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I) Réforme des institutions : les mesures choc du rapport Bartolone-Winock SOMMAIRE 1) Le choc… 2) Comme d’hab ! Il veut passer de force 3) Elle aussi… 4) Les intellos se manifestent…un peu 5) Sa solitude 6) Ma petite entreprise LA FAMILLE JEUDI 1 OCTOBRE 2015 Gérard Diez La Presse en Revue LA PRESSE EN REVUE... Claude Bartolone, en mari dernier à l'Assemblée. Photo AFP

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I) Réforme des institutions : les mesures choc du rapport Bartolone-Winock

SOMMAIRE

1) Le choc… 2) Comme d’hab ! Il veut passer de force 3) Elle aussi… 4) Les intellos se manifestent…un peu 5) Sa solitude 6) Ma petite entreprise

LA FAMILLE JEUDI 1 OCTOBRE 2015

Gérard Diez La Presse en Revue

LA PRESSE EN REVUE...

Claude Bartolone, en mari dernier à l'Assemblée. Photo AFP

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Libération a eu accès à certaines des 17 propositions de réforme des institutions que le président de l'Assemblée doit présenter vendredi. Parmi elles : septennat non renouvelable, introduction de la proportionnelle aux législatives, réduction du nombre de parlementaires ou encore l’interdiction du cumul dans le temps.

Réforme des institutions : les mesures choc du rapport Bartolone-Winock

Tout sauf un filet d’eau tiède. Selon nos informations, le futur rapport de la commission Bartolone sur la réforme des institutions comprendra, entre autres, l’idée d’un septennat non renouvelable, l’introduction de la proportionnelle aux législatives, une réduction du nombre de parlementaires ou encore l’interdiction du cumul dans le temps. De quoi secouer le débat politique vendredi lors de la présentation du rapport après une ultime réunion des membres du groupe de travail mis en place par le président de l’Assemblée. «On s’est accordé sur le fait qu’il fallait une Ve République prime et pas une VIe», confie l’un de ceux qui planchent depuis novembre 2014. «On doit se secouer les côtelettes avant l’accident démocratique», complète un autre. Comprendre : l’arrivée au pouvoir du Front national.

François Hollande qui peste régulièrement contre la lenteur du processus législatif devrait apprécier certaines des 17 propositions avancées par les 23 parlementaires et personnalités de la société civile. Où il est question notamment de supprimer une des deux lectures dans chaque chambre sur un texte législatif et d’inscrire dans la Constitution l’obligation de publier les décrets d’application dans les six mois après le vote d’une loi. En revanche, le chef de l’Etat devrait moins goûter à l’élection des députés avec une dose de proportionnelle. Certains membres de la mission co-présidée par l’historien Michel Winock plaident même pour une «version intégrale», telle que mise en place par François Mitterrand en 1986. Ce mode de scrutin devrait être néanmoins assorti d’une prime à la liste arrivée en tête pour permettre de dégager des majorités claires à l’Assemblée, précisent certains de ses partisans interrogés par Libération.

Devant la commission qu’il a reçue en grande pompe vendredi dernier à l’Elysée, Hollande n’a rien écarté. Mais en petit comité, le président reconnaît que cette proposition, qui figurait dans

son programme de 2012, est enterrée d’ici à 2017.«On sait très bien qu’il n’y aura pas de révision de la Constitution en 2016 mais notre travail est un bon document de départ pour nourrir les propositions des candidats à la prochaine présidentielle», convient un membre du «collège politique» de la commission. Il est vrai que «ça ne sera pas le premier rapport à préconiser une dose de proportionnelle», admet un membre du collège «société civile» qui appelle cependant «à faire sauter ce tabou de la Ve République».Vers la fin des ex-Présidents au Conseil constitutionnel ?

Il y a trois ans, le candidat Hollande avait promis de refuser aux anciens présidents de la République le statut de membre de droit du Conseil constitutionnel : la mission Bartolone reprend cette piste. Et pour entrer rue Montpensier, un nouveau «sage» devra convaincre 3/5e des parlementaires de la commission des Lois de chaque chambre, ce que le rapport appelle «une majorité positive». Jusqu’alors, il fallait une majorité de ⅗ pour bloquer les nominations.

Si la proposition d’instaurer un septennat unique pour le président de la République a fait «absolument consensus», assure un membre, la réforme du Sénat a divisé fortement le groupe de travail, notamment la «proposition n°10» sur la fusion de la chambre haute et du Conseil économique, social et environnemental (Cese). On sait que cette option a depuis longtemps les faveurs du président de l’Assemblée, dont les deux autres marottes (suppression du poste de Premier ministre et vote obligatoire) ne figureront pas dans le rapport final. A l’inverse, «certaines propositions ne plaisaient pas à Bartolone mais il a eu l’honnêteté de les mettre» en débat, vante un député. Pour «casser la défiance des Français» envers la politique, la mission préconise la possibilité pour un certain nombre de citoyens d’amender une loi.

Le groupe de travail souhaite aussi réduire le nombre de parlementaires - une proposition en vogue chez tout candidat à la présidentielle de droite comme de gauche - et interdire aux élus d’enchaîner plus de trois mandats. Des mesures chocs qui n’exigent pas de révision constitutionnelle mais qui nécessiteront diplomatie et doigté pour dégager une majorité parlementaire.

Laure Equy , Laure Bretton

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II) Manuel Valls veut passer en force sur l'accord concernant les fonctionnaires

Par La rédaction de Mediapart

La CGT refuse de signer le protocole d'accord sur l'avenir de la fonction publique, mais Manuel Valls assure que le texte s'appliquera tout de même à tous les fonctionnaires.

La CGT, premier syndicat chez les fonctionnaires en France, a annoncé mardi qu'elle ne signerait pas un protocole d'accord sur l'avenir de la fonction publique, ce qui risque d'être fatal à ce texte faute de majorité syndicale favorable. Mais Manuel Valls a affirmé, dans un entretien mercredi à France Inter, que le projet s'appliquerait à tous les fonctionnaires.

« Nous ne voulons pas avec la ministre de la Fonction publique que ce progrès, le résultat d'un an de négociations, soit bloqué par le refus de s'engager de certains », a dit le premier ministre. « Nous avons décidé avec Marylise Lebranchu que l'accord approuvé par six organisations syndicales s'appliquerait à l'ensemble des fonctionnaires. »

« L'immobilisme dans notre pays n'est pas possible », a ajouté Manuel Valls, qui a assuré que six syndicats représentant 49 % des fonctionnaires soutenaient le protocole. « Le gouvernement prend ses responsabilités, il ne peut pas y avoir d'immobilisme. »

Les syndicats avaient jusqu'à ce 30 septembre pour rendre leur verdict sur ce texte, fruit de 18 mois de négociations. Dans un communiqué, la CGT juge « considérable » l'écart entre cet accord et une politique gouvernementale « qui met la fonction publique à la diète, poursuit les suppressions de postes, coupe dans les budgets, met à mal les missions publiques ».

« Les déclarations anti-fonctionnaires du ministre de l'Économie confirment qu'en la matière les engagements gouvernementaux ne peuvent pas être pris pour argent comptant », ajoute le syndicat, qui a recueilli 23,1 % des voix lors des dernières élections professionnelles dans la fonction publique. Il fait allusion à des propos prêtés à Emmanuel Macron jugeant inadapté le

statut des fonctionnaires français.

« À l'issue de la consultation des agents menée par les organisations de la CGT Fonction publique, celles-ci ont pris la décision de ne pas signer le protocole d'accord (...) sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations. »

Ce protocole "PPCR" prévoit notamment de rompre avec le gel, en vigueur depuis juillet 2010, du point d'indice qui régit l'évolution des traitements des fonctionnaires. Il programme ainsi une transformation d'une partie de leurs primes en points d'indice en 2016-2018 et une revalorisation de la grille indiciaire à compter du 1er janvier 2017, un processus censé s'achever au 1er janvier 2020.

Selon le ministère de la Fonction publique, ce processus est censé se solder pour les fonctionnaires en début de carrière par une augmentation de 500 euros brut par an en catégorie C, 945 euros en catégorie B recruté après le bac et 1 610 euros pour les bac + 2, 1 889 euros pour les fonctionnaires de catégorie A.

En fin de carrière, ces revalorisations oscilleraient entre 1 056 et 2 111 euros brut annuels.

Le protocole d'accord prévoit d'autre part un rendez-vous salarial annuel, une refonte des déroulements de carrière, une plus grande mobilité entre les trois fonctions publiques (État, hôpitaux, collectivités territoriales).

Il réaffirme le principe du recrutement par concours, sauf pour les emplois à faible niveau de qualification, et prévoit des dispositifs incitatifs en matière d'avancement de carrière ou de prise en compte des écarts de coût de vie, pour encourager les fonctionnaires à servir sur des territoires peu attractifs.

Toutes ces mesures ne seront appliquées qu'en cas d'accord majoritaire des syndicats (au moins 50 % des voix recueillies lors des élections professionnelles de 2014). Dans son communiqué, la CGT dénonce un « chantage du gouvernement qui se dit prêt, aujourd'hui, faute d'un accord, à renoncer à toute mesure de revalorisation du point d'indice et des carrières ». Elle fait de l'augmentation immédiate de la valeur du point d'indice une « priorité absolue ».

La CFDT Fonctions publiques, qui a recueilli 19,2 % des voix en 2014 et se classe au deuxième

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LAPRESSEENREVUE.EU

III) EELV : Barbara Pompili quitte à son tour le navire vert

rang, a pour sa part décidé le 24 septembre de signer le protocole. Il en va de même de l'Unsa (10,3 %), de la FSU (8,0 %), de la CFTC (3,3 %), de la CFE-CGC (2,9 %) et de la Fédération autonome de la fonction publique (2,6 %). Mais ces organisations et la CFDT ne réunissent pas les 50 % nécessaires.

En revanche, Force ouvrière (18,6 %) a décidé, à l'instar de la CGT, de ne pas signer ce protocole « inacceptable » parce que n'offrant « pas la revalorisation attendue par les agents », de même que le syndicat Solidaires (6,8 %). La CFDT estime qu'un échec de l'accord serait catastrophique et se solderait par une perte de pouvoir d'achat supplémentaire pour les fonctionnaires.

(Reuters)

Par L' Obs

Après les départs coup sur coup de François de Rugy et Jean-Vincent Placé il y a un mois, c'est un nouveau coup dur pour Europe Ecologie-Les Verts.

Nouvelle désertion d'ampleur au sein du principal parti écologiste. (Bertrand Guay / AFP)

Jamais deux sans trois ! La députée Barbara Pompili, co-présidente du groupe écologiste à l'Assemblée, a annoncé ce mercredi dans un

entretien publié sur le site internet du "Monde" qu'elle quittait Europe Écologie-Les Verts (EELV), après les deux autres dirigeants de groupe parlementaire François de Rugy et Jean-Vincent Placé, fin août derniers.

La députée de la Somme, qui n'entend pas pour l'heure rejoindre le nouveau parti créé par ces deux derniers, dénonce "une stratégie de division de la gauche" qui "risque de nous orienter vers une victoire du Front national" après le choix des écologistes de ne pas faire alliance avec les socialistes pour les élections régionales en Nord-Pas-de-Calais/Picardie.

Quinze ans après avoir adhéré chez les Verts, la députée ne se reconnaît plus dans le principal parti écologiste de France et entend se mettre "en retrait des partis politiques", tout en gardant à l'esprit l'urgence "d'empêcher une victoire de Marine Le Pen ou de la droite dure" dans sa région.

“ Je plaide pour une grande liste de toute la gauche", dit-elle. "En validant cette stratégie avec la gauche protestataire, EELV a mis l’écologie dans un corner. »

Le groupe parlementaire peut-il perdurer ?

François de Rugy, qui coprésidait avec elle le groupe écologiste à l'Assemblée depuis 2012, avait initié la scission d'EELV en annonçant son départ le 27 août, imité le lendemain par le président du groupe au Sénat, Jean-Vincent Placé.

Ses deux figures de proue ayant désormais "déchiré leur carte", le groupe écologiste à l'Assemblée devrait pourtant rester en place : "L’immense majorité de mes collègues souhaite garder ce groupe. Nous devons garder cet outil sans nier qu'il y a des divergences entre nous comme des bases communes qui nous rassemblent", déclare celle qui juge sévèrement le parti EELV comme un parti où "l'expression d'une parole minoritaire est décrédibilisée et rejetée".

"L'idée est de garder deux coprésidents qui représentent chacun une des sensibilités du groupe. Je pense que l’on va aboutir dans les jours qui viennent", annonce-t-elle. Elle pourrait donc rester coprésidente du groupe écologiste même sans être adhérente au parti EELV... Une "alchimie délicate", reconnaît-elle.

T.V. - nouvelobs.com

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IV) Intellectuels: le temps des «antipolitiques» est-il venu?

Philippe Guibert

Aujourd'hui, les intellectuels n’interpellent plus le pouvoir pour son arbitraire: ils le tancent pour son impuissance.

C’est au Monde Festival, le week-end dernier, que cela se passe, rapporte le quotidien vespéral. L’amphithéâtre de l’opéra Bastille est plein pour entendre Thomas Piketty:

«Pourquoi ne vous présentez-vous pas? demande un autre jeune homme […]. – Il y a d’autres manières de s’engager que de manger des petits fours dans un ministère, répond l’économiste.»

Applaudissements à tout rompre. «Piketty président», lance une voix. Après Valeurs actuelles et son «Zemmour Président», votre serviteur avec Michel Onfray (pour le mettre devant ses responsabilités), voici que le public du Monde lui-même réclame un «Piketty président».

Le vent de contestation des politiques ne gronde plus seulement dans les milieux populaires, ceux qui votent Front national ou s’abstiennent: il gagne le public forcément diplômé et distingué, sans doute plutôt de gauche, du Monde Festival. Et jusqu’à notre économiste lui-même: Piketty aura, par dérision, réduit la fonction ministérielle à la dégustation de petits fours. Pour le plus grand

plaisir de la salle, laquelle demande à notre «star du paysage politico-intellectuel» (Le Monde, toujours), de remplacer les ministres –ou mieux encore, le président de la République.

Au moment même où un ministre explique que «député, c’est un cursus d’un ancien temps», les uns sont sollicités, pour remplacer ceux qui semblent renoncer. Comble du moment que nous traversons, LE conseiller du Prince par excellence, Jacques Attali en personne[1], las de voir les politiques ne pas suivre ses conseils, «n’exclut pas» de se présenter. Si l’homme qui murmure à l’oreille des présidents doute du personnel politique français, qui donc y croira?

Valets voyeurs des gouvernants

La réplique de Piketty sur les petits fours est-elle poujadiste? Il faut plutôt la qualifier d’«anti-politique» pour reprendre l’expression de Taguieff et Jacques de Saint Victor: ce ne sont pas les gaspillages ministériels qu’il vise, c’est un certaine vacuité. Si «manger des petits fours» peut ainsi caricaturer l’activité ministérielle, c’est qu’elle ne sert plus à grand-chose, que les gouvernants ne se préoccupent guère des vrais problèmes et des vrais gens. Ou encore qu’ils ne savent plus le faire, faute de se donner les moyens du pouvoir.

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L’anti-politisme, ce n’est pas du désintérêt ou de l’indifférence pour le politique, bien au contraire, c’est la conviction que la «classe» politique, le «système» politique, non seulement n’est pas à la hauteur, mais empêche les bonnes décisions. Cet anti-politisme est un appel à une révocation du personnel, à une révolution des élites. La défiance à l’égard des gouvernants tient à leur «professionnalisation», avec les intérêts particuliers que cela suppose. Et à leurs échecs bien sûr. Mais la dégradation symbolique de la fonction politique, par la transparence privée, n’a fait que l’accentuer: «Pas de grands hommes pour leurs valets», dit le dicton; or nous sommes devenus, par médias interposés, les valets voyeurs des gouvernants, ces derniers, par imprudence ou volonté, en ayant été aussi les complices. D’autant que les mêmes ont fort mal interprété la fameuse «demande de proximité»: il ne s’agit pas essentiellement d’être sympa ou drôle, mais de comprendre ce que vivent les citoyens, donc le pays. Pour agir avec pertinence.

Pourquoi dès lors se tourner vers les «intellectuels», au sens précis, c’est à dire ceux qui ont une stratégie d’influence sur les idées de leurs contemporains ? En cette année de toutes les crises, qu’il s’agisse du 11 janvier et de sa signification, avec Todd et désormais Manent, de la réforme du collège, avec Winock et Nora, de la Grèce en juillet, avec Piketty, ou de l’accueil des réfugiés, avec Onfray, ce sont des intellectuels qui soulèvent, entretiennent ou prolongent le débat. La force de la question «identitaire», entre ivresse des différences et fantasme d’homogénéité, nous pousse à les écouter. Nos impasses économiques nous incitent à poser les problèmes autrement. Le gestionnisme a tellement envahi le discours des gouvernants que leur parole est devenue pauvre en sens et en récit, car surchargée de procédures, de chiffres et de contraintes. C’est pourquoi ils nous racontent si mal ce qui nous arrive. Or ceux qui ont des clefs de compréhension ont les clefs d’une action possible; ceux qui comprennent le monde ont une petite chance de le changer. Et non de le gérer. Surtout quand le monde et le pays semblent déréglés par des «événements monstres»

Promouvoir les personnes plus que les ouvrages

Sur un sujet majeur, rien ne vaut un rapport de fonctionnaire, on ne va pas en plus lire des livres

Experts, écrivains, philosophes ou polémistes, la promotion de leurs livres a été leur meilleur

média-training. Voilà maintenant qu’ils promeuvent leurs idées sinon leurs personnes, plus que leurs ouvrages. Ils n’interpellent plus le pouvoir pour son arbitraire, au nom des droits de l’homme, comme jadis, ils le tancent et le moquent pour son impuissance ou sa médiocrité, au nom du peuple ou de la République. Le pouvoir spirituel des clercs reprend la parole au pouvoir temporel des princes, parce que nous sommes insécurisés et désorientés, et que nos Princes (qui n’en sont plus) semblent devenus des techniciens laborieux, à la remorque des événements.

L’anti-politisme des «intellectuels» a été précédé par l’anti-intellectualisme des politiques et de leurs serviteurs de la haute fonction publique. Des démagogues verbeux, tous ces intellos. Pas opérationnels en plus: sur un sujet majeur, rien ne vaut un rapport de fonctionnaire, on ne va pas en plus lire des livres. Souvenons-nous de l’accusation, bien hasardeuse, de «pseudo-intellectuels» lancée aux opposants de la réforme du collège.

Les grands stratèges diront que ce n’est qu’un mauvais moment à passer, avant de revenir aux choses sérieuses, c’est à dire aux professionnels de la politique. Les gens s’amusent avec ces beaux parleurs, n’est ce pas, ils reviendront au bercail… Ont-ils bien pris la mesure de l’ampleur du discrédit, et de ses causes?

1 — Cofondateur de Slate, ndlr Retourner à l’article Philippe Guibert

slate.fr

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V) Vu de Suisse. Emmanuel Macron, la solitude du réformateur

Emmanuel Macron, le 7 septembre 2015. PHOTO ABBAS MOMANI/AFP

Le fougueux ministre français de l’Economie se trouve réduit à exercer le ministère de la parole social-libérale. Sans susciter d’échos favorables au sein de la majorité socialiste, pressée de le faire taire.

Ses conseillers refusent de parler de “provocation” après sa sortie sur le statut des fonctionnaires français “qui n’est plus adéquat”. Emmanuel Macron reste, d’après eux, focalisé sur un sujet : la nécessité de réformer la France et de s’attaquer enfin aux “totems” qui la paralysent.

L’idée que le fougueux ministre de l’Economie soit, au sein du gouvernement socialiste, de plus en plus dans une logique de confrontation avec la majorité est écartée pour faire place à des termes plus flous sur “la bataille culturelle réformatrice” qui se déroule en France. Nuance. La provocation ou la confrontation riment avec l’insubordination individuelle. Alors que la bataille fait référence au collectif…

La vérité est pourtant plus proche de la première

posture que de la seconde.

Le “ras-le-bol” d’Aubry

Pour preuve, la salve tirée contre l’ex-banquier de Rothschild par celle qui tente d’incarner, repliée dans sa mairie de Lille, la conscience de gauche : Martine Aubry. En disant son “ras-le-bol” des déclarations d’Emmanuel Macron, référence directe aux appels de ce dernier à rouvrir le débat sur les 35 heures hebdomadaires ou sur la fonction publique, l’ancienne ministre des Affaires sociales de Lionel Jospin cible un homme et une attitude.

Le verbe ministériel, dit-elle en substance, doit être contrôlé et formaté pour que l’électorat de la gauche s’y retrouve, même si, selon un sondage du Figaro [du 23 septembre], 70 % des Français approuvent le ministre sur le statut des fonctionnaires, 36 % d’entre eux se disant “tout à fait d’accord”.

Les contraintes politiques, à trois mois des

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élections régionales de décembre annoncées comme catastrophiques pour le Parti socialiste, imposent de faire taire ce perturbateur. Une requête qu’une bonne partie des députés PS français soutient.

Une équipe où personne ne vient à son secours

La question, pour ce ministre social-libéral imposé par le chef du gouvernement Manuel Valls pour remplacer, fin août 2014, le tonitruant leader de l’aile gauche du PS Arnaud Montebourg, est donc double : faut-il rester dans une équipe où personne ne vient à son secours, même si le Premier ministre partage la plupart de ses constats ? Et, s’il choisit de rester, comment convaincre les investisseurs étrangers, et plus globalement les milieux d’affaires, que le mot “réformes”, en France, a encore du sens à deux ans de la fin du quinquennat ?

A cela s’ajoutent d’autres éléments aggravants. Le premier est l’incapacité de la gauche social-libérale française, celle du Valls de la primaire de 2011 et de Macron aujourd’hui, à trouver sa voie. François Fillon, l’ancien Premier ministre de droite de Nicolas Sarkozy, fin connaisseur de la politique française, aime à dire que jamais Manuel Valls ne pourra être le candidat du PS à l’élection présidentielle, “car il n’est pas de gauche”.

Bien vu. Réaliste sur l’évidente perte de compétitivité industrielle de la France, lucide sur le fait qu’une large part de la population est fatiguée de la complexité administrative et lassée de voir la puissance publique s’occuper de tout, François Hollande n’en a pas du tout tiré les conséquences qui s’imposent sur la diminution du rôle de l’Etat et sur la nécessité de redonner de la liberté aux opérateurs économiques. Le président français reste enfermé dans sa promesse électorale – censurée par le Conseil constitutionnel – de taxer à 75 % les revenus supérieurs à 1 million d’euros.

L’Elysée ne veut pas, comme l’y incite en sous-main Emmanuel Macron, d’une mesure phare qui incarnerait le tournant pro-business du quinquennat. François Hollande fait, comme Jacques Chirac avant lui, le constat d’une France gravement malade qu’il convient d’accompagner dans sa longue convalescence en misant sur un retournement de cycle.

Valls, l’autoritaire

L’autre élément qui accentue la solitude du réformateur Emmanuel Macron est la façon autoritaire de gouverner de Manuel Valls. Au début du quinquennat, Arnaud Montebourg avait pu défendre ses thèses interventionnistes et pro-déficit, car le premier ministre Jean-Marc Ayrault était faible. Changement radical depuis avril 2014. Manuel Valls attise peut-être en coulisses les braises libérales de son ministre de l’Economie, mais gare. Matignon est devenu une machine à recadrer.

Pas question, pour celui qui rêve de l’Elysée en 2022, comme il l’a soufflé tout sourire à un jeune visiteur lors des Journées du patrimoine [les 19 et 20 septembre], de se laisser déborder. Pas un collègue ministre, d’ailleurs, n’ose soutenir en public les sorties controversées d’Emmanuel Macron, empêtré dans le “on” (la presse peut le citer) et le “off” (la presse ne doit pas le citer) que ses communicants essaient en vain d’imposer.

VRB turbulant

Reste donc pour lui, outre les sondages…, le ministère de la parole, sa crédibilité d’inspecteur des Finances connecté avec le monde bancaire, le poids de ses réseaux, sa visibilité internationale soignée par des visites comme celle de Londres et quelques fenêtres de tir sectorielles, comme les transports routiers, libéralisés par la loi Macron 1, ou les start-up, qui seront au cœur du projet de loi Macron 2, toujours prévu pour le début de 2016. Avec en bandoulière quelques bons faits et chiffres, comme la hausse de 8 % des investissements étrangers en France en 2015, ou la décision de Facebook d’installer à Paris son premier centre de recherches européen.

Fidèle de l’économiste-écrivain Jacques Attali, Emmanuel Macron n’a guère d’autre choix que de jouer au VRP turbulent d’une économie hexagonale “à la carte”, en soignant au passage son carnet d’adresses s’il devait retourner plus vite que prévu dans le monde de la finance.

Ceux qui lui prêtent une ambition politique continuent d’espérer que son talent finira par trouver preneur sur l’échiquier électoral. Mais pour l’heure, hormis sa notoriété médiatique, le “réformateur” de Bercy manque cruellement d’alliés pour faire bouger les “totems”.

Auteur Richard Werlycourrierinternational.com

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VI) La petite usine de Michel Onfray

Par Nicolas Chevassus-au-Louis

Il est omniprésent ces jours-ci. Onfray, en héros de la liberté contre les bien-pensants, ferraille à tout-va en empruntant quelques chemins nauséabonds. Il mobilise un quarteron d'intellectuels médiatiques, un meeting est même annoncé ! Initialement publiée dans la Revue du Crieur, nous republions notre enquête sur Michel Onfray. L’homme qui « secoue la France », dixit Le Point, est surtout un habile entrepreneur de soi.

Les vulcanologues distinguent deux types de volcans : les effusifs, dont s’écoulent presque continuellement des coulées de lave fluide. Et les explosifs, silencieux pendant des décennies, des entrailles desquels jaillissent de temps à autre pierres, nuées ardentes et fumées toxiques. Michel Onfray, qui disait dans le premier tome de son journal son « désir d’être un volcan », constitue à lui seul une troisième catégorie, combinant les propriétés des deux premières.

Du mont Onfray s’écoulent en permanence depuis un quart de siècle des flots de prose : sur les cinq seules dernières années, seize livres totalisant un peu plus de 4 000 pages, sans compter préfaces et postfaces, tribunes et chroniques, dont notre philosophe est tout aussi prolixe. À ce flux continu, s’ajoutent d’imprévisibles et violentes explosions médiatiques, qui voient Michel Onfray saturer quelques jours durant radios, télévisions, presse et internet par ses déclarations à l’emporte-pièce. Ainsi de l’aimable qualificatif de « crétin » adressé récemment à Manuel Valls qui lui reprochait d’avoir déclaré préférer « une analyse juste d’Alain de Benoist [un des théoriciens de la très droitière nouvelle droite dans les années 1970, NDLR] à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL ».

https://youtu.be/Ab0pv3dMGfE

D’effusions en éruptions, de succès de librairie en tonitruantes polémiques, Michel Onfray s’est taillé une place à part dans le cercle très restreint des philosophes médiatiques. Né en 1959, il en est le benjamin. Le seul à ne pas vivre à Paris, par fidélité à sa Normandie natale. Le seul à ne pas

vivre à Paris, par fidélité à sa Normandie natale. Le seul à ne pas être passé par l’École normale supérieure ou l’agrégation de philosophie. Le seul à n’avoir jamais enseigné dans le supérieur. Le seul à ne pas fréquenter mondanités et colloques, leur préférant un patient travail associatif au sein des deux universités populaires qu’il a créées dans sa région natale. Le seul à se revendiquer d’une gauche antilibérale, à défendre Pierre Bourdieu, à s’honorer de ses origines populaires…

Cette aura de rebelle, savamment cultivée, lui vaut un public fidèle. Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, André Comte-Sponville ou Luc Ferry ont des lecteurs. Michel Onfray, lui, a des fans. Son cours de philosophie du lundi soir à l’université populaire de Caen fait invariablement salle comble depuis treize ans. Impossible d’espérer y entrer sans arriver avec au moins une demi-heure d’avance. Les enregistrements de ses cours formant sa Contre-histoire de la philosophie (300 heures à ce jour, diffusés chaque été sur France Culture) approchent les 900 000 ventes de CD. « Cela ne relève pas des ventes “normales” en philosophie/sciences humaines, mais d’un phénomène de société », observe Patrick Frémeaux, son éditeur sonore.

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Le phénomène éditorial Onfray débute en 1988 par un banal envoi de manuscrit par la poste. Michel Onfray vient de soutenir un doctorat de troisième cycle en philosophie – Les implications éthiques et politiques des pensées négatives de Schopenhauer à Spengler (1818 à 1918) – à l’université de Caen. Il est professeur de philosophie au lycée technique privé Sainte-Ursule de cette même ville. Il habite à Argentan, petite ville située à une soixantaine de kilomètres au sud de Caen, dans les terres. Il n’a aucune relation parisienne. Son premier article, il l’envoie à L’Orne littéraire. Son premier livre, une étude très fouillée consacrée à la figure oubliée du philosophe nietzschéen Georges Palante, à un petit éditeur d’Ille-et-Vilaine[1].

Mais Onfray a d’autres ambitions pour son deuxième livre, Le Ventre des philosophes. Critique de la raison diététique, un essai plaisant qui relie avec humour les positions philosophiques d’auteurs classiques à leurs préférences alimentaires. Il envoie le manuscrit à trois éditeurs parisiens. Chez Grasset, Jean-Paul Enthoven flaire le bon coup et signe immédiatement un contrat au jeune auteur. Il lui donne aussi un conseil : se mettre en scène, se raconter. Michel Onfray, qui a la plume facile (il a écrit le livre en quatre jours, assure-t-il) ne rechigne pas à s’exposer ainsi.

Dès les premières pages du Ventre des philosophes, il raconte ce qu’il a depuis raconté cent fois : son père ouvrier agricole, sa mère femme de ménage, l’expérience vécue de la pauvreté et des fins de mois difficiles, le placement dans un pensionnat catholique, l’infarctus qui le frappe à vingt-sept ans… Le ton de Onfray, mélange d’autobiographie et de glose philosophique est déjà là, dès le premier livre. La puissante machine Grasset se met alors en route : passages à la télévision, articles de presse élogieux. Ses deux livres suivants – Cynisme. Portrait du philosophe en chien,en 1990, puis L’Art de jouir. Pour un matérialisme hédoniste,en 1991 – sont sélectionnés pour le prix Médicis de l’essai, qu’il finit par obtenir en 1993 pour La Sculpture de soi. La morale esthétique.

Tous ces livres sont publiés dans la collection « Figures » que dirige Bernard-Henri Lévy, pourtant cible privilégiée des philippiques d’Onfray. Ce dernier participe aussi au début des années 1990 à La Règle du jeu, la revue que vient de créer BHL, et fait son entrée au comité de rédaction en 1991.

Il en restera membre jusqu’à un changement de formule de la revue en 1998. « Je n’y suis allé que deux fois, et j’ai vite vu comment fonctionnait le milieu intellectuel parisien. Je ne m’y sentais pas du tout à ma place », assure-t-il aujourd’hui. Cela ne l’empêche pas de publier six articles dans La Règle du jeu. L’un d’eux attaque avec virulence les écologistes, alors en pleine ascension électorale[2].

Il ne manque pas de se prévaloir d’avoir publié des articles « dans la revue de Bernard-Henri Lévy » lorsque, sur le plateau télé de Ciel mon mardi (19 mai 1992), il étrille Antoine Waechter, Dominique Voynet et Brice Lalonde, les trois dirigeants écologistes d’alors, qu’il accuse avec véhémence de « prêcher une nouvelle religion culpabilisante » interdisant de jouir.

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Je me suis fait instrumentaliser par Grasset. On envoyait Michel Onfray au front comme un fantassin de l’équipe BHL », explique aujourd’hui Onfray qui avoue n’être « pas fier » de cet épisode. Il n’empêche qu’il doit le lancement de sa carrière à BHL et à son ami Jean-Paul Enthoven, incarnations de cette gauche caviar qu’il déteste. On trouve du reste traces de l’influence de BHL dans l’Onfray de 2015 : même goût immodéré de la télévision, même sens de l’apparence et du spectacle – aux chemises blanches déboutonnées du premier répondent les invariables tenues noires du second –, même sérieux inébranlable, même manichéisme des analyses, même aversion pour le doute… On reviendra sur ces deux derniers points.

Le Normand qui part à l’assaut de Paris en 1989 n’a guère d’aversion pour les mondanités parisiennes qu’il fustige aujourd’hui. Il y a du Rastignac chez le jeune Onfray. Lorsque la très sélecte Revue des deux mondes lui propose d’y tenir un bloc-notes, en 1994, il accepte volontiers. Mais le rédacteur en chef de la revue, Jean Bothorel, n’est guère convaincu par les vingt feuillets qu’il reçoit chaque mois d’Onfray : « Textes confus, touffus, d’un graphomane. Sa plume courait à perdre haleine derrière ses

“maîtres”, une plume qui copiait, recopiait », dégageant « une impression de fricot relevé par une sauce pseudo-philosophique ». La rupture se produit en janvier 1995. « Il s’avisa de nous offrir une variation de ce qu’il nomma “libertinages solaires”, et de nous dispenser des cours de maintien sexuel sur un ton doctoral[3] », raconte Bothorel. Incompatibilité d’habitus entre le chroniqueur littéraire du Figaro et le professeur du lycée technique de Caen ? Peut-être. Toujours est-il que Onfray s’empresse de publier son texte refusé dans L’Infini, la revue dirigée par Philippe Sollers, autre éminence des mondanités littéraires parisiennes.

[1] M. Onfray, Georges Palante. Essai sur un nietzschéen de gauche, Folle Avoine, Bédée, 1989.[2] M. Onfray, « Critiques de la raison bucolique », La Règle du jeu, n°4, pp 76-98, 1991.[3] J. Bothorel, Chers imposteurs, Fayard, 2008.

Le « gastrosophe » et l’enseignant

Tel est le Onfray première manière : dandy, hédoniste revendiqué, et particulièrement versé dans la gastronomie qu’il rebaptise « gastrosophie ». On le voit ainsi publier une Théorie du Sauternes (Mollat, 1996), fréquenter assidûment les domaines bordelais, y obtenir le prix de l’Académie du vin de Bordeaux pour La Raison gourmande (Grasset, 1995), préfacer le Guide Hachette des vins… Et se tenir soigneusement à l’écart des grands mouvements sociaux de novembre-décembre 1995 qui divisent les intellectuels.

Mais Onfray ne tarde pas à se dire qu’il ne peut se contenter d’être le philosophe de la bonne chère. Hasard du calendrier ? C’est juste avant le trentième anniversaire de Mai 68 qu’il publie sa Politique du rebelle (Grasset, 1997),qui lui vaut de débattre sur les plateaux télé avec Daniel Cohn-Bendit.

Sur fond d’émergence de l’altermondialisme, la gauche radicale a alors le vent en poupe. Onfray s’en veut un des penseurs, lui apportant sa petite musique libertaire. Lors de la campagne

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présidentielle de 2002, il vote pour Olivier Besancenot. Le facteur alors inconnu, présenté par la LCR, obtient un inattendu 4,2 % des suffrages.

Mais ce que tout le monde retient de cette élection est le face-à-face du second tour opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. « Les inquiétudes d’un Auguste Blanqui sur la pertinence du principe du suffrage universel dans le cas, en son temps, d’un peuple illettré, inculte […] mais appelé à donner son avis lors d’une consultation électorale, se retrouvaient, à mon avis, dans la configuration postmoderne d’un peuple illettré, inculte, entretenu dans l’obscurantisme par le système économique libéral présenté comme l’horizon indépassable par la droite et la gauche de gouvernement », constate alors Onfray[1]. C’est ce peuple illettré qu’il entreprend d’éclairer. À la fin de l’année scolaire 2002, il démissionne de l’Éducation nationale – ses droits d’auteur conséquents et la mensualité que lui verse Grasset suffisant à ses besoins – et annonce son intention de créer une université populaire à Caen.

L’initiative mérite qu’on s’y arrête, car elle marque un tournant dans la carrière de Onfray. Fini le gastrosophe dissertant sur le Sauternes. Le second Onfray se veut social, rebelle, radical, reprenant du mouvement ouvrier du xixe siècle la tradition de l’éducation populaire nouant un lien entre intellectuels et prolétaires.

Les principes de l’université populaire de Caen (qui a depuis fait des émules à Lyon, Avignon, Grenoble ou Roubaix, pour ne citer que celles qui fonctionnent toujours) sont simples : bénévolat des enseignants – qui ne sont que défrayés de leurs éventuels frais de transport –, gratuité totale, absence d’examens comme d’inscriptions, et cours de deux heures, la première pour l’exposé, la seconde pour la discussion.

L’affluence est immédiatement au rendez-vous : 10 000 personnes dès la première année. Et un immense succès médiatique à la clé. Il suffit, pour s’en rendre compte, de consulter l’Inathèque, la base de données qui recueille le dépôt légal des émissions des radios et télévisions depuis 1995.

Avant la fondation de l’université populaire de Caen en 2002, Onfray n’apparaissait sur les ondes qu’une vingtaine de fois par an, au plus. Depuis, on peut le voir et l’entendre au moins une fois par semaine, et même deux fois (109 apparitions) en 2012, élection présidentielle aidant.

Nombre passage de Onfray à la radio et à la télévision ©

En matière de visibilité médiatique il fait aujourd’hui jeu égal avec son vieux rival Bernard-Henri Lévy : 381 apparitions contre 398 à BHL depuis 2010. Dans la catégorie des philosophes médiatiques, seuls Luc Ferry (1 036 apparitions) et Alain Finkielkraut (407 apparitions) les dépassent. Il est vrai qu’ils sont tous deux avantagés par leurs émissions régulières, sur LCI et Radio Classique pour le premier, sur France Culture pour le second. Bref, si Onfray a créé l’université populaire de Caen, c’est l’université populaire qui a créé le personnage Onfray, en lui donnant son aura de philosophe du peuple.

D’année en année, les cours de l’université populaire de Caen s’étoffent : à la philosophie, enseignement dispensé par Onfray, se sont ajoutés des cours sur le jazz, l’architecture, les mathématiques, le cinéma, la musique, l’art contemporain… Cinq séminaires l’année de lancement, quinze durant l’année 2014-2015. « Le public est engagé, investi, ponctuel, sans retard ni interruption inopinée. C’est un auditoire attachant », relève Myriam Illouz, qui tient un séminaire de psychanalyse. Et de préciser : « Michel Onfray est devenu hostile à la psychanalyse, pour autant, jamais l’idée de supprimer ce séminaire ne s’est posée. Plus encore, il est soucieux de protéger l’ouverture et la pluralité propre à l’université populaire. »

Reste que le public est très majoritairement composé de retraités. Le cours de philosophie d’Onfray dans l’amphithéâtre du Centre dramatique national d’Hérouville-Saint-Clair, en périphérie de Caen, se tient devant un océan de calvities, de teintures et de cheveux blancs. À laisser traîner ses oreilles dans la queue qui se forme avant l’ouverture des lieux, on entend parler croisières sur le Douro, travaux dans la résidence secondaire, week-ends au Mont-Saint-Michel, héritages et successions compliquées. Un public pas vraiment populaire, donc, ce qu’a confirmé la seule enquête sociologique menée, sur un petit échantillon de 200 participants réguliers. Si on lui en fait la remarque, Onfray objecte qu’il ne faut pas confondre populaire et prolétarien.

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Reconnaissons que le public des universités alternatives, qu’elles se nomment du « tiers-temps », du « temps libre » ou « populaire » (la remarque vaut aussi pour les cours du Collège de France) est partout majoritairement composé de retraités de professions intellectuelles.

[1] M. Onfray, Rendre la raison populaire, Autrement, 2012.

Les coulisses de l’université populaire

Les acteurs de la vie culturelle caennaise ne tarissent pas d’éloges sur l’université populaire. « Une vraie belle dynamique », pour Emmanuelle Dormoy, adjointe à la culture de la ville qui souligne que « Michel Onfray agit en citoyen et penseur, ancré dans son territoire et donnant son avis sur ses problématiques, comme la question de la fusion des régions de Haute et Basse-Normandie ». La municipalité de Caen est passée à droite en 2014 et la nouvelle équipe se montre des plus désireuses d’aider l’université populaire : subvention annuelle de 10 000 euros, mise à disposition gratuite du musée des Beaux-Arts, où se tiennent certains cours.

En froid avec la précédente municipalité, l’université populaire s’était un temps installée dans l’université de Caen.

« Michel Onfray m’a demandé un amphi car il ne trouvait aucun lieu pouvant accueillir plusieurs centaines de personnes. Je n’avais aucune raison de le lui refuser. Je trouvais intéressant qu’une université accueille en son sein un courant de pensée différent, et de nouveaux publics », raconte Nicole Le Querer, ancienne présidente de l’université de Caen. Même enthousiasme de Stéphane Grimaldi, directeur du Mémorial de Caen : « Nous avons accueilli une série de séminaires sur la guerre organisés par l’université populaire de Caen et j’ai été très agréablement surpris de voir arriver des publics nouveaux que nous n’avions jamais pu capter. »

Le seul son de cloche dissident, on le trouve chez Marie-Jeanne Gobert, élue communiste à la mairie de Caen et vice-présidente du Conseil régional de Basse-Normandie : « Ce qui me pose problème, avec l’université populaire de Caen, c’est que la structure soit soutenue entièrement par des fonds publics. Le public qui la fréquente devrait participer à son financement. Contribuer, même de manière symbolique, relève de l’éthique associative. C’est un principe fondateur de la vie associative, qui vaut pour le sport comme pour la culture, que chaque adhérent s’affranchisse d’une cotisation. » La critique de l’élue cible les deux points les plus critiquables de l’université populaire de Caen : son fonctionnement interne et ses finances.

Légalement, l’université est organisée par l’association loi de 1901 Diogène & Co. Mais cette dernière n’a aucun adhérent. Et ne souhaite pas en avoir. Son bureau (Micheline Hervieu, ancienne libraire d’Argentan et vieille amie de Onfray, comme présidente et François Doubin, qui fut ministre radical de gauche de François Mitterand et ancien maire d’Argentan, comme trésorier) est le même depuis 2002 et ne joue aucun rôle dans le fonctionnement de l’association. De fait, seul Michel Onfray et ce qu’il appelle « sa garde rapprochée » formée de vieux amis normands, dirigent l’université populaire de Caen (en particulier dans le choix, par cooptation, des nouveaux enseignants), hors de toute procédure formalisée.

Antoine Spire, qui y a enseigné durant sept ans l’éthique médicale, le déplore : « L’université populaire de Caen, contrairement à ce qu’affirme Michel Onfray, n’est pas un intellectuel collectif. Les enseignants ne se voient qu’une fois l’an, pour le séminaire de rentrée où chacun présente ce qu’il compte enseigner. Après, ils sont tout seuls et n’ont aucune idée de ce que racontent

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leurs collègues. Il n’y a aucune collégialité ». Onfray ne le conteste pas : « J’ai souhaité, au départ, la collégialité. Cela s’est vite avéré ingérable. Il y avait des problèmes d’ego. Il n’y avait pas vraiment de souci de l’intérêt général. » C’est donc Onfray seul, tel le philosophe roi de Platon, qui décide de l’intérêt général.

Les comptes de l’association Diogène & Co sont certifiés chaque année par un expert comptable. Le budget de l’association tourne, bon an mal an, autour de 80 000 euros, provenant jusqu’aux derniers exercices uniquement de subventions publiques. « Le Conseil régional nous a fait savoir que l’équilibre de l’association ne devrait pas reposer que sur les subventions et qu’il faudrait que nous ayons aussi nos ressources propres », explique Dorothée Schwartz, unique salariée de l’association, par ailleurs compagne de Michel Onfray. Diogène & Co a donc développé les ventes de produits dérivés : tasses, maillots ou clés USB aux couleurs de l’université populaire de Caen, qui ont rapporté quelque 13 000 euros lors de l’exercice 2013.

Mais le Conseil régional de Basse-Normandie suit avec attention la comptabilité de Diogène & Co. Ses services se sont fendus d’un contrôle de gestion – « une procédure normale en cas de demande de subvention accrue », insiste-t-on auprès du Conseil régional –, qui a révélé une considérable inflation des frais de réceptions (10 692 euros pour l’exercice 2012), de missions (5 487 euros) ou de voyages et déplacements (8 916 euros). Toutes ces sommes ont été divisées par deux à l’exercice suivant. « Cette remise à plat a permis de démontrer que l’augmentation de la subvention n’était pas nécessaire et que l’association pouvait améliorer sa situation en faisant des économies », constate-t-on au Conseil régional.

Public fort peu populaire, autocratie du fondateur et inflation des notes de frais payées par les deniers publics… Ces trois défauts de l’université populaire de Caen se retrouvent à l’université populaire du goût (UPG), lancée en 2006 par Onfray à Argentan, commune où il vivait alors. Le propos initial était de proposer une éducation à la gastronomie. Dès l’été 2006, de grands chefs défilent dans la salle des fêtes d’Argentan pour y donner des cours de cuisine devant plus de 800 personnes, habitants de la ville ou de ses environs. Une association loi de 1901, Épicure & Co, est constituée l’année suivante. Laquelle achète un chapiteau de cirque, pour donner à l’UPG son lieu propre, au centre d’un vaste terrain communal de potagers et vergers exploités par Jardins dans la ville, une association d’insertion locale. Un partenariat se noue entre les deux associations, qui ont le même trésorier (Jean-Marie Leveau) et, pour l’essentiel, les mêmes militants. Jardins dans la ville assure la maintenance du chapiteau et l’intendance des évènements, moyennant 5 000 euros annuels versés par Épicure & Co, qui bénéficie vite d’une subvention de 75 000 euros du Conseil régional de Basse-Normandie. Cinq à six événements sont organisés chaque année : dégustations gastronomiques, concerts de musique classique, rencontres avec des artistes…

« Progressivement, le public a changé. Il n’y avait presque plus de gens d’Argentan ou des environs. Il suffisait de regarder les immatriculations des voitures pour voir que l’on venait de loin pour assister aux séances de cette université populaire qui n’avait plus rien de populaire », raconte Jean-Marie Leveau. Les personnes accompagnées par Jardins dans la ville désertent les événements de l’UPG. Une violente chronique de Onfray – qualifiant « les bras cassés de l’association » d’« anciens alcooliques, drogués repentis, propriétaires de longs casiers judiciaires, ici un pédophile ayant effectué sa peine, là un tatoué ayant renoncé aux coups et blessures »[1] – achève de creuser un fossé entre les deux associations.

La rupture a lieu à l’été 2012 à l’initiative de Onfray, qui lance de violentes attaques ad hominem contre les responsables de Jardins dans la Ville. La quasi-totalité du bureau de Épicure & Co démissionne (dont Jean-Marie Leveau), laissant Onfray, qui en est président, quasiment seul. L’activité de l’UPG, privée de ses forces vives associatives, se réduit et, surtout, se transforme en une succession d’événements-spectacles, bien éloignés de l’esprit originel : rencontre avec Guy Bedos, débat sur le

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journalisme avec Franz-Olivier Giesbert, Laurent Joffrin et Jean-François Kahn. « Le plus grave, à mon sens, c’est que Michel Onfray a détourné l’UPG de sa vocation associative initiale pour l’utiliser au profit de sa carrière, de son image, de l’entretien de ses relations… et de ses propres affaires », regrette Jean-Marie Leveau, qui a refusé, en qualité de trésorier d’Épicure & Co, de rembourser à Michel Onfray des frais relevant à l’évidence de dépenses personnelles.

En novembre 2013, Onfray annonce avec fracas qu’il quitte Argentan, emmenant avec lui « son » université populaire, qu’il entend réinstaller dans son village natal de Chambois. Une de ses dernières initiatives, le 28 mars, a été d’y recevoir Michel Drucker, dont la contribution à l’histoire de la philosophie nous avait jusque-là échappé. « Michel Drucker voulait réfléchir sur le temps, sur la cruauté de la télévision, sur l’éphémérité de ses vedettes », se justifie Onfray. Et, habituel renvoi d'ascenseur, Drucker s'est empressé d'inviter Onfray à Vivement Dimanche...

https://youtu.be/RWsRxmC3Zd0

On peut se demander si ce second Onfray, l’homme de la philosophie populaire enseignant, au demeurant avec une clarté remarquable, devant son public de ses universités, sans faire face au moindre contradicteur sérieux, n’a pas précipité l’émergence du troisième Onfray, celui que l’on connaît depuis une dizaine d’années : l’homme violent qui fait expulser d’une tribune sous les huées haineuses le philosophe Michael Paraire, invité à débattre avec lui de Camus aux Rencontres du livre et du vin de Balma (Haute-Garonne) en avril 2013, sous prétexte que Paraire est l’auteur d’un livre qualifiant l’œuvre d’Onfray d’imposture[2] ; l’homme péremptoire qui, passant vite sur la présomption d’innocence, qualifie les inculpés de Tarnac de « bande de rigolos qui croit contribuer à l’avènement du grand soir en stoppant cent soixante TGV[3] » ; l’homme qui, de diatribes contre la théorie du genre en affirmation qu’il existe « un choc des civilisations entre l’Occident localisé et moribond et l’Islam déterritorialisé en pleine santé[4] », semble surfer sur l’air réactionnaire du temps, même s’il s’en défend.

https://youtu.be/bCba0T1cnm0

« La gauche doit parler des pauvres, c’est en cela que je défends toujours une gauche antilibérale. Je n’ai pas changé, mais j’ai modifié mes combats à mesure que la gauche libérale, qui a pris comme chevaux de bataille la théorie du genre ou la location des utérus, a changé les siens », affirme-t-il. S’il est, en privé, ouvert à la discussion, le troisième Onfray ne doute jamais en public. Ni de ses haines : comme celles des monothéismes, de l’idéalisme allemand ou de la psychanalyse freudienne. Ni de ses vénérations, comme celles de Nietzsche, de Charlotte Corday ou d’Albert Camus. Le problème est que chacun de ses ouvrages sur ces questions a été étrillé par les spécialistes du domaine qui y ont relevé d’innombrables erreurs et approximations.

[1] Chronique n°65 du blog de Michel Onfray, octobre 2010.[2] M. Paraire, Michel Onfray, une imposture intellectuelle, Les Editions de l’épervier, 2013.[3] M. Onfray, Siné-Hebdo, n°11, 2008, p 5.[4] Chronique n°118 du blog de Michel Onfray, mars 2015.

Erreurs et approximations

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Le Traité d’athéologie (Grasset, 2005), à ce jour son plus grand succès de librairie avec quelques 370 000 exemplaires vendus toutes éditions confondues, est le premier des livres d’Onfray à consterner par le simplisme de son propos. On y apprend, entre autres subtilités, que « le mariage d’amour entre l’Église catholique et le nazisme ne fait aucun doute », que la vision du monde de l’islam « n’est pas bien éloignée de celle de Hitler » et que « les chambres à gaz peuvent s’allumer au feu de Saint-Jean ».

Onfray récidive dans l’outrance trois ans plus tard avec Le Songe d’Eichmann (Galilée, 2008). Cette fois, ce n’est plus le catholicisme qui est accusé de complicité avec le nazisme mais Emmanuel Kant ! L’argumentaire est tout aussi captieux : il repose sur une déclaration d’Adolf Eichmann, lors de son procès à Jérusalem, affirmant n’avoir fait que son devoir au sens kantien d’impératif catégorique. Citations tronquées, anachronismes d’interprétations et contre-sens grossiers abondent dans ce petit texte, comme l’a relevé le philosophe Claude Obadia[1].

Lorsqu’il se pique d’histoire, Onfray est tout aussi peu rigoureux. Son apologie de Charlotte Corday (La Religion du poignard, Galilée, 2009) est décrite par l’historien Guillaume Mazeau comme « un medley de textes qui relèvent eux-mêmes d’interprétations et de compilations, pour la plupart écrites au xixe siècle… Or l’“auteur” ne s’interroge jamais sur leur nature. Cette paresse de la pensée conduit Onfray à paraphraser, durant de longues pages, des récits tout simplement apocryphes, issus… de la droite la plus conservatrice[2] ! ».

Peut-être désireux de donner un peu plus de sérieux à ses livres, Onfray les accompagne, à partir du Crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (Grasset, 2010), d’une bibliographie. S’il ne va pas jusqu’à citer point par point les sources de ce qu’il assène dans sa diatribe anti-Freud, présenté comme, excusez du peu, « de mauvaise foi », « cupide », « superstitieux », « angoissé et phobique », Onfray n’en indique pas moins, sans se priver de distribuer bons et mauvais points, ses lectures.

Le livre réussit cependant à accumuler 600 erreurs factuelles, selon les décomptes de l’historienne de la psychanalyse Élisabeth Roudinesco[3], qui souligne qu’« aucune n’a été corrigée dans l’édition de poche du livre ». Ce livre à succès (158 000 exemplaires écoulés à ce jour) lui vaut en tout cas de se brouiller avec

Grasset, son éditeur historique.

« Tout le monde m’est tombé dessus. On m’a traitédenazi, de pédophile… J’ai été peu défendu par Grasset, si ce n’est par Jean-Paul Enthoven. J’avais des problèmes avec mon attachée de presse qui avait autre chose à faire que s’occuper de moi. BHL, qui fait partie de la maison Grasset, m’a attaqué dans Le Point. C’est alors que j’ai constaté que Grasset préférait ne pas choisir entre BHL et moi », raconte Onfray, qui décide de publier le livre sur Camus qu’il prépare alors chez Flammarion.

Avec L’Ordre libertaire (Flammarion, 2012), il réitère dans l’approximation. Le plus cruel est sans doute qu’un spécialiste de Camus, Jeanyves Guérin, qu’il cite avec respect, ait dénoncé « ce livre bâclé [qui] n’est pas neuf », où « ce qui s’y veut neuf est peu fondé », desservi par « le dogmatisme, les outrances et les à-peu-près »[4]. Citons quelques exemples de ces derniers. L’écrivain collaborationniste Lucien Rebatet ne fut pas exécuté à la Libération, le président du Conseil Daladier ne se prénommait pas Paul mais Édouard, De Gaulle n’a pas remis la rosette de la

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Résistance à Camus le 11 juillet 1946 (pour la simple raison qu’il avait alors quitté le pouvoir depuis six mois), le CNE de la Résistance était le Comité national des écrivains (et non des éditeurs), un des premiers auteurs à souligner les ambiguïtés de Sartre sous l’Occupation ne s’appelait pas Joseph Gilbert mais Gilbert Joseph, et l’on en passe. Comme l’écrit Jeanyves Guérin, « on se demande parfois si l’éditeur a fait lire le manuscrit avant de l’envoyer à l’impression ». On se demande aussi si l’auteur l’a relu avant de l’envoyer à l’éditeur.

[1] C. Obadia, « Kant et le nazisme. L’étrange passion de Michel Onfray », Le Philosophoire (2008), n°30, pp 161-167.[2] G. Mazeau, recension parue dans les Annales historiques de la Révolution française (2010), 630, pp 252-254.[3] É. Roudinesco (dir.), Mais pourquoi tant de haine ?, Le Seuil, 2010.[4] J. Guérin, « Michel Onfray et Camus : le pavé de l’ours », Les Temps modernes (2012), n° 668, pp 113-124.

Le Bien, le Mal, le corps

On pourrait multiplier les exemples de ces approximations et de ces inepties qui parsèment les milliers de pages d’Onfray. Comme BHL, qui citait avec déférence le canular de Botul, Onfray compile et agrège sans rigueur et se moque des notes de

de bas de page qu’il rejette au rang de manies des universitaires honnis. On peut en rire, comme le fait la très situationniste page facebook « Michel Onfray, la Chantal Goya du concept ». On peut aussi essayer de comprendre comment fonctionne le système Onfray, de décrypter son mode de pensée. Il se résume, au fond, en deux principes.

Le premier est revendiqué explicitement, et ce depuis ses premiers livres : lire une œuvre philosophique à la lumière de la vie de son auteur. Toute pensée, pour Onfray, ne serait que « la confession d’un corps ». Pour préparer ses cours à l’université populaire de Caen, sa méthode est toujours la même : lire l’œuvre complète de l’auteur, puis ses biographies. Pourquoi pas ? L’idée n’est en tout cas pas nouvelle : c’était la méthode de Sainte-Beuve en matière de critique littéraire.

Elle a hélas montré ses faiblesses. Comment tout savoir de la vie d’un homme ? Comment démêler la légende de l’histoire ? Les anecdotes apocryphes des faits avérés ? Onfray, qui aime à nous décrire Diogène se masturbant avec un poisson, Spinoza torturant les insectes et Sartre d’une saleté répugnante, ne s’embarrasse pas de ces considérations. Si l’existence d’un homme influe à l’évidence sur son œuvre, celle-ci a aussi sa logique propre, liée à l’évolution du champ philosophique. Là encore, la contextualisation n’est pas le point fort de la méthode Onfray. « Cette causalité déterministe stricte du texte comme objet et reflet de la vie d’un auteur conduit à une méthode policière et inquisitoriale qui fait grand cas de misérables et invérifiables secrets d’alcôve », observe le philosophe et éditeur Michael Paraire.

Le second principe n’est, en revanche, guère assumé, et pour cause : il relève à l’évidence du christianisme honni. Pour Onfray, il y a le bien et le mal, les bons penseurs et les mauvais penseurs, les gentils et les méchants. « Ce n’est pas moi qui pense ainsi, mais toute la tradition occidentale », se défend-il. Peut-être. Mais Onfray ne tente en rien de s’affranchir de ce manichéisme. On peut décliner longuement cette série d’oppositions binaires qui structure son œuvre : Proudhon contre Marx, Schopenhauer contre Hegel, Camus contre Sartre…

Des exemples ? Commençons par un des plus risibles : le récit de sa rencontre avec Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle : « Lui dans l’inquiétude dispersée ; moi dans la quiétude concentrée. Lui l’intranquille éparpillé dans les fragments ; moi tranquille dans le grand tout ; lui nerveux sans cesse ; moi serein tout le temps[1]. » Un autre exemple ? Il faut opposer, explique Onfray dans La Pensée de midi (Galilée, 2007), « la Commune à la bureaucratie, la révolte gorgée de pulsion de vie à la révolution indexée sur la pulsion de mort, le cœur des hommes au sang des ennemis, l’esprit libertaire à la révolution césarienne, la pensée solaire grecque à la pensée nocturne allemande ».

On arrêtera là la citation, qui égrène pendant plusieurs lignes encore ces couples d’opposition, pour s’arrêter à l’adjectif « solaire », le préféré de Onfray. Comme il l’écrit dans Le Désir d’être un volcan « est solaire ce qui s’oppose au nocturne : solaire, la vie, le désir et les plaisir complices, la jubilation, l’incandescence dans la volonté de jouissances ; solaires le désir radieux, la prévenance exacerbée, la courtoisie ; solaires, la

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douceur et la délicatesse, l’âme chevaleresque et la politesse amoureuse. Nocturnes, les bouges et les sanies, les déchets et les nausées, les matières dégoûtantes et les souffrances, les douleurs et les peines. Nocturnes, l’indélicatesse, la négligence, l’oubli de l’autre, le mépris, la violence ». Bref, le bien, solaire, et le mal, nocturne.

De façon amusante, c’est dans la thèse de Onfray, que l’on trouve en note de bas de page la meilleure description de sa méthode sous la forme d’une citation de Jacques Bouveresse, philosophe rationaliste guère prisé de notre penseur solaire : « La philosophie de Spengler est construite tout entière sur une série d’oppositions tranchées, d’alternatives simples et de dualités exacerbées, dont l’un des éléments, présenté comme systématiquement méconnu ou ignoré jusqu’ici, est systématiquement valorisé au détriment de l’autre[2]. »

Il suffit de remplacer Spengler par Onfray pour obtenir une très exacte description des sept tomes de la Contre-histoire de la philosophie. Comment ne pas voir, dans cette manière d’opposer systématiquement le bien et le mal, une trace de l’éducation catholique ? Reconnaissons qu’il arrive à Onfray de l’admettre, comme dans cet entretien à Télérama : « J’ai été formaté par les prêtres salésiens. Je leur dois l’idée qu’il existe un Bien et un Mal, des choses qu’on fait et des choses qu’on ne fait pas, la croyance aux valeurs, aux vertus[3]. »

À lire Onfray, puisqu’il y a le bien et le mal, puisqu’il n’existe aucune vérité, si ce n’est celle d’un homme et d’un corps, tout énoncé est donc admissible. Tout est question d’opinion et de sensibilité. Un corps pensera ceci, un autre cela. Et seul le philosophe – lui, pour ne pas le nommer – distinguera bonnes et mauvaises pensées, à la manière d’un directeur de conscience. Fidèle à sa méthode psychobiographique, Onfray n’aime rien tant, dans les controverses, que d’user d’attaques ad hominem plutôt que d’arguments. Il ne fait guère mystère, du reste, de son mépris du rationalisme et des règles de la pensée : « La logique, c’est de la théologie par laquelle on accède avec d’autres moyens[4]. » Ou encore : « Je ne pense pas en termes de “preuves” ni de “vérités” mais d’efficacité existentielle[5]. »

Voilà qui rappelle le relativisme des courants postmodernes, très prisés d’un certain monde universitaire qu’il affirme pourtant détester. « Onfray, qui critique de manière démagogique l’enseignement universitaire, est lui-même une

émanation de ce qu’il y a de plus caricatural dans le genre scolastique de la philosophie contemporaine », relève Michael Paraire. On peut ainsi voir dans Onfray un postmoderne parmi d’autres, Jean-François Lyotard, Jacques Derrida ou le dernier Michel Foucault par exemple, fort peu préoccupés d’une rationalité décrétée obsolète. Ce n’est pas par hasard que Semiotext(e), éditeur américain spécialisé dans la publication de ces auteurs phares de la french theory, se soit proposé de traduire Onfray (la proposition n’a pas abouti du fait du refus de Grasset).

« Vu de l’étranger, on se demande bien quels sont les besoins de certains secteurs de la société française qui sont assouvis tous les ans à nouveau avec les produits de ce “philosophe” dans toutes les formes médiatiques, produits qui pullulent du reste d’erreurs factuelles », notait l’historienne allemande Ingrid Gastler dans une tribune énumérant les « pillages et les déformations » concernant Simone de Beauvoir dans le tome 9 de la Contre-histoire de la philosophie[6]. La question est pertinente.

Qu’est-ce les succès phénoménaux des livres d’Onfray nous disent de la société française ? S’ils sont le nom de quelque chose, c’est sans doute du fossé de défiance qui ne cesse de se creuser entre « les élites » et « le peuple », fossé qui recouvre largement celui qui sépare Paris de la province. Deux vieux clivages dont Onfray sait jouer à merveille, en se revendiquant du peuple et de province, contre « la grande bourgeoisie parisienne » qu’il ne cesse de pourfendre. Sa dénonciation porte d’autant plus qu’elle se propose de dévoiler des ressorts cachés de la domination. Onfray se fait ainsi redresseur de torts, rendant hommage à des auteurs méconnus qu’il présente comme injustement ostracisés.

À la manière de ces théories du complot mettant en doute « les vérités officielles » , O n f r a y dénonce, depuis le succès (80 000 exemplaires) de son Antimanuel de philosophie (Bréal, 2001), une h y p o t h é t i q u e occultation d’un

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pan entier de la tradition philosophique occidentale, celle du matérialisme, par l’Université française. De diatribes en diatribes contre « les fonctionnaires de la philosophie » et « l’ordre universitaire et ses principes policiers », il a ainsi construit sa contre-philosophie.

Mais pour que cette dernière soit possible, ne faut-il pas qu’une philosophie existe ? « Sans l’Université, qu’elle reconstruit à l’aune de ses fantasmes, la contre-philosophie n’existerait pas ; elle est en effet, à sa façon, un rouage, du moins un effet d’une topographie institutionnelle », observe Jean-François Kervégan, professeur à l’université Paris 1 qui souligne la place sans équivalent au monde de la philosophie dans le système scolaire français[7]. De l’enseignement obligatoire de la discipline en classe de terminale en sacro-sainte agrégation, la France a fait, depuis la IIIe République, de la philosophie sa religion laïque. « Là où d’autres ont des gourous et des astrologues, nous avons des philosophes », poursuit Kervégan. C’est de ce fond géologique très français que le volcan Onfray tire son magma.

En conclusion de sa thèse, Onfray vantait « le philosophe artiste », tout à la fois « expérimentateur [qui] ne cesse de mettre en pratique de nouvelles possibilités de vie puisque tout est permis », « destructeur [qui] sait se faire cruel à l’égard des idoles, des idéaux, des phantasmes », mais aussi « éducateur [qui] synthétise dans son souffle les qualités du conducteur capable de sélection, de discipline, d’estimation critique [et qui] parce que maître, est législateur, démiurge immanent, rêveur dyonisiaque ». Ces lignes datent de 1986.

Presque trente ans plus tard, on peut donner crédit à son auteur d’avoir mis en pratique ce programme. Il n’appartient qu’à « l’expérimentateur » de tirer le bilan de ses possibilités de vie. Le « destructeur » a démontré tant sa fureur iconoclaste que son absence de rigueur. L’« éducateur » use de ses indéniables talents de pédagogue dans ses universités populaires. Reste que l’on s’inquiète de ce que pourrait donner une éruption du « législateur, démiurge immanent ».

[1]M. Onfray, « Dans la peau de Nicolas Sarkozy », Le Nouvel Observateur, 26 avril 2007.[2] In collectif, Le Temps de la réflexion, Gallimard, 1983.[3] Entretien avec Catherine Portevin et Vincent Rémy, Télérama, 12 mars 2005.[4] Entretien avec Laurent Lemire, La Croix, 5 août 1996.Post, 19 février 2013.

[5] Entretien avec Roger-Pol Droit, Le Monde des livres, 29 octobre 2004.[6] I. Gastler, « Beauvoir. Les pillages et les déformations de Michel Onfray », The Huffigton Post, 19 février 2013.[7] J.-F. Kervégan, « L’institution française de la philosophie et son envers », Esprit, pp 34-50, mars/avril 2012.