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    UNIVERSIT DU QUBEC MONTRAL

    FORME LOGIQUE DU JUGEMENT ETDDUCTION MTAPHYSIQUE CHEZ KANT

    MMOIREPRSENTCOMME EXIGENCE PARTIELLEDE LA MATRISE EN PHILOSOPHIE

    PARJACQUES DURANCEAU

    DCEMBRE 2007

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    UNIVERSIT DU QUBEC MONTRALService des bibliothques

    Avertissement

    La diffusion de ce mmoire se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signle formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cyclessuprieurs (SDU-522 - Rv.01-2006). Cette autorisation stipule que conformment l'article 11 du Rglement no 8 des tudes de cycles suprieurs, [l'auteur] concde l'Universit du Qubec Montral une licence non exclusive d'utilisation et depublication de la totalit ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pourdes fins pdagogiques et non commerciales. Plus prcisment, [l'auteur] autorisel'Universit du Qubec Montral reproduire, diffuser, prter, distribuer ou vendre descopies de [son] travail de recherche des fins non commerciales sur quelque supportque ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entranent pas unerenonciation de [la] part [de l'auteur] [ses] droits moraux ni [ses] droits de propritintellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la libert de diffuser et decommercialiser ou non ce travail dont [il] possde un exemplaire.

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    TABLE DES MATIRES

    LISTE DES ABRVIATIONS p.ivLISTE DES FIGURES ET TABLEAUX p.ivRSUM p.vINTRODUCTION p.1CHAPITRE 1- LOGIQUE, FORME ET JUGEMENT CHEZ KANT.. p.151.1 La logique chez Kant p.15

    1.1.1 Typologie p.151.1.2 Perspectives pistmiques p.25

    1.2 La forme : p.321.3 Le jugement chez Kant.. p.35

    1.3.1 Typologie p.361.3.1.1 Jugements analytique et synthtique: dfinitions gnrales p.361.3.1.2 Jugement synthtique a priori p.381.3.1.3 Jugement synthtique a posteriori p.401.3.1.4 Jugements dterminant et rflchissant p.411.3.1.5 Jugement moral p.43

    1.3.2 Unit analytique. unit synthtique et forme logique p.471.4 Conclusion p.51CHAPITRE Il - STRUCTURE INTERNE ET FONCTIONS DU JUGEMENTDTERMINANT p.542.1 La dduction transcendantale p.55

    2.1.1 Les dductions subjective et objective et la dduction de 1781 p.552.1.2 La dduction de 1787 p.57

    2.2 L'acte de connaissance chez Kan\. p.632.2.1 La question de Iusage p.642.2.2 L'acte de raison et les raisonnements p.682.2.2.1 L'acte de raison en gnral p. 70

    2.2.2.2 Raisonnements de l'entendement, de la raison et de lafacultde juger . p.71

    2.2.3 L'acte de subsomption et la facult de juger p.742.2.4 Les actes de l'entendement p.79

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    2.2.4.1 L'acte de la spontanit p.802.2.4.2 L'acte de synthse et l'acte de dtermination p.822.2.4.3 Les actes logiques de comparaison, rflexion et abstraction p.94

    2.3 Fonctions du jugement selon trois dfinitions logiques p.1 002.3.1 Le concept en gnral p.1 002.3.2 Le jugement comme manire d'amener des connaissances

    l'UOSA p.1022.3.3 Le jugement comme fonction d'unit p.1 072.3.4 Le jugement comme rgle p.113

    2.4 Conclusion p.118

    CHAPITRE III - LES MULTIPLES VISAGES DE LA DDUCTIONMTAPHYSIQUE p.1213.1 Strawson et la dmonstration des concepts purs p.1223.2 Heidegger et la question du fondement p.1323.3 Longuenesse et le fil rouge p.1443.4 Conclusion p.151

    CONCLUSION _ _ p.153NOTES p.159BIBLIOGRAPHIE p.162

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    LISTE DES ABRVIATIONSLes rfrences bibliographiques seront faites directement dans le texte, la plupart dutemps l'aide d'abrviations dont la liste suit. Il n'y a pas d'abrviation pour les ouvragesqui ne sont cits qu'une fois. Lorsqu'il y aura plus de trois rfrences entre parenthses,pour indiquer des occurrences multiples, celles-ci seront renvoyes dans les notes setrouvant la fin du mmoire. Par ailleurs, conformment l'usage en vigueur, lesrfrences pour la Critique de la raison pure indiquent (en plus des pages de l'ditionutilise, soit celle d'Alain Renaut), la pagination des deux ditions originales: soit A pourl'dition de 1781 et B pour celle de 1787. Pour la Critique de la facult de juger (en plusdes pages de l'dition d'Alain Renaut), j'ai indiqu la pagination des tomes selon ladivision de l'dition de l'Acadmie de Berlin, soit XX pour l'introduction de la premiredition et V pour le texte de la seconde dition.Oeuvres de KantCFJu, Critique de la facult de jugerCRPra, Critique de la raison pratiqueCRPu, Critique de la raison pureLog., LogiqueMurs, Fondements de la mtaphysique des mursProl., Prolgomnes toute mtaphysique future qui pourra se prsenter comme scienceAutres uvresBS, Bounds of sense, STRAWSONIPCRPu, Interprtation phnomnologique de la Critique de la raison pure,HEIDEGGERJP, Judgment and proposition, NUCHELMANSKPJ, Kant et le pouvoir de juger, LONGUENESSEKPM, Kant et le problme de la mtaphysique, HEIDEGGERVK, Le vocabulaire de Kant, VERNEAUX

    LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX

    TABLEAU 1.1 - Les deux tables de la dduction mtaphysique pAFIGURE 1.1 - Types de logique chez Kan t p.24FIGURE 1.2 - Types de jugement chez Kant.. pA5TABLEAU 2.1 - Liste des schmes correspondant aux concepts purs p.91FIGURE 2.1 - Le jugement comme reprsentat ion mdiate p.110

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    RSUMLa prsente recherche porte en bonne partie sur le premier chapitre del'Analytique des concepts, galement dsign par Kant comme tant ladduction mtaphysique. Pour l'essentiel, ce chapitre prsente deux tables, celledes formes logiques du jugement et celle des concepts purs de l'entendement.Notre objectif est de tenter de voir en quoi les formes logiques du jugementpeuvent nous amener dduire les concepts purs de l'entendement, ce qui est laprtention de Kant.Notre hypothse est qu'un rapport dductif peut tre envisag entre les deuxtables dans la mesure o on tient compte du type de jugement impliqu et desdiverses significations qu'on peut donner dduction mtaphysique.Au premier chapitre, nous analysons les types de logique chez Kant pourcomprendre la nature exacte de la logique formelle et son rle dans la dductionmtaphysique. Nous concluons que celui-ci consiste clarifier les rglesfondamentales de l'entendement et que, ce faisant, l'analyse de ces lois peutcertainement fournir des indications sur les concepts purs. Notre tude destypes de jugement nous amne par ailleurs conclure que, selon toutevraisemblance, il ne peut s'agir dans la dduction mtaphysique que dujugement dterminant. .Le deuxime chapitre est d'ailleurs consacr la structure interne du jugementdterminant et ses diverses fonctions. La premire partie conclut que l'acte dedtermination temporelle est au cur de notre problme et la seconde partie qu'ilexiste des liens inquivoques entre le jugement et le concept en gnral.Si les deux premiers chapitres sont surtout analytiques et explicatifs, le troisimechapitre est plutt valuatif. Il propose une valuation des critiques de Strawson,Heidegger et Longuenesse. Cette dernire tape permet de prendre du recul surla signification de la dduction mtaphysique et de considrer notre question endehors de son cadre strict.Au terme de notre recherche, nous concluons qu'il semble impossible de parvenir dduire les concepts purs des simples formes logiques du jugement, sansl'clairage de la dduction transcendantale et du schmatisme. En ce sens, ilfaut plutt considrer le premier chapitre de l'Analytique des concepts comme ledbut d'une explication qui trouve son achvement au terme de l'Analytiquetranscendantale.MOTS CLS: Kant, Jugement, Logique, Formes, Catgories, Dduction.

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    INTRODUCTION

    La notion de jugement est au cur de la philosophie de Kant. Il dfinitl'entendement comme un pouvoir de penser qui n'est rien d'autre qu'un pouvoir dejuger et la question des jugements synthtiques a priori constitue la problmatiquecentrale de la Critique de la raison pure. . Au dbut de 1' Analytique desconcepts , Kant se propose de dduire les concepts purs de l'entendement partirdes formes logiques du jugement ou, plus prcisment, des fonctions logiques del'entendement dans le jugement. La table des catgories est une pice matressede 1' Analytique transcendantale et, par le fait mme, de tout l'difice de laCritique. Kant considre que la liste de ces fonctions logiques et son accord avec lescatgories donne la mesure exacte du pouvoir de l'entendement et c'est partir dece pouvoir, situ l'intrieur de nous, que le sujet pourra dicter sa loi la nature.Le prsent mmoire porte donc essentiellement sur ce premier chapitre del' Analytique des concepts , premier chapitre que Kant nomme galementdduction mtaphysique.

    Cette dduction a pourtant fait l'objet de nombreuses critiques depuis deux sicles. Ilest tonnant de voir quel point des philosophes d'obdiences aussi diverses Strawson ou Heidegger s'accordent sur le caractre arbitraire de ces listes et lapauvret des explications fournies par Kant concernant le paralllisme entre lesdeux tables. Avant d'noncer la problmatique centrale du prsent mmoire, je vaispremirement claircir le sens de l'expression dduction mtaphysique, Dans undeuxime temps, j'en dcrirai brivement la structure et le contenu. En troisimelieu, je prsenterai la thse et les principaux arguments sur lesquels Kant s'appuie,en les accompagnant de critiques de certains commentateurs. Enfin, j'exposerai maproblmatique, la mthode que j'entends suivre et l'organisation du mmoire.

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    La dduction mtaphysiqueC'est au dbut du paragraphe 26 de la dduction transcendantale, que Kant qualifiertroactivement le premier chapitre de l'Analytique des concepts de dductionmtaphysique. Voici l'extrait en question:

    Dans la dduction mtaphysique, l'origine a priori des catgories a t dmontre engnral par leur parfait accord avec les fonctions logiques universelles de la pense,tandis que, dans la dduction transcendantale, c'est la possibilit de ces catgoriescomme connaissances a priori des objets d'une intuition en gnral qui a t dmontre( 20, 21). (CRPu, p.214/B159).Pour trouver un sens l'expression, il faut se rapporter la division de l'Esthtiquetranscendantale. Kant y propose deux types d'exposition pour son explication desconcepts du temps et de l'espace: l'Exposition mtaphysique et l'Expositiontranscendantale. Voici ce qu'il nous dit de la premire: J'entends en fait parexposition (expositio) la reprsentation claire (bien que non dtaille) de ce quiappartient un concept, tandis que l'exposition est mtaphysique quand ellecontient ce qui prsente le concept comme donn a priori (ibid., p.120, A23/B38).Plus loin, au sujet de la seconde: J'entends par exposition transcendantalel'explication d'un concept comme constituant un principe partir duquel la possibilitd'autres connaissances synthtiq ues a priori peut tre aperue. (ibid., p.122,A25/B40). La diffrence n'est pas facile saisir et demeure, encore aujourd'hui,objet de controverses. Il semble nanmoins que l'Exposition et la dductionmtaphysiques ne fassent absolument pas intervenir des objets de connaissance,ce qui n'est pas le cas pour l'Exposition et la dduction transcendantales. Notonsenfin que le deuxime chapitre de 1'Analytique des concepts , qui se nommeofficiellement De la dduction des concepts purs de l'entendement, est beaucoupplus long et vise spcifiquement, comme le dit Kant, dmontrer la validit objectivedes concepts purs de l'entendement.Si certains auteurs jugent cette dnomination tardive mystrieuse et injustifie (C'estle cas de Roger Verneaux dans son dictionnaire Le vocabulaire de Kant, ci-aprsVK, p.116), tous les commentateurs qui se sont penchs sur ce chapitre s'y rfrent

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    nanmoins comme tant la dduction mtaphysique, ce que je ferai galement pourla suite de ce mmoire.

    Structure et contenuComment la dduction mtaphysique est-elle structure? Aprs une introduction oKant nonce la thse de la dduction, le chapitre est suivi de quatre paragraphess'inscrivant dans la suite des huit premiers, dont tait constitue l'Esthtiquetranscendantale. Les paragraphes 9 et 10 prsentent deux tables, la premirecomportant les douze formes logiques du jugement (ou fonctions logiques del'entendement dans les jugements) et la seconde les. douze concepts purs del'entendement (ou catgories). Ces deux tables comportent chacune quatre sectionsintitules: quantit, qualit, relation et modalit, chaque section comprenant, sontour, trois moments. Aprs la prsentation des douze formes logiques du jugement,au paragraphe 9, il Y a quatre alinas dans lesquels Kant donne des explicationsconcernant les diffrences entre sa table et celles habituellement proposes par leslogiciens. Essentiellement, Kant justifie dans ces passages son choix d'inclure troismoments dans chacune des quatre divisions plutt que deux. S'enchane ensuite leparagraphe 10 dbutant par une thorie de la synthse. Il y dfinit celle-ci commetant le rassemblement du divers dans une connaissance et distingue la synthseempirique de la synthse pure, cette dernire tant celle qui intresse toutparticulirement les concepts purs de l'entendement. Voici les deux tables mises enparallle. 1

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    TABLEAU 1.1 - Les deux tables de la dduction mtaphysiqueFonctions logiques de Concepts purs de l'entendementl'entendement dans les jugements QUANTITESinguliers UnitParticuliers PluralitUniversels Totalit

    QUALITEAffirmatifs RalitNgatifs NgationInfinis Limitation

    RELATIONCatgoriq ues Inhrence et subsistance(substantia et accidens)Hypothtiques Causalit et dpendance(cause et effet)Disjonctifs Communaut (action rciproque entreJ'a:jent et le patient)MODALITE

    Problmatiques Possibilit - ImpossibilitAssertoriq ues Existence - Non-existenceApodictiques Ncessit - Contingence

    Les paragraphes 11 et 12 ont t ajouts la seconde dition et traitent plusparticulirement des catgories. Au paragraphe 11, Kant nous propose une autredivision sa table des catgories, une sorte de mta-division qui se superpose celles dj prsentes. La premire comprend Jes six premires catgories, soitcelles de la quantit et de la qualit, et il la nomme mathmatique; la secondecomprend les six dernires catgories, soit celles de la relation et de la modalit, et illa nomme dynamique. Ce qui distingue essentiellement la premire de la seconde,c'est la prsence de corrlats dans la dernire: les concepts dynamiques viennenttoujours par couple de deux. Cette division prendra son sens dans la thorie duschmatisme. Le paragraphe 12 est un commentaire relativement J'absence de

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    certaines catgories dans sa liste. Celles-ci auraient la valeur de concepts pursselon la tradition scolastique mais Kant ne les considre que comme des exigenceslogiques.

    Thse et argumentsQue nous dit Kant dans cette dduction mtaphysique? Il nous explique, toutd'abord, que lorsqu'un pouvoir de connatre se met en branle, il impliquencessairement certains concepts fondamentaux. Ces concepts fondamentaux sontorganiss selon un principe systmatique et il est possible, selon Kant, de lesidentifier et de dfinir leur rle dans le systme. Ceci ne peut tre fait que parl'intervention des fonctions de l'unit, c'est--dire ces actes par lesquelsl'entendement unifie les reprsentations. Essentiellement, ce stade de l'expos,fonctions de l'unit, fonctions logiques et formes logiques sont peu prssynonymes: ces expressions rfrent toutes aux jugements considrs sous l'anglede leur forme logique. De mme, comme il le mentionne avant de prsenter laseconde table, concepts purs de l'entendement signifie catgories. Kant nousdit donc que si l'intuition repose sur des affections, les concepts purs reposent, pourleur part, sur des fonctions de l'unit. Par consquent, si on parvient dresser laliste de toutes les fonctions de l'unit, toutes les formes logiques du jugement, onparviendra tablir la liste des catgories correspondantes.

    Quels sont les principaux arguments l'appui de cette thse? On doit premirements'interroger sur l'origine des formes logiques, puisque c'est de l que part ladduction mtaphysique. Lorsque Kant prsente sa table des fonctions logiques, laseule explication qu'il fournit ce sujet est la suivante:

    Si nous faisons abstraction de tout contenu d'un jugement en gnral et ne prtonsattention qu' la simple forme de l'entendement qui s'y trouve prsente, nous trouvonsque la fonction de la pense dans ce jugement peut tre place sous quatre titres dontchacun contient sous lui trois moments. (CRPu, p.156; A70/895).Comme le fait remarquer Heidegger dans son Interprtation phnomnologique dela Critique de la raison pure (ci-aprs IPCRPu), il n'est pas du tout vident qu'onpuisse dcouvrir les douze fonctions logiques en ne prtant attention qu' la simple

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    forme de l'entendement qui s'y trouve (IPCRPu, p.236). aucun autre endroitdans la Critique, Kant ne semble donner une explication sur l'origine de ces formeset sur la division qu'il propose. Dans les Prolgomnes toute mtaphysique future(ci-aprs ProL), Kant affirme qu'il a trouv la liste des fonctions logiques del'entendement pour ainsi dire toute prte chez les logiciens:

    Je pouvais disposer ainsi d'un travail dj achev, non absolument impeccable. ilest vrai, des logiciens, qui me mettait en tat de proposer une table complte desfonctions pures de l'entendement, d'ailleurs indtermines par rapport toutobjet. (Prol., p.1 01, 39).Dans Kant et le pouvoir de juger, Batrice Longuenesse affirme qu'on ne trouvenulle trace d'une telle liste dans les traits de logique de l'poque (Kant et le pouvoirde juger, ci-aprs KPJ, p.9). Il est vrai que Kant parle de ces douze formes dansson livre intitul Logique, publi en 1800, et que cet ouvrage tait en fait bas sur untrait de logique de l'poque (d'un dnomm Meier). Mais, d'une part, certainsdiront qu'on ne connat pas ce qui appartient proprement Kant dans ce trait et,d'autre part, les dfinitions qu'il prsente ne constituent pas une explication del'origine de ces douze fonctions et une justification de leur rle dans la dductionmtaphysique.En ce qui a trait aux quatre alinas qui suivent immdiatement la prsentation de latable et qui portent respectivement sur la quantit, la qualit, la relation et lamodalit, les commentaires de Kant soulvent des questions. plusieurs reprisesdans ces passages, son expos invoque la logique transcendantale et le fait que, dupoint de vue de la connaissance, un troisime jugement est requis dans cl'laquesection. Ces commentaires sont tonnants parce que la question de laconnaissance semble tre plutt lie aux catgories, non aux jugements considrsdu point de vue purement formel. Au quatrime paragraphe. Kant mentionnespcifiquement qu'en dehors de la quantit, de la qualit et de la relation, il n'y a riend'autre qui constituerait le contenu d'un jugement (CRPu, p.159, A74/B100). Maisles formes logiques du jugement ne sont-elles pas, par dfinition, exemptes decontenu?

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    Selon Heidegger, Kant est essentiellement proccup, cet endroit, par laproblmatique transcendantale qui viendra par la suite, suggrant en cela que latable des formes logiques a peut-tre t conue a posteriori, aprs celle desconcepts purs de l'entendement et pour s'accorder parfaitement avec cette dernire(IPCRPu, p.236). D'aprs Heidegger, il est impossible de fonder la table desjugements partir d'un point de vue purement logico-formel ou d'une modificationdes fonctions logiques de l'entendement (ibid., p.236). Kant ne fait selon luiqu'affirmer son dsir de voir comprise cette table comme tant la liste des caractresdu jugement. Il ne dmontre nullement que ces douze formes constituent, toutes etelles seules, des moments essentiels du jugement. Selon Heidegger:

    Que ces quatre caractres, dans la tradition logique, passent pour formels. cela n'est pasun argument interne, surtout si l'on considre que cette logique gnrale et formelletraditionnelle est prcisment envahie par toutes les problmatiques possibles et, loind'avoir jamais t fonde comme une logique radicalement et purement formelle, resteaujourd'hui encore dans la confusion sur sa propre nature. (Ibid., p.237).Concernant maintenant le lien logique entre les deux tables, le seul argumentproprement dit est donn au paragraphe 10. Selon Kant, c'est parce que les formeslogiques du jugement et les concepts purs de l'entendement sont produits par lesmmes actes qu'il est possible d'tablir un accord entre les seconds et lespremires:

    La mme fonction qui fournit de l'unit aux diverses reprsentations dans un jugementdonne aussi la simple synthse de diverses reprsentations dans une intuition uneunit qui, exprime de faon gnrale, s'appelle le concept pur de l'entendement. C'estdonc le mme entendement, et cela par les mmes actes grce auxquels il instauraitdans des concepts, par l'intermdiaire de l'unit analytique, la forme logique d'unjugement, qui introduit aussi dans ses reprsentations, par l'intermdiaire de l'unitsynthtique du divers dans l'intuition en gnral, un contenu transcendantal: ce pourquoicelles-ci s'appellent concepts purs de l'entendement, lesquels se rapportent a priori desobjets -ce que ne peut pas faire la logique gnrale. (CRPu, p.162; A79/B104-10S)Ce passage n'est certainement pas limpide. On comprend que le jugement etl'intuition tirent tous les deux leur unit d'une mme fonction de l'entendement et quecelle-ci constitue la cl de vote de l'explication. Il semble galement que lesnotions que sont l'unit analytique et l'unit synthtique jouent un rle essentiel dansla dduction mtaphysique: la forme logique du jugement est instaure l'aide del'unit analytique et le contenu transcendantal est pour sa part introduit par

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    l'intermdiaire de l'unit synthtique. Mais comment ce mcanisme opre, rien n'estclair ce sujet, du moins dans ce passage. En tout tat de cause, c'est galementla raison, nous dit Kant ds aprs, pour laquelle il y a autant de fonctions logiquesque de catgories:

    Ainsi se dgage-t-il exactement autant de concepts purs de l'entendement, qui serapportent a priori aux objets de l'intuition en gnral, qu'il y avait dans la prcdentetable de fonctions logiques dans tous les jugements possibles: l'entendement se trouveen effet entirement puis par les fonctions considres et son pouvoir se trouve par ltotalement mesur. (Ibid.)

    l'autre bout du spectre philosophique, Strawson critique galement le caractrearbitraire de la table des formes logiques et le lien que Kant prtend tablir avec lesconcepts purs. Strawson nous dit que s'il est vrai que chaque type de connaissanceest exprimable sous la forme d'une pr{)position, il est faux de prtendre que chaqueforme de proposition logique correspo.nd ncessairement un concept dtermin. Ilajoute qu'il pourrait se trouver une quantit indfinie de formes logiques et decatgories correspondantes:

    Given a certain indispensable minimum equipment of notions, the logician can, if hechooses, distinguish indefinitely many forms of proposition, ail belonging to formallogic. Ifwe allowed a category for each form, we should have indefinitely many categories. ButKant claims that his list of categories is complete and exhaustive. (The Bounds of Sense,ci-aprs BS, p.79)Mais la critique de Strawson va galement dans l'autre direction, savoir que la listedes formes logiques pourraient bien tre plus restreinte. Par exemple, en logiquemoderne, le jugement hypothtique et le jugement disjonctif sont dfinissables l'unpar l'autre l'aide de la ngation. Consquemment, les catgories correspondantespourraient trs bien tre, elles aussi, interdfinissables (ibid., p.80). Strawsonconclut que la liste de Kant est arbitraire, qu'il est impossible de parler d'un systmede formes ou de fonctions logiques fondamentales ou primitives.Strawson et Heidegger ne sont pas les seuls critiquer la dduction mtaphysique.On rencontre souvent des commentaires ngatifs chez les auteurs qui se sontpenchs sur Kant. Bennett rcuse l'ide que cette table reprsente une listencessaire et suffisante des fonctions logiques du pouvoir de l'entendement. Il

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    rejette notamment, comme Strawson d'ailleurs, la diffrence entre jugement ngatifet jugement infini. Selon lui, la diffrence ne concerne que la formulation linguistique(BENNETI, Kant's Analytic, p.l8). Dans Quiddities, Quine fait cho Strawson etBennett en attribuant l'obsession de la trinit, obsession trs rpandue au 18esicle, le dsir de Kant de mettre absolument trois moments dans chaque groupe.Selon Quine, Kant se trouvant ahuri devant le duo des jugements affirmatifs etngatifs, il ne put se retenir d'en ajouter un troisime, le jugement infini (QUINE,Quiddities, p.210). On pourrait galement parler d'Hermann Cohen (La thoriekantienne de l'exprience), de Johannes Baptist Lotz (Le jugement et l'tre) et deJean Cavaills (Sur la logique et la thorie de la science). Ces auteurs critiquenttous la dduction mtaphysique en questionnant, pour l'essentiel, sa validit et sonutilit.

    Pourquoi cette dduction a-t-elle si mauvaise rputation?

    Selon Longuenesse, le sens que donne Kant l'expression forme logiqueserait en partie hrit de la Logique de Port-Royal, aspect ignor ou laiss dect par les critiques. L'importance accorde la rflexion et la pensediscursive dans la Logique de Port-Royal laisse supposer que la question desactes mentaux y a une place prpondrante dans le processus logique. Les titre_sde la premire partie du livre et de son premier chapitre suffisent d'ailleurs donner une ide de la teneur de cette logique: Contenant les rflexions que leshommes ont faites sur leurs jugements et Des ides selon leur nature et leurorigine (L'Art de penser - La logique de Port-Royal, Arnauld et Nicole). De fait,dans sa Logique, Kant parle de l'importance des actes logiques que sont lacomparaison, la rflexion et l'abstraction dans la formation des concepts.Longuenesse prtend qu'il est impossible de saisir le sens que donne Kant laforme logique du jugement sans c o n s i d r ~ r les actes mentaux dont il est questiondans ce livre. En tout tat de cause, elle soutient qu'il ne faut surtout pascomprendre la conception kantienne de' la logique formelle en termes desymboles et d'oprateurs syntaxiques. D'aprs elle, c'est en vertu d'une telle

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    conception que Strawson et Bennett rcusent la table kantienne des formeslogiques du jugement (KPJ, p.12).Problmatique, mthode et organisation du mmoireAlors qu'en est-il de cette dduction mtaphysique? Y a-t-il un lien entre les formeslogiques du jugement et les catgories et, si oui, quelle est sa nature? ContreStrawson et Heidegger qui laissent entendre que l'Analytique transcendantalepourrait bien s'en passer, Longuenesse dfend l'ide qu'il est impossible de lacomprendre si on l'ampute de la dduction mtaphysique. l'inverse, elle prtendgalement qu'il faut l'clairage de la dduction transcendantale et du schmatismepour bien comprendre le lien entre formes logiques et catgories. Elle avance deplus que le jugement, considr sous l'angle des actes mentaux, joue un rlefondamental dans cette dduction et par l, dans toute la Critique.Dans le prsent travail, je me propose d'examiner ces questions en concentrant marecherche sur la question des formes logiques du jugement. Je chercherai rpondre la question suivante: En quoi les formes logiques du jugement peuventetles nous amener dduire les concepts purs de l'entendement? Mon hypothseest que ces formes logiques peuvent nous amener aux concepts purs dans lamesure o on tient compte du type de jugement impliqu et de la nature particuliredu lien entre les deux tables. Plus prcisment, je crois qu'il est, dans la dductionmtaphysique, ncessairement question du jugement de connaissance qui estgalement synthtique et dterminant. Je crois galement que la rponse laquestion variera en fonction de la signification donne dduction mtaphysique,raison pour laquelle j'utilise ce stade l'expression volontairement ouverte amener dduire dans l'nonc de la question.Pour l'essentiel, je vais concentrer mon analyse sur les formes logiques du jugementet prsupposer la validit ou le bien-fond des concepts purs de l'entendement. Leproblme des concepts purs engage toute l'Analytique, voire toute la Critique, etcette restriction s'est avre ncessaire pour viter la dispersion de la recherche.

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    Toutefois, je devrai aborder la question au Chapitre III, lorsque je ferai part descritiques de Strawson, Heidegger et Longuenesse et que nous reviendrons sur lasignification et le rle de la dduction mtaphysique. En second lieu, mon objectifest de trouver en quoi les formes logiques du jugement peuvent nous amener dduire les concepts purs de l'entendement. Il s'agira donc d'analyser ces formeslogiques pour trouver certains lments qui peuvent apporter des rponses notrequestion, non de considrer toutes les avenues possibles.Par ailleurs, je compte privilgier certains textes du corpus kantien. videmment, jem'attarderai en tout premier lieu sur certaines sections de l'Analytiquetranscendantale. Beaucoup d'informations concernant le lien entre les formeslogiques du jugement et les catgories sont disperses aux quatre coins del'Analytique transcendantale et il s'agira de voir comment celles-ci peuvent clairernotre problme. ce sujet, ce choix constitue potentiellement dj un parti pris.Nous verrons au Chapitre III que, contrairement Heidegger ou Longuenesse,Strawson analyse davantage la dduction mtaphysique comme une dmonstrationautosuffisante ne requrant pas d'explications extrieures. En second lieu, je feraisurtout appel aux Prolgomnes toute mtaphysique future, la Critique de lafacult de juger et la Logique. 2 Ceci parce que ce sont principalement ces quatreuvres qui traitent du jugement et de la logique.Il me faut galement prciser ma position eu gard l'oeuvre de BatriceLonguenesse sur ~ a q u e l l e je reviendrai plusieurs reprises. Cet ouvrage porteentirement sur la dduction mtaphysique et son analyse est trs minutieuse etlabore. C'est en partie la lecture de ce livre qui m'a inspir cette recherche. Maisle prsent travail ne constitue pas' une critique de sa thse. Mon objectif estd'tudier les textes de Kant pour voir en quoi les formes logiques du jugementpeuvent nous amener aux catg'ories. Dans la mesure o je juge _que les analysesde Longuenesse sont valables et me permettent d'atteindre cet objectif, j'en feraitat, essentiellement pour affiner ma comprhension et corroborer mes propres

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    conclusions. Cependant, j'ai nanmoins des rserves quant certaines de sesconclusions et je reporte au Chapitre III mes critiques ce sujet.Il faudra pralablement comprendre ce que Kant entend par forme logique dujugement, ce qui sera l'objet du premier chapitre. Je distinguerai, dans un premiertemps, les diffrents types de logique auxquels rfre Kant dans la Critique de laraison pure, en m'aidant notamment de sa Logique. Il y a peu de commentateursqui prennent la peine d'expliciter les types de logique que l'on retrouve chez Kant enles distinguant sur la base de critres ncessaires et suffisants. Il ressortira, la finde ce chapitre, que les termes forme, gnral et pur ont chez Kant des sensprcis qui ne doivent pas tre confondus. Dans un deuxime temps, je tenterai deprocder aux mmes distinctions pour les types de forme et de jugement.Le deuxime chapitre sera consacr la comprhension de la structure interne etdes fonctions de ce que Kant dsigne, dans sa troisime Critique, comme lejugement dterminant, et qui correspond, pour l'essentiel, au jugement deconnaissance. tant donn que Kant mentionne qu'on peut ramener tous les actesde l'entendement des jugements, je tenterai premirement d'identifier lesoprations prcises de l'entendement qui sont impliques dans la formation desconcepts en gnral. Ainsi, j'examinerai les actes de la raison, les actes de lafacult de juger et les actes de l'entendement. Une attention particulire sera porte l'acte de synthse qui est au cur de la dduction transcendantale, voire de toutela Critique de la raison pure. En second lieu, il s'agira d'examiner trois dfinitionslogiques que donne Kant du jugement: le jugement en tant que manire d'amenerles connaissances la conscience (Critique), en tant que subordination de conceptset fonction d'unit (Logique) et en tant que rgle (Prolgomnes). Les deuxdernires dfinitions sont pratiquement identiques celle donne par Kant duconcept. Nous analyserons le rle et la fonction du jugement tels que Kant lesprsente dans ces trois dfinitions, dans le but de montrer en quoi on peut passer del'acte de juger au concept en gnral, aux concepts purs en particulier.

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    Sur le plan mthodologique, les chapitres 1 et 2 seront surtout explicatifs etanalytiques. Analytique parce qu'il s'agira de dcomposer les concepts cls pourtre en mesure de comprendre leur rle. L'explication de ces rles consisteraensuite montrer les liens qui unissent ces concepts et comment ils interagissent demanire dynamique dans le systme. Pour sa part, le troisime chapitre, dont jeparle dans un instant, sera surtout valuatif et critique. Il s'agira pour l'essentiel decomparer diverses critiques faites au sujet de la dduction mtaphysique et d'enarriver rpondre la question de la problmatique centrale de ce mmoire.

    Dans ce troisime chapitre, j'valuerai les critiques de Strawson, Heidegger etLonguenesse. Il m'est apparu intressant de choisir Heidegger et Strawson pour ladivergence de leur point de vue sur la question. Ces deux auteurs mettent l'accentsur des aspects trs distincts de la dduction mtaphysique. Strawson accorde unegrande importance la notion de progrs et analyse les formes logiques partir desdveloppements de la logique symbolique moderne. Comme nous le verrons, ilanalyse la dduction mtaphysique davantage comme une dmonstration logique ausens fort, une dmonstration autosuffisante qui ne requiert pas lesclaircissements d'autres sections de la Critique. Cette approche l'amne d'ailleurs conclure qu'elle ne parvient pas ses fins. Pour sa part, Heidegger, qui interprtetoute la Critique comme une re-fondation de la mtaphysique, considre que ladduction mtaphysique ne peut tre fonde sur la logique formelle, celle-ci tantelle-mme insuffisamment dtermine et mal fonde. Il parvient la conclusion quela table des formes logiques est, au mieux, un bon indice de la division et de lacompltude des concepts purs; mais que l'origine de ceux-ci se trouve plutt dansla synthse pure de l'imagination. La position de Longuenesse se situe, d'unecertaine faon, entre Heidegger et Strawson. Pour elle, la premire table peut nousmener la seconde si on s'attarde l'effet combin, la fois dterminant etrflchissant, que recle chacune des formes logiques du jugement. MaisLonguenesse accorde une grande importance la mcanique de la dterminationdu sens interne et donc, la thorie du schmatisme. Comme nous le verrons, sesconclusions l'gard du projet de la dduction mtaphysique sont plutt

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    favorables dans la mesure o on fait intervenir plusieurs lments de la Logique etde l'Analytique transcendantale.

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    CHAPITRE 1LOGIQUE, FORME ET JUGEMENT CHEZ KANT

    Dans le prsent chapitre, je tente de rpondre la question suivante: quoi rfreKant exactement lorsqu'il parle de forme logique du jugement? Je vais, pour cefaire, privilgier ce qu'on pourrait qualifier d'analyse dfinitionnelle par typologie. cet gard, les sections 1.1.1 et 1.3.1 pourront paratre sches et ennuyeuses,pour reprendre une expression utilise par Kant pour justifier une dispense qu'ils'accorde eu gard ce genre de tche (CRPu, p.227, A142/B181). Maisjustement, compte tenu de ses explications parfois trs lacunaires et de sapropension fournir des dfinitions quivoques, ce travail pralable s'est avrindispensable. Les sous-sections qui suivront, 1.1.2. Perspectives pistmiques et1.3.2 Unit analytique, unit synthtique et forme logique, me donneront l'occasionde faire un commentaire plus rflexif et de tirer certaines conclusions relativement auproblme qui nous occupe.1.1 La logique chez KantCette section comprend deux sous-sections: 1.1.1 Typologie et 1.1.2 Perspectivespistmiques. Dans la premire, je tente de rpondre aux deux questionssuivantes: Comment la logique se divise-t-elle chez Kant? quel type de logiquerfre-t-il lorsqu'il parle de la forme logique du jugement? la fin de la section, jeprsente un diagramme illustrant la typologie propose. Dans la deuxime soussection, je tente de rpondre aux questions suivantes: Quel est le statut de lalogique pour Kant? Quel rle lui assigne-t-il dans la dduction mtaphysique?

    1.1.1 TypologieIl est impossible de comprendre exactement ce qu'est la logique pour Kant eninsistant de manire trop pointilleuse sur les dfinitions qu'il donne et sur l'usagequ'il en fait subsquemment. titre d'exemples, si on peut avoir l'impression queles termes pur, 8 priori et transcendantal sont synonymes, Kant insiste

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    parfois sur des distinctions pour le moins subtiles qui sont, encore aujourd'hui, objetde controverses.

    Cela tant, je crois qu'il est gnralement possible de savoir quoi rfre Kant enanalysant minutieusement les passages cls et en recoupant les dfinitions de laCritique avec celles de la Logique et des Prolgomnes. Cet exercice est nonseulement possible, mais ncessaire, et ce pour au moins deux raisons.Premirement, il va s'avrer que l'expression forme logique concernespcifiquement cette logique qui est la fois formelle, gnrale et pure. Toutefois,Kant la dfinit principalement de manire ngative, c'est--dire par opposition deuxautres types de logique: la logique applique et la logique dont l'usage estparticulier. Il faut donc diffrencier les trois logiques pour comprendre ce quoirfre l'expression qui nous intresse. En second lieu, plusieurs des critiques visantla dduction mtaphysique sont l'effet que la table des formes logiques dujugement est dj transcendantale. Pour jauger ces affirmations, il faut comprendrece qui distingue prcisment la logique formelle et la logique transcendantale.

    Le passage qui m'intressera particulirement dans ce qui suit est au tout dbut dela Logique transcendantale et s'intitule De la logique en gnral (il s'agit de lapremire sous-section de la partie introductive intitule Ide d'une logiquetranscendantale). Encore une fois, l'objectif de Kant dans cette section est deparvenir cerner exactement ce qu'est la logique gnrale pure formelle, pourensuite lui opposer ce qui caractrise la logique transcendantale. Je me propose desuivre Kant pas pas dans sa dmarche pour montrer que chacun de ces adjectifsrfre un aspect prcis de la dfinition. Je vais notamment tenter de donner uncritre ncessaire et suffisant pour chaque type de logique, en laissant de ct deslments qui me semblent secondaires.

    Kant nous propose premirement la division suivante: La logique peut son tourtre aborde de deux points de vue, soit comme logique de l'usage gnral de

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    l'entendement, soit comme logique de son usage particulier (ibid., p.144,A52/B76). La logique gnrale contient les rgles absolument ncessaires de lapense et ne s'occupe pas de la diversit des objets; la seconde contient des rglesparticulires s'appliquant une certaine sorte d'objets. Kant leur adjoint, ce pointde son expos, une autre dnomination: logique lmentaire (pour la logiquegnrale) et organon (pour la logique dont l'usage est particulier). Le termeorganon revient quelques reprises chez Kant pour souligner le caractreillgitime de la Dialectique qui prtend tre un vritable instrument de laconnaissance (ibid., p.149 et 150, A61/B85; p.652, A795/B823). Dans le casprsent et certains endroits de la Logique, organon implique la prsence d'unobjet de la connaissance et n'a pas un caractre illgitime. Quant l'expressionlogique lmentaire, on la retrouve dans la Logique, Kant parle alors de laDoctrine des lments et il semble de toute vidence rfrer la logique gnrale(Log., p.17).

    La logique dont l'usage est particulier rfre donc, comme son nom l'indique, dessciences particulires. Les rgles contingentes qui dpendent d'un objet dterminde la connaissance sont aussi nombreuses que ces objets eux-mmes. Par exempleil y a un usage de l'entendement en mathmatique, en mtaphysique, en morale,etc... (ibid., p.10). Kant parle de l'usage particulier comme tant contingent, del'usage gnral comme tant ncessaire. Toutefois, l'opposition qui me semblecaractriser de manire ncessaire et suffisante les d e ~ x logiques est usagegnral/usage particulier. Ceci parce que l'opposition ncessaire/contingent rfreaux types de vrit impliqus, ce qui peut ajouter une confusion avec la logiqueapplique.

    En second lieu, la logique gnrale est pure ou applique. La logique gnraleapplique concerne la subjectivit et la psychologie. Elle est bel et bien d'usagegnral, puisqu'elle ne fait aucune distinction relativement ses objets (comme lefait la logique dont l'usage est particulier), mais les conditions sous lesquelles elles'applique sont subjectives. Kant caractrise les deux types de logiques par les

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    oppositions: subjectif/objectif et indpendanUdpendant. Mais les deux sont icirelis. Dans son article sur l'objectivit, Nadeau nonce quatre aspects dont aumoins deux sont directement lis l'ide d'indpendance (NADEAU, Objectivit,Vocabulaire technique et analytique de l'pistmologie). Voici ces deux critres: 1)indpendant vis--vis de la volont (individuelle, subjective); 2) existerindpendamment de toute connaissance ou ide. Cependant, la situation secompliquera lorsque nous parlerons du jugement dterminant: objectif voudragalement dire chez Kant qui dtermine un objet, mais cet usage concerneraspcifiquement le contexte transcendantal, alors que nous sommes ici dans lalogique gnrale. Je retiens donc l'opposition condition subjective/condition objectivecomme distinguant de manire caractristique la logique gnrale pure et la logiquegnrale applique.

    Il n'est pas facile de savoir ce que Kant a en tte lorsqu'il parle de la logiquegnrale applique, mais elle semble correspondre ce qu'on appelle aujourd'hui lalogique naturelle ou informelle (NADEAU, Logique formelle). Celle-ci tient comptede l'imagination et de l'motion, elle fait appel aux raisonnements inductifs etanalogiques. Le passage qui suit va dans le sens de cette dfinition moderne. Kantfait la nomenclature de tout ce qui n'est pas dans la logique gnrale pure, ce quidonne une ide de ce qui se trouve dans la logique gnrale applique.

    Dans la premire [la logique gnrale pure]. nous faisons abstraction de toutes lesconditions empiriques sous lesquelles notre entendement s'exerce, par exemple del'influence des sens, du jeu de l'imagination, des lois de la mmoire, de la puissance del'habitude, du penchant, etc., par consquent aussi des sources, des prjugs, et mmeen gnral de toutes les causes partir desquelles certaines connaissances peuventnous provenir ou s'insinuer en nous, parce qu'elles ne concernent l'entendement quedans certaines circonstances de son application et que, pour les connatre, uneexprience est requise. (CRPu, p.145, A53/878)On peut ajouter que dans la Logique, Kant dit que la logique applique ne devraitpas s'appeler logique mais psychologie (Log., 18). Sans s'arrter auximplications possibles de ce commentaire, il demeure nanmoins qu'il donne uneide de l'importance accorde par Kant au caractre non pur, contingent et aposteriori de cette logique.

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    la fin de son expos sur la logique gnrale, dans la Critique, Kant fait deuxremarques conclusives qu'il destine aux logiciens. Celles-ci rsument assez bien lespoints essentiels de ce qui vient d'tre dit. " parle dans ce passage de la question dela forme, mais, comme je le montre dans un instant, ce terme ne prendvritablement tout sens que lorsque Kant aborde la Logique transcendantale.Qu'en est-il donc de cette logique transcendantale? Kant nus dit essentiellementdeux choses dans le premier paragraphe de la section intitule De la logiquetranscendantale : que la logique transcendantale ne fait pas abstraction de toutcontenu et qu'elle va la recherche de l'origine de nos connaissances des objets(CRPu p.146, A55/B79). Ce qui distinguerait la logique gnrale pure de la logiquetranscendantale serait prcisment son caractre formel. Selon mon analyse, il estimpensable que la logique transcendantale ne soit pas, elle aussi, gnrale et pure(selon le sens qu'il donne ces termes dans la prsente section). Gnrale parcequ'elle ne s'occuperait pas d'un type d'objet en particulier, pure parce qu'elle neserait pas soumise des conditions subjectives. D'ailleurs, l'objectif de la dductiontranscendantale est justement de montrer la valeur objective des concepts purs del'entendement (

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    Avant de poursuivre avec les autres oppositions, arrtons-nous sur la questionde la logique formelle Dans son Esquisse d'une histoire de la logique, Scholzprtend que Kant a t le premier utiliser l'expression logique formelle pour,notamment, caractriser l'abstraction qui y ait fait de tout contenu (p.20, p.22).Cependant, ce que Kant entend par formel diffre du sens qui sera donn ceterme en logique symbolique moderne. Le terme rfre davantage la structuresyntaxique, c'est--dire la forme des raisonnements, et aux lettres de variablesou lettres de propositions, c'est--dire aux contenants ou rceptacles. Dans laCritique, la Logique ou les Prolgomnes, les explications que donne Kant proposdu jugement utilisent parfois des lettres de variables. Mais celles-ci ne servent qu'dsigner des objets singuliers, des objets indtermins du monde sensible. Parailleurs, la logique symbolique moderne est clairement oriente vers le calculpropositionnel des valeurs de vrit, aspect qui est absent chez Kant.Longuenesse fait remarquer le point suivant au sujet de la logique formelle de Kant,eu gard la logistique moderne:

    La logique formelle de Kant est en vrit plus loin d'un tel modle [la logistiquemoderne] que ne pouvaient l'tre, leur manire, les Premiers Analytiques d'Aristote,et plus forte raison le calculus ratiocinator de Leibniz ou ses prolongements chezWolff ou Lambert. (KPJ, p.76)

    Chez Kant, la logique formelle est indissociable de la question des actes de l'esprit.Je reviendrai sur des lments de comparaison entre la logiqu'e formelle de Kant etla logique symbolique lorsque je parlerai de la position de Strawson au Chapitre III.

    La logique formelle et la logique transcendantale se divisent leur tour en analytiqueet dialectique. Dans les sous-sections III et IV de l'Ide d'une logiquetranscendantale, Kant cherche dterminer les conditions de ce qu'est uneconnaissance vraie. Puisque la connaissance vraie consiste dans l'accord de celleci avec son objet, celui-ci doit donc tre fourni et distingu. D'une certaine faon, cesdeux termes renvoient respectivement la logique transcendantale analytique et lalogique formelle analytique, comme nous le verrons dans un instant. La logiqueanalytique s'occupe de dterminer les conditions de possibilit des objets deconnaissance. L'usage que fait l'entendement de ses rgles lorsqu'il cherche ces

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    conditions est considr lgitime par Kant, raison .pour laquelle il la dsignegalement logique de vrit. Cependant, pOUf qu'n objet soit fourni et distingu, ilfaut encore qu'une intuition lui corresponde. Or, il arrive que l'entendement fasseusage de ses rgles sur ce qu'elle croit tre des objets, mais qui n'en sont pas.Ceux-ci sont des pseudo objets puisqu'ils sont vides de contenu et l'entendementfait alors un usage illgitime de ses rgles en croyant produire des connaissances leur propos. Cette logique est par consquent dialectique, une logique del'apparence selon Kant. Les deux logiques se distinguent donc quant leur usage,sur la base de l'opposition lgitime/illgitime.

    Quelle est la diffrence entre logique formelle analytique et logique transcendantaleanalytique? La premire, n'ayant affaire qu' la forme de l'entendement et sesrgles, ne peut fournir que la condition ngative dans l'acquisition desconnaissances. Et ultimement, cette condition se rduit au principe de noncontradiction. La logique transcendantale analytique, qui elle a en plus affaire lamatire sensible, au contenu, va fournir la condition positive qu'est l'intuition. De lasorte, les deux logiques peuvent se distinguer sur la base de l'oppositionngatif/positif (ou condition ngative/condition positive).Quelle est maintenant la diffrence entre la logique formelle dialectique et la logiquetranscendantale dialectique? La premire est due l'ignorance ou au dsir dlibrde tromper (sophisme): Kant parle d'erreur artificielle (CRPu, p.332; A298/8354).Cependant, l'entendement, tout en croyant oprer sur des objets des sens, s'gareparfois involontairement au-del des limites de l'exprience. Kant parle alors d'unetendance natureffede l'entendement, tendance dont traite la logique transcendantaledialectique. Les deux logiques se distinguent donc relativement leur usage, sur labase de l'opposition naturel/artificiel.

    Nous sommes maintenant en mesure de rpondre la premire question pose endbut de section: comment se divise la logique chez Kant. Premirement, lalogique dite gnrale se distingue de la logique dont l'usage est particulier sur la

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    base de l'opposition gnral/particulier: la premire fait abstraction de la diversitdes objets, la seconde est oriente vers des objets spcifiques. Deuximement, lalogique gnrale pure se distingue de la logique gnrale applique par l'oppositionobjectif/subjectif: la premire est indpendante des conditions subjectives, laseconde non. Troisimement, la logique formelle (gnrale et pure) se diffrenciede la logique transcendantale sur la base de l'opposition forme/contenu: la premirefait abstraction de tout contenu, ce que ne fait pas la logique transcendantale.Quatrimement, la logique analytique se distingue de la logique dialectique en raisonde l'opposition lgitime/illgitime: l'usage de la logique analytique est considrlgitime par Kant, la logique dialectique non. Cinquimement, la logique gnrale.(formelle) analytique se distingue de la logique transcendantale analytique sur labase de l'opposition ngatif/positif. Le principe de non-contradiction est unecondition ngative ncessaire au fonctionnement mme de l'entendement, l'intuitionfournissant pour sa part un donn sensible est la condition positive ncessaire pourproduire la connaissance d'un objet. Finalement, la logique gnrale (formelle)dialectique se distingue de la logique transcendantale dialectique selon l'oppositionartificiel/naturel: la premire est due l'ignorance ou au dsir de tromper, laseconde rsulte pour sa part de principes inhrents l'entendement humain.Dans le passage un peu long qui suit, tir de la Logique, Kant donne sa dfinition dela logique. Je le cite parce qu'il rassemble, dans un style quoi qu'un peu alambiqu,tous les lments cits dans la prsente section.

    Mais si nous mettons de ct toute connaissance que nous devons emprunter auxseuls objets et si nous rflchissons seulement l'usage de l'entendement en gnral,nous dcouvrons ces rgles qui sont absolument ncessaires tous gards et sansconsidration des objets particuliers de la pense, puisque sans elles nous nepourrions pas penser du tout. C'est pourquoi, ces rgles peuvent tre discernesmme a priori, c'est--dire indpendamment de toute exprience, puisque, sanstenir compte de la distinction entre les objets, elles renferment simplement lesconditions de l'usage de l'entendement en gnral, que cet. usage soit pur ouempirique. Et de l vient aussi que les rgles universelles et ncessaires de la penseen gnral ne peuvent concerner que sa seule forme et aucunement sa matire. Parconsquent la science qui contient ces rgles universelles et ncessaires estsimplement une science de la forme de notre connaissance intellectuelle ou de lapense. Et nous pouvons donc nous faire une ide de la possibilit d'une tellescience, exactem'ent comme d'une grammaire gnrale qui ne contient rien de plusque la simple forme de la langue en gnral, sans les mots qui appartiennent la

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    matire de la langue. Cette science des lois ncessaires de l'entendement et de laraison en gnral ou, ce qui est la mme chose, de la simple forme de la pense engnral, nous la nommons: Logique. (Log., p.10-11)Cette dfinition concerne videmment la logique formelle (gnrale et pure), mmesi Kant fait allusion l'usage empirique qu'on peut en faire, et mme si elle setermine par le simple terme de logique (tout court). Le passage suivant donne unedfinition de la logique transcendantale.

    Nous attendant donc ce qu'il puisse y avoir des concepts susceptibles de se rapportera priori des objets, non comme des intuitions pures ou sensibles, mais seulementcomme. des actions de la pense pure, et qui par consquent, tout en tant des concepts,ne sont d'origine ni empirique ni esthtique, nous nous faisons l'avance l'ide d'unescience de l'entendement pur et de la connaissance rationnelle par laquelle nouspensons des objets compltement a priori. Une telle science, qui dterminerait l'origine,l'tendue et la valeur objective de connaissances de ce type, devrait s'appeler logiquetranscendantale, parce qu'elle a affaire aux seules lois de l'entendement et de la raison,mais uniquement en tant qu'elle se rapporte des objets a priori, et non pas, comme lalogique gnrale, indiffremment aux connaissances empiriques aussi bien que pures dela raison. (CRPu, p.147, A57/B81)

    Le diagramme suivant schmatise tous ces lments. J'ai conserv la dnominationLogique gnrale, en parlant de la logique formelle, pour correspondre aux termesutiliss dans la Critique.

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    FIGURE 1.1 - Types de logique chez Kant

    LOGIQUE 1...-------------.=----=------.... ---- -'"LOGIQUE LOGIQUETRANSCENDANTALE GNRALE

    contenu forme

    Logique Logique Logique portant Logique portanttranscendantale transcendantale sur des objets en sur des objets enanalytique: dialectique: gnral: particulier:usage lgitime usage illgitime Usage gnral Usage particulier

    Logiquegnrale pure: Logique gnraleapplique:conditionobjective

    conditionsubjective/ ~ ~ - - - - - - - - - . . . . Logique gn.Analytique: Logique gn.Dialectique:

    usage lgitime usage illgitime

    ,Conditionpositive(intuition)

    Conditionngative:(principe decontradiction)

    UsageillgitimenaturelUsageillgitimeartificiel

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    Concernant maintenant la question relative au type de logique impliqu dans laforme logique du jugement, tel que Kant en prsente les douze fonctions dans leparagraphe 9 de la dduction mtaphysique, l'extrait suivant est clair:

    Si nous faisons abstraction de tout contenu d'un jugement en gnral et ne prtonsattention qu' la simple forme de l'entendement qui s'y trouve prsente, nous trouvonsque la fonction de la pense dans ce jugement peut tre place sous quatre titres dontchacun contient sous lui trois moments (CRPu. p.156, A70/895).

    L o r ~ q u e Kant parle des formes logiques du jugement, il rfre donc la logiqueformelle qui est la fois gnrale et pure. On pourrait ajouter le terme analytique ces caractristiques, encore que celui-ci renvoie davantage l'usage qu' un typede logique. Par ailleurs, le terme analytique est charg de sens et peut porter confusion: il rfre tantt la dmarche de Kant, tantt un domaine entier de saphilosophie. Dans ce qui prcde, j'ai tent d'tre fidle aux termes utiliss par Kantlui-mme dans son introduction de la Logique transcendantale. Il faut cependant,encore une fois, garder l'esprit que Kant parle indiffremment de logique tout court,de logique gnrale ou de logique formelle, mme si cette dernire expression estprobablement celle qui revient le plus souvent dans le texte kantien.

    1.1.2 Perspectives pistmiquesDans la prsente section, je tire certaines conclusions prliminaires de l'analyseprcdente et tente de rpondre aux deux questions suivantes: Quel est le statut dela logique formelle pour Kant? Quel rle lui assigne-t-il dans la dductionmtaphysique?

    De manire gnrale, il semble assez clair que la logique formelle ne fait pas partiede la connaissance pour Kant, du moins si on s'en tient une dfinition stricte de cequ'est la connaissance objective (Log., p.1, p.12-13). De ce point de vue, laconnaissance requiert toujours un objet, que celui-ci lui vienne de l'intuition pure (les

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    mathmatiques) ou de l'intuition sensible (la physique). Or, justement, la logiqueformelle n'a pas d'objet ou, comme le dira Kant plusieurs reprises, elle ne s'occupepas des objets de connaissance ou leur est indifferente. Tirs de la Logique, voicideux commentaires significatifs ce sujet:

    De nos jours, il n'y a pas eu de logiciens illustres et nous n'avons mme que faire denouvelles dcouvertes en logique puisque celle-ci ne contient que la simple forme dela pense (Log., p.21).Au reste depuis l'poque d'Aristote, la logique n'a gure gagn en contenu et aussibien sa nature le lui interdit Mais elle peut fort bien gagner en exactitude, enprcision, en distinction. (ibid., p.20)

    Le fait qu'elle fasse abstraction des objets de connaissance ou qu'elle soitindiffrente ceux-ci explique peut-tre pourquoi il est si difficile Kant d'en donnerune dfinition positive: la logique formelle fournit le critre ngatif de l'entendement,elle est in-dpendante des conditions subjectives, elle fait abstraction de toutcontenu, etc. Les rares endroits o Kant dfinit positivement la logique formelle,c'est pour dire qu'elle est un canon, c'est--dire une loi:

    Une logique gnrale, mais pure, n'a donc affaire qu' des principes a priori et elle est uncanon de J'entendement et de la raison, mais uniquement du point de vue de ladimension formelle de leur usage, quel que puisse tre le contenu (empirique outranscendantal). (CRPu, p.145, A53/877)

    Les termes canon et norme sont parfois utiliss comme synonymes aujourd'hui.mais Kant les oppose:

    Du fait que logique doit tre considre comme une science a priori ou commeune doctrine pour un canon de l'usage de l'entendement et de la raison, elle sedistingue essentiellement de l'Esthtique; celle-ci, simple critique du got n'a pas decanon (loi), mais seulement une norme (modle ou simple guide pour le jugement)qui consiste dans l'assentiment universel. (Log., p.13)

    Autre passage significatif ce sujet, tir de la Critique:J'entends par canon l'ensemble des principes a priori de l'usage lgitime de certainspouvoirs de connatre en gnral. Ainsi la logique gnrale constitue-t-elle, dans sapartie analytique, un canon pour "entendement et pour la raison en gnral, maisuniquement quant la forme, puisqu'elle fait abstraction de tout contenu. Ainsil'Analytique transcendantale tait-elle le canon de l'entendement pur -, car celui-ci seulest capable de vritables connaissances synthtiques a priori. Mais l o aucun usagelgitime d'une facult de connatre n'est possible, il n'y a pas de canon. Or, d'aprs toutesles preuves produites jusqu'ici, toute connaissance synthtique de la raison pure dansson usage spculatif est intgralement impossible. Donc, il n'y a nul canon de l'usage

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    spculatif de la raison (car un tel usage est de part en part dialectique), mais toutelogique transcendantale n'est cet gard rien d'autre qu'une discipline. Par consquent,s'il y a quelque part un usage lgitime de la raison pure, auquel cas il y en a aussi,ncessairement, un canon, celui-ci ne concernera pas l'usage spculatif, mais l'usagepratique de la raison, lequel nous allons donc maintenant rechercher. (CRPu, p.653,A696/B824)Dans la Logique, il parle de normes a priori qui peuvent donner une validituniverselle (Log., p.39). On peut peut-tre considrer que norme a priori quivaut loi ou canon, alors que norme tout court aurait le sens moderne qu'on luiconnat. Du moins, les deux passages cits laissent entendre que la norme estsoumise la contingence, l'instar de ce qu'on appelle aujourd'hui les normessociales. De toute faon, l'ide est que, pour Kant, la logique formelle n'est pas unenormequi serait issue d'une convention, d'un processus contingent et a posteriori. Lepassage suivant est clair :

    Certains logiciens supposent, vrai dire, des principes psychologiques dans lalogique. Mais admettre de tels principes en logique est aussi absurde que de tirer lamorale de la vie. Si nous cherchions les principes dans la psychologie, c'est--diredans les observations que nous ferions sur notre entendement, nous verrionssimplement comment se produit la pense et comment elle est assujettie diversesentraves et conditions subjectives; ce qui conduirait donc la connaissance de loissimplement contingentes. (ibid.. , p.12).Si donc la logique est une loi, d'o vient-elle? Il est tonnant de voir combien lanotion de devoir est au cur de la dfinition kantienne de la logique formelle (sinonau cur de toute sa philosophie) : Mais en logique il s'agit de lois ncessaires,non de lois contingentes, non de la faon dont nous pensons, mais de la faondont nous devons penser. (ibid., p.12). Plus loin: Dans la logique, ce quenous voulons savoir, ce n'est pas comment l'entendement est, comment il pense,comment il a procd jusqu'ici pour penser, mais bien comment il devraitprocder dans la pense. (ibid.). l'instar de l'impratif catgorique qui dfinit cequ'on doit faire partir d'un principe universel et a priori (ou du caractre universelde son applicabilit), l'acte logique est gouvern par des rgles qui tirent leurlgitimit de leur caractre universel et a priori. Si les lois logiques taient issues del'observation du fonctionnement psychologique de l'entendement, elles perdraientleur validit universelle. L'extrait dj cit l'instant fait une allusion non quivoque

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    ce sujet: Mais admettre de tels principes en logique [les principespsychologiques] est aussi absurde que de tirer la morale de la vie (ibid.). lafin de sa prsentation de la logique gnrale dans la Critique, Kant fait une autreanalogie avec la morale qui va galement dans ce sens:

    Et la logique gnrale et pure vient s'y rapporter [ la logique gnrale applique],comme la morale pure, qui contient seulement les lois morales ncessaires d'un librevouloir en gnral, se rapporte ce qu'est proprement la doctrine de la vertu, laquelleconsidre ces lois en relation aux obstacles des sentiments. penchants et passionsauxquels les hommes sont plus ou moins soumis, et qui ne peut jamais constituer unescience vraie et dmontre, parce que, tout autant que cette logique applique, ellerequiert des principes empiriques et psychologiques (CRPu, p.146; A54-55/B79) .

    Autre citation:En sa qualit de science des lois ncessaires de la pense, sans lesquelles il nepeut y avoir aucun usage de l'entendement et de la raison, qui sont par consquentles conditions sous lesquelles l'entendement peut et doit s'accorder uniquement aveclui-mme. (Log. p.12)

    D'une certaine faon, cette manire de prsenter les choses constitue une dfinitiondu principe de non-contradiction: une pense ne peut s'accorder avec elle-mme sielle se contredit. De plus, il ressort de cette citation l'importance de l'autonomie de laraison dans la dfinition kantienne. Le principe fondamental de la logique formelleest le principe de non-contradiction, mais il semble que celui-ci requiert, l'instar del'impratif catgorique, une caution de la raison. La force de la logique formelle tientcertainement son caractre ncessaire et universel, mais ce qui en constitueultimement une loi tient l'adhsion renouvele de la raison envers ses propresrgles. C'est que, chez Kant, c'est la raison elle-mme qui se prescrit sa loi, et uneraison qui se donne sa propre loi est invitablement lie avec ses actions, moinsd'entrer en contradiction avec elle-mme. Ce qui explique mon avis pourquoi lanotion de devoir est au cur de sa dfinition.En fait, c'est prcisment cette autonomie et ce statut formel, c'est--dire sans objetde connaissance, qui confre cette logique le pouvoir de dicter aux autressciences comment celles-ci doivent procder pour tre conformes l'entendementhumain. La mtaphore du juge prend ici tout son sens. Un juge doit laisser toutesses connaissances personnelles de ct dans l'exercice de ses fonctions. Il doit

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    procder sans tenir compte de ce qu'il sait ou pense des cas particuliers qui seprsentent lui et qui pourraient l'inciter tre partial. Selon Kant, c'est prcismentce qui a valu ses succs la logique formelle et c'est videmment la lecturehistorique qu'il en fait (italiques de moi):

    Si la logique a si bien russi, il lui faut tre redevable de cet avantage uniquement sadlimitation, laquelle la lgitime et mme l'oblige faire abstraction de tous les objets dela connaissance et de leur diffrence, de telle faon qu'en elle l'entendement n'a doncaffaire rien d'autre qu' lui-mme et sa forme. (CRPu, p. 74, BIX)Ce qui nous amne la question du rle de la logique formelle. Pour Kant, c'est lalogique formelle que revient le rle de clarifier les rgles en vertu de son principefondamental qu'est le principe de non-contradiction. Elle fournit la conditionncessaire, la condition sine qua non. Mais Kant qualifie parfois toute sa philosophiede cette manire:

    Une telle science devrait se nommer, non pas une doctrine, mais seulement critique de laraison pure, et son utilit ne serait, vis--vis de la spculation, effectivement quengative, en tant qu'elle servirait, non l'largissement, mais simplement la clarificationde notre raison, et la prserver d'erreurs -ce qui est dj un gain trs considrable.(ibid., p.11; A11/B25).La plus grande et peut-tre l'unique utilit de toute philosophie de la raison pure est doncsans doute uniquement ngative: de fait, elle n'est pas un organon permettant d'tendreles connaissances, mais une discipline servant en dterminer les limites, et au lieu dedcouvrir la vrit, elle a le discret mrite d'viter les erreurs. (ibid., p.652; A795/B823)

    On a souvent reproch Kant son incapacit donner des dfinitions univoques.Mais, dans le cas prsent, c'est peut-tre le signe que les deux logiques, la logiqueformelle et la logique transcendantale, sont imbriques l'une dans l'autre et que leurrle respectif semble parfois se confondre. Voici que dit Kant propos de saphilosophie:

    Une telle critique est par consquent une prparation, dans la mesure du possible, unorganon, et, si celui-ci devait chouer, du moins un canon de ces connaissances,d'aprs lequel en tout tat de cause le systme complet de la philosophie de la raisonpure, qu'il consiste dans un largissement ou dans une simple limitation de saconnaissance, pourrait un jour tre prsent aussi bien analytiquement quesynthtiquement. (ibid., p.111, A12/B26)

    Dans ce passage, Kant parle de sa philosophie en opposant deux usages. Il nousdit que si elle ne peut servir l'tablissement d'un instrument des connaissances, du

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    moins servira-t-elle dans un usage limitatif. Ces deux usages me semblentcorrespondre aux deux critres opposant respectivement la logique transcendantaleanalytique et la logique formelle analytique, tels que nous les avons vues ladernire section: condition positive et condition ngative. On peut rfrer, paranalogie, l'univers du droit, dans lequel il ya les lois positives et les lois ngatives.Les lois positives mettent l'accent sur la libert et l'autonomie du sujet; les loisngatives sur les obstacles et les limitations. Si cette comparaison est plausible, lalogique formelle fournirait la loi ngative (le principe de non-contradiction), la logiquetranscendantale fournirait les lois positives (les catgories, essentiellement) et laraison userait de l'une comme des autres dans son rle de juge. Et la dmarche deKant dans la Critique de la raison pure, dont la Logique transcendantale couvre laplus grande partie, serait un effort de dfinir et d'expliciter ces lois positives.On peut se demander pourquoi Kant tient donner le nom de logique sa logiquetranscendantale. On parle frquemment du criticisme comme tant la coupurepistmologique dans l'histoire de la philosophie. Cependant, on ne souligne passouvent que le terme pistmologie est absent dans son uvre. Il apparat au1g e sicle, le Dictionnaire Robert en accorde la paternit un philosophe cossaisdu nom de James Ferrier. Puisque Kant oppose la logique formelle la logiquetranscendantale prcisment sur la base de l'abstraction du contenu et des objets deconnaissance, la logique transcendantale correspond-elle de fait unepistmologie? Voici le dbut de la dfinition que donne Nadeau del'pistmologie:

    Branche de la philosophie des sciences qui tudie de manire critique la mthodescientifique, les formes logiques et modes d'infrence (rgles d'infrence (logique))utiliss en science, de mme que les principes, concepts fondamentaux, thories etrsultats des diverses sciences, et ce, afin de dterminer leur origine logique, leur valeuret leur port objective. .

    Il Y a dans cette dfinition au moins trois lments qui concernent la logiquetranscendantale telle que la dfinit Kant, du moins dans sa partie analytique: laquestion des principes, celle des concepts fondamentaux et celle de l'originelogique. Quant la premire partie qui parle des formes logiques et des modes

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    d'infrence, on pourrait considrer qu'elle correspond la partie analytique de lalogique formelle.Quel est l'intrt de cette dfinition moderne pour notre propos? On constatequ'encore aujourd'hui, les proccupations qui animent l'pistmologie moderne sontcelles qu'avait Kant dans sa logique transcendantale. Il s'agit pour l'essentiel dechercher l'origine de la connaissance et d'en critiquer la validit objective. D'autrepart, si la l o g i q u ~ formelle a beaucoup volu depuis Kant, beaucoup plus qu'il nel'aurait peut-tre imagin, il demeure qu'encore aujourd'hui, l'pistmologie moderneet la logique formelle, comme les deux logiques chez Kant, sont souvent intimementlies. Dans son article sur l'pistmologie, Gilles Gaston Granger traduit leproblme de l'pistmologie contemporaine par les deux questions suivantes: Leproblme pourrait tre ainsi formul: quelle est la porte d'une connaissancepurement formelle? En quoi nous sert-elle connatre le monde et quel peut treson fondement? (GRANGER, pistmologie, ln Encyclopaedia Universalis). Ilsemble qu'en pistmologie moderne, tout comme dans la logique transcendantalede Kant, l'interrogation sur l'objet de connaissance implique toujours une rflexioncritique sur la forme et le contenu. Et il semble galement que les rles respectifsdes deux logiques, la logique formelle et la logique transcendantale, soientcomplmentaires et interdpendants, comme le sont la forme et le contenu.Il ressort de tout ceci que, non seulement la logique formelle ne peut faire partie dela connaissance en vertu de sa dfinition traditionnelle (telle que la conoit Kant),mais elle ne doit pas en faire partie en vertu du rle qu'il lui assigne dans sonsystme. Celui-ci consiste prciser et clarifier les rgles de fonctionnement del'entendement, fournir le cadre formel, la condition sine quoi none de laconnaissance. Si la logique formelle peut s'acquitter de ses fonctions, c'estjustement parce qu'elle se situe en dehors de la connaissance et qu'elle est une loique la raison se prescrit elle-mme. Par ailleurs, en dfinissant une logiquetranscendantale dont le rle tait exclusivement consacr la critique du contenu

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    positif, la logique formelle se voyait du mme coup confirme dans son rle ngatifet limitatif.

    1.2 La formeDans cette section, je lenle de saisir de manire gnrale les diffrences et lessimilitudes entre la forme, le jugement et le concept chez Kant.

    En guise d'introduction, on peut tenter des rapprochements et etes oppositions avecAristote, chez qui le concept de forme est trs prsent. Les notions de forme et dematire sont probablement aussi importantes chez Kant que chez Aristote. Maischez ce dernier, elles constituent des principes inhrents aux corps, alors que chezKant, elles sont des conditions pralables la connaissance de ces corps. ChezAristote, on pourrait dire que la matire est l'lment permanent et la forme l'lmentdynamique: en fait, il serait plus juste de parler de puissance ou de potentialit pourla matire, d'acte pour la forme (ARISTOTE, Mtaphysique., pA07, 1071 a). ChezKant, c'est plutt la forme qui est l'lment statique et la matire, en tant quephnomne peru, l'lment dynamique. C'est particulirement vrai dans le cas dela forme du temps, dont Kant dira quelques reprises qu'il est l'lment immuableet stable dans lequel les changements prennent place (CRPu, p.228, A144145/B183; p.253, A182/B224-225). Mais ce genre de comparaisons parvient vite une limite parce que les deux conceptions se dploient sur des plans trs diffrents.La forme est un principe objectif, la fois physique et mtaphysique chez Aristote: ilenglobe l'univers et l'tre humain avec lui. Chez Kant les formes reprsentent lesconditions auxquelles sont soumises la perception et l'entendement propres au sujethumain. Le plan strictement pistmologique (ou transcendantal) est tellementdterminant chez Kant qu'il est souvent plus facile de comprendre forme dans lesens de condition de possibilit. La comparaison avec Aristote met cependant enlumire le renversement qui dcoule de la conception kantienne: chez ce dernier,c'est l'initiative du sujet qui est au centre de la connaissance.

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    Plus spcifiquement, chez Kant, le terme forme renvoie la sensibilit etl'entendement. Sur le plan de la sensibilit, Kant dfinit la forme, au dbut del'Esthtique, comme tant ce en quoi le divers du phnomne peut tre ordonnselon certains rapports (ibid., p.118; A20/B34). If parle galement de la formecomme n'tant que la manire d'tre affect (ibid., p.122-123, A25/B41) ou, trssouvent, comme tant la simple rceptivit propre au sujet. Mais la forme est aussiappele intuition pure par Kant, quand il parle de forme pure (ibid., p.118;A21/B35). L'ide se comprend si l'on considre que l'intuition est un pouvoir chezKant, mais que intuition signifie aussi le rsultat qui dcoule de ce pouvoir. (IIs'agit de la mme dualit avec le jugement comme acte mental et le jugementcomme rsultat de cet acte.) Enfin, dans son dictionnaire, Verneaux fait lecommentaire suivant:

    Le terme de loi qu'employait la Dissertation de 1770, mais qui ne reparat pas dans laCritique, serait peut-tre le plus adquat : lex animi secundum quam sensa suaconjungit , une loi selon laquelle l'esprit coordonne ses sensations. (VK, p.97)L'extrait rappelle l'importance de la question I g a l ~ chez Kant. Mme en franais,le terme forme a un sens juridique: Aspect extrieur d'un acte juridique, d'unjugement ou d'un acte instrumentaire (Dfinition Il, 4, Le Robert). Cependant, leterme loi me semble davantage rfrer l'entendement, alors qu'ici, Verneauxparle de la forme sensible.

    Qu'en est-il alors de la forme intellectuelle? Dans le texte kantien, le terme estassoci la pense. au concept et l'exprience. Concernant le premier aspect, sion ne considre que l'entendement pur en faisant abstraction de tout contenu, nousn'avons affaire qu' la simple forme de la pense en gnral. Et la simple forme dela pense en gnral, comme nous l'avons vu, est proprement logique:

    Celle science des lois ncessaires de l'entendement et de la raison en gnral ou,ce qui est la mme chose, de la simple forme de la pense en gnral, nous lanommons: logique. (Log., p.11).

    Il est clair que Kant parle souvent des concepts purs comme tant des formes. Ilssont de simples formes de pense sans ralit objective (CRPu, p.208, B148);

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    simples formes de la pense par lesquelles aucun objet dtermin n'est encoreconnu (ibid. p.209, 8150); de simples formes de pense en vue de produire desconnaissances partir d'intuitions donnes (ibid. p.290, 8288)>>. Dans cespassages, il souligne gnralement le fait que ces concepts ne sont rien sansintuition, qu'ils n'ont aucune valeur pistmique sans un contenu correspondant.Ceci met en lumire un dtail important pour notre propos: dans une certainemesure, la premire et la deuxime table de la dduction mtaphysique mettent enparallle deux types de formes: les jugements et les concepts.

    Mais il ya nanmoins des diffrences entre les formes logiques et ces autres formesque sont les concepts purs. Ramenons le couple forme/matire. Kant dira que lesconcepts purs sont des formes eu gard l'intuition, mais de la matire eu gardaux formes logiques du jugement: Dans tout jugement, on peut appeler lesconcepts donns la matire logique (soumise au jugement), et le rapport entre cesconcepts (par l'intermdiaire de la copule) la forme de ce jugement. (ibid., p.313,A266/8322) Cette duplicit des concepts semble corrobore par la Logique: Entout concept il faut distinguer matire et forme (p.1 00, para. 2)>>. On pourrait doncdire qu' l'instar de la forme,' il ya une matire sensible et une matire intellectuelle.Or, dans le systme kantien, la forme est antrieure la matire, elle la dtermine(italiques de moi):

    Ce sont deux concepts [la matire et la forme] qui sont au fondement de toute autrerflexion, tant ils sont insparablement lis tout usage de J'entendement. Le premiersignifie le dterminable en gnral, le second sa dtermination (l'un et l'autre dans lesens transcendantal), dans la mesure o l'on fait abstraction de toute diffrence au seinde ce qui est donn et de la manire dont il est dtermin (CRPu. p.313, A266/B322)

    L'opposition dtermination/dterminable adjointe forme/matire pourrait suggrerque la premire table doit bel et bien constituer le point de dpart vers lescatgories. Mais comme je l'ai mentionn, les concepts purs sont aussi considrsco'rnme des formes vis--vis l'intuition, ce qui donne penser que les concepts pursaussi ont un rle dterminant. Il y a des passages qui confirment ce point: Ellessont [les catgories] des concepts d'un objet en gnral, par lesquels l'intuition de

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    celui-ci est considre comme dtermine vis--vis d'une des fonctions logiques desjugements (ibid., p.176; A94/8128). Nous aurons revenir sur cette dernireaffirmation, que Kant fait quelques reprises, et qui ajoute encore un autre lmentde rponse la nature du lien entre forme logique et concept pur.

    1.3 Le jugement chez KantLa prsente section est compose de deux sous-sections: 1.3.1 Typologie et 1.3.2Unit analytique, unit synthtique et forme logique. Dans la premire section, jetente de' rpondre aux deux questions suivantes: 1) Comment les jugements sedivisent-ils chez Kant? 2) La dduction mtaphysique rfre-t-elle un typeparticulier de jugement? Dans la seconde sous-section, je tente d'clairer le sensdes concepts unit analytique et unit synthtique, et de comprendre la naturedu lien entre le jugement en gnral et sa forme logique. La question des jugementsanalytiques et synthtiques a t abondamment traite dans la littrature et jetenterai dans ce qui suit d'viter les gnralisations et les lieux communs.

    Avant d'aborder cette typologie, clairons la distinction entre proposition etjugement chez Kant. Comme le remarque Nuchelmans dans Judgment andproposition (ci-aprs JP), Kant ne fait pas une distinction terminologique trsmarque entre le jugement comme acte et le jugement comme produit de cet acte(JP, p.247). Or, la question de l'acte est relie l'opposition jugement/proposition.Kant considre que la vraie diffrence entre proposition et jugement se situedans leur modalit, les propositions ne pouvant tre selon lui qu'assertoriques (Log.,p.119). Selon Nuchelmans, on avait tendance au 1r et 18e sicles employer destermes comme judicium, jugement ou Urteil pour dsigner l'acte mental etdes termes comme enuntiato, propositio et Satz pour dsigner sa formecrite ou parle, donc son rsultat (JP, p.254). Mais Kant considre que cettedistinction n'a pas lieu d'tre car on ne peut juger sans faire usage de mots (Log.,p.119). D'aprs ce qu'il nous dit dans ce passage de la Logique, seul les jugementsassertoriques pourraient donc tre considrs, en plus, comme des propositions.Comme le fait remarquer Nuchelmans, Kant ne se conforme pas lui-mme cette

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    distinction. D'une part, il utilisera parfois proposition en parlant de jugement deperception (qui est certainement problmatique) (Prol., p.85) ; d'autre part, mme sises propos laissent entendre qu'il privilgie le terme jugement, il utilisepresqu'aussi souvent proposition que jugement. C'est facile constater dans laCritique: les expressions proposition analytique et proposition synthtiquereviennent aussi souvent que les expressions jugement synthtique etjugement analytique.

    1.3.1 Typologie1.3.1.1 Jugements analytique et synthtique: dfinitions gnralesKant donne plusieurs endroits une dfinition formelle des jugements analytiques etsynthtiques, notamment dans la premire Critique, dans les Prolgomnes et dansla Logique. Trois critres peuvent distinguer les deux types de jugements: l'actemental impliqu, le rsultat qu'ils produisent et le principe sur lequel ils reposent.Premirement, l'acte mental excut dans le jugement analytique est unedcomposition: c'est prcisment le sens donn analytique (CRPu, p.99-100;B9-11; Kant y rfre galement dans la Logique, p.151-2). Dans le jugement Tousles corps sont tendus, il ne suffit que de dcomposer (sparer, dissocier) leslments dj contenus dans le concept de corps pour y trouver celui ayant trait l'espace qu'il occupe. La consquence de cet acte mental est lie au deuximecritre: le jugement analytique ne produit qu'un claircissement, raison pour laquelleKant les nomme galement explicatifs (CRPu, p.1 01; B11). En vertu d'une dfinitionstricte de ce qu'est la connaissance objective, Kant insiste souvent pour dire que lesjugements analytiques n'ajoutent rien la connaissance, prcisment parce qu'ils nefont que dcomposer une connaissance existante. Mme si Kant ne respectera pastoujours rigoureusement cette distinction, on peut noter que, pour lui, expliciter ouclaircir, ce ne sont pas des oprations produisant une connaissance.Troisimement, le jugement analytique repose sur le principe de non-contradiction(ibid., p.101; B11, p.232; A151/B190, Prol., p.21). En effet, si le prdicat tenduest dj contenu dans le concept corps, il est impossible d'affirmer que les corpsne sont pas tendus sans entrer en contradiction. Par opposition au jugement

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    synthtique, l'utilisation de cet unique principe implique que seul l'entendement estinterpel, c'est--dire que l'intuition n'intervient pas dans le jugement analytique.Enfin, on peut ajouter que les jugements analytiques sont toujours a priori, mme sileurs concepts sont eux d'origine empirique (Prol. P.22). Ceci parce que laconnaissance ainsi explicite n'a nul besoin de sortir du concept donn.

    Dans le jugement synthtique, l'acte mental impliqu est une liaison, (composition,runion, construction) (CRPu, p.100; B1 0-11). Pour effectuer cette liaison, il faut unlment extrieur aux concepts, un liant. Cet lment reprsente le deuximecritre ou la deuxime condition: il s'agit de l'intuition. Elle est pure dans le cas desjugements synthtiques a priori, empirique dans le cas des jugements synthtiquesa posteriori. Dans la Critique de la raison pure, Kant fait une affirmation qui mriteracertainement des claircissements ultrieurement : il nous dit que le principesuprme de tous les jugements synthtiques est le temps (ibid., p.234; A155/B194).Nous verrons ultrieurement que pour Kant, puisque le temps englobe ou impliquencessairement toutes les formes d'intuition possibles, il en constitue par ce faitmme le principe premier. Enfin, troisime critre, de cette rencontre entrel'entendement et l'intuition rsulte une synthse, c'est--dire une connaissance.L'acte mental de liaison, l'intuition et l'ajout la connaissance sont donc les troiscritres dfinissant le jugement synthtique.

    Une prcision me semble importante au sujet de la distinction entre jugementsanalytiques et synthtiques. Nous avons parfois tendance penser que, parce quele jugement analytique est une dcomposition, on n'y retrouve aucune liaison ouconnexion. Mais, sur le plan discursif, tout jugement est une liaison, mme lejugement analytique:

    Dans le premier cas, j'appelle le jugement analytique, dans l'autre synthtique.Analytiques (pour ce qui est des jugements affirmatifs) sont donc les jugements danslesquels la connexion du prdicat avec le sujet est pense par identit, tandis que ceuxdans lesquels cette connexion est pense sans identit se doivent appeler jugements)synthtiques.. (ibid., p.100; A 7-8, B 10-11)

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    l'UOSA (l'unit originairement synthtique de l'aperception), est-il possible deconsidrer qu'il est synthtique a priori? Je reviendrai sur cette question lors quemon analyse du paragraphe 19, au prochain chapitre.

    Ces quivoques illustrent quel point la question des jugements synthtiques apriori a donn du fil retordre Kant, notamment dans son rapport la questionde la causalit. Il mentionne dans les Prolgomnes que s'il est relativementfacile de dfinir les jugements analytiques et les jugements synthtiques aposteriori, il en va autrement des jugements synthtiques a priori (ProL, p.33).Ce n'est pas pour rien si la possibilit des jugements synthtiques a prioriconstitue la problmatique centrale de la Critique.

    Il Y a l'vidence un lien intime entre le jugement synthtique a priori et le conceptpur de l'entendement. En revanche, il est difficile de dterminer la nature exacte dece lien, de savoir ce qui dtermine quoi ou ce qui vient en premier. Si on se fie l'nonc de la problmatique centrale de la Critique, celle-ci est de dterminercomment les jugements synthtiques a priori sont possibles (CRPu, p.106; 818).Or, l'objectif de la dduction transcendantale est de dmontrer la validit objectivedes concepts purs, c'est--dire de montrer qu'ils conditionnent a priori la possibilitde l'exprience. Si on considre que le jugement synthtique est dj unemanifestation de l'exprience, on conclura alors que la catgorie dtermine lejugement synthtique a priori et non l'inverse. C'est en ce sens qu'il affirme que lesjugements synthtiques dcoulent a priori des concepts purs de l'entendement (ibid.,p.223, A136/8175). Mais Kant dira aussi: La synthse pure, reprsente d'unemanire gnrale, donne alors le concept pur de l'entendement. (ibid., p.162,A78/8104). Dans ce dernier cas toutefois, on pourrait arguer qu'il s'agit prcismentde la synthse pure, non du jugement synthtique a priori. Ce dernier point renvoied'une certaine faon la distinction entre l'acte de synthse et le jugementsynthtique, distinction dont il sera question dans le prochain chapitre. J'anticipe endisant que Longuenesse dfendra justement l'ide que les concepts purs ne sont niindpendants, ni antrieurs l'activit qui les met en branle.

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    1.3.1.3 Jugements synthtiques a posterioriLes jugements synthtiques a posteriori sont des jugements empiriques qui sedivisent leur tour en jugements d'exprience et jugements de perception. Dumoins si on se fie la dfinition que Kant donne dans les Prolgomnes:

    Des jugements empiriques, en tant qu'ils ont une valeur objective, sont desJUGEMENTS D'EXPRIENCE, mais ceux qui ne sont valables que subjectivement,je les appelle de simples JUGEMENTS DE PERCEPTION. (Pral., p.66)Plus avant dans les Prolgomnes, il affirme que les jugements empiriques sonttous synthtiq ues :

    Les jugements empiriques sont toujours synthtiques; il serait absurde de fondersur l'exprience un jugement analytique, puisque je n'ai pas sortir de monconcept pour formuler ce jugement el n'ai pas besoin par suite d'un tmoignage de(exprience. (i