A deux ans d’une élection

où il devra organiser la succession de Delanoë, nous aurions pu discuter entre socialistes de

l’arrivée de Duflot, d’un point de vue politique et stratégique : le parti rajoute de la difficulté

à des difficultés déjà existantes…» se plaint Pascale Boistard, adjointe au Maire et cadre

aubryste du PS parisien. Mais sur ce point, tous les socialistes parisiens ne possèdent pas la

même opinion : le député (PS) Jean-Marie Le Guen, qui brigue lui aussi la Mairie de Paris en

2014, prend aussitôt ses distances avec la position du Maire de Paris et de sa première

adjointe, en expliquant que «la compétition est légitime. Personne n'est propriétaire de

Paris.» Son collaborateur parlementaire, Nicolas Vignolles, décrypte la position de son

patron : «Delanoë a été très mauvais tactiquement, il n’aurait jamais dû pointer ainsi du doigt

Cécile Duflot. Cela démontre sa fébrilité. Il a un ressenti contre les écologistes du fait de son

premier mandat, où les Verts l’ont gêné. A sa place, Jean-Marie Le Guen aurait fait le

«baiser du scorpion» en lui souhaitant la bienvenue sur Paris avant d’organiser la contre-

offensive.»

22

Rue 89 le 16 novembre 2011, « Duflot vs Delanoë, la guerre est déclarée à Paris.» 23

Rue 89 le 16 novembre 2011, « Duflot vs Delanoë, la guerre est déclarée à Paris.»

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Quelques jours plus tard, le député PS de Paris enfonce le clou et met en exergue la faute «des

responsables socialistes parisiens, qui ont mené une très mauvaise discussion.» Dans une

lettre également transmise aux médias, il se demande s’il «existe encore une fédération du PS

à Paris ?», un moyen de critiquer en

creux le bilan de Rémi Féraud, patron de

la fédération PS, proche du Maire de

Paris et de sa première adjointe.

Plusieurs élus et militants vont alors

embrayer sur la fébrilité supposée du

premier fédéral. Loin d’être un partisan

de Jean-Marie Le Guen, le secrétaire de

section du 11ème

arrondissement Philippe

Wehrung estime que «la fédération de

Paris n’est pas n’importe quelle

fédération socialiste: elle aurait dû jouer

un plus grand rôle dans les

négociations.» La gronde ne s’arrête pas

là. «Après le redécoupage, la fédération

aurait dû réunir tous les parlementaires

parisiens pour gérer la situation

humainement. Au lieu de cela, elle a rayé

les plus vieux et les plus fraîchement élus» déplore le Député sortant de la 10ème

circonscription, Serge Blisko, évincé après avoir assuré trois mandats à l’Assemblée tout en

installant le PS à la tête du 13ème

arrondissement. Quelle est la cause de cet

acharnement contre Rémi Féraud ? Premier fédéral, Maire du 10ème

arrondissement et ancien

attaché parlementaire de Danièle Hoffmann-Rispal, ce dernier aurait tenté de «faire valoir ses

intérêts personnels sur ceux du PS, en ne protestant qu’à demi-mots contre le choix de la 6ème

pour que Solférino n’ait pas l’idée de donner la 5ème

circonscription - qui comprend son

territoire du 10ème

– aux écologistes» analyse Marie-Anne Gairaud, journaliste au Parisien.

«Aucune instance ne s’est réunie pour flécher des circonscriptions24

, il y a eu un flou

organisé par Féraud pour que personne n’évoque le cas de la 5ème

circonscription, qui était

pourtant la seule où le député sortant de 73 ans, Tony Dreyfus, ne s’est pas représenté»

24

Sens : donner des indications à la commission électorale

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complète Philippe Wehrung. L’application à la lettre de la stratégie parisienne des écologistes,

sans que Solférino n’y trouve rien à redire, aurait pu souder les socialistes parisiens dans un

élan légitimiste. Mais à un an du prochain congrès PS et à deux ans des municipales, elle a

surtout été l’occasion de règlements de comptes internes et de stratégies personnelles.

B) Le test des élections législatives à Paris

1) Les écologistes peuvent être satisfaits

igner un accord électoral – une tâche par définition compliquée entre formations

politiques - en vue des élections législatives 2012 était rendu d’autant plus difficile

que ce scrutin ressemblait à un saut dans l’inconnu pour l’ensemble des partis : il

inaugurait le redécoupage Marleix… qui n’a pas épargné la capitale, loin de là. En vertu de la

Constitution qui prévoit que «l’Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct,

doit être élue sur des bases essentiellement démographiques», le département de Paris, qui a

perdu nombre d’électeurs depuis la dernière carte électorale réalisée en 1986, a été amputé de

3 de ses 21 circonscriptions. Et le périmètre des 18 restantes a été allègrement modifié, le

critère de base au redécoupage devenant le quartier et non plus l’arrondissement : des bureaux

de vote ont été transférés d’une circonscription à l’autre, sans grand respect pour la cohérence

territoriale, tandis que «certains bureaux de votes ont même été complètement défigurés, avec

des corps électoraux modifiés à 75%» me confie le responsable d’un service élections d’une

Mairie d’arrondissement de la capitale.

S

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29

A sa publication, l’ensemble de la gauche parisienne, Verts et Socialistes confondus, ont

vivement protesté ; le Maire de Paris Bertrand Delanoë (PS) expliquant même que

«contrairement au discours de Monsieur Marleix selon lequel la gauche perdrait deux

députés et la droite un, ce découpage consisterait à faire en sorte qu’il y ait trois députés de

gauche en moins en 2012.» Sous la pression de la commission de contrôle, le Secrétaire d’Etat

à l’Intérieur et aux Collectivités locales Alain Marleix, par ailleurs secrétaire national de

l’UMP chargé des élections, a finalement dû revoir une partie de sa copie avec les différents

responsables des partis politiques, pour finalement revenir en arrière dans 35 départements

dont Paris.

Nettement favorable à la gauche qui comptait en 2007 treize députés sur vingt-et-un, le

rapport de forces n’a pas été modifié par la seconde mouture du redécoupage : la gauche

devrait perdre un député et n’en compter plus que douze, tandis que la droite devrait passer de

huit à six. La nouvelle carte électorale semble avoir renforcé les circonscriptions, les rendant

toutes - mis à part la 3ème

et la 11ème

circonscription - imperdables et acquises au camp de la

gauche ou de la droite. Si bien que la bataille législative ne semble plus se jouer aujourd’hui

de façon bipolaire… mais entre partenaires.

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Les Verts, qui avaient deux députés élus dans la capitale depuis 2002, ont vu leurs

circonscriptions –respectivement les anciennes 1ère

et 11ème

- disparaître ou tout du moins être

fragilisées. La terre d’élection de

Martine Billard, Députée Verte

ayant rejoint le Front de Gauche

au cours de la dernière mandature,

a été dépecée : les quatre petits

arrondissements du centre parisien

ont été rattachés aux anciennes

4ème

circonscription, ancrée à

droite ainsi qu’aux 5ème

et 7ème

.

Celle d’Yves Cochet, devenu

Député européen en décembre

2011, s’est-elle vue adjoindre des

bureaux de vote du conservateur

6ème

arrondissement et du quartier

le moins à gauche du 14ème

arrondissement (Montparnasse)

ainsi qu’amputée du sud de sa

circonscription, traditionnellement

plus à gauche.

Estimant que ce n’était pas à eux

de subir la perte d’un député de

gauche à Paris occasionné par ce

redécoupage, les écologistes

parisiens décidèrent de

revendiquer d’autres

circonscriptions ayant été

épargnées. Dopés par leurs

excellents résultats lors des

européennes de 2009 qui les

virent côtoyer le PS au niveau national mais les dépasser largement dans la capitale, ils

réclamèrent d’entrée de présenter leurs candidats sur les dix-huit circonscriptions, avec le

Les accords législatifs sous l’ère Delanoë

Dans la foulée des municipales victorieuses de 2001, Solférino avait accordé aux Verts trois circonscriptions gagnables : la 1ère à Martine Billard, la 11ème à Yves Cochet ainsi que la 12ème à l’environnementaliste Maryse Arditi. Les socialistes parisiens se sont sentis floués. Mais craignant pour la solidarité de sa majorité municipale, le Maire de Paris n’a eu de cesse de répéter que «Les Verts méritent leurs trois circonscriptions» ou encore qu’«on a besoin des Verts.» «Ce qu’il ne pouvait pas deviner, c’est qu’Arditi ferait sa campagne sur le devenir des crapeaux dans le 15ème arrondissement… Aucun accord national n’ayant été signé en 2007, le PS parisien repris logiquement cette circonscription mais décida tout de même de ne pas présenter de candidats socialistes contre Martine Billard et Yves Cochet» raconte l’Adjoint au Maire (EE-LV) Yves Contassot. En 2012, la situation se compliquait donc du fait du redécoupage électoral : «la 1ère circonscription de Billard répondait à tous les critères, elle n’aurait pas dû être modifiée. Mais le préfet de région qui suit le dossier du redécoupage, m’a avoué depuis que le PS et l’UMP s’étaient entendus pour la supprimer…» explique Hervé Morel, le patron d’EE-LV Paris. Sans compter que la 11ème circonscription d’Yves Cochet avait été «droitisée» selon les socialistes et les écologistes. Pour Sylvain Garel, co-président du groupe EE-LV au Conseil de Paris, «le PS a cherché à nous faire payer l’addition du redécoupage, mais nous nous en sortons bien au final. Il ne faut pas oublier que nous revenons de loin : en 1997, l’accord national du PS nous proposait seulement la 14ème circonscription (sud du 16ème arrondissement) où la gauche ne dépassait pas les 30% au second tour… »

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désistement et le soutien du PS au candidat écologiste dans trois, dont deux gagnables. Il

s’agissait de la cinquième ou la sixième circonscription, dans l’est parisien ; la dixième, en

lieu et place de la onzième circonscription, fragilisée par le redécoupage ; ainsi qu’une

candidature commune dans un bastion de la droite parisienne dans le centre de Paris, soit «la

nouvelle 1ère

circonscription où nous aurions souhaité légitimer Jacques Boutault » soit la

2ème

circonscription, tout aussi imprenable mais qui présentait l’avantage d’une médiatisation

garantie, du fait qu’elle serve de terre d’élection à l’ancien Premier ministre, François Fillon.

Le Parti Socialiste soutiendra finalement deux candidats écologistes à Paris, comme lors des

précédents accords à la différence que le redécoupage électoral a réduit le nombre de

circonscriptions. Une bonne affaire pour les écologistes, donc… mais aussi pour les

socialistes adeptes du coup de billard à trois bandes. Le poids politique des écologistes a

certes augmenté ces derniers mois, mais le PS n’a pas cédé à leurs revendications sans servir

en retour ses propres intérêts : pourquoi Solférino a-t-il accepté de lâcher la 10ème

circonscription et de reprendre la 11ème

, «droitisée» ? Pour satisfaire la demande de leurs

partenaires Verts, mais aussi et surtout pour permettre au Maire du 14ème

arrondissement

Pascal Cherki25

, de se présenter et d’être élu dans la 11ème

circonscription… Même

configuration dans la 6ème

circonscription, où l’accord se fait au détriment de Danièle

Hoffmann-Rispal alors qu’entre temps, le député sortant de la 5ème

circonscription voisine

avait annoncé son retrait : cela satisfait Cécile Duflot qui insistait pour hériter de la 6ème

circonscription plutôt que la 5ème

, mais cela a également permis au PS de faire une place au

soleil à la jeune Adjointe au Maire de Paris, Seybah Dagoma.

Cette circonscription, qui depuis 1986 regroupait les quartiers de la Folie Méricourt (11è), de

Saint-Ambroise (11è), de Belleville (20è) ainsi qu’une partie du Père Lachaise (20è) a

toujours été de gauche. Y compris lors du règne de Jacques Chirac sur la Mairie de Paris

(1977-1995), où le RPR contrôlait une partie des mairies d’arrondissements de l’est parisien

lorsque ce n’était pas la totalité. En 2010, Alain Marleix a beau avoir pris ses ciseaux pour la

remodeler26

, cette circonscription n’en reste pas moins inscrite au cœur de deux

arrondissements républicains, puis populaires et donc très à gauche. Aucun des bureaux de

vote intégrés dans cette circonscription n’avait placé l’UMP en tête, au premier tour des

25

Poids lourd de la motion C (courant Un Monde d’Avance classé à la gauche du PS), influente à Paris et qui

n’était jusqu’alors pas représentée dans l’équilibre interne des Députés de la capitale. 26

Elle est depuis composée de la partie Est des quatre quartiers qui composent le 11ème

arrondissement (Folie

Méricourt, Saint-Ambroise, Roquette et Sainte Marguerite) ainsi qu’une partie des quartiers de Belleville et du

Père Lachaise

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élections régionales 2010, certains coins de Belleville accordant même des scores staliniens à

la liste d’union de la gauche au second tour (avec près de 90% des suffrages). Autant dire que

même une poussée légitimiste à la suite d’une hypothétique réélection de Nicolas Sarkozy en

2012 n’aurait pas été suffisante pour faire basculer la 6ème

circonscription à droite.

Loin des arrondissements de pouvoirs où sont concentrés institutions et lieux d’influence dans

quelques kilomètres carrés, l’Est parisien n’en est pas moins convoité. Malgré que la députée

sortante de la 6ème

circonscription, Danièle Hoffmann-Rispal avait annoncé sa volonté de

briguer un troisième mandat, Solférino a décidé d’accorder l’investiture du PS à la secrétaire

nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Cécile Duflot. Ce qui n’empêcha pas le PS parisien et

notamment les élus de la circonscription, telle la Maire du 20ème

arrondissement Frédérique

Calandra ou le sénateur et conseiller de Paris, David Assouline, de tout faire pour annuler

cette décision. Dès l’officialisation de l’accord, la Députée sortante Danièle Hoffmann-Rispal,

une strauss-kahnienne ralliée à François Hollande pendant les primaires, réaffirme sa volonté

de se présenter malgré l’accord électoral. Pour le secrétaire de la section du 11ème

arrondissement Philippe Wehrung, le choix d’accorder cette circonscription n’est pas

cohérent : «la 6ème

circonscription est encore ouvrière et populaire dans certains recoins, et

nos deux partis n’ont pas les mêmes positions sur des dossiers locaux stratégiques comme le

marché sauvage de Belleville ou les biffins. Surtout, la Députée sortante qui a été rayée de la

carte par Solférino est une des seules parlementaires socialistes – et l’unique à Paris – à être

issue du militantisme ! Elle représente en quelque sorte la diversité sociale du PS» fait-il

valoir.

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Selon Le Monde, les deux femmes se seraient rencontrées à plusieurs reprises sur l’initiative

de Cécile Duflot, mais sans parvenir à se mettre d’accord. Encore mi-janvier, «je résiste et je

continuerai de résister» abonde Danièle Hoffmann-Rispal dans les colonnes du quotidien du

soir. «Si Cécile Duflot peut trouver un point de chute ailleurs que sur mon dos, ce serait

mieux. Qu'elle aille dans une circonscription plus difficile» explique-t-elle naturellement. En

public, c’est un discours plus policé qu’elle met cependant en avant : «je suis la petite

vendeuse du Sentier qui s’est faite toute seule, à travers moi, c’est un peu de Belleville et de

Ménilmontant qui s’élèvent vers les ors de la République» décline t’elle inlassablement. Mais

alors que l’élection de François Hollande devient de plus en plus probable, la députée sortante

va perdre un soutien de poids. Dans Le Parisien du 16 janvier, Bertrand Delanoë confie ainsi

que «jusqu’au 6 mai, toute mon énergie est tendue vers un seul objectif : la victoire de

François Hollande. Les élections législatives viendront après.» Guidé par ses ambitions

ministérielles, le Maire de Paris accepte même de rencontrer Cécile Duflot, en marge du

Conseil de Paris le mardi 7 février, afin de reprendre langue selon un confidentiel de

Libération : «faut pas qu'on se fâche, Cécile», aurait lâché le Maire de Paris à celle qui avait

sollicité cette entrevue, toujours selon ce quotidien.

Mues par des intérêts convergents – empêcher l’arrivée de Duflot à Paris pour conserver la

sinécure que représente la députation dans la 6ème

circonscription pour l’une, ne pas

compromettre ses chances en vue de l’élection de 2014 pour l’autre – Danièle Hoffmann-

Rispal et Anne Hidalgo adoptent alors la même stratégie. Omettant de préciser que la 6ème

circonscription avait été découpée en 1986 sur mesure pour Georges Sarre et la gauche27

, que

la sociologie de l’est parisien a (presque) toujours été favorable aux valeurs de la gauche,

qu’elle a elle-même précipité la chute du député sortant Georges Sarre en 2002, Danièle

Hoffmann-Rispal revendique d’avoir construit son succès pas à pas et d’être aujourd’hui sur

le podium des parlementaires les mieux élus de France28

. «Ce travail de trente années, je ne

comprends pas qu’il doive se perdre sur un simple accord électoral» fait-elle valoir

aujourd’hui. La première adjointe du Maire de Paris ne relâche pas non plus la pression vis-à-

vis de sa (future) rivale écologiste, et continue son bras de fer, feutré mais sans concession,

vis-à-vis de Solférino et de son ancienne amie, Martine Aubry. Lors de la journée de la

27 «Lors du redécoupage de 1986, Georges Sarre a profité de sa fonction de leader de l’opposition au Conseil de

Paris pour être reçu par Charles Pasqua : pour qu’il ne conteste pas cette refonte de la carte électorale, le Ministre

lui a offert le privilège de se préparer sa propre circonscription, en annexant tous les territoires les plus à gauche

de l’est parisien» explique Philippe Wehrung, secrétaire de section dans l’Est parisien. 28

Elle a obtenu 69% des suffrages, au second tour des législatives de 2007.

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femme le 8 mars, elle organise ainsi un dîner au restaurant La Comète pour «soutenir la

campagne de François Hollande… et la députée sortante évincée de la 6ème

circonscription,

Danièle Hoffmann-Rispal.» Profitant de l’actuelle médiatisation de la vie politique ainsi que

de la politisation de l’électorat parisien - qui suit l’actualité, lit les journaux, regarde les

débats, s’exprime sur les réseaux sociaux – pour déstabiliser Cécile Duflot, Anne Hidalgo

laisse fuiter dans un «indiscret» de L’Express29

sa stratégie de remplacer l’écharde Hoffmann-

Rispal par l’épine Mélenchon, dans le pied de la secrétaire nationale d’EE-LV. La rumeur ne

cessera de prendre de l’importance, jusqu’à l’officialisation de la candidature de ce dernier…

à Hénin-Beaumont.

Si le faible score d’Eva Joly au premier tour de l’élection présidentielle (2,31%) est de nature

à donner des espoirs aux dissidents socialistes, ce n’est pas le cas à Paris : dans la 6ème

circonscription, l’ancienne juge d’instruction réalise 5,66%, soit encore mieux que sa

moyenne parisienne (4,18%). Danièle Hoffmann-Rispal se console toutefois avec les 43,03%

de François Hollande, qui améliore lui aussi son score parisien (34,83%) et national (28,63%).

Statu quo : il faudra donc attendre le 6 mai pour connaître le casting définitif des candidats de

la 6ème

circonscription. Et pas question de faire des vagues avant d’avoir le résultat. Le

premier secrétaire fédéral du PS Rémi Féraud, qui n’a jamais caché être partisan d’une

candidature dissidente, se refuse ainsi d’aborder «la question des législatives entre les deux

tours de la présidentielle »30

. Jusqu’ici contrainte en sa qualité de secrétaire nationale d’EE-

LV de réaliser au minimum deux déplacements par semaine avec Eva Joly, Cécile Duflot n’a

pas attendu plus tard que le 23 avril, soit au lendemain du premier tour, pour lancer sa propre

campagne. Mais quand elle organise une distribution de tracts en faveur de François Hollande

sur le marché Charonne dans le 11ème

arrondissement, ou qu’elle colle des affiches de soutien

29

L’Express, le 28 mars, Le PS pousse Mélenchon à se présenter. 30

Source : Le Parisien, le 24 avril « Cécile Duflot écrasée par les socialistes »

2,32

4,07 3,64 3,63

7,38

1,53

4,18

1974 1981 1988 1995 2002 2007 2012

Score réalisé par le candidat EE-LV (anciennement Les Verts) au premier tour de l'élection présidentielle à Paris

1974 1981 1988 1995 2002 2007 2012

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à la sortie du métro Alexandre-Dumas (20ème

), à chaque fois elle trouve sur son chemin…

l’équipe de la députée socialiste sortante, Danièle Hoffmann-Rispal : des regards sombres

s’échangent jusqu’à l’arrivée des caméras de télévision, s’en suit alors des salutations polies

mais non moins crispées.

François Hollande est finalement élu Président de la République le 6 mai 2012. Dans la 6ème

circonscription, il y recueille même 71,27% des suffrages…Une victoire dont compte bien

profiter la secrétaire nationale d’EE-LV, qui inaugure trois jours plus tard son QG de

campagne, dans un ancien atelier de plomberie réaménagé rue Jouye-Rouve (20ème

arrondissement), non loin de La Bellevilloise où les écologistes ont l’habitude de se réunir.

Autour d’un buffet bio, l’ambiance est bon enfant… et les militants plutôt confiants : «c’est

un fief écolo, une circonscription écolo ici, c’est un peu Bobo-land et tout le contraire de la

France profonde !» explique une militante. Au-delà de la sociologie du corps électoral de la

6ème

circonscription – tout de même plus populaire que le centre bourgeois de Paris – Claire

Marynower, d’EE-LV Paris, fait valoir que «c’est un lieu traditionnel d’implantation pour les

écologistes : près d’un quart des militants parisiens sont du 11ème

et du 20ème

arrondissement,

sans compter que le parti est bien structuré dans l’est parisien, avec 160 coopérateurs et un

tissu le reliant à la Maison des Métallos, le squat de la Petite Roquette ainsi que de

nombreuses AMAP et jardins partagés.» Devant les journalistes, Cécile Duflot se vante

d’avoir multiplié les rencontres avec les habitants et d’autres associations depuis le mois de

janvier, elle explique avoir «passé une grande partie de ma vie à Paris, c’est là que j’ai été

militante associative, c’est là que je travaille, c’est là que mes enfants sont nés. Tous mes

grands-parents sont nés ici, mon père également : même sur une horrible loi du sang que je

réprouve, je pourrais avoir la carte.» Surtout, elle est consciente ce soir-là que la victoire de

son candidat de substitution devrait décourager sa rivale locale…

L’histoire politique de Paris montre en effet qu’un certain nombre de Députés sortants, même

emblématiques, ont été éliminés dès lors qu’ils ne disposaient plus du soutien du Parti

Socialiste, que ce soit Michel Charzat en 2007 face à Georges Pau-Langevin, ou Georges

Sarre… en 2002 face à Danièle Hoffmann-Rispal. Sous la pression de son état-major, la

virulente députée sortante a donc elle aussi troqué sa stratégie de la terreur contre la voix de la

sagesse, en se rangeant finalement derrière la secrétaire nationale d’EE-LV pour former un

ticket Duflot/Hoffmann-Rispal: «dans un moment où la gauche n’a fait que 51,6%, je ne peux

pas être un agent de la division. Assumer une division et risquer l’exclusion, ce n’est pas

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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simple au bout de 38 ans de militantisme. Encore la semaine dernière, je refusais

d’abandonner mais j’ai reçu beaucoup de coups de fil de Jean-Marc Ayrault, de Bertrand

Delanoë… J’en ai eu mal aux oreilles» raconte-t-elle. Chaque protagoniste de ce conflit

interne à la gauche semble avoir sauvé l’essentiel : il incombait à Duflot, encore secrétaire

nationale d’Europe Ecologie-Les Verts pour quelques semaines, de mettre en œuvre le

rassemblement avec le Parti Socialiste au moins là où elle se présentait. Ainsi que de mettre

fin aux critiques de Danièle Hoffmann-Rispal, «avec cette polémique, Cécile perd des plumes

en terme d’images: elle s’est construite comme la jeune fille d’à-côté, naïve. Elle devient la

Reine-mère qui va faire deux marchés dans le 11ème

arrondissement pour être élue à 60%»

concède un dirigeant écologiste31

. Lors de leur première conférence de presse commune, la

députée sortante, qui se disait voici de cela encore quelques mois «humiliée à l’idée de

devenir la suppléante» de Cécile Duflot, reconnaissait de son côté que, «très franchement, je

préférerais qu’elle soit Ministre». Une telle nomination lui permettait ainsi de continuer à

siéger au Palais-Bourbon.

Seule écologiste incontournable dans un prochain gouvernement de gauche, celle-ci a

longtemps laissé planer le doute sur ses intentions : la secrétaire nationale d’EE-LV hésitait

entre peser à l’Assemblée nationale, où l’attendait la présidence d’un groupe écologiste, ou

bien agir au gouvernement. Refusant de faire «de l'animation socioculturelle dans les médias,

au cas où toute l'action gouvernementale se déciderait à l'Elysée »32

ou rappelant qu’il n’était

pas question pour elle d’imiter le sort réservé à Voynet, «otage du gouvernement Jospin : si

c’est pour être le petit doigt sur la couture du pantalon d'un président qui décide tout seul, ça

ne sert à rien», Cécile Duflot semblait plus exigeante que nombre de ses acolytes Verts

opportunistes. Cela n’empêcha pas le Premier ministre Jean-Marc Ayrault de l’appeler dans

l’après-midi du 16 mai, alors que les deux femmes posaient pour leur affiche de campagne au

Parc de Belleville, pour la nommer Ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement. Elle

bénéficia ainsi du plan de communication gouvernemental pour sa campagne : dans l’optique

d’instaurer un climat de confiance et de montrer que François Hollande tiendrait ses

engagements, Matignon avait pris soin d’annoncer, avant le premier tour des législatives,

plusieurs mesures dont la production de nouveaux logements sociaux et l’encadrement des

loyers. Charge ensuite aux Ministres-candidats d’incarner spatialement la feuille de route du

gouvernement. Mais Cécile Duflot ne s’en contenta pas. Malgré qu’elle ait signé une charte

31

Libération le 19 novembre 2011, «Cécile Duflot veut surfer sur la vague écolo de l’Est parisien » 32

L’Express le 23 février 2012 «Ecolos en recherche de ministères »

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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de déontologie – incluant une «clause Chevènement» interdisant les Ministres d’exprimer un

désaccord avec une décision du gouvernement – lors de son entrée en fonction, elle fit une

sortie tapageuse sur la légalisation du cannabis, à cinq jours du premier tour des élections

législatives. Manière pour elle de démontrer qu’elle n’a pas perdue sa liberté d’expression et

qu’elle fait campagne en liant thèmes sociétaux et sujets environnementaux.

Mais son nouveau portefeuille ministériel n’a pas toujours été un avantage, au cours de la

campagne. Lors d’une réunion publique dans le 11ème

arrondissement le 24 mai, elle a ainsi

été accueillie par une centaine de mal-logés dénonçant ses «mesurettes». Ses prérogatives ont

également offert un nouvel angle d’attaque à ses détracteurs : la candidate du Front de Gauche

dans la 6ème

circonscription, Danielle Simmonnet, a affirmé douter de «la volonté réelle du

gouvernement de préserver le logement social […] la hausse du seuil de la loi SRU à 25% ne

suffit pas, au niveau parisien nous devrions aller jusqu’à 30% pour garantir le maintien des

classes modestes et moyennes dans notre ville. Nous attendons une rupture avec la politique

précédente.» Son meeting final, organisé le 7 juin au gymnase de la Bidassoa (20ème

) en

compagnie du Ministre délégué au Développement Pascal Canfin (EE-LV) et de sa suppléante

Danièle Hoffmann-Rispal a également été interrompu par une trentaine de «précaires en

colère.» Elle n’a pu reprendre son intervention devant les 150 personnes présentes qu’une fois

ce comité d’accueil évacué. Recueillant 48,74% des suffrages exprimés au premier tour,

Cécile Duflot a cru un temps qu’elle ferait partie des 36 députés élus dès le 1er

tour des

élections législatives. Elle devra finalement atteindre la semaine suivante, où elle réalisa

72,18%.

Profitant du départ pour Bruxelles d’Yves Cochet, Denis Baupin était l’autre candidat

écologiste soutenu par le Parti Socialiste, à Paris. Mais pas dans l’habituelle 11ème

circonscription dévolue aux écologistes, abandonnée pour cause de redécoupage défavorable.

Objectif d’Alain Marleix ? Rendre cette circonscription plus indécise, et dépendante de la

dynamique de la présidentielle… avec l’espoir d’un basculement à droite par l’intermédiaire

de Jean-Pierre Le Coq, en cas de réélection de Nicolas Sarkozy. Par peur de perdre un de leurs

deux députés parisiens, les écologistes de la capitale ont donc demandé, et obtenu, de migrer

dans la 10ème

circonscription voisine : regroupant une partie des 13ème

et 14ème

arrondissements, celle-ci avait été «sanctuarisée» à gauche, en récupérant l’ensemble des

bureaux de vote longeant le boulevard des Maréchaux peuplé de logements sociaux. «Les

écologistes ont négocié en fonction du redécoupage, et selon une logique électoraliste : le

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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nord du 14ème

arrondissement est plus bobo et écolo que le sud populaire, mais ils n’ont pas

voulu conserver leur terre d’élection droitisée» se plaint Thomas Antoni, un militant

socialiste du 14ème

arrondissement. Interrogé par le magazine local «Le 13 du Mois», le

député sortant Serge Blisko avait une autre lecture de la négociation: selon lui, l’électorat de

cette 10ème

circonscription remodelée est «très nouvelle gauche, type CFDT.» Et la sociologie

électorale d’Europe Ecologie-Les Verts montre que le parti écologiste a une certaine

proximité avec cette deuxième gauche. Pour le militant local d’EE-LV, Adrien Delassus, le

choix de cette circonscription est également plus que cohérent : «le 14ème arrondissement est

une vraie base de l’écologie politique : dans les années 70, plusieurs manifestations à vélos y

ont été organisées contre le projet d’autoroute urbaine sur l’avenue Vercingétorix. Et en

1977, nous y recueillions déjà plus de 11% des suffrages.» Autre preuve, s’il en faut : la partie

du 13ème

arrondissement adjointe à cette circonscription compte le «village» huppé de la

Butte-aux-Cailles, là où le vote écologiste est l’un des plus importants de Paris…

Bien moins médiatisée que la 6ème

circonscription, la configuration était pourtant la même. A

62 ans Serge Blisko, qui estimait avoir été «licencié» par l’accord PS–EELV, a longtemps fait

planer l’hypothèse de sa dissidence. Surtout que l’écologiste Denis Baupin, dorénavant

soutenu par le Parti Socialiste dans sa circonscription, n’avait lui aucune chance de devenir

Ministre : contrairement à Danièle Hoffmann-Rispal, Serge Blisko ne pouvait donc pas

espérer retrouver les bancs de l’hémicycle, même en devenant son suppléant. Mais le cas de

Baupin et donc de Blisko ne comptant finalement que peu dans la perspective des élections

municipales 2014, cette rivalité intéressait moins le PS parisien et Anne Hidalgo. Tout au long

de la campagne, le député sortant réfléchit en solitaire à jouer la carte du localisme et de la

proximité pour fustiger un candidat… parachuté du 20ème

arrondissement de Paris, où

l’Adjoint au Maire de Bertrand Delanoë est élu Conseiller de Paris. Face aux menaces

d’exclusion proférées par Solférino à son encontre ainsi qu’aux sondages hyper-locaux

l’avertissant qu’une dissidence ne serait pas récompensée, Serge Blisko, qui avait déjà

inauguré sa permanence, a finalement décidé de mettre ses ambitions de côté. «La décision

digne et pleine de rectitude que Serge Blisko a prise aujourd’hui (…) est la marque d’un

profond sens de la responsabilité et de l’unité dont il a toujours fait preuve», a salué le

candidat écologiste Denis Baupin, dans un communiqué. Un retrait qui n’empêcha pas le

député sortant d’envoyer, à huit jours du premier tour, une lettre à un millier de sympathisants

dans laquelle il dénonçait un «accord d’appareil» et rappelant que «les voix qui se porteront

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sur Denis Baupin serviront à financer le parti des Verts !»33

. Pour sa part, Denis Baupin,

accompagné tantôt de Dominique Voynet, de Bertrand Delanoë ou de Jeau-Paul Huchon,

continuait de mener campagne alertant sur la possibilité de voir Jean-François Copé devenir

Premier ministre si les électeurs de gauche ne se mobilisaient pas. Il réalisa finalement

42,89% au premier tour, puis fut élu avec 64,73% la semaine suivante.

L’accord national entre les deux formations prévoyant qu’en échange de circonscriptions

réservées, Europe Ecologie-Les Verts se désiste «où il y avait un risque potentiel

d’élimination de la gauche dès le premier tour34

», les écologistes ont également pu présenter

des candidats dans les 16 autres circonscriptions de la capitale. Que ce soient Jacques

Boutault, seul Maire écologiste de la capitale et candidat dans la 1ère

circonscription ou

Guillaume Fillon -l’actuel attaché parlementaire du député écologiste François de Rugy- dans

la 9ème

circonscription, ils se sont tour à tour présentés au cours d’un meeting commun début

avril… au Théâtre de l’Opprimé, dans le 12ème

arrondissement. Une salle au nom évocateur,

pour un scrutin législatif qui ne réussit que rarement aux candidatures autonomes des

écologistes. Ce soir-là puis au cours des semaines suivantes, deux axes de campagnes étaient

perceptibles : la valorisation de leur bilan parisien –démontrer que depuis onze ans, les

écologistes de la capitale étaient parvenus à transformer Paris- et l’importance qu’ils attachent

au Parlement.

Mettant en valeur leur ancrage local et leur notoriété d’élus municipaux, les candidats

écologistes n’ont pas hésité à s’appuyer sur les divergences qu’ils ont eues avec Bertrand

Delanoë au cours de ces dernières années, pour faire valoir l’intérêt de leurs propres

candidatures aujourd’hui. «Quelle idée d’insuffler 4.000 voitures de plus dans Paris, alors

qu’on essaie de reprendre de l’espace public pour les habitants ? Autolib’, c’est tout ce

qu’on ne cherche pas à avoir» dénonce35

la candidate EE-LV dans la 7ème

circonscription de

Paris, Corine Faugeron. Pour ces candidats autonomes qui doivent affronter un candidat

socialiste, parfois même leur député sortant, le candidat PS est «leur concurrent, du fait

qu’ils ne portent pas les idées écologistes qui méritent d’être représentées en France.» Et

même lorsqu’ils argumentent sur la nécessité d’avoir un groupe écologiste fort à l’Assemblée

nationale, transparaît la volonté de se différencier du Parti Socialiste. Ainsi, ils ne souhaitent

33

Source : Le Parisien ; 1er

juin ; « L’écologiste Baupin torpillé ». 34

soit 70 circonscriptions sur les 577 que compte le territoire national. 35

Sur le site 75011.fr

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plus seulement «être associés à la gestion du pays, mais être une force incontournable pour

la gestion du pays.» Ou encore, ils souhaiteraient voir l’Assemblée jouer le rôle de contre-

pouvoir de l’exécutif, qui possède avec les projets de lois, l’initiative de la création des lois.

Leurs discours semblent globalement avoir bien été entendus puisque les candidats

écologistes autonomes du PS36

réalisèrent 5,98%.

2) La bonne séquence d’EE-LV ne pénalise pas le PS

lus que n’importe quel autre parti, les candidats écologistes battaient le pavé de la

capitale pour le scrutin législatif non pas forcément dans l’objectif de rejoindre

l’Assemblée nationale, mais dans celui de préparer l’autre enjeu, celui des élections

municipales qui se tiendront dans moins de deux ans. A Paris, seuls deux candidats d’Europe

Ecologie-Les Verts étaient soutenus par le PS ; seuls deux candidats pouvaient donc espérer

raisonnablement être élus le 17 juin 2012. Du fait des contingences liées au scrutin majoritaire

et de la concurrence à gauche d’élus PS mieux implantés et plus connus, les seize autres

candidats autonomes n’avaient aucune chance de décrocher un mandat de député de Paris.

Leur objectif était plutôt de mobiliser les faibles troupes militantes, tout en refermant la

parenthèse malheureuse de l’élection présidentielle pour remettre les compteurs à zéro. Sur un

ton «la vie politique est un long fleuve plus ou moins tranquille», ils expliquent à tour de rôle

que l’important dans le «mauvais passage» de la séquence électorale de 2012 était avant tout

de «faire avancer les idées écologistes pour préparer l’avenir.» «On ne se trompe pas

d’élection, c’est une élection nationale» se justifiait Arlette Zilberg, tête de liste des Verts

dans le 20ème

arrondissement aux municipales 2001 et candidate EE-LV dans la 15ème

circonscription37

: «il s’agit de battre l’UMP et parallèlement, de faire avancer les idées

écologistes afin d’acquérir à terme une majorité culturelle écologiste dans le 20ème

.» Selon le

profil des candidats et les instants de la campagne, il est ainsi possible d’apercevoir les

candidats écologistes aux législatives faire campagne sur l’isolation des bâtiments, la

préconisation et le respect de l’ensemble des critères relatifs aux normes Haute Qualité

Environnementale (HQE) ou encore la généralisation des programmes de sensibilisation au tri

sélectif à l’école primaire… comme il n’est pas rare de les entendre prôner la refonte du plan

de circulation parisien, défendre la piétonisation partielle de la Place de la Bastille ou encore

la banalisation des zones 30 km/h dans la capitale.

36

La moyenne nationale des candidats EE-LV non-soutenus par le PS est de 3,87% selon le politologue D. Boy. 37

Dans un entretien accordé au site 75020.fr

P

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41

Scores du Parti Socialiste et d’Europe Ecologie-Les Verts

au premier tour des élections législatives à Paris

Elections législatives Parti Socialiste Europe Ecologie-Les Verts

2002 30,5 9,7 (5,49)

2007 29,1 7,5 (4,45)

2012 39,1 10,4 (5,98)

(entre parenthèses : la moyenne des résultats des candidats écologistes autonomes)

Avec une moyenne de 10,4% jusqu’ici jamais réalisée à Paris lors d’un scrutin uninominal

majoritaire à deux tours, les résultats du premier tour des législatives 2012 ont donc donné

satisfaction aux écologistes parisiens : les performances de Bernard Jomier qui réalise 11,1%

dans la 16ème

circonscription (19ème

arrondissement), de Bastien François qui recueille 9,5%

des voix dans la 18ème

circonscription (9ème

et 18ème

arrondissements) et d’Arlette Zilberg qui

fait 7,9% dans la 15ème

circonscription (20ème

arrondissement) laissent présager de bonnes

performances écologistes dans ces quartiers aux prochaines municipales. Le score de Jacques

Boutault (6,1%) dans la première circonscription de la capitale (1er

, 2ème

, 8ème

, 9ème

) laisse lui

quelques regrets aux écologistes, qui souhaitaient initialement l’inclure dans l’accord électoral

et présenter une candidature commune avec le Parti Socialiste, dont la candidate Claire Morel

a recueilli 34,07% des suffrages au premier tour. Le Maire du 2ème

arrondissement est lui déjà

passé à autre chose : «si nous voulons peser aux municipales en 2014, nous devons aller dans

les territoires de conquête qui ne sont pas forcément ceux détenus par le PS» explique-t-il au

Monde38

.

Au-delà de ces bons scores obtenus globalement, EE-LV Paris peut bien entendu se satisfaire

d’avoir obtenu deux nouveaux députés de Paris, en les personnes de Cécile Duflot et Denis

Baupin. Cela correspond à leur stratégie d’implanter la secrétaire nationale d’Europe

Ecologie-Les Verts au sein de la capitale – que cela serve leur ambition pour 2014 ou à plus

long-terme – ainsi que de conforter le poids politique de l’Adjoint au Maire de Paris et porte-

drapeau des Verts aux municipales 2008, Denis Baupin. La première ne siégeant pas à

l’Assemblée nationale du fait de son poste de Ministre, ce dernier devra profiter de la tribune

politique qu’offre cette institution39

, pour faire entendre la petite musique écologiste

38

«Vague rose à Paris au premier tour », le 11 juin, Le Monde. 39

Pressenti pour obtenir la présidence de la commission du développement durable, Denis Baupin a finalement

hérité le 27 juin de la vice-présidence de l’Assemblée nationale.

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notamment sur des sujets concernant Paris, comme l’écologie urbaine. Mais plus que leur

action dans l’hémicycle ou au gouvernement, ce sont leurs terres d’élections qui réjouissent

particulièrement l’état-major écologiste.

La 6ème

circonscription dans laquelle a été élue Cécile Duflot regroupe une partie du 11ème

et

une partie du 20ème

, deux arrondissements historiquement étiquetés à gauche : le premier a

été le lieu de la prise de la Bastille en 1789 ; les révolutions de 1830 et de 1848 suivies par la

Commune en 1871 ou les manifestations du Front Populaire ont fini par lui coller l’image

indéfectible d’arrondissement populaire. Aujourd’hui encore, la descente du boulevard

Voltaire fait partie du parcours-type emprunté par bon nombre de centrales syndicales. Les

quartiers de Belleville et du Père Lachaise (20ème

) ont longtemps été des faubourgs ouvriers

installés en périphérie de Paris, avant d’être annexés à la capitale en 1860. Du fait d’une forte

concentration d’habitat précaire, l’arrondissement a été prioritairement pointé par la vague

d’opérations de rénovation urbaine, menée par la Ville de Paris à partir de la fin des années

1950. D’industriel, le 20ème

arrondissement deviendra résidentiel : de vieux immeubles de

quatre étages, séparés par de jolies impasses ornées de jardinets, ont été rasés dans le Haut-

Belleville pour donner place à de vastes ensembles d’une quinzaine d’étages. Une politique

du bulldozer qui fera fuir au fil des ans une population ouvrière âgée, progressivement

remplacée au début des années 90 par des électeurs plus jeunes et plus aisés. Depuis ce

moment-là, et notamment sous la pression de l’association de quartier La Bellevilleuse, la

Mairie de Paris cherche à préserver ses aspects de quartier-village et privilégie dès lors la

réhabilitation de logements et le développement d’espaces verts.

Ceci a son importance pour comprendre que l’ouvriérisation des 11ème

et 20ème

arrondissements est devenue une donnée du passé ! S’il est bien entendu plus populaire que

l’Ouest parisien, l’Est ne peut plus vraiment être considéré comme prolétaire : sinon, pourquoi

la Maison des Métallos, incarnation de la toute-puissance de la CGT de l’époque, aurait été

transformée en lieu culturel accueillant plus de vernissages que de réunions politiques ?

Pourquoi la clientèle ouvrière de la rue de Lappe aurait laissée place si rapidement à des

étudiants, des célibataires, des jeunes couples, des cadres du secteur public comme du monde

privé ? Le dernier recensement de 2008 donne une indication : les ouvriers ne représentent

plus que 5,4% de la population du 11ème

arrondissement (5,2% à Paris), contre 29,6% de

cadres et professions intellectuelles supérieures (27,1% à Paris). Dans le 20ème

arrondissement, la catégorie socioprofessionnelle la plus représentée en 1999 était les

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employés (18,9%) tandis que ce sont les cadres et professions intellectuelles qui sont

aujourd’hui les plus nombreux (20,8%). La hausse des prix de l’habitat risque de consolider

cette tendance à l’embourgeoisement. Les 11ème

et 20ème

arrondissements sont donc des

arrondissements populaires mais qui restent tout de même intégrés à une métropole

mondialisée, rendant du même coup périlleux tout exercice visant à délivrer un résumé

sociologique.

L’histoire passée comme récente de ces différents quartiers composant la 6ème

circonscription

a pour point commun de rendre son paysage urbain et social très contrasté : des immeubles de

grande taille accueillant une population immigrée et ouvrière ont une vue plongeante sur d’ex-

ateliers transformés en lofts accueillant notamment des jeunes couples de cadres, des endroits

prisés des «gentryfieurs» se trouvent à quelques dizaines de mètres de poches de pauvreté, des

bars branchés succèdent à des commerces ethniques, etc. Au niveau municipal, le Parti

Socialiste domine spatialement ces deux arrondissements ancrés à gauche, mais Europe

Ecologie-Les Verts veut faire évoluer son discours pour y séduire un nouvel électorat,

essentiellement composé de classes moyennes (inférieures et supérieures) mais aussi de

quelques familles défavorisées. Ils espèrent que les citoyens de la 6ème

circonscription seront

d’autant plus susceptibles de répondre à l’appel écologiste en 2014 qu’ils ont

majestueusement élus Cécile Duflot, deux ans plus tôt aux législatives 2012. A cheval sur

deux arrondissements largement pourvus en conseillers de Paris – ces supers-élus locaux

siégeant à l’Hôtel de Ville et à qui revient l’élection finale du Maire de la capitale – cette

circonscription pourrait alors être une formidable rampe de lancement si la Ministre de

l’Egalité des territoires et du Logement est candidate aux municipales dans le 11ème

ou plus

probablement le 20ème

arrondissement.

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La 10ème

circonscription a beau ne pas avoir grand-chose de comparable avec la 6ème, elle

n’en reste pas moins ancrée à gauche : du sud-ouest du 13ème

arrondissement au sud-ouest du

14ème

, elle est entièrement composée de territoires considérés comme une sorte de «campagne

à proximité de la capitale», jusqu’à leur annexion en 1860. Autre ressemblance ? Son

contraste architectural. Encore aujourd’hui, un important habitat individuel agrémenté de

petits jardins côtoie des immeubles des années 1930… et même des gratte-ciels, avec

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notamment la tour Super-Italie, haute de plus de 110 mètres. Du fait de ses nombreux espaces

verts, le sud de Paris est devenu un quartier uniquement résidentiel, prisé d’une population

aisée : les étudiants et les cadres désireux de fonder de jeunes familles ont pris d’assaut cet

arrondissement et notamment les quartiers-villages comme Daguerre ou Pernety,

anciennement composés d’ouvriers et d’employés. Bien que les disparités ne soient pas aussi

frappantes que dans le 20ème

arrondissement, il reste néanmoins quelques zones plus

populaires aux alentours de la Porte de Vanves ainsi qu’une importante ceinture de logements

sociaux tout le long du boulevard des Maréchaux. Suffisamment en tout cas pour assurer à

cette circonscription et à ces arrondissements de rester à gauche encore quelques années…

Mais le fait qu’EE-LV applique avec succès sa stratégie parisienne ne signifie pas pour autant

que le PS ait à rougir et à s’inquiéter. Au contraire, les enseignements à tirer des élections

législatives 2012 vont au-delà d’un simple vote de confirmation de la présidentielle et

confortent la capitale à gauche : l'addition des voix recueillies dans les 18 circonscriptions

(39,1%) au premier tour des législatives donne au Parti Socialiste un score supérieur à celui

de François Hollande le 22 avril dernier (34,9%). Avec 60% des voix exprimées en moyenne

pour la gauche au second tour, le PS parisien qui ne parvient pas à ravir de nouvelles

circonscriptions à la droite, bat toutefois «un nouveau record40

». Il devance par ailleurs de dix

points son score (29,1%) réalisé au premier tour des élections législatives de 2007.

Dans des circonscriptions considérées comme clés par l’UMP qui y nourrissait des espoirs en

2012 pour mieux reconquérir les mairies d’arrondissement en 2014, le Parti Socialiste est

même parvenu à creuser l’écart : dans la 8ème

circonscription, la députée sortante Sandrine

Mazetier (PS) s’ancre un peu plus, obtenant neuf points de plus que son élection de justesse

en 2007, année, et dans la 11ème

circonscription où Yves Cochet (Verts) ne se représentait pas,

le maire du 14ème

arrondissement Pascal Cherki (PS) devance de sept points le maire du 6ème

arrondissement, Jean-Pierre Lecoq (UMP) alors que son élection était considérée comme

indécise. Si la fracture électorale entre l’Ouest et l’Est parisien est toujours aussi nette, il est à

noter que le Parti Socialiste accomplit une percée dans les arrondissements aujourd’hui

détenus par l’UMP. Dans la 2ème

circonscription (5ème

, 6ème

et 7ème

arrondissements), François

Fillon (48,6%) devance largement son rival socialiste Axel Kahn (33,9%) mais l’ancien

président de l’université Paris-Descartes arrive tout de même en tête dans le 5ème

40

Bertrand Delanoë, le 20 juin dans le Journal du Dimanche : «Paris, ville de gauche.»

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arrondissement (41,9% contre 38% pour l’ex-Premier ministre), dont l’actuel Maire, Jean

Tibéri, est de droite. Dans la 12ème

circonscription qui recouvre la majorité du 15ème

arrondissement, le candidat radical Gilles Alayrac, soutenu par le PS, réalise un score de six

points supérieur à celui d’Anne Hidalgo en 2007, en recueillant 34,3% des voix au premier

tour. Autre motif de satisfaction pour le PS parisien, Cécile Duflot (EE-LV) doit laisser, du

fait de sa fonction de Ministre, son siège de députée de Paris à sa suppléante Danièle

Hoffmann-Rispal : la capitale apportera ainsi le même nombre de députés au groupe PS qu’en

2007, et ce malgré le redécoupage électoral.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

47

II Rivalités de pouvoirs entre frères ennemis

A) «L’unité est un combat»

1) Interdépendances et rivalités de pouvoirs

ncore aujourd’hui, les écologistes sont largement dépendants du PS. Si Europe

Ecologie-Les Verts obtient des résultats honorables dans les élections locales ou

supranationales, ils restent encore bien loin de pouvoir concurrencer leur grand frère

socialiste dans les scrutins nationaux les plus médiatisés. Et pour cause, le mode des scrutins

des élections présidentielle et législatives41

censé garantir des majorités claires, ne

récompense qu’un seul candidat. Du fait de l’absence de proportionnelle, le pourcentage de

voix obtenues par les prétendants autre que le vainqueur n’est pas pris en compte.

Evolution du rapport entre suffrages nationaux et sièges obtenus aux élections législatives depuis 1997.

Elections

législatives

Accord national PS /

Verts

Suffrages obtenus par

les Verts

Part des sièges

obtenus

1986 Non 1,21% 0%

1988 Non 0,35% 0%

1993 Non 4,08% 0%

1997 Oui 6,83% 0,69% (6 élus)

2002 Oui 4,51% 0,52% (3 élus)

2007 Non 3,25% 0,69% (4 élus)

2012 Oui 5,46% 3,12% (18 élus)

Comme de nombreux autres petits partis qu’ils soient extrémistes ou centristes, le rapport

entre le nombre de suffrages exprimés en faveur d’EE-LV reste généralement supérieur au

nombre de postes de députés glanés : les écologistes ne parviennent pas à convertir les votes

en leur faveur en mandats électoraux. Une gabegie institutionnelle qui a un double effet

pénalisant pour ces petites structures, puisqu’elle fait automatiquement fuir un certain nombre

41

Ces scrutins sont organisés selon le système majoritaire à deux tours.

E

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

48

d’électeurs-sympathisants vers un «vote utile», vers un parti susceptible de «gagner»

l’élection comme le PS ou l’UMP. Une tendance encore accentuée en 2002 par l’inversion du

calendrier électoral national – le scrutin législatif étant dès lors fixé le mois suivant l’élection

présidentielle – puisqu’il s’agit désormais d’attribuer ou non la majorité au Président de la

République nouvellement élu.

S’ils veulent peser à l’Assemblée nationale, où se définissent les rapports de forces rythmant

l’agenda politique du quinquennat, les écologistes doivent donc préalablement négocier des

circonscriptions «gagnables» en fusionnant avec le Parti Socialiste, mieux implanté sur

l’ensemble du territoire. C’est «un moment difficile mais il n’y a pas d’autres solutions» selon

la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Cécile Duflot. Au-delà de la nécessité de

devoir nouer un accord électoral pour tirer profit des contingences de la 5ème

République, une

alliance programmatique est par ailleurs le seul espoir des écologistes pour tenter de modifier

le mode de scrutin, et ainsi corriger la faiblesse inhérente à leur structure pour retrouver leur

«indépendance». Dans l’accord signé à l’automne 2011 entre les deux formations de gauche,

il est ainsi prévu de revoir l’organisation institutionnelle et notamment le mode de désignation

pour le Parlement, puisqu’entre 15 à 20% des sièges de l’Assemblée nationale devraient au

minimum être élus en 2017 à la proportionnelle.

Conscient que nouer de nouveau un accord avec le PS pourrait plomber la campagne de sa

candidate et faire fuir un certain nombre de militants, Europe Ecologie-Les Verts s’y résolut

malgré tout. Car l’objectif était également de pouvoir constituer un groupe de députés

indépendant, alors que celui qu’ils formaient bon gré mal gré avec le Front de Gauche s’était

disloqué à l’automne dernier. Sur le papier, 15 députés écologistes devaient initialement être

élus en cas de défaite du PS à l’élection présidentielle, et de 25 à 30 en cas d’accession de

François Hollande à l’Elysée. Les dissidences d’élus socialistes locaux – désireux de profiter

de la vague rose et de ne pas offrir de vitrine nationale aux élus locaux écologistes à moins de

deux ans des élections municipales – ont coûté leur place à une dizaine de candidats

écologistes42

. Résultat : au soir du premier tour, les écologistes n’étaient plus assurés

d’obtenir ce fameux groupe politique à l’Assemblée nationale. Clé de voûte de la stratégie

écologiste des derniers mois, cette anomalie aurait été un terrible échec consacrant Europe

Ecologie-Les Verts comme le supplément d’âme environnemental du géant socialiste. Seuls

42

Des dissidents du PS local se sont présentés dans la moitié des 63 circonscriptions où le candidat écologiste

était soutenu par la direction nationale du PS. Résultat : seuls 40 ont pu se maintenir au second tour.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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18 députés verts ont donc finalement été élus le 17 juin, soit juste de quoi former pour la

première fois un groupe politique autonome. Un atout toutefois non négligeable dans le rôle

que peut jouer EE-LV au cours de la prochaine mandature. Il lui garantit selon l’article 19 du

règlement de l’Assemblée nationale un certain nombre de sièges en commission, une

meilleure répartition des places dans l’hémicycle ainsi qu’un temps de parole accru en séance.

Le groupe écologiste bénéficiera de facilités matérielles (bureaux, voitures de fonction) et

d’une enveloppe financière (45.000 euros par mois) leur permettant d’embaucher 8 chargés de

mission – susceptibles de produire des notes de synthèse, des amendements ou de gérer la

communication – en plus des collaborateurs parlementaires de chaque député. Outre proposer

la création d’une commission d’enquête et fixer l’ordre du jour, les présidents de groupe

politique peuvent également demander un scrutin public ou une suspension de séance.

En somme, tout ce que recherche Europe Ecologie-Les Verts, qui a pris conscience qu’il ne

parviendrait pas à «changer le monde» s’il ne jouait pas un rôle important dans la vie

parlementaire. Dans un contexte de bipolarisation et de présidentialisation accrue, l’obtention

de ce groupe qui leur permettra de faire entendre leurs différences aurait été inespérée si les

écologistes n’avaient pas passé d’accord avec le grand frère socialiste : bien que largement

devant Eva Joly au premier tour de l’élection présidentielle, le Front National, le Front de

Gauche et le MoDem ne peuvent pas constituer de groupe politique autonome. A défaut de

pouvoir peser dans le rapport de force classique alors que le PS détient la majorité absolue, les

écologistes peuvent également se targuer de ce Ministère de la parole supplémentaire. Charge

à eux, ensuite, de transformer leur liberté d’expression en liberté de vote, d’articuler au mieux

leurs traditions libertaires et les règles de la solidarité gouvernementale.

Mais la politique n’est pas qu’une question d’idéaux, elle est également une histoire

d’influence, de pouvoir… et donc de moyens financiers. L’argent est une inertie à toute

structure politique : un parti en faillite n’a plus les moyens de faire campagne et de se battre

pour que ses idées soient représentées. Au contraire, une formation qui s’enrichit peut voir

son avenir s’éclaircir. La vie politique est un secteur concurrentiel comme un autre, les

suffrages jouant le rôle de parts de marchés. Les finances sont constamment en ligne de mire

des états-majors politiques, dans la mesure où aucun parti ne peut fonctionner sur les seuls

dons, cotisations de militants et surplus d’indemnités des élus43

. Ne serait-ce que pour assurer

43

Les députés PS verseraient ainsi 500 euros par mois à l’Association de Financement du Parti Socialiste. Cette

somme est beaucoup moins importante que les 1.500 euros versés par les députés écologistes à leur parti.

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le remboursement des emprunts liés au foncier, les frais salariaux, l’achat de matériel

informatique, etc… Europe Ecologie-Les Verts n’échappe donc pas à la règle. «Les

écologistes ont établi une stratégie mixte, mélange d’autonomie et d’alliances, car participer

à des majorités et disposer d’une place dans l’exécutif est un levier nécessaire pour tout parti

politique : EE-LV est une machine qui a besoin de carburant, d’argent, et donc d’élus et de

voix» explique Daniel Boy, directeur de recherches au Cevipof. Le parti écologiste est

d’autant plus concerné que sa situation financière est loin d’être excellente : l’achat de son

siège de La Chocolaterie (20ème

) au début des années 2000 juste avant une série de mauvais

résultats électoraux l’a durablement endetté et le menace encore aujourd’hui de devoir vendre

ses locaux ou de licencier une partie de sa quinzaine de permanents.

Le négociateur en chef Jean-Vincent Placé a beau nier la mauvaise santé économique

présumée d’Europe Ecologie-Les Verts – «notre parti n’est pas du tout au bord de la faillite :

nous avions 800 élus il y a six ans et en comptons plus de 2.000 aujourd’hui.» – la campagne

de sa candidate Eva Joly l’a laissé transparaître à plusieurs reprises. L’hiver dernier,

l’ancienne juge d’instruction confiait même aux réalisateurs du documentaire Stratèges sa

«responsabilité économique envers Europe Ecologie-Les Verts. Si, quelques semaines avant

l’élection, je suis crédité de 2,5%, cela ferait perdre trois millions d’euros au parti.»

Anticipant son faible score à la présidentielle et la catastrophe financière qu’entraînerait le

non-remboursement44

, son équipe de campagne avait entre-temps diminué le budget de la

campagne… Revenant sur son aventure, Eva Joly déclarait à quelques jours du premier tour45

qu’elle aurait «aimé bénéficier des services d’une agence de pub, comme les autres, mais tout

coûte beaucoup d’argent. Chez nous, tout est fait maison!»

Aujourd’hui, Europe Ecologie-Les Verts peut se satisfaire d’avoir survécu à une séquence

électorale qui ne lui réussit jamais. Mais ils peuvent remercier pour cela… le Parti Socialiste :

l’accord leur permettant de présenter 63 candidats écologistes avec le logo du poing et de la

rose aux législatives de juin dernier revêtait une composante financière non négligeable.

Avant la signature de celui-ci à l’automne 2011, le parti écologiste ne parvenait plus à

décrocher de nouveaux prêts et se voyait dans l’obligation d’augmenter ses capacités

d’autofinancement46

. A tel point que les ultimatums que lançaient les écologistes faisaient

44

L’Etat prend en charge au maximum 800.000 euros de dépenses, pour les candidats ayant récueilli moins de

5% des suffrages 45

Entretien dans l’Express, le 18 avril. 46

A cette période, Europe Ecologie-Les Verts avait hypothéqué les locaux de leur fédération du Nord-Pas de

Calais, fait une levée auprès des groupes locaux et suspendu le versement du salaire de leurs permanents.

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51

office de «véritable coup de bluff47

» et qu’ils n’étaient de toute façon pas en moyen de

claquer la porte des négociations… Lors du conseil fédéral de septembre dernier, la trésorière

Eva Sas préconisait en effet de «recueillir au minimum 1,5 million de voix en juin prochain,

grâce à un score moyen de 6% dans les 577 circonscriptions» en cas de stratégie

d’autonomie. Pragmatique, elle faisait aussi valoir qu’«un score moyen de 35% dans 80

circonscriptions réservées par le PS permettant de réunir 1,8 millions de suffrages» leur

assurerait d’honorer les échéances bancaires et de dégager plus d’un million d’euros par an.

Depuis la loi du 11 mars 1988 instituant un système de subventions publiques pour lutter

contre les financements occultes, l’aide financière que reçoit chaque parti de la part de l’Etat

se calcule en effet sur la base du résultat des élections législatives. Une première fraction

d’une trentaine de millions d’euros est distribuée proportionnellement aux résultats obtenus au

premier tour des dernières élections législatives. Toutes les formations politiques ayant obtenu

au moins 1% des suffrages exprimés dans cinquante circonscriptions peuvent la réclamer.

Jusqu’ici, les 859 781 recueillies par les Verts lors des législatives 2007 leur donnaient droit à

1,37 millions annuel. Avec 1.418.141 voix obtenues en 2012, Europe Ecologie-Les Verts

verra ce montant grimper à 2,38 millions d’euros par an, jusqu’en 2017, garantissant ainsi une

certaine stabilité budgétaire. Sans compter qu’une deuxième tranche d’environ 40 millions

d’euros est ensuite répartie en fonction du nombre de parlementaires (42.228 euros par élu)

rattachés à chaque parti, à condition que ces derniers soient déjà bénéficiaires de la première

fraction. Là encore, c’est le cas d’Europe Ecologie-Les Verts : entre 2007 et aujourd’hui, ils

ont même vu leur nombre de sénateurs augmenté de deux à douze, et de députés de quatre à

dix-sept. Cette allocation a augmenté en cinq ans d’environ 250.000 euros à 1.250.000

annuel… De quoi respirer financièrement, donc.

Mais aussi étrange que cela puisse paraître, le PS n’avait pas moins besoin de cet accord, tant

électoralement au cours de la campagne présidentielle que pour la mandature à venir. Il a été

la première pierre du vote utile : sans connaître le détail des comptes de ses partenaires,

Solférino avait toutefois conscience que son partenaire Europe Ecologie-Les Verts était une

petite structure ayant besoin du financement public : leur garantir un minimum de ressources

en juin 2012 pouvait les «neutraliser» de façon à éviter toute critique du candidat socialiste,

alors que le candidat du Front de Gauche Jean-Luc Mélenchon faisait déjà preuve de

47

selon des enquêtes de Marianne du 18 novembre 2011 et le Canard Enchaîné du 23 novembre 2011.

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véhémence et prenait le risque de diviser l’électorat de gauche. La réussite de cette

négociation rentrait également dans la stratégie de communication du candidat socialiste à

l’Elysée. S’il a réalisé de nombreuses concessions en matière de circonscriptions, François

Hollande a fait valoir sa cohérence et sa fermeté au niveau de ses idées : au cours de la

campagne, il a réaffirmé la prévalence de son programme personnel sur tout autre «accord

d’appareil», afin de se draper d’une image d’homme d’Etat et non seulement d’homme de

parti. François Hollande, qui prenait soin de sa stature de présidentiable, ne voulait pas tomber

dans la critique politicienne des «affaires» de Nicolas Sarkozy48

: qu’à cela n’en tienne, la

candidate écologiste Eva Joly lui a rendu un fier service en axant toute sa fin de campagne sur

ce thème.

Il faut également avoir à l’esprit que depuis 2002, le scrutin législatif français se déroule dans

la foulée de l’élection présidentielle. Pas surprenant dès lors que les états-majors réfléchissent

déjà à l’organisation de la mandature à venir, avant même que le nom de l’hôte de l’Elysée ne

soit connu. En échange de «tickets» leur donnant droit à une poignée de députés, EE-LV n’a

ainsi pas présenté de candidats dans 70 circonscriptions susceptibles de voir un représentant

de la gauche absent du second tour suite aux dispersions des voix entre socialistes, écologistes

et communistes. Utile alors que la logique politique veut que le PS réunisse autour de lui une

partie de la gauche s’il veut espérer devancer l’UMP dans une France encline à voter

majoritairement à droite lors des scrutins nationaux. Bien que signée six mois avant le premier

tour, cette entente entre socialistes et écologistes garantissait également à François Hollande

une solidarité parlementaire pour la mandature à venir, et sécurisait de fait le projet de loi de

finances ou le budget de la sécurité sociale. Car le risque existait - il a été matérialisé par le

scrutin présidentiel serré - que la composition de l’Assemblée nationale n’offre pas de larges

marges de manœuvres au PS. Sans affirmer publiquement leur désir d’avoir une majorité

absolue afin de ne pas être accusés d’avoir des visées hégémoniques, le Parti Socialiste a

lancé plusieurs appels pour qu’une «vague rose» et non rose-verte-rouge, vienne conforter

l’élection de François Hollande. La question de savoir si le gouvernement disposerait d’une

majorité absolue ou relative a son importance : elle est la garantie de pouvoir voter, et donc

accélérer la mise en œuvre de ses réformes sans risquer d’être mis en minorité.

48

Affaire Bettencourt, Affaire Karachi, Affaire Khadafi, etc.

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Avant même les élections législatives, la configuration de la future Assemblée nationale était

donc dans toutes les têtes socialistes. La principale crainte étant que le PS et ses alliés naturels

du PRG doivent composer avec les députés du Front de Gauche, seul parti avec qui Solférino

n’était pas parvenu à trouver d’accord législatif et qui avait pour objectif initial de se faire

entendre, de ne pas laisser socialistes et écologistes à avoir la majorité à eux seuls. A l’image

du futur Président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone qui a estimé souhaitable que le

PS «ait la majorité absolue sans les Verts»49

, de nombreux socialistes ne cachaient pas leur

désir d’hégémonie pour ne pas avoir besoin de compter sur leur partenaire écologiste…

Comment le justifier ? Le fait d’avoir la majorité absolue faciliterait l’action du gouvernement

et lui conférerait une légitimité encore plus importante en Europe. Motif officieux : la néo-

Ministre Cécile Duflot venait de leur donner un avant-goût de sa conception de la solidarité

gouvernementale avec une polémique sur la légalisation du cannabis, permettant de douter

raisonnablement de la fidélité du groupe écologiste.

La joie se lisait donc sur les visages socialistes, le 17 juin au soir. Ils obtenaient 280 députés à

eux seuls et 314 avec leurs alliés historiques (divers gauche et radicaux de gauche), soit bien

plus que la majorité absolue établie à 289 sièges. Avec 17 députés depuis le retrait de Cécile

Duflot qui reste au gouvernement, Europe Ecologie-Les Verts –partenaire plus indépendant et

donc plus imprévisible que les deux forces satellites citées ci-dessus – obtient la meilleure

représentation parlementaire de la courte histoire verte, mais ne sera pas indispensable au

Parti Socialiste : l’écologie politique ne pèsera pas autant qu’espéré à l’Assemblée nationale.

Un soulagement pour Solférino et l’Elysée qui peuvent se targuer de contrôler des pouvoirs

que la gauche n’avait encore jamais eu sous la 5ème

République à savoir, la présidence, le

gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat ainsi que la quasi-totalité des régions, les

trois-quarts des grandes villes et une grosse majorité des départements. D’autant plus que

cette puissance institutionnelle ne s’accompagne d’aucuns partenaires suffisamment forts pour

entretenir le débat et jouer un rôle de pouvoir de contrainte envers le parti social-démocrate.

Cette relative interdépendance entre écologistes et socialistes ne garantit pas pour autant des

relations apaisées sur le plan national. Depuis quinze ans, les deux partis se retrouvent

régulièrement à la table des discussions pour tenter de se mettre d’accord. Pourtant la

négociation n’a aboutie qu’à deux reprises. Si l’accord de la «gauche plurielle» avait permis

en 1997 à Lionel Jospin d’accéder à Matignon et aux Verts d’obtenir 6 députés et 1 Ministre,

49

Le 3 juin 2011, lors du Grand Rendez-vous Europe 1 / Le Parisien / I-Télé

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seuls les députés sortants avaient ensuite été reconduits en 2002, au terme d’un accord a-

minima. Bis répétita en 2007, seuls des accords locaux ont permis aux écologistes d’être

représentés à l’Assemblée nationale. Et pour cause, la direction nationale avait claqué la porte

de Solférino après avoir réclamé une soixantaine de circonscriptions, dont la moitié de

gagnable, tandis que le PS n’était disposé qu’à leur en réserver 14, dont à peine la moitié de

gagnables.

Avant d’aboutir à un accord électoral et programmatique historique en 2012, la négociation a

été ponctuée de lourdes menaces et d’ultimatums vindicatifs. L’élément de langage semble

avoir été répété par l’ensemble des écologistes, à l’automne dernier : dans la bouche de la

candidate à l’élection présidentielle Eva Joly, cela donnait «pas question d’échanger nos

principes contre quelques circonscriptions», dans celle de la secrétaire nationale Cécile

Duflot «nous sommes prêts à n’avoir aucun députés plutôt que de renier nos convictions»

tandis que l’Adjoint au Maire de Paris Denis Baupin le formulait dans ces termes : «S’il faut

renoncer à nos convictions pour avoir des députés, il n’y aura pas de députés, c’est clair» !

Dans un entretien accordé au

Journal du Dimanche le 22

octobre, la patronne écologiste

rappelle les conditions posées,

insistant sur le fait que nous

«sommes prêts au compromis,

comme nous sommes prêts aussi

à constater qu’il n’y a pas

d’accord.» Ulcérés par cette

pression médiatique imposée par

leurs partenaires, les socialistes

et en particulier le camp

Hollande menacent de ne

négocier qu’après le premier tour, sur la base exclusive du score d’Eva Joly. L’ancienne

porte-parole des Verts et alors membre de l’équipe de campagne de François Hollande,

Aurélie Filipetti, lui répond le lendemain dans le JDD : «Le Parti Socialiste a totalement

intégré la problématique environnementale dans son programme. Notre doctrine a changé,

les temps ont changé : les Vert ne sont plus en position d’exiger quoi que ce soit. L’avenir de

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l’écologie, c’est le PS.» La bataille était à couteaux tirés entre deux états-majors

intransigeants, pleinement conscient qu’ils étaient là en train de bâtir le rapport de force de la

prochaine mandature et qu’il était hors de question de céder du terrain.

Si Europe Ecologie-Les Verts accepte de nouer des accords pour ne pas «être marginalisé» et

s’inscrire durablement dans l’exercice du pouvoir afin d’infléchir la politique du Parti

Socialiste, ils ne cachent pas nourrir l’ambition de faire à plus ou moins long-terme de

l’écologie politique l’idéologie du 21ème

siècle ! Militants ou élus, beaucoup sont convaincus

de transposer le processus de dépassement qui avait vu, au début du 20ème

siècle, la SFIO

concurrencer de plus en plus fortement les radicaux de gauche. «Tout comme l’idéologie du

Parti Radical n’était plus adaptée aux valeurs de la société au sortir de la première guerre

mondiale, l’idée défendue par le PS qu’une croissance économique infinie puisse permettre à

l’Etat-providence d’augmenter les revenus de tous n’est plus d’actualité. Or, son appareil

bureaucratique ne peut pas sortir de ce paradigme» veut croire Hervé Morel, patron d’EE-

LV Paris et professeur à HEC. Une représentation de l’avenir ambitieuse pour leur parti, que

les écologistes justifient en faisant référence aux Tragédies de Shakespeare, où l’écrivain

britannique explique que les cycles de puissance ne cessent de se défaire pour recommencer,

modifiant constamment les structures de pouvoir. «Si nous faisons parfois des accords avec la

gauche, ce n’est pas parce que nous sommes solubles dans le PS, c’est une contrainte due au

mode de scrutin. L’écologie politique, c’est un nouveau paradigme dans l’échiquier

idéologique du débat politique, ce n’est pas un parti de la gauche traditionnelle, c’est une

nouvelle forme d’espoir jadis représentée par la gauche, aujourd’hui par nous» lance Yves

Cochet50

. A écouter les dirigeants d’EE-LV, l’écologie politique bien qu’encore en

construction, serait la remplaçante toute trouvée d’idéologies appartenant au passé, et sur

laquelle se fonderait encore le Parti Socialiste, comme la social-démocratie, le communisme

ou le libéralisme.

Cette ambition avait déjà été matérialisée le 30 septembre 2011 lors d’une réunion de travail

entre les écologistes français et leurs collègues allemands des Grünens, par la secrétaire

nationale Cécile Duflot. Cette fois-ci, elle n’avait pas hésité à affirmer que «la force montante

de l’écologie dépassera à coup sûr la social-démocratie au XXIème siècle.» De retour à

Solférino pour négocier l’accord sur la séquence électorale 2012, elle avait assumé sa phrase

50

Yves Cochet : «Eva Joly n’a jamais tiré contre le PS», Le Monde, 24 novembre 2011

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tout en niant vouloir «faire du Parti Socialiste le PRG de demain : ce n’est pas qu’une

question de rapports de forces mais aussi de démontrer que les solutions écologistes sont

pertinentes pour régler les problèmes […] d’une crise qui mérite des solutions du XXIème

siècle puisque la crise que l’on vit aujourd’hui n’est pas conjoncturelle mais celle d’un

modèle de développement court-termiste» s’explique-t-elle dans l’émission Preuves par 3, sur

Public Sénat. Au cours d’un entretien téléphonique qu’il m’a accordé, le politologue Daniel

Boy vient prudemment – «c’est difficile d’établir des prévisions, ce sont autant des questions

philosophiques que de science politique» – à son secours, en expliquant qu’un cycle

historique existe bel et bien et que l’écologie politique aura bien vocation à supplanter la

social-démocratie, à terme. «Pour autant, la direction nationale d’EE-LV n’imagine pas

dépasser le PS dans les deux ans ou trois ans à venir : il ne faut pas confondre la concurrence

immédiate, qui peut se régler avec des accords, et ce qui peut être une vision à long-terme

dans une voire plusieurs décennies» clarifie-t-il.

Surtout que l’écologie politique n’est pas si vieille, elle n’existe en réalité que depuis un peu

plus d’une génération. Fatras d’idées nouvelles émergeant après Mai 68, elle rassemble

initialement une myriade de causes sans liens cohérents apparents, séduisant autant des

féministes combattant pour la libération de l’avortement et la contraception que des militants

de la cause homosexuelle, des défenseurs des sans-papiers, des maoïstes, des partisans de la

non-violence, des journalistes de la presse alternative, des trotskistes, des marxistes-

léninistes… qui ont tous des subtilités de discours et des stratégies différentes. Ils se fédèrent

dans le but commun de «changer le monde, à un moment où la croissance et le progrès ont

laissé place à une succession de crises qui voient l’Occident sortir de la croissance comme

vecteur de progrès social» explique le sociologue-spécialiste de l’écologie politique, Erwann

Lecoeur51

. En cela, l’écologie s’est formée dans le contre-modèle de la social-démocratie. Par

la suite, les idées de la «deuxième gauche» véhiculées par la CFDT et le PSU vont beaucoup

influencer l’écologie, avec l’arrivée de nombreux militants de ces deux organisations

syndicales et politiques. Pour autant, cette riche histoire d’idées fait-elle de l’écologie

politique une idéologie ? Non, à en croire la définition de Guy Rocher qui la détermine

comme «un système d’idées et de jugements, explicite et généralement organisé, qui sert à

décrire, expliquer, interpréter ou justifier la situation d’un groupe ou d’une collectivité et qui,

s’inspirant largement de valeurs, propose une orientation précise à l’action historique de ce

51

Des écologistes en politique, 2011.

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groupe ou de cette collectivité.» Or, l’écologie politique n’a pas encore de pensée identifiée,

de programmes à proprement parler qui dépasse quelques propositions à visée électoraliste.

L’écrivain et journaliste Daniel Simonnet va encore plus loin dans une tribune publiée dans

Le Monde52

: «l’alchimie entre ce mélange libéral et libertaire ne s’est pas précipité en une

pensée singulière, cohérente. L'écologie est culturelle, sociale, philosophique peut-être, voire

poétique», mais pas politique.

Ne se laissant pas abattre si facilement, les écologistes développent depuis plusieurs années

leur plateforme idéologique, afin de ne pas s’enfermer dans le seul segment environnemental

pas toujours payant électoralement : entre son discours d’investiture où elle devait rassurer les

militants de son écolo-compatibilité et ses vœux aux Français réalisés le 30 décembre, le

discours d’Eva Joly a pour le moins évolué : la candidate d’EE-LV n’y a pas prononcé une

seule fois les mots «écologie», «environnement» ou «nature» mais a disserté abondamment

sur l’économie ou la justice. Et pour se donner les moyens de dépasser à terme le grand frère

socialiste, ils sont de plus en plus tentés par lier la question sociale dans la question

environnementale : «l’écologie, ce n’est pas de l’idéologie, c’est du simple bon sens. Les

socialistes, s’ils disent combattre les inégalités, ne comprennent pas que la crise écologique

majeure que nous traversons pèsera et pèse d’abord sur les plus pauvres d’entre nous»

expliquait ainsi Nicolas Hulot dans une interview accordée au Monde53

. La question sous-

jacente au dépassement de la social-démocratie par l’écologie politique, et donc de leur

concurrence actuelle et future, est en réalité de savoir si la question sociale (inégalités, travail)

sera un jour remplacée par la question environnementale dans les préoccupations des

électeurs54

. Autre preuve que le «Grand soir Vert» n’est tout de même pas pour si tôt, les

écologistes rivalisent électoralement avec le PS uniquement sur certaines élections locales et

supranationales, mais jamais nationales. Autant dire que la social-démocratie a encore

quelques années devant elle… si elle parvient à dépasser ses propres limites.

Car la dernière crise financière a poussé la social-démocratie dans ses derniers

retranchements, selon Rémi Lefèbvre, professeur en science politique à l’université de Reims

52

Le 2 avril dernier : «L’écologie n’est pas morte, c’est l’écologie politique qui n’existe plus ». 53

8 février 2012, «Hulot : Je n’aurais pas dû me laisser intimider» 54

Dans un baromètre sur la perception des risques en France commandé par l’Institut de Radioprotection et de

Sûreté nucléaire (IRSN), on apprend que la dégradation de l'environnement n'est plus une inquiétude que pour

12% des Français, contre 24% en 2006. La crainte du chômage écrase toutes les autres angoisses. Petit motif de

satisfaction pour les écologistes ? Sous l'effet de la catastrophe de Fukushima, l'appréhension concernant le

risque nucléaire a gagné 10 points depuis le baromètre 2011 et prend la 4ème place (18%) devançant même les

questions de sécurité publique.

Page 58: La bataille de Paris, un duel entre socialistes et écologistes ?

Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

58

et co-fondateur du club Gauche Avenir55

: «la crise a ouvert une fenêtre susceptible de

favoriser l’aggiornamento social-démocrate, elle a fragilisé l’aile droite des partis sociaux-

démocrates, mais la question du rapport au libéralisme n’a pas véritablement été tranchée.»

De fait, l’idéologie social-démocrate ne semble pas s’être adaptée à l’évolution de la société et

de l’économie, l’incitant à mieux prendre en compte certains méfaits de la mondialisation et

certaines dérives néo-libérales. Confrontés à la vision d’un réel indépassable, les partis

sociaux-démocrate – que ce soient le Labour anglais, le SPD allemand ou le PS français -

n’imaginent plus pouvoir construire un nouveau rapport de forces avec le capital.

L’économiste Frédéric Lordon, affilié au club des «Economistes attérés» et soutien Jean-Luc

Mélenchon lors de la dernière campagne, pose une grave question dans une chronique publiée

par Télérama56

: «après deux décennies de conversions à tout va, le PS est-il encore «de

gauche» ? Ils ont fait de la construction européenne de Maastricht-Lisbonne un

inquestionnable du débat politique… Or, qui cherche vraiment le fin mot des inégalités doit

chercher à modifier ce cadre reconnaissant le primat de la finance actionnariale et

l’orthodoxie de politique économique sous surveillance des marchés: si dans le « certain

cadre » il n’y a pas d’autre solution possible, il y a néanmoins toujours la solution de sortir

du cadre. Et de le refaire. Les choses deviennent alors étrangement simples sous cette

perspective : être de gauche, c’est être prêt à attaquer le cadre.» «Le PS peut parfois donner

l’impression d’être fébrile, d’avoir peur car il a des vieilles réponses à des vieilles questions.

Les socialistes craignent les écologistes comme ils peuvent avoir peur du centre-gauche ou du

socialisme historique prôné par Jean-Luc Mélenchon» renchérit le politologue Daniel Boy.

Sa mue serait d’autant plus urgente que le reste de la gauche ne lui fait plus de cadeau :

entonnant le créneau de cadres du Front de Gauche, certains militants écologistes n’hésitent

plus à dénoncer une social-démocratie «pervertie par le néo-libéralisme», avec l’acceptation

de l’ordre établi comme seul ordre possible. Dans son livre paru 201157

, l’Adjoint au Maire de

Paris va même plus loin, en expliquant que les personnalités politiques, libéraux comme

sociaux-démocrates, n’auraient pas suffisamment de vision ni de caractère pour faire face aux

lobbies et renoncer au modèle économique libéral planétaire… Fervent opposant aux «khmers

verts» dans sa ville de Lyon, le Maire PS Gérard Collomb veut croire au renouvellement des

idéologies du PS, qui «ne raisonne plus avec l’idéologie communiste dominante du début du

55

«La ligne social-démocrate ne fonctionne plus» sur la vie en rose, blog du journaliste David Revault

d’Allonnes. 56

«Présidentielle J-51 : la campagne vue par Frédéric Lordon» 57

« La planète brûle, que font les politiques ?»

Page 59: La bataille de Paris, un duel entre socialistes et écologistes ?

Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

59

XXème siècle ou l’idéologie social-démocrate du XXème siècle mais pas non plus avec les

méthodes actuelles des Verts» défend-il sur Public Sénat. Et même si les négociateurs de

François Hollande ont limité les concessions dans le dernier accord programmatique, une

partie des socialistes dont les aubrystes avaient commencé à lâcher du terrain, comme le

rapportent Anne-Sophie Mercier et David Revault d’Allonnes, dans Le Monde58

: «on n’était

plus dans l’hégémonie, dans la domination, mais presque dans un rapport d’égal à égal»

explique le négociateur PS Philippe Martin, tandis que le conseiller de la première secrétaire

Guillaume Bachelay proclamait lui, la «naissance de la social-écologie» à la publication de

l’accord programmatique.

2) Des relations «bipolaires» exacerbées à Paris

aris est aujourd’hui ancrée comme une ville de gauche. Mais durant des dizaines

d’années, il n’en a pas été ainsi. Depuis les débuts de la IIIème

République, la capitale

était acquise à la droite. Et l’élection de son premier Maire en 197759

n’y changea

rien : elle resta sous la domination de Jacques Chirac et du RPR pendant plus de vingt ans

encore. Mieux, le Maire de Paris sortant réalisait le «Grand Chelem»60

en 1983 et 1989. Qui

aurait cru, dans ces années fastes pour la droite, que le basculement à gauche de ce fief

chiraquien était en marche ? Surement pas les socialistes, qui avaient intériorisé que

sociologie électorale oblige, ils ne seraient jamais majoritaires à l’Hôtel de Ville.

En réalité, le processus aurait débuté avec les premières opérations de rénovation urbaine

(revalorisation du parc résidentiel, transformation du tissu industriel et commercial) lancées

par l’Etat, qui ont subtilement amorcé l’embourgeoisement de la capitale. Sans le vouloir –

ces chantiers devaient initialement stopper l’hémorragie démographique frappant le Paris

populaire de l’après-guerre – la revalorisation de l’espace public parisien a progressivement

modifié la population disposée à vivre au cœur de la capitale. Sans conséquence électorale

dans les années 1980, les constructions neuves du 15ème

arrondissement puis les

réhabilitations de l’ensemble de la rive gauche (5ème

, 6ème

, 13ème

et 14ème

arrondissements) ont

été les prémices d’une gentryfication61

, ayant contribué plus tard à l’évolution des attentes

58

« Comment les verts ont détaché le PS du nucléaire », Le Monde, 21 novembre 2011 59

La ville de Paris était jusqu’alors dirigée par un Préfet nommé sur décret de l’Elysée 60

L’expression «Grand Chelem» désigne le fait qu’un parti, ici le RPR, arrive en tête dans tous les

arrondissements de la capitale 61

Anne Clerval, « Les dynamiques spatiales de la gentryfication à Paris », Cybergeo, juillet 2010

P

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

60

politiques et du comportement électoral des Parisiens. Accompagnée d’une vague de

désindustrialisation, la hausse continue des prix de l’immobilier de la capitale ainsi que celle

des loyers imposa en parallèle une logique ségrégative, rejetant les populations modestes du

centre de Paris vers la petite, voire la grande couronne. Parallèlement, le Maire de Paris

entame à la fin des années 1980 la plus importante phase de cette rénovation urbaine, avec la

réhabilitation du Nord et de l’Est de la capitale, majoritairement peuplés de classes populaires

mais à l’époque électoralement acquis à Jacques Chirac. Ces nouveaux chantiers devant

embellir ces quartiers populaires vont provoquer la fuite d’une partie de son électorat, âgé et

traditionnellement de droite. «En chassant cyniquement vers la petite couronne les Parisiens

aux revenus les plus modestes et en construisant massivement des logements intermédiaires

(PLI), la droite s’est prise à son propre piège : elle a fait venir à Paris des classes moyennes

certes plus aisées, mais vivant toutes les réalités du salariat et donc de la précarité croissante

de l’emploi» déroule le Maire PS du 11ème

arrondissement Patrick Bloche, dans le livre

Socialistes à Paris.

Plus aisés mais aussi plus jeunes et confrontés aux effets secondaires de la mondialisation,

cette nouvelle population de cadres moyens et supérieurs qualifiés va accélérer la fuite de la

population ouvrière de la capitale, en s’installant elle-même dans des quartiers de l’Est

parisien, les seuls encore accessibles à la vue de l’évolution exorbitante du prix du mètre carré

ailleurs dans Paris. Ce phénomène n’est pas visible uniquement au sein de la capitale

française, mais se constate dans tous les centres-villes des mégalopoles mondiales, Londres

comme New York. Politiquement, il marque le début de la reconquête de la gauche. Aux

municipales de 1995, la gauche redevient majoritaire dans six mairies d’arrondissements du

nord-est parisien (3ème

, 10ème

, 11ème

, 18ème

, 19ème

, 20ème

). Six ans plus tard, les écologistes

présentent des listes pour la première fois dans l’ensemble des quartiers, réalisent un score à

deux chiffres dans les arrondissements centraux et péricentraux… et deviennent

indispensables au Parti Socialiste. Dans l’espoir de faire passer l’Hôtel de Ville de Paris à

gauche, les socialistes reconnus comme des élus sérieux et crédibles font alors de la place aux

Verts, pourtant considérés jusqu’ici comme novices et utopiques. Cette alliance d’entre-deux

tours permettra au PS de garantir l’unité de la gauche pour l’emporter sur la droite. Au-delà de

cet avantage purement mathématique, elle lui permet également de se repositionner comme

une force de changement, après des années d’échecs électoraux parisiens et alors que la

social-démocratie n’était déjà plus en grande forme sur le plan idéologique. «Les Verts

présentaient le visage d’une gauche moderne, correspondant mieux à la sociologie parisienne

Page 61: La bataille de Paris, un duel entre socialistes et écologistes ?

Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

61

notamment sur des quartiers aux modes de vies novateurs comme le Sentier, le Marais ou

Pernety» reconnaît Thomas Antoni, un militant socialiste du 14ème

arrondissement. L’alchimie

entre les deux formations fonctionne puisqu’au second tour, l’assise territoriale de la gauche

s’étend de l’Est jusqu’au centre de Paris. Grâce aux électeurs verts, la liste de la «gauche

plurielle» remporte la majorité des postes de Conseillers de Paris dans des arrondissements

qui apparaissent comme des bases fortes de l’écologie politique (2ème

, 4ème

, 9ème

, 14ème

), ainsi

que ceux du 13ème

arrondissement.

Détails des scores de la gauche au premier tour des élections municipales à Paris

Un comble : c’est au moment où Paris dit au revoir à ses classes populaires que la capitale –

longtemps fief de la droite – bascule à gauche en 2001 ! Mais alors que la victoire de la

gauche plurielle et renouvelée semblait également due à la défaite d’une droite divisée, entre

tibéristes et séguinistes, les commentateurs de la vie politique parisienne l’imputent eux

principalement à «la nouvelle sociologie de la capitale». Autrement dit, à ces fameux «bobos»

pour reprendre cette appellation aucunement scientifique désignant les bourgeois-bohèmes.

Ressemblant sociologiquement aux électeurs de droite du fait de leur niveau de vie aisé, cette

population rajeunie et diplômée arrivée en parallèle de l’embourgeoisement de Paris a

majoritairement voté à gauche en 2001. Occupant des positions professionnelles fortement

précarisées depuis les années 90, ces «nouveaux Parisiens» venus de quartiers plus riches de

la capitale, de banlieue ou de province cumulaient bon nombre de caractéristiques favorisant

1995 2001 2008

Suffrages obtenus par

le PS et ses alliés30,20% 31,30% 42,90%

Sièges au Conseil de

Paris58 69 90

Suffrages obtenus par

les écologistes7,10% 13,10% 6,80%

Sièges au Conseil de

Paris5 23 9

Page 62: La bataille de Paris, un duel entre socialistes et écologistes ?

Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

62

le vote à gauche. Loin d’attendre des propositions sur le logement ou le pouvoir d’achat

formulées par une gauche sociale et populaire, ces «bobos» se reconnaissent dans ce que l’on

pourrait appeler la gauche sociétale, attentive sur les questions touchant aux mœurs, aux droits

de l’homme ou encore au cadre de vie. Thèmes que le candidat socialiste Bertrand Delanoë

avait pour partie repris, développant notamment des propositions en matière d’écologie

urbaine et en s’alliant avec les Verts. «En 2001, nous avons été capables de mettre en face de

cette mutation sociologique une offre politique, conjointement avec les écologistes» se félicite

encore aujourd’hui l’ancien adjoint au Maire, Christophe Caresche.

Parallèlement, le processus de gentryfication continue sa progression dans les arrondissements

de l’Est de la capitale – fortement dotés en conseillers de Paris – et gagne des quartiers

comme la Goutte d’Or (18ème

), les Buttes Chaumont (19ème

), le canal de l’Ourcq (19ème

),

Belleville (20ème

) ou la porte de Bagnolet (20ème

). Selon Matthieu Jeanne, doctorant-chercheur

à l’Institut Français de Géopolitique, «un tiers de la population parisienne change tous les dix

ans : des étudiants en fin de cursus ou des jeunes actifs, âgés de 25 à 39 ans, surdiplômés et

précarisés, s’y installent alors», bien souvent dans ces quartiers, où les prix de l’immobilier

sont moins élevés. Après les «pionniers» arrivés dans les années 90, à la recherche d’une

authenticité populaire ainsi que d’un environnement villageois à proximité d’espaces verts,

qui ont entraîné la mutation politique de certains bastions jusqu’à peu sous domination

chiraquienne ; une seconde catégorie de gentryfieurs investit massivement ces quartiers de

l’Est parisien depuis le début des années 2000. Ce sont ces nouveaux Parisiens, souvent

caricaturés comme des «bobos», qui vont renouveler la population de l’Est de la capitale pour

en faire le terreau électoral de la gauche sociétale. Contrairement à l’idée répandue qui

voudrait que ce terme fourre-tout désigne une nouvelle catégorie sociale homogène,

les «bobos» sont aussi bien des personnes installés en professions libérales que des cadres au

sein d’entreprises de communication, des journalistes, des enseignants de la fonction publique

ou encore des intermittents du spectacle. Certains n’ont plus d’attentes matérielles mais la

majorité sont des «intellos précaires.» Leur seul point commun ? Ils possèdent tous un

important niveau d’éducation, et ont un mode de vie «libertaire» à priori semblable : ils

accordent beaucoup d’importance à l’environnement, sans pour autant voter

systématiquement pour les Verts.

Par la suite, les succès du PS parisien et de ses alliés dans l’ensemble des scrutins

intermédiaires locaux (2004, 2008, 2010) et leur capacité à limiter les succès de la droite lors

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

63

des scrutins nationaux (2002, 2007)62

avant de la battre en 2012 vont peu à peu consacrer la

prééminence de la gauche sur la capitale. Bien que défavorables nationalement à la gauche,

les élections législatives de 2002 et 2007 permettent au PS parisien de gagner respectivement

trois nouvelles circonscriptions puis une, notamment dans le centre parisien et la rive gauche.

Pour la première fois dans l’histoire du premier tour d’une élection présidentielle sous la Vème

République, le candidat de la gauche en 2012 est arrivé en tête dans la capitale. Il amplifie

également son score au second tour, avec un écart de onze points entre lui et son adversaire

Nicolas Sarkozy, quand il n’est que de trois sur le plan national… Avec la prise de la capitale,

il semble aujourd’hui raisonnable d’affirmer que Bertrand Delanoë et le PS parisien ont

depuis su inverser les rapports de force et faire de cet ex-bastion chiraquien un fief de gauche.

L’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand, auteur du documentaire «Stratèges» diffusé

après la présidentielle sur Canal +, est sans appel : les chances de l’UMP de remporter un

scrutin à Paris sont désormais «aussi probables que les chances d’un indépendantiste corse de

se faire élire à Strasbourg.» Plus mesuré, le patron du PS parisien et également Maire du

10ème

arrondissement, archétype des quartiers de centre-ville gentryfié où le départ des classes

populaires a été comblé par l’arrivée massive de classes sociales plus aisées, explique que «ce

n’est pas structurel mais la capitale est devenue un fief de gauche. Lorsque vous regardez la

sociologie parisienne, il ne faut tout simplement pas la caricaturer comme bourgeoise et

conservatrice, il ne faut pas confondre capital immobilier et financier avec le capital culturel,

il ne faut pas faire abstraction de la jeunesse et du niveau de diplômes…»

Aujourd’hui, Paris semble ancré à gauche au point que le jeu politique oppose davantage les

deux partenaires ayant réussi à faire basculer la capitale – socialistes contre écologistes – que

le traditionnel combat bipolaire, gauche contre droite. En effet, l’UMP ne semble pas encore

prête au renouvellement tandis qu’Europe Ecologie-Les Verts a su s’imposer ces dernières

années au-delà d’un simple partenaire, mais comme un rival du Parti Socialiste parisien à part

entière. Leur participation au pouvoir leur a permis de faire évoluer leur image. Le porte-

drapeau des Verts en 2001 Yves Contassot explique que «l’accession au pouvoir municipal

nous a permis de nous crédibiliser. Avant 2001, personne n’imaginait des «babacools» gérer

des budgets en milliards d’euros ! C’est d’ailleurs pour ça que j’ai dû faire la campagne de

2001 en costume-cravate, ce n’était pas un plaisir. Mais au final, je me suis retrouvé avec une

délégation incluant 10% du budget municipal et avec 11.000 personnes sous mes ordres, soit

62

Matthieu Jeanne, IFG, Les échecs de la droite parisienne depuis 2001 font-ils de Paris un fief de gauche ?

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

64

plus important encore que le Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire

que gérait à l’époque Dominique Voynet» analyse-t-il. Depuis 2001, ils en ont nourri des

ambitions… mais des échecs également. Sauf qu’aujourd’hui pour Europe Ecologie-Les

Verts, il est bien loin le temps où Dominique Voynet n’obtenait à Paris qu’1,53% au premier

tour de l’élection présidentielle 2007, soit une baisse – certes symbolique – de 0,04% par

rapport à son score national, puis les municipales 2008 où ils virent leurs positions se rétracter

par rapport à 2001, à la suite d’un score moitié moins important (6,78%). Car depuis, les

Verts, devenu Europe Ecologie, ont obtenu près de 27,5% des suffrages aux européennes de

juin 2009 dans la capitale, avec des performances à plus de 35% dans le centre et l’est

parisien. Une zone qui confirme ses préoccupations écologiques un an plus tard aux

régionales 2010, avec des scores avoisinant les 28% quand Europe Ecologie réalise tout de

même 20,57% dans l’ensemble de la capitale. En 2012, Eva Joly double son triste score

national (2,31%) dans les 2ème

, 3ème

, 10ème

, 11ème

et 18ème

arrondissements, réalisant en

moyenne 4,18% dans la capitale. Les 4ème

et 20ème

arrondissements complètent la géographie

électorale63

du vote écologiste parisien. Europe Ecologie-Les Verts dépasse même les 10% au

premier tour des élections législatives 2012, confirmant dans une séquence électorale

nationale qui ne leur réussit que très rarement, leurs bons scores parisiens enregistrés aux

dernières régionales et leur percée des dernières élections européennes. Le Parti Socialiste de

la capitale pourrait bien avoir du souci à se faire…

«Pour autant, prévient le député de Paris Christophe Caresche, au rythme auquel la capitale

s’embourgeoise, il n’est pas dit que la situation à terme reste favorable à gauche.» Qu’on

l’appelle embourgeoisement, évolution sociologique ou gentryfication, le phénomène qui vise

à faire de Paris une ville uniquement de cadres l’inquiète. Car l’attractivité de l’espace

parisien rend cette hypothèse inéluctable : capitale centralisant l’appareil d’Etat et le pouvoir

économique, au cœur d’une métropole internationale où les cadres supérieurs sont déjà

massivement présents, vivre à Paris sera bientôt réservé aux acquéreurs aisés et aux locataires

les plus solvables. Cet ancien fidèle de Bertrand Delanoë craint que l’univers libéral dans

lequel vivraient les citoyens aisés et instables politiquement de la capitale, ne finisse pas leur

faire adopter des valeurs plus en phase avec leur environnement et ne les guide vers un vote

de droite. Aujourd’hui séduites par l’écologie urbaine de la gauche plurielle, rien

63

A noter que ces zones de forces d’Europe Ecologie-Les Verts sont également le lieu de mutations urbaines

importantes, avec réhabilitation du parc de logement et arrivée d’une nouvelle population, majoritairement des

couches moyennes et supérieures.

Page 65: La bataille de Paris, un duel entre socialistes et écologistes ?

Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

65

n’empêcherait ces classes moyennes et supérieures de voter demain à droite si l’UMP

parvenait à faire son aggiornamento sur les questions sociétales.

Le mécanisme du marché du logement faisant, les électeurs les plus précaires de la gauche

sociétale (et non sociale) devraient être les prochains à être amenés à quitter Paris. Attirés par

un coût du foncier moins élevé et le développement de la petite couronne où s’implante

désormais de grandes entreprises, la fuite des classes moyennes les plus paupérisées pour

rejoindre la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne a même déjà débuté ! Ce qui pose

évidemment problème au Parti Socialiste, dans la mesure où ces professions intermédiaires et

autres salariés du secteur public, bénéficiant d’un niveau de vie confortable et d’un emploi

stable, représentent la colonne vertébrale de leur électorat parisien64

. Ne pouvant pas se

reposer uniquement sur les classes moyennes supérieures - volatiles et par définition

susceptibles de retourner à droite selon l’offre politique - pour inscrire durablement Paris à

gauche, le Parti Socialiste a nécessairement besoin de ces classes moyennes inférieures. Du

moins, c’est l’analyse que tirent certains de la politique menée par la majorité municipale ces

dernières années. «Comme l’UMP en son temps, le PS ne fait rien pour maintenir les classes

populaires dans la capitale. Il table essentiellement sur les classes moyennes : lorsque

l’équipe Delanoë créé des logements sociaux dans le 20ème

arrondissement, c’est du PLI

réservé aux classes moyennes et supérieures afin de les retenir dans la capitale» dénonce

Dominique Foing, journaliste indépendant, spécialiste des Verts et ayant enquêté récemment

sur la gestion du Maire de Paris.

Alors que l’habitat social – doublé sous Delanoë pour parvenir au seuil de 20% fixé par la loi

SRU - apparaît aujourd’hui comme l’outil le plus adapté pour freiner l’embourgeoisement de

la capitale, seuls 10% des logements sociaux parisiens étaient adaptés, en 2007, aux plus

maigres revenus. Selon le journaliste Yvan Stefanovitch, «les familles paupérisées ne peuvent

pas postuler à des logements sociaux de type PLS ou PLI, où ils engloutiraient la moitié si ce

n’est plus de leur salaire65

.» Le développement des espaces verts et d’initiatives

d’appropriation de l’espace urbain66

serait également une autre «preuve» que l’équipe

municipale accompagne les désidératas des gentryfieurs, dans l’espoir de les fixer à gauche.

Ceux-ci seraient en effet attentifs aux environnements (Canal de l’Ourcq, Canal Saint-Martin,

64

Avec le faible électorat populaire résidant dans les logements sociaux de la capitale. 65

Yvan Stefanovitch, Bertrand le magnifique, 2007. 66

La gestion de jardins partagés ou l’organisation de repas de quartiers en pleine rue sont des appropriations de

l’espace urbain,

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

66

Parc de la Villette, des Buttes Chaumont ou de Belleville, etc…) tranchant avec la densité

urbaine caractérisant habituellement Paris, ainsi qu’aux réseaux de proximité et à la vie de

quartier.

Cette prééminence de ces «nouveaux parisiens» inscrits aujourd’hui dans la gauche sociétale,

alors qu’en parallèle l’électorat populaire de la capitale ne cesse de diminuer, exacerbe les

divisions entre formations de gauche. Il faut reconnaître que le socialisme, qui n’a jamais

vraiment été «populaire» à Paris67

, ne dominerait pas l’Hôtel de Ville s’il ne partageait pas

avec les Verts cet électorat cultivé et diplômé, désireux de ne pas se laisser enfermer dans un

seul parti politique. «L’effondrement du Parti Communiste nous a posé une difficulté dans les

années 80 : alors que nous n’avons jamais eu la prétention de nous adresser aux mêmes

électeurs, il nous fallait nécessairement reconquérir son électorat ouvrier, afin de le

conserver à tout prix à gauche» explique Christophe Caresche, député de Paris et ancien

adjoint de Bertrand Delanoë. En vain. La succession de gouvernements de gauche à la fin des

années 80 et au début des années 90, trop occupés à prendre le virage libéral, éloignèrent

encore un peu plus le PS des ouvriers et des classes populaires.

Déjà en 1995, le futur Premier ministre Lionel Jospin recueillait davantage de voix chez les

cadres et professions intellectuelles supérieures (31%) que chez les ouvriers (24%).

Parallèlement, le Parti Socialiste se découvrait des accointances de plus en plus importantes

avec les classes moyennes salariées, attachées aux valeurs individualistes du libéralisme

culturel. «La géographie électorale nous a rapidement poussé vers les grands centres villes:

la précarisation de beaucoup de professions intellectuelles, les modifications de leurs

conditions de travail les a peu à peu amenés à se retrouver dans la gauche, réduisant ainsi la

nécessité pour nous d’aller séduire les classes populaires» argumente l’élu socialiste. Le PS

parisien a d’autant plus intérêt à prendre en compte cette évolution de sa sociologie électorale

que le vote ouvrier, assez faible en nombre, n’est plus du tout conséquent ni stratégique dans

les grands centres-villes. Aux élections municipales de 2001, le Parti Socialiste est sanctionné

nationalement mais remporte les deux villes les plus riches de France, Paris et Lyon, grâce

aux quelques voix des classes populaires mais surtout aux votes des classes moyennes

supérieures. «L’évolution sociologique de notre électorat est symptomatique dans la capitale,

67

La géographie électorale des zones de forces du PS sur le territoire national est en ce sens éloquente : la

sociologie électorale du PS n’est pas la même dans la capitale française que dans le bassin minier du Nord-Pas-

de-Calais.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

67

où le tissu urbain a profondément muté depuis la fin des années 1980 : la gentryfication à

l’œuvre, les traditions libertaires d’un électorat de moins en moins populaire nous a guidés

vers le pouvoir» résume Christophe Caresche.

Une sociologie électorale finalement assez proche des Verts : le parti écologiste séduit lui

aussi les classes moyennes, qu’ils soient cadres trentenaires urbains ou retraités fervents

défenseurs de la cause environnementaliste. Les dernières études sur leur électorat remontent

aux élections européennes de 2009, où Europe Ecologie-Les Verts arriva devant le PS dans 15

des 20 plus grandes villes françaises : Pascal Perrineau du Cevipof parlait alors d’une

«modernité sociologique», dans la mesure où ils ont séduit 32% des cadres et professions

intellectuelles, 24% des professions intermédiaires et 23% de ceux qui ont un diplôme de

l’enseignement supérieur. Pour le sociologue Erwann Lecoeur, «s’il fallait proposer un

portrait-type de l’électeur potentiel d’EE-LV, ce serait par exemple : une diplômée Bac+5 de

35 ans, vivant en centre-ville, consommant fréquemment bio, sans voiture, pacsée et mère de

deux enfants, qui aime bien les écologistes mais ne vote pas à chaque élection !68

»

Ils sont régulièrement décrits comme héritiers de Mai 68, de la deuxième gauche (PSU,

CFDT) ou encore du libéralisme culturel, avec des revenus suffisamment supérieurs à la

moyenne pour nourrir essentiellement des préoccupations «post-matérialistes». Contrairement

à la majorité des électeurs désireux en premier lieu d’augmenter leur pouvoir d’achat ou

d’améliorer les conditions de travail, l’électeur écologiste issu de classe moyenne supérieure

débarrassée des contingences sociales, se préoccupe essentiellement de son «cadre de vie».

Passé cette généralité, le spécialiste des Verts Erwann Lecoeur fait remarquer que «c’est

moins par leur niveau de revenus, de patrimoine, leur CSP ou leur provenance sociologique

que cet électorat se détermine, que par leurs caractéristiques sociales et culturelles, leur

niveau d’instruction, leur parcours de vie et leur attitude à l’égard du champ politique et de

la société en général. A la fois écologistes patentés, déçus du socialisme, du centre et de la

gauche radicale voire abstentionnistes déclarés, on peut parfaitement leur ajouter les

multiples étiquettes à la mode : «bobos», «génération Y», «post-urbains», etc… En réalité, ce

sont autant des artistes que des faucheurs d’OGM, des membres d’une Association pour le

Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP) que des ingénieurs s’intéressant au

renouvelable, des professeurs en pré-retraite créant leur potager, des victimes de Sicav

68

Des écologistes en politique, 2011.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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cherchant à donner un sens à leurs investissements, etc… Leur point commun ? Ils agissent

en local, dans leurs quartiers (cours de portage d’enfants, conférences anti-corruption,

alphabétisation, défense des sans-papiers).» Des profils parfois assez proches des «nouveaux

Parisiens», ces classes moyennes urbaines et diplômées, arrivés par milliers ces dernières

décennies. Selon Jean-René Bourge, chercheur en sciences politique à l’université Paris VIII:

«le vote écologiste à Paris est très citadin, assez loin des préoccupations décroissantes qui

ont un temps eu trait à l’écologie politique. Dans certains cas, c’est un vote, qui revête même

un caractère de «green-washing»69

éclaire-t-il. Pour lui, les couches supérieures votant EE-

LV –et particulièrement à Paris– ne sont pas aussi radicales que pouvaient l’être certains

militants écologistes : elles seraient désireuses de briser leurs chaînes sans ébranler pour

autant l’ordre social établi, elles cultiveraient la contradiction des gentryfieurs investissant des

quartiers populaires mais développant en parallèle l’évitement scolaire70

… L’analyse du

«potentiel électoral» du Parti Socialiste et d’Europe Ecologie-Les Verts montre qu’à Paris, ces

deux formations chassent de plus en plus sur les mêmes terres, à savoir celles attirant un

électorat jeune, urbain, diplômé et issus des classes moyennes voire supérieures.

69

Définition : Procédé marketing visant à donner une image écologique sans réelle action en faveur de

l’environnement 70

A Belleville, au collège Colette-Besson, moins de 15 % des élèves sont issus des classes moyennes, la

majorité est d'origine très modeste et de parents immigrés

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«L’évolution sociologique à Paris a contribué à faire émerger les écologistes mais ils doivent

veiller à ne pas se reposer uniquement sur cet électorat instable. Si le public réceptif à

l’écologie politique se limitait à ceux qui mangent bio et achètent équitable, si les écologistes

se contentent de séduire cet électorat adepte du green-washing, sans les convaincre de la

nécessité de changer les choses, ce mouvement n’a plus d’avenir politique» explique Anne Le

Strat, Conseillère de Paris ex-Verte aujourd’hui affiliée au groupe socialiste. Pourquoi ? Les

écologistes parisiens, comme au niveau national d’ailleurs, ne rencontrent le succès électoral

que par vagues : toutes les personnes «ayant le profil» apparent pour voter écologistes ne sont

pas électeurs d’EE-LV pour autant. Si leur «socle bohème» apparaît suffisamment important à

Paris pour renverser le cours d’un scrutin, ces électeurs ne font leurs choix qu’au dernier

moment, oubliant les écologistes en fonction des enjeux : autant il leur apparaît intéressant de

voter pour EE-LV lors des élections européennes ou régionales, autant ils voteront «utile» si

l’élection a un fort enjeu national entre gauche et droite. Dans une note à la fondation Jean

Jaurès, le sondeur Denis Pingaud71

qui démontre une corrélation entre le niveau de diplômes

et la tentation du vote utile, explique par ailleurs que «cet électorat nouveau, à la fois volage

et stratège, se détermine en fonction de critères qui combinent l’originalité de l’offre et son

attractivité concurrentielle dans le champ politique.» C’est ainsi que l’électorat écologiste à

Paris peut varier d’un peu plus de 16.200 personnes (Dominique Voynet en 2007 : 1,53%) à

163.000 personnes (Daniel Cohn-Bendit en 2009 : 27,46%).

Cette volatilité électorale – le fait que certains électeurs aient tendance à modifier leurs votes

entre deux scrutins – est un facteur de plus de concurrence entre le Parti Socialiste et Europe

Ecologie-Les Verts. En temps normal, il avantage majoritairement le premier : les transferts

de voix et notamment celles des écologistes – qui se positionnent à 70% à gauche de

l’échiquier politique – jouent un rôle secondaire et impacte peu le Parti Socialiste, qui doit

d’abord veiller à la fidélité de son propre électorat pour remporter les élections ; alors que

selon une étude de l’agence «Somme toute»72

les transfuges du Parti Socialiste représentent

près du tiers de l’électorat d’Europe Ecologie-Les Verts, de facto beaucoup plus dépendants

de cette imprévisibilité. «A Paris lors des européennes 2009, il y a eu une captation de notre

71

Électorat volage ou électorat stratège ? 72

L’agence «Somme toute» a réalisé une étude sociologique, sur la base d’un questionnaire auquel ont répondu

3923 (15%) des 25411 électeurs ayant signé l’un des appels de soutien à Europe Ecologie. On y apprend qu’aux

européennes de 2009, EELV a rassemblé majoritairement des électeurs de Dominique Voynet (Verts) ou de

Ségolène Royal (PS), deux cinquièmes des électeurs d’Europe Ecologie lors des européennes 2009 auraient tout

de même voté pour François Bayrou (MoDem) et Olivier Besancenot (LCR) au premier tour de l’élection

présidentielle 2007, et 10% pour Nicolas Sarkozy (UMP).

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électorat commun par l’autorité morale de Daniel Cohn-Bendit. Mais neuf mois plus tard, ils

descendaient de 28 à 20%...» explique avec intérêt Hervé Marro, conseiller d’Anne Hidalgo.

Surreprésentés au sein de l’électorat potentiel des écologistes, les jeunes votent moins que les

personnes âgées, qui s’abstiennent plus rarement et ont majoritairement tendance à privilégier

le Parti Socialiste en cas de vote à gauche. Le renforcement du poids électoral des écologistes

parisiens passe donc par une meilleure capacité à exploiter leur potentiel au niveau de ces

«nouveaux Parisiens» désireux de retrouver la nature en ville, de parvenir à les mobiliser de

façon plus systématique… et pas seulement quand le Parti Socialiste est en crise. Ce système

de vase communicant entre l’électorat de ces deux formations est en effet apparu au grand

jour lors des élections régionales de 1992, alors que le PS subissait la révélation d’affaires

politiques et l’usure du pouvoir au niveau national : une partie de l’électorat socialiste – les

classes moyennes urbaines et diplômées et non les couches populaires – s’était alors tourné,

avec des électeurs de la gauche alternative, centristes ou abstentionnistes vers le parti

écologiste. «Aux européennes de 2009, nous avons de nouveau payé cash notre détestable

Congrès de Reims, avec l’élection d’Aubry à 52 voix près, les insultes et menaces de plainte

entre socialistes, etc… L’effet de vase communicant entre notre électorat est encore plus clair

à Paris qu’au national. Etant donné l’hémorragie des classes populaires, c’est la compétition

permanente pour séduire les classes moyennes supérieures, la sociologie électorale des

grands centres urbains nous rassemble» développe Jean-Pierre Caffet, président du groupe

PS au Conseil de Paris. Ce que les écologistes gagnent, les socialistes semblent le perdre :

plus qu’un électorat volatile qu’ils devraient fidéliser chacun de leur côté, les deux formations

alliées de la gauche plurielle parisienne se partagent surtout un électorat commun, dont la

convoitise provoque régulièrement des disputes entre les deux partis. Le PS et EE-LV

cherchent par tous les moyens à attirer à eux ces électeurs désireux de ne pas se laisser

enfermer politiquement.

Si le combat politique entre ces deux formations est aussi intense dans la capitale, ce n’est pas

seulement du fait de cet électorat qu’ils ont en commun mais aussi à cause de profonds

clivages idéologiques. Preuve en est dans les arrondissements de gauche de l’Est parisien,

«notamment sur le dossier des biffins et des marchés sauvages. Ils ne comprennent pas que le

mal-être des habitants est avant tout un mal-être des plus modestes d’entre eux… » tente

Rémi Féraud, président de la fédération PS de Paris, avant d’énumérer : «nous sommes

favorables à la vidéosurveillance, ils sont contre le projet des Halles, etc….»

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«Les différences sont encore plus importantes sur le plan local : les politiques municipales

sont la traduction concrète d’une vision du monde» théorise Alice Le Roy, une militante

écologiste du 11ème

arrondissement et chargée de mission pour Yves Contassot, de 2001 à

2010. Lui ne dit pas autre chose : «le clivage se voit évidemment plus sur le local qu’au

niveau national, c’est l’application concrète d’une intention générale.» Comme expliqué

précédemment, l’écologie est pour le moins opposée à une social-démocratie qu’elle taxe de

«productiviste.» «Le scientiste Delanoë est un homme formaté Jospin, très traditionnaliste

voire archaïque : il considère que la science est source d’évolution positive de la condition

humaine, que le progrès humain passe par le progrès technique, et que le progrès en général

va tout régler. Nos différences ont des répercussions fortes, ça nous est arrivés de nous

disputer fortement» reprend son Adjoint, Yves Contassot, sans donner d’exemples précis.

«Au-delà d’être des inconditionnels du bétonnage, le Parti Socialiste et le Parti Communiste

ont peur de leurs administrés et ne veulent pas leur laisser trop d’autonomie !» fait valoir

Alice Le Roy, qui a développé le principe des jardins partagés sous la délégation des Espaces

verts. Les représentations des deux partis sur le concept de la mondialisation des territoires est

également sujet à conflit à l’échelle parisienne. Le seul maire d’arrondissement écologiste de

la capitale, Jacques Boutault, assure que «les socialistes se battent pour gagner une place

dans le classement des mégalopoles mondiales, quand nous, nous allons plutôt chercher à

rénover le schéma directeur de la région Ile-de-France pour réorganiser l’espace urbain de

la capitale et travailler sur la vie des gens, pour leur bien-être.» A l’écouter, la priorité des

écologistes serait d’améliorer le cadre de vie des Parisiens et les conditions de vies des

Franciliens, tandis que le PS serait obsédé par le rayonnement de Paris en tant que ville-

monde et la sauvegarde de la place de la capitale face à la Big Apple de New York, la City de

Londres ou Bruxelles l’européenne… Une description que les socialistes, à quelques nuances

près, assument: l’ex-Vert et désormais Adjoint à la Culture (PS) Christophe Girard explique

«qu’au PS, nous sommes attachés à la vitalité économique de la ville : nous ne voulons pas

que Paris devienne une ville-musée, une ville-promenade contrairement à ce que prônent les

écologistes.»

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B) Les relations PS / EE-LV à l’épreuve du pouvoir

1) 2001-2008, la douloureuse construction d’un rapport de forces

onforté par la conquête des six arrondissements de l’est parisien en 1995 et les sept

circonscriptions parisiennes tombées dans l’escarcelle de la gauche aux législatives

de 199773

, le chef de l’opposition au Conseil de Paris, Bertrand Delanoë, se prépare

à être candidat en 2001, dans le but d’être Maire de Paris. A gauche, peu osent croire en son

rêve : jamais la gauche n’a été majoritaire à Paris depuis la Commune… Lui, le néo-sénateur

de Paris, voit dans cet objectif un défi à la hauteur de son ambition politique. La conjoncture

lui est favorable : le RPR vient d’enregistrer un cuisant échec aux européennes (1999) à moins

de deux ans des municipales, et doit gérer en parallèle une tentative de putsch sur Jean Tibéri

lors du vote du budget en 2000 ainsi que des luttes de clans sur fond d’affaires et de mises en

examen. «Pendant que la droite chiraquienne se délite, Delanoë ne s’en occupe pas et

amorce discrètement sa progression. Quasi-inconnu du grand public, il mène campagne sur

l’écologie, contre la pollution, pour plus de démocratie…» se souvient Bertrand Gréco,

journaliste politique au cahier Paris du Journal du Dimanche.

Pourtant, les divisions dans les rangs du PS parisien n’ont pas grand-chose à envier aux

rivalités déchirant le RPR. Entre les militants réclamant une candidature emblématique pour

une élection historique, et les autres désireux d’une campagne de terrain axée sur les enjeux

locaux, la bataille fait rage. L’affaire de la MNEF ayant neutralisé l’ancien Ministre de

l’économie Dominique Strauss-Kahn qui ne cachait plus ses vues sur l’Hôtel de Ville, une

partie des militants se reportèrent sur l’ancien Ministre de la Culture de François Mitterrand,

Jack Lang, alors Maire de Blois : ils fustigeaient le chef de l’opposition, «bon connaisseur des

dossiers, un bon Maire adjoint74

» mais n’ayant rien d’un bon Maire de Paris. Face à ces

critiques, Bertrand Delanoë s’appliquait à ramener l’élection à un scrutin municipal d’une

collectivité lambda, allant à la rencontre des militants, section par section, quartiers par

quartiers… Jusqu’au 27 mars 2000, trois jours avant l’investiture finale, où son ami le

Premier ministre Lionel Jospin décida de nommer Jack Lang, Ministre de l’Education. Favori

des primaires mais incertain de sa victoire finale aux municipales, ce dernier abandonna

immédiatement son périple parisien. Dans la foulée, Bertrand Delanoë s’attela à nouer des

73

Cela porta à 9 (sur 21) le nombre de circonscriptions parisiennes contrôlées par la gauche. 74

Lyne Cohen-Solal, dans le documentaire «Paris à tout prix» d’Yves Jeuland.

C

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75

accords avec les différents partis de gauche (PCF, PRG, MDC) en vue de listes communes…

exemptés les Verts, qui ont cette fois-ci préféré l’autonomie. Après une lutte acharnée entre

«courants, sous-courants, tendances et sous-tendances»75

, le parti écologiste choisit le Maire-

adjoint du 3ème

arrondissement Yves Contassot et non le porte-parole national Denis Baupin

ou l’outsider Jean-François Blet, pour mener la liste des Verts dans la capitale. Avec un mot

d’ordre : ne pas faire de cadeau au candidat socialiste, notamment sur le dossier de la

circulation automobile. Au point que Bertrand Delanoë se plaigne du fait que les écologistes

parisiens fassent campagne contre lui, plutôt que contre la droite, pour «grappiller le plus de

voix à gauche».

Au premier tour, le score global de la gauche est en progression… mais cette hausse n’est pas

due au Parti Socialiste, qui n’améliore que d’un point sa performance de 1995, mais aux Verts

qui doublent leur précédent score. Face à la caméra, Yves Contassot annonce vouloir repartir

en campagne dès le lendemain matin. «L’énorme surprise du 1er

tour, ce n’est pas le score du

PS : ils ne font qu’une faible poussée alors que nous, nous explosons notre score» décrypte-t-

il aujourd’hui. En situation de relative faiblesse alors que les écologistes sont en capacité de

se maintenir dans six arrondissements, Bertrand Delanoë se résoud à négocier un accord

d’entre-deux tours avec les Verts, quel qu’en soit le prix à payer. «Après avoir fait nos

différents calculs, nous nous sommes retrouvés aux alentours de 23h. Au-delà de la

composition de la liste commune, seule la désignation des postes d’adjoints – à l’Hôtel de

Ville et dans les mairies d’arrondissements - est véritablement abordée et l’accord est

finalement trouvé vers 1h30 dans la première nuit suivant le premier tour. S’en suit la bataille

pour la Mairie du 2ème

arrondissement, une de nos revendications malgré que nous soyons

minoritaires, et que le PS acceptera finalement à l’aube» raconte Yves Contassot. «Quand à

5 heures du matin, Caresche et Bloche m’appellent pour me prévenir qu’il faut lâcher la

Mairie pour garantir la négociation, je n’ai pas vraiment le choix…Je n’allais pas faire

capoter la prise de Paris pour mon intérêt personnel» me confie, encore amer, Pierre

Schapira. Tandis que la droite de Séguin et Tibéri s’embourbait dans ses divisions, la liste

«Changeons d’ère» de Delanoë s’alliait avec celle des écologistes : la dynamique est alors à

gauche. Minoritaire d’environ 4.000 voix sur la capitale au second tour, la gauche unie n’en

contrôle pas moins la majeure partie des électeurs du Maire, grâce à l’obtention de six

nouveaux arrondissements76

fortement dotés en conseillers de Paris: au terme d’une première

75

Libération «Chef de file surprise pour les Verts de Paris» le27 mars 2000 76

Ce qui porte le total du PS à douze arrondissements contrôlés sur vingt.

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négociation avec ses partenaires qui se révèleront plus tard être ses ennemis intimes, Bertrand

Delanoë prend donc les clés de la Mairie de Paris !

Considérés comme quasi-illégitimes77

dans l’exercice du pouvoir jusqu’à leur récente

participation au gouvernement Jospin, les Verts – obtenant 23 conseillers de Paris et disposant

de fait d’une minorité de blocage sur les 69 élus socialistes – deviennent désormais

indispensables à Bertrand Delanoë pour appliquer sa politique. «La classe politique dans son

ensemble a longtemps été dubitative sur l’écologie politique. A Paris comme ailleurs, ils

étaient perçus comme des rigolos et des doux rêveurs» en convient le chercheur Daniel Boy.

«Dès le début de notre cohabitation en 2001, il y a eu un terrible choc des cultures entre nos

deux formations» explique Anne Le Strat, élue Verte lors de la première mandature et

aujourd’hui affiliée au groupe socialiste : «nous les écologistes, qui débarquions au Conseil

de Paris, regardions le Parti Socialiste comme un parti de gestion composé d’une pléthore de

notables, sans projet politique. De leur côté, certains ont fait l’effort de chercher à nous

comprendre tandis que d’autres nous ont directement rangés parmi les huberlulus !»

Pour autant, la dynamique de l’alliance des socialistes et des écologistes est en marche et se

fait sentir concrètement dès les premiers mois de la mandature : Bertrand Delanoë et son

adjoint à l’environnement Yves Contassot autorisent les Parisiens à s’allonger sur les pelouses

publiques. Une pratique interdite sous les mandatures de Jacques Chirac et Jean Tibéri…

Surtout, le nouvel exécutif s’appuie sur les rapports de l’Inspection générale de la Ville et de

la chambre régionale des comptes pour jouer les cost-killers démocratiques et «mettre fin aux

excès du système Chirac.» Fini le temps où la Mairie de Paris mettait une voiture et un

chauffeur à disposition du sénateur RPR de Nouvelle-Calédonie Dick Ukeiwé lors de ses

séjours parisiens : le parc automobile fut diminué, passant de 200 à une centaine de véhicules,

non pas attribués automatiquement mais accessibles en fonction du besoin invoqué. Fini

également les agapes fastueuses dont la célèbre réception offerte en 1999 à 400 habitants de

Corte, ville corse dont l’épouse du Maire Xavière Tibéri était originaire, qui coûta la bagatelle

de 78.157 euros aux contribuables parisiens : le budget de réception alloué au nouveau Maire

n’excéda pas 17.950 euros en 2001 ; le coût global des réceptions de la Mairie passant lui de 3

millions d’euros en 2000 à 2 millions en 2002. Tout au long de ses premiers mois, Bertrand

77

Bien que leur ayant concédé 7 postes d’adjoints sur 19 pour les rallier, Bertrand Delanoë ne cachait pas que

les Verts étaient la principale «inconnue de la mandature.» (source : « Comment Delanoë change Paris », janvier

2002, L’Express)

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Delanoë fit sienne la formule de Jack Lang qui avait comparé l’élection de François

Mitterrand en 1981 à «un passage des ténèbres à la lumière» pour la France. En opposition au

gaspillage tant dénoncé au cours de la dernière mandature, la nouvelle équipe municipale

décida également de revaloriser le prix de location des permanences des partis, propriétés de

la ville : le loyer réglé par le Parti Socialiste pour son local du 5ème

arrondissement passa de 7

à 4.610 euros par mois, celui du Parti Communiste (19ème

) de 16 à 2.440 euros tandis que la

permanence de l’UMP (17ème

) vit elle son loyer augmenter de 15 à 9.600 euros mensuels.

Terminé également l’opacité dans la distribution des primes, l’absence de justificatifs dans les

frais professionnels, l’attribution de logements à des loyers défiant toute concurrence, le non-

respect du code des marchés publics, etc… La questure, une enveloppe de 20 millions d’euros

annuels échappant à tout contrôle et permettant de distribuer une dizaine de millions de

surplus d’indemnités aux 163 élus, fût supprimée, tout comme la cellule de distribution

d’environ 5.000 logements sociaux relevant du bon-vouloir du Maire fût remplacée par une

commission d’attribution collégiale78

. Un «new deal» qui permit au Maire de prolonger l’état

de grâce et de recevoir le prix de l’élu local de l’année 2002.

«Les élus de l’époque, sous Chirac puis Tibéri, étaient des seigneurs qui jouissaient de tous

les plaisirs, sans contraintes : corruption, clientélisme et abus, naviguant entre privilèges

d’élus et intérêts personnels. En arrivant au pouvoir, nous avons révolutionné la vie politique

parisienne. Ces avancées ont été permises par un groupe Vert volontariste… mais déjà perçu,

à l’époque, comme belliqueux et peu coopératif» observe Jacques Boutault, seul Maire

d’arrondissement (2ème

) à avoir renoncé à sa voiture et son chauffeur alloués d’office. La

rénovation de la vie démocratique s’accompagna d’annonces relatives à la construction d’un

tramway ou la création de voies réservées aux bus, des mesures – poussées par les Verts –

emblématiques d’une politique de gauche, et qui jouent au plan local celui des

nationalisations en 1981. Mais les tensions firent rapidement leurs apparitions. La promesse

de remettre en question «l’hégémonie automobile pour vaincre la pollution» se matérialisa du

15 juillet au 15 août 2001 avec la fermeture de la voie Georges-Pompidou, une opération qui

occasionnera de nombreux bouchons et le tollé de l’opposition alors qu’une partie des

Parisiens n’étaient même pas encore en vacances : Bertrand Delanoë reconnaîtra «des erreurs,

dont celle d’avoir écouté l’écologiste Denis Baupin au lieu de son intuition personnelle d’une

fermeture plus tardive.» Le 26 juin 2002, le Maire de Paris décida de retirer à Jean-François

Blet la présidence de la Société immobilière d’économie mixte de la ville de Paris (Siemp) en

78

Le même système fût mis en place la même année pour l’attribution des places en crèche

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charge de la lutte contre l’insalubrité : l’élu écologiste du 19ème

arrondissement avait eu la

mauvaise idée de recruter une directrice générale à 6.850 euros nets par mois. Les

protestations du groupe Vert n’empêchèrent pas Bertrand Delanoë de démontrer toute sa

«rectitude morale» par la médiatisation de son cas. Dès lors, une partie des Verts décidèrent

de prendre le Maire à son propre jeu en matière d’intégrité et de transparence. A l’été 2002, ils

sont les seuls à protester contre l’augmentation de revenus que s’était octroyée Bertrand

Delanoë79

. «Avant les élections de 2001, le PS nourrissait une certaine forme de

condescendance vis-à-vis des écologistes, et ils ont parfois donné raison à nos préjugés»

expliquait Christophe Caresche, fidèle adjoint au Maire de Bertrand Delanoë, pour qui les

Verts «ont une pratique politique déconcertante, ils ne connaissent guère la discipline de

groupe. Mais, bon, pour l’instant cela marche.»80

Les écologistes font également connaître

leur colère… par l’humour et la provocation : après l’inauguration du quai François

Mitterrand à l’été 2003, ils déposèrent un vœu en Conseil de Paris pour rebaptiser celui d’en

face au nom de Fernando Pereira81

.

Quelque mois plus tard, les Verts décidèrent de ne pas voter un vœu de Bertrand Delanoë

relatif aux marchés publics. Alors qu’il avait lui-même engagé un recours devant le tribunal

administratif en mars 1997 pour dénoncer un avenant à la convention qui liait la ville aux

distributeurs d’eau, Suez (ex-Lyonnaise des Eaux) et Véolia (ex-Compagnie générale des

Eaux et ex-Vivendi), l’ancien chef de l’opposition l’abandonna une fois devenu Maire de

Paris82

. Le 15 décembre 2003, Bertrand Delanoë décida de mettre en vote la révision de cet

avenant, sans demander aux groupes privés le remboursement des sommes indûment perçues.

Les conditions de vote, en séance de nuit à 22 heures alors que la moitié de l’hémicycle était

vide, ont été pointées du doigt : sous l’œil de quatre cadres supérieurs de ces deux groupes se

partageant le duopole parisien, la première adjointe Anne Hidalgo présida la séance malgré un

mélange des genres qui fit polémique83

. Au bout d’une heure de débat, les élus socialistes et

79

Le Conseil de Paris vota une augmentation de l’indemnité de 12% du Maire de Paris, passant de 7.200 à 8.100

euros avec l'ajout d'une indemnité annuelle de frais de représentation de 29.000 euros 80

« Comment Delanoë change Paris », janvier 2002 81

Du nom du photographe mort dans l’attentat contre le navire de Greenpeace coulé par les services secrets

français en 1985. 82

Ajouté par Jacques Chirac en 1987, cet avenant installait une sorte de garantie de revenus aux groupes privés

même en cas de baisse de consommation d’eau et structurellement, baisse de chiffre d’affaires : les distributeurs

auraient ainsi engrangés plus de 10 millions d’euros 83

Ancienne chargée de mission auprès de la direction de la Compagnie générale des Eaux de 1995 à 1997, la

dauphine de Bertrand Delanoë estime que ces anciennes fonctions relèvent de sa vie privée et que présider une

séance sur la politique municipale de l’eau, sous-traitée à son ancien employeur, ne constitue pas un conflit

d’intérêt

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chevènementistes votèrent la modification du contrat tandis que le PCF, les Verts, l’UDF et

l’UMP s’abstenaient. La Mairie communiquera sur le fait que Suez et Véolia aient été

contraints à réduire leur marge de rentabilité de 6 à 4% à Paris84

mais pas sur les 10 millions

de trop-perçu que conservent les deux géants. La présidente de la Sagep –rebaptisée Eau de

Paris depuis – Anne Le Strat et conseillère (Verte) de Paris explique leur choix : «nous ne

pouvions pas voter contre, ça restait très positif par rapport à la situation passée. Mais nous

souhaitions signifier que la Mairie aurait pu récupérer beaucoup plus d’argent…» A cette

époque, les Verts n’osaient pas encore défier publiquement le Maire de Paris et remettre en

question leur appartenance à son exécutif, même sur un dossier leur tenant particulièrement à

cœur.

Le 15 novembre 2004, le patron du groupe écologiste Alain Riou profita du médiatisé Conseil

de Paris pour se lancer dans un réquisitoire contre la conception de la transparence telle que

défendue par Bertrand Delanoë : «il serait intéressant qu’il y ait dans cette ville une meilleure

communication des rapports, et pas uniquement une meilleure communication des rapports

qui ne donnent que des conseils et ne révèlent pas des dysfonctionnements préoccupants

graves. Dès lors qu’il y en a, le rapport ou la partie du rapport n’est pas publié. Je me

souviens très bien d’un débat dans la précédente mandature où le Maire actuel de Paris, qui

était président du groupe socialiste à l’époque, avait demandé la publication du rapport

Casal, qui était un centre de jeunesse du 19ème

arrondissement : Jean Tibéri avait alors

expliqué que ce n’était pas possible «parce que l’on met en cause des personnes.»

Aujourd’hui, quand ce problème est posé, ou bien la ville caviarde des pages entières rendant

incompréhensible ce rapport, ou bien elle ne publie rien.» L’ancien rocardien obtint en guise

de réponse que les rapports de l’inspection générale n’étaient pas là pour alimenter les pages

«faits divers» des médias…

Mis à part quelques coups d’éclats, les néophytes Verts n’ont en réalité pas fait beaucoup de

vagues en ce début de première mandature et n’ont que très rarement brandi la menace de

leurs non-participations aux votes. Conscients de l’importance du vote du groupe Vert, des

réunions internes à la majorité plurielle étaient organisées mensuellement avec les adjoints et

les présidents de groupes. «Mis à part 20% des dossiers où nous étions totalement opposés, il

84

Lorsque le bénéfice officiel brut dépasse rarement la barre des 3% dans les autres municipalités…

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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y avait au cours du premier mandat d’âpres négociations avant chaque Conseil de Paris, ce

qui permettait de parvenir à des compromis» confirme Hervé Morel, patron d’EE-LV Paris.

Jean-Pierre Caffet, président du groupe socialiste au Conseil de Paris et à l’époque Adjoint de

Bertrand Delanoë en charge de l’Urbanisme explique que la première mandature a été une

période de «construction de rapports de forces avec le Maire, de tensions, de longues

négociations où ces réunions étaient nécessaires. Car à chaque fois ou presque, les

écologistes essayaient de le mettre en difficulté sur des sujets où ils pensaient que ce serait

payant électoralement pour eux.» Contrairement à la culture de la synthèse et du consensus

qu’on prête parfois aux socialistes, Bertrand Delanoë serait «resté sur la logique d’hégémonie

qu’entretenait le PS sur son allié communiste pendant les années 70, ils ont la culture de

l’ordre et de la hiérarchie quand nous sommes plutôt libertaires. Selon lui, le pouvoir ne se

partage pas» dénonce pour sa part Yves Contassot.

6 juillet 2005, le verdict tombe : 54 voix contre 50, la ville de Paris n’organisera pas les Jeux

Olympiques 2012. Les témoins de la scène, à Singapour, décrivent dans Le Parisien du

lendemain un Bertrand Delanoë K.O. «comme s’il venait de croiser Mike Tyson sur un ring.»

Le patron du comité Paris 2012 mettra une heure avant de trouver la force de faire face à la

horde de journalistes l’attendant à la sortie du Comité olympique international, pour

finalement lâcher devant les caméras, «je suis politiquement mort»… Le Maire de Paris

portait ce projet depuis 2003, faisant de «Paris 2012» une candidature très politique quand son

concurrent londonien choisissait comme porte-étendard un ancien médaillé olympique. «La

déception est à la hauteur de son appétit politique» écrit le journaliste Bertrand Gréco, dans

son livre La Bataille de Paris. En présidant lui-même le comité de campagne, Bertrand

Delanoë en avait fait un pari sur son avenir : en cas de victoire, il en aurait recueilli toute la

gloire et serai apparu comme un homme d’Etat et pas un simple Maire. Il avait même prévu

d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2007 dans la foulée de ce succès. Tout

était prêt pour qu’il se lance dans la course… Au-delà de ce rêve élyséen qui venait de

s’envoler, l’organisation des Jeux Olympiques était également un formidable accélérateur

capable de faire gagner 20 ans à Paris, et donc, de lui garantir à minima sa réélection en 2008.

«A la trappe, les projets de requalification de la porte de la Chapelle avec son Super-Dôme !

Evaporés, les subsides que la région Ile-de-France et l’Etat s’engageaient à lui verser : plus

d’un milliard d’euros destinés à la couverture des échangeurs de l’autoroute A1 et à

l’accessibilité des transports aux handicapés. Aux calendes grecques, l’extension de Roland-

Garros dans le bois de Boulogne ou encore la liaison express Paris-Roissy, sans parler de la

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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loi olympique qui aurait permis de s’affranchir des lourdeurs administratives et donc

d’accélérer les procédures» résume le journaliste Bertrand Gréco.

Le quotidien Libération n’y va pas de main morte : «ce jour-là, Paris a perdu les JO et

Delanoë, beaucoup de sa superbe. Non parce qu’il a échoué, mais parce qu’il avait porté le

projet de bout en bout […] Pour la première fois, le Maire montrait en public son côté

sombre, accusant les uns et les autres d’incompétence et s’absolvant lui-même de la moindre

erreur.85

» Cette défaite marqua un tournant dans sa mandature et ouvra la bataille de Paris,

trois ans avant les échéances municipales. La droite sortira progressivement de son

hibernation… tandis que la majorité rose-verte-rouge traversera plusieurs crises. Le même été,

24 personnes dont 18 enfants périrent dans des incendies survenus dans deux immeubles

insalubres du 3ème et 13ème

arrondissement. Des drames qui vinrent se rajouter à l’incendie de

l’hôtel Paris-Opéra en avril 2005, qui avait pour sa part fait 24 morts dont 10 enfants.

Qu’avaient ces accidents en commun ? Toutes les personnes décédées étaient d’origine

africaine (Mali, Sénégal, Gambie, Côte d’Ivoire), payaient un loyer pour s’entasser dans des

conditions inhumaines. Des manifestations furent organisées pour dénoncer l’absence de

politique publique en faveur des mal-logés. Et si la responsabilité de Bertrand Delanoë ne put

évidemment pas être mise en cause, cette hécatombe en trois volets dévoila tout ce que son

habile communication masquait jusqu’alors : habitat précaire concentré au cœur de la capitale,

pénurie de logements d’urgence ainsi que de logements sociaux, etc. «Alors que droite et

gauche se livrèrent mutuellement un procès en irresponsabilité renvoyant successivement la

responsabilité sur Delanoë ou Tibéri… la controverse dépassa le Maire de Paris sur sa

gauche» m’explique Bertrand Gréco. En cause ? Cinq amendements présentés par les Verts

au Conseil de Paris du 26 septembre 2005, et portant sur la création d’un foyer de travailleurs

immigrés par arrondissement, ou encore l’installation d’un détecteur d’incendie dans les

immeubles insalubres, mais que l’adjoint PS en charge du logement refusa d’adopter. L’UMP

arriva en renfort et permit aux écologistes de faire passer leurs vœux, en mettant Bertrand

Delanoë en minorité. «Nous étions un peu paranoïaques à l’époque» confie l’actuel président

du groupe socialiste au Conseil de Paris Jean-Pierre Caffet, et ce dossier joua le rôle

d’étincelle qui mit le feu aux poudres après une période tendue dans la majorité.»

85

Il accusa même publiquement le Premier ministre britannique social-démocrate Tony Blair de ne pas avoir

respecté trois des règles édictées par le Comité olympique international (CIO) et d’avoir «franchi la ligne

jaune.»

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«Comment les socialistes pouvaient-ils s'opposer à cela après ce qui s'était passé?» se

questionna86

ouvertement le président du groupe Verts au Conseil de Paris, René Dutrey,

tandis que le Maire de Paris faisait valoir que «la tactique politicienne a joué un rôle dans

cette affaire […] une partie de la majorité municipale a voté avec l'UMP sur un sujet majeur:

la politique du logement. Je m'interroge : s'il n'y avait pas eu les drames de cet été, cette

mascarade politicienne aurait-elle eu lieu ? Car il est clair qu'elle ne fait absolument pas

avancer la cause des mal-logés ni le combat contre l'insalubrité.87

» Le PS accuse les Verts de

leur être délibérément «rentrés dedans» après l’échec des Jeux Olympiques et les incendies

meurtriers. Pour Adrien Delassus, un militant proche de René Dutrey, «les Verts sont arrivés

en 2001 avec la volonté de faire bouger les choses. Malheureusement pour les socialistes,

nous n’avions pas qu’un rôle de pantins et nous avons pu mettre les mains dans le cambouis.»

Ne souhaitant pas vivre le calvaire de Jean Tibéri dont le budget n’avait pas été adopté par sa

majorité en 2000, envenimant par la suite toute la fin de sa mandature, Bertrand Delanoë

chercha un moyen de riposter face à ses partenaires écologistes. Plus subtile que leur retirer

leurs délégations ou leurs avantages, le Maire de Paris s’employa à faire éclater le groupe

Verts, en tentant de récupérer quelques individualités : ce sera le cas de Christophe Girard,

adjoint à la culture et directeur de la stratégie chez LVMH, adhérent des Verts depuis 1998,

qui dit «je savais que nous avions des cultures politiques différentes, mais je n’avais pas

prévu pour autant cette crise qui heurte le Maire de plein fouet. Un élu cohérent par rapport

à sa place dans l’équipe municipale, qu’il soit Vert, socialiste ou communiste, ne devrait pas

poser de problèmes. Or, les écologistes se comportent comme des opposants même quand ils

sont dans la majorité» regrette-t-il, avant de prendre sa carte au Parti Socialiste. Sa défection

aurait théoriquement du entraîner celle d'autres écologistes modérés comme Denis Baupin.

«Le Maire m'a proposé d'organiser une scission du groupe, ce qui aurait entraîné une

explosion des Verts88

» explique l’adjoint en charge des transports, qui a refusé.

Les négociations se poursuivent sous l'égide de Caresche : «le cabinet autour de Bertrand est

trop rigide avec les Verts. Ils jouent le rapport de force avec eux, c'est une erreur. Surtout que

les Verts n'avaient pas tort, au fond» explique-t-il à Bertrand Gréco. Sa démarche

pacificatrice permet de renouer le dialogue avec les Verts, alors que la municipalité doit

encore adopter les deux dossiers les plus importants de la mandature, à savoir le Plan local

86

61 « Municipales 2008 : la bataille de Paris » de Bertrand Gréco

88

« Municipales 2008 : la bataille de Paris » de Bertrand Gréco

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d’urbanisme (PLU) et le Plan des déplacements de Paris (PDP) : une issue à la crise de la

majorité est trouvée au milieu de l’automne. Quoi qu’il en soit, cela marqua pour de bon la fin

de l’état de grâce pour Bertrand Delanoë : les écologistes venaient de prendre conscience de la

pleine puissance et du poids politique que leur groupe charnière au Conseil de Paris pouvait

leur conférer. «Car les écologistes détiennent un otage de grand prix, dont personne n’a

pensé à afficher le portrait sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Et pour cause, puisque cet homme

ligoté n’est autre que le Maire de Paris en personne» avance Sophie Coignard, journaliste

auteur du livre à charge Le marchand de sable, «s’il lui vient des fantasmes d’autonomie, ils

savent vite lui rappeler sa condition.»

Si bien qu’une nouvelle crise politique éclata en juin suivant, à propos du fameux Plan local

d’urbanisme (PLU) censé redéfinir les nouvelles règles de construction dans la capitale et

faire l’ébauche du visage architectural de la ville dans les vingt années à venir. «Ne pas voter

le PLU revenait à ne pas voter le budget ! Il était en débat depuis quatre ans et les écologistes

avaient déjà voté une première version. Mais à dix jours du vote final où nous devions

entériner définitivement ce choix, ils ont décidé de nous faire chanter en le rejetant au cours

de son examen dans les conseils d’arrondissements… avant de s’abstenir au Conseil de

Paris» se souvient Jean-Pierre Caffet, jusqu’alors adjoint au Maire en charge de l’urbanisme,

pour qui «les Verts n’ont pas souhaité l’adopter pour des raisons politiciennes et des

questions de rapports de forces internes, à l’approche de leur Assemblée générale.» Les

écologistes cherchaient également à se démarquer en vue de l’approche du scrutin municipal,

critiquant ce «Plan libéral d’urbanisme» en mettant en avant le fait que social-démocratie et

écologie politique ont des conceptions antagonistes en termes d’aménagements du territoire.

La construction de tours et le ratio bureaux / logements sociaux leur posait problème. Les

socialistes s’en sortiront en menaçant… de ne pas voter le Plan des Déplacements de Paris

(PDP) porté par l’écologiste Denis Baupin. Reste qu’au terme d’une séance où «les Verts nous

insultaient de vieille gauche, quelque chose s’est cassé. Dès lors, nous ne les considérions

plus comme des partenaires fiables» expliqua l’adjointe au Maire Sandrine Mazetier89

, pour

qui les écologistes ont fait preuve «d’opportunisme et de positionnement politicien.»

«Sur le fond, il y a beaucoup de points de convergence entre nos deux groupes mais ils sont

atténués par nos différences au niveau des pratiques, dans l’exercice du pouvoir. Les

89

«Municipales 2008, la bataille de Paris», de Bertrand Gréco

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écologistes, ce sont de bons tacticiens qui savent parfaitement nouer des accords avant les

élections… mais ne les respectent pas ensuite, ils sont dans la surenchère permanente» se

plaint l’ancien cohn-bendiste Christophe Girard. «On a tous en mémoire ce jour de juin 2006

où le groupe Verts vota avec l’UMP contre la construction de logements sociaux dans le

16ème

arrondissement» argue sa collègue Pascale Boistard, faisant référence au dossier du

Parc de Sainte-Perrine. L’adjoint au logement de Bertrand Delanoë venait de trouver une

parcelle de 5.000 mètres carrés dans le jardin public de trois hectares de Sainte-Perrine, où il

souhaitait y ériger environ 200 logements sociaux pour les infirmières de l’AP-HP, quatrième

propriétaire foncier de la capitale. Mais «contrairement à la communication démagogique à

laquelle s’employait le Maire, il était possible de construire des logements sociaux sans

défigurer ce parc. Et ils s’en servent depuis pour nous accuser de nous être alliés avec la

droite, mais je ne compte pas le nombre de dossiers où le PS a eu besoin de la droite pour

arriver à ses fins, que ce soit sur les subventions au Paris-Saint-Germain ou le parrainage

par la Mairie de Paris du sous-marin nucléaire Charles de Gaulle. C’est toute la force de la

communication de Delanoë, il nous reproche ce qu’ils font à longueur de temps…» rétorque

le véhément Maire du 2ème

arrondissement, Jacques Boutault.

Les divisions internes au Parti Socialiste et aux Verts ont également joué un rôle dans la fin de

première mandature tumultueuse qu’a rencontré la coalition parisienne. Les Verts parisiens ne

se divisent pas sur la stratégie politique à mener – ils sont unanimement favorables à la

généralisation de l’autonomie au premier tour des élections puis à l’alliance avec le PS – mais

sur le principe même de l’organisation de la participation au pouvoir et du positionnement

politique à avoir vis-à-vis de la majorité. Des tensions apparaissent régulièrement entre les

radicaux, représentés par Yves Contassot, qui n’ont jamais caché leur sympathie pour

l’extrême-gauche, et les réformistes, emmenés par Denis Baupin, qui n’ont pas hésité à

afficher leur proximité avec Bertrand Delanoë au cours de sa mandature. En toile de fond de

cette divergence d’options à laquelle se mêlait une intense guerre de courants internes et de

sentiments humains (jalousie, haine), se jouait l’hégémonie sur les Verts et ainsi l’investiture

pour les municipales 2008.

Pour l’écologiste Anne Le Strat, qui n’hésita pas à quitter le groupe Verts en 2008 pour se

faire élire sur la liste de Bertrand Delanoë, «le clivage au sein du groupe écologiste portait

non pas sur des divergences idéologiques – ce qui aurait été sain - mais sur des rivalités de

pouvoirs entre acteurs politiques, cherchant à tout prix à se constituer leurs réseaux pour

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compter sur des troupes solides lors des prochaines élections…» Nostalgique du passé, elle se

rappelle le temps où les écologistes «ne pensaient pas arriver au pouvoir mais se

concentraient à construire une majorité culturelle sur nos idées. Il y avait alors une bataille

politique, entre deux courants forts qui s’adossaient à des conceptions différentes et à des

stratégies opposées. Puis les écologistes ont cherché à se faire élire pour gagner de l’argent,

et protéger leurs places.» «Notre erreur est d’avoir transposé les rapports conflictuels que

nous pouvions avoir en interne jusqu’au Conseil de Paris, sans prendre en compte les médias.

Nos bisbilles internes sont arrivées sur la table et le PS a logiquement tenté d’en profiter»

analyse pour sa part Adrien Saumier, un militant écologiste. A écouter Yves Contassot,

«Bertrand Delanoë a parfaitement su jouer sur les ambitions naissantes de certains pour

instaurer un climat malsain au sein de notre groupe, à quelque mois du début de la

campagne. Son directeur de cabinet Bernard Gaudillère disposait de deux listes sur son

bureau, une où était répertoriée les écolos «vulnérables et transférables» et l’autre contenant

les noms d’élus qui ne se rallieraient pas contre des postes… Résultat, il avait tout l’appareil

municipal pour présenter son bilan face à un groupe Vert hétérogène, qui ne s’entendait pas

et faisait campagne autour d’une écologie punitive» tente de se défausser aujourd’hui ce

cacique vert.

Au final, leurs relations internes conflictuelles confirmèrent tout au long de la mandature la

réputation d’amateurs qui a trait aux écologistes, et qui les empêcha de capitaliser sur leur bon

résultat de 2001. Car cette séquence – et ils le reconnaissent aujourd’hui – ne les a

probablement pas aidés à préparer l’élection municipale de 2008. «La haine entre les

socialistes est très très forte en interne, mais ils ont l’intelligence de présenter une image

harmonieuse à l’extérieur. Nous, nous avions quelques divisions entre nous mais le crions sur

tous les toits sans rien cacher à la presse» regrette le patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel. Il

n’a pas tort : la préparation du congrès du Mans à l’automne 2005 a elle aussi laissé beaucoup

de traces au sein de la fédération PS de Paris. Tandis que la pression montait, les différents

courants socialistes s’affirmèrent dans la capitale… et les langues se délièrent, alors que

l’exécutif municipal vivait un passage difficile. Jamais depuis 2001, le Maire de Paris –

partisan discret de la motion de François Hollande - n'avait été autant attaqué au sein de son

propre camp : les barons fabiusiens, maires des 3ème, 13eme, 14eme ou 20ème, soutiens de la

motion Fabius-Mélenchon manifestaient leur exaspération, tandis que les soutiens du NPS de

Montebourg et Peillon montraient les crocs. Le député strauss-kahnien Jean-Marie Le Guen,

qui soutenait le même candidat que Bertrand Delanoë tentait pour sa part d’imposer son

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courant sur la fédération. Pour mettre à bien sa stratégie, il n’hésita pas à se poser en sauveur

des socialistes de la capitale au cours d’un déjeuner d’octobre 2005 réunissant les différents

parlementaires favorables à la reconduite de François Hollande, jugeant la politique

municipale «pas assez audacieuse. Une fois qu’on a enlevé les JO, Paris Plage et Nuit

Blanche, il ne reste pas grand-chose.»

Les critiques avaient beau se faire de plus en plus virulentes, Bertrand Delanoë n’y prêta

guère attention et continua son œuvre municipale. C’est ainsi qu’à l’été 2007, il inaugura le

système de vélos en libre-service Vélib’ après un imbroglio juridique : le cahier des charges

indiquant de choisir l’offre jugée économiquement la plus avantageuse, l’américain Clear

Channel avait initialement été privilégié à son concurrent français J.C. Decaux, qui proposait

des vélos plus lourds et une redevance versée à la Mairie nettement inférieure. Après avoir

fait appel sur la forme90

, le groupe français numéro 1 mondial de l’affichage publicitaire sur

mobilier urbain a su réajuster son offre, en proposant un mode de financement plus

avantageux pour le Maire de Paris, surtout en amont d’une campagne électorale : en

contrepartie de la cession des 1.628 panneaux publicitaires de la capitale, l’entreprise

installerait et gèrerait 20.600 vélos en libre-service sans que l’opération ne coûte un sou à la

municipalité ou au contribuable. Ne remettant pas en cause l’innovation Vélib’, les Verts se

sont employés à critiquer le mode de financement choisi par le Maire de Paris : «les

promoteurs de ce deal «pub contre vélo» ont réussi ce tour de force de faire croire à

beaucoup de gens, y compris des élus, que ce système ne coûtait rien à la collectivité : en fait,

si les villes bénéficient d’un nouveau service, elles abandonnent en contrepartie une recette

très importante, à savoir la redevance qu’elles toucheraient normalement avec les recettes

publicitaire» alerte le candidat écologiste et Adjoint aux Transports, Denis Baupin, dans le

Libération du 4 septembre 2007.

Le même jour, Bertrand Delanoë confirmait son intention de briguer un second mandat dans

un entretien accordé au Parisien, et intitulé «mes convictions écologiques sont anciennes et

fortes.» Dedans, le Maire de Paris y décline ses intentions : 25% de baisse des émissions de

gaz à effet de serre, respect des normes européennes en terme de pollution, renforcement des

transports en commun au détriment des voitures… «Toutes ses propositions sont dans le plan

de déplacement de Paris présenté par les Verts» s’indigne l’inaudible candidat écologiste

Denis Baupin, «nous avions dû nous bagarrer contre le PS et le PC pour faire adopter ce

90

Le groupe JC Decaux a prétexté des mentions non correctes lors de la publication de l’avis de publicité, pour

faire appel de l’appel d’offre une fois le résultat en faveur de Clear Channel connu.

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plan» se souvient-il, amer. Déroulant son programme et revendiquant la paternité de la

politique d’écologie urbaine menée ces dernières années, Bertrand Delanoë définit l’axe de sa

future campagne. «Bien qu’il n’ait jamais eu le logiciel écologiste et ait été déçu de nos

pratiques amateures, Bertrand Delanoë a eu le flair nécessaire pour comprendre que nous

pouvions lui être utiles. Il a eu l’intelligence de récupérer dans notre bilan tout ce qui était

récupérable, et qui correspondait à l’ère du temps» explique une Conseillère de Paris,

écologiste. «Nous avons subi sa communication bien huilée, il est parvenu à s’attribuer la

politique des transports de Baupin sans les embouteillages, l’éradication du logement

insalubre de Blet, l’invention de la Nuit Blanche de Girard, mes repas bios dans les cantines

scolaires ou encore les 30 hectares supplémentaires d’espaces verts de Contassot…» se plaint

le Maire du 2ème

arrondissement, Jacques Boutault, pour qui les socialistes avaient plus

d’expérience quand nous «nous acharnions sur les dossiers mais improvisions devant les

médias.» Pour l’Adjointe au Maire Pascale Boistard, «le PS s’est nourri des Verts, non pas

par tactique politicienne ou opportunisme mais par pure réflexion. La mandature a été un

apprentissage pour nous, ils nous ont convaincu que les questions environnementales étaient

vitales et faisaient partie des préoccupations des citoyens.»

Reste qu’«à la vue du bilan de Bertrand Delanoë et de l’équipe municipale ainsi que de l’état

hors-service d’un groupe Verts divisé, les électeurs ont pu se questionner sur la nécessité de

politiser l’écologie et de voter de nouveau pour les Verts» explique Dominique Foing. A

l’automne, le Maire de Paris renforça encore le sentiment de trouble qui pouvait naître au sein

de l’électorat commun aux socialistes et aux écologistes : une enquête du magazine Que

Choisir91

sur le prix de l’eau potable et les bénéfices faramineux réalisés par les deux

entreprises en situation de duopole, Véolia et Suez, fit grand bruit. Alors que ses partenaires

de la gauche plurielle (PCF, Verts, MRC) réclamaient depuis 2001 de renégocier les contrats

pour repasser sous une régie municipale, que l’Inspection générale de la Ville, la société de

conseil Service Public 2000 et la Commission Constantin avaient déjà épinglé la gestion de

l’eau dans la capitale tout au long de la mandature, Bertrand Delanoë annonça le 5 novembre

2007, à cinq mois des municipales, la création d’une régie municipale «qui étendrait à la

distribution, la maîtrise qu’elle possède déjà sur la production de l’eau à Paris» explique son

communiqué. Tout en se gardant la possibilité, par ailleurs, de réaliser des partenariats

publics-privés notamment sur la mission de la distribution de l’eau…

91

Enquête publiée dans le numéro Que-Choisir du 29 octobre 2007

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Un double-langage qui illustre parfaitement la maîtrise de sa communication, grâce à une

«novlangue92

destinée à rendre tout nouveau et tout bon. Sous Delanoë, les réunions de

quartiers deviennent ainsi des «évènements solidaires et éthiques», le projet d’organisation

de l’épreuve olympique des J.O. éthiques, populaires, écologiques et solidaires […]Mais qui

aurait l’idée de s’opposer à une telle démarche, pour préconiser des JO gangrénés par la

corruption, réservés aux riches, polluants et égoïstes ?» se demande Sophie Coignard,

journaliste d’investigation s’intéressant de près aux différents systèmes de pouvoirs, dans son

livre consacré à Bertrand Delanoë, «Le Marchand de Sable». Elle observe dans son ouvrage

que le Maire a multiplié par quatre le nombre de communiqués de presse, par rapport à Jean

Tibéri, «noyant ainsi l’information dans un flot de non-informations.» En cela, il peut

compter sur le précieux soutien de la Directrice de l’Information et de la Communication de la

Mairie de Paris, Anne-Sylvie Schneider à qui incombe la charge de transformer le savoir-faire

du Maire de Paris en faire-savoir. Ancienne journaliste à VSD, cette dernière a rencontré le

porte-parole du Parti Socialiste en 1981, Bertrand Delanoë… qui l’a embauché pour lui

confier la rédaction de la lettre interne du parti. Un poste qu’elle occupa dix ans, avant de

devenir l’attachée de presse de Laurent Fabius à l’Assemblée nationale puis de Martine Aubry

au Ministère de l’Emploi. Déléguée à l’information dans l’équipe de campagne du Maire, elle

est promue en 2001 au sein de l’administration dès sa victoire… et se montre depuis,

bienveillante avec son candidat le Maire. « Bertrand Delanoë a parfaitement su construire

son réseau médiatique, en recrutant Anne-Sylvie Schneider à la communication, qui

bénéficiait de précieux appuis au sein de la presse de gauche, dont le Nouvel Observateur.

D’autres journaux comme le JDD sont restés plus neutres, malgré les relations du Maire avec

Arnaud Lagardère. A côté de lui, nous n’avions pas le même réseau, ne nous en donnions pas

les moyens et ne savions pas aussi bien communiquer» regrette son adjoint vert Yves

Contassot, selon qui cette carence s’est faite ressentie tout au long de leur campagne.

Toute la chaîne de l’information était – et est toujours –centralisée vers le cabinet du Maire ou

tout du moins la Directrice de l’information et de la communication : c’est elle qui fixe les

rendez-vous des Adjoints au Maire avec les journalistes et définit les messages à délivrer…

voire s’occupe des suites à donner aux articles concernant la Mairie de Paris. Ainsi, elle

n’hésite pas à appeler directement les journalistes qui se seraient éloignés de la «vérité

92

Métaphore utilisée par Sophie Coignard, en référence à la langue fictive inventée par Georges Orwell dans son

roman 1984

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89

officielle»93

. Plus prosaïquement, c’est également Anne-Sylvie Schneider qui eut l’idée que

Bertrand Delanoë mène une «campagne délibérative» pour l’élection de 2008, en faisant la

tournée des vingt arrondissements parisiens en trois mois, afin de recueillir les propositions de

la population. Bien que les propositions finales qu’il présentera - voitures propres en libre-

service, extension du tramway, projets de tours – figuraient déjà toutes dans son

préprogramme soumis à discussion lors de ces fameuses réunions de travail avec les Parisiens.

«Bertrand Delanoë est parvenu à donner une image contraire à sa véritable personnalité, et

en cela il est plus talentueux que Jean-Louis Borloo ou Nicolas Sarkozy : il a réussi à se

construire un mausolée où il incarne le chevalier blanc dans un monde politique malhonnête.

En réalité, il est à la tête d’un système de connivence avec de grands groupes comme Uni-

bail, d’un système médiatique avec le Nouvel Observateur donc, le groupe Lagardère qui

l’interviewe régulièrement sur Europe 1 mais aussi le groupe Bolloré qui a obtenu Autolib’ et

est propriétaire de Direct Matin… Fin analyste des intérêts qui se croisent, Delanoë offre des

cadeaux et attend des retours, il arrive parfaitement à actionner les différents leviers pour

servir ses intérêts personnels» énumère Dominique Foing, auteur d’un livre à charge contre la

gestion du Maire de Paris. S’ils ne se montrent pas aussi tranchés dans leurs interventions

publiques, les écologistes se plaignent diplomatiquement de son double-jeu. Pour le conseiller

régional (EE-LV) d’Ile-de-France Jean-Marc Pasquet, «le fait que Bertrand Delanoë soit plus

archaïque et moins ouvert à l’écologie urbaine que le président de région Jean-Paul Huchon,

issu de la deuxième gauche, pourrait être une chance pour nous. Mais ses talents de

communicants le font surfer sur nos étiquettes.»

La construction d’une coalition demande du temps et la première mandature n’a clairement

pas permis aux écologistes et aux socialistes parisiens de s’entendre. Pour Anne Le Strat, qui

a siégé au sein du groupe Verts avant de s’affilier au groupe socialiste en 2008, «la vérité de

la première mandature ne se résume ni dans la posture «le PS nous a torpillé» ni dans le

discours présentant Bertrand Delanoë, comme «l’otage des Verts»… Avec 23 élus au Conseil

de Paris, nous avions un vrai poids, nos menaces étaient prises au sérieux, et le cabinet du

Maire nous écoutait et nous craignait.» Avec du recul, les écologistes se montrent satisfaits

de la première mandature où leur voix «a été entendue» sur le budget, le plan climat ou la

93

C’est Anne-Sylvie Schneider qui s’est occupé elle-même du cas de Renaud Lecadre, journaliste de Libération,

qui avait «osé» publier en 2005 un article sur les marchés publics de la Mairie de Paris, dans lequel il rappelait

que la présidente de séance lors du débat sur le contrat de l’eau au Conseil de Paris en décembre 2003 n’était

autre que la première adjointe Anne Hidalgo, «qui a été chargée de mission à la Compagnie Générale des Eaux,

détail de carrière trop peu connu des électeurs parisiens.»

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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politique du logement. «Durant ces sept années, nous nous sommes clairement aperçus que

l’écologie politique n’était pas la social-démocratie traditionnelle de Bertrand Delanoë. Mais

elle a toutefois le mérite de ne pas être à droite et de nous avoir permis de changer certaines

choses» résume le patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel.

2) 2008-2014, la contrainte d’un rapport de forces évolutif

ur la lancée d’une fin de mandature compliquée, la campagne pour l’élection

municipale 2008 a été extrêmement tendue entre les deux partenaires. Pour les

écologistes comme les socialistes, ce scrutin était une épreuve désignant un vainqueur

et un vaincu, mais déterminant aussi et surtout le rapport de force au sein de la gauche pour

les années à venir. Désormais conscients des préoccupations électorales de nombreux

Parisiens, l’ensemble des forces politiques ont verdit leur campagne : interdiction aux

véhicules polluants d’entrer dans la capitale pour l’UMP, péage urbain pour le PS,

piétonisation des voies sur berges pour les Verts… mais aussi réalisation d’éco-quartiers,

développement des énergies propres, mise en place d’un système en libre-service de véhicules

propres, etc. Une succession de mesures laissant penser, du moins en apparence, que les

structures parisiennes des deux principaux partis de gouvernement avaient fait leur

aggiornamento et prenaient désormais autant en compte les enjeux environnementaux que ne

pouvaient le faire Les Verts il y a quelques années. En ce qui concerne Bertrand Delanoë,

c’était aussi une stratégie politique efficace visant à récolter les fruits des succès de sa

majorité plurielle, tout en imputant ses échecs aux Verts. Sentant la politique «s’écologiser» à

leur détriment, les écologistes mirent fin à leurs traditionnelles campagnes joviales et ne

tardèrent pas à riposter. Le député européen Daniel Cohn-Bendit, qui s’était déjà investi lors

de la campagne 2001 aux côtés d’Yves Contassot, suggèra de s’allier avec le MoDem pour

«échapper à la maladie de l’hégémonie des socialistes», taclant dans la foulée Bertrand

Delanoë qu’il accusait d’être un «usurpateur : depuis sept ans, il n’est arrivé à l’écologie que

par un débat permanent avec les Verts.94

» Pourtant habitué à négocier des compromis avec le

Maire au cours de la première mandature, le candidat écologiste Denis Baupin n’était pas

moins offensif vis-à-vis du Maire et du PS parisien, revendiquant sans cesse la paternité de

94

L’Express, 21 février 2008, «Cohn-Bendit traite Delanoë d’usurpateur »

S

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

91

Vélib’, du tramway, des couloirs de bus ou encore de Paris-Plage. Dès septembre 2007, le

Maire du 2ème

arrondissement Jacques Boutault, accusait Delanoë de vouloir se «débarrasser

des écologistes.» Ambiance…

Pour l’édile écologiste du centre parisien, «si l’on en croit les résultats des municipales, le PS

a tiré un plus gros avantage de notre collaboration sur la première mandature, alors que

nous n’avons pas réussi à capitaliser sur nos succès…» Augmentant de plus de quinze points

le score de premier tour de la gauche en 1989, Bertrand Delanoë a en effet été largement

mieux élu en 2008 (42,9%) qu’en 2001 (31,3%). «La frontière entre l’écologisme local et le

projet de Bertrand Delanoë qui ne voulait plus laisser les thèmes environnementaux à notre

sous-traitant des Verts était tellement confondu qu’en 2008, ça a empêché les Verts de faire

un bon premier tour» analyse l’adjointe au Maire Pascale Boistard. «En se proclamant très

habilement écologiste responsable, il a siphonné les voix traditionnellement acquises aux

Verts. C’était une façon de dépouiller le fond de commerce des écologistes, tout en pointant

que lui n’était pas excessif. Mais à la vue de son second mandat, on peut se demander

aujourd’hui si c’était une bonne chose ?» interroge son ex-fidèle, le député (PS) de Paris

Christophe Caresche. Elle aussi libérée du devoir d’allégeance envers son parti, l’ancienne

élue Verte Anne Le Strat estime pour sa part qu’il a suffi à «Bertrand Delanoë de faire valoir

son bilan globalement positif et de jouer sur l’effet bénéfique du «Maire sortant», tandis que

les Verts parisiens, au lieu de présenter leur action et vanter leur apport, ont simplement

donné l’image qu’ils étaient de simples emmerdeurs. Avec cette défaite, ils ont atteint les

limites structurelles de leur mode de fonctionnement, sans être parvenu à consolider leur

implantation ni à construire par-delà leur première expérience.» Disposant d’un faible

budget de campagne depuis l’échec retentissant de Dominique Voynet en 2007 ayant durci les

conditions d’emprunts des Verts, «la stratégie d’autonomie au premier tour avait malgré tout

du sens pour nous. Mais elle n’a jamais été comprise par les électeurs parisiens95

. Pourtant,

quand vous connaissez la vision du PS sur ses partenaires, il devient facile de comprendre

que si nous nous étions rangés derrière eux dès le premier tour pour obtenir des postes, nous

n’existerions tout simplement plus. Nous ne voulions pas être le nouveau PRG !» déplore le

patron d’Europe Ecologie-Les Verts Paris, Hervé Morel.

95

Dès septembre, un sondage créditait les Verts de 5% des voix contre 47% pour la liste de Bertrand Delanoë.

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92

Avec 6,78%96

des voix contre 12,35% réalisés sept ans plus tôt, les rôles lors de la

négociation de l’entre-deux tours étaient inversés : sûr de lui et maîtrisant les débats, Bertrand

Delanoë n’a pas de concession à faire et domine largement Denis Baupin et Yves Contassot,

qui plient rapidement bagage. Elu au second tour sans surprise (57,7%), la gauche plurielle ne

conquiert aucun nouvel arrondissement mais sept sièges de conseillers de Paris. Mais la bonne

nouvelle n’est pas là pour le Maire : au-delà de sa réélection et de sa progression, il est surtout

heureux de posséder la majorité (82) avec ses alliés historiques du PCF et du MRC97

, sans

dépendre de ce partenaire «peu fiable» que représentent les Verts selon lui. Avec 90

Conseillers de Paris contre 69 lors de la première mandature, les socialistes et ses partenaires

historiques sont désormais « libres» comme le titre le supplément Paris Obs du Nouvel

Observateur en mars 2008. «La vie quotidienne de la gestion municipale est facilitée depuis

2008, maintenant que les Verts ne sont plus un groupe charnière. Ils ont beau essayer

d’emblématiser certains points, mais malheureusement pour eux, la politique municipale ne

s’arrête pas aux Halles ou à Jean Bouin» remarque Philippe Wehrung, cadre de la fédération

socialiste de Paris.

Les Verts repartent avec un groupe divisé par deux, qui passe de 23 à 9 et fait beaucoup moins

de bruit. «Mais aujourd’hui, le mandat de Delanoë pâtit du faible poids des écologistes : une

majorité monocolore n’enchante pas les Parisiens» veut croire Jean-Marc Pasquet, ancien

patron des Verts Paris et aujourd’hui conseiller régional d’Ile-de-France. Adrien Saumier

abonde : «Delanoë n’a plus le même souffle que lors du premier mandat. Je ne sais pas si

c’est lié à l’effacement des écologistes, en tout cas c’est clair que nous ne sommes plus

déterminants, que nous ne possédons plus ce pouvoir de bascule qui faisait notre force»

regrette ce militant parisien d’EE-LV. Un de ses collègues renchérit : «l’environnement n’a

depuis 2008 aucune prise directe avec les orientations politiques, économiques et sociales de

la majorité.» Pire, le Maire de Paris aurait profité de la baisse d’influence des Verts pour

renouer avec ses «atomes productivistes et mettre en œuvre ses chantiers fétiches comme Jean

Bouin ou les Halles». «Suite à notre raté de 2008, il y a eu de plus en plus de désaccords :

chantiers des Halles ou de Jean Bouin, vidéosurveillance, construction des tours… Bertrand

Delanoë profite du rapport de force avantageux pour le Parti Socialiste pour n’écouter aucun

96

Le plus mauvais score des Verts aux municipales parisiennes depuis qu’ils présentent des candidats dans

chaque arrondissement de la capitale : ils avaient en moyenne recueillis 8,2% en 1989 et 7,1% en 1995. 97

Avec 90 Conseillers de Paris, le PS, le MRC et le PCF ont la majorité sans les Verts. Bertrand Delanoë n’est

pas passé loin de la majorité absolue : avec 77 conseillers de Paris à lui seul, le PS est à cinq voix de la majorité

qu’il doit les trouver parmi les 10 communistes, les 3 radicaux, voire en dernier recours une partie des 9 Verts,

qui ne suivraient pas la consigne du groupe…

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de ses partenaires» se plaint le co-président du groupe EE-LV au Conseil de Paris, Sylvain

Garel.

Comparatif des scores PS et EE-LV aux élections européennes 2009 (en % des suffrages exprimés)

Résultats des européennes 2009 Europe Ecologie-Les Verts Parti Socialiste

Suffrages obtenus en France 16,28 16,48

Suffrages obtenus en Ile-de-France 20,86 13,58

Suffrages obtenus à Paris 27,46 14,69

Après leur claque aux municipales, les écologistes parisiens ont pu compter sur les

européennes de juin 2009 pour se rassurer, vérifier si Paris est bel et bien le terreau de

l’écologie politique que l’on prétend : cette élection supranationale est favorable aux

écologistes, du fait du mode de scrutin à la proportionnelle, d’un faible enjeu politique

rendant plus propice le «vote de cœur» que le «vote utile», d’une abstention massive et d’une

mobilisation plus importante des cadres et professions intellectuelles que de l’électorat

populaire, ainsi que des thèmes environnementaux que cette campagne électorale met en

avant puisque liés à certaines compétences du Parlement européen. Sans compter qu’en

parallèle, face à l’image archaïque d’un PS sortant d’un congrès fratricide, les écologistes ont

su faire preuve de dynamisme et de fraîcheur, en rassemblant au-delà des Verts (Bové, Cohn-

Bendit) et en composant des listes au personnel politique contestataire et renouvelé (Joly,

Jadot). Et le moins que l’on puisse dire est que cette stratégie a fonctionné au mieux en Ile-de-

France : les écologistes parisiens n’ont pas été déçus. Rivalisant au niveau national avec le

grand frère socialiste, Europe Ecologie l’a largement devancé dans la région-capitale et à

Paris.

Des scores «inattendus dans une telle ampleur» dont ils vont essayer de tirer profit pour créer

une dynamique à gauche, alternative au PS parisien, leur permettant de bâtir leur nouvelle

méthode de conquête sur la capitale. Après avoir intériorisé le fait d’être la chambre verte de

la maison rose après le scrutin de 2008, les écologistes parisiens réclament désormais d’être

traités d’égal à égal. Conformément à leur stratégie du rapport de forces évolutif tout au long

de la mandature municipale, les écologistes font valoir aujourd’hui que le comportement de

Bertrand Delanoë est «autocratique» dans la mesure où il ne tient pas compte des révolutions

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des scrutins intermédiaires. «Aux européennes 2009, nous avons été la principale force

politique dans treize arrondissements sur vingt – soit plus que le PS aux dernières

municipales – cela a représenté un véritable coup de tonnerre pour la gauche, devancés dans

leurs propres fiefs par leurs petits partenaires» se félicite Hervé Morel. Car si le résultat

national est catastrophique pour le Parti Socialiste qui se voit pour la première fois de son

histoire directement concurrencé par les écologistes, les socialistes parisiens touchent, eux, le

fond de l’abîme : la situation s’est totalement inversée par rapport au scrutin municipal s’étant

déroulé un an auparavant, où ils avaient considérablement réduit le poids des écologistes.

«Cela a été une douche froide pour nous, surtout après la piquette que nous leur avions mis

en 2008 où nous les avions rayé de la carte du Conseil de Paris dans leurs fiefs des 3ème

,

11ème

et 19ème

arrondissements» reconnaît l’Adjointe au Maire, Pascale Boistard.

Projection des résultats d’EE-LV et du PS aux européennes 2009 selon le mode d’élection du Conseil de Paris

Arrondissement

Conseiller de Paris EE-LV élus aux municipales 2008

Conseiller de Paris PS élus aux municipales 2008

Projection du score EE-LV aux européennes 2009

Projection du score PS aux européennes 2009

Paris 1 0 1 1 0 Paris 2 1 2 2 0 Paris 3 0 3 2 0 Paris 4 0 2 2 0 Paris 5 0 1 2 1 Paris 6 0 1 1 0 Paris 7 0 0 1 0 Paris 8 0 0 0 0 Paris 9 0 3 2 1 Paris 10 1 3 4 1 Paris 11 0 7 7 2 Paris 12 1 5 7 1 Paris 13 1 9 7 2 Paris 14 1 6 7 1 Paris 15 0 4 2 1 Paris 16 0 1 1 0 Paris 17 0 3 2 1 Paris 18 2 9 10 2 Paris 19 0 9 8 2 Paris 20 2 8 9 2

Total 9 77 77 17

Explication : la loi PLM prévoit que la première moitié des sièges de l’arrondissement soit attribuée à

la liste arrivée en tête. La seconde moitié est attribuée elle, à la proportionnelle, avec calcul des

sièges restants selon la règle de la plus forte moyenne. Voir annexes.

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Comme le démontre le tableau de politique-fiction ci-dessus, les écologistes possèderaient la

majorité au Conseil de Paris s’ils avaient fait leurs scores de 2009 au dernier scrutin.

Toutefois, ils ne disposeraient pas de la majorité absolue à eux tous seuls, et seraient

dépendants du Parti Socialiste à moins qu’ils ne trouvent des soutiens parmi le Front de

Gauche ou le MoDem. Ce calcul, Europe Ecologie-Les Verts l’a fait et entend bien désormais

ne plus être réduit à un rôle de figuration dans les exécutifs locaux. Revigorés par ces bons

résultats, les écologistes ne cessent de provoquer le Maire de Paris. A l’exemple de cette

séance de novembre 2009, où ils déposèrent 1009 amendements pour se plaindre de

l’installation programmée de 1009 caméras de vidéosurveillance dans la capitale, et ainsi se

prononcer au cas par cas. «Ils continuent leur surenchère comme tout au long de la première

mandature. Ils ont même fait un recours au tribunal administratif pour ne pas que nous

examinions ces amendements en groupe et ainsi ne pas y passer cinq jours» dénonce le

président du groupe PS au Conseil de Paris, Jean-Pierre Caffet.

La «révolution européenne» de juin 2009 les redynamise également sur le plan électoral, en

témoigne leur volonté de livrer une bataille d’influence au Parti Socialiste, en présentant des

listes autonomes au premier tour des régionales 2010. Contrairement au précédent scrutin

francilien de 2004, où «englués dans notre stratégie de supplétifs du Parti Socialiste, notre

principal objectif avait été d’arriver devant les communistes qui avaient choisi l’autonomie.

Au final, avoir été consacré comme le premier partenaire du PS ne nous avait pas empêché de

mal vivre leur hégémonie dans l’hémicycle. Alors quand Huchon nous a renouvelé sa

proposition d’alliance dès le premier tour en 2010, nous avons décrété l’autonomie de notre

liste» avec négociation au second tour, résume Jean-Marie Bouguen, ex-collaborateur d’EE-

LV au Conseil régional travaillant aujourd’hui pour le groupe écologiste au Sénat. Objectif ?

Profiter au maximum du mode de scrutin proportionnel à prime majoritaire, qui leur est

favorable… et peut-être ainsi devancer le Parti Socialiste pour la seconde fois consécutive98

dans certains territoires dont la capitale. La bataille pour le contrôle de la région la plus riche

et la plus peuplée de France avait donc un enjeu très politique puisqu’elle a permis aux forces

de gauche de se mesurer à nouveau, mais cette fois-ci selon le mode de scrutin le plus

semblable de notre paysage institutionnel à celui des élections municipales99

.

98

Ils avaient réalisé 20,86% aux dernières européennes en Ile-de-France, soit plus de sept points que le PS

(13,58%) 99

Le scrutin municipal parisien se déroule au suffrage universel direct dans le cadre d’un scrutin de liste à deux

tours, selon le système de la représentation proportionnelle pondérée. Les élections régionales s’organisent elles

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Comparatif des scores PS et EE-LV au premier tour des élections régionales 2010 (en % des suffrages exprimés)

Résultats des régionales 2010 Europe Ecologie-Les Verts Parti Socialiste

Suffrages obtenus en France 12,18 23,52

Suffrages obtenus en Ile-de-France 16,58 25,26

Suffrages obtenus à Paris 20,57 26,26

Le président sortant de la région Ile-de-France mit en avant Anne Hidalgo, pour affronter dans

la capitale la liste de l’écologiste Cécile Duflot, qui se voulait porte-drapeau de son parti sur

l’ensemble de la région. La tâche de la première adjointe du Maire de Paris n’était pas des

plus aisées : elle devait réaffirmer le leadership du PS parisien sur Paris pour tirer un trait sur

la déconvenue des européennes… une mission qu’elle semble avoir remplie au vu des

résultats. La liste socialiste dépasse de six points le score de la liste écologiste dans la

capitale. Mais celle qui est pressentie pour succéder à Bertrand Delanoë n’est pas parvenue à

s’imposer dans le cœur de ses collègues socialistes : «comment a-t-elle pu considérer que

rester devant Europe Ecologie-Les Verts était le premier et seul objectif de la gauche

parisienne ?100

L’objectif était évidemment d’ancrer la région Ile-de-France à gauche pour

l’avenir. Elle a eu des phrases plus intelligentes» se moque un Adjoint au Maire socialiste.

S’ils ne sont pas parvenus à confirmer leur performance de 2009, les écologistes ont tout de

même confirmé leur bonne dynamique, et en cela, ils ont réussi une partie de leur pari. Après

la difficile victoire de 2004 dans le cadre d’une triangulaire avec Jean-François Copé et

Marine Le Pen, la liste d’union de la gauche semble avoir profité en 2010 de l’envolée du

score des écologistes au premier tour pour écraser l’UMP - 56,7% contre 43,1% - dans une

région pourtant réputée prenable par la droite. Cécile Duflot, nouvelle présidente d’un groupe

qui passe de 24 à 50 élus dans l’assemblée régionale, y a vu une validation de leur stratégie de

«diversité» au premier tour et de «rassemblement» au second des forces d’opposition à

Sarkozy. L’analyse fine des résultats de la capitale montre qu’Europe Ecologie-Les Verts

reste devant le Parti Socialiste dans le 2ème

arrondissement, le talonne dans le 10ème

et le 11ème

et confirme sa place de troisième force politique sur la capitale et même la deuxième dans

aussi selon le suffrage universel direct mais dans le cadre d’un scrutin de liste à deux tours, selon le système

proportionnel à prime majoritaire. 100

Suite à l’interview qu’elle donna au Parisien le 4 janvier 2010 : «notre objectif, c’est d’être devant les Verts.»

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certains arrondissements de gauche ; tandis que les partisans d’Anne Hidalgo sont eux encore

largement en tête dans les arrondissements grands pourvoyeurs de Conseillers de Paris

comme ceux du Nord-est parisien. Pour la première fois depuis au moins 2001, les écologistes

sont devenus forts sans que le Parti Socialiste ne soit pénalisé en parallèle.

La semaine suivante, Sylvain Garel et quelques-uns de ses acolytes du Conseil de Paris

prenaient rendez-vous avec le Maire de Paris, afin de renouer le dialogue. «Ça fait deux ans

que ça dure. On ne va pas encore continuer quatre ans comme ça» lançait-il au Figaro101

.

Depuis que les écologistes ont été laminés aux dernières municipales, le Maire n’a plus besoin

de leurs voix tandis qu’eux critiquent avec véhémence les travaux du Stade Jean Bouin, le

dossier Autolib’, la vidéosurveillance et les tours d’habitation. Objectif ? Tenter d’apaiser le

climat sur la base d’un nouveau rapport de force instauré par les européennes et corrigé par

les régionales. Une accalmie toute relative dans la mesure où l’épineux dossier du stade Jean

Bouin (16ème

) revient sur le devant de la scène, le même jour. Bertrand Delanoë parvient à

faire adopter avec l’aide des communistes une délibération déclarant «d’intérêt général» la

construction d’un nouveau stade de rugby professionnel de 20.000 places sur le site de Jean

Bouin, pour un peu plus de 150 millions d’euros. Les Verts, le Nouveau Centre et l’UMP

campent toujours sur leurs positions et votent contre. Depuis plusieurs mois, les écologistes

demandent la réaffectation de l’argent public dans d’autres projets comme par exemple le

prolongement du tramway (T3) jusqu’à la porte d’Asnières. «Contrairement à la première

mandature où il n’y avait pas de véritable fracture idéologique, la seconde mandature de

Delanoë pâtit de sa volonté de prestige et de son désir de faire parler de lui à l’étranger : les

travaux de Rolland Garros, de Jean Bouin ou des Halles n’auront pas un impact concret sur

la vie des Parisiens…» dénonce le Maire du 2ème

arrondissement, Jacques Boutault. «Les

Verts n’ont pas tort, la Ville fait des choses mais les habitants n’y sont pas associés. Les

grands chantiers, des Halles à Roland-Garros, on va finir par se les prendre sur la gueule»

craint Christophe Caresche, qui précise ne pas être «le seul socialiste à ressentir cette course

au prestige et ce manque de démocratie locale.»

Mais sur le dossier de Jean Bouin en particulier, le motif d’insatisfaction des écologistes serait

ailleurs, à en croire un Conseiller de Paris tenant à rester anonyme : «Investir autant d’argent

public alors que la municipalité privilégie d’habitude les partenariats publics-privés, c’est

101

Le 30 mars, à Paris, PS et Verts sur des bases nouvelles.

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98

louche. Comme d’autres, les Verts se sont rendus compte que ce n’était que du copinage…»

En cause ? Les liens d’amitié que Bertrand Delanoë entretient depuis plus de trente ans avec

le président du Stade Français, l’équipe de rugby qui héritera de ce stade alors qu’elle pourrait

à priori jouer à Charléty ou au Parc des Princes. Ancien attaché de presse de Dalida – proche

des cénacles socialistes – Max Guazzini s’est lié d’amitié avec le futur Maire de Paris dans les

années 80, avant de fonder la radio NRJ lors de la libéralisation des ondes durant le premier

septennat de François Mitterrand, puis de devenir propriétaire du Stade Français en 1992 et le

faire grimper sur les premières marches du podium du Top 14. Ce n’est pas une simple

personnalité mondaine participant à son comité de soutien parmi d’autres, Max Guazzini est

un fidèle ami de Bertrand Delanoë. Les élus parisiens en sont conscients mais ceux ayant osé

parler de «favoritisme», comme le président du groupe UMP Jean-François Lamour, ont fait

l’objet d’une plainte en diffamation de la part du Maire de Paris.

La trêve entre les deux partenaires de la gauche sera d’autant plus courte que les rivalités

internes à la majorité municipale lors de cette seconde mandature ne sont plus seulement

politiques, mais concerne aussi l’actualité judiciaire. Le Canard Enchaîné révèle en août 2010

que Bertrand Delanoë négocierait avec l’UMP, afin de solder l’affaire des emplois fictifs sous

Jacques Chirac. Tollé chez les écologistes – à l’initiative des poursuites lancées dans les

années 90 contre l’ancien Président de la République - qui dénoncent d’une seule voix une

négociation «en catimini.» D’autant plus qu’ils ne sont pas d’accord sur le montant de

l’indemnisation prévue de 2,2 millions d’euros, portant sur le coût des 19 emplois fictifs de

1992 à 1995 – impossible de remonter à une date antérieure du fait des délais de prescription

en matière pénale : selon eux, Bertrand Delanoë pourrait réclamer plus de 7 millions d’euros

s’il menaçait d’une action devant un tribunal civil, où la prescription est de trente ans.

Quelques mois plus tard, le Maire de Paris signe malgré tout un protocole l’engageant à retirer

la plainte de la Mairie de Paris en partie civile, en l’échange du remboursement des salaires

indument versés par l’administration de la capitale. But de la manœuvre ? Eviter un procès à

l’ancien Président de la République tout en offrant à la Mairie la possibilité de rentrer dans ses

frais. Les Verts, eux, ne se sont pas calmés : les partenaires de Bertrand Delanoë dénoncent

une «faute politique» et un «déni de justice», expliquant que le «remboursement par l’UMP

sera un remboursement par l’argent des contribuables, l’essentiel de son budget provenant

du financement public et donc des impôts.» «Ce qui serait immoral, ce serait que les Verts

restent mes partenaires tout en affirmant que j’ai opéré une rupture avec la morale publique»

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99

se défend Bertrand Delanoë. Une partie des écologistes rentre alors dans le rang. Denis

Baupin explique qu’ils n’ont jamais remis en question son honnêteté mais que «nous avons

simplement été déçus par cette décision d’accord, qui n’est pas en adéquation avec l’effort de

réhabilitation de la morale publique, qu’il défendait lors de son élection.102

» D’autres au

contraire, à l’image de l’ancien Conseiller de Paris René Dutrey, dénoncent la «chirac-

connection» de Bertrand Delanoë et pointent sa clémence présumée vis-à-vis de l’ancien

Président de la République. En échange de sa non-intervention durant la bataille parisienne de

2001 où le RPR s’est déchiré au point de laisser le chemin libre à Bertrand Delanoë, ou

encore de l’avoir laissé porter seul le projet des Jeux Olympiques Paris 2012, le Maire de

Paris se serait engagé à ne pas égratigner Jacques Chirac… «Lorsque Delanoë transmet en

2002 le dossier des frais de bouche au Parquet, il est conscient que les faits sont prescrits.

Mais cela satisfait les Verts moins expérimentés et pas forcément au courant, qui réclament

un renouveau démocratique» décrypte un jeune élu UMP de la capitale. Dès 2005, le

président du groupe écologiste au Conseil de Paris Alain Riou craignait que Bertrand Delanoë

n’aille pas au bout de sa démarche : il accusa alors l’avocat de la partie civile, et donc de la

Mairie de Paris, de confondre «vengeance et clémence» et de ne pas oser s’en prendre aux

puissants.

Le climat se détériore à nouveau à l’automne 2010, suite à la décision du Maire d’interdire

aux mineurs l’exposition du Musée d’art moderne de la ville, consacrée au photographe

américain Larry Clark. Une décision qui avait déplu aux Verts, en dépit des clichés éloquents

relatifs au sexe et à la drogue : les écologistes accusaient Bertrand Delanoë de

«s’autocensurer» et que «si on commence à faire cela, on ne fait plus rien.» La réponse du

Maire de Paris, transmise également à la presse, n’avait pas tardée «Votre lettre me paraît

traduire une profonde méconnaissance à la fois du contexte idéologique et politique dans

lequel l’art contemporain évolue aujourd’hui.» De plus en plus contesté, certains estiment

que le premier édile de la ville ne prend plus la peine d’éviter les conflits depuis son échec au

Congrès de Reims en novembre 2008, qui l’a conduit à faire son adieu forcé à la fonction

présidentielle… alors qu’il s’était déjà interdit tout avenir parisien en annonçant sa volonté de

ne pas briguer de troisième mandat. Selon L’Express103

ou Le Point104

, le Maire de Paris

centraliserait tout et se reposerait depuis uniquement sur son directeur de cabinet Nicolas

102

L’Express, 5 novembre 2010 c’est l’amour vache entre Delanoë et les Verts. 103

« Docteur Bertrand et Monsieur Delanoë », L’Express, janvier 2008 104

« Le spleen de Bertrand Delanoë », Le Point, décembre 2010

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100

Revel105

, la secrétaire générale Véronique Bédague-Hamilius et son collaborateur historique,

Laurent Fary. «Le Maire ne s’occupe plus que des sujets, où il y a une rentabilité électorale

pour lui ou Anne Hidalgo» déplore Christophe Caresche, son ancien adjoint à la sécurité. Un

fonctionnement verrouillé vexant une partie de ses adjoints - associés au dernier moment sur

des décisions concernant leurs propres délégations- et les Conseillers de Paris, à l’influence

réduite, qui ne lui pardonnent désormais plus rien. «Bertrand Delanoë s’essouffle sur son

second mandat, le PS parisien finit par s’endormir. Nous ne sommes plus là pour leur mettre

la pression… Même certains de ses adjoints ne le comprennent plus, par exemple sur Roland-

Garros ou Jean Bouin. Tout se décide dans le cabinet du Maire. Il a construit Autolib tout

seul, avant de nous dévoiler par surprise son projet : il n’y a aucune concertation avec

Bertrand Delanoë, il n’écoute même pas les bureaux d’études !» se plaint Yves Contassot.

Pour Christophe Girard, cette impression d’essoufflement au cours de la seconde mandature

s’explique par la ferveur du début de mandat qui est retombée et les différents projets qui ne

sont pas encore sortis de terre. «Après, on peut toujours faire plus, c’est évident… Mais la

crise économique réduit nos marges d’actions, alors nous nous concentrons sur la livraison

d’un certain nombre de chantiers, avant d’en lancer de nouveaux.»

C’est le cas par exemple de la rénovation des Halles, autre sujet à conflit avec les écologistes

parisiens. Elle émerge dans la tête de Bertrand Delanoë dès le début… de son premier mandat,

à la fin de l’année 2002. Cet immense chantier qui prévoit notamment la réorganisation du

jardin de plus de 4 hectares, de la gare où transitent 800.000 voyageurs par jour et du Forum,

centre commercial prochainement recouvert d’une Canopée, aurait dû en principe durer quatre

ans. Plaintes des riverains, concours d’architectes cacophonique, crises politiques avec les

partenaires Verts, doutes sur la faisabilité technique, etc… A la fin de son premier mandat,

son projet apparaissait au point mort. Il faudra attendre sa large victoire en 2008 qui permet

désormais à Bertrand Delanoë d’outrepasser les avis des écologistes, pour voir son projet se

débloquer à l’automne 2010 et lui laisser ainsi une chance de l’inaugurer avant la fin de son

mandat, en 2014. Votant contre la «vente du patrimoine municipal» avec les élus UMP qui

s’inquiètent de la santé économique de la Mairie, les écologistes dénoncent entre autre le

mode de financement privilégié : chiffré à 760 millions d’euros hors taxe et hors surcoût, cette

opération est assurée aux deux tiers par la municipalité, l’autre partie revenant à la charge du

nouveau propriétaire du Forum des Halles, le groupe Unibail-Rodamco. Yves Contassot

105

Nicolas Revel est devenu secrétaire général adjoint de l’Elysée après la victoire de François Hollande.

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dénonce une «privatisation de l’aménagement urbain.» Certains hiérarques socialistes

pointent du doigt le comportement des écologistes, partenaire «imprévisible et ambigu qui

vote contre certains projets sans passer pour autant dans l’opposition.» Pour le président du

groupe socialiste au Conseil de Paris, Jean-Pierre Caffet, «certes, nous ne pouvons pas

demander à un groupe de tout voter, mais de là à accepter sans rien dire qu’ils déposent des

recours contre notre projet ou aident des associations de riverains à se battre… Les Verts

prennent des responsabilités impensables pouvant conduire à la rupture du pacte majoritaire,

dans le seul but de construire des rapports de force sur des sujets identifiants.»

A force d’être intégrés au pouvoir depuis de longues années désormais, la stratégie des

écologistes est de signifier leur opposition ponctuelle sur certains dossiers clivants afin

d’éviter tout risque de banalisation dans le paysage politique parisien. L’inauguration

d’Autolib’ à l’hiver 2011 a de nouveau permis aux écologistes de faire entendre leur petite

voix dans un débat fortement médiatisé. Ils estiment que ce service de voitures en libre-

service pourrait encourager l’usage de la voiture et donner un signal négatif aux alternatives

que sont les transports en commun et Vélib’. Les coûts de mise en œuvre de ce service

développé par le groupe Bolloré ainsi que l’impact environnemental sont d’autres raisons

avancées pour justifier leur opposition. «Il y a de nombreux désaccords mais pas sur tout non

plus : nous arrivons encore à nous entendre sur des sujets comme le logement social, le

handicap ou les crèches, et votons le budget, donc oui, nous sommes toujours partie prenante

de la majorité. Après un regain de tension suite à l’arrivée de Cécile Duflot dans la capitale,

le climat s’est même apaisé ces derniers temps» raisonne le co-président du groupe écologiste

au Conseil de Paris, Sylvain Garel. Au-delà du rôle que la Ministre pourrait jouer aux

prochaines élections municipales, certains élus socialistes ont contesté sa venue du fait que la

secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts avait des points de vue opposés à ceux du

Maire : elle «s’est opposée à tout, que ce soit le Jean Bouin, les voies sur berges ou Autolib,

et a poussé la création du PassNavigo à tarif unique» déplorent-ils en chœur. «Les socialistes

savent bien qu’ils ne gagneront pas en 2014 s’ils se fâchent avec les écologistes. Donc ils ne

doivent pas trop les froisser…» s’amuse Pierre-Yves Bournazel, conseiller UMP de Paris. Les

Verts sont parfaitement conscients de cette donne et peuvent donc en profiter pour continuer à

se distinguer et à critiquer certains des grands chantiers de Bertrand Delanoë… quitte à

provoquer même quelques fissures au sein de la majorité et de nouvelles tensions en vue des

prochaines municipales. «Il ne faut pas en rajouter non plus» estime pour sa part Pascale

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Boistard, «les relations entre les Verts et le PS à Paris ne sont pas pareilles qu’à Lyon où ils

ne sont pas partenaires mais adversaires au quotidien.106

»

106

Partenaires comme à Paris depuis 2001, le conflit opposant les écologistes et les socialistes lyonnais est particulièrement violent. Dernière illustration en date lors des élections législatives 2012 : bien que ne se présentant pas personnellement, le Maire de Lyon a défendu corps et âme le dissident Thierry Braillard, face au candidat soutenu officiellement par le PS et EE-LV, Philippe Meirieu.

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III Enjeux géopolitiques des élections municipales 2014

A) La Mairie de Paris, au cœur des stratégies politiques

1) Paris, un territoire plus que convoité

nvesti le 15 mai 2012 à 10h, le Président de la République nouvellement élu François

Hollande se rendait à l'Hôtel de Ville à 15h, avant de rendre visite à la chancelière

allemande Angela Merkel en pleine crise de la zone euro. Preuve s’il en fallait une, que

la Mairie de Paris tient un rôle particulier dans la vie politique française, preuve également,

que les apparences sont parfois trompeuses : avec sa superficie de 105 kilomètres carrés, la

ville de Paris apparaît bien ridicule face aux 1.500 de Londres voire même aux 240 de

Marseille. C’est même le plus petit département de France ! Mais attention, l’étroitesse

administrative de cet Ovni institutionnel –à la fois commune et département– ne doit pas faire

oublier toute la grandeur et toute la puissance qui sied à la capitale française. Et ce depuis déjà

plusieurs siècles. Carrefour entre différents itinéraires commerciaux qu’ils soient terrestres ou

fluviaux, la cité de Paris a épousé son destin national dès le début du 5ème siècle, en

accueillant sous Clovis, les principaux organes de pouvoirs du royaume des Francs. Tout au

long du Moyen-âge, de la Renaissance puis de notre époque la plus contemporaine,

l’importance économique et politique de la capitale n’aura de cesse de croître, s’inscrivant au

cœur des principaux évènements qui marquèrent l’histoire de notre pays. Au point même de

donner la réputation aux Parisiens –à force d’avoir été les déclencheurs de La Fronde, la

Révolution française, la Commune ou encore les manifestations du Front populaire et Mai 68

- d’être un peuple libre et rebelle.

Cette proximité entre l’histoire de Paris et le rayonnement culturel de la France se rappelle à

tous, ne serait-ce que par sa richesse architecturale, sa concentration de monuments – de la

cathédrale Notre-Dame au Trocadéro, en passant par le Sacré-Cœur perché sur la butte de

Montmartre et la Tour Montparnasse – qui lui confèrent ce style unique. Aujourd’hui encore

capitale mondiale de la gastronomie, de la mode ou encore du luxe, Paris dispose de plus de

150 musées ainsi que de nombreuses salles de concerts, de spectacles et d’opéras éparpillés

dans des quartiers mondialement célèbres comme la Bastille ou les Champs-Elysées. Le

temps des Lumières a beau être révolu, Paris avec les pavés de son quartier latin et ses

I

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nombreuses facultés reste un grand centre intellectuel : attirant près d’un quart des étudiants

français, cette attractivité jamais démentie lui permet d’occuper le rang de première ville

universitaire d’Europe. Pour décrire cette ville, l’écrivain Jean Giraudoux avait ces mots :

«j’ai sous les yeux les 5.000 hectares au monde où il a été le plus pensé, le plus parlé, le plus

écrit ; le carrefour de la planète qui a été le plus libre, le plus élégant, le moins hypocrite.»

Dans notre monde plus contemporain, la capitale bénéficie également de nombreux atouts.

Comptant à elle-seule plus de 2,2 millions d’habitants, la ville de Paris se trouve être le centre

névralgique de la région Ile-de-France, territoire français le mieux inséré dans la

mondialisation et réunissant 18% de la population nationale. Une telle situation lui permet de

s’inscrire au cœur d’infrastructures performantes : sa plateforme ferroviaire d’exception - plus

de 2.000 kilomètres de voies de métro, RER et Transilien avec 7 gares TGV qui en font la

plus grande d’Europe - s’ajoute notamment à trois aéroports internationaux et à un réseau

automobile107

conséquent. Ces différentes positions sont des atouts non négligeables pour une

ville assumant le rôle de capitale d’un pays tel que la France, elles lui assurent l’accessibilité,

la mobilité et donc l’attractivité nécessaires à toute métropole. Et cela semble fonctionner,

puisque la capitale accueille pas moins de 14 des 20 premières firmes françaises et 15 des 50

plus grosses multinationales, regroupées dans le centre de Paris ou au sein du quartier de

Paris-La Défense, deuxième pôle financier européen derrière la fameuse City de Londres,

seule autre métropole européenne pouvant se targuer du statut de «ville-mondiale».

Traduction concrète : Paris n’est pas seulement le moteur de l’économie francilienne, il est

aussi le principal poumon économique du pays. Avec un PIB de 552 milliards d’euros réalisés

sur l’année 2009, la région Ile-de-France produit près d’un tiers de la richesse française, et

quasiment autant qu’un Etat comme les Pays-Bas.

Pour autant, la thèse du déclin de la France réinterrogeant la place de notre pays dans le

monde rejaillit automatiquement avec beaucoup plus de vigueur sur la capitale, par définition

fer de lance national. Pour le géographe Guy Burgel108

, Paris serait le «laboratoire des risques

et des chances pour notre pays, à l’ère de la mondialisation.» Inquiétant puisque, selon

l’économiste et journaliste Eric Le Boucher, «aucune région-capitale au monde ne perd ses

emplois comme celle de Paris, aveuglée par son passé brillant, anémiée faute de s’inscrire

107

Le réseau automobile parisien et francilien est notamment composé du boulevard des maréchaux, du

boulevard périphérique, de la francilienne et du réseau autoroutier. 108

Guy Burgel est l’auteur de l’ouvrage «Paris meurt-il ?»

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résolument dans la compétition mondiale des métropoles du XXIème siècle.» Vitrine de

l’image que l’on se fait de la France, le contrôle de la Mairie de Paris est un enjeu

géopolitique majeur ne se réduisant pas aux traditionnelles échelles des collectivités locales,

qu’elles soient municipales, départementales ou régionales. Paris est bel et bien un territoire

national, au centre d’initiatives culturelles et économiques, capables d’interpeller le monde

entier, avec ce que cela implique comme nouveaux enjeux et nouveaux défis au XXIème

siècle.

Que ce soit par son histoire, sa suprématie, son poids ou encore par les défis auxquels elle doit

aujourd’hui répondre au nom de la France, Paris est un territoire stratégique. Mais le statut

particulier de la capitale, sa «rente de situation» qui en fait la ville la plus peuplée, la plus

puissante et la plus riche de France suscite en retour quelques désagréments. A commencer

par le fait qu’elle soit fortement jalousée, aussi bien aujourd’hui qu’hier. Déjà à l’époque de la

Révolution française, les Jacobins et les Girondins ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur

l’organisation du territoire - République unitaire ou décentralisation départementale ?-

donnant naissance à l’opposition entre Paris et la province. Au fur et à mesure que la

polarisation de la capitale s’accentuait, la province devenait un hinterland de Paris-en-France

et ne disposait plus que du rôle d’arrière-pays. Au sortir de la seconde guerre mondiale,

l’ouvrage du géographe Jean-François Gravier, «Paris et le désert français» (1947) résuma ce

sentiment d’une France déséquilibrée, entre une région-capitale dynamique et une province

belle-endormie. Malgré une réalité devenue beaucoup plus hétérogène et une province portée

par plusieurs métropoles régionales, il arrive d’entendre encore aujourd’hui des références à

cet ouvrage.

Dans la société mondialisée d’aujourd’hui, la perception négative de Paris - qui serait une

capitale prédatrice de sa province - tend à s’estomper, au point que la capitale apparaisse

comme une des principales chances du pays, comme le principal lieu d’articulation entre

l’économie et la culture française d’un côté, et l’économie et la culture mondiale de l’autre.

Un rôle plus que jamais stratégique, qui entraîne automatiquement quelques luttes et rivalités

symboliques entre l’autorité nationale et le décideur local, entre l’Elysée et le Maire de Paris,

chaque élu cherchant à imposer ses vues aux yeux du plus grand nombre. Dans cette

perspective, il est intéressant d’observer la tradition qui veut que les Présidents de la Vème

République laissent leurs empreintes sur la capitale de la France : si Sarkozy et de Gaulle

n’ont pas poussé de projets architecturaux à proprement parlé mais ont plutôt œuvré pour la

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région (Grand Paris, aéroport de Roissy), Jacques Chirac a érigé le Musée du Quai Branly,

non loin du Musée d’Orsay qu’avait choisi de réaménager pour sa part Valéry Giscard

d’Estaing. François Mitterrand avait lui lancé une série de «Grands travaux» qui ont vu naître

l’Arche de la Défense, la pyramide du Louvre ou encore l’Opéra Bastille. Tandis que Georges

Pompidou avait lui crée le centre culturel, qui porte son nom. Que nos contemporains se

rassurent, cette émulation n’a rien de nouveau puisqu’elle existait déjà entre le Roi de France

et le gouverneur de Paris, étroitement surveillé. Mais alors que la capitale était administrée

pendant la majeure partie du XXème siècle par un préfet nommé sur décret du Président de la

République, la loi du 31 décembre 1975 autorisa de nouveau l’élection du Maire de Paris. Les

lois de décentralisation suivantes au cours de la décennie 1980 finiront d’amputer l’Etat

aménageur de son rôle de décideur hégémonique, le reléguant dès lors à celui de simple

incitateur. En raison de son poids déterminant qui évoque nécessairement l’avenir de la

France, la capitale décentralisée n’est toutefois pas une collectivité aussi autonome que les

autres : l’Etat conserve la mainmise sur la RATP et prive le syndicat des transports d’Ile-de-

France (STIF) de moyens financiers, tout comme il contrôle la voierie, compétence gérée par

la Préfecture de Police. «Très franchement, je ne pense pas que Bertrand Delanoë se réveille

tous les jours avec une sensation de manque née du fait qu’il n’ait pas la possibilité de fixer le

prix des amendes ou de déterminer les horaires de stationnement» confie un adjoint au Maire.

Quoi qu’il en soit, il n’est pas rare que quelques conflits éclatent encore aujourd’hui entre les

deux détenteurs des principaux pouvoirs de France. La gouvernance du Maire de Paris a ainsi

récemment été contestée par le Premier ministre sur le dossier des voies sur berges, dont

l’Etat est propriétaire. Avec les futures échéances électorales en toile de fond, le bras de fer

était monté d’un cran en janvier 2012. Alors qu’un des projets phares de la seconde

mandature de Bertrand Delanoë est la piétonisation des quais de la rive gauche entre le Pont

Royal et celui de l’Alma (2,3 kilomètres), François Fillon l’a prévenu que l’Etat n’entendait

pas signer le document autorisant ce réaménagement, du fait de «manquements» et de

«défauts» révélés par une commission d’enquête à l’automne dernier. Propriétaire des berges

via l’établissement public du Port autonome de Paris qu’il contrôle, l’Etat a théoriquement le

droit de s’opposer à cette initiative municipale. Mais dans la pratique, cela passe mal : le

Maire de Paris réaffirme que «les élus choisis par les Parisiens sont pleinement légitimes

pour décider de l’aménagement de leur ville», tandis que son adjoint en charge du

développement durable Denis Baupin dénonce un réflexe jacobin démontrant que «Paris est

un îlot où la démocratie ne vit qu’à moitié.» Le député (PS) de Paris et candidat à la Mairie de

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Paris en 2014 Jean-Marie Le Guen demande pour sa part de «cesser de considérer que l’Etat

a un droit de cuissage sur Paris. François Fillon a une vision proconsulaire de la manière de

gouverner la capitale.»

D’autre part, les évolutions actuelles de l’économie mondiale et de la société française

remettent en question la place de Paris dans le classement des villes Alpha (de niveau

mondial). Alors que la contribution de l’Ile-de-France à la croissance française recule, Paris

enregistre elle-même un moindre développement économique que sa banlieue, et risque vite

de se faire reléguer dans un climat de concurrence exacerbée entre métropoles mondiales. Si

la capitale mondiale du tourisme – qui jouit de la meilleure réputation du monde selon l’étude

du City Brand Index – ne veut pas devenir définitivement une ville-musée, Paris se

retrouverait dans l’obligation d’impulser une politique dynamique pour son territoire et ses

alentours. Bénéficiant d’un statut unique – à la fois ville et conseil général – lui octroyant des

compétences supplémentaires (action sociale, développement local) par rapport à d’autres

municipalités, l’avenir de la capitale française ne peut dorénavant plus s’écrire seul. Une

nécessité accentuée à la fin des années 80 par les lois Deferre, qui ont fait de Paris…

également la capitale d’Ile-de-France, une région dynamique manquant toutefois de cohérence

territoriale : Paris intra-muros est toujours le fer de lance de l’économie nationale mais n’est

plus un territoire isolé. Plus grande municipalité de cette région, l’influence de la ville de

Paris dans la vie politique francilienne lui confère un rôle particulier. Elle tend désormais à

s’homogénéiser avec les départements voisins de la première couronne, afin de renforcer son

rôle national mais surtout son assise internationale. L’enjeu géopolitique est considérable et

fait naître des rivalités hyper-locales dans un contexte de concurrence nationale et mondiale.

Car il faut savoir que l’idée de faire grandir Paris, principal atout de la France, ne date pas

d’hier. Dès 1929, le professeur Albert Guérard posait la question alors farfelue de la

métropolisation de la capitale française : «l’avenir de Paris ne saurait être le Paris que l’on

persiste à nommer intra-muros.» Si une grande majorité s’accorde aujourd’hui sur cette

nécessité de réorganiser le territoire parisien, les rivalités et l’enchevêtrement d’intérêts

locaux permettent de douter du futur espace métropolitain. Le sénateur de Seine-Saint-Denis

et par ailleurs secrétaire national de l’UMP en charge de la gouvernance du Grand Paris,

Philippe Dallier, reconnaissait qu’«à gauche comme à droite, ceux qui ont du pouvoir ne

veulent rien lâcher et ceux qui ont de l’argent ne sont pas enclins à le redistribuer.» La

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récente montée en puissance d’intercommunalités aux alentours de Paris fait craindre en

parallèle un éclatement du territoire métropolitain.

Pour un tas de raisons et d’enjeux, la ville de Paris attise donc les ambitions et nourrit des

rancunes à diverses échelles. Comme tout territoire de pouvoir, elle ne fait pas uniquement

rêver les touristes. Bien que son rôle soit progressivement remis en cause, l’ensemble des

personnalités et partis politiques implantés localement ne s’y trompent pas : Paris reste à

l’heure d’aujourd’hui une capitale mondiale au cœur d’un territoire d’exception, plus riche et

plus peuplé que la majeure partie des collectivités territoriales françaises. Sans compter son

prestige et son poids politique, lui non plus sans commune mesure avec ce que peuvent

connaître d’autres élus locaux. Le Maire de Paris gouverne la capitale de la France : il a la

charge, entre autres, de gérer des quartiers aussi emblématiques que le «cluster institutionnel»

regroupant en l’espace de six kilomètres tout le pouvoir centralisé de l’Etat jacobin, à savoir

les deux chambres parlementaires, l’Elysée, Matignon, la grosse majorité des ministères et de

nombreuses ambassades.

L’enjeu financier qui a trait au contrôle de l’Hôtel de Ville de Paris n’est pas moins alléchant.

Malgré la réforme de la taxe professionnelle et le gel des dotations de l’Etat, la concentration

de sièges sociaux et la prédominance des ménages aisés payant de lourds impôts contribuent à

offrir à la Mairie de Paris109

d’importantes recettes fiscales. En termes politiques, cela signifie

un large budget de fonctionnement, et donc de multiples possibilités d’investissements et des

marges de manœuvres non négligeables. Pour l’année 2012, le Conseil de Paris a par exemple

voté un budget de 7,9 milliards d’euros, soit plus d’onze fois celui de la Mairie de Lyon, ou

encore la somme des enveloppes allouées110

aux Ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de

l’Alimentation, du Ministère de la Culture et du Ministère des Sports, de la Jeunesse et de la

vie associative réunis… La Mairie de Paris est une collectivité hors-normes. A la fois

municipalité et Conseil général, l’Hôtel de Ville de Paris contrôle un territoire abritant une

importante densité de postes électifs : 18 postes de députés sont en jeu aux élections

législatives (sur 577), 12 sénateurs (sur 348) de la capitale siègent à la Chambre Haute, 41

élus parisiens (sur 209) sont envoyés au Conseil régional d’Ile-de-France, 163 Conseillers de

Paris et 354 Conseillers d’arrondissements sont élus en fonction des résultats des élections

municipales, sans oublier les 20 postes de Maires d’arrondissement. De quoi aiguiser l’intérêt

109

Qui perçoit également la taxe d’habitations et d’autres redevances 110

Crédits de paiement du budget de l’Etat en 2010

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de l’ensemble des forces politiques, qui voient dans la domination de la municipalité un

moyen d’augmenter leurs chances d’occuper ces positions de pouvoirs. Mais qui dit lieu

privilégié pour mener des carrières politiques dit aussi rivalités et luttes féroces.

Dans la capitale, les conflits politiques sont exacerbés. Nichée à la place de l’ancienne salle

du Trône, le Conseil de Paris accueille chaque mois 163 conseillers de Paris déchaînés, dans

une ambiance souvent houleuse : «Ici, les logiques politiques sont beaucoup plus prégnantes

que dans d’autres grandes villes ou en province. Le contexte national se ressent davantage,

chacun est arque-bouté sur ses postures et ses clivages idéologiques et ne veut rien lâcher.

Les désaccords sont mis sur la place publique, pour jouer le rapport de forces dans la presse

et dans l’opinion. C’est ce que font les Verts et nous désormais, le Conseil de Paris est un lieu

où on fait véritablement de la politique, et pas de la simple gestion administrative de l’intérêt

général» explique Ian Brossat, président du groupe communiste. Un climat très politique

digne des joutes de l’Assemblée nationale, qui se ressent également en période électorale :

l’approche de scrutins rend souvent la situation électrique dans la capitale, les élections

municipales aiguisent appétits individuels et guerres fratricides, et amplifient tous les

sentiments humains et ressentiments politiques. «Tous les candidats se préparent à livrer une

guerre souvent bien éloignés des nobles enjeux d’une campagne traditionnelle» commente le

réalisateur Yves Jeuland, dans son documentaire Paris à tout prix. Et cela dès la première

élection du Maire de Paris en 1977, où le patron du RPR Jacques Chirac s’était fait élire au

détriment du Maire centriste de Deauville, Michel d’Ornano, pourtant candidat parachuté par

Valéry Giscard d’Estaing et l’Elysée. En 2001, le candidat officiellement investi par le RPR

Philippe Séguin faisait campagne en évoquant la reconquête de Paris alors que la capitale était

gérée par la droite depuis vingt-quatre ans, réclamant une rupture, dénonçant l’absence de

culture démocratique, la politisation de la haute-administration, etc…

Les élections municipales de 2014 risquent d’être tout autant mouvementées : sans prime au

sortant du fait de la non-reconduction annoncée de Bertrand Delanoë, l’ensemble des

candidats devraient jouer leur va-tout. Dans la perspective de ce scrutin municipal

relativement ouvert, les élections législatives où tout semblait joué d’avance au niveau du

rapport de forces gauche / droite ont servi de préparation interne… et de déclarations

d’intentions pré-electorales. La droite s’est durement affrontée au niveau des investitures, sur

fond de renouvellement, de parité et de parachutages en vue des municipales : le d’habitude si

pondéré François Fillon a dû faire preuve d’autorité face à la maire du 7ème

arrondissement

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Rachida Dati, pour s’implanter sur la rive gauche parisienne. L’arrivée de la «plébéienne»

Cécile Duflot, dans l’est parisien si pourvu en conseillers de Paris et donc stratégique pour le

scrutin de 2014, n’a pas fait moins de vagues à gauche, provoquant l’ire de la première

adjointe du Maire de Paris Anne Hidalgo.

2) Une super-institution au service d’ambitions nationales

our le landerneau politique, l’Hôtel de Ville de Paris a bien d’autres intérêts que ses

15.000 mètres carrés et sept kilomètres de couloirs nichés sous les ors de la

République. Son prestige offre la possibilité pour le Maire de Paris de s’inscrire dans

une lignée hautement symbolique : c’est ici que Louis XVI y reçut la cocarde tricolore des

mains du premier magistrat de la ville, Jean-Sébastien Bailly, le 17 juillet 1789, donnant ainsi

naissance au drapeau français, associant encore aujourd’hui le blanc des Bourbons au bleu et

au rouge de Paris. C’est à l’Hôtel de Ville également que les Parisiens proclamèrent la

naissance de la République le 4 septembre 1870. Six mois plus tard en mars 1871, c’est

encore dans ce lieu mythique qu’une partie des habitants de la capitale, révoltés, décidèrent de

fonder la Commune puis propagèrent le feu à l’Hôtel de Ville, pour répondre à la sanglante

répression du gouvernement réfugié à Versailles…

Ce palais chargé d’histoire pourrait expliquer la notoriété des candidats pressentis ces

dernières années à ce poste prestigieux, que ce soit Dominique Strauss-Kahn ou Jack Lang à

gauche ou les anciens Premiers ministres Edouard Balladur et François Fillon, mais aussi

Jean-Louis Borloo à droite : aucun d’entre eux n’a jamais affiché la moindre ambition pour la

présidence du Conseil régional d’Ile-de-France. A croire qu’assurer le développement de la

région francilienne et le développement de la métropole parisienne les intéresse moins que

contrôler un territoire de 2,2 millions d’habitants disposant d’un budget de plus de 7 milliards

d’euros… Nul n’a oublié que c’est de la capitale que Jacques Chirac a pu mener son destin

national le menant à l’Elysée de 1995 à 2007. «Le Maire de Paris a plus de pouvoirs que le

Président de la République sur un territoire plus que stratégique : la capitale de la France.

Sauf qu’en plus, il n’a pas de Ministres et n’a pas besoin de déléguer ! C’est un poste

merveilleux pour tout animal politique» raisonne le journaliste d’investigation Dominique

Foing. Le fidèle adjoint de Bertrand Delanoë aujourd’hui président du groupe PS au Conseil

de Paris, Jean-Pierre Caffet, l’admet : «pour être honnête, si Paris suscite autant d’ambitions

P

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politiques, c’est uniquement du fait que dans l’esprit de nombreuses personnalités politiques,

la Mairie de Paris représente un raccourci pour accéder à l’Elysée. La seule exception que

l’on a eu depuis 1977, c’est Jean Tibéri ...» rappelle-t-il sournoisement.

Encore aujourd’hui, être à la tête de l’Hôtel de Ville de Paris revient à diriger un nœud

structurant de la vie politique française. Ne serait-ce qu’y occuper des fonctions d’Adjoints

confère déjà une responsabilité particulière, comme l’atteste le porte-drapeau des Verts en

2001, Yves Contassot : «après notre élection, je me suis retrouvé avec une délégation

incluant 10% du budget municipal et avec 11.000 personnes sous mes ordres, soit plus

important encore que le Ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire que

gérait à l’époque Dominique Voynet» analyse-t-il, «alors le poste de Maire, je ne vous fais

pas un dessin…» Si la bataille pour la Mairie de Paris suscite autant de convoitises, c’est

parce qu’occuper cette position de pouvoir unique dans le paysage politique français fait de

vous un homme puissant.

Une fois élu, le Maire a par exemple la main sur un appareil administratif de 51.014

salariés111

issus de la fonction publique d’Etat ainsi que de la fonction publique territoriale–

en cela plus comparable à certains Ministères qu’à une traditionnelle collectivité territoriale, si

grande soit elle. C’est également lui qui contrôle les nominations dans de nombreux

organismes affiliés, des sociétés d’économie mixte, des organismes HLM ainsi que les

subventions versées aux associations. Il dispose généralement d’une influence non

négligeable au niveau des investitures parisiennes de son parti, ce qui lui permet de lancer et

faire vivre bien des carrières : ce pouvoir est un véritable atout pour se construire un réseau

politique loyal. A en croire plusieurs conseillers de Paris rencontrés au cours de cette enquête,

l’Hôtel de Ville de Paris serait un château où règnerait encore l’esprit de cour, faisant appel à

l’ensemble des sentiments humains - la fidélité, la loyauté, la trahison, la lâcheté- : «Bertrand

Delanoë, comme les précédents Maires de Paris à leur époque, est un monocrate entouré de

vassaux» qui cherchent à tout prix à se faire remarquer, à lui plaire ou à l’influencer. Le Maire

de Paris a su construire son propre système géopolitique, en conquérant de nouveaux postes

électifs lors des élections législatives (2002, 2007, 2012) malgré un contexte national difficile

pour la gauche. Il a également su «placer» ses hommes dans les principales positions de

pouvoir de la municipalité – que ce soit son fidèle Jean-Pierre Caffet à la tête du groupe

111

Chiffre issu du bilan social 2010

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

112

socialiste au Conseil de Paris ou le jeune Rémi Féraud qui lui a fait allégeance à la fédération

PS de Paris – afin d’éviter au maximum les contestations et ainsi asseoir son leadership sur

l’ensemble du territoire parisien. Au niveau régional, son syndicat mixte Paris Métropole

(anciennement la Conférence métropolitaine) ne cesse de prendre de l’importance et pourrait

jouer un rôle non négligeable à la veille de la métropolisation et de l’acte 3 de la

décentralisation. Preuve de son pouvoir considérable qui le fait craindre auprès d’autres élus :

la façon dont il aurait imposé à un Jean-Paul Huchon silencieux sa première adjointe Anne

Hidalgo, en tant que tête de liste dans la capitale aux élections régionales 2010. La favorite et

numéro 1 annoncée du président sortant du Conseil régional d’Ile-de-France, Marie-Pierre de

la Gontrie, jusqu’ici vice-Présidente de l’assemblée régionale, a été reléguée en troisième

position.

Un mandat à l’Hôtel de Ville de Paris est clairement un avantage pour la suite d’une carrière

politique nationale. Hérité de l’Ancien Régime et réactualisé voici une vingtaine d’années, le

protocole républicain reconnaît la grandeur du Maire de Paris. Ce document fixe le les us et

coutumes du pouvoir en France. Toutes les autorités exerçant une fonction publique – du Pape

aux ambassadeurs – doivent prendre place dans les cérémonies publiques, préséances et autres

honneurs civils et militaires, dans un ordre déterminé par leur rang. Au premier chef, le

Président de la République Française, suivi de son Premier ministre bien entendu, puis le

président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale. Du fait de la centralité et de la

concentration des pouvoirs à Paris, le Maire de Paris occupe la 21ème

position nationale,

derrière le Président du Conseil constitutionnel mais devant le président du Conseil régional

d’Ile-de-France, les parlementaires européens ou les Hauts-commissaires. Même le Préfet de

police de Paris est devant le Directeur général de la Police Nationale…

Au-delà d’organiser les voyages officiels de l’exécutif français, le protocole républicain sert

également de base pour élaborer le programme des visites des hôtes de la France. Durant leurs

séjours, tous les chefs d’Etat étrangers en visite d’Etat ou en visite officielle font étape à

l’Hôtel de Ville de Paris, où ils sont reçus par le Maire pour une réception ou un déjeuner. Le

premier édile de la capitale ne fait pas que recevoir les grands de ce monde, il voyage à son

tour et est invité dans les plus grandes capitales du globe. De quoi le faire passer dans un autre

monde et assurer à cet élu local pas comme les autres une stature d’homme d’Etat. Pas de

doute pour Nicolas Vignolles, assistant parlementaire de l’ambitieux Jean-Marie Le Guen, «le

poste de Maire de Paris est incontestablement un tremplin politique, il vous donne un certain

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

113

pouvoir en France mais aussi un certain poids à l’international. La capitale est une ville

encore très jacobine, c’est le lieu de tous les pouvoirs. Le Maire de Paris gère autant voire

plus d’agents que la Commission européenne et son rang protocolaire est quasi-équivalent à

celui d’un Ministre» développe-t-il.

Les évènements de la politique municipale trouvent généralement un écho bien au-delà du

périphérique : dans un pays largement centralisé, la capitale concentre la majorité des

pouvoirs… et des médias. Tout ce qui se passe à Paris est relayé, commenté dans les journaux

et sur les chaînes de télévision. Avant que la crise de la presse et la crise économique ne les

frappe brutalement, les différents quotidiens disposaient tous d’un correspondant accrédité à

l’Hôtel de Ville, comme ils en ont habituellement dans les institutions nationales. Une

couverture médiatique qui permet au Maire et aux Conseillers de Paris de profiter d’une

visibilité dont ne dispose pas la majorité des 925 parlementaires et encore moins les élus

locaux de province. Les élections municipales parisiennes – et la vie politique de la capitale

en général - sont incontestablement celles les plus médiatisées. Dans le tableau de bord Paris-

Match de juin 2012, le Président de la République François Hollande occupe la deuxième

place avec 69% d’opinions favorables… derrière le Maire de Paris, Bertrand Delanoë qui

recueille 72% d’avis positifs. Jusqu’à la récente séquence électorale, la dernière place du

podium était occupée par l’ancien Président et l’ancien Maire de la capitale, Jacques Chirac.

Comme le démontre ce baromètre publié régulièrement, la proximité entre l’Elysée et l’Hôtel

de Ville de Paris sont encore très proches. Avec plus de 2 millions d’habitants dont plus d’un

million d’électeurs, la ville de Paris est d’ailleurs un terrain que tout candidat à la magistrature

suprême doit arpenter. Tout comme l’Ile-de-France, qui compte sept millions d’électeurs soit

plus de 15% du corps électoral français : tous les candidats élus depuis 1965 sont arrivés en

tête dans la région francilienne.

De 1975 à la fin des années 1980, les lois relatives à la décentralisation de Paris se sont

succédées au point de doter le Maire de la capitale d’une autonomie quasi-comparable à celle

d’une ville de province, lui permettant dès lors de retrouver son prestige d’antan et une grande

visibilité. Le premier édile Jacques Chirac, en poste depuis 1977, en profita pleinement : les

électeurs parisiens s’offrant à lui pendant plus de vingt ans, la capitale fût rapidement

représentée comme le laboratoire politique du patron du RPR. Il a transformé l’Hôtel de Ville

de Paris en un véritable outil politique, une «machine de guerre présidentielle» lui permettant

de rebondir après deux défaites à l’élection présidentielle (1981, 1988). A Paris, il amplifiait

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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son score de premier tour de 7 à 9%. Au-delà de priver la gauche de leurs postes

habituellement acquis de l’est parisien, son grand chelem de 1988 où il arriva en tête dans les

vingt arrondissements de la capitale, fût surtout le moyen de communiquer sur l’image

consensuelle d’un Maire de «tous les parisiens», des quartiers bourgeois aux territoires plus

populaires. Pour lui, la gestion municipale et la conquête de l’Elysée ne faisait qu’un. «Après

s’être bâti son réseau et réorganisé l’Hôtel de Ville autour de son dessein personnel, il a su se

construire une image de rassembleur, utilisée par exemple au cours des législatives de 1986

avec le slogan «Ce qu’il a fait pour Paris, il le fera pour la France» qu’il a par la suite

utilisée pour se vendre au pays tout entier» se souvient le journaliste d’investigation,

Dominique Foing. Une fois son entrée à l’Elysée entérinée, des premières fissures firent

immédiatement leurs apparitions dans la maison tenue par le RPR de la capitale depuis plus

de vingt ans. «Depuis cette époque-là, les Maires de Paris peuvent raisonnablement rêver à

leur tour d’un grand destin national» explique-t-il. Bénéficiant de l’état de grâce pendant les

quatre premières années idylliques de son mandat, l’actuel Maire de Paris Bertrand Delanoë a

lui aussi longtemps cru en son destin présidentiel.

Originaire de Tunisie et élevé dans le Larzac, le jeune Bertrand Delanoë «monta» à Paris dès

la fin de ses études, en 1974. Formé dans la pépinière du Parti Socialiste, il se fait rapidement

débaucher de son emploi de commercial chez Bitumes spéciaux pour intégrer Solférino où il

deviendra permanent, poste qu’il occupera pendant plus de dix ans. Dans le sillage de son

mentor, Lionel Jospin, il grimpa petit à petit dans l’organigramme du parti : porte-parole en

1981 alors qu’il n’a même pas trente ans, il devient numéro trois du parti en 1983 et pilote les

fédérations. Ayant autorité sur l’ensemble des investitures du PS et ne se voyant plus aucun

avenir à Paris qui se donnait corps et âme à Jacques Chirac, le jeune apparatchik en profita

pour se parachuter en 1986 à Avignon… où la greffe ne prit pas avec les notables locaux.

Lionel Jospin et François Mitterrand lui proposèrent d’autres circonscriptions mais

profondément marqué par cet échec, Bertrand Delanoë refusera. Après avoir démissionné du

PS tout en conservant un matelas électoral local, en l’occurrence son poste de Conseiller de

Paris qu’il est parvenu à conserver depuis 1977, il devient apporteur d’affaires pour le

publicitaire Daniel Robert. Le futur Maire de Paris profite alors de son carnet d’adresses pour

séduire des clients proches du pouvoir socialiste, comme les entreprises publiques Framatome

ou Thomson mais aussi le Ministre de l’Economie et des Finances et la Mairie de Nevers, du

temps de Pierre Bérégovoy. En parallèle, il vend des séances de media-training aux grands

patrons et aux personnalités politiques.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

115

Mais décidément, la chose publique tenaille Bertrand Delanoë. Il fait discrètement son retour

en 1993 en prenant la tête de l’opposition au Conseil de Paris, dans l’indifférence générale.

Objectif ? Démontrer que Paris n’est pas la citadelle imprenable que les éléphants du PS et les

barons socialistes de l’est parisien imaginent. Tête de liste en 1995, cet ambitieux animal

politique empêche un nouveau grand chelem de Jacques Chirac et remporte même six mairies

d’arrondissement. Quatre ans plus tard, il publie un livre-programme intitulé «L’honneur de

Paris» où il épingle le clientélisme du clan tibériste et critique leur vision du tout-voiture :

sentant les aspirations des Parisiens évoluer, son vocabulaire s’enrichit de mots tels que

développement durable, tri sélectif ou économie responsable ! Bertrand Delanoë comprend

que les socialistes ne conquerront pas Paris en déroulant l’argumentaire traditionnel socio-

démocrate. Alors que seulement 6% des Parisiens le connaissaient avant qu’il ne lance sa

campagne, il est élu Maire de Paris le 18 mars 2001. Il tient sa revanche et se refait une

seconde jeunesse au sein du Parti Socialiste : son ami Lionel Jospin le réclame à ses côtés

pour mener campagne en province en 2002. Par opposition au système Chirac, il se construit

une image d’homme politique honnête et connaissant parfaitement ses dossiers dont il

récoltera les fruits sur le long-terme.

Son opération «Paris-Plage», qui consiste à transformer les quais de la capitale en station

balnéaire, est un succès copié dans différentes villes comme Prague, Berlin ou Bruxelles. Les

télévisions du monde entier sont intriguées par le premier édile de «Paris-sur-mer.» La Nuit

Blanche est tout autant reprise, et s’exporte jusqu’à Montréal et Schangaï. Fort de ses

réussites, il s’imagine aussitôt un destin présidentiable. Dans un entretien accordé en

septembre 2004 à Paris-Match, il annonce que «deux mandats à la tête de la Mairie de Paris

seraient un grand maximum.» Quelques lignes plus bas, il confie dans une prophétie qu’il

espère auto-réalisatrice croire les Français «capables d’élire un Président de la République

homosexuel.» Mais alors qu’il s’apprêtait à dévoiler ses ambitions en juillet 2005 pour

l’élection présidentielle du printemps 2007, la candidature de Paris, pourtant grande favorite

pour l’organisation des Jeux Olympiques 2012, ne fût pas retenue. Ravisé par cet échec et

constatant quelques mois plus tard que les élections municipales avaient été repoussées d’un

an, il ne daigna même pas prendre part aux primaires socialistes où une défaite aurait pu, par

ricochet, le gêner en vue de sa réélection à la Mairie de Paris. Il fit timidement campagne pour

la candidate investie par le Parti Socialiste, Ségolène Royal, en participant à une vingtaine de

meetings aux quatre coins de la France. Un moyen, pensait-il secrètement, d’élargir son

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audience et de séduire au-delà du périphérique parisien. Incontestablement, il se voyait déjà

dans la course à l’Elysée pour 2012. Le journaliste du Journal du Dimanche Bertrand Gréco

révèle même que le nom du site internet «www.delanoe2012.fr» aurait été déposé via la

société d’hébergement OVH… le 30 janvier 2007, le même jour que son site officiel

«www.bertranddelanoe.net».

Après l’échec de Ségolène Royal à la magistrature suprême, Bertrand Delanoë compte utiliser

au mieux le tremplin «chiraquien» de Maire de Paris. Au cours de l’université d’été du Parti

Socialiste organisée à la Rochelle en 2007, il se vend comme l’homme providentiel.

Préalablement, il avait informé les journalistes de ses ambitions élyséennes, évoquant sa

stratégie d’être sacré au prochain congrès de Reims puis d’en tirer la légitimité pour s’imposer

comme le candidat naturel. Entre temps, Bertrand Delanoë fût réélu sans frayeur et ancra

encore un peu Paris comme une ville de gauche. «Contrairement à Gérard Collomb qui est

obnubilé par sa ville de Lyon, la grande affaire de Bertrand n’a jamais été Paris. Très vite, le

terrain de jeu de la capitale est devenu trop petit pour lui. Sa passion a toujours été la

politique, au sens de la conquête du pouvoir et non de la gestion des problèmes quotidiens»

confie Christophe Caresche, son ancien assistant parlementaire et aujourd’hui député de Paris.

Recevant tour à tour le soutien du premier secrétaire de l’époque François Hollande mais

aussi des anciens Premiers ministres Michel Rocard et Lionel Jospin, Bertrand Delanoë se

voit conforté dans les sondages qui lui confère le statut de favori. Homme pressé par son

ambition débordante, il va sauter une étape en publiant en mai 2008 son livre-campagne «De

l’audace», amené à servir aussi bien à la conquête de Solférino qu’à la lointaine élection

présidentielle. Erreur, s’il en est. Avant de tenter de recueillir les suffrages du peuple français,

le Maire de Paris aurait dû s’efforcer à convaincre les militants socialistes. Un extrait de son

livre où il explique que «le libéralisme est d’abord une philosophie politique et j’y adhère. Je

suis donc libéral ET socialiste» fera polémique, alors que les clignotants de l’économie

mondiale étaient au rouge durant l’été 2008. Par ailleurs, Bertrand Delanoë n’a pas su se

constituer un véritable réseau national pour préparer ce congrès de Reims : c’est tout juste s’il

pouvait compter sur les anciens jospinistes plus ou moins orphelins tels que Jean Glavany,

Harlem Désir ou Elisabeth Guiguou. Malgré un fort rejet des cadres du parti, Ségolène Royal

arriva en tête au premier tour, devant le Maire de Paris. Alors qu’il fallait trouver une majorité

alternative entre les motions arrivées derrière pour barrer la route à l’ex-candidate à l’élection

présidentielle, Bertrand Delanoë se découvrit nombre d’ennemis, de Dominique Strauss-Kahn

à Laurent Fabius… en passant par Martine Aubry qui s’imposera finalement et enfilera

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ensuite le costume de Première secrétaire du PS, tandis que Bertrand Delanoë rentra dépité à

Paris. Selon Le Point112

, Laurent Fabius lui aurait confié peu après : «A Reims, plus que

Ségolène, c'est toi qu'on voulait écarter.»

B) Vers un duel interne à la majorité municipale ?

1) Socialistes et écologistes affûtent leurs armes en vue de 2014

l l’avait laissé entrevoir dès septembre 2004, fait campagne dessus en 2008 et encore

réaffirmé cet automne : Bertrand Delanoë ne veut pas donner l’impression de

s’accrocher à son poste et ne briguera donc pas de troisième mandat en 2014. Plusieurs

de ses proches lui ont demandé de réfléchir de nouveau à cette hypothèse, mais lui a pris sa

décision définitive. Il prépare même sa succession depuis déjà plusieurs années…

Si la préparation des élections municipales 2014 n’est pas officiellement ouverte, les

stratégies personnelles pour se faire une place sur la ligne de départ ont, elles, déjà débuté. Le

5 mai 2010, le Canard Enchaîné reproche à la «dauphine» de Bertrand Delanoë, Anne

Hidalgo, de financer son magazine de quartier «Objectif 15» avec des publicités achetées par

ses interlocuteurs en tant qu’Adjointe chargée de l’urbanisme (Bouygues, Unibail, Nexity,

Vinci, etc.) : une charge que beaucoup pensent provenir du «camp d’en face», en l’occurrence

de l’Adjoint chargé de la santé et député de Paris, Jean-Marie Le Guen, qui se présentait

devant la presse les jours suivants avec le journal satirique dépassant ostensiblement de sa

poche… C’est un fait. Jean-Marie Le Guen et Anne Hidalgo ne s’aiment pas. Lors de

l’inauguration de l’Institut du Cerveau et de la moelle épinière au mois de septembre suivant,

les deux adjoints de Bertrand Delanoë s’étaient laissé aller à un curieux manège, se disputant

ouvertement le micro pour discourir davantage que son ou sa rival(e). Les noms de Patrick

Bloche, et dans une moindre mesure de Christophe Girard et Jean-Pierre Caffet circulent

également dans les cénacles socialistes. La dernière séquence présidentielle aurait pu mettre

sur orbite l’un ou l’autre des candidats : déjà considérée comme l’héritière officielle, la porte-

parole de Martine Aubry, Anne Hidalgo, aurait mis toutes ses chances de son côté si la Maire

de Lille était entré à l’Elysée le 15 mai dernier. Tout comme Jean-Marie Le Guen, si

112

Le spleen de Bertrand Delanoë, Le Point, 9 décembre 2010.

I

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Dominique Strauss-Kahn n’avait pas eu à affronter ses nouveaux déboires judiciaires. La

victoire finale de François Hollande ne donne l’avantage à aucun. D’autant plus que les seules

personnalités parisiennes entrées au gouvernement – Yasmina Benguigui, Georges Pau-

Langevin, Dominique Bertinotti – ne sont pas du tout engagées dans la course aux

municipales. «2014, ce sera un challenge puisque pour la première fois depuis 2001, nous

serons au pouvoir au niveau national» se félicite Rémi Féraud. Sans tomber dans un

pessimisme ambiant, les socialistes parisiens sont conscients que Paris s’est régulièrement

singularisé par rapport au pouvoir central : la capitale était communiste quand le reste du

territoire était radical ou socialiste, chiraquienne quand les Français élisaient et réélisaient le

Président Mitterrand, jusqu’à devenir rétive à l’extrême-droite alors que le lepénisme ne cesse

de gagner du terrain113

. «Ces responsabilités gouvernementales peuvent tout autant nous

aider en débloquant des chantiers comme la piétonisation des voies sur berges que nous

desservir, par exemple si le gouvernement est impopulaire : souvenez-vous des municipales

de 1983…Ma crainte, c’est que la gestion nationale soit difficile et que l’électorat de gauche

nous sanctionne par un vote Front de Gauche ou Europe Ecologie-Les Verts» anticipe

l’actuel patron de la fédération PS de Paris, Rémi Féraud.

Les différents acteurs engagés dans la succession de Bertrand Delanoë sont pour l’heure dans

le flou le plus total. Ils devraient y voir un peu plus clair à l’automne prochain, après le

Congrès du Parti Socialiste qui devrait se dérouler les 27 et 28 octobre 2012. En fonction des

résultats des différentes motions, les équilibres au sein de la fédération PS de Paris devraient

être impactés. Pour l’heure, Rémi Féraud n’a pas la majorité et est régulièrement remis en

cause, du fait de son faible poids politique face à des élus bien plus puissants que lui comme

Jean-Marie Le Guen, qui a occupé ce poste de 1993 à 2000, ou Patrick Bloche qui lui avait

succédé jusqu’en 2008. Il n’en reste que c’est le Maire de Paris, par l’intermédiaire de ces

proches depuis 2000, qui a structuré cette fédération PS de Paris et qu’un fort sentiment

légitimiste y règne encore aujourd’hui. «Elle est dévouée corps et âme au Maire et donc à

Anne Hidalgo» confie un militant pour qui «elle devrait probablement le rester : même quand

Delanoë est devenu minoritaire en 2008114

, elle est parvenue à rassembler un conglomérat

trans-courant pro-chefs, qui n’impose rien politiquement et va là où le vent souffle.» «Le jeu

n’est pas encore clair. Nous ne connaîtrons les modalités de désignation du ou de la

candidat(e) parisien(nne) qu’à la fin de l’année. D’ici là, personne mis à part les élus

113

«Paris, un enjeu capital» de Matthieu Jeanne, 2009. 114

A la suite du Congrès de Reims, en novembre 2008.

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concernés ne seront plongés dans les échéances municipales, chacun se déterminera quelques

jours avant le Congrès» explique un autre.

Le Maire de Paris veillant à ce que ses ouailles ne se déchirent pas et que sa succession

n’engendre pas de guerre fratricide a plaidé pour l’organisation d’une primaire parisienne,

tout en réaffirmant son soutien à sa première adjointe. L’idée avait initialement été évoquée…

par son ennemi, Jean-Marie Le Guen. Répétant à l’envie que «personne n’est propriétaire de

Paris, la compétition est légitime et elle aura lieu de toute façon», le baron du 13ème

arrondissement avait même émis l’idée d’ouvrir cette primaire aux écologistes, afin de

désigner un chef de file commun en vue de 2014. «Tout ce qui peut enrichir la gauche à Paris

est bienvenu, non ? Ces blocages socialistes engendrent du sectarisme, et ce n'est pas ce

qu'attendent nos électeurs» développait-il115

en visant sans la nommer Anne Hidalgo, fervente

opposante à l’arrivée de Cécile Duflot dans la capitale.

«Ce climat de divisions avant même que la guerre de succession ne soit officiellement ouverte

en inquiète plus d’un du côté socialiste, alors qu’une candidate écologiste d’envergure

nationale est pressentie pour se présenter : ils ne cachent plus leur fébrilité, de peur de devoir

à nouveau composer avec les écologistes après 2014» explique Marie-Anne Gairaud,

journaliste au Parisien. Un raisonnement qui pourrait affaiblir à terme le Parti Socialiste, selon

un militant : «le fait qu’il y ait de moins en moins de classes populaires à Paris nous pousse à

travailler d’abord avec nos alliés écologistes, plutôt que les communistes. Mais en attendant,

nous devons arrêter de paraître aussi fébriles et de craindre le rapport de forces. L’esprit

hégémonique de certains tuera le Parti Socialiste…» s’énerve-t-il, laissant entendre que la

guerre larvée entre les dissidents socialistes soutenus par Anne Hidalgo aient pu braquer une

partie de l’électorat commun entre Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les Verts. «Pour ma

part, je reste sur l’analyse de 2001, où la gauche a gagné en étant unie. Nos relations ont

toujours été conflictuelles mais tant que les écologistes ne remettent pas en cause

électoralement notre leadership parisien, il n’y a pas à s’inquiéter outre mesure. Notre

priorité devrait être l’alliance et non le conflit» plaide le député de Paris Christophe

Caresche, par ailleurs défenseur de la création d’un parti social-écologique au Congrès de

Reims en 2008. A l’entendre, la concurrence en 2014 ne viendra pas de la droite encore

divisée et toujours pas en phase avec l’évolution sociologique parisienne, mais bien de la

115

Le Monde le 25 octobre : «L’arrivée de Duflot tend les relations entre le PS et les Verts»

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gauche. «Les bons scores écologistes aux européennes et aux régionales ont été pour les

édiles socialistes parisiens un signal ! Même s’ils avaient en tête que c’étaient des scrutins

locaux qui plus est à la proportionnelle, ils ont compris que le PS était à touche-touche avec

les écologistes… Ce qui s’entend au sein du groupe socialiste aujourd’hui, c’est qu’il n’y a

plus la place pour l’hégémonie du PS comme avant, que l’écologie n’est plus une anomalie

dans notre histoire politique. Mais de là à penser qu’ils seront un jour dépassés par les

écologistes, non, ils n’y pensent pas encore» livre Anne Le Strat, ancienne élue verte siégeant

aujourd’hui comme affiliée au groupe PS. S’ils ne craignent pas de perdre leur fauteuil de

Maire, ils s’inquiètent d’une percée des Verts au Conseil de Paris ayant pour effet de rogner

les marges de manœuvre socialiste.

Première adjointe depuis le retour de la gauche aux affaires parisiennes, Anne Hidalgo a les

faveurs du Maire de Paris. Au cours de sa première mandature, Bertrand Delanoë a d’abord

entretenu une saine émulation entre plusieurs de ses proches susceptibles de lui succéder, que

ce soit son fidèle lieutenant rencontré à l’Assemblée nationale Christophe Caresche, le

député-maire du 11ème

arrondissement Patrick Bloche ou sa principale collaboratrice depuis

2001, Anne Hidalgo. Longtemps moquée au cours de la première mandature pour sa

délégation du «bureau des temps»116

dont personne n’a jamais véritablement compris l’intérêt,

elle a mis du temps à s’imposer si tant est qu’elle y est parvenue. En tant que première

adjointe, Anne Hidalgo aurait en théorie dû assurer l’intérim pendant la convalescence de

Delanoë après son agression lors de la Nuit blanche en 2002. Dans les faits, il décidait sur son

lit d’hôpital tandis que Christophe Caresche, Patrick Bloche et son directeur de cabinet

Bernard Gaudillère exécutait les ordres. Elle en a été réduite à le remplacer dans les seules

tâches de représentation. «Ca remonte à loin» la défend son conseiller Hervé Marro, «la

situation n’est plus la même aujourd’hui, elle a su imposer son leadership» feint-il de croire.

Première étape selon lui : Anne Hidalgo est la seule proche de Delanoë à suivre son patron

dans son soutien entêté à une candidature qui ne verra jamais le jour de Lionel Jospin aux

primaires socialistes de 2006, alors que les deux autres s’étaient déjà affranchis et étaient

116 Cette innovation fût présentée comme une révolution destinée à offrir à chaque habitant «du temps pour bien

vivre sa ville» : «comme dans de plus en plus de capitale progressistes comme Berlin ou Barcelone, il s’agit de

travailler à l’allongement des horaires municipaux par exemple de la crèche qui est censée fermer à 18 heures

et bloque un certain nombre de parents» explique Anne Hidalgo dans son livre, «Une femme dans l’arène». Rien

de mal à cela donc. Mais «est-ce à la première adjointe d’une des plus grandes villes du monde de s’occuper

d’une mission de proximité comme celle-ci ?» se demandent ces détracteurs.

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tombés dans les bras de Ségolène Royal. Sans leur en tenir rigueur, du moins officiellement,

le Maire de Paris sera dès lors plus reconnaissant envers sa première adjointe. Alors que

Christophe Caresche n’est même pas convié dans l’exécutif et que Patrick Bloche a été prié de

quitter la tête de la fédération de Paris et du groupe socialiste au Conseil de Paris, Anne

Hidalgo hérite en 2008 d’un portefeuille cette fois-ci stratégique - avec l’architecture et

l’urbanisme - lui permettant de piloter des dossiers aussi emblématiques que l’aménagement

des voies sur berge ou la rénovation des Halles, et ainsi de «façonner le futur visage de

Paris.» Cheffe de file du PS dans la capitale lors des élections régionales, elle arrive devant

Europe Ecologie-Les Verts au premier tour et remporte le second avec près de 58%.

Néanmoins, elle ne rassure pas ses troupes qui pointe son «manque de sens politique.»

Mais Bertrand Delanoë continue à braquer dès qu’il en a l’occasion les projecteurs sur sa

première adjointe. «Elle a incontestablement ses préférences, mais cela ne lui confère pas un

avantage pour autant. Elle n’est pas libre, j’ai l’impression que sa fidélité l’empêche

d’exploser ! A moins que ce ne soit pour ne pas donner l’impression d’une ambitieuse pressée

de mettre à la porte le Maire qui a fait basculer Paris à gauche» témoigne une adjointe. Un

risque jugé comme suffisamment important pour la faire changer de stratégie depuis quelques

mois : alors qu’elle multipliait les signes d’intérêt en confiant au Parisien117

dès l’été 2009 «se

préparer à l’échéance de 2014» et que Bertrand Delanoë lui faisait «confiance pour prendre

la relève» ou encore en septembre dernier au Journal du Dimanche qu’elle pensait «à Paris

tous les jours, en me maquillant», elle cherche depuis à tirer sa légitimité non plus de son

adoubement par le Maire de Paris mais du travail effectué depuis 2008. «10% du territoire

parisien est actuellement en projet, cela montre bien à quel point nous sommes au travail» se

félicite Hervé Marro, proche d’Anne Hidalgo : «à Paris, beaucoup tentent de faire entendre

leurs petite musique avant. Mais nous, nous ne faisons pas de politique-fiction à perdre notre

temps sur la préfiguration de scrutins qui auront lieu dans deux ans… Notre priorité, c’est de

remplir les objectifs de la mission qui nous a été confiée, de livrer les projets en cours de

construction à temps et de répondre aux besoins concrets des Parisiens.»

Pour faire valoir ses intérêts pendant qu’elle «finit le boulot», Anne Hidalgo sait pouvoir

compter sur la fédération qui est depuis 2008 entre les mains non plus de son concurrent mais

d’un fervent delanoïste en la personne du Maire du 10ème

arrondissement Rémi Féraud, qui ne

117

Le Parisien, 5 juillet 2010 «Anne Hidalgo : «Sarkozy sature le paysage médiatique».

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cache pas vouloir «aider Anne, mon soutien est de notoriété publique et c’est bien pour ça que

je suis parfois contesté.» Reste que la première adjointe s’est énormément investie au cours de

la campagne des élections législatives, soutenant activement la dissidence de Danièle

Hoffmann-Rispal pour empêcher une candidature de Cécile Duflot à Paris. Son objectif ?

Gagner les «pré-municipales» en stoppant la poussée écologiste entamée aux européennes

2009 et confirmée aux régionales 2010, faire des législatives l’étape numéro un de la contre-

offensive du Parti Socialiste. Ce fût un échec dans la mesure où la secrétaire nationale d’EE-

LV a finalement été élue. Elle a malgré tout permis de «montrer la réalité de Cécile Duflot,

qui n’est qu’une caricature d’apparatchik» selon Rémi Féraud. Une critique qui devrait servir

d’argumentaire à Anne Hidalgo si la Ministre de l’égalité des territoires et du logement est bel

et bien candidate, tant la première adjointe s’applique à se construire une image d’anti-

Duflot : après avoir subi des échecs aux législatives dans les 12ème

(2002) et 13ème

(2007)

circonscriptions de Paris, Anne Hidalgo a fait le choix de ne pas se présenter en 2012 pour

respecter le non-cumul des mandats. Autre différence entre les deux femmes, Anne Hidalgo

est implantée dans le 15ème

arrondissement, un territoire acquis à la droite, «une terre de

mission qu’elle fait progresser depuis 2001» se vante-t-elle, plutôt que de partir se faire élire

dans un territoire déjà ancré à gauche…

Mais avant de faire valoir ses atouts, la première adjointe au Maire de Paris incarnant à

merveille le renouvellement et la continuité de l’action de Bertrand Delanoë devra faire son

trou au Parti Socialiste. Ses détracteurs pointent du doigt le fait que François Hollande ait

obtenu 56% des voix aux primaires socialistes, dans «son fief du 15ème

arrondissement, alors

qu’elle était la porte-parole de Martine Aubry.» Son adversaire le plus virulent, Jean-Marie

Le Guen, met en garde contre le «syndrome Tibéri» faisant valoir que «les candidats naturels

chargés d’assumer l’héritage, ça ne finit pas toujours très bien.» Elle préfère plutôt la

comparaison avec Dilma Roussef, qui est parvenue à succéder au géant Lula au Brésil…

Reste que comme le font remarquer des mauvaises langues, ses treize années de première

adjointe pourraient l’handicaper si des chantiers comme Jean Bouin ou les Halles se

transforment en «boulet» ou si les critiques sur les rapports de la Mairie avec de grands

groupes refont surface. Ne s’étant pas encore imposé au sein du PS parisien, Anne Hidalgo

peut s’attendre à bien d’autres attaques. N’ayant occupé aucune fonction au sein de l’appareil

socialiste, elle peine à convaincre les caciques parisiens et donc à créer une dynamique autour

de sa candidature. Elle compte parmi ses soutiens uniquement de jeunes élus comme Seybah

Dagoma ou Bruno Julliard. «Avant d’être investi, Bertrand Delanoë avait également été

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contesté» se souvient le journaliste Bertrand Gréco, «la seule chose que l’on peut dire, c’est

qu’aucun socialiste ne déchaîne aujourd’hui les passions pour lui succéder.» Si la logique

voudrait qu’elle devienne malgré tout la porte-drapeau du PS parisien, elle devra élargir son

cercle de soutiens au plus vite. «Plus une tête ne dépassera lorsqu’Anne Hidalgo finira par

être investie. Mais au préalable, elle doit faire ce travail politique en interne, pour rassembler

au-delà de ses jeunes soutiens arrivistes se réfugiant sous la coupe de la première adjointe»

prévoit une adjointe du Maire.

«Les querelles d’ambitions socialistes s’expliquent certes au niveau de divergences

idéologiques, mais surtout en fonction de querelles de personnes» explique Bertrand Gréco,

journaliste auteur du livre «Municipales 2008 : la bataille de Paris». En continuant ce

raisonnement, il apparaît que la rivalité naissante entre Anne Hidalgo et Jean-Marie Le

Guen… s’explique notamment par un facteur historique. Lorsque Georges Sarre quitta le Parti

Socialiste pour rejoindre le MRC de Jean-Pierre Chevènement en 1993, il dût abandonner le

poste de chef de l’opposition et de patron de l’appareil socialiste. Delanoë et Le Guen

s’accordèrent alors pour que le communicant désireux de faire son retour en politique hérite

de la présidence du groupe socialiste au Conseil de Paris, tandis que le second récupèrerait la

fédération de la capitale. Cet accord tacite laissa rapidement place à une concurrence effrénée

pour savoir qui des deux prendra le leadership sur le PS parisien : Bertrand Delanoë

construisait pas à pas son parcours pour devenir tête de liste du PS tandis que Jean-Marie Le

Guen œuvrait lui pour la carrière parisienne de Dominique Strauss-Kahn. Du moins jusqu’à

ce que leur mise en examen dans l’affaire de la MNEF en 1999 ne vienne les neutraliser.

Tandis que son mentor démissionnait du Ministère de l’Economie et des Finances et mettait

fin à ses rêves parisiens, Jean-Marie Le Guen fût contraint d’abandonner la fédération de Paris

où il s’était construit son réseau et ne participa pas à l’aventure victorieuse de 2001. Il

accusait dès lors un retard irrattrapable sur Bertrand Delanoë… sans pour autant oublier ses

ambitions. S’agaçant de l’habit d’héritière dont se drape Anne Hidalgo soutenue dans sa

démarche par Bertrand Delanoë, le désormais Adjoint à la Santé Jean-Marie Le Guen prit la

décision de partir en campagne le plus tôt possible.

Alors que ses adversaires sont coincés entre action municipale et campagne électorale, et

dissertent sur la citation de Baltasar Gracian - «la science du plus grand usage est l’art de

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dissimuler»118

- Jean-Marie Le Guen ne se fait lui pas prier pour avancer ses pions en vue de

l’élection de 2014. Le camp socialiste en est conscient : les critiques les plus acerbes sur la

gestion delanoennienne de la capitale ou la crédibilité d’Anne Hidalgo viennent

invariablement de la bouche du député du 13ème

arrondissement parisien. A l’automne 2010, il

explique ouvertement dans une interview au Monde que «nous avons les acquis d'une bonne

gestion, d'une rupture politique et morale avec la droite chiraquo-tibériste, mais nous devons

porter une vision pour le Paris de 2020. Depuis 2008, on est dans la gestion. Il nous faut un

second souffle.» Ne bénéficiant pas de la même exposition médiatique ni du charme119

de son

adversaire, Jean-Marie Le Guen tente de se différencier par le projet.

Il réclame une vision à long-terme et essaie de mobiliser des chercheurs pour repenser la ville-

capitale, une rupture avec l’actuelle politique municipale. Rencontré alors qu’il sortait d’un

débat télévisé sur Public Sénat, il développa : «l’idée que Paris peut tout faire dans son seul

périmètre est dépassée, Paris n’est plus un projet en soi ! Nous ne sommes pas d’accord avec

Bertrand Delanoë sur ce point, il agit trop lentement. Or, l’avenir de la capitale passe par

une métropolisation la consacrant comme le cœur de ce Grand Paris.» Pour autant, il réfute

que son projet d’axer sa campagne sur le Grand Paris soit une stratégie pour coincer Anne

Hidalgo dans ses dossiers de première adjointe de Paris-intra-muros : «j’ai 58 ans et entame

mon cinquième mandat de député, je ne me bats plus pour mon ambition politique mais pour

118

Baltasar Gracian, L’Homme de cour, 1647. 119

Sans tomber dans la misogynie, l’atout charme a une utilité et doit être pris en compte en politique.

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consacrer mes idées. Il se trouve que je ne suis pas un spécialiste des parcs et jardins et

préfère sortir des logiques du petit Paris, ce n’est pas plus compliqué que cela.» Pour

acquérir plus de visibilité alors que son projet risque de ne pas être audible auprès d’une

grande partie des électeurs, il a décidé de lancer le club du «Grand Paris des citoyens» où il

mène d’ores et déjà campagne. Depuis mars dernier, cette structure de soutien s’est même

muée en micro-parti politique, habilité à récolter des dons auprès des électeurs.

Peu avant les élections régionales 2010, son nom fût cité à l’Assemblée nationale pour créer

un groupe intraparlementaire réunissant les quelques députés écologistes et des socialistes à la

fibre environnementale : «Il y a un vrai sens politique à mener des discussions, à un

rapprochement entre la pensée socialiste et la pensée écologiste» expliquait-il alors à

L’Express, «jusqu'ici, le PS n'a pas clairement pris ses distances avec le productivisme et le

consumérisme. Maintenant, il existe des divergences de fond avec les Verts. Même si je suis

conscient des dangers du nucléaire, je ne vois pas aujourd'hui comment nous en passer.»

C’est l’autre particularité de Jean-Marie Le Guen : sous son image austère, il tient un discours

relativement moderne sur l’écologie politique… et donc l’implantation parisienne de Cécile

Duflot. «Ce n’est pas gênant en soi. Il faudra de toute façon une fusion des aspirations

socialistes et écologiques des Parisiens. Cela peut se passer après le premier tour des

municipales ou bien dans le cadre d'une primaire commune avec Europe Ecologie-Les Verts»

raisonne-t-il120

. Au point d’être accuser de vouloir favoriser la secrétaire nationale d’EE-LV

pour mieux déstabiliser sa rivale socialiste, Anne Hidalgo.

Le député-maire du 11ème

arrondissement de Paris Patrick Bloche se tient en embuscade, prêt

à surgir si le duel Hidalgo / Le Guen tourne mal. Premier secrétaire du PS parisien pendant

huit ans, patron du groupe socialiste au Conseil de Paris au cours de la première mandature,

puis directeur de campagne de Bertrand Delanoë en 2008, Patrick Bloche a longtemps œuvré

au cœur du dispositif du Maire de Paris. «C’est incontestablement celui qui possède le réseau

interne le plus puissant à Paris, il a quasiment occupé tous les postes même s’il ne s’en vante

pas» explique un militant de son arrondissement. Dans l’édition de Libération du 30

septembre 2011, il n’excluait pas la possibilité de se présenter - «je ne vais pas vous dire que

le job de maire de Paris n'est pas un job intéressant. Mais je suis incapable de vous dire

aujourd'hui si je serai dans le jeu ou hors-jeu» - sans pour autant s’affirmer publiquement

comme candidat. Autre personnalité du PS parisien à cacher admirablement son jeu, il s’agit

120

L’Express : « Fillon, Dati, Duflot, Hidalgo… Objectif Paris »

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de l’ambitieux Adjoint au Maire en charge de la culture depuis 2001, Christophe Girard. Si

peu le voient enfiler le costume de Maire de Paris, l’ancien Vert inventeur de la Nuit Blanche

et de Paris-Plage s’efforce toutefois de s’en donner les moyens… au cas où. «Je suis porteur

d’un héritage de Bertrand Delanoë depuis des années, et je suis loyal vis-à-vis de la première

adjointe. Anne Hidalgo est la mieux placée, mais rien n’est jamais écrit pour personne»

confiait-il à L’Express à la fin de l’été dernier. Depuis, ce directeur de la stratégie de LVMH

continue à réunir ses troupes grâce à son club baptisé Réel (réalité, égalité et liberté). Lors de

notre entretien en avril dernier, il me confiait qu’il était «trop tôt pour savoir si je serai

candidat. Il faudra attendre de voir de quoi seront faits les premiers mois de l’année 2013,

c’est là que les choses se décanteront…» avant de se reprendre, «mais je crois aussi beaucoup

aux dynamiques des additions.»

« Comme en 2010 où Anne Hidalgo avait affirmé que son objectif était d’arriver devant

Europe Ecologie-Les Verts dans la capitale121

, le PS parisien n’a cessé de paniquer ces

deniers mois en vue des élections municipales 2014, accréditant une nouvelle fois que le

dépassement est possible» interprète Jean-Marie Bouguen, collaborateur du président du

groupe écologiste au Sénat, Jean-Vincent Placé. Au regard de leur électorat traditionnel

urbain, des évolutions de la sociologie parisienne et des résultats des élections précédentes

dans la capitale, Europe Ecologie-Les Verts entend frapper un grand coup à Paris. «Ce n’est

que l’application de leur nouvelle logique électorale, dans la capitale comme au niveau

national : s’inscrire comme une force politique de gauche mais se présenter de façon

autonome afin de mieux négocier au second tour» explique Rosalie Lucas, journaliste

couvrant la gauche gouvernementale pour le compte du Parisien. Lors des récentes élections

législatives, le parti écologiste a tenté de faire naître une dynamique en vue des prochaines

élections municipales, en présentant des candidats dans l’ensemble des circonscriptions et en

obtenant finalement deux députés parisiens, Cécile Duflot et Denis Baupin, dans des

arrondissements stratégiques. De quoi nourrir leur ambition pour l’avenir….

Car de l’ambition, ils en ont. Ils ne font plus mystère des vues qu’ils portent sur la citadelle

parisienne : «remporter l’Hôtel de Ville dès 2014 est quelque chose de faisable» affirme sans

sourciller le porte-drapeau des Verts en 2001, Yves Contassot. Ils ne souhaitent plus être la

chambre verte de la maison rose et ont récemment été confortés dans leur choix. Plusieurs

121

Interview au Parisien le 4 janvier 2010 : «notre objectif, c’est d’être devant les Verts.»

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donnes ont en effet changées depuis les dernières élections municipales. En 2008, leur

stratégie d’autonomie alors que l’action du Maire de Paris était dans sa grande majorité

appréciée était apparue comme contre-productive. «Au vu de l’actuel mandat de Bertrand

Delanoë et de nos nombreuses divergences, nos velléités d’indépendance devraient être mieux

acceptées...» lance un cadre d’EE-LV Paris. «Nous sommes beaucoup plus libres aujourd’hui.

Il y a six ans, nous étions associés sur nombre de dossiers rendant l’autonomie

schizophrénique, alors qu’aujourd’hui nous nous sommes singularisés sur de nombreux

dossiers» renchérit un militant. Autre avantage, se différencier ne pourra plus être considéré

comme une «trahison» dans la mesure où le Maire de Paris laisse sa place : les compteurs

seront remis à zéro. «A nous désormais de montrer qu’un Maire écologiste changerait tout,

qu’il n’y aurait pas un milliard d’argent public injecté pour un centre commercial ni 200

millions pour la rénovation d’un vieux stade. Par contre, que nous aurions pu réduire de 2/3

la consommation énergétique et donc les émissions de Co2 des bâtiments municipaux,

(écoles, piscines, etc…) pour la moitié du prix de la rénovation des Halles» explique Hervé

Morel, d’EE-LV Paris. Depuis les dernières élections européennes où les écologistes ont

doublé le Parti Socialiste, les élus parisiens de la majorité les prennent davantage au sérieux.

«Cette fois-ci, ils pourront compter sur une base sociologique qui leur est largement

favorable, et aussi profiter, du moins en partie, de notre guerre de succession» explique le

fondateur du pôle écologique au Parti Socialiste, Christophe Caresche. «Les guerres intestines

à la gauche font partie des divisions à prendre en compte, il faut se souvenir que Bertrand

Delanoë a été élu sur les divisions de la droite» rappelle un cadre d’EE-LV Paris, pour qui «il

ne faut pas construire là-dessus mais faire preuve d’intelligence politique et savoir tirer profit

des circonstances.» Dernier élément à prendre en compte, et non des moindres lorsqu’il s’agit

d’un scrutin parisien, le contexte national. L’année 2014 sera synonyme d’élections

intermédiaires pour la gauche au pouvoir. S’ils veulent faire une performance en 2014, les

écologistes doivent veiller à ne pas apparaître comme un satellite du Parti Socialiste, avec qui

ils viennent de passer des accords largement commentés. «Il va y avoir un subtil équilibre à

trouver entre solidarité de majorité et fidélité aux idées» reconnaît Jean-Marie Bouguen.

«Sous-entendu : les écologistes parviendront à mettre en scène une participation

gouvernementale un peu conflictuelle afin de retrouver des marges de manœuvres» décrypte

Ian Brossat, président du groupe communiste au Conseil de Paris.

«Pour parvenir à nos fins, nous avons un an pour faire naître l’idée qu’élire un Maire

écologiste est désormais possible à Paris, cette éventualité doit germer du second semestre

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2012 à l’été prochain. C’est très important parce qu’il faut qu’à l’automne 2013, nos deux

forces soient équivalentes. S’il y a un écart de 1 à 10 – comme lors des précédentes

municipales – l’affaire est pliée d’avance» détaille Hervé Morel, patron d’EE-LV Paris.

«Pour espérer dépasser le PS, nous devrons avoir bien travaillé notre projet et ne pas nous

contenter de nos postures traditionnelles : il est nécessaire de s’adresser à tous les Parisiens

pour gagner, et pas seulement à notre base électorale déjà séduite» avertit Adrien Saumier,

militant du 13ème

arrondissement. Autrement dit, ne pas seulement s’adresser aux associatifs

environnementalistes administrant et cultivant des jardins partagés ou aux membres d’une

AMAP ayant créé des circuits-courts en partenariat avec un agriculteur pour se nourrir de

façon saine. «Concrètement, si nous décidons de piétonniser la place d’Italie ou celle de la

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Bastille, nous ne devons pas oublier pour autant l’économie locale et les commerçants qui

pourraient voir cette opération d’un mauvais oeil» illustre-t-il. Epousant l’analyse d'Antonio

Gramsci selon laquelle « le pouvoir se gagne par les idées », il demande à Europe Ecologie-

Les Verts de s’offrir une mue intellectuelle et qu’un projet élargi accompagne leurs nouvelles

ambitions électorales. Son appel pourrait avoir été entendu par le prochain secrétaire national,

Pascal Durand. Celui-ci livrait dans une interview à Mediapart le 15 juin dernier122

que «nous

ne sommes pas assez vus comme porteurs d’un projet alternatif et crédible. Il va falloir

profiter de ces mois sans élection pour mener une réflexion et ouvrir un grand débat public

sur le nouveau cycle qui s’ouvre désormais pour l'écologie politique ; un débat intellectuel

afin de nous fédérer autour de ce qui nous rassemble, le projet et les idées, pour en tirer ce

qui sera le plus utile pour la société.» «A Paris, nos commissions de travail sont actives

depuis la rentrée de septembre 2011» se vante Hervé Morel. «Le projet 2008 comprenait 83

pages et était découpé par thématiques… alors que l’écologie, c’est justement une vision

globale. Pour 2014, nous préparons un projet à deux échelles, répondant à ce qu’est une

métropole écologiste au 21ème

siècle tout en déclinant ce que cela changerait très

concrètement, point par point, pour les habitants. Le seul moyen de gommer les clivages et de

lier les modes de vies différents entre tous les arrondissements, c’est de présenter un fil

directeur : le nôtre sera la construction d’une ville robuste et capable de résister aux crises

économiques et sociales qui sont encore devant nous, avec des adaptations concrètes, qui

parlent à tous.» Selon lui, leur crédibilité passera par la richesse de leur projet, «il ne suffira

pas d’évoquer les problèmes de transports ou de santé, mais aussi d’avancer des solutions en

matière de logement et de développement économique» plaide-t-il, afin de «récolter les fruits

de nos treize années de participation à la gestion de l’exécutif municipal.»

Dès lors, il ne manque plus… qu’un candidat aux écologistes parisiens. «S’ils ont un bon

candidat comme Daniel Cohn-Bendit, qui puisse rassembler au-delà du seul électorat Vert,

les écologistes pourraient gagner Paris» reconnaît le socialiste Christophe Caresche. Mais

«mis à part Brice Lalonde en 1977, nous n’avons jamais eu de personnalités écologistes à

Paris. Et nous n’en avons toujours pas aujourd’hui : le président du groupe au Conseil de

Paris n’impose rien, Denis Baupin n’a pas su rebondir après son échec de 2008 et Yves

Contassot souffre de son image de vieux Vert de la première génération» souffle un conseiller

régional (EE-LV) d’Ile-de-France. «Les écologistes parisiens n’ont jamais su faire émerger

122

Pascal Durand : « Etre au gouvernement ou au Parlement ne doit rien changer à nos convictions »

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de leader à Paris» susceptible de mettre en danger le Parti Socialiste, «mais Solférino vient de

les y aider activement» peste Rémi Féraud, le patron PS de la fédération de Paris.

L’implantation de Cécile Duflot dans l’est parisien au cours des dernières élections

législatives est en effet pressentie comme une première étape avant une candidature à la

Mairie de Paris. «Elle a flairé le bon coup. Il y avait un vide intersidéral dans notre parti

alors que des divisions socialistes s’annoncent, le tout recoupé avec les derniers bons scores

écologistes sur la capitale et correspondant à ses nouveaux objectifs, elle n’a pas hésité une

seconde» observe Jean-Marc Pasquet, l’ancien patron des écologistes parisiens. Mais

jusqu’ici, la nouvelle Ministre de l’Egalité des Territoires et du Logement n’a jamais confirmé

les bruits lui prêtant l’intention de briguer la succession de Bertrand Delanoë. L’automne

dernier, Cécile Duflot entretenait le suspens123

: « Je ne dis pas 'non' ni 'oui' ; je sais que ce

sujet agite beaucoup de mes amis, je ne le prends pas avec légèreté. Les municipales sont une

échéance majeure pour nous en termes de stratégie globale, pas seulement sur un plan

personnel. Mais aujourd’hui, j’ai d’autres choses à faire qu’à m’intéresser à mon cas, ça

viendra...» Désormais qu’elle a hérité de ce super-Ministère lui permettant de «penser global»

sur l’aménagement du territoire, la politique de la ville mais aussi et surtout le Grand Paris et

le logement, la question se pose de savoir si elle a envie de le lâcher deux ans après pour «agir

local» dans la capitale ? Si elle décide de participer à la bataille de Paris, elle pourra

incontestablement tirer une légitimité de son activité ministérielle. Ses priorités d’ici 2014

sont d’ores et déjà connues : il s’agit de réfléchir avec les différents acteurs métropolitains à la

suite à donner au Grand Paris tel que l’a conçu l’ancien Président Nicolas Sarkozy d’une part,

et de faire voter une loi sur l’encadrement des loyers qui devrait permettre de fixer des prix

moyens de location en zone tendue d’autre part. Des dossiers qui pourront venir nourrir son

projet pour la Ville de Paris… ou pas. Sa récente nomination au gouvernement renforce le

sentiment d’Yves Contassot que «les élections législatives étaient indépendantes des

municipales, et que son implantation n’a pas forcément d’incidence sur la tête de liste

écologiste pour 2014.»

«Cécile Duflot souhaitait simplement une circonscription assurée où elle ne serait pas

menacée dans sa réélection en 2017, même dans l’éventualité où la droite ferait son retour.

Elle a désormais un matelas électoral dont elle ne disposait pas à Villeneuve-Saint-Georges.

Après, s’il y a une fenêtre de tir pour les municipales, elle devrait se présenter mais ce n’est

123

Cécile Duflot à Paris ? « Je n’exclus rien », le 17 novembre dans le JDD

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pas sa priorité… » décrypte une sénatrice socialiste de Paris. Sa décision se fait attendre. Aux

yeux de beaucoup d’élus écologistes parisiens, sa candidature serait la seule capable de

provoquer le dépassement. «Nous sommes conscients que si nous décidons de continuer nos

chamailleries entre nous, ce sera pour négocier des postes d’adjoints au Maire PS tout au

plus. Alors que la dynamique que Cécile Duflot pourrait apporter est incroyable» plaide

Hervé Morel, qui y voit le moyen concret de faire franchir une nouvelle étape à l’écologie

politique. Il est vrai que dans les campagnes municipales parisiennes surmédiatisées, les

candidats écologistes n’ont pas toujours réussi à se faire entendre. Nul doute qu’en excellente

communicante, Cécile Duflot rendrait audible les propositions d’EE-LV Paris. Lorsque le

cabinet Vae Solis a posé la question «quel est le meilleur communicant de la scène politique

française ?» à 56 journalistes en février dernier, ces derniers n’ont désigné ni Nicolas

Sarkozy, ni François Hollande et encore moins Bertrand Delanoë mais… «Cécile Duflot : elle

donne l'impression d'une "Sarkozy" au féminin, car elle a un vrai potentiel et sait retomber

sur ses pattes (…) Elle fait preuve d'une vraie agilité intellectuelle et apporte toujours une

réponse à la question qui lui est posée.»

Reste que si elle veut imposer une majorité verte à l’Hôtel de Ville, elle doit en premier lieu

convaincre… les militants écologistes. «J’ai été sollicitée par les militants écologistes

parisiens pour être candidate aux législatives. Ça correspondait aussi à un moment de ma vie

où je pouvais avoir envie d’une nouvelle aventure politique. Donc ça tombait bien» justifiait-

elle à l’époque au site Le75011.fr. Sauf qu’elle n’a pas été plébiscitée : seuls 34 militants ont

voté pour Cécile Duflot (43 votants, 155 inscrits) lors de la consultation interne sur la 6ème

circonscription. Si l’accord qu’elle a signé avec le Parti Socialiste leur permet pour la

première fois de leur histoire de se faire entendre à l’Assemblée nationale, si elle a su

ressouder et rénover un parti qui explosait sous Dominique Voynet, si elle a su

professionnaliser un mouvement au point qu’un phénomène d’acceptation des leaders soit

aujourd’hui perceptible, Cécile Duflot ne fait pas pour autant l’unanimité parmi la base et

notamment les militants tendance cohn-bendistes. L’ex-militante du 11ème

arrondissement

Alice Le Roy, qui s’est présentée contre elle en interne pour l’investiture législative, estime

qu’elle fait «glisser l’écologie politique vers une sorte de Parti Radical de Gauche vaguement

protestataire. Elle s’est négociée sa place en faisant de la politique alimentaire sur le dos des

idées, sans cliver. Or, elle ne peut pas raconter une histoire sur le politique autrement et faire

tout son contraire. C’est une stratégie gagnante à court-terme pour elle mais perdante pour

le parti à moyen-terme» lui reproche-t-elle.

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La bande à Duflot contestée

Rongés en leur être intérieur, cadres comme militants sont à la fois reconnaissants que Duflot les aients conduits au pouvoir, et tout autant profondément déçus de ses dérives «léninistes.» Si le co-fondateur et trublion d’Europe Ecologie-Les Verts, Daniel Cohn-Bendit a attendu la fin de la campagne législative pour dénoncer «l’arrivisme» de la secrétaire nationale, le candidat éphémère des Verts à la présidentielle 2002, Alain Lipietz, a lui haussé le temps dès les premiers mois de 2012 : à l’écouter, la direction du parti écologiste est un «bunker tenu par la bande des quatre (Duflot, Placé, Sitbon-Gomez, Braud), qui ont le profil des Jeunes Socialistes arrivés trop tôt en politique. Moi en 1968, je rêvais d’être Prix Nobel, alors que Cécile Duflot est prête à vendre père et mère pour devenir Ministre» lâchait-il au site Rue 89. Dans un référé au langage plus policé rendu le 4 mai dernier, le Tribunal de Grande Instance de Paris ne disait pas autre chose : «le conseil fédéral devra établir un nouveau scénario des candidatures aux législatives 2012. Le courant Envie a obtenu plus du quart des voix lors des élections internes et le conseil fédéral ne leur a accordé qu ’un sixième des investitures», alors que les statuts EE-LV lui imposait de les répartir équitablement entre les différentes motions. Selon le juge, le courant Maintenant de Cécile Duflot se serait en parallèle attribué plus de circonscriptions gagnables que ne le lui permettait son poids interne. La direction ignorera ce cette décision, malgré les protestations de militants dénonçant «du clientélisme de la part d’une direction qui a trop promis de postes, et qui du coup est obligée d’écraser les minorités pour récompenser les fidélités et conserver le pouvoir.» «N’importe quelle organisation a ses perversités» se défend Cécile Duflot, pour qui il faut cependant «une infrastructure pour se présenter aux élections. C’est bien qu’il y ait beaucoup de grands penseurs, mais si cela ne fabrique pas, cela n’existe pas. Moi, je suis quelqu'un qui veut que cela se traduise opérationnellement.» Selon la secrétaire nationale, il est nécessaire de se professionnaliser et de s’organiser dans un parti, avec les affres qui en découlent. Et convainc sur ce point son habituel détracteur, le polytechnicien Alain Lipietz, qui reconnaît un pêché originel à tout parti politique, du fait de «la structure du pouvoir, mais aussi de celle de l’esprit humain : toute mystique tend à dégénérer en religion, puis en bureaucratie, puis en simple enjeu de pouvoir. On peut inventer des moyens d’enrayer ce processus, le ralentir, parfois le renverser mais c’est une tendance inévitable» écrivait-il dans son ouvrage «Qu’est ce que l’écologie politique ?» en 2003. Même son de cloche dans le documentaire «La saga des écolos» où la candidate aux présidentielles de 1995 et 2007 Dominique Voynet donne raison à Cécile Duflot : «soit on considère qu’un parti politique, c’est un lieu dans lequel des gens mal de leur peau vont chercher un sens à leur vie, etc. Soit alors, on considère que c’est pour faire ce à quoi sert un parti politique, c’est-à-dire conquérir le pouvoir, si possible le garder, pour transformer vraiment les politiques publiques et alors changer la vie !» Seul hic, la colère des quelques militants parisiens est davantage nourrie par un bilan moins flatteur qu’il n’y parait. Si EE-LV n’a jamais été aussi fort institutionnellement grâce à une stratégie efficace à mettre au crédit de Cécile Duflot, le parti écologiste n’en reste pas moins structurellement fragile. Hors résultats obtenus par les candidats de l’union pour la majorité présidentielle (soutenus par le PS), les écologistes n’ont totalisé que 3,9% des voix au premier tour des élections législatives (6% à Paris). De faibles scores autonomes qui seraient une conséquence directe de la satellisation au PS. Autre effet secondaire de l’alliance avec le Parti Socialiste : l’hémorragie qui touche les troupes écologistes, déjà peu nombreuses d’habitude. Après une vague de défections enregistrées vers le Front de Gauche au cours de la dernière campagne présidentielle, le nombre de militants EE-LV serait passé de plus de 15.000 fin 2011 à moins de 10.000 en juin 2012, selon Libération. Cette même année, le taux de ré-adhésion au sein de la coopérative – une structure souple de sympathisants et non de militants – ne serait lui que de 5%...

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D’autres comme Adrien sont plus partagés : «son implantation à Paris se justifie puisque son

ambition sert la stratégie du parti et les écologistes parisiens. Mais cela aurait pu se faire

d’une autre manière sur la forme : j’aurais préféré qu’elle soit un peu plus présente à Paris

ces derniers temps, ailleurs qu’à La Chocolaterie124

. Je ne lui demandais pas de faire

l’ensemble des marchés en plein hiver, simplement, ne pas déléguer tout le boulot à des porte-

flingues locaux de son courant aurait été le bienvenu.» Lui, comme d’autres, a signé la

motion «Objectif Paris», un courant essentiellement porté par des militants qui a obtenu plus

de 40% des suffrages à la dernière assemblée générale d’EE-LV Paris : ils ne s’opposent pas à

l’investiture de Cécile Duflot mais lui demandent de s’investir en retour sur le terrain, de

réfléchir «de façon collective et de ne pas seulement suivra les conseils de son politburo

composé de Jean-Vincent Placé et Stéphane Sitbon-Gomez. Nous avons bien compris la leçon

de 2008 et ne repartirons pas dans des guerres intestines, mais il faut que Cécile Duflot sorte

de sa tour d’ivoire.»

Ils réclament une primaire au sein d’EE-LV Paris où ils réfléchissent à envoyer leur candidat

contre «l’establishment des élus, coupés de la base» selon leurs mots. Il pourrait

éventuellement s’agir de Jean-Marc Pasquet, conseiller régional d’Ile-de-France et ancien

patron des Verts Paris. A moins que celui-ci n’apporte directement son soutien à Jacques

Boutault, autre prétendant à l’investiture interne mais misant lui sur une action de proximité.

«A ma petite échelle, j’ai démontré que des écologistes pouvaient être capables de gérer un

exécutif municipal» se vante le maire du 2ème

arrondissement de Paris depuis 2001. Lui qui a

annoncé sa candidature à l’Hôtel de Ville dès mai 2010 s’efforce aujourd’hui d’apparaître aux

antipodes de la carrière politique de Cécile Duflot. «On doit faire de la politique là où l’on vit,

là où l’on travaille» estime celui qui a gardé une activité à mi-temps au sein de Pôle emploi,

où il est en charge du développement durable : «la politique, ce n’est pas un métier. Il est

indispensable que les politiques soient en contact avec la vraie vie», lance-t-il encore… «Il y

aura de toute façon un débat interne chez les écologistes parisiens, pour trancher la

question : est-ce un militant historique qui a accédé depuis dix ans à des responsabilités

locales importantes qui doit porter les couleurs de l’écologie politique à Paris, ou doit-on

privilégier le spectacle politique avec une candidature plus symbolique, susceptible de mieux

drainer une adhésion ? Car si Cécile Duflot ne se présente pas, il y aura nécessairement un

élu avec une dimension nationale qui voudra récupérer sa place, que ce soit Yannick Jadot ou

124

Le nom du siège des écologistes.

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Augustin Legrand» parie-t-il. «L’hypothèse de présenter Jacques Boutault serait séduisante…

s’il n’avait pas l’ombre de Cécile derrière lui. Il est notre meilleur second choix» estime pour

sa part Hervé Morel, qui estime que la probabilité de voir Europe Ecologie-Les Verts

devancer le Parti Socialiste en 2014 serait moindre si Cécile Duflot n’était pas candidate.

Rendre crédible l’hypothèse d’un dépassement à l’intérieur de la majorité plurielle gérant la

ville-capitale aurait «un impact énorme pour l’écologie : les campagnes municipales de Paris

ont un écho national, cela pourrait créer une dynamique positive partout en France qui

affirmerait les élus écologistes comme des challengers du PS sur l’ensemble du territoire»

espère Yves Contassot. En réalité, c’est probablement plus cet objectif de peser davantage qui

les pousse à mettre sous pression le PS parisien que le doux rêve de s’asseoir directement

dans le fauteuil de Bertrand Delanoë. Du propre aveu de certains acteurs de premier plan,

c’est avant tout «une posture permettant de motiver les troupes. Le vrai objectif sera de faire

une percée au Conseil de Paris et d’emporter deux ou trois nouvelles Mairies, parmi celle du

3ème

, du 5ème

, du 10ème

, du 11ème

voire du 18ème

ou du 20ème

arrondissement.» «Si je vous disais

que Duflot ou Boutault serait Maire de Paris en 2014, vous diriez que je délire et vous auriez

des raisons de le penser : c’est structurellement peu probable. Mais se positionner ainsi nous

crédibilise, nous met en capacité d’accéder à des responsabilités encore plus importantes.

Est-ce que ce sera suffisant pour arriver en tête en 2014 ? Nous verrons bien, et sinon, ce

sera pour 2020 ! Quoiqu’il en soit, cette stratégie devrait nous permettre de poser les bases

d’une écologie politique puissante et de gommer nos faiblesses structurelles» argumente le

Maire du 2ème

arrondissement, Jacques Boutault.

2) Paris peut encore réserver bien des surprises

Au cours de la campagne présidentielle, Bertrand Delanoë a semblé hésiter entre son poste de

Maire de Paris et une nomination au gouvernement, en cas de victoire de François Hollande.

«J'ai été élu jusqu'en 2014 et je pronostique que je vais être maire de Paris jusqu'à cette date.

Maintenant je ne sais pas ce qu'il va se passer en 2012… Il faut savoir que l'on est dans une

période où il y a parfois des gouffres qui s'effondrent sous vos pieds et qu'il ne faut pas être

égoïste. Je ne dois pas non plus refuser d'aider» expliquait-il dans une interview au journal

gratuit Métro125

. Selon son adjointe Pascale Boistard, «il est tiraillé envers cette possibilité et

125

16 décembre 2011 : «Delanoë se lâche pendant son chat » sur Metro

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celle de devoir lâcher son fauteuil de Maire de Paris. C’est son bébé…» Mais au fur et à

mesure que les chances de voir un second socialiste entrer à l’Elysée grandissaient, celui qui

n’a jamais occupé de poste d’envergure nationale ne cachait plus son intérêt pour occuper un

ministère régalien (Justice, Affaires Etrangères) : alors que sa première adjointe Anne Hidalgo

continuait à se battre corps et âme pour empêcher la venue de Cécile Duflot dans la capitale,

Bertrand Delanoë a lui brusquement fait machine arrière, acceptant même de rencontrer la

secrétaire nationale d’EE-LV en février. Car si cet «élu des grandes conquêtes est persuadé

qu’Anne Hidalgo fera moins bien que lui» selon un membre de son entourage, il enrage à

l’idée que Cécile Duflot puisse lui succéder. Dans ses plans, cette attitude conciliante et

constructive lors des législatives devait lui garantir une entrée au gouvernement le

contraignant de céder immédiatement son fauteuil à sa première adjointe, qui gagnerait dès

lors en exposition à la fois politique et médiatique. Mais malgré son volontarisme affiché,

Bertrand Delanoë ne fût pas récompensé le 16 mai au soir. Alors le 3 juin sur Canal +, il

décida de se faire plus clair : «Je suis maire de Paris, j'ai des devoirs et je les fais en étant

très heureux. Mais en même temps je ne suis pas indifférent à la réussite du quinquennat de

François Hollande. Si d'autres hypothèses [d’entrer au gouvernement] existent à un moment

donné, nous les étudierons.» Un appel du pied qui restera lettre morte : il ne fera pas partie

des quatre nouveaux ministres nommés le 21 juin. Un confidentiel du Journal du Dimanche

explique que le Président de la République nouvellement élu a préféré s’entourer de

«techniciens que de politiques» en mettant «les grandes gueules dont Delanoë dehors.» Ce

soir-là, Bertrand Delanoë décida de réunir ses troupes pour tirer les enseignements de la

séquence électorale et évoquer ses conséquences sur la capitale. Au menu donc :

l’implantation de Cécile Duflot et l’installation durable de François Fillon, qui pourraient

rebattre les cartes en vue des élections municipales 2014. «Des partisans du maire de Paris

comptent bien mettre les pieds dans le plat ce soir : Anne Hidalgo peut-elle toujours succéder

à Bertrand Delanoë ?» écrit l’hebdomadaire Le Point, qui révèle l’information. La première

adjointe est-elle la mieux placée pour barrer la route de Cécile Duflot ?

Le PS parisien s’apprête à vivre une période de turbulences mais les écologistes ne

parviendront pas forcément à en profiter pour leur ravir le fauteuil de Maire de la capitale. Car

le rapport de forces entre le Parti Socialiste et Europe Ecologie-Les Verts ne mêle pas

seulement des ambitions et des stratégies politiques, mais aussi des réalités. «Le dépassement

est impossible, ne serait-ce que pour des raisons structurelles» croit savoir Thomas Antoni,

militant socialiste du 14ème

arrondissement. «Ils n’ont quasiment pas de troupes militantes au

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point que l’on nous demande de faire campagne pour leurs candidats soutenus par Solférino

aux législatives» explique-t-il. En effet, EE-LV Paris peine à dépasser le millier d’adhérents

au niveau parisien126

quand le Parti Socialiste de la capitale peut compter sur 10.000 encartés,

dont environ 7.000 militants actifs. A la veille d’une campagne, cette guerre des chiffres n’est

pas seulement symbolique.

Le fait que le PS ait encore une tradition militante et qu’il soit visible sur les marchés ou aux

métros peut rassurer l’électeur, notamment dans un scrutin de proximité. Le réseau

médiatique d’EE-LV, dont les leaders apparaissent régulièrement à la télévision, ne sera pas

forcément suffisant pour remporter une élection municipale. Surtout, cette faiblesse militante

pose un problème organisationnel : tandis que les statuts du Parti Socialiste prévoient que tout

126

Plus précisément 1256 en décembre 2011.Selon Libération, les chiffres de décembre 2011 auraient été

divisés par près de trois au niveau national, passant d’environ 16.000 à 6.000. Impossible de savoir dans quelle

mesure cette baisse a impacté les troupes parisiennes.

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militant doit obligatoirement être adhérent d’un syndicat et d’une association (FCPE, RESF,

Unef, LMDE mais aussi des associations défendant les droits LGBT ou l’économie solidaire),

les écologistes ne s’y investissent qu’à l’échelon individuel.

Du coup, ils ne possèdent pas de têtes de réseaux ni de leaders d’opinions susceptibles de

relayer leurs positions parmi la société civile. Les principales associations avec qui ils tissent

des liens sont… environnementalistes (La Ressourcerie, La petite rockette mais aussi AMAP,

jardins partagés) et donc déjà acquise à l’écologie politique : elles ne leur permettent guère

d’élargir leur base électorale et de s’adresser de façon subliminale à la population. Et sans

stratégie de double-adhésion à la fois partisane et syndicale ou associative, les écologistes

auront toujours autant de mal à s’implanter localement et à se faire connaître de la population.

«Nous essayons de nous trouver des relais dans des associations, car il est nécessaire d’avoir

un tissu économique, social et associatif dense si l’on veut avoir une influence locale et

concrétiser notre rêve de supplanter le PS à Paris. Mais il faut reconnaître qu’ici, ils sont très

bien implantés. Nous allons réduire cet écart d’influence petit à petit, nous n’avons pas à

rougir de nos actions» se défend Claire Marynower, membre du bureau exécutif d’EE-LV

Paris et en charge de la coopérative127

«Notre meilleure organisation combinée à la gestion de

la municipalité nous permet de continuer à tisser un lien avec la société civile et à rester

majoritaire politiquement. C’est comme ça que le Parti Communiste était parvenu à

conserver aussi longtemps sa banlieue rouge» se félicite Philippe Wehrung, le secrétaire de

section du PS dans le 11ème

arrondissement.

Pour le patron d’EE-LV Paris, Hervé Morel, le Parti Socialiste parisien est également bien

aidé… par le Maire de Paris : «Bertrand Delanöe a une vision tibériste des subventions

associatives, sa distribution clientéliste de l’argent public permet au PS d’asseoir son

implantation locale. Des associations vivent aujourd’hui des subventions municipales et ont

des salariés à payer à chaque fin de mois, ils sont contraints en échange d’agiter le drapeau

du PS et de vanter la politique du Maire de Paris sur le terrain» dénonce-t-il. Chaque année,

des milliers d’associations reçoivent en effet des subventions de la part de la Mairie, dans

l’objectif d’offrir aux citoyens la possibilité d’exercer des activités aussi nombreuses que

127

La coopérative d’EE-LV Paris comptait 1476 adhérents en décembre 2011. Là aussi selon Libération, le taux

de ré-adhésion serait inférieur à 5% au niveau national. Impossible de savoir dans quelle mesure cette tendance a

impacté le réseau parisien.

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variées dans une multitude de domaines. Déjà en 1987, Richard Balme128

signalait les

relations d’interdépendance qui pouvaient naître entre les associations subventionnées et le

pouvoir local. A en croire, Hervé Morel, ce serait d’autant plus le cas à Paris que la ville

dispose à la fois du budget le plus important et du tissu associatif le plus dense. L’intérêt

premier de distribuer des millions d’euros de subventions pour le Maire de Paris serait en

réalité de structurer le corps électoral en un réseau de clientèles dépendantes et donc faciles à

actionner, de se doter en quelque sorte d’un moyen de contrôle politique. Il est d’autant plus

compliqué de vérifier ces accusations que les rapports de synthèse sur les associations publiés

annuellement sur le site de la Mairie, ne listent pas les bénéficiaires des subventions

municipales.

D’autres tendances structurelles lourdes de la vie politique française semblent handicaper

Europe Ecologie-Les Verts dans son ambition de conquérir l’Hôtel de Ville. A commencer

par ses propres faiblesses. «Nous n’avons pas les moyens humains ni financiers pour

répondre aujourd’hui à l’attente des citoyens parisiens. Le parti avait dû licencier la moitié

de ses salariés après les élections législatives 2007 et l’échec aux dernières élections

municipales nous a fait passer, à Paris, de 3 permanents à plein-temps à un seul à mi-

temps129

. Des intellectuels nous sollicitent mais nous ne sommes toujours pas parvenus à

structurer une fondation, alors que le PS peut compter sur les think-tanks comme Terra Nova

ou Jean Jaurès» se lamente Hervé Morel. «La surface médiatique ne fait pas naître une

présence parmi la société civile, dans les réseaux intellectuels ou encore dans les

associations. Or, la direction nationale ne fait rien en ce sens, elle se réjouit des initiatives

individuelles mais ne nous aide pas à construire des liens dans le monde des idées, de

l’entreprise ou du syndicalisme ni des réseaux parmi les chercheurs ou les hauts-

fonctionnaires» se plaint Jean-Marc Pasquet, plus véhément, pour qui «l’empathie

sociologique de l’opinion, les thématiques porteuses et l’absence de leadership au PS ne

suffiront pas si nous refusons de nous inscrire dans ces réseaux d’influence.»

Si l’administration ne fait pas gagner ou perdre une élection à elle seule, elle peut jouer un

grand rôle dans la campagne : la compilation des bonnes idées ne fait pas un projet, qui doit

nécessairement être nourri en parallèle de l’expertise d’hauts-fonctionnaires, susceptibles

d’imaginer de nouvelles politiques publiques ou d’élaborer des propositions crédibles tant sur

128

«La participation aux associations et le pouvoir municipal», 1987, Richard Balme 129

La fédération PS de Paris dispose, elle, de 4 permanents à plein-temps.

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le plan juridique que budgétaire. Ce qui fait dire au Maire du 2ème

arrondissement Jacques

Boutault que «la politisation de l’administration sous Delanoë peut être un frein : il sera plus

aisé pour le PS de nourri leur projet avec l’aide de l’administration, que pour nous. Dans ce

cas, nous devront associer au mieux les Parisiens à la construction de notre programme, pour

qu’ils le portent et en aient envie» raisonne-t-il. A défaut de pouvoir compter sur des comités

d’experts, les écologistes devront s’appuyer sur les notes fournies par des militants et des

personnalités, amateurs mais proches de leur mouvement, pour alimenter leur réflexion. Ce

qu’avait fait Bertrand Delanoë en 1995 et 2001, quand l’administration de la Mairie de Paris

était chiraquienne…

La bataille des municipales de la capitale ne fait aujourd’hui que commencer, et il est encore

bien trop tôt pour présumer de son résultat final. D’autres forces que le Parti Socialiste ou

Europe Ecologie-Les Verts y participeront et seront amenées à jouer un rôle important. «Ce

que l’UMP a démontré depuis dix ans sur Paris n’améliore pas vraiment notre crédibilité en

vue des municipales 2014, mais nous nous attelons à construire une stratégie politique claire,

avec un leader concentré uniquement sur la prise de Paris et disposant d’un projet novateur»

confie le conseiller de Paris (UMP) Pierre-Yves Bournazel. La droite parisienne espère tirer

profit des rivalités naissantes à gauche et qui devraient encore s’accentuer au cours de la

campagne pour montrer son nouveau visage et ainsi mettre fin à la série noire entamée depuis

plus de vingt ans.

La droite au premier tour des élections municipales de Paris, de 1989 à 2008

1989 1995 2001 2008

Suffrages obtenus par l’ensemble des listes de droite

54,8% 51,4% 44,2% 33,2%

Sièges obtenus au Conseil de Paris

141 99 71 63

Du moins, tel est le discours de ce jeune élu du 18ème

arrondissement de Paris : «les attentes

des Parisiens ont évolué. Or, on ne conquiert par une ville contre ses habitants ! Il faut sortir

des clivages idéologiques traditionnels pour nous adapter à cette nouvelle sociologie.»

Malheureusement pour lui, cette prise de conscience n’est pas perceptible chez l’ensemble des

caciques de la droite parisienne, loin de là. Et il le sait, «les responsables de la fédération

UMP de Paris n’ont pas cette volonté de reconquête de Paris car ils ont déjà tout : ils sont

soit députés-maires, soit sénateurs-maires» argumente-t-il. En effet, la majorité des cadres se

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sont fait élire lorsque Jacques Chirac était encore Maire de Paris, à une époque où la droite

contrôlait encore la Mairie de Paris, la région Ile-de-France, les vingt arrondissements

parisiens et dix-neuf circonscriptions sur vingt-et-une. Après avoir perdu deux fois l’Hôtel de

Ville de Paris, trois fois le Conseil régional, douze arrondissements et treize circonscriptions,

l’UMP de la capitale semble aujourd’hui profondément défaite. Aux dernières élections

municipales, la droite semblait avoir tiré les leçons de ses erreurs de 2001 : une primaire fut

organisée pour débattre du projet et du candidat, aplanir les dissensions puis se réunir autour

du gagnant et ainsi conforter son leadership. Mais aussitôt Françoise de Panafieu investie avec

le plébiscite des militants parisiens, que les divisions entre élus de l’opposition reprirent de

plus belle. L’arrivée de personnalités médiatiques et relativement populaires – comme

Christine Lagarde, Jean-Marie Cavada ou Rachida Dati – sur ses listes aurait dû doter l’UMP

parisienne d’une image plus dynamique… si la tête de liste, bien qu’en apparence moderne,

n’était pas elle-même l’héritière d’une dynastie gaulliste investie de longue date dans la vie

politique parisienne.

Revisitant la célèbre formule «halte au feu, chasse au con» de Pierre Lellouche exprimée au

cours de la campagne fratricide de 2001, plusieurs quadras et trentenaires de l’UMP de la

capitale réclament un renouvellement générationnel. «Depuis qu’ils ont perdu le père Chirac,

ils se chamaillent et s’entretuent pour des miettes» résume la sénatrice de Paris Chantal

Jouanno130

. Ils sont conscients que les discours nationaux mais aussi l’égoïsme territorial et le

refus de la mixité sociale exprimés par une partie de leurs aînés de l’Ouest parisien ne

correspondent plus aux attentes de la majeure partie de l’électorat de la capitale. Mais la

solution n’est pas aussi simpliste que de passer un coup de balai et faire la place à de

nouveaux talents. Des rivalités politiques s’entremêlent à ce conflit de générations : Paris

donne un écho particulier à la guerre que se livre Jean-François Copé et François Fillon pour

asseoir leur leadership sur l’UMP. Pressentie depuis la fin des élections municipales de 2008,

l’arrivée de François Fillon aurait dû initialement mettre fin aux divisions de l’UMP dans la

capitale et permettre d’amorcer le processus de la reconquête de Paris. En réalité, elle n’a fait

que raviver les tensions. Déjà à l’été 2011, la préparation de la liste sénatoriale tourna à la

foire d’empoigne entre «fillonnistes» et «copéistes», cadres de l’appareil et dissidents : le

choix de la fédération de Paris d’offrir la tête de liste à l’ancienne Ministre des Sports Chantal

Jouanno ainsi que la quatrième place à un autre proche du Premier ministre de l’époque

suscita la colère d’une partie des maires d’arrondissements, soutenus par la jeune garde de

130

«L’UMP, un univers impitoyable» livre de Neila Latrous et Jean-Baptiste Marteau, 2011.

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l’UMP parisienne. Des listes parallèles se montèrent et remportèrent deux sièges de sénateurs

parisiens, soit autant que la liste officiellement investie. La fédération, majoritairement pro-

Fillon, expliqua alors que «les dissidences nous ont coûté» un cinquième siège tandis que les

dissidents, plus ou moins soutenus par Jean-François Copé et la direction nationale du parti,

répliqua que «ce sont les méthodes de la fédération qui nous ont font perdre.»

A ce moment, les élections municipales 2014 étaient déjà dans tous les esprits… et les

élections législatives 2012 cristallisèrent à nouveau les ambitions. La maire du 7ème

arrondissement, et ancienne Garde des Sceaux, Rachida Dati décide d’entrer en résistance

face au parachutage de l’ancien Premier ministre François Fillon, dans la 2ème

circonscription

de Paris. Mais si les jalousies et autres rivalités peuvent être considérées comme habituelles et

presque raisonnables dans un parti politique, des attaques ad hominem d’une violence inouïe

se multiplient entre ces deux acteurs : l’hôte de Matignon est accusé par les copéistes, et donc

son propre camp, de trafic d’influence à la suite de l’embauche du fils de Jean Tibéri au

Ministère des Finances, contre l’avis de Bercy. Ou encore de recel d’emploi fictif, après avoir

embauché au sein de son cabinet une chargée de mission soupçonnée de s’occuper de sa

campagne législative. Rachida Dati se plaint alors de «ne pas avoir les mêmes moyens, ni le

même pouvoir» que François Fillon. L’ancien Premier ministre se défendra lui de ne pas

respecter la parité en invoquant le fait que «Rachida Dati est un homme !». Finalement, elle se

retirera le 16 mai, en contrepartie de l’assurance de jouer un rôle de premier plan aux

élections municipales de 2014. Cela tombe bien, son rival local et jusqu’ici candidat pressenti

de l’UMP semble désormais décidé à laisser la place. Je ne crois pas aux carrières à la

Chirac. Et je préfère anticiper la future loi sur le cumul des mandats, à laquelle, je suis plutôt

favorable» aurait-il déclaré à quelques journalistes le 6 juin dernier, selon le Canard Enchaîné.

Craignant d’endosser une défaite en 2014 dans la capitale, il préfèrerait prendre la présidence

du parti à Jean-François Copé pour préparer sa candidature à l’élection présidentielle de 2017.

A moins de deux ans du scrutin, l’UMP Paris se cherche plus que jamais un candidat

susceptible de faire consensus. Au-delà de Rachida Dati et de Chantal Jouanno, correspondant

toutes les deux à la sociologie parisienne et déjà implantées dans la capitale, les noms de Jean-

Louis Borloo et de François Baroin se font comme souvent entendre.

Si l’UMP ne veut pas attendre l’échéance de 2020 et le moment où les classes moyennes

pourraient être à leur tour chassées de Paris, remettant alors en cause l’hégémonie de la

gauche, leur dernier espoir de remporter l’élection municipale de 2014 serait… de réformer la

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loi Paris-Lyon-Marseille. Le but ? Organiser l’élection du Maire de Paris non plus par les

Conseillers de Paris, mais au suffrage universel, directement par les citoyens. Dans le système

actuel qui prévoit un nombre d’élus au Conseil de Paris proportionnel à la population par

arrondissement, la droite est handicapée par la carte électorale : sur les dix les plus peuplés

(du 11ème

au 20ème

) et donc les plus fournis en nombre de Conseillers de Paris (126 sièges de

Conseillers de Paris sur 163), la gauche en détient sept131

. Faisant valoir que Bertrand

Delanoë avait été élu en 2001 en étant majoritaire en sièges mais minoritaire en voix, Philippe

Séguin puis Françoise de Panafieu ont déjà réclamé ce changement institutionnel. «Une telle

réforme avant 2014 serait louable mais cela m’étonnerait que les députés s’en saisissent.

Lorsqu’elle était aux manettes entre 1997 et 2002, la gauche ne l’a pas fait donc je ne vois

pas ce qui la pousserait aujourd’hui à agir en ce sens» croit Pierre-Yves Bournazel. Si une

évolution du mode de scrutin d’élection dans les trois plus grandes villes françaises était en

cours de préparation, il devrait plutôt s’agir en l’occurrence d’un rééquilibrage

démographique que d’une refonte organisationnelle. Car aujourd’hui, le nombre de

Conseillers de Paris – qui sont les électeurs finaux du Maire - élus par arrondissements est

fixé selon… le recensement de 1975 ! Le mode de scrutin actuel ne tient pas compte des

évolutions démographiques en cours depuis bientôt quarante ans, et induit en creux que tous

les électeurs parisiens ne pèsent pas le même poids selon le quartier où ils vivent. Si la

représentation des Conseillers de Paris était ajustée au dernier recensement, les 5ème

, 6ème

10ème

, 19ème

et 20ème

arrondissements devraient chacun gagner au minimum un Conseiller de

Paris supplémentaire, au détriment des 1er

, 2ème

, 7ème

, 16ème

et 17ème

. Autrement dit, la droite

perdrait au minimum trois nouveaux Conseillers de Paris tandis que la gauche se verrait de

nouveau confortée.

Si Europe Ecologie-Les Verts et le Parti Socialiste semblent donc en capacité de se livrer un

match tout en conservant l’Hôtel de Ville tellement l’UMP ne semble pas aujourd’hui prête à

reconquérir Paris, il ne faudrait tout de même pas ajouter de la division aux divisions. Et c’est

pourtant ce que s’apprête à faire le Front de Gauche, auréolé de ses 11,1% recueilli au premier

tour de l’élection présidentielle à Paris. S’ils ne nourrissent pas l’ambition de devenir

majoritaires au niveau local, les communistes n’entendent pas rester les bras croisés pour

autant. Preuve en est, l’absence de Jean-Luc Mélenchon et de ses acolytes dans le

gouvernement de Jean-Marc Ayrault, dû au fait des nombreuses élections intermédiaires qui

131

Elle est donc assurée d’au moins 64 des 83 sièges de ces arrondissements (11ème

, 12ème

, 13ème

, 14ème

, 18ème

,

19ème

, 20ème

) puisque le mode de scrutin offre habituellement plus de trois quart des sièges à la liste majoritaire.

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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auront lieu en 2014… dont les élections municipales. Dès lors, ils estiment avoir tout intérêt à

surfer sur leur bonne dynamique et à construire une alternative au Parti Socialiste. «Vu la

mauvaise passe économique actuelle, le contexte sera difficile pour le gouvernement en 2014.

Et à Paris, la colère ne se traduit pas par un vote Front national mais par un vote Front de

Gauche» décline le jeune président du groupe communiste au Conseil de Paris, Ian Brossat,

pour qui les écologistes ont fait une double erreur en signant un accord électoral et en actant la

participation gouvernementale : «ils sont tellement à la recherche de postes qu’ils ont accepté

d’être pieds et mains liées à la social-démocratie. Europe Ecologie-Les Verts ne semblent pas

avoir compris que plus le temps passe, plus le dilemme entre logique d’austérité et désir de

résistance se fera forte.»

Au cours de la campagne présidentielle, il est vrai que de nombreux électeurs écologistes se

sont rabattus sur Jean-Luc Mélenchon. Y compris à Paris. Est-ce imputable à la volatilité qui

caractérise ces électeurs ou assiste-t-on à une tendance plus structurelle ? Réponse en 2014.

Face à l’absence de vision de la social-démocratie et aux balbutiements éternels de l’écologie

politique, certains mélenchonistes rêvent de supplanter le tout par le retour d’une gauche

musclée. Pour l’adjointe au Maire de Paris, Pascale Boistard, «le sujet qui devrait préoccuper

les écologistes parisiens n’est pas l’organisation du dépassement du Parti Socialiste.

L’urgence pour eux, c’est de se soucier du Front de Gauche !» prévient-elle sournoisement.

Mais Ian Brossat ne compte pas leur faire plus de cadeaux au grand frère socialiste : «il faut

que le PS sorte de sa représentation qui n’existe plus : Le Front de Gauche n’a pas la même

culture politique que le Parti Communiste. Pour nous, il est clair qu’il y a deux voies à

gauche et qu’elles sont inconciliables.» A l’entendre, les socialistes n’aimeraient les

communistes que faibles et disciplinés. Et la perspective de voir son groupe prendre du poids

en 2014 les inquiéterait : «après avoir battu à Paris le record de Georges Marchais en 1981,

nous n’avons plus vocation à être les porteurs d’eau de la majorité. Nous n’avons pas encore

formellement tranché la stratégie politique pour 2014 entre union ou autonomie au premier

tour, mais c’est déjà une évolution puisque nous ne nous étions même pas posée cette

question en 2008…» se félicite Ian Brossat, qui fixe le prix de la solidarité du Front de

Gauche à 18 conseillers de Paris (contre 10 aujourd’hui) et une mairie d’arrondissement.

La dernière inconnue qui plane sur le scrutin de 2014, bien que très improbable, serait que le

dossier du Grand Paris s’accélère considérablement et que le territoire politique et

institutionnel de la capitale évolue dans les deux ans à venir. La réorganisation institutionnelle

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Hugo SOUTRA - Institut Français de Géopolitique - Juin 2012

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des collectivités locales de la région parisienne induite par le projet du Grand Paris pourrait

avoir de grandes conséquences politiques : une gouvernance métropolitaine de la capitale et

de sa banlieue opèrerait de facto une redistribution des pouvoirs politiques et financiers.

Concurrencée par une structure plus vaste aux pouvoirs renforcés, la Ville de Paris intra-

muros verrait son poids politique décroître en flèche. Logiquement intéressé par la

péréquation et la refonte des pouvoirs qu’elle induirait, plusieurs élus dont le président de

l’Assemblée nationale Claude Bartolone ou le sénateur (UMP) de Seine-Saint-Denis Philippe

Dallier plaident pour la création d’une collectivité en plein exercice, en lieu et place de la

capitale et des trois départements de la petite couronne.

Au-delà de la perte de compétences et de revenus fiscaux pour Paris, une telle révolution

redécouperait également les frontières électorales favorisant aujourd’hui la gauche. Les

électeurs de ce nouveau «Département de la Seine» éliraient alors le Maire du Grand Paris

(comme il en existe un du Grand Londres), qui devrait superviser l’aménagement du territoire

et mettre en place une stratégie à long-terme. Les Maires des différentes communes et des

vingt arrondissements de la capitale se verraient eux confier la gestion du quotidien. «Le

Grand Londres est bien en avance, leur Maire est déjà élu au suffrage universel. Peut-être

que nous arriverons à leur modèle dans 20 ans, mais dans les mois ou années à venir, laissez-

moi en douter» tranche le sénateur (PS) de Paris et patron du groupe socialiste au Conseil de

Paris, Jean-Pierre Caffet.

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Conclusion

ette recherche devait nous permettre de mieux appréhender le conflit opposant

socialistes et écologistes parisiens, partenaires de la gauche plurielle au pouvoir

depuis onze ans, pour décrypter les enjeux des prochaines élections municipales

2014. Tout au long de ces pages, nous avons pu observer que s’ils avaient besoin l’un de

l’autre pour assurer le contrôle de la Mairie de Paris, ils ne s’en privaient pas pour étaler leurs

désaccords sur la place publique. C’est la particularité de la capitale : constamment sous le

crépitement des flashs des appareils photos et autres caméras, le Conseil de Paris se

transforme en tribune surmédiatisée poussant les élus à privilégier leurs idéologies respectives

et le débat politique, sur la gestion quotidienne municipale. Sans se connaître, le Parti

Socialiste et les Verts étaient toutefois à établir un rapport de force interne tout en travaillant

en bonne intelligence, au début de la première mandature. C’est à l’automne 2005, à un peu

plus de deux ans du prochain scrutin municipal, que la situation va dégénérer : les influents

écologistes mirent régulièrement en minorité le Maire de Paris, Bertrand Delanoë.

Bénéficiant depuis l’élection de 2008 d’une quasi-majorité absolue, le PS en serait depuis

devenu «hégémonique et peu respectueux de ses partenaires», tandis que les Verts,

sanctionnés par les électeurs qui ont considérablement réduits leur poids politique, se serait

affirmé comme «un allié loin d’être fiable.» Eux qui, contrairement aux socialistes, n’avaient

pas su capitaliser sur leur succès inattendu de 2001 profitèrent alors de la refondation du parti

vert censé leur faire passer le cap de l’adolescence et les propulser à l’âge adulte. Un an après

leur humiliation des municipales 2008, les écologistes parisiens ne sont pas loin de doubler le

score socialiste aux européennes de juin 2009. Tout en retrouvant leur position de deuxième

force de gauche derrière le PS, ils confirment leur montée en puissance lors des élections

régionales suivantes. Mais au Conseil de Paris, la situation n’évolue pas dans le sens voulu

par les écologistes : ils continuent à voter le budget mais remettent allègrement en cause

certaines politiques municipales, critiquent les orientations socialistes, et n’hésitent plus à se

désolidariser de la consigne de vote fixée par l’exécutif municipal.

Cette phase de différenciation fait partie intégrante de la nouvelle stratégie électorale

d’Europe Ecologie-Les Verts, en place depuis 2010 et qui vise à les singulariser pour mieux

les faire apparaître comme une force indépendante. Objectif ? Ne plus se contenter de

C

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participer à l’exercice du pouvoir, mais peser sur les choix politiques… en prenant à terme le

contrôle de la Mairie de Paris. Pour tenter d’honorer cet objectif ambitieux, ils s’en donnent

les moyens: les élections législatives 2012 leur ont permis de régler les derniers dispositifs de

leur stratégie parisienne pour 2014. La direction nationale et les élus parisiens ont

conjointement travaillé ensemble, pour faire de la place à la secrétaire nationale Cécile Duflot

et ainsi profiter au mieux du flou régnant entre Solférino et le PS parisien. Même les aubrystes

de l’équipe de Bertrand Delanoë reprochent à Martine Aubry d’avoir favorisé la stratégie des

Verts, sans tenir compte du contexte local violent dans la capitale, depuis 2005. Plus qu’un

simple décor de rivalités entre deux partis, l’Hôtel de Ville de la capitale d’un pays aussi

centralisé que la France est un acteur du conflit : sa prise de contrôle a toujours suscité des

ambitions, alimenté les rivalités et exacerbé les divisions. L’enjeu est autrement plus

important qu’une victoire aux élections municipales dans n’importe quelle autre ville. Les

rivalités et les représentations qui en découlent, également. La conquête de la Mairie de Paris

est une source d’espoirs et de fantasmes : accélérateur de carrière nationale pour les uns, ou

vitrine permettant d’imposer au plus grand nombre ses idées, pour les autres.

Sans avoir pour ambition de prédire le résultat d’une élection dont la campagne officielle n’a

pas encore commencée, ce mémoire a, dans un second temps, cherché à dresser les atouts et

faiblesses de chaque acteur. A l’aube de 2014, le Parti Socialiste parisien semble fébrile :

tandis qu’eux s’apprêtent à tourner la page du système mis en place par Bertrand Delanoë, les

écologistes ont retrouvé une certaine autonomie et semblent prêts à tout pour profiter de cette

période de turbulences. Mais les partenaires de Duflot ne seraient «structurellement pas

suffisamment puissants» pour atteindre leurs objectifs : élus peu audibles, faibles réseaux

intellectuels, associatifs, syndicaux, peu de troupes militantes, etc… C’est oublier un peu vite

que le parti écologiste fait figure d’exception sur la scène politique française et qu’il n’a

jamais construit un succès électoral de façon ordinaire. A Paris, ils comptent jouer sur la

capacité de séduction de leur leader, qui devra être en phase avec l’évolution sociologique

engendrée par l’embourgeoisement de Paris, et tirer leur avantage de problèmes

environnementaux qui se posent avec vigueur dans les métropoles. Nul ne sait si les

écologistes arriveront à dépasser le PS parisien dès 2014, mais en raison de la place

prépondérante qu’occupe Paris dans la vie politique française, il est permis de s’interroger sur

les conséquences que pourrait avoir un tel succès dans la capitale. Permettrait-il l’émergence

d’un «écologisme municipal», qui serait le prémisse d’un dépassement national de la social-

démocratie par l’écologie politique ?

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Bibliographie

Ouvrages

«Apartés», Cécile Duflot, 2010.

«Bertrand le magnifique, enquête au cœur du système Delanoë», Yvan Stefanovitch, 2008.

«Carnets de campagne dans les coulisses d’Europe Ecologie», par Jean-Marie Bouguen, 2010.

«Comptes et légendes de Paris : enquête sur la gestion de Delaöe», Dominique Foing, 2011.

«Des écologistes en politique», Erwann Lecoeur, 2011.

«Europe Ecologie, miracle ou mirage ?», Roger Lenglet et Jean-Luc Touly, 2010.

«La face cachée de Bertrand Delanoë», Patrick Rigoulet, 2010.

«La nouvelle géopolitique des régions françaises», sous la direction de B. Giblin, 2005.

Chapitre sur l’Ile-de-France, par Philippe Subra.

«Le marchand de sable», Sophie Coignard, 2005.

«Municipales 2008 : la bataille de Paris», Bertrand Gréco, 2007.

«Socialistes à Paris, 1905-2005», Laurent Villate et Pierre-Yvain Arnaud.

«Une femme dans l’arène», Anne Hidalgo, 2006.

Articles scientifiques:

« La Nièvre, fief présidentiel », François Charmont, avril 2011.

«Les dynamiques spatiales de la gentryfication à Paris», Anne Clerval, Cybergéo, 2010.

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«Les échecs de la droite parisienne font-ils de Paris un fief de gauche ?» Matthieu Jeanne,

2009.

«Les Verts et le pouvoir, regards géopolitiques sur les écologistes français : stratégies et

représentations », Sylvie Vieillard-Coffre, Hérodote, 2001,

«Paris à contre courant», chapitre écrit par Jean Chiche et Daniel Boy en 2002 dans «Le vote

des villes »

«Paris/Londres : enjeux géopolitiques de villes capitales», Béatrice Giblin, Delphine Papin,

Philippe Subra, Hérodote, 2001

«Paris, un enjeu capital» Matthieu Jeanne, Hérodote, 2009.

Articles de presse :

Lecture régulière du cahier «Paris» du Journal du Dimanche et du Nouvel Observateur. Suivi

attentif des articles politiques du Parisien et du Monde, concernant la gauche en général et les

écologistes en particulier. Veille des différents articles, brèves ou confidentiels parus dans

L’Express, Le Point, Le Figaro, Libération mais aussi Rue 89 ou le trimestriel Megalopolis.

Audio / Vidéos :

«Paris en campagne», La suite dans les idées, France Culture le 2 juillet 2011.

« 2001, la prise de l’Hôtel de Ville », réalisé par Serge Moati en 2001.

« Paris à tout prix », réalisé par Yves Jeuland en 2001.

« La saga des écolos », réalisé par Valérie Manns et Alice Le Roy en 2010.

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Annexes

Grille d’entretiens p. 150

Calcul des Conseillers de Paris p. 153

Procès-verbal de soutenance p. 155

Résumé p. 156

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Entretiens :

- Depuis plusieurs mois, les acteurs politiques établissent les stratégies politiques de

conquête et / ou de préservation de leur pouvoir dans la capitale : en cela, ils sont les

premiers concernés par cette recherche et les mieux à même d’en parler, puisque ce

sujet traite de leurs partis, de leurs relations, de leurs ambitions, de leurs rapports de

forces ainsi que de leurs carrières. Les interviews ont varié entre discours officiel et

éléments de contexte, en off.

Pierre-Yves Bournazel (1h30 le 7 février, à l’Hôtel de Ville de Paris)

Nicolas Vignolles (1h le 16 février, à l’Assemblée nationale)

Jean-Marc Pasquet (2h le 27 février, dans un café du 11ème

arrondissement)

Yves Contassot (1h15 le 2 mars, dans une annexe de l’Hôtel de Ville)

Hervé Morel (2h le 7 mars, au siège d’Europe Ecologie-Les Verts)

Sylvain Garel (2 X 30 min par téléphone, les 5 et 12 mars)

Pascale Boistard (1h30 le 23 mars, dans une annexe de l’Hôtel de Ville)

Jean-Marie Bouguen (45 min le 23 mars, au Sénat)

Christophe Caresche (1h45 le 29 mars à sa permanence, dans le 18ème

arrondissement)

Anne Le Strat (1h30 le 11 avril, au siège d’Eau de Paris)

Christophe Girard (30 min le 19 avril, à l’Hôtel de Ville de Paris)

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Ian Brossat (1h30 le 25 avril, au siège national du PCF)

Jacques Boutault (1h45 le 26 avril, à la Mairie du 2ème

arrondissement)

Rémi Féraud (2 x 1h30 les 2 mai et 15 mai, à la Mairie du 10ème

arrondissement)

Hervé Marro (1h le 3 mai, à l’Hôtel de Ville de Paris)

Jean-Pierre Caffet (1 heure le 16 mai, à l’Hôtel de Ville de Paris)

Pierre Schapira, (45 min le 22 mai, à l’Hôtel de Ville de Paris)

- J’ai également sollicité plusieurs chercheurs et de nombreux journalistes s’intéressant

à la vie politique parisienne. La prise de recul des premiers m’a permis d’intégrer dans

ma réflexion des éléments auxquels je n’avais pas pensé au premier abord. Les

stratégies politiques utilisant à merveille les médias, les seconds sont quelque peu

acteurs à leur insu : ils m’ont donné les éléments nécessaires pour comprendre ce

conflit dans son épaisseur historique.

Bertrand Gréco (1h30 le 26 janvier, à la rédaction du Journal du Dimanche)

Dominique Foing (1h30 le 31 janvier, dans un café du 11ème

arrondissement)

Rosalie Lucas (1 heure le 6 février, dans un café du 12ème

arrondissement)

Daniel Boy (30 min par téléphone, le 8 février)

Marie-Anne Gairaud (30 min par téléphone, le 20 février)

Jean-René Bourge (1h le 5 mars, au département Science politique de l’université Paris 8)

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- Les relations entre pouvoir politique et territoire ne sont pas l’apanage des élus, mais

aussi l’œuvre d’hommes de l’ombre, qu’ils soient secrétaires de l’appareil parisien,

d’une section de quartier ou simple militants.

Claire Marynower (1h le 21 février, dans un café du 11ème

arrondissement)

Adrien Saumier (1h30 le 29 février, dans un restaurant du 10ème

arrondissement)

Adrien Delassus (1h30 le 6 mars, dans un restaurant du 11ème

arrondissement)

Philippe Wehrung (2 heures le 7 mars, dans un café du 4ème

arrondissement)

Alice Le Roy (1 heure le 9 mars, dans un café du 11ème

arrondissement)

Thomas Antoni (2 heures le 1er

avril, dans un café du 14ème

arrondissement)

- Certains acteurs que j’aurai trouvé pertinent d’interviewer n’étaient soit pas disposés à

répondre à mes questions, soit indisponibles. Parmi eux : Patrick Bloche, Danièle

Hoffmann-Rispal, Bernard Gaudillère, Nicolas Revel, Eva Sas, Lucie Schmidt,

Géraldine Chalencon, Arlette Zilberg, Fanélie Carrey-Comte, Mickaël Dudragne,

Nathalie Laville, Christine Brunet.

- D’autres acteurs ont accepté de me répondre à condition que leurs propos restent

confidentiels. Ils ne figurent bien évidemment pas dans cette liste.

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Calcul des sièges au Conseil de Paris :

La loi Paris-Lyon-Marseille régissant le mode de scrutin des élections municipales de la

capitale prévoit que la première moitié des sièges de l’arrondissement soit attribuée à la liste

arrivée en tête. La seconde moitié est attribuée elle, à la proportionnelle, avec calcul des

sièges restants selon la règle de la plus forte moyenne.

Exemple : dans le 20e arrondissement on a 13 sièges de conseillers de Paris à pourvoir. La

liste gagnante « A » a obtenu 31% des 100 000 voix, et quatre autres listes , « B », « C », « D

», « E », 24%, 19%, 16% et 10% des voix. Suivant la règle de l’arrondi et celle de la prime

majoritaire, la liste gagnante remporte 7 sièges de conseillers de Paris. Il reste 6 sièges à

pourvoir, soit un quotient électoral de 100 000 (suffrages totaux exprimés) divisé par 6 (sièges

restant à répartir) = 16667. Ensuite, le nombre de voix de chaque liste est divisé par ce

quotient électoral. Le résultat arrondi à l’entier inférieur correspond au nombre de sièges

attribués.

A a obtenu 31 000 voix, aura 31 000 : 16667 = 1,85 soit 1 siège.

B a obtenu 24 000 voix, aura 24 000 : 16667 = 1,43 soit 1 siège.

C a obtenu 19 000 voix, aura 19 000 : 16667 = 1,13 soit 1 siège.

D a obtenu 16 000 voix, aura 16 0000 : 16667 = 0,96 soit 0 siège.

E a obtenu 10 000 voix, aura 10 0000 : 16667 = 0,59 soit 0 siège.

Pour les sièges restants, on procède comme suit : les scores de chacune des listes sont divisés

par leur nombre de sièges de la première attribution plus un. Les résultats sont comparés et le

siège va à la liste au quotient le plus élevé.

Il reste dans notre exemple 3 sièges à attribuer. On calcule le nouveau quotient :

Pour la liste A, 31 000 : (1 + 1) = 15 500

Pour la liste B, 24 000 : (1 + 1) = 12 000

Pour la liste C, 19 000 : (1 + 1) = 9 500

Pour la liste D, 16 000 : (0 + 1) = 16 000

Pour la liste E, 10 000 : (0 + 1) = 10 000

La plus forte moyenne est celle de la liste D. Le premier des trois sièges à attribuer va donc à

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la liste D. On recommence pour le deuxième des trois sièges à attribuer, en ajoutant à la liste

D son siège gagné :

Pour la liste A, 31 000 : (1 + 1) = 15 500

Pour la liste B, 24 000 : (1 + 1) = 12 000

Pour la liste C, 19 000 : (1 + 1) = 9 500

Pour la liste D, 16 000 : (1 + 1) = 8 000

Pour la liste E, 10 000 : (0 + 1) = 10 000

Le deuxième des trois sièges restant à attribuer va à la liste A. Pour le dernier des trois sièges :

Pour la liste A, 31 000 : (2 + 1) = 10 333

Pour la liste B, 24 000 : (1 + 1) = 12 000

Pour la liste C, 19 000 : (1 + 1) = 9 500

Pour la liste D, 16 000 : (1 + 1) = 8 000

Pour la liste E, 10 000 : (0 + 1) = 10 000

Le dernier des trois sièges à attribuer va à la liste B. Le total des sièges est donc :

A = 7 + 1 + 1 = 9 sièges

B = 1 + 1 = 2 sièges

C = 1 siège

D = 1 siège.

E = 0 siège.

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Résumé :

Co-artisans de la prise de Paris en 2001, et depuis partenaires au sein de la majorité plurielle,

les socialistes et les écologistes de la capitale nourrissent un rapport a l'autre compliqué. S'ils

se considèrent encore aujourd’hui alliés, ils n'en sont pas moins rivaux au quotidien. Se

disputant le même électorat, sur un territoire électoralement favorable malgré un

embourgeoisement apparent, le duel parisien entre ces deux formations de gauche est d’une

intensité égale aux joutes politiques opposant habituellement droite et gauche.

Que ce soit lors des séances animées du Conseil de Paris ou dans le cadre de nos entretiens, le

Parti Socialiste et Europe Écologie-Les Verts ne font désormais plus mystère de leurs

divergences de points de vue. Dans la perspective des élections municipales de 2014 où un

successeur devra être trouvé au Maire Bertrand Delanoë, les écologistes de la capitale ont déjà

annoncé leur objectif : devancer leurs concurrents et partenaires socialistes pour prendre le

pouvoir du stratégique Hôtel de Ville de Paris.