YOLANDE OKIA PICARD OKIA TE...
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YOLANDE OKIA PICARD
OKIA TE CONTE
L é g e n d e s e t r é c i t s a m é r i n d i e n s
Volume II
f I * * YOLANDE O K I A PICARD
OKIA TE CONTE
L é g e n d e s e t r é c i t s a m é r i n d i e n s
Volume II
Les éditions La Griffe de l 'Aigle
Sur la peau d'Orignal, roi des forêts québécoises.
Ours trace ses pas guérisseurs.
Foin d'Odeur forme le Grand Cercle accompagné
de sauge purificatrice.
Plume d'Aigle transporte au Créateur, prières,
messages et remerciements.
L'Arbre de la Paix est primordial pour Okia.
Entre Ciel. Rivière et Terre Mère son cœur conte
et chante le Feu de la Vie dont Amour. Respect,
Harmonie et Partage sont les clés.
Alors Cèdre se dresse majestueusement du côté
de Soleil Levant;
Tortue se glisse en Sagesse sous ses racines;
Aigle s'envole couvrir son sommet;
et de Tambour naissent sept papillons tels des notes
de joie, de liberté et d'accomplissement.
L'Arbre de Paix renait.
T H E C A N A D A C O U N C I L
F O R T H E ARTS
S I N C B 1 9 5 7
L E C O N S E I L DES A R T S
D U C A N A D A DEruis 19S7 N o u s remercions le C o n s e i l d e s A n s d u C a n a d a
d e l ' a i d e a c c o r d é e à n o i r e p r o g r a m m e d e p u b l i c a t i o n
Dépôt légal , 4' t r imestre 1999
Bibl io thèque nat ionale du Q u é b e c
Bib l io thèque nat ionale du Canada
I S B N : 2 -9805111-4-5
Impr imé au Q u é b e c
^ T © L e s é d i t i o n s L a G r i f f e d e l ' A i g l e
/ Y T o u s d r o i t s d e t r a d u c t i o n e t d ' a d a p t a t i o n , e n t o t a l i t é o u e n p a r t i e , r é s e r v é s p o u r t o u s l e s p a y s .
L a r e p r o d u c t i o n d ' u n e x t r a i t q u e l c o n q u e d e ce t o u v r a g e , p a r q u e l q u e p r o c é d é q u e c e s o i t ,
F ; . A ' C ' f / ' l a n l é l e c t r o n i q u e q u e m é c a n i q u e , e n p a r t i c u l i e r p a r p h o t o c o p i e ou p a r m i c r o f i l m , e s t
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AT.
OKIA TE CONTE
L é g e n d e s e t r é c i t s a m é r i n d i e n s
Yolande Okia Picard auteur
Depuis 1991, Yolande Okia Picard multiplie ses pas
sur le sentier du conte traditionnel tant au Canada
qu'à l'étranger. Parmi ses nombreuses participations
à des festivals internationaux ou à des rencontres
prestigieuses, notons celle au Congrès international
des Amérindiens (Paris, 1996) sous la haute prési-
dence de Monsieur Jacques Chirac; sa présence au
sein de la délégation amérindienne parrainée par
l'ambassade du Canada à Explolangue '97,
Bienvenue Canada Live de Legacy, toujours à Paris
et, l'année suivante, l'Île de la Réunion en Océanie
où elle était invitée à conter dans le cadre de
Kabaréunion, un festival annuel qui accueille des
artistes du monde entier.
Okia te conte, marque ses débuts littéraires. Ce nou-
veau pas se situe dans le prolongement de son art et
de ses traditions. Il origine de son désir d'étendre les
racines du Grand Arbre de la Paix à tous les enfants
de la Terre.
Yolande Okia Picard est Huronne-Wendate. Même si
elle travaille de plus en plus à l'étranger, elle réside
toujours à Wendake (Village-des-Hurons) près de
Québec.
Richard «Menutan» Fontaine Illustrateur
Montagnais d'origine, Richard est un artiste
autodidacte qui s'amuse à reproduire ce qu'il voit;
que ce soit le visage d'un vieil Indien ou encore
celui d'un aigle.
Son art, il le tire de son esprit, de son imagination,
de son vécu et de sa fierté d'être Innu.
Richard est extrêmement fier d'avoir contribué à
la réalisation de l'oeuvre de Yolande Okia Picard.
Selon lui, c 'est un rpivilège que de pouvoir se
supporter mutuellement entre artistes autochtones.
• » I » ê
LOUVE ET NICOLA
Ce matin aux premiers rayons de Soleil, au
moment où Ciel s'habille de toutes les
couleurs de l'arc-en-ciel jusqu'au rouge le
plus vivifiant. Au moment où l'herbe mouille
les mocassins. En famille, papa, maman,
Alexandre, Frédérique et Nicolas se sont
recueillis autour du feu. Ils ont fait brûler un
peu de cèdre et de foin d'odeur dans un grand
coquillage. Ils ont ensuite, avec leurs mains,
amené à eux la fumée odorante. D'abord à
leur tête, puis à leur cœur et à tout leur corps.
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Ainsi, ils se sont purifiés. On dit de ces herbes
qu'elles sont sacrées. On dit également
qu'elles éliminent toutes les énergies néga-
tives.
Puis, pour remercier le Créateur de leur
accorder une si belle vie, ils ont offert un peu
de tabac en le laissant filer entre leurs doigts.
Le père prend maintenant son tambour
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fabriqué de bois de cèdre et d'une peau de
chevreuil. Il bat la mesure et, ensemble, ils
joignent leurs chants à ceux de la nature.
Pendant que maman, portant la petite
«Andicha» dans son porte-bébé, prépare le
petit déjeuner, papa lui, aide ses fils à organi-
ser leurs bagages. Surtout, il leur fait d'impor-
tantes recommandations.
Après avoir rapidement dégusté leur repas du
matin en riant, les garçons ramassent leur
matériel et empoignent les avirons.
- Alexandre, tu connais bien la route, prends
bien soin de tes frères et rapportez nous les
plus beaux dorés du lac Yser, dit papa.
Maman, elle, est un peu inquiète de les voir
partir seuls pour la première fois. Nicolas, le
plus jeune, lui fait une grosse accolade.
- Sois bien sage, reste prudent, et écoute bien
tes grands frères.
Au moment du départ, bien assis au centre du
canot, Nicolas s'écrie :
- C'est moi qui prendrai le plus gros.
Cela provoque le sourire de tous.
Leur canot file silencieusement sur le lac
miroitant. Us observent, entendent, sentent
tout ce qui les environnent.
Ils sont heureux. Ils savent que leur pêche sera fructueuse.
Alexandre, lui, est conscient de la grande confiance que ses parents lui témoignent aujourd'hui. Il a bien l'intention de leur don-ner raison.
•V Ils avironnent près de vingt minutes avant
d'arriver au portage.
- Nicolas, prends aussi nos perches. Ton sac
n'est pas trop lourd? Marche en avant et
surtout ne t'éloigne pas trop.
Aussitôt ces paroles prononcées, Alexandre et
Frédérique, leur sac sur le dos, saisissent cha-
cun leur extrémité du canot de cèdre. Ils le
renversent sur leurs épaules déjà solides et
entreprennent la montée du portage étroit
reliant le lac Yprès au lac Yser.
Alexandre est très fier. À sa ceinture, juste à
côté de son sac à tabac sacré, pend le ma-
gnifique cadeau reçu de son père ce matin : un
couteau dont le manche est fait d'un
andouiller d'orignal. Sur l'étui, sa mère a
brodé de superbes motifs floraux avec des
poils d'orignal. Le contour est orné d'un motif
triangulaire réalisé avec des piquants de porc-
épic. Il sait très bien que seuls quelques
membres de sa Nation effectuent encore ce
genre de travaux de nos jours.
L'art de gratter les peaux, de les fumer et les
tanner pour en fabriquer le cuir est souvent
délaissé. Il en est de même pour la broderie
au poil d'orignal et au piquant de porc-épic.
Alex se sent privilégié que ces techniques se
perpétuent dans sa famille. Les temps mo-
dernes changent tellement le rythme et le
mode de vie.
Quelle splendide matinée! les merles et les
pinsons flûtent leur joie. Un écureuil roux
saute de branche en branche. Il protège ses
noisetiers en criant. N'y touchez pas! n'y
touchez pas! elles sont à moi! Mes noisettes
ne sont pas mûres. Ne les prenez pas!
Ce qu'il est drôle! Il descend rapidement.
S'arrête brusquement. Fixe les garçons inten-
sément dans les yeux en criant très fort. Il les
poursuit et s'époumone à les prévenir, jusqu'à
ce qu'ils aient quitté ce qu'il semble considé-
rer comme son garde-manger.
Portager est exigeant. Près d'un kilomètre
pour traverser une colline abrupte. La voie
est étroite. Parfois leurs pieds glissent dans la
boue de terre noire. À un autre moment,
lorsque la boue est trop profonde, ils doivent
marcher en équilibre sur un billot ou sur de
vieilles planches. Sans oublier le poids des
bagages et les fougères qui décident d'envahir
le passage.
Nicolas ralentit le pas. Du revers de la
manche, il essuie les quelques gouttelettes de
sueur qui ruissellent sur son front. Alexandre
et Frédérique décident d'arrêter; ainsi, ils peu-
vent tous se reposer. Ils savourent les déli-
cieuses framboises qui bordent le portage à
cet endroit.
- Continuons les gars, j'entends le murmure
du ruisseau, nous y sommes, plus que
quelques mètres à parcourir.
Effectivement, le ciel d'azur se laisse
entrevoir au travers du feuillage luxuriant.
Nicolas descend joyeusement la courbe et
s'arrête brusquement. Frédérique, apercevant
la scène, s'immobilise.
- Chut! regarde, Alex! s'exclame Frédérique.
D'abord leur sang se glace dans leurs veines.
Leur cœur semble s'arrêter. Ils sont sub-
jugués. Rapidement Alexandre réagit.
- Surtout, ne bougez pas! dit-il d'une voix à
peine perceptible.
N
A quelques mètres devant eux, une louve. Le
poil dressé sur l'échiné. Les vibrisses frémis-
santes. La gueule entrouverte laisse
apercevoir une série de dents aux canines
acérées.
Elle fixe Nicolas droit dans les yeux. Son
regard passe rapidement des trois jeunes
garçons aux yeux de Nicolas. Elle détecte
instantanément le moindre mouvement. Elle
semble prête à attaquer à tout instant.
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Soudain, le temps s'immobilise. Nicolas se
souvient avoir entendu Grand-père expliquer
que l'on peut communiquer avec les animaux.
Que, par notre esprit, il est possible de se
comprendre. Il y a longtemps, les humains
communiquaient avec tous leurs frères de la
Création. Nicolas se calme et essaie de com-
prendre. Voilà qu'il perçoit la peur et aussi
l'inquiétude de la louve.
- N'aie pas peur Nicolas, tente de rassurer Alexandre, nous sommes là.
La louve leur jette un coup d'œil furtif. Son
regard plonge à nouveau dans celui de
Nicolas et s'adoucit. Les esprits de l'un et de
l'autre semblent se comprendre.
- Elle est mal prise, annonce paisiblement le petit.
- Qu'est que tu racontes? chuchote
Frédérique.
- Je la comprends, dans ma tête! Elle a peur.
Nous pouvons probablement lui venir en aide.
La louve semble effectivement atténuer sa
garde. Elle risque un pas en avant et nerveuse-
ment recule de deux ou trois. A son tour
Nicolas tente un pas, puis un deuxième. Ils se
comprennent, constatent Alexandre et Frédé-
rique, toutefois inquiets. Avec une infinie
précaution, ils déposent le canot et leurs sacs
à dos par terre. Voici que la louve les entraîne
à travers les branches et les arbrisseaux. Un
peu craintifs, les trois frères la suivent.
Alexandre garde la main sur le manche de son
couteau, prêt à intervenir promptement. Un
peu à l'écart du portage, la louve s'immobilise
au bord d'une profonde crevasse. Elle marque
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un temps d'arrêt. Puis gratte rapidement la
terre au bord du trou, tend le museau vers le
bas. A nouveau, elle regarde les garçons et
gratte la terre.
- Laisse Nicolas, je vais voir dis l'aîné.
Soudain leurs oreilles sont attirées par une
plainte qui vient de cette direction. Alexandre
s'approche très doucement en regardant tou-
jours Louve qui semble, elle aussi, encore
incertaine. Là, prisonnier au fond de ce trou,
un louveteau.
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- C'est son petit qui est pris là.
Frédérique réfléchit vivement.
- Alexandre, prête-moi ton couteau. Nicolas, ne bouge pas.
Il tend la main.
- Allez, prête-le moi!
Frédérique prend un peu de tabac et l'offre à Terre Mère. Il adresse alors une brève prière aux arbres.
- Excusez-nous de prendre vos vies, mais d'autres en ont besoin. Nous vous en remer-cions.
Il a tôt fait de couper les deux épinettes.
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- Aide-moi Alexandre à descendre les arbres
dans le trou.
Aussitôt, la louve appelle son louveteau et il
grimpe maladroitement rejoindre sa mère.
Elle lui lèche le museau. Il se frôle contre
elle, en lui mordillant les pattes. Il dirige un
coup d'œil vers ses sauveteurs et se faufile
hâtivement entre les pattes de sa mère.
Affectueusement, elle lui mordille les
oreilles. Louve, rassurée, adresse un regard
reconnaissant aux trois jeunes garçons. Ce
regard semble dire merci.
Puis chacun reprend sa route en silence. Les
garçons récupèrent leurs effets. Finissent
rapidement de parcourir le portage. Ils met-
tent le canot à l'eau et y embarquent. Ils com-
mencent leur journée de pêche profondément
marqués par ce qui vient de se passer.
Quelques heures plus tard, autour d'un bon
feu, les trois jeunes garçons content leur aven-
ture à leurs parents et dégustent un des plus
gros dorés du lac Yser. Petit Nicolas est
épuisé de tant d'émotions. Il est heureux
d'avoir été aussi près de ses racines. La
chaleur du feu et celle des bras de maman le
transportent dans un profond sommeil.
/
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C'est l'automne, il commence à faire froid. Wisekidjack, un animal mythique tantôt coyote, renard, moufette ou corbeau voit passer une grande volée d'outardes.
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Hum! c'est vrai dit-il en portant rapidement la
patte à son front. Elles vont bientôt toutes
partir pour l'hiver, et je n'ai pas pensé à faire
mes réserves. Oh! j'y pense. Je vais organi-
ser une grande danse chez moi. J'y inviterai
tous les oiseaux et j'en profiterai pour leur
tordre le cou, voilà!
À ce moment, Wisekidjack entreprend de
construire un grand wigwam. Le wigwam,
c'est une des formes d'habitations des amérin-
diens d'autrefois. Il est en demi-sphère, côté
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plat sur le sol. Le wigwam est fait d'une
structure de rondins de bois recouverte d'é-
corce de bouleau, de peaux d'animaux ou
d'autres matières naturelles. Une fois le wig-
wam terminé, il nettoie autour. Ainsi les
oiseaux pourront se poser très facilement au
sol. Puis, il prend des rondins de bouleau
pour fabriquer une porte. Il allonge les deux
plus longs en parallèle au sol. À chaque
extrémité, il attache un plus petit rondin en se
servant de babiche. Sur ce rectangle, il croise
deux longs rondins en x et y dépose de l'é-
corce de bouleau. Il fixe le tout bien solide-
ment à l'aide de racines d'épinette. Ainsi, une
fois relevée et placée devant l'ouverture d'en-
trée, cette porte sera très solide.
Puis Wisekidjack entre dans le wigwam et
prépare du bois pour faire un petit feu. À
nouveau toutes les petites brindilles sont
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ramassées au même endroit afin que le sol
soit impeccable. De cette façon, quand il pro-
posera aux oiseaux d'entrer à l'intérieur pour
se réchauffer et danser, tout se passera bien
selon ses désirs.
Comme il constate que tout est bien préparé,
il se rend en forêt.
- Tiens! Bonjour monsieur Huard. Tu me
sembles en très bonne forme. Je me dis juste-
ment que tes amis et toi allez tous partir pour
l'hiver. Tu sais, je crains de trouver mes
soirées bien longues. J'ai peur de m'ennuyer.
J'ai donc pensé organiser une grande danse
chez moi. Nous allons tous célébrer. Va!
invite tous tes amis. Dis-leur de se rendre
chez moi.
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Huard part, il fait les invitations. Wisekid-
jack, lui, retourne à son wigwam et com-
mence à chanter un chant d'invitation à la
danse. Très bientôt on voit arriver des cen-
taines d'oiseaux parcourant le ciel.
- Descendez! Descendez ! répète-t-il. Allez,
regardez, j'ai bien nettoyé la place pour nous
permettre de danser. Allez venez, que l'on
puisse festoyer avant votre départ.
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Bientôt, sur le sol tout autour du wigwam, on
voit danser tous les oiseaux. Les canards
dansent en hochant la tête. Les outardes
chantent. Les perdrix cacabent. Les dindons
sauvages glougloutent. Les oies des neiges
s'amusent et battent la mesure de leurs ailes.
Et Cingebis, le petit huard noir, égaie toute la
forêt de ses joyeux chants.
- Mes amis, annonce Wisekidjack, le temps se
rafraîchit. Entrons à l'intérieur, j'ai préparé du
bois pour faire un petit feu. Nous y serons
beaucoup plus confortables. Cependant, il
faudra y respecter tous les ordres que je vous
donnerai. Entrez, allez-y!
Puis tous les oiseaux entrent. Wisekidjack
ferme la porte très solidement. Il allume son
feu. Un feu tellement petit qu'on arrive à
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peine à voir ce qui se passe à l'intérieur. Peu de temps après, il annonce :
- Que tout le monde ferme les yeux!
Tous les oiseaux ferment les yeux et conti-
nuent de danser, de chanter et de s'amuser.
Après un certain temps, Cingebis, le petit huard noir, s'interroge.
- Lorsque l'on est entrés, on étaient tous bien collés les uns sur les autres. Maintenant, au fur et à mesure, on a de plus en plus d'espace pour ouvrir nos ailes. Cingebis est inquiet, il a peur.
Il décide donc de se retirer un peu et d'en-
trouvrir les yeux. C'est alors qu'il voit
Wisekidjack qui tord le cou d'une outarde.
Sans hésiter, Cingebis prévient les autres.
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- Mes amis, mes amis, dépêchez-vous, il va
tous nous tuer.
Rapidement, les oiseaux réusissent à ouvrir la
porte et à s'envoler. Ils sont rescapés, hormis
Cingebis qui est le dernier à s'évader.
Wisekidjak, malheureusement, a le temps de
lui mettre la patte sur le dessus du dos et lui
casse les reins. Il lui donne un grand coup de
patte.
- Tiens, va-t'en, va-t'en Cingebis, tu m'em-
pêches toujours de réussir ce que j'entre-
prends.
Wisekidjack a tellement blessé notre petit
huard que Cingebis a désormais les pattes
trop par l'arrière, ce qui lui donne beaucoup
de difficulté à marcher sur Terre.
Î O
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Il a risqué sa vie pour sauver les autres oiseaux et, pour cela, le Créateur lui a offert un beau cadeau. À son cou, il a déposé un magnifique collier tout blanc et, au bout de chacune des plumes de ses ailes, il a dessiné une belle étoile toute aussi blanche.
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CHASSE D'HIVER : ORIGNAL ET CALUMET
Au bord du lac toujours endormi, assise sur
un vieux tronc d'arbre partiellement envelop-
pée d'une somptueuse couverture de lichen
étoilé, je contemple le magnifique spectacle
qui s'offre à mes yeux. Une légère brume se
détache nonchalamment de la surface de
l'eau. Quelques feuilles abandonnent leurs
branches. Elles peignent une aquarelle d'or,
de cuivre et de rubis sur la fine pellicule de
neige immaculée, née cette nuit. L'air pur
exhale ses arômes de champignons, de
feuilles humides et de neige fraîche. Soleil
étire ses tièdes rayons sur mes épaules et mon
dos. Je suis bien confortable dans ma
chemise à carreaux rouge et noire, avec mes
gros bas de laine, mes vieilles mitaines et ma
tuque multicolore enfoncée jusqu'aux oreilles.
L'œil aux aguets, l'oreille à l'affût du moindre
bruit, je suis absorbée. Je suis dans l'attente
d'une réponse. Une réponse peu commune,
celle d'un orignal. Orignal, c'est le roi de nos
forêts québécoises.
- Tu n'en as jamais vu? C'est un mammifère,
aussi grand et costaud qu'un bon gros cheval
de trait. Sa robe est brun foncé, son ventre et
ses pattes sont plus pâles, presque gris.
Cependant, leurs petits portent un magnifique
3 4
pelage doré lors des premières semaines de leur vie.
Le mâle, légèrement bossu à la hauteur du cou, porte une très longue barbiche sous la mâchoire, beaucoup plus évidente que celle de la femelle.
/
Dès l'Eté, il porte sur la tête, un gigantesque
panache que l'on nomme aussi bois, qu'il perd
lors des premières gelées d'Automne. La
femelle, elle, en est dépourvue.
Il se nourrit de bourgeons, de racines de
plantes aquatiques comme celles des que-
nouilles, de baies et de légumes sauvages. Il
est en période de rut à ce moment-ci de l'an-
née, l'Automne.
Cric! crac!
Je sursaute. J'ai dû m'assoupir. J'entend respi-
rer très fort, comme si on me humait dans le
cou. Je suis surprise, inquiète. J'ose à peine
me décider à regarder derrière moi. Je sens
qu'un immense nez frôle mon bras. Me voilà
tout à fait sortie de mon sommeil, vous pou-
vez me croire.
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De ses yeux curieux, Orignal m'examine, oui,
moi, la chasseuse d'images. C'est cependant
lui qui m'a repérée. Il est splendide, majes-
tueux. Je me trouve sans défense et vul-
nérable incapable de prendre un cliché. Oui,
j 'ai peur. Il fait le tour de moi, me renifle
encore, et décide je crois, qu'il peut me faire
confiance. Je ne suis pas encore tout à fait
rassurée.
Après un bref moment, il se couche à un
mètre à peine devant moi.
À mon très très grand étonnement, il com-
mence à me parler. Eh oui! à prononcer des
mots comme nous, les humains.
- Tu sais, jeune femme, ce n'est pas la pre-
mière fois que je me risque près d'un humain.
Tu vois, lorsque j'étais un très jeune orignal.
je vivais dans cette forêt avec toute ma
famille. Un jour, un événement très étrange
s'est produit.
Ce soir-là, nous étions tous dans notre ravage
d'hiver quand soudain, par la porte est entré
un Grand Calumet fumant. Aucun membre
de la famille n'a bougé. Le calumet s'est
d'abord arrêté devant Grand-père. Celui-ci a
doucement baissé la tête. Grand Calumet a
poursuivi sa route et il s'est avancé devant
mon père. Lui aussi a feint n'avoir rien
aperçu. Et Grand Calumet s'est présenté
devant mes frères aînés qui ont baissé leurs
yeux.
Je ne comprenais pas leur attitude. Alors
Grand Calumet s'est arrêté devant moi. Je l'ai
pris et j'ai respiré sa fumée à l'odeur sucrée.
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J'ai senti tous les yeux posés sur moi. Grand
Calumet, lui, est reparti dans la même direc-
tion d'où il était arrivé.
Mon enfant, m'a dit Grand-mère, ton impru-
dence va nous tuer. Grand Calumet appar-
tient aux humains qui l'envoient en éclaireur
chaque fois qu'ils veulent nous chasser. Par
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lui, avec ton aide, ils savent maintenant où
nous trouver. Dès l'aube demain, nous nous
dirigerons vers un nouveau campement. Tous
l'ont regardé avec approbation.
Le lendemain, dès les premières lueurs du
jour, Grand-mère exige le départ. Le démé-
nagement est difficile, nos longues pattes
s'enfoncent profondément dans la neige. Le
vent est glacial. Mon père et mes grands
frères ouvrent le passage.
Soudain, Grand-mère grogne. Elle a l'odorat
le plus fin de tous les membres de la famille.
Elle flaire les humains.
- Empressons-nous, dit-elle. Les chasseurs
arrivent.
En effet, nous les apercevons à la lisière de la
forêt.
4 0
- Je suis jeune et hardi. J'ai un corps solide et
un pas énergique. Partez dans cette direction.
Je vais détourner leur attention sur moi.
s
- Eloignez-vous, vite! vite!
Je prends la direction opposée à celle de ma
famille. Les chasseurs me repèrent. Ils s'ap-
prochent d'un pas rapide.
4 1
Je tente de courir, mais mes pattes s'enfon-
cent. Il m'est de plus en plus difficile d'a-
vancer, mes forces s'épuisent malgré ma
grande endurance.
Les chasseurs semblent flotter à la surface de
la neige comme des perdrix. Leurs pieds sont
chaussés de raquettes, ils continuent d'avan-
cer rapidement.
Je suis exténué, à bout de souffle. Chacun de
mes efforts brûle mes énergies. Et je cale, et
je creuse et mes pattes s'affaiblissent, et mon
cœur s'affole.
J'entends siffler leurs flèches, et voilà, ils
m'ont atteint. Je m'effondre, mes idées se
brouillent.
Comment ont-ils réussi? Je suis jeune, vail-
lant et fringuant! J'étais tellement convaincu
4 2
de leur échapper facilement. J'entends leur
voix comme un murmure. Ils offrent un peu
de tabac en m'adressant des remerciements...
Le lendemain, au moment où le jour laisse
percer sa première clarté, je m'éveille dans la
nouvelle cache de ma famille.
4 3
Ils sont tout aussi surpris que moi de ma présence parmi eux.
Alors j'explique à ma famille qu'il est conve-nable d'autoriser l'humain à prendre nos vies afin de lui accorder la survie.
Lorsqu'ils ont pris ma vie, ils l'ont fait avec respect. Ils se sont excusé de m'avoir tué. Puis, ils m'ont remercié et ont demandé au Créateur de prendre grand soin de mon esprit. Quand ils ont pris ma chair, les chasseurs l'ont fait avec reconnaissance. Ils n'ont pris que ce qui était nécessaire à leur survie.
Ainsi, de nos jours encore, chaque fois qu'un chasseur envoie Grand Calumet à la recherche de sa survie, ma famille et moi offrons notre vie car nous savons que le chas-seur saura l'honorer.
4 4
J'ai ouvert grandes mes oreilles et mon cœur
en écoutant le récit d'Orignal, ce roi de la
forêt. J'ai remercié le Créateur de m'avoir
offert cette importante leçon de respect. Cela
fait partie des valeurs culturelles et spiri-
tuelles que mes ancêtres transmettaient à leurs
enfants.
De même, on m'avait appris, lorsque j'étais jeune femme, que la chasse était réservée aux hommes.
Puisque la femme donne la vie, elle ne doit pas la reprendre.
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Merci à toi maintenant de partager cet
héritage avec moi, les animaux, les arbres, les
pierres et tout ce qui vit sur notre Mère La
Terre.
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M i s e e n p a g e e t t y p o g r a p h i e : L e s é d i t i o n s L a G r i f f e d e l ' A i g l e
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Depuis 1991, Yolande Okia Picard multiplie ses pas sur le sentier du conte et des légendes pour enfant, tant au Canada qu'à l'étranger.
Elle réussit très bien à faire connaître la culture, les moeurs de la vie traditionnelle des Premières Nations du Québec à travers de très vielles légendes.
Et plus encore, les enfants y apprendront les cou-tumes de différents animaux sauvages. Ces contes vont faire rêver les enfants pendant très longtemps.
Yolande Okia Picard est Huronne-wendat. Même si elle travaille de plus en plus à l'étranger, elle réside toujours à Wendake, près de Québec.
ISBN 2 - 1 Ô 0 S 1 1 1
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S