JOURNAL POUR LES ENSEIGNANTS DE MATHEMATIQUES -  · Composition, Annie Bessot et Bernard Capponi,...

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Journal pour les enseignants de mathématiques de la sixième à la seconde Ouverture vers les sciences et les technologies édité p.ar ," UNIVERSITE.,G","'" , /'N° 54. .JOSEPHFdORIER Irent SCIENCES, TECHNOLOGIE, MEDECINE 1999 - 2000 de Grenoble

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Journal pour les enseignants de mathématiques de la sixième à la seconde

Ouverture vers les sciences et les technologies

• édité p.ar," UNIVERSITE.,G","'", /'N° 54. .JOSEPHFdORIER IrentSCIENCES, TECHNOLOGIE, MEDECINE

1999 - 2000 de Grenoble

JOURNAL POUR LES ENSEIGNANTS DE MATHEMATIQUES

DE LA SIXIÈlVIE À LA SECONDE

Ouverture vers les Sciences et les Technologies

petit x

1999-2000 n° 54

Comité de rédaction

René Berthelot Philippe Clarou IUFM d'Aquitaine IUFM de Grenoble Centre de Pau

Annie Bessot Denise Grenier Laboratoire Leibniz Laboratoire Leibniz Université J. Fourier - Grenoble Université 1. Fourier - Grenoble Irem de Grenoble

Paule Kober Antoine Bodin IUFMdeNice Collège d'Ornans Irem de Besançon Alain Mercier

IUFM d'Aix-Marseille Bernard Capponi Lycée Aristide Bergés, Seyssinet

Nadine Milhaud Laboratoire Leibniz I.P.R.Irem de Grenoble

Rectorat de Toulouse

Gérard Chauvat IUT GE II Robert Noirfalise Tours Irem de Clermont-Ferrand

François Conne Marie-Jeanne Perrin-Glorian Chercheur en didactique des mathématiques Irem, Université Paris ;YIILa Romanèche ParisEtoy (Suisse)

Ruhal Floris Jean Portugais Collège Voltaire et FAPSE Université de Genève Didactique des mathématiques Carouge (Suisse) Université de Montréal

Harnid Chaachoua Jean-Claude Rauscher Laboratoire Leibniz IUFM d'Alsace IUFM de Grenoble Irem de Strasbourg

Rédacteurs en chef: Annie Bessot et Bernard Capponi Irem de Grenoble

B.P. 41 - 38402 Saint-Martin-d'Hères Cedex

© 1999-2000 - Irem de Grenoble - Tous droits réservés pour tous pays. ISSN 0759-9188. Directeur de publication le Directeur de l'Irem, Marc Legrand Composition, Annie Bessot et Bernard Capponi, Irem de Grenoble Gestion de la revue, Huguette Ghisolfi, Irem de Grenoble

petit x Abonnement: année 2000-01 Irem de Grenoble B.P.41 n° 55-56-57 38402 Saint-Martin d'Hères cedex FRANCE

JOURNAL POUR LES ENSEIGNANTS DE MATHEMATIQUES

DE LA SIXIÈME À LA SECONDE

Ouverture vers les Sciences et les Technologies

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* François CONNE, Chercheur en didactique des mathématiques, La Romachère, Etoy. Ruhal FLORIS, Didactique des mathématiques, équipe de Jean Brun, FAPSE, Université de Genève, 9, route de

Drize, CH-I227 Carouge. Tél. (41) 22-705-98-36. Fax (41) 22-300-14-82. E-mail. [email protected] ** Jean PORTUGAIS, Université de Montréal, Faculté des sciences de l'éducation, Département de didactique, c.P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 317. Tél. (514) 343-7102. Fax (514) 343-7286. E-mail. [email protected]

SOMMAIRE

L'écriture au quotidien dans une classe de mathématiques (T. Assude, M. Lattuati, N. Leorat) 5

Activité Lune et soleiL.. 29

Quelle géométrie pour l'enseignement au collège? (A. Walter).............................. 31

Activité Eclipse ,. 50

Analyser les praxéologies. Quelques exemples d'organisations mathématiques (Y. Matheron) .. 51

Annonce XIe école d'été de didactique des mathématiques... 79

Liste des auteurs 80

« petit x » nO 54, p. 3, 1999 - 2000

« petit x » un journal pour le collège et la seconde

Le journal «petit x », créé en 1983 par l'Irem de Grenoble, veut favoriser la diffusion cl:

réflexions, de comptes rendus de travaux et d'activités réalisés dans les classes du premier cycle cl:

l'enseignement secondaire et du début du lycée, dans le domaine des mathématiques. Le journal « peti x » s'intéresse aussi aux problèmes des transitions entre l'école primaire et le collège.

Ses principaux objectifs sont:

- d'ouvrir largement ses pages à des approches diverses, pour créer un lieu d'échanges et de débats

sur les problèmes soulevés par l'apprentissage et l'enseignement des mathématiques au collège et au débu

du lycée.

- d'ajouter un moyen nouveau de formation continue à ceux déjà disponibles dans les Irem, et cl:

constituer ainsi un complément aux stages de formation et aux publications thématiques déjà existantes.

La revue « petit x » est ainsi un outil précieux pour les professeurs enseignant dans les IUFM.

- de constituer, plus particulièrement, un moyen de diffusion des travaux sur l'enseignemen

notamment en ce qui concerne les recherches en didactique des mathématiques. La revue «petit x »

permet ainsi des interactions entre les enseignants et les chercheurs.

Les articles publiés sont pour l'essentiel des types suivants:

- Vécu dans les classes: présentation et description d'activités ou de séquences d'enseignemen

effectivement réalisées dans les classes de collège.

- Outils et documents : dans chaque numéro présentation d'activités directement exploitables

dans les classes et régulièrement de documents et de commentaires sur des aspects historiques de notions.

- Recherches et réflexions : compte rendus de travaux portant sur des problèmes

d'enseignement ou d'apprentissages en mathématiques.

• Formation des enseignants

La revue « petit x » examine aussi tous les articles qui rentrent dans le cadre de ses préoccupations

et décide ou non de leur publication, éventuellement sous la forme de courrier des lecteurs ou de tribune

libre.

PROPOSITION D'ARTICLE

Les articles soumis pour publication dans la revue « petit x» doivent être envoyés sous la forme d'un fichier informatique (disquette ou document attaché à un courrier électroniquel ) dans un traitement de

texte courant (ward 5, ward 6 ou plus récent, Mac Intosh ou pC). Indiquer si l'article a déjà été publié ou

s'il a été proposé à d'autres revues. L'article doit être accompagné d'un résumé de quatre lignes maximum

contenant les mots clefs.

Les textes sont examinés par deux lecteurs au moins. Dans le cas où ils sont acceptés pour

publication, il est demandé à l'auteur de fournir le texte définitif également sous la forme d'un fichier

informatique.

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Copyright: Le « copy right » de la revue est détenu par l' Irem de Grenoble qui accordera cependant aux auteurs, sur demande et sans frais, l'autorisation de faire ré-imprimer leurs articles. Ils devront mentionner «petit x» pour première publication, ainsi que le fait que c'est l'irem de Grenoble qui détient le Copyright.

L'ÉCRITURE AU QUOTIDIEN DANS UNE CLASSE DE

MATHÉMATIQUES

Teresa ASSUDE Marie LATTUATI Nicole LEORAT IUFM de Versailles et Collège & Lycée Collège & Lycée François Équipe Didirem, Paris 7 Buffon, Paris Villon, Paris

Résumé. Dans cet article, nous présenterons un dispositif utilisé dans une classe de troisième qui

concerne les pratiques d'écriture au quotidien. Pour le faire, nous nous questionnerons d'abord sur ce que

nous entendons par pratiques d'écriture au quotidien, ensuite nous décrirons le dispositif ainsi que les

gestes de gestion d'un tel dispositif, et finalement nous analyserons les productions de deux élèves en

mettant en relief/es fonctions didactiques d'une telle pratique d'écriture.

1. Pratiques d'écriture au quotidien

Les pratiques mathématiques sont inséparables, à un moment ou à un autre, des pratiques d'écriture: on ne peut pas faire des mathématiques sans passer par une phase d'écriture. Par contre, cela ne veut pas dire que les écrits produits par les élèves doivent nécessairement être des textes mathématiques bien organisés et cohérents. Le texte mathématique et l'écrit mathématique ne sont pas équivalents: le texte est un cas particulier de l'écrit. Tout texte mathématique est un écrit mathématique mais il y a des écrits qui ne sont pas des textes. Par exemple, les cahiers-brouillons des élèves font partie des écrits mathématiques mais ils n'ont pas forcément une cohérence interne. Ainsi, le texte mathématique doit avoir forcément une cohérence interne en fonction d'un but, d'un destinataire et d'une situation, éléments qui n'existent pas dans les mêmes « proportions» dans les écrits qui ne sont pas des textes. Cette cohérence est souvent associée à une linéarité de l'organisation des différents objets ou des différentes actions selon des contraintes propres aux différents types de texte.

«petit x» n° 54, pp. 5 à 28, 2000 - 2001

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Pourquoi faire cette distinction? Les observations de classes de mathématiques nous montrent l'existence d'un certain nombre d'éléments - des brouillons, des récits, des schémas, des figures, des « papiers volants» ou des «écrits intermédiaires» - qui sont partie prenante de l'activité mathématique mais qui sont insuffisamment (ou pas du tout) valorisés par l'institution. Celle-ci valorise essentiellement les écrits qui correspondent à des pratiques d'évaluation ou de tenue de cahiers contrôlés par l'enseignant: ce qui permet de rendre visible le travail de l'institution d'enseignement et peut être contrôlé socialement, notamment par les parents.

Quand nous parlons de pratiques d'écriture, nous nous situons du côté de celui qui étudie les mathématiques, et dans une classe de mathématiques, de l'élève. Or celui qui étudie les mathématiques va mettre en œuvre certaines techniques d'étude et de comptes-rendus de cette étude, mais seule une partie de ces techniques est validée par l'institution (Coppé 95, Chevallard 97). Par exemple, lors de la résolution d'un exercice ou d'un problème, les élèves doivent écrire la solution de l'exercice ou du problème comme un produit «fini» qui doit être conforme à une norme mais les essais et les tâtonnements ne sont pas forcément un objet d'attention de la part de l'institution qui renvoie ce travail à la sphère privée de l'élève. Or, la maîtrise des techniques d'étude et notamment celles qui concernent les pratiques d'écriture n'est ni spontanée ni évidente. Le fait que l'institution laisse à la charge du travail privé de l'élève cette maîtrise peut poser des problèmes aux élèves, et créer un écart grandissant entre ceux qui se débrouillent et ceux pour qui tout devient opaque et insaisissable: les règles du jeu ne sont pas partagées puisque les élèves n'arrivent pas à l'école avec les mêmes acquis et les mêmes références culturelles. Pour être plus précis, le travail fait dans une classe de troisième d'une ZEP parisienne nous a amenés à formuler l'hypothèse suivante: l'échec scolaire des élèves en difficulté est le résultat non seulement d'un certain nombre de déterminations sociales mais surtout d'un certain nombre d'actions au quotidien qui à défaut d'être prises en charge par l'institution laissent se creuser l'écart entre ceux qui ont un rapport adéquat à l'école et au savoir et ceux pour qui l'opacité est synonyme de paralysie.

La question des pratiques d'écriture pour celui qui étudie les mathématiques (et peut-être aussi pour celui qui les produit, voir par exemple l'intérêt très récent pour l'écriture mathématique dans des séminaires d'épistémologie ou d'histoire des mathématiques) est souvent déniée: comme le dit Duval à propos d'une certaine conception des démonstrations, lorsqu'un élève a compris une démonstration, c'est le plus important et ensuite « il ne reste plus qu'à rédiger ». Il nous semble que le déni de cette question est associé à deux aspects: d'une part, le sujet-écrivant doit disparaître en tant que sujet, même en ce qui concerne le mathématicien, pour que le texte mathématique devienne a-temporel, d'autre part les technologies (au sens de Chevallard), les justifications, les savoirs sur le travail d'écriture dans l'étude mathématique ne sont pas suffisamment présents ou explicités, au moins dans les classes de mathématiques.

Le déni du travail d'écriture nous permet aussi de poser le problème de la mise en œuvre de dispositifs qui permettent et facilitent l'entrée des élèves dans une culture de l'écrit, et des conditions de possibilité de ces dispositifs ainsi que de leur stabilité dans un certain système didactique. La gestion de tels dispositifs nécessite l'implication de l'enseignant, s'appuie sur sa volonté personnelle et sa conviction que ce travail

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d'écriture, même si cela n'est pas fait globalement, doit être pris en charge par l'institution. L'évolution du système peut se faire aussi par ces micro-changements dans les pratiques professionnelles des enseignants qui, au quotidien, pensent et agissent autrement que ce qui est « nonnalisé ».

Pratiques d'écriture au quotidien! Nous entendons par pratiques d'écriture toutes les tâches et les techniques concernant l'inscription de traces ayant un rapport aux mathématiques sur un support matériel. Ces traces peuvent aller de fragments complètement décousus au texte mathématique, cohérent et finalisé. Ceci ne veut pas dire que les pratiques mathématiques se réduisent à l'écrit: les registres oral et gestuel sont présents mais nous ne nous y intéresserons pas. Par contre, nous nous intéressons à la quotidienneté du travail de l'écriture.

Une pratique régulière d'écriture au quotidien nous paraît nécessaire pour que l'élève ne se confronte pas à l'écrit uniquement pendant les moments d'évaluation, et d'autant plus avec les élèves en difficulté qui, comme le montrent les travaux de Bernard Lahire (1993), ont un rapport oral à l'écrit au sens où ils n'arrivent pas à se détacher du contexte de production du texte ou de l'écrit. Ce chercheur montre que le problème de l'échec scolaire est lié au rapport des élèves au langage car il leur manque «une disposition générale à l'égard du langage [qui] sous-tend la réussite à l'ensemble des tâches scolaires: un rapport réflexif au langage qui pennet de centrer son attention sur le langage verbal en tant que tel, dans ses aspects spécifiques.» En outre l'analyse didactique du travail au quotidien de l'élève pennet de situer celui-ci, non pas comme le héros mais comme l'artisan qui doit faire et refaire son ouvrage tant qu'il n'est pas acceptable. Il nous semble important de rendre visible ce que l'institution ne montre pas forcément et essayer de dégager des contraintes qui empêchent la valorisation des pratiques« minuscules» qui font l'ordinaire d'une classe. Car les activités au quotidien sont à la fois un reflet de la culture d'une institution et l'expression personnelle des personnes, sujets de cette même institution.

Nous pensons que la question des pratiques de l'écriture doit être pensée et analysée à la fois du point de vue du sujet en tant qu'acteur (en tant que «sujet­écrivant» et pas seulement en tant que «sujet-copiste») et du point de vue de l'institution en tant que système. Avant de rappeler les fonctions sociales de l'écrit et d'analyser certaines productions d'élèves, nous présenterons le dispositif mis en œuvre pour faire rentrer les élèves dans une culture de l'écrit mathématique ainsi que les gestes associés.

2. Présentation du dispositif et des gestes associés

L'expérimentation que nous allons décrire s'est déroulée sur l'année scolaire 1997­1998, dans une classe de Troisième d'un Collège parisien classé en ZEP. Les élèves de cette classe sont difficiles, aussi bien sur le plan des résultats scolaires que sur celui du respect des règles de la vie collective.

Après une description du dispositif très spécifique que l'enseignante a établi avec ces élèves (l), nous détaillerons les données que nous avons recueillies (2) .

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2.1. Le dispositif

Voici le déroulement type d'une heure de cours : L'enseignante présente oralement un objet mathématique et écrit au tableau une phrase ou un schéma, puis tout de suite donne à faire des exercices du manuel. Le travail des élèves est plutôt individuel, mais les échanges ne sont pas interdits. L'enseignante répond aux demandes individuelles des élèves et, en fin de la séance, corrige les exercices au tableau. Les élèves n'ont pas de cahier de cours. Le manuel sert de référence formalisée et c'est à lui que les élèves sont renvoyés. 11 arrive que l'enseignante fasse lire le manuel d'abord à haute voix, puis en lecture silencieuse. Les élèves doivent ensuite fermer leur livre et transcrire le cours, à leur manière, sur une feuille.

Pour le cours suivant, les élèves ont des exercices écrits à rédiger. Ces exercices seront corrigés, notés et rendus dans la semaine. Ce sont ces exercices qui serviront de point d'appui à l'enséignante pour le cours suivant. Les élèves ont donc un travail écrit à rendre à chacune des heures de cours.

Au début de l'année, l'enseignante sanctionne l'absence de rédaction et non les erreurs de mathématiques (qu'elle signale cependant sur les feuilles). Il s'agit donc, dans un premier temps, de forcer à un usage de l'écrit, mais un usage réel, personnalisé, même maladroit, avec les expressions et les mots de l'élève.

Dans un deuxième temps, petit à petit, l'enseignante essaie d'introduire une meilleure rédaction, et modifie au fur et à mesure ses critères d'évaluation. Elle conduit ses élèves vers les exigences usuelles de rédaction et parle beaucoup autour de l'écrit. Elle essaie donc de mener ses élèves d'un écrit provisoire à un écrit standardisé.

L'espace entre les exercices cherchés en classe et le cours écrit dans le manuel est donc occupé par ces écrits, rédigés soit en classe soit à la maison, de manière quasi quotidienne, qui sont repris dans la classe soit individuellement soit collectivement lorsque l'enseignante veut mettre en évidence un fait général.

Ce dispositif introduit l'idée d'un rythme progressif d'acquisition, permet de tenir un discours sur l'écrit, sur le travail, voire même un discours qui accroît la lisibilité du fonctionnement du système, qui peut rester opaque à certains. Sans atteindre le niveau où les élèves savent reconnaître la validité ou la non-validité de leurs argumentations, l'enseignante les mène à comprendre et accepter leurs notes et à prendre conscience de ce qu'ils savent ou ne savent pas faire (calculs techniques ou démonstrations) ce qui aide les élèves à choisir leur orientation et évite qu'ils ne se sentent victimes d'injustices.

2.2. Le recueil des données

Afin d'étudier les effets de ce dispositif sur les activités des élèves, l'enseignante a, cette année, en accord avec ses élèves, photocopié la totalité des travaux quotidiens d'une majorité d'élèves de la classe. Ce travail de recueil a été extrêmement contraignant, mais nous disposons actuellement d'une masse impOliante et irremplaçable de données qui devrait nous permettre des ingénieries filées, fines et locales ou des photographies ponctuelles globales de l'entrée dans l'écrit de ces élèves.

Nous avons choisi, pour cette année, de commencer par analyser les productions de certains élèves durant une période courte, sur deux types d'écrits mathématiques différents: écriture algébrique d'une part et rédaction de géométrie d'autre part. Nous présenterons ici seulement le deuxième type.

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D'autre part, un travail d'anamnèse a été fait avec l'enseignante pour essayer de dégager à la fois son projet de départ, son vécu et la reconstruction de ses souvenirs en fonction de son projet. Le paragraphe suivant reprend, en essayant de le théoriser, ce travail d'anamnèse en relation avec les fonctions de l'écriture dans cette institution dont l'un des acteurs est l'enseignante. Il est certain que nous sommes là à la fois dans les intentions explicites de l'acteur et dans les pratiques réelles dans la classe, et pour le moment nous ne faisons pas de distinction entre les pratiques réelles et intentionnelles.

3. Fonctions de l'écriture

3.1 Fonctions génériques

Dans cette partie, nous allons suivre les résultats des travaux de Jack Goody, anthropologue, qui a étudié l'émergence des systèmes d'écriture dans des sociétés orales. Cet auteur parle des fonctions de conservation, de réorganisation, de recherche documentaire et de résolution de problèmes en situant la signification de l'écriture à trois nIveaux : - le stockage ou la communication inter-générations - la communication proprement dite à l'intérieur d'une même génération - les effets cognitifs, internes

Il considère trois types de fonctions de l'écrit que nous pouvons identifier comme relatifs aux trois espaces, psychologique, social et réel: - fonctions cognitives relatives aux connaissances des sujets - fonctions sociales relatives aux processus de stockage et transmission - fonctions « matérielles ou réelles» relatives à la documentation, et communication.

Par exemple, la fonction de mémoire peut être à la fois une fonction sociale liée au stockage et à la transmission d'un patrimoine, d'une mémoire collective, être liée à une mémoire individuelle liée au sujet, ou à une mémoire « matérielle» ayant des supports bien précis.

Les fonctions cognitives peuvent être diverses, par exemple on peut parler du rôle de l'écrit dans la réorganisation des connaissances d'un sujet car l'écrit pennet une systématisation du savoir: par son support extérieur, il pennet une analyse donc un retour et un travail sur un état précédent. Jack Goody (1997) écrit:

L'écriture ne permet pas seulement l'enregistrement mais aussi la réorganisation de l'information. On peut agir sur les représentations et s'écarter de la base sensible pour établir une classification. (p.196)

L'écriture pennet la décontextualisation. Nous citons encore Goody (1994) :

L'écriture amène, entre autres, une spatialisation du langage et lui confère une dimension atemporelle, ce qui permet de soumettre une discours, une phrase, une chronologie, une liste à une manipulation plus importante et plus dégagée du contexte initial. (p. 197)

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La production de documents écrits transforme la situation quant à la conservation, diffusion et utilisation du savoir en question. (Lloyd, vu 111

Goody 1994 p.79)

Le rôle de l'écrit est incontournable, non seulement dans ses dimensions sociales et matérielles mais aussi dans ses fonctions cognitives, car il peut être un moyen pour changer le rapport du sujet à la situation.

3.2. Fonctions spécifiques

Les fonctions génériques se spécifient ou non dans le système particulier étudié en fonction d'un certain nombre de contraintes. D'un autre côté, en ce qui concerne cette classe particulière (classe difficile en ZEP), l'écrit peut avoir non seulement ses fonctions génériques mais aussi des fonctions spécifiques particulières qui nous envisageons ci-dessous:

- l'écrit créateur de rythme Pour nos élèves très difficiles, aussi bien sur le plan des strictes performances scolaires que du respect des règles de civilité en usage, nous pensons que la pratique d'un écrit quotidien peut installer un rythme et apprendre le respect d'une règle.

- l'écrit créateur de durée À l'oral, nos élèves sont à l'intérieur de notre «théâtre» : voix, intonation, présence physique..... L'oral est « ici et maintenant ». Le travail écrit, par contre, est un geste de distance: il joue le rôle de communication différée et aide les élèves à entrer dans la durée et dans la permanence. Ce qui était vrai hier est encore vrai aujourd'hui. Les traces écrites sont des retours à la mémoire et des références sur lesquelles l'élève peut s'appuyer pour comprendre.

- l'écrit porte d'accès au sens Plus les élèves sont en difficulté et plus leurs écrits ressemblent à des listes de mots, plus ils vont être à la recherche de phrases automatisées. Ces élèves s'interdisent ou ne savent pas jouer avec la langue, surtout en mathématiques. Or, nous pensons que le fait de savoir jouer avec les mots peut, au contraire, de façon dialectique, les aider à accéder et à donner du sens aux mathématiques.

Au travers de ces différentes fonctions, nous faisons l'hypothèse que l'écrit peut permettre aux élèves difficiles de dépasser le stade du « cheminement» et les amener à prendre conscience des notions de temps, de permanence, de référence et de mémoire.

3.3. Conditions de possibilité

3.3.1. Etablissement d'un contrat

La mise en œuvre du dispositif présenté représente un investissement très fort en temps de la part de l'élève et de la part de l'enseignant. Pour créer une dynamique dans laquelle les élèves s'impliquent, l'enseignante parle beaucoup du rôle de l'écrit dans les pratiques mathématiques en disant que le travail sur la langue est à la portée de tous mais qu'il ne peut pas se faire sans effort, sans un travail personnel suivi. La demande de l'enseignante d'un travail écrit quotidien fait faire aux élèves l'expérience de la difficulté de ce travail de la langue écrite. Pour que ce travail soit pris au sérieux,

Il

l'enseignante note les écrits. Cette notation ne conceme pas les connaissances mathématiques elles-mêmes mais la manière dont le travail a été rédigé. Si les élèves n'écrivent pas, et ceci plusieurs fois, ils accumulent des zéros, et ils savent qu'ils s'excluent eux-mêmes du travail de la classe.

L'attribution d'une note est une contrainte pour que le dispositif soit vu comme un travail ayant le même statut institutionnel que tous les autres travaux. La gIille de lecture dans l'institution est la note, et celle-ci permet de négocier un nouveau contrat qui est manifeste non seulement dans le discours de l'enseignante mais dans les faits: les marques écrites des notes et des corrections sur les écrits des élèves. Cette contrainte peut permettre aux élèves de rentrer dans une culture de l'écrit, en faisant l'expérience de la difficulté, mais sans se poser la question de la légitimité de ce qu'on leur demande. Un contrat s'établit ainsi - les élèves savent qu'ils doivent écrire au quotidien et que l'enseignante corrige, note et fait des commentaires, ou utilise leurs travaux dans les cours suivants. Ce contrat met en valeur la répétition, le besoin du travail personnel en classe et à la maison: l'institution prend en charge, par les retours de l'enseignante, la part du travail qui reste normalement dans la sphère privée de l'élève, et elle donne alors la possibilité aux élèves en difficulté qui le veulent, de s'investir dans ce travail sur la langue nécessaire aux pratiques mathématiques. Certains élèves ne rentrent pas dans ce contrat, dans cette culture, mais ils savent qu'ils s'excluent consciemment des activités de la classe.

L'enseignante remarque qu'après un certain temps, les élèves ont compris le besoin de régularité dans le travail mathématique, et la notation n'est pas considérée comme un outil illégitime. Cette immersion en première personne, en tant que sujet­écrivant, dans la culture de l'écrit n'est pas sans conséquence dans le rappoli des élèves au travail mathématique et au travail scolaire. Il ne nous est pas possible de quantifier ces changements ni de les repérer plus finement qu'à travers l'anamnèse de l'enseignante ce qui est très peu. Il nous aurait fallu faire des entretiens personnalisés ce que nous n'avons pas fait. Précisons seulement deux aspects: le rapport à la loi et le travail personnel.

Ce qu'on demande à l'école et dans une classe de mathématiques est conforme à une nOlme et apparaît assez souvent à des élèves en perte de repères, comme « quelque chose à avaler », arbitraire et sans utilité. L'écriture d'une démonstration n'est pas personnalisée et les élèves ont du mal à passer très vite des activités contextualisées aux écrits standards a-temporels, écrits qu'ils ne voient pas comment produire. Le passage par les écrits intermédiaires qui sont retravaillés peut permettre aux élèves de penser la norme et la loi, non pas comme arbitraires et opaques, mais comme une nécessité ayant un certain nombre de fonctionnalités.

En ce qui conceme le travail personnel dans sa dimension «répétition », l'enseignante a essayé de faire vivre aux élèves, par les contraintes imposées, l'expérience de la régularité. Il faut dire que la répétition est très dévalorisée dans la société où on met en valeur la nouveauté et le changement. L'idée de répétition est toutefois acceptée lors d'activités sportives ou créatives: faire des exercices d'entraînement dans un sport ou faire des gammes en musique est répétitif mais on l'accepte en vue du résultat à venir. Le travail d'écriture au quotidien, dans sa dimension répétitive, étant valorisé par l'institution, peut aussi être valorisé par les élèves qui

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commencent à voir les résultats de leurs écrits intennédiaires par rapport aux écrits standards.

3.3.2. Prise en charge de différentes temporalités

Le temps didactique est une contrainte forte du fonctionnement du savoir dans les systèmes didactiques, et l'institution donne très peu de place aux temps personnels d'apprentissage qui restent dans les sphères privées des élèves. Or il existe un fossé entre le travail des élèves dans des situations très contextualisées et le texte mathématique, décontextualisé et a-temporel. Comment faire pour diminuer ce fossé?

Le dispositif mis en place a été pensé pour prendre en charge une part du temps personnel d'apprentissage et pour montrer aux élèves que le temps d'apprentissage n'est pas forcément le temps du « zapping» ou le temps de l'instant, mais un temps long de maturation. La volonté de mettre en œuvre un dispositif à vivre dans le quotidien et sur le long tenne est une réponse à l'analyse suivante: les élèves ont tendance à vivre dans l'instant présent et, s'ils sont en échec scolaire comme c'est le cas dans cette classe, ils ont du mal à comprendre cet échec. Il y a une opacité du temps vécu car le modèle temporel courant est discontinu (comme le temps didactique) et instantané (comme le temps du zapping). Or comprendre l'échec est aussi comprendre le temps de l'échec, c'est-à-dire que l'une des causes de l'échec est de se situer dans un temps qui n'est pas un temps de maturation et de l'après-coup.

La plasticité du temps est l'une des conditions de possibilité du dispositif: prendre le temps dans l'institution pour que les élèves se rendent compte de son importance dans la lisibilité et la remédiation de l'échec car le temps pennet de voir l'adaptation à l'outil mathématique, de se représenter l'apprentissage mathématique dans un cheminement et pas seulement dans une activité finalisée en elle-même.

3.3.3. L'effaceur d'encre

Le modèle actuel est le suivant: l'élève agit, fonnule, valide, fait des activités, le maître institutionnalise, l'élève résout des exercices, fait des devoirs écrits, le maître corrige et évalue. L'opacité du temps vécu par les élèves peut être décrite comme « l'effaceur d'encre» : l'élève vit dans l'instantané de l'activité. Il n'y a pas un avant ni un après, on passe de l'une à l'autre des activités, sans qu'il ait une capitalisation du savoir et sans que celui-ci devienne mobilisable ou disponible (Robert 1998). Les erreurs, les tâtonnements sont alors effacés à l'encre et les traces du cheminement ne sont plus inscrites dans les productions des élèves.

L'une des fonctions des écrits intennédiaires est de pennettre de rendre visible les ratures, les erreurs pour que les élèves puissent y retravailler après le renvoi de l'enseignante. Il est alors important que toutes les traces écrites aient un statut institutionnel ce que la notation pennet d'obtenir.

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3.4. Dialectique entre écriture et lecture

Le problème de l'écriture en mathématiques est indissociable du problème de la lecture: comment les élèves comprennent-ils un texte mathématique? Quelles sont les infonnations recueillies en fonction des buts poursuivis? Quelles relations entre la lecture de textes et l'écriture? Beaucoup de travaux ont été faits sur les rapports intimes entre ces deux savoirs instrumentaux dans des disciplines comme le français ou les langues et beaucoup moins en mathématiques. Nous ne développerons pas ce point dans cet article. Par contre, il nous semble important de remarquer qu'une des fonctions de l'écrit est de donner la possibilité de se relire et de réécrire, et la présence d'un lecteur, réel ou virtuel, est un aspect qui peut avoir un rôle dans l'investissement du sujet­écrivant.

Les élèves écrivent au quotidien et ils savent qu'ils ont un destinataire qui est d'abord l'enseignante. Ensuite, ils deviennent à leur tour des lecteurs de leurs propres écrits, des écrits des autres diffusés dans la classe, et lecteurs aussi des commentaires de l'enseignante à leurs propres productions, commentaires qui peuvent être écrits ou oraux. Cette dimension de lecture est essentielle pour le travail de réécriture qui leur est demandé par la suite: ce travail de réécriture ne se fait pas forcément sur les mêmes exercices mais sur des exercices du même type dans lesquels on a introduit de petites variations. Par le biais des lectures de ces productions, les élèves sont invités à lire des pages du manuel et à faire des transcriptions des cours.

Ce travail de lecture du manuel va confronter l'élève à un écrit standard après ces écrits personnalisés et intennédiaires, et dans ce travail de confrontation, ils peuvent s'approprier un certain nombre d'usages de la langue «nonnalisée». Il existe une dialectique entre la lecture et l'écriture qui nous paraît essentielle dans le passage des situations contextualisées aux textes mathématiques: les écrits intennédiaires sont alors un passage qui est enrichi par l'immersion des élèves dans la lecture du manuel ou d'un autre texte mathématique. Nous sommes conscients toutefois que ce travail n'est pas évident et qu'il y a des élèves qui ne rentrent pas dans le dispositif.

4. Analyse des productions de deux élèves

4.1. Problèmes méthodologiques

Avant d'analyser les productions de certains élèves, nous tenons à présenter les problèmes méthodologiques que nous avons rencontrés. Comment analyser les écrits des élèves sans avoir observé directement les séances dans la classe et sans avoir des éléments précis sur le déroulement de ces séances? L'anamnèse de l'enseignante n'a pas concerné le détail des séances ni du travail d'un élève en particulier. Il y a des traces écrites, qu'est-ce qu'elles nous pennettent de dire sur le travail des élèves, sur l'apprentissage? Peut-on en tirer des conclusions sur les effets de l'écrit dans l'apprentissage des mathématiques? Dans le paragraphe précédent, nous avons insisté sur le projet de l'enseignante et sur nos hypothèses en ce qui concerne les fonctions de

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l'écrit mais entre celles-ci et les effets sur les élèves il y a un pas que nous ne pouvons pas franchir pour le moment. Ainsi, nous affirmons que l'analyse des seuls écrits ne nous permet pas de tirer des conclusions sur les effets de l'écrit dans l'apprentissage des élèves. Par contre, l'existence de ces traces écrites montre qu'il y a des évolutions, des retours en arrière, des éléments stables, d'autres instables, des erreurs qui persistent, d'autres qui disparaissent.

Dans l'analyse des productions des élèves, nous avons choisi de rester au plus près de la matérialité des écrits des élèves et des commentaires de l'enseignante. Nos outils d'analyse sont alors le traitement des erreurs, les notes et les commentaires de l'enseignante, et le rapport institutionnel aux objets visés (Chevallard 92), notamment le rapport aux objets mathématiques et le rapport à l'écrit. Nous prenons ainsi le manque d'informations sur le déroulement effectif des séances comme consubstantiel à notre travail: il est vrai qu'il manque des informations mais que peut-on dire avec les données existantes? Le problème n'est pas spécifique à notre travail mais plus général, par exemple, lorsqu'on analyse des manuels anciens ou des textes officiels anciens on peut dire des choses sur les pratiques d'enseignement de l'époque mais on n'a pas directement observé ces pratiques.

Tout travail d'analyse d'une réalité est un travail de choix de point de vue, choix qui écarte d'autres points de vue sur cette réalité. Nous nous situons ici dans une approche herméneutique au sens où nos analyses sont des interprétations des données recueillies en fonction d'un celiain cadre théorique et de la plausibilité de ces interprétations avec la réalité.

Nous présenterons deux études de cas sur les pratiques d'écriture en géométrie. Nous analyserons les productions de deux élèves à l'aide de nos outils en faisant d'abord une brève analyse a priori, globale d'abord et locale ensuite.

4.2. Analyse a priori globale

Nous entendons par analyse a priori globale ce que nous attendons en général du travail d'écriture des élèves en fonction de nos outils, et l'analyse a priori locale concernera les thèmes spécifiques à savoir les productions des élèves sur le théorème de Thalès.

Nous pensons que les écrits des élèves seront d'abord assez fragmentés et dispersés, sans aucune structure syntaxique. La quantité d'écrit ne sera pas énorme, et le temps montrera une évolution dans le sens de la quantité (plus de traces écrites sur le papier) et dans l'articulation entre les différents éléments. Le rapport des élèves au théorème de Thalès peut se stabiliser au fur et à mesure du travail au quotidien. Nous supposons que le travail de réécriture et de lecture va permettre une plus grande assurance des pratiques d'écriture qui peuvent faire appel à des registres sémiotiques différents (Duval, Chevallard). La norme s'imposera au fur et à mesure du travail quotidien d'écriture, et les notes seront le signe visible pour l'élève de son évolution et de son investissement dans le travail d'écriture. Le « topos» de l'élève s'agrandira car une partie du travail personnel de l'élève est pris en compte par l'institution, c'est-à-dire que celle-ci agrandira l'espace de travail et le temps de l'élève à l'intérieur même de la classe. Ce dispositif ne sera pas la panacée en ce qui concerne l'apprentissage de tous les

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élèves mais, pour certains, il sera bénéfique car, à travers ce dispositif, ils pourront construire des techniques d'étude, notamment des techniques d'écriture.

4.3. Productions autour du théorème de Thalès

Nous allons nous intéresser au travail de deux élèves - Sabrina et Nahid - de rédaction d'exercices concernant l'utilisation du théorème de Thalès dans des calculs de longueurs. Chacun des exercices peut être analysé sous différents aspects : la reconnaissance d'une configuration de Thalès et l'application de la propriété, la rédaction et le traitement algébrique des égalités de rapports.

Nous avons centré notre étude sur les deux premiers aspects: - l'élève reconnaît-il une configuration de Thalès et sait-il écrire les « bonnes» égalités de rapports? - comment l'élève rédige-t-il son argumentation?

Les écrits des élèves couvrent une période d'un mois au cours de laquelle l'enseignante a intercalé des activités de résolution d'équations. Les écrits qui nous concernent ont été réalisés les 6,12,19,20,25,27 novembre et les 3, 4 décembre 1997.

4.3.1. Brève analyse a priori locale

Enoncé du 06 novembre

Les droites (20) et (LA) sont parallèles. Trouver x

z 0

L A

Il s'agit d'une configuration de type « papillon ». L'élève trouve facilement les deux triangles, puisqu'il n'y a pas de recouvrement, mais l'écriture des égalités de rapports est

.c: a 'd' d Ea EZ . . ·1'· 1souvent lausse. n peut s atten re a une erreur u type - - qUI pnVl egle aEA EL

« droite» et la « gauche» du dessin, plutôt que l'alignement des points. Le traitement algébrique de l'équation n'est pas simple, puisque x intervient dans deux des quatre longueurs concernées.

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Enoncés du 12 novembre

Trouver x sachant que (FG) Il (DE)

c

x

F

~-------"IE

6

G

La reconnaissance de la configuration et l'égalité des rapports n'offrent pas de difficultés particulières. L'inconnue, nommée comme telle, est un des quatre nombres de l'égalité des deux rapports. Par contre, le fait que CD et CG ne soient pas explicitement donnés peut induire des erreurs dans le traitement algébrique de l'équation.

Problème de Brevet. Poitiers, juin 1990

A

J 9,1

c B

Avec le centimètre pour unité, les données de la figure ci­contre sont : AI = 5 ; AB = 12; JC = 9,1 Les droites (lJ) et (BC) sont parallèles. Calculer AJ

Compte-tenu de l'enseignement actuel de la propriété de Thalès, qUI Insiste davantage sur l'aspect agrandissement que sur l'aspect rapport de projection, l'élève ne

, . AI AJ peut ecnre - = ­

lB JC "1'· AI AJ "1 J ·1 d . .,. C 9 1 Lorsqu 1 ecnt - = --, SI pose A = x, 1 Olt saVOIr ecnre A = x + , et

AB AC résoudre une équation de difficulté analogue à celle de l'exercice du 06 novembre.

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Enoncé du 19 novembre

Les droites (KE) et (FG) sont parallèles. KA = 3; EA = 7 AG = 5 EF = x Calculer x

Cet exercice est plus difficile que ceux du 12 novembre: configuration «papillon », choix d'une inconnue qui n'est aucun des quatre nombres de l'égalité de rapports attendue. Par contre, sur ces quatre longueurs, une seule dépend de x, ce qui rend la résolution de l'équation plus simple.

Enoncés du 20 novembre

Premier exercice

A B G /

E / D C

Etant donné le carré ABCD de côté 10, et sachant que BG=ED=3, calculer BF

Dans cet exercice, l'élève doit savoir que les côtés d'un carré sont parallèles deux à deux, F étant un point de (BC) et E un point de (AD), alors (BF) et (ED) sont parallèles.

D'autre part, il doit calculer AE et AG, et établir les relations: AB = AG BF BG

Les difficultés peuvent surgir pour identifier le parallélisme ainsi que la configuration de Thalès dans une figure plus complexe, et ensuite d'établir l'égalité de rapports qui convient au problème.

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Deuxième exercice

Les droites (DE) et (BC) sont parallèles, calculer DA et DE

Ce type d'exercice est du même type que celui du 6 novembre avec l'ajout de calculer DE: même type d'analyse que pour cet exercice.

Enoncés du 25 novembre

Premier travail: ABCD est un parallélogramme, E est le milieu de [DC], les droites (DB) et (AE) se coupent en F. Calculer une relation entre DF et FB

L'élève doit identifier une configuration « papillon» à l'intérieur d'une figure plus complexe, savoir que les côtés d'un parallélogramme sont parallèles deux à deux, et identifier la configuration de Thalès. En outre, cet exercice ne met pas en œuvre des valeurs numériques, les élèves doivent travailler avec les mesures des longueurs avec des lettres pour arriver à conclure que FDIFB =1/2 .

Le deuxième travail change de forme: les élèves ne doivent pas résoudre un exercice mais ils doivent analyser les erreurs d'autres élèves. Voilà la feuille donnée par l'enseignante :

---

-- -- --

- --

-- -- --

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Voici des textes d'élèves à propos de cette figure; à chaque fois il y a une erreur et une seule: trouvez là puis expliquez la nature de cette erreur (qu'est ce que l'élève n'a pas compris)

Hypothèses:

~ '" (KL)II(BM) '" AK =7 AB=3 BM=5

MK=e AL=9

jlA -'-..,~_ 9

calculer e et KL

7 '-..-----.

~- K

Élève A

.............. (rédaction) donc les triangles ABM et ACK sont en situation de Thalès donc :

AB AM BM

AK AL BL 3 e-7 5

d'où en utilisant les mesures - =-- =-­7 9 KL

7(e-7) = 27 3. KL = 35 KL = 35/3 ('" Il,7)

e = 7 + 27 = 76 7 7

Élève BI ............. ABM et ALK sont en situation de Thalès donc: BA MA BM

BL MK KL 3 e-7 5

12 e KL

Élève C AM AB BM

........... ABM et ALK sont en situation de Thalès donc: -- =-- =- ­AK AL KL

e 3 5 d'où avec les mesures: - = - =-- ......

7 9 KL ÉlèveD ........... ABM et ALK sont en situation de Thalès donc: AM AB BM

AK AL KL e-7 3 5

d'où avec les mesures: -- = - =-- .... 7 9 KL

1 Nous reproduisons seulement la première partie en laissant de côté les calculs.

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Dans cet exercice, les élèves doivent analyser les erreurs d'autres élèves, c'est-à­dire les identifier et les expliquer. Il y a les productions de quatre élèves et chaque élève a fait une et une seule erreur. L'élève A et l'élève B ont mal écrit les égalités de rapports car ils n'ont pas identifié les points alignés et les points correspondants. L'élève C a supposé que MA= e au lieu de MA= e-7, et l'élève D s'est trompé dans les calculs. Cet exercice demande alors à l'élève de se situer par rapport aux productions des autres et non d'écrire lui-même ses propres résolutions. Les difficultés peuvent être à la fois dans l'identification et dans l'explication.

Interrogation écrite du 27 novembre

1 - Dans chacun des cas suivants, calculer x et y

"\ '\o'\-- x \ N 13

les droites (NP) et (OR) \ 1~\ ~~~M sont parallèles y\ -------Kr,

hypotllèses (RS) Il (LP)

2 - a) Tracer un cercle C de centre 0 et de rayon Sem, puis un diamètre [Ac]. Marquer un point B sur le cercle tel que AB=8cm. Calculer Be. b) Soit M le point du segment [AC] tel que AM=3cm, et soit N son projeté orthogonal sur la droite (AB). Calculer BN et MN.

Le premier exercice concerne alors des problèmes classiques vus en classe, en principe le point peut être fait par rapport aux élèves qui ont leurs connaissances stabilisées par rapport à Thalès dans des configurations simples et habituelles. Le deuxième est plus complexe car la configuration n'est pas donnée au départ mais ils doivent la construire et ensuite l'identifier pour pouvoir écrire l'égalité des rapports qui convient. La troisième question (que nous n'avons pas reproduit) concerne la réciproque du théorème de Thalès pour démontrer le parallélisme de deux droites.

Les exercices sur Thalès sont imbriqués avec les exercices sur la réciproque et des exercices où le théorème est un outil pour démontrer, par exemple, qu'un point donné est le milieu d'un segment, comme c'est le cas des exercices du 3 décembre et du 4 décembre que nous ne reproduisons pas ici.

1 •

21

4.3.2. Les productions de Nahid

Nous avons choisi d'arrêter notre analyse au début du traitement algébrique de l'équation, pour nous centrer sur la reconnaissance de la configuration, l'écriture de l'égalité de rapports et la rédaction de la mise en acte du théorème de Thalès.

Ecrit du 6 novembre

Hyp: (1) ZE=5 (2) OE=4 (3) (ZO) Il (LA) (4) EA= (x+2)

Les triangles EAL et EZO sont en situation de Thalès car d'après la troisième hypothèse (ZO)II(LA). Sachant que les deux droites sont parallèles je peux en déduire que les triangles EAL Il EZO sont en situation de Thalès.

. " ,EA LA ELDonc J'utlhse le th. deThales: - = - = ­

EZ ZO EO

Les commentaires des l'enseignante: «où est la figure? », et « oui» à côté du premier paragraphe. La note est 3 sur 5 (l'élève a des problèmes dans la résolution de l'équation par la suite).

L'élève a identifié la configuration de Thalès, a bien écrit les égalités de rapports, et du point de vue de la rédaction, nous pouvons penser que la forme est acceptable par l'enseignante car il est écrit l'hypothèse du parallélisme, les triangles sont identifiés et marqués, l'usage du théorème est écrite et l'égalité est aussi écrite. Remarquons l'usage du «je» : «je peux en déduire », «j'utilise ». Le rapport de l'élève au théorème de Thalès semble adéquat au rapport institutionnel, à part l'absence de figure.

Écrit du 12 novembre

A<--­1 ---.

hyp: AI = 5em AB = 12em \:-==>"--~~.

JI = 9,1em 1 \ / C (IJ) il (Be) \, /-////

'~_/

B Pour calculer Al je peux utiliser le th de Thalès. Car je sais par hypothèse que IJ et (sic) parallèle à Be. Donc les triangles An et ACB sont en situation de Thalès. Soit: Al AI JI Al 5 JI

= = AC AB CB x+9,1 12 CB

= =

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Commentaires de l'enseignante: par rapport à la figure, elle l'entoure et écrit « mais les droites ne sont pas parallèles! », elle corrige la faute d'orthographe, et à la fin de l'exercice « conclusion? (attention au dessin) ». La note est 4 sur 5.

Notre analyse est semblable à celle de l'exercice du 6 novembre: le rapport de l'élève semble adéquat au rapport institutionnel, d'autant plus que l'élève ajoute la figure (même si son tracé n'est pas précis), c'est-à-dire l'élément manquant dans l'exercice précédent. Remarquons encore l'usage du «je»: «je peux utiliser», «je sais». Par rapport à l'autre exercice, l'élève ne fait pas la figure ce que l'enseignante remarque, et l'élève écrit:

Les triangles CED et CGF sont en situation de Thalès. Donc je peux utiliser CD CE 15 8-x

le th de celui-ci - = - = - = CF CG 21 x

L'élève fait l'erreur 8-x au lieu de x-8, et l'enseignante commente «Je ne comprends pas ».

A la fin des feuilles du 12 novembre, et écrit en vert, l'élève marque le suivant:

hyp : _

Nahdi laisse ici la trace de l'enseignante et de ce qu'elle va demander par la suite en tant que trace écrite à propos des exercices sur le théorème de Thalès ce que Nahdi va faire par la suite.

Écrit du 19 novembre

L'élève fait correctement la figure, écrit les hypothèses: (KE)//(FG), KA=3, EA=7, AG=5, EF=x, et ensuite D'après les hypothèses * Les droites (KG) et (EF) sont sécantes en A. * Les droites (KE) et (GF) sont parallèles Donc les 2 triangles AEK et AGF sont en situation de Thalès

. SOIt:

AE - ­

GF - ­

AF - ­

AG EK AK

L'enseignante marque « faux» à côté des égalités et écrit « appliquez correctement le théorème de Thalès ». La note est 4 sur 10.

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Cette erreur de l'élève est assez paradoxale car, au moment, où l'écrit se rapproche le plus de la norme dans la classe, Nahdi commence à faire des erreurs (ce sera la première d'une suite d'erreurs de ce type dans ses écrits) sur la reconnaissance de l'égalité de rapports. Il est vraisemblable que la note tienne compte ici, non de l'écrit, mais de l'erreur sur l'application du théorème. L'élève n'avait pas fait ce type d'erreur lors de l'exercice du 6 novembre et pourtant la configuration« papillon» était presque la même. Elle fait l'erreur que nous avions prévue mais lorsque son rapport à Thalès semblait stable et en conformité à une écriture « standard ». Cet écrit évacue l'usage de pronoms tels que «je », ce que l'élève semble bien suivre.

Les écrits du 20 novembre reprennent toujours cet type d'écrit: faire la figure, marquer les hypothèses, écrire que: d'après les hypothèses on peut utiliser le théorème de Thalès, et déduire les égalités de rapports. L'élève fait correctement le premier exercice et, pour le deuxième, configuration «papillon », elle va encore reproduire la même erreur. L'enseignante note le premier exercice 9 sur 10 (elle a oublié de marquer x=BF), et le deuxième 2 sur 10. Les erreurs mathématiques sont désormais sanctionnées ce qui était prévu dans le dispositif.

Ecrits du 25 novembre

Comme nous avons vu, le premIer exercice correspond à une configuration « papillon» intégrée dans une figure plus complexe notamment à l'intérieur d'un parallélogramme. Nahdi reproduit COlTectement la figure, en marquant bien E comme milieu du segment [Dc], et ensuite l'élève produit un écrit standard avec les égalités de rapports correctes. Peut-on dire que le rapport de l'élève à ce type de configuration s'est stabilisé? Voyons le deuxième exercice: l'analyse des productions d'élèves.

En ce qui concerne les productions de l'élève A et de l'élève B, Nahdi a identifié les erreurs dans les égalités de rapports et marque à côté de celles de l'élève A «Faux» et de celles de l'élève B « horreur », et il ne donne aucune explication sur la nature de ces erreurs. Les erreurs des élèves C et D, concernant la partie calcul, nous n'en parlerons pas ici. Dans une feuille séparée, cette élève écrit alors une correction des exercices et fait des commentaires pour les élèves A et B :

Élève A D'après les hypothèses: Les droites (KL) et (BM) sont parallèles. Les droites (MK) et (BL) sont sécantes en A Donc les triangles ABM et ALK sont en situation de Thalès Soit : AB/AL = AM/AK = BM/LK Pense à aligner tes points AB et AL sont alignés Si tu n'aligne pas tes points tous les calcules seront faux.

B

L

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Nahdi se situe ici en tant qu'élève, elle écrit la correction de l'exercice: l'analyse des erreurs consiste dans un premier temps à refaire le travail et à montrer ce qu'il fallait faire. Mais ce type d'exercice, inhabituel pour les élèves, va faire que l'élève dise quelque chose de plus que la seule correction. Le choix ici est le commentaire et la figure faits par la suite: momentanément elle remplace l'enseignante et le commentaire correspond à ce que l'élève pense que l'enseignante dirait dans un cas semblable. Peut-être Nahdi a reproduit ce que l'enseignante lui a dit oralement car elle a fait elle-même ce type d'erreur. Ce commentaire est significatif que le rapport de l'élève à ce type de configuration est devenu stable car elle arrive maintenant, non seulement à résoudre les exercices mais aussi à donner des conseils à d'autres élèves qui se trompent, comme c'est aussi le cas pour l'élève B.

Élève B BAIAL = AMIAK = BMIKL Quand les points sont alignés il faut partir du point d'intersection (ici, A). D'autre part BL ne fait ni parti du petit ni du grand triangle Donc votre calcule sera faux

Ici, nous voyons à l'œuvre la technique que Nahdi met en œuvre désormais pour résoudre les exercices sur le théorème de Thalès sur des configurations « papillons» : « il faut partir du point d'intersection». L'écriture de cet élément nous semble un point important dans la stabilité de son rapport, et l'élève l'a explicitement écrit comme aide pour un autre élève. Ce type d'exercice d'analyse d'erreur peut avoir cette fonction d'explicitation de certains éléments techniques qui restent souvent implicites dans la résolution des exercices, et peut-être d'autant plus si l'élève a lui-même fait ce type d'erreur et a surmonté cet obstacle.

Le contrôle du 27 novembre montre la stabilité du rapport de l'élève au théorème de Thalès car elle fait correctement le premier exercice. Par contre, le deuxième exercice, elle se trompe dans la projection du point M, et elle ne finit pas l'exercice. Son contrôle a été noté 14 sur 20.

4.3.3. Les productions de Sabrina

Nous allons montrer très rapidement la prégnance de l'écrit standard proposé par l'enseignante après la séance du 12 novembre. Cet écrit devient la référence par rapport à laquelle les écrits des élèves vont se situer et on voit bien la différence entre l'avant et l'après de cette séance même si Sabrina ne l'a pas écrit explicitement dans ses écrits comme Nahdi l'avait fait.

Ecrit du 6 novembre

Sabrina a reproduit une figure« exacte ». Voici sa rédaction:

Les triangles ZOE et LAE sont en situation de Thalès. hypothèse ZO Il LA

- -

- -

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ZE OE ZO - = ZA EL LA

5 4 ZO -

x+2 x LA

ZOL'utilisation du livre comme référence peut expliquer que l'élève écrive« .....= - »

LA Après une erreur dans l'égalité des rapports, l'élève rétablit un résultat exact. A cette date, la rédaction de l'élève est encore incomplète par rapport aux exigences finales de l'enseignant: pas de justification d'alignements ni de rappel du parallélisme des deux droites.

Ecrit du 12 novembre

1el' exercice : La figure est "exacte". La rédaction est la suivante: hypothèse = (FG) Il (DE) FG Il DE par l'hypothèse dans les triangles CDE et CFG sont en situation de Thalés

CD CE DE CD 15 CD 15 CDdonc:-=-=- = =

CF CG FG 8x 6 CF 6 8x

Sabrina a reconnu la configuration et les premières égalités de rapport sont exactes. Le fait que CF = 8x n'était pas prévisible. La suite des égalités est fausse, mais on

peut noter que Sabrina a utilisé toutes les données numériques, comme dans «l'âge du capitaine ».

Elle a produit une phrase de justification, qu'elle va reprendre mot pour mot dans l'exercice suivant du même jour. Il ne s'agit donc pas d'étourderie, d'oubli de mots.

2ème exercice Dans la reproduction de la figure, Sabrina a ajouté x sur le segment [AJ]. Voici son texte : hypothèse (11) Il (BC) 11 Il BC par l'hypothèse dans les triangles AJI et ABC sont en situation de Thalès

AI AJ 11donc- - ­

AB JC BC 5 x 11

12 9,1 BC

Sabrina reproduit la même rédaction que dans le premier exercice. Elle commet une erreur dans l'égalité des deux rapports, mais cette erreur était fortement induite par les longueurs données dans l'exercice.

On peut noter que, à cette date, Sabrina a compris ou au moins retenu qu'il fallait écrire le lien causal entre parallélisme et situation de Thalès.

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Ecrit du 19 novembre

La figure est « exacte », le parallélisme visuel des droites est respecté. Voici sa rédaction:

hyp : (KE) Il (FG) KA = 3 EA = 7 AG=5 EF=x Calculer x D'après les hipothèse : - les droites (KG) et (FE) sont sécantes en A - les droites (KE) et (CD) sont parallèles donc les deux triangles K.A.E et F.A.G sont en situation de Thalès. KA EA KE -­ --=­AG AF FG 3 7 KE -= =­5 x-7 FG

Non seulement cette élève est amvee à une forme de rédaction acceptée par l'enseignante, mais elle a su écrire les égalités de rapports et remplacer par les bonnes valeurs numériques. Pendant cette semaine, il y a eu simultanément progrès dans la rédaction et dans l'écriture contextualisée des rapports égaux.

L'intervention de l'enseignante est fondamentale dans l'évolution des écrits des élèves vers une nOlme institutionnelle. Dans le cas de cette classe, cette intervention peut être identifiée de deux manières: d'une part, Nahdi l'a écrite explicitement, d'autre part le nombre d'élèves qui ont changé leurs écrits à partir de cette date vers une norme est aussi un indice que quelque chose a du être dit et fait dans la classe. Nous sommes là en présence de faits non observés dans la réalité mais qui deviennent presque évidents par les indices accumulés dans les écrits des élèves.

4. Conclusion

Nous avons formulé notre hypothèse de départ de la manière suivante: la prise en charge par l'institution du travail personnel de l'élève est nécessaire à l'intérieur même de la classe. En effet la rémediation à l'échec scolaire des élèves peut être le résultat d'un certain nombre d'actions au quotidien et si celles-ci ne sont pas prises en charge par l'institution l'écart peut se creuser entre ceux pour qui le travail scolaire reste opaque et les autres. Comme le dit Nadine Milhaud (1997-98), l'institution scolaire affiche le souci de créer des dispositifs (études dirigées, et autres) qui prennent en charge l'étude et le travail personnel de l'élève et la classe n'est pas le seul lieu de l'étude (Chevallard 1997). Mais que peut-on faire à l'intérieur même de la classe pour favoriser l'autonomie de l'élève et l'émergence de certaines techniques d'étude? Le dispositif que nous venons d'étudier apporte à cette question un celiain nombre de réponses que nous souhaiterions pointer en conclusion:

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le besoin de prendre en charge l'émergence de techniques d'écriture en vue d'une certaine norme, norme qui n'est pas donnée au départ par l'enseignante mais après un certain nombre d'écrits intermédiaires produits par les élèves; la production d'écrits intermédiaires, notés et commentés par l'enseignante, permet à chaque élève (même s'il y a des élèves qui ne rentrent pas dans le dispositif) d'arriver, à son rythme, à une forme acceptable de rédaction, qui devrait se mettre en place au fur et à mesure qu'il approfondit sa compréhension des exercices proposés; le travail d'écriture au quotidien nous paraît essentiel pour que l'élève puisse valoriser le travail répétitif de reprise du même type d'exercices et puisse se créer des techniques d'écriture soit apportées par l'enseignante soit développées par l'élève lui-même, comme nous avons vu avec Nahdi, qui, après avoir fait un certain nombre d'erreurs à propos des configurations « papillons », écrivait «il faut partir du point d'intersection ». le travail de réécriture apparaît comme un élément constitutif des pratiques mathématiques et les élèves (au moins pour ceux qui veulent et se sentent désemparés chez eux par manque d'une technique d'étude) peuvent retravailler sur leurs erreurs ; la production d'écrits intermédiaires au quotidien peut permettre à l'élève de devenir un « sujet-écrivant» et pas seulement un « sujet-copiste », de passer d'un rapport oral à l'écrit à un rapport écrit à l'écrit sans faire de l'écriture un objet d'enseignement séparé de l'activité mathématique elle-même.

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VYGOSTKI (1985), Pensée et Langage, Editions Sociales, Paris, 1ère édition 1938.

ACTIVITÉ ... LE SOLEIL ET LA LUNE...

Philibert CLAPPONI Irem de Grenoble

1. Dessiner le soleil et la lune

On voudrait faire sur le cahier un dessin où figureraient la terre, le soleil et la lune. On ne s'intéresse qu'aux distances entre ces astres. Le diamètre de la terre est 1,3x104

km.

Soleil Lune

Diamètre 1,4x106 km 3,5xl03 km

Distance à la terre 1,5xl OR km 4x105 km

Tableau. Données

a. Placer la terre et la lune

T L. 1 cm

Sur cette figure, on a représenté la terre et la lune par deux points distants de 1 cm. À quelle distance de la terre, sur le dessin, faut-il placer le soleil pour respecter les proportions entre les distances? Faites les calculs nécessaires pour répondre.

b. Placer la terre et le soleil

T s 10 cm

Sur cette figure, on a représenté la terre et le soleil par deux points distants de 10 cm. À quelle distance de la terre, sur le dessin, faut-il placer la lune pour respecter les proportions entre les distances? Faites les calculs nécessaires pour répondre.

c. Comparer les diamètres

Représenter la lune par un cercle de 1 cm de diamètre. Quelle serait alors la taille de la terre et du soleil.

Si le soleil était représenté par un disque de 30 cm de diamètre, quelle serait la taille des représentations de la terre et de la lune.

«petit x» n° 54, pp.29 à 30 , 1999 - 2001

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2. Diamètre apparent

En regardant le ciel, on peut parfois voir simultanément le soleil et la lune (on utilise toujours des verres spéciaux, pour regarder le soleil).

Les tailles apparentes du soleil et de la lune sont sensiblement les mêmes, on a l'impression qu'ils ont la même taille. On peut schématiser cela par la figure 1 ci-après. On appelle souvent «diamètre apparent» la mesure de l'angle sous lequel on voit le soleil ou la lune. Vous allez montrer que les diamètres apparents de la lune et du soleil sont voisins.

s

Figure 1.

a. Calculer une valeur approchée du diamètre apparent de la lune

Pour ce calcul, comme la distance OL est très petite par rapport à la distance TO, vous prendrez pour TL la distance de la terre à la lune

T ...cE==---- - -- - ­

Figure 2.

b. Calculer une valeur approchée du diamètre apparent du soleil

Pour ce calcul, comme la distance O'S est très petite par rapport à la distance TO, vous prendrez pour TS la distance de la terre au soleil.

T

Figure 3.

QUELLE GÉOMÉTRIE

POUR L'ENSEIGNEMENT EN COLLÈGE?

Anne WALTER Maîtrise de mathématiques

et lREM de Franche-Comté

Résumé. Cet article pose le problème de l'enseignement de la géométrie au collège du point de vue

épistémologique, en mettant l'accent sur les notions de point, de figure, d'espace et de déplacement.

Puis, il considère plus précisément l'enseignement des transfonnations, leur lien avec la géométrie

d'Euclide, les problèmes qu'elles soulèvent.

Dans la tradition française de l'enseignement des mathématiques qui remonte à la fin du dix-neuvième siècle, la géométrie ajoué un rôle important, s'appuyant sur les deux grands traités de Legendre et de Lacroix publiés et réédités à maintes reprises. Ils sont construits sur le modèle euclidien. Cette importance accordée alors à la géométrie faisait de son enseignement le lieu privilégié de l'éducation au raisonnement et à la rationalité, comme cela fut souvent dit et écrit. Cette place de la géométrie sera remise en cause dans les années soixante-dix par la réforme des mathématiques modernes. Ce courant, qui s'appuyait sur l'approche axiomatique d'Hilbert et le point de vue des structures développées dans le traité de Bourbaki, proposait de faire le lien entre les mathématiques enseignées et celles de la recherche (la science déjà faite et la science qui se fait, comme on le disait à l'époque). Dans la réforme des mathématiques modernes, la géométrie était conçue comme la représentation des espaces et de leurs propriétés euclidiennes, lorsqu'ils sont munis d'un produit scalaire.

Aujourd'hui, après l'abandon de cette réforme, apparaît une volonté d'accorder une place plus importante à la géométrie élémentaire dans l'enseignement des mathématiques, en partie inspirée par les Éléments d'Euclide. Cependant les avis divergent à propos des objectifs, des contenus et des méthodes d'apprentissage; c'est la sempiternelle question: que faut-il enseigner, pourquoi et comment? (Bkouche, 1995).

«petit x» n° 54, pp. 31 à 49, 2000 - 2001

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Cet article n'a pas la prétention de mettre un terme à ces intelTogations, il consiste seulement, d'une pmi à essayer de comprendre les choix didactiques faits dans l'enseignement actuel de la géométrie au collège, d'autre pmi à relancer le débat sur les principales difficultés relatives à cet enseignement. De nombreux travaux de didacticiens permettent de clarifier cette problématique. Citons notamment un de ceux qui ont inspiré de nombreuses recherches ultérieures (Chevallard, Jullien, 1991).

Nous commencerons donc par une modeste approche épistémologique, en mettant notamment l'accent sur les notions de point, de figure, d'espace et de déplacement, pour poser la question des savoirs géométriques visés en collège. Puis, nous nous pencherons sur l'enseignement des transformations au collège: leur lien avec la géométrie d'Euclide, les problèmes qu'elles soulèvent. A ce propos, nous examinerons la place des cas d'égalité des triangles aux côtés d'un enseignement des transformations. Nous terminerons par quelques remarques sur l'apprentissage de la démonstration et le statut de la figure dans le raisonnement.

1. Les objets de la géométrie depuis Euclide: une perspective épistémologique

Avant de traiter de l'enseignement de la géométrie, il est peut-être bon de préciser ce que l'on entend par géométrie.

La géométrie est une des branches les plus anciennes des mathématiques. Par son étymologie (géo vient du grec gaia qui veut dire terre et métrie du grec métron signifiant mesure), géométrie signifie mesure de la terre, celle notamment des arpenteurs babyloniens et égyptiens depuis 3000 avant le., mais encore?

Aujourd'hui, qui dit géométrie dit science de l'espace, des modèles de l'espace et de leurs structures. Mais qu'en est-il de la géométrie enseignée dans les collèges, quels sont les objets de cette géométrie et quels sont leurs rapports avec l'espace? Pour nous éclairer sur ce sujet, nous posons cette double question, reprenant les termes d'Yves Chevallard : sur quel savoir savant s'appuie-t-on ? Et à quel savoir enseigné est-on parvenu? (Chevallard, 1991).

1.1. Figures, espaces et transformations

La géométrie en tant que science s'est développée dans l'histoire progressivement autour de trois grandes problématiques, à savoir: - la mesure des grandeurs géométriques avec Euclide, - la représentation plane des situations spatiales avec les constructions perspectivistes du Quattrocento italien, - la méthode des transformations dont l'intérêt et l'importance ont été mis en avant par Félix Klein dans son programme d'Erlangen en 1872, source de la troisième problématique: les espaces géométriques structurés par les groupes de transformation.

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a) Figures

Si la géométrie d'Euclide est centrée pour une pmi sur l'étude des grandeurs géométriques, c'est à travers les figures que l'on accède à ces grandeurs. Mais qu'appelons nous figure?

La figure est l'objet abstrait sur lequel pOlie le raisonnement du géomètre. Nous distinguerons donc la figure du dessin qui en est la représentation concrète imparfaite que l'on trace sur une feuille ou sur un écran d'ordinateur. Par exemple, pour reprendre une conception platonicienne, on s'intéressera aux propriétés du cercle idéal et non pas à la nature fugitive des ronds dans l'eau. Platon distinguait ainsi le monde des Idées du monde réel et proposait de chercher la vraie connaissance dans le monde des Idées, car ses objets sont immuables et éternels. La distinction explicite figure-dessin est un des apports majeurs des travaux en didactique de la géométrie, dont le présent article s'est largement inspiré. Citons notamment (Arsac, 1992), (Laborde, 1994) et (Duval, 1988 et 1994).

La figure est donc un objet idéal, abstrait, construit intellectuellement comme modèle d'objets concrets de la réalité, accessibles à notre perception. Et la figure est là

. (dans la géométrie d'Euclide) parce qu'elle est objet d'étude et c'est l'étude de cet objet qui conduit à de nouveaux objets, représentés par d'autres figures. La figure est la base quasi initiatique de la pensée géométrique.

La géométrie élémentaire est donc d'abord une science des figures situées dans un plan ou dans l'espace. Mais ce n'est pas à l'origine une science de l'espace. En effet, il n'y a pas d'espace en tant qu'objet d'étude en soi dans la géométrie grecque, il y a seulement des situations spatiales que le géomètre étudie à travers les représentations ou les descriptions qu'il en donne, mais leurs objets sont étudiés chacun isolément.

b) Espaces et transformations

À partir de la Renaissance, on s'engagera dans une nouvelle conception de l'espace: les artistes de cette époque sont animés d'une volonté de reproduire fidèlement le réel, d'imiter la nature et tentent de représenter dans un plan des objets de l'espace physique à partir du point de vue que constitue l'œil. Dans ce but, ils vont mettre au point des règles de nature géométrique: les règles de la perspective, qui s'appliqueront aux figures issues de cette représentation. Mais ce n'est qu'à partir des travaux de Desargues et notamment de son Brouillon project d'une atteinte aux événements des rencontres du cône avec un plan (1639), que les méthodes projectives (qui sont au centre des méthodes de la perspective) vont commencer à s'intégrer à la géométrie.

Les dix-sept et dix-huitième siècles verront ainsi la naissance et le développement de la géométrie projective, qui étudie les figures de l'espace et certaines de leurs relations spatiales (au sens où la géométrie projective étudie les propriétés qui relient une figure à sa figure image par projection).

Parallèlement à la géométrie projective, le dix-septième siècle s'intéressera à la méthode des coordonnées introduite par Descartes (publiée dans sa Géométrie en 1637), dans laquelle il nous fait pmi de sa volonté de traduire l'objet de la géométrie en calculs

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algébriques bénéficiant de la puissance de la symbolique. L'espace a alors un rôle prépondérant, il est nécessairement conçu comme un ensemble continu de points et les objets deviennent des ensembles de points.

Cette conception diffère fondamentalement de la conception euclidienne, dans laquelle l'objet géométrique ne se réduit pas à un ensemble de points. Un objet géométrique est pour Euclide une p011ion d'espace enfermé par des lignes limitées par des points. La géométrie analytique ponctualise l'espace, en affectant à chacun de ses points des coordonnées.

Ainsi, la géométrie projective et la géométrie des coordonnées de Descartes vont contribuer à relier les diverses configurations spatiales, qui chez Euclide étaient conçues et étudiées chacune pour elle-même, et c'est de cette coordination et de cette structuration que naîtra progressivement la notion d'espace comme objet d'étude de la géométrie.

Il faudra tout de même attendre les transformations (qui étudient les figures de l'espace mais aussi et surtout les relations entre ces figures), pour que la notion d'espace apparaisse comme objet de la géométrie et non plus comme simple réceptacle où sont plongés les corps, ou comme une paroi de verre à travers laquelle on regarde les objets (Léonard de Vinci). Félix Klein soulignera en 1872 l'importance de classer les transformations par familles et de comprendre le rôle fondamental joué par le concept de groupe.

1.2. Objets, espaces et modèles géométriques

Qui dit objet géométrique dit construction de l'esprit humain, et même si elle tire son origine de la confrontation de l'homme avec le monde, elle n'en reste pas moins une construction rationnelle, où l'espace de la géométrie s'élabore à travers des concepts mathématiques. Ou, pour reprendre les termes de Léon Brunschvicg dans les Étapes de la Philosophie Mathématique (1912) :

Ce que nous voyons est dans l'espace, mais nous ne voyons pas l'espace( ... ] l'espace a sa racine dans l'expérience, il a son achèvement dans la raison.

Mais qu'en est-il de la nature de cet espace? C'est une question qui sera soulevée dès le dix-neuvième siècle, suite à l'introduction de nouvelles géométries (et donc de nouveaux espaces) par les mathématiciens fondateurs des géométries non euclidiennes, comme Gauss, Bolyai, Lobatchevski et Riemann. Ces géométries sont construites indépendamment de l'expérience sensible, contrairement à la géométrie d'Euclide, et vont donc remettre en question le lien entre le monde réel et les objets mathématiques: le problème se pose du lien entre mathématiques et réalité physique, du rapport entre espace mathématique et espace empirique.

Toutes ces interrogations autour de la nature de l'espace et de la variété des géométries soulèvent deux autres questions, à savoir: - quel est le lien, ou plutôt, y a-t-il un lien entre ces différentes géométries? - Et parmi celles-ci, quelle est la bonne géométrie pour l'enseignement?

Autrement dit, sur quel savoir savant, parmi cette multitude de notions géométriques développées depuis des siècles, doit-on plus spécialement s'appuyer afin d'offrir aux élèves le meilleur savoir enseigné possible?

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La réponse à cette question est moins évidente qu'il n'y paraît. En effet l'histoire de la géométrie ne s'arrête pas à l'invention des géométries non-euclidiennes et l'introduction des groupes de transformations a pour effet d'avoir changé notre vision de l'espace. On peut constater qu'à partir de l'idée de déplacement, l'étude des relations entre les figures de l'espace a conduit progressivement à la notion de transformation. Et, suite au programme de Klein, ces transformations ont été classées par leurs actions sur l'espace l ,

Face à ces diverses géométries constituées en modèles, Hilbert éprouvera le besoin de préciser ce que sont ces modèles, quels sont leurs objets. Il introduit alors la géométrie euclidienne par une axiomatique formelle: il part d'objets déterminés mais non définis et dont la nature n'importe pas, il les caractérise par certaines relations entre eux puis spécifie ces relations par des axiomes. Il définit ainsi des espaces abstraits dont les éléments sont appelés points, sans qu'on sache si ce sont des nombres, des courbes, des surfaces, ou des fonctions ....

Le mathématicien se retrouve donc devant différents modèles (ou géométries) qui correspondent à différents systèmes d'axiomes, et le physicien ou le mécanicien n'a plus alors qu'à choisir parmi ces modèles celui qui représente au mieux le donné empirique ou les phénomènes expérimentaux auxquels il s'intéresse, ou autrement dit:

Mathematics reveals the possible space ; physics decides which among them corresponds to physical space. (Reichenbach, 1927, p.6)

1.3. Les déplacements incontournables

La question des transformations nous amène à la dualité des notions de déplacement et de modification des objets dans l'espace. Il convient avant tout de distinguer la notion de déplacement qui désigne le transport d'objets géométriques indépendamment du temps, de la notion de mouvement dans le temps, objet d'étude de la cinématique.

L'usage du mouvement est refusé et considéré comme étranger à la géométrie par les mathématiciens grecs de l'Antiquité, notamment par Euclide, et ce pour des raisons essentiellement métaphysiques :

Si la géométrie oblige à contempler l'essence, elle nous convient; si elle s'arrête au devenir, elle ne nous convient pas. (Platon, La République, Livre II).

Mais, même si le déplacement n'intervient dans les raisonnements géométriques que d'une manière implicite ou «plus ou moins déguisée» (pour reprendre les termes de Jules Houël, 1867), son rôle dans la constitution de la géométrie élémentaire ne peut être ignoré, car il est nécessaire pour toute comparaison d'une figure à l'autre. En effet, la notion commune d'Euclide énonçant le principe d'égalité par superposition (notion commune 8 du Livre 1, dans la traduction de Peyrard des Éléments) : «Les grandeurs,

l Ainsi, à chaque groupe de transfonnations conservant un ou des caractères des objets géométriques, on associe une géométrie. Par exemple, la géométrie affine conserve le parallélisme, la géométrie euclidienne correspond au groupe des déplacements qui conservent les distances et les fonnes. Ces groupes sont des sous-groupes du groupe projectif conservant l'alignement, auquel on associe la géométrie projective.

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qui s'adaptent entre elles, sont égales entre elles », s'appuie par essence sur un déplacement. Euclide conclut donc à l'égalité de deux objets géométriques quand, ayant transporté l'un sur l'autre, ils coïncident, c'est-à-dire, ils se superposent.

Après avoir décrit intuitivement, empiriquement, ce qu'est l'égalité de deux corps, Euclide définit précisément les conditions d'égalité de deux figures géométriques par les cas d'égalité des triangles. Bien que leurs démonstrations s'appuient sur l'utilisation effective de la superposition, et par là même du déplacement, leur intervention ultérieure dans les raisonnements permet de contourner le recours à tout déplacement.

Ainsi, Euclide s'appuie sur un donné empirique, le déplacement, pour fabriquer de la connaissance rationnelle, c'est-à-dire construite sur le seul raisonnement. C'est alors grâce à la notion de déplacement que se constitue le lien entre les aspects expérimentaux et les aspects théoriques de la géométrie euclidienne. Et c'est ce lien qui fait des fondements de la géométrie élémentaire à la fois une science mathématique et une science physique. Cette distinction entre science mathématique et science physique prend encore plus pleinement son sens après la découverte des géométries non-euclidiennes.

1.4. Points mobiles et transformations

Dans l'espace euclidien, on peut donc transporter n'importe quel objet géométrique sans que cela influe sur sa fonne. C'est ce qu'exprime implicitement la demande 3 (du Livre l des Éléments; traduction de Peyrard) :

D'un point quelconque, et avec un intervalle quelconque, décrire une circonférence de cercle.

Euclide demande ici d'accepter comme vrai le fait que l'on puisse construire en n'importe quel point du plan un segment quelconque, puis un cercle de rayon égal à la longueur de ce segment. Il est donc possible de transporter n'importe quel segment et par là même n'importe quelle figure géométrique dans l'espace euclidien. Le déplacement ne correspond alors qu'à un changement de lieu d'une figure, sans modification de la forme de cette figure; autrement dit, l'espace euclidien est homogène.

Mais, dès le dix-septième siècle, une nouvelle conception des mathématiques comme langage exprimant les réalités physiques de la nature apparaît. Dans ce contexte, l'espace géométrique apparaît comme le cadre naturel pour faire l'étude du mouvement et notamment du mouvement d'un point sur une trajectoire.

Ainsi, apparaît une étude plus théorique de la mécanique et par là même une nouvelle appréhension du point et de la figure géométrique. Pour Newton par exemple, les courbes sont conçues comme des trajectoires, donc données par le mouvement d'un point, c'est-à-dire données par ce qu'on pOUlTait considérer comme les positions successives d'un point mobile décrivant cette trajectoire. Ainsi, le mécanicien considère un point qui bouge et l'ensemble des positions de ce point constitue la figure; la figure devient donc en fait le support d'un point mobile.

Cependant, la nécessité pour les géomètres de libérer leurs raisonnements du mouvement, le développement de l'analyse et la ponctualisation de l'espace rendue incontournable par la géométrie analytique de Descartes, vont progressivement conduire à une autre appréhension du point et de la figure. L'espace ou, plus particulièrement la figure, sont alors constitués par des ensembles de points, et une transformation agit sur

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les points de l'espace de la même manière qu'une fonction opère sur les nombres d'un ensemble numérique.

On est bien loin ici de l'appréhension euclidienne du point qui, porté par une figure, est localisé ou fixé: il n'appartient pas à la figure au sens ensembliste en tant qu'élément variable constitutif.

2. Sur quels savoirs s'appuyer pour enseignement la géométrie en collège?

2.1. Du perceptif au théorique

Revenons à notre objet d'étude: l'enseignement de base de la géométrie comme première étape de l'accès à la connaissance géométrique.

Il revient aux élèves de dégager la signification des objets de la géométrie et leurs premières propriétés, à partir de leur perception sensible, que les méthodes de la géométrie supérieure (notamment la géométrie des transformations) vont permettre d'approfondir.

La géométrie d'Euclide, dont les premières définitions sont des descriptions d'objets perceptibles par le biais des sens, est sans doute celle qui se rapproche le plus de l'appréhension de l'espace qu'ont les enfants. Mais sa construction passe rapidement d'une perception pragmatique à un développement théorique. Le premier cas d'égalité des triangles (quatrième proposition) illustre fort bien ce passage. C'est une des raisons pour lesquelles on retrouve les bases de la géométrie d'Euclide dans l'enseignement, car elles correspondent à l'évolution de l'acquisition des connaissances géométriques chez les enfants: l'évolution du descriptif sensible au théorique.

C'est donc sur l'étude des figures et des configurations que s'appuie l'enseignement de la géométrie à l'école et au collège, avec la construction d'objets simples, l'étude des relations entre ces objets, leurs propriétés communes puis progressivement l'accession de celles-ci au statut de théorèmes obtenus par de petits raisonnements déductifs, accompagnant l'apprentissage de la démonstration.

Il faut souligner ici que la connaissance théorique ne peut être atteinte que par le fonctionnement de raisonnements logiques (le raisonnement déductif fait partie de ces différents modes de raisonnements logiques), ce sont eux en effet qui permettent de dégager de nouvelles connaissances sur les objets idéaux, abstraits, construits à partir d'objets sensibles. Quant à la théorie, elle s'occupe de faire fonctionner ces objets idéaux.

L'un des objectifs de l'enseignement n'est-il pas d'apprendre aux élèves à mieux utiliser des concepts abstraits pour communiquer? Et, si oui, l'apprentissage de la démonstration ne se trouve-t-il pas à ce niveau pleinement justifié, dans le sens où la démonstration est un moyen d'expression nécessaire pour la communication, pour expliquer un raisonnement, valider une preuve, socialiser un résultat?

L'étude des configurations et des transformations constitue donc l'essentiel des contenus des programmes de géométrie du collège. Mais, comment des éléments de

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géométrie élémentaire peuvent-ils être associés aux transformations dans une progression cohérente?

2.2 . L'enseignement des transformations au collège

a) Transformations et géométrie euclidienne

Les programmes de géométrie de collège accordent une place importante à l'étude des transformations qui comprennent la symétrie axiale en Sixième, la symétrie centrale en Cinquième, la rotation et la translation en Quatrième, puis en Troisième, la notion d'agrandissement et quelques compositions de transformations dans des cas particuliers simples.

En ce qui concerne les objectifs, il s'agit de construire les transformés de figures par les transformations du programme, la transfonnation

n'a, à aucun moment, à être présentée comme application du plan dans lui­même (Nouveaux programmes de collège, 1996, Ministère de l'Éducation Nationale),

et l'accent doit être mis sur l'invariance de propriétés des figures dans une transformation.

Par ailleurs, les programmes doivent promouvoir un rapport à la connaissance scientifique qui ne se limite pas à un simple empilement de connaissances, mais est à la fois organisation rationnelle de l'acquis et synthèse des activités intellectuelles dont le développement doit permettre de découvrir l'encore inconnu.

Mais comment peut-on faire le lien, au collège, entre la notion de transformation et des éléments de géométrie euclidienne, géométrie dans laquelle les transformations n'ont pas de place explicite, afin que leur enseignement ne se réduise justement pas à une simple juxtaposition de connaissances?

Comme nous l'avons souligné à propos des déplacements, la notion de transformation est exclue du champ des études euclidiennes. Mais cette notion intervient tout de même implicitement pour permettre en théorie la comparaison de deux figures. Les transformations étudiées au collège ont alors pour effet de rendre les déplacements plus explicites, lisibles et intuitifs. N'obtient-on pas de ce fait une progression cohérente au collège entre la géométrie élémentaire et la géométrie des transformations?

Dans ce contexte naissent des questions didactiques: qu'est-ce qu'une transformation géométrique pour un enfant? Comment la perçoit-il?

Il apparaît, après lecture des contenus et objectifs des programmes, que l'on cherche à créer chez les élèves une conception de la notion de transformation qui entre de manière cohérente dans le cadre euclidien: on ne considère les transformations que par leur action sur les figures et non pas sur l'espace tout entier. En particulier, une transformation agit sur les points situés sur des lignes ou définis par leur intersection, mais pas sur des lignes en tant qu'ensembles de points. De plus, puisque de la Sixième à la Troisième, l'élève n'étudie que des isométries, il se retrouve en définitive face à l'homogénéité de l'espace euclidien.

Certes, il est important que la notion de transformation ait une signification dans le contexte géométrique dans lequel elle est introduite, enseignée. Il est important qu'elle

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soit reliée aux éléments de géométrie euclidienne (au niveau du collège) d'une manière tout à fait cohérente. Mais il importe avant tout que la notion de transformation ait un sens pour les élèves. Qu'en est-il? Quel sens a-t-elle, ou a-t-elle seulement un sens?

C'est une question fondamentale dont les réponses sont loin d'être évidentes, d'autant plus que la notion de transformation est une notion récente (dégagée en tant qu'objet d'étude au dix-neuvième siècle), et présente encore de nombreuses difficultés pour son enseignement.

b) L'apport des transformations dans l'enseignement de la géométrie

L'une des principales raisons pour lesquelles beaucoup d'élèves décrochent en mathématiques est qu'on leur assène trop tôt des discours descriptifs d'objets abstraits, statiques et préexistant de toute éternité. Par contre, il semble que les transformations peuvent représenter un outil performant pour rendre la géométrie plus dynamique et motivante et pour faire en sorte que les élèves donnent du sens à ce qu'ils font. Il est vrai que la notion de transformation géométrique et le vocabulaire qui l'accompagne peuvent être très utiles comme supports et motivations pour d'autres acquisitions telles que: réaliser des programmes de constructions géométriques, des pavages ... , se perfectionner dans l'usage des instruments de mesure et de dessin, découvrir ou redécouvrir certaines propriétés géométriques, toutes activités qui contribuent à développer la psychomotricité. De plus, la connaissance des propriétés des transformations permet d'aider à la résolution de problèmes de la vie quotidienne (architecture, optique ... ). De ce fait, les transformations participent de la culture de chaque individu.

L'enseignement élémentaire de la géométrie peut bénéficier de ce caractère dynamique et motivant des transformations. En multipliant les activités géométriques autour des transformations, on peut espérer favoriser la prise de sens par les élèves de notions géométriques.

En particulier l'utilisation de propriétés invariantes par transformation peut être riche de résultats concrets. Les programmes insistent sur le fait que la notion de transformation ne prend sens qu'à travers cette notion d'invariant. C'est pourquoi les isométries constituent l'essentiel de l'étude des transformations de la Sixième à la Troisième. Mais ne faut-il pas, pour que la notion de transformation soit consistante, que les invariants apparaissent d'une façon non triviale? Autrement dit, comment peut­on attirer l'attention des élèves sur les isométries, si on ne leur enseigne justement que des isométries? Car le fait est, qu'au collège, les transformations ne déforment pas, elles ne font que déplacer les objets sur lesquels elles agissent. Or une isométrie est concevable autant par ce qu'elle est que par ce qu'elle refuse d'être. Pour rendre compte à l'élève de ce que sont les isométries, et par là même leurs invariants, ne faudrait-il pas lui présenter des transformations qui soient des transformations déformantes, qui transforment vraiment, telles que la symétrie oblique par exemple?

c) Difficultés dans l'apprentissage des transformations

Cependant, d'un point de vue didactique, les transformations ont leurs limites, notamment dans la mesure où leur utilisation comme outil de résolution de problèmes et

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de démonstration semble difficilement maîtrisée, voire rejetée par les élèves du collège et parfois par leurs enseignants.

En particulier, en Sixième, Cinquième, la grande majOlité des enfants se positionne spontanément au niveau d'opérations concrètes, aussi l'utilisation de transformations dans la mise en œuvre de celiaines séquences déductives s'avère-t-elle d'un niveau cognitif trop élevé pour des enfants de cet âge. Car même si ces derniers se sont appropriés les propriétés de celtaines figures ou configurations au cours de constmctions, ils ne les maîtrisent pas formellement et sont donc dans l'impossibilité de les réinvestir dans une démonstration. Cette remarque prend d'autant plus de force dans les cas où la résolution d'un problème est beaucoup plus simple élémentairement qu'avec les transformations.

En effet, le processus mental qui permet, à partir de la lecture d'un énoncé et/ou d'une figure, de réinvestir les connaissances adéquates en vue de la résolution d'un problème ou de l'élaboration d'une démonstration, constitue une réelle difficulté pour les élèves, pour lesquels la traduction d'une compréhension perceptive de propriétés géométriques en une connaissance théorique est un enjeu cognitif très fort :

il ne suffit pas qu'une propriété soit démontrée pour devenir mobilisable, il faut aussi et surtout que se soit constmite une image mentale, représentation figurée de cette propriété, qui vient s'inscrire dans un lexique personnel explicite ou non, au même titre qu'un théorème énoncé et justifié. (Daniel, 1995, p.76)

d) Transformations globales et transformations ponctuelles

Mais, comment parler de transfonnations déformantes sans ponctualiser les figures?

A ce propos, il nous paraît intéressant de faire quelques remarques sur l'évolution du statut de l'objet transformation du collège à la classe de Seconde.

Dans l'esprit des programmes de collège, on fera d'abord agir les transformations sur des figures, puis on dégagera l'idée essentielle qu'une transformation associe à tout point du plan un point du plan bien déterminé. ( Programme de Seconde, éd. 1996 ).

Ainsi, en Seconde, l'élève aura à passer d'une transformation opérant sur des figures à une application du plan sur lui-même, qui opère sur des points puis plus globalement sur des figures, que l'élève devra désormais considérer comme constituées d'ensembles de points. Le programme de Seconde introduit donc les transformations sous leur aspect ponctuel et fonctionnel (Jahn, 1998, p.66).

Or, tout au long du collège, les transfOlmations n'agissent que sur des figures globales, et même si elles s'appliquent parfois à des points, ceux-ci sont considérés comme des objets géométriques faisant éventuellement partie de figures (comme extrémités de lignes), et non comme constituants élémentaires des figures. Par ailleurs, l'étude des fonctions au collège reste très limitée. La notion de fonction n'apparaît explicitement qu'en Quatrième et Troisième sous la forme des applications linéaires et affines, et les élèves ne perçoivent pas encore son caractère fonctionnel abstrait.

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Autrement dit, la géométrie ponctuelle et le cadre fonctionnel nécessaires à la compréhension de la transfonnation telle qu'elle apparaîtra en Seconde, ne sont pas introduits au collège (Ibid., p.61 à 65).

Dès lors, le nouveau statut des transformations ne semble pas évident à mettre en place en Seconde, d'autant plus que l'enseignement des transformations à ce niveau passe par des théorèmes de conservation donnant directement la nature de l'image d'une figure. Une conception dynamique de la transformation qui consiste à considérer une figure comme le support d'un point mobile M (l'image de cette figure étant la figure décrite par le point M'image de M), prépare l'appréhension de la nature ponctuelle et fonctionnelle de la transformation. (Ibid., p.67)

La relation liant un point variable M et son image M'induit la notion de lieu géométrique. Cette notion s'inscrit naturellement dans le cadre ponctuel et fonctionnel, mais elle ne constitue pas vraiment une aide à l'évolution du statut des transformations. Car, rechercher un lieu conduit le plus souvent à reconnaître l'effet d'une construction puis à conclure que le lieu cherché est l'image globale d'une figure par la transformation qui en découle, et ce, en raisonnant généralement et uniquement sur un point générique et son Image.

Dans ces conditions, le passage de la notion de transformation agissant sur des figures à celle de transformation comme application ponctuelle représente une rupture épistémologique certaine. On est alors en droit de se demander si la transition collège­lycée est suffisamment assurée dans l'enseignement des transformations, autrement dit si un élève de Seconde a réellement les moyens de comprendre, d'appréhender d'emblée une transformation sous ses aspects ponctuel et fonctionnel. Délaissant la géométrie élémentaire, les outils vectoriels et analytiques prendront ensuite le relais pour la résolution de problèmes.

Dans cette progression, dans le cadre analytique notamment, la signification de la notion de transformation ne risque-t-elle pas d'être occultée par des activités qui ne s'appuieraient pas suffisamment sur les propriétés des configurations? Un travail trop centré sur l'objet transformation ne risque-t-il pas de nous faire oublier que l'enseignement de la géométrie, du collège au lycée, devrait d'abord s'appuyer sur l'étude des figures et des effets des transformations sur leurs propriétés? La figure ne serait plus alors le premier objet d'étude, elle pourrait n'apparaître que comme cadre de problèmes de transformations.

L'étude des configurations doit donc garder toute sa place initiatique. Nous sommes donc amenés à nous reposer aujourd'hui la question des cas d'égalité des triangles.

3. A propos des cas d'égalité des triangles ...

3.1. Intérêt des cas d'égalité

Un regard sur l'enseignement de la géométrie au collège au cours des trente dernières années nous amène à la question suivante: pourquoi les cas d'égalité des triangles ne font-ils plus officiellement partie des programmes de Cinquième?

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Certes, les programmes introduisent implicitement des conditions d'isométrie des triangles, notamment à travers l'une des compétences demandées aujourd'hui à un élève de Cinquième, à savoir:

construire un triangle connaissant: la longueur d'un côté et les deux angles qui lui sont adjacents; les longueurs de deux côtés et l'angle compris entre ces deux côtés; les longueurs des trois côtés.

ainsi qu'à travers le commentaire qui accompagne cette compétence, à savoir:

on remarquera, dans chaque cas où la construction est possible, que lorsqu'un côté est placé, on peut construire plusieurs triangles, deux à deux symétriques par rapport à ce côté, à sa médiatrice ou à son milieu (Nouveaux programmes des collèges, 1996, Ministère de l'Éducation Nationale),

autrement dit, on remarquera que tous les triangles construits sont superposables, avec ou sans retournements.

Ainsi le programme de Cinquième actuel introduit subrepticement les trois cas d'égalité des triangles, sans les appeler ainsi, et les donne uniquement sous forme de constructions.

Or, il s'avère que les cas d'égalité des triangles peuvent être, d'un point de vue didactique, des outils très intéressants.

En effet, leur utilisation simplifierait parfois des démonstrations où l'outil transformation n'est pas le plus efficace et intervient, dans celiains exercices, comme distracteur didactique si ce n'est comme véritable obstacle. Ils permettraient une économie de moyens, dans le sens où, pour comlaître un triangle, c'est-à-dire six éléments constitutifs: trois côtés et trois angles, il suffit d'en connaître trois correctement choisis (avec au moins un côté). Ces éléments sont des objets géométriques perceptifs enseignés aux enfants dès l'école primaire, ils ne font donc pas appel à des notions d'un niveau cognitif trop élevé pour des collégiens ...

C'est par exemple le cas pour établir les propriétés de la droite des milieux dans un triangle qui, plutôt que d'impliquer la symétrie centrale dans un parallélogramme artificiellement construit, découlent directement des propriétés des angles déterminés par des parallèles et des sécantes pour dégager simplement l'égalité de deux triangles : Voici la démarche suggérée par le programme de Quatrième:

Dans le triangle ABC, soit l le milieu de [AB] et J le milieu de [Ac]. Soit ABCD le parallélogramme construit à partir de ABC.

Dans la symétrie de centre J, K image de l est milieu de [CD] (conservation du milieu), AI = KC (conservation des

B Clongueurs) donc [KC] et [lB] sont de même longueur. Comme [KC] est parallèle à [lB], lBCK est un parallélogramme et (U) est l'unique parallèle à (BC) passant par 1. Cette unicité entraîne la réciproque.

Et la démarche passant par un cas d'égalité:

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Soit 1 le milieu de [AB] et J sur [AC] tel que (IJ) soit parallèle à (BC). Soit OK) la parallèle à (AB) passant par J. IJKB est un parallélogramme, d'où AI = lB = JK. Le parallélisme donne des égalités d'angles correspondants qui entraînent que les deux triangles AIJ et JKC sont égaux. Donc B AJ = JC, J est milieu de [AC]. La réciproque découle de l'unicité de la parallèle à (BC) passant par 1.

3.2. Les cas d'égalité et l'enseignement de la géométrie

Alors, pourquoi les cas d'égalité n'apparaissent-ils pas comme théorèmes pouvant servir dans des démonstrations?

A cette question, on s'entendra répondre que, du point de vue de la transposi tion didactique, il n'est pas cohérent d'utiliser les cas d'égalité des triangles en tant que théorèmes car, ce faisant, on réintroduirait un outil archaïque alors que les transformations constituent un outil moderne et performant.

De plus, la définition de l'égalité de deux triangles n'est pas évidente à formuler à ce niveau: le terme d'égalité au sens qu'on lui donne aujourd'hui (deux représentations du même objet) est impropre. Le remplacer par le terme de supelposable ne fait que déplacer le problème (en même temps que le triangle enjeu 1).

Une raison plus profonde tient à l'aspect épistémologique de ce problème: le rôle du premier cas d'égalité des triangles dans la géométrie d'Euclide (placé en Proposition 4 du Livre 1 des Éléments) est d'opérer la transition d'un exposé se référant à une appréhension perceptive des objets en jeu vers une compréhension théorique de leurs propriétés.

Ainsi les cas d'égalité des triangles contribuent à la compréhension de la géométrie d'Euclide comme science rationnelle. Autrement dit, la démarche analytique que l'élève apprend à faire pour reconnaître s'il a suffisamment d'éléments pour affirmer que tel ou tel triangle est égal à tel autre devrait constituer une étape fondamentale pour sa prise de conscience du passage d'une géométrie pratique vers une reconnaissance théorique des propriétés.

On voit bien dans ce contexte qu'il ne peut y avoir de démonstration rigoureuse des cas d'égalité des triangles, mais seulement une explication, telle qu'on la trouve dans les Éléments. Ce type d'explication par superposition peut donner une fausse idée des attentes en Cinquième concernant l'apprentissage de la démonstration et peut contribuer de ce fait à l'établissement d'un contrat didactique non souhaité.

Mais, cet argument n'est-il qu'une forme de « modernolâtrie », selon les termes de RudolfBkouche (1992, p.9), et ne pose-t-il pas un problème de cohérence didactique?

Ne faut-il pas en effet, pour comprendre la notion de transformation, passer par l'explicitation des problèmes et des diverses notions géométriques qui ont progressivement conduit au concept de transformation? En ce sens, les cas d'égalité des triangles ne participent-ils pas de la compréhension globale de la géométrie?

Ainsi, les cas d'égalité des triangles poun-aient faire le lien, au collège, entre la géométrie d'Euclide et les transformations. Car, reconnaître l'existence de déplacements dans les cas d'égalité des triangles, c'est légitimer le fait que l'on puisse transporter, dans

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le plan, un segment tout en conservant sa longueur, puis une figure en conservant sa forme et ses dimensions, c'est donc légitimer la notion de transformation.

De ce point de vue aussi, on comprend l'incohérence à la fois épistémologique et didactique qu'il y aurait, selon certaines propositions, à réintroduire les cas d'égalité des triangles dans les programmes des lycées, alors que les fondements de la géométrie théorique sont installés depuis le collège, théâtre de la transition du perceptif au théorique.

On peut remarquer que cette transition apparaît aussi lors de l'introduction des transformations dès le début du collège : par exemple, pour introduire la propriété de conservation de l'alignement par symétrie axiale, on peut s'en faire une représentation avec des pliages, puis l'admettre comme propriété théorique de cette transformation.

Cette propriété s'insère sans difficulté dans la démarche euclidienne: il suffit de remarquer que les droites passant par deux points A et B d'une part et leurs images A' et B' d'autre part, se coupent sur l'axe de symétrie. Pour le montrer, on considère l'intersection 0 de la doite (AB) B L...fl---"t---+l---->" B'

avec l'axe de symétrie (d) et les droites (OA') et (OB'). d

On obtient alors l'égalité des angles dOA' et dOB' (ce qui prouve l'alignement de 0, A' et B '), en faisant appel à la propriété caractéristique du triangle isocèle dans lequel médiane, hauteur et bissectrice relatives au sommet sont confondues, propriété découlant immédiatement des cas d'égalité.

Mais en classe de Sixième ce changement de perception reste très implicite et, à cet âge, l'identification de ce changement de statut d'une propriété de la symétrie axiale est sans doute moins aisé à mettre en évidence que pour un cas d'égalité des triangles.

Sans trancher complètement cette question des rapports entre cas d'égalité et transformations, nous penchons vers une réhabilitation des cas d'égalité dans leur rôle de légitimation perceptive des déplacements d'objets géométriques dans l'espace, et par là, vers la validation de la notion même de transformation. Dans cet esprit, la déclaration qui suit de Bkouche prend un certain relief:

il s'agit de décider s'il faut maintenir, dans l'enseignement du collège et du lycée, ce caractère d'accès à la rationalité scientifique que constitue l'étude de la géométrie élémentaire, autrement dit, si la construction de l'intelligibilité du monde participe encore de l'enseignement aujourd'hui. Nous avons dit au début de cet article en quoi cela nous semblait archaïque, mais c'est peut-être cet archaïque qui est fondateur d'avenir. (Bkouche, 1997, p.71).

4. Apprentissage de la démonstration, le sens en géométrie

4.1. Dessin, figure et démonstration

La démarche suivie dans l'enseignement des mathématiques renforce la formation intellectuelle des élèves et concourt à celle de citoyen, en développant leur aptitude à chercher, leur capacité à critiquer, justifier ou

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infinner une affilmation, en les habituant à s'exprimer clairement aussi bien à l'oral qu'à l'écrit. (Nouveaux programmes de collège, 1996, Ministère de l'Éducation Nationale).

Ainsi, l'un des objectifs explicites de l'apprentissage des mathématiques au collège est d'apprendre aux élèves à démontrer. Pour ce faire, on associe très souvent l'apprentissage de la démonstration à l'enseignement de la géométrie. Aussitôt se pose la question du statut et du rôle de la figure dans la démonstration: comment un élève du collège appréhende-t-il une figure? Et d'un point de vue didactique, la figure représente­t-elle une aide ou au contraire un obstacle à la compréhension et à l'élaboration d'une démonstration ?

L'initiation au raisonnement déductif, avec comme perspective l'apprentissage de la démonstration, nécessite une évolution du statut des objets géométriques.

En Sixième, Cinquième, l'élève doit commencer par observer, construire, mesurer et l'accent est mis sur l'exactitude, la précision des tracés et des mesures car eux seuls suffisent pour résoudre un problème, valider un résultat. A ce niveau, raisonner consiste donc à faire quelques déductions pratiques basées sur un rapport perceptif aux objets dessinés, l'élève raisonne sur le dessin et non pas sur la figure en tant qu'objet abstrait, idéal, telle que nous l'avons caractérisée au début de cet article.

Puis progressivement en Cinquième et surtout en Quatrième, Troisième, l'élève doit faire évoluer la perception qu'il a des objets sur lesquels il est amené à raisonner, il ne s'agit plus de mesurer, de constater, il faut désormais raisonner, déduire puis démontrer et ce, non plus sur des objets concrets, les dessins, mais sur des objets abstraits, les figures, porteurs de propriétés théoriques.

Ce changement du statut du dessin vers celui de la figure, que l'on peut aussi qualifier de rupture épistémologique, constitue une réelle difficulté dans l'enseignement et l'apprentissage de la démonstration. Non seulement les élèves ne sont pas tous prêts à réorganiser leur pensée sur la base de notions abstraites quand ils ont encore un rapport direct à l'objet, mais de plus les enseignants ne peuvent rendre explicite ce nouveau statut de la figure par un discours accessible à l'élève, ni situer précisément dans le temps ce processus d'abstraction. Finalement, les enseignants procèdent le plus souvent par effets de contrat, sollicitant ou interdisant, élevant progressivement le niveau de leurs attentes dans des tâches de plus en plus complexes.

Sans compter les difficultés relatives au statut de la figure, on constate également que le fait de relier l'enseignement de la géométrie à l'apprentissage de la démonstration, et par là même d'utiliser la figure dans l'élaboration d'un raisonnement, pose en particulier deux problèmes importants auxquels se heurtent de nombreux élèves du collège.

D'une part, la prégnance de la figure peut rendre inutile ou vaine, aux yeux de l'élève, la recherche d'une démonstration. En effet, la simple observation d'une figure, ou les énoncés du type «démontrez que la figure est un ... », ou encore, la méthode de construction d'une figure, peuvent pOlier en eux la réponse à la question qui sera posée ensuite, et peuvent donc rendre les propriétés à démontrer, évidentes pour l'élève. Ce dernier ne peut alors donner un sens ni à la question, ni à la démonstration qui :

lisque d'apparaître comme une simple nécessité réglementaire du cours de mathématiques, renforcée par des assertions autoritaires du type : «en

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mathématique, on ne s'appuie pas sur l'évidence, il faut démontrer » ; la conséquence en est que les mathématiques apparaissent sous un angle purement juridique où la démonstration tient lieu de règle, moins pour des raisons de savoir que pour des raisons d'autorité institutionnelle, le professeur devenant le garant de cette autorité. (Bkouche, 1997, p.65 et 66)

Ainsi, quand l'incertitude et l'enjeu nécessaires pour donner du sens à la démonstration disparaissent derrière l'évidence portée par la figure, et quand cette démonstration est seulement assujettie au contrat didactique, l'élève contemporain n'a plus de raison suffisante pour considérer la démonstration comme un outil de communication d'une preuve, soit pour se convaincre lui-même, soit pour convaincre les autres. Ayant perdu de vue la nécessité d'une construction logique de la théorie géométrique, cet élève ne peut plus percevoir dans la démonstration sa fonction première : un outil qui permet d'insérer un résultat démontré dans un ensemble ordonné de savoirs rigoureusement établis.

Cette remarque prend d'autant plus de poids aujourd'hui dans un environnement informatique où les logiciels de géométrie dynamique permettent d'obtenir visuellement la plupart des propriétés rencontrées en collège, comme par exemple celles de Pythagore et de Thalès pour ne citer que les plus célèbres.

D'autre part, dans la mise en place de son raisonnement, l'élève peut être gêné par la figure elle-même, par la difficulté qu'il a à l'appréhender, la décrypter, l'analyser. Précisons : devant un problème de géométrie, c'est-à-dire devant une figure et un énoncé s'y rattachant, l'élève doit être capable de discemer les propriétés qu'il peut voir sur le dessin et celles qui font effectivement partie des hypothèses théoriques présentes dans la situation ou qui peuvent s'en déduire. Autrement dit, l'élève doit être capable, par un aller et retour constant entre le dessin et l'énoncé, de sélectiolliler parmi les indications du dessin celles qu'il sera légitime d'utiliser pour un raisonnement géométrique (par exemple des propriétés d'alignement, d'intersection de droites, ... ).

Cette emprise de la figure constitue une réelle difficulté pour les élèves, d'autant plus importante pour ceux qui construisent des figures particulières et qui utilisent ainsi, après simple lecture de leurs dessins, des hypothèses qui ne sont pas présentes dans l'énoncé, et introduisent donc des données non pertinentes dans leur raisonnement.

De plus, la complexité d'une figure peut occulter l'idée centrale d'une démonstration. Par exemple, l'élève qui a une vision trop globale de la figure ne perçoit pas séparément telle pmiie éventuelle qui mettrait en évidence la solution.

Inversement un élève ne conçoit pas toujours spontanément une figure comme faisant partie d'une figure plus complexe, mettant enjeu des points et des lignes absents jusque là de son dessin. Il n'est alors pas en mesure de déceler les clés pour résoudre un problème donné.

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Illustrons ces propos avec l'exemple très Si ABCD est un quadrilatère, si J, 1, K, classique du parallélogramme ayant pour sommets les L sont milieux de [AB], [BC], [CD], quatre milieux des côtés d'un quadrilatère. Le tracé [DA], alors JJKL est un des diagonales du quadrilatère fait apparaître la parallélogramme. propriété de la droite des milieux dans un triangle et la A .--------70..,.....-~

transitivité du parallélisme permet de conclure. Sans ce tracé, de nombreux élèves restent en

échec, sauf à considérer des quadrilatères particuliers, c L

parallélogrammes au moins, pour lesquels la propriété cherchée découle de la symétrie centrale présente dans cette configuration particulière.

D

Les remarques précédentes semblent présenter la figure comme une source de difficultés dans l'apprentissage de la démonstration. Or, la figure n'est-elle pas en même temps une aide pour asseoir un raisonnement? Ne permet-elle pas d'appréhender plus facilement un problème de géométrie, de faire ressortir les grandes lignes d'un raisonnement, ou encore de susciter l'envie de chercher, de découvrir, d'émettre des hypothèses et finalement de démontrer?

Pourtant, combien d'élèves du collège ont une telle perception de la figure? On mesure bien toute la difficulté didactique de ce travail incontournable sur la figure en géométrie.

On est alors en droit de se demander si le principal écueil à l'usage cooràonné de la figure et de la démonstration ne proviendrait pas du fait que l'apprentissage de la démonstration, en mettant trop l'accent sur les procédures, risquerait de la réduire à des chaînes d'inférences fonnelles soumises au bon usage des connecteurs logiques, ce qui aurait pour effet d'occulter les véritables enjeux et le sens même de la démonstration en géométrie.

4.2. La quête du sens en géométrie

La géométrie explosant hors de ses limites traditionnelles (... ) a révélé ses pouvoirs cachés, son extraordinaire souplesse et sa faculté d'adaptation, devenant ainsi l'un des outils les plus universels et les plus utiles de toutes les mathématiques. (Dieudonné, 1980, p.5 à 7)

Il est vrai que l'impüliance de la géométrie n'est maintenant plus à prouver; par de multiples aspects, elle participe de la culture de base. Et certains de ses visages, à savoir: la géométrie comme science de l'espace et de ses déformations, la géométrie comme point de rencontre entre différents domaines scientifiques (astronomie, physique, ... ), la géométrie comme outil pour penser et comprendre, ou encore, la géométrie comme support pour enseigner le raisonnement déductif puis la démonstration, sont très significatifs des rôles multiples de son enseignement qui se heurte à de nombreuses difficultés.

Par exemple, le fait d'associer l'apprentissage de la démonstration à l'enseignement de la géométrie soulève aussitôt la question des obstacles liés au statut de la figure. Comme nous l'avons souligné, l'apprentissage de la démonstration au collège nécessite un changement de rapport à la figure: l'élève doit prendre conscience que son

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dessin est hors jeu pour prouver, et doit raisonner en considérant la figure géométrique comme un objet idéal, caractérisé seulement par ses hypothèses de construction. Seule cette prise de conscience lui permettra d'élaborer des démonstrations. Cette démarche pose un véritable problème aux élèves ainsi qu'aux enseignants, d'autant plus que la figure n'apparaît pas toujours, aux yeux des élèves, comme l'aide heuristique et didactique qu'elle devrait pourtant constituer.

De même, nous avons vu la difficulté didactique dans la transition collège-lycée pour faire passer les élèves d'une appréhension globale de la notion de transformation à son caractère ponctuel.

Parmi toutes ces difficultés apparaît une seule et même question, celle du sens: - quel sens un élève de collège donne-t-il à la figure, à la démonstration ou à la transformation? - Comment amener un élève à donner du sens à ce qu'il étudie?

Sans chercher à répondre à ces interrogations, mais pour suggérer des pistes de réflexion, nous reprendrons pour conclure ces quelques questions posées par Stella Baruk ( 1973, p.52 et 53) :

Pourquoi s'attache-t-on, à ce point, à débarrasser les mathématiques de toute trace humaine? Pourquoi n'apparaît-il jamais aux élèves qu'avant de se figer dans la sauce du jour des idées ont été émises, proposées, discutées, parfois rejetées? Pourquoi ne savent-ils jamais que ce sur quoi ils s'acharnent, ils peinent, ils s'irritent, a coûté de l'acharnement, de la peine ou de l'irritation à son inventeur ?

Puis Stella Baruk nous propose de partager son point de vue :

(... ) Partout le fait de savoir que c'est difficile, que ça l'a été, que des gens ont trouvé des problèmes à poser, que d'autres ont trouvé des solutions à ces problèmes, que parfois ces problèmes étaient en relation avec des besoins pratiques, et que parfois ils n'étaient que spéculation pure, et que de toute façon tout finit toujours par revenir à cette pure spéculation et qu'il y a à cela des raisons; partout et toujours, de parler de ces choses a canalisé l'angoisse, la rage, l'agressivité, le désespoir vers un déversoir.

Dès lors, placer l'enseignement des mathématiques dans une perspective historique, le rapporter aux besoins économiques sociaux et culturels d'une époque, ne permettrait-il pas aux élèves de mieux comprendre ce que sont les mathématiques, de donner plus de sens aux notions qu'il devront assimiler, voire même de susciter chez eux l'envie et le plaisir de faire des mathématiques?

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Reichenbach et John Freund, avec une préface de Rudolph Carnap, Dover, New York.

ACTIVITÉ ... ECLIPSE

Philibert CLAPPONI Irem de Grenoble

Le 11 août 99, nous avons vu la lune cachant le soleil dans la position illustrée par le dessin ci-dessous. (on suppose que le soleil et la lune que l'on voit ont le même diamètre).

1. L'éclipse était-elle alors à50% ? à plus de 50% ? à moins de 50% ?

Soleil Lune

L

R=2 x=2.

2. Avec quelques connaissances, un peu de courage et de réflexion, vous pouvez calculer le pourcentage d'occultation du soleil par la lune en fonction de la distance x.

«petit x» n° 54, p. 50, 1999 - 2000

ANALYSER LES PRAXÉOLOGIES

QUELQUES EXEMPLES D'ORGANISATIONS MATHÉMATIQUES

Yves MATHERON lREM d'Aix-Marseille

Résumé. Comment définir et analyser les « contenus» mathématiques à enseigner tels qu'on les trouve

dans les programmes, manuels, cahiers d'élèves, comptes-rendus de séances de cours, etc? En quoi les

mathématiques relatives à la même « notion» diffèrent-elles d'une réforme des programmes à une autre ?

La notion d'organisation mathématique, fruit des derniers développements de l'approche anthropologique

en didactique, permet de construire des réponses à ces questions; cet article la présente sous forme

exemplifiée ainsi que son usage.

1. La notion d'organisation praxéologique

Les derniers développements de l'approche anthropologique en didactique, initiée par y. Chevallard et son équipe (voir Chevallard 1992), ont vu émerger le concept d'organisation praxéologique (ou plus rapidement de praxéologie) comme jouant un rôle de premier plan dans la théorisation1.

Ainsi, un des fondements sur lesquels repose la théorie anthropologique du didactique est-il énoncé en ces termes par Chevallard (1997) :

... on tient ici pour un postulat que toute action humaine procède d'une praxéologie, en admettant bien sûr que cette praxéologie puisse être en cours d'élaboration, ou, aussi bien, que sa construction se soit arrêtée - peut-être définitivement, à l'échelle d'une vie humaine ou institutionnelle - , en la figeant dans un état d'incomplétude ou de sous-développement, avec, par exemple, un type de tâches mal identifié, une technique à peine ébauchée, une technologie incertaine, une théorie inexistante.

L'adoption d'un symbolisme spécifique - T pour un type de tâches contenant au moins une tâche t, "[' pour une certaine manière de faire ou technique permettant d'accomplir une tâche de ce type, 8 pour la technologie rendant intelligible et justifiant la

1 On pourra se reporter, pour une présentation plus détaillée à Chevallard (1996, 1996, 1999), Bosch et Chevallard (1999), Bosch (1994).

«petit x» n° 54, pp. 51 à 78, 1999 - 2000

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technique, 8 pour la théorie justifiant à son tour et rendant compréhensible la technologie - permet de noter une organisation praxéologique complète sous la forme [Tlr/8/8]. En vertu du postulat anthropologique énoncé dans cette citation, il résulte que faire, étudier ou enseigner les mathématiques étant considérés comme des actions humaines parmi d'autres, elles peuvent se décrire selon ce modèle praxéologique.

Le présent article est bâti à partir d'une intervention lors des journées des 28 et 29 mai 1999 à Vichy, organisées par la Commission inter-lREM didactique sur le thème des « activités» au Collège. Son intention est double. Tout d'abord, illustrer le concept d'organisation praxéologique sur des exemples tirés de l'activité mathématique, les organisations praxéologiques relatives aux activités mathématiques étant alors nommées des organisations mathématiques et, partant, montrer dans un deuxième temps en quoi il permet d'étudier une même notion mathématique désignée du même nom, mais prise à l'intérieur d'organisations mathématiques de natures différentes car, déployées au sein d'institutions différentes.

Ce dernier point relève ainsi de la prise en compte de l'écologie2 relative à un objet, c'est-à-dire du questionnement du réel existant ou n'existant pas à propos de cet objet, dans une institution où vit une organisation mathématique donnée. Il veut montrer que cette dimension écologique permet de poser des questions telles que: pour un objet identifié dans les programmes comme étant à enseigner, quels types de tâches, accomplies avec quelles techniques, disponibles ou pas, enseigner et être en droit d'exiger des élèves? Quelle organisation mathématique et, par conséquent, quelle progression mettre en place? Comment évaluer une « activité» proposée par un manuel et comment en construire?

Il serait prétentieux, et vain, d'affirmer que le présent article répond à ces questions. Ne serait-ce que parce qu'il n'analyse pas la dimension relative aux praxéologies de l'étude, les organisations didactiques, il ne saurait, par essence, en faire un tour complet. Sa modeste ambition est de montrer que les développements récents de la didactique des mathématiques mettent à la disposition de qui veut bien s'en servir, des outils contribuant à forger des réponses, même partielles, à ces questions, «en suivant» les savoirs.

Dans le prolongement d'un travail ancien, mené alors que le concept d'organisation mathématique n'était pas encore disponible3 , nous nous sommes ici exercé à l'utilisation du concept sur un même objet mathématique, bien connu dans le système éducatif français, le théorème de Thalès.

Il s'agit d'étudier, dans cet article, la place du théorème de Thalès relativement à la réalisation de types de tâches, et donc sa place à l'intérieur de techniques et d'énoncés technologiques au sein d'organisations mathématiques différentes, mais contenant toutes l'objet «théorème de Thalès ». Il s'agit, par conséquent, d'étudier ces organisations mathématiques du point de vue des variations produites conjointement sur les autres

2 Au sein de la théorie anthropologique du didactique, le concept d'écologie a été étudié, entre autres, par L. Rajoson (1988) et T. Assude (1992) dans leurs thèses menées sous la direction de Y. Chevallard. On pourra aussi se reporter à M. Artaud, T. Assude et Y. Chevallard (1997) in «Actes de la IXcmc École d'été de didactique des mathématiques»

3 Voir Y. Matheron (1993) « Les répercussions des changements de programme entre 1964 et 1989 sur l'enseignement du théorème de Thalès» in « petit x » n034

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tennes lorsque l'un des tennes change. Ce travail nécessite alors de balayer divers champs mathématiques, certains d'entre eux relevant de systèmes didactiques vivants ou ayant vécu, et d'autres du savoir savant.

L'étude exhaustive de ces organisations mathématiques excèderait (et de loin !) la place disponible dans cet article, aussi le lecteur curieux pourra-t-il se livrer lui-même à l'exercice, sur cet objet ou sur tout autre, et compléter les éventuels « trous» laissés ici béants. Nous serons conduits à rencontrer successivement, au fil de l'exposé qui suit, les tennes d'organisation mathématique ponctuelle, locale, régionale et globale. Mais, afin de se familiariser avec la notion d'organisation mathématique, nous proposons tout d'abord l'étude d'un exemple, assez éloigné, et qui évoquera certainement divers souvenirs au lecteur.

2. Ufi exemple

Soit la tâche suivante, bien connue d'un élève ayant suivi une classe de 1èreS par exemple, et qui consiste à résoudre l'équation';+10x-39=0. Il s'agit d'une tâche relevant d'un type de tâches couramment attendu à ce niveau du système éducatif français.

2.1. Une technique standard

Familier des équations du second degré, on peut imaginer que, pour accomplir la tâche qui lui est demandée, cet élève pourra procéder ainsi:

6,= 102-4x 1x(-39) 6,=100+156 6,=256

Comme6,>O et que -fi;. = 16 alors cette équation admet deux racines qui sont: -10-16 -10+16

Xj= et X2=--­2 2

soit: xj=-13 et x2=3

On peut aussi raisonnablement penser, qu'avec un peu de sens pratique et de savoir-faire sur les équations du second degré, cet élève pourra remarquer, après avoir « testé» cette équation, que 3 est racine évidente puisque 32+1Ox3=39 et que, comme le

produit des racines est dans ce cas égal à -39, alors l'autre racine est -3973, c'est-à-dire 1

-13. Il n'y a là rien que de très naturel pourra estimer tout un chacun. Il faut cependant

remarquer que le « naturel» trouve parfois rapidement ses limites. Ainsi, l'ordinaire des classes actuelles de 1eS ne contient pas, en règle générale, la technique suivante qui fut pourtant routinière en d'autres temps, par ailleurs pas si éloignés:

6,'=52-1x(-39) 6,'=25+39 6,'=64

Comme6, '>0 et -fi;=8 alors cette équation admet deux racines qui sont:

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-5 - 8 -5 + 8 x]= et x?= -- ­

1 - 1 soit: x[=-13 et x2=3

C'est, qu'en effet, la technique dite du « discriminant réduit» n'est plus aujourd'hui enseignée et, avec elle, le (petit) calcul algébrique qui la justifiait et lui donnait son intelligibilité.

2.2. Une technique non-standard

Imaginons maintenant que, pour résoudre l'équation x2+1üx-39=ü, un élève écrive ceCI :

10+4=2,5 4x(2,5)2=25

25+39=64 .J64 =8 8-2x2,5=3 Donc la racine positive est 3 D'où la racine négative: -13 puisque 3x(-13)=-39

Si la détennination de la racine négative, une fois la racine positive trouvée, semble aller de soi, il n'en est pas a priori de même pour la première étape consistant à détenniner la racine positive. On peut prendre le pari qu'une telle production d'élève, certes hautement improbable, plongerait nombre de professeurs devant une certaine perplexité: incompréhension envers les différentes écritures produites à chaque pas du calcul, interrogations sur la validité de la démarche suivie, car elle n'est pas justifiée bien qu'elle produise cependant les solutions attendues.

Ces questions trouvent leurs fondements dans le fait que, est reconnue confonne à l'acception que nous avons de l'activité mathématique, une activité relevant d'un certain nombre de critères partagés, panni lesquels celui qui pose que toute technique doit être compréhensible et justifiée4 . Sinon la part de vrai qui tient aux réponses fournies, et c'est le cas ici, peut être attribuée au hasard (ou au « délire» de cet élève!) qui aurait, une fois de plus, « bien fait les choses »... mais sûrement pas à une activité, de nature mathématique, pouvant être attribuée à l'élève.

2.3. L'éclairage technologique

Imaginons maintenant que l'élève ait rédigé, pour accompagner son calcul, le texte suivant:

L'aire du carré central est x 2

4 Ce critère est souvent mis au compte des Grecs et de leur apport au développement des mathématiques

en Occident. De récents travaux (voir Le Monde du 24/03/99) laissent entrevoir que les Chinois

semblent, eux aussi, avoir rencontré des préoccupations d'ordre démonstratif, et relatives aux algorithmes

et procédures de calcul qu'ils ont établis

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L'aire d'un rectangle est 2,5x Donc l'aire des quatre rectangles est: 4x2,5x=lOx L'aire du carré central et des quatre rectangles est: x2+ l Ox

qui est égal à 39 d'après l'équation L'aire des quatre carrés gris est: 4x(2,5)2=25

Donc l'aire du grand carré est: 25+39=64

Le côté du grand carré est donc: .J64 =8 x est donc la solution de : x+2x2,5=8, c'est-à-dire: 8-2x2,5=3

Cette technique sera-t-elle alors plus compréhensible, davantage justifiée par une démarche qui pourra être attestée comme étant mathématique? À ce stade, des doutes peuvent encore subsister. Ils se dissiperont à coup sûr si, par ailleurs, ce petit discours est illustré de la figure suivante :

2,5

x 2,5 x x 2,5

x

2,5

Le lecteur aura peut-être noté que cette petite fiction, dont l'avènement est fort improbable au sein du système d'enseignement français de cette fin de siècle, emprunte beaucoup à AI-Huwarizmi (<< Hisab al-jabr wa'l-muqqâbala », traduction latine « Liber algebrae et almuchabala »), mathématicien arabe du IXe siècle. Au-delà de ce détour par l'histoire des mathématiq~es, elle veut montrer qu'effectuer un «pas de côté» est parfois nécessaire pour dénaturaliser le regard, et faire alors apparaître ce qu'une longue accoutumance à la pratique des mathématiques a rendu transparent, donc invisible. Il s'agit en effet ici d'accomplir une tâche t (résoudre dans R l'équation x2+lüx-39=Ü), relevant d'un type de tâches T (résoudre dans R une équation du second degré), en utilisant une technique 't', devenue allogène pour quiconque ne connaît que la technique associée 't" apprise au sein du système éducatif français de ces cinquante dernières années. Sans le discours tenu sur cette technique, sous la forme d'une mise en texte qui s'appuie sur l'observation d'une figure particulière, son intelligibilité et sa justification nous paraissent, de prime abord, inaccessibles. Ce discours, nécessaire, sur la technique est appelé la technologie ede la technique 't'.

On peut s'interroger sur cette technique. Est-elle fiable, facilement reproductible, « marche-t-elle» à tout coup, obtient-on ainsi toutes les racines et pour tout type d'équations du second degré?

On peut aussi s'interroger sur le discours technologique qui la justifie et la rend compréhensible. Sur quoi s'appuie-t-il, qu'est-ce qui le rend lui-aussi intelligible, et surtout qu'est-ce qui le justifie? Le lecteur du XXe siècle notera qu'il présuppose l'existence de certaines propriétés de ces figures et de leurs aires, la possibilité de déterminer des longueurs à partir d'aires, etc. Ce dernier niveau, nécessaire lui-aussi et

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qui, à son tour, justifie la technologie, relève de la théorie. Son étude ne sera pas menée ici, mais il ne semble guère risqué d'affirmer que ce discours sur la technologie aurait pu trouver son fondement, à l'époque de AI-Huwarizmi, sur certaines parties des Eléments d'Euclide, sur les enrichissements et les ruptures opérées par ses continuateurs grecs, sur les mathématiques hindoues et babyloniennes dont les arabes maîtrisaient la connaissance5 .

2. Un exemple d'organisation mathématique ponctuelle

Page 70, un ouvrage de 3e édité en 19936 propose l'activité 6 du chapitre 5 relatif au théorème de Thalès:

Construction d'une quatrième proportionnelle

On appelle quatrième proportionnelle à trois nombres a, b et c le nombre x tel que ~ = ~ . b x

A Calcul

Trouve, en résolvant une équation, la quatrième proportionnelle aux nombres 3, S et 7.

B Construction

Construis, sur la même demi-droite [Ax), deux segments [AB] et [AC] tels que: AB=3cm, AC=Scm.

Trace une autre demi-droite [Ay), d'origine A. Place, sur cette demi-droite, le point D tel que AD=7cm.

La parallèle à (BD) passant par C coupe (AD) en E.

A~X y

En appliquant le théorème de Thalès, tu obtiens: AB

AC Donc AE représente la valeur de la quatrième proportionnelle.

C Contrôle: mesure AE sur ton dessin.

Dans cette activité, deux tâches, désignées par leur nom dans le texte, peuvent être identifiées: la première consiste à« trouver la quatrième proportionnelle aux nombres 3, 5 et 7 », la seconde, à laquelle nous nous intéresserons, est la tâche t «construire la quatrième proportionnelle à 3, 5 et 7 » sur une figure analogue à celle de l'activité. Elle est relative au type de tâches T «construire une quatrième proportionnelle à trois longueurs».

L'accomplissement de cette tâche t, par les élèves, est guidé et scandé par des injonctions telles que « construis », «trace », «place », «tu obtiens», «mesure» qui constituent autant de sous-tâches dans lesquelles il est nécessaire de s'engager pour

5 Voir J-P Collette: «Histoire des mathématiques»Tl et A. Dahan-Dalmedico/l. Peiffer: «Une histoire des mathématiques. Routes et dédales» 6 Il s'agit de l'ouvrage « Mathématiques 3e » de L. Corrieu, D. Desnoyer, D. Marchand, S. Rogemond , P. Verdier. Editions Delagrave

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accomplir t. Le canevas, support sur lequel va s'appuyer la réalisation de cet ensemble de sous-tâches, constitue la manière de faire, la technique 't" associée à t, et qui va permettre d'accomplir t.

Cette technique ayant été décrite, il faut alors un moment, dans le texte de cette activité, pour garantir que, s'engageant à suivre ce qui lui est demandé, l'élève parviendra effectivement à déterminer la quatrième proportionnelle recherchée. C'est l'évocation du théorème de Thalès, dont la charge de l'application incombe en partie à l'élève (<< En

appliquant le théorème de Thalès, tu obtiens : AB =... ») qui, tout à la fois, justifie que AC

la mise en œuvre de la technique décrite permet d'obtenir la quatrième proportionnelle cherchée (<< Donc AE représente la valeur de la quatrième proportionnelle») et rend compréhensible la technique engagée, notamment le fait d'avoir tracé deux demi-droites de même origine, d'y avoir placé des points définis par leurs distances à l'origine, d'avoir tracé certaines parallèles ... Le théorème de Thalès joue ainsi le rôle de l'élément technologique S à partir duquel s'organise un (petit) discours, ramassé en deux lignes à la fin de la partie B de cette activité, et qui est à la fois justificatif et explicatif.

Pour décrire complètement l'organisation mathématique bâtie autour de ce type de tâche T « construire une quatrième proportionnelle à trois longueurs» (car en décryptant le contrat didactique, l'élève doit comprendre que l'étude de cette tâche t a valeur générale pour toute autre tâche t'E T), il est nécessaire de rechercher l'élément qui, à son tour, va justifier la technologie S justifiant cette technique. Ce demier terme du quadruplet, théorique et noté S, peut être évoqué sous la forme de l'ensemble des connaissances mathématiques enseignées et nécessaires pour l'établissement du théorème de Thalès dans le programme de 1985 des Collèges. On peut remarquer, à la lecture de divers manuels en usage, qu'il varie considérablement de l'un à l'autre. On peut citer par exemple le « théorème des parallèles équidistantes », le cosinus, les aires, la proportionnalité ... ou parfois, hélas, aucun de ces éléments! Le manuel étudié, quant à lui, s'appuie sur les deux premières notions évoquées à travers les activités 1 et 2 qu'il propose, pages 64 à 66.

L'étude de cette seule «activité» d'un manuel révèle ainsi l'organisation mathématique sous-jacente [Th/S/S], et qui peut être explicitée. Pour cette activité, mais il peut en aller autrement pour une autre activité analysée, on remarque qu'elle s'organise autour d'un seul type de tâche T «construire une quatrième proportionnelle à trois longueurs». Il s'agit alors d'une organisation mathématique ponctuelle (Chevallard 1999).

4. Un exemple d'organisation mathématique locale

Jusqu'à l'année scolaire 1998-1999, le programme en vigueur en classe de 3e est le programme de 1985, entré en application en 1989. C'est à ce niveau que les élèves rencontrent officiellement, pour la première fois, le «théorème de Thalès». Voici quelques extraits de ce programme pour la partie « travaux géométriques» :

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1. Travaux géométriques

1. Enoncé de Thalès relatif au triangle.

Application à des problèmes de construction (moyenne géométrique ... ).

Pyramide et cône de révolution: volume, section par un plan parallèle à la base.

Effet d'un agrandissement ou d'une réduction sur les longueurs, aires et volumes, masses. [... ]

5. Distance de deux points en repère orthononnal :

Equation d'un droite sous la fonne :

y=mx ; y=mx+p ; x=p.

Coefficient directeur; parallélisme, orthogonalité en repère orthononnal.

Une circulaire du 23/01189, dont nous citons quelques extraits, est consacrée à 1'« explicitation des connaissances, des méthodes et des capacités exigibles des élèves» relatives à ce programme:

I.a. Énoncé de Thalès relatif au triangle, application à

des problèmes de construction [... ]

Des activités de construction sur droites graduées

contribueront à éclairer la correspondance entre nombres

et points (construire les ~ d'un segment, placer sur 7

Ulle droite graduée le point d'abscisse - ~, ... ).3

[... ]

b. Pyramide et cône de révolution; volume. Section

par un plan parallèle à la base [... ]

L'observation et l'argumentation au cours de ces

travaux font appel aux acquis de géométrie plane et à

quelques énoncés courants concernant l'orthogonalité et

le parallélisme. [... ]

c. Effet d'un agrandissement ou d'une réduction sur les

longueurs. aires et volumes [... ]

[ ... ]

Des activités expérimentales dégageront l'effet d'un

agrandissement ou d'une réduction sur les aires, les

volumes.

5. Distance de deux points en repère orthononnal.

Équation d'une droite sous la fonne : y=mx. y=mx+p.

x=p ; coefficient directeur. Parallélisme. orthogonalité

en repère orthononnal. [... ]

... L'équation générale d'une droite sous la fonne ax+by+c=O est hors programme.[ ... ]

- Connaître et utiliser dans une situation donnée le

théorème de Thalès relatif au triangle: AB AC .(- = -, B' est sur la drOite (AB), C'est sur la

AB AC

droite (AC)) et sa réciproque.

- Connaître et utiliser dans la même situation la

propriété: AB AC BC -=-= AB AC BC

- Savoir construire une quatrième proportionnelle.

[ ]

[ ]

[... ]

- Utiliser, dans l'agrandissement ou la réduction d'un

objet géométrique du plan ou de l'espace, la propriété:

si les longueurs sont multipliées par k, alors les aires

sont multipliées par k2, les volumes le sont par k3

, et

les angles sont conservés.

- Connaître et utiliser la propriété, pour la section

d'une pyramide ou d'un cône de révolution par un plan

parallèle à la base, d'être une réduction de la base.

[... ]

[ ... ]

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Des types de tâches apparaissent clairement dans la colonne de droite où, d'après la circulaire, « sont fixées les capacités exigibles, c'est-à-dire les connaissances et les savoir-faire qu'on demande à l'élève d'avoir assimilés et d'être capable d'exploiter avec ce que cela comporte d'utilisation d'acquis des classes antérieures », ainsi que dans la colonne de gauche où « sont fixés les contenus et les limites du programme, ainsi que l'orientation des activités », dont les commentaires précisent qu'elles «ne sauraient se limiter aux seuls points évoqués dans la colonne de droite ». À la lecture de ces extraits de programme, on peut par exemple citer, comme étant attendus à la fin de l'enseignement, les types de tâches suivants : TJ=calculer des longueurs dans des triangles en « situation de Thalès» (colonne de droite 1.a)

T2=construire un segment de longueur ~ fois la longueur d'un segment donné (colonne b

de gauche 1.a) T]=déterminer un coefficient d'agrandissement ou de réduction d'aire ou de volume (colonnes de gauche et de droite 1.c)

Toutes engagent des techniques issues de l'application du théorème de Thalès. Son « omission» n'interdirait peut-être pas l'enseignement et l'apprentissage de méthodes permettant la réalisation de ces types de tâches, mais ces techniques ne seraient alors pas justifiées et, du point de vue des élèves, sans doute «n'y aurait-il rien à comprendre », mais simplement à croire sur parole (le professeur) et appliquer ce qui est dit être le vrai. On peut alors s'inten'oger sur «la valeur éducative» d'un tel enseignement, s'apparentant davantage à un dressage qu'au développement d'une construction raisonnée engageant les capacités de réflexion et de critique des élèves, tâche qui est officiellement dévolue aux professeurs7.

Ainsi les trois types de tâches Tf, T2, T] mentionnés auparavant, ainsi que les techniques qui leur sont associées, sont-ils étroitement dépendants, pour leur mise en œuvre, de l'élément technologique «théorème de Thalès ». L'organisation mathématique qui en découle, résultant de l'agrégation de différentes organisations mathématiques ponctuelles autour de l'élément technologique S = « théorème de Thalès », et qui peut se noter [T/r/S/e] avec iE {1 ,2,3}, est alors appelée une organisation mathématique locale autour du thème du théorème de Thalès8 .

Remarquons que « l'analyse» qui vient d'être exposée, ainsi que la notation d'une telle organisation mathématique à l'aide du formalisme [T/T/S/e] , permettent de souligner quelques « spécificités» rencontrées à la lecture de nombre de manuels de 3e

relatifs à ce programme. Par exemple, il ne paraît pas d'usage dans la majorité des manuels (la totalité ?) d'utiliser le théorème de Thalès pour l'établissement des équations de droites (point 5 du programme relatif aux travaux géométriques) sous la forme y=mx+p. L'élément technologique relatif à la caractérisation d'une droite, non parallèle à l'axe des ordonnées, comme ensemble de points M(x; y) tels que y=mx et y=mx+p, est

7 La circulaire 97-123 du 23-5-97 fixe un triple objectif à « la mission du professeur, qui est d'instruire les jeunes qui lui sont confiés, de contribuer à leur éducation et de leur assurer une formation en vue de leur insertion sociale et professionnelle» 8 Pour de plus amples développements, voir Chevallard (1999) et Bosch et Chevallard (1999)

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alors absent. Est-ce la conséquence de l'interprétation, dans les cercles noosphériens9

fréquentés par les auteurs de manuels, des instmctions du programme qui précisent effectivement que « l'équation générale d'une droite sous la forme ax+by+c=O est hors programme» ; mais qui, semble-t-il, ne font pas porter « l'interdit» sur la justification de l'écriture y=mx+p ?

Avec l'absence de cet élément technologique, la justification de l'étendue de la portée des techniques qui, par exemple, vont permettre de déterminer les coefficients m et p pour toute droite, non parallèle à (y y), est alors manquante. Ce choix, relatif au premier chef à l'organisation mathématique, n'est pas sans conséquence sur les procédés didactiques utilisés par les auteurs de manuels. Ainsi, par exemple, le manuel de 3e dont nous avions précédemment extrait l'activité relative à la constmction d'une quatrième proportionnelle, propose-t-il l'activité 1 suivante, dans son chapitre 9 relatif aux équations de droites :

A Soit l'équation du premier degré à deux inconnues (1) : 4x-2y+8=0.

Le couple (-2 ; 0) est solution de (1) car: 4x(-2)-2xO+8=0.

Le couple (1 ; 7) n'est pas solution car: 4xl-2x7+8;t0.

Les couples suivants sont-ils solutions de (1) ?

(0; 4), (1 ; 6), (-1 ; 1), (-1 ; 2), (0,5; 5), (0,25 ; 4).

B Complète les couples suivants de telle sorte qu'ils soient solutions de l'équation (1) :

(-2; ... ), (-3 ; ... ), (2 ; ... ), (3 ; ... ), (2,5 ; ... ), ( ... ; 12), ( ... ; 4), ( ... ; -7), (3,5 ; ... ), (x; ... ).

C Utilise un repère orthononnal (0 ; l ; J) pour représenter par le point de coordonnées (x ; y)

chaque couple obtenu au B.

Que remarques-tu pour les points obtenus?

Place également les points de coordonnées (x ; y) considérés dans la partie A. Que remarques-tu pour les

couples non solutions de (1) ?

D Nous admettrons que:

L'ensemble des points dont les couples de coordonnées sont solutions de l'équation (1) est une

droite (D). Tous les couples (x; y) de coordonnées d'un point situé sur la droite (D) sont des

solutions de l'équation (1).

On dit que l'équation 4x-2y+8=0 est une équation associée à la droite (D), ou plus simplement une

équation de (D).

Vérifie que l'équation (1) peut s'écrire y=2x+4.

En classe de Troisième, on utilisera principalement les équations de droite sous cette forme.

Le procédé didactique auquel l'ouvrage a recours, et avec lui nombre de professeurs dans des situations concrètes d'enseignement en face d'une classe, est caractérisé par Brousseau (1996) sous le terme de « contrat d'ostension ». Il est décrit par Brousseau de la manière suivante:

9 Pour Chevallard (1985, 1991), la noosphère est le terme parodique par lequel il désigne « la sphère où l'on pense - selon des modalités parfois fort différentes - le fonctionnement didactique ». Elle est constituée des représentants du système d'enseignement (associations de professeurs, militants pédagogiques, ... ) et de représentants de la société (associations de parents, ... )

61

Le professeur « montre» un objet, ou une propriété, l'élève accepte de le « voir» comme le représentant d'une classe dont il devra reconnaître les éléments dans d'autres circonstances. La communication de connaissance, ou plutôt de recotmaissance, ne passe pas par son explicitation sous forme d'un savotr.

Ce procédé répond à la nécessité pour le professeur

de prétendre communiquer une connaissance en faisant l'économie à la fois des situations d'action où elle transparaît, de sa formulation et l'organisation du savoir correspondantlO .

de

Conséquence didactique :

L'induction radicale exigée par le contrat d'ostension échoue souvent. Le professeur soutient la fiction de sa légitimité et de sa fécondité par des contrats d'analogie. La classe n'est plus suggérée par un mais par plusieurs éléments, dont les propriétés «visibles» communes et leurs variations sont supposées plus « génériques ».

Une autre remarque peut être faite concernant un autre théorème «majeur» à ce niveau du Collège: le théorème de Pythagore. De nouveau, mais pour des raisons différentes, le théorème de Thalès abordé dans les programmes de 3e de 1989 ne peut servir d'élément technologique justifiant l'établissement du théorème de Pythagore: ce dernier est, quant à lui, enseigné en 4e dans les programmes mis en œuvre en 1988. Pour l'enseignement de ce théorème, comme pour l'exemple des équations de droites, de nombreux ouvrages de 4e ont recours au contrat d'ostension, celui-ci s'appuyant alors sur le théorème « chinois» de Pythagore permettant de «visualiser» l'aire d'un carré situé à l'intérieur d'un autre carré 1 1.

Ces deux remarques sont les conséquences d'un trait spécifique à la fonction assignée au théorème de Thalès dans les programmes de 1985, et dont l'année scolaire qui s'achève voit le remplacement. Comme il a été dit, le théorème de Thalès joue dans ce cas le rôle d'un élément technologique permettant de justifier certaines techniques relatives au thème qu'il engendre, thème qui peut se laisser décrire à l'aide du concept d'organisation mathématique locale. Il n'a nullement la fonction de justifier des éléments technologiques, conune d'autres théorèmes par exemple qui, à leur tour, donneront naissance à des techniques qu'ils justifieront. Cette fonction fut pourtant assurée par le théorème de Thalès, à l'intérieur d'un autre type d'organisation mathématique enseignée au Collège, avant le bouleversement curriculaire initié par «la réforme des mathématiques modernes ».

1°Souligné par nous Il Sur les effets produits par ce type d'enseignement du théorème de Pythagore sur l'apprentissage des élèves, voir A et R Noirfalise (1996) : «Visibilité et intelligibilité de l'action du professeur », in Actes de la VIlle école et université d'été de didactique des mathématiques

62

5. Un exemple d'organisation mathématique régionale

L'étude d'un manuel des années soixante 12 va permettre d'illustrer, toujours sur le même objet (le théorème de Thalès), la notion d'organisation mathématique régionale. Comme le laissait entendre la fin du paragraphe précédent, des résultats technologiques, des notions et des théorèmes, peuvent à leur tour servir à justifier d'autres résultats technologiques desquels vont découler diverses techniques permettant d'accomplir autant de tâches. Autour de l'élément qui vient alors occuper la quatrième place à l'intérieur du quadruplet désignant une organisation mathématique, celle de la théorie, s'agrège alors tout un secteur des mathématiques enseignées. L'organisation mathématique considérée porte alors le nom d'organisation mathématique régionale dont le formalisme se complexifie d'un nouveau système d'indice: [li/'ri/8/8], puisque l'élément théorique 8 engendre des énoncés technologiques 8j , et que si 80 est l'un d'entre eux, ce dernier pourra quant à lui justifier des techniques 'riO permettant d'accomplir les types de tâches TiO •

Afin d'ôter ici toute ambiguïté, on peut remarquer que le terme de « théorie» n'a pas forcément la « valeur» que la culture commune lui attribue souvent: il est ici relatif à une organisation mathématique donnée, dans une institution donnée. Sous cette acception, il s'agit ainsi, pour ce qui nous occupe, de considérer l'institution des classes de mathématiques des Collèges, à l'intérieur desquelles les éléments théoriques enseignés pourront paraître bien indigents pour qui réserve le terme de « théorie» à des objets de savoir de bien plus « noble extraction ».

Nous reproduisons page suivante quelques extraits du programme de 1964, par ailleurs désigné sous le terme de programme « unifié », pour la classe de troisième (arrêté du 26/10/64), auquel se réfère l'ouvrage.

Il n'est pas possible de reproduire tous les éléments qui permettent de fonder la description de l'organisation mathématique régionale exposée ici: il faudrait mentionner trop de pages, de cours et d'exercices, de cet ouvrage l3 . Nous nous contenterons de signaler certains des éléments technologiques 8j , pour jE {l ,2, ... ,IO}, justifiés ou rendus compréhensibles grâce à l'élément théorique 8 que représente, dans cette organisation régionale, le théorème de Thalès. Nous omettrons les types de tâches et les techniques associées engendrées par les 8j . Le théorème de Thalès, noté ici 8, est établi dans le chapitre II, intitulé « Le théorème de Thalès. Application au trapèze et au triangle », de géométrie plane.

12 Il s'agit de l'ouvrage de M. Monge et M. Guinchan, « Mathématiques 3c », Librairie Belin 13 Une étude plus complète figure dans le Journal de la Commission inter-IREM de didactique n04, édité par l'IREM de Clennont-Ferrand.

63

ALGÈBRE

[... ] 4. Notions de variable et de fonction; exemples. Représentation graphique d'une fonction d'une

variable. Fonction ab de la variable x ; sens de variation. Représentation graphique. Mouvement

rectiligne unifonne. [... ]

GÉOMÉTRIE

A.-Géométrie plane.

1. Rapport de deux segments. Rapport de deux segments orientés portés par une même droite. Division

d'un segment dans un rapport donné (arithmétique et algébrique).

Théorème de Thalès. Application au triangle et au trapèze; étude de la réciproque dans le cas du triangle

et du trapèze.

2. Triangles semblables. Cas de similitude.

3. Projections orthogonales.

Relations métriques dans le triangle rectangle.

Rapports trigonométriques (sinus, cosinus, tangente et cotangente) d'un angle aigu. Relations

trigonométriques dans le triangle rectangle. Valeurs numériques des rapports trigonométriques des angles

de 30°,45°,60°. Usage des tables de rapports trigonométriques.

4. Relation entre les longueurs des segments joignant un point donné aux points d'intersection d'un

cercle avec deux sécantes passant par ce point. Puissance d'un point par rapport à un cercle.

5. Révision des notions sur les polygones réguliers étudiés en Quatrième. Relations entre le côté, le

rayon du cercle circonscrit et l'apothème du carré, de l'hexagone régulier, du triangle équilatéral.

Fonnules (sans démonstration) donnant la longueur (le périmètre) du cercle en fonction du rayon, et la

longueur d'un arc de cercle. Définition du radian.

6. Révision des fonnules relatives aux aires de polygones plans (rectangle, triangle, trapèze,

parallélogramme). Formules (sans démonstration) donnant l'aire d'un cercle en fonction du rayon et l'aire

d'un secteur circulaire.

Le chapitre III, « Divisions semblables sur deux droites parallèles », ouvre sur les «triangles homothétiques par rapport à un sommet ». Après avoir défini le terme et établi l'égalité des angles de deux tels triangles, le cours aborde la définition du rapport d'homothétie. Elle se fonde sur l'établissement de l'égalité des rapports de mesures algébriques des côtés homologues de deux triangles homothétiques:

y'

Cette figure est accompagnée de deux autres, similaires, mais illustrant des cas où le rapport de l'homothétie est négatif. L'ensemble forme la figure 69 et l'ouvrage note, en son paragraphe 161 :

- -

- -

64

161. Dans tous les cas de figure (fig. 69), l'application du théorème de Thalès aux triangles ABC et ADE

pennet d'écrire (n0123) l'égalité:

AD AE =-= (1) AB AC

Menons par le point E la parallèle à la droite yy; cette parallèle rencontre x'x au point F. L'application

du théorème de Thalès aux triangles ABC et EFC pennet d'écrire l'égalité: AE = BF (2) AC BC

Dans le quadrilatère BDEF, les côtés opposés sont deux à deux parallèles; ce quadrilatère est un

parallélogramme, ce qui implique l'équipollence des vecteurs BF et DE.

Entre les mesures algébriques de ces vecteurs, nous avons donc l'égalité: BF = DE (3)

AD AE DELes égalités (l), (2) et (3) impliquent l'égalité: -====-=- (4)

AB AC BC [... ]

AD _ AE_ DE_Désignons par k le coefficient de proportionnalité; nous avons donc: "'="-=--=--k

AB AC BC DÉFINITION: Le nombre réel k est le rapport d'homothétie du triangle ADE au triangle ABC.

Ainsi 8 justifie les deux égalités (1) et (2) qui permettent d'établir le rapport d 'homothétie de deux triangles, que nous désignons SI'

Le chapitre suivant, intitulé « Chapitre IV. Les h'iangles semblables », est inauguré par la définition de deux triangles semblables illustrée d'une figure. L'énoncé relatif à la définition de deux triangles homothétiques par le sommet, conjugué à la notion d'égalité de triangles, permet de définir la similitude14 de deux triangles. Cette demière définition, associée à l'élément technologique Sj, pem1et d'établir:

179. THÉORÈME: Si deux triangles sont semblables, les trois angles de l'un sont respectivement

égaux aux trois angles homologues de l'autre; les côtés de l'un sont proportionnels aux côtés

homologues de l'autre. [... ]

Rapport de similitude.

182. DÉFINITION :On appelle rapport de similitude du triangle A'B'C' au triangle ABC la

valeur commune du rapport de deux côtés homologues.

En désignant par S2 le résultat technologique relatif aux côtés proportionnels contenu dans le théorème 179 et la définition 182, on peut alors représenter l'organisation mathématique partiellement décrite jusqu'ici par le petit formalisme: 8=>SI=>S2.

Le chapitre V de l'ouvrage est intitulé «Relations métriques dans les triangles rectangles ». Nous en extrayons les parties suivantes:

14 Similitude directe si on ne se réfère qu'à une homothétie de rapport positif, comme cela semble être le cas dans l'ouvrage, et comme l'indique la figure 74. Bien que la définition donnée pour deux triangles semblables vaille aussi pour les similitudes inverses, la définition du rapport de similitude comme rapport des longueurs des côtés homologues laisse entendre que l'ouvrage ne traite que des similitudes directes

65

213. [... ] A

~ B H C

Fig. 88

215. Soit un triangle ABC dont l'angle A est droit.

Traçons la hauteur AH, et comparons les triangles HAC et ABC, puis les triangles ABC et HAB.

Les deux triangles HAC et ABC sont rectangles, respectivement en H et en A; l'angle aigu C est

commun à ces deux triangles; donc ces triangles sont semblables.

Nous en déduisons les égalités: AC CH HA

H A C -=-=- (1)BC CA AB

A B C

Les deux triangles ABC et HBA sont rectangles, respectivement en A et en H; l'angle aigu B est

commun à ces deux triangles; donc ces triangles sont semblables.

Nous en déduisons les égalités: BC CA AB

A B C -=-=- (2)BA AH HB

H B A

[ ... ]

223. Des égalités (l) et (2) nous extrayons les deux proportions: AC CH BC AB --- et -=­BC CA BA HB

Ces deux égalités impliquent respectivement les égalités:

AC 2=CBxCH et A.B 2=BCxBH [... ]

224.THÉÛRÈME : Dans un triangle rectangle, la longueur d'un côté de l'angle droit est moyenne

proportionnelle entre la longueur de l'hypoténuse et sa projection orthogonale sur l'hypoténuse.

En désignant par 83 le résultat technologique que constitue le théorème 224, le schéma devient donc: 8===?8 1===?82===?83• Le chapitre V se poursuit par l'établissement du théorème de Pythagore :

En désignant par 84 le théorème de Pythagore noté théorème 228, le schéma devient donc: 8===?8 1===?82===?83===?84, On peut ainsi noter que dans l'organisation mathématique de la géométrie exposée par cet ouvrage, le théorème de Pythagore découle du théorème de Thalès. Cette exposition coïncide avec l'ordre que suit le texte du programme officiel, puisque 8=théorème de Thalès est mentionné dans la partie 1 de la « géométrie plane », les triangles semblables d'où provient 82 dans la pmiie 2 et les relations métriques, notamment 83 et 84, dans la partie 3. Dans cette partie 3, le programme mentionne aussi «Rapports trigonométriques (sinus, cosinus, tangente et cotangente) d'un angle aigu. Relations trigonométriques dans le triangle rectangle ». Logiquement, l'ouvrage étudié consacre son chapitre VI aux «Notions de trigonométrie ». Nous notons 8s les rappOlis trigonométriques d'un angle aigu, et 86 la

66

relation fondamentale de la trigonométrie. 8s est établi à partir de 82 (triangles semblables), comme le montre l'extrait suivant de l'ouvrage:

z

225. [... ]

L'angle xOz est commun aux deux triangles

rectangles MOP et M'OP'. Ces deux triangles

sont donc semblables (nOI99). Nous écrivons

que les côtés homologues sont proportionnels: x

OM OP MP ----- Fig. 96 OM OP MP

' 1" OM OP OM MP d 'd . 1 d '1' ,Des ega rtes : -- =-et-- =-, nous e Ulsons es eux ega rtes : OM OP OM MP

OP OP MP MP -=-et-=- (1)OM OM OM OM

l" 1" OP MP d'd . 1 d '1' ,De ega rte: - = -, nous e ursons es eux ega rtes : OP MP

MP MP OP OP -=-et-=- (2)OP OP MP MP

' 1" (1) (2) 1 d OP MP MP OP . d' d dLes ega rtes et montrent que Clacun es quatre rapports --,--,-et- est III epen ant e OM OM OP MP

la position du point mobile M sur la demi-droite Oz. Chacun de ces rapports est détenniné dès que

l'angle xOz est connu; nous disons que chacun d'eux est un rapport trigonométrique de l'angle aigu a.

Ces rapports ont reçu des noms particuliers; nous donnons les définitions suivantes:

256. [... ]

P P'

86 (relation fondamentale de la trigonométrie) énoncé sous la fonne suivante:

273. THÉORÈME: La somme des carrés du sinus et du cosinus d'un angle aigu a est égale à 1.

est classiquement démontré, grâce aux relations trigonométriques donnant le sinus et le cosinus d'un angle aigu dans le triangle rectangle associées à 84 (théorème de Pythagore).

Le thème 82 des triangles semblables justifie encore deux autres résultats technologiques: la puissance d'un point par rapport à un cercle, noté ici 87, et le rapport des aires de deux triangles semblables 8s. 87 est établi de la manière suivante dans le chapitre VII « Puissance d'un point par rapport à un cercle» :

--

67

290.

[... ]

Fig.l06. Fig. 107.

Dans les deux cas de figures, comparons les triangles PAB' et PA'B. Les angles PB'A et PBA' sont

deux angles inscrits qui interceptent le même arc AA' ; donc ils sont égaux.

Les angles APB' et BPA' sont deux angles opposés par le sommet si P est intérieur au cercie; ce sont

deux angles confondus si P est extérieur au cercle; dans les deux cas, ces deux angles sont égaux.

Les triangles PAB' et PA'B satisfont aux conditions du premier cas de similitude; donc ils sont

semblables.

Nous écrivons que leurs côtés homologues sont proportionnels:

P A B' PA PB AB ---- ­PA PB AB

P A' B

N l,·IlTIp 1"IcatIOn : {pPA -- pPB "} ---->. {PA.PB --" PA."PB}ous avons ---,' A B

291. Comparons les produits PA.PB et PA.PB.

Nous venons d'établir que leurs valeurs absolues sont égales. D'autre part, nous savons qu'ils sont tous

deux positifs si P est extérieur au cercie 0, e..!....9.u'ils sont tous deux négatifs si P est intérieur au cercie O.

Nous conciuons que les produits PA.PB et PA.PB sont des nombres relatifs égaux.

292. [... ]

293. THÉORÈME: Si par un point P on trace deux droites qui coupent un cercle l'une aux

points A et B, l'autre aux points A~t B', ~a~égalité :

PA.PB = PA.PB [... ]

298. DÉFINITION: On dit que la valeur constante du produit PA.PB est la puissance du point

P par rapport au cercle O.

88 (rapport des aires de deux triangles semblables) est quant à lui établi dans le chapitre IX « Notions sur les aires ».

Enfin, e vient justifier et rendre compréhensibles les deux résultats technologiques 89 et 810, relatifs aux équations de droites. Ce sont dans les chapitres XIV « la fonction linéaire : x~y=ax» et XV «La fonction affine: x~y=ax+b», de la première partie intitulée « Algèbre », que 89 et 8 10 sont respectivement établis.

La démonstration de 89 « Le graphe de la Jonction: x ~ y=ax est la droite DA qui joint l'origine au point A (+1 ; a)>> est établie, pour la partie directe, en utilisant un résultat technologique 8', établi à partir de e dans le chapitre III de géométrie, et qui s'énonce sous la forme «Si deux droites qui joignent des points homologues sont sécantes, toute droite qui joint deux points homologues contient le point d'intersection

68

des deux premières », et pour la partie reclproque, par le fait que les triangles homothétiques formés avec un point sur la droite qui « passe par le graphe» sont dans un rapport égal à a (d'après 81), ce qui assure que ce point est sur le graphe.

810 «Le graphe de la fonction affine: x-7y=ax+b est la droite menée par le point B(O,. b) parallèle à la droite D graphe de la fonction linéaire: x-7y=ax» est démontrée à

partir de 89 en faisant agir la translation de vecteur OB qui, n'étant pas enseignée à l'intérieur de ce programme, est remplacée par l'étude d'un parallélogramme de côté [OB].

L'organisation mathématique régionale, ainsi décrite autour du secteur du théorème de Thalès, peut se laisser schématiser l5 de la manière suivante:

82 ::::::> 87

82 ::::::> 88

8::::::>8'::::::>89::::::>8 10

avec 8: «théorème de Thalès », 8 1: «triangles homothétiques par le sommet », 82 : «triangles

semblables », 8]: «AB2=BC.BH dans ABC rectangle en A», 84 : « théorème de Pythagore», 8s :

« rapports trigonométriques d'un angle aigu », 86 : «cos2a+sin2a=1 », 8 7 : «puissance d'un point par

rapport à un cercle », 8R : « rapports des aires de deux triangles semblables », 8' : « points homologues

sur deux sécantes », 89 : « y=ax est une droite », 8 10 : «y=ax+b est une droite»

On pourra aussi remarquer, si l'on se réfère au programme officiel, que G, établi dans la partie 1 de la géométrie plane, organise les parties 2 (triangles semblables), 3 (relations métriques, trigonométrie), 4 (puissance d'un point), et intervient dans 6 (aires) de ce même paragraphe« géométrie plane ». Il détermine, dans la partie 4 du paragraphe « algèbre », la nature des représentations graphiques de fonctions affines. Il apparaît enfin dans des exercices relatifs au parallélisme de droites et de plans du paragraphe « géométrie dans l'espace », que nous n'avons pas évoqué ici.

6. Un exemple d'organisation mathématique globale

Le manuel de 3e étudié précédemment contraste fortement avec les manuels en usage dans les actuelles classes de ce niveau, tant au plan didactique (place inexistante pour l'élève dans le cours) qu'au plan de la rigoureuse organisation du savoir qui y est exposée. Cependant, l'examen de la démonstration du théorème de Thalès montre qu'après avoir établi le théorème pour des rapports rationnels, les auteurs concèdent:

15 Ce schéma ne prétend pas être exhaustif: il est à noter, par exemple, que la démonstration de la réciproque de 8 utilise 8, et qu'ayant négligé de nous lancer dans une étude approfondie qui aurait nécessité encore plus de place, certaines propriétés énoncées dans cet ouvrage et issues de 8 ont peut-être été omises

69

107. On démontre et nous admettons que ces égalités restent vraies si le rapport des vecteurs colinéaires ~ ~

AB et BC est irrationnel, c'est-à-dire si les segments AB et BC n'ont pas de partie aliquote commune.

On aurait tort de penser que le «saut» permettant de passer de Q à Rest considéré par les auteurs de manuels, de tout temps et en tout lieu, comme relevant d'un double obstacle à la fois didactique et épistémologique à ce niveau de l'enseignement (élève de 14-15 ans). Nous avons découvert un manuel russe de 1991, pour les élèves de la 7e à la Ile classe (entre 13 et 17 ans) dont l'auteur, un certain A.B. Pogorelov, propose une démonstration par l'absurde du théorème dans le cas irrationnel, celui-ci ayant préalablement été établi dans le cas rationnel 16.

Nous sommes donc conduits à nous élever « d'un niveau supplémentaire» pour découvrir une organisation mathématique à l'intérieur de laquelle existent des éléments théoriques dont découlera le théorème de Thalès. Ce faisant, nous sommes amenés à considérer des complexes praxéologiques qui ne sont plus organisés autour d'un seul élément théorique, mais de plusieurs. Un système d'indices supplémentaires est alors nécessaire pour formaliser ces nouveaux types d'organisations résultant de l'agrégation de plusieurs organisations régionales, toutes bâties autour d'un élément théorique différent. Ces nouvelles organisations mathématiques sont appelées globales et représentées par le fom1alisme [Tijirijk/Sjk/8 kF 7.

L'ouvrage Les fondements de la géométrie de Hilbert, dont le titre rentre ICI

parfaitement en adéquation avec le qualificatif d'organisations mathématiques générales comme plus «haut» degré d'organisation mathématique, nous servira d'exemple pour illustrer de tels types d'organisations.

Il est impossible, dans le cadre de cet article, de citer complètement les passages de l'ouvrage qui rendraient compte, dans le détail, de l'organisation mathématique à laquelle nous nous intéressons pour « suivre» le théorème de Thalès: la tâche en est trop ardue et volumineuse. Nous adoptons le choix d'en donner les grandes lignes. Le premier élément est constitué de la table des matières de l'ouvrage, dont nous reproduisons quelques extraits jusqu'au chapitre III :

Chapitre I. Les cinq groupes d'axiomes

l. Les notions fondamentales de la géométrie et les cinq groupes d'axiomes

2. Premier groupe d'axiomes: appartenance

3. Deuxième groupe d'axiomes: ordre

4. Conséquences des axiomes d'appartenance et d'ordre

5. Troisième groupe d'axiomes: congruence

6. Conséquences des axiomes de congruence

16 Cependant, cette démonstration n'est pas exigible pour l'examen final dans le cas irrationnel. Seule l'est la démonstration du cas rationnel ! 17 Précisons de nouveau que les qualificatifs de tâches, techniques et donc, par conséquent, de technologies et de théories, sont à référer à l'institution à l'intérieur de laquelle sont activées les organisations praxéologiques évoquées. Il serait donc vain de vouloir, en se prévalant du point de vue d'une pseudo-neutralité exteme, par ailleurs introuvable, décemer ou refuser des brevets de « théoricité », certains le méritant et d'autres pas, aux «objets» mathématiques rencontrés dans cet article.

70

7. Quatrième groupe d'axiomes: parallèles

8. Cinquième groupe d'axiomes: continuité

Chapitre IL Compatibilité et indépendance des axiomes

1. Compatibilité des axiomes

2. Indépendance de l'axiome des parallèles. Géométrie non euclidienne

3. Indépendance des axiomes de congruence

4., Indépendance des axiomes de continuité

Chapitre III. Théorie des proportions

1. Système complexe de nombres

2. Démonstration du théorème de Pascal

3. Le calcul segmentaire basé sur le théorème de Pascal

4. Proportions et similitude

5. Équations de la droite et du plan

Le projet de Hilbert est mentionné, dès l'introduction: « Le présent travail est un nouvel essai de constituer, pour la géométrie, un système complet d'axiomes aussi simple que possible et d'en déduire les théorèmes les plus importants, de façon à mettre en évidence le rôle des divers groupes d'axiomes et la portée de chacun ». La conclusion de l'ouvrage reprend ce point de vue : « Notre travail a consisté en une recherche des axiomes, des conventions ou moyens auxiliaires nécessaires à la démonstration d'une vérité du domaine de la géométrie élémentaire 18 ; dès lors, il ne reste plus qu'à choisir quelle méthode doit être préférée. »

Les cinq groupes d'axiomes établis dans le chapitre 119 constituent les éléments théoriques 8 k desquels vont découler les résultats de géométrie élémentaire mentionnés dans l'ouvrage. Ainsi, suivant la philosophie générale de l'ouvrage, le théorème de Thalès est établi à partir du calcul segmentaire basé sur le théorème de Pascal. Il fait partie du chapitre III consacré à la théorie des proportions qui est exposée dans les paragraphes 2, 3 et 4.

Dans un supplément à la huitième édition (1956), P. Bemays en propose une théorie simplifiée et note au passage qu' « elle est indépendante de l'axiome d'Archimède ». Cette remarque est explicitement mentionnée par Hilbert lui-même (chap. III; 4; 1 et chap. III; 5; 9 &12) : « le calcul segmentaire permet d'établir rigoureusement la théorie euclidienne des proportions et cela sans recours à l'axiome d'Archimède ». Le théorème qui, en France essentiellement, a reçu le nom de Thalès, est désigné comme étant le « théorème fondamental de la similitude ». Nous citons quelques extraits de sa démonstration:

18 Souligné par nous 19 Ces axiomes, au nombre de 20, ont varié au cours des différentes éditions de l'ouvrage. Ils ont été, ainsi que le corps du texte, enrichis de compléments, de variantes, d'appendices ...

71

4. Proportions et similitude

1 [ ... ]

2. Définition. Soient a, b, a', b' quatre segments quelconques; on les dit liés par la proportion a:b=a':b'

si l'équation ab'=ba' est satisfaite.

3. Définition. Deux triangles sont dits semblables si leurs angles homologues sont congruents.

4. Théorème 41. Si a, b et a', b' sont des côtés homologues de deux triangles semblables, la proportion

a:b=a':b' est satisfaite.

5. Démonstration

[... ]

10. Le théorème 41 conduit au théorème fondamental de la similitude:

Il. Théorème 42. Si deux parallèles coupent sur les côtés d'un angle quelconque les segments a, b et a',

b', la proportion a:b=a':b' est satisfaite. Réciproquement, si quatre segments a, b, a', b' satisfont à la

proportion ci-dessus et sont reportés sur les côtés d'un angle, les droites qui joignent les extrémités de a

et de b à celles de a' et de b' sont parallèles.

Le théorème 42 permet de déboucher sur la géométrie analytique:

5. Équations de la droite et du plan.

[... ]

7. Dans le plan, soit 1 une droite qui passe par l'origine et le point C de coordonnées a et b. Si x et y

sont les coordonnées d'un point quelconque de l, le théorème 42 montre que l'équation de la droite est

a:b=x:y ou bx-ay=O.

yl-------~

bl-------:::;,..,-r.

1'

8. Soit l' la parallèle à 1qui coupe sur l'axe des x le segment c ; son équation est obtenue en remplaçant

x dans l'équation de 1par le segment x-c ; l'équation cherchée est donc bx-ay-bc=O.

9. [ ... ]

10. Les résultats analogues de l'espace sont tout aussi simples à établir.

Il. Dès lors, l'élaboration de la géométrie peut être réalisée par les méthodes classiques de la géométrie

analytique.

Le théorème de Thalès est alors un élément technologique qui justifiera par exemple la « notion» d'équation cartésienne d'une droite, l'extension de cette notion à l'espace et débouchera sur la géométrie analytique.

72

7. Une Dernière Activité, Pour Conclure

Un des buts assignés à cet aIiicle consistait, comme il était précisé dès l'introduction, en une étude relative aux « activités ». Arrivé en ce point, le lecteur pourra peut-être estimer que l'objectif n'est pas atteint car il en a été peu question. Il faut alors se reporter au titre, et considérer qu'au travers de la mention de l'analyse d'un savoir à enseigner, ce qui voulait être montré est l'importance de l'analyse de l'organisation mathématique à l'intérieur de laquelle est prise la notion à enseigner. Cette analyse nous paraît être un préalable, tant pour l'évaluation d'un enseignement dispensé, que pour sa conception (il s'agira dans ce dernier cas d'une analyse a priori). Indépendamment du « style» didactique adopté, et loin ici l'idée de laisser supposer que tous se valent, des questions peuvent être posées, avant toute chose, sur les savoirs et savoir-faire qui sont à enseigner.

Car, à l'évidence, étudier les « activités », le « cours magistral », les « travaux dirigés », les « modules» ou tout autre dispositif didactique, ne peut faire l'économie de l'étude de l'organisation du savoir dont le dispositif choisi est le moyen du projet d'enseignement. Avant de se demander comment enseigner le théorème de Thalès dans les 4e (où il n'en porte pas officiellement le nom) et les 3e des collèges du XXIe siècle, et de répondre sans doute différemment que pour les CEG-CES et lycées de 1964, encore faut-il savoir s'il s'agit du même objet, des mêmes organisations mathématiques, bâties pour quels types de tâches, instrumentées par quelles techniques associées. Telle notion à enseigner, à l'intérieur des actuels programmes du secondaire, participe-t-elle d'une organisation ponctuelle, locale, régionale, globale2o ? Relève-t-elle d'un type de tâche, d'une technique, d'une technologie ou d'une théorie?

C'est à partir d'un questionnement de ce type que peuvent, lors d'une première approche nécessaire mais pas suffisante, être analysées les « activités ». Même sommaire, cette analyse indispensable révèle bien souvent que des « activités », qui mettent effectivement des élèves au travail, manquent le savoir qu'elles voulaient faire apprendre: on voulait enseigner les aires et les élèves ont « appris» le découpage et le collage, ou bien telle séquence, consacrée à la « démonstration» du théorème de Pythagore, se réduit-elle à un apprentissage de quelques calculs d'aires.

À l'intérieur de cette analyse des organisations mathématiques, peut se développer une certaine forme d'évaluation. Elle n'est plus alors basée sur le subjectivisme, c'est-à­dire sur les « traits », les croyances, l'idéologie privée et l'histoire du sujet, relative aux mathématiques et à leur enseignement, mais sur des critères objectivés, issus de ce type d'analyse. Ainsi, certains critères peuvent-ils être cités concernant les types de tâches (critères d'identification, des raisons d'être, de pertinence), les techniques (fiabilité, portée, intelligibilité, avenir, ... ), les technologies21 .

20 Bien que l'étude n'ait pas été menée, il est peu vraisemblable que l'on rencontre ce dernier cas. Quant aux deuxième et troisième cas, ils correspondent, comme il a été dit, à des thèmes et des secteurs des mathématiques du secondaire. 21 Le lecteur curieux pourra se reporter, pour la définition et l'utilisation de ces critères, aux actes de l'Université d'été consacrée à « l'analyse des pratiques enseignantes et didactique des mathématiques », pp. 114-117 et aux ateliers associés pp. 119-249.

73

L'analyse en tenue d'organisation mathématique permet par ailleurs d'identifier des conséquences immédiates portant sur l'organisation didactique22 . On a vu en effet que, lorsque le savoir relatif à un objet est manquant, c'est alors le recours au contrat didactique d'ostension qui permet la reconnaissance de l'objet. Or, nous dit Brousseau (1996), si « ce procédé fonctionne assez bien dans la vie courante, pour identifier une personne, une espèce d'animal ou un type d'objet [... ], il est insuffisant pour « définir» un objet mathématique ».

Dans l'enseignement « traditionnel », sous fonue du cours magistral, le professeur a sans doute recours à l'ostension. Il montre le savoir à travers l'exposition de son organisation, par la restitution d'un texte mathématique-standard préalablement rédigé. Si la place réservée à l'élève23 , qui consiste à « regarder» cette exposition y est très réduite, par contre, le topos beaucoup plus large du professeur lui donne la possibilité d'exercer un contrôle beaucoup plus grand sur le savoir. Il n'en est pas de même au travers la réalisation d'un enseignement par « activités» : l'élève (et les élèves) doivent construire des connaissances qui deviendront ensuite un savoir24 . Le contrôle sur le savoir, qu'exerçait le professeur dans un cours magistral, s'estompe au profit du pari qu'il fonde sur une activité, dont l'interaction avec le travail qu'y amèneront les élèves, est censée faire émerger le savoir visé. Si l'activité ne penuet pas, en ce qui concerne l'organisation du savoir visé dont elle est réputée être porteuse, de le faire émerger en tant que savoir mathématique, c'est alors le recours au procédé d'ostension, à travers lequel le professeur va montrer le savoir absent qui va être utilisé. C'est, en effet, un procédé commode que de désigner par une représentation, par exemple langagière, quelque chose qui il'existe pas pour les personnes qui sont censées le rencontrer, et avec qui « elles vont avoir affaire ». On en an-ive à un niveau supérieur de subtilité lorsque, le savoir étant absent, cette ostension est masquée à l'aide d'un procédé que Berthelot et Salin désignent sous le tenue d'ostension déguisée25 ..

Nous donnons, pour conclure, une activité extraite d'un manuel en usage dans les classes de Se26 , qui joue le rôle d'une première rencontre des élèves avec la symétrie centrale. Deux activités, consacrées à des révisions sur la symétrie axiale, ont inauguré le chapitre. L'activité suivante est la première sur le thème, et s'appelle d'ailleurs « symétrie centrale ».

22 Comme il a été indiqué dès l'introduction, l'approche anthropologique comporte par ailleurs une théorie des organisations praxéologiques de l'étude, appelées organisations didactiques, et décrites notamment en tenue de « moments de l'étude ». Ces concepts théoriques ne peuvent être développés ici. 23 Dans l'approche anthropologique, la « place» réservée à chacun des sujets de l'institution didactique est désignée sous le nom de topos. Il est constitué de l'ensemble des tâches dévolues aux sujets dans une position donnée.

24 Sur la distinction entre connaissance et savoir dans la théorie des situations, on peut se reporter à Brousseau p. 82 des actes de l'Université d'été précédemment cités. 25 Voir Berthelot R. et Salin M.H. (1992), L'enseignement de l'espace et de la géométrie dans la scolarité obligatoire, Thèse de l'Université Bordeaux J, LADJST. 26 Il s'agit de l'ouvrage de la collection Pythagore, Hatier, 1997.

74

Le symétrique du point M par rapport au point 0 est le point M' tel que 0 soit le milieu de [MM').

On dit aussi que M et M' sont symétriques par rapport à O.

M'

M A. Constructions

J. Reproduire ce dessin

C

2. Quel est le symétrique du point A par rapport au point 1 ?

Et celui de C ? Et celui de 1 ?

3. Construire le symétrique D de B par rapport à 1. B. Observations

J. Compléter.

Le symétrique du segment [AB] par rapport à 1 est le .

Le symétrique du segment [BC] par rapport à 1 est le .

Le symétrique du segment [BD] par rapport à 1 est le .

2. En observant le dessin, que peut-on dire des longueurs de delLt segments symétriques par rapport

1? 3. En observant le dessin, que peut-on dire de deux droites symétriques par rapport à 1 ?

En déduire la nature du quadrilatère ABCD

En listant les questions posées aux élèves, on peut définir les tâches et types de tâches dans lesquels ils doivent s'engager; dans le A tout d'abord:

2. 1. TI : « Reproduire une figure » 2.2. T2 : « Déterminer le symétrique d'un point par rapport à un autre» 3. T] : « Construire le symétrique d'un point par rapport à un autre»

TI : La tâche fI est désignée par la question « Reproduire ce dessin ». La technique n'est pas mentionnée, la tâche étant sans doute supposée routinière. Un flou existe cependant quant à l'identification de la tâche, et donc de la technique pelmettant de l'accomplir: qu'entend-on par « reproduire ce dessin»? S'agit-il de dessiner « un» triangle quelconque ABC en plaçant le milieu 1 de [Ac], de reproduire un triangle de mêmes dimensions que ABC, ou un triangle à l'échelle? Parce que des éléments technologiques différents seront engagés selon ce que recouvre la tâche consistant à dessiner un triangle ABC (isométrie, similitude ou rien de cela), les techniques associées seront différentes: utilisation du compas et de la règle ou du calque dans le cas « triangle isométrique », utilisation de la règle graduée et d'un petit calcul ou du rapporteur et de la règle dans le cas «triangle semblable », utilisation de la règle seulement dans le cas

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« triangle quelconque ». Les mêmes questions peuvent être posées pour le placement du milieu l de [Ac], et pour l'orientation du triangle (est-il ou non image par rotation du triangle du livre 7).

T2 : La tâche t2 est désignée par« Quel est le symétrique de A,C et l par rapport à 17 ». La technique pour A et C fait appel à l'observation de la figure et à la lecture du codage qui indique que l est le milieu de [Ac], ainsi qu'à sa mise en rapport avec l'énoncé technologique (une définition) que constitue «l'information» qui ouvre l'activité, et qui permettra de valider ou non la réponse fournie. Il n'en va pas de même pour le symétrique de l pour lequel la technologie est absente (l' «information» ne donne aucune "information" sur le symétrique d'un point par rapport à lui-même). La charge de combler ce manque est laissée à l'élève ou à son professeur (le livre mentionne en remarque le cas particulier du centre de symétrie dans sa rubrique d'après « activités» appelée «l'essentiel »). L'énoncé technologique (<< l'information ») est seulement énoncé. À la lecture des activités qui précèdent, rien n'est préparé pour le justifier à son tour; il y a uniquement continuité du mot « symétrie» dans les titres des trois activités (symétries axiales et quadrillages, symétrie axiale: constructions, symétrie centrale). Pourquoi s'intéresse-t-on aux points obtenus par symétrie centrale 7 À quelle(s) question(s) la symétrie centrale permet-elle de répondre en 5e 7 La question n'étant pas posée, aucune réponse n'y est évidemment apportée.

Tj : La tâche est désignée par un verbe à l'infinitif« construire ». Qu'entend-on par cela, quelle technique doit-on mettre en œuvre 7 L'énoncé technologique « information» ne montre pas la technique: il montre le résultat de son application à travers la figure qui l'illustre. La technique relève de la construction du milieu d'un segment, tâche sans doute routinisée pour des élèves de 5e

. L'observation du chapitre montre que toutes les techniques semblent être considérées comme valables: dans cette activité aucune n'est mentionnée, celle qui suit indique l'utilisation possible du trace-parallèle et met au défi de trouver une construction au compas seulement, la définition donnée dans « l'essentiel» est illustrée d'une figure sur laquelle on trouve en pointillés deux arcs de cercle de centre le centre de symétrie, puis des exercices proposent l'utilisation du quadrillage...

Dans la paliie B maintenant, on peut relever les types de tâches suivants: 1 : T4 : « Compléter une phrase» 2 : Tj : « Répondre à une question après avoir observé une figure» 3 : Tj : « Répondre à une question après avoir observé une figure» 3 : T6 : « Déterminer la nature d'un quadrilatère»

Les tâches: T4 et Tj ne sont instrumentées d'aucune technique justifiée par un élément de savoir mathématique. Elles ne relèvent donc pas d'un savoir mathématique. On peut rétorquer qu'étant engagés dans une activité mathématique, les élèves savent qu'ils doivent« donner une réponse» mathématique. Il s'agit donc alors de compter sur l'adhésion supposée des élèves au contrat didactique, sur leur capacité de reconnaissance de ce qui est mathématique et de ce qui ne l'est pas. C'est donc bien, effectivement, ailleurs que dans le savoir mathématique, que va se trouver la technique permettant de répondre à la question posée, puisqu'il s'agit de miser ici sur un habitus que sont supposés avoir acquis les élèves, par leur pratique de l'institution scolaire, et qui

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consiste à compléter, avec ce qu'ils perçoivent être des mathématiques, une phrase inachevée d'un livre de mathématiques.

De fait, l'intention des auteurs du manuel est de faire en sorte, pour B.l, que les élèves écrivent que le symétrique d'un segment est un segment, en renonçant à engager des éléments technologiques qui pennettraient de le justifier. On peut montrer que ceux­ci existent pourtant en Se, en utilisant par exemple la symétrie orthogonale, mais ce choix n'est pas celui du manuel. La solution trouvée consiste à utiliser un procédé qui montre l'élément technologique dont l'enseignement est visé, en donnant l'impression que ce sont les élèves qui le découvrent par eux-mêmes, ce que l'on a appelé l'ostension déguisée. Ce faisant, c'est aussi la question à laquelle répond l'énoncé technologique «le symétrique d'un segment est un segment », et pas autre chose pourrait-on rajouter, qui est perdue... et, avec elle, son enseignement.

La même technique « didactique» est utilisée par les auteurs du manuel pour B. 2&3 qui relèvent du même type de tâche Ts. Ce n'est pas un hasard s'il s'agit, ici encore, de parler de deux énoncés technologiques relatifs à la conservation des distances et l'image d'une droite par symétrie centrale. L'observation, associée à l'ostension déguisée, est le recours naturel lorsque manquent des éléments technologico-théoriques, ou lorsqu'on refuse de les engager pour justifier des techniques mathématiques pennettant d'établir de nouveaux résultats technologiques.

Dans ce brouillard mathématique, l'aITivée de la tâche t6 «déduire la nature du quadrilatère ABCD» n'apporte, contrairement à ce que laisse supposer ce verbe qui sollicite la capacité de raisonnement de l'élève, aucune lumière mathématique supplémentaire. En effet, après avoir sans doute tracé, pour pouvoir répondre à B. 1, les segments [CD], [ADJ et [BD], respectivement symétriques de [AB], [BC] et [BD], « l'observation », méthode attendue des élèves jusqu'à l'avant-dernière question du B, les a peut-être conduits à observer qu'on leur a fait dessiner un parallélogramme et ses deux diagonales. Cette observation est en effet nécessaire, ne serait-ce que pour pouvoir constater le parallélisme d'une droite et de sa symétrique (remarquons que le tracé d'une droite n'est jamais demandé ni réalisé dans cette activité), et répondre ainsi à la première question de B. 3. Ainsi l'observation du parallélogramme pennet de constater le parallélisme des droites qui, converti en élément technologique (un théorème), permet d'engager une technique qui pennet de déduire ce que l'on a en premier observé! Est-ce le bon moyen d'initier progressivement les élèves de Se au raisonnement déductif? ..

En consultant les autres activités du manuel, d'autres tâches peuvent être rencontrées, mais aucune ne s'engage vers la justification ou l'intelligibilité des propriétés des symétries établies dans l'activité décrite ci-dessus. Elles sont consignées dans « l'essentiel» où l'on trouve aussi la propriété de conservation du milieu.

Arrivés à ce stade, on peut s'interroger sur le type d'organisation mathématique ainsi présentée. Quelques tâches ont pu être identifiées, celiaines mathématiques et d'autres pas, et on peut se demander si l'enseignement, s'il devait s'arrêter en ce point, pourrait être qualifié d'enseignement mathématique au sens des organisations mathématiques telles qu'elles ont été définies dans cet article.

Mais, comme on le sait, le « cours », s'il est précédé d'activités, est aussi suivi d'exercices. Il faudrait alors examiner, à travers chacun d'eux, quel type de tâche est

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demandé aux élèves, quelles techniques sont mises en œuvre, justifiées par quelle technologie, s'appuyant sur quelle théorie. Les résultats consignés dans « l'essentiel» constituent des éléments technologiques. La « théorie », ce mot n'étant simplement pris que dans le sens d'un discours sur la technologie, est ici absente, comme on l'a vu. Le topos de l'enseignant, qui a dévolu aux élèves une partie de la tâche consistant à montrer le savoir, ne contient donc pas, sur cet exemple, la tâche de justifier les énoncés technologiques établis, que ce soit des définitions (d'où viennent ces définitions? à quoi servent-elles ?) ou des théorèmes (pourquoi est-il vrai? à quelle question répond-il ?). Par contre, il semble bien que le topos de l'élève à travers les exercices proposés, et non le topos de la classe à travers les activités autour desquelles elle se rassemble, contienne la tâche consistant à justifier des résultats en s'appuyant sur des technologies non justifiées, comme en témoigne l'exercice suivant trouvé dans ce même manuel:

Construire un triangle isocèle ISO et marquer un point A. Construire le symétrique l'S '0' du triangle

ISO par rapport au point A. Le triangle l'S'O' est-il isocèle? Pourquoi?

Curieuse inversion des rôles ! L'analyse pourrait se poursuivre en étudiant l'organisation mathématique bâtie

autour de la symétrie centrale en Se, et les mathématiques proposées aux élèves au travers des « activités» dans lesquelles ils s'engagent. À notre connaissance, ces études n'ont jamais vraiment été menées et c'est tout un champ de recherche qui peut s'ouvrir, dont les retombées pour l'évaluation de l'enseignement des mathématiques dans le système éducatif français peuvent être, chacun en conviendra, d'une certaine importance.

On pourrait peut-être voir comme caricaturale l'activité que nous venons d'analyser. Il n'en est, hélas, rien; ce qu'un lecteur scrupuleux pourra facilement vérifier en consultant nombre de manuels relatifs au programme des actuelles Se27. Aussi, pour finir sur une note optimiste et volontariste, le lecteur courageux de petitx qui est parvenu jusqu'en ce point, pourra-t-il, au prix d'un petit effort supplémentaire, tenter de construire une organisation mathématique28 du programme de Se, à partir de l'activité suivante que nous extrayons, en la modifiant à grands traits, de l'ouvrage de Cousin­Fauconnet (199S). Il pourra s'interroger sur son éventuelle viabilité, sur son absence dans les manuels consultés, etc. S'il décide d'en adopter l'orientation, il faudra qu'il identifie les types de tâches, les techniques et technologies que devront rencontrer les élèves, et qu'il pense et évalue les dispositifs didactiques qui les conduiront à ces rencontres et à l'étude des mathématiques sur lesquelles elles débouchent. Travail sans doute coûteux, mais qui ouvre sur un terrain fructueux pour une pratique professionnelle riche de l'enseignement des mathématiques.

27 C'est précisément parce que nous voulions montré, à des stagiaires en situation de l'IUFM d'Aix­Marseille, durant l'année 1998-1999, qu'une grande partie de la géométrie plane des actuels programmes de SC pouvait s'organiser à partir de la symétrie centrale, que nous avons, nous-mêmes, mené cette rapide enquête bibliographique. 28 L'organisation didactique reste à discuter, et à construire!

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1. D et !1 étant deux droites perpendiculaires en 0, construire le

symétrique P de M par rapport à D et le symétrique R de P par rapp0l1 à !1. De même, construire le symétrique S de N par rapport à D et le symétrique T de S par rapport à !1.

2. Conjectures possibles sur [NM] et [RT], sur la position de 0 ? 3. Démonstration de 0 milieu de [MR] en utilisant les médiatrices du triangle rectangle MPR. 4. Une fois établie que la symétrie de centre 0 est la composée de deux symétries axiales particulières, déduction des propriétés des symétries centrales à partir de celles des symétries axiales étudiées en 6e

.

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Perrin-Glorian (éd.) Actes VIIi école de didactique des mathématiques, 146-155, IREM de Clennont­Ferrand.

ANNONCE

XIe ÉCOLE D'ÉTÉ DE DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES

Du 21 au 30 août 2001 (limites incluses de midi à midi) CORPS (entre Grenoble et Gap)

Finalités de l'école

L'École d'été, organisée par l'association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques (ARDM), propose un enseignement de haut niveau en didactique des mathématiques, en langue française. Elle informe les participants des avancées récentes et significatives des recherches et organise des débats avec des équipes qui y ont contribué. Elle est donc un lieu de fonnation des chercheurs.

Cette École contribue ainsi de manière essentielle à l'actualisation du corpus des connaissances sur lequel reposent les enseignements universitaires de didactique des mathématiques, et offre également des matériaux et des pistes de réflexion pour la fonnation des enseignants.

L'École d'été est ouverte aux personnes suivantes: -doctorants et chercheurs en didactique des

mathématiques, -enseignants impliqués dans les recherches en

didactique des mathématiques, -formateurs d'enseignants concernés par l'enseignement de la didactique des mathématiques.

Le nombre de participants à l'École d'été est limité à 120 (dont 40 résidant hors de France).

Si vous résidez en France: La fiche de demande d'inscription sera disponible sur le site web à partir du 1/09/2000 et devra être remplie en ligne avant le 1/12/2000. Si vous avez un problème d'accès contactez: e-mail: [email protected] adresse postale: Jean-Luc Dorier (EEDDM-ll) Laboratoire Leibniz -équipe DDM 46, avenue Félix Viallet

Formes d'organisation pédagogique Des cours, conférences, débats coordonnés constituent l'organisation pédagogique de base de l'École d'été; des groupes de travail proposent des activités développant un ou plusieurs points des cours et conférences auxquels ils sont associés.

Par ailleurs, un séminaire permet aux participants de présenter des communications en lien ou non avec les thèmes principaux retenus pour l'École.

Quatre thèmes d'étude

ÉTUDES D'OUTILS THÉORIQUES

- Les praxéologies didactiques: le point sur cette approche théorique et sa place dans l'ensemble des cadres théoriques de la didactique des mathématiques.

- La notion de milieu: ses usages dans la théorie des situations et ses interactions avec d'autres outils de didactique des mathématiques.

ÉTUDE D'UNE QUESTION VIVE

- Routines et régulations dans les pratiques du professeur: confrontation de différentes approches.

ÉTUDE D'UN PROBLÈME CURRICULAIRE

- Mesure et grandeur dans l'enseignement des mathématiques: quand? COlmnent ? pourquoi?

38031 Grenoble Cedex Si vous résidez hors de France: Demandez le plus vite possible et en tout cas avant le 1er décembre 2000 une fiche de demande d'inscription à: e-mail: [email protected] fax: +33 143543201 adresse postale: INRP Catherine Schemm (EEDDM-ll) Secrétariat de Didactique des Disciplines 29, rue d'Ulm 75 230 Paris Cedex 05

LISTE DES AUTEURS AYANT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO

Teresa Assude IIUFM de Versailles Équipe Didirem, Paris 7 Case 70 18 2, place Jussieu 75251 Paris cedex 05 [email protected]

Marie Lattuati Collège & Lycée Buffon 16 bd Pasteur 75015 Paris

Nicole Leorat Collège & Lycée François Villon 16 av. M. Sangnier 75014 Paris

Yves Matheron IREM d'Aix-Marseille Faculté des sciences de Luminy 70 route Léon Lachamp, case 901 13288 Marseille Cedex

Anne Walter IREM - UFR des Sciences et Techniques Université de Franche-Comté 25030 Besançon Cedex

« petit x » n° 54, p. 80, 1999 - 2000