Association Conscience Verte Conférence du 29/11/2008

Etats modifiés de conscience et perception de la réalité

Introduction

Dans toutes les formes de chamanisme, ainsi que dans les philosophies orientales, on retrouve la croyance en une réalité immatérielle co-existant avec la réalité matérielle mais à un autre niveau vibratoire, de sorte qu'elle est imperceptible par les sens ordinaires : on peut y accéder en modifiant son état de conscience et c'est alors une toute autre vision du monde qui s'ouvre à soi...

Etats modifiés de conscience et physiologie

Commençons par étudier ce que la neurophysiologie nous apprend sur les états de conscience.

Rappels sur le fonctionnement du système nerveux

L'ensemble des perceptions sensorielles sont acheminées par un réseau de cellules spécialisées, les neurones, formant le système nerveux. Les informations sensorielles sont ainsi acheminées jusqu'à l'encéphale (« le cerveau »), où elles sont triées, stockées ou encore comparées avec des informations précédemment stockées, avant l'émission en réponse d'un ordre de réaction aux muscles ou au système hormonal (précisons toutefois que le mécanisme de réflexe ne passe pas par l'encéphale).

Or, les neurones communiquent entre eux par l'émission de molécules appelées neurotransmetteurs ou neuromédiateurs et l'information se propage selon une onde électromagnétique. Plus précisément, l'excitation d'un neurone sensoriel entraîne une perturbation de la structure électromagnétique de sa membrane cellulaire, ce qui a pour effet de libérer à son autre extrémité des neurotransmetteurs ; ces derniers, en étant captés par le neurone suivant du réseau, entraîne une perturbation de l'équilibre électromagnétique de la membrane cellulaire, qui va se propage comme une onde, jusqu'à libérer à l'autre extremité des neurotransmetteurs, et etc de neurone en neurone et idem dans l'autre sens.

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Ondes cérébrales et états de conscience

Selon l'état de conscience, le cerveau émet différent types d'ondes cérébrales qui se distinguent par leur fréquence (nombre d'oscillations par seconde mesuré en Hertz), mais aussi par leur amplitude et par leur lieu d'émission (cortex pré-frontal, lobe occipital...).

Durant l'état de veille, correspondant à l'état d'attention lié aux activités du quotidien (éveil actif) ou état de conscience ordinaire, le cerveau émet des ondes cérébrales d'une fréquence comprise supérieure à 12 Hz (et généralement inférieure à 45 Hz) appelées ondes β.

Lors de l'endormissement, on observe des ondes α d'une fréquence comprise entre 8 et 12 Hz.

Durant le sommeil lent léger, on observe une alternance de trains d'ondes d'une fréquence comprise entre 12 et 16 Hz et d'ondes θ (4-8 Hz), puis dans le sommeil profond des ondes δ (fréquence inférieure à 4 Hz).

Enfin, dans le sommeil paradoxal (phase de sommeil durant laquelle nous rêvons), le cerveau émet à nouveau des ondes β comme durant l'état de veille (éveil passif).

Or, on peut observer ces différentes ondes cérébrales selon l'état de conscience.Lors d'une séance de relaxation, de sophrologie ou encore sous l'effet d'un battement

répété de tambour ou de maracas (à une fréquence généralement comprise entre 180 et 240 battements par minute, soit entre 3 et 4 Hz)1, on observe un passage en mode α.

Lors de « transes » plus profondes ou encore sous hypnose, on peut observer des ondes θ (qui interviennent également dans les processus de mémorisation), voire des ondes δ.

On a même pu observer chez des grands maîtres spirituels tels que des lamas tibétains l'émission simultanée de plusieurs types d'ondes cérébrales !

Etats modifiés de conscience et autres “anomalies” du fonctionnement cérébral

Hormis l'émission d'ondes cérébrales α, θ ou δ, les états modifiés de conscience se manifestent par une activité inhabituelle des différentes zones cérébrales (par exemple, une sur-activation du corps calleux, qui gère le liaison entre les hémisphères gauche et droit) ou encore par une modification de la physiologie des neurotransmetteurs, allant en général dans le sens d'un moindre filtrage et/ou d'une activation des perceptions sensorielles et d'une inhibition du cortex2 (c'est en particulier le cas lors de l'absorption de plantes psychotropes).

1 La théorie la plus communément admise est que les ondes cérébrales tendraient à se synchroniser avec le rythme perçu, de fréquence plus basse (les praticiens de néo-chamanisme ont d'ailleurs l'habitude de battre le tambour à une fréquence plus élevée lors du retour du “voyage” afin de ramener la conscience à l'état de veille). Selon une autre théorie, ce seraient les infimes différences de perception entre les deux oreilles et les écarts par rapport au rythme fondamental qui induiraient une modification des ondes cérébrales et de l'état de conscience.

2 Couche superficielle du “cerveau”, constitué de “matière grise”, qui est responsible des fonctions intellectuelles, tandis que le “cerveau limbique”, situé au centre de l'encéphale, gère l'émotionnel.

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Techniques de modification de l'état de conscience

Les différentes traditions ont développé de nombreuses méthodes pour atteindre des états modifiés de conscience dans un but spirituel.

Il existe tout d'abord des méthodes “physiques” où l'on met le corps et le psychisme à l'épreuve, comme les diètes plus ou moins strictes (par exemple, lors de la quête de vision dans la tradition Lakota, on effectue un jeûne sec de quatre jours), l'effort physique (danses de visions, marches spirituelles, danses soufi...), la douleur (danse du Soleil...), la modification de la respiration (respiration holotropique...), etc.

On retrouve également fréquemment l'absorption de plantes psychotropes : citons parmi les plus connues peyolt et champignons en Amérique centrale, ayahuasca en Amazonie, amanite tue-mouches en Asie septentrionnale et “plantes sorcières” en Europe.

Il y a également toutes sortes de techniques basées sur le son, souvent associées à la danse, telle que le battement du tambour en Asie septentrionnale et en Amérique du Nord, le bruit des maracas en Amérique du Sud, le deedjeridoo en Australie, les mantras tibétains, etc.

Enfin, il existe de nombreuses formes de méditation, consistant à mettre le corps au repos et à focaliser l'attention.

Perceptions, psychisme et vision du monde en état de conscience modifié

Intéressons-nous maintenant aux modifications des perceptions et du psychisme en état de conscience modifié et à ce qu'elles nous révèlent.

Altération des perceptions

La première caractéristique des états modifiés de conscience est une modification de la perception du temps et de l'espace : les notions habituelles de déroulement linéaire du temps et d'étendue spatiale perdent leur sens (et avec elle le concept même de causalité tel que l'entend la science classique !). Plus précisément, de très nombreux témoignages parlent d'une sensation de ralentissement du temps et de perte de repères tridimensionnels, de sorte que l'expérience en état modifié de conscience se place dans un “ici et maintenant” absolu ; d'autres témoignages parlent de l'existence juxtaposée du passé, présent et futur, de même que de différents lieux accessibles instantanément en voyage de conscience (selon l'image bien connue des amateurs de science-fiction de la ficelle/espace-temps roulée en pelotte).

La seconde caractéristique récurente est une amplification des perceptions sensorielles “réelles” ou “visualisées”. En particulier, les couleurs apparaissent plus brillantes et lumineuses, comme vibrantes, résonnantes, et l'on retrouve souvent la perception d'une trame visuelle omniprésente. De même, les perceptions intérieures sont amplifiées : on ressent son coeur, son sang, ses viscères, toute la circulation de fluide et d'informations dans son corps...

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Altération du psychisme

Parallèlement à cette amplification des perceptions, il y a une amplification des fonctions émotionnelles du psychisme et une inhibition des fonctions intellectuelles : l'esprit se retrouve incapable d'analyser ce qu'il perçoit et voit ressurgir des émotions et souvenirs qui étaient jusque là inhibés par l'intellect.

Cela conduit à une fragmentation de l'ego plus ou moins radicale : le sujet se dissocie en un observateur pleinement conscient mais non-agissant et un agissant non-pensant, pour revenir à l'issue de l'expérience à une réunification en intégrant les leçons apprises lors de celle-ci dans la vie de tous les jours3.

Autre vision du monde

Tout ceci conduit à une perception animiste du monde où toutes choses, animées ou inanimées, possèdent une forme d'énergie et sont reliées à l'ensemble, interdépendantes, selon ce que l'on appelle souvent la “toile de la vie” et conformément à la formule Lakota mitakuye oyasin4 que l'on peut traduire par “nous sommes tous reliés”. Il devient dès lors possible de communiquer avec les pierres, les plantes5, les esprits-animaux et même d'autres “esprits” peuplant la “réalité non-ordinaire”6.

Enfin, la “cartographie” de celle-ci peut être décrite comme une juxtaposition de mondes spirituels de différents niveaux vibratoires : par exemple, Michael Harner7 parle du “monde d'en-bas” où l'on va rencontrer ses esprits alliés animaux, du “monde d'en-haut” où résident les guides spirituels et enfin du “monde du milieu” qui serait le pendant spirituel de notre environnement quotidien.

Araignée sur attrapeur-de-rêves :illustration de l'esprit de “la Tisseuse”

3 Notons au passage le danger de l'absorption de plantes (ou de substances chimiques) psychotropes en dehors du cadre thérapeutique traditionnel, dans lequel le “chaman” veille sur son “patient” pour lui éviter tout traumatisme irréversible et l'accompagne tout au long du processus.

4 Littéralement : “toutes mes relations”.5 Les indigènes des sociétés de culture chamanique disent d'ailleurs avoir appris leur immense savoir sur

les plantes et leurs propriétés des plantes elles-mêmes !6 Par opposition à la réalité “ordinaire” : expressions dues à Carlos Castañeda (“non-ordinary / ordinary

reality”), de même que l'expression “état modifié de conscience” (“alterated state of consciousness”).7 Anthropologue américain qui a établit les bases du “néo-chamanisme” pratiqué en Occident (“core-

shamanism”) et créé la Foundation for Shamanic Studies.

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Définition de la réalité ?

Tout ceci nous montre bien en quoi la “réalité non-ordinaire” vécue en état modifié de conscience diffère de la “réalité ordinaire” et vient soulever la question de ce que l'on peut définir comme réalité.

La réalité d'après la psychologie

Selon le point de vue de la psychologie, “la réalité” est définie à partir des perceptions sensorielles perçues par une majorité de la population, lesquelles sont filtrées d'une part par le fonctionnement du système nerveux et d'autre part par le fonctionnement du psychisme lié au paradigme culturel. On voit bien que cette définition n'est ni universelle ni absolue, à l'image de l'esprit humain dans son fonctionnement social quotidien.

La réalité d'après la physique moderne

La science, quant à elle, a très longtemps inclu dans son paradigme une vision matérialiste et mécaniste de la réalité, qui ne serait constituée que d'objets observables et de quantités mesurables. Ceci a été totalement bouleversé par l'avènement de la physique moderne au début du XXème siècle, basée sur deux théories fondamentales : la relativité d'Einstein pour l'infiniment grand et la physique quantique pour l'infiniment petit.

En effet, Einstein a tout d'abord démontré que la matière pouvait libérer de l'énergie et l'énergie se matérialiser selon la célèbre formule E=mc² définissant l'énergie contenue dans la matière au repos. Il a également remis en question la notion d'un temps et d'un repère spatial absolus pour les unifier dans un concept de continuum espace-temps, avant de montrer en quoi celui-ci pouvait être courber par des masses – ou énergies – importantes, aboutissant à des phénomènes défiant l'entendement quotidien tels que les trous noirs dont la lumière ne peut s'échapper et où le temps se fige.

Parallèlement, la physique quantique a démontré qu'à l'échelle des particules on ne pouvait plus parler d'objets ponctuels mais d'ondes et de probabilités, qu'une même particule pouvait être à deux endroits en même temps, se “téléporter” d'un niveau d'énergie à un autre, traverser des barrières théoriquement infranchissables d'après la physique classique ou encore réagir instantanément à toute action faite sur une particule avec laquelle elle serait corrélée, même à l'autre bout de l'univers, ce qui remet totalement en question la causalité au sens classique. Elle a également enterré la croyance en la neutralité de l'observateur en montrant que celui-ci était indissociable de l'expérience dans la mesure où le fait même de faire une observation impactait sur l'état de l'observable. Certains scientifiques vont même jusqu'à affirmer que la seule “réalité” est en fait celle des équations et ce que nous observons n'en serait que la réduction à un état donné (voire une branche possible parmi de multiples univers parallèles !).

Aujourd'hui la physique est à la recherche d'une “théorie du tout” qui unifirait les deux théories fondamentales. Pour cela, elle décrit la réalité en termes de “champs énergétiques” et envisage l'existence de dimensions spatio-temporelles supplémentaires.

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Nous voyons ainsi que la physique moderne décrit le monde d'une façon totalement différente de l'entendement commun, lequel repose justement sur la croyance que ce nous autres occidentaux nommons réalité au quotidien est de même nature que ce qu'étudie la science. En vérité, la science moderne décrit un monde qui ressemble beaucoup plus à ce qui en est perçu en état de conscience modifié !

Double réalité

La réponse à la grande question de définition la réalité tient probablement de la notion de “double réalité”, c'est-à-dire une réalité multiple dont la vision est différente selon le point de vue : la réalité ordinaire est un paradigme cohérent lorsqu'il s'agit d'aller faire ses courses ou de remplir de la paperasse, par contre il perd tout son sens en état modifié de conscience ; inversement, chercher en rentrer en communication avec les “esprits” dans une station de métro peut se révéler une très mauvaise idée... La véritable unification passe par l'acceptation de l'existence conjointe des réalités multiples, de leur interdépendance, et par l'action juste dans les différents mondes. C'est d'ailleurs tout l'art du chaman que de voir et d'agir sur l'invisible et le visible conjointement.

Conclusion

On ne peut définir une “réalité” universelle et absolue. Elle est multiple et présente différents aspects selon l'état de conscience et le paradigme culturel de l'observateur. Les techniques de modification de la conscience permettent justement de remettre en question et d'approfondir sa perception du monde et de la vie. Ce savoir-faire ancestral, qui a été préservé dans de nombreuses cultures traditionnelles, est à redécouvrir en Occident.

Nadia Castano,pour l'association Conscience Verte.

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• Principes d'anatomie et de physiologie , Tortora & Grabowski, éditions De Boeck, 2001 (2000)

• Cours de Christian Brun sur le sommeil donné dans le cadre de la formation en Naturopathie Traditionnelle Holistique au CENATHO

• Site Internet Wikipedia