John Stewart-La vie existe-t-elle _ Réconcilier génétique et biologie -Vuibert (2004)

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  • -:HSMHLB=\ZX[]U:ISBN 2 7117 5368 9

    www.vuibert.fr

    On ninterroge plus la vie dans les laboratoires dclarait Franois Jacob. Partant de ceconstat, lauteur explique comment on a pu en arriver l : lobjet central de la biologiecontemporaine nest plus la vie, mais le gne.

    Or, depuis sa fondation par Mendel au XIXe sicle, la gntique est ce quon appelle unescience diffrentielle au sens o une diffrence dans un facteur gntique est la causedune diffrence dans un phnotype observable. Il sensuit que, l o il ny a pas de diff-rences, la gntique nest plus oprationnelle. Autrement dit, la gntique ne permet pasdobserver linvariant ni mme de le concevoir. Cest notamment le cas pour le plusimportant parmi tout ce qui est invariant : le fait que les organismes vivants ne sont pasdes choses , mais des flux dnergie et de matire organiss de telle sorte que ces orga-nismes se produisent en permanence, dinstant en instant. Appel autopose, cetinvariant-l est ignor de la gntique. Do le divorce historique qui spare la gntiquede la biologie des organismes.

    On peut penser que les grandes dcouvertes de la biologie molculaire rendent caduquesces considrations dhistoire et de philosophie des sciences, mais il nen est rien. On a, cer-tes, dcouvert la structure molculaire de lADN support matriel des gnes ainsi quele code gntique . Mais un organisme vivant ne se rduit pas un assemblage de pro-tines. Et les notions-cls d information , de message et de code importes dela cyberntique ont une face cache : aucun message cod ne porte en lui-mme le dispo-sitif permettant de linterprter.

    Lauteur examine aussi les possibilits dune rconciliation entre une vritable biologie desorganismes et une gntique ramene sa juste place par une reconnaissance de ses limi-tes : ce nest pas parce que les gnes ne peuvent pas tout faire quils ne peuvent rien faire.Ils constituent indniablement le support dinformations codes puisque depuis troismilliards dannes ces mmes informations ont permis lvolution par variation alatoireet slection naturelle ; une volution laquelle nous ne devons pas moins que lensembledes organismes vivants actuels.

    Gnticien de formation, John Stewart est depuis 1979 charg de recherche au CNRS.Aprs dix ans de recherches combinant gntique et physiologie chez la souris, il a tra-vaill successivement dans les domaines de la sociologie des sciences, de limmunologiethorique, des sciences cognitives, et de la philosophie de la technique. Il est lauteurdune centaine darticles scientifiques et de plusieurs livres portant notamment surlhrdit du QI, sur les manipulations gntiques et sur lvolution du systme immu-nitaire. Il est actuellement rattach lUniversit de technologie de Compigne.

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    En couverture : Jacques-mile Ruhlmann, Lampas auruban (1922-23), soie, Cornille. Archives Prelle,UCAD, Paris. Clich Laurent Sully-Jaulmes

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  • galement aux ditions Vuibert :

    Patrick LAURE,Histoire du dopage et des conduites dopantes, 224 pages

    Bernard MARTY et Henri MONINLe premier ge de lADN. Histoire dune molcule de lhrdit, 176 pages, codition Vuibert/ADAPT

    Jean-Pierre GASCHistoire naturelle de la tte. Leon danatomie compare, 176 pages

    Michel PETITQuest-ce que leffet de serre ? 128 pages, postface de Robert DAUTRAY

    Jacques FONTANLes pollutions de lair, 208 pages

    Gabriel GOHAUNaissance de la gologie historique, 128 pages, codition Vuibert/ADAPT

    Valerio SCARANIInitiation la physique quantique, 128 pages, prface de Jean-Marc LVY-LEBLOND

    Claude LCAILLELaventure de la chimie jusqu Lavoisier, 320 pages, prface de Jean ROSMORDUC,codition Vuibert/ADAPT

    Paul MAZLIAKAvicenne et Averros. Mdecine et biologie dans la civilisation de lIslam, 256 pages, codition Vuibert/ADAPT

    et des dizaines dautres ouvrages de sciences et dhistoire des sciences : www.vuibert.fr

    En couverture : Jacques-mile Ruhlmann, Lampas au ruban (1922-23), soie, Cornille.Archives Prelle, UCAD, Paris. Clich Laurent Sully-Jaulmes

    Couverture : Vuibert / Arnaud MartinMaquette, composition & mise en page : Isabelle PaisantSchmas : Lionel AuvergneRelecture et correction : Alain Rossignol

    www.vuibert.fr ISBN 2 7117 5368 9

    La loi du 11 mars 1957 nautorisant aux termes des alinas 2 et 3 de larticle 41, dune part, que les copies ou reproductionsstrictement rserves lusage priv du copiste et non destines une utilisation collective et, dautre part, que les analyses etles courtes citations dans un but dexemple et dillustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale, ou partielle, faitesans le consentement de lauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alina 1er de larticle 40). Cettereprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par lesarticles 425 et suivants du Code pnal. Des photocopies payantes peuvent tre ralises avec laccord de lditeur. Sadresser auCentre franais dexploitation du droit de copie : 20 rue des Grands Augustins, F-75006 Paris. Tl. : 01 44 07 47 70

    Vuibert septembre 2004 20 rue Berbier-du-Mets, F-75647 Paris cedex 13

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  • Table des matires

    Avant-propos

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . V

    Introduction

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

    Gntique et biologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1Quest-ce quun gne ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

    C

    HAPITRE

    1.

    La gntique formelle

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

    Lexprience mendlienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Le

    linkage

    et les expriences de Morgan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

    La cartographie, 12 Le sex-

    linkage

    , 16

    Lapothose de la gntique formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

    Rsum, 19 La thorie chromosomique, 21

    La suite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

    C

    HAPITRE

    2.

    Spendeurs et misres de la gntique

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

    La force et la faiblesse de la gntique formelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33La phylogense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

    La thorie de lvolution, entre Darwin et Mendel, 35 Weismann et le chemi-nement vers le nodarwinisme, 38 Programme gntique et hritabilit, 40 Linformation, 44 Les invariances invisibles dont dpend le programmegntique , 48 Conclusions : la gntique nest pas une science de lhrdit, 55

    Lontogense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

    La Forme et la Matire, 61 Les premires tapes de lembryogense, 65 Au-del de lintrieur vs lextrieur, 67 Conclusions : au-del du programmegntique, 68

    Lautopose et la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

    La vie existe-t-elle ? 69 Les structures dissipatives : lindividuation physique etbiologique, 69 Lautopose, 71 Lautomate de tesslation, 73 Conclusions, 76

    Synthses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78

    Les relations entre phylogense, ontogense et autopose, 78 Lamarck etlhistoire naturelle, 85

    Interlude : objections . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

  • IV

    LA

    VIE

    EXISTE

    -

    T

    -

    ELLE

    ?

    C

    HAPITRE

    3.

    Regain

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

    Introduction : vers une biologie avec une gntique ramene sa juste place 93Trois exemples de gnes remis leur place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

    Le mtabolisme, 94 Les plans du corps, 96 La phnylctonurie et lintel-ligence, 96

    Lanalyse des phnotypes mendliens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

    Les chanes de causalit diffrentielle, 98 Les vertus dun phnotype mend-lien, 103 La synergie entre physiologie et gntique, 107 Les maladiesmultifactorielles, 113

    Lontogense . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

    Introduction, 119 Les phnocopies, 120 Une synergie possible entreembryologie et gntique, 122

    Lvolution revisite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126

    Introduction, 126 Les rythmes de la macro-volution, 126 Lassimilationgntique, 129 Un problme non rsolu : la variation gntique au sein despopulations naturelles, 131 Conclusions, 134

    Conclusion

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137Les maladies multifactorielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138Transgense et knock-out . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139Une dynamique sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142Le Tao de la gntique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143

    Bibliographie

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149

    Index terminologique

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

    Index des noms dauteurs

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

  • Avant-propos

    Ce livre naurait jamais pu voir le jour sans trois grands scientifiques que jai eule privilge de connatre.

    John M. Thoday tait professeur de gntique luniversit de Cambridge. Chefde dpartement, il tait responsable de la dlicate question de la rpartition desenseignements ; la diffrence de tous les autres directeurs de dpartement universi-taire que jai connus, Thoday pensait que le cours le plus important quil ne laissait personne dautre le soin dassurer tait le tout premier cours dinitiation. Une foisinitis la matire, de bons tudiants sauraient toujours tirer parti dun enseignementparfois mdiocre ; mais ce quil ne fallait aucun prix compromettre, ctait le niveaulmentaire des fondements. Ce cours dintroduction la gntique, auquel jai assisten 1961, fut pour moi une rvlation et il le reste 40 ans plus tard. Le chapitre 1 dece livre, qui insiste notamment sur le caractre diffrentiel de la gntique, est bti surlempreinte profonde de ce cours de Thoday.

    Stuart Goronwy Spickett, lve de Thoday, fut mon directeur de thse. Son inspi-ration et son amiti furent dterminantes dans ma dcision dentamer une carrirede recherche scientifique. Les perspectives que jessaie de prsenter dans le chapitre 3sont issues trs directement de sa vision.

    Jai rencontr Francisco Varela Paris en 1986, un autre tournant de mon parcoursscientifique. ce moment-l, javais dlaiss la biologie par dcouragement devantle dferlement du tout gntique rductionniste. Par la thorie de lautopose,quil avait labore avec Humberto Maturana, Francisco ma redonn lespoir que lesorganismes vivants, en tant que tels, peuvent tre de vritables objets scientifiquespour la biologie.

    La liste des autres influences enrichissantes que jai reues est bien trop longuepour que je puisse essayer de la dtailler sans commettre dinjustices par omission. Jevoudrais nanmoins mentionner Evelyn Fox-Keller et Susan Oyama. Au-del de leurscontributions intellectuelles, qui sont considrables, leurs crits expriment ce quelon tait trop souvent : les choix scientifiques sont aussi, et peut-tre surtout, deschoix de vie.

    Finalement, je tiens remercier tout particulirement Janine Guespin, qui a lu trsattentivement une premire version de mon manuscrit. Ses commentaires amicauxmont t dautant plus prcieux quelle sest livre des critiques sans complaisance.

    John StewartParis, avril 2004

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  • Introduction

    Gntique et biologie

    En lespace de quarante ans le temps dune vie de chercheur , les relations entrela gntique et la biologie se sont modifies de faon spectaculaire. En 1963, alors queje faisais mes tudes au dpartement de gntique de luniversit de Cambridge enAngleterre, la gntique tait une discipline tout fait marginale. Dans ma promo-tion, nous tions en tout et pour tout six tudiants avoir opt pour la gntique ;lanne prcdente, ils navaient t que deux. Comme cest si souvent le cas, lesdisciplines dominantes de lpoque expliquaient que leur suprmatie tait rationnel-lement justifie. Ainsi, les embryologistes voulaient bien admettre, la rigueur, queles gnes puissent influencer des caractres superficiels tels que la couleur des fleursou des yeux. Mais ds quil sagissait des processus fondamentaux de lembryogense par exemple, les mouvements de la gastrulation, par lesquels laxe du corps animalprend forme , ils considraient que les gnes taient superftatoires. Il est rvlateurquils appuyaient ce mpris pour les gnes sur le fait que mme si le noyau dun uffertilis tait inactiv, la gastrulation se produisait malgr tout

    1

    . Les physiologistes,de leur ct, visaient lidentification de principes et de systmes universels . Ilspouvaient admettre que la physiologie animale ntait pas identique la physiologievgtale, que celle des vertbrs ntait pas la mme que celle des invertbrs, etmme, au sein des vertbrs, quil y avait entre les poissons et les mammifres uneprogression dans la complexit, mais sans solution de continuit et sur des basesessentiellement similaires. Ainsi, ils ne se rsolvaient pas envisager que lidal-typede LA physiologie cardio-vasculaire (par exemple) puisse diffrer selon les espces : siles rsultats provenant de deux laboratoires ntaient pas les mmes, les physiologistescherchaient tout dabord attribuer lcart des artefacts exprimentaux pluttquau fait quun de ces laboratoires travaillait sur des chiens et lautre sur des rats.On peut alors aisment imaginer que, quand notre quipe, Cambridge, chercha mettre en vidence des diffrences physiologiques entre diverses souches de souris diffrences gntiques au sein dune mme espce, donc , nos efforts furent trs

    1. Mme si on admet lobservation empirique, linterprtation en est extrmement discutable.

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  • 2

    LA

    VIE

    EXISTE

    -

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    -

    ELLE

    ?

    frachement accueillis par la communaut des physiologistes qui y virent une hrsieimpardonnable. Finalement, la grande tradition de lhistoire naturelle tait encorebien vivace. En botanique et en zoologie compares, on se dlectait encore dcrire et rpertorier la diversit des structures anatomiques et des formes de vie, et raliserune organisation taxinomique des espces, comme lavait fait Charles Darwin lors deson grand priple sur le

    Beagle

    . Outre ces descriptions compares, ltude de lvolutiontait base essentiellement sur lexamen minutieux des fossiles. La gntique despopulations tait une spcialit hautement abstraite et mathmatise, et navait prati-quement aucun impact sur les tudes de terrain.

    En 2004, les choses ont bien chang ; nous vivons prsent dans lre du toutgntique . Lembryologie rebaptise gntique du dveloppement est devenueltude de lactivation des gnes dans les diffrents tissus aux diffrents stades dudveloppement. Pour tout matrialiste consquent, la morphogense est ncessaire-ment, en dernier ressort, le rsultat de forces

    physiques

    seules capables de dterminerdes mouvements de la matire. Nanmoins, aujourdhui, on se contente de ramenerla morphogense lactivit des gnes ce qui est rvlateur, soit dit en passant, duncertain no-vitalisme qui attribue aux gnes des pouvoirs extraordinaires. Quant la physiologie, elle est devenue trs largement molculaire . On y tudie les cascadesdvnements molculaires qui suivent loccupation dun rcepteur molculaire lasurface de la cellule par un ligand (une hormone, par exemple). Comme pour lamorphogense embryologique, on ne pousse pas lanalyse jusqu identifier les effetsdune hormone sur les proprits

    physiques

    de la cellule ; on se contente de suivre lacascade jusqu ses effets sur lexpression dun ou plusieurs gnes. Ainsi, encoreune fois, on considre les gnes comme des homoncules tout-puissants. Corrla-tivement, les anciens instruments qui permettaient dobserver le fonctionnement desorganes sont rangs dans les greniers, et les physiologistes qui savaient les fabriqueret les utiliser sont la retraite. Finalement, ltude de lvolution est devenue celledes modifications qui sont intervenues dans les squences dADN depuis les premiersorganismes dots de gnes chromosomiques. Ainsi, les tudes compares entre espcesmettent au premier plan la comparaison de leurs squences dADN ; moyennant descalculs bass sur lhypothse dune horloge molculaire , cela permet de fixer unedate pour leur dernier anctre commun. Quant aux fossiles, puisque lon ne peut pasen extraire de lADN, leur tude noccupe plus une place importante ; de fait, leur rlese borne calibrer les horloges molculaires. Les naturalistes qui sintressaient lanatomie, la physiologie, aux modes de vie et aux relations cologiques entreespces sont devenus eux-mmes une espce en voie dextinction.

    Le rsultat de ce basculement dans le tout gntique est que les organismesvivants, en tant que tels, ne constituent plus un objet dtude dans la biologiecontemporaine. Un biologiste aussi fin que Franois Jacob le dit clairement :

    Onninterroge plus la vie dans les laboratoires

    . Henri Atlan confirme le diagnostic avectoute la lucidit qui le caractrise :

    Aujourdhui, un biologiste molculaire na pas

    00.Intro Page 2 Lundi, 6. septembre 2004 1:36 13

  • INTRODUCTION

    3

    utiliser, pour son travail, le mot vie Cela veut dire que la biologie tudie un objet, lobjetde sa science, qui nest pas la vie !

    [Atlan & Bousquet, 1994]. En effet, le principal objetthoriquement constitu de la biologie contemporaine nest pas la vie , mais legne .

    Or, au-del du changement intervenu depuis quarante ans dans le radicalismemme de ce basculement entre une biologie des organismes qui relguait la gntique une position marginale, et une gntique triomphante qui anantit toute possibilitdune biologie des organismes , on peut se demander sil ny a pas lexpression duneconstante sous-jacente : tout sest pass comme sil y avait une relation profonded

    exclusion mutuelle

    entre la gntique et la biologie des organismes. Le but de ce livreest de revenir sur les fondements pistmologiques de la gntique mendlienne,pour voir si on peut y dceler les racines dune telle exclusion mutuelle ; non pas pourla justifier ou la consacrer, mais au contraire pour la surmonter en cherchant les voiesdune rconciliation, dune relation plus harmonieuse et mutuellement enrichissanteentre la gntique et la biologie.

    Quest-ce quun gne ?

    Qu'est-ce qu'un gne, en effet ? Dans un dossier rvlateur publi par la revue

    LaRecherche

    en 2001, la question avait t pose dix-huit spcialistes de gntique. Lardaction de la revue avait soulign la grande diversit des rponses obtenues : il yavait autant de rponses diffrentes que de spcialistes interrogs. Cette absence deconsensus clair ntait dailleurs pas ncessairement une mauvaise chose : on pouvaity voir le signe dune science vivante en train de se faire . Mais au-del de la diversit,il y avait une constante que les rdacteurs du dossier navaient pas releve : toutes lesrponses faisaient la part belle lADN. Or, il y a quelque chose de profondmentinsuffisant dans une telle rponse. Cest un peu comme si on rpondait la question quest-ce quune chaise ? en disant : cest un objet en bois ayant une certaineforme . Mme sil tait vrai que dans la socit en question toutes les chaises sont,en loccurrence, fabriques en bois, on passerait ct dun aspect essentiel : unechaise est un objet sur lequel on sassoit. Une rponse portant uniquement sur lamatrialit du substrat est rductrice et rifiante, car elle nglige la dimension de lafonction ; et en biologie, la notion de fonction, aussi problmatique soit-elle, estfondamentale. Pour prendre un autre exemple un peu moins trivial que celui de lachaise : rpondre la question quest-ce quun gne en disant que cest un morceaudADN, cest comme si, la question quest-ce quun mot ? , on rpondait que,cest une certaine forme phonologique ou graphique. On passerait alors ct dequelque chose dessentiel : un mot, en tant quentit linguistique, possde deuxaspects absolument insparables, le signifiant (la forme sonore ou graphique) et lesignifi. Pour filer la mtaphore linguistique, la question est celle-ci : quel est le signifi dun gne ?

    00.Intro Page 3 Lundi, 6. septembre 2004 1:36 13

  • 4

    LA

    VIE

    EXISTE

    -

    T

    -

    ELLE

    ?

    Pour tre tout fait juste, la dimension fonctionnelle ntait pas totalementabsente des rponses obtenues dans lenqute de

    La Recherche

    . La fonction des gnesle plus souvent mise en avant tait celle de leur rle dans la fabrication des protines :la squence de nuclotides dans lADN code (moyennant lintermdiaire de lARN-messager) pour la squence dacides amins dans les protines. Cest, dailleurs, parrapport cette fonction que soprait le foisonnement de dfinitions diffrentes dece quest un gne. LADN chromosomique contient des squences de nuclotides (les introns ) qui ne sont pas transcrites en squences dacides amins : est-ce que lesintrons font ou non partie dun gne ? Et dautre part, en amont de la squencecodante, il y a des squences de nuclotides (les promoteurs ) qui servent rgulerla transcription : est-ce que les promoteurs font ou non partie dun gne ? Mais ce sontl des dtails relativement peu importants pour notre sujet. Si la seule fonction desgnes tait de contribuer la synthse des protines, la gntique serait simplementune sous-discipline de la biochimie, elle-mme une sous-discipline de la physiologie.Dans ce cas, la gntique ne serait pas en mesure dexercer une hgmonie

    2

    sur labiologie tout entire ; et la relation dexclusion rciproque entre la gntique et unebiologie des organismes naurait pu stablir de la mme manire.

    Ce quil faut lucider, donc, cest comment on en vient considrer que les gnesdterminent non seulement la squence dacides amins dans les protines, maislensemble des caractres de lorganisme tout entier ; et, par ailleurs, pourquoi onconsidre que les gnes forment la base de lhrdit des organismes. Si les gnesntaient que de simples molcules dADN, ils ne seraient pas capables de tels exploits.On entend souvent dire que lADN est capable la fois de se rpliquer et de sexprimer (et, partant, de diriger tous les processus de lorganisme). Or, il doit treclair quune simple molcule dADN, laisse elle-mme dans un tube essai, ne fait rien du tout. Parmi toutes les molcules biologiques, celle de lADN est chimiquementlune des plus inertes (cest bien pour cette raison quon peut lextraire, relativementpeu endommage, des momies gyptiennes ou des mammouths pris dans la glace).Ce qui est vrai, cest que,

    dans le contexte dune cellule vivante

    , une molcule dADNpeut

    tre copie

    et, par ailleurs,

    transcrite

    . Mais cela ne justifie en rien les pouvoirsexorbitants que lon accorde si souvent aux gnes. Pour faire la part des choses, pourvoir ce qui est juste et ce qui est excessif dans les proprits attribues aux gnes, ilfaut bien comprendre en quoi un gne nest pas rductible une molcule dADN.Et pour ce faire, il convient de revenir sur les fondements pistmologiques de lagntique mendlienne. Nous verrons, en effet, quil existe une dfinition de ce questun gne qui ne fait aucune rfrence lADN. Cest cette dfinition, historiquementla premire mais aujourdhui largement oublie et ignore, qui nous permettra demieux comprendre les relations entre la gntique et la biologie.

    2. Si lon veut comprendre cette hgmonie, il faut prendre en compte la confusion opre par labiologie molculaire actuelle entre gne, protine et fonction. Voir pages 88-91 pour une discus-sion de ce point.

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  • C

    H A P I T R E

    1

    La gntique formelle

    Lexprience mendlienne

    La base pistmologique de la gntique repose sur le schma de lexpriencemendlienne. Un certain nombre de commentaires pralables sont ici requis.

    Il existe une premire prcondition essentielle pour entrer en matire : il fautdisposer de deux lignes parentales exhibant une

    diffrence

    systmatique quand lesindividus sont levs dans des conditions comparables. Cela signifie notamment que,sil ny a pas de diffrence, la gntique est impuissante. Autrement dit, la gntiquepossde une tache aveugle concernant toutes les proprits qui sont

    invariantes

    ,cest--dire qui ne varient pas dun individu un autre. La diffrence en questionpeut tre quelconque (de taille, de poids, de couleur, de forme, dodeur, etc.) ; celapeut trs bien tre une diffrence de comportement, ou mme une caractristiquepsychique. La seule condition est que cette diffrence observable doit permettre de

    catgoriser

    sans ambigut un individu comme appartenant lune ou lautre ligneparentale. Nous avons suppos, dans le schma de la figure 1, quil sagit dune diff-rence de taille, de sorte que les individus peuvent tre catgoriss comme tant grands ou petits . Le fait que la gntique formelle soit une science

    diffrentielle

    est un point absolument capital : il sagit dun

    leitmotiv

    qui courra tout au long de celivre.

    La deuxime prcondition est quil doit tre possible de croiser les individus dechaque ligne entre eux. On prsuppose donc quil sagit dorganismes qui se repro-duisent sexuellement. Cela signifie que la gntique, au sens strict, ne sapplique qudes diffrences entre individus dune mme espce. Un corollaire de ces deux pr-conditions prises ensemble est que tous les individus produits par des croisements lintrieur de lune ou de lautre des lignes parentales, pendant un nombre indfinide gnrations (dans la pratique, une vingtaine de gnrations suffisent), doiventreproduire la diffrence entre les lignes qui permet de catgoriser les individus.

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    Nous sommes maintenant en mesure de procder lexprience mendlienneproprement dite. Celle-ci consiste, en premier lieu, croiser un individu de la ligneP1 avec un individu de la ligne P2, pour produire des individus de la premire gn-ration hybride (dite F1 ). Le rsultat (parfois appel premire loi de Mendel ) estque les individus de la gnration F1 sont

    uniformes

    , et ressemblent aux individus delune ou lautre ligne parentale. Dans le schma, nous avons suppos que les individusF1 ressemblaient ceux de la ligne P1, autrement dit quils taient grands .

    Ensuite, on croise des individus F1 entre eux. Le rsultat ( deuxime loi deMendel ) est quon voit apparatre dans la gnration F2 (la deuxime gnrationhybride) des individus varis, dans les proportions (statistiques) dun quart petits (ressemblant la ligne P2), et de trois quarts grands (ressemblant la ligne P1).

    Sur ces bases, on peut procder au raisonnement suivant. 1) Les individus de la gnration F1 ont d recevoir quelque chose de leur parent

    P2. La preuve en est que, quand ces individus F1 sont croiss entre eux, ils pro-duisent des descendants petits , cest--dire exhibant le type de la ligne P2 ;alors que des individus dans la ligne P1 ne produisent jamais de descendants

    Gnration Ligne parentale 1 (P1) Ligne parentale 2 (P2)

    Grand Grand

    Grand Grand

    Grand Grand

    Petit Petit

    Petit Petit

    Petit Petit

    Grand Petit

    Tous Grands

    F1 F1

    3/4 Grands : 1/4 Petits

    P

    F1

    F2 (statistiquement)

    Figure 1. Le schma de lexprience mendlienne Des individus issus de deux lignes parentales, P1 et P2, sont croiss pourproduire la gnration F1. Des individus F1 sont croiss entre eux pourproduire la gnration F2.

    01.Stewart Page 6 Lundi, 6. septembre 2004 1:36 13

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    petits . Il est clair que les individus F1 ont aussi reu quelque chose de leurparent P1 non seulement parce quils ont des descendants grands exhibantle type P1, mais aussi parce quils ressemblent eux-mmes au type P1.

    2) Il sensuit quil convient de faire une distinction entre le phnotype et le gnotype dun individu. Le phnotype correspond ici

    1

    lapparenceextrieure de lindividu le fait dtre grand ou petit , ce qui permet de lecatgoriser comme appartenant au type P1 ou P2. Le gnotype correspond la constitution gntique de lindividu, rvle par son comportement loccasiondes croisements. Le gnotype est compos de ces quelque chose reus de chacundes deux parents, et transmis ses descendants. La distinction entre phnotypeet gnotype est ncessaire, car les individus F1 ont le mme phnotype que leurparent P1 (ils sont grands ), mais leur gnotype est manifestement diffrent (ilsont des descendants petits , alors que les individus P1 croiss entre eux nontjamais de descendants petits ). On apprcie prsent toute limportance desprconditions, qui nous assurent que des individus P1 croiss entre eux nontjamais que des descendants grands . On peut donc dresser le tableau suivant,qui rsume les relations entre gnotype et phnotype :

    Tableau 1

    3) Considrons prsent les individus F2 qui ont le phnotype petit . On voit,daprs le tableau ci-dessus, que leur gnotype est ncessairement compos de quelque chose uniquement de type P2. En effet, si leur gnotype comportaitdes quelque chose de type P1 en plus des quelque chose de type P2 , ilsauraient immanquablement exhib le phnotype grand . Il sensuit que chacunde leurs deux parents F1 a d leur transmettre

    uniquement

    des quelque chose detype P2 . On arrive une conclusion de la plus haute importance. Ces quelque

    1. Plus gnralement, le phnotype nest pas forcment lapparence

    extrieure

    de lorganisme, maiscorrespond nimporte quelle caractristique mesurable au besoin moyennant des techniquesdobservation de caractristiques physiologiques, biochimiques, histologiques ou autres qui sont internes lorganisme. Nous en verrons des exemples par la suite, notamment pages 98-119.

    Gnotype Phnotype Illustration

    Des quelque chose uniquement de type P1

    Grand (P1)

    Des quelque chose uniquement de type P2

    Petit (P2)

    Des quelque chose de type P1

    plus

    des quelque chose de type P2 Grand (F1)

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    chose , qui peuvent tre soit de type P1 soit de type P2, ont un caractre

    discret

    :ce sont des particules qui peuvent sortir non contamines par une cohabitationavec des quelque chose de lautre type (comme ctait le cas au sein du gno-type des individus F1). Ce ne serait pas le cas, par exemple, si ces quelque chose pouvaient se mlanger, comme le feraient de leau et de lencre ; car aprs un telmlange, on ne peut retrouver de leau pure. Ce phnomne, qui tablit la naturediscrte de ces quelque chose qui constituent le gnotype, sappelle la

    sgrga-tion

    : il sagit du phnomne le plus important de toute la gntique mendlienne.En effet, ces quelque chose discrets, qui peuvent tre soit de type P1 soit detype P2, sont les facteurs mendliens que lon appellera par la suite des gnes .

    4) Pour aller plus loin, nous aurons besoin dintroduire une notation. En effet, lespriphrases quelque chose de type P1 et quelque chose de type P2 , naturellesdans un premier temps, vont vite devenir excessivement lourdes ds quil sagirade les manipuler souvent et, comme nous allons le voir, ce sera le cas. Cestpourquoi les gnticiens, commencer par Mendel lui-mme, ont remplaclexpression quelque chose de type P1 par un simple symbole, par exemple G ,et lexpression quelque chose de type P2 par un symbole apparent : g . Ondevine les raisons dun tel choix. Le symbole G est un aide-mmoire pour lephnotype Grand ; le g rappelle que dans la combinaison G + g, le phno-type est toujours Grand (on dit que le g est rcessif , alors que le G est dominant ). Nanmoins, le choix de ce systme de notation aura des cons-quences extrmement graves par la suite, car il laisse entendre que le G enquestion possde en lui-mme quelque chose de Grand , quun quelque chosede type P1 porte en lui-mme, inscrit comme un homoncule, le caractre Grand . Or, le caractre foncirement diffrentiel de la gntique mendliennesignifie que cela nest absolument pas justifi. Du fait que, toutes choses galespar ailleurs, une

    diffrence

    entre un quelque chose de type P1 et un quelquechose de type P2 puisse tre la cause dune

    diffrence

    entre un phnotype grand et un phnotype petit , il ne suit en rien que les quelque chose en questionsoient eux-mmes grands ou petits . Cette confusion est catastrophique, car elle alimente la base lhgmonie induede la gntique. Cest elle qui donnera lieu des locutions malencontreuses, comme un gne

    de

    la schizophrnie ou un gne

    de

    lintelligence (voir pages 96-97).Cependant, le besoin dune notation maniable est bien rel. Je propose, pour lasuite, un compromis : au lieu de G ou g , je vais employer des symboles dugenre G/ ou /G , g/ ou /g . La notation / intervient pour rappelerque les quelque chose en question autrement dit, les facteurs mendliens oules gnes ne sont pas eux-mmes porteurs du caractre phnotypique lui-mme.

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    5) Aprs cet interlude consacr la notation, revenons au raisonnement partir delexprience mendlienne. Jusquici, largument tait quasiment dductif ; pourfaire un pas de plus, il faut introduire des hypothses. La premire question est desavoir combien de facteurs G/ ou g/ sont ncessaires pour constituer ungnotype, et combien de facteurs un individu reoit de chacun de ses parents.Lhypothse la plus simple est quun individu reoit un seul facteur de chaqueparent, et que le gnotype comporte alors deux facteurs. Et cest cette hypothseque nous allons retenir pour examiner ses consquences. Quand un individudeviendra son tour un parent, il (ou elle) transmettra lun ou lautre de ses deuxfacteurs chacun de ses descendants. La deuxime question est donc de savoircomment le choix du facteur transmettre est dtermin. Lhypothse est ici quece choix est dtermin alatoirement. Autrement dit, le facteur paternel est trans-mis avec une probabilit de 50 %, lautre facteur (maternel) ltant galementavec une probabilit de 50 %. Il est noter que puisque chaque individu na que deux parents, mais quil peutavoir un nombre illimit de descendants, ces hypothses impliquent quun gnepeut

    tre copi

    pour donner lieu un nombre illimit dexemplaires

    2

    .Nous pouvons prsent reprendre le tableau 1 sous une forme plus lgante :

    Tableau 2

    Ces deux hypothses sont suffisantes pour gnrer des prdictions quantitatives,en premier lieu concernant la gnration F2. Dressons le tableau suivant :

    Tableau 3

    2. En fait, ce serait dj le cas si chaque parent navait que deux descendants (le strict minimum pourassurer la survie de lespce). En effet, si les gnes reus des parents taient simplement transmistels quels, sans tre copis, aprs avoir transmis un gne (par exemple, le gne paternel) unpremier descendant, il ne resterait que lautre gne (maternel, dans notre exemple) transmettreau deuxime descendant. Dans ce cas, les proportions dans les gnrations F2,

    backcross

    , etc., neseraient pas statistiques, mais exactes ce qui nest pas le cas. Nous nentrerons pas ici plus avantdans ces considrations statistiques, qui peuvent devenir subtiles et complexes.

    Gnotype Phnotype

    G//G Grand

    g//g Petit

    G//g (=g//G) Grand

    Facteur transmis par le deuxime parent F1 : Facteur transmis par le premier parent F1 :

    50 % g/ 50 % G/

    50 % /G 25 % G//G 25 % g//G

    50 % /g 25 % G//g 25 % g//g

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    En se rapportant au tableau 2, on voit que le gnotype g//g correspond au phno-type Petit , que les gnotypes G//g et g//G (qui sont identiques) correspondentau phnotype Grand , et que le gnotype G//G correspond aussi au phnotype Grand . La prdiction est donc que dans la gnration F2, il y aura 25 % + 25 %+ 25 % = 75 % dindividus Grands , et 25 % dindividus Petits . Cette prdic-tion est conforme aux rsultats de la figure 1.

    6) videmment, jusquici notre schma na fait que rendre compte des observationsinitiales qui ont servi son laboration. Cest bien la moindre des choses. Maiscomme la soulign Popper, une hypothse scientifique se doit de fournir, au-deldes observations initiales, des prdictions nouvelles qui permettront de mettrelhypothse lpreuve. Mendel a ralis un grand nombre dexpriences ultrieuresde ce type. Par exemple, il a crois les individus F2 entre eux, pour produire desgnrations F3, F4, etc. Il faut prciser ici que Mendel travaillait sur des petits pois,des organismes hermaphrodites qui permettent de croiser un individu avec lui-mme. Dans ces conditions, les prdictions ne sont pas trop difficiles tablir. Ense rapportant au tableau 3, on voit que les 25 % dindividus qui ont le gnotypeg//g (et qui ont donc le phnotype petit ), croiss avec eux-mmes, auront desdescendants 100 % g//g avec le phnotype donc petit . Cela se prolongera, biensr, dans les gnrations F4, F5 On est revenu, en quelque sorte, la ligneparentale P2 ce qui fournit une illustration de plus de la nature discrte desfacteurs g/, qui nont t en rien contamins par leur passage dans la gnrationF1 o ils ont ctoy, au sein dun mme gnotype, des facteurs de type G/. Quenest-il si on croise avec eux-mmes des individus de la gnration F2 ayant lephnotype grand ? Toujours daprs le tableau 3, on voit que 25 % / 75 %,cest--dire un tiers de ces individus, ont le gnotype G//G ; la prdiction est doncque 100 % de leurs descendants auront le gnotype G//G et un phnotype grand (on est revenu en quelque sorte la ligne parentale P1, et on voit queles facteurs G/ nont pas non plus t contamins par le fait davoir ctoy desfacteurs g/). 50 % / 75 %, cest--dire les deux tiers restants des individus grands de la gnration F2, auront un gnotype G//g (comme les individus F1) : croissavec eux-mmes, ils auront donc des descendants varis, 75 % grands et 25 % petits . Ces prdictions qui sont assez prcises et dtailles, et qui nont riende trivial ont t amplement vrifies par Mendel. On laissera au lecteur le soindimaginer dautres types de croisements, et den tablir les prdictions ; cest unexercice hautement recommandable afin de simprgner du schma mendlien. On terminera cette section avec un croisement particulier qui sera dune grandeutilit pour la suite. Il sagit du croisement dun individu F1 avec un individu dela ligne parentale P2 (ce que lon appelle un

    backcross

    ). Le tableau permettantdtablir la prdiction est celui-ci :

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    Tableau 4

    Les individus G//g ayant un phnotype grand , et les individus g//g un phno-type petit , la prdiction est donc que les individus issus dun backcross seront50 % grands et 50 % petits . Cette prdiction a t galement vrifie parMendel.

    7) Aujourdhui, on emploie couramment le terme phnotype pour dsignernimporte quel trait mesurable dun organisme. On ninsistera jamais assez sur lefait que cet usage nest pas conforme au cadre conceptuel de la gntique formelleinitie par Mendel. Dans ce cadre, un trait mesurable nest vritablement un phnotype que : a) sil exhibe une diffrence catgorielle, et b) si cette diff-rence se comporte dans des croisements en conformit avec le schma mendlien(celui de la figure 1, et aussi les autres croisements illustrs dans la section 6ci-dessus). En effet, cest seulement dans ces conditions que lon peut tablir letableau 2 spcifiant les relations entre phnotype et gnotype. Autrement dit, lesdeux concepts cls de phnotype et de gnotype forment un couple ins-parable ; un phnotype se

    dfinit

    par le fait quil permet de suivre la trace lasgrgation de facteurs mendliens. Pour souligner ce point tout fait essentiel,je propose demployer le nologisme phnotype mendlien pour dsigner unphnotype ainsi dfini. Cela permet de dire que la plupart des phnotypes , ausens lche de nimporte quel trait mesurable, ne sont pas des phnotypes men-dliens . Mendel a dcouvert un certain nombre de phnotypes mendliens chez ses petits pois

    3

    ; il na pas fait grand tat de ses checs avec des phnotypes non mendliens , bien quil y en ait trs certainement eu, notamment quandil a cherch gnraliser ses rsultats dautres espces. Mais la science nauraitrien gagn, au contraire elle aurait t singulirement appauvrie, si Mendel avaitnoy sa grande dcouverte concernant les phnotypes mendliens dans une massedobservations non interprtables.

    Facteur transmis par le parent P2 g//g :Facteur transmis par le parent F1 G//g :

    50 % G/ 50 % g/

    100 % /G 50 % G//g 50 % g//G

    3. Mendel a travaill avec sept caractres diffrentiels : trois caractres concernent les graines(forme arrondie ou ride , tguments bruns ou verts, cotyldons jaunes ou verts la germination),deux caractres concernent les gousses (avec ou sans tranglement, couleur verte ou jaune de lagousse non mre), et deux caractres concernent la position des fleurs (axiale ou terminale) et lalongueur des tiges (longues ou courtes) [Mazliak, 2002].

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    ?

    Le

    linkage

    et les expriences de Morgan

    La cartographie

    Que se passe-t-il si lon observe simultanment, chez les mmes individus, lecomportement de

    deux

    phnotypes mendliens ? Imaginons, dans le schma de la fi-gure 1, que les individus de la ligne P1 sont Rouges et les individus de la ligne P2Blancs, que les individus F1 sont tous Rouges, et que dans la gnration F2 on retrouvela relation statistique de 1/2 Rouges et 1/2 Blancs. On pourra en infrer, exactementde la mme manire que prcdemment, quil existe une paire de facteurs mendliensque lon peut dsigner par R/ et r/. Quelle prdiction peut-on faire concernant ladistribution

    conjointe

    des phnotypes Grand versus Petit, et Rouge versus Blanc, dansla gnration F2 ? Dans toutes les expriences de ce type quil a effectues, Mendel aobserv que les proportions taient de 9 Grand-Rouge, 3 Grand-Blanc, 3 Petit-Rouge,1 Petit-Blanc. Il en a dduit que la sgrgation des facteurs G/ et g/ et celle des facteursR/ et r/ taient

    indpendantes

    . On appelle parfois troisime loi de Mendel cettergle de la sgrgation indpendante. Toutefois, dans les annes 1920, le gnticienamricain Morgan et ses collaborateurs, qui avaient tudi le comportement dun trsgrand nombre de phnotypes mendliens chez le moucheron de lespce

    Drosophilamelanogaster

    , ont dcouvert que cette troisime loi ntait pas toujours respecte.Pour tudier lindpendance (ou non) de la sgrgation simultane de plusieurs

    facteurs mendliens, il est plus commode de considrer non pas le croisement F2,mais plutt le backcross des individus F1 avec la ligne parentale P2. Dans le casdune sgrgation indpendante, dans les mmes conditions que prcdemment, onprvoit les proportions : 25 % Grand-Rouge, 25 % Grand-Blanc, 25 % Petit-Rouge,25 % Petit-Blanc. Mais envisageons un cas plus gnral, o les proportions seraientles suivantes :

    Tableau 5

    Si le phnotype Grand versus Petit est bien un phnotype mendlien (ce qui estbien lhypothse de dpart), le backcross aura la composition : 50 % grands , 50 % petits . Par consquent, nous avons :

    Phnotype conjoint Proportion

    Grand-Rouge a

    Grand-Blanc b

    Petit-Rouge c

    Petit-Blanc d

    Somme 100 %

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    13

    a + b = c + d quation [1]

    De mme, concernant le phnotype Rouge versus Blanc, nous avons :

    a + c = b + d quation [2]

    En additionnant les quations [1] et [2], nous avons :

    2a + b + c = c + b + 2d do

    2a = 2det donc

    a = d quation [3]Par soustraction des quations [1] et [2], nous avons :

    b c = c bdo

    2b = 2cet donc

    b = c quation [4]

    Les deux catgories Grand-Rouge et Petit-Blanc correspondent des combi-naisons dj prsentes dans les lignes parentales P1 et P2. Puisque les proportionsde ces deux catgories sont ncessairement gales (daprs lquation [3]), nous neperdons aucune information les runir dans une seule catgorie parentale ayantune frquence (a+d). De faon similaire, les deux catgories Grand-Blanc et Petit-Rouge correspondent des combinaisons inexistantes dans les lignes parentalesP1 et P2. Puisque les proportions de ces deux catgories sont ncessairement gales(daprs lquation [4]), nous ne perdons pas non plus dinformations utiles en lesrunissant dans une seule catgorie recombinante ayant une frquence (b+c). Parconsquent, on peut rsumer de faon conome les rsultats de ce genre dexprienceen retenant seulement un seul chiffre : la proportion de phnotypes recombinants = (b+c)/(b+c+a+d). Nous pouvons dsigner cette proportion, le taux de recombi-naison , par le symbole r . Dans le cas o les sgrgations de deux facteursmendliens sont indpendantes, r prendra la valeur de 50 %. Ce que Morgan et sescollaborateurs ont dmontr, cest que dans bien des cas la valeur de r tait

    moins

    que50 % ; autrement dit, que la sgrgation de lun des facteurs tait lie celle delautre. Ce phnomne est dsign, en anglais, par le terme

    linkage

    . La prochaine tape, dun niveau dabstraction suprieur, consiste tudier les

    relations qui peuvent exister concernant les taux de recombinaison r entre troisfacteurs mendliens. Dsignons ces trois facteurs par les tiquettes 1 , 2 et 3 .Nous avons alors trois taux de recombinaison entre les facteurs pris deux deux : r

    12

    ,r

    23

    et r

    13

    . Sans perte de gnralit, nous pouvons renommer les trois facteurs de tellesorte que r

    13

    soit toujours le taux de recombinaison le plus lev des trois. Schmati-quement, les rsultats obtenus par lquipe de Morgan taient les suivants :

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    ?

    Tableau 6

    Comment peut-on interprter ces rsultats ? Tout dabord, on peut remarquer quesi r

    12

    et r

    23

    sont tous les deux petits moins de 10 % chacun , il existe une relationsimple : r

    13

    est la

    somme

    de r

    12

    et r

    13

    . Algbriquement, r

    13

    = r

    12

    + r

    23

    . Cela suggrelinterprtation suivante : tout se passe comme si les taux de recombinaison corres-pondaient des

    distances

    sur une carte, et que les facteurs mendliens taient organissde faon

    linaire

    sur cette carte. Ainsi par exemple, si la distance entre Londres etSalzbourg est de 1100 km, la distance entre Salzbourg et Istanbul est de 1470 km, etla distance entre Londres et Istanbul est de 2580 km (autrement dit, la somme de1100 + 1470), cela signifie que les trois villes sont alignes en une ligne droite sur lacarte (ce qui est peu prs le cas).

    Ensuite, on remarquera que cette relation simple ne tient plus au fur et mesureque les taux de recombinaison augmentent. Pour des valeurs de r

    12

    et de r

    23

    au-dessusde 10 %, r

    13

    est toujours

    moins

    que la somme de r

    12

    et r

    13

    , et ne dpasse en aucun casla limite de 50 %. Mais si on persiste dans lide dune organisation linaire desfacteurs gntiques sur une carte, cela peut sexpliquer aussi. En effet, si les facteursgntiques sont ordonns linairement les uns par rapport aux autres, pour quil y aitrecombinaison entre le Facteur 1 et le Facteur 3, il faut quil y ait :

    soit une recombinaison entre 1 et 2, mais alors pas de recombinaison entre 2 et 3(car alors la double recombinaison nous ramnerait la configuration parentale du dpart) ;

    soit une recombinaison entre 2 et 3, mais alors pas de recombinaison entre 1 et 2(pour les mmes raisons que prcdemment).

    Afin dexprimer cette ide mathmatiquement, il convient de diviser les taux derecombinaison par 100, pour les transformer en probabilits : p

    12

    , p

    23

    et p

    13

    . Ainsi,

    r

    12

    r

    23

    r

    13

    1 1 21 2 32 3 53 5 85 8 138 13 19

    13 19 2719 27 3627 36 4436 44 4844 48 5050 50 50

    01.Stewart Page 14 Lundi, 6. septembre 2004 1:36 13

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    15

    la probabilit dune recombinaison entre 1 et 3 est la probabilit dune recombinaisonentre 1 et 2, mais non pas entre 2 et 3 ; plus la probabilit dune recombinaison entre2 et 3, mais non pas entre 1 et 2. Cela donne :

    p

    13

    = p

    12

    (1 p

    23

    ) + p

    23

    (1 - p

    12

    ) = p

    12

    + p

    23

    2 p

    12

    p23 quation [5]

    Or, les rsultats du Tableau 6 sont en parfait accord avec cette relation ( unefraction de % prs). Ainsi se consolide le concept selon lequel les facteurs gntiquessont situs les uns ct des autres sur une carte linaire. Cest ainsi que Morganet ses collaborateurs ont synthtis leurs rsultats ; et cest plus que jamais le casaujourdhui avec la cartographie des gnomes. Il faut souligner que ce rsultatnest en aucun cas trivial. Il ny aurait aucune impossibilit algbrique ce quon aitdes rsultats du genre : r12 = r23 = r13 = x %, que x ait la valeur de 1 %, 5 % ou 25 %.Or, ce nest absolument pas ce que lon trouve (sauf dans le cas limite o x = 50 %,qui est prcisment prvu par lquation [5]). Par consquent, il est tout fait lgitimedinterprter les rsultats du Tableau 6 comme une confirmation de lhypothse selonlaquelle les facteurs gntiques sont aligns sur une carte linaire.

    Aprs avoir tudi des centaines de phnotypes mendliens chez les drosophiles,Morgan et ses collaborateurs sont parvenus regrouper tous les facteurs correspon-dants dans quatre groupes de linkage . Pour des facteurs appartenant des groupesdiffrents, le taux de recombinaison tait de 50 %, et la sgrgation tait donc ind-pendante. Pour des facteurs appartenant un mme groupe, tous les rsultats taientconformes lquation [5], signifiant un alignement linaire. En additionnant deproche en proche les taux de recombinaison entre des facteurs adjacents sur la carte,il tait possible destimer la longueur totale de chaque groupe de linkage. On nom-me cette unit de mesure le centi-Morgan , ou cM, en lhonneur de son inventeur.Les rsultats pour les quatre groupes de linkage chez les drosophiles taient les suivants :

    Tableau 7

    Afin de consolider cette vision cartographique des facteurs mendliens, lemoment est venu dintroduire quelques termes techniques employs par les spcialistesde la gntique formelle. Le fait que chaque facteur occupe un site bien dterminsur une carte est exprim par lemploi du terme consacr de locus pour dsignerce site. Les diffrentes formes dun mme facteur, que nous avons jusquici dsignes

    Groupe cM

    I 103

    II 106

    III 87

    IV 4

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  • 16 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    par des symboles du type G/ et g/, sont appeles des allles. On dit donc que les diff-rents allles dun mme facteur (ou gne ) peuvent occuper le mme locus. Deuxautres termes techniques : on dit quun individu est homozygote (pour un locus donn)si les deux allles sont identiques ; lindividu est htrozygote si les deux allles sontdiffrents. Ainsi, les individus P1 et 25 % des individus F2 sont homozygotes pour lesallles G//G ; les individus P2 et 25 % des individus F2 sont des homozygotes g//g ;tous les individus F1 et 50 % des individus F2 sont des htrozygotes G//g.

    Le sex-linkage

    Avant de terminer cette section sur les travaux de lcole de Morgan, il y a unedernire srie dexpriences qui se sont prsentes dans un premier temps commeune bizarrerie, mais dont linterprtation sest rvle finalement fort instructive etqui apportent une pierre considrable ldifice de la gntique formelle. Soit lexp-rience suivante, portant sur le phnotype chez les drosophiles de la couleur des yeux,qui pouvaient tre soit rouges soit blancs. On dispose donc, conformment au schmade la figure 1, de deux lignes parentales : chez P1 les individus ont invariablementles yeux rouges, chez P2 les yeux blancs. On produit une gnration F1 en croisantune femelle P1 avec un mle P2 ; ces individus F1 sont uniformment rouges. Oncroise ces individus F1 entre eux pour produire une gnration F2 ; on trouve 75 %dindividus rouges, 25 % dindividus blancs. On en conclut, comme prcdemment,que la diffrence entre individus rouges et blancs est imputable la sgrgation dunfacteur mendlien, dont on peut dsigner les allles par R/ et r/ . Jusquici, il ny a riende nouveau, et tout va bien.

    Cependant, y regarder de plus prs, on a une premire surprise : on constate queles individus blancs de la gnration F2 sont tous des mles ! Cette association trsmanifeste entre le sexe et le fait davoir un phnotype rouge ou blanc indique que ladiffrence de sexe le fait dtre mle ou femelle est dtermine par la sgrgationdun facteur mendlien troitement li au locus occup par les allles R/ et r/ . Dsi-gnons les allles en question par M/ et F/ . Il existe alors deux possibilits simples :soit les individus htrozygotes M//F sont des mles, auquel cas les femelles serontdes homozygotes F//F ; soit les individus htrozygotes M//F sont des femelles,auquel cas les mles seront des homozygotes M//M. Dans les deux cas, le croisemententre un mle et une femelle est en quelque sorte un backcross, ce qui explique pourquoila proportion des mles et des femelles parmi les descendants est gnralement de50 % / 50 %. Nous admettrons, sans en faire la dmonstration, que dans le cas quinous intresse ici ce sont les mles qui sont htrozygotes M//F, et que les femellessont des homozygotes F//F. (Cest effectivement le cas chez les drosophiles, et plusgnralement chez les insectes et aussi chez les mammifres ; par contre, chez lesoiseaux et chez certains reptiles, ce sont les femelles qui sont htrozygotes et lesmles homozygotes). Voyons si ces hypothses permettent dexpliquer les rsultatsde lexprience.

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  • LA GNTIQUE FORMELLE 17

    Chez la ligne P1, les femelles auront le gnotype R-F//R-F, et les mles le gnotypeR-F//R-M. Chez la ligne P2, les femelles auront le gnotype r-F//r-F, et les mles legnotype r-F//r-M. Si donc on croise une femelle P1 avec un mle P2, les femelles F1auront le gnotype R-F//r-F, et les mles F1 auront le gnotype R-F//r-M. Ces gnotypesont tous le phnotype rouge , ce qui est conforme lobservation. Afin dtablirune prdiction pour le F2, on prsuppose quil ny a pas de recombinaison entre lesallles R/ ou r/, et les allles M/ ou F/. Cela permet de dresser le tableau suivant(comparable au Tableau 3) :

    Tableau 8

    On voit que les 25 % dindividus ayant le gnotype r//r (et donc un phnotype blanc ) ont aussi un gnotype M//F (et donc le phnotype mle ) ; les 75 %dindividus restants ont tous un gnotype R//R ou R//r (et donc, mles ou femelles,auront un phnotype rouge ). Ces prdictions sont conformes lobservation.Toutefois, on peut signaler (sans en faire la dmonstration, quon laissera au soin deslecteurs devenus des adeptes de la gntique formelle deffectuer) que si lon avaitadopt lhypothse alternative, selon laquelle les femelles sont des htrozygotesF//M et les mles des homozygotes M//M, on aurait abouti la mme prdictionconcernant les proportions des phnotypes chez les mles et les femelles de la gn-ration F2. Cela illustre bien le point soulign par Popper, selon lequel la vrificationdune prdiction, aussi gratifiant que cela puisse tre, ne constitue jamais une preuvedfinitive de la validit dune hypothse, car il est toujours possible quune hypothsealternative fournisse la mme prdiction. Ainsi, seules les rfutations sont dcisives.Puisque, de toute faon, nous navons jusquici russi qu reproduire les observationsinitiales qui ont suscit llaboration de nos hypothses, il convient de procder desprdictions indites.

    On va donc tablir des prdictions concernant lexprience suivante, qui estune variante de la prcdente. Cette fois-ci, on produit la gnration F1 en croisantun mle P1 avec une femelle P2. En se basant sur les mmes hypothses que prcdem-ment, les femelles F1 auront le gnotype r-F//R-F, et les mles F1 auront le gnotyper-F//R-M. On prvoit donc que les individus F1, mles ou femelles, seront uniform-ment rouges. Afin dtablir les prdictions pour la gnration F2, on dresse le tableausuivant :

    Facteurs transmis par le parent F1 femelle :

    Facteurs transmis par le parent F1 mle :

    50 % R-F/ 50 % r-M/

    50 % /R-F 25 % R-F//R-F 25 % r-M//R-F

    50 % /r-F 25 % R-F//r-F 25 % r-M//r-F

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  • 18 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    Tableau 9

    On prvoit donc quen F2, il y aura 25 % dindividus r-F//r-F avec un phnotype femelle aux yeux blancs , et que les 75 % restants, mles ou femelles, auront lesyeux rouges .

    Quand on ralise lexprience, ces prdictions ne sont que trs partiellementremplies. Certes, dans la gnration F2, il y a 25 % dindividus qui sont des femellesaux yeux blancs, comme le voulait la prdiction. Mais, premire surprise, la moitides mles (25 % de la F2, donc) ont aussi les yeux blancs ! Plus choquant encore, dj la gnration F1, autre grande surprise : les femelles avaient bien les yeux rougescomme prvu, mais tous les mles avaient les yeux blancs ! Comment peut-oncomprendre ces rsultats ?

    examiner calmement la situation, il en ressort que les anomalies proviennenttoutes dun seul gnotype, r-F//R-M, que lon retrouve chez tous les mles F1 et lamoiti des mles F2. Ces individus sont tous bien des mles, comme le veulent noshypothses ; mais ils ont les yeux blancs, alors quils devraient avoir les yeux rougesen vertu de leur gnotype R//r. Tout se passe, donc, comme si lallle R/, quand il estassoci avec lallle M/, tait inactiv ou peut-tre mme absent. Dans ces conditions,le phnotype est dtermin exclusivement par lallle associ lallle F/. On peutexprimer cette nouvelle hypothse en mettant lallle R/, ou r/, entre parenthseschaque fois quil est associ lallle M/. On crit donc : {R}-M/ et {r}-M/. On laisseraau lecteur le soin de vrifier que cet ajustement permet bien de rendre compte desobservations (cest la moindre des choses, car la nouvelle hypothse tait laboreprcisment pour cela), et que, par ailleurs, les prdictions concernant lexprienceprcdente, illustre schmatiquement dans le Tableau 9, restent inchanges. Dautrepart, on signalera que cet ajustement, finalement assez lgant et conome, ne fonction-nerait pas dans le cas de lhypothse alternative selon laquelle les femelles seraientF//M et les mles M//M. On tient donc ici une indication positive concernant notrehypothse, admise jusquici sans dmonstration, selon laquelle le gnotype M//Fcorrespond un phnotype mle et que le gnotype des femelles est F//F.

    Bien sr, puisquon vient de rajuster nos hypothses, il faudrait pour tre complettablir de nouvelles prdictions. On peut le faire, notamment concernant les quatretypes de backcross possibles (on peut produire le F1 soit en croisant une femelle P1avec un mle P2, soit en croisant un mle P1 avec une femelle P2 ; et dans les deuxcas, on peut raliser le backcross soit en croisant une femelle F1 avec un mle P2,soit en croisant un mle F1 avec une femelle P2). Mais le but nest pas de lasser nos

    Facteurs transmis par le parent F1 femelle :

    Facteurs transmis par le parent F1 mle :

    50 % r-F/ 50 % R-M/

    50 % /R-F 25 % r-F//R-F 25 % R-M//R-F

    50 % /r-F 25 % r-F//r-F 25 % R-M//r-F

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  • LA GNTIQUE FORMELLE 19

    lecteurs de la gntique formelle (ceux et celles qui y auront pris got peuvent exa-miner ces cas comme un exercice) ; on se contentera donc de dire que ces prdictions,et bien dautres encore, ont bien t vrifies par Morgan et ses collaborateurs. Ainsi,les hypothses que nous avons formules sont, sinon dfinitivement prouves (maisrappelons, en suivant Popper, quaucune hypothse scientifique ne lest jamais), tout le moins trs bien tayes.

    Avant de quitter les travaux de lcole de Morgan, nous ferons une dernire remar-que sur ce phnomne que lon nomme en anglais le sex-linkage . Nous avonssuppos, afin dtablir le Tableau 8, quil ny avait pas de recombinaison entre lesallles R/ ou r/, et les allles M/ ou F/ . Maintenant que nous avons tabli que lallleM/ annule en quelque sorte les allles R/ ou r/ qui lui sont associs ce que nousavons exprim par les formules {R}-M/ et {r}-M/ labsence de recombinaison entreM/, dune part, et R/ ou r/, dautre part, sexplique naturellement. Il reste la questiondune possible recombinaison entre lallle F/ et les allles R/ ou r/. De telles recombi-naisons pourraient se produire chez des individus femelles avec le gnotype R-F//r-F ;seulement elles seraient indcelables, car la mre ne peut que transmettre sesdescendants les combinaisons R-F/ et r-F, dans les proportions 50 % / 50 %, quil yait ou non recombinaison. Pour cette raison, on ne peut pas cartographier les alllesF/ (et M/). Par contre, il existe un grand nombre de loci (chez les drosophiles, notam-ment) qui exhibent le phnomne de sex-linkage cest--dire que les phnotypesexhibent le mme type de comportement que celui que lon vient de dcrire pour ladiffrence phnotypique yeux rouges versus yeux blancs . Or, pour tous ces locipris deux deux, on peut parfaitement produire (chez des femelles) des individus quisont des doubles htrozygotes (ce qui est la condition pour quune recombinaisonsoit dcelable). Il est donc tout fait possible de cartographier ces loci entre eux. Ilnest pas surprenant (mais il est quand mme rconfortant) que ces loci se regroupenttous dans un seul groupe de linkage, dans le sens que nous avons dfini page 15 (enloccurrence, il sagit du groupe III du Tableau 7).

    Lapothose de la gntique formelle

    Rsum

    Essayons de rsumer succinctement les conclusions essentielles auxquelles noussommes parvenus. Dans ce chapitre, lobjet principal est une entit que nous avonsappele successivement : un quelque chose qui peut tre de type 1 ou de type2 , un facteur mendlien , et un gne . Dornavant, nous pouvons considrerque ces trois expressions sont synonymes. Il sera utile pour la suite de donner unedfinition de ce quest un gne :

    Dfinition 1 : Un gne est un facteur tel quune diffrence entre des formes de cefacteur est la cause dune diffrence entre des formes dun phnotype mendlien.

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  • 20 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    Dans le contexte de la gntique formelle, un gne est une entit que lon nepeut pas observer directement en tant que telle. Cest un objet scientifique quiest constitu, de prime abord, en thorie ; on ne peut lobserver, et le caractriser,quindirectement, en vertu de ses effets sur dautres entits qui, elles, sont observables.Dun point de vue pistmologique, ce nest pas une nouveaut, au contraire : cetgard, les gnes sont comparables dautres objets scientifiques majeurs commeles atomes en chimie, les particules lmentaires en physique ou les trous noirs enastronomie, qui eux aussi sont constitus en thorie et ne sont observables quindi-rectement en vertu de leurs effets.

    Dans le cas des gnes, les effets en question sont des diffrences phnotypiquesdans des croisements contrls. Or, malgr la grande simplicit de ces observationset malgr le fait quil sagit dobservations qui ne portent quindirectement sur lesgnes eux-mmes, nous avons pu caractriser les gnes avec une prcision et un dtailtout fait remarquables. Faisons linventaire de leurs caractristiques, assorti de quel-ques commentaires :

    Les gnes sont des entits discrtes, qui ne se mlangent pas quand elles se ctoient.(Commentaire : Les gnticiens de lpoque classique les concevaient volontierscomme de petites particules ou, dune faon plus image, comme de petites billessolides. Autrement dit, les gnes ne sont pas des entits ayant la continuit dunfluide, car dans ce cas ils se mlangeraient irrvocablement comme de lencre etde leau. Mais ce ne sont l que des mtaphores).

    Chaque gne possde deux formes distinctes, que lon appelle des allles. (Commen-taire : Un gne peut, ventuellement, possder plusieurs allles : trois, quatre oumme plus ; dans ce cas, on parle dune srie alllique . La seule condition estquune diffrence dallle doit correspondre une diffrence dans un phnotypeobservable. Par contre, un gne nayant quun seul allle serait de ce fait inobser-vable, mme indirectement4).

    Pour un gne donn, le gnotype entit thorique que lon ne peut dfinir quedans sa relation avec un phnotype diffrentiel est compos dexactement deuxgnes. (Commentaire : rappelons que le phnotype nest pas nimporte queltrait mesurable de lorganisme. Ce que nous avons appel un phnotype men-dlien doit permettre de catgoriser les individus dans deux classes distinctes ;de plus, ces diffrences phnotypiques doivent se comporter en accord avec leschma de la figure 1, ce qui permet den infrer la sgrgation des gnes).

    Des deux gnes qui composent le gnotype dun individu, lun provient deson parent mle, lautre de son autre parent femelle. (Commentaire : la gntiqueformelle met les deux sexes sur un pied dgalit parfaite).

    4. Si on dfinit un gne comme tant un certain type de squence dADN qui code pour une protine,comme on le fait aujourdhui, cette affirmation nest plus exacte. Mais mme dans ce cas, si onveut dire quun gne dtermine un caractre phnotypique dun organisme (notamment quandle phnotype existe un niveau dorganisation au-del de celui des protines), on est bien obligde revenir la dfinition diffrentielle. Cette question sera discute en pages 88-91.

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  • LA GNTIQUE FORMELLE 21

    Quand un individu devient son tour parent, les gnes reus de ses propres parentssont copis un grand nombre dexemplaires.

    Un parent transmet chacun de ses descendants une copie de lun ou lautre deses deux gnes ancestraux. Le choix du gne transmettre se fait alatoirement,avec une probabilit de 50 % pour chacun.

    Les gnes sont organiss linairement les uns par rapport aux autres, dans uncertain nombre de groupes de linkage . (Commentaire : les gnticiens classiques,en filant la mtaphore des billes , simaginaient que les gnes senfilaient surune ficelle, la faon des perles dun collier. Un peu plus abstraitement, on peutreprsenter les gnes comme occupant des sites en ligne droite sur une carte ).

    Des gnes appartenant des groupes de linkage diffrents sont transmis indpen-damment les uns des autres. (Commentaire : cela veut dire que chaque groupe delinkage possde sa propre carte ).

    - Des gnes appartenant un mme groupe de linkage ne sont pas transmis indpen-damment les uns des autres. Lassociation entre deux gnes est dautant plus forte(cest--dire que la probabilit dune recombinaison par rapport aux configurationsancestrales est dautant plus faible) que les gnes sont proches sur la carte du groupede linkage.

    Chez les drosophiles, il existe quatre groupes de linkage, avec les longueurssuivantes : Groupe I 106 cM, Groupe II 103 cM, Groupe III 87 cM, Groupe IV 4 cM.

    Lun des groupes de linkage prsente la particularit de comporter un gne dontles deux allles M/ et F/ dterminent la diffrence de sexe entre les mles et lesfemelles. Chez les drosophiles, ce gne se situe dans le Groupe III. Les femellessont des homozygotes F//F, les mles des htrozygotes M//F.

    Lallle M/ annule les allles qui normalement lui seraient associs dans cegroupe de linkage.

    De ce fait, il ny a pas de recombinaison entre les allles associs lallle M/. Parcontre, la recombinaison se fait normalement entre des allles associs lallle Fchez les femelles F//F.

    La thorie chromosomique

    Cest en 1887 que Boveri et Van Beneden ont observ pour la premire fois desstructures microscopiques, que lon appelle des chromosomes en raison de leurcapacit absorber des colorants. Les chromosomes sont visibles sous le microscopedans les noyaux de toutes les cellules au moment de la division cellulaire. Dans lesannes 1920, les proprits des chromosomes avaient t dcrites avec une grandeprcision. Faisons linventaire :

    Les chromosomes sont gnralement prsents en nombre pair, ce que lon indi-que par la formule 2n . Des observations portant sur la morphologie fine des

    01.Stewart Page 21 Lundi, 6. septembre 2004 1:36 13

  • 22 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    chromosomes montrent que non seulement le nombre est pair, mais quil sagitvritablement de n chromosomes diffrents dont chacun est prsent en deuxexemplaires apparemment identiques.

    Lors de la division cellulaire normale, appele mitose, les chromosomes sontdupliqus. Des observations fines rvlent lexistence dun mcanisme trs prcis(la mitose) qui assure que chacune des deux cellules filles obtient un et un seulexemplaire de chacun des 2n chromosomes.

    Cellule parentale

    Prophase

    Mtaphase

    Anaphase

    Tlophase

    Deux cellules filles

    Figure 2. Une illustration schmatique de la mitosePour la clart, seules deux paires de chromosomes sont dessines. La mitose comporteplusieurs phases successives : la prophase : la chromatine se condense pour former les chromosomes visibles.

    Lenveloppe nuclaire disparat ; la mtaphase : les chromosomes salignent sur la plaque quatoriale ; lanaphase : les chromatides filles se sparent, tires par les centromres ; la tlophase : la chromatine se disperse, et le cytoplasme se divise pour former deux

    nouvelles cellules.

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  • LA GNTIQUE FORMELLE 23

    Lors de la formation des gamtes (les cellules sexuelles, ovules et spermatozodes),il se produit une division cellulaire dun type particulier appel miose. Au coursde la miose, il y a deux divisions cellulaires mais une seule duplication deschromosomes, de sorte que chaque gamte contient seulement n chromosomes.Des observations fines montrent quau dbut de la miose, les deux chromosomeshomologues de chacune des n paires sassocient (ce qui constitue une preuvesupplmentaire du fait que les 2n chromosomes sont bien composs de n paires).Un mcanisme cellulaire trs prcis assure que chaque gamte reoit un et un seulexemplaire de chacun des n chromosomes. Ce type de division cellulaire est appelune division rductrice (car lissue de la miose, le nombre de chromosomespar cellule est rduit de moiti).

    1 2 3 4 5 6

    7 8 9

    Prophase 1 Mtaphase 1 Anaphase 1

    Mtaphase 2 Anaphase 2 Tlophase 2

    Spindle

    Figure 3. Une illustration schmatique de la miosePour la clart, une seule paire de chromosomes est reprsente. De plus, les deux chromosomesde cette paire un chromosome paternel, lautre maternel sont diffrencis par le niveau degris (en ralit, cette diffrence nest pas visible au microscope). On distingue plusieurs phasessuccessives : la prophase 1 : la chromatine se condense pour former les chromosomes visibles (1). Les deux

    chromosomes homologues salignent (2). Il y a formation dun chiasme , configuration en X qui correspond une recombinaison des chromatides (3). Avec la rsorption du chiasme,les chromatides ont achev leur recombinaison (4) ;

    la mtaphase 1 : les chromosomes salignent sur la plaque quatoriale (5) ; lanaphase 1 : les chromosomes homologues (mais non les chromatides) se sparent, tirs par

    les centromres (6) ; une premire division cellulaire (non montre) ; la mtaphase 2 : les chromosomes salignent de nouveau sur des plaques quatoriales (7) ; lanaphase 2 : les chromatides filles se sparent, tires par les centromres (8) ; la tlophase 2 : le cytoplasme se divise de nouveau pour former quatre nouvelles cellules en

    tout, dont chacune possde un seul chromosome.

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  • 24 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    Quand les gamtes (ovule et spermatozode) fusionnent lors de la fcondation, lesnoyaux fusionnent aussi. Ainsi, luf fcond recouvre demble le complmentnormal de 2n chromosomes.

    Les chromosomes sont des structures linaires. De plus, au moment de la dupli-cation des chromosomes lors de la division cellulaire, on voit trs clairement queles deux nouveaux chromosomes en formation (que lon appelle des chromatides avant leur sparation et leur rpartition entre les cellules issues de la division)sont aligns latralement lun par rapport lautre. Cette organisation assure quechacun des chromosomes issus dune duplication conserve la structure linaire deloriginal.

    lissue de la miose, la rpartition entre les gamtes des copies des n chromosomesparentaux est indpendante dun chromosome un autre.

    Lors de la miose, on observe un phnomne dit crossing-over . Les deux chro-matides extrieures conservent la configuration ancestrale. Par contre, les deuxchromatides intrieures sont recombinantes , tant composes dun premiersegment qui est une copie de lun des chromosomes parentaux, attach par un chiasme un deuxime segment qui est une copie de lautre chromosomeparental.

    Chez les drosophiles, il existe quatre paires de chromosomes (n=4, 2n=8). Physi-quement, les longueurs des 4 chromosomes sont les suivantes :

    Tableau 10

    Toujours chez les drosophiles, les deux chromosomes (III) des femelles sontparfaitement homologues ; on les dsigne habituellement dailleurs par la notation chromosomes X . Par contre, chez les mles, il existe un seul chromosome X normal (cest--dire homologue aux chromosomes X des femelles). Lautrechromosome III (que lon peut juger tel en raison de son association avec lechromosome III normal lors de la miose) est tout petit : on lappelle un chromo-some Y .

    Chromosome Longueur (microns)*

    * Ces valeurs sont typiques, mais varient considrablement selon le stade exact de la division cellulaireet le mode de prparation cytologique.

    I 1,0

    II 1,0

    III 0,9

    IV 0,05

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  • LA GNTIQUE FORMELLE 25

    Il naura sans doute pas chapp au lecteur attentif quil existe des correspondancesremarquables entre les proprits des gnes, telles que nous les avons dtaillespages 20-21, et celles des chromosomes que nous venons dnumrer. Afin de soulignerces correspondances, dressons un tableau rcapitulatif dans lequel les caractrisationsrespectives des gnes et des chromosomes soient dbarrasses des commentaires etdes remarques mthodologiques et explicatives.

    Tableau 11

    On nomme caryotype limage obtenue partir dune photographie des chromo-somes en mtaphase de la mitose, o lon dcoupe les chromosomes pour lesaligner par paires. Dans la figure 4, on voit le caryotype humain, avec ses 23 pairesde chromosomes, et la diffrence visible entre le chromosome X et le chromosome Y(plus court).

    Proprits des gnes Proprits des chromosomes

    Entits discrtes Entits discrtes

    Gnotype compos de 2 gnes 2n chromosomes composs de n paires

    Un seul gne transmis chaque descendant Un seul membre de chaque paire dans les gamtes

    Un gne reu de chaque parent Le complment plein de 2n chromosomesreconstitus par fusion des gamtes

    Les gnes ancestraux sont copis Les chromosomes de luf sont dupliqus

    Les gnes sont organiss linairement Les chromosomes sont des structures linaires

    Des gnes appartenant des groupes de linkagediffrents sont transmis indpendamment lesuns des autres

    Lors de la miose, les chromosomes sontrpartis indpendamment les uns des autres

    Des gnes appartenant un mme groupe delinkage peuvent se recombiner, mais de faonlimite

    Lors de la miose, deux sites sur un mmechromosome sont spars si et seulement si unchiasme se forme entre eux

    Chez les drosophiles :

    4 groupes de linkage 4 paires de chromosomes

    Groupes de linkage sont de longueur variable Chromosomes de longueur variable

    Mles M//F, femelles F//F Mles XY, femelles XX

    Lallle M/ annule les allles associs dans legroupe de linkage III.

    Le chromosome Y est trs court

    Chez les humains :

    23 groupes de linkage 23 paires de chromosomes

    Groupes de linkage sont de longueur variable Chromosomes de longueur variable

    Mles M//F, femelles F//F Mles XY, femelles XX

    Lallle M/ annule les allles associs dans legroupe de linkage 23

    Le chromosome Y est trs court

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  • 26 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    1 2 3 4 5

    6 7 8 9 10 11 12

    13 14 15 16 17 18

    19 20 21 22 X Y

    0

    50

    100

    150

    200

    250

    300

    350

    D

    istan

    ce g

    nt

    ique

    (cM

    )

    Longueur des chromosomes (microns)0 0,5 1 1,5 2 2,5 3

    Figure 4. Caryotype humainLe caryotype est une image obtenue partir dune photographie des chromosomesen mtaphase de la mitose, au cours de laquelle les chromosomes sont dcoups etaligns par paires. Ici sont reprsents le caryotype humain, avec ses 23 paires dechromosomes, et la diffrence visible entre le chromosome X et le chromosome Y(plus court).

    Figure 5. L cM versus L mLa relation troite entre les longueurs des diffrents groupes de linkage mesuresen cM, et les longueurs des chromosomes correspondants mesures physiquementen microns sur un caryotype. Il sagit ici des valeurs chez ltre humain.

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    Dans la figure 5, on voit la trs bonne correspondance entre les longueurs desdiffrents groupes de linkage mesures en cM, et les longueurs des chromosomesmesures physiquement en microns.

    Ces correspondances sont dautant plus remarquables que les proprits des gnesdune part, des chromosomes dautre part, ont t tablies dans lindpendance laplus totale. Les proprits des gnes sont tablies par des observations portant uni-quement sur des diffrences phnotypiques dans des croisements contrls. Lesproprits des chromosomes sont tablies par des observations cytologiques, faites laide dun microscope et ne ncessitant pas de croisements particuliers. Mais ce ntaitpas seulement la nature des observations qui tait diffrente ; les deux communautsdes gnticiens dune part, des cytologistes dautre part, signoraient mutuellement.Cet isolement (on ne peut pas parler de divorce car il ny a jamais eu de mariage)prfigurait dj lexclusion rciproque entre gntique et biologie que nous avonsnote dans lIntroduction.

    Nanmoins, les correspondances listes dans le Tableau 11 sont si remarquablesquelles ont fini par tre remarques (on ne sait pas exactement par qui : il ny a pasde grand nom associ ce qui deviendra la thorie chromosomique ). Et unefois remarques, ces correspondances conduisent inluctablement une conclusionvidente : les gnes se situent dans les chromosomes. Autrement dit, les gnes cesentits inobservables, constitues de prime abord en thorie possdent bel et bienune existence matrielle. Comme le disait trs joliment un gnticien anonyme delpoque, si les chromosomes navaient pas exist, il aurait fallu les inventer cequi en dit long sur le primat de la thorie dans lesprit des gnticiens classiques.

    Les correspondances du Tableau 11 sont loquentes au plus haut point. Toutefois, ce stade la thorie chromosomique reste une interprtation aprs-coup de rsultatsantrieurs. Afin de consolider son statut en tant que thorie pleinement scientifique,il serait souhaitable den tirer des prdictions indites que lon pourrait mettre lpreuve. Et il existe, en effet, un point sur lequel il subsiste un flou artistique. Il y abien une correspondance entre le fait qu lintrieur dun groupe de linkage, il yait recombinaison entre les gnes et le fait que lors de la miose, la formation dunchiasme produise une recombinaison des chromatides. Mais il reste dmontrer quelvnement singulier dune recombinaison gntique est rigoureusement le mmevnement singulier quune recombinaison entre chromatides. La dmonstration positiveen fut apporte par McClintock. Ce nest peut-tre pas un hasard si Barbara McClintocktait cet oiseau rare, une scientifique la fois gnticienne, cytologiste et, de surcrot,une biologiste pourvue dune sensibilit extrme pour lorganisme [Fox-Keller,1983]. Afin dtudier cette question, il faut une situation o la diffrence entre deuxallles gntiques soit observable au niveau cytologique des chromosomes, ce quinest gnralement pas le cas. McClintock a dcouvert un certain nombre de variantsmorphologiques au niveau des chromosomes qui produisaient des diffrences

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  • 28 LA VIE EXISTE-T-ELLE ?

    phnotypiques au niveau de lorganisme, et qui taient donc des allles observablesau niveau cytologique. En employant deux de ces variants se situant sur le mmechromosome, McClintock a pu dmontrer, dabord, que les allles gntiques corres-pondants appartiennent au mme groupe de linkage ; ensuite, et surtout, que sur descentaines de cas, il y avait recombinaison gntique si mais seulement si il y avaitrecombinaison chromosomique. Cette dmonstration mettait les points sur les i ;et soixante-dix ans aprs, la thorie chromosomique na jamais t dmentie. Sonhistoire, culminant avec les correspondances du Tableau 11 et la dmonstration deMcClintock, figure parmi les plus belles pages de la science tout entire.

    La suite

    La suite de lhistoire est aujourdhui beaucoup mieux connue, et on se contenteraici de la rsumer assez succinctement et partiellement. Dun point de vue biochimique,les chromosomes sont composs de deux sortes de molcules : des protines et desacides nucliques. Dans les annes 1930, les protines taient bien connues pour avoirdes proprits biologiques intressantes. En particulier, les enzymes qui catalysent lesractions mtaboliques de la cellule sont des protines. De plus, on savait quil existaitune relation intime entre les gnes et les protines. Notamment grce aux travaux deBeadle et Tatum chez le champignon Neurospora, on savait quune mutation gntique(cest--dire une altration dun gne gnrant un nouvel allle) pouvait avoir commephnotype un enzyme dysfonctionnel ce qui a conduit la formule clbre : 1 gne 1 enzyme . Dun autre ct, les acides nucliques taient beaucoup moinstudis ; on considrait gnralement quils taient chimiquement assez inertes (cequi est toujours vrai), et structurellement assez monotones (ce qui sest avr unpeu moins vrai quon ne le pensait). Il tait donc tout fait naturel de considrer queles gnes taient des protines et que les acides nucliques des chromosomes enparticulier, lADN jouaient un rle subalterne dossature structurelle. Encore fallait-il le prouver.

    En 1944, Avery, travaillant sur le phnomne de la transformation chez desbactries, a dmontr quun caractre phnotypique (la virulence par rapport des formes bnignes ) pouvait tre transmis dune souche virulente une souchebnigne par des extraits cellulaires. En fractionnant la matire transmise en descomposants plus spcifiques, on pouvait examiner si la composante active taitconstitue de protines ou dADN. Cela a donn lieu un pisode assez amusant dupoint de vue de la sociologie de la science. Au point de dpart, les chromosomestaient connus pour tre composs en proportions peu prs gales de protines etdacides nucliques ; ce stade, pour les raisons que nous avons expliques, la quasi-totalit de la communaut des gnticiens considraient que les gnes figuraientdans la partie protique. Les premires purifications taient trs imparfaites : on

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    montrait que la fraction active tait compose de 70 % dacides nucliques et de 30 %de protines. Un bon nombre de gnticiens nabandonnrent pas leur jugement apriori, et estimrent que les gnes faisaient partie des 30 % protiques. Mme quandla composition protique de la fraction active fut rduite 1 %, il resta encore quelquesirrductibles notamment le gnticien Goldschmidt, un penseur profond parailleurs. Aujourdhui, on se gausse de lerreur de Goldschmidt ; mais dun point devue intellectuel, il avait peut-tre moins tort quon ne le pense prsent. Aprs tout,il ntait pas sr que le phnomne de la transformation chez des bactries ft rel-lement comparable celui de la sgrgation gntique chez des organismes multi-cellulaires. Une indication autrement plus solide provenait des recherches desbiochimistes sur les processus de biosynthse des protines. Dans les annes 1950, lesbiochimistes ont dcouvert que les protines sont synthtises dans les ribosomes, odes acides nucliques jouent un rle essentiel. Comme le remarque fort justementMorange (1994), le rle actif des biochimistes dans le dcryptage du code gntiquefut pourtant mconnu. Tout le monde, aujourdhui, connat la dcouverte en 1953,par Watson et Crick, de la structure en double hlice de lADN. Leur bref article parudans la revue Nature est trs justement reconnu comme lun des grands classiques dela littrature scientifique (bien que leurs spculations audacieuses fussent bases surdes donnes pirates, comme le reconnut sans vergogne Watson (1968) dans sonlivre dsopilant La Double Hlice). Dans la structure propose par Watson et Crick, leschelons transversaux reliant les deux chanes de la spirale taient composs chacunde deux nuclotides complmentaires, soit A-T soit C-G. Leur article se termine parune litote dlicieuse : Il na pas chapp notre attention que la structure proposepermet la duplication. En effet, un seul brin dADN contient toute linformation sous forme dune squence de nuclotides, par exemple A-T-C-C-G-T ncessairepour reconstituer le brin complmentaire (en loccurrence, T-A-G-G-C-A). Quelquesannes plus tard, le code gntique par lequel des triplets de nuclotides spcifientchacun un acide amin dtermin tait dchiffr. Puisquil y a 4 4 4 = 64 tripletspossibles, et seulement 22 acides amins plus trois codons syntaxiques spcifiantle dbut ou larrt de la transcription, le code gntique est ncessairement redondant :plusieurs triplets codent pour un mme acide amin. Ce que lon souligne souventmoins, cest le rle non seulement des ARN de transfert mais aussi des enzymesspcifiques, les aminoacyl-tRNA-synthtases , qui sont essentiels pour tablir le code gntique . Sans cela, il ny a rien dintrinsque lADN qui fasse quunesquence de nuclotides code ncessairem