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1 Développement cognitif (PIAGET) La cognition est l'action de connaître. En latin cognoscere (cognitio, cognitus) signifie apprendre, connaître. Le développement cognitif est le développement de l'intelligence. I. Comment peut-on définir l'intelligence ? Contre la conception classique d'une "intelligence générale", Howard GARDNER (1985) proposa sa théorie des "intelligences multiples". Dans cette même perspective, de nombreux chercheurs commencèrent à élargir le concept d'intelligence à partir des années 1990. Pour résumer et synthétiser, nous retiendrons les intelligences suivantes : - l'intelligence logique, rationnelle, formelle. Celle du raisonnement analytique, de la logique. Qui est habituellement à la base des tests d'intelligence - l'intelligence verbale, langagière. Elle apprécie notamment la compréhension verbale, la fluidité verbale, la richesse du vocabulaire. Elle est fortement corrélée au milieu social et culturel du sujet. Les épreuves verbales interviennent aussi dans les tests d'intelligence ; elles constituent la moitié des épreuves du test de Q.I. (1) - l'intelligence sociale. C'est la forme d'intelligence qui permet de comprendre autrui (ses pensées, ses sentiments) et d'agir efficacement sur lui (obtenir son adhésion, modifier son comportement) en situation d'interaction sociale - l'intelligence émotionnelle. C'est la capacité à connaître et réguler ses propres émotions ainsi que celles des autres, et à utiliser cette information pour guider la réflexion et l'action - l'intelligence pratique. Souvent contrastée avec (opposée à) l'intelligence logique, rationnelle mesurée par les tests classiques et contrastée avec l'intelligence "académique" requise par les apprentissages scolaires pour les connaissances formelles. C'est une intelligence procédurale, acquise dans l'action de la vie quotidienne, de la vie professionnelle. Permettant une meilleure adaptation à la vie courante et professionnelle 1) Il existe trois test de Q.I. (Quotient Intellectuel) en fonction de l'âge (cf. p. 3) : - le WPPSI (Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence) pour des enfants de 3 ans 10 mois 16 jours à 6 ans 7 mois 15 jours. Il y a conversion des notes brutes en notes standard par tranches successives de 3 mois. - le WISC-III (Wechsler Intelligence Scale for Children) de 6 ans 4 mois à 16 ans 7 mois 30 jours. Il y a également conversion des notes brutes en notes standard par tranches successives de 3 mois. - la WAIS (Wechsler Adult Intelligence Scale) pour des sujets de 16 à 79 ans. La conversion des notes brutes en notes standard s'effectue par tranches différentes, de 1 à 5 ans, selon l'âge. Le WISC-III et la WAIS comportent 5 tests verbaux (information, similitudes, arithmétique, vocabulaire, compréhension) et 5 tests de performance (complément d'images, arrangement d'images, cubes, assemblage d'objets, code). - depuis 2005 a été introduite une nouvelle version, le WISC-IV, largement en rupture avec le précédent WISC-III. Il s'adresse à des enfants de 6 ans à 16 ans 11 mois. Il comprend 15 subtests dont 10 sont repris du WISC-III et 5 sont nouveaux : raisonnement verbal, identification de concepts, matrices, séquence lettres-chiffres, barrage. ce document n'est pas le cours mais seulement un support du cours IUFM du Limousin Philippe LESTAGE 2008-2009

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Développement cognitif (PIAGET)

La cognition est l'action de connaître. En latin cognoscere (cognitio, cognitus) signifie apprendre, connaître. Le développement cognitif est le développement de l'intelligence. I. Comment peut-on définir l'intelligence ? Contre la conception classique d'une "intelligence générale", Howard GARDNER (1985) proposa sa théorie des "intelligences multiples". Dans cette même perspective, de nombreux chercheurs commencèrent à élargir le concept d'intelligence à partir des années 1990. Pour résumer et synthétiser, nous retiendrons les intelligences suivantes : - l'intelligence logique, rationnelle, formelle. Celle du raisonnement analytique, de la

logique. Qui est habituellement à la base des tests d'intelligence - l'intelligence verbale, langagière. Elle apprécie notamment la compréhension verbale,

la fluidité verbale, la richesse du vocabulaire. Elle est fortement corrélée au milieu social et culturel du sujet. Les épreuves verbales interviennent aussi dans les tests d'intelligence ; elles constituent la moitié des épreuves du test de Q.I. (1)

- l'intelligence sociale. C'est la forme d'intelligence qui permet de comprendre autrui

(ses pensées, ses sentiments) et d'agir efficacement sur lui (obtenir son adhésion, modifier son comportement) en situation d'interaction sociale

- l'intelligence émotionnelle. C'est la capacité à connaître et réguler ses propres émotions

ainsi que celles des autres, et à utiliser cette information pour guider la réflexion et l'action

- l'intelligence pratique. Souvent contrastée avec (opposée à) l'intelligence logique,

rationnelle mesurée par les tests classiques et contrastée avec l'intelligence "académique" requise par les apprentissages scolaires pour les connaissances formelles. C'est une intelligence procédurale, acquise dans l'action de la vie quotidienne, de la vie professionnelle. Permettant une meilleure adaptation à la vie courante et professionnelle

1) Il existe trois test de Q.I. (Quotient Intellectuel) en fonction de l'âge (cf. p. 3) :

- le WPPSI (Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence) pour des enfants de 3 ans 10 mois 16 jours à 6 ans 7 mois 15 jours. Il y a conversion des notes brutes en notes standard par tranches successives de 3 mois. - le WISC-III (Wechsler Intelligence Scale for Children) de 6 ans 4 mois à 16 ans 7 mois 30 jours. Il y a également conversion des notes brutes en notes standard par tranches successives de 3 mois. - la WAIS (Wechsler Adult Intelligence Scale) pour des sujets de 16 à 79 ans. La conversion des notes brutes en notes standard s'effectue par tranches différentes, de 1 à 5 ans, selon l'âge.

Le WISC-III et la WAIS comportent 5 tests verbaux (information, similitudes, arithmétique, vocabulaire, compréhension) et 5 tests de performance (complément d'images, arrangement d'images, cubes, assemblage d'objets, code).

- depuis 2005 a été introduite une nouvelle version, le WISC-IV, largement en rupture avec le précédent WISC-III. Il s'adresse à des enfants de 6 ans à 16 ans 11 mois. Il comprend 15 subtests dont 10 sont repris du WISC-III et 5 sont nouveaux : raisonnement verbal, identification de concepts, matrices, séquence lettres-chiffres, barrage.

ce document n'est pas le cours mais seulement un support du cours

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2008-2009

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Avec sa conception des "intelligences multiples", en 1985 Howard GARDNER distingua 7 formes d'intelligence : intelligence logico-mathématique, intelligence langagière, intelligence interpersonnelle, intelligence intrapersonnelle, intelligence musicale, intelligence kinesthésique, intelligence spatiale. Une dizaine d'années après, il en rajouta 2 : intelligence naturaliste, intelligence existentielle. Retenons enfin la définition de PIAGET (1936) : "L'intelligence est une adaptation". Cette définition repose sur une approche biologique. II. Définition et fonctionnement de l'intelligence selon PIAGET Pourquoi PIAGET a-t-il choisi une définition biologique de l'intelligence ? Avant de travailler dans le champ de la psychologie PIAGET fut d'abord biologiste. C'est donc en s'appuyant sur des fondements biologiques qu'il élabora sa théorie de l'intelligence.

Eléments de biographie

Jean PIAGET est né en 1896 et mort le 16 septembre 1980 à Genève. Il est issu d'une famille bourgeoise et cultivée. Son père, Arthur PIAGET, détint la chaire de langue et littérature romanes à l'Académie de Neuchâtel, puis fut directeur des Archives de l'Etat et historien du canton de Neuchâtel. Enfant, PIAGET manifeste un grand intérêt pour l'histoire naturelle, la zoologie. Il collectionne coquillages marins, fossiles, mollusques. Jeune naturaliste, il écrit en 1911 son premier article d'envergure sur '"Les limnées des lacs de Neuchâtel, Bienne, Morat et des environs". Les limnées sont des sortes de mollusques gastéropodes pulmonés des eaux douces et salées dont on peut trouver des coquilles sur le bord des lacs. En 1918, il passe sa thèse de Doctorat en sciences naturelles. Mais depuis l'adolescence, à sa passion pour les sciences naturelles et les grands problèmes de la biologie de son temps, s'en ajoute une autre : la philosophie et plus précisément la philosophie des sciences et de la connaissance (l'épistémologie). Il est marqué par la lecture de BERGSON, pour lequel l' "évolution créatrice" est responsable des transformations biologiques et mène à la naissance et aux progrès de l'intelligence. Il retient de SPENCER, philosophe britannique, l'approche évolutionniste d'une psychologie de la connaissance. A la fin de 1918, il passe un cours séjour à ZURICH où il reçoit une première formation en psychologie expérimentale. Il suit également les enseignements psychiatriques de Eugen BLEULER et de Carl G. JUNG. Il lit FREUD et s'intéresse à la psychanalyse, puis prend de la distance par rapport à elle. En 1919 il se rend à Paris, où il sait qu'il peut trouver des enseignements plus approfondis autour des questions qui l'ont intéressé à Zürich. Il va ainsi suivre à la Sorbonne des enseignements de psychologie (cours de JANET), de logique et de philosophie des sciences (cours de LALANDE et BRUNSCHVIG). En 1920, le docteur Théodore SIMON met à sa disposition le laboratoire de BINET, alors inutilisé, avec pour tâche la standardisation des tests de BURT sur les enfants parisiens.

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Alfred BINET, mort en 1911, avait élaboré avec SIMON des méthodes nouvelles pour "le diagnostic du niveau intellectuel chez des enfants normaux et anormaux d'hospice et d'école primaire" (1905). Ces méthodes avaient abouti à la célèbre Echelle métrique de l'intelligence (1911), dont le succès sera mondial, plus connue sous la dénomination de test de Binet-Simon. Cette échelle attribue un "âge mental" à l'enfant. En 1937, TERMAN (Université de Stanford, USA) améliore le test de Binet-Simon en calculant le "quotient intellectuel". Puis en 1939, WESCHLER (New York) publie une autre échelle de calcul du quotient intellectuel, pour adultes de 16 à 79 ans ; à partir de 1955 elle sera appelée WAIS. Et, en 1949, WESCHLER publie sur le même modèle un test de Q.I. pour enfants, le WISC (cf. p. 1). C'est donc au laboratoire de BINET que PIAGET vient à s'intéresser aux raisonnements et à la logique de la pensée de l'enfant. Il publie sept articles de psychologie dont un qu'il envoie aux Archives de psychologie dirigées par CLAPAREDE, alors Directeur de l'Institut Jean-Jacques ROUSSEAU de l'Université de Genève. Impressionnés par la qualité de son travail, Edouard CLAPAREDE et Pierre BOVET lui offrent un poste de "chef de travaux" en sciences naturelles et en psychologie à cet Institut en 1921. Là il décide de consacrer 2 ou 3 ans à l'étude de la pensée enfantine, en vue de recueillir le matériau qui lui permettra de construire son "épistémologie psychologique et biologique". En fait cette phase préparatoire s'étendra sur une durée de 30 ans !

Définition et fonctionnement de l'intelligence

La théorie piagétienne du développement de l'intelligence repose sur un modèle biologique. On sait que la vie est une adaptation à des conditions de milieu changeantes : adaptation biologique des espèces au cours de leur évolution, adaptation des populations végétales, animales, humaines à leur éco-système, adaptation de chaque organisme particulier à son environnement spécifique. De cette façon, PIAGET part du principe que l'intelligence est une des formes d'adaptation qu'a prise la vie dans son évolution. L'intelligence, écrit-il, est un cas particulier de l'adaptation biologique (1). L'adaptation nécessite un équilibre entre deux mécanismes indissociables : l'assimilation et l'accommodation. PIAGET les aperçoit à la fois dans le fonctionnement cognitif, mental du sujet et dans son fonctionnement biologique, physiologique. Il met ainsi en correspondance les structures et les fonctions de l'organisme avec celles de l'intelligence (2). 1) assimilation et accommodation - l'assimilation est l'intégration d'éléments du milieu extérieur aux structures biologiques de

l'organisme, ou cognitives du sujet

- l'accommodation est la modification de ces structures en fonction des modifications du milieu Les deux mécanismes sont solidaires, il ne saurait exister d'assimilation sans accommodation et réciproquement. a) exemples sur le plan biologique, physiologique - assimilation : d'un petit déjeuner, de l'oxygène de l'air, des UV de la lumière, etc. - accommodation : des pupilles des yeux, des pores de la peau (transpiration, frissons) b) exemples sur le plan biologique et psychologique - assimilation du mamelon du sein maternel au "schème inné de la succion".

1) J. PIAGET." La naissance de l'intelligence chez l'enfant ". Delachaux & Niestlé. (1936/1977).p.10. 2) J. PIAGET. " Biologie et connaissance ". Gallimard. 1967.

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Mais d'abord qu'est-ce qu'un schème ? Définition : un schème est un ensemble structuré d'actions qui tend à se répéter de manière à se consolider, et à s'élargir de manière à s'appliquer à des situation nouvelles. Ces systèmes d'actions possèdent en outre la propriété de se grouper pour produire des ensembles plus vastes réglés par les mêmes lois.

Le schème est une organisation active de l'expérience vécue qui intègre le passé. Les schèmes constituent des moyens du sujet à l'aide desquels il peut assimiler les situations et les objets. Les schèmes se transforment, s'accommodent. Autres formulations : un schème est l'ensemble structuré des caractères généralisables d'une action. Un schème est une organisation séquentielle d'actions susceptibles d'application répétée à un ensemble de situations analogues. Définition la plus simple mais aussi la plus réductrice : "un schème est un canevas d'actions répétables" (1947). Un schème est l'ensemble structuré des éléments principaux d'une action, une sorte de canevas transposable dans d'autres situations ou généralisable à des situations analogues.

Le schème peut être très simple, comme par exemple le schème comportemental de la préhension qui est l'action de tendre le bras, ouvrir la main et attraper un objet. Il s'agit d'un schème dans la mesure où cette action nécessite une organisation : la coordination des mouvements qui la composent.

Le schème peut, au contraire, être très complexe comme les schèmes cognitifs (exemples : aborder puis résoudre un problème en mathématiques, catégorisation de concepts) (1).

Pour PIAGET, l'intelligence naît de l'action et se construit à partir de schèmes toujours plus mobiles et plus étendus, qui se lient entre eux, se transforment, se différencient progressivement, hiérarchiquement. D'abord les schèmes sensori-moteurs : réflexes (sucer le sein), primaires (sucer le pouce), secondaires (tirer le cordon pour secouer le toit du berceau), tertiaires (faire tomber un objet plus ou moins fort), enfin intériorisés (compréhension soudaine sans manipulation au 6ème stade, en approchant de 2 ans) ; puis les schèmes préopératoires entre 2 et 7 ans : préconcepts, intuitions ; puis les schèmes opératoires concrets (classer les objets, les ordonner, les compter) ; enfin les schèmes opératoires formels (comprendre l'équilibre d'une balance).

Le schème n'est pas le comportement lui-même. Il est le correspondant cognitif du comportement, le savoir-faire cognitif transposable ou généralisable dans d'autres situations identiques. Il est non observable, mais son existence peut être inférée à partir de l'observation des comportements. Revenons au "schème inné de la succion" que PIAGET considère comme l'un des principaux schèmes dont dispose le nourrisson à la naissance. C'est un schème sensori-moteur. Il y a à la fois assimilation physiologique (assimilation matérielle de substance et énergie, ici le lait maternel) et assimilation cognitive (assimilation fonctionnelle des informations extérieures, autour de la prise du sein maternel).

L'assimilation du mamelon du sein est une structure d'action qui s'étend ensuite au pouce, à la tétine puis se généralise à tout ce qu'on va porter à la bouche : cigarette, pipe, stylo qu'on mâche, etc. C'est l'extension du schème d'assimilation. - autre exemple d'assimilation sensorimotrice, plus élaborée, de caractère symbolique, le schème de la chevauchée : l'enfant en jouant applique le schème sensorimoteur de la "chevauchée" en se mettant à califourchon sur un manche à balai. - exemple d'accommodation sensori-motrice : le petit enfant qui a appris à attraper les balles qu'on lui lance, doit accommoder ce schème d'assimilation ("attraper les balles") en écartant ses bras pour pouvoir attraper à présent des gros ballons.

1) Cf. D. GAONAC'H, C. GOLDER. " Manuel de psychologie pour l'enseignement ". Hachette éducation. 1995. p. 97.

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c) définitions et exemples sur le plan cognitif Sur le plan cognitif nous pouvons reformuler les définitions de l'assimilation et de l'accommodation en ces termes : assimilation :

- intégration des données de l'expérience aux cadres cognitifs ou catégories mentales du sujet

- incorporer les choses, les personnes, les situations, les informations, aux structures cognitives, aux connaissances déjà construites accommodation :

- transformation, aménagement des cadres ou catégories mentales en fonction des données nouvelles

- réajuster les structures cognitives, les connaissances en fonction des transformations extérieures exemples :

- assimilation d'informations au journal télévisé : "le Président de la République va faire une visite en Corrèze cette semaine". Cette information est assimilée aux structures de nos connaissances, comme dans l'arrangement d'une bibliothèque : rayon politique, dossier "Président de la République", partie "voyages présidentiels", etc.

- accommodation d'informations au journal télévisé : "grâce au plan du Premier Ministre le chômage a diminué de 80% en six mois". Surprise ! On n'y croyait plus… On doit donc accommoder notre point de vue, notre jugement, nos connaissances. Nous sommes en permanence en train d'assimiler et d'accommoder. Dans toutes les situations qui se présentent, face à toutes les informations qui nous parviennent. Par exemple, pendant ce cours vous vous efforcez d'assimiler les informations que je propose à vos cadres de connaissances, vos structures de pensée. Mais pour cela vous devez en même temps les élargir, les modifier : vous les accommodez aux nouveautés, vous les réaménagez en fonction d'éléments insoupçonnés qui vous conduisent à changer de point de vue, à modifier vos jugements, vos représentations.

En même temps, en tant qu'enseignant je m'efforce de rendre ce cours "assimilable". Je définis par exemple les termes susceptibles de ne pas l'être : "cognitif", "schème", etc. Dans cet ordre d'idées, une situation d'enseignement mobilise toujours les capacités d'assimilation et d'accommodation, aussi bien du côté de l'élève que de celui de l'enseignant. Nous allons poursuivre notre propos en direction de la pédagogie avec le 1er nota suivant :

✶ nota 1 : apprentissage par évolution des représentations

- en mathématiques : apprentissage de la notion de triangle

- en français : définition du sujet

- en biologie, SVT : la digestion

- en histoire : introduction à un cours sur la guerre de 14-18 Un dernier mot pour illustrer les processus d'assimilation et d'accommodation. PIAGET a écrit ("La biologie et la guerre", 1918) :

« Mieux j'assimile et plus je reste identique à moi-même. Plus je varie (c.à.d. plus j'accommode) et moins je suis cohérent, moins j'ai de puissance assimilatrice, de personnalité ».

Dans son film "Zélig" sorti en 1983, WOODY ALLEN incarne le personnage d'un homme caméléon ("cameleon man") qui s'adapte de façon étonnante à toutes les situations, tous les contextes qu'il rencontre, dans les années 1930. Devenant rabbin dans le milieu juif new-yorkais, haut dignitaire nazi en Allemagne, cardinal à Rome, etc. Un personnage parfaitement "accommodant"…

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✶ liens entre assimilation et accommodation Nous avons dit plus haut que les deux mécanismes sont solidaires, il ne saurait exister d'assimilation sans accommodation et réciproquement. Il s'opère en permanence un équilibre entre l'assimilation du milieu par le sujet et l'accommodation de ce dernier au milieu : la relation d'adaptation du sujet au milieu est une incessante activité d'équilibration. L'accent est mis sur le rôle actif du sujet. Dès qu'il a assi-milé certains facteurs extérieurs à ses structures cognitives, tout en accommodant celles-ci, le sujet s'est alors adapté à ces facteurs : il atteint un nouveau palier d'équilibre. Cette structure acquise pourra ensuite être intégrée comme la composante de constructions plus complexes pour atteindre un équilibre plus riche. Et ainsi de suite, de constructions à partir de constructions, le sujet atteint des équilibres cognitifs successifs toujours plus riches, chacun améliorant le précédent dans le sens d'une adaptation plus performante à l'environnement. PIAGET qualifie ainsi sa théorie de "constructivisme". En d'autres termes, plus dynamiques, le développement cognitif consiste en une succes-sion d'équilibres partiels, suivis de déséquilibres provoqués par des perturbations du milieu extérieur, lesquelles sont compensées par autorégulation (1) pour aboutir à des équilibres sans cesse améliorés. PIAGET appelle "équilibration majorante" ce processus général, puisque les déséquilibres ne conduisent pas à un retour à la forme antérieure d'équilibre, mais à une forme toujours plus différenciée d'équilibre, mieux adaptée au milieu extérieur. C'est sur ce fondement biologique de l'explication du développement cognitif que PIAGET propose l'explication générale selon laquelle l'intelligence s'élabore à partir de l'acti-vité autorégulatrice du sujet connaissant. D'abord à partir des activités sensorimotrices, qui sont une forme de connaissance en action pour laquelle la réalité n'existe que durant l'acte qui la pose ; cet acte lui confère cependant une certaine permanence, laquelle intériorise cette réalité en une représentation à la fois labile et concrète des actions et des objets. Puis, plus tard, à partir de 7-8 ans, l'intelligence aboutit à des structures logiques atemporelles et sta-bles : les structures opératoires de la pensée. PIAGET délimite en fin de compte quatre prin-cipaux stades dans l'évolution de l'intelligence, dans la structuration cognitive de l'enfant : -le stade de l'intelligence sensori-motrice (de 0 à 2 ans)

-le stade de l'intelligence symbolique (ou sémiotique) ou préopératoire (de 2 à 7-8 ans)

-le stade de l'intelligence opératoire concrète (de 7 -8 à 11-12 ans)

-le stade de l'intelligence opératoire formelle (de 12 ans à un palier d'équilibre vers 15-16 ans) A partir du stade de l'intelligence opératoire concrète (7-8 ans), l'équilibre cognitif se ca-ractérise par l'acquisition progressive de la réversibilité (réversibilité logique des opérations de la pensée : inversion ou négation et réciprocité), l'acquisition de la pensée logico-mathématique (classification, relations dont les sériations, etc.). Avec le stade de l'intelligence opératoire formelle (11-12 ans), l'enfant accède au groupe INRC, à la pensée hypothético-déductive et à la logique combinatoire. Nous présenterons ces structures de l'intelligence à la prochaine partie III. Mais auparavant, pour achever cette partie II consacrée aux fonctions de l'intelligence, nous allons expliciter le mécanisme de l'équilibration majorante. 1) PIAGET place au centre de sa théorie l'idée que les processus cognitifs reposent sur le même mécanisme fondamental d'autorégulation que les processus biologiques : « En bref, supposer avec notre hypothèse directrice que les fonctions cognitives reflètent les mécanismes essentiels de l'autorégulation organique constitue un programme valable. Rien de plus, mais c'est là un début » in " Biologie et connaissance " . Gallimard. 1967. p. 48.

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2) mécanisme de l'équilibration majorante ✶ définitions Il y a toujours équilibre entre l'assimilation et l'accommodation. Non pas un équilibre statique, à la manière d'une balance, mais un équilibre dynamique comme dans les processus d'autorégulation, d'homéostasie de l'organisme. PIAGET préfère alors employer le mot équilibration pour insister sur ce sens dynamique, processuel. Et, comme souligné à droite du schéma ci-dessus, l'équilibration est majorante. C'est aussi ce que nous avons écrit à la page précédente :

Il s'opère en permanence un équilibre entre l'assimilation du milieu par le sujet et l'accommodation de ce dernier au milieu : la relation d'adaptation du sujet au milieu est une incessante activité d'équilibration. L'accent est mis sur le rôle actif du sujet. Dès qu'il a assi-milé certains facteurs extérieurs à ses structures cognitives, tout en accommodant celles-ci, le sujet s'est alors adapté à ces facteurs : il atteint un nouveau palier d'équilibre. Cette structure acquise pourra ensuite être intégrée comme la composante de constructions plus complexes pour atteindre un équilibre plus riche. Et ainsi de suite, de constructions à partir de constructions, le sujet atteint des équilibres cognitifs successifs toujours plus riches, chacun améliorant le précédent dans le sens d'une adaptation plus performante à l'environnement. PIAGET qualifie ainsi sa théorie de "constructivisme". Pour schématiser, nous pouvons représenter le constructivisme par un dessin en marches d'escaliers, de paliers d'équilibres cognitifs en nouveaux paliers plus performants. Le sujet va réagir au déséquilibre survenant sur chaque palier, le compenser pour aboutir à une nouvelle équilibration majorante (plus riche, mieux adaptée), selon le "mécanisme de l'équilibration" explicité à la page suivante.

Comme souligné en haut de page, PIAGET parle de constructivisme au sens où le sujet est actif dans la construction de ses connaissances. Une activité incessante d'équilibration. Ceci nous conduit à introduire un second nota :

- équilibration majorante : le développement cognitif s'opère de constructions d'équilibres cognitifs en nouvelles constructions d'équili-bres toujours plus riches, plus performants (dans le sens d'une meilleure adaptation au milieu)

- PIAGET parle de constructivisme. Le sujet est actif dans la construction de ses connais-sances. Une activité incessante d'équilibration

intelligence = adaptation au milieu

assimilation accommodation équilibre (dynamique)

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✶ nota 2 : pédagogie active

- pédagogie transmissive (magistrale, frontale)

- pédagogie active

- triangle didactique :

- l'élève au centre du système éducatif

- processus d'apprentissage, représentations des élèves, sens et valeur attribués au savoir, à l'école (1)

- relation pédagogique

- processus d'enseignement

- connaissances, savoirs, savoir-faire

- C. FREINET et l'ICEM, GFEN, CEMEA, M. MONTESSORI ✶ mécanisme de l'équilibration Exemple : tout juste installé dans une nouvelle ville, je ne connais qu'un trajet pour aller de chez moi à mon travail. Après quelques jours seulement, l'une des rues que j'emprunte est fermée à cause de travaux. C'est une perturbation. J'éprouve un déséquilibre cognitif. Pour le compenser je cherche un autre chemin -en regardant sur un plan, en hélant un passant, en tâtonnant par essais et erreurs, etc.-, autrement dit j'accommode mes connaissances du trajet domicile-lieu de travail en découvrant un second chemin que j'assimile aux premières connaissances ainsi remaniées (accommodées). Je me suis alors rééquilibré à un palier supérieur de connaissances (équilibration majorante). Exemple : je regard par la fenêtre de mon bureau et aperçoit, comme d'habitude, le parking. Pas de perturbation, pas de déséquilibre cognitif. Il y a assimilation directe de cette vue à mes connaissances ; c'est simplement mon parking. Après avoir présenté les toutes principales fonctions de l'intelligence selon PIAGET, nous abordons avec la partie III les structures de l'intelligence. 1) Cf. B. CHARLOT, E. BAUTIER, J-Y. ROCHEX. " Ecole et savoir dans les banlieues… et ailleurs". A. Colin. 1992. p. 11-41. Cf. J-Y. ROCHEX. " Pourquoi certains élèves défavorisés réussissent-ils ? ". Sciences Humaines. n° 44, novembre 1994, p. 10-13.

perturbation (ou lacune)

déséquilibre cognitif

(nouvelles assimilations et accommodations)

rééquilibration

information ou situation non perturbante

pas de déséquilibre, pas de modification de l'équilibre du système cognitif (assimilation directe)

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III. Structures de l'intelligence : les stades piagétiens

Stade de l'intelligence symbolique ou préopératoire (2 à 7-8 ans)

Passant très rapidement sur le 1er stade, stade sensori-moteur (0 à 2 ans), nous nous disposons à aborder le 2° stade qui concerne directement les enfants scolarisés. Mais avant d'en entamer la description, il nous faut remonter à la toute dernière période du stade sensori-moteur pour voir comment s'effectue la transition vers le 2° stade, préopératoire. Cette toute dernière période est le 6ème sous-stade sensori-moteur (18-24 mois). 1) naissance de la représentation au 6ème sous-stade sensori-moteur (18-24 mois) Définition de la représentation : comme le suggère la construction du mot, la représentation consiste en l'attribution d'une sorte de présence mentale à un objet ou une réalité réellement absents ; une évocation de cet objet, de cette réalité. Représentation des objets absents, mais aussi des déplacements des objets ; représentations spatiales entre les choses, représentation des déplacements du corps propres, etc. Pour comprendre l'apparition de la représentation dans la pensée de l'enfant, nous pouvons nous appuyer sur les deux observations suivantes de PIAGET : Observation 178 ("La naissance de l'intelligence chez l'enfant". p. 292) PIAGET rapporte son observation de sa fille Lucienne confrontée au problème d'attraper un bâton présenté horizontalement derrière les barreaux verticaux de son parc. L'observation commence alors qu'elle est âgée d'1 an, 1 mois et 18 jours (1). Le problème proposé à Lucienne va d'abord susciter des solutions impliquant le simple tâtonnement expérimental, puis va donner naissance à des solutions par invention réelle, quelques mois après. Ainsi à 1 ; 1 (19) (1 an, 1 mois, 19 jours), Lucienne commence par tirer horizontalement le bâton jusqu'à toucher les barreaux, à la suite de quoi elle le redresse verticalement pour le faire passer à travers. Puis à 1 ; 2 (7), elle redresse directement le bâton avant qu'il ne touche les barreaux. Au stade 6 (18-24 mois) de la période sensori-motrice, si l'enfant ne trouve pas de solution au problème par tâtonnement, après plusieurs essais il se produit souvent, à la suite d'une période inactive, ce qui semble être une découverte subite ou une vision interne de la situation : d'un seul mouvement le bâton est tourné et passé à travers les barreaux. Lorsqu'il se produit une telle intériorisation de la situation (une représentation), notons que si intéressant que soit ce processus mental, celui-ci ne dépasserait pas le niveau de représentation du chimpanzé... (2). 1) Notons que les âges des stades sont donnés à titre indicatif. En réalité, ils varient d'un enfant à un autre. En outre, PIAGET lui-même n'a cessé de les modifier au cours de sa carrière. Enfin, les dernières recherches vont en général dans le sens d'un abaissement des dates proposées par PIAGET, tout au moins pour les deux ou trois premières années de l'enfant. Nous ne nous étonnerons donc pas de rencontrer ici le cas de Lucienne âgée seulement de 13 mois et demi, fourni comme illustration du 6ème stade (sous-stade) qui correspond théoriquement à la tranche d'âge 18-24 mois. 2) PIAGET rapporte l'expérience de KÖHLER sur la mémoire représentative du chimpanzé : après une heure, celui-ci se rappelle fort bien le fait qu'un fruit a été enfoui dans le sable, ainsi que l'endroit précis. Sitôt en possession d'un bâton, il cherche à le déterrer à 1m 30 du grillage de son enclos. On voit ainsi que, antérieurement à tout langage, des systèmes plus ou moins complexes de représentations peuvent se constituer. J. PIAGET. " La formation du symbole chez l'enfant ". Delachaux & Niestlé. 1946/1989. p. 70-71.

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Observation 180 ("La naissance de l'intelligence chez l'enfant". p. 293-294) A l'âge 1 ; 4 (0), PIAGET confronte à présent Lucienne au problème suivant. Devant elle, il introduit une petite chaîne dans une boîte d'allumettes qu'il referme jusqu'à ne laisser qu'une fente de 3 mm. Lucienne ignore le fonctionnement de la fermeture et de l'ouverture de la boîte. Pour attraper la chaîne, Lucienne commence par tâtonner, mais échoue. Suit alors une interruption, durant laquelle elle présente une réaction curieuse : Page 299, PIAGET commente : « Au lieu d'explorer la fente avec le doigt, et de tâtonner jusqu'à découvrir le procédé qui consiste à tirer à soi la paroi pour élargir l'ouverture, Lucienne se contente de regarder cette ouverture, quitte à expérimenter, non plus sur celle-ci directement, mais sur ses substituts symboliques : Lucienne ouvre et ferme sa bouche en examinant la fente de la boîte, preuve qu'elle est en train d'assimiler celle-ci et d'essayer mentalement l'agrandissement de la fente (1) ; d'autre part, l'analogie ainsi établie par assimilation entre la fente perçue et d'autres ouvertures simplement évoquées l'amène à prévoir (2) qu'une pression exercée sur le bord de l'ouverture l'élargira plus. Une fois les schèmes ainsi accommodés spontanément sur le plan de la simple assimilation mentale, Lucienne passe à l'action et réussit d'emblée » (3). Une telle intériorisation des conduites implique la représentation. « La représentation est une nouveauté essentielle à la constitution des conduites du présent stade : elle différencie ces conduites de celles des stades antérieurs » (4). Mais si elle est nécessaire à l'invention, elle en résulte aussi, de sorte « qu'entre l'invention et la représentation il y a interaction, et non pas filiation simple » (5). Ainsi, à propos de l'observation 180, PIAGET ajoute : « L'invention par combinaison mentale implique la représentation. Agrandir d'avance une fente pour en retirer un objet caché (lorsque l'enfant est aux prises pour la première fois avec un tel problème), cela suppose que le sujet se représente les données offertes à sa vision autrement qu'il ne les perçoit directement : il corrige en esprit la chose qu'il regarde, c'est-à-dire qu'il évoque des positions, des déplacements ou peut-être même des objets, sans les contempler actuellement dans son champ visuel » (6). Ainsi, c'est aux alentours de 18-24 mois, au 6ème stade (ou sous-stade) du stade sensori-moteur, qu'apparaissent les comportements d'invention et de représentation. Il y a alors passage de la découverte à l'invention, du tâtonnement empirique à la combinaison mentale, du schème moteur au schème représentatif. 1) A ce commentaire de PIAGET, ajoutons ceci : Lucienne ouvre et ferme ici plusieurs fois la bouche comme si dans son effort de "représentation", elle usait -faute de mots et d'images- d'un signifiant moteur équivalent à un symbole. 2) = brusque nouvelle accommodation. 3) J. PIAGET. " La naissance de l'intelligence chez l'enfant ". Delachaux & Niestlé. 9e édition. 1977. p. 299. (1ère édition en 1936). 4) Ibid. p. 305. 5) Ibid. p. 306. 6) Ibid. p. 306. C'est nous qui soulignons.

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2) stade de l'intelligence symbolique (ou sémiotique) ou préopératoire (2 à 7-8 ans) A partir de la naissance de la représentation au 6ème sous-stade de la période sensori-motrice, va suivre le stade de l'intelligence symbolique (ou sémiotique) ou préopératoire. Ce stade se décompose en 3 sous-stades : 2 à 4 ans, 4 à 5 ans et demi, 5 ans et demi à 7-8 ans (voir tableau page 9). Un ensemble de conduites nouvelles apparaissent qui impliquent l'évocation représentative d'un objet ou d'un événement absent. PIAGET distingue au moins cinq de ces conduites : l'imitation différée, le jeu symbolique, le dessin, l'image mentale et, enfin, le langage (1). Ces conduites nouvelles, basées sur la représentation, relèvent de ce que PIAGET appelle la fonction sémiotique. C'est la fonction qui permet de former des représentations. Le second stade est donc celui de l'intelligence sémiotique. PIAGET préfère employer le mot sémiotique plutôt que symbolique car les linguistes distinguent soigneusement les "symboles" et les "signes" (2). Cela étant, le terme "symbolique" étant le plus répandu, PIAGET utilise aussi bien les deux dénominations : stade de l'intelligence symbolique ou stade de l'intelligence sémiotique. ✶ éléments de linguistique et de sémiotique

La linguistique définit une langue comme un système de signes. Chaque signe comprend deux parties, deux faces : d'un côté le signifié qui renvoie au "concept", d'un autre son "image acoustique" le signifiant qui est le mot. C'est Ferdinand de SAUSSURE (1857-1913) qui introduisit cette terminologie. Le signe est donc constitué par le couple signifiant + signifié. Dans le signe la relation entre le signifiant et le signifié est "arbitraire". Alors que dans le symbole la relation entre l'objet représentant et l'objet représenté est "motivée" (comme disent les linguistes) : l'objet représentant présente une similarité ou une analogie avec l'objet représenté, il existe une parenté entre le symbole et ce qu'il symbolise. Par exemple le blanc est le symbole de la pureté morale à cause de l'analogie liée à l'idée de "sans tâche" ; la balance est le symbole de la justice à cause de l'analogie liée à l'idée de l'équilibre. On retrouve quelque chose du symbolisé dans le symbole : les forêts d'érable du Canada avec la feuille d'érable sur le drapeau canadien ; la forme de la cigarette dans le morceau de bois que le jeune garçon porte à sa bouche pour imiter son père ; l'idée de puissance dans le lion figurant dans les armoiries de la Grande-Bretagne. Mentionnons aussi la portée symbolique des emblèmes, par exemple la croix dans le christianisme. Le mot ayant pour fonction de représenter une chose, on ajoute au signifiant et signifié le référent. Le référent est la chose concrète, quand elle existe, à laquelle renvoie le signifié. Au total, trois éléments fondamentaux interviennent donc dans la détermination du signe : le signifiant, le signifié et le référent. Ce que l'on schématise par le triangle sémiotique : Signifiant/Signifié/Référent (OGDEN et RICHARDS, 1923 ; ULLMANN, 1969). On retrouve ainsi les trois aspects du langage : l'aspect syntaxique (champ des signifiants), l'aspect sémantique (relations signifiants-signifiés) et l'aspect pragmatique qui a pour mission de rendre compte du contexte de la communication (champ des référents). La sémiosis (en grec : désignation, indication) implique la différenciation d'un signifiant et d'un signifié, plus précisément l'évocation d'un signifié absent au moyen d'un signifiant ici présent dans le champ perceptif. 1) Cf. J. PIAGET, B. INHELDER. " La psychologie de l'enfant ". PUF. Que sais-je ? 1966/1989. p. 41-72. 2) « On appelle en général "symbolique" cette fonction génératrice de la représentation, mais comme les linguistes distinguent soigneusement les "symboles" et les "signes", il vaut mieux utiliser avec eux le terme de "fonction sémiotique" pour désigner les fonctionnements portant sur l'ensemble des signifiants différenciés » (J. PIAGET, B. INHELDER. " La psychologie de l'enfant ". ibid. p. 41.).

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✶ la fonction sémiotique chez l'enfant

La fonction sémiotique apparaît vers la 2ème année et connaît un essor rapide et multiforme avec les cinq principales conduites citées plus haut : - il y a d'abord l'imitation différée, qui s'exerce en l'absence du modèle. Une fillette de 16 mois, ayant vu un camarade se fâcher, crier et taper du pied, imite la scène en riant deux heures après son départ. Les "signifiants" sont ici les gestes symboliques de l'enfant.

- le jeu symbolique ou jeu de fiction est une autre manifestation de la même fonction. L'enfant joue à "faire semblant" de dormir, fait dormir son ours, déplace un coquillage en disant "miaou" après avoir vu un chat, etc.

- le dessin est une forme de la fonction symbolique qui est intermédiaire entre le jeu symbolique, dont il présente le même plaisir fonctionnel, et l'image mentale, avec laquelle il partage l'effort d'imitation du réel.

- l'image mentale ne procède pas d'une simple activité de perception. Elle résulte d'une imitation différée intériorisée qui s'attache à construire une copie du réel. PIAGET distingue deux grandes catégories d'images mentales. D'abord les images reproductrices qui évoquent des objets ou événements déjà connus ; avec trois sous-catégories : statiques, en mouvement, en transformation. Puis plus tard, à partir du stade opératoire concret (7-8 ans), les images anticipatrices qui représentent un événement non encore perçu.

- le langage. A la différence de l'image mentale qui est d'ordre privé et qui établit un rapport de ressemblance avec le réel (une copie du réel), le langage est d'ordre social et repose sur un système de signes conventionnels, sans aucun lien de ressemblance entre le signifiant et le signifié.

Le rôle du langage dans le développement intellectuel est une question fondamentale qui a fait l'objet de beaucoup de travaux, de discussions et de polémiques. Pour PIAGET, le langage ne suffit pas à expliquer l'intelligence, il ne constitue pas l'origine de la pensée logique (du stade opératoire concret). Pour BRUNER, au contraire, le langage est l'outil le plus important que l'enfant reçoit de la culture dans laquelle il grandit ; c'est le principal "amplificateur" des capacités intellectuelles de l'homme. 3) limites du développement : égocentrisme de la représentation La petite enfance, de 2 à 7 ans, voit l'essor de la fonction symbolique ou sémiotique grâce à laquelle un signifiant peut évoquer, re-présenter un signifié absent, avec les cinq conduites que nous venons de voir : l'imitation différée, le jeu symbolique, le dessin, l'image mentale et le langage. Mais cette étape reste prisonnière d'un égocentrisme de la représentation et ne s'élève pas jusqu'à la maîtrise du raisonnement, même appliqué à des objets concrets (ainsi l'enfant n'admet pas spontanément que 2 quantités égales à une 3ème sont égales entre elles, etc.). Egocentrisme : à partir des acquisitions sensori-motrices, ayant à reconstruire le monde sur le plan représentatif, l'enfant le fait à partir de lui-même. Il ne peut construire son intelligence du monde que sur la base de ses expériences propres, c'est une démarche subjective, centrée depuis lui-même. En d'autres termes, l'enfant construit le monde extérieur à partir de son monde intérieur. C'est l'égocentrisme intellectuel avec ce qu'il implique d'artificialisme, d'animisme, de finalisme, de réalisme intellectuel, de magico-phénoménisme : - artificialisme : c'est un égocentrisme dans la représentation de l'origine des choses. Il consiste à assigner aux choses des objectifs ou une fonction déterminée ; à s'expliquer leur origine ou leur production sur modèle de fabrication humaine, d'activité artisanale ou démiurgique. L'enfant qui demande : « Qui a construit le ciel ? » ou « Qui a creusé le lit de la rivière ? » adopte un point de vue artificialiste (1). 1) Cf. J. PIAGET. " La formation du symbole chez l'enfant ". Delachaux & Niestlé. 1946/1989. p. 260-265.

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- animisme : c'est un égocentrisme dans la représentation de la nature des choses. Il consiste à animer les corps inertes et les objets, à leur prêter des intentions ; à leur attribuer une subjectivité comparable à celle qu'on éprouve en soi-même. L'enfant qui demande « Pourquoi le vent est en colère ? » exprime par là une représentation animiste du vent (1). - finalisme : c'est un égocentrisme dans la compréhension ou dans la représentation de la causalité. Il consiste à se représenter la causalité d'un processus objectif sur le modèle de l'action intentionnelle propre au sujet. Ce finalisme est attesté par la façon dont l'enfant, vers 4-6 ans, pose et comprend la question « Pourquoi ? » au sens de « Dans quel but ? » (2). - réalisme intellectuel : c'est un égocentrisme dans la représentation du monde extérieur. Il consiste en une indifférenciation, une confusion entre la réalité objective et la subjectivité de l'enfant. L'enfant prend sa perspective propre, subjective, comme immédiatement objective et absolue. Confondant le signe et le signifié, il réifie les noms, croyant qu'ils relèvent de toute éternité de l'essence même des choses : « C'est le soleil qui fait le nom, c'est le soleil qui s'appelle le soleil ». Réifiant le rêve, l'enfant le situe dans sa chambre, dans son lit : « Le rêve est dans mon lit à côté de moi » (3). - magico-phénoménisme : comme le finalisme, c'est un égocentrisme dans la compréhension ou dans la représentation de la causalité. PIAGET emprunte l'expression aux descriptions de la "pensée primitive" telles que les donnaient autrefois des sociologues comme LÉVY-BRUHL. La pensée magico-phénoméniste est une forme de pensée causale (ou plus exactement précausale) qui ne distingue pas la simple allure empirique des phénomènes et le processus causal qui les engendre (elle est donc phénoméniste). Comme elle va en général de pair avec des "explications" qui supposent des forces occultes ou miraculeuses, l'adjectif "magico-phénoméniste" caractérise le double aspect de cette pensée précausale. Ainsi l'enfant affirmera-t-il : « La lune bouge parce qu'il y a du vent » (4). Nota : la pensée syncrétique Dans la 1ère partie de sa carrière PIAGET -et d'autres psychologues comme Henri WALLON- insista sur cette forme de pensée caractérisant le stade préopératoire. La pensée syncrétique procède selon une appréhension globale plus ou moins confuse des choses, des situations, des idées. C'est une pensée qui se déploie en extensions (global) tout en fonctionnant par prélèvements d'indices (détails). La pensée syncrétique prédomine jusqu'à 6, 7, 8 ans, après quoi prédomine la pensée analytique (à partir du stade opératoire concret). Pour prendre en compte ce mode de pensée syncrétique de l'enfant, Ovide DECROLY introduisit dans les années 1920 la méthode globale de lecture. Pour lui (de même que pour PIAGET) : « L’individu entre en contact avec le monde par une activité globale, d’abord confuse, puis progressivement organisée et structurée ». Cette méthode, très expérimentale, ne fut jamais réellement appliquée dans les systèmes éducatifs européens. Elle donna naissance cependant aux méthodes mixtes combinant méthode globale et méthode analytique.

1) Cf. Ibid. p. 265-268 2) Cf. J. PIAGET. " Six études de psychologie ". Denoël Gonthier. 1964. p. 33-38. 3) J. PIAGET. " La représentation du monde chez l'enfant ". PUF. 1947/1991. p. 58, 85 4) J. PIAGET. " La formation du symbole chez l'enfant ". op. cit. p. 273.

pensée syncrétique analytique méthode de lecture globale analytique

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Stade de l'intelligence opératoire concrète (7-8 à 11-12 ans)

Les structures opératoires de l'enfant qui apparaissent vers 6, 7, 8 ans vont lui permettre d'appréhender le monde de façon pertinente et non plus déformée par le prisme de l'égocentrisme (du stade préopératoire). De façon pertinente, mais dans les domaines du concret. Cette pertinence ne s'étendra aux domaines de l'abstraction que plus tard, au stade opératoire formel, à partir de 11-12 ans. L'opération est une sorte d'action intérieure, une conduite mentale ou de pensée qui tend à s'appliquer plutôt à la représentation des objets qu'aux objets eux-mêmes et qui permet ainsi l'anticipation subjective du résultats d'actions réelles. Elle présente un caractère essentiellement logique : toutes les opérations fonctionnent selon un système de propriétés logiques appelé par PIAGET "structure de groupement". Les premières opérations logiques apparaissent spontanément vers 7-8 ans dans tous les domaines de la pensée, à l'époque où les éducateurs situent l' "âge de raison". Il s'agit d'une logique concrète qui permet une structuration du réel : les opérations concrètes portent sur la manipulation d'objets ou d'ensembles d'objets (d'où leur spécification de "concrètes"). La logique formelle n'apparaîtra que plus tard, vers 12 ans : les opérations formelles portent sur la manipulation des signes et des symboles ; sur des abstractions, des énoncés généraux qui ne nécessitent plus forcément de support matériel. 1) définition des opérations Définition : Les opérations sont des actions qui sont intériorisées, réversibles, qui se coordonnent, s'articulent en structures (ou systèmes) d'ensemble (1) : a) elles sont intériorisées, conceptualisées. La pensée opératoire prolonge l'action en l'intériorisant. b) elles sont réversibles. La réversibilité caractérise la pensée logico-mathématique à laquelle accède l'enfant à partir de 7-8 ans. La réversibilité logique donne beaucoup plus de mobilité à sa pensée capable alors de détours, de retours ; pensée qui accède à la décentration, se libérant de l'égocentrisme préopératoire. Elle acquiert une mobilité telle qu'une action du sujet (classer, additionner, etc.) ou une transformation perçue dans le monde physique (d'une boule de pâte à modeler, d'un volume de liquide, etc.) peut être annulée en pensée par une action orientée en sens inverse (inversion) ou compensée par une action réciproque (réciprocité). Exemple d'inversion : l'enfant qui a transformé une boule de pâte à modeler en saucisse peut annuler par la pensée cette transformation en imaginant de façon inverse qu'il pourrait lui redonner sa forme initiale de boule. Exemple de réciprocité : si l'on transforme un boudin de pâte à modeler en un long spaghetti, l'enfant après 7 ans peut compenser par la pensée « certes c'est plus long, mais réciproquement c'est plus mince » ; parvenant ainsi à considérer invariante la quantité de matière. L'enfant acquiert ici la notion de conservation de la substance solide. La réciproque est une transformation qui annule non pas l'action initiale prise en référence, mais son effet.

1) J. PIAGET. " Problèmes de psychologie génétique ". Denoël Gonthier. 1972. p. 32, 50. J. PIAGET. " La psychologie de l'enfant ". PUF. Que sais-je ? 1966/1989. p. 73, 76. J. PIAGET. " La psychologie de l'intelligence ". A. Colin. 1947/1967. p. 41-44, 129. J. PIAGET. " L'épistémologie génétique ". PUF. Que sais-je ? 1970/1979. p. 34.

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Inversion et réciprocité (ou compensation) sont les deux formes majeures de réversibilité que distingue PIAGET. Il en ajoute une troisième, la réversibilité par identité « c'est la même chose, on n'a rien enlevé ni ajouté », qui est une argumentation plus fruste. C'est le recours à la réversibilité qui permet notamment la constitution des notions de conservation : conservation des quantités discontinues (par ex. de 2 rangées de jetons présentant des longueurs et/ou un nombre de jetons différents), conservation des quantités continues : substance solide (pâte à modeler) et liquide (transvasement de liquides), longueur (cordes ou chaînettes de longueurs inégales, morceaux de baguettes ou allumettes bout à bout ), poids (ex.: 2 boulettes égales, dont l'une est transformée en galette trouée, vont-elles peser toujours la même chose sur la balance ?), volume (évalué au déplacement de l'eau dans deux verres où l'on immerge des objets de formes ou grosseurs différentes, ou dissociation poids-volume en immergeant une boule de pâte et une boule de métal de même grosseur dans chacun des verres). Cette mobilité de la pensée opératoire, capable de détours, de retours, qui accède à la décentration, se libère de l'égocentrisme préopératoire, induit des modifications radicales des conduites sociales, dans le sens de la réciprocité et de la coopération. Entre 7 et 9 ans, on remarquera le développement des jeux de règle, des jeux collectifs, l'apparition des groupes enfantins. Avec la décentration cognitive, l'enfant accède à la pensée socialisée. c) elles se coordonnent, s'articulent en structures (ou systèmes) d'ensemble. Les opérations ne sont jamais isolées, elles se coordonnent pour constituer une système ; par exemple un système de classification (la suite des nombres notamment). Tous ces systèmes opératoires sont dotés d'une structure que PIAGET appelle groupement. Détaillons l'épreuve de la conservation de la substance liquide : on présente à l'enfant deux verres A et B identiques et on lui demande de mettre autant de liquide dans chacun. On présente ensuite un verre C plus étroit et plus haut (ou un verre D plus bas et plus large, ou bien encore plusieurs petits verres). On lui demande alors, après transvasement de B dans C, si les quantités A et C sont équivalentes (ou si le total des petits verres équivaut à A). Avant 7-8 ans l'enfant dit qu'il y a plus d'eau dans le verre C, parce que celui-ci est plus haut. Vers 7-8 ans, il devient capable de résoudre ce problème du transvasement du liquide, car il peut alors se détacher de ses perceptions et concevoir la conservation comme un passage réversible d'un état à un autre. Il se dira « c'est la même eau, on n'a fait que verser et on peut remettre comme c'était avant » ; ce sens de la conservation est la réversibilité par inversion. Ou encore « c'est plus haut, mais c'est plus mince, alors ça fait autant », établissant ainsi une réversibilité par réciprocité (ou compensation). 2) structures opératoires qui se constituent en fonction de l'âge 1er niveau du stade opératoire concret - les opérations concrètes simples (7-8 à 9-10 ans) Il correspond au tournant décisif de l'apparition des opérations réversibles, avec notam-ment l'acquisition des divers principes de conservation : conservation des équivalences quantitatives, des longueurs, des surfaces (7 ans), des substances solides, liquides (7-8 ans), du poids, des verticales et des horizontales (8-9 ans), puis plus tard du volume (11-12 ans). La conservation des verticales et horizontales fait partie de la construction de l'espace. Détaillons les étapes : jusqu'à 4-5 ans, il n'y a ni horizontale ni verticale. Entre 5 et 6 ans, la surface de l'eau est parallèle à la base du bocal sans compréhension de l'inclinaison, les arbres sont placés perpendiculairement aux flancs de la montagne, la cheminée perpendiculairement au toit. Entre 6 et 7 ans, on assiste à un déplacement de l'eau dans la direction de l'inclinaison, mais sans parallélisme, c'est un compromis. Puis, peu à peu, est réalisée une dissociation entre la base du bocal et l'horizontale ou la verticale. C'est entre 7 et 8 ans que l'horizontale et la verticale sont réellement découvertes. Mais c'est à partir de 9 ans seulement qu'elles sont appliquées systématiquement et logiquement à toutes les situations.

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Outre les conservations, apparaissent les structures de classification, sériation, dénombrement. L'enfant devient capable de classer les objets selon des critères explicités (ressemblances, différences, etc.), de sérier les objets d'un ensemble par rapport à une relation clairement définie, il comprend l'indépendance du nombre d'éléments d'un ensemble par rapport à leur disposition spatiale. Ces opérations qui portent sur des éléments discrets réunis en classes, sériés ou dénombrés sont qualifiées d'opérations logico-mathématiques. 2nd niveau - les opérations concrètes complexes spatio-temporelles (9-10 à 11-12 ans) C'est à ce deuxième niveau de la période des opérations concrètes que s'achève la construction de l'espace : mesure, conservations correspondantes des droites, de leurs directions, des parallèles, des angles, des périmètres, des surfaces, des positions relatives des éléments de figure ou des figures les unes par rapport aux autres, coordination des perspectives possibles, etc. S'achèvent également la construction du temps, de la vitesse et du mouvement. Construction du temps : sériation d'événements temporels, partition assurant le découpage des intervalles entre événements, emboîtement des durées courtes dans les grandes, métrique temporelle (mesure du temps en prenant une durée comme unité), etc. PIAGET qualifie d'opérations infralogiques ou spatio-temporelles les « opérations constitutives des objets eux-mêmes, objets complexes et cependant uniques tels que l'espace, le temps et les systèmes matériels » (1). Ce n'est pas qu'elles ont une rigueur logique inférieure, mais qu'elles portent sur des objets appartenant au domaine du continu (alors que les opérations logico-mathématiques portent sur celui du discontinu). Objets continus tels que l'espace, le temps, la vitesse, le mouvement (et leurs constructions respectives), ainsi que la constitution de l'objet en tant que tel (avec les conservations de substance, poids et volume). Les structures des opérations logico-mathématiques sont semblables à celles des opérations spatio-temporelles : à la classification, la sériation et le dénombrement dans le système logico-mathématique (PIAGET dit aussi logico-arithmétique), correspondent dans le système spatio-temporel, le placement ou sectionnement, le déplacement et la quantification ou mesure. Les structures opératoires logico-mathématiques de même que les structures opératoires spatio-temporelles relèvent du "groupement". 3) structure de groupement L'unité du contenu du stade opératoire concret consiste en ce que les divers systèmes d'opérations présentent la même structure : celle de groupement. La notion logique de groupement a été inventée par PIAGET à partir de la notion mathématique de groupe qui comprend quatre propriétés : composition transitive, réversibilité, associativité, identité. PIAGET a pu mettre en évidence l'existence de structures parentes du groupe mathématique dans trois grandes périodes du développement cognitif : au stade sensori-moteur : groupe des déplacements ; au stade opératoire concret : groupement ; au stade opératoire formel : groupe INRC. Selon PIAGET, la structure de groupe est immanente à l'intelligence elle-même. Dès le niveau sensori-moteur, le groupe des déplacements, qui porte sur des actions et non sur des opérations, est une structure de groupe bien qu'il n'ait d'existence que pour un observateur. Le groupement du stade des opérations concrètes, qui s'applique aux domaines qualitatifs, possède un certain nombre de caractéristiques communes avec le groupe. Seul le groupe INRC du stade des opérations formelles est un véritable groupe au sens mathématique.

1) J. PIAGET. " La psychologie de l'intelligence ". A. Colin. 1947/1967. p. 154.

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La structure de groupement est caractérisée par 5 propriétés. 1. composition transitive, 2. réversibilité, 3. associativité, 4. identité, 5. tautologie : La transitivité se construit à partir de 6, 7 ans. Jusqu'à 5 ou 6 ans encore, lorsqu'on montrait à l'enfant deux baguettes A et B telles que A < B , puis la baguette B plus petite que C, donc A < C, et que l'on cachait A, le sujet ne parvenait pas à déduire la relation A < C. Puis à partir de 6, 7 ans la transitivité apparaît et s'applique avec succès à un grand nombre de problèmes différents, aussi bien d'ordre causal que mathématique ou logique. Nous avons vu la réversibilité (inversion et réciprocité) avec la conservation de la substance solide (pâte à modeler) ou liquide (transvasement des verres). Mais cela peut être aussi : sérier et inverser une série, additionner et soustraire, multiplier et diviser, etc. Associativité : la pensée demeure toujours libre de faire des détours, un résultat obtenu par deux voies différentes reste le même dans les deux cas. (A + B) + C = A + (B + C) . Par exemple la classification : dans un tas de jetons de différentes couleurs, trier d'abord à la fois les bleus et les noirs puis les jaunes ou bien trier d'abord les bleus puis à la fois les noirs et les jaunes, revient au même. Identité : la composition d'une opération directe avec l'opération inverse laisse l'objet in-changé, ramène au point de départ. Par exemple +1 ajouté à un nombre, suivi de -1 retranché à ce nombre permet de retrouver le nombre du départ ; ou encore, aplatir une boulette d'argile ronde puis la ré-arrondir. Tautologie : une classe ajoutée à elle-même redonne cette même classe. A + A = A . Par exemple des chiens plus des chiens donne des chiens, de la pâte à modeler plus de la pâte à modeler donne de la pâte à modeler. La structure de groupement du stade opératoire concret est de nature logique, mais l'intelligence reste ici attachée au champ du concret. C'est-à-dire que les opérations concrètes sont toujours liées à l'action. Elles structurent celle-ci logiquement, y compris les paroles qui l'accompagnent, mais elles n'impliquent en rien la possibilité de construire un discours logique indépendant de l'action, la possibilité d'élaborer des raisonnements purement formels (détachés du concret), hypothético-déductifs comme par exemple les raisonnements mathématiques. La pensée formelle et la déduction mathématique restent inaccessibles à l'enfant du stade opératoire concret (1). Il n'y accédera qu'au stade opératoire formel, à partir de 11-12 ans.

1) PIAGET souligne que ce point est essentiel à relever pour ce qui concerne les applications pédago-giques scolaires : « En effet, les mêmes enfants qui parviennent aux opérations que l'on vient de décrire (opérations concrètes) en sont ordinairement incapables lorsqu'ils cessent de manipuler les objets et sont invités à raisonner par simples propositions verbales » (J. PIAGET. " La psychologie de l'intelligence ". Armand Colin. 1947/1967. p. 155).

Par exemple, alors que la sériation entre 3 objets concrets, visibles est facile dès 7 ans, la sériation des 3 propositions verbales suivantes (test de BURT) n'est résolue que vers 12 ans : « Edith est plus claire (ou blonde) que Suzanne ; Edith est plus foncée (ou brune) que Lili ; laquelle est la plus foncée des trois ? » (Ibid. p. 159). Les enfants de moins de 12 ans fournissent des raisonnements comme le suivant : « Edith et Suzanne sont claires, Edith et Lili sont foncées, alors Lili est la plus foncée, Suzanne la plus claire et Edith entre les deux » (Ibid. p. 159) et J. PIAGET. " Six études de psychologie ". Denoël Gonthier. 1964. p. 77-78, J. PIAGET. " Problèmes de psychologie génétique ". Denoël Gonthier. 1972. p. 54.

Par exemple encore, la comparaison de deux fractions dont numérateur et dénominateur sont différents n'est possible qu'à partir du stade opératoire formel. Au stade opératoire concret, l'enfant comprend que 2/4 est plus grand qu' 1/4 parce qu'il n'a qu'à comparer 1 et 2, c'est-à-dire seulement les deux numérateurs des deux fractions. Au stade formel, il comprend l'égalité de 1/3 et 2/6 car il peut maintenant établir un rapport entre la comparaison des numérateurs d'une part et la comparaison des dénominateurs d'autre part. Quand il compare ces deux fractions, il pose un rapport entre deux rapports et il effectue ainsi une opération sur d'autres opérations (un raisonnement "à la seconde puissance"), c'est-à-dire une opération purement formelle. Voir la note 3) de la page 27.

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Stade de l'intelligence opératoire formelle (11-12 à 15-16 ans)

Vers 11-12 ans, les opérations formelles fournissent à la pensée un pouvoir tout nouveau, qui revient à la libérer du réel pour lui permettre d'échafauder à sa guise réflexions et théories. L'intelligence formelle marque ainsi l'envol de la pensée. La pensée formelle opère sur un matériel symbolique, sur des systèmes de signes conventionnels tels que le langage ou le symbolisme mathématique, expressions des idées et des représentations. Le raisonnement formel procède par hypothèses et par déductions : la déduction ne porte plus directement sur des objets, sur des réalités perçues, mais sur des énoncés hypothétiques ; c'est-à-dire sur des propositions formulant des hypothèses ou posant les données à titre de simples données indépendamment de leur caractère actuel. Les hypothèses sont ensuite combinées entre elles selon les exigences d'une nouvelle logique, "logique des propositions", qui envisage toutes les combinaisons possibles. La structure opératoire formelle se forme en continuité parfaite avec la structure opéra-toire concrète. Elle est constituée par le groupe INRC (1). Le groupe INRC est appelé groupe des quatre transformations ou groupe de quaternalité (ou encore groupe de KLEIN). Il comprend en effet quatre opérations logiques : affirmation ou opération directe ou Identité I, inversion ou Négation N, Réciprocité R, inversion de la réciproque ou Corrélativité C. Le groupe INRC apparaît comme la coordination, la fusion en un seul système des deux mécanismes de la réversibilité opératoire (l'inversion et la réciprocité) qui fonctionnaient séparément au stade concret. L'exemple souvent cité par PIAGET du déplacement d'un escargot sur une planchette (2), illustre la structure de groupe de cette coordination. Appelons I l'opération directe : un escargot avance sur une planchette. Ce déplacement peut être annulé par un déplacement de l'es-car-got en sens inverse, c'est l'inversion N ; ou bien par un recul de la planchette en sens contraire de la progression de l'escargot, c'est une réciproque R. L'inverse de la réciproque, la corrélative C, sera alors le déplacement de la planchette dans le même sens que celui de l'escargot (en avant). De 7 à 12 ans l'enfant comprend bien chaque opération séparément, directe ou inverse, mais ne parvient pas à les réunir dans un système, de sorte qu'il ne peut pas, par exemple, prévoir que l'escargot, tout en avançant, peut rester immobile par rapport à l'extérieur lorsque la planche se déplace en sens inverse et à même vitesse. C'est seulement à partir de 11-12 ans qu'il le comprend sans difficulté. Il est alors capable de se représenter le produit I x R comme équivalent de N x C, soit I.R = N.C, sans avoir besoin de prendre appui sur des actions réellement effectuées. Seule la pensée formelle est capable d'établir cette coordination. Dans le cas des fractions, évoqué en note à la page 24, les variations (N) du numérateur (I) et les variations (C) du dénominateur (R) se compensent (par exemple 1/2 et 2/4) (3).

1) Au groupe INRC, PIAGET ajoute aussi le "réseau" de la combinatoire, ou "lattice", qui caractérise l'accès à la pensée combinatoire : vers 11-12 ans, le préadolescent commence à développer des mé-thodes systématiques pour grouper les objets selon toutes les combinaisons. L'accès à la pensée com-binatoire est la condition nécessaire de l'expression de la structure logique qu'est le groupe INRC. Cf. par exemple J. PIAGET. " Six études de psychologie ". op. cit. p. 109-111, 143-144 ; ou encore J. PIA-GET. " L'épistémologie génétique ". PUF. Que sais-je ? 1970/1979. p. 53. 2) J. PIAGET. " Six études de psychologie ". Denoël Gonthier. 1964. p. 169. J. PIAGET. " Problèmes de psychologie génétique ". Denoël Gonthier. 1972. p. 35-36. J. PIAGET et B. INHELDER. " La psychologie de l'enfant ". PUF. Que sais-je ? 1966/1989. p. 113. 3) Soit I : augmentation du numérateur, et donc consécutivement de la fraction. L'augmentation de la fraction peut être annulée par N : diminution du numérateur ; ou par une réciproque R : augmentation du dénominateur. La corrélative sera C : diminution du dénominateur et donc augmentation de la fraction. On a bien I.R = N.C : augmentation du numérateur associée à une augmentation correspondante du dénominateur = diminution du numérateur associée à une diminution correspondante du dénominateur : 1/2 = 2/4. On a également I.N = R.C Cf. par exemple J. PIAGET. " La psychologie de l'enfant ". op. cit. p. 112-113.