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L’ASSURANCE RESPONSABILITÉ POUR DIRIGEANTS D’ENTREPRISE ANALYSE DE LA TARIFICATION ET DES ENJEUX FINANCIERS Gestion des risques et assurances 6-218-98 Travail présenté à M. Jean-François Outreville Effectué par DROZ, Thierry (11062567) LIVERNOCHE, Bruno (11072046) ROY, Christian (11071862) HEC Montréal Le lundi 30 mars 2009

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L’ A S S U R A N C E R E S P O N S A B I L I T É P O U R D I R I G E A N T S D ’ E N T R E P R I S E

ANALYSE DE LA TARIFIC ATION ET DES ENJ EUX FINANCIER S

Gestion des risques et assurances 6-218-98

Travail présenté à M. Jean-François Outreville

Effectué par

DROZ, Thierry (11062567) LIVERNOCHE, Bruno (11072046)

ROY, Christian (11071862)

HEC Montréal Le lundi 30 mars 2009

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Table des matières 1. Introduction ......................................................................................................................................... 3

2. Panorama de l’assurance responsabilité pour dirigeants ...................................................................... 4

2.1 Historique ...................................................................................................................................... 4

2.2 Les types de couverture ................................................................................................................. 4

2.2.1 Couverture de type A ............................................................................................................... 5

2.2.2 Couverture de type B ............................................................................................................... 5

2.2.3 Couverture de type C ............................................................................................................... 6

2.2.4 Couverture contre les pratiques des employés ........................................................................ 6

2.3 Les intervenants du marché ........................................................................................................... 6

2.4 Les tendances récentes .................................................................................................................. 7

3. La tarification ....................................................................................................................................... 8

3.1 Un processus de tarification en 3 étapes ........................................................................................ 8

3.2 Les déterminants de la prime ......................................................................................................... 9

3.2.1 La santé financière ................................................................................................................... 9

3.2.2 La qualité de la gouvernance ................................................................................................... 9

3.3 Les conséquences de la crise financière sur la tarification ............................................................. 10

3.3.1 Les caractéristiques du marché avant la crise ......................................................................... 10

3.3.2 Le nouveau paradigme .......................................................................................................... 11

4. Les enjeux financiers .......................................................................................................................... 12

4.1 Les effets sur la valeur de l’entreprise .......................................................................................... 12

4.2 Le rôle de l’achat d’assurance responsabilité sur la gouvernance des firmes ................................. 12

4.3 L’achat d’assurance responsabilité comme comportement opportuniste ..................................... 14

5. Conclusion ......................................................................................................................................... 15

6. Annexes ............................................................................................................................................. 16

7. Bibliographie ...................................................................................................................................... 20

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1. Introduction La prise de décisions de la part des cadres fait partie de la routine opérationnelle des compagnies. Bien que les dirigeants tentent constamment de prendre les meilleures décisions pour la firme et les actionnaires, il leur arrive parfois de se tromper et d’engendrer de lourdes conséquences. Depuis maintenant plusieurs décennies, les compagnies ont recours à une police d’assurance pour protéger leurs employés contre des poursuites judiciaires suite à de mauvaises décisions, soit l’assurance responsabilité des dirigeants, mieux connue sous son appellation anglaise : directors and officers liability insurance. Les litiges juridiques couverts par ce type d’assurance peuvent provenir de plusieurs sources différentes : actionnaires, fournisseurs, clients et autres partenaires de la firme. Bien que ces assurances soient généralement payées en totalité par les entreprises elles-mêmes, il arrive parfois que les dirigeants doivent payer une partie de la prime lorsque la réglementation le requiert.

Le présent travail sera l’occasion de montrer que l’assurance responsabilité des dirigeants offre des avantages autant pour l’entreprise que pour les employés. De plus, il fera le pont entre le point de vue assurantiel et le point de vue financier en analysant le processus de tarification et en décortiquant l’impact financier d’une assurance responsabilité des dirigeants sur les entreprises. En effet, l’assurance procure une sécurité non négligeable pour les directeurs puisque leurs décisions sont protégées contre d’éventuels recours. De son côté, la firme arrive ainsi à attirer de nouveaux employés et même à retenir les membres de la haute direction plus longtemps.

Il n’est pas rare de lire ou d’entendre des opinions selon lesquelles les polices d’assurance responsabilité pourraient avoir des effets négatifs sur le comportement des administrateurs. Ainsi, on avance parfois que ce type d’assurance pourrait inciter les cadres à prendre des décisions trop risquées, voire carrément dangereuses pour l’entreprise. Il faut pourtant savoir que les gestes intentionnels ou frauduleux ne sont pas couverts par les polices d’assurance responsabilité.

Dans les pages qui suivent, l’assurance responsabilité pour les dirigeants sera dans un premier temps présentée en détail. Par la suite, la tarification de ce type d’assurance sera abordée, passant par le processus de tarification, les déterminants de la prime et les conséquences de la crise actuelle sur la tarification. Finalement, il sera question de l’effet de cette assurance sur la valeur et sur la gouvernance des firmes.

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2. Panorama de l’assurance responsabilité pour dirigeants

2.1 Historique Bien que l’assurance responsabilité des directeurs existe depuis plus d’un siècle, c’est au cours de la dépression des années 1930 que son importance a pris de l’ampleur (voir figure 1 de l’annexe). C’est la compagnie d’assurance britannique Lloyd’s qui a démarré le mouvement. Ces assurances étaient alors disponibles pour les cadres, mais peu d’entreprises étaient intéressées étant donné qu’elles percevaient le risque assurable comme étant trop faible.

Dans les années 1940 et 1950, les lois américaines ont été modifiées afin de faciliter l’accès à l’assurance responsabilité des dirigeants pour les entreprises intéressées par ce type de polices. De nouveaux produits sont alors peu à peu apparus. Ceux-ci allaient de la simple protection financière personnelle à la protection globale des entreprises incluant celle des directeurs.

Au cours des années 1980, la hausse record des taux d’intérêt a engendré énormément de spéculations aux États-Unis. Les pertes ont alors été très importantes pour de nombreux investisseurs. Les assureurs qui avaient vendu des contrats d’assurance responsabilité pour les dirigeants ont subitement vu les réclamations augmenter en flèche suite à de nombreuses poursuites judiciaires. De plus, puisque les limites d’indemnisation n’étaient pas toujours clairement identifiées dans les contrats d’assurance à cette époque, les montants réclamés étaient souvent très élevés.

Depuis les années 1980, la demande pour l’assurance responsabilité a connu une croissance spectaculaire. De nos jours, ces assurances font partie des portefeuilles d’assurances de la majorité des grandes multinationales américaines, européennes et asiatiques. On estime qu’environ 90% des grandes compagnies ont recours à ce type de produit. Les assureurs améliorent, raffinent et complètent constamment leur offre de produits d’assurance responsabilité afin de répondre aux besoins spécifiques des marchés.

2.2 Les types de couverture L’objectif de l’assurance responsabilité est de couvrir les directeurs et les dirigeants contre d’éventuelles poursuites judiciaires liées à leurs actions dans l’entreprise. Plusieurs types de couvertures existent pour répondre à de nombreux besoins. Les polices sont généralement soumises à des conditions strictes telles que des franchises et des limites de remboursements. Par exemple, pour une période donnée, l’assureur peut s’engager à dédommager l’assuré pour le premier événement seulement.

Les polices d’assurance responsabilité des dirigeants contiennent toujours des restrictions. On en retrouve principalement trois, soit les cas de fraude, les événements préalables au contrat et les litiges entre deux personnes assurées. Ainsi, les demandes de réclamation liées à des actes frauduleux ou à des complots visant à enrichir des membres du personnel sont évidemment exclues. De plus, les demandes qui réfèrent à des événements ayant eu lieu avant la date d’entrée en vigueur de la police sont également exclues. Enfin, les litiges entre deux personnes assurées tels qu’un directeur qui déciderait de poursuivre l’entreprise qui l’employait ou un autre administrateur font aussi l’objet de restrictions

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importantes. Il faut toutefois noter que ces restrictions peuvent être modifiées par l’assureur ou par l’assuré. Chaque partie du contrat négocie patiemment le contrat pour déterminer le contenu exact des restrictions.

Généralement, l’assureur n’est pas obligé de défendre l’assuré. Il doit par contre couvrir les frais relatifs à sa défense. Il existe plusieurs types de contrats d’assurance responsabilité des dirigeants, dont trois sont particulièrement populaires, soit la couverture de type A, de type B et de type C. Un dernier type de contrat fait référence plus spécifiquement aux pratiques des employés.

2.2.1 Couverture de type A Cette police couvre directement les dirigeants de l’entreprise pour les pertes résultant des réclamations judiciaires faites contre eux suite à de mauvaises décisions. Ce type de police inclut également les frais de défense. La couverture s’applique lorsque l’entreprise ne peut pas indemniser les dirigeants fautifs. Ainsi, une entreprise peut avoir trois raisons pour être incapable d’indemniser un employé poursuivi. D’abord, elle peut tout simplement en être incapable à cause de ses principes moraux, ses valeurs, son image, etc. Ensuite, la loi ou les politiques internes de l’entreprise peuvent empêcher l’indemnisation de ses employés. Enfin, l’entreprise peut être financièrement incapable de couvrir les frais exigés à cause d’un manque de fonds ou d’un risque de faillite.

La couverture de type A contient également des clauses décrivant précisément les personnes qui sont couvertes par l’assurance. Les employés avec des titres bien précis sont les seuls à pouvoir bénéficier d’une telle assurance. De plus, chaque police définit ce qui est considéré comme étant un acte frauduleux, une mauvaise décision ou un acte dangereux afin de déterminer ce qui est couvert en cas de réclamations. Une attention particulière est aussi portée aux employés pouvant jouer deux rôles distincts dans l’entreprise. Par exemple, un directeur, qui agit en tant que gestionnaire qui prend d’importantes décisions pour la firme peut également être un actionnaire de cette même entreprise. Ainsi, s’il est poursuivi, l’assureur doit être en mesure d’identifier si la poursuite implique la personne en tant que directeur ou en tant qu’actionnaire. Cette nuance peut faire en sorte que la police d’assurance ne s’applique pas. Avec ce type d’entente, il est important de mentionner qu’il n’y a pas de franchise. En effet, près de 98% des compagnies américaines ayant répondu à un sondage ont affirmé n’avoir aucune franchise dans le cadre de leur couverture de type A (Towers Perrin, 2005).

2.2.2 Couverture de type B Une couverture de type B est très semblable à la couverture de type A. Cependant, en cas de poursuites liées à la responsabilité des dirigeants, cette police oblige l’assureur à rembourser à la compagnie les frais de défense ainsi que les réclamations exigées, peu importe si l’entreprise est en mesure de couvrir les frais ou non, ce qui est différent de la couverture de type A qui ne s’applique que lorsque l’entreprise ne peut payer. On retrouve habituellement le même type de clauses et de définitions que dans la couverture de type A. Une autre caractéristique importante est que cette police ne couvre pas la responsabilité de l’entreprise elle-même.

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2.2.3 Couverture de type C Le format de cette police est très semblable à celui d’une couverture de type B. La grande différence est que la couverture de type C protège l’entreprise contre les risques de litige lorsqu’elle est elle-même impliquée dans une poursuite.

2.2.4 Couverture contre les pratiques des employés Cette police couvre les employés, les directeurs et les cadres contre des revendications monétaires liées à d’autres employés. Cette assurance peut couvrir, par exemple, des poursuites impliquant des cas de harcèlement sexuel, de discrimination ou tout acte interdit par la loi. Ce type de police a gagné en popularité au cours des dernières décennies puisque la fréquence et la gravité de ce type de réclamations ont également connu une importante croissance avec le temps. Bien qu’une entreprise puisse théoriquement souscrire uniquement à cette police, elle est généralement achetée conjointement avec une autre police d’assurance responsabilité.

2.3 Les intervenants du marché Les principaux intervenants dans le marché de l’assurance responsabilité sont les acheteurs corporatifs, les compagnies d’assurances et des courtiers d’assurances. Le but des acheteurs corporatifs est de protéger les employés de leur entreprise. Ils sont typiquement enclins à acheter une police d’assurance de type A. Par contre, l’importance de la limite de couverture dépend de la capitalisation de la firme. En effet, selon l’enquête menée par la firme de consultant Towers Perrin en 2007, les firmes qui ont une petite capitalisation (400M$ à 1G$) optent pour une limite de couverture moyenne de 26,4 M$. Les capitalisations moyennes (1G$ à 10G$) et les grandes capitalisations (>10G$) achètent quant à elles des polices avec une couverture moyenne de 52 M$ et de 169 M$ respectivement.

Les compagnies d’assurance ne sont généralement pas prêtes à couvrir la totalité de la limite de couverture de leurs clients, principalement dans le cas des grandes entreprises. Ainsi, lorsque le montant de la couverture excède 10 millions de dollars, les acheteurs corporatifs doivent souvent se tourner vers plusieurs assureurs, qui, une fois combinés, peuvent offrir une protection qui répond aux besoins spécifiques de la firme. On dit alors que la couverture de l’acheteur corporatif est nivelée. Le premier niveau, appelé « police principale », est offert par l’assureur principal. Comme il est le plus proche du client corporatif, il est le premier à débourser les réclamations faites par l’entreprise. Évidemment, c’est l’assureur qui tarife les plus importantes primes. Le marché des assureurs principaux contient seulement quelques grands joueurs, dont Chubb (15% des primes en 2007) et AIG (35% des primes en 2007). Les autres assureurs, connus sous le nom de « excess insurers » en anglais, sont associés aux niveaux supérieurs de la couverture. Ils sont responsables des paiements en fonction de leur limite de couverture.

Les courtiers d’assurance ont pour rôle de combiner tous les niveaux d’assurance pour faire une seule police d’assurance. Les courtiers sont donc des spécialistes qui négocient, magasinent et assemblent les niveaux d’assurance pour leurs clients corporatifs. Enfin, il faut également noter que le rôle des réassureurs n’est pas négligeable dans le domaine de l’assurance responsabilité des dirigeants. Bien que quelques compagnies d’assurances choisissent délibérément de ne pas faire affaire avec des réassureurs,

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la majorité d’entre elles réassurent une partie importante de leur portefeuille afin d’éliminer une partie de leur risque.

2.4 Les tendances récentes Le marché de l’assurance responsabilité des dirigeants a connu une croissance fulgurante depuis les 30 dernières années. Aujourd’hui, la majorité des multinationales ont recours à ce type d’assurance. Toutefois, on s’aperçoit également que la valeur des règlements ou des jugements a énormément augmenté au fil du temps. Avant les années 2000, très peu de règlements associés à l’assurance responsabilité des dirigeants dépassaient la somme de 100 millions de dollars. Au cours de la présente décennie, il est possible de compter plus de douze jugements ayant coûtés plus de 100 millions de dollars et environ un tiers de ceux-ci excèdent 200 millions de dollars. Ces jugements peuvent inclure des litiges concernant les valeurs mobilières des entreprises.

À titre d’exemple, les dirigeants de Cendant Corp. ont été accusés d’avoir fait gonfler artificiellement le prix de l’action sur plusieurs années. L’entreprise a dû refaire ses états financiers sur une très longue période. La poursuite envers les dirigeants a été intentée par les trois plus importants fonds de pension publics aux États-Unis. Le montant de la réclamation s’est élevé à 2,83 milliards de dollars. Un autre exemple connu est celui de la poursuite de 457 millions de dollars contre l’entreprise Waste Management et ses directeurs. Ils ont été accusés d’avoir faussement représenté les faits concernant la situation de la compagnie lors de la fusion avec USA Waste Services. Un dernier exemple réfère à l’entreprise Comp. USA dont le directeur général, l’actionnaire principal ainsi que deux compagnies affilées ont été poursuivis dans une réclamation s’élevant à 455 millions de dollars pour avoir modifié illégalement l’accord pour l’ouverture de franchises aux Mexique. Le jury a alloué 65% des dommages au directeur général, 25% à l’actionnaire principal et 10% aux entreprises affiliées. Les exemples où l’on retrouve d’imposantes sanctions sont nombreux. Une dizaine d’autres jugements de même envergure aurait facilement pu être citée.

Finalement, il est à noter que les cycles du marché affectent le monde de l’assurance responsabilité des dirigeants. Les cycles associés aux marchés compétitif ou difficile influencent grandement les primes et les restrictions à l’intérieur des contrats. Quand le marché est difficile, les assureurs ont tendance à resserrer leurs critères de sélection et à augmenter les primes. La négociation est plus difficile et les assureurs sont moins tentés d’offrir de grandes limites de couverture. Ces augmentations tarifaires font éventuellement augmenter les profits des assureurs et de nouveaux joueurs entrent dans ce segment de l’assurance. Ainsi, une compétition sur les prix débute et le marché devient plus compétitif. Comme les cycles évoluent constamment, les assureurs doivent s’ajuster pour demeurer concurrentiels et rentables. La prochaine section se penchera sur cette question en abordant la question de la tarification.

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3. La tarification

3.1 Un processus de tarification en 3 étapes La tarification d’une assurance responsabilité pour les dirigeants d’une firme repose principalement sur l’évaluation du risque de poursuite judiciaire. Ce type de risque est associé à une fréquence faible, mais à une sévérité importante. Il peut être mesuré à partir de plusieurs facteurs quantitatifs, mais également évalué à partir d’autres aspects davantage qualitatifs. Ainsi, dans le cadre d’une enquête menée auprès des principales compagnies d’assurance américaines, Baker et Griffith (2007) ont découvert que les assureurs emploient un très grand nombre de sources d’informations pour évaluer et mesurer le risque posé par une entreprise. Par exemple, les assureurs consultent abondamment les données publiques telles que les documents déposés à la Security and Exchange Commission (SEC), les rapports d’analystes et les états financiers. Ils mènent également leur propre enquête en colligeant un maximum d’information de nature privée. Pour y arriver, ils rencontrent à plusieurs reprises les cadres supérieurs de l’entreprise.

Après avoir collecté l’information pertinente, les assureurs doivent agréger l’information recueillie afin de déterminer une prime adéquate. Le processus de tarification le plus fréquemment employé repose sur 3 étapes distinctes : le développement d’un algorithme, l’ajustement à l’aide de crédits et de débits ainsi que la prise en compte des contraintes de l’environnement compétitif. L’algorithme s’articule généralement sous une forme simple et permet d’obtenir un prix initial qui sera par la suite ajusté au contexte spécifique de l’entreprise. Il repose sur un certain nombre de facteurs faciles à mesurer tels que la capitalisation boursière, l’industrie, la volatilité du cours boursier ainsi que les ratios comptables et financiers les plus pertinents. En se basant sur la présence de certaines caractéristiques liées par exemple à une bonne ou une mauvaise gouvernance, les assureurs ajustent ensuite la prime initiale générée par l’algorithme en y additionnant ou soustrayant des débits et des crédits. Enfin, les assureurs doivent tenir compte de la prime qui est chargée par leurs concurrents s’ils désirent demeurer compétitifs. Mayerson (2006) distingue d’ailleurs deux types de primes dans le domaine de l’assurance responsabilité : la prime absolue qui est basée sur la valeur rationnelle et économique du risque ainsi que la prime relative qui repose sur le prix demandé par les compétiteurs pour une police d’assurance équivalente. Il insiste surtout sur l’importance accordée par les assureurs à la prime relative puisque le coût réel de la police n’est pas connu avant la fin du contrat. Selon lui, c’est ce qui expliquerait pourquoi certains assureurs sont parfois trop agressifs dans leur tarification.

Le processus menant à la tarification est donc long et onéreux puisqu’il repose sur la collecte de données détaillées. Un des assureurs interviewés par Baker et Griffith (2007) explique en quelques mots le processus de la collecte des données en citant plusieurs facteurs à considérer dans l’établissement de la prime : l’historique de la compagnie, son industrie, la gouvernance, les tendances du cours boursier, les transactions d’initiés, les brevets, la santé financière, l’environnement législatif et les communications avec les investisseurs. Dans le cadre de ce travail, il sera surtout question des deux principaux aspects qui expliquent la prime, soit la santé financière et la gouvernance de la firme.

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3.2 Les déterminants de la prime

3.2.1 La santé financière La santé financière d’une entreprise est cruciale dans la détermination de la prime puisque la très grande majorité des poursuites judiciaires surviennent après une perte reliée à un investissement qui a mal tourné. Pour évaluer ce risque, les assureurs examinent d’abord des facteurs généraux tels que la santé et la maturité de l’industrie dans laquelle évolue la firme, la volatilité du cours de son action ainsi que sa capitalisation boursière. Ainsi, la nature de l’industrie est liée à la fréquence puisque certains secteurs de l’économie sont traditionnellement associés à de nombreux litiges juridiques entre actionnaires et dirigeants. Évidemment, la volatilité est également associée à l’évaluation de la fréquence des sinistres. Il est à noter qu’une firme avec un potentiel de croissance plus important est généralement associée à une volatilité plus élevée, ce qui n’est pas une bonne chose pour un assureur. Enfin, la capitalisation boursière sert conjointement à jauger la fréquence et la gravité puisque les grandes entreprises font plus souvent l’objet de poursuites. De plus, étant donné leur taille plus importante, le montant des poursuites est généralement plus élevé.

Il est important de comprendre que l’analyse financière d’une firme par un assureur diffère largement de celle qui est effectuée par un investisseur potentiel. La principale différence s’articule autour de l’exposition au risque. En effet, les assureurs mettent plus l’accent sur le risque de chute (downside) puisqu’ils reçoivent une prime fixe qui est modeste comparativement à la taille de leur exposition. De leur côté, les investisseurs ont une exposition fixe qui correspond au prix de l’action alors que le potentiel de hausse (upside) est illimité.

3.2.2 La qualité de la gouvernance La qualité de la gouvernance d’une firme est aussi un facteur essentiel à ne pas négliger puisqu’elle permet d’évaluer si les pertes financières seront liées à des violations de la loi. La gouvernance est définie par Baker et Griffith (2007) comme étant un système d’incitatifs et de contraintes qui opèrent à l’intérieur d’une firme. Les deux aspects de la gouvernance qui sont les plus souvent mentionnés par les assureurs qui sont interviewés dans le cadre de leur enquête sont la culture de l’entreprise ainsi que le caractère des dirigeants.

Ainsi, la culture corporative d’une firme joue un rôle névralgique dans la probabilité de poursuites judiciaires puisqu’elle peut contribuer à la mise en place de contraintes formelles ou informelles au sein d’une entreprise. Par exemple, une rémunération des gestionnaires sous la forme d’options peut mener à des actions inconsidérées de la part des dirigeants dans le but de maximiser à court terme leur richesse personnelle au détriment des intérêts à long terme de la firme. De plus, une rémunération exagérée peut être le signe d’un manque de contrôle de la part du conseil d’administration. L’importance du contrôle interne fait également partie de la culture d’une entreprise. Ainsi, la façon selon laquelle les revenus sont reconnus permet aux assureurs d’avoir une bonne idée de la qualité des mécanismes de contrôle. Un autre aspect important est l’efficacité des communications internes qui peut faire en sorte que le conseil d’administration soit averti rapidement ou lentement d’une mauvaise nouvelle. La structure de propriété peut également influencer la culture corporative puisqu’un actionnaire qui détient un bloc de contrôle sera plus porté à surveiller attentivement le travail des gestionnaires. Enfin, d’autres

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facteurs tels que l’indépendance du conseil d’administration ou la composition des comités sont également cités par les assureurs qui ont participé aux recherches de Baker et Griffith.

Le deuxième aspect de la gouvernance cité par les assureurs fait référence au caractère des dirigeants. Les assureurs ont tendance à se méfier des gestionnaires qui sont arrogants ou qui font preuve d’une aversion au risque trop faible, même si ces caractéristiques sont difficiles à mesurer quantitativement. Par exemple, un gestionnaire dont l’appétit pour le risque et la croissance est trop grand pourrait faire en sorte que les employés qui sont sous sa responsabilité soient tentés de fausser des résultats lorsque la performance de la firme est en deçà des attentes trop élevées. En conséquence, les assureurs tentent d’évaluer la réputation, les aptitudes ainsi que l’historique de poursuites judiciaires de chacun des dirigeants à partir de recherches approfondies et de multiples entrevues.

3.3 Les conséquences de la crise financière sur la tarification

3.3.1 Les caractéristiques du marché avant la crise Le marché de l’assurance responsabilité aux États-Unis est entré dans une zone de turbulence au tournant des années 2000. À cette époque, les scandales financiers et comptables tels que Enron et WorldCom se sont multipliés en sol américain. On a alors assisté à une phase de marché difficile et les primes ont augmenté de façon exponentielle (voir la figure 2 de l’annexe). Après avoir atteint un sommet en 2003, les primes ont peu à peu diminué pour revenir au niveau des années précédentes.

Selon l’index de l’évolution des primes depuis 2001 compilé par la firme de consultant Aon, le prix demandé pour une couverture d’assurance responsabilité a atteint un plancher lors du troisième trimestre de 2008 si on tient compte de l’inflation. En fait, après les sommets historiques de 2003, le marché de l’assurance responsabilité est entré progressivement dans une phase de marché compétitif. Cette situation s’explique en grande partie par une forte compétition qui a amené les assureurs à tarifer en dessous du risque réel correspondant aux calculs actuariels. Un autre facteur important qui a contribué à l’assouplissement du marché au cours des dernières années est le nombre très faible de poursuites judiciaires. Selon les données recueillies par la Stanford Law School, le nombre de recours contre des dirigeants a atteint un plancher historique en 2006 (voir la figure 5 de l’annexe).

Peu après le début de la crise des subprimes en 2007, plusieurs observateurs du domaine de l’assurance responsabilité ont affirmé que les conditions qui permettaient au marché compétitif d’exister allaient se maintenir en 2008 et même en 2009. Par exemple, dans un article datant d’août 2008, Kevin LaCroix identifie 4 facteurs qui allaient selon lui atténuer l’ampleur de l’impact de la crise des subprimes sur le marché de l’assurance responsabilité. D’abord, il constate avec justesse qu’un grand nombre de banques s’autoassurent pour ce type de risque. En cas de poursuite contre ces banques, les assureurs n’auront pas à débourser de frais. LaCroix rappelle également que c’est principalement le secteur financier qui sera touché par les poursuites. Or, seulement certains assureurs sont présents dans cette niche particulière. De plus, les assureurs qui sont actifs sur ce marché sont généralement caractérisés par une plus grande taille et sont mieux diversifiés que les plus petits joueurs. Une autre raison évoquée par LaCroix est que le niveau actuel de poursuites est encore très loin du niveau record de 2001 dans la foulée des scandales financiers et comptables aux États-Unis (voir figure 5 de l’annexe). Enfin, puisque

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les assureurs ont connu plusieurs années consécutives d’excellents résultats, LaCroix prévoit un certain délai avant le durcissement du marché et la hausse des tarifs.

Or, depuis l’aggravation à l’échelle mondiale de la crise financière à l’automne 2008, force est d’admettre que la capacité excédentaire jusque-là observée semble être en voie de disparaître complètement puisque les surplus des bonnes années commencent à s’épuiser dangereusement. Plusieurs analystes doivent réviser leur estimation puisqu’ils considèrent que la détérioration de la crise financière a engendré un nouveau paradigme.

3.3.2 Le nouveau paradigme Le dernier rapport trimestriel sur la tarification dans le domaine de l’assurance responsabilité vient tout juste d’être publié par la firme de consultant Aon. Pour la première fois depuis 20 trimestres consécutifs, les analystes d’Aon observent une hausse annuelle qui est de l’ordre de 3,15% (voir figure 3 de l’annexe). Bien qu’il y ait eu auparavant des hausses d’un trimestre à l’autre, il faut savoir que ces augmentations étaient surtout dues à des facteurs saisonniers et cycliques, ce qui n’est pas le cas ici puisque la hausse est annuelle et non pas trimestrielle. Selon les spécialistes d’Aon, cette augmentation était prévisible puisque les primes et les cours boursiers ont toujours été historiquement négativement corrélés (voir figure 5 de l’annexe). Par contre, un aspect inédit de la situation présente est la soudaineté avec laquelle la hausse a été observée. En effet, on remarque traditionnellement un certain retard entre les chutes des cours boursiers et les augmentations tarifaires, ce qui n’a pas été le cas cette fois. Par contre, en décomposant cette hausse selon les secteurs d’activité, on réalise que la hausse est uniquement attribuable à l’explosion des primes pour les entreprises œuvrant dans l’industrie financière. Ainsi, les institutions financières ont vu leur prime bondir de 50,0% alors que tous les autres secteurs mis ensemble ont connu une baisse de 6,3%, ce qui fait dire à des intervenants tels que Kevin LaCroix que le marché demeure compétitif malgré la crise financière.

Un événement majeur qui a sans contredit aggravé la perception du risque est le scandale Madoff qui fait maintenant craindre aux assureurs une nouvelle vague de poursuites judiciaires. Dans la foulée de cette affaire, la firme de consultants Advisen a décidé de revoir ses estimations initiales à la hausse. En date du 4 novembre 2008, elle prévoit désormais des pertes totales de l’ordre de 5.9 milliards de dollars américains, contrairement à sa prévision originale qui était de 3.6 milliards en février. Ces pertes des assureurs publics américains dans le domaine de l’assurance responsabilité s’échelonnent sur la période qui va de l’année 2007 à 2009. Ce nouveau montant repose sur une augmentation du nombre de poursuites en 2008 et sur l’hypothèse que cette tendance à la hausse devrait se poursuivre en 2009. En fait, selon les experts d’Advisen, toutes les parties impliquées dans l’émission et la titrisation des actifs toxiques sont désormais sujet à des poursuites (voir la figure 6 de l’annexe). Les deux principales allégations que pourraient faire valoir les actionnaires mécontents devant un juge seraient que les prêteurs à l’origine de la crise des subprimes manquaient de mécanismes de contrôle interne ainsi que le fait que les états financiers ne reflétaient pas adéquatement la situation réelle de l’entreprise puisque les actifs toxiques n’ont pas été dépréciés suffisamment rapidement. Le véritable nombre de poursuites judiciaires demeure tout de même bien en deçà des niveaux records de 2001. La raison est que les causes des pertes financières sont bien souvent systémiques plutôt que propres à l’entreprise. Dans ce contexte particulier, il apparaît difficile de convaincre un juge du bien-fondé d’une poursuite contre les dirigeants.

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4. Les enjeux financiers

4.1 Les effets sur la valeur de l’entreprise La décision d’achat d’assurance responsabilité pose un important problème d’agence, car cette décision est prise par et pour la protection des gestionnaires alors que les primes sont assumées par les actionnaires. Coles et al. (1987) se sont intéressés à ce sujet et ont ainsi étudié les liens entre la décision de couverture d’assurance et la valeur de la firme, mesurés par la variation du prix de l’action cotée en bourse après l’annonce de la décision de couverture d’assurance.

Deux écoles de pensée s’opposent concernant l’importance et les effets de l’assurance pour la firme et les actionnaires. La première voit l’assurance comme étant absolument nécessaire afin d’attirer et retenir les gestionnaires les plus compétents en réduisant leurs risques personnels en cas de poursuites judiciaires menées par les actionnaires. Ensuite, plus la compagnie est grande, plus les risques encourus par les gestionnaires sont importants. Cela peut avoir un effet pervers sur la façon dont ils gèrent la compagnie en exerçant une gestion trop conservatrice. Pire encore, cela pourrait même sortir du marché des bons gestionnaires qui préfèreraient ne pas accepter et assumer les responsabilités de ces postes de direction. Dans cette optique, l’assurance permettrait donc aux gestionnaires de prendre les risques nécessaires dans les activités normales de la compagnie conformément aux besoins de l’entreprise et des actionnaires, ceci sans craindre pour leurs propres intérêts personnels.

Les opposants à l’assurance soutiennent pour leur part que cette dernière affaiblirait l’efficacité des poursuites comme moyen de contrôle des gestionnaires afin de réduire les problèmes d’agence. Selon eux, si les gestionnaires ne sont pas personnellement responsables de leurs actions, la crainte de poursuites aura un impact réduit sur l’alignement des intérêts des gestionnaires avec ceux des actionnaires. De plus, ils prétendent que l’assurance réduirait les efforts de diligence des gestionnaires, ces derniers faisant face à moins de responsabilités.

Les chercheurs Coles et al. (1987) ont prouvé dans leur recherche que l’achat d’assurance avait un effet positif sur la valeur des actions et que c’était donc perçu comme un signe positif par les investisseurs. Selon eux, l’hypothèse de la première école de pensée est validée par ce résultat, car l’assurance aurait plus d’avantages que d’inconvénients et permettrait aux gestionnaires de gérer la compagnie de façon convenable en prenant les risques nécessaires sans avoir peur d’être poursuivis. Ils rappellent ainsi que le rôle d’une compagnie est spécifiquement de prendre des risques dans les domaines où elle est spécialisée, et que le surconservatisme des gestionnaires qui ne seraient pas protégés efficacement serait contre l’intérêt de la firme et de ses actionnaires.

4.2 Le rôle de l’achat d’assurance responsabilité sur la gouvernance des firmes La gouvernance d’entreprise représente l’ensemble des moyens par lesquels l’entreprise est dirigée par ses gestionnaires pour le compte des actionnaires. La littérature propose une série de mécanismes pour combattre les problèmes d’agence qui surviennent entre les actionnaires et les gestionnaires tels que le marché des prises de contrôle externes, la concurrence sur les produits, ainsi que le marché des gestionnaires à la recherche d’un emploi. À l’interne également, Schleifer et Vishny (1988) ont montré que la présence de gros actionnaires pouvait réduire ces problèmes d’agence grâce au fait qu’ils soient

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financièrement très impliqués dans la firme. Finalement, la propriété directe ou indirecte de la firme détenue par les gestionnaires sous la forme d’actions ou de produits financiers dérivés du prix de l’action peut être un bon moyen d’inciter les gestionnaires à aligner les intérêts de la firme avec ceux des actionnaires puisqu’ils retirent ainsi des avantages financiers similaires (Jensen et Meckling, 1976).

Dans un autre registre, Holderness (1990) suggère que l’achat d’assurance a également un rôle sur la surveillance (monitoring) des firmes publiques, c’est-à-dire sur les mécanismes de contrôle des gestionnaires. Selon lui, puisque les assureurs procèdent à un examen approfondi des pratiques des gestionnaires pour lesquels une couverture d’assurance est contractée, cela peut donner un incitatif aux gestionnaires pour qu’ils agissent dans le même intérêt que les actionnaires. De plus, l’assurance peut favoriser le recrutement de dirigeants indépendants et externes pour siéger au conseil d’administration grâce à la baisse de leur responsabilité financière en cas de poursuite, ce qui augmente ainsi l’efficacité de la gouvernance. Priest (1987) ainsi que Daniels et Hutton (1993) ont en effet prouvé que les firmes ne disposant pas de contrat d’assurance responsabilité éprouvaient plus de difficultés à trouver de bons membres indépendants pour leur conseil d’administration.

Aussi, l’assureur peut insister sur la présence et sur le nombre de membres indépendants siégeant sur le conseil d’administration, ainsi que sur la séparation des rôles du PDG et du président du conseil d’administration. Ainsi, tout comme une banque impose des conditions et procède à une surveillance accrue des activités de la firme lors de l’octroi d’un prêt, l’assureur peut exiger des ajustements concernant la gouvernance de la firme avant de contracter une assurance. Cela agit clairement dans l’intérêt des actionnaires, car cela réduit les problèmes d’agence.

Plus tard, O’Sullivan (1997) a prouvé empiriquement l’hypothèse de surveillance de Holderness. En utilisant un échantillon de firmes publiques britanniques, il a étudié les liens entre la composition du conseil d’administration, la propriété des gestionnaires, la présence de gros actionnaires et l’achat d’assurance responsabilité. Ses résultats montrent que les petites compagnies utilisent les deux moyens internes et externes pour effectuer la surveillance. Cependant, plus une firme devient grande, plus les moyens de gouvernance externes deviendraient chers. Ainsi, selon l’auteur, les grandes firmes substitueraient la présence des gros actionnaires et la propriété des gestionnaires comme moyen de contrôle pour favoriser l’achat d’assurance responsabilité et l’utilisation de membres indépendants externes dans le conseil d’administration, ce qui serait plus facile à réaliser. O’Sullivan a également pu démontrer que l’achat d’assurance responsabilité et la propriété des gestionnaires étaient des mécanismes de gouvernance qui se substituaient l’un à l’autre. L’hypothèse de Holderness et les résultats d’O’Sullivan démontrent donc l’utilité de l’assurance responsabilité comme moyen de contrôler les gestionnaires et donc d’augmenter le niveau de la gouvernance d’entreprise, ce qui est très important pour les investisseurs et qui revient souvent dans les médias lors des scandales financiers.

Cependant, Baker et Griffith (2007) relaxent un peu les hypothèses de Holderness quant à l’efficacité de l’assurance responsabilité en ce qui a trait à la surveillance. Selon eux, le coût des primes d’assurance ne serait pas assez élevé pour modifier durablement le comportement des gestionnaires, soit parce que le coût ne représenterait qu’une infime partie des dépenses totales des grosses compagnies, soit parce que la différence de primes payées par les bonnes et mauvaises firmes ne serait pas assez significative. Par

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conséquent, les efforts qui doivent être entrepris pour modifier la gouvernance ne seraient pas, d’après les auteurs, suffisamment récompensés par des baisses de primes.

4.3 L’achat d’assurance responsabilité comme comportement opportuniste Il est reconnu que les gestionnaires possèdent des informations privées sur les futures opérations de la firme dont ne disposent pas les actuels et potentiels actionnaires ainsi que les autres parties prenantes (stakeholders). La théorie de l’opportunisme managérial soutient que ces gestionnaires utiliseraient cette information à leur propre bénéfice au détriment des actionnaires. En parallèle, le niveau de transactions d’initiés représenterait un bon proxy de l’opportunisme des gestionnaires comme Seyhun (1996), Lee (1997) et Kahle (2000) l’ont montré. Ainsi, ces données procurent beaucoup d’informations sur les opinions des gestionnaires quant à la valeur future des actions. Cependant, la plupart des pays forcent les gestionnaires à divulguer leurs transactions aux autorités, mais les investisseurs ne sont mis au courant seulement qu’a posteriori.

Dans un autre contexte, Chalmers, Dann et Harford (2002) se sont également intéressés à l’achat d’assurance responsabilité. Ils ont étudié des firmes qui ont mené des premiers appels publics à l’épargne (initial public offering) et qui ont souscrit au même moment à de l’assurance responsabilité. Ils ont montré que la couverture d’assurance était un bon proxy pour révéler l’opportunisme des gestionnaires. En effet, ils ont trouvé une forte relation négative entre les montants de couvertures d’assurances contractées et la performance de l’action boursière sur les trois années suivant l’IPO.

Les gestionnaires choisiraient ainsi d’émettre des actions lorsque la valeur au marché est supérieure à la valeur qu’ils estiment grâce à leurs informations privilégiées. Puisque le risque de poursuite par les actionnaires est proportionnel à la surévaluation des actions émises, il existerait un lien entre le choix du montant de la couverture et la décision de vendre des actions surévaluées. Par conséquent, selon cette théorie, plus les gestionnaires savent que les actions qu’ils émettent sont surévaluées par rapport à leur vraie valeur en tenant compte des informations privilégiées dont ils disposent, plus ils décideraient d’acheter des couvertures d’assurance élevées. La décision d’achat d’assurance représenterait donc un comportement opportuniste des gestionnaires.

Cette étude ajoute un élément de discussion important au débat concernant la divulgation obligatoire des informations relatives aux couvertures d’assurance responsabilité contractées par les firmes. Au Canada et en Angleterre, là où

la majorité des études traitant de l’assurance responsabilité ont été réalisées grâce à la disponibilité des informations, les détails des assurances des compagnies publiques doivent être obligatoirement divulgués aux investisseurs. Cependant, cela n’est pas requis aux États-Unis. Suite aux résultats évoqués ci-dessus, plusieurs intervenants aimeraient voir le gouvernement américain légiférer sur ce sujet afin qu’il devienne obligatoire pour les firmes publiques de publier les détails des assurances contractées, de la même manière qu’il est actuellement obligatoire de publier les transactions faites par les initiés. Il serait donc dans l’intérêt des investisseurs et des actionnaires d’avoir accès à ces informations puisque cela fournirait un outil supplémentaire pour tenter de mieux valoriser et comparer les firmes.

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5. Conclusion En conclusion, l’assurance responsabilité pour dirigeants a beaucoup évolué au cours des dernières décennies. Aujourd’hui, la très grande majorité des multinationales ont recours à ce type de produit. Les besoins des entreprises en termes d’assurances sont devenus très spécifiques et précis, ce qui a forcé les compagnies d’assurances à élargir leur offre. De nombreux types de couvertures ont ainsi vu le jour récemment. Le grand nombre de scandales financiers au cours de la dernière décennie incite désormais les entreprises à prendre des limites de couverture de plus en plus importantes.

La tarification de l’assurance responsabilité pour dirigeants est un processus complexe et dispendieux. Elle est basée sur une enquête en profondeur sur les entreprises, tant au niveau de la santé financière que de la gouvernance de la firme. Avant la crise financière actuelle, le marché de l’assurance était compétitif. Les firmes n’étaient pas très frileuses vis-à-vis du risque et les primes demeuraient basses. Par contre, la tendance risque de se renverser depuis l’aggravation de la crise, surtout pour le domaine financier.

L’assurance responsabilité des dirigeants a plusieurs effets non négligeables sur les entreprises. Selon plusieurs études de chercheurs académiques, ces assurances auraient un effet positif sur la valeur des actions des firmes assurées. De plus, la protection qu’elles engendrent permettrait d’attirer et de retenir le personnel.

Finalement, on peut dire que l’assurance responsabilité des dirigeants est un produit tout à fait approprié pour se protéger contre certains risques qui ont des fréquences faibles, mais dont la gravité est élevée. En effet, les charges liées aux procédures judiciaires sont de plus en plus importantes. Ce produit a connu une grande croissance récemment et il est fort probable que cette croissance n’est pas terminée.

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6. Annexes Figure 1 : Évolution du Dow Jones (1900 à 2008)

Source : StockCharts (2009)

Crise des années 80 : augmentation spectaculaire des réclamations pour les assurances responsabilité des dirigeants.

Années 40-50 : modification des lois pour faciliter l’accès à l’assurance responsabilité des dirigeants

Crise des années 30 – Début officiel de l’assurance responsabilité des dirigeants par Lloyd’s de Londres

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Figure 2 : Évolution annuelle de la prime (1974 à 2007)

Source : Towers Perrin (2007)

Figure 3 : Évolution trimestrielle de la prime (2002 à 2008)

Source : Aon (2009)

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Figure 4 : Comparaison de la prime du secteur financier et des autres secteurs (2002 à 2007)

Source : Aon (2009)

Figure 5 : Comparaison de la prime avec le rendement du marché et le nombre de poursuites (1999 à 2008)

Source : Aon (2009)

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Figure 6 : Chronologie des poursuites judiciaires liées à la crise financière

Source : Advisen (2008)

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