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    Society for French Historical Studies

     

    L'Organisation de la science en France depuis 1870: Un Tour des recherches actuellesAuthor(s): Jean-François PicardSource: French Historical Studies, Vol. 17, No. 1 (Spring, 1991), pp. 249-268Published by: Duke University PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/286290Accessed: 27-04-2016 10:14 UTC

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     REVIEW ARTICLE

     L'Organisation de la science en France depuis 1870:

     Un Tour des recherches actuelles

     Jean-Franfois Picard

      Politique de la science: cette expression ne fleure-t-elle pas les annees

     soixante quand une generation d'intellectuels croyait en d'aussi

     etranges objets que le Structuralisme, l'Imaginaire et le modele des

     Annales? Lors d'un colloque historique organise 'a Paris les 23 et 24

     octobre 1989 pour le cinquantenaire du Centre national de la recherche

     scientifique (CNRS), le professeur Harry Paul taquinait une assis-

     tance qui voulait voir dans la realisation du principal organisme

     francais de recherche, l'aboutissement d'une telle politique.' Politique

     scientifique, le terme couvre plusieurs notions. En anglais, science po-

     licy, rappelait un autre participant, le professeur Charles C. Gillispie,

     evoque l'idee de programme mis en oeuvre par un gouvernement en

     vue de resoudre les problemes d'une societe. Le colloque du cinquante-

     naire rouvrait ainsi un debat classique. La recherche, cet effort vers la

     connaissance des lois de la nature ( honneur de l'esprit humain

    d'apres H. K. Jacobi), ne doit-elle pas disposer d'une liberte totale,

     comme la creation artistique, selon la metaphore maintes fois utilisee

     par le physicien Jean Perrin, l'un des peres du CNRS? Au contraire, ne

     finit-elle pas ineluctablement entre les mains d'industries ou de gou-

     Jean-Francois Picard holds an appointment at the Centre de recherches historiques of the

     Centre national de la recherche scientifique. He is the author of Recherche et industrie,

     temoignage sur quarante ans d'atudes et de recherches a Electricite de France (1987), La

     Republique des savants, la recherche franfaise et le CNRS (1990), and other works.

     I Les travaux suscites par le programme de recherche sur i'histoire du CNRS sont reunis dans

     des Cahiers pour l'Histoire du CNRS (Editions du CNRS, 1988->). Ce programme de recherche

     debute en 1986 a beneficie de l'ouverture de plusieurs fonds d'archives. Notamment des versements

     concernant le CNRS cotes AN, 78-283 et 80-284 et la DGRST, cotes AN, 54-121 A 124, 59-146,

     77-321 A 323, 81-401, 82-254, 86-369 (responsable Odile Welfe, 15 quai A. France, 75700 Paris)

     ainsi que du fonds de la serie F60 aux AN, Secreariat general du Gouvernement.

     French Historical Studies, Vol. 17, No. 1 (Spring 1991)

     Copyright ? 1991 by the Society for French Historical Studies

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     25 FRENCHHSTORCAL STUDES

     vernements soucieux de profits et de puissance? En fait, comme le sou-

     lignait Paul, le dilemme est tranche depuis longtemps par sa

     prostitution aux demandes de nos societes.2 Mais on peut avancer

     qu'en France le debat toujours vif qui oppose les defenseurs de la

     chastete de Dame Science aux pharisiens de la recherche appliquee

     fournit la trame d'une histoire particuliere.

     Gillispie, specialiste du XVIIeme siecle, rappelait la preeminence

     scientifique francaise avant la Revolution de 1789, epoque oui la

     communaute scientifique la plus developpee du monde vivait 'a

     Paris. 3 College de France, Academie des sciences, grandes Ecoles crees

     par la Monarchie puis par la Revolution, c'est 'a la Nation ou'

     s'installerent ces nobles institutions que les historiens s'accordent 'a

     conceder une sorte de magistere mondial jusqu'au milieu du XIXeme

     siecle. Apres, la France regresse dans le rang des grandes puissances. Sa

     population, son economie sont depassees par celles de la Grande-

     Bretagne. Sa defaite militaire en 1870 signe son inferiorite industrielle

     -et scientifique dit-on- vis a vis du nouveau rival prussien. Bientot

     les puissances extra-europeennes et d'abord les Etats-Unis, contribuent

     'a la repousser plus loin des meilleurs. Saigne par la difficile victoire de

     1918, vingt ans plus tard, le pays manque de disparaitre dans la debacle

     du printemps 1940 ou' certains veulent voir une defaite de l'intelli-

     gence.4 Tout ceci est connu. La question est de savoir si cette perte de

     rang se rencontre aussi dans le domaine des sciences. La reponse est dif-

     ficile, ne serait-ce qu'a cause des difficultes de definir ce que peut etre

     une production scientifique nationale. Avec quelque raison, les his-

     toriens des sciences se plaisent 'a dire que celle-ci n'a pas de patrie, la

     connaissance eant d'essence universelle.5 Un autre point de vue, pro-

     bablement celui d'une histoire plus triviale, laisse davantage de place 'a

     des contingences exogenes-a l'histoire des sciences s'entend-et pro-

     pose une reponse fondee sur l'analyse de l'organisation de la recherche

     plus que sur la science elle-meme. C'est celui qui sera adopte ici.

     Essor ou stagnation? Un courant actuel de l'historiographie

     anglo-saxonne interesse par la recherche francaise a fonde une hypo-

     2 H. Paul, debats du colloque des 23 et 24 X 1989, Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 6-1989,

     pp. 31-41.

     C. Gillispie, La Science A laube des temps modernes in Sciences et Vie, 200 ans de science

     1 789-1989, n?166, mars 1989, pp. 6-11.

     4 Par exemple P. Masson, Une Guerre totale, 1939-1945, Strategies, moyens, controverses,

     Taillandier, 1990.

     5Voir par exemple les debats de Styles scientifiques et cultures locales, etudes comparees des

     pratiques scientifiques dans diverses regions europeennes et americaines depuis le milieu du

     XIXeme siele. Conference organis&e par D. Pestre et Y. Cohen, REHSEIS-CRHST, Cite des

     sciences de la Villette, 17 et 18 mai 1990.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 251

     these positive.6 Ainsi, Harry Paul dans un ouvrage recent evoque: la

     stupefiante croissance de la science universitaire francaise de 1860 a la

     fin des annees 193O. 7 Notre these est quelque peu differente. En evo-

     quant au passage certains des exemples utilises, nous parlerons d'un

     declin fran~ais dans le domaine scientifique, dont l'etiage serait atteint

     dans l'entre deux guerres (1919-39), suivi d'un retour progressif vers les

     meilleures positions de la recherche francaise actuelle. A l'origine de ce

     declin, un evenement nous semble avoir tenu un role essentiel: la

     France a manque la nouvelle alliance chere a Thomas Kuhn, scellee

     entre la science et l'industrie en Angleterre, en Allemagne et aux Etats-

     Unis a la fin du XIXeme siekle.8 Et si aujourd'hui elle a reussi a

     combler ce retard et a rapprocher enfin sa recherche de son industrie-

     d'une maniere suffisamment remarquable en tout cas pour susciter de

     bonnes etudes retrospectives d'origine nord-americaine-elle le devrait

     plus a la mise en oeuvre d'une politique pour la science qu'a un quel-

     conque sursaut de sa communaute savante.

     Au tournant du siecle, l'echec de l'alliance kuhnienne en France

     est du ̂au conservatisme d'une universite mal disposee envers la re-

     cherche et aux frilosites d'une industrie qui mesure son effort d'inno-

     vation. Reprenons ces elements. En 1808, le pays a mis en place une

     universite centralisee et etatique, con~ue comme un instrument peda-

     gogique destine a la collation de grades dans le prolongement de l'en-

     seignement secondaire.9 La science y est consideree comme un simple

     corps de connaissances, le laboratoire en etant quasiment absent. La

     recherche francaise s'implante donc ailleurs, notamment dans les

     grandes ecoles crees par la Revolution pour fa~onner les elites du pays.

     L'Ecole polytechnique et l'Ecole normale superieure-cette derniere a

     partir du milieu du XIXeme siecle-puis l'Ecole pratique des hautes

     etudes (1868) font d'ailleurs mieux que pallier l'absence d'une univer-

     site chercheuse de type moderne. 10 Henri Becquerel, le decouvreur de la

     radioactivite, premier Nobel fran~ais (1903), est polytechnicien. A la

     6 Ainsi R. Fox, and G. Weisz (ads.), The Organization of Science and Technology in France

     1808-1914, Cambridge U. P. et Maison des Sciences de iHomme, Paris, 1980. La bibliographie de

     cet article ne pretend pas ktre exhaustive. Le lecteur aura intrkt A se reporter A celles des ouvrages

     cites.

     7H. Paul, From Knowledge to Power: the Rise of the Scientific Empire in France,

     1860-1939, Cambridge University Press, 1985. Dans son introduction, l'auteur privient son lec-

     teur qu'il fait le choix d'un modde de d&veloppement rose (p. 4).

     8 T. Kuhn, La Structure des revolutions scientifiques. Flammarion, 1972.

     Un d&cret du 17 mars 1808 fonde l'Universit6 imperiale. A. Prost, Histoire de l'enseigne-

     ment en France, 1800-1967, Paris, Armand Colin, 1968. Nouvelle ed. 1986, p. 25.

     10 J. Dhombres, La Naissance du systeme scientifique fran~ais, Sciences et Vie, 200 ans de

     science 1789-1989, n?166, mars 1989, pp. 12-18.

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     252 FRENCHHSTORCAL STUDES

     fin du siecle, les deux tiers des professeurs de la Sorbonne sortent de

     Normale superieure. 1 Le cas de Louis Pasteur, le pere de la microbio-

     logie, est exemplaire. L'illustre normalien con~oit a la fin de sa vie l'un

     des premiers organismes crees dans le monde uniquement pour la re-

     cherche, mais il tient a l'installer hors du cadre universitaire.12 L'Insti-

     tut Pasteur ouvre ses portes a Paris en 1888, mais malgre le succes dont

     on doit le crediter, le modele d'organisation qu'il propose va ren-

     contrer plus de succes a l'etranger qu'en France. I1 inspire un senateur

     progressiste, Jean Audiffred, qui cree en 1901 une Caisse des recherches

     scientifiques destinee a subventionner des laboratoires en les affran-

     chissant de l'injuste systeme des prix academiques pour, citons: aider

     la recherche a se faire plutot que de recompenser la decouverte.''l3 Mais

     cette caisse se heurte aux difficultes d'amorcer un micenat prive et vivo-

     tera, chichement dotee par l'Etat, grace aux paris sur les courses de che-

     vaux. Cependant, le modele pasteurien fait souche a l'etranger. En

     1909, il est nommement utilise par un professeur berlinois, Adolf

     Harnack, charge par le ministre de l'Instruction prussien de la creation

     d'une nouvelle institution scientifique. Ce sera la Kaiser Wilhelm

     Gesellschaft dont le financement est assure, outre une dotation

     imperiale, par les industries chimiques et electriques berlinoises

     (1911).1' En 1913, la Fondation Rockefeller est creee aux Etats-Unis

     grace a la generosite du magnat du petrole, John D. Rockefeller, Cette

     derniere interviendra d'ailleurs au profit de la recherche francaise en

     financant un Institut Henri Poincare pour les mathematiciens (1924)

     et plus tard le CNRS lui-meme.15

     Certes, dans les annees 1880, la IIheme Republique avait entrepris

     de reformer son universite. L'intention du directeur de l'Enseignement

     superieur, Louis Liard, etait de decentraliser le systeme en donnant

     leur autonomie aux differentes facultes. Mais l'historien Antoine Prost

     cerne les limites d'une reforme qui s'est heurtee aux lourdeurs du jaco-

     binisme universitaire et qui, loin de contribuer a la creation d'univer-

     sites autonomes-a l'allemande ou a 1'anglaise-, aboutit a un simple

     changement de denomination, les facultes d'hier devenant des uni-

     11 C. Charle, De la rue Descartes A la rue d'Ulm, Sciences et Vie, 200 ans de science

     1 789-1989 n?166, mars 1989, pp. 130-35.

     12 P. Gascar, Du cote de chez Monsieur Pasteur, Jacob Odile, 1986; et C. Salomon-Bayet et

     alii., Pasteur et la revolution pasteurienne, Payot, 1986.

     3 Attendus de la loi du 14 juillet 1901 qui fonde la Caisse des recherches scientifiques.

     '4 R. Gerwin, 75 Jahre Max-Planck-Gesellschaft. Ein Kapitel deutscher Forschungs-

     geschichte in Naturwissenschaftliche Rundschau, 1-1986 et P. Radvanyi et M. Bordry, Genese

     tres contrast&e de la KWG et du CNRS in Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 1989-3, pp. 59-72.

     15 D. T. Zallen, The Rockefeller Foundation and French Research in Cahiers pour l'His-

     toire du CNRS, 5-1989, pp. 35-58.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 253

     versites. ''6 Pour d'autres cependant, cette tentative a debouche sur un

     renouveau dont ils voient le signe dans la creation, en province, d'insti-

     tuts de recherche appliquee. Le cas de Lille, de Nancy, de Grenoble, de

     Lyon ou de Toulouse est cite, avec des succes a l'appui evoques par

     Mary Jo Nye, 17 deux Nobel de chimie pour ces deux dernieres villes (P.

     Sabatier et V. Grignard).18 En fait, cette relance universitaire provin-

     ciale du debut du siecle ne survit pas 'a la premiere guerre mondiale et la

     posterite des instituts en question restera mince.'9 I1 semble abusif de les

     aligner sur les grandes ecoles parisiennes, comme le fait Paul,20 voire

     sur les technische Hochschulen allemandes qui leur avaient servi de

     mod'Ies.21 Par ailleurs, la guerre de 1914-18 aggrave la situation. 40%

     des etudiants de la Sorbonne, environ la moitie des promotions de guer-

     re de l'Ecole normale disparaissent au front. A la faculte des sciences

     de Paris on ne compte que trois postes de professeurs supplementaires

     entre 1910 et 1938.22 Le nombre de diplomes scientifiques progresse,

     mais moderement et par paliers, tandis qu'ai partir des annees trente

     une hausse soutenue des diplomes en lettres-tout en accusant le tas-

     sement des sciences exactes-montre ou' sont les priorites intellec-

     tuelles de l'universite francaise.

     De cette periode, Dominique Pestre qui s'est interesse a l'histoire

     de la physique decrit l'asthenie de laboratoires de chaires vivant au des-

     sous des standards internationaux, dont les travaux sont peu cites dans

     la litterature scientifique internationale et qui se revelent tardivement

     16 G. Weisz, The Emergence of Modern Universities in France, Princeton U. P., 1982, et A.

     Prost, Op. cit., p. 235 et sq.

     17 M. J. Nye, Science in the Provinces: Scientific Communities and Provincial Leadership in

     France, 1860-1930, University of California Press, 1986.

     18 Le Nobel peut-il servir A mesurer les performances scientifiques d'un pays? En tout cas, sur

     onze laureats entre 1901 et 1914 (dont deux fois M. Curie) contre seize pour l'Allemagne et deux

     pour les Etats-Unis, la France n'en compte plus que cinq entre 1919 et 1939 contre vingt A l'Alle-

     magne et onze aux Etats-Unis. Selon le classement par nationalites propose par H. Schuick et alii,

     Nobel, the Man and his Prizes, Elsevier, Amsterdam, 1962.

     19 A preuve, entre autres, les conclusions des grandes enquetes menees dans l'entre deux guer-

     res: celle de la societe de chimie industrielle (A. Ranc, Le Budget du personnel des recherches

     scientifiques en France. Paris chimie et industrie, 1926) ou l'inventaire national effectuee A l'in-

     stigation d'un Haut comite de la recherche scientifique et technique en 1938, conserve in AN,

     CNRS, versement 80-284, liasses 7 A 22.

     20 Paul, Ibid., p. 149.

     21 A. Broder, Enseignement et developpement industriel en France dans le seconde moitie

     du XIXeme siecle et comparaison avec l'Allemagne et P. Lungreen, Formation et recherche

     dans les sciences exactes et les sciences de l'ingenieur dans les universites allemandes de 1870 A

     1930, Actes du colloque franco-allemand, Recherche, Technologie et Developpement Industriel

     aux XIXeme et XXeme sieles, Munich, Deutsches Museum, 12-15 octobre 1987.

     22 Ces chiffres sont cites par Henri Longchambon dans un Rapport general sur les prob-

     lemes interessant l'economie nationale et la defense nationale, appelant un effort immediat de

     recherche scientifique (IX-1939). AN, CNRS, 80-284, liasse 30.

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     254 FRENCHHSTORCAL STUDES

     3250.

     Lettres

     1625

    Sciences

     925

     650

     325

    188 189 19 191 192 193 194

    FIG. 1. EvOLUTION DU NOMBRE DES DIPL6MES DELIVRES PAR LES FACULTES DE 1880 A 1940

     (MOYENNES DECENNALES), D'APRES A. PROST.23

     permeables aux nouvelles theories d'Einstein et de Planck.24 Cette si-

     tuation conforte une sorte de repli intellectuel. Privilegiant les disci-

     plines les plus abstraites-les mathematiques placees au pinacle de la

     fameuse hierarchie d'Auguste Comte25-l'universitaire fran~ais op-

     pose plus volontiers que ses homologues etrangers un univers de la re-

     cherche fondamentale et de la science pure a l'utilitarisme (impur) de

     la recherche appliquee.26 Les contacts entre 1'enseignement et 1'indus-

     trie sont rares, d'ailleurs cette derniere recrute ses dirigeants dans les

     grandes ecoles et non a la faculte.

     L'autre raison de ce declin scientifique est que l'industrie fran~aise

     a cesse d'etre innovatrice, du moins dans ces nouvelles branches qui se

     nomment chimie et electricite' et qui voient s'installer, en Allemagne

     ou aux Etats-Unis, le laboratoire dans l'usine. Tandis que l'histoire de

     la chimie fran~aise reste encore largement 'a faire, le cas de l'electricite

     commence a etre mieux connu a travers un certain nombre de travaux,

     certains pilotes par ces groupements de recherche historique que 1'on

     voit naltre aujourd'hui a l'instigation de grandes entreprises, telle

     l'Association pour l'histoire de l'electricite en France.27 L'histoire de

     23 Prost, Ibid., p. 231.

     24 D. Pestre, Physique et physiciens en France, 1918-1940. Ed. des Archives Contemporaines,

     1984.

     25 Dans ses Cours de philosophie positive a l'Ecole polytechnique, publies de 1830 a 1842,

     Auguste Comte place en tete les mathematiques, puis la physique, la chimie, enfin les sciences

     naturelles.

     26 Voir par exemple un discours caracteristique de G. Teissier (directeur de CNRS de 1946 A

     1950), Une politique francaise de la science. Conference A l'Union francaise universitaire, 21

     juin 1946. AN, CNRS, 80-284, liasse 101.

     27 Association A vocation scientifique fond&e en 1984, presid&e par Marcel Boiteux ancien

     president d'EDF, elle organise des colloques annuels en relations avec la recherche universitaire et

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 255

     l'industrie electrique donne quelques unes des raisons pour lesquelles

     la France a manque la nouvelle alliance. Rappelons d'abord que ce

     pays a brillamment participe au progres des connaissances, Andre

     Marie Ampere a theorise l'electrodynamique au debut du XIXeme sie-

     cle, Paris organise la premie~re exposition internationale d'electricite

     (1881), la France est pionniere pour certaines realisations (l'hydro-

     electricite), mais-et ceci est un point capital (au sens propre comme au

     sens figure) -elle n'est le berceau d'aucune de ces entreprises a vocation

     internationale qui commencent a se developper aux Etats-Unis ou en

     Allemagne, voire dans un petit pays comme la Suisse. En effet, la

     somme des investissements qui se revelent necessaires a la recherche

     conduisent tres tot les entreprises d'electricite a elargir leur marche et

     c'est d'ailleurs pourquoi surgissent ici les premieres multinationales.

     Aucune entreprise francaise ne franchit le pas. Pourquoi? Albert

     Broder evoque un manque de ressources financieres lie a la preference

     par l'epargnant du placement a l'etranger (l'emprunt russe), la crise

     economique prolongee que traverse le pays de 1875 a 1895 (annees oui

     naissent les grands groupes etrangers), enfin cet auteur evoque la perte

     de Mulhouse a la suite de la defaite de 1870 et le fait qu'une entreprise

     comme l'Alsacienne de construction mecanique devient partiellement

     allemande et le restera jusqu'en 1919.28 Mais surtout, l'industrie fran-

     ?aise reste plus soucieuse des rentes solides que lui assure le protec-

     tionnisme douanier de la IIIeme Republique que de subir les aleas

     financiers lies a l'innovation. Elle prend donc 1'habitude de substituer

     le travail sur licences a un effot de recherche national. 29 En 1883 est creee

     la Compagnie fran~aise Thomson-Houston (CFTH), filiale de la

     Thomson americaine en attendant de devenir celle de la General Elec-

     tric (GECO). Par la suite, la CFTH fusionnera avec une partie de l'Al-

     sacienne pour former l'Alsthom (1928)30 et l'industrie electrique

     fran~aise s'articulera autour de deux poles, chacun lie a des technologies

     nord-americaines, les etablissements Schneider utilisant les brevets

     Westinghouse, Alsthom ceux de la General Electric. Signalons encore

     prepare une histoire generale de 1'e1ectricite en France. L'AHEF publie un Bulletin de l'Associa-

     tion franfaise pour l'histoire de l'electricite.

     28 A. Broder, Multinationales et industrie electrique en France 1880-1931. Sources et effets

     d'une dependance in Bulletin de l'Association franfaise pour l'histoire de l'electricite, 1-1984.

     29 On constate une evolution semblable dans d'autres secteurs. Ainsi dans les annees 1910-20

     l'electrification des chemins de fer francais s'effectue avec des technologies americaines et suisses.

     Y. Tassin Machefert, F. Nouvion, J. Woimant, Histoire de la traction electrique, (2 vols.), Ed. La

     Vie du Rail, 1980/86. En chimie, la recuperation des brevets allemands au titre des reparations

     aboutit a la creation d'un Office national industriel de l'azote.

    30 Tandis qu'une partie de la Thomson se rapprochera de la Cie de radiotelegraphie sans fil

     (CSF) pour former apres la seconde guerre mondiale la Thomson-CSF.

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     256 FRENCHHSTORCAL STUDES

     qu'au debut des annees 1970, soit un demi-siecle plus tard, lorsqu'il

     s'agira de pousser ces fabricants dans le nucleaire civil, on verra

     Schneider, champion du pressurized water reactor de Westinghouse,

     s' opposer a la Compagnie Generale d'Electricite devenue le mentor du

     boiling water reactor de la GECO.31

     Certes, il existait bien un Laboratoire central de l'electricite ouvert

     grace aux benefices de l'exposition de 1881 et dont Paul Janet, le fon-

     dateur de l'Ecole d'application de l'electricite prend la direction en

     1895, mais il se cantonne a la metrologie scientifique (creation d'unites

     electriques) et, coupe de l'industrie, ne fait pas de recherche tech-

     nologique.32 A la fin des annees trente, l'absence d'un dispositif de

     recherche-developpement dans ce secteur est deplore dans une serie de

     rflexions suscitees lors de la mise en place du CNRS. On y voit appa-

     raitre la reference au modele nord-americain:

     . . . En dehors de l'outillage, de la formation d'une main

     d'oeuvre specialisee, de la duree du travail, un facteur essentiel de la

     production echappe [en France] 'a l'attention generale: il s'agit de la

     recherche . . . ecrit en 1938 le physicien Henri Longchambon,

     doyen de la faculte des sciences de Lyon. La recherche, l'invention,

     sont faites a l'etranger et 1'industrie francaise paie sous forme de

     redevances le travail intellectuel ou la creation intellectuelle accom-

     plis par delat les frontieres. . ..

     Et Longchambon de citer les laboratoires de la General Electric

     dont le responsable, Irving Langmuir, vient d'etre nobelise (1932) ou

     ceux de la Western Electric (cinema parlant) qui dispose d'un labora-

     toire parisien dote, a lui seul, de l'equivalent du budget de la recherche

     universitaire francaise.

     En fait, des les lendemains de la premiere guerre mondiale, le re-

     tard fran~ais devient le leitmotiv de scientifiques qui veulent inte-

     resser le monde politique a leur sort. En 1926 trois hommes se

     rencontrent 'a la direction d'une nouvelle Fondation de biologie

     physico-chimique ouverte grace a la generosite d'Edmond de Roth-

     schild: le physicien Jean Perrin, le physiologiste Andre Mayer et le

     31 J-F Picard, A. Beltran, M. Bungener, Histoire(s) de l'EDF, Dunod, 1984.

     32 J-F Picard, Recherche et industrie, temoignage sur quarante ans d'etudes et de recherches

     a Electricite de France, Eyrolles, 1987.

     33 Cette citation est issue d'un projet d'expose des motifs de la loi du 24 mai 1938 creant le

     CNRSA. AN, CNRS 80-284, liasse 5. Les archives CNRS sont riches de rapports administratifs sur

     ce theme signes Laugier, Longchambon, Ranc, Mercier, Jacob. A signaler aussi le rapport d'un

      Groupement d'eudes preparatoires en vue d'une meilleure orientation des eudiants vers la

     recherche scientifique (J. Delsarte, Y. Rocard, J. Wyart, etc., 64ff. dactyl. 1942). Arch. CNRS, en

     cours de classement.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 257

     chimiste Georges Urbain. Tous trois, sortis de l'Ecole normale dans les

     annees 1890, engages dans le debat politique au moment de l'Affaire

     Dreyfus, sont lies a quelques normaliens-lettres appeles a presider aux

     destinees de la Republique (Edouard Herriot, Leon Blum34). Petris de

     la philosophie d'Auguste Comte-Perrin n'hesite pas 'a parler de la

     science, notre religion 35 -ils fondent en 1930 l'Union rationaliste, un

     groupe intellectuel qui va jouer un role important dans l'organisation

     de la recherche francaise. Mayer est professeur au College de France,

     Urbain et Perrin a la Sorbonne, ce dernier a ete nobelise en 1926 pour

     ses travaux sur la structure de 1'atome.

     Une innovation de la Fondation Rothschild est de fournir des

     bourses aux jeunes chercheurs (1'un des premiers beneficiaires, Boris

     Ephrussi, d'origine russe est le futur pere de la genetique extra-

     chromosomique). A partir de la, les trois directeurs echafaudent un

     plan ou' le principe d'un service public de bourses scientifiques se sub-

     stituerait au m&cenat prive en vigueur jusque la. L'installation d'une

     Caisse nationale des sciences en 1930 marque le debut d'une veritable

     professionnalisation de la recherche. Installee par le minis tere de l'Edu-

     cation nationale, cette nouvelle caisse permet de remunerer des uni-

     versitaires degages de leurs fonctions pedagogiques. La gestion du

     systeme est laisse a l'entiere discretion de la communaute savante

     grace a la reunion en 1933 d'un Conseil superieur de la recherche

     scientifique-une centaine d'universitaires representant l'ensemble des

     disciplines des sciences experimentales et des sciences humaines-qui

     deviendra apres la seconde guerre mondiale le Comite national du

     CNRS. A noter que la caisse Perrin dispose d'une plus grande sou-

     plesse de fonctionnement que l'universite et peut donc remunerer des

     chercheurs d'origine etrangere.36 Cette disposition opportune fournit a

     la communaute savante francaise, 1'apport d'une immigration de qua-

     lite au moment oui le totalitarisme qui submerge l'Europe chasse de

     leurs laboratoires nombre de chercheurs juifs. Integree dans le CNRS

     de 1939, la caisse gere alors environ un millier de personnes. Ces cher-

     cheurs, aujourd'hui dix fois plus nombreux, constituent le principal

     atout de la recherche publique francaise, specialement dans les sciences

     de la vie (un peu moins du tiers des effectifs actuels du CNRS).

     34 Presidents du conseil respectivement en 1924 et en 1936.

     35 J. Perrin, discours devant le Conseil superieur de la recherche scientifique du 2 au 5 mars

     1938, Melun, imp. administrative, 1938. Sur Perrin, Mary Jo Nye Science and socialism, the

     case of Jean Perrin in the Third Republic in French Historical Studies, 9-1975, pp. 141-69.

     36 A l'epoque tout enseignant est fonctionnaire et doit, 'a ce titre, disposer de la nationalite

     francaise.

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     258 FRENCHHSTORCAL STUDES

     Du cote de la recherche appliquee, l'effort initial vient evidem-

     ment des militaires. La defaite contre la Prusse en 1870 est a l'origine

     d'une Commission des inventions interessant les armees de terre et de

     mer au ministere de la Guerre (1887).37 Au debut la premiere guerre

     mondiale, une enquete est confiee par le senateur Audiffred au chi-

     miste Henry Le Chatelier. Ce membre de l'Academie des sciences,

     inspecteur general des Mines, est le chantre d'une sorte de taylorisme

     scientifique. On doit pouvoir parler de rendement de la science

     comme on le fait dans l'industrie dit Le Chatelier qui n'hesite pas a op-

     poser la sterilite des laboratoires universitaires 'a la fecondite de la re-

     cherche industrielle. 38 II est vraisemblable que ce rapport a joue un role

     dans la mobilisation de la recherche en 1916, deux ans apres le debut de la

     guerre. Le ministre et mathematicien Paul Painleve transforme alors la

     commission des inventions en un vaste service ministeriel charge de la

     mobilisation scientifique sous les auspices duquel le physicien Paul

     Langevin, par exemple, met au point en 1918 un dispositif 'a ultrasons

     destine au reperage des sous-marins (ancetre du SONAR).39 Le chef du

     service est un personnage curieux, Jules Louis Breton, depute du Cher,

     qui deviendra en 1920 ministre de l'Hygiene, de l'assistance et de la

     prevoyance sociale. Cette meme annee, Louis Loucheur, ministre de la

     Reconstruction, entreprend avec son collehgue Painleve de transformer

     le service des inventions du temps de guerre en un organisme permet-

     tant [a] la science [de] jouer dans les luttes economiques du temps de

     paix, le meme role preponderant qu'elle a joue pendant la guerre. 40

     L'Office national des recherches scientifiques et industrielles et des in-

     ventions (ONRSI) nait en december 1922, rattache a l'Education

     nationale.41

     L'Office a-t'il ete le premier organisme 'a avoir introduit [en

     France] une politique active et systematique fondee sur la mariage de la

     science et de la technologie que decrit Harry Paul?42 Le jugement pa-

     rait optimiste a moins qu'il ne releve d'une vision folklorique de ce que

     l'auteur qualifie plus loin de genie inventif gaullois. 43 Certes, l'Office

     37Y. Roussel, Histoire d'une politique des inventions, 1887-1918 in Cahiers pour l'His-

     toire du CNRS, 3-1989, pp. 19-57.

     38 G. Brun, Technocrates et technocratie en France, 1914-1945, Albatros, 1985.

     39 L'invention donne lieu au depot d'un brevet Langevin-Chilowski. V.-A. Vercken, La

     Genese de lacoustique sous marine in Cols bleus, n?1901, 21 juin 1986.

     40 Y. Roussel, Mode d'elaboration des politiques scientifiques en France au XXeme siecle,

     Memoire de DEA, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 130ff, dactyl, sept 1985.

     41 Un institut de recherche agronomique dependant de l'Agriculture est lance en 1921 tandis

     qu'un Office national d'hygiene sociale l'est a la Sante publique en 1924.

     42 Paul, Ibid., p. 13.

     43 A titre d'exemples, relevons deux articles parmi d'autres de la meme veine dans Recherches

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 259

     passe des accords avec certaines branches industrielles. Une station

     d'essai des moteurs est creee (1923), un laboratoire des peintures et ver-

     nis est installe, une convention est passe avec le syndicat general de

     1'industrie frigorifique (1931). Mais il s'agit plus de stands d'essais que

     de recherche et le role de la station du froid consiste 'a verifier l'isolation

     des wagons frigorifiques des Chemins de fer de l'Etat. Au reste, ces

     quelques realisations patissent des consequences de la grande crise eco-

     nomique. A partir des annees trente la participation financiere des syn-

     dicats professionnels s'affaiblit jusqu'a' disparaftre et n'est pas com-

     pensee par le soutien d'un Etat redevenu liberal apres la guerre. A ceci

     s'ajoutent les idees personnelles de Jules Breton, une conception de la

     science fondee sur la place de l'invention dans le progres des civilisa-

     tions. Notons d'ailleurs que le termed' invention, inclus dans le titre

     de l'Office, renvoie plus a une pratique traditionnelle et individuelle de

     la recherche qu'au fonctionnement d'un laboratoire industriel. Et

     comme Breton invente beaucoup lui-meme, les activites de l'ONRSI

     trahissent bientot des preoccupations qui relevent plus du concours Le-

     pine44 que des comptes-rendus de l'Academie des sciences. Et cela, bien

     qu'il heberge le grand electro-aimant de cette derniere.45 En 1922 son

     directeur depose le brevet d'un lave-vaisselle, l'annee suivante celui

     d'un aspirateur-cireuse, etc. II cree en 1923 une manifestation qui res-

     tera annuelle un demi-siecle durant, le Salon des arts menagers.46

     En fait l'histoire de l'Office Breton reste celle d'un echec qui de-

     bouche sur une nouvelle organisation de la recherche francaise.47 Ses

     resultats mediocres, les contraintes que font peser sur les finances pub-

     liques la grande crise economique, allies 'a l'obscuritef dans laquelle

     Breton gere les fonds publics mis 'a sa disposition, le soumettent en 1933

     aux investigations de la Cour des Comptes. L'annee suivante, une

     et Inventions, la revue de 1'ONRSI lanc&e en 1922: Couvres-sieges hygieniques pour water-closet

     (systeme SOMAP), avril 1937, pp. 101-2, J. Breton, L'Aquarium humain de l'Exposition de

     1937, ibid, sept. 1937, pp. 161-75.

     44 ClIebre concours d'inventeurs (aujourd'hui disparu) organise 'a Paris dont une ide peut

     etre donn&e par les grandes revues de bricolage comme le celebre Popular Mechanics americain.

     45 Cet appareil est mis en service en 1928 'a Meudon-Bellevue dans un laboratoire dirige par le

     physicien Aime Cotton. J. Breton lui fournissait 1'energie necessaire et un ingenieur pour sur-

     veiller son fonctionnement, des dispositions dont il sut jouer pour obtenir le soutien de la corn-

     munaute academique au profit de 1'ONRSI quand celui-ci fut attaqu& T. Shinn, Pouvoir

     cognitif et dynamique professionnelles dans la creation du grand-electro-aimant de l'Acacemie

     des sciences, 1900-1928, Seminaires du Centre de recherches en histoire des sciences et des tech-

     niques, Cite des Sciences et de l'Industrie, La Villette, 27 mars 1990.

     46 L'ONRSI. Sa creation, ses resultats, sa suppression, Recherches et Inventions, n? 276

     (sp&ial hors-serie), juil-aodt 1938.

     47 Les Archives du CNRS sont riches sur 1'ONRSI. Outre un interessant fonds J-L Breton en

     cours d'inventaire et non cote, signalons les liasses 1 A 5 et 51 a 53 de AN, CNRS, 80-284. Voir

     egalement aux an le fonds Secretariat Geneal du Gouvernement, AN, F60, liasse 264.

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     26 FRENCHHSTORCALSTUDES

     Commission des offices chargee d'eplucher le budget de l'Enseigne-

     ment superieur, presidee par un conseiller referendaire a la Cour (P. de

     Calan), conclut a la necessite de fusionner tous les organismes de la re-

     cherche publique et affirme le besoin d'une politique scientifique

     nationale:

     On peut regretter, lit-on sous la plume du conseiller de Calan,

     qu'il n'existe pas encore en France, aupres du President du Conseil,

     une veritable organisation administrative a laquelle puissent etre rat-

     taches certains services generaux. . . . Tel pourrait etre a l'avenir

     le cas des services de la recherche scientifique [car] il est essentiel que

     dans la repartition des credits affectes a la recherche scientifique, la

     voix des representants qualifies de l'Etat soit toujours sure d'etre

     ecoutee. . . . [Dans l'avenir, cette] aide devra repondre a un plan, a

     un but national. ...48

     En realite, l'organisme rattache au premier Ministre ne sera realise

     que vingt cinq ans plus tard-sous la Veme Republique-avec la DlM-

     gation generale a la recherche scientifique et technique (DGRST), mais

     des le milieu des annees trente, il est facile de suivre la mise en place du

     dispositif centralise sous lequel la recherche francaise fonctionne en-

     core largement aujourd'hui. Une Caisse national de la recherche scien-

     tifique est creee en 1935 par le gouvernement Laval et absorbe la caisse

     Audiffred et la caisse Perrin.49 L'ann&e suivante, a l'instigation du mi-

     nistre de l'Education nationale du Front populaire, Jean Zay, un secreta-

     riat d'Etat a la Recherche est installe ainsi qu'un Service central de la

     recherche au ministere de l'Education nationale dont la direction est

     confiee a un ami de Perrin, le physiologiste Henri Laugier.50 En avril

     1938, apres de penibles manoeuvres dilatoires de son directeur, l'office

     Breton est finalement absorbe dans un Centre national de la recherche

     scientifique appliquee (CHRSA) dont les destinees sont confiees au

     jeune doyen de la Faculte des sciences de Lyon, le physicien Henri

     Longchambon. La guerre voit l'achevement de cette demarche centra-

     lisatrice. Le CNRS cree six semaines apres le declenchement de la se-

     conde guerre mondiale englobe le Conseil superieur de 1934, la Caisse

     48 Commission des offices, Coordination des services de recherche scientifique, rapport

     presente par M. P. de Calan (30 feuil. dactyl., date octobre 1935). Fonds Breton en cours de

     classement.

     49 Decret du 30 octobre 1935. En fait, grace a des appuis politiques, Breton obtient un sursis de

     quartre ans pour 1'ONRSI.

     50 W. H. Schneider, Henri Laugier, The Science of Work and the Workings of Science in

     Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 5-1989, pp. 7-34.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 261

     nationale de 1935, le Service de Laugier-celui-ci devennant directeur

     de CNRS-et le CNRS Applique ' de Longchambon.5'

     C'est donc lors d'une nouvelle mobilisation scientifique-confiee

     au CNRS52-que se produit la rencontre decisive de la science pure et

     de la recherche appliquee. Avec le soutien d'une instance 'a vocation

     inter-ministerielle, un Haut comite de coordination de la recherche

     scientifique et technique installe en novembre 1938, Longchambon rea-

     lise le premier dispositif de recherche programme a le'chelle natio-

     nale dans ce pays. La recherche y est pilotee par des commissions

     specialisees qui reunissent des scientifiques d'origines diverses et des

     industriels (hyper-frequences, rayonnement infra-rouge, carburants de

     remplacement, caoutchouc synthetique, plasma, vitamines, etc.). Apres

     la defaite de 1940, la mobilisation scientifique le cedera aux besoins

     d'une economie devenue autarcique et le CNRS travaillera sur les er-

     satz alimentaires (utilisation de dechets de poisson, farine levuree, pain

     calcique, etc.).

     Deux exemples permettent d'illustrer les succes de cette nouvelle

     organisation de la recherche. Le premier est celui de Frederic Joliot

     avec la physique nucleaire. Eleve de Langevin et collaborateur de

     Marie Curie, Joliot-un boursier de la caisse Perrin-obtient avec sa

     femme Irene le Nobel de chimie en 1935 pour la decouverte de la ra-

     dioactivite artificielle. L'annee suivante, la Caisse nationale de la re-

     cherche scientifique lui installe un Laboratoire de synthese atomique.

     Grace au soutien de Laugier et 'a celui du ministre de 1'Armement,

     Raoul Dautry, il entreprend des experiences qui aboutissent 'a verifier

     la possibilite d'une reaction en chaine. En 1939, si la France atteint le

     premier rang dans ce domaine, elle le doit certes 'a une tradition

     scientifique qui remonte 'a Becquerel et aux Curie, mais aussi au CNRS

     qui permet d'installer un laboratoire de taille industrielle, de financer

     l'achat d'uranium a 1'industrie et qui remunere des chercheurs d'ori-

     gine etrangere comme les collaborateurs de Joliot, Hans Halban, Lew

     Kowarski et Bruno Pontecorvo. Mais cette entreprise sera arretee par la

     debacle militaire, l'annee suivante.53

     Meme reussite de la rencontre science pure-recherche appliquee

     51 J-F Picard, La Republique des savants, la recherche franqaise et le CNRS, Flammarion,

     1990.

     52 La loi du 11 juillet 1938 sur l'organisation de la nation en temps de guerre confie a

     lEducation nationale la responsabilit6 de la mobilisation scientifique.

     53 Sur la genese de la recherche nuclaire franaise, la reference reste R. W. Weart, Scientists in

     Power, Harvard U. P., 1979.

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     262 FRENCHHSTORCAL STUDES

     avec un autre physicien, plus chanceux, Louis Neel. Ce jeune profes-

     seur de l'Universite de Strasbourg, eleve de Pierre Weiss, specialiste du

     magnetisme, est mobilise pour mettre au point un dispositif destine a

     proteger les bateaux des mines magnetiques allemandes. Ce qu'il reus-

     sit. Rendu a la vie civile apres la defaite, Neel s'installe a Grenoble et

     grace au soutien de Charles Jacob, le directeur du CNRS nomme par

     Vichy, de la Marine, de l'universite et de l'industrie locale (Ugine), il

     installe un Laboratoire d'electrostatique et de physique du metal

     (1941). Cet organisme appele a quelque posterite verra s'implanter, au

     milieu des annees cinquante, le premier reacteur atomique universi-

     taire fran~ais, tandis que Neel lui-meme sera nobelise en 1970 pour ses

     travaux sur le ferromagnetisme lances pendant la guerre.54

     A la Liberation, sous la poussee d'un corps universitaire reuni

     dans son Comite national,55 le CNRS se reoriente vers la science pure

     et retourne au clivage recherche fondamentale-recherche appliquee

     qu'avait gomme la mobilisation scientifique. Neanmoins, la maniere

     dont la recherche a fonctionne pendant le conflit-notamment son

     pilotage par des commissions interdisciplinaires-inspire le milieu

     universitaire. Des chercheurs exiles comme l'atomiste Lew Kowarski,

     le bio-chimiste Louis Rapkine, le physicien Pierre Auger, le biologiste

     Boris Ephrussi, . . . ont d'ailleurs vu fonctionner la science anglo-

     saxonne mobilisee, notamment la recherche operationnelle des annees

     de guerre.56 Ainsi, outre qu'ils lui apportent une tonique bouffee d'air

     exterieur, une remise en cause de ses modes de fonctionnement ouvre a

     la recherche francaise de nouveaux champs d'activite. Le meilleur ex-

     emple est celui de la genetique. En 1946, grace au soutien des physi-

     ciens (Auger, Joliot), cette discipline nouvelle dispose d'une chaire a la

     faculte des sciences de Paris et d'un institut de recherche a Gif sur Yvette

     (Ephrussi).57 La nomination d'un directeur du CNRS issu de ce do-

     maine (G. Teissier) confirme ce developpement de la biologie qui

     profite aussi a des institutions plus anciennes, comme l'Institut Pas-

     teur. Les travaux de trois pastoriens sur la regulation genetique reces-

     54 D. Pestre, Louis Nel et le magnetisme A Grenoble: Recit de la creation d'un empire dans la

     province francaise, 1940-1965, Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 8-1990.

     55 J-C Bourquin, Le Comite national de la Recherche Scientifique: sociologie et histoire

     (1950-1967) in Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 3-1989, pp. 127-59.

     56 Une mission scientifique installee A Londres des l'ete 1944 par Louis Rapkine (Groupe

     francais de recherche operationnelle) permet de renouer les contacts avec la communaute interna-

     tionale. AN, CNRS, 80-284, liasses 57 A 60.

     57 R. Burian, J. Gayon, D. T. Zallen, The Singular Fate of Genetics in the History of French

     Biology 1900-1940 in Journal of History of Biology, vol.21, 1988, pp. 357-402 et R. Burian et J.

     Gayon, Genetics After World War II: The Laboratories at Gif in Cahiers pour l'Histoire du

     CNRS, 7-1990, pp. 25-48.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 263

     sive (A. Lwoff, J. Monod, F. Jacob) seront sanctionnes par un Nobel de

     medecine fameux (1965).

     Le CNRS assiste egalement l'universite dont un colloque organise

     a Caen en 1956 sous le patronage de Pierre Mendes-France marque la

     renaissance scientifique. De nouveaux campus seront installes a Or-

     say, a Jussieu, etc.58 Enfin, du cote de la science lourde la voie d'une

     cooperation inscrite dans les perspectives pan-europeennes de l'apres-

     guerre fournit les grands accelerateurs necessaires a la physique des

     particules. La construction d'un Centre europeen de recherche nucleaire

     a ete decidee en 1952.59

     Pousse par une vague dirigiste dont Richard F. Kuisel a montre la

     continuite entre le Front populaire, le regime de Vichy et la planifica-

     tion de la Liberation60 et grace a un effort financier consequent-d'une

     centaine de millions avant-guerre, le budget de la recherche publique

     atteint plus de deux milliards de francs (actuels) a la fin des annees

     quarante6' -le neo-colbertisme scientifique (P. Papon62) pretend

     fertiliser l'economie nationale. Depuis le debut des annees quarante,

     on assiste a une floraison de nouvelles agences destinees a faire de la

     recherche aupres des grands ministeres techniques. Dans le domaine de

     la sante, un Institut national d'hygiene (1941) deviendra Institut na-

     tional de la sante et de la recherche medicale, l'INSERM (1964). Un Of-

     fice de recherche colonial cree fin 1942 donnera l'ORSTOM.63 Dans

     l'industrie, un Institut de recherche siderurgiques (IRSID) et un Insti-

     tut francais des petroles sont installes en 1943. Le Centre national

     d'etude des telecommunications (CNET) est lance en mai 1944.

     L'Institut national de recherche agronomique (INRA) et l'Institut

     national d'etudes demographiques (INED)64 datent de 1946. Les na-

     tionalisations de la Liberation font naitre de nouvelles entreprises

     publiques-Charbonnages, Electricite, Gaz de France-dotees des leurs

     58 A. Prost, Les reformes du CNRS 1960-66 in Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 9-1990.

     59 A. Hermann, J. Krige, U. Mersits, D. Prestre, History of CERN, vol. I. Launching the

     European Organization for Nuclear Research. Elsevier, Amsterdam, 1987.

     60 R. F. Kuisel, Le Capitalisme et l'Etat en France, modernisation et dirigisme au XXeme

     siele, Gallimard, 1984 (Cambridge U. P., 1981).

     61 Budget de la recherche pour 1934: 40 MF courants. Note de la Direction de 1'Enseignement

     sup&ieur au Ministre dat&e de janvier 1935 (Fonds Breton en cours d'inventaire). Pour 1947: 13

     000 MF courants. Rapport P. Barr&-Fouquet remis au President du Conseil (15 fevrier 1949). AN,

     87-323, carton 15.

     62 P. Papon, Le Pouvoir et la science en France. Ed. du Centurion, Paris, 1978.

     63 Office des Recherches Scientifiques et Techniques de l'Outre-Mer. C. Bonneuil, Des sa-

     vants pour l'Empire. Le Mouvement en faveur du developpement et de l'organisation des re-

     cherches scientifiques coloniales, 1917-1945. Memoire de DEA, U. Paris VII, 1990, 109 f. dactyl.

     64 A. Drouard, La Fondation francaise pour l'etude des problemes humains et lorganisa-

     tion de la recherche en sciences sociales en France, a paraitre in Cahiers pour l'Histoire du

     CNRS, 9-1990.

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     264 FRENCHHSTORCALSTUDES

     debuts de services de recherche-developpement. L'installation de la

     DGRST au printemps 1959 avec le lancement d'actions concertees (con-

     version directe de I'energie, biologie-moleculaire, . . .) couronnera ce

     rapprochement de la science de 1'industrie.65 La France, ecrit Robert

     Gilpin, est entree dans L'Age de l'Etat scientifique.66

     Un trait de ce colbertisme scientifique merite une attention

     particuliere. La recherche en France n'est pas celle que des fabricants

     menent pour mettre des produits nouveaux sur le marche-comme le

     font les americains-elle vient d'un Etat confronte a des problemes

     d'exploitant industriel. Le role des nouvelles agences est d'assurer le

     pilotage technologique de l'industrie au benefice du secteur public.

     Par exemple pour moderniser le telephone, c'est le CNET qui deve-

     loppe la commutation electronique au debut des annees cinquante.67

     De meme EDF et la SNCF innovent pour le compte des fabricants de

     materiel electromecanique et de locomotives, tout en nouant des con-

     tacts avec le CNRS destines a etablir une nouvelle tarification des

     monopoles d'Etat.68

     Deux exemples, l'aeronautique et l'atome, permettent de cerner

     les caracteristiques de cette recherche-developpement chez l'Etat-

     entrepreneur. En aviation, la France pouvait se prevaloir au tout debut

     du siecle d'un role de pionnier. Apres la periode des glorieux fous vo-

     lants, Farman, Bleriot, . . . la premiere guerre mondiale vit dans ce

     secteur une veritable reussite de la mobilisation technique. Rappelons

     qu'en 1918, 1'US Army Air Corps engage en Europe etait equipe de ma-

     teriel francais. Or cet acquis n'est pas valorise dans l'entre-deux

     65 A. Prost, Les Origines de la politique de la recherche en France in Cahiers pour l'His-

     toire du CNRS, 1-1988, pp. 41-62.

     66 Titre du premier ouvrage (americain) de reference sur ce sujet: R. Gilpin, France in the

     Age of the Scientific State, Princeton U. P., 1968.

     67 Dans les telecommunications, une premiere impulsion avait et donnee pendant la pre-

     miere guerre mondiale. Un service dirige par le general Ferrie fabriquait des lampes triodes pour

     les besoins militaires et donnera la Societ francaise de radioeectricite devenue ensuite CSF (Cie

     de radiotelegraphie sans fil). Mais malgre travaux entrepris par des ingenieurs-chercheurs de la

     CSF auxquels on doit linvention du magneron en 1934 (Ponte, Gutton), lorsqu'arrive la guerre

     la France patit d'un retard qualitatif et quantitatif en matiere de detection et de transmissions.

     Une situation dont lorigine erit le physicien Yves Rocard a Longchambon, est a rechercher dans

     labsence d'un grand laboratoire industriel comme celui que Ferrie avait install pendant la pre-

     miere guerre mondiale (Rocard, lettre dat& du 6 mai 1940, AN, 80-284, liasse 51). Outre la com-

     mutation eectronique, le CNET est a l'origine du reseau telmatique Transpac. A Profit, C.

     Bertho Lavenir, Informatique et histoire des telecommunications, le r6le du CNET dans le deve-

     loppement de linformatique en France. Actes du colloque sur l'histoire de l'informatique en

     France (CNAM, 24-26 IV 1990), P. Chatelin, ed., Paris 1990.

     68 Marcel Boiteux, directeur general de l'EDF de 1967 a 1979, a commence sa carriere au CNRS

     dans le seminaire d'eonometrie de Maurice Allais (Nobel d'eonomie 1988). M. Bungener, M-E

     Joel, L'Essor de l'&nometrie au CNRS in Cahiers pour l'Histoire du CNRS, 4-1989, pp.

     45-78.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 265

     guerres. Allie au protectionnisme de son industrie, une politique

     aberrante de prototypes aboutit a une faillite sanctionnee par les na-

     tionalisations de 1936.69 L'annee suivante, le retard technologique de

     l'Armee de F'air la contraint a d'importantes commandes de materiel

     americain.70 Apr's le conflit, la creation d'une Societe national

     d'etudes et de constructions de moteurs d'avions (SNECMA) et d'un

     Office national d'etudes et de recherches aeronautiques (ONERA)

     remet le pays a niveau. L'ONERA est cree en aout 1945 aupres du minis-

     tere de l'Air, en relation avec la recherche fondamentale universitaire,

     notamment un Institut Blaise Pascal. Deux ans plus tard, c'est l'orga-

     nisme public de recherche franc~ais qui dispose du budget le plus im-

     portant: 3,3 milliards de francs (1947), contre 1 milliard au CNRS et 1

     au CEA.71 II fait de la recherche pour des constructeurs, soit nationalises

     comme la future Aerospatiale (fabricant d'avions civils-Caravelle,

     Concorde, Airbus-et d'helicopteres), soit disposant du monopole des

     fournitures militaires comme Marcel Dassault. Ce dernier doit a

     l'ONERA l'aile delta de ses chasseurs Mirages.72 Quant a la SNECMA

     qui avait commence au lendemain de la guerre a fabriquer des moteurs

     sous brevets anglais, elle developpe aujourd'hui les nouvelles genera-

     tions de turbo-reacteurs avec l'americain General Electric. Dans le pro-

     longement de l'aeronautique, l'espace ne prend son essor en France

     qu'avec la Veme Republique et la volonte du General De Gaulle de do-

     ter le pays d'une force de frappe. En 1961, le Centre national d'etudes

     spatiales (CNES), premier organisme scientifique cree par la nouvelle

     Republique, est mis en place a l'instigation de Pierre Auger. A cote

     d'une vocation pour la recherche, l'activite du CNES se porte sur la

     realisation d'un lanceur fiable. Apres une malheureuse tentative

     franco-anglaise, c'est a partir d'une fusee de conception autochtone-

     69 Voir E. Chadeau, De Blriot a Dassault, l'industrie aeronautique en France (1900-1950),

     Fayard, 1987 et du meme L'Industrie aeronautique en Allemagne et en France jusqu'en 1960,

    Actes du colloque franco-allemand, Recherche, Technologie et Developpement Industriel aux

     XIXeme et XXeme siecles, Munich, Deutsches Museum, 12-15 octobre 1987.

     70 A la fin des annees trente l'innovation technologique dans le secteur, c'est la propulsion.

     Or, la France qui ne fabrique aucun moteur de puissance superieure A 1000 h.p., en attendant les

     futures turbines A reaction (rappelons que le premier vol d'un jet est celui d'un Heinkel alle-

     mand en aout 1939) doit acheter un millier de Curtis P-39 et de Douglas DB-7. C. Christienne, P.

     Lissarague, Histoire de l'aviation militaire, I'Armee de l'Air 1928-1981, Paris, Lavauzelle, 1981.

     71 Rapport P. Barr&e-Fouquet (15 fevrier 1949). AN, 87-323, carton 15. Dix ans plus tard,

     l'energie atomique est evidemment pass&e en tete avec un budget de 30 milliards de francs. La Re-

     cherche scientifique et le progres technique, Projet de rapport du CGP pour la preparation du 30

     plan de modernisation et d'equipement, vol 2, CSRSPT (1956).

     72 A la memoire de Lucien Malavard (R. Carpentier), Actes du colloque sur l'histoire de

     l'informatique en France (CNAM, 24-26 avril 1990), P. Chatelin, ed., Paris, 1990.

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     266 FRENCHHSTORCAL STUDES

     Diamant qui lance Aste'rix, premier satellite fran~aise en 1965-que

     s'echafaude Ariane puis l'entreprise europeenne Arianespace.73

     Le cas du nucleaire n'est pas moins interessant. On a evoque l'im-

     portance des travaux de Joliot avant-guerre dans la premiere mouture

     du complexe industrialoscientifique fran~ais. Au moment ou' explose

     la bombe d'Hiroshima, trois des protagonistes de cette premiere enter-

     prise, Joliot, Auger et Dautry sont charges par le General De Gaulle de

     mettre en place une nouvelle agence etatique chargee de la recherche et

     des applications en matiere nucleaire. Le Commissariat a l'energie

     atomique (CEA, octobre 1945) doit sa reussite a l'integration de toute la

     chalne de l'innovation, depuis la recherche fondamentale-oui il se

     pose d'ailleurs en concurrent du CNRS-jusqu'a la realisation ex

     nihilo d'industries electroniques ou extractives. Sa premiere realisa-

     tion est une pile a eau lourde (Zoe) installee en 1948 dans la banlieue

     parisienne. Treize ans plus tard-un delai qui tient vraisemblablement

     a des facteurs plus politiques que scientifiques74-il peut se prevaloir

     de l'explosion de la premie1re bombe atomique fran~aise (fevrier 1960)

     et huit ans apres de la realisation de l'arme thermonucleaire (1968).75

     Aux cotes de CEA, EDF effectue la recherche-developpement qui

     aboutit a une premiere installation electro-nucleaire prototype en 1956

     (G1 a Marcoule). Celle-ci est suivie de la realisation d'une demi-

     douzaine de centrales issues d'une filiere technique national dite

     uranium-naturel-graphite-gaz. A la fin des annees soixante, si la mal-

     trise acquise dans les techniques d'enrichissement de l'uranium et la

     detente des prix des matieres premieres conduisent finalement la

     France a adopter une filiere americaine (uranium enrichi et eau legere),

     il apparait que la gymnastique nucl'aire 76 pratiquee par EDF

     permet la francisation rapide du systeme Westinghouse et-la crise

     mondiale de l'energie aidant (1974) -un programme d'equipement

     qui place bientot le pays en tete des producteurs d'electricite atomique.

     Le CEA et EDF peuvent aussi revendiquer la reussite technologique

     d'une filiere surgeneratrice (centrale de Creys Malville)-aventureuse

     certes-mais surtout economiquement.

     Avec quelques decennies de retard sur ses concurrents, la France a

     73 A. Beltran, P. Griset, Histoire des techniques aux XIXeme et XXeme sizles, Armand

     Colin, 1990.

     74 Notamment aux ambiguites de la IVMme Republique quand a la fabrication de la bombe.

     L. Scheinman, Atomic Energy Policy in France under the Fourth Republic. Princeton U. P.,

     1965.

     75 Premieres realisations americaines: fission entretenue: 1942, bombe A: 1945, bombe H:

     1952.

     76 Selon un terme employe par Marcel Boiteux, ancien directeur de h'EDF, Picard, Beltran,

     Bungener, op. cit.

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     SCENCE ENFRANCE DEPUS 187 267

     donc decouvert les vertus de la recherche organisee et celebre le mariage

     de la science et de son industrie. Le savant individualiste du XIXeme

     siecle appartient desormais au passe. D'ailleurs, malgre quelques

     grands noms -mais lequel mettre sur la bombe atomique tricolore?77-

     cette activite est devenue parfaitement collective. Ses acteurs sont les

     grands corps techniques de l'Etat. Les energies atomiques et petrolieres

     sont longtemps restees le fief du Corps des ingenieurs des Mines, l'elec-

     tricite et les transports celui des Ponts et Chaussees.78 Les Corps des tele-

     communications et celui des Poudres ayant eu un role qui pour etre

     moins connu ne semble pas negligeable. Mais cette recherche sous la

     responsabilite de l'Etat, cette strategie de l'arsenal, selon les termes

     d'un professeur des Arts et metiers (J. J. Salomon) charge d'un diagnos-

     tic pour le gouvernement Fabius en 1986,79 a aussi rencontre ses limites.

     Celui de l'ambitieux Plan calcul par lequel la Republique gaullienne

     voulait doter le pays d'une industrie informatique montre peut etre son

     impuissance dans des secteurs ou' le soft l'emporte sur le hard.80

     La strategie de l'arsenal a mieux paye dans le domaine des biens

     d'equipement lourds que dans celui des produits de grande consumma-

     tion. Ceci explique qu'aujourd'hui 1'effort de recherche developpement

     reste plus dependant du budget public, en France, qu'ils ne l'est 'a

     l'etranger.81 Certes, la aussi une evolution se dessine. Depuis une ving-

     taine d'annees et tandis que l'industrie francaise a enfin decouvert les

     vertus marchandes de l'innovation, la recherche universitaire fraye

     plus volontiers avec l'entreprise. Des chercheurs du secteur public pan-

     touf lent et prennent des responsabilites dans l'industrie. Un bon ex-

     emple est celui du physicien Pierre Aigrain, ancien collaborateur

     d'Yves Rocard au laboratoire de l'Ecole normale, devenu ministre de la

     Recherche dans les annees soixante-dix, aujourd'hui l'un des dirigeants

     du groups Thomson.

     Est-ce a dire que le clivage science pure-recherche appliquee soit a

     releguer au musee? II serait hatif de 1'affirmer. Lorsque le chimiste Guy

     77 L'Aventure de la bombe. De Gaulle et la dissuasion nucleaire (1958-1969), (Colloque d'Arc

     et Senans, U. de Franche-Comte et Institut Charles De Gaulle, les 27, 28 et 29 septembre 1984).

     Plon, 1985.

     78 A. Brunot, R. Coquand, Le Corps des Ponts et Chaussees (serie Histoire de l'administration

     francaise), Ed. du CNRS, 1982.

     79 J. J. Salomon, Le Gaulois, le cow-boy et le samourai. Ref lexions sur la politiquefranqaise

     de la technologie. Economica, Paris, 1986.

     80 G. Ramunni, L'Action de la DGRST en faveur de linformatique (1959-1966), Actes du

     col loque sur l'histoire de l'informatique en France (CNAM, 24-26 IV 1990), P. Chatelin, ed., Paris

     1990.

     81 M. Callon, Faut-il croire A la recherche industrielle? in Culture Technique (revue du Cen-

     tre de Recherche sur la Culture Technique), mars 1988, pp. 202-9, et P. Barre, La Faiblesse de la

     recherche industrielle francaise, Ibid., pp. 210-19.

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     268 FRENCHHSTORCAL STUDES

     Ourisson, directeur d'un laboratoire du CNRS, voit dans le Nobel qui

     vient d'etre attribue a Jean-Marie Lehn pour son travail sur les cryp-

     tates (1987) l'un des effets des retrouvailles entre les sciences pures et

     appliqueesA82 il temoigne d'une evolution qu'on a tente de decrire, mais

     il confirme la perennite d'une distinction qui garde une realite institu-

     tionnelle. A cote des organismes mis en place depuis une quarantaine

     d'annees pour la recherche finalisee, le CNRS avec ses chercheurs pro-

     fessionnels, continue de s'affirmer l'intransigeant defenseur de la

      science pure. Non sans succes scientifiques donc. En tout cas, pour

     l'historien soucieux d'identifier des pratiques nationales d'organisa-

     tion de la science, ce dualisme affirme demeure un modele du genre.

     82 Allocution du Prof. G. Ourisson lors des ceremonies en hommage a J-M. Lehn prix No-

     bel de chimie a Gif sur Yvette le 22 dec. 1987. 27ff. dactyl, arch. de l'ICSN, CNRS, Gif/Yvette.