5.2.1 Le stade préopératoire de Piaget - HES-SO

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5.2.1 Le stade préopératoire de Piaget L'étape que traverse l'enfant de deux à six ans a été appelée par Piaget le stade préopératoire. Selon lui, les enfants de cet âge ne sont pas encore prêts à effec- tuer des opérations mentales qui font appel à une pensée logique. La caracris- tique principale de ce stade de développement cognitif est l'utilisation croissante de la fonction symbolique et des capacités de représentation apparues à la fin du stade sensorimoteur. De deux à six ans, le monde devient plus ordonné et plus prévisible pour l'enfant, au fur et à mesure que celui-ci développe une meilleure compréhension de l'identi, c'est-à-dire du fait que les personnes et la plupart des objets demeurent essentielle- ment les mêmes, que leur forme ou leur apparence change ou pas. Cette compré- hension est à la base de l'émergence du concept de soi que nous verrons dans le chapitre 6. Voyons donc plus -en détail certains de ces progrès et limites identifiés par Piaget au stade préopératoire, ainsi que les nuances apportées par des recherches récentes sur ces aspects du développement. La fonction symbolique Lorsque, dans la mise en situation de ce chapitre, Ève prend son morceau de fromage et l'agite en disant d'une grosse voix: «Bonjour les enfants, je vais travailler l », elle démontre qu'elle peut se représenter mentalement, à travers un bout de fromage, un personnage qui parle. Cette possibilité de se représenter mentalement un objet, une personne ou une situation sans qu'ils soient physiquement présents caracté- rise la fonction symbolique. Selon Piaget, la pensée symbolique est présente vers la fin du stade sensorirnoteur, mais elle se développe pleinement entre deux et six ans. Le fait de disposer de symboles (mots, chiffres, images) pour représenter diverses réa- lités nous permet à la fois d'y penser, d'en intégrer les qualités, de nous les rappeler et d'en parler. La fonction symbolique constitue par conséquent un progrès considé- rable dans le développement cognitif. Sans symboles, les gens seraient en effet inca- pables de converser, de lire une carte ou de chérir la photo d'une personne aimée qui se trouve loin d'eux. Le mot constitue le symbole le plus usuel et probablement le plus important pour la pensée, qu'il soit verbalisé ou écrit. Comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent en évoquant les bases du langage, un enfant qui utilise le mot pomme pour désigner un objet absent attribue à ce son un caractère symbolique. C'est donc dans l'utilisation dulangage que la fonction symbolique prend tout son sens. Cette fonction se manifeste aussi à travers l'imitation différée, qui consiste à repro- duire une action observée, mais en l'absence du modèle. Dans la mise en situation, le morceau de fromage symbolise un personnage qu'Ève a déjà observé, peut-être son père, et qu'elle s'amuse à faire parler. Enfin, la fonction symbolique peut aussi s'exprimer dans le jeu symbolique, dont nous parlerons plus loin. La compréhension de la causalité Au début du stade préopératoire, l'enfant saisit de façon générale les relations fonc- tionnelles élémentaires qui existent entre les objets et les événements. Par exemple, un enfant de trois ans sait qu'en tirant sur un cordon, le rideau s'ouvre, et qu'en appuyant sur un interrupteur, la lumière s'allume. Bien qu'il ne comprenne pas encore Transduction Selon Piaget, tendance de l'enfant du stade préopé- ratoire à établirun lien de causalité,logique ou non,entre deux événements, sur la seule base de leur proximité dans le temps. Cardi.alité Principe selon lequel on utilise un seul nom de nombre pour chaque élément compté, le dernier nombre énoncé repsentant le total des éléments. Ordinalité Capacité de comparer des quantités numériques. Stade préopératoire Selon Piaget, deuxième stadedu développement cognitif qui se situe de deux à six ans et au cours duquel l'enfant peut se représenter mentalement des objets qui ne sont pas physiquement présents. Cesreprésentations sont toutefois limies par le fait que l'enfant ne peut encore penser logiquement. Opération mentale flexion mentalequipermet de comparer, de mesurer, de transformer et de combiner des ensembles d'objets. Fondion symbolique Selon Piaget, capacide l'enfant à utiliser certains symboles (mots,nombres ou images) quiont pour lui unesignification. œ la fonction symbolique Lafonctionsymboliquepermet à un enfant du stade préopératoirede se servir d'un objet enplastique pour se représen- ter de la nourriture. pourquoi telle action en entraîne telle autre, il perçoit tout de même le rapport qui existe entre les deux actions. Si Piaget admet que les jeunes enfants ont une certaine compréhension des relations de cause à effet, il considère toutefois que le raisonne- ment de l'enfant du stade préopératoire n'est pas logique, mais plutôt transductif. La transduction est le fait d'établir un lien de causalité, logique ou non, entre deux événements sur la seule base de leur proximité dans le temps. Dans ce type de raison- nement, l'enfant n'utilise donc ni la logique inductive (le fait de tirer une conclusion générale à partir de données particulières), ni la logique déductive (le fait de partir de données générales pour en tirer une conclusion particulière). Si deux événements surviennent en même temps ou sont perçus dans le même contexte, l'enfant croit alors que l'un est la cause de l'autre. C'est le cas de Renaud, qui dit qu'il fait beau parce qu'il va aux pommes avec les amis de la garderie. Son raisonnement est le sui- vant: on va aux pommes aujourd'hui et je constate qu'il fait beau, donc il fait beau parce qu'on va aux pommes. C'est ce raisonnement transductif qui pourrait amener un enfant àcroire, par exemple, que ses parents divorcent parce qu'il s'est disputé avec sa sœur. Toutefois, lorsqu'on teste les jeunes enfants sur des situations compréhensibles pour eux, on constatequ'ils sont capables de relier correctement les causes aux effets. En effet, une équipe de recherche a entrepris une série d'expériences àl'aide d'un détec- tem programmé pours'allumer et pour jouer de la musique lorsqu'on plaçait dessus certains objets précis. Il s'est avéré que même les enfants de deux ans qui avaient observé l'appareil en état de fonctionnement ont démontré un raisonnement logique en comprenant quels objets placer et quels objets enlever pOUI activer ou désactiver le détecteur. En outre, d'autres recherches ont aussi montré que des enfants de moins de cinq ans sont susceptibles de comprendre que des facteurs biologiques sont res- ponsables de la croissance ou de la maladie ou encore comment les désirs ou les émo- tions entraînent des réactions humaines (Gopnik et al., 2001). Il suffit d'écouter les enfants parler pour remarquer que, dans les faits, leur dis- cours révèle souvent une meilleure compréhension des relations causales que ne l'a cru Piaget. Même s'ils éprouvent parfois des difficultés à répondre aux «pour- quoi» des adultes, ils utilisent spontanément des phrases contenant des «parce que» ou des «alors»: «Maman a mis un pansement parce que j'avais un bobo.» ou «La fée a pris sa baguette magique, alors la petite souris est devenue grande.» Par contre, il est vrai que les enfants de cet âge tendent à croire que tous les événe- ments ont des relations causales prévisibles. Ainsi, un enfant de quatre anspeut croire qu'on sera automatiquement malade si l'on ne se lave pas les mains avant de manger: pour lui, ce lien de cause à effet est aussi prévisible que celui de voir retomber un ballon lancé dans les airs. La maitrise des nombres Lorsque, dans la mise en situation, Ève compte ses raisins en énumérant les chiffres de un à huit sans même tenir compte du nombre réel de raisins qui se trouvent devant elle, peut-on alors dire qu'elle sait compter? Sûrement pas! Certes, ellepeut énoncer les chiffres dans le bon ordre, mais elle ne maîtrise pas le principe de cardin alité, c'est-à-dire le principe selon lequel on utilise un seul et même nom de nombre en fonction de l'élément compté, le dernier nombre énoncé représentant le total des éléments. Ève est donc incapable de dire combien de raisins elle a réellement- Les enfants n'appliquent pas systématiquement le principe de cardinalité lorsqu'ils comptent avant l'âge de trois ans et demi. Vers quatre ou cinq ans, l'ordinalité, c'est-à-dire la capacité de comparer des quantités numériques, permet ensuite àl'enfant de comprendre les notions de plus et de moins (trois biscuits, c'est plus que deux). L'ordinalité apparaît autour de 12 à 18 mois, mais à cet âge, elle demeure limitée à la comparaison d'un nombre res- treint d'objets. Vers cinq ans, la plupart des enfants sont capables (si on le leur a appris, la plupart du temps en jouant) de réciter dans l'ordre les chiffres jusqu'à 20 et de résoudre des problèmes simples d'ordinalité (Laurie a pris sept pommes et Bianca en a pris cinq. Laquelle en a le plus?) sur des groupes de moins de dix objets (Byrnes et Fox, 1998)_ Lorsqu'ils entrent en première année du primaire, la plupart des enfants ont déjà développé le sens de la numération. Le niveau de base des habiletés de numéra- tion comprend la capacité de compter, l'ordinalitê (la comparaison de quantité), les transformations numériques (les additions et les soustractions simples), l'esti- mation (ce groupe de points est-il inférieur ou supérieur à cinq) et la reconnais- sance d'un modèle dquations (deux plus deux font quatre, trois plus un aussi) (Jordan et al., 2006). Bien sûr, même si l'acquisition des connaissances se rapportant à la numération est universelle, elle se développe à des rythmes différents selon l'importance qui lui est accordée par la famille ou la culture à laquelle l'enfant appartient. L'ordinalité et la cardinalité Unenfant de cinq ans commence à comprendre l'ordinalitéetle principe de cardinali.Ilest donc capable, ou presque, de compter ces cailloux et de savoirquelle sérieencontient leplus.

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5.2.1 Le stade préopératoire de PiagetL'étape que traverse l'enfant de deux à six ans a été appelée par Piaget le stadepréopératoire. Selon lui, les enfants de cet âge ne sont pas encore prêts à effec-tuer des opérations mentales qui font appel à une pensée logique. La caractéris-tique principale de ce stade de développement cognitif est l'utilisation croissantede la fonction symbolique et des capacités de représentation apparues à la findu stade sensorimoteur.

De deux à six ans, le monde devient plus ordonné et plus prévisible pour l'enfant, aufur et à mesure que celui-ci développe une meilleure compréhension de l'identité,c'est-à-dire du fait que les personnes et la plupart des objets demeurent essentielle-ment les mêmes, que leur forme ou leur apparence change ou pas. Cette compré-hension est à la base de l'émergence du concept de soi que nous verrons dans lechapitre 6. Voyons donc plus -en détail certains de ces progrès et limites identifiéspar Piaget au stade préopératoire, ainsi que les nuances apportées par des recherchesrécentes sur ces aspects du développement.

La fonction symboliqueLorsque, dans la mise en situation de ce chapitre, Èveprend son morceau de fromageet l'agite en disant d'une grosse voix: «Bonjour les enfants, je vais travailler l», elledémontre qu'elle peut se représenter mentalement, à travers un bout de fromage,un personnage qui parle. Cette possibilité de se représenter mentalement un objet,une personne ou une situation sans qu'ils soient physiquement présents caracté-rise la fonction symbolique. Selon Piaget, la pensée symbolique est présente vers lafin du stade sensorirnoteur, mais elle se développe pleinement entre deux et six ans.Le fait de disposer de symboles (mots, chiffres, images) pour représenter diverses réa-lités nous permet à la fois d'y penser, d'en intégrer les qualités, de nous les rappeler etd'en parler. La fonction symbolique constitue par conséquent un progrès considé-rable dans le développement cognitif. Sans symboles, les gens seraient en effet inca-pables de converser, de lire une carte ou de chérir la photo d'une personne aimée quise trouve loin d'eux.

Le mot constitue le symbole le plus usuel et probablement le plus important pourla pensée, qu'il soit verbalisé ou écrit. Comme nous l'avons vu dans le chapitreprécédent en évoquant les bases du langage, un enfant qui utilise le mot pommepour désigner un objet absent attribue à ce son un caractère symbolique. C'estdonc dans l'utilisation du langage que la fonction symbolique prend tout son sens.Cette fonction se manifeste aussi à travers l'imitation différée, qui consiste à repro-duire une action observée, mais en l'absence du modèle. Dans la mise en situation,le morceau de fromage symbolise un personnage qu'Ève a déjà observé, peut-êtreson père, et qu'elle s'amuse à faire parler. Enfin, la fonction symbolique peut aussis'exprimer dans le jeu symbolique, dont nous parlerons plus loin.

La compréhension de la causalitéAu début du stade préopératoire, l'enfant saisit de façon générale les relations fonc-tionnelles élémentaires qui existent entre les objets et les événements. Par exemple,un enfant de trois ans sait qu'en tirant sur un cordon, le rideau s'ouvre, et qu'enappuyant sur un interrupteur, la lumière s'allume. Bien qu'il ne comprenne pas encore

TransductionSelon Piaget, tendance de l'enfant du stade préopé-ratoire à établir un lien de causalité, logique ounon, entre deux événements, sur la seule base deleur proximité dans le temps.

Cardi.alitéPrincipe selon lequel on utilise un seul nom denombre pour chaque élément compté, le derniernombre énoncé représentant le total des éléments.

OrdinalitéCapacité de comparer des quantités numériques.

Stade préopératoireSelon Piaget, deuxième stade du développementcognitif qui se situe de deux à six ans et au coursduquel l'enfant peut se représenter mentalementdes objets qui ne sont pas physiquement présents.Ces représentations sont toutefois limitées par lefait que l'enfant ne peut encore penser logiquement.

Opération mentaleRéflexion mentale qui permet de comparer, demesurer, de transformer et de combiner desensembles d'objets.

Fondion symboliqueSelon Piaget, capacité de l'enfant à utiliser certainssymboles (mots, nombres ou images) qui ont pourlui une signification.

œ la fonction symboliqueLafonctionsymboliquepermet à unenfant du stade préopératoire de seservird'un objeten plastiquepour se représen-ter de lanourriture.

pourquoi telle action en entraîne telle autre, il perçoit tout de même le rapport quiexiste entre les deux actions. Si Piaget admet que les jeunes enfants ont une certainecompréhension des relations de cause à effet, il considère toutefois que le raisonne-ment de l'enfant du stade préopératoire n'est pas logique, mais plutôt transductif. Latransduction est le fait d'établir un lien de causalité, logique ou non, entre deuxévénements sur la seule base de leur proximité dans le temps. Dans ce type de raison-nement, l'enfant n'utilise donc ni la logique inductive (le fait de tirer une conclusiongénérale à partir de données particulières), ni la logique déductive (le fait de partir dedonnées générales pour en tirer une conclusion particulière). Si deux événementssurviennent en même temps ou sont perçus dans le même contexte, l'enfant croitalors que l'un est la cause de l'autre. C'est le cas de Renaud, qui dit qu'il fait beauparce qu'il va aux pommes avec les amis de la garderie. Son raisonnement est le sui-vant: on va aux pommes aujourd'hui et je constate qu'il fait beau, donc il fait beauparce qu'on va aux pommes. C'est ce raisonnement transductif qui pourrait amenerun enfant à croire, par exemple, que ses parents divorcent parce qu'il s'est disputéavec sa sœur.

Toutefois, lorsqu'on teste les jeunes enfants sur des situations compréhensibles poureux, on constate qu'ils sont capables de relier correctement les causes aux effets. Eneffet, une équipe de recherche a entrepris une série d'expériences à l'aide d'un détec-tem programmé pour s'allumer et pour jouer de la musique lorsqu'on plaçait dessuscertains objets précis. Il s'est avéré que même les enfants de deux ans qui avaientobservé l'appareil en état de fonctionnement ont démontré un raisonnement logiqueen comprenant quels objets placer et quels objets enlever pOUI activer ou désactiverle détecteur. En outre, d'autres recherches ont aussi montré que des enfants de moinsde cinq ans sont susceptibles de comprendre que des facteurs biologiques sont res-ponsables de la croissance ou de la maladie ou encore comment les désirs ou les émo-tions entraînent des réactions humaines (Gopnik et al., 2001).

Il suffit d'écouter les enfants parler pour remarquer que, dans les faits, leur dis-cours révèle souvent une meilleure compréhension des relations causales que nel'a cru Piaget. Même s'ils éprouvent parfois des difficultés à répondre aux «pour-quoi» des adultes, ils utilisent spontanément des phrases contenant des «parce que»ou des «alors»: «Maman a mis un pansement parce que j'avais un bobo.» ou «Lafée a pris sa baguette magique, alors la petite souris est devenue grande.» Parcontre, il est vrai que les enfants de cet âge tendent à croire que tous les événe-ments ont des relations causales prévisibles. Ainsi, un enfant de quatre ans peutcroire qu'on sera automatiquement malade si l'on ne se lave pas les mains avant demanger: pour lui, ce lien de cause à effet est aussi prévisible que celui de voirretomber un ballon lancé dans les airs.

La maitrise des nombresLorsque, dans la mise en situation, Ève compte ses raisins en énumérant les chiffresde un à huit sans même tenir compte du nombre réel de raisins qui se trouvent devantelle, peut-on alors dire qu'elle sait compter? Sûrement pas! Certes, ellepeut énoncerles chiffres dans le bon ordre, mais elle ne maîtrise pas le principe decardin alité,c'est-à-dire le principe selon lequel on utilise un seul et même nom de nombre enfonction de l'élément compté, le dernier nombre énoncé représentant le total deséléments. Ève est donc incapable de dire combien de raisins elle a réellement- Lesenfants n'appliquent pas systématiquement le principe de cardinalité lorsqu'ilscomptent avant l'âge de trois ans et demi.

Vers quatre ou cinq ans, l'ordinalité, c'est-à-dire la capacité de comparer desquantités numériques, permet ensuite à l'enfant de comprendre les notions de pluset de moins (trois biscuits, c'est plus que deux). L'ordinalité apparaît autour de12 à 18 mois, mais à cet âge, elle demeure limitée à la comparaison d'un nombre res-treint d'objets. Vers cinq ans, la plupart des enfants sont capables (si on le leur aappris, la plupart du temps en jouant) de réciter dans l'ordre les chiffres jusqu'à 20

et de résoudre des problèmes simples d'ordinalité (Laurie a pris sept pommes etBianca en a pris cinq. Laquelle en a le plus?) sur des groupes de moins de dix objets(Byrnes et Fox, 1998)_

Lorsqu'ils entrent en première année du primaire, la plupart des enfants ont déjàdéveloppé le sens de la numération. Le niveau de base des habiletés de numéra-tion comprend la capacité de compter, l'ordinalitê (la comparaison de quantité),les transformations numériques (les additions et les soustractions simples), l'esti-mation (ce groupe de points est-il inférieur ou supérieur à cinq) et la reconnais-sance d'un modèle d'équations (deux plus deux font quatre, trois plus un aussi)(Jordan et al., 2006).

Bien sûr, même si l'acquisition des connaissances se rapportant à la numération estuniverselle, elle se développe à des rythmes différents selon l'importance qui luiest accordée par la famille ou la culture à laquelle l'enfant appartient.

• L'ordinalité et la cardinalitéUnenfant de cinqans commence àcomprendre l'ordinalitéet leprincipede cardinalité.Ilest donc capable,oupresque, de compter ces caillouxet desavoirquelle série en contient leplus.

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Les limites de la pensée préopératoireLa pensée préopératoire est encore rudimentaire comparativement à ce que l'enfantpourra accomplir une fois parvenu au stade des opérations concrètes. Selon Piaget, laprincipale limite du stade préopératoire est la centratton, c'est-à-dire la tendance àse concentrer sur un seul aspect d'une situation en négligeant tous les autres. La cen-tration a des répercussions à la fois sur la compréhension du monde physique et surcelle des relations sociales.

L'égocentrisme Selon Piaget, les enfants de trois ans croient encore que l'universtourne autour d'eux. Même s'ils sont moins égocentriques que les nouveau-nés, lesenfants d'âge préscolaire sont tellement centrés sur leur propre point de vue qu'ilssont incapables d'en considérer un autre. L'égocentrisme est une forme de centra-tion qui empêche l'enfant du stade préopératoire d'adopter un autre point de vue quele sien. Fascinée par le vacarme incessant des vagues, une fillette de quatre ans setourne vers son père en lui disant: «Mais quand est-ce que ça arrête ?» «Jamais », luirépond son père. Sur quoi la fillette demande, incrédule: «Même pas quand ondort ? . L'égocentrisme pourrait expliquer pourquoi les jeunes enfants ont parfois dumal à séparer la réalité de ce qu'ils imaginent et pourquoi ils sont parfois confus en cequi concerne les liens de causalité.

On entend aussi parfois un enfant dire que le soleil se couche parce qu'il est fatigué.C'est un exemple de ce que Piaget appelle l'animisme, une forme d'égocentrismequi consiste à attribuer des caractéristiques humaines à des objets inanimés. En inter-rogeant des enfants à propos du soleil, du vent et des nuages, Piaget a obtenu desréponses qui l'ont amené à conclure que les enfants éprouvent de la difficulté à dis-tinguer ce qui est vivant de ce qui ne l'est pas, surtout lorsque les éléments nonvivants sont en mouvement. Il a alors attribué cela à l'animisme. Toutefois, d'autresrecherches ont démontré depuis que des enfants de trois à quatre ans comprennentque les gens sont vivants et que les cailloux ne le sont pas. Ainsi, au cours d'une expé-rience, des enfants n'ont attribué ni pensées ni émotions aux cailloux, et ils ont men-tionné que si les poupées ne peuvent pas se déplacer par elles-mêmes, c'est qu'elles nesont pas vivantes (Gelman, Spelke et Meck, 1983). La différence entre les réponsesobtenues par Piaget et celles obtenues par d'autres chercheurs s'explique peut-êtrepar le fait que les objets présentés aux enfants par Piaget se déplaçaient d'eux-mêmeset n'offraient aucune possibilité de manipulation concrète.

Une expérience classique de Piaget, la tâche des trois montagnes, illustre bien cetégocentrisme. L'expérimentateur assoit un enfant devant trois monticules (voir Lafigure 5.2 à la page suivante) et place une poupée sur une chaise, de l'autre côté de latable. Il demande alors à l'enfant de lui dire comment la poupée voit les montagnes.Le jeune enfant ne peut répondre à cette question. En effet, il décrit chaque fois lesmontagnes selon sa propre perspective. Pour Piaget, cela met en évidence l'incapacitéde l'enfant à imaginer un point de vue différent du sien (Piaget et Inhelder, 1967).

Dans une autre expenence, on a cependant présenté le problèmed'une manière différente et on a alors obtenu des résultats différents.Un enfant était assis en face d'un panneau divisé en quatre sectionspar des «murs». Un personnage représentant un policier se tenaitd'un côté du panneau tandis qu'une poupée était déplacée d'une sec-tion à l'autre. Après chaque déplacement, on demandait à l'enfant:«Est-ce que le policier peut voir la poupêe ?» Puis un autre person-nage policier entrait en action, et on demandait à l'enfant de cacherla poupée de manière à ce qu'aucun policier ne la voie. Des enfantsâgés de trois ans et demi à cinq ans ont donné la bonne réponse neuffois sur dix (Hughes, 1975). Pourquoi ces enfants étaient-ils capablesde considérer le point de vue d'une autre personne (le policier), alorsque ceux à qui l'on présentait le problème des montagnes en étaientincapables? Il est possible que ce soit parce que le problème du poli-cier les amène à penser d'une façon plus usuelle et moins abstraite.En effet, les jeunes enfants ne regardent généralement pas les mon-tagnes de cette façon et ne se questionnent pas sur ce que les autrespersonnes voient en les regardant. Toutefois, la plupart des enfantsde trois ans connaissent les poupées, les policiers et le jeu de lacachette. Ainsi, les jeunes enfants peuvent effectivement faire preuved'égocentrisme au premier abord, mais principalement dans des situa-tions qui dépassent leur expérience immédiate.

La non-conservation Une autre expérience classique de Piaget illustre bien commentla centration vient limiter la pensée enfantine. Piaget a conçu cette expérience pourévaluer la notion de conservatton, qui est le principe selon lequel deux quantitéségales (liquide, poids, nombre, surface, etc.) restent égales malgré une transformationapparente, tant et aussi longtemps qu'on ne leur ajoute ou qu'on ne leur enlève rien. Il

a ainsi découvert que les jeunes enfants ne comprennent pas plei-nement ce principe avant le stade des opérations concrètes. Danscette expérience, on présente à un enfant deux verres identiques,bas et évasés, qui contiennent la même quantité d'eau. On verseensuite l'eau d'un des verres dans un troisième verre, haut et étroit,puis on demande à l'enfant s'il y a un verre qui contient plus d'eauou si les deux verres contiennent la même quantité d'eau (voir lafigure 5.3). Que l'enfant ait vu l'expérimentateur verser l'eau duverre bas et évasé dans le verre haut et étroit ou qu'il ait versé l'eaului-même, il répond toujours que l'un des deux verres contientplus d'eau. Lorsqu'on lui demande pourquoi, il répond: «Celui-ciest plus grand ici. » •• en montrant la hauteur (ou la largeur) du verre.Au stade préopératoire, l'enfant est donc incapable de considérer lahauteur et la largeur en même temps. Il centre sa pensée sur l'unou l'autre de ces aspects, et sa réponse découle par conséquent del'évaluation d'une seule dimension du verre.

FIGURE 5.2La tâche des trois montagnesde Piaget

Au stade . . . .preoperatoire, un enfant est Incapable de décrire lesmontagn.es selon le point de vue de la poupée. Selon Piaget, c'est làune manifestation de l'égocentrisme.

ConservationSelon Piaget, capacité de comprendre que deuxquantités égales (liquide, poids, nombre, surface,etc.) restent égales malgré leur transformationapparente si rien n'est enlevé ou ajouté.

FIGURE 5.3L'épreuve de la conservation d'unliquide de Piaget

Au stade préopératoire, un enfant est incapable de concevoir qu'il y a autantde liquide dans les deux contenants, parce que la centration l'empêche deconsidérer à la fois leur hauteur et leur largeur.

CentrationSelon Piaget, limite de la pensée préopératoire quamène l'enfant à ne percevoir qu'un seul aspectd'une situation au détriment des autres.

ÉgocentrismeSelon Piaget, caractéristique de la pensée préopératoire qui rend impossible la prise en compte dupoint de vue d'une autre personne.

AnimismeTendance à concevoir les objets inanimés commepossédant des caractéristiques humaines.

Cette compréhension de la conservation est également limitée par l'irréversibilitéde la pensée, c'est-à-dire par l'incapacité de comprendre qu'une opération peut sefaire dans les deux sens. L'enfant ne parvient pas à imaginer qu'il suffirait de reverserl'eau dans le premier verre pour démontrer que la quantité est toujours la même. Austade préopératoire, selon Piaget, l'enfant pense comme s'il observait les images stati-ques d'une pellicule: il se concentre sur les états successifs, mais ne reconnaît pas lestransformations d'un état à un autre. Ainsi, l'enfant prend séparément en considéra-tion l'eau qui se trouve dans chacun des verres, au lieu de la considérer comme unemême substance pouvant être transvasée d'un verre à l'autre.

IrréversibilitéLimite de la pensée préopératoire qui empêchel'enfant de comprendre qu'une opération sur unobjet peut être faite en sens inverse pour revenir àl'état initial de l'objet.

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Les enfants peuvent penser à une personne, à unobjet absent ou à un événement qui ne se déroulepas dans le présent.

Les enfants peuvent imaginer que les objets ou lespersonnes possèdent des propriétés différentes decelles qu'ils ont en réalité.

Jérémie se souvient d'avoir mangé un cornet de crèmeglacée chez sa grand-mère la veille, et il en réclame un autreaujourd'hui.

Mathieu utilise le rouleau de carton provenant d'un papierd'emballage pour jouer à l'épée.

Compréhension de l'identité Les enfants savent que des modifications : Alexis sait que, même si son grand frère est déguisé en pirate,superficielles ne changent pas la nature des choses. ~ il demeure toujours son grand frère.

Compréhension des liens decausalité (causes et effets)

Les enfants réalisent que les événements ontdes causes.

! Jade voit un ballon surgir de derrière un mur et va regarder! derrière celui-ci pour voir qui a lancé le ballon.

Capacité de classifier Les enfants classent les objets, les personneset les événements en catégories significatives.

Norma trie les cocottes qu'elle a ramassées dans la forêt.Elle les répartit en deux séries selon leur taille: les ({petites Il

et les « grandes»,

Compréhension desnombres

Les enfants peuvent compter et gérer les quantités. Laurence partage quelques bonbons avec ses amies en lescomptant un à un, de façon à ce que chacune d'elles en ait lemême nombre.

Empathie les enfants deviennent plus à même d'imaginercomment les autres se sentent.

: Pierre essaie de réconforter son ami qui est triste en lui faisantl un câlin. .

Théorie de l'esprit les enfants deviennent plus conscients de l'activitémentale et du fonctionnement de l'esprit.

Camille veut cacher des biscuits pour que son petit frère ne lestrouve pas. Elle choisit de les mettre dans sa boîte à crayons,car elle sait qu'il ne les cherchera pas dans un endroit où il nes'attend pas à trouver des biscuits.

Les limites de la pensée préopératoire (selon Piaget)

l'enfant ne perçoit qu'un seul aspect d'une situationau détriment des autres; il ne peut pas opérerde décentration.

Maxime croit que Juliette a plus de blocs que lui parce queceux-ci sont répandus sur le plancher et occupent plusd'espace que les siens, qui sont bien rangés dans leur boîte.Il se centre uniquement sur l'espace occupé.

L'irréversibilité Coralie ne réalise pas que si l'on remet ses framboises dansson bol, elle en a toujours la même quantité.

l'enfant ne comprend pas que certaines actions ouopérations sur un objet peuvent être faites en sensinverse pour revenir à l'état initial de l'objet.

Fixation sur l'état plutôt quesur la transformation

l'enfant ne comprend pas le sens de latransformation d'un état à un autre.

Sylvia considère son biscuit brisé en morceaux en croyant enavoir plusieurs. Elle ne conçoit pas que le biscuit a simplementété divisé.

Le raisonnement transductif L'enfant n'utilise pas le raisonnement inductifou déductif. Il tend à établir un lien de causalité,logique ou non, entre deux événements en sautantd'une particularité à une autre.

Sarah a été méchante avec son frère juste avant que celui-citombe malade. Sarah en conclut donc qu'elle a rendu sonfrère malade.

L'égocentrisme Clémence parle au téléphone avec sa grand-mère et montreen même temps du doigt les dessins dont elle parle.

l'enfant ne peut pas prendre en considération lepoint de vue d'une autre personne.

L'animisme Pierre dit que le soleil se couche parce qu'il est fatigué.l'enfant tend à donner vie à des objets inanimés.

L'incapacité à reconnaîtreles fausses croyances

L'enfant ne comprend pas que quelqu'un d'autrepeut être trompé par les apparences.

Après avoir constaté que sa boîte de blocs ne contenait pasdes blocs, mais une poupée, Karen ne comprend pas qu'unautre enfant serait lui aussi trompé par l'apparence de la boîte.

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La permanence de l'objetLe concept d'objet (à savoir l'idée que les objets ont leur propre existence indépendante,leurs propres caractéristiques et leur propre emplacement dans l'espace) est essentielpour une bonne compréhension de la réalité physique. Ce concept est à la base de laprise de conscience par l'enfant que l'objet existe, indépendamment des autres objets etdes autres personnes. Il est donc essentiel à la compréhension d'un monde remplid'objets et d'événements. Selon Piaget, les enfants prennent conscience des objets envoyant les résultats de leurs propres actions, en d'autres mots, en coordonnant l'infor-mation visuelle et motrice. En ce sens, le jeu du coucou est un jeu qui contribue parti-culièrement à cette prise de conscience (voir l'encadré 3.2 à la page suivante).

La permanence de l'objet, aussi appelée schème de l'objet permanent, se construitgraduellement durant le stade sensorimoteur dont elle est la principale acquisition. Leschème de l'objet permanent, c'est la compréhension du fait que les objets et les per-sonnes continuent d'exister même si on ne lesperçoit plus. Au début, le nourrisson nefait pas la distinction entre lui-même et le monde environnant, qu'il perçoit d'abordcomme une extension de sa propre personne. Puis, peu à peu, il se rend compte que lesobjets et les autres personnes possèdent une existence distincte de la sienne, même s'ilsn'existent plus pour lui quand il ne les perçoit plus.

Ainsi, vers l'âge de quatre mois, le bébé peut chercher l'objet qu'il a laissé tomber ouqui est partiellement caché, mais il se comporte comme si l'objet n'existait plus lorsquecelui-ci est entièrement caché. Par exemple, si sa mère recouvre de sa main les clésqu'il veut prendre, il s'intéressera tout simplement à autre chose, comme le fait Gabriellorsque Maryse lui enlève le céleri qu'il s'apprêtait à porter à sa bouche.

Vers huit mois, l'enfant commence à comprendre qu'un objet existe toujours, mêmes'il ne le voit plus: pour Piaget, c'est là le début de la permanence de l'objet. Ainsi,même si sa mère recouvre les clés de sa main, l'enfant cherchera à soulever la main,parce qu'il sait maintenant que les clés sont en dessous. Toutefois, si l'on cache devantce bébé de 8 à 12 mois un objet que l'on déplace par la suite, il ira le chercher dans sapremière cachette, même si le déplacement s'est effectué sous ses yeux. Selon Piaget,le nourrisson croit que l'existence de l'objet est reliée à un endroit précis (celui oùl'objet a été trouvé la première fois) et à ses propres actions pour le récupérer à cetendroit. Une explication plus récente révèle que les nourrissons, et même les enfantsd'âge préscolaire, trouvent tout simplement difficile de retenir l'impulsion qui lespousse à répéter un comportement qui a été couronné de succès auparavant (Zelazo,Reznick et Spinazzola, 1998).

Autour de un an, l'enfant ne commet plus cette erreur et il cherche cette fois l'objetau dernier endroit où il a vu qu'on le cachait. Néanmoins, il ne peut pas encore com-prendre qu'un objet se déplace s'il ne le voit pas se déplacer. Aussi, si sa mère refermela main sur les clés avant de les placer sous une couverture, l'enfant cherchera encoreles clés dans la main de sa mère, parce que c'est là qu'il les aura vues disparaître. À lafin du stade sensorimoteur, soit entre 18 et 24 mois, la permanence de l'objet estenfin complètement acquise. L'enfant peut alors comprendre que si la main sedéplace, les clés, qu'il ne voit pas, se déplacent aussi. Il peut maintenant se représen-ter mentalement le déplacement d'un objet. Il peut donc se mettre à chercher sontoutou qu'il ne retrouve plus dans différents endroits de la maison, simplement parcequ'il y a pensé. Cette acquisition de la permanence de l'objet va aussi permettre àl'enfant dont les parents se sont absentés de se sentir rassuré en sachant qu'ils exis-tent toujours et qu'ils reviendront. Elle est essentielle à l'enfant pour comprendre letemps, l'espace et un monde en perpétuel changement.

La causalitéLacausalité est une autre notion importante acquise durant le stade sensorimoteur.C'est le terme employé par Piaget pour désigner le fait que l'enfant comprend peu àpeu que certains événements en causent d'autres.

Versquatre à six mois environ, lorsque le bébé acquiert la capacité de saisir les objets,il commence à réaliser qu'il possède un pouvoir sur son environnement. Cependant,d'après Piaget, jusque vers l'âge de un an, le nourrisson ignore encore que les causesdoivent précéder les effets, et il ne réalise pas que d'autres éléments peuvent agir surles objets et les événements.

Certains chercheurs croient pour leur part que cette capacité pourrait survenir plustôt encore que ne le pensait Piaget. Au cours d'expériences basées sur l'habituation(un concept dont nous parlerons un peu plus loin), des enfants de six mois et demisemblent avoir discerné une différence entre les événements provoqués par des causesimmédiates (par exemple, lorsqu'une brique pousse une autre brique et l'amèneà changer de position) et les événements qui se produisent sans cause apparente(par exemple, lorsqu'une brique s'éloigne d'une autre brique sans qu'elles se soienttouchées). Les jeunes enfants pourraient donc comprendre la causalité lorsqu'ils'agit d'événements simples. Cependant, d'autres recherches démontrent que ce n'estqu'entre 10 et lS mois environ qu'ils peuvent comprendre la causalité dans unechaîne d'événements (Cohen et al., 1999).

Vers 10 mois, le bébé est plus en mesure de faire ses propres expériences: dans sachaise haute, il tape sur une flaque de lait pour voir les éclaboussures; il joue avec descommutateurs électriques, s'amusant à allumer et à éteindre la lumière; il sourit pourqu'on lui réponde. Ses jouets préférés sont ceux qu'il peut manipuler en les faisantrouler, en les laissant tomber ou ceux qui font du bruit. Les actions des enfants de cetâge montrent qu'ils comprennent leur pouvoir de causer certains événements.

Selon Piaget, bien qu'à cet âge des notions aussi importantes que la permanence del'objet et la causalité prennent racine, les enfants ne les saisissent toutefois pas encorepleinement parce que leur capacité de représentation, c'est-à-dire leur capacité d'ima-giner et de se rappeler mentalement des objets ou des actions, est limitée, du moinstant que le stade sensorimoteur n'est pas achevé.

Réaction circulaire tertiaireAction destinée à explorer de nouvelles façons dproduire un résultaI. Elle est caractéristique ducinquième sous-stade du stade sensorimoteurde Piaget.Représentation mentaleCapacité de se rappeler et de se représentermentalement des objets et des expériences sansl'aide de stimuli, principalement par le recoursil des symboles.

Imitation différéeReproduction après un certain laps de temps d'uncomportement observé qui est rendue possible grâ·il la rérupération de sa représentation en mémoire.

Permanence de l'objetSelon Piaget, fait pour un enfant de comprendrequ'un objet ou une personne continuentd'exister même s'ils ne sont pas dans sonchamp de perception.

CausalitéPrincipe selon lequel certains événements découlent d'autres événements ou en sont la cause.

œ L'expérience de la causalitéCe bébé est en train de prendreconscience de son pouvoirsur les objets.Selon Piaget,c'est une premièreétapevers la compréhensionde lacausalité.

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5.~.2 Les jeunes enfants et les théories de l'espritPiaget (1929) a été le premier à étudier les théories de l'esprit chez les enfants,c'est-à-dire la prise de conscience de leurs propres processus mentaux et de ceux desautres. Il a posé aux enfants des questions du type «D'où viennent les rêves?» ou«Avec quoi penses-tu 7» Les réponses reçues l'ont amené à conclure que les enfantsde moins de six ans sont incapables de faire la différence entre les pensées ou lesrêves et la réalité physique, et qu'ils n'ont donc pas de théorie de l'esprit. Cependant,des recherches plus récentes indiquent quant à elles qu'entre l'âge de deux et cinq ans,la connaissance que démontrent les enfants en matière de processus mentaux - lesleurs et ceux des autres - augmente de façon spectaculaire (Cross et Watson, 2001).

Théoriede l'espritConscience et compréhension despocessus mentaux.

La prise de conscience de la penséeEntre l'âge de trois et cinq ans, les enfants commencent à comprendre que les pen-sées se passent dans la tête, que nous pouvons penser à des choses réelles ou imagi-naires, que quelqu'un peut penser à quelque chose en faisant ou en regardant autrechose, qu'une personne peut penser à des objets même en ayant les yeux fermés et lesoreilles bouchées, et que penser constitue une action différente de celle de voir, par-ler ou toucher (Flavell et al., 1995).

Toutefois, à cet âge, les enfants croient généralement que l'activité mentale a un débutet une fin. Ce n'est pas avant le milieu de l'enfance qu'ils se rendent compte finale-ment que la pensée est continuellement active. Les jeunes enfants n'ont donc pas (outrès peu) conscience que les gens «se parlent dans leur tête, avec des mots» ou qu'ilspensent en même temps qu'ils regardent, écoutent, lisent ou parlent (Flavel et al.,1997). Ils ont aussi tendance à confondre les rêves et l'imagination, et ils croientqu'ils peuvent décider de ce dont ils vont rêver. Les enfants de cinq ans reconnais-sent que les expériences, les émotions et les pensées ont un effet sur le contenu desrêves, mais ce n'est toutefois pas avant l'âge de onze ans qu'ils réalisent vraimentqu'ils ne peuvent pas contrôler leurs rêves (Woolley et Berger, 2002).

La cognition sociale, qui désigne la capacité de reconnaître que les autres ont éga-lement des états mentaux, est une particularité humaine qui implique la disparitionde l'égocentrisme et le développement de l'empathie (Povinelli et Giambrone, 2001).Vers trois ans, les enfants réalisent qu'une personne va continuer de chercher cequ'elle veut si elle ne le trouve pas immédiatement et qu'elle sera heureuse ou tristesi elle ne l'obtient pas.

:agnition socialeapacité de reconnaître l'état émotionnelel autres.

Les fausses croyances et la tromperieUn chercheur montre une boîte de bonbons à Sarah, une petite fille de trois ans, et luidemande ce qu'il y a dedans. «Des bonbons», répond-elle. Or, lorsqu'elle ouvre laboîte, Sarah y trouve des crayons et non des bonbons. «D'après toi, qu'est-ce qu'unautre enfant qui n'a pas ouvert la boîte croira trouver dedans?» demande le chercheur.«Des crayons ». dit Sarah, ne comprenant pas qu'un autre enfant serait lui aussi trompépar la boîte, comme elle-même l'a été. Pour comprendre que quelqu'un peut avoir defausses croyances, il faut que l'enfant ait d'abord pris conscience qu'on peut se faire unereprésentation de la réalité et que celle-ci peut parfois être erronée. Or, les enfants detrois ans, comme Sarah, n'ont pas cette compréhension (FlaveUet al; 1995).

Ce type de recherches sur les fausses croyances a été repris un peu partout dans lemonde et on arrive toujours aux mêmes résultats. Toutefois, si l'on demande auxenfants de répondre avec des gestes plutôt qu'avec des mots, ceux qui sont sur lepoint d'avoir quatre ans parviennent alors mieux à reconnaître les fausses croyances.Aussi, on peut dire que les gestes peuvent aider les enfants sur le point de comprendrele concept des fausses croyances à franchir cette étape (Carlson et al., 2005).

L'incapacité des enfants de trois ans à reconnaître les fausses croyances peut découlerde leur pensée égocentrique. À cet âge, l'enfant a effectivement tendance à croire quetoutes les autres personnes savent ce qu'il sait et croient ce qu'il croit. Il a donc dumal à comprendre que ses propres pensées peuvent être fausses (Lillard et Curenton,1999). À quatre ans, les enfants parviennent enfin à comprendre que des personnes

qui entendent ou qui voient des versions différentes d'un même événement peuventdévelopper des croyances différentes. Toutefois, ce n'est pas avant six ans que lesenfants réalisent que deux personnes qui voient ou entendent la même chose peu-vent l'interpréter différemment (Pillow et Henrichon, 1996).La tromperie est une tentative destinée à créer une fausse croyance dans la pensée dequelqu'un. Or, pour pouvoir mentir, l'enfant doit auparavant supprimer son impulsiond'être franc. En d'autres termes, on peut dire que le mensonge est un signe de dévelop-pement cognitif. Des recherches ont montré que certains enfants sont capables dementir dès l'âge de deux ou trois ans, d'autres vers quatre ou cinq ans seulement. Ladifférence semble reliée au moyen que les enfants utilisent pour tromper. En effet, on ademandé à des enfants de trois ans s'ils voulaient jouer un tour à quelqu'un en lui don-nant de fausses indications quant à laquelle des deux boîtes contenait une balle. Lesenfants étaient plus en mesure de mentir quand on leur demandait de mettre l'imaged'une balle sur la mauvaise boîte que lorsqu'ils devaient pointer la boîte du doigt, cequ'ils font habituellement de manière honnête à cet âge (Carlson, Moses et Hix, 1998).

La distinction entre l'imaginaire et la réalitéEntre 18 mois et 3 ans, lesenfants apprennent à faire la distinction entre des événementsréels et des événements imaginaires. Dès lors, les enfants de trois ans peuvent faire sem-blant et sont capables de reconnaître que quelqu'un d'autre fait semblant. ils savent aussique le fait de faire semblant est intentionnel: ils font bien la différence entre le fait defaire quelque chose et le fait de prétendre faire cette chose (Rakoczy,Tomasello et Striano,2004). Toutefois, la ligne qu'ils tracent entre la fantaisie et la réalité n'est pas toujours trèsnette. Ainsi, une étude a montré que des enfants âgés de quatre à six ans, qui étaient lais-sés seuls dans une pièce, préféraient toucher une boîte contenant un ourson imaginaireplutôt qu'une boîte contenant un monstre imaginaire, même si la plupart affirmaientque c'était juste pour faire semblant (Harris et al., 1991). Il peut donc être difficile desavoir, en les questionnant sur de «prétendus» objets, si les enfants donnent des réponsessérieuses ou s'ils continuent de faire semblant (Taylor, 1997).Certains chercheurs suggèrent que la pensée magique des enfants de trois ans etplus ne provient pas de la confusion entre l'imaginaire et la réalité. Cette penséemagique servirait surtout à expliquer des événements qui ne leur semblent pas avoirune explication réaliste évidente (souvent parce qu'ils manquent de connaissances surle sujet) ou encore à céder aux plaisirs de l'invention. Tout comme les adultes, les enfantssont en effet généralement très conscients de la nature magique de personnages ima-ginaires tels que les sorcières et les dragons, mais ils se plaisent tout simplement àentretenir l'éventualité de leur existence (Woolley, 1997). C'est d'ailleurs vers cet âgequ'apparaissent souvent les amis imaginaires (voir l'encadré5.2).

Fantaisie ou réalité?Est-cevraiment Minnie?Lacapacité dedistinguer la fantaisie et la réalité se déve-loppe vers trois ans, maisdes enfants dequatre à sixans peuvent encore croirequ'un personnage fantaisiste est réel.

Pensée magiqueFaçon d'interpréter la réalité selon laquelletout est possible.