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Qui était Jean Cavaillès ? La mémoire collective n’est pas un fait spontané. Elle oublie ou occulte bien plus volontiers qu’elle ne garde le souvenir de ceux qui, par le passé, ont contribué par leurs mérites à façonner notre présent. Qui se souvient de Jean Cavaillès ? En France quelques cercles intellectuels de philosophes, d’historiens et de théoriciens des mathématiques. Le «grand public» ignore très souvent son nom. Jean Cavaillès, professeur à Amiens, puis à l’université de Strasbourg, qui se replia à Clermont-Ferrand au début de la guerre, fut nommé à la Sorbonne en même temps qu’il devenait chef de réseau clandestin (réseau « Cohors » de renseignements et de sabotage militaires, dont l’efficacité était appréciée des services londoniens). Il enseignait que le processus de la connaissance mathématique ne prenait pas naissance dans l’addition d’inventions venues de nulle part, mais dans l’exacerbation des concepts disponibles ; de la même manière la défense de la justice ne pouvait être une profession de foi, mais une responsabilité déterminée à combattre la cruauté des assassins. Son courage inouï, sa détermination exemplaire dans la résistance à l’occupation nazie et à l’injustice aveugle mise en œuvre sous elle par le gouvernement français, le conduisirent comme militant clandestin et chef de réseau, à comprendre la situation précise, et à y répondre par une action rigoureuse, jusqu’à son exécution par les nazis à Arras le 17 février 1944. Combien d’Amiénois savent qu’il a enseigné au Lycée de garçons de leur ville de 1936 à 1938 ? C’est dans ces circonstances qu’il noua amitié avec une collègue enseignant l’histoire et la géographie au Lycée de jeunes filles, la future Lucie Aubrac, dont le parcours militant et combattant n’allait cesser de croiser le sien. Voyageant souvent de concert dans la micheline qui les transporte entre Amiens et Paris, ils confrontent quelquefois leurs appréciations de la situation politique. Elle affirme des positions pacifistes. Lui, qui a séjourné en Allemagne pour travailler à sa thèse, qui a assisté à un discours d’Hitler à Munich et lu Mein Kampf, voit la nature des mouvements nationalistes qui ont investi le pouvoir d’Etat allemand depuis 1933 . Il mesure l’ampleur de la menace que le régime nazi représente pour la paix en Europe, et au-delà, la corruption des rapports sociaux et la destruction de l’héritage humaniste. 9h30 Accueil des participants par Gilles Demailly, Maire d’Amiens, Président d’Amiens Métropole. Allocution de Jean-Louis Mucchielli, Recteur de l’Académie d’Amiens, Chancelier des Universités. Présentation de la journée, par Alain Letrun et Jacques Message. Bertrand Saint Sernin, Pourquoi commémorer Jean Cavaillès ? Elisabeth Schwartz, Cavaillès, penseur de l’histoire des mathématiques Jacques Lautman, De la nécessité dans la philosophie mathématique à la nécessité d'être guerriers pour la liberté : les parcours parallèles de deux disciples de Léon Brunschvicg, Jean Cavaillès et Albert Lautman Hourya Benis Sinaceur, Existence, Histoire, Nécessité 14h00 Pierre-Yves Canu, Souvenirs de Jean Cavaillès et du combat résistant au sein du réseau « Cohors » Raymond Aubrac, L’engagement de Jean Cavaillès dans la Résistance et les enjeux stratégiques du combat résistant Jean-Pierre Azéma, Les enjeux de l’engagement de Cavaillès Frédéric Worms, « Il a donné ainsi sa morale, sans avoir à la rédiger ». Discussion et table ronde 17h00 Allocutions officielles, dévoilement d’une plaque commémorative devant la salle Jean Cavaillès et devant la salle Lucie Aubrac. « Cavaillès n’a pas dans les connaissances des français d’aujourd’hui la place qu’il mérite. » Stéphane Hessel septembre 2010 Bibliographie sommaire OUVRAGES DE JEAN CAVAILLÈS - Jean Cavaillès, Œuvres complètes de philosophie des sciences, présentation par Bruno Huisman, Paris, Hermann, 1994, avec des préfaces de Henri Cartan et Raymond Aron, des introductions de Jean-Toussaint Desanti et Roger Martin, un In memoriam de Georges Canguilhem - Jean Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la science, (préface de Gaston Bachelard, postface de Jan Šébestik), Vrin, 1997 BIOGRAPHIE, HOMMAGES, ETUDES - Hourya Sinaceur, Jean Cavaillès, Philosophie mathématique, Paris, PUF, 1994 - Gabrielle Ferrières, Jean Cavaillès, un philosophe dans la guerre, Le Félin, 2003 - Georges Canguilhem, Vie et mort de Jean Cavaillès, Paris, Allia, 2004 - Alya Aglan et Jean-Pierre Azéma (dir.), Jean Cavaillès Résistant ou la pensée en actes, Paris, Flammarion, 2002 - Pierre Cassou-Noguès, De l’expérience mathématique. Essai sur la philosophie des sciences de Jean Cavaillès, Paris, Vrin, 2001 - Frédéric Worms, La philosophie française au XX ème siècle, Folio, 2009 Hommage amiénois Jean Cavaillès Raymond Aubrac, ingénieur des Ponts et Chaussées (promotion 1937) a participé à la création du mouvement de Résistance “Libération” avec son épouse Lucie, Jean Cavaillès, Emmanuel d’Astier, puis a été intégré à l’Etat-major de l’Armée Secrète en 1943. Il est titulaire de la Grand Croix de la légion d’Honneur. Jean-Pierre Azéma, historien de la Résistance, Professeur émérite à la Sorbonne. Pierre-Yves Canu, élève de Jean Cavaillès au lycée d’Amiens (3 ème B), puis, dans la Résistance, membre du réseau « Cohors ». François Delaporte, philosophe, Professeur à l’université de Picardie Jules Verne à Amiens. Jacques Lautman, Professeur émérite à l'université de Provence, ancien directeur du département Sciences humaines et sociales du CNRS. Bertrand Saint Sernin, philosophe, Professeur émérite, Recteur honoraire, Membre de l’Institut (Académie des Sciences morales et politiques). Elisabeth Schwartz, philosophe, Professeur à l’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Hourya Benis Sinaceur, philosophe, Directrice de recherches honoraire au C.N.R.S. Frédéric Worms, philosophe, Professeur à l’université de Lille III. Invités : Mercredi 20 octobre Cloître Dewailly, rue Frédéric Petit, Amiens Programme Hommage amiénois Jean Cavaillès Hommage amiénois Jean Cavaillès mercredi 20 octobre de 9h30 à 18h Table ronde et inauguration de la salle Jean Cavaillès Conception : Service communication - Amiens Métropole - Octobre 2010 Jean Moulin Lucie Aubrac Albert Lautman amiens mémoire Octobre 2010 / numéro spécial Aucun signe ne rappelait aux Amiénois le souvenir de cette figure lumineuse et de son activité dans leur ville. La Ville d’Amiens a souhaité que la mémoire de Jean Cavaillès se signale sur les lieux mêmes où il enseigna, à l’entrée d’une salle dévolue aux débats entre citoyens, nous rappelant que les exigences de la pensée et celles de l’action ne sont pas séparables. Une autre salle portera le nom de Lucie Aubrac, si proche, dans ses convictions et son action, de Jean Cavaillès. Dans ce contexte, une journée d’hommage et d’étude sera consacrée, en l’espace Dewailly, mercredi 20 octobre 2010, à partir de 9h30, à la figure exceptionnelle de Jean Cavaillès. Tous les Amiénois sont invités à s’y joindre, à découvrir qui fut cet homme et quelle est son œuvre, en venant écouter des témoins et des spécialistes de premier plan et échanger avec eux. Alain Letrun et Jacques Message

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Qui était Jean Cavaillès ?La mémoire collective n’est pas un fait spontané. Elle

oublie ou occulte bien plus volontiers qu’elle ne garde lesouvenir de ceux qui, par le passé, ont contribué par leursmérites à façonner notre présent.

Qui se souvient de Jean Cavaillès ?En France quelques cercles intellectuels de philosophes,

d’historiens et de théoriciens des mathématiques.Le «grand public» ignore très souvent son nom.

Jean Cavaillès, professeur à Amiens, puis à l’universitéde Strasbourg, qui se replia à Clermont-Ferrand au débutde la guerre, fut nommé à la Sorbonne en même temps qu’ildevenait chef de réseau clandestin (réseau « Cohors » derenseignements et de sabotage militaires, dont l’efficacitéétait appréciée des services londoniens). Il enseignait quele processus de la connaissance mathématique ne prenaitpas naissance dans l’addition d’inventions venues de nullepart, mais dans l’exacerbation des concepts disponibles ; dela même manière la défense de la justice ne pouvait être uneprofession de foi, mais une responsabilité déterminée àcombattre la cruauté des assassins. Son courage inouï, sadétermination exemplaire dans la résistance à l’occupationnazie et à l’injustice aveugle mise en œuvre sous elle par legouvernement français, le conduisirent comme militantclandestin et chef de réseau, à comprendre la situationprécise, et à y répondre par une action rigoureuse, jusqu’àson exécution par les nazis à Arras le 17 février 1944. Combien d’Amiénois savent qu’il a enseigné au Lycée de

garçons de leur ville de 1936 à 1938 ? C’est dans cescirconstances qu’il noua amitié avec une collègueenseignant l’histoire et la géographie au Lycée de jeunesfilles, la future Lucie Aubrac, dont le parcours militant etcombattant n’allait cesser de croiser le sien. Voyageantsouvent de concert dans la micheline qui les transporteentre Amiens et Paris, ils confrontent quelquefois leursappréciations de la situation politique. Elle affirme despositions pacifistes. Lui, qui a séjourné en Allemagne pourtravailler à sa thèse, qui a assisté à un discours d’Hitler àMunich et lu Mein Kampf, voit la nature des mouvementsnationalistes qui ont investi le pouvoir d’Etat allemanddepuis 1933 . Il mesure l’ampleur de la menace que lerégime nazi représente pour la paix en Europe, et au-delà,la corruption des rapports sociaux et la destruction del’héritage humaniste.

9h30Accueil des participants par Gilles Demailly, Maire d’Amiens,Président d’Amiens Métropole.Allocution de Jean-Louis Mucchielli,Recteur de l’Académie d’Amiens,Chancelier des Universités.Présentation de la journée, par Alain Letrun et Jacques Message.

Bertrand Saint Sernin, Pourquoi commémorer Jean Cavaillès ?Elisabeth Schwartz, Cavaillès, penseur de l’histoire desmathématiquesJacques Lautman, De la nécessité dans la philosophiemathématique à la nécessité d'êtreguerriers pour la liberté : les parcours parallèles de deux disciples de LéonBrunschvicg, Jean Cavaillès et AlbertLautmanHourya Benis Sinaceur, Existence, Histoire, Nécessité

14h00Pierre-Yves Canu, Souvenirs de Jean Cavaillès et du combatrésistant au sein du réseau « Cohors »Raymond Aubrac, L’engagement de Jean Cavaillès dans laRésistance et les enjeux stratégiques ducombat résistantJean-Pierre Azéma, Les enjeux de l’engagement de CavaillèsFrédéric Worms, « Il a donné ainsi sa morale, sans avoir à la rédiger ».

Discussion et table ronde

17h00Allocutions officielles, dévoilement d’une plaque commémorative devant la salle Jean Cavaillès et devant la salleLucie Aubrac.

« Cavaillès n’a pas dans les connaissances desfrançais d’aujourd’hui la place qu’il mérite. »

Stéphane Hessel septembre 2010

Bibliographiesommaire OUVRAGES DE JEAN CAVAILLÈS- Jean Cavaillès, Œuvres complètes de philosophie des sciences, présentation par Bruno Huisman, Paris, Hermann, 1994, avecdes préfaces de Henri Cartan et Raymond Aron, des introductions de Jean-Toussaint Desanti et Roger Martin, un In memoriam deGeorges Canguilhem

- Jean Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la science, (préface de Gaston Bachelard,postface de Jan Šébestik), Vrin, 1997

BIOGRAPHIE, HOMMAGES, ETUDES- Hourya Sinaceur, Jean Cavaillès, Philosophie mathématique, Paris, PUF, 1994

- Gabrielle Ferrières, Jean Cavaillès, un philosophe dans la guerre, Le Félin, 2003

- Georges Canguilhem, Vie et mort de Jean Cavaillès, Paris, Allia, 2004

- Alya Aglan et Jean-Pierre Azéma (dir.), Jean Cavaillès Résistant ou la pensée en actes, Paris, Flammarion, 2002

- Pierre Cassou-Noguès, De l’expérience mathématique. Essai sur la philosophie des sciences de Jean Cavaillès, Paris, Vrin, 2001

- Frédéric Worms, La philosophie française au XXème siècle, Folio, 2009

Hommage amiénois Jean Cavaillès

Raymond Aubrac, ingénieur des Ponts et Chaussées(promotion 1937) a participé à lacréation du mouvement deRésistance “Libération” avec sonépouse Lucie, Jean Cavaillès,Emmanuel d’Astier, puis a étéintégré à l’Etat-major de l’ArméeSecrète en 1943. Il est titulaire de laGrand Croix de la légion d’Honneur.

Jean-Pierre Azéma, historien de laRésistance, Professeur émérite à laSorbonne.

Pierre-Yves Canu, élève de JeanCavaillès au lycée d’Amiens (3ème B),puis, dans la Résistance, membredu réseau « Cohors ».

François Delaporte, philosophe,Professeur à l’université de PicardieJules Verne à Amiens.

Jacques Lautman, Professeurémérite à l'université de Provence,ancien directeur du départementSciences humaines et sociales duCNRS.

Bertrand Saint Sernin, philosophe,Professeur émérite, Recteurhonoraire, Membre de l’Institut(Académie des Sciences morales etpolitiques).

Elisabeth Schwartz, philosophe,Professeur à l’université BlaisePascal de Clermont-Ferrand.

Hourya Benis Sinaceur, philosophe,Directrice de recherches honoraire au C.N.R.S.

Frédéric Worms, philosophe,Professeur à l’université de Lille III.

Invités :

Mercredi 20 octobreCloître Dewailly,rue Frédéric Petit, Amiens

Programme

Hommage amiénois

Jean Cavaillès

Hommage amiénois Jean Cavaillèsmercredi 20 octobrede 9h30 à 18hTable ronde et inauguration de la salle Jean Cavaillès

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Jean MoulinLucie Aubrac

Albert Lautman

amiensmémoireOctobre 2010 / numéro spécial

Aucun signe ne rappelait aux Amiénois le souvenir decette figure lumineuse et de son activité dans leur ville. LaVille d’Amiens a souhaité que la mémoire de Jean Cavaillèsse signale sur les lieux mêmes où il enseigna, à l’entréed’une salle dévolue aux débats entre citoyens, nousrappelant que les exigences de la pensée et celles del’action ne sont pas séparables. Une autre salle portera lenom de Lucie Aubrac, si proche, dans ses convictions et sonaction, de Jean Cavaillès.Dans ce contexte, une journée d’hommage et d’étude

sera consacrée, en l’espace Dewailly, mercredi 20 octobre2010, à partir de 9h30, à la figure exceptionnelle de JeanCavaillès. Tous les Amiénois sont invités à s’y joindre, àdécouvrir qui fut cet homme et quelle est son œuvre, envenant écouter des témoins et des spécialistes de premierplan et échanger avec eux.Alain Letrun et Jacques Message

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Jean Cavaillès mort est devenu le symbolede l’Université résistante et, peut-être même unpeu plus. Cela ne s’est pas fait de soi, selon unenécessité tout entière noble. Certes, son imageprésentait toutes les qualités pour cettetransfiguration. De Gaulle en dira : « philosopheque sa nature eût porté à la prudence, mais quesa haine de l’oppression poussait au plus fort del’audace ». Pourquoi sa nature aurait elle dû leporter à la prudence ? Parce que, pour leGénéral, l’image du philosophe est Aristote.Pourtant Cavaillès aimait citer l’exemple deDescartes tirant l’épée et, plus significatifencore, celui de Spinoza écrivant publiquement« Ultimi barbarorum » après l’assassinat desfrères de Witt. Mais c’est ainsi, les philosophesdoivent être méditatifs et prudents et, quand ilsne le sont pas, ils étonnent. Cela dit, le texte deDe Gaulle n’est venu qu’après la cristallisationde l’image de Cavaillès lors de la cérémonie àl’université de Strasbourg pour sa réouverturefrançaise, avec le très beau texte de Canguilhem,qui, avec fidélité, sera amené à en produireplusieurs variantes.

Bien sûr, il y a des éléments d’explicationbiographiques familiaux et personnels, maischez quelqu’un d’aussi maître de soi, d’aussihostile au psychologisme et qui, de plus,philosophiquement, refuse de s’appuyer sur leCogito, il faut chercher plus avant. Spinoza estcelui qui dit : « la volonté et l’entendement sontune seule et même chose », et qui pense laliberté comme réalisation ou épanouissement desoi. L’effort et la joie valent plus, moralement,que la résignation et la tristesse, parce que la joieest un plus d’être.

« En mathématiques, il y a conscience duprogrès ; il n’ y a pas progrès de la conscience »,dit Cavaillès pendant sa soutenance de thèse, en1938, devant Brunschvicg, auteur d’un livre intitulé :Le progrès de la conscience... Et, en contrepoint,cette boutade qu’il aimait aussi : « La géométrien’a jamais sauvé personne ». Bref, le progrès dela connaissance ne détermine ou n’entraîne, desoi, aucun progrès moral. L’optimisme du progrèsauquel les néokantiens, dont Brunschvicg, étaientattachés, n’est pas fondé, parce que la science estun ordre en soi. […] La même année 1938,soutenant sa thèse Introduction à la philosophiede l’histoire, devant le même Brunschvicg,Raymond Aron, pour d’autres raisons, attaqueégalement l’idée d’un progrès de la conscience «lorsque les orages de la barbarie sont déjàmenaçants, prêts à éclater ». Et d’Aron, Cavaillèsretient que la science qui, intrinsèquement,comporte une nécessité de progrès, est inséréedans une histoire humaine qui n’en comporte paset qui est frappée de contingence.

1903, Naissance à Saint-Maixent1919-1920, Baccalauréats de philo et de sciences1923, Entrée à l’E.N.S.Etudes de philosophie et de mathématiques1927, Agrégation de philosophie1927-1928, Service militaire, dont il sort avec le grade de sous-lieutenant d’Infanterie.1928-1936, Secrétaire du Centre de DocumentationSociale créé d’abord rue d’Ulm par le banquier AlbertKahn. C’est « une sorte de séminaire ou de laboratoire,où des philosophes et des historiens viennent apprendreà recueillir, classer, interpréter les faits contemporainsde l’ordre social et économique. » (Gustave Lanson). En1929 le fonds documentaire s’enrichit de 4 000 livres et90 revues, recevant les publications du Bureauinternational du travail ou de la Société des Nations.Cavaillès noue à ce moment, avec les syndicalistes, descontacts qui seront déterminants dans la Résistance.début 1929. Assiste aux Conférences de Husserl à Paris,puis aux secondes rencontres de Davos (Cassirer,Heidegger, le rapport de la philosophie et de la science).1930-1931, Séjour d’étude en Allemagne, rencontreprès de Fribourg avec Husserl, échanges avec desmathématiciens, enquête sur les mouvements dejeunesse (bourse d’études de la Fondation Rockfeller),analyse de l’évolution politique de l’église luthérienne.1934, 2-7 septembre. Au Congrès international dephilosophie de Prague ; conversations avec Bénès,naissance d’une amitié avec Gaston Bachelard. 1935, Début des échanges avec les mathématiciens dugroupe BOURBAKI.1936, Nomination au lycée d’Amiens. 1938, 22 janvier. Soutenances de ses Thèses, Méthodeaxiomatique et formalisme et Remarques sur la théoriede la formation abstraite des ensembles, sous ladirection de Brunschvicg. Chargé de cours, puis Maîtrede conférences à la Faculté de Strasbourg.1939, 3 septembre. Mobilisation.1940, Juin. Fait prisonnier. Juillet, évasion. Août, rejointClermont-Ferrand où sa Faculté est repliée.1941, Janvier. Formation avec Lucie Aubrac, Emmanueld’Astier de la Vigerie et Samuel Spanien (avocat de Léon Blum) de "Libération Sud".- mars, Nomination à la Sorbonne ; GeorgesCanguilhem le remplace dans ses fonctionsuniversitaires et politiques. Devient membre du Comitédirecteur de “Libération Nord”.1942, Avril. Création du réseau « Cohors » derenseignements et de sabotage militaire- septembre. Arrestation près de Narbonne - détention, évasion manquée, non-lieu- 29 décembre. Evasion, révocation, clandestinité1943, Février. Londres, rencontre de de Gaulle.Echanges avec Simone Weil.- avril. Paris, séparation de « Cohors »- 28 août. Arrestation par l’Abwerh ; détention à Fresnes1944, 19 janvier. Camp de Compiègne. Beaucoup,jusqu’à de Gaulle, le croiront alors déporté versl’Allemagne- 11 février. Condamnation à mort par le tribunalmilitaire allemand d’Arras.- 17 février. Jean Cavaillès est fusillé à Arras. 1946, Son corps est exhumé pour être inhumé dans laCrypte de la Sorbonne.1947, Parution de Sur la logique et la théorie de laScience, avec une Préface de Gaston Bachelard.

41 annéesd’une trajectoirehors du commun

Enfant, j’ai connu Cavaillès et j’ai le souvenirprécis d’une journée avec lui lors de la dernièrerencontre qu’il eut avec mon père en mai 1943.Sans doute mes parents m’avaient-ils, sans levouloir, préparé à cette visite, qui leur était une joie,rare à l’époque. Une chose est sûre : cet hommequi vivait entre l’abstraction exigeante d’un “Traitéde logique” et les opérations de guerre clandestineles plus dangereuses, savait avoir, en l’occurrenceavec un enfant, la conversation qui hissel’interlocuteur plus haut qu’il ne pourrait aller toutseul. C’est une qualité que, de par l’expérience dequelques rencontres dans ma vie, je crois propreaux grands esprits.

Jacques Lautman (textes de 2004)

Soixante-six ans après l’exécution de Jean Cavaillès parla puissance nazie dans les fossés de la citadelle d’Arras, le tempsa fait son œuvre. Pourquoi revenir sur le souvenir d’une périodeet d’événements, certes terribles, mais qui sont maintenant àdistance et même devenus lointains ? Commémorer, n’est-ce pastourner le regard vers une époque révolue, alors que tant notre présent immédiatque la préparation de l’avenir requièrent à tout moment l’engagement résolu denotre intelligence et de notre volonté ?

Sans doute tout geste de célébration d’un disparu peut-il présenter lecaractère d’un rituel quelque peu dérisoire, mais, en son absence, comment lesacrifice de ceux que la clandestinité condamnait à l’anonymat et que la mort afrappé sans considération de leur personne échapperaient-ils à l’anéantissementdont seul les préserve la fidélité de notre souvenir ? Ainsi en alla t-il de « l’inconnun°5 » de la fosse commune de la citadelle d’Arras ; Une dette nous relie à ceux quiont considéré que l’amour de la liberté pour lequel ils encourraient le risquesuprême pouvait être préférée à leur présence parmi nous.

Pourquoi commémorer ?

Les facteurs qui peuvent conduire unepersonne à la décision de risquer sa vie dansun combat politique sont nombreux : histoire

singulière et éducation, convictions, caractère …Quand il s’agit d’un philosophe dont on peutsupposer qu’il tentait d’accorder sa vie à sesidées, la question de savoir ce que l’action duRésistant doit à ses positions théoriques ne peutêtre évitée. Le choix, fait par Cavaillès, dedélaisser son travail de recherche et de s’engagerdans une forme de lutte qui comportait le risquesuprême s’est-il imposé à lui comme laconséquence nécessaire de sa pensée ?

Des déclarations répétées de Cavaillès lui-même le donnent à croire. Ainsi ce qu’il livre àRaymond Aron lors de l’une de leursconversations à Londres « Je suis spinoziste, jecrois que nous saisissons partout du nécessaire (…)nécessaire aussi cette lutte que nous menons. »Faut-il alors rapporter à ce spinozisme lasignification de la réponse donnée par Cavaillès àceux qui l’interrogeaient sur les raisons de sonaction : “C’est logique ” ?« Cavaillès a été Résistant par logique », la luttecontre l’inacceptable était pour lui inéluctable,telle est la réponse affirmative posée avec uneforte conviction par Georges Canguilhem, lors de

diverses allocutions d’hommage prononcées ensouvenir de son ami. Pourtant, rigueur logique etrigueur morale vont-elles aussi simplement depair ? Si nous admirons le héros, n’est-ce pasparce que nous savons qu’il lui aurait été plusfacile de faire un autre choix ?

Comprendre l’itinéraire du philosophe-résistant Jean Cavaillès amène à reprendrel’examen d’une question toujours discutée, cellede la compatibilité entre les idées de nécessité etde liberté, et aussi celle des relations entrenécessité logique et nécessité morale.

C’est ce qu’entreprend André Comte-Sponville dans un article du N° 16 de la revueLa liberté de l’esprit intitulé “Jean Cavaillèsou l’héroïsme de la raison”. Il y installe unquestionnement stimulant :« Le vrai permet-il dejuger ? La raison justifie t-elle d’agir ? », mais saréponse : « (Quand on est spinoziste, on ne meurtpas pour la vérité mais pour l’homme en tant qu’ilest capable de vérité, c’est-à-dire en tant qu’il estlibre) » n’ impose t-elle pas une torsion à sonspinozisme revendiqué ?

Jacques Bouveresse prend le parti delier liberté et nécessité : « Cavaillès logicien ethomme a donné l’exemple par excellence de ceque peut être l’exercice de la volonté libre », et etde concilier causes d’ordre biographiques et partrelevant des orientations philosophiques, dans lacompréhension de l’engagement combattant deCavaillès : « …chez un homme comme Cavaillès,il ne peut être question d’essayer de dissocier laprofondeur de ce qu’il avait compris en tant quephilosophe, et la grandeur de ce qu’il a fait, entant que combattant. » A. L.

Le résistantémule duphilosophe ?

Cavaillès au regard de ceux qui l’ont fréquenté ou étudiéCavaillès déclare « que s’il devait prêterserment, il démissionnerait ».

Jean Grenier ; printemps 1942

« il avait gardé l’empreinte de la religion :l’exigence à l’égard de lui-même, une probitésans ombre, et, par-dessus tout, le sens et lebesoin de valeurs inconditionnées. Ni la véritéscientifique ni l’action militaire ne comblaientcette âme fière. »

Raymond Aron ; Le Monde ; 12 juillet 1945

« De tant de vertus, lui appartient le mieux,c’est cet extraordinaire désintéressement : plussa renommée de résistant s’accroît et plus il sedétourne des assemblées et des fonctions où seprépare le gouvernement de demain. Au plusfort de la bataille, ses plus chers désirs vont àson poste de professeur. Nul doute que,l’eussions nous gardé, c’est là que nous leretrouverions aujourd’hui. »

Alexandre Parodi ; 1945

« Ce professeur aux gestes vifs, aux yeuxbrillants, me fait beaucoup d’impression. Il est très différent des hommes que j’airencontrés jusqu’ici du côté pile de la ligne de démarcation ; ayant plus le

« D’ordinaire, pour un philosophe, écrire unemorale, c’est se préparer à mourir dans sonlit. Mais Cavaillès, au moment où il faisait toutce qu’on peut faire, quand on veut mourir aucombat, composait une logique. Il a donnéainsi sa morale, sans avoir à la rédiger. »

Georges Canguilhem ; 1967, ancien condisciple deCavaillès à l’E.N.S., son compagnon de Résistance dans“Libération-Sud” et son successeur à Clermont-Ferrand,

à Strasbourg, puis à la Sorbonne.

« Tâchant de comprendre le mathématique entant que tel, Cavaillès cherche à cerner nonpas le rapport de la raison à la sensibilité, duconcept à l’empirie, du rationnel au réel, maisl’existence pour ainsi dire concrète durationnel et du concept, qui pose le problèmedu “rapport entre raison et devenir” ».

Hourya Sinaceur ; 1994

« Cavaillès appartient à la catégorie des hérosqui sont morts, parce qu’ils ont décidé une foispour toutes de préférer les raisons de vivre àla vie. »

Jacques Bouveresse, 2003 ;Professeur au Collège de France

goût du combat que celui de la conspiration, le mot « Résistance » a pour lui son véritable sens. Aussi cherche t-il à être nommé professeur à Paris afin de participer plusactivement à notre action, dans le cadre derisques qu’il comprend et souhaite courir. »

Christian Pineau, Fondateur de Libération-NordLa simple vérité : 1940-1945.

« En moins de trois mois, Cavaillès réussit àmettre sur pied une organisation solidementimplantée en Normandie, dans le vallée de laSeine, en Bretagne, en Charente et enGironde. En outre, par ses contacts avec “Lavoix du Nord” il collecta des informations degrande valeur sur le Nord et le Pas de Calais[étendues aussi à la Belgique] ».

André Dewavrin [Colonel Passy],Mémoires du chef des services secrets de la France libre,

Odile Jacob, réédition 2000

« Si, d’après le souvenir de controversesamicales, j’avais à résumer d’un mot toute laréflexion philosophique de Cavaillès, je diraisqu’elle a essentiellement consisté en undialogue avec la notion de dialectique,dialogue déjà poussé entre 1933 et 1937… ;dialogue encore plus étroit… après 1937 ».

Henri Mougin ; 1945

Singularité de Jean Cavaillès

De voir tout en noir ne m’empêche pas, mon cher Borne, de penser aux brillantes dissertations quevous avez pu faire sur des sujets inconnus – au moins celui d’histoire car j’ai eu un écho –administratif – des 2 autres. Envoie-moi un mot si tu as le temps, et joins-y même un petit coup de[mot illisible], cela me fera du bien. Jamais je n’aurais pu dire aussi bien je suis mon corps, c’est-à-dire courbatures et coups de soleil conscients. Heureusement qu’il y a le développement sentimentalavec les tirailleurs et mon ancien capitaine. Bien amicalement à toi, J. Cavaillès

Albert Lautman8 février 1908- 1er août 1944

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