Jardins au désert

download Jardins au désert

of 435

Transcript of Jardins au désert

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    1/434

    Vincent

    BattestiSignaturenumriquedeVincentBattesti

    DN:cn=Vincent Battesti,o=vbat,ou,[email protected],c=FRDate:2007.11.3011:13:32+01'00'

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    2/434

    Jardins au dsertvolution des pratiques

    et savoirs oasiensJrid tunisien

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 1

    Vincent Battesti - Jardins au dsert, volutiondes pratiques et savoirs oasiens, Jrid tunisien,Paris, ditions IRD, coll. travers champs, 2005, 440 p.

    ISBN 2-7099-1564-2(Format: 17 x 24 cm, 60 photog., 45 fig., 15 tab., 42)

    http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00004609

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    3/434

    La collection travers champs, publie par IRD ditions, tmoigne des mutationsque connaissent aujourd'hui les socits rurales et les systmes agraires des paystropicaux.

    Les tudes relvent souvent des sciences sociales, mais les pratiques paysannessont galement claires par des approches agronomiques.

    Les publications s'organisent autour d'un thme ou s'appliquent des espacesruraux, choisis pour leur caractre exemplaire.

    Jean BOUTRAISDirecteur de la [email protected]

    Parus dans la collection travers champs

    Le risque en agriculture d. sci. : Michel Eldin et Pierre Milleville

    L'ombre du mil. Un systme agropastoral sahlien en Aribinda (Burkina Faso)Dominique GuillaudLe meilleur hritage. Stratgies paysannes dans une valle andine du ProuMarguerite Bey

    De vaches et d'hirondelles. Grands leveurs et paysans saisonniers au Mexiqueric Lonard

    Jours ordinaires la finca. Une grande plantation de caf au GuatemalaCharles-douard de Suremain

    La terre d'en face. La transmigration en Indonsie Patrice Levang

    Paysans Seerer. Dynamiques agraires et mobilits au Sngald. sci.: Andr Lericollais

    Le terroir et son double. Tsarahonenana 1966-1992Chantal Blanc-Pamard, Herv Rakoto RamiarantsoaPartir pour rester. Survie et mutations de socits paysannes andines (Bolivie)Genevive Cortes

    Les deux visages du Serto. Stratgies paysannes face aux scheresses(Nordeste, Brsil)Marianne Cohen, Ghislaine Duqu

    Apprivoiser la montagne. Portrait d'une socit paysanne dans les Andes(Venezuela)Pascale de Robert

    Le coton des paysans. Une rvolution agricole en Cte dIvoire (1880-1999)T. J. Basset

    Un droit inventer. Foncier et environnement dans le delta central du NigerOlivier Barrire, Catherine Barrire

    Figures du mtayage. tude compare de contrats agraires au Mexiqued. sci.: Jean-Philippe Colin

    Les orphelins de la fort. Pratiques paysannes et cologie forestire (les Ntumudu Sud-Cameroun) Stphanie Carrire

    la croise des pouvoirs. Une organisation paysanne face la gestion des res-sources naturelles (Basse Casamance, Sngal) Pierre-Marie Bosc

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 2

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    4/434

    IRD ditionsINSTITUT DE RECHERCHE

    POUR LE DVELOPPEMENT

    collection travers champs

    Paris, 2005

    Jardins au dsertvolution des pratiques

    et savoirs oasiensJrid tunisien

    Vincent Battesti

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 3

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    5/434

    Prparation ditoriale et coordination

    Marie-Odile Charvet RichterMise en pageBill Production

    Maquette de couvertureMichelle Saint-Lger

    Maquette intrieureCatherine Plasse

    La loi du 1er juillet 1992 (code de la proprit intellectuelle, premire partie) nautorisant, auxtermes des alinas 2 et 3 de larticle L. 122-5, dune part, que les copies ou reproductionsstrictement rserves lusage du copiste et non destines une utilisation collective et,dautre part, que les analyses et les courtes citations dans le but dexemple ou dillustration, toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite sans le consentement delauteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alina 1er de larticle L. 122-4).

    Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc unecontrefaon passible des peines prvues au titre III de la loi prcite.

    IRD ditions, 2005

    ISSN : 09984658ISBN : 2709915642

    Photos de couvertureLa rcolte et le premier tri des dattes dans le jardin se font souventen quipe de jardiniers voisins sous le principe de lentraideet de la rciprocit. Nefta (Tunisie)Au dos : Grappillage des dattes Nefleyet (Tunisie)

    Sauf mention particulire, toutes les photos sont de lauteur.

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 4

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    6/434

    Les transcriptions des termes oasiens

    Introduction

    Partie 1

    La description de loasis, une norme

    Partie 2

    Les rvolutions permanentes des jardins

    Partie 3

    Les natures de loasis se croisent

    Conclusion : la construction des natures oasiennes

    Bibliographie

    Annexes

    Sigles et acronymes

    Lexique des termes oasiens employs

    Tables des illustrations et des tableaux

    Table des matires

    7

    9

    33

    187

    267

    371

    379

    391

    411

    413

    431

    435

    Sommaire

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 5

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    7/434

    Tous les mots trangers au franais sont en caractres italiques. Jai

    opt ici pour un systme relativement simple de transcription des

    mots arabes, berbres et des dialectes locaux. Restent en criture

    rgulire les termes couramment employs en franais (comme

    souk ou oued et non suq ou wd) et ceux de certains

    lieux (comme Tozeur ou Nefta ). Signalons pour note que dans

    la rgion, Jrid se prononce jrd ou djrd, Tozeur tuzor, Degachedgesh, Dghoumes dghums, etc. La transcription des mots donne

    lavantage leur prononciation locale plutt qu leur criture clas-

    sique (quand cette criture existe : le tifinagh, lcriture lybico-berbre

    des Touareg, nest pas usuel).

    En particulier pour le vocabulaire propre au Jrid, il ne sagit pas de

    fautes, mais de prononciations particulires la rgion. Larabe dia-

    lectal comporte une nuance vocalique supplmentaire par rapport aux

    voyelles de larabe classique (a, i, u), qui est transcrite ici e . Les

    valeurs des lettres correspondent peu prs celles du franais. Les

    parenthses utilises parfois dans un mot dsignent une voyelle peu

    prononce et que lon peut omettre. Ci-contre sont indiques quelques

    lettres qui pourraient poser problme, ou entre crochets les corres-

    pondances avec le systme phontique international.

    Voir dans les annexes en fin douvrage le lexique des termes oasiens

    employs.

    Les transcriptionsdes termes oasiens

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 7

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    8/434

    8

    : lettre arabe (ayn), une pharyngale sonore

    e : toujours comme ou [e] []

    e : comme dans le mot jeu []

    h : un h expir lgrement (laryngal)

    h : un h trs expir (pharyngal sourd)

    kh : entre la jota espagnole ou le ch allemand [x]

    gh : un r grassey

    r: un r roul

    g : toujours comme g du mot gare

    q : lettre arabe (qf), une occlusive vlaire, emphatique

    s : comme s du mot si

    s : un s mais emphatique

    sh : comme ch en franais ( chanter)

    t: un t , mais emphatique

    th : quivalent du th anglais dans thin []

    dh : comme th , mais plus doux et proche du z []

    dh : comme dh , mais emphatique

    d: comme un d , mais emphatique

    n : prcd dune voyelle (an, in, etc.), se prononce comme en franais manger , mince , etc., nasale [~]

    u : comme ou en franais ( oublier ) [u]

    y: comme y du mot yoga [j]

    w: comme du mot water en anglais [w]

    ^ : au-dessus dune voyelle quand celle-ci est longue [:]

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 8

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    9/434

    Je me penche et je coupe quelques plantes. Je me dplace encore un

    peu et je rpte lopration. Je donnerai celles-ci mes animaux, l-

    bas. Leau est mes pieds, qui circule, cherche son chemin. Il fera

    bientt nuit, les ombres ont disparu. Les toiles, l-haut, vont scintiller.

    Comme on dit en arabe, les aveugles ne peuvent pas vous montrer lebon chemin, et les illettrs sont des aveugles, non ? [] Le gouvernement,sil veut savoir ce qui se passe, doit manger dans toutes les soupes. Un sherflettr Nefta, le 6 mars 1996.

    Rachid ben [fils de] Bechir ben Rouissi : numrer les parties de son

    nom, il retrace aussi les gnrations qui lont prcd et comment cejardin Degache (ou du moins sa part) lui est chu.

    Depuis six heures ce matin, il est seul au jardin, comme son habitude.

    Il na pas vraiment quelque chose y faire, rien de pressant en tout cas.

    Il pourrait la rigueur rester la maison comme le font les plus jeunes

    aujourdhui, mais pour quoi faire ? Autrement que pour le dner et la nuit,

    il ny est pas vraiment chez lui, il risquerait de gner sa femme et les

    alles et venues des voisines. Et que diraient les voisins le voir traner

    dans le quartier ? Quil est un paresseux ? Quil a perdu son jardin ?

    Aujourdhui, il dsherbe les tomates qui manqueront bientt dtre

    touffes sous les mauvaises herbes. Il en fait des tas sur les bords

    des planches. Il va ensuite couper dautres mauvaises herbes dans lesalles, dans les jachres, jusqu rcolter la bonne quantit, pour quil

    nait pas ce soir rajouter du concentr aux chvres et la brebis de

    la maison. Cest sa femme qui soccupe des animaux. Avec le retour

    de la chaleur, lherbe recommence bien pousser et est envahissante

    Introduction

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 9

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    10/434

    10

    ds que leau est l, ds que les nbt(tours deau) sont assez rap-

    proches, longues et de dbit suffisant. Il arrive quun des foragestombe en panne et que leau des circuits dirrigation suffise peine

    inonder les carrs de cultures. Daprs son voisin, son tour deau

    devrait commencer aprs-demain onze heures dans la nuit.

    Aprs le repas, des fves quil a rchauffes sur le feu (il en mange

    tous les jours), laprs-midi est vite passe : il y a toujours quelque

    chose faire dans le jardin. Il a rassembl en loccurrence toutes les

    palmes sches qui tranaient au pied des palmiers depuis quil les a

    nettoys durant lhiver. Il les a rassembles en paquets de vingt et il

    enverra dire son cousin de passer les prendre avec sa charrette pour

    les vendre au hammm (bain turc). a ne vaut pas grand-chose, mais

    a paiera des bonbons pour les enfants.Le soleil dcline, lappel la prire se fera bientt entendre, il est

    temps de rentrer. Tiens, Mohamed et Tarek ne sont pas passs

    aujourdhui. Il coupe une grosse botte de salade pour la maison. Il

    devra passer par le souk (march ou centre-ville) pour prendre du per-

    sil. Le peu quil a plant cette anne na pas pouss. Peut-tre de mau-

    vaises graines. Ou plutt il prendra du persil chez Brahim qui il a

    prt une mes-ha (une sape). Il boit son dernier verre de th au jardin,

    de la thire qui est reste toute la journe sur la braise prs de la

    cabane. Ce nest plus une infusion, cest une dcoction. Il ne pourrait

    plus sen passer.

    En levant son verre, son regard se pose sur les premires spathes despalmiers qui souvrent bientt. Le temps sera venu, la semaine pro-

    chaine, de polliniser , pense-t-il en attachant la charrette son mulet

    et en y posant les bottes dherbe et la salade. Lanimal connat le che-

    min du retour, Rachid peut sallumer une cigarette Cristal.

    Des hommes et des oasisdans le dsert

    Le Sahara est le plus vaste dsert au monde. Il ny a que des vues de

    satellites qui permettent den embrasser toute ltendue. Du haut de

    lespace, on pourrait voir que ces grandes surfaces, toutes de roches

    et de sables, sont constelles de points ou de tranes vertes : les

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 10

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    11/434

    11

    oasis. Leur prsence nest pas, sur la Terre, une spcificit du Sahara :

    des oasis existent ailleurs, en fait sur les cinq continents. Restons un

    moment dans cette position gostationnaire, surplombant lAfrique du

    Nord. Srement des gens vivent l-dessous, dans le dsert. Si on a la

    chance davoir sur soi le Dictionnaire de lethnologie et de lanthropo-

    logie, on apprendra larticle Sahara (BONTE, 1991) que, au-del

    des diversits, ethniques et linguistiques, les socits sahariennes pr-

    sentent des traits communs : mode de vie pastoral et nomade, organi-

    sation tribale, influence de lislam, importance des changes longuesdistances [] . Et les oasis ? on nen parle pas. Les oasis ne sont

    peut-tre plus le dsert. Le Sahara, cest le dplacement et non pas

    ltablissement. Mais o situer, alors, loasis si bien isole au milieu du

    vide, du rien dsertique ?

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Vue arienne de lapalmeraie de Tozeur,Tunisie (fvrier 2003).Les formes complexesdu terroir millnaire,visibles au niveaudes jardins, sont tout aussividentes petite chelle.Au fond, le chott el-Jrid,au premier plan, le bti(le plus ancien est proche

    de ou dans la palmeraie)et, sur la droite, le brasde loued part du site ditdu Belvdre (rs el-ayn)pour se diviserdans la palmeraie.

    b

    yw

    ww.speedfreak.info

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 11

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    12/434

    12

    Linnovation oasiennedes taches de verdures entretenues par le labour opinitre des

    hommes malgr les dunes, le vent et le soleil ; des troupeaux que

    conduisent comme au temps biblique, les nomades la recherche de

    maigres pturages []. (Jacques Soustelle, ancien ministre franais

    du Sahara, cit par GAUDIO, 1960 : 104) Cest en ces termes que pou-

    vait svoquer, dans les annes 1950, le Sahara franais. Comme au

    temps biblique . Pour limaginaire europen, le dsert et les oasis

    parlent beaucoup. La rfrence historique religieuse est invitable,

    mais ce dcor o nous croyons avoir nos racines de civilisation ,

    cest un ailleurs dont nous nous serions carts. Nous aurions chang

    et nous aurions laiss un monde son immobilit et son indigence. Le

    dsert ne bougerait pas, les oasis non plus, tout serait immuable sous

    la torpeur dun soleil implacable.

    Si les hommes sont l, il faut bien pourtant que le dsert et les oasis

    aient une histoire. Quelles sont les origines de ces singulires oasis ?

    Comme le rappelle LACOSTE (1990 a), dans les rgions arides du

    globe o coulent des cours deau allognes, il est un fait que cette

    eau na pas toujours suscit lintrt des populations son exploita-

    tion au profit de cultures (Australie, Moyen-Orient, Amrique, Afrique,

    Asie). Donc, cette disponibilit hydrologique serait une condition

    ncessaire mais non suffisante pour expliquer la cration doasis.

    Nous sommes alors tenus de prendre en compte dautres para-mtres, notamment historiques et techniques qui ne semblent pas les

    moindres.

    Pour que surgissent des oasis du dsert, il faut aussi que des hommes

    aient eu les connaissances et les moyens de construire des quipe-

    ments hydrauliques (puits, canaux, petits barrages). Aussi, ny a-t-il

    pas de grandes oasis au milieu du dsert du Kalahari, bien que dans

    cette vaste cuvette arrivent de nombreux cours deau descendant des

    pays voisins. Dans cette partie de lAfrique, les Khoisans (Bochimans)

    vivent surtout de la chasse et de la cueillette. Ils ne font gure de cul-

    tures et ne savent pas irriguer la terre. Quant aux Europens, venus

    dans le pays au XIXe

    sicle, ils sintressrent surtout au grand levagespculatif dans les rgions steppiques voisines et ils neurent pas

    besoin de crer doasis (des zones meilleure pluviomtrie suppor-

    taient les cultures). Il en est peu prs de mme pour les dserts aus-

    traliens (LACOSTE, 1990 b : 260).

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 12

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    13/434

    13

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Quelles sont ces conditions historiques qui ont permis la mise en

    uvre de ces techniques culturales relativement intensives et perfec-tionnes ? En dpit de labondance des sites et de la longue occupa-

    tion du Sahara au nolithique (12 000-4 000 ans av. J.-C.), dans une

    phase beaucoup plus humide que lactuelle, il nexiste pas dvidence

    directe que lagriculture y tait alors vraiment pratique (BOUNAGA et

    BRAC DE LA PERRIRE, 1988). Lide de loasis palmiers dattiers vien-

    drait du lieu de domestication de cette plante, une relique de lre

    tertiaire.

    On suppose aujourdhui que ce lieu est le golfe Persique. On pense quau-raient exist des palmeraies dans cette rgion ds 5000 av. J.-C. Desfouilles archologiques menes sur le site dHili, en bordure de loasisdal-An (mirat dAbu-Dhabi), tendent indiquer que les rgions priph-

    riques du grand dser t dArabie connaissaient dj une agriculture avan-ce en 3000 av. J.-C., le mode dutilisation du sol tant celui des oasis(CLEUZIOU et COSTANTINI, 1982). Ces oasis ont pu grouper depuis dessicles des populations, fondement dmographique des tats des vieillescivilisations msopotamiennes et nilotiques.

    Lhypothse classique expliquant la prsence dans la zone saha-

    rienne de cette structure oasienne, mais aussi des plantes qui lac-

    compagnent, est une thse diffusionniste. Ces civilisations orientales,

    fondes en bonne partie sur la matrise de leau dirrigation, auraient

    diffus leurs techniques notamment vers lAfrique du Nord. Au pre-

    mier millnaire av. J.-C., les techniques agricoles suivent les bords de

    la Mditerrane et les franges prsahariennes le long des grandesroutes commerciales des chars qui menaient dj aux rives sah-

    liennes. Auguste CHEVALIER (1932 : 690), frapp par lidentit des

    inventaires des espces vgtales cultives dans les deux rgions,

    dfendait avec Andr Berthelot lhypothse dune diffusion depuis

    lgypte des premires dynasties galement par des routes int-

    rieures pntrant jusquau cur du Sahara (et sans doute jusquau

    Niger). Ces voies sahliennes sont bientt relayes par les pistes

    caravanires vers 500 av. J.-C. grce lintroduction du dromadaire

    domestiqu au Proche-Orient depuis le troisime millnaire avant

    Jsus-Christ. Les techniques dexhaure et dirrigation, ainsi que les

    pratiques agricoles, se seraient ainsi dif fuses progressivement dans

    les tapes caravanires, et les chanes doasis auraient alors com-menc se constituer (TOUTAIN, DOLL et FERRY, 1990 : 8). Cette hypo-

    thse classique a ses dtracteurs qui lui reprochent de penser les

    oasis comme de simples greniers pour nomades ou caravanes

    (MAROUF, 1980).

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 13

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    14/434

    14

    On ne connat toujours pas lorigine exacte des oasis sahariennes. Cequi est certain, cest que la transformation de cer taines terres arides

    en zones de cultures ou leur maintien a demand linvestissement de

    relles organisations, parfois appeles socits hydrauliques . On

    sait que, principalement au Moyen ge, le florissant commerce cara-

    vanier travers le Sahara qui pour certains auteurs nexistait pas

    avant lapparition de lislam (VERMEL, 1973 : 15), on pourrait plutt dire

    quil a alors pris son essor joignait les Empires noirs et leurs gise-

    ments aurifres du Soudan (dont le Ghana) aux cits marchandes

    maghrbines travers un dense rseau de pistes (fig. 1). Sinon la

    cration, du moins le maintien de certaines oasis dans le Sahara occi-

    dental et central ne peut se comprendre quen rapport limportance

    du trafic du VIIIe au XIVe sicle lpoque o la voie du Nil, beaucoupplus commode, tait barre en Nubie par de puissants royaumes chr-

    tiens. Ces oasis procdaient donc, pour certaines, de raisons com-

    merciales et politiques (LACOSTE, 1990 a) et leur main-duvre

    proviendrait en partie des populations noires dportes en esclavage.

    Les oasis ne sont pas

    des isolats mais,

    tout au longde leur histoire,

    les carrefours

    dincessants trajets

    travers le Sahara.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    (daprs RTAILL, 1986, modifi)

    Fig. 1

    Les routes transsahariennesau Moyen ge.

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 14

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    15/434

    15

    Lhistoire des oasis est difficile reconstruire. Ainsi, les foggaras sont-elles une invention indigne ou importe ? Les foggaras font partie de cesgrands amnagements hydrauliques constitus dimportants rseaux (enlongueur) de galeries souterraines filtrantes pour capter le peu deau depluie retenue dans les pimonts (fig. 2). Il est trs classique de comparer

    ces travaux monumentaux la technique des qantpratique depuis desmillnaires en Iran. Marouf relve que cette technique aurait t intro-duite par les [familles] Barmaka [se dclarant dorigine iranienne durantla dynastie des Almoravides 1169-1260] dtenteurs du secret des qantiraniens . Toutefois, cette technique pourrait aussi bien avoir une originelocale [touatienne ou judo-znte en Afrique du Nord, les Zntessont des Berbres prislamiques, nomms ainsi depuis le IVe sicle, aprsavoir t appels Gtules ] et avoir t conue de faon volutive et enrapport la dsaffection des rseaux hydrauliques de surface, et ce, bienavant le Xe sicle (MAROUF, 1980 : 265). Le dbat est loin dtre clos. Unrcent sminaire au Collge de France (BRIANT, 2001) mettait encore envidence les similarits techniques entre qant et foggara et en mmetemps quon dterre des rseaux complets datant du Ve s. av. J.-C. dansune oasis gyptienne (WUTTMANN, GONON et THIERS, 2000), aucune preuvearchologique assez ancienne en Iran na encore pu prouver son antrio-rit (avant lIslam). A-t-on eu alors convergence de forme, de structuremme, dans llaboration dun quipement hydraulique ou na-t-on finale-ment que transpos un modle technique exogne ?

    Il ny a ici aucune volont dhistorien dans cette brve prsentation de

    lorigine des oasis. Ce qui compte est avant tout de comprendre ce qui

    a prsid leur cration. Les donnes historiques (si faibles sont-elles)

    laffirment : artificielles, les oasis le sont incontestablement. Dun milieu

    cologiquement conditionn par laridit, lapport deau en surface ou

    au moins son pandage lorsque leau est dj prsente lair libre

    (cours deau allogne ou guelta), est la condition indispensable afin

    dobtenir, en zone chaude comme le Sahara, lexistence dune telleconcentration de biomasse. Dans ce type de structure cologique o

    les tres vivants ( lexception de quelques plantes adventices et

    insectes) sont implants car utiles lhomme, ce dernier apparat

    comme lacteur indispensable de ce jeu dquilibre.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Fig. 2 Coupe dune galeriefiltrante (foggara).

    (daprs MUNIER, 1973, modifie)

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 15

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    16/434

    16

    En effet, cet cosystme hyper-anthropis peut tre figur comme

    un quilibre instable, un quilibre qui doit, tout moment, tre ajustpar lhomme sous forme de travail. La position stable, au sens thermo-dynamique, serait le dsert. Mme si MAUSS (1967) nous rappelle

    quil ny a jamais en ralit production par lhomme, mais simple

    administration de la nature, conomie de la nature : on lve un

    cochon, on ne le cre pas , lhomme est le facteur dterminant de

    bien des cosystmes, et dans le cas de loasis, il sapparente la clefde vote de cet ouvrage de transformation spectaculaire du milieu.

    Lquation est fort simple : labsence de lhomme (de sa culture tech-

    nique et de son travail) quivaut labsence doasis. (Lquation

    inverse nest pas vrifie et elle nest pas commutative.)

    Loasis ne semble pas saccorder une vidence que proposeJacques BARRAU (1981 : 387), selon qui la modification des systmes

    naturels du fait des socits humaines procde toujours du generalized

    au specialized, pour rester fidle la terminologie emprunte auFundamentals of ecologyde Eugene P. et Howard T. ODUM (1959), selon

    laquelle les cosystmes generalized, indice de diversit lev, forte

    productivit et relative stabilit la fort tropicale humide par exemple

    contrastent avec les specialized, moindre indice de diversit, plus

    faible productivit et relative vulnrabilit les steppes, par exemple : ily aurait rosion de la diversit et exigence dapports constants et crois-

    sants dnergie. Si le second terme est en accord avec ce que lon peut

    observer pour le cadre de loasis, ce milieu est loin dvoquer lrosion

    gntique puisque sa biodiversit est considrablement plus riche quecelle du milieu environnant ou originel, le dsert proche. Il est vrai que,

    si lon considre le Sahara dans son ensemble, la flore comprend envi-

    ron 500 espces de plantes vasculaires (OZENDA, 1985). Bien plus, loa-

    sis est source de biogense, engendrant de nouvelles varits de

    plantes et de cultivars de dattiers (Phnix dactylifera L., Arecaceae).

    Comment se prsentent concrtement les oasis sahariennes ? Et com-ment embrasser lensemble de ces terroirs disperss dans le dsert ?

    Rduire les oasis

    ce quelles ne sont jamaisLes oasis tudiesSi cette tude nest pas conue comme une monographie, toutefois le

    Jrid est le terrain privilgi de rfrence. Cette rgion se trouve dans

    La plupart des

    hommes produisentdes ressources

    domestiques et,

    de ce fait,

    ont profondment

    modifi et modifient

    les systmes

    et objets naturels

    (BARRAU, 1981 : 385).

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 16

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    17/434

    17

    le sud-ouest de la Tunisie, aux confins algriens et de lkoumne tuni-

    sien (fig. 3). Le Jrid est une rgion un peu trique, un isthme coincentre deux dpressions sales, le chott el-Gharsa et surtout le chott el-Jrid. Cet anticlinal jridi spare et alimente pour partie ces deux

    chotts qui sont en fait deux grandes sebkha, des dpressions salines

    parfois incompltement recouvertes deaux saumtres (fig. 4).

    Un peu alignes, l, sur ce bras de terre et de sable, des oasis forment

    le paysage. Depuis des temps immmoriaux, on les sait l ; on ne peutdire qui les a difies, comment, quand, et non plus si elles taient vrai-

    ment diffrentes autrefois. Quelques vestiges romains laissent penser

    que ces oasis faisaient partie du limes, les frontires de la conqute de

    Rome en Afrique (province dAfrica). Les oasis les plus anciennes

    auraient plus de deux mille ans (Tozeur, par exemple, qui se seraitappel Thozurus). Mais elles vivent encore. Elles changent delles-

    mmes, les hommes continuant les travailler de gnration en gn-

    ration. Toujours par elles et autour delles, se nouent les relations queles hommes savent tisser entre eux, en socit. Aujourdhui, les Jridis

    se dfinissent comme arabes et musulmans, jridis et tunisiens. On y

    parle larabe tunisien avec des variantes dialectales locales.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Fig. 3 Localisation des oasistudies en Afriquedu Nord.

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 17

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    18/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    19/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    20/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    21/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    22/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    23/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    24/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    25/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    26/434

    26

    ninflue autant sur lindividu que sur le groupe, sur le contenu du

    savoir et les pratiques, notamment et particulirement en ce qui

    concerne la question de leau. L, dans ces zones gographiques,

    un choix nexiste pas. Les populations, aussi diverses soient-elles

    (Bushmen, Touareg, Californiens), ont besoin davoir une culture au

    moins technique de la gestion de cette ressource rare. Cest avec ce

    caractre oblig que lon peut parler alors de formes dadaptation

    tant technique, conomique que sociale un milieu donn. Ces

    formes dadaptation aux conditions environnementales, ces strat-

    gies mises en uvre par les groupes humains peuvent devenir la

    marque distinctive dune identit culturelle et, sans doute, une forme

    dorganisation sociale.

    Lmergence du systme oasien na pu survenir sans que soientrunies un ensemble de conditions. On peut compter parmi celles-ci

    certaines conditions historiques (par exemple, lapport du dromadaire

    pour beaucoup doasis sahariennes), politiques (structure tatique ou

    marchande mobilisant une main-duvre) et sociales. Ce que Leroi-

    Gourhan nomme milieu technique est essentiel, qui consiste en

    lensemble des matriaux, des modes daction, des gestuelles et des

    chanes opratoires disponibles, ainsi en est-il de la ncessaire dis-

    ponibilit de savoirs technologiques lis la matrise de la captation

    de leau (par forage de puits, percement de foggara, pandage de

    leau dun fleuve, etc.), de sa rpartition et de son conomie. Les

    conditions cologiques du milieu contingentent et dterminent une

    direction dans les types dexploitation de celui-ci. Mais si les popula-

    tions des zones dsertiques nont pas le choix et doivent savoir grer

    leau disponible, cependant le rapport lenvironnement nest pas uni-

    voque. Les oasis sont le fruit dun savoir-faire dans une direction par-

    tiellement impose par les conditions cologiques. Ce savoir-faire se

    traduit particulirement dans lagriculture o les caractristiques des

    systmes de cultures prouvent leur originalit (organisation de les-

    pace, des units de production, tagement de la vgtation, intensifi-

    cation des productions, polyculture). LHomme transforme

    profondment son milieu, cre un paysage, et cela est visible ; le

    contraste oasis/dsert (ou steppe) est vident et se manifeste au

    niveau daphique, microclimatique, biologique, etc. Mais au final, len-vironnement quotidien de loasien nest plus seulement le dsert, mais

    le dsert modifi, loasis. Ainsi, sinvalide lide dune action et rac-

    tion simple dune chose lautre (socit, milieu). Il faut parler dinter-

    actions, puisque socit et milieu voluent de faon conjointe, ou de

    Les conditionscologiques

    dun milieu

    contingentent

    et dterminent

    en partie

    les modalits de

    son exploitation par

    les populations

    qui y vivent.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 26

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    27/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    28/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    29/434

    29

    blablement dun rare terrain accessible o la revendication et le droit

    la parole sont encore possibles sous lactuel rgime politique enTunisie. La situation est similaire sans doute dans loasis de Zagora, au

    Maroc, o le responsable de la subdivision du CMV avouait avec amer-

    tume que leau est la source de la vie, mais aussi la source de nos

    problmes (le 30 septembre 1996). Ce nest pas un terrain neutre,

    lhistoire tmoigne du contraire. Que demande-t-on aux agriculteurs

    jridis dexprimer, et dautre part, quattendent-ils des intervenants

    extrieurs, sinon cette action sur leau qui, eux, leur a chapp ?

    Leau est probablement l, en tant que thme discursif, pour servir

    construire et manifester lexpression du conflit ou de la crise. Bien

    sr, cette expression a lavantage de susciter lattention et lintrt des

    personnes concernes par loasis. Cette forme dexpression entredans la problmatique culturelle locale, et le jardinier nprouve pas

    non plus de gne ou dinconvnients en faire usage (question appro-

    fondie dans BATTESTI, 2004 b). Si effectivement leau occupe une place

    centrale dans le regard sur loasis, si effectivement il semble que ce

    soit un lment mdium qui mdiatise partiellement dans les pro-

    cessus discursifs sur loasis, ny a-t-il pas rduction nobserver que

    par son prisme ? Nest-ce pas faire preuve dessentialisme ?

    Ce passage oblig on pourrait dire ce gu obligatoire de la question

    de leau pour accder lintimit de la vie oasienne (sociale, technique,conomique) sillustre notamment chez Genevive BDOUCHA dans son

    ouvrage Leau, lamie du puissant (1987). Le fond de son approche

    snonce ainsi : si dans une socit oasienne, cest leau qui raconte lemieux la socit, la socit raconte avant tout leau, se raconte travers

    leau [p. 16] . Et pourquoi est-ce leau qui raconte le mieux la socit ?

    Pourquoi finalement choisir cet axe comme angle dattaque de la commu-

    naut oasienne ? Parce que dire que dans une oasis leau est la res-source rare, essentielle, dont le contrle et la rpartition sont le fait crucial,

    quoi de plus vident ? (p. 15). En effet, la littrature qui traite des soci-

    ts oasiennes sest cantonne dans une description exclusivement tech-nique et juridique du systme hydraulique, sans demble lenvisager

    comme un tout dont les aspects sociaux et politiques sont au moins aussi

    importants . Car pour Bdoucha, leau est objet dtude privilgi

    parce que premire techniquement et conomiquement mais aussi sym-boliquement . Leau constitue donc laxe central de son travail sur ces

    communauts doasis du Sud tunisien, au Nefzawa (ou Nefzaoua, situe

    sur la rive est du chott el-Jrid, tandis que la rgion du Jrid est sur la riveouest), lautre grande rgion de dattes du pays avec le Jrid.Le travail de Bdoucha, entrepris en 1970, sinscrivait dans la ligne de ce

    que lon a appel lethnologie (ou ethnographie) de sauvegarde, dur-

    gence. Pour loasis, face aux rcents changements des dernires dcen-

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *1/DBUT 9/01/07 16:16 Page 29

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    30/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    31/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    32/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    33/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    34/434

    34

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Les oasis diffrent. Les exploitations des jardins oasiens de la rgion du Jrid

    sont galement htrognes et il est difficile de les classer dans un mme

    ensemble. Nous verrons que les diffrents types dexploitations rpondent

    des logiques et des pratiques diffrentes du milieu. Les jardins dits tradi-

    tionnels des vieilles palmeraies de la rgion reprsenteraient la norme

    oasienne, ils constituent une rfrence : ils sont censs tre le jardin toujours

    reproduit. Cette norme, jamais date, peut tre dite institutionnelle (loca-

    lement). Ce discours peut tre interne au Jrid afin de prsenter aux interve-

    nants extrieurs une homognit de faade qui masque les profondesdisparits locales, voire les conflits ; ce type de discours peut tre galement

    externe, ventuellement pour folkloriser lensemble ou bien pour discrditer

    tout ce systme de production traditionnel , stigmatis comme source de

    blocage, non fonctionnel, exemple dune aberration conomique.

    La premire partie joue le jeu de cette norme par une description ethnogra-

    phique des palmeraies et de leurs jardins au Sahara. Progressivement, des

    espaces aux temps de la palmeraie, des plantes cultives aux pratiques les

    mettant en uvre, des travailleurs oasiens lorganisation sociale du travail,

    le naturel de cette norme oasienne deviendra cependant moins vident. Les

    parties suivantes proposeront des moyens de contourner cette difficult pour

    aborder de faon dynamique ces constructions sociocologiques que sont

    les oasis.

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 34

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    35/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    36/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    37/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    38/434

    38

    Aussi, cette intgration homogne dun terroir semblerait pertinente.

    Pourtant, mme sen tenir la rgion du Jrid, les oasis saniment defluctuations des espaces, des lieux, et reclent une diversit des pra-

    tiques et des discours. On reconnat ainsi une tonnante varit deparler loasis, beaucoup de termes dsignant des espaces diffrent

    dans le dialecte arabe local dun village lautre (voir tabl. 2 p. 60). Si

    ces espaces mouvants sont le produit de la rencontre de facteurs

    socio-historiques et de conditions cologiques, ces facteurs et condi-tions nen sont pas moins dune homognit trs incertaine au sein de

    cette rgion, et cela est rendu vident avec lusage des outils de typo-

    logie et de zonage. En fait, lirrespect du caractre holiste de lespace

    oasien permet de rvler sa fausse apparence monolithique : loasisnest pas seulement entire, elle est addition infinie de parties et les

    frontires qui la limitent sont floues.

    Loasis, entit gographique, se subdivise en sous-parties, qui elles-

    mmes se partagent encore et qui elles-mmes : nous avons commeun jeu de poupes russes. Lensemble intgre une logique dembote-

    ments, de loasis la planche de cultures. Lespace de la palmeraie se

    structure dabord suivant laxe de loued (pour les oasis comme Tozeur

    ou Nefta) et les grandes divisions en quartiers. Le mot jar (coll. inv.)dsigne deux choses : le tout et ses premires parties, la palmeraie

    dans son ensemble et chaque quartier de la palmeraie.

    Lusage local (en parler jridi) du termejarest rserv aux anciennes pal-meraies (pour les rcentes, on donnera directement leur nom). On dira par

    exemplejar Tozeur, ou seulementjarsil est question de la catgorie spa-tiale ( win el-ghba ? fil jar o est le jardin ? dans loasis ). Leterme courant de wha (qui correspond au mot franais dorigine grecqueoasis, et sans doute, comme lui, tire son tymologie de lgyptien) est plusvague (il est aussi employ Zagora), tandis quejarconcerne, pour lespopulationsjrd, le terroir agricole, distinct du bti. On accole par contrele nom du quartier de la palmeraie quandjarest employ pour dsi-gner cette subdivision. On dira par exemplejar abbs,jar el-wasat,jar el-rebtpour les quartiers de la palmeraie de Tozeur (Abbas est un prnomarabe, el-was(a)tsignifie le milieu , le centre , rebtdsigne uneplace forte ; Tozeur, on compte un quatrime quartier compos de El-Hafir, Gernaz, Es-Suan, Ed-Dejaja) (fig. 7). Le dcoupage en quartierssuperpose la rotation de la distribution deau. Les oueds du Jrid ne sontpas les mmes que les oueds marocains. Ces derniers (Draa, Ziz) sont devritables cours deau, prenant leurs sources dans les montagnes delAtlas marocain, tandis que ceux du Jrid ne sont que la collection deseaux des sources artsiennes (ayn, pluriel de an) ou aujourdhui desforages qui sy dversent et nont dexistence que sur quelques milliersde mtres avant de ntre plus que les divisions ramifies des seguias

    Loasis nest passeulement entire,

    elle est additioninfinie de parties

    et les frontiresqui la limitent

    sont floues.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 38

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    39/434

    39

    vers les jardins. Loued de Djanet au tassili nAjjer, appel edjeriu, est un

    vritable cours deau, mais la condition que les pluies soient suffisantes,cest--dire quen fait il ne coule quasiment jamais (cela est vrai pour toutela rgion sauf exception de la petite oasis des plateaux, Ihrir). En tama-hq de Djanet, lighezerest un oued un peu troit, le taghzit(plur. tighza)est large.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Paysage oasien Nefta(Tunisie) dcembre 1994.La palmeraie est,

    cet endroit, relativementouverte ; les palmiers sontde varits communes .Lalignement des planchesde cultures suggre un travailsur le tafslprofond et rcent.

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 39

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    40/434

    40

    Les frontires floues

    Loasis nest donc pas monolithique, mais est-elle tout au moins limite ?

    En fait, les contours de la palmeraie bougent aussi. Cest mme sur ces

    bordures que la marge de mouvement est la plus aise : lextension

    empite sur du dsert qui est peru comme nappartenant personne,

    puisque pas mis en valeur. Lusage local (mais officieux) tend accor-

    der comme la proprit dun individu la terre prise au dsert (hors les

    terres collectives de parcours des pasteurs), le sol na de valeur pour

    les jardiniers que sil est potentiellement productif, cest--dire irrigu.

    Hors lagriculture, cest aussi selon cette logique quon marque le sol

    de tas de pierres sur les marges du village. Ce sont les pierres dont on

    se servira pour monter les murs ; de fait, elles peuvent rester des

    annes ainsi. Au-del du matriau, ces amas sont surtout les signes

    intelligibles que ce primtre a aujourdhui un propritaire, quil a t

    appropri. Nanmoins, le sol est aujourdhui la proprit de ltat tuni-sien (et a donc un prix), mais cest une chose que lon oublie faci-

    lement, que ce soit pour lhabitat ou les cultures. En outre, ces

    extensions non autorises des marges de la palmeraie sont illicites : la

    superficie du terroir oasien a t gele par ltat (en dehors des cra-

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Fig. 7

    La palmeraiede Tozeur,rseaudes seguiaset des drainsprincipaux.

    (daprs A. KASSAH, 1993, modifie)

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 40

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    41/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    42/434

    42

    Les jardins doasis sont des proprits prives clairement affirmes,

    mais cela nempche pas les contours de leur ensemble de pouvoir

    bouger. Ces extensions agricoles sont appeles au Jrid (tout au

    moins Tozeur) mazyd, ou snya (plur. swn, cf. Le jardin au plu-

    riel ). Elles sont plus aises crer sur les limites de la palmeraie et

    sont le fait soit de propritaires (mlek) dsirant crer ex nihilo un jar-

    din ou une zone de jardin souvent vocation productive (on prfre en

    gnral repartir de rien plutt que de rnover lancien jardin), soit de

    mtayers (au cinquime, khammsa, voir pour ce terme Les jardi-

    niers des oasis et lorganisation du travail p. 163) pour qui cest un

    moyen facile daccder au statut de propritaire. Dans tous les cas,

    elles se prsentent de manire similaire : souvent quipes dun puits

    dit br(elles nont normalement pas droit une main deau), ces par-celles sont conues diffremment de celles situes au cur des

    vieilles palmeraies. travers des jardins neufs qui ne proviennent pas

    des circuits du patrimoine, qui ne sont pas chargs de lhistoire du

    Jrid, lobjectif des cultivateurs est clairement la rente phnicicole.

    Les parcelles sont organises comme le sont celles de type colonial

    ou, aprs lIndpendance, constitues par ltat. Ces mleksappro-

    prient un type dagencement de lexploitation peru comme rationnel

    et moderne : les palmiers sont aligns, leur densit de plantation est

    faible (100 150 pieds/ha) et la proportion du cultivar deglet en-nr,

    roi sur le march de la datte dexportation, est leve. De plus, tant

    rcents, ces jardins affichent une formation vgtale ouverte et ne

    comptent pas (encore ?) les trois tages caractristiques. Sans avoirlampleur du phnomne rgional du Nefzaoua (BROCHIER-PUIG, 2000),

    ces extensions au Jrid, bien que sur les marges de la palmeraie, nen

    sont pas moins importantes (ou si on veut, peu marginales en nombre).

    Selon les donnes officielles du service Statistique du CRDA de Tozeur

    (en mai 1996), le Jrid compte un total de 7 750 ha de primtres irri-

    gus en palmiers dattiers, dont 3 303 ha en oasis anciennes et chaque

    oasis comporte des extentions ingales (tabl. 1).

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Tabl. 1 Proportion

    des extensionsdans les vieilles

    palmeraies du Jrid.

    Palmeraie Superficie totale Superficie en extension % en extension

    Nefta 852 ha 45 ha 5,3 %

    Degache 895 ha 87 ha 9,7 %

    Tozeur 973 ha 171 ha 17,6 %

    (Superficies totales tires de : CONFORTI, BEN MAHMOUD, TONNEAU, s. d. [1995])

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 42

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    43/434

    43

    Ces extensions de loasis peuvent saffirmer dlibrment comme ten-

    dant vers un seul dessein : le profit (sans pour autant le garantir). Ces

    mazydsaffranchissent du regard que le jardinier jridi porte habi-

    tuellement sur le terroir oasien. Cette coupure radicale la rfrence

    dujarexplique en partie le fait que lon prfre presque toujours fon-

    der une parcelle ex nihilo plutt que de rnover une ancienne tenue par

    hritage et par lhistoire.

    Le temps inaccessible

    LHistoire, construite et reconstruite, sexprime peut-tre travers le

    lignage. Des lignages, sans doute autrefois plus significatifs, sontaujourdhui sans expression forte chez les sdentaires du Jrid.

    G. BDOUCHA (1987), propos doasis du Nefzaoua, pense que la dis-

    solution du lignage a amen la destruction du systme de distribution

    ancien de leau. Un peu lidentique, Mondher KILANI (1992) voit le lan-

    gage du lignage sinscrire directement dans lespace cultiv de loasis

    El-Ksar (prs de Gafsa, un peu plus au nord) puisque ce lignage pr-

    sidait au fonctionnement du systme hydraulique. On pourrait prsu-

    mer que cela a pu tre vrai au Jrid, mais il mest difficile dabonder

    dans ce sens ou non. Les discours locaux (des sdentairesjrd) rfu-

    tent mme quelquefois lexistence actuelle des lignages, les arsh

    (pluriel de arsh).

    Cela se vrifie pour les populations locales de vieille sdentarit. Pour les

    bdouines ou plutt dorigine bdouine, le lignage arsh reste une institu-

    tion structurant encore la collectivit (on se rfre davantage la qabla).

    Une des dmonstrations de cette prgnance chez les anciens nomades a

    t tablie par Nicolas Puig calculant par exemple que le mariage arabe

    prfrentiel (avec la fille de loncle paternel) et le mariage entre cousins en

    gnral sont deux fois plus nombreux que chez les Jridis (sdentaires de

    vieille souche) : 37,8 % contre 17,4 % des mariages totaux entre

    lIndpendance et 1997. (PUIG, 1998)

    Si le terme arsh est usit parfois, ce serait plutt dans un sens restrictif

    de famille et on le ferait correspondre ila (plur. ailt, la famille l-

    mentaire). Ce qui est visible aujourdhui lest au niveau du bti, du village(en fait aujourdhui des bourgades, voire des villes). Dans Tozeur, Nefta

    ou Degache, chaque quartier dhabitations correspond un lignage, ou

    correspondait puisque cette homognit par quartier se perdrait de

    nos jours. Degache, malgr la tenue dun discours niant souvent

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 43

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    44/434

    44

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    larsh en gnral, chacun des quartiers se rattache un des quatre fon-

    dateurs ponymes de loasis (on pourrait arguer que cette ngation estcontradictoire avec les rcits de fondation, (voir Les histoires larges

    des oasis p. 79), et chacun se dit de tel ou tel lignage. Nier leur exis-

    tence se constitue peut-tre comme une faon de nier leur efficacit

    ce jour, cest galement un discours compatible avec ldification dune

    nation moderne, image officielle prsente par la Tunisie. Ces partitions

    des lignages se refltent plus ou moins dans lejaraujourdhui. Lespace

    oasien demeure structur par lhistoire que les lignages y ont inscrite,

    mais la relative autonomisation actuelle des individus vis--vis de leur

    groupe agnatique suffit sans doute pour que les regroupements par

    lignages soient introuvables dans la palmeraie proprement dite.

    En revanche, certaines oasis rcentes correspond un peuplementspcifique de groupes agnatiques. Cet investissement rsulte dune

    politique dtat dans le cadre des programmes de sdentarisation des

    pasteurs-leveurs.

    Par exemple Dghoumes, ce sont les Awld Yahya et lautre extrmit duJrid, louest, les Ghrib Hazoua, ou encore des Awld Sd Abd (princi-palement des Rkerka) Chekmou. Dans la palmeraie de Nefleyet, elle aussircente (fin des annes cinquante), mi-chemin entre les centres de Tozeuret El-Hamma, est connue une zone dite shig shebbiya , cest--dire partie [ct] des Shebbya (les Shebbya sont un groupe nomade occu-pant tardivement le nord de Tozeur). Lautre partie de la palmeraie est diteshig al-bld, cest--dire la partie des habitants du [centre-] ville. Le termede shig peut couvrir un sens politique signifiant ligue, fraction ou partie.

    (BATTESTI et PUIG, 1999)La dmonstration la plus probante de la marque du lignage dans le terroiroasien, je lai trouve Djanet en Algrie : les Touareg Kel Ajjer de Djanetne savent pas trs bien si les jardins ont toujours exist ou non, toutefois ilspensent que ces terres taient cultives avant que les diffrents villages(aujourdhui des quartiers de Djanet) napparaissent. De ces anctres plan-teurs de palmiers, il y aurait en fait deux tribus fondatrices de loasis (vil-lages et palmeraie) de Djanet, les Kel Aminder (habitant le quartierdAzlouaze) et les Kel Taghofit (habitant le village dEl-Mihane) selon mesinformateurs qui appartenaient une de ces deux tribus (les Kel Aminder),et ils semblaient fiers de faire partie de ces pionniers. Le bti est penscomme des territoires tribaux distincts. On affirme que les serrures ne ser-vent qu viter les intrusions des animaux dans les maisons : puisque tout

    le monde se connat, on ne craint pas les voleurs. Aujourdhui encore, il estbien rare quun tranger au village (donc la tribu) ose sy aventurer nonaccompagn, mme sil vient du village voisin.Cette sparation des deux tribus est relle et persiste. Ainsi, elle lest auniveau gographique entre les deux villages, mais aussi pour les jardins : ily a une zone de jardins Kel Aminder (au nord de la palmeraie) et une zone

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 44

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    45/434

    45

    de jardins Kel Taghofit (au sud de la palmeraie), deux zones dont la fron-

    tire se matrialise par un chemin. Cette dmarcation divisant lespace desterres cultives traverse la zone inculte du centre de loued sec et, chose

    importante, cest cet emplacement prcis qua lieu la fte de la Sebiba

    (premier mois inaugurant lanne du calendrier targi de douze mois

    lunaires ; cest aussi la grande fte qui a lieu dix jours aprs le dbut du

    mois et qui clbre Musa, Mose dans le Coran, fuyant Pharaon). Pendant

    la fte, les participants assis respectent cette ligne fictive et demeurent

    spars de part et dautre des zones de jardins, les danseurs tournent

    autour de lassistance. Cette reprsentation rifie la sparation des lignages

    et souligne limportance des jardins dans la vision globale de loasis (la pal-

    meraie peut se dire tisdayen, un pluriel de palmier dattier, tasdet). La sden-

    tarit Djanet implique avant tout le dsir de possder un jardin, quitte ne

    loger que dans celui-ci, cest--dire dans les zribas (habitations de semi-

    sdentaires construites en chaumes de gramines : ekadiuan quand ellessont petites et tekabartquand elles sont de grandes dimensions).

    Loasis dans son ensemble et ses premires subdivisions (les jar au

    Jrid) sont les niveaux dembotement les plus englobants. Ces niveaux

    larges sont donns, cest--dire que la mmoire ne se souvient pas que

    cet univers ait pu changer, autrement dit que lhomme puisse agir sur ces

    niveaux (et la naissance des oasis est voque comme une apparition

    soudaine). Ces niveaux larges sinscrivent dans un cycle long de mou-

    vements, la fluctuation est possible, mais apparemment sur des sicles

    (ou tout au moins, cest ainsi que cela est perceptible). Cest cette

    chelle la rencontre dune histoire mythique, celle de la cration, et dun

    espace dont les contours connaissent un rythme lent de fluctuations : limprcision des temps correspond lindtermination des contours.

    Le parcellaire

    Alors que loasis reprsente une unit gographique nette et distincte,

    spare au Jrid dune autre oasis par le dsert ou la steppe, le fon-

    cier intrieur des anciennes palmeraies forme plutt un puzzle. Le jar-

    din doasis el-ghba est une unit de proprit dlimitephysiquement. Exception faite de quelques rares terres blanches

    (ard beyda), cest--dire sans cultures, lespace de loasis est un

    ensemble contigu de jardins. Les jardins se touchent, les formes irr-

    gulires de leur contour sont des frontires (hudd, plur. hodd) avec le

    Loasis dans sonensembleet ses quartierschangentdans un temps longet leurs contourssont modifiespar de lentesfluctuations.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 45

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    46/434

    46

    jardin du voisin ou un chemin daccs. Ces limites de jardins sont

    matrialises gnralement au Jrid par une haie de palmes ou unebute de terre ou encore un drain (voir tabl. 2). Ces haies de palmes

    sont la norme Djanet. Zagora au Maroc, les jardins ont la particu-larit dtre cerns dun mur (het) dau moins deux ranges de grosses

    briques de terre crue (mle de la paille) qui rappellent les propor-

    tions des pierres de taille romaines (environ deux mtres de long pour

    un en hauteur). Dans une telle structure du terroir oasien, les cheminsramifis souvent troits sont les liens entre les jardins ; ils reprsentent

    un espace longiligne public (voir Parcours, reprsentations dans la

    palmeraie p. 281). Zagora, ils possdent un nom spcifique : trek.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Pont de palme et borne dirrigation.Novembre 1995, Tozeur (Tunisie).Lentre de jardin est borde

    dun drain, que longe un rseaude distribution deau rcent souterrain.

    Ruelle de la palmeraie.Septembre 1996, Zagora

    (Maroc). La plupart des jardinsde cette rgion sont enclos

    d'un mur imposant (het)dont les tracs dessinent

    de vritables ruelles.

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 46

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    47/434

    47

    Cette constitution en puzzle o les petites pices (superficie moyenne

    des parcelles en ancienne palmeraie de 0,7 ha) sinsrent troitementlune dans lautre sexplique, en partie, par les contraintes cologiques

    qui poussent la culture intensive lchelle de loasis. Il est connu

    que cette structuration dense induit un microclimat favorable aux cul-

    tures (rduction du vent, ombrage, diminution de lvapotrans-

    piration). Cet effet trs local qui tempre la svrit dsertique est

    ce que lon appelle dordinaire leffet oasis . Une telle structuration

    de lespace des palmeraies permet galement doptimiser lusage de

    leau, ressource rare. Quand leau est achemine dune source ou dun

    oued vers les jardins, son parcours est diminu et ombrag, rduisant

    infiltration et vaporation.

    Un puzzle qui bouge

    La structure agrge du parcellaire nimplique pas toutefois une absence

    de mouvement. Malgr la rigidit apparente de cette imbrication de jar-

    dins, le parcellaire se recompose, se modifie au gr des morts et des

    naissances des membres de la communaut oasienne, des stratgies et

    des revers de fortune des uns et des autres. travers les gnrations,

    existe une mobilit des proprits. Nous assistons au cours de ces

    annes, semble-t-il, la fin dune gestion de loasis par le lignage et du

    patrimoine par la famille largie. Il est difficile de savancer sur ce qutait

    la gestion des terres autrefois au-del de la tradition idale , maisaujourdhui sidentifie un double mouvement : lindivision et le morcelle-

    ment (au Jrid, cette tradition idale est une gestion de lhritage dans

    la palmeraie par le fils an, tandis que la situation idale Djanet vou-

    drait que les jardins appartiennent uniquement aux femmes, trait matriar-

    cal des socits touaregs, mais de fait, cela est loin dtre systmatique).

    Lindivision rsulte soit dun non-accord sur la rpartition de lhritage,

    soit dune volont des enfants de respecter lintgrit du patrimoine

    lgu par le pre (cas le plus dynamique). Si un accord sur la gestion

    du patrimoine nintervient pas entre hritiers, au mieux seul un mini-

    mum dinvestissement est pratiqu, sinon le dfaut dentretien dpr-

    cie terme la valeur du jardin et sa productivit. Le morcellement, en

    revanche, dcompose le jardin en autant dunits que dhritiers, y

    diminuant la rentabilit et la possibilit dinvestissement.

    On mentionne que, autrefois (bikr), se manifestait une rticence

    la vente dune terre hrite. Ce nest globalement pas le cas aujour-

    Le parcellaire oasienconnat un doublemouvementcontradictoire :indivisionet morcellement.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 47

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    48/434

    48

    dhui. Dans loasis, il nexiste pas dunit minimale de transaction.

    Lanecdote du palmier appartenant plusieurs personnes se retrouvedans beaucoup doasis sahariennes. Les biens indivisibles ont pris fin

    avec la dissolution des habs (habous ou terre de mainmorte) par la

    loi du 18 juillet 1957 en Tunisie. Ces biens habs prvoient que les

    biens dune famille seraient dvolus une fondation pieuse en cas

    dextinction de la descendance mle (BDOUCHA, 1987 : 87) lorsquils

    sont du type dit alh. On distingue trois types de biens habous : alh, le

    bien reste dans la famille jusqu extinction puis revient alors une fon-

    dation pieuse ; khayr, il est attribu une uvre de bienfaisance ; et

    zwiya, il est dvolu lentretien dune zwiya (fondation religieuse).

    Les terres habs sont frappes dune rtention perptuelle contre

    toute ventuelle alination ds leur constitution par un crit notari.

    Dans les oasis du Jrid, leur dissolution par ltat a t lorigine dun

    mouvement foncier facilitant lentre de nouveaux propritaires dont

    des khammsa (cas par exemple de lexploitation de Abdel Majid

    El-Hamma, cf. Partie II) et certains leveurs de souche nomade.

    Dans les oasis marocaines, par exemple Zagora, ces terres conti-nuent dtre gres par ladministration des habous du ministre des

    Affaires islamiques (qui, comme pour les palmeraies dtat en Tunisie,

    vend la production en lots sur pieds).

    Le remaniement constant du parcellaire tient galement la disparitdes vues sur loasis des propritaires eux-mmes, qui implique une

    diversit des stratgies. Certaines stratgies foncires tendent lareconstitution de grandes parcelles, telles quon les prsentait autre-

    fois, dun seul tenant. Ainsi, on divise, on rachte des parts, on revend,

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Fig. 8 Exemple du jardin

    Snyat Rahl Nefta.

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 48

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    49/434

    49

    on cde, on change : la structure foncire se prsente comme un

    puzzle mouvant au sein de loasis. Le parcellaire peut paratre a priori

    statique (il a dcourag plusieurs partisans du remembrement), mais

    un minimum de perspective diachronique nous rend les formes floues,

    bouges. Le schma (fig. 8 : la forme du jardin est schmatise au lieu

    des contours tourments caractristiques en oasis ancienne) et le

    commentaire correspondant illustrent un exemple de ces mouvements.

    Lensemble de ce jardin a appartenu un juif du nom de Rahl, il y a

    quatre-vingts ans, dit-on (do le nom de Snyat Rahl que porte la par-

    celle). Rahl laurait vendu en son entier au grand-pre dun des propri-

    taires actuels qui y possde aujourdhui 0,7 ha et quil travaille lui-mme (a).Deux khammsa (mtayers au cinquime) exploitent le reste du jardin, lun

    pour le compte dun propritaire (b) et lautre sur une surface sensiblement

    identique, mais proprit de cinq personnes distinctes (c).(Cet exemple a t recueilli lautomne 1995 Nefta par Nicolas Puig et

    est tir de larticle auquel ce chapitre fait implicitement rfrence : BATTESTI

    et PUIG, 1999.) Un autre aperu de trajet de jardin est donn en dtail chez

    Y. JUSSERAND (1994).

    Le jardin au pluriel

    Le terme jardin , dans son acception gnrique, recouvre un

    ensemble htrogne. Les pices de puzzle sassemblent, mais ne se

    ressemblent pas toujours. Cette htrognit est souligne par le

    vocabulaire local.

    Jardin oujarden, driv du franais jardin , est parfois employ, mais

    dsigne alors le jardin potager devant ou dans la maison (hsh), cest--

    dire dans la cour. Quelques lgumes courants y sont cultivs en petitesquantits pour les besoins de la cuisine familiale (menthe, blette, persil).

    Au Jrid, le mot en arabe classique jenna et sa forme diminutive

    jnna ne sont pas en usage, tandis quils le sont dans dautres rgions

    doasis au Sahara ou mme Tunis. Ce terme se retrouve par exemple auMaroc dans les valles du Draa (Zagora) et du Ziz (Er-Rissani) :jnan (au

    pluriel,jnanat) y dsigne de faon gnrique le jardin de la palmeraie. Au

    sens propre,jenna dsigne le paradis et par extension un jardin de fleursou un jardin public.

    Le terme gnrique de jardin de palmeraie se traduit au Jrid par

    ghba (plur. ghbat ou ghb). Quoi quen disent un certain nombredauteurs, ce mot qui se comprend hors de cette rgion toujours dans lesens de fort dsigne localement et dans lejartoujours le jardin. Il est

    utile dinsister sur cette nuance tant on peut lire que dans les reprsen-

    tations locales, loasis est considre comme une fort de palmiers.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 49

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    50/434

    50

    Ghabba : fort . En effet, mme Zagora, si lon parle des agriculteurs

    de ghba, cela ne leur voquera que la fort (deucalyptus par exemple).Dans loasis jrd, par ghba cest invariablement le jardin que londsigne (et non une fort de palmiers ) : nemshi-l-ghba , je vais au

    jardin ; yikhdem fil-ghba , il travaille au jardin. Au tassili nAjjer, le dia-lecte local targui ne rserve quun terme semble-t-il pour parler du jardin :afaghadj, et son pluriel ifaradjan.Au Jrid toujours, dans la palmeraie, un petit jardin se dit drjt, cest--dire jardin de la dimension de quelques darja (planches dirrigation,cf. infra La structure des jardins ). On trouve jusquau XIXe sicle dansles actes notaris la mention dejidar, qui dsignait dans le parler local unpetit mur en terre servant retenir leau. Ce terme correspondait alors la proprit totale dune parcelle dans la palmeraie (terre, palmier et eau)(HNIA, 1980). Bustn (parfois prononc bestn, plur. bestn) est le

    beau jardin, de petite taille, qui a eu beaucoup deau (donc luxuriant). Ceterme est peu utilis comme nom commun, mais comme composant dunnom de jardin. On le retrouve aussi dans al-bastn (un pluriel de bustn),toponyme dune partie de Nefta.Snya (ou snya, plur. swn), comme bustn, est plus souvent fix dansun toponyme (cf. supra Sanyat Rahl) quutilis comme substantif. Lechamp smantique de snya diffre cependant de bustn. En arabe stan-dard, le terme snya correspond plutt champ en franais. Ildsigne au Jrid le jardin en extension, aux palmiers jeunes et situ enbord de palmeraie. Lemploi de snya permet peut-tre de se dmarquerdu caractre vieilli et moins performant du ghba. Le nom prcdent(Sanyat Rahl) dsigne pourtant un vieux jardin : soit quil tait jeune aumoment de la fixation du toponyme, soit que le sens du terme ait chang.Les extensions dnotent un esprit dentreprise comparable aux stratgies

    des agriculteurs du Nefzaoua (la seconde grande rgion dattire deTunisie) qui ont dvelopp pour plus de 4 000 ha des primtres en exten-sions illicites. (De nombreux lments peuvent venir expliquer ce phno-mne au Nefzaoua, un des plus prosaques tant que le forage estabordable techniquement aux personnes prives, car la nappe duComplexe terminal (une nappe relativement profonde) dans la rgion estbeaucoup plus proche de la surface quau Jrid.)Un autre mot du vocabulaire local drive du franais : nmro (auquel sestfix un pluriel depuis son adoption : nwmr). Ce sont les jardins des pal-meraies nouvelles organises en lots numrots (do le nom) et plusgrands que les swn. Conus par les autorits coloniales ou les colonseux-mmes (palmeraies de Castilia, Nefleyet), puis par ltat tunisien ind-pendant, les lots ont t allous sur la priode rcente aux anciens com-

    battants (ou assimils, lis au parti unique destourien) (palmeraie dIbnChabbat) et danciens nomades dans le cadre des programmes desdentarisation (palmeraies de Chemsa, Hazoua, Dghoumes). Le terme nmro claire lui-mme sur la destination de ces jardins. Ils sont vous,par la structure parfaite de leur alignement, une production en masse,aux hauts rendements (esprs). Toutefois, les jardins nwmr dan-

    Les diffrents noms

    du jardin au Jridrenvoient

    des conceptionsvaries

    de lagricultureet du jardinage.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 50

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    51/434

    51

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    ciens nomades ont une vocation paysanne plus marque ; leurs proces-

    sus de socialisation, diffrents des anciennes palmeraies oasiennes, nesont pas non plus ceux des nwmr, sans me est-on tent dcrire. Dghoumes, les villageois vont se laver dans les regra (sans doutede regard en franais) des canalisations dadduction deau de la pal-meraie, ce qui ne se conoit pas Castilia, Ibn Chabbat ou Nefleyet.

    La palmeraie se compose comme un puzzle de milliers de jardins. Par

    le biais des transactions foncires individuelles, les cultivateurs ont col-

    lectivement une emprise sur la palmeraie, lui donnent son visage et des

    noms pour la dcrire. Les diffrentes dnominations du jardin renvoient

    des champs smantiques divers et souvent des conceptions varies

    de lagriculture et du jardinage. Mais cette action pratique se limite au

    niveau du parcellaire. ce niveau dorganisation de loasis, de matrise

    de la terre correspond le temps moyen des dcennies, des gnra-

    tions : cest le pas (lunit) de mouvement ce niveau dobservation.

    La structure des jardins

    Les milliers de jardins des palmeraies sont autant de proprits pri-

    ves. La proprit est la rgle ; seuls les chemins des palmeraies peu-

    vent prtendre tre du domaine public. Contrairement aux terres

    collectives de parcours des tribus de pasteurs dans les steppes avoi-

    sinantes, la proprit prive sapplique strictement la terre comme

    ce qui pousse dessus dans les palmeraies doasis. Aujourdhui, terre

    et eau sont indissociables (ce qui ne ltait pas il y a quelques dcen-

    nies), de mme que terre et palmiers, mais cela est plus thorique (il

    existe des cas, comme El-Hamma, o trois palmiers dans un coin du

    jardin nappartiennent pas au jardinier bien que la terre cet endroit

    soit sa proprit). un jardin correspondent un ou plusieurs propri-

    taires (en cas dindivision, par exemple) et chaque proprit peut pos-

    sder sa propre logique dexploitation, sa propre stratgie donc. Mais

    celle-ci nest jamais tout fait indpendante de celle du voisin compte

    tenu de lenvironnement sociocologique local.Les logiques dexploitations et lorganisation des parcelles intgrent

    les contraintes sociales et cologiques assez fortes dans les zones

    arides. Lassociation des cultures basses et des cultures fruitires per-

    met dassurer lombrage contre le fort ensoleillement ; lombrage et

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 51

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    52/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    53/434

    53

    tunisien oriental) au contraire, les palmiers ont plus une vocation de

    coupe-vent que de production (mauvaise fructification due au climatmaritime) et sont disposs en haie autour de grandes planches de

    cultures. La disposition homogne au Jrid explique pour une part la

    forte densit des pieds. Ce rapport atteint parfois 400 palmiers par

    hectare dans les vieilles oasis, les pieds tant disposs alors en

    dsordre, contre 100 lhectare et des palmiers en ordre align

    dans les nouvelles plantations. La structuration verticale classique

    des palmeraies oasiennes en trois strates est connue et elle confre

    ce type dexploitation la qualification de jardin-verger . Sous les

    palmiers (la premire strate), poussent les arbres fruitiers (la

    seconde strate), et le dernier tage, lombre, se compose des cul-

    tures marachres et fourragres. Il arrive que certains jardins devieilles oasis, dfaut dentretien, se referment sur eux-mmes et

    aient des zones compltement arbustives, une fermeture condam-

    nant lexploitation de planches sous-jacentes. Les cultures basses

    sont contenues dans les planches de cultures. Ces planches rpon-

    dent dune logique gomtrique dimbrication et dembotement de

    quadrilatres. Cela est la structuration classique de la norme

    oasienne.

    Dans lamnagement des jardins doasis, deux ples (catgories

    idelles soumises la critique un peu plus loin) semblent sopposer :

    le moderne (palmiers aligns, espacs, parcelle range, producti-

    viste) et le classique (ou traditionnel , sans ordre apparent,

    dense, riche biodiversit). lexception dune rnovation totale (rare)ou de lgres tendances par contraintes (comme le dmariage des

    palmiers dcid par lAdministration), il y a peu ditinraires de jardins

    allant du classique vers le moderne .

    Le dmariage, takhff, se pratique pour les arbres comme pour les

    lgumes (de khaffou khfaf, lger). Ce dmariage des palmiers, organis

    par ladministration, imposait aux agriculteurs la coupe de dattiers afin dediminuer la densit. Elle a eu lieu Degache par exemple, dans les

    annes 1962-1965, pour faire entrer le soleil au sol, pour quil prenne le

    soleil (lorganisateur de ces travaux Degache, le 27 fvrier 1996). Voir

    le sens de soleil dans Du travail horizontal p. 135.

    Linverse plutt se produirait, lorsque des cultivateurs se rapproprientleur parcelle (on peut parler de dtournement de projets tatiques) en

    rajoutant des palmiers surnumraires au cent pieds lhectare de

    leur jardin doasis rcente, dtruisant la belle architecture (mais en

    respectant une autre).

    La structurationclassique des jardinsest la superpositionverticaleet lembotementhorizontal.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 53

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    54/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    55/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    56/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    57/434

    57

    jardin qui est le caractre fort et reprsentatif. En ralit, il nest pas sirgulier bien sr, mais on peroit l idalement ce quil devrait tre. Le

    ralisme intellectuel de ce dessin fait merger travers mme son

    excution par un enfant sa structure cache mais constitutive.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Fig. 10

    Dessin dun jardinpar une enfant (Djanet).

    Lorganisation internedes jardins classiques.Mars 1995, Nefta(Tunisie). En palmeraie

    ancienne, la trs forteconcentrationdes cultureset leur diversitdans les jardinsexigent un art minutieuxde lassemblagedes planches.

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 57

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    58/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    59/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    60/434

    60

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    Tabl.2 Exemples du lexique spatialde jardins oasiens.

    An

    ciennespalmeraies(Jrid,

    Tunisie)

    Crationsrcentes(Jrid,

    Tunisie)

    OASIS

    NEFTA

    TOZEUR

    EL-HAMMA

    DEGACHE

    CASTILIA

    NEFLEYE

    T

    IBN

    HAZOUA

    DGHOUMES

    Dsignation

    CHABBAT

    Planches

    Ordre1(a)

    hdh

    meskba

    meskba

    m

    eskba

    meskba

    meskba

    hdh

    hdh

    meskba

    [ha

    waz]

    [meskeb]

    [meskeb]

    [meskeb]

    [meskeb]

    [meskeb]

    [hawaz]

    [hawaz]

    [meske

    b]

    /fum[afam]

    Ordre1(b)

    sotr

    kht/jorah

    fusmat/

    s

    mt

    kht

    smt

    jurah

    [smatt]

    [smatt]

    [ajrah]

    jabn

    Ordre1bis

    jurah

    sherkha

    jurah

    [joroha]

    [shirkh]

    [ajrah]/jabn

    Ordre2

    m

    yda

    sherkha]

    darja

    d

    arja

    darja

    myda

    darja

    [shirkh

    [draj]

    [draj]

    [draj]/

    [draj

    sherkha

    [shirkh]

    Ordre2bis

    sherkha

    s

    herkha

    sherkha

    [sh

    irkh]

    [shirkh]

    [shirkh]

    Seguias

    hammala

    sgya

    sgyael-

    principales

    el-umm

    umm

    Sparations

    enpalmes

    zarab

    tba

    desable

    hadd

    ridif

    [ho

    dud]

    enados

    jiser

    mirued

    jiser

    [merwid]

    Barrage

    sedd/

    maghloq

    m

    aghleg

    (ouporte)

    mifth

    [maghleg]

    Singulier[pluriel]

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 60

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    61/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    62/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    63/434

    63

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    est une cration trs rcente, une dizaine dannes, et elle est situe

    entre Tozeur et Nefta. Le vocable est pauvre et pourtant y travaillent

    des agriculteurs de Nefta et Tozeur.A priori, ces jardiniers possdent

    une bonne culture technique oasienne. Mais parce que jeune, la pal-

    meraie est encore trs ouverte (les arbres sont de petite taille et leur

    densit est faible) et sans une relle structure doasis. Seul est en

    place le niveau dordre 1 (hdh), les cuvettes rgulires entourent

    chaque palmier (fig. 12), et seul ce niveau-ci est voqu. On peut

    mettre lhypothse quavec la fermeture de la palmeraie se produira

    une complexification la fois des formes et du lexique.

    La terminologie est la plus riche dans les quatre vieilles oasis de la

    rgion (les premires du tableau) : une richesse lexicale dans un sys-

    tme complexe. Le cultivateur dcide seul de lorganisation de ses

    planches de culture. Il possde le dessin dans la tte (disent-ils)

    puis lapplique et le confronte la ralit, ladapte la forme du jardin

    (limites du jardin, emplacements des drains, des palmiers, etc.), do

    peut-tre aussi la diversit plus grande des formes et des noms en

    anciennes oasis sur un terrain accident et travaill par lhistoire.

    Lordre dune parcelleconue commeune entreprise rurale.

    Juillet 1995, Castilia(Tunisie). Dans ce typede jardin, lalignementdes arbres est parfait,et un effort est port la modernisationdes infrastructures,comme ces seguiascimentes lintrieurde la parcelle.

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 63

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    64/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    65/434

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    66/434

    66

    Ainsi, les espaces oasiens anthropiss artificiels sont des espaces for-

    tement maills selon une logique dembotement. chaque chellespatiale (petite, moyenne, grande) correspond une temporalit propre.

    Ce sont des espaces vcus et dits : on remarquera que plus on sat-tache de grandes chelles, vers les dimensions humaines de lint-

    rieur du jardin, plus lespace et le lexique sont prcis, diffrencis et

    comportent de subdivisions. Il existe des chelles de temps diffrentes

    entre le large et le particulier (de la rgion au jardin). Le pas de chan-gement (les mouvements), la possibilit de transformation et la main

    mise sur lespace augmentent quand on passe aux niveaux de sous-

    structures, aux niveaux dorganisation infrieurs. Dans la perception

    jridi, le temps associ au large est toujours plus confus que celuiassoci au particulier (ou au restreint ). On connat mieux, ou

    plutt, laccord est plus facile sur lhistoire de son propre jardin que sur

    lhistoire bien plus collective de loasis. Mais aussi sagit-il dhistoire

    plus immdiate.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 66

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    67/434

    Pour comprendre les divers types de relations contemporaines len-

    vironnement dans les oasis, le temps doit tre pris en compte, au

    mme titre que lespace. La sparation de lespace et du temps estdailleurs une convention purement technique ou scientifique dirait

    LEROI-GOURHAN (1965 : 142). Il est admis que le temps existe en soi,

    avec ou sans observateur, mais que ce quon apprhende comme

    temps nest en fait que temporalit . La temporalit est le temps

    peru, conu, vcu et pratiqu. La temporalit est au temps ce que lelieu est lespace, ou encore ce que la nature est au milieu. Ainsi, en

    elle-mme, une temporalit na rien de temporel. Cest un mode de

    rangement pour lier les lments (LATOUR, 1991 : 102). Tout comme

    les pratiques des milieux font des natures diffrentes, et cela demanire singulirement lie, les temporalits diffrent en particulier

    entre acteurs de loasis (voir BATTESTI, 2000).

    Les temporalits des oasis jridies se dclineraient ainsi : un temps

    non utilitaire (mais non moins utile) qui serait historico-lgendaire ;

    un temps cologique des cycles annuels et saisonniers de la natureoasienne qui engloberait alors les gnalogies ; un temps utilitaire (en

    ce quil sert de cadre quotidien) qui tirerait lui les lunaisons et comp-

    terait les semaines et les journes (ym, pluriel deym).

    Le temps historique

    Comment intgre-t-on le temps dans les oasis, comment le vit-on ? Ou,

    autrement dit, comment situe-t-on son action, sapraxis dans la dimen-

    La temporalitest au tempsce que le lieuest lespace,ce que la natureest au milieu.

    Temps et temporalitsau Jrid

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 67

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    68/434

    68

    sion temporelle, et particulirement au sein de la palmeraie ? Cela a-t-il

    voir avec la religion, puisquune tradition orientaliste nous a enseignles socits maghrbines comme des socits musulmanes, cest--

    dire des socits monistes o rgne le primat de la religion comme

    paradigme structurant et dterministe ? Voyons dabord comment

    lislampourraitstructurer la dimension temporelle, autrement dit, ce que

    lon pourrait esprer quil implique de perception du temps. Lislam, la

    seule religion pratique dans les oasis sahariennes aujourdhui (la pr-

    sence des communauts juives stant teinte avec lIndpendance et

    celle des chrtiens ds le XIVe sicle), est une religion dite historique

    comme le judasme et le christianisme, les deux autres grandes reli-

    gions rvles.

    Si la religion rgissait les manires mmes de vivre le temps, on nedevrait pas rencontrer dans les socits musulmanes cette fidlit

    ttue un pass conu comme modle intemporel comme lcrit

    LVI-STRAUSS (1962 : 282) : les religions monothistes rejettent au

    contraire cette ide dinfini cyclique ; le salut ne consiste ni en une par-

    ticipation la vie cosmique ni en une fuite hors du temps ; il sinscrit au

    contraire dans une histoire (BRHIER, 1983 : 544).

    La pratique des terrains oasiens et sahariens semble contredire par-

    fois cet aspect historique de lislam. lire mes carnets de terrain, la

    dimension du temps telle quaujourdhui nous la concevons gnrale-

    ment ne semble pas tre la conception populaire des oasis. une

    jeune fille de Djanet (21 ans, avril 1993) :

    Selon toi, depuis quand existe loasis de Djanet ?[Hsitations] Quinze ans ? Mais tu mas dit toi-mme que tu as 21 ans et que tu es ne ici Djanet ! ? Alors, peut-tre que Djanet nexistait pas (Une datation au carbone14 dun linteau de porte semble montrer que loasis de Djanet existait djau XVe sicle.)

    Dans les oasis de loued Draa ou du Jrid, il est frquent que se for-

    mulent des rflexions trs semblables. Tout ce qui est vieux a gnrale-

    ment cent ans ou un de ses multiples (deux cents, trois cents),

    grandeurs choisies avec une impression de hasard, presque de dsin-

    volture vis--vis de lHistoire. La palmeraie a cent ans, la ville ou tel quar-

    tier date de cent ans, ce jardin-l aussi Le chiffre cent alors na plusvaleur numrale ou quantitative, mais qualitative, cest un ordre de gran-

    deur absolu, la qualit du vieux. On en vient rellement douter de lhis-

    toricit du temps oasien. Pierre BOURDIEU (dans ses premiers travaux,

    1958 : 103) notait ceci des Kabyles quil tudiait : Pour le paysan

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 68

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    69/434

    69

    vivant dans le milieu naturel, le temps na pas la mme signification que

    dans le milieu technique o la dure est objet de calcul ; [] lespritpaysan (dcrit dans luniversalit de sa tradition) implique la soumission

    la dure, la vie agricole tant faite dattentes. Rien ne lui est plus tran-

    ger quune tentative pour prendre possession de lavenir. Si on parle

    davenir, de futur aux jardiniers du Jrid, on sentendra rpondre en

    cho comme pour coller cette image dpinal du musulman fataliste :

    mektb ! le destin (littralement cest crit ). Les Oasiens ne bai-

    gnent-ils pas dans lislam ? ne sont-ils pas imprgns de cette histori-

    cit du temps musulman ? On pourrait aussi le formuler ainsi : pourquoi

    donc ces Oasiens ne partagent-ils pas la conception occidentale du

    temps puisquils tiennent leur cosmogonie dune religion rvle tout

    comme celles qui fondent la civilisation judo-chrtienne ?

    Dans les rcits locaux se tlescopent parfois occupations romaine,

    arabe et franaise. Cependant, cette apparence de non-temps chez

    lhomme quotidien nimplique pas une relle abstraction une histoire.

    Au contraire, les rcits de fondation des oasis, des villages, dun

    groupe ne sont pas des faits mythiques, mais des relations de choses

    passes. Si la chronologie est incertaine et retravaille, elle existe

    pourtant. Pour viter de voir un nant dans ce qui ne nous reflte pas,

    [de] restituer le diffrent comme lacunaire (MOSCOVICI, 1994 : 33), on

    peut dire quil y a dans ces temporalits locales une inscription dans

    lhistoire malgr ses rticences se plier notre ordre du temps.

    Le temps naturel

    Il est possible de faire intervenir un systme dexplication beaucoup

    plus convaincant que celui qui entrine lislam comme seul ressor t des

    perceptions du temps ou de lespace. Mais cela demande aussi de

    sinterroger sur les termes de rfrence de la comparaison entre leurtemps et notre temps. La notion du temps vcue en Occident tait

    autrement diffrente avant les formulations de E. Kant et de W. von

    Humboldt (tout chrtiens quils taient par ailleurs). La vision qui pr-valait leur poque tait celle dune histoire par ge : jeune, adulte,

    vieux. Lhistoire tait pense par analogie la nature, au dveloppe-

    ment des plantes : une naissance, une maturit, une mort. Pour autant

    cependant, lhistoire ntait pas ces infinis cycliques, cela ne figurait

    Le tlescopagede rfrencesromaines, arabeset franaisesdans les rcitslocaux nimpliquepas un dnide lHistoire.

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 69

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    70/434

    70

    que le mode de dveloppement des vnements. Il est trs sduisant

    de prter une perception analogue aux Oasiens.

    Dans les ouvrages ou articles traitant des oasis, une constante (aprs

    celle de leau, cf. supra Le gu fatal ? ) est de sattacher aux liens

    entre Oasiens et palmiers dattiers, ce qui est au demeurant lgitime vu

    la place centrale que cette plante reine occupe. Invariablement et

    quelles que soient les oasis, les observateurs (ethnologues, go-

    graphes, administrateurs) notent lanthropomorphisme que les

    Oasiens attribuent au palmier. Gnralement, on lexplique par le fait

    que le palmier est larbre bni des Arabes. Il sert tous les usages

    (MASSELOT, 1901 : 115). Il est vrai que la liste des emplois que lon a su

    tirer du palmier dattier, comme aliment ou matriau, est longue. Les

    Oasiens lui prtent aussi des ges, souvent quatre au cours de sa vie(qui peut durer une centaine dannes, autre sujet didentification

    lhomme), diffrents stades dans sa croissance lis sa vigueur, sa

    productivit et sa taille. Le sens de cette identification semble tre de

    lhomme vers le palmier, du moins, daprs la littrature. Or, regarder

    de prs lillustration de lanthropomorphisme dans les ouvrages scien-

    tifiques, la chose semble plus complique : ainsi chez G. BDOUCHA

    (au chapitre Anthropomorphisme , 1987 : 107) les exemples donns

    tendent finalement dans les deux sens de la qualification. Si lorsquon

    reprsente une gnalogie, on esquisse sur le sable un palmier et lon

    remonte lentement de la base au sommet, de lanctre ponyme vers

    le contemporain, cela ne raconte plus lanthropomorphisme, mais son

    inverse. Quand au Jrid on souhaite une journe degla (cultivar aux

    dattes trs sucres, lumineuses et douces) un ami ou quau Maroc

    (Zagora) le mot palmier en berbre, tafroht (plur. tifarhine), dsigne

    galement par extension une jolie fille, cela tiendrait davantage dun

    phnixomorphisme .

    Salutations entre amis au Jrid : sbahak en-nr( ton matin la lumire ,

    que ta matine soit enlumine), ou sbahak degla u halb ( ton matin degla

    et lait , que ta matine soit de degla et de lait).

    On peut le dire une jeune fille ?

    Exactement ! tu as trouv exactement comment le dire !

    Pourquoi degla u halb ?

    Degla, car cest sucr, cest trs bon, pour que la matine et la journe

    soient trs bonnes, et le lait, blanc, cest signe de paix. Cest bon le deglaet halb, a suffit pour se nourrir. (Degache, le 26 janvier 1996)

    La degla et le lait : nous lavons dj dit, la datte est douce, sucre, hal.

    Plus quun got, cest une sensation, un sentiment recherch, qui sac-

    corde bien avec un idal de vie faite de douceur, voire avec une repr-

    Vincent BattestiJardins

    au dsert

    *2/PARTIE 1 9/01/07 16:40 Page 70

  • 7/22/2019 Jardins au dsert

    71/434

    71

    sentation de la vie aprs la mort comme leschatologie musulmane la pro-

    met aux croyants. Le lait, lui, a une valeur particulire. Le Prophte, lorsde son transport connu de La Mecque Jrusalem en une nuit chevau-

    chant le bork, jument grise fabuleuse, rencontra l Abraham, Mose et

    Jsus. Parcourant ensuite les sept ciels et parvenu au Temple de Dieu, un

    ange lui propose trois coupes, lune de miel, lune de vin, la troisime de

    lait. Il choisit celle remplie de lait