Journal de Jérusalem

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Journal à Jérusalem Octobre 1998 – Août 2000 Mars 2013 – Treize ans après mon retour de Palestine... J'ai vécu deux ans à Jérusalem, dans le quartier palestinien. Nous étions cinq coopérants français à vivre et surtout à habiter avec les palestiniens, et les israéliens, deux d'entre nous étant entre les deux quartiers, entre les deux mondes. J'y étais professeur de Français Langue Étrangère, travaillant également à la revue "Proche Orient Chrétien" traitant spécialement des chrétiens orientaux et du dialogue islamo-chrétien. Certains y passent deux jours, voire n'y mettent jamais les pieds et ont tous la "solution miracle" pour régler le conflit israélo- palestinien, prenant parti pour les israéliens de manière plus

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Mon journal à Jérusalem de Octobre 1998 à Août 2000

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Journal à Jérusalem

Octobre 1998 – Août 2000

Mars 2013 – Treize ans après mon retour de Palestine...

J'ai vécu deux ans à Jérusalem, dans le quartier palestinien. Nous étions cinq coopérants français à vivre et surtout à habiter avec les palestiniens, et les israéliens, deux d'entre nous étant entre les deux quartiers, entre les deux mondes. J'y étais professeur de Français Langue Étrangère, travaillant également à la revue "Proche Orient Chrétien" traitant spécialement des chrétiens orientaux et du dialogue islamo-chrétien.

Certains y passent deux jours, voire n'y mettent jamais les pieds et ont tous la "solution miracle" pour régler le conflit israélo-palestinien, prenant parti pour les israéliens de manière plus

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violente qu'un sioniste radical ou pour les palestiniens aussi brutalement qu'un cadre du Hamas.

Au bout de deux ans, même si les souffrances des palestiniens qui sont des faits sont manifestes, on ne peut cependant évoquer la question de manière binaire, les quelques expériences racontées ci-dessous en sont la preuve. Bien entendu, il est évident qu'elles ne feront pas bouger d'un iota le point de vue des partisans des uns ou des autres qui préfèreront rester enfermés, murés, dans leur haine.

Treize ans après, je sais toujours une chose, là-bas je n'ai pas trouvé la Terre Sainte, ce n'est ni une terre de paix, ni une terre de justice, mais c'est devenu ma terre sainte, pour les personnes rencontrées et les expériences inoubliables vécues.

18 Octobre – 1er Novembre 1998 : Découvertes agréables et désagréables

J'arrive à Jérusalem. Le « Boeing » sort des nuages, il fait nuit, mais la Palestine et Israël sont illuminées juste sous les ailes de l'appareil qui passe juste au-dessus des lumières de la côte à Tel Aviv.

Mes premières impressions sont que Jérusalem n'est pas une belle ville aussi bien sur le plan esthétique que sur le plan de ce que l'on y ressent, la violence étant prégnante dans tous les quartiers. Jérusalem est une ville rêvée, idéalisée, imaginée sous des aspects flatteurs.

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La retrouver comme une métropole moderne, entre une vieille ville pauvre et une ville nouvelle à l'occidentale, déséquilibre un tant soit peu. Le Jourdain est finalement un ruisseau assez minable, glauque et sale, le Mont des Oliviers, une colinne pelée, est couvert de constructions hétéroclites qui sont comme des ébauches de HLM de France.

La vallée du Cédron est une vallé aride et les enfers de l'Ancien Testament, la Géhenne, qui est localisée à côté de Jérusalem, sont tout au plus un vague terre-plein aride...

Il y a ceux que cela rend fous, qui veulent ensuite absolument faire coïncider leurs rêves avec le réel, qu'ils soient juifs, musulmans ou chrétiens. Pour eux, Jérusalem est leur ville rien qu'à eux, leur terrain de jeux religieux ou politique. Ils ne voient en la Palestine et Israël que la terre promise pour assouvir leurs fantasmes qui sont parfois des fantasmes de haine, ou qui l'entraine, ce qui revient au même.

Ainsi, je songe à ces pèlerins charismatiques qui certainement pleins de l'Esprit Saint se mettent à chanter « Hevenu shalom alechem » au milieu de Jéricho en plein territoire occupé sans se soucier des conséquences qui n'ont pas tardées : une explosion de violence entre colons intégristes des implantations voisines et palestiniens.

Les gentils pèlerins ignoraient visiblement que ce psaume certes très beau est aussi un chant nationaliste israélien.

Je comprendrai bien vite que quel que soit le genre de pèlerinage, ce qui domine chez une grande part des visiteurs c'est surtout

l'ignorance de l'histoire des lieux, ainsi à l'inverse quand j'entendrai un militant pro-palestinien occidental traiter de « connard de juif » (je cite avec des pincettes) un soldat israélien qui ne l'était pas...

Mon responsable de volontariat me fait visiter tout Jérusalem, sauf « le Mur des Lamentations », m'emmenant également en voiture vers Ramallah et Bethléem tous proches. Nous avons de la chance, les « territoires » subissent un blocus moindre, et les palestiniens semblent espérer une amélioration quant à leur liberté de circulation.

Je finis par me rendre au « Mur » moi-même, au « Kotel » en hébreu, devant moi des vieilles bédouines chargées de sacs d'herbes aromatiques sur la tête attendent patiemment le bon vouloir des militaires israéliens des services « spéciaux » des territoires aux prises pour le moment avec des touristes allemands typiques (sac « banane », coups de soleil etc...).

Ces soldats sont des gosses, un ami qui m'accompagne m'explique qu'ils ne sont pas juifs mais druzes au vu de leur accent. On confie à une autre minorité le soin du « sale boulot ».

Un des gamins perce de sa baïonnette un des sacs, se faisant engueuler vertement aussitôt par une des vieilles dames, derechef celle-ci est tancée par l'autre militaire qui la menace de lui enlever ses papiers qu'elle a auparavant donnés.

Écœuré par la scène, je décide de remettre à plus tard ma visite au « Mur ».

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Énoncer ces faits que d'autres ont vécu et pu constater, y compris d'autres volontaires ne signifie pas pour autant que l'on prenne partie de manière binaire. Il ne s'agit pas de châtier ou d'éradiquer les auteurs ou les commanditaires de ces actes mais simplement de chercher à savoir quelle serait la meilleure solution impliquant le moins de violences possibles

Décembre 1999 – Janvier 2000 : Deux équipées dans le cœur des questions importantes

Le 24 Décembre, nous allons à la messe de Minuit à Bethléem pour le soir de Noël, célébration chrétienne qui est un événement en Palestine non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour les musulmans, que ce soit au plan religieux et politique, Yasser Arafat et son épouse y assistant.

Celui-ci inaugure avant cela un centre d'accueil pour pèlerins financé par les frères franciscains de Terre Sainte, qui sont le plus gros propriétaire terrien de cette région du monde, ce qui peut sembler contradictoire vu leurs vœux de pauvreté théorique, nous y reviendrons.

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C'est la première année après une longue période de blocus des territoires que les chrétiens des « territoires », en particulier ceux de Gaza, sont autorisés à se rendre à la basilique Sainte Catherine de Bethléem assister à cette messe. Aux « check points », cela n'empêche pas certains policiers et militaires israéliens de contrôler de manière pointilleuse.

Nous découvrons qu'il y a également des « check-points » palestiniens en certains points de la ville, mais beaucoup moins tatillons que les israéliens. Alors que nous nous perdons voulant nous rendre au « Champ -dit- des bergers » un 4X4 bleu de la police palestinienne nous embarque et nous emmène obligeamment à bon port.

L'attente avant la messe est extrêmement longue, il faut rentrer dans l'église quatre heures avant le début de la cérémonie, qui dure plus de cinq heures, et à laquelle nous assistons debout, entre les dizaines de photographes et de caméras de télévision pointées sur Yasser Arafat et son épouse juste à côté du consul de France. Avec un autre volontaire, nous sommes dans le champ des chaînes qui filment Arafat.

Pendant toute la célébration on nous aura vu derrière le président palestinien, ce qui nous vaudra lors de notre départ une fouille en règle et un interrogatoire de cinq heures à l'aéroport Ben Gurion, notre présence derrière Arafat faisant de nous des suspects.

Juste après le soir de Noël, l'un de nous propose d'aller passer la veille du jour de l'An au sommet du mont Sinaï. Nous partons à six

dans une « Renault Express » brinquebalante acheté à un palestinien.

Sur le chemin, nous commençons par nous perdre dans le désert du Negev, ce qui nous amène sur une route beaucoup mieux goudronnée que la piste que nous suivions, et bientôt notre chemin est barré par une « Jeep » de « Tsahal » qui nous demande poliment mais fermement, avec l'aide non négligeable de « M16 » braqués sur nous de faire demi-tour.

Nous nous sommes approchés trop près d'une « colonie » d'implantation particulièrement stratégique, ce genre d'implantation bien éloigné dans ces motivations des idéaux à la base collectivistes des « kibboutzim » qui étaient une réussite probante en ce domaine, et qui vivaient, qui vivent encore en bonne intelligence avec les palestiniens autour. Il faut préciser aussi que la plupart des habitants des « kibboutzim » prenaient la peine d'apprendre l'arabe, ce qui change tout.

Ayant planifié notre voyage à « la palestinienne », ou plutôt dans notre cas « à la française », à savoir en partant le nez au vent après un rapide survol des guides touristiques, le reste du voyage fût épique et parfois difficile, mais de retour ce sont les bons souvenirs qui domineront et non, par exemple, l'évocation des moustiques innombrables au bord de la Mer Rouge en cette période de l'année, les suppléments innnombrables aussi et hors de prix proposés par notre loueur de tentes au bor de la mer....

Je crois que pour nous, c'est véritablement à ce moment que nous avons pour de bon laissé de côté notre confort de petits

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Le soir de notre retour, dans un café non loin de la « Porte Neuve » de la Vieille Ville de Jérusalem, nous décidons de ne pas choisir entre un peuple ou l'autre, de haïr l'un des deux peuples, mais de nous attacher aux faits et d'essayer d'amener les autres vers ces faits afin de tenter à notre niveau de lutter contre la haine, ce qui n'est pas chose aisée.

Mars – Avril 1999 : Prendre conscience des risques d'engagements trop radicaux

S'engager pour dénoncer une injustice de loin, bien au chaud derrière un écran, un bureau, ou sur une estrade pendant une conférence politique, tout le monde en est capable.

C'est facile.

En France, concernant la cause palestinienne, beaucoup sombre dans cette facilité, avec parfois comme alibi un ou deux juifs anti-sionistes, voire un palestinien invité, qui est souvent là dans le rôle du « bon sauvage » protégé par tous ces gentils occidentaux tellement au fait de ses souffrances qui ne devraient justifier aucune haine fût-ce pour jouer au "Robin des bois" politique.

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Là-bas, en Palestine et Israël, c'est beaucoup plus délicat, car sur place manifester un engagement c'est aussi risquer de déchainer la violence dans l'un ou l'autre camp, contre l'un ou l'autre camp, et ce parfois avec les meilleures intentions du monde.

Pour nous qui vivons depuis quelques mois déjà à Jérusalem, nous percevons le danger de ces comportements et en observons les conséquences quotidiennement, des conséquences pouvant être dramatiques.

Ainsi en Mars, j'accompagne dans la Vieille Ville de Jérusalem, leur servant de « fixer » en somme des étudiants de l'université de Tel Aviv, français, qui ne connaissent pas du tout le côté palestinien. Pour eux, la Vieille Ville appartient pleinement à Israël et cela ne saurait être remis en question.

Deux parmi eux décident de se promener dans les rues du quartier palestinien coiffés d'une « kippa » noire qui est la coiffure signifiant des options religieuses intégristes et nationalistes radicales pour les juifs qui la portent, signification connue des palestiniens qui la voit comme une provocation, et un signe de haine, ce que ce n'est certes pas pour ces étudiants qui n'en ont pas conscience par ignorance...

Ce signe de haine provoque incidemment des réactions de haine.

Les regards des habitants du quartier sont durs et tendus, la tension est palpable, et les policiers israéliens finissent par bloquer l'entrée des « portes » de ce quartier de la Vieille Ville, pour que les cinq

jeunes étudiants puissent repartir tranquillement, c'est du moins le prétexte.

Un peu plus tard, nous recevons la visite à Jérusalem de volontaires qui vivent au cœur même des territoires et qui ne connaissent pas grand chose des israéliens.

Ces volontaires ont une liberté de circulation plus facile que les palestiniens avec qui ils vivent et travaillent du fait de leur statut et aussi de leur plaque d'immatriculation consulaire qui leur évite de subir trop longtemps les questions des flics tatillons aux « check point ».

Selon eux, tout Jérusalem appartient aux palestiniens.

La visite commence par « Meah Shearim », le quartier des juifs religieux, dits « orthodoxes », de Jérusalem, que ces volontaires décident de visiter leur « keffieh » palestinien au coup et bien en évidence, sans volonté de provocation eux non plus. Rappelons que le « keffieh », devenu entre temps un accessoire de mode en France, est un signe fort, très fort, qui signifie clairement que l'on est partisan de l'éradication d'Israël, rappelons également que les juifs religieux que nous croisons sont loin d'être tous hyper-nationalistes, le pan-sionisme étant considéré par eux comme un blasphème.

Pourtant, que croyez vous que le fait d'arborer ce qui est aux yeux des personnes croisées un signe de haine à leur encontre provoque comme réactions ?

Dans les deux cas évoqués, le résultat est le même et ne fait pas

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progresser la paix entre ces deux peuples d'un iota. A moins que l'on ne veuille pas la paix et la concorde entre les peuples, il nous semblait déjà à l'époque qu'il était bon d'y réfléchir.

Un soir d'avril dans un café de la rue Ben Yehouda, devant lequel un ou deux juifs intégristes prient sans cesse pour le salut des pauvres buveurs forcément pêcheurs, encore une fois nous avons décidé de nous obstiner à ne pas participer de la haine et de ne pas choisir entre les deux peuples, ce qui ne veut pas dire que nous ne prenions pas partie pour les faits ou nous ne pouivons ni ne devions les dénoncer.

Été - Hiver 1999 : de la manière de replanter les oliviers et voyage à Gaza

En Juin, à l'initiative d'un volontaire travaillant à Ramallah, nous participons à une action organisée par une ONG palestinienne chrétienne pour aller replanter des oliviers arrachés par des colons d'origine américaine, juifs ultra religieux, autour d'un village en Galilée.

Arrivés sur place, les villageois qui nous ont rejoint et qui travaillent mieux que nous ne peuvent que constater une chose, nous ne sommes pas très doués !

Mais nous savons que grâce à notre présence pendant le replantage, les arbres ne seront pas de nouveau arrachés.

Cependant, cela nous permet de dialoguer abondamment et surtout

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d'entendre ce qu'ils ont à dire sur les colons directement sans passer par les filtre des militants occidentaux de telle ou telle association.

Et le fait est que les palestiniens que nous rencontrons n'ont malgré leur colère légitime aucune haine pour les colons, malgré ce qu'ils leur ont fait subir, leur reprochant essentiellement deux choses : ne pas apprendre ne fût-ce que quelques mots d'arabe et ne pas chercher à communiquer avec eux un minimum, contrairement aux personnes des anciens « kibbutz » ainsi que le rappelle un vieux du village au visage parcheminé, mémoire du lieu.

Deux d'entre nous, ainsi qu'un des palestiniens responsables de l'ONG qui nous emmène, veulent aller entendre les colons israéliens directement. Ils vont se poster juste devant les barbelés entourant la colonie, à cinquante mètres de l'entrée, deux portes en métal.

Un des gardes dans son mirador, un gamin, les interpelle en hébreu, menaçant de faire feu s'ils continuent plus loin. Les deux volontaires affirment qu'ils veulent discuter avec un responsable.

Ils attendront une demie-heure sans broncher, réitérant régulièrement leur demande, le fusil du gosse toujours nerveusement braqué sur eux. Deux militaires, qui « protègent » la colonie sortiront pour ne donner en réponse qu'une fin de non-recevoir à cette demande de dialogue. L'un d'eux ne comprend pas que des occidentaux comme nous viennent aider des palestiniens, pour lui « Israël » est le « porte-avion » de l'Occident et des américains au milieu des états arabes, doit être en lutte, ce qui lui semble absolument nécessaire pour garantir notre survie qu'il affirme menacée par les pays musulmans.

Il est d'autant plus étonné de constater que parmi nous il y a deux israéliens...

En octobre, notre responsable parisien nous rend visite à Jérusalem. Il souhaite aller à Gaza où nous nous rendons dans notre « Renault Express » brinquebalante et encore une fois retapée mais vaillante malgré des cliquètements parfois inquiétants sur la route.

Nous partons à deux coopérants accompagnés de deux militants pro-palestinien français fraîchement arrivé qui se joignent à nous, déguisés en « fiers nomades du désert » ou ce qui s'en rapproche le plus à leurs yeux, le cou ceint d'un keffieh bien entendu.

Notre plaque consulaire nous permet de ne rester que vingt petites minutes à attendre au passage d'Erez, poste-frontière israélien avant Gaza. Le militaire nous interroge rapidement, nos passeports sont tous scannés et vérifiés.

Nous savons déjà que le simple fait d'aller à Gaza nous classe comme activistes pour « Tsahal ».

Arrivés dans la ville, nous avons la surprise de voir se dégrader assez rapidement le comportement des deux militants partis avec nous, qui, ne respectant pas les lieux, se promènent partout dans l'aéroport flambant neuf et quasiment inutilisé, ouvrant les portes sans demander l'autorisation, allant dans la salle des bagages interdite au public, traitant le personnel présent en « boys », le tout, quand nous leur demandons d'être juste un peu plus décents, au nom de leur engagement antisioniste qui permettait à leurs yeux ce

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comportement.

Au retour, les contrôles d'identité et du véhicule sont beaucoup plus longs, trois heures, trois heures pendant lesquels nous aurons beaucoup de mal à convaincre les deux militants sus-cités de ne pas provoquer, de ne pas répondre grossièrement aux questions du policier, ce qui reviendrait à lui donner une occasion de montrer combien ce qu'il fait est au fond indispensable, dont le passage d'un compteur Geiger sous la voiture pour vérifier que nous ne cachons pas d'uranium.

Nous vivons en Israël-Palestine depuis presque un an, quand nous sommes arrivés, nous croyons tout savoir, dorénavant nous savons que nous ne comprenions rien car la situation est infiniment plus complexe. Novembre 1999 : La colère de monsieur Antoine

Israèl, palestine, société, religions, paix, notalgieMonsieur Antoine était un vieux monsieur qui travaillait à la basilique de Sainte Anne des « Pères blancs » où je logeais et travaillais.

J'allais souvent le voir et discuter dans son petit bureau à l'ombre, quand le soleil était trop haut parfois l'après-midi.

La basilique est un des nombreux domaines français de Jérusalem, une autre des « bizarreries » de la ville. Au XIXème siècle, un proche de Napoléon III, un marquis racheta plusieurs endroits réputés saints de la cité, dont « The Tomb Garden » et « Sainte Anne », qui fût laissée ensuite aux missionnaires d'Afrique, à l'initiative du cardinal Lavigerie.

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Monsieur Antoine était un chrétien libanais, plein de cette courtoisie orientale à la fois un peu désuète et aussi sucrée qu'une pâtisserie locale, toujours tiré à quatre épingles, quelle que soit la température. Il parlait un français très châtié, était toujours poli, tout en rondeurs et componction, semblant vivre de manière parfaitement harmonieuse avec les musulmans comme les autres chrétiens palestiniens rencontrés.

Un jour, pris dans des rêves utopiques, tout à mon euphorie de vivre à Jérusalem, je lui fis part de mon sentiment que finalement entre les communautés religieuses, tout n'allait pas si mal et qu'il manquait peu de choses pour que tout soit parfait. Je n'avais jamais vu ce monsieur en colère.

Ma réflexion de petit occidental, de « monsieur le professeur », comme il me surnomma ironiquement, tout à son romantisme hors de propos et « rose bonbon » le mit en fureur littéralement. Et encore maintenant je le comprends...

Même furieux, bien sûr, il ne perdit pas pied, il me demanda comment je pouvais dire ça alors que dans son quartier aux allures de « ghetto » pour les chrétiens palestiniens, il devait subir chaque jour avec les siens les exhortations à la prière et à la conversion de ces quelques infidèles restants de cinq minarets construits spécialement pour eux, les muezzins poussant le vice à hausser le plus fort possible le volume des « amplis » utilisés, et cela contre l'avis du Coran qui interdit toute amplification du son, les appels à la prière devant être faits seulement à la voix.

Il me rappela également qu'il fallait bien vivre avec les autres, ces autres fussent-ils des musulmans qui les haïssaient, ou les méprisaient, et qu'ils ne pouvaient se faire la guerre continuellement, que les chrétiens orientaux avaient des familles, des métiers, des enfants, des parents âgés.

Il me raconta l'accumulation de vexations petites et grandes auxquelles un chrétien devait faire face de l'enfance à la vieillesse, étant certes protégé en Syrie ou au Liban, en Jordanie ou en Égypte, par les anciens régimes, mais toujours citoyen de « seconde zone », statut qui lui était toujours rappelé avec plus ou moins de bienveillance.

Il me parla de ce directeur d'hôpital, chrétien palestinien, molesté durement, ainsi que sa femme, pour avoir refusé un pot de vin d'un notable du Hamas qui voulait pour lui des soins luxueux à bas prix, de ces filles chrétiennes obligées de porter le voile à Gaza ou en Cisjordanie car considérées du fait de leur foi, et parfois de leur ouverture plus grande au monde, comme des « filles faciles », certaines étant violées en toute impunité par des représentants de tel ou tel groupuscule violent.

Il m'expliqua aussi que ce n'était pas forcément l'apanage des musulmans de se conduire en s'imposant par la violence et la force, que c'était dans la nature humaine de mal se conduire avec les plus faibles, ou les minorités, par sottise également.

Il n'en voulait pas aux musulmans de leur foi, mais de se conduire en rupture totale avec les principes de leur livre saint, tout comme il était choqué de ces couvents immenses et vides que l'on trouvait

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tout au long de la « Via Dolorosa », alors que des familles entières s'entassaient sur trois générations dans des taudis infâmes juste à côté.

Certains des religieux de ces couvents n'étaient jamais sortis du cloître en quarante ans de vie à Jérusalem, certains de par les règles de leur congrégation certes, d'autres par paresse intellectuelle.

J'avais constaté la même chose que lui, à l'exception des « petites sœurs et des petits frères de Charles de Foucauld », à la « station » du « chemin de croix » dite de Sainte Véronique, qui vivaient aussi pauvrement que les palestiniens, qui avaient appris l'arabe, l'un d'eux ayant même écrit un dictionnaire « français-palestinien » que nous utilisions tous abondamment.

Très vite, j'avais préféré largement assister à la messe du dimanche dans la paroisse grecque-catholique palestinienne, et non à celle des « expatriés » français, se retrouvant tous dans un microcosme confortable, célébration souvent d'une tristesse infinie et sans aucun élan.

Décembre 1999 : les chrétiens aveugles volontaires

Noël 1999, nous le passons avec des membres d'une communauté catholique dite « nouvelle », sur le toit de leur petite maison proche du Carmel du « Notre Père », alors qu'il vient de neiger à Jérusalem, ce qui arrive paraît-il tous les deux ans.

Parmi ces communautés nouvelles présentes à Jérusalem, il y a des personnes capables d'aller vers l'autre, de faire des efforts pour s'intégrer au quartier où elles vivent, mais hélas trop rarement et une majorité incapables de s'ouvrir à autre chose qu'à leur point de vue fantasmé de la Terre Sainte qui ne correspondait à rien de

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concret, voire de réel. Cette terre était uniquement perçue comme un terrain de jeux évangélique en somme.

Ainsi, les « Béatitudes » qui vivaient à Bethléem non loin de la « Tombe de Rachel ». L'emplacement de cette tombe était largement sujet à caution, et tout le monde, excepté cette communauté, le savait très bien, y compris les israéliens eux-mêmes, que c'était surtout un prétexte afin d'empiéter sur le territoire palestinien.

En prenant ce lieu pour ce qu'il n'était pas, sans questionnement ni recul, les « Béatitudes » cautionnaient donc la politique de colonisation. Selon les opinions maintes fois exprimées par les chrétiens en relevant, les palestiniens étaient en « Terre Sainte » des intrus, certains allant jusqu'à suivre par inconscience la propagande des sionistes les plus radicaux, ceux du « Shas » en particulier, qui prétendaient que les arabes de Cisjordanie avaient émigré en Judée et Galilée après 1948 jaloux et envieux de la réussite économique des israéliens.

J'aurais pu aussi évoquer ces personnes du chemin néo-cathéchuménal descendant les rues de la ville palestinienne, protégés par les policiers israéliens, chantant en toute inconscience, ignorance et mépris involontaire des palestiniens y demeurant des chants hébreux à la connotation très marquée pour eux, leur rappelant leurs souffrances.

Alors que je leur faisais part de la nécessité de faire preuve de prudence, afin de ne pas choquer les palestiniens, de ne pas blesser, tous me répondirent qu'ils se situaient sur un plan spirituel, plus élevé, ce qui leur donnait le droit de chanter ce qu'ils voulaient.

Beaucoup parmi les communautés charismatiques étaient prêts à suivre et donner du crédit à des discours délirants sur la ville sainte, le moindre prophète de pacotille prétendant avoir des visions entre autres...

Israèl, palestine, société, religions, paix, notalgieD'autres encore dans ces jeunes communautés suivaient le point de vue des « sœursde Sion », du couvent de « l'Ecce Homo », pour qui le seul peuple légitime à Jérusalem était Israël, accordant une importance extrême à l'infime minorité judéo-chrétienne de Terre dite Sainte dont une communauté était encore un peu vivace à Nazareth.

Les religieuses organisaient des visites de la « Vieille Ville » dirigées uniquement selon leurs idées, niant le réel des situations dramatiques qu'elles avaient juste sous les yeux. Elles allaient régulièrement à Hébron avec leurs étudiants, ne voulant pas voir la réalité des quelques dizaines de colons, protégés par des centaines de soldats, opprimant de fait les palestiniens autour, qui ne pouvaient même pas circuler dans leur ville librement, le tout au nom d'un lieu saint dont la véracité historique était largement remise en question.

Je me rappelle par exemple de ce vieux monsieur, Abu Lutfi, habitant du quartier, obligé de se mettre à genoux sous la menace d'un M16, devant « l'Ecce Homo », sous les fenêtres des sœurs de Sion, car ayant répondu un peu trop vivement à leur goût aux deux militaires, deux gosses encore, patrouillant dans les rues.

Abu Lutfi ne faisait pas de politique avant, et même après il

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pardonna aux deux gamins.

Par contre, quand il arriva le même genre de mésaventures à Ibrahim, le jardinier de Sainte Anne, l'armée rasant ses oliviers et ses vignes, ce ne put être le cas, le tendre, le doux jardinier, tout à sa colère que l'on peut comprendre devenant un pilier du Hamas, et me répétant souvent "Hitler was right"....

Les membres de la Communauté de l'Emmanuel vivaient en partie au « Carmel du Pater » sur le Mont des Oliviers, d'autres logeant à Tel Aviv. Au début de leur installation, ces personnes faisaient leurs courses au supermarché israélien, au lieu des magasins palestiniens, et n'avaient pas ressenti le besoin au départ d'apprendre ne serait-ce que quelques mots d'arabe, ce qu'elles ont fait par la suite, effectuant ces efforts qui vont de soi en fait. De plus, elles eurent le souci par la suite de vérifier l'historicité des lieux présentés comme « saints », encouragées par les « Pères blancs » en particulier.

Le temps passant, nous envisageons tous avec une extrême apréhension ce qui se profile à l'horizon, à savoir notre retour en France. Nous n'avons pas trouvé de Terre vraiment sainte à Jérusalem, qui est marquée par la violence et la sottise surtout, superficiellement, pour nous Jérusalem, encore maintenant, ce sont des visages, des personnes, des amis, proches de nous, et ce des deux côtés. Nous sentons l'orage gronder de nouveau, la bêtise extrêmiste se faufiler très vite dans tous les instertices laissées par le manque de vigilance, les petits compromis. Nous sommes allées à « Neve Shalom », expérience à l'origine de laquelle on trouve un dominicain, qui nous paraît comme une

expérience intéressante, à étendre à toute cette région, mais encore faut-il que ceux qui dirigent d'un côté ou de l'autre veuillent réellement la paix et l'équité, et que les occidentaux représentants de telle ou telle confession veuillent vraiment y aider, ce qui pour l'instant encore n'est pas le cas. Si tout n'est pas parfait à « Neve Shalom », c'est au moins un début...

Nous constatons également qu'à Haïfa et Tel Aviv, villes laïques et plus libres dés l'origine, la violence est bien moindre et la bêtise n'y trouve que très peu de prises, les populations les plus diverses s'y côtoyant beaucoup plus librement. Ce n'est pas pour rien que ces villes sont souvent la cibles des attentats islamistes et des foudres des sionistes radicaux...

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Mars-Avril 2000 : Montée vers Pâques – visite d'un « frère d'armes »

En Mars 2000, le pape Jean-Paul II est venu en Terre Sainte, ce qui fût un événement majeur pour les chrétiens, les juifs et les musulmans de Palestine et Israël. Il multiplia les gestes de paix et de rapprochement, visita « Yad Vashem », le jardin du mémorial de l'Holocauste, moment où l'on découvrit qu'il était un « juste » lui aussi, déposa une prière au « Mur », où il exprima aussi la repentance de l’Église, un geste extrêmement fort, quant à l'antisémitisme, et pria avec le grand mufti dans la mosquée « El Aqsa ».

Après qu'il eût déposé une petite prière dans un des interstices du « Mur », des juifs ultra-orthodoxes vinrent pour la déchirer, et laver l'emplacement du « Kotel » où le papier avait été glissé à grandes eaux montrant qu'ils n'avaient rien compris à ce geste de rapprochement.

Il venait pour le Jubilé de l’Église catholique. Son organisation sur place pour les jeunes fût confié à une jeune femme issue d'une « communauté nouvelle » qui multiplia les bévues.

Elle commença lors d'une cérémonie à Bethléem par inviter d'abord les responsables de communautés occidentales, négligeant les chrétiens palestiniens qui furent « oubliés » surtout par ignorance de leur existence même, et disons le par bêtise bien que ne cessant de se réclamer de l'Esprit Saint et de son inspiration.

En effet, bien souvent, quasiment tous les chrétiens, catholiques ou non, européens, méconnaissent gravement l'existence des chrétientés originelles du Proche Orient, qu'ils prennent pour des survivances folkloriques, ou des restes du travail d'éventuels missionnaires qui auraient évangélisé la Terre Sainte au cours des siècles alors que ce sont plutôt ces chrétiens orientaux qui ont de fait évangélisé l'Europe.

Les pèlerins se méfient des chrétiens arabes qu'ils soupçonnent de pas être tout à fait sincères, ou qu'ils vont jusqu'à traiter de «

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collabos », avec les israéliens, ou avec les palestiniens du Hamas. Lorsqu'on évoque les souffrances et persécutions bien réelles vécues par ces chrétiens arabes, les uns vous répondent qu'ils ne peuvent entendre ce qu'ils estiment être un discours trop politique, les autres rétorquant que ce sont des « collabos » d'Israël.

De plus lorsque nous pressions ces chrétiens de rester en Palestine, de ne pas fuir et laisser le champ libre aux intégristes, ceux-ci nous faisaient justement remarquer qu'ils n'était pas vraiment aidés pour rester par les chrétiens occidentaux qui se contentaient de vagues promesses, de gentilles prières, pour repartir ensuite chez eux la conscience tranquille.

Je me souviens particulièrement de cette personne qui accompagna des gosses du Lycée Français à Jéricho, légèrement illuminée, légèrement mythomane également, entonnant malgré mon avertissement de ne pas le faire un psaume hébreu, là encore très beau pour un petit européen vivant confortablement mais qui avait une toute autre signification pour les adolescents arabes chrétiens présents avec nous, à savoir la guerre, la pauvreté, la faim, l'exil, les privations diverses de libertés...

M'ayant consulté du regard et avec mon assentiment, les jeunes ne chantèrent pas le chant.

Elle nous dit ensuite qu'ils auraient dû dépasser leurs souffrances et

s'abandonner à l'Esprit du chant ce qui est une réflexion typique de personne qui n'a jamais souffert....

Ce fût le Pape lui-même qui « rectifia le tir » lors de sa messe au Saint Sépulcre où il fit mettre les croyants arabophones au premier rang de l’assistance, ceux-ci obtenant au fond réparation de l'humiliation subie par ailleurs. Voilà où mène l'ignorance des chrétiens qui ne connaissent pas les bases de leur propre histoire, sinon à des manques de charité graves, envers des chrétiens palestiniens entre « le marteau et l'enclume » depuis des siècles.

Lors de la messe à Bethléem, par un curieux échange par hauts parleurs interposés, ce fût également le Pape qui obtint que le muezzin pour une fois, dans un minaret juste au dessus de la place de la Nativité, se taise pendant son homélie, entamant avec lui un dialogue fructueux au-dessus des personnes assistant à la messe, ce qui nous permit d'échapper à l'ire des « services spéciaux » palestiniens l'un d'entre nous ayant imprudemment conseillé, en arabe, à l'un des « gros bras » de « fermer sa gueule » pendant la Consécration.

Au début de la « Semaine Sainte » peu après je reçus la visite d'un ami, connu pendant le mariage d'un camarade d'université, excellent ami également, qui était pour moi, qui est encore, même si la vie nous a séparés, un « frère d'armes », à savoir de ce genre d'amis dont on sait dés qu'on les rencontre que l'on sera forcément ami, avec qui je partageais le goût de la littérature qui est une des

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passions de ceux qui ont été des enfants pas très doués pour la vie « comme tout le monde », et ce dés qu'ils ont su articuler leurs pensées, et ce certainement du fait d'une sensibilité aux autres et à la beauté des choses un peu plus grande que le commun des mortels.

Je savais, ce qui fût le cas, qu'il comprendrait tout de suite, ainsi que son épouse, ce que l'on pouvait ressentir au Carmel du Pater, ou n'importe où sur « le Mont des Oliviers », la nostalgie des plaintes lancinantes des muezzins parfois mêlées aux clochers, la sensualité paradoxale des paysages de Terre Sainte, paradoxale du fait de la sottise et la violence partout présentes qui empêchaient beaucoup de personnes de simplement prendre le temps de contempler la beauté du Monde, ce qui aurait peut-être apaisé leur haine mais encore eût-il fallu qu'ils le veuillent.

Il comprit immédiatement que si le Saint Sépulcre ressemble effectivement à une « Cour des Miracles » de la Foi chrétienne, nous faisons tous partie de celle-ci, tous ayant des faiblesses, des petitesses, de bassesses qu'il est plus facile de voir chez l'autre que chez soi.

Cet ami, agnostique, aimant jouir des bonnes choses, a fait preuve de cette sensibilité dont n'étaient pas capables des personnes censées en être plus rapidement capables, ce qui montre que l'Esprit souffle où il veut, et quand il veut, et pas forcément là où on l'attend.

Nous vécûmes ainsi que sa femme le chemin de Croix du Jubilé, organisée par la jeune femme dont il était question ci-dessus, qui ignorant visiblement que ce chemin de Croix était également un moment important pour les musulmans avec qui les chrétiens palestiniens partagent la lumière reçue lors du « Samedi de la Résurrection », allumée au Cierge Pascal du Saint Sépulcre.

Elle demanda pourtant « l'aide » de la police israélienne afin de « libérer » le passage du « Chemin de Croix », ceux-ci en profitant pour saccager le marché de la porte de Damas qui n'était pas le moins du monde sur le chemin de la montée au Calvaire.

La Croix que nous portions à tour de rôle avait été façonnée par le Frère Béat, un vieux « père blanc », présent sur place depuis quarante ans, décédé il y a peu, simple et aimant, ouvert au monde qui l'entourait, et non le reniant comme beaucoup de personnalités plus intellectuelles, plus savantes mais incapables d'altérité.

Pour Béat, cela allait de soi. Depuis que je suis sorti de mon enfer personnel, quand le découragement ou l'acédie me tentent, je pense à Béat et le reste est facile...

Entendant les intentions de prières durant ce chemin de croix, parlant toutes de charité pourtant, parlant toutes de l'autre, cela me mit en colère et prenant le micro à mon tour je rappelai

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incidemment que la charité cela aurait été de respecter le marché bédouin, et de ne pas laisser parquer les palestiniens du quartier derrière des barrières de police et les M16 des « services spéciaux » de « Tsahal » à bérets rouges.

L'organisatrice ne voyait pas le problème, l'une de ses acolytes me souffla même que dans le métro les policiers dégageaient les « SDF qui sentaient tellement mauvais », et qu'ils avaient raison, et que là la police israélienne avait également raison de le faire avec les vieilles bédouines et leurs produits « qui ne sentaient pas très bon il faut avouer ».

Réflexions qui me laissèrent sans voix mais qui me confirma que beaucoup de chrétiens « laveurs de vitres », sourire jusqu'aux oreilles, ont souvent la joie superficielle et la grâce peu efficace.

Ce fût lui, ce « frère d'armes » qui me suggéra d'écrire un journal en Palestine, journal que je n'étais pas capable d'écrire alors, et que je n'ai pas pu écrire réellement pendant dix ans, étant pris dans une « descente aux enfers » personnelle et une spirale de « passions tristes » m'ayant amené au bord de l'abîme en toute connaissance de cause et ce malgré ces moments vécus en Terre Sainte, que j'évoque depuis quelques lignes déjà.

Comme tout le monde, il m'a fallu être sur le point de sombrer complètement pour découvrir combien la vie est un cadeau, malgré

tout, malgré les « bagages de souffrance » que l'on traîne derrière soi.

De vivre ensemble tous ces moments renforça notre amitié qui devint à ce moment précis véritablement profonde. Cela me manqua profondément de ne pouvoir le vivre avec tous ceux que j'aimais qui pour beaucoup ne purent comprendre une fois que je rentrais en France les changements réalisés en moi.

De France, je recevais régulièrement des colis de charcuterie, de fromages, de bons vins, et d'alcools, instaurant avec d'autres la « coutume » excellente de les partager tous ensemble avec qui voulait bien.

Les bonnes choses, une bonne table, de bons vins, sont un moyen bien plus sûr pour lutter contre la bêtise et la violence que les meilleures intentions, les prières les plus mystiques surtout si elles ne sont suivies d'aucun acte ou geste minimal.

Les intégristes, les spiritualistes fous, le savent bien, ils ont horreur de la convivialité, horreur des bonnes tablées, qu'ils assimilent à des « beuveries », ne comprenant pas que parfois l'ivrogne est plus proche de l'amour divin que le « bon croyant »...

En Terre dite Sainte, ces fous refusaient d'apprécier l'accueil

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totalement gratuit des palestiniens mais aussi des israéliens, à Tel Aviv en particulier mais aussi de la part d'artistes juifs rencontrés à Jérusalem, tous n'étant pas des nationalistes radicaux, des bellicistes ainsi que les « antisionistes » du net semblent souvent le croire...

« Dimanche des Rameaux » 2000 – l'apogée du voyage

Que l'on me pardonne ce petit retour en arrière, mais le Dimanche des Rameaux du Jubilé fût en quelque sorte l'apogée, l'acmé de mon séjour à Jérusalem, comme pour les autres volontaires, et aussi « le début de la fin », hélas.

Ce séjour ne fût pas toujours idyllique ou « rose-bonbon ». Mes rapports avec les « pères blancs » n'étaient pas franchement au beau fixe, l'un d'eux me faisant remarquer que j'avais un problème avec l'autorité, ne me conformant pas aux mêmes habitudes que les autres personnes de la maisonnée, qui pour les « pères blancs », à

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l'exception de deux d'entre eux, avaient deux fois mon âge.

Il y en avait parmi ces « pères » qui n'étaient jamais sorti ne serait-ce que faire un tour dans le quartier. J'étais la seule personne de la maison, à l'exception du père économe, de la basilique Sainte Anne, que les gosses, les marchands et même les petits voleurs connaissaient comme étant de « Salahiyeh », le nom ottoman de l'église « Sainte Anne ».

Sans fausse modestie, ni vantardise excessive, concernant l'apostolat d'un chrétien voilà pourtant la chose la plus importante : ne serait-ce que dire simplement bonjour aux personnes à côté de qui l'on habite...

Des « pères blancs », d'autres religieux, intellectuels de haute volée, se demandaient gravement s'il faut ou non aborder la question de la Trinité avec les musulmans, ou de la Transsubstantiation, délicates questions théologiques certes sur lesquelles les exégètes sont d'ailleurs loin d'être tous d'accord et qu'il faut bien se garder d'aborder dans la rue sous peine de passer pour « majnoun » (fou).

Ce que rappelait pourtant la vie quotidienne à Jérusalem, dans les rues de la « Vieille Ville », et dans la ville moderne, c'est que c'est d'abord l'humain qui compte, malgré la sottise parfois pesante et la violence qui en découle de temps à autre, prendre le temps de s'arrêter pour discuter, pour prendre un café, voire fumer le « nargileh ».

Et en Palestine, comme en Israël, prendre son temps est un art de vivre, tout comme profiter de la douceur des paysages de Judée et

de la vallée du Jourdain, ou du bruit de la mer à Tel Aviv.

Les esprits ne sachant pas profiter de cette beauté, ne sachant pas la ressentir, ne comprennent pas grand-chose des émotions que l'on peut vivre dans le désert, ou à suivre le trajet d'un « oued » et déboucher sur une « oasis » au milieu de nulle part, une église perdue et son anachorète, parfois bien décevant, comme celui qui sortit son téléphone cellulaire « dernier cri » devant nous alors que nous le regardions passer émerveillés devant tant de sérénité apparente, le bougre se révélant ensuite également marchant de babioles touristiques.

Après ce jour extraordinaire des « Rameaux », il nous a été encore plus difficile à tous d'envisager notre retour, qui s'annonçait maintenant très proche.

Je l'appréhendais d'autant plus que je n'étais pas revenu en France pendant ces deux années qui passèrent extrêmement vite, d'autres qui avaient fait l'aller-retour au bout d'un an étaient moins anxieux, ayant vécu cette pause qui fût pour eux comme un « sas de décompression » avant le retour imminent.

C'était surtout la peur de retrouver plusieurs routines. Routine il est vrai que l'on pouvait aussi subir en Terre Sainte, je songe à cette volontaire qui ne voulant pas rentrer en France avait pris un emploi dans un hôpital et un logement dans une cité HLM de la banlieue de Jérusalem, croyant continuer à pouvoir vivre chaque jour aussi intensément ce en quoi elle se trompait.

Elle s'était fiancé avec un « prince charmant » lui semblant sortir

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tout droit des « Mille et Une Nuits » (les plaisirs de l'Orient...) et comprit bien vite qu'il serait d'abord un bon mari, pas très différent d'un mari comme les autres.

Contrairement à un « chemin de croix » qui ne se ferait qu'entre occidentaux, en personnes pieuses et bonnes bien sûr, entre gens du même monde et de même obédience, le « Dimanche des Rameaux » est une fête chrétienne à laquelle, à Jérusalem, tout le monde participe dans une joie, une ferveur et une communion que l'on tenterait vainement de retrouver en Occident, y compris dans les rassemblements « pour jeunes » sur-affectifs mais creux.

Quelle déception pour moi de retrouver en France des catholiques tellement froids, ayant tellement peur de manifester leur joie d'accueillir les autres !

Le « dimanche des Rameaux », les chrétiens suivent le même chemin emprunté par le Christ quelques jours avant sa crucifixion, et sortant par la porte « Sainte Étienne » ou « Porte des Lions », marchent tout d'abord jusqu'en haut du Mont des Oliviers d'où ils redescendent lentement, en passant par le jardin de Gethsémani où la tradition locale prétend que les oliviers que l'on peut y voir datent du temps du Christ. Les chants des croyants se mêlent alors au « youyous » des femmes musulmanes qui viennent « en voisines » .

Un temps, les inimitiés s'effacent et les antagonismes sont oubliés entre les communautés, y compris entre les différentes églises catholiques et orthodoxes, dont certaines se « combattent » à coup de clochers que l'on veut toujours plus bruyant que celui du voisin chaque jour, ou en tirant à « petits coups » sur les tapis parsemant le

sol du Saint Sépulcre.

Il ne viendrait cependant pas à l'idée, notons le en passant, aux chrétiens palestiniens qui fêtent « les Rameaux » ou au franciscains en tête de cortège de demander la protection de la police israélienne pour prier en toute quiétude.

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Juillet 2000 – Face à la Méditerranée

Un ami qui était venu me voir à Noël 1999, me voyant à Césarée, qui était considéré à l'Antiquité comme « la porte de l'Occident », d'où partit Saint Paul, devant la Méditerranée me demanda à quoi je pensais. Maintenant, je peux lui répondre même si je n'en sentais pas la nécessité sur le moment car je pressentais qu'il connaissait la réponse à sa question :

Je pensais aux amours perdues, aux mis laissés en France, à ceux qui avaient partagé, comme lui, cette expérience, à la vie que j'y retrouverai. Nous étions devant un « khan », caravansérail, antique et désert, éclatant de blancheur sous le soleil et rien ne comptait que l'instant, perdu dans un Sud qui n'était alors pas si utopique.

En juillet, étant quelques uns à bientôt reprendre l'avion pour la France, nous allâmes passer quelques jours et aussi quelques soirées à Tel Aviv, il y aurait bien un taxi collectif pour nous ramener au petit matin.

Car Tel Aviv, comme Jaffa, ne vivent pas exactement pendant la journée où il n'y a guère que les touristes pour sortir et aller sur la plage, quand la température est trop élevé pour s'agiter, ou les filles court vêtues ou très peu vêtues qui se font bronzer à côté de familles juives orthodoxes se baignant toutes habillées, deux mondes se croisant sans collision, mais en toute .

C'est en soirée que ces villes deviennent intéressantes, et une bonne partie de la nuit. L'on croise des cracheurs de feu, des jongleurs, des émigrés récents ou anciens, de Russie et de partout, racontant leur « aliyah », dissertant à n'en plus finir et avec animation dans les cafés qui font face à la plage.

Un jour, attendant dans une file devant un distributeur de billets, j'eus la surprise d'entendre le « haredim » en habit traditionnel jurer avec un accent typiquement parigot gouailleur, un conducteur de taxis, un vieux russe me raconta sa vie ans un « shetl » et pourquoi il était parti, bavardant dans un français parfait.

Et pourtant Tel Aviv comme Jaffa laissaient une impression d'irréalité.

Il manquait quelque chose pour que cela soit concret, ce « quelque chose » étant plus de solidarité peut-être avec ceux qui souffrent et

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qui n'étaient pas très loin. La guerre et la haine n'étaient pas niées mais simplement mises de côté un temps, il n'était pas rare de voir des « surfers » apparemment insouciants le « M16 » sur l'épaule, des soldats en permission de quelques heures mais toujours sur le « qui-vive ».

Il eût fallu que cette douceur, ce front de mer incitant à la rêverie, soient accessibles à tout le monde sans distinction pour que l'euphorie soit vraie, et que l'ivresse soit parfaite.

Curieusement, les français venus de Jérusalem se cantonnaient toujours à la plage de « l'ambassade », face au bâtiment et au drapeau français surmontant le tout, un rien écrasé par le « Hilton » juste derrière, tour de béton gigantesque. Les expatriés, qu'ils soient des volontaires, des coopérants ou du personnel consulaire ou diplomatique, ou travaillant pour des entreprises, restaient entre eux, adoptant une mentalité de « ghetto », encouragés en cela par des « évènements » consulaires organisés lors des fêtes françaises républicaines, à commencer par le 14 Juillet.

Les 14 juillet du Consulat rappelaient l'ambiance décrite par Malcolm Lowry au début de « Au-dessous du volcan », ces occidentaux élégants, chics, perdus au milieu d'un paysage et d'une société qu'ils refusaient de voir, rejouant la même comédie sociale qu'ils eussent joué en métropole, une comédie des plus hypocrites. Il y avait deux « 14 juillet » pour les deux communautés françaises ou francophones irréconciliables ou prétendument, un du côté palestinien, un autre du côté occidental. Nous avions assisté chaque année aux deux, ne voyant pas en quoi nous aurions du nous priver de boire une deuxième fois l'excellent « Champagne » du consul,

bien meilleur que l'israélien qui ressemble à du « prosciutto » italien un peu sucré, que nous achetions les jours de cafard avec du saucissons « kascher », ça existe, fabriqué par les émigrés israéliens russes, et de la « baget »caoutchouteuse., que l'on pouvait acheter chez un marchand honni des intégristes de tout poil rue de Jaffa à Jérusalem...

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Juillet 2000 : l'angoisse de la routine

En Juillet 2000, nous étions partis depuis bientôt deux ans, nos deux ans de contrat, et l'angoisse du retour, du retour de nos routines se fit plus pesante. D'aucuns parmi nous pour se rassurer savaient qu'en rentrant ils termineraient qui un cursus universitaire, qui un parcours professionnel, et retrouverait un cocon plus ou moins douillet. Afin de retarder au maximum ces retrouvailles, la plupart choisissait le « chemin des écoliers » pour rentrer, préférant le bateau et de multiples escales.

Quand je rentrai, je choisis quant à moi l'avion pour rentrer d'un coup.

Pour moi il était très difficile de songer ne serait-ce qu'un peu à cette routine sans angoisse en ayant devant moi chaque jour la munificence du « Dôme du Rocher », la sensualité des paysages du Jourdain par la fenêtre et en ressentant à chaque instant la douceur du climat et l'accueil généreux des habitants.

Pour les gens du quartier, j'étais devenu un des leurs, y compris pour les petits voleurs de touristes hollandais, que la police israélienne laissait faire afin d'entretenir l'impression d'insécurité perpétuelle dans la « Vieille Ville » et affirmer de temps à autres leur présence en procédant à des arrestations spectaculaires et violentes de délinquants qu'ils laissaient courir le reste du temps.

Un soir où des pèlerins français assistaient à la messe à la basilique Sainte Anne, messe présidée par un jeune évêque parisien, un de ces ecclésiastiques se situant pudiquement et exclusivement comme il le dit lui-même sur le plan spirituel, laissant de côté la réalité de ce qu'il voyait autour de lui, préférant rêver d'un Jérusalem idéalisé, peuplé seulement de purs esprits, et non cette ville où la plus grande pauvreté côtoyait la richesse la plus insolente, richesse justifiée le plus souvent hypocritement par des traditions qui ne justifient absolument rien, je compris à quel point je m'étais intégré au quartier.

Un des pèlerins m'apostropha dans un anglais très hésitant :

« You ! Canne You openeune Ze doure plize » dit-il non sans une certaine fébrilité, et quelques gouttes de sueur perlant sur son front, car il avait certainement lu et entendu les recommandations concernant la dangerosité supposée de la Vieille Ville.

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Quand je m'exécutai, lui et son épouse n'osèrent cependant pas sortir, il y avait l'agitation habituelle de la rue palestinienne dehors, des terroristes le couteau entre les dents à tous les coins de rue c'est certain. Il suggéra à sa femme d'attendre leur taxi à l'intérieur, ce qu'il me signala :

« Oui ouile ouaitine ze taxi ine zi housse ».

Je leur répondis en anglais, en rajoutant dans l'accent marqué que cela ne posait pas de problèmes.

Ils me remercièrent en chœur, rassurés :

« Sanque iou sœur ».

Leur taxi, israélien, nous le comprîmes après le coup de fil qu'ils passèrent à la loge de Sainte Anne, ne voulait pas venir dans la Vieille Ville, ne voulait pas s'aventurer dans un quartier si mal famé à ses yeux. Le pauvre homme et son épouse étaient désespérés, se voyant déjà vendus au marché aux esclaves sur la Côte Barbaresque quand je répondis à leur anglais chaotique en français, un des Pères Blancs présent appelant rapidement un taxi arabe qui vint les cueillir juste à la sortie et qui les ramena à bon port.

Ce n'était pas les seuls à être aussi terrifiés dans la Vieille Ville. Nous avions croisé des israéliennes un soir de rupture de jeûne de Ramadan qui passant tout près des murailles et entendant des bruits de pétards éclatant crurent la guerre faire rage. Nous eûmes toutes les peines du monde à les convaincre de ne pas appeler la police et

l'armée, que c'était juste des gosses musulmans fêtant la rupture du jeûne.

L'une d'elles nous dit, elle ne portait aucun signe distinctif, qu'ils allaient les reconnaître comme juives et les tuer. Nous essayâmes de leur faire comprendre que cela n'était pas inscrit sur leurs fronts, et que rien n'arriverait, ce fût peine perdue.

Ces personnes subissant la plus grande pauvreté matérielle dans Jérusalem étaient capable par contre d'une générosité d'accueil plus extraordinaire que celui de bien des communautés religieuse confites dans leurs habitudes mortifères.

Ainsi, je me souviens de ce petit boulanger qui tint à m'offrir le café, me fit visiter son logis ou ce qu'il appelait logis. Je profitais de la seule chaise valable de l'endroit, pendant que lui s'asseyait sur une caisse ayant contenu des sacs de farine. Comme je buvais son café en grignotant un des « knaffeh » qu'il m'offrit, je pus constater qu'il dormait sur un galetas immonde, poussiéreux et mangé aux animaux parasites. Il n'avait aucune amertume, il aurait bien voulu vivre confortablement mais « Inch Allah, Bukra, Maalesh ».

En deux ans, je n'ai jamais eu de moment réellement de cafard. Il me suffisait de sortir la nuit au cœur des ruines de la piscine de Bethesda près desquelles j'habitais, et de rêver en regardant la voûte céleste, le ciel clair et les milliers d'étoiles, j'avais comme le sentiment que le monde entier était tout proche dans toutes les directions, que mes amis, que la France n'étaient pas si éloignés. Je faisais régulièrement le rêve suivant : au bout de la Via Dolorosa juste en bas de chez moi, juste après un petit minaret commençait la

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rue que j'habitais en France, qui aboutissait étrangement sur toutes les rues de ma vie

Bien souvent, les personnes n'ayant pas vécu cette expérience de l'expatriation se demandent bien comment l'on peut tenir le coup du fait de l'absence de repères stables, d'une situation locale explosive, sans routines en somme. On peut d'ailleurs retrouver une routine très pesante à l'autre bout du monde. L'habitude ce n'est pas seulement dans nos pays.

L'habitude peut être exotique.

La réponse est assez simple, la plupart des personnes qui partent sont bien souvent inadaptés à la vie moderne, au désir de performance roi, à la loi de l'argent le plus fort, se lassent vite d'une vie apparemment bien équilibrée, voire un peu trop. Il est évident qu'ils fuient toujours quelque chose par peur de s'y confronter, cherchant dans l'extraordinaire une réponse à des questions tout ce qu'il y a de plus ordinaire.

Ces questions, on pense d'ailleurs les avoir laissées en route, mais on les retrouvera au retour, aussi pesantes, voire plus, aussi douloureuses, provoquant les mêmes blessures.

Les personnes qui partent, ou qui ont ce désir, ne sont pas pour autant des paumés, ou des dépressifs, mais la banalité qui a aussi ses charmes, n'est pas pour eux. Ils ont d'autres désirs, des désirs souvent d'absolu, un absolu qui au Proche Orient s'incarne dans les paysages désertiques, que ce soit celui du Negev ou du Jourdain, ou celui liquide de la Mer Rouge.

Il ne s'agit pas de mépriser pour autant le quotidien, le banal, l'habituel pour autant, ce n'est simplement que ce n'est pas pour eux aussi.

C'est aussi s'habituer à tout qui rend la vie insupportable, qui aliène, lorsque l'on a abdiqué face à de multiples petits compromis, tout petits mais suffisants pour se laisser vaincre et renoncer à vivre vraiment.

Un ami qui était parti depuis un an de la « Ville Sainte », mais qui revenait nous voir de temps à autre, un jeune prêtre d'origine colombienne me proposa pour calmer l'angoisse un week-end à la plage à Tel Aviv, avec une visite souvenir des cafés en front de mer pour tenter de comparer une dernière fois les vertus des bières israéliennes comparées aux palestiniennes. Cet ami, ancien étudiant à l'École Biblique, se promenait là-bas sans aucune vergogne nanti d'un « keffieh » autour du coup, mais son aplomb hors-normes aplatissait curieusement toutes les velléités de violence des personnes croisées, qui lui pardonnaient ce détail vestimentaire.

A l'aéroport, il paya son insolence et son irrévérence (là-bas constater simplement des faits était considéré comme insolent ou transgressif) et son irrespect total des règles absurdes par huit heures de fouille, un ordinateur mis en pièces, avec une thèse, fruit d'un travail de longue haleine irrémédiablement perdue, et deux heures dans une cellule, qui furent pour lui les deux heures les plus lentes de son existence, et surtout son refus des compromis grotesques, en vigueur à Jérusalem parmi nombre de chrétiens

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expatriés qui ne voulaient surtout pas voir le réel, que cela avait également choqué, à commencer par les membres de la plupart des communautés charismatiques qui allaient jusqu'à emboîter le pas à des fous en pleine sublimation de leurs frustrations, ayant des visions compensant la grisaille de leurs existences mornes.

Je le remercie encore de m'avoir donné quelques bonnes adresses à Jaffa, Jérusalem, Haïfa, non loin du temple des pacifiques « Bahai », tenants d'une secte farfelue mais pacifique, ou Tel Aviv sur le front de mer, où les jolies filles ne manquaient pas (dans son cas, il m'affirmait que l'on peut admirer la création divine, dont font partie les jolies filles, qui sont comme des fleurs que l'on n'a pas forcément besoin de cueillir, mais aussi à Ramallah, où il m'indiqua une fumerie de nargileh en haut d'une tour de béton, Jénine, où nous mangeâmes un vrai « mezze » palestinien, Naplouse, nous dégustâmes des « mixed grill » près d'une fabrique de savon ou Gaza, nous bûmes du café dit « turc » affalé comme des sultans de l'ancienne Bagdad sur des coussins aux couleurs vives.

Il trouvait ça normal, cherchant à ce que « rien de ce qui est humain ne lui demeure étranger », n'y voyant pas de contradiction avec son sacerdoce dont il respectait scrupuleusement toutes les exigences morales. Il n'y a pas besoin « d'avoir l'air » de quelque chose pour l'être vraiment, ou pas.

Retours à l'Ouest dans JérusalemA Jérusalem, il était facile de revenir régulièrement en Occident, pour cela il suffisait, sortant de la Vieille Ville, de traverser la place de l'hotel de ville juste en face de la « Porte Neuve » pour y être, quand nous en avions assez des pèlerins autistes, des fous atteints par le syndrôme de Jérusalem, des militants de ci, de ça, des idiots violents, nous franchissions cette frontière aussi bien physique que mentale pour prendre une sorte de cure de modernité.Ce n'était pas tout à fait l'Ouest, pas tout à fait l'Europe, mais une sorte de reconstitution presque exacte dans quelques rues où l'on pouvait cependant parfois croiser des intégristes juifs en noir et des femmes en costume traditionnel accompagnées d'une ribambelle d'enfants piaillant.

Cette reconstitution était une sorte de parc d'attractions plus ou moins de perdition pour les plus religieux habitants de Jérusalem, pensez donc, on pouvait y consommer de l'alcool voire en acheter

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pour plus tard, y trouver de la charcuterie, dont de la charcuterie « kasher », cela existe, fabriquée par des israéliens d'origine russe dans le nord du pays, certifiée « kasher » pour peu que le sang du cochon ne touche pas le sol de « Eretz Israel ».

Pour cela, rien de plus simple, il suffisait de faire couler une dalle de béton sur le sol de l'abattoir.

Ces quartiers « à l'occidentale » ne l'étaient pas tant que ça, si progressistes, puisque les jours de fêtes religieuses, les interdits alimentaires par exemple, que l'on soit juif ou pas, devaient être scrupuleusement appliquées. Et nous avons souvent remarqué que même dans des familles que nous croyions bien au-dessus de tout cela, libérales, même libertaires, ces prescriptions étaient suivies à la lettre.

Celles-ci ne seraient jamais allé prier au « Kotel », préférant les offices de la Grande Synagogue de Jérusalem, réputés plus modernes, en apparence, en apparence seulement car les officiants y étaient tout aussi rigoureux quant à leur identité religieuse, et israélienne.

Ces israéliens de Jérusalem nous l'ont souvent expliqué, vivre dans cette ville est toujours un choix pour eux comme ça l'est pour les palestiniens. Ce n'est pas gratuit de vivre dans la « Ville Sainte », d'y travailler. C'était de temps couplé, nous l'avons maintes fois constaté, avec une vision messianique d'Israël et du sionisme, vision appuyé par les pentecôtistes américains ou les communautés charismatiques catholiques.

Il nous est arrivé, c'était une provocation innocente, de demander dans les restaurants des steacks bien saignants avec une sauce au roquefort, ou un peu de beurre persillé, ce qui est rigoureusement interdit par la « kashrout ». L'art de vivre tellement méprisé en France, cette culture de la table, de la convivialité, est une des composantes importantes de la liberté, qui ne se décide pas par des grandes envolées mais qui se vit.

Un soir où un ami et votre serviteur resssentaient fortement le besoin de se réjouir le ventre autrement qu'avec du « hummous » et des « pitâ », ou des « mixed grill » cahoutchouteux servis avec des frites élastiques allègrement trempées dans une dizaine de litres d'huile, nous avons réussi de haute lutte à convaincre un patron de restaurant de la rue de Jaffa de nous servir une entrecôte qui ne réponde pas du tout aux normes religieuses, et qui soit donc bien meilleure à déguster.

Les conducteurs de « l'Express » hors d'âge qui nous servit souvent de voiture ces deux ans; profitant de la plaque consulaire, se garaient n'importe où histoire de taquiner les militaires patrouillant régulièrement dans ce coin de la ville somme toute.

La ville occidentale avait l'avantage énorme pour moi d'abriter quelques librairies en son sein, dont une librairie française, et des livres qui sont autant de produits de première nécessité pour moi, et pas seulement des livres de spiritualité, de mystiques racontant leurs illuminations diverses et variées et plus ou moins fantasmées, les uns se prenant pour des pionniers en droite ligne descendants des hébreux, les autres jouant à Lawrence d'Arabie, ce qui dans les deux cas est une forme de pathologie politique, religieuse et touristique.

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J'ai pu me passer de beaucoup de choses pendant mon séjour à Jérusalem, mais il m'aurait été impossible de me passer complètement de livres.

Lire « le caporal épinglé » de Jacques Perret ou « la grande peur des bien-pensants » de Bernanos avait une toute autre signification dans cette ville que cela en a sous nos cieux, c'est un geste d'insoumission à la sottise, à la haine, aux manques d'altérité qui nous entouraient.

C'était malgré tout un espace de liberté, où des gestes et attitudes que nous considérons comme tout simples ou allant de soi en Europe étaient, par des tenants des grandes religions, perçus comme autant de transgressions, en particulier par tous ceux que la sainteté de la « Ville Sainte » rendaient fous.

Je m'étonne encore du fait que parmi ces illuminés tous persuadés de vivre pour la première fois des émotions extraordinaire l'on trouve surtout des personnes ayant des problèmes personnels à surmonter, ou compenser quelque frustration ou complexe enfoui bien soigneusement derrière une affectation mystique parfois pénible.

A nous rendre régulièrement dans un café de la rue Ben Yehuda, nous provoquions l'horreur de ces fous, leur colère parfois, car nous cédions à des plaisirs matériels tellement vulgaires à leurs yeux.

Combien de fois ais-je été choqué d'entendre ces purs esprits déclarer que selon eux ces moments de joie « simplement » matériels étaient des barrières à la foi, étaient inutiles, n'ayant pas

compris que c'est justement dans ces moments qu'ils dédaignent que celle-ci s'incarne au mieux, car ce n'est pas ce que l'on mange ou ce que l'on boit qui est le plus important mais ce que l'on partage autout de soi. Combien de fois les ais-je entendu suggérer avec mépris, de la même manière que des hygiénistes « bio », végétariens, ou végétaliens, les esprits étroits se ressemblent, qu'apprécier la bonne chère du bon vin entre amis était une espèce de beuverie immorale ?

La plupart était incapable de ressentir la beauté de l'accueil qui nous était la plupart du temps réservé, également du côté occidental, les plus doués pour cela étant paradoxalement les ultra-religieux de Meah Shearim, le quartier ultra-orthodoxe.

J'ai vécu dans ces quartiers des moments parfois surréalistes, petits et plus importants, de cette caissière de restaurant nous proposant de nous servir la sauce chocolat demandée sur nos glaces par la porte arrière de l'endroit, pour que personne ne puisse le voir, à ces instants où tout s'arrête, les êtres humains, leur activité, leurs véhicules se figeant complètement lors des minutes du souvenir de la « Shoah » cimentant les communautés nombreuses, souvent antagonistes, et hétérogènes composant Israèl.

On pouvait observer alors des touristes complètement perdus dans une ville devenue pour eux un musée de cire grandeur nature, se postant parfois sous le nez des personnes immobiles, résistant pour certains à l'envie de les toucher du doigt pour éprouver leur réalité sujette dans ces moments là à un questionnement.

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Septembre 2000 – Avril 2013 : être lucide sur son départ

Les raisons invoquées publiquement pour partir en volontariat par les volontaires et coopérants sur le départ sont toujours nobles et sur la base d'idéaux grandioses. Ils sont nombreux à se rêver en émules de « Lawrence d'Arabie », en aventuriers de l'Arche perdue. Pendant tout un week-end le responsable de notre formation à Paris ne nous laissa pas une minute de répit sur les vraies raisons de notre départ, essayant de cerner un maximum ce que nous essayions de cacher à grand peine à savoir nos petits défauts.

Ces raisons invoquées, digressons un peu, c'est un peu comme

lorsqu'on lit les statuts de nombreuses personnes sur les réseaux dits « sociaux » :

A les parcourir, leurs auteurs ne parleraient que philosophie et haute littérature, ne s'intéresseraient qu'à des sujets élevés, ne verraient que des chefs d'œuvre au cinéma, bref on se demande comment ils trouvent encore le temps d'aller sur « Facebook » ou « Twitter ».

Ressentir le besoin de s'expatrier, même si la sublimation n'est pas forcément négative, se base toujours sur un manque ou mal-être que l'on vit chez soi tout seul ou en couple.

Ou alors c'est juste pour plaire aux filles et se mettre en valeur, ou faire du tourisme avec un alibi vaguement humanitaire. Le don de un ou deux ans de sa vie est la sublimation des frustrations, des carences, des pertes, ce qui ne diminue en rien ce donc que peu de personnes sont capables d'accomplir, don gratuit qui ne rapporte rien une fois revenu à moins de disposer déjà d'un réseau en France.

Chez beaucoup de personnes rencontrées à mon retour, ces deux ans accomplis dans des circonstances parfois difficiles ont surtout suscité la méfiance de mes interlocuteurs qui ne croyaient pas à mon témoignage de vie, et la jalousie, la jalousie de celui qui se soumet à la routine, à une survie qui est abjecte en soi mais confortable, dans le troupeau.

Certes, il ne faut pas que ce manque ou ce mal-être soit trop fort, auquel cas l'expatriation sera très mal vécue, et le retour encore pire. Et il faut aussi se méfier des apparences, nous nous en sommes souvent aperçus. Ce n'est pas le « louque » qui fait l'aventurier par

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exemple.

Je l'ai constaté un jour avec un autre volontaire dans la bibliothèque du Centre Culturel Français de Jérusalem :

Un doctorant français, un sur-diplômé égaré là, habillé avec toute la panoplie qu'il estimait nécessaire sous ce climat (chéchia, lunettes, chapeau militaire en camouflage « sable » etc...) tentait vainement de séduire une jeune femme en se vantant d'exploits que nous savions tous imaginaires, car il ne quittait pas la bibliothèque, et qui finit de guerre lasse pour séduire, croyait-il, la donzelle, par se moquer de nous qui n'avions pas le physique de baroudeurs, mais plutôt celui de bons vivants.

L'un de nous, enseignant en français langue étrangère, était partie le croyons-nous, pour retarder le moment où il allait devoir faire un choix qui engageait toute sa vie car il resta à Jérusalem un an de plus. Il nous semblait dans un premier temps très sécularisé.

Et puis lors d'un chemin de Croix, l'observant en prière à la dérobée, je compris combien sa foi était intense et fervente, ainsi que son amour de la ville dans laquelle nous vivions, sentiments que nous ne tarderions pas à tous partager, et que de rester participait pour lui de cette foi et non d'un doute quelconque.

J'ai toujours cette photo de lui, elle soutient ma propre foi à chaque fois que j'ai envie de flancher.

Et maintenant je partage avec lui cette nostalgie inconsolable de cette terre violente, contradictoire et sensuelle malgré tout.

Deux d'entre nous, un jeune couple, était parti surtout à l'initiative de la jeune épouse. Elle était petite, douce et menue, mais son autorité était inflexible sur son mari, un colosse de près de deux mètres à qui je passais en douce, maintenant je peux le dire il y a prescription, des cigares palestiniens achetés porte « d'Hérode ». Il avait fait contre mauvaise fortune bon cœur, surtout bon cœur d'ailleurs, car ce fut cela qui en fit une figure aimée de tous dans l'hôpital où il s'occupait des malades en fin de vie.

Alors même si le désir de partir naissait aussi d'un manque à combler dans leur couple, le donc en résultant était exceptionnel.

Il ne parlait pas un mot d'anglais, n'en parlait pas beaucoup plus en partant, tout comme l'arabe ou l'hébreu, exceptés quelques rudiments, mais le langage du cœur lui suffisait pour se faire comprendre.Un autre couple habitait en pleine Cisjordanie, dans un tout petit village chrétien, Zababdeh, où ils enseignaient tous deux le français tandis que lui faisaient également quelques « piges » pour son journal en France. Le jour où je vins les voir, il me proposa « d'aller faire les courses à la mode Zababdeh », ce qu'en bon occidental je compris par faire rapidement les magasins :

« Bonjour, bonsoir, et 10 qui nous font tant et bonne journée messieurs dames ».

A chaque commerce, je fus présenté, accueilli comme un proche, eut

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le droit même au thé avec mon hôte à Zababdeh. « Les courses » durèrent deux bonnes heures joyeuses.

Plus tard, nous prîmes l'ombre avec un paysan palestinien tout en mangeant avec lui de la « pitâ » avec un peu de « zaatar », des herbes aromatiques, et de l'huile d'olive.Ce fut avec ces deux couples et un autre professeur de français, travaillant à Ramallah que je partis au Sinaï. L'équipée, que j'ai déjà évoquée, fût rude, et picaresque en même temps, nous dormîmes trois heures en quatre jours, deux attrapèrent une grippe intestinale, mais nous allâmes jusqu'au bout de nos résistances, les masques tombant assez vite sur nos réels tempéraments et surtout sur les défauts que nous aurions voulu cacher.

Nous ne pouvons pas nous mentir quand nous nous voyons, nous connaissant profondément.

Le professeur de français langue étrangère de Ramallah, qui est à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, logeait quant à lui juste à côté de deux « check points », israélien, sévère, souvent arbitraire, et palestinien, plus laxiste. Passer le premier avec l'affiche en français et en arabe d'un festival de film au Consulat me valut d'être contrôlé une demie heure, suspecté d'être un séide du Hamas.

La première fois qu'il se fit arrêter au second, il nous avoua avoir été déçu dans un premier temps, puis ravi quand il comprit que si les militaires palestiniens l'avaient arrêté c'était pour partager avec lui le repas de rupture de jeûne de Ramadan.

Ce professeur, instituteur en France, non loin de Grenoble, était un

sportif émérite, qui traversa la Palestine et Israël de part en en part à vélo très souvent.

Ses chères montagnes lui manquaient souvent, le mont des Béatitudes, qui est somme toute une colline, même pour des non-montagnards.Souvent sur son toit, nous organisâmes des soirées qui se terminaient alors que la nuit était tombée depuis longtemps sur la région, n'entendant que le doux murmure des insanités que les militaires israéliens s'échangeaient par hauts parleurs interposés.

Rentrant un soir de chez lui, nous empruntâmes un taxi collectif qui eut la surprise de sa vie. Croyant tomber sur des touristes esseulés, rentrant des boîtes de nuit de Ramallah, entendant notre accent français certes lamentable en anglais, il entreprit de nous faire payer 25 shequels la « course » alors que celle-ci en valait tout au plus 2,5, nous serions montés à 3,5 à cause de l'heure tardive, et car cela restait au fond très peu, mais négociant tant et si bien avec lui, nous ne payâmes l'arrivée que 1,5 chacun.

Quant à moi, si j'ai toujours rêvé de vivre au Proche-Orient, en particulier en Terre dite Sainte, je suis parti d'abord et avant tout car je ne trouvais pas ma place en France, dans mon travail aussi bien que dans mes études, étant toujours dans l'insatisfaction, et aussi pour plaire aux filles, enfin surtout à une, espérant plus ou moins l'impressionner, la faire changer d'avis, ce qui était parfaitement illusoire bien entendu vu ses inclinations personnelles qui ne la portaient pas vraiment vers les hommes.

Et puis, elle était de ces personnes qui n'aiment pas qu'on les

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perçoive telles qu'elles sont et non le personnage qu'elles jouent.

Elle n'aimait pas que l'on voit ce qu'elle estimait être sa faiblesse, à savoir son empathie et sa sensibilité, sa lippe parfois de petite fille quand elle était contrariée, sa féminité émouvante.

C'est pour elle au départ, on écrit toujours pour deux ou trois personnes tout au plus, avec l'aide d'un ou deux complices, que je rédigeai un petit journal de Jérusalem pour les coopérants et pour les proches en France. Se faisant passer pour un ami proche, à tous deux, elle s'est trahie par son style à l'écrit ce qui fait que je la reconnus assez, car elle en a, du style elle me demanda par mail de raconter ma vie à Jérusalem, ce que je préférai faire de manière un peu plus ambitieuse et plus ludique, avec deux doigts de dérision en créant une petite gazette :

« Le Clairon de Sainte Anne ».

Cette toute petite gazette montrée à une dame qui était aussi auxiliaire de police en civil, il y en avait beaucoup dans Jérusalem, fut jugée par elle digne des services intérieurs par l'impertinence qu'elle crut y déceler. Elle ne la signala pas, car nous étions amis, mais il s'en fut de peu. Elle avait un peu de mépris pour les palestiniens, mépris qu'elle ne montrait pas, elle se comportait correctement avec eux, mais au fond cela transparaissait toujours.

Et un jour que nous critiquions devant elle la colonisation effective de la Cisjordanie elle affirma sans ambages en hébreu que « les chiens aboient mais que la caravane passe » ce qui est sans équivoque pour le moins.

Tous, si nous sommes partis pour des raisons qui n'étaient pas toujours si belles que cela, nous voulions la même chose, avoir une vie un peu moins routinière, un peu moins ronronnante que la vie quotidienne moyenne de citoyen consommateur, qui s'apparente à de la survie sans beaucoup de grandeur.

Première image prise ici (check point de Ramallah)

Deuxième image de Ramallah empruntée ici