Isabelle Ferré & Delphine Berthod INECAT 160310 · Le mot tracé sur le papier, la ... écrire est...

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Isabelle Ferré & Delphine Berthod INECAT 160310 Le mot tracé sur le papier, la note sur la partition, la couleur sur la toile, sont autant de fusées d’imaginaire dont la mission est d’aborder aux rives de l’inconnu et de l’inexprimable . Alliés, ils en repoussent plus loin les frontières, multiplient les particules du sens, agrandissent l’horizon, élargissent le champ de la beauté. (Dominique Darzacq, article webthea festival poésie sonore.Maison de la poésie) Ils ont accompagné notre lecture : Antonin Artaud Georges Aperghis : compositeur de musique contemporaine, né à Athènes en 1945. Sa carrière indépendante se partage entre écriture instrumentale ou vocale, le théâtre musical et l'opéra. En 1976, il fonde l'Atelier Théâtre et Musique qui lui permet de renouveler sa pratique de compositeur en travaillant avec des musiciens et comédiens. Hugo Ball Né en 1886 & mort en 1927. Ecrivain et poète Dada allemand. En 1916, il crée et anime l’éphémère Cabaret Voltaire à Zurich. Roland Barthes, né en1915 et mort en 1980, est un écrivain et sémiologue français. Il fut l'un des principaux animateurs de l'aventure structuraliste et sémiotique française. François Bon est un écrivain français, né à Luçon en 1953. Parallèlement à son travail d'écriture, il s'est spécialisé dans les ateliers d'écriture auprès de publics en difficulté sociale (SDF, détenus, etc.), mais aussi d'étudiants et d'enseignants (Tous les mots sont adultes, Fayard, 2005). Dominique Darzacq, Journaliste, critique, réalisatrice, elle a notamment travaillé à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, Tfl, Webthéa. Elle collabore à diverses revues et publications. Régine Detambel égine Detambel est une écrivaine française, née en 1963 . Elle participe à l'Oulipo dont elle est correspondante en Languedoc. Elle est kinésithérapeute de métier, animatrice d’ateliers d’écriture et écrivain,] Romans récents: Noces de chêne, Gallimard, 2008 / Pandémonium, Gallimard, 2006 /Mésange, Gallimard, 2003 / La chambre d’écho, Seuil, 2001. Textes brefs : 50 histoires fraîches, Gallimard, 2010 / Les enfants se défont par l’oreille, Fata Morgana, 2006 / Blasons d’un corps enfantin, Fata Morgana, 2000 / La ligne âpre, Christian Bourgois, 1998 / Album, Calmann-Lévy, 1995 /Les écarts majeurs, Julliard, 1993 /Graveur d’enfance, Christian Bourgois, 1993 Essais Petit éloge de la peau, Gallimard, Collection Folio 2€, 2006 / Colette, comme une flore, comme un zoo, Stock, 1997/ L’ecrivaillon ou l’enfance de l’écriture, Gallimard, 1995 Philippe Gutton psychiatre, psychanalyste, directeur de la revue Adolescence Brion Gysin artiste performer sonore, un poète, un écrivain et un peintre britano-canadien né le 19 janvier 1916 à Taplow , Buckinghamshire et décédé le 13 juillet 1986 à Paris.

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Isabelle Ferré & Delphine Berthod INECAT 160310

Le mot tracé sur le papier, la note sur la partition, la couleur sur la toile, sont autant de fusées d’imaginaire

dont la mission est d’aborder aux rives de l’inconnu et de l’inexprimable . Alliés, ils en repoussent plus loin les frontières, multiplient les particules du sens, agrandissent l’horizon, élargissent le champ de la beauté. (Dominique Darzacq, article webthea festival poésie sonore.Maison de la poésie)

Ils ont accompagné notre lecture :

Antonin Artaud

Georges Aperghis : compositeur de musique contemporaine, né à Athènes en 1945. Sa carrière

indépendante se partage entre écriture instrumentale ou vocale, le théâtre musical et l'opéra. En

1976, il fonde l'Atelier Théâtre et Musique qui lui permet de renouveler sa pratique de compositeur en travaillant avec des musiciens et comédiens.

Hugo Ball Né en 1886 & mort en 1927. Ecrivain et poète Dada allemand. En 1916, il crée et anime

l’éphémère Cabaret Voltaire à Zurich.

Roland Barthes, né en1915 et mort en 1980, est un écrivain et sémiologue français. Il fut l'un des

principaux animateurs de l'aventure structuraliste et sémiotique française.

François Bon est un écrivain français, né à Luçon en 1953. Parallèlement à son travail d'écriture,

il s'est spécialisé dans les ateliers d'écriture auprès de publics en difficulté sociale (SDF, détenus, etc.), mais aussi d'étudiants et d'enseignants (Tous les mots sont adultes, Fayard, 2005).

Dominique Darzacq, Journaliste, critique, réalisatrice, elle a notamment travaillé à France Inter,

Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, Tfl, Webthéa. Elle collabore à diverses revues et publications.

Régine Detambel égine Detambel est une écrivaine française, née en 1963 . Elle participe à

l'Oulipo dont elle est correspondante en Languedoc. Elle est kinésithérapeute de métier, animatrice d’ateliers d’écriture et écrivain,] Romans récents: Noces de chêne, Gallimard, 2008 / Pandémonium, Gallimard, 2006 /Mésange, Gallimard, 2003 / La chambre d’écho, Seuil, 2001.

Textes brefs : 50 histoires fraîches, Gallimard, 2010 / Les enfants se défont par l’oreille, Fata Morgana, 2006 / Blasons d’un corps enfantin, Fata Morgana, 2000 / La ligne âpre, Christian Bourgois, 1998 / Album, Calmann-Lévy, 1995 /Les écarts majeurs, Julliard, 1993 /Graveur d’enfance, Christian Bourgois, 1993 Essais Petit éloge de la peau, Gallimard, Collection Folio 2€, 2006 / Colette, comme une flore, comme un zoo, Stock, 1997/ L’ecrivaillon ou l’enfance de l’écriture, Gallimard, 1995

Philippe Gutton psychiatre, psychanalyste, directeur de la revue Adolescence

Brion Gysin artiste performer sonore, un poète, un écrivain et un peintre britano-canadien né le 19 janvier 1916 à Taplow, Buckinghamshire et décédé le 13 juillet 1986 à Paris.

Bernard Heidsieck né en 1928. Poète sonore français, il fut, dès 1955 à Paris, l'un des pionniers

de l'effervescente et cosmopolite "Poésie sonore", bientôt rebaptisée par lui "Poésie action" A organisé le 1er festival international de poésie sonore en 1976 et les "Rencontres Internationales1980 de poésie sonore".

Charles Juliet, né le 30 septembre 1934 à Jujurieux dans l'Ain, est un poète, écrivain et

dramaturge français. Premier livre, Fragments, préfacé par Georges Haldas (Meurtre ou sacrifice). rencontres avec Michel Leiris, Bram van Velde, Raoul Ubac, Pierre Soulages, Samuel Beckett....

Jacinto Lageira (né en 1962) est maître de conférences et critique d'art. Il interroge le langage et

la perception à partir des expériences artistiques. Il est souvent question du mot, de la lettre et d'une humanité qui se découvre à partir des multiples facettes de l'art.

Lucien Mélèse Psychanalyste, travail et publications sur l'épilepsie notamment.

Charles Sanders Peirce (1839 - 1914) est sémiologue et philosophe américain. Il est considéré

comme le fondateur du courant pragmatiste avec William James et, avec Ferdinand de Saussure, un des deux pères de la sémiologie (ou sémiotique) moderne.

Xavier Person Né en 1962, il a été longtemps critique littéraire au Matricule des anges.

Bibliographie: Je sors faire quelques courses ou je préfèrerais ne pas écrire sur la poésie d’Emmanuel Hocquard, Au figuré, 2000./ Un bloc rectangulaire, Au figuré, 2003./ Best regards, Mix, 2003.

Maja Solveig Kjelstrup Ratkje, né en 1973, Norvégienne. Compositrice et performeuse. Elle

réalise et publie de la musique pour des concerts, enregistrements, films, installations, théâtre, danse et autres spectacles dans des genres très divers (du classique au métal).

Jacques Rebotier (né en 1950) peut être défini comme un créateur inclassable de par ses

multiples activités : écrivain, poète, compositeur, comédien, metteur en scène. Son style est caractérisé par une constante proximité des marges et un malin plaisir à transgresser les codes. Ses créations, interpellations conviendrait mieux, sont tout à la fois point de vue sur l'état du monde, critique des rapports humains, travail sur la mécanique des mots, mais toujours parcourues d'une énergie joyeuse. Elles mêlent lecture-performance, concert-performance, poésie, photographie, montages vidéo, théâtre-installation... et s'articulent autour d'une écriture exigeante.

Ferdinand de Saussure est un linguiste suisse, né à Genève en 1857 et mort en 1913. Reconnu

comme fondateur du structuralisme en linguistique. On estime (surtout en Europe) qu'il a fondé la linguistique moderne et établi les bases de la sémiologie qui inspireront non seulement la linguistique ultérieure mais aussi l'ethnologie, l'analyse littéraire, la philosophie et la psychanalyse lacanienne.

Kurt Schwitters, né en1887 à Hanovre en Allemagne, et mort en 1948 en Angleterre, est un peintre et poète allemand. Il a incarné l'esprit individualiste et anarchiste du mouvement Dada.

Thérèse Tremblais Dupré Psychanalyste

Paul de Vree : né à Anvers le 13 Novembre, 1909. (Flamand) Enseignant, romancier, poète,

peintre, metteur en scène et critique. Théoricien d'avant-garde littéraire et poète, fut l'un des premiers à s'intéresser à la poésie visuelle et sonore dans l'après-guerre.

Allen S.Weiss: vit et écrit à New York, Paris, Nice et Kyoto. Il est l'auteur de nombreux essais. Le

Livre bouffon est son premier roman.

Préambule

Je m’applique à du papier écrire le volume /aimer le poids qui fait que l’encre coule

Ecrire est bercer l’encre/ jusqu’à ce que du monde /s’accumule dans un coin

écrire est travailler /à donner de la pente /qui donnera du souffle au torrent

Je porte à la peau les pays bas de l’écriture (…)

L’encre/ c’est la terre/ ou son précipité/ L’encre est humaine /décante

elle est liqueur/ elle dépose (…)

c’est la petite collection de poussière/répandue là/ sa pelote d’écriture

ce que chie/ une chouette/ pas plus gros

Je travaille avec les bras/ l’oeuvre est de l’encre dans un cornet à dés/ une hémorragie qui déborde la bouteille/

le rebut laisse voir le monde/ comme à la loupe

Je tourne le moteur calme/ du tamis

et ce pourrait être/ tout aussi bien/ une roue à aube un rouet une brouette/ ou toutes ces machines à la fois

le ressort de l’encre/ en se détendant/ tache in Le Tremblement d’écrire, Régine Detambel .

Cette présentation succède à une lecture sur la chorégraphe Pina Bausch . Ce hasard de la

programmation a permis de mettre en lien les écritures qui fondent à la fois notre travail et l’univers de la formationprésente: nous traitons d’une même partition, mais les notes et les langages sont différents. Hier l’expérience du corps dansant avec Pina Bausch, aujourd’hui celui du corps écrivant, des écritures graphiques et sonores.

Pina Bausch lançait des questions à la volée pour engager le processus chorégraphique. La

démarche de question est aussi à l’origine de ce thème.

Quelles phrases composent l’écriture ?

Comment écrit-on ? Avec ou sans mots ? Avec ou sans bruit ?

Tracées à l’encre, au burin, à la force de la main dans le pain d’argile ?

Phrase dansée par le corps entier ou bien juste à la pointe du doigt ?

Certaines personnes que nous accompagnons n’ont plus que l’infime geste pour inscrire une trace. Il suffit amplement.

Quand « ça va trop dans une direction », Pina Bausch dit qu’elle change d’orientation. Ne pas figer. Ce qui compte c’est la question, pas la réponse.

Ceci a fait écho à notre cheminement depuis le début en mai, une élaboration et une rencontre qui se sont transformées, épurées, qui ont accumulé textes, mots, sons, idées. Ce premier processus

sera notre introduction. Pour situer ce que l’on va exposer non pas dans un discours théorique, une parole assertive, mais dans un récit du cheminement d’écriture.

A deux voix. Faire en faisant

iF avril : mise en commun d’un projet de croiser son et écriture/ mai : dehors, déplacement vers la Maison de la Poésie : Isou, Mademoiselle Paul Ghérasim Luca, performances…/ juin : mélanges de brouillons, échanges sur nos pratiques et l’incidence repérée chez nos participants de la création sonore, la forme de l’écrit, de la « chair » des mots, de la pénétration du son./Automne : chacune dans sa dimension, écoutes de bandes et expériences sonores delph, exploration de références littéraires et théoriques sur la dimension psychique de l’écriture et du mot Idée commune de mettre en scène, illustrer avec une exposition au sous-sol, montrer, faire participer la salle, extériorité du langage/Hiver : à distance,recentrage, Puis élaboration d’une trame commune en direction du groupe du 16 mars, au plus près de nos questionnements de stagiaires Inecat, avec nos exemples propres, dans la réalité du temps nécessaire et disponible pour chacune.

dB Au début donc, un thème & non un livre. Croiser les regards. Deux personnes aux parcours différents (l'une

vient de l'écriture, de la page « du mot vers le reste » ; l'autre vient de la scène, du son & de l'image, « du reste vers le mot »). Une envie commune de parler des corps de l'écriture (écriture ? mot ? langage ? parole ? poésie ? il y a déjà là matière à se perdre).

Il y a eu un livre. Puis un deuxième qui le complète, & puis encore celui-là qui dit aussi des choses

intéressantes, & cet autre qui parle d'un aspect différent, & ça aussi c'est important,...etc...une image, un article, une citation, un son... Magma. Désordre.

Nous ne voulions pas tant parler de poésie visuelle ou sonore en tant que courants artistiques (ce qui nous

auraient fait nous pencher sur leurs origines, genèse, orientations pour tenter de les définir aujourd'hui) mais (parler) de cette chose (mot, parole, langage, etc) & de ce qui la fait moyen merveilleux & mystérieux d'appréhension du monde par le prisme unique de chacun – de l'universel & de l'intime.

& aussi – ce qui compte particulièrement pour nous – de le relier à ce qu'on entreprend en suivant les

formations de l'Inecat, dans nos pratiques de médiation ou de thérapie.

Nous avons traversé:Les courants avant-gardistes (dadaïsme, cubisme, surréalisme,...& bien d'autres « isme »)Le graphisme & l'écriture urbaine, le slam,... les courants populaires & politiques, les courants « relevant » de la « musique » (compositeurs) : opéra, théâtre musical, poésie sonore, musique concrète,... musique actuelle (avec Camille par ex), La calligraphie, les signes, les pictogrammes...& puis les plans cognitif, symbolique, linguistique, psychique, « communicationnel »,...On a navigué, pour finalement choisir de garder ce fouillis si riche sans entrer dans une quelconque catégorisation de forme, de genre,...

A l'heure où les pratiques artistiques jouent à déplacer, briser, brouiller, anéantir les frontières

entre les arts pour ne plus parler que d'art en soi, d'élan artistique global... notre pratique certainement n'est pas à l'enfermement, à la classification, mais à prendre ce qui vient dans son informe, dans son indéfinition pour l'accompagner là où nous mêmes ne savons pas.

Rebotier « Rien sans débordement. (ce qui déborde : ce qui en moi, refuse d'en rester « là ».) »

P

PLAN Ecriture corps sonore corps graphique titre provisoire

Préambule à deux voix

qu'est-ce qu'un mot ?→ ce qui le constitue→ ce qu'il représente

qu'est-ce que l'écriture ?→ lettre, phonême, signe → dimension graphique

→ lieu d’élaboration psychique ou d’enfermement imaginaire / L’écriture adolescente/ la page blanche

du mot à l'image & du son au mot : rencontres entre écriture & champ visuel, écriture & champ sonore

→ analyses écriture & sonore→ technique : écoutes d'extraits→ analyses écriture & visuel→ technique : diaporama

→ passage par les brouillons d'écrivains

Le corps partie prenante où est le corps de l’écrivain lorsqu’il écrit ?

→ du corps dans la graphie, pied peau geste

→ du corps dans le son→ technique : diaporama corps sonore

1/ qu'est-ce qu'un mot ?

Étymologie : Du bas latin muttum (« grognement », « son ») dérivé de l’onomatopée mutmut

(« murmure », « son à peine distinct »).

« Dans le langage courant, un mot est une suite de sons ou de caractères graphiques formant une

unité sémantique (= qui signifie) et pouvant être distingués par un séparateur (blanc typographique à l'écrit, pause à l'oral). » (wikipedia)

la notion de mot soulève d'importants problèmes d'identification → selon qu'on parle de mot-

graphique (image), mot-sonore (son), mot-sémantique (unité de sens), mot-lexical (racine lexicale) ; selon les courants & les linguistes.

Kurt Schwitters, Poésie conséquente :

« ce n'est pas le mot qui, à l'origine, est le matériau de la poésie, mais la lettre. Le mot est :

1- composition de lettres. 2- son. 3- désignation (signification).4- vecteur d'associations d'idées. »

A- Ce qui le constitue (lettres, phonèmes)

- l'unité visuelle est le graphème, c'est à dire la lettre dans notre système d'écriture

(alphabétique) : elle est d'abord une unité graphique, une forme (ou un ensemble de formes déclinées) reconnaissable, qui, peut renvoyer à différents sons.

- L'unité sonore est le phonème, il peut être formé par plusieurs lettres, ou il peut y avoir plusieurs phonèmes dans une seule lettre. Je préfère le terme de phone : qui est la réalisation

concrète du phonème = il prend en compte les conditions générales d'émission du son, le contexte phonique (les accents, le parlé de chacun dans sa dimension humaine, le lieu, l'outil,...).

“ Georges Aperghis compare le phonème à un galet. Un galet roulé par la mer depuis les origines,

caressé et poli et rendu et lavé, [...] et qui est devenu un son dans notre bouche humaine, ce son spécial qui fait sens sans avoir de sens, et qui constitue ces mots eux aussi immémoriaux avec lesquels nous entendons parler, et parlons.

Il songe donc aux phonèmes, ces unités minimales de l'articulation du langage repérés par les linguistes, qui sont en nombre fini dans chaque langue, [...]

Le phonème est l'objet du désir d'Aperghis[...]

Les phonèmes, dit-il en effet, ont une musique à eux, ils n'ont pas besoin d'être « musicalisés ». [...] vous avez directement dans un phonème, dans votre bouche, donc, qui le prononce, dans votre oreille qui le perçoit, non seulement la richesse du son, mais aussi toute la structure incorporée des langues naturelles. “ Aperghis littéral, article de François Regnault

( lettrisme : «Art qui accepte la matière des lettres réduites et devenues simplement elles-mêmes.

» [ bilan lettriste, 1947 ])

B- Ce qu'il représente (signe)

Le mot est une unité d'expression du langage, nommé par Saussure « singe linguistique ». Le

signe linguistique se définit donc comme une entité psychique à deux faces : signifiant/ signifié, qui unit une image acoustique et un concept de manière indissociable.

a) SIGNIFIANT → Une dimension concrète, accessible à l’oreille. Cette « image acoustique n'est

pas le son matériel, chose purement physique, mais l'emprunte psychique de ce son, la

représentation que nous en donne le témoignage de nos sens; elle est sensorielle.

b) Signifié → Une dimension abstraite (concept) : c’est l’idée provoquée par la dimension concrète

(ce à quoi le signifiant renvoie)

Les deux dimensions sont associées l’une à l’autre sans aucune possibilité de séparation comme le

recto et le verso d’une feuille.

définition de Peirce : « Quelque chose qui tient lieu pour quelqu'un de quelque chose sous

quelque rapport ou à quelque titre. »

Pour Peirce, le signe peut être un objet d’expérience interne ou externe à l’esprit de l’interprète.

C'est donc l’esprit qui est producteur de signes, qui sont à nouveau interprétés. Il n'envisage donc pas la compréhension du signe sans prendre en compte la personne qui reçoit ce signe.

→ le travail d'écriture visuelle ou sonore joue avec ces 2 dimensions, cherche à séparer les 2 côtés

de cette même feuille : à arracher le sens au mot, ou le faire autre, l'obliger à plier ou se travestir,etc... & en même temps de faire (re)découvrir la partie visible du mot (forme des lettres etc) qui dans le processus de lecture habituel est mise de côté au profit du sens (ou du moins son

action est inconsciente)

« il y a deux dimensions dans le travail du parlé : d'un côté le langage sous son aspect

sémantique, qui est poétique ou narratif, & de l'autre côté, le langage comme son. Langage & son : je suis attirée par les langues que je ne comprends pas, j'aime la couleur des sons qui pris ensemble donnent une définition culturelle d'une langue. J'emploie parfois une de ces langues dans mes improvisations […] & évidement mes mots sont dénués de sens, puisque je prends à cette langue ses couleurs mais pas son discours. C'est plus facile pour moi d'utiliser des langues qui ne m'évoquent rien sémantiquement, je peux les entendre dans leur pure dimension musicale. […]

Quand je travaille les langues que je connais, c'est par contre la frontière entre la langue porteuse

d'information & la langue chanteuse (le son abstrait) qui m'intéresse. » [ Maja Ratkje. Revue & corrigée n°66.]

2/ qu'est-ce que l'écriture ?

« Écrire, une manière de palper, pétrir, modeler la substance interne. » Charles Juliet

Histoire de l'écriture :→ visuelle : ensemble de signes pour dessiner le monde (pictogrammes,

idéogrammes)→ sonore : fixer les sons du discours pour dessiner la parole (alphabets)

A/ dimension graphique

On ne peut séparer l'écriture de la graphie, c'est à dire de la manière d'inscrire le mot ou l'énoncé

dans une représentation écrite

Barthes : « graphisme » : mode d'inscription qui ne vise pas tant à transcrire la parole grâce à des

caractères lisibles qu'à rendre compte de l'énergie du corps par un outil prolongeant la main.

« Le choix de la forme d'écriture génère à la fois des propositions et des limites, c'est pourquoi il

est important pour moi de varier sans cesse les formes, c'est-à-dire d'écrire à la fois des romans, de la poésie, des essais, des textes courts… Plus que la narration, c'est la plastique de la phrase qui importe, son jeu, son articulation avec les autres phrases (…) un peu comme le jeu de la lumière selon les angles. Quelle que soit la forme, l'outil est le mot, de toutes façons » Régine Detambel.

On peut rapprocher du développement de Simon Morley-L'art les mots qui distingue 2 types

d'écriture :

- phénomène de communication discursif (lisibilité, relation à l'intellect, compréhension d'un

message)

→ décodage : par lecture du texte : mode conceptuel – codification, parcours déterminé (sens de lecture codifié : en occident de gauche à droite & de haut en bas) → commande cérébrale :

cerveau gauche, spécialisé dans le traitement de ce qui est rationnel, logique & discursif

- phénomène de communication immédiat (illisibilité, relation au corps, ressenti/perception

d'une émotion immédiate par le contact visuel)

→ décodage : par balayage visuel de l'image / forme : mode perceptif - interprétation ouverte, libre activité mentale & sensorielle ? bcp + intime, personnel → commande cérébrale : cerveau

droit qui gère les images & constituent le siège des aptitudes intuitives & non logiques

C'est à l'articulation de ces deux modes que nous nous intéressons, entre instinct & élaboration.

Ainsi les brouillons…

De tous les gestes de l’écriture, les ratures sont les plus spectaculaires,

étroitement liées.

Lis tes ratures, suggère Roland Barthes. Les manuscrits en sont remplis, même si certains écrivains corrigent mentalement avant d’écrire, ou réécrivent pour éviter d’avoir à corriger. Qu’elles accompagnent les bouleversements d’un texte ou les tâtonnements d’une phrase, elles nous rappellent que le repentir est indissociable de la création – mettant en cause ce qui est écrit pour approcher l’image idéale de ce qui doit l’être.

Elles créent une image, un rythme, une pulsation et une forme qui illustre à nouveau cette citation de Dominique Darsack Le mot tracé sur le papier, la note sur la partition, la couleur sur la toile, sont autant de fusées d’imaginaire dont la mission est d’aborder aux rives de l’inconnu et de l’innexprimable . Alliés, ils en repoussent plus loin les frontières, multiplient les particules du sens, agrandissent l’horizon, élargissent le

champ de la beauté. (réf exposition 2001 BnF ouvrage + visionnage DVD l’Aventure des écritures/ Brouillons d’écrivains)

B/ Dimensions psychique

« Le poème est essentiellement édification, rassemblement et / ou éclatement de soi... & du reste.

Un éclairage, une cicatrice, une faille ouverte sur… » [B. Heidsieck – notes convergentes p.64 ]

Régine Detambel in Petit éloge de la peau : "Écrire, c'est seulement le sentiment et la volonté de

sécréter, à force de matins, un squelette externe, comme ces crustacés imprégnés de chitine et caparaçonnés de plaques dorsales et ventrales.".

- L’écriture peut fonctionner comme un outil d’élaboration psychique doté d’une

épaisseur symbolique supplémentaire- cet extrait de Rainer Maria Rilke parle de cela dans une correspondance, à propos de ce qu’il appelle la poussée d’écriture :

Vous me demandez si vos vers sont bons (...). Votre regard est tourné vers le dehors; c’est cela

surtout que maintenant vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide (...). Il n’est qu’un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s’il pousse ses racines au plus profond de vous. Confessez-vous à vous-même : mourriez-vous s’il vous était défendu d’écrire ? Ceci surtout : demandez-vous, à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire ? ». Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse. Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi

grave question par un fort simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité. Votre vie, jusque dans son heure la plus indifférente, la plus vide, doit devenir signe et témoin d’une telle poussée.

- Mais l’écriture peut être aussi le lieu d’un enfermement imaginaire : l’activité

d'écriture, dans les situations pathologiques massives, psychotiques, échoue foncièrement à contenir les émotions et les sensations corporelles. Gutton parle des phrases qui «s’épuisent dans une condensation, une sursymbolisation » ; les mots «ont pour fonction de remplir, de saturer le texte, pour masquer le vide d’un temps intérieur inexistant, donnant l’impression au lecteur d’un univers irrespirable».

De l’irrespirable avec Antonin Artaud… Artaud, avec le Théâtre Alfred Jarry qu’il avait fondé , a défini une conception nouvelle de l’écriture dramatique qui servirait à manifester, en une sorte de projection matérielle, tout ce qu'il y a d'obscur dans l'esprit, d'enfoui, d'irrévélé. Menant de front

ses activités littéraires, cinématographiques et théâtrales, il avait assisté en 1931 à un spectacle sans parole, du Théâtre Balinais, présenté dans le cadre de l'Exposition coloniale. Il fit part alors à à Louis Jouvet de la forte impression ressentie : Artaud cherchait à créer chez le spectateur un état d'hallucination et de peur. « ... il évoqua la quasi inutilité de la parole qui n'est plus le véhicule

mais le point de suture de la pensée ». En 1938, paraitra le recueil de textes Le Théâtre et son double .

Avant la parole avec Allan S.Weiss Poésie de l’Ictus et Antonin Artaud

AsW Pour retrouver l'essence du théâtre,

suggère Valère Novarina, il faudrait, pour bien

faire, plonger

la scène dans l'obscurité. Une fois celle-ci advenue,

il conviendrait de se demander de quoi elle est

constituée, ce qu'elle recèle, suppose. Que se

passerait-il si nous plongions la scène de la parole

dans le noir complet ? Que découvrirait-on sur la

parole, une fois plongé dans le néant des mots et

l'opacité des signes ?

Puisque nous sommes des animaux parlants, nous

ne pouvons que partir de la langue. Nous nous

trouvons inévitablement au pied de la lettre.

Adresser la parole. Couper la parole. Tenir sa

parole. Perdre la parole. Prendre la parole. Bonnes

paroles. Homme de paroles. Infidèle à sa parole.

En parole. Sur parole. Donner la parole. Donner sa

parole. Recevoir la parole. Reprendre sa parole.

(…) Tant qu’elle n’est pas reçue, puis reprise par un

autre, la parole est synonyme de silence. Il s’agit,

en parlant, de revendiquer l’existence même.

Antonin Artaud ne s’y trompe pas lorsque, dans la

correspondance qu’il échange avec Jacques Rivière

en vue de l’éventuelle publication de ses écrits, il

s’interroge sur la « recevabilité absolue » de ses

poèmes, à savoir « leur existence littéraire » : « Je

suis un homme qui a beaucoup souffert de l’esprit,

et à ce titre j’ai le droit de parler. »1 La question,

dans la prise de parole, est bien de savoir si elle

est légitime ou non, mais il s’agit également de se

demander quel lieu et quel temps préexistent à son

énonciation, autrement dit d’où l’extirper : « Dans

une heure et demain peut-être j’aurais changé de

pensée, mais cette pensée présente existe, je ne

laisserai pas se perdre ma pensée. » Est-ce pour

cette raison qu’à la fin de sa vie (il a brutalement

décidé de mettre un terme à sa créativité littéraire

la veille de sa mort), Antonin Artaud s’est mis à

noircir des cahiers avec de simples « bâtons »,

estimant qu’il lui fallait réapprendre à écrire ?

Pour que la parole puisse se diffuser, autrement

dit, pour qu’elle puisse trouver une écoute

publique, elle doit se couler dans un certain

nombre de filtres, de critères, un cadre : une

langue, une police de caractères, un éditeur, des

médias… Nous sommes parlés plus que nous

parlons, soutient Lacan ; lorsque nous articulons

des mots, ou les écrivons, quelqu’un d’autre

semble écrire ou parler à notre place. Quelle parole

nous parle donc, qui, en nous parlant, nous

formate, nous pétrit dans sa glaise ? De la sorte,

nous parlons peut-être la langue de nos ancêtres,

mais non leur parole, qui ne leur appartenait pas

réellement. Nous continuons néanmoins à proférer

des sons, sans conscience véritable de ce que nous

véhiculons.(…)

Adorno, dès la fin du second conflit mondial, notait

déjà : « il n’y a plus d’idéologie mais seulement de

la publicité pour le monde sous forme de

redoublement et un mensonge qui ne cherche pas

à tromper mais impose le silence ». « Avant la

parole » désigne alors cet état de dénuement à

partir duquel l’écriture doit trouver son lieu.

(…)Volatile, anonyme et intime, la parole nous

échappe et, nous échappant, retisse des liens

essentiels avec quelque chose de primitif, de

primordial, déterre des racines enfouies, invoque et

invente ses sources mythiques. Au contraire du

langage – qui est une faculté – et de la langue qui,

constituant un système, s’inscrivent dans la durée,

la parole est éphémère, réduite au seul moment de

son énonciation, à laquelle succède, comme en

écho, un dépassement du temps, l’évocation de la

fiction de l’origine.

Dans Le Songe de Monomotapa, Pontalis revient également sur le lien qui unit dans les années 1920 le directeur de la NrF Jacques Rivière avec Antonin Artaud dont il attendait des poèmes parfaitement

cohérents et harmonieux (…), sans entendre Artaud déclarer d’emblée et répéter qu’il souffre d’une «effroyable maladie de l’esprit », d’un « effondrement central de l’âme » « Je m’étais donné à vous comme une véritable anomalie psychique et vous me répondez par un jugement littéraire » L’écart entre ces deux hommes est immense et c’est bien ce qui fait l’intérêt de cette étrange et brève correspondance : que pèsent nos nerfs, nos intermittences du cœur, les vacillements de notre identité, notre mal-être pas toujours inconfortable, face à un effondrement central de l’âme ?..

- L’écriture adolescente

Cette volonté d’incarnation et de projection

de soi, nous a fait nous arrêter chez

l’adolescent en écriture, prêter une attention

à ce temps de l’existence traversé par

chacun, intéressant aussi au regard de nos pratiques.

« On insiste souvent sur la créativité des adolescents. Au terme de plus de trente ans de pratique

auprès de jeunes venus me confier leurs doutes, leurs difficultés, mais aussi leurs rêves et leurs

désirs les plus fous, il me semble que ce travail de création est même au cœur de l’expérience

adolescente. Les adolescents sont comme des artistes : il leur faut inventer ce qu’ils sont, qui ils

sont.

L’écriture serait alors comme un rite de passage, selon la psychanalyste Thérèse Tremblais-Dupré

« l’expression directe de soi, centrée sur soi, pulsionnelle, écriture d’action essentiellement

projective qui interpelle l’autre pour se trouver soi-même. Dans ce va et vient, l’adolescent tente

de faire advenir une inscription qui l’individualise. Ecriture « chargée de corporéité (...)

A la différence de l’adolescent qui « tchatche », celui qui écrit adresserait moins une demande de

reconnaissance à l’autre qu’une demande de mise en cohérence psychique par et sous le regard de

l’autre. Le jeune prendrait la plume pour retrouver et élaborer, mais sans y laisser sa peau,

(…) dans ce cas l’adolescent qui s’engage véritablement dans l’écriture se laisserait

inconsciemment ramener vers les traces d’un accident psychique. Mais à la différence de la manière dont il y fut confronté lorsqu’il était nourrisson, ce serait pour tenter d’articuler créativement les traces destructrices : les traces vertigineuses d’une catastrophe psychique qui, telle une poche de grisou, gît explosivement et à grande profondeur dans son inconscient : la

perception presque mortelle par l’enfant qu’il fut de l’inanité de ses efforts pour soutenir et soigner la ou les personne(s) qui composèrent son environnement affectif.

Tremblais-Dupré insiste sur le caractère entier des écrits adolescents : les valeurs clés y

comportent volontiers une majuscule - par exemple l’Amour ou la Liberté - qui signe le retour d’émotions infantiles où le sujet portait sur lui-même un regard nimbé d’idéal.

Elle établit un parallèle entre la tenue d’un journal intime par un jeune et les rites de passage qui

ont lieu dans les sociétés traditionnelles, dont les étapes ont été décrites par l’anthropologue Mircéa Eliade (1970) : La mort à une vie antérieure. De même que le rite de passage traditionnel se déroule dans un terrain sacré dont sont exclus les adultes du sexe opposé, par exemple une cabane dans la forêt, le journal intime est « un lieu secret de séparation, jalousement gardé et pourtant désigné à un possible sacrilège » puisqu’il porte souvent les mentions « Confidentiel », « Interdiction de lire ce cahier » ou encore qu’il est scellé par un petit cadenas. Qui dit rite

initiatique dit secret, cryptage. De fait, quel que soit son destinataire, l’écriture adolescente n’est pas toujours décodable, sauf par des initiés. Le texte est parfois un langage secret partagé par quelques individus.

Comme l’écrivit Winnicott :« L’adolescent ne veut pas être compris ». in « L’immaturité de l’adolescent », Conversations ordinaires, Gallimard, 1988

S’appuyant sur divers travaux psychanalytiques, cet article examine d’abord quelques-uns des

rôles que l’activité d’écriture joue dans l’assimilation des conflits psychiques inhérents au processus d’adolescence : renforcer la cohérence psychique en organisant des mots sur une feuille, faire face à

l’irruption du désir sexuel, satisfaire un besoin d’introspection naissant (plus marqué chez les jeunes filles), mettre en place un véritable rite de passage et montrer que l’on possède un « jardin secret ». L’auteur développe ensuite des liens entre la passion d’écrire à l’adolescence et le désir de conforter l’inscription généalogique, notamment lorsque le jeune est confronté à la nécessité psychique de s’accommoder de l’influence transgénérationnelle de secrets familiaux

Au fond, l’écriture est utilisée comme un relais par lequel le jeune affirme et constate à ses propres

yeux qu’il a mûri et qu’il continue à grandir, « en attendant que les autres et sa propre activité lui renvoient de lui-même l’image d’un Je réellement devenu autre ». Au total, l’adolescent qui écrit « oppose au monde adulte un secret vide qui n’a de sens que l’affirmation d’une différence ou d’une identité autre».

Dans la transmission de la langue s’opère une tension généalogique. Comme l’explique le juriste et psychanalyste Pierre Legendre (1993), « avant d’être les enfants de nos

parents, nous sommes les enfants du texte », Dans d’autres cas, l’adolescent supprime

certains mots de son vocabulaire, parce qu’il a senti que ces mots provoquent des réactions

émotionnelles vives et incompréhensibles chez ses parents, en lien avec des expériences marquantes dont il n’ont jamais parlé à leurs enfants et qui constituent donc des secrets de famille.

Note : Certains écrivains devenus célèbres étaient des adolescents et, pour des raisons diverses,

n’ont écrit qu’à cet âge. Ce fut le cas d’Arthur Rimbaud - qui rédigea tous ses textes entre quinze et vingt ans -, de Raymond Radiguet - qui fit de même entre quatorze et vingt ans -, d’Anne Frank et de Lautréamont.

Et à l’âge de vingt ans Jean-Paul Sartre confia: « j’ai l’ambition de créer : il me faut construire,

construire n’importe quoi mais construire (...). Je ne peux pas voir une feuille de papier blanc sans avoir envie d’écrire quelque chose dessus ».

- La page blanche

Revenons au Secret de famille . L’écriture adolescente vise parfois à contrebalancer les effets

psychiques des zones d’ombre de la famille en recourant à la créativité. Ecrire en réaction aux effets psychiques douloureux du secret douloureux d’un autre constitue alors une activité vitale sur le plan psychique. Une influence transgénérationnelle aliénante donne au sujet l’impression qu’il est

prisonnier du destin. Dans ce contexte, écrire peut avoir pour but de tenir orgueilleusement tête au « C’est écrit » fatidique, auquel le jeune oppose le fait qu’en dépit des mauvaises fées qui se penchèrent sur son berceau, il peut prendre une part active dans l’écriture de sa vie.

Dans ce contexte, la feuille blanche est investie à la façon d’un territoire qu’il faut répétitivement

aménager pour - en référence à une expression du psychanalyste Lucien Mélèse (2000) - « aller de la hantise à l’habitable ».

« Expérience dérivative et créatrice de la solitude, volontaire ou contrainte servant essentiellement

à contenir les émotions et les tensions corporelles. tendue entre ce qui est pour soi et ce qui est pour autrui. une tentation autistique existe dans chaque activité d’écriture. Il y a la page blanche et il faut la couvrir, centimètre par centimètre, de la chair froide des mots. De cet absolu cadavérique, assassin et vulgaire. Enduire cette page de certitude et de sens. » Cyril Collard, 1993.

« Adieu à la page et sans façon. A la page confidente. A la page adversaire. Interlocutrice ou véhicule, adieu. La poésie s'en est extraite, enfin.(...) Matière redevenue potentiellement libre et

vive. Prêt, y aspirant, à se cogner, à se frotter, quitte à perdre plumes et sangs(...) ». Dans la lignée d'avant-gardistes comme Hugo Ball et Kurt Schwitters, il invente une poésie ou la dimension orale est aussi -voire plus-importante que l'écrit. (…) Il écrit des « biopsies » en prélevant dans le tissu social des morceaux de langue dénervées, formulaires administratifs, tracts et directives pour les agencer et les revivifier en formes de poèmes . Mais Heidsieck à la différence de Chopin conserve le mot comme matériau avec sa sémantique et ne part pas vers le bruitisme. Aparté sur

Heidsieck dans « Derviche/le Robert, livre CD 2003 chez Al Dante :

3/ écriture & champ sonore, écriture & champ visuel

A travers des exemples visuels & sonores, montrer une pluralité de possibles (dans les

différentes médiations & pour répondre à différentes problématiques)

« Chaque mot est une peinture abstraite. Une surface. Un volume. Surface sur la page. Volume dans la voix. »

Pierre Garnier 1962, Manifeste pour une poésie nouvelle, visuelle & phonique (p.217...)

A/ Ecriture & sonore « Traiter le texte & la musique non pas en superpositions, strates

redondantes ou concurrentes, & en tout cas saturées d'informations – comme dans l'opéra ou

l'oratorio traditionel, la voix se déroulant sur un tapis instrumental, l'un étant accompagné de l'autre – mais bien plutôt sur le mode de la succession, le son chassant le sens, le sens naissant du son, & inversement, le texte devenant musique quand il n'en peut plus d'être texte & la musique

devenant texte quand elle s'épuise d'être musique, penser texte & musique à la manière d'un

courant alternatif, ou de 2 fils croisés, chaîne contre trame, point contre point, comme 2 états

d'une même matière en fusion, le sens, l'opus. » [ Rebotier, le désordre des langages 2 ]

ECOUTES : extraits de 1 à 2 minutes commentés, en analysant les composantes,

constructions & traitements du langage & de l'émission vocale (entre texte & musique) + intérêt/idées que nous pouvons retenir pour nos pratiques

1/ Travail sémantique (phrases, mots, clairement compréhensibles) :

Ghérasim Luca - Auto-détermination (enregistrement 1987)

Annick Nozati – La peau des anges, in La peau des anges (1997)

Bernard Heidsieck – La poinçonneuse (2003)

Bernard Heidsieck – Poème-partition H1 (4e plan), in Partition V (1963)

Dinahbird – SuperEgo (sorti sur la revue sonore Vibrö n°1 été 2004)

Camille - Katie's tea album Music Hole (2008)

Björk – Oceania, in Medùlla (2004)

2/ Déconstruction du langage (phonèmes, lettres → souffle, appareil vocal) :

Luciano Berio - A-Ronne (1974)

Vincent Barras-Jacques Demierre - Gad gad vaso gadati, voicing through saussure (2002)

Georges Aperghis - récitations 1 & 11 (1978)

Isidore Isou – Valse ou Tango, Trois pièces joyeuses (1947)

Karlheinz Stockhausen - Stimmung (1968)

Annick Nozati – Une lumière qui ne dérange pas l'ombre, in La peau des anges (1997)

Maja Ratkje – Dictaphone Jam, in Voice (2002)

David Moss - "Vocal Village Project" (1997).

Pierre Henry + Pierre Schaeffer - Symphonie pour un homme seul (1949)

B/ Ecriture & visuel

« Le mot et l'image ne font qu'un, le peintre & le poète sont inséparables » Hugo Ball

VISIONNAGE : travaux visuels & plastiques (typographie, graphisme, installation,

matières, mises en pages – en formes, collage,...) commentés, en analysant leur construction & l'endroit où se rencontrent les deux systèmes perceptifs (le linguistique et l'iconique) + intérêt/idées que nous pouvons retenir pour nos pratiques

Mallarmé – Un coup de dé jamais n'abolira le hasard (extrait) 1914

Apollinaire - Calligrammes (entre calligraphie & idéogramme)

Raymond Queneau - Cent mille milliards de poèmes publié en 1961

Lucien Suel - poèmes express, (caviardage)

Eric Guen - poèmes de papiers collés

Pierre Garnier - pik bou (=pivert en picard) 1966 (spatialisme)

Raoul Hausmann – Poème-affiche, 1919

Susan Hiller - élan, 1982

Jackson Mac Low – happy birthday Anne, 1982

Giovanni Fontana – partiture (partition)

Kalle Hagman – typographie industrielle

backgroundA : construction manuelle et expérimentation typographique de 48 artistes, graphistes

et typographes d'Amérique du nord d'Europe et d'Asie.

Ömer Faruk Çiftci – ATAM

Ed Ruscha - so 1999

Lazlo Moholy-Nagy – disque jaune 1919-1920

Pablo Picasso – carafon & verre « au bon marché » 1913

Lisa Kokin – Snip Snip

Guylaine Couture – sur mon père (livre d'artiste)

Andrée-Anne Dupuis-Bourret – minis poèmes retaillés (livre d'artiste)

Serge Pey – bâtons

Shirin Neshat, dévoilement 1993

Timm Ulrichs – (architecture)

Dan Tobin Smith – K & E (installations)

4/ Le corps partie prenante

A/ Du corps dans la graphie Où est le corps de l’écrivain tandis qu’il écrit ? …

« L’écriture est d’abord affaire de mains et de corps avant d’être affaire de tête. » François Bon

Le pied

Régine Detambel, lors d’une conférence : Ecrire en mouvement / Un voyage au pays des écrivains

marcheurs… évoquait les "verbo-moteurs" « ces écrivains qui ont besoin de "marcher leur pensée". Car il y a un rapport sensoriel direct entre le pied des écrivains-marcheurs et cette foulée magique qui accouche de textes dynamiques, projetant en avant l’écriture.

Qu’est-ce qui meut le corps de l'auteur, de l'auteur marcheur (Nietzsche), de l'auteur malade

(Queneau, Bernhard), de l'auteur ivre ou drogué ? On n’écrit pas avec sa main, ni avec sa tête (Mallarmé, Guyotat)… Ainsi de son propre travail d’écriture, que Régine Detambel introduit de la sorte dans un article publié dans le Monde des Livres : "A la main ou à la machine ? Clavier ou papier ? Le matin ou le

soir ? Personne encore ne m'a demandé si je travaillais plutôt accroupie ou couchée sur le flanc, ou encore dressée sur le trépied formé de mes épaules et de ma nuque, tête en bas et mollets croisés, comme un yogi. Depuis l'expérience du pupitre scolaire, tous semblent convaincus qu'on ne peut penser et écrire qu'assis. On ne tient guère compte du corps de l'auteur, ramené à la posture de l'élève avachi. Pourtant Nietzsche et Giono étaient des marcheurs et non des attablés. Ils

entretenaient un foyer de mouvement dans la région des jambes. Pascal Quignard écrit dans son lit ; René Depestre se tient debout face à son lutrin ; quant à moi, je galope sur mon tapis de

course qui sent le caoutchouc brûlé. Je jogge comme un hamster sur cette piste noire qui tourne sous moi. L’écrivain ne va nulle part, certes. Mais il y court. Il vit sur l’aile. Dans l’écriture comme dans le footing, le moi brûlant est la matière."

La peau

Il est encore des sociétés où la peau humaine tient lieu de littérature. Elle est alors papier, qu’on

orne de signes, peau-parchemin. Et, sans doute, les livres que nous écrivons, et que perpétuent les bibliothèques, sont ce même discours à fleur de peau, même s’il semble détaché cette fois du corps de l’auteur.

« La peau est notre interface entre le dehors et le dedans. De tous les organes des sens, c’est le

plus vital. On peut vivre aveugle ou sourd, mais sans l’intégrité de la peau on ne survit pas. À l’intersection du moi et de l’autre, elle est un lieu d’échanges infinis avec le monde extérieur. (…) Masquée, tatouée, peinte, parfumée ou maquillée, elle porte inlassablement des messages et des codes à voir ou à toucher. Blanche, noire, métissée, nous avons tous la même peau : une sublime

enveloppe qui, à force, se ride et vieillit. Mais on tient à sa peau.

Depuis Caïn, qui porta au front une tache d’infamie, jusqu’à Antonin Artaud, brûlant et trouant le

papier pour lui faire rendre gorge ; depuis Gustave Flaubert, hanté par le personnage du lépreux, jusqu’à La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac ; depuis le supplice chinois du dépècement, minutieusement décrit par Octave Mirbeau, jusqu’aux écorchures de l’enfance chères au Nabokov de Lolita ; depuis les tatouages de Tanizaki jusqu’à l’expérience de la caresse infinie des femmes maories, que rapporte Segalen ; depuis les rides de la grand-mère de Marcel Proust jusqu’au célèbre paradoxe de Paul Valéry : "Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est sa peau" ; depuis le papier porte-voix du philosophe Derrida jusqu’aux poèmes de Bernard Noël ; depuis La

Princesse au petit pois d’Andersen jusqu’aux journaux de l’américaine Sylvia Plath en passant par

La Démangeaison de Lorette Nobécourt, tous les écrivains sont des écorchés vifs, qui rapportent inlassablement que l’aventure humaine est affaire d’épiderme » RD.

Le geste

En calligraphie,

Le silence, l'interstice, l'entre, l'« avant la parole » : « que découvrirait-on sur la parole, une fois plongée dans le néant des mots & l'opacité des signes ? » (revue Action Restreinte p.2)

La calligraphie est l'art du vide. Les blancs, les espaces vierges ne sont pas oubliés : ils sont

épargnés par le peintre. Ce jeu de noir et blanc initie un dialogue entre perception et projection, entre attente et action. Dans l'exécution d'une calligraphie, on ne doit pas utiliser seulement les

doigts pour manoeuvrer le pinceau mais profiter plutôt d'une impulsion

qui provient de tout le corps.

Poésie-peinture R.Detambel « Je me sens bien soudain dans mon geste d'écriture parce

que j'en ai pris conscience, de cette gestuelle, en regardant les peintres travailler, en lisant leurs écrits. Auparavant, je ne savais pas combien l'écriture pouvait compter de spatial et de perspectif. Ma poésie se transforme. Je parle de plastique d'une phrase. Je vois émerger mon dessin».

B/ du corps dans le son

Le corps de l'écrivant-disant, le corps du specta(c)teur → un corps à corps entre les deux

Lageira [Du Mot à l'image & du son au mot] :« engager directement le corps poétique : le corps lisant, parlant, mouvant est devenu le topos (lieu) autant que le logos (parole) : émanation du

corps qui prend forme non plus dans la page, la toile ou le mur mais dans le corps lui-même, s'incarne. Rassemble le dire & le faire dans un même espace & dans un même temps. Dans la performance spécifiquement, entre l'écriture & la voix, le corps intervient comme véritable image ou icône, comme véritable médium intermedia où sont réellement indissociables le verbal & le visuel. Le corps lui-même devient lieu du matériau, peut-être matériau lui-même.

Rebotier [ lecture Le désordre des langages 2 « ce qui parle, c'est le corps (social) » ]

n°1 : « … & puis, marchant dans les rues, la pensée à ça : tout ce qui fait que la langue est dans

une bouche, & la bouche dans un corps, & que c'est justement cela qui produit les accélérations, les répétitions, les accents, les blancs, les lapsus, les phrases aux verbes qui s'annoncent & qui n'arrivent jamais, les phrases aux compléments aphasiques, les phatiques interstices, les phrases-

boucles, les phrases-spirales, les phrases qui ont perdu leur fil mais c'est pas grave parce qu'elles

en trouvent un autre, les phrases qui s'arrêtent net sur un mur de silence, les phrases qui comment oui tournent tournent en dans les en rond enfin dans leurs propres ronds, les ce qu'on s'était juré de dire & qui ne peut pas sortir, les qui partent tout seuls quand on voudrait les retenir, bref le désordre, le désordre régulateur, le constant auto-ordonnancement organique du désordre, le vrai ordre qui ne saurait advenir qu'à travers votre corps votre bouche votre langue : c'est cela. »

n°10 : « … mâchoires en phase : bave, salive, lave en confusion qui nous sauve & nous lave, océan

des îlots-mots, mer intérieure aux dents-récifs, végétations, phasmes rétifs, vagues phrases, bave, salive et cætera. »

Pour le corps de l'écrivant (l'émetteur), cette incarnation directe de l'écriture va entrainer aller-retours entre les 2 : le fait de dire une écriture, de trouver les chemins dans le corps va faire naître

de nouveaux sons, pas prévus dans l'écrit qui vont être transposés en écriture/ de nouvelles

attitudes corporelles pour mener à bien cette vocalisation (va donc le transformer) en oralisant la poésie, on donne à voir autant qu'à écouter l'être en action, son corps, son souffle, son regard. C'est cet engagement, cette manière qu'il a de nous donner son texte qui nous parle : il

« communique » tout autant par la gestuelle, l'humeur, l'énergie qu'il dégage. Bernard Heidsieck] (La poésie) avait besoin de reprendre le contact avec le public, contact qui était à mon avis complètement interrompu. »[

« l'image que donne la machine phonatoire du corps lisant n'est pas seulement d'ordre sonore &

matériel, c'est aussi une image symbolique, une projection de nous-même dans le corps & dans le langage de l'autre. Son langage & son corps propres sont représentatifs de tout corps & de tout langage. » J. Lageira

En conclusion à deux voix: B.Heidsieck : « que le poème soit, ici, maintenant, moyen, non

d'évasion, mais d'adaptation, d'acclimatation au monde environnant. Qu'il ne soit pas le plus subtil des biais miraculeusement trouvé pour s'en retrancher, ou le meilleur des prétextes pour une auto-

complaisance fourre-tout […] Il est fait pour désiller. Mais oui. N'est-ce pas? Non pour servir de

refuge ou d'excuse. Et comme ceci est un acte de foi (n'est-ce que cela ?) absolument, croire alors en ses vertus d'acidité – absolument :pour que s'alimentent ou se résolvent nos fantasmes – selon, selon – intérieurs ou collectifs – selon, selon ; s'élucident nos névroses (individuelles ou sociales) ; pour que nous nous adaptions un tant soit peu – minimum minimorum – dans notre peau enfin – sociale (yes my dear) & physique (miam).. !

Isabelle Ferré & Delphine Berthod INECAT 16/03/10 Écriture corps sonore corps graphique