Justice pour Charles Trenet - 2eme partie

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La Semaine du Roussillon N°722 Du 25 mars au 1er avril 2010 11 Dossier une écriture penchée sur une feuille blanche portant en en-tête l’adresse canétoise du chanteur, surprend par sa brièveté. Il réduit la « totalité » des biens à la villa de Juan-les-Pins, au manoir d’Aix-en-Provence et à l’appartement de Canet-plage en Roussillon, avec meubles et tableaux, auxquels s’ajoutent les fonds déposés sur plusieurs comptes bancaires, soit « trente deux millions ». Charles oublie curieusement de mentionner son impressionnante collection de voi- tures qui lui tient tant à cœur et, sur- tout, ses droits d’auteur. Il termine le testament pas ces mots : « Mon- sieur El Assidi est donc mon léga- taire universel et nulle autre per- sonne ne pourra se prévaloir en la matière… à moins d’un codicille écrit de ma main. » Ces derniers mots contredisent la première ligne du document qui fait état d’un « tes- tament formel et irréfragable ». Mais ce n’est pas tout. Quelques lignes sont ajoutées au verso : « Bien sûr toutes les sommes d’ar- gent qui figurent dans ces volontés seront calculées en euros. » L’euro n’entrant en vigueur qu’un peu plus d’un an plus tard, on ne peut qu’ad- mirer la faculté d’anticipation de Charles Trenet, alors âgé de 86 ans. Une signature « de fantaisie » Un examen plus approfondi fut demandé par la famille à une exper- te en écriture, Mme de la Roque, psychologue, diplômée du groupe- ment des graphologues-conseils de France, qui, relevant que la deuxiè- me ligne du testament commençait par une majuscule, nota : « A la lumière de l’examen graphique du J majuscule, l’hypothèse selon laquelle il y aurait eu rupture de temps au sein même de la première page est totalement vraisemblable : le testament commençait par : « Je lègue », ensuite, plus tard, la date et la première ligne ont été rajou- tées. » Selon sa conclusion, « l’idée d’un éventuel codicille introduite par Monsieur Charles Trenet, avec ses trois points de suspension mali- cieux dans le testament litigieux, indique sa volonté implicite de changement d’intention. Tout se passe comme s’il finit par céder aux pressions réitérées de Monsieur Georges El Assidi, de guerre lasse, pour avoir la paix, et parce qu’il avait besoin de ses services de gar- de-malade, tout en écrivant subtile- ment entre les lignes un « oui mais ». Dans son livre «L’Affaire Trenet, Bataille pour un héritage » (éditions du Rocher, 2009), le journaliste Julien Jouanneau donne l’avis d’Alain Buquet, expert en écritures agréé par la Cour de cassation. Alain Buquet affirme que le testa- ment est paraphé par une signature « de fantaisie » et que dans la deuxième partie, « il ne s’agirait pas de l’écriture de Trenet. » « Je ne le signerai pas » Fin 99, Charles Trenet est très dimi- nué par la maladie. Handicapé par une blessure qui aurait été provo- quée en octobre par un cycliste, il fait ses adieux au public parisien, salle Pleyel, en chantant assis. Le 19 décembre, il est victime, devant témoin, d’un grave malaise, peut- être un premier accident cérébral. Il refuse, aux dires de Georges, une assistance médicale. Quelques jours plus tard, il signe le testament qu’il remet à Georges en lui disant, selon ce dernier : « Je te dois tout. » Ce testament, justement, quelqu’un affirme l’avoir vu dès l’été 99 : c’est Adrien Calbet, dit Gora, employé de Charles Trenet à la villa de Juan- les-Pins pendant 37 ans. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’il s’agit du même document, mais il n’était ni signé ni daté. Et Charles aurait dit à Adrien Calbet : « Je ne le signerai pas ! Il est capable de m’empoison- ner si je le fais. » Le chanteur avait-il peur de Georges ? En septembre 99, Sté- phane Péniguel, photographe de Charles, assiste à une dispute à Nogent-sur-Marne, au cours de laquelle Georges menace de ne plus s’occuper de Charles si ce dernier ne régularise pas son testament. Charles aurait éclaté en pleurs et se serait réfugié dans sa chambre. Il semblerait qu’à cette époque, Georges avait dressé un mur entre le vieil homme et sa famille. Lucienne qui avait toujours été très proche de son frère n’avait plus que de rares nouvelles de lui. Il en était de même de Wulfran, son neveu, dont les courriers restaient sans réponse et les appels téléphoniques vains. « Je n’ai oublié personne » Le 14 avril 2000, Charles Trenet est admis à l’hôpital américain de Neuilly, suite à une nouvelle attaque cérébrale. Georges El Assi- di, soucieux d’obtenir un pouvoir afin d’avoir accès au compte ban- caire du chanteur, fait appel à un ami, Marc Paulay qui vient à l’hôpi- tal avec Maître Truffet, clerc de notaire au cabinet Nenert avenue Hoche, et M. Thibault, directeur de Le testament en question : quelques lignes sur une feuille de papier qui porte en en-tête l’adresse de l’appartement de Canet. Deux graphologues concluent après examen qu’il a été écrit en deux fois. Ils notent que la deuxième ligne commence par une capitale. Autres anomalies : le blanc précédent le montant des comptes en banque ainsi que la majuscule à « Trente deux millions ». L’un des graphologues relève la contradiction entre la première ligne (un testament « irréfragable », c’est-à-dire qu’on ne peut contredire, irrécusable) et l’allusion, en bas de page, à un possible codicille. Quant à la signature, le deuxième graphologue la qualifie « signature de fantaisie ». Elle pourrait avoir été paraphée par une personne qui aurait utilisé « une signature parmi les plus faciles à reproduire du chanteur ». Enfin, les trois lignes figurant au verso font référence à l’euro alors que la monnaie européenne n’entrera en vigueur que plus d’un an plus tard. La tombe de Charles Trenet à Narbonne Au restaurant «Les Glycines» avec à sa droite Marcel Bassole et à sa gauche Georges El Assidi 722SMROULL_10-13a:SDR-alpha.qxp 23/03/10 20:24 Page11

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La Semaine du RoussillonN°722Du 25 mars au 1er avril 2010 11Dossier

une écriture penchée sur une feuilleblanche portant en en-tête l’adressecanétoise du chanteur, surprend parsa brièveté. Il réduit la « totalité »des biens à la villa de Juan-les-Pins,au manoir d’Aix-en-Provence et àl’appartement de Canet-plage enRoussillon, avec meubles ettableaux, auxquels s’ajoutent lesfonds déposés sur plusieurscomptes bancaires, soit « trentedeux millions ». Charles oubliecurieusement de mentionner sonimpressionnante collection de voi-tures qui lui tient tant à cœur et, sur-tout, ses droits d’auteur. Il terminele testament pas ces mots : « Mon-sieur El Assidi est donc mon léga-taire universel et nulle autre per-

sonne ne pourra se prévaloir en lamatière… à moins d’un codicilleécrit de ma main. » Ces derniersmots contredisent la première lignedu document qui fait état d’un « tes-tament formel et irréfragable ».Mais ce n’est pas tout. Quelqueslignes sont ajoutées au verso  :« Bien sûr toutes les sommes d’ar-gent qui figurent dans ces volontésseront calculées en euros. »L’euron’entrant en vigueur qu’un peu plusd’un an plus tard, on ne peut qu’ad-mirer la faculté d’anticipation deCharles Trenet, alors âgé de 86 ans.

Une signature « de fantaisie »

Un examen plus approfondi futdemandé par la famille à une exper-te en écriture, Mme de la Roque,psychologue, diplômée du groupe-ment des graphologues-conseils deFrance, qui, relevant que la deuxiè-me ligne du testament commençaitpar une majuscule, nota : « A lalumière de l’examen graphique duJ majuscule, l’hypothèse selonlaquelle il y aurait eu rupture detemps au sein même de la premièrepage est totalement vraisemblable :le testament commençait par : « Jelègue », ensuite, plus tard, la date etla première ligne ont été rajou-tées. »Selon sa conclusion, « l’idéed’un éventuel codicille introduitepar Monsieur Charles Trenet, avecses trois points de suspension mali-cieux dans le testament litigieux,indique sa volonté implicite dechangement d’intention. Tout sepasse comme s’il finit par céder auxpressions réitérées de MonsieurGeorges El Assidi, de guerre lasse,pour avoir la paix, et parce qu’ilavait besoin de ses services de gar-de-malade, tout en écrivant subtile-ment entre les lignes un «  ouimais ».Dans son livre « L’Affaire Trenet,Bataille pour un héritage » (éditionsdu Rocher, 2009), le journaliste

Julien Jouanneau donne l’avisd’Alain Buquet, expert en écrituresagréé par la Cour de cassation.Alain Buquet affirme que le testa-ment est paraphé par une signature«  de fantaisie  » et que dans ladeuxième partie, « il ne s’agiraitpas de l’écriture de Trenet. »

« Je ne le signeraipas »

Fin 99, Charles Trenet est très dimi-nué par la maladie. Handicapé parune blessure qui aurait été provo-quée en octobre par un cycliste, ilfait ses adieux au public parisien,salle Pleyel, en chantant assis. Le 19

décembre, il est victime, devanttémoin, d’un grave malaise, peut-être un premier accident cérébral. Ilrefuse, aux dires de Georges, uneassistance médicale. Quelquesjours plus tard, il signe le testamentqu’il remet à Georges en lui disant,selon ce dernier : « Je te dois tout. »Ce testament, justement, quelqu’unaffirme l’avoir vu dès l’été 99 : c’estAdrien Calbet, dit Gora, employéde Charles Trenet à la villa de Juan-les-Pins pendant 37 ans. Pour lui, ilne fait aucun doute qu’il s’agit dumême document, mais il n’était nisigné ni daté. Et Charles aurait dit àAdrien Calbet : « Je ne le signeraipas ! Il est capable de m’empoison-ner si je le fais. »Le chanteur avait-il peur deGeorges ? En septembre 99, Sté-phane Péniguel, photographe deCharles, assiste à une dispute àNogent-sur-Marne, au cours delaquelle Georges menace de ne pluss’occuper de Charles si ce dernierne régularise pas son testament.Charles aurait éclaté en pleurs et seserait réfugié dans sa chambre.Il semblerait qu’à cette époque,Georges avait dressé un mur entre levieil homme et sa famille. Luciennequi avait toujours été très proche deson frère n’avait plus que de raresnouvelles de lui. Il en était de mêmede Wulfran, son neveu, dont lescourriers restaient sans réponse etles appels téléphoniques vains.

« Je n’ai oublié personne »

Le 14 avril 2000, Charles Trenet estadmis à l’hôpital américain deNeuilly, suite à une nouvelleattaque cérébrale. Georges El Assi-di, soucieux d’obtenir un pouvoirafin d’avoir accès au compte ban-caire du chanteur, fait appel à unami, Marc Paulay qui vient à l’hôpi-tal avec Maître Truffet, clerc denotaire au cabinet Nenert avenueHoche, et M. Thibault, directeur de

Le testament en question : quelques lignes sur unefeuille de papier qui porte en en-tête l’adresse del’appartement de Canet.

Deux graphologues concluent après examen qu’il a été écrit en deuxfois. Ils notent que la deuxième ligne commence par une capitale.Autres anomalies : le blanc précédent le montant des comptes enbanque ainsi que la majuscule à « Trente deux millions ».L’un des graphologues relève la contradiction entre la première ligne(un testament « irréfragable », c’est-à-dire qu’on ne peut contredire,irrécusable) et l’allusion, en bas de page, à un possible codicille.Quant à la signature, le deuxième graphologue la qualifie « signature defantaisie ». Elle pourrait avoir été paraphée par une personne qui auraitutilisé « une signature parmi les plus faciles à reproduire du chanteur ».Enfin, les trois lignes figurant au verso font référence à l’euro alors quela monnaie européenne n’entrera en vigueur que plus d’un an plus tard.

La tombe de Charles Trenetà Narbonne

Au restaurant «Les Glycines» avec à sa droiteMarcel Bassole et à sa gauche Georges El Assidi

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