Interview de Mélanie Leray

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Mélanie Leray « La Mégère, c’est le parcours d’une femme vers la liberté » Propos recueillis par Adèle Duminy Mélanie Leray, qui signe l’adaptation et la mise en scène de La Mégère apprivoisée, évoque sa manière d’ap- préhender la pièce de Shakespeare. Ses réflexions, recueillies au début du mois de mai 2014, précèdent le début du travail de création. À ce stade, ce qui transparaît chez la jeune metteur en scène, c’est son envie d’en découdre avec le relent misogyne qui accompagne la lecture de la pièce. La Mégère apprivoisée, un texte misogyne ? Mélanie Leray Je suis arrivée à ce texte par le titre fran- çais, qui est une aberration. En anglais, « The Taming of the Shrew » signifie « Comment dompter l’insou- mise ? ». Et « shrew » est autant féminin que masculin. Donc, dans la traduction, « insoumise » est traduit par « mégère ». Tout un programme ! Entre « insoumise » et « mégère », il y a une différence... Au moment de l’écri- ture par Shakespeare, le système patriarcal domine. La femme est gouvernée par l’homme, qui est gouverné par le père, qui est gouverné par le roi, lui-même gou- verné par Dieu. Mais la grande contradiction de tout ça, c’est qu’à la tête de l’Angleterre, c’est une femme, Élisa- beth I re , qui est célibataire et qui refuse d’avoir des en- fants, qui se dit vierge et qui ne veut pas se marier. Tout le contraire de ce que doit être une femme à l’époque ! J’ai envie d’envisager La Mégère sous cet angle. Pour moi, le parcours de Catherine c’est celui d’une femme vers la liberté et la compréhension. Catherine est une très jeune femme insoumise qui se demande pourquoi elle ne serait pas l’égale des hommes. Personne ne veut lui donner la réplique parce qu’elle ne veut pas se soumettre à l’ordre établi. Donc, ce que j’ai envie de raconter, c’est comment cette femme va rencontrer Petruccio, le premier homme à lui donner la réplique, et comment il va lui apprendre, malgré lui, que c’est en maniant la langue qu’elle va pouvoir faire son chemin. Que ce n’est pas en étant en colère mais plutôt en com- posant avec l’état du monde qu’elle va pouvoir exister. Petruccio lui apprend à manier les mots qu’on attend d’elle. Catherine, en jouant parfaitement son rôle de femme, à la fin devient libre de faire ce qu’elle veut. » Une nouvelle traduction qui retrouve l’immédiateté comique du texte M. L. Les traductions de La Mégère apprivoisée sont toujours très loin de Shakespeare parce que l’anglais a beaucoup plus de mots à double sens que le français. La pièce est très grivoise mais c’est très difficile d’en rendre compte en français. Avec Delphine Lemonnier- Texier, qui fait la traduction, nous avons pris soin de rendre le caractère comique de la pièce, de faire en sorte qu’on entende le côté grivois, les gags, qu’on n’ait pas besoin de réfléchir pendant dix minutes pour comprendre. Un duo flamboyant pour jouer deux « incendies » M. L. Laëtitia Dosch sera Catherine. Elle amène avec elle une modernité. Parce que la question que je me posais dans le choix de l’actrice c’était de savoir quel genre de femme est une insoumise aujourd’hui, quel genre de femme fait peur aux hommes. C’est ça qui va frotter avec Petruccio, Philippe Torreton. Shakespeare disait en parlant de ses personnages : « C’est la rencontre de deux incendies ». Catherine trouve en lui un insou- mis à sa mesure. Pour moi, Petruccio est l’archétype du noceur, du menteur, du comédien. Donc je voulais trouver un grand comédien qui puisse tout jouer parce que Petruccio amène tout le monde à lui dans son art de la composition. Il fallait un comédien très flam- boyant. Quand j’ai vu Philippe Torreton en Cyrano [mise en scène de Dominique Pitoiset, programmée à la MC2 pendant la saison 2012-2013], j’ai été impressionnée par sa force. La vidéo M. L. Pour moi, Bianca, la sœur de Catherine, c’est le corps. Elle adhère aux codes établis en utilisant ses seins et ses fesses pour obtenir ce qu’elle veut. Cathe- rine, c’est l’inverse, qui veut être reconnue pour son in- telligence. Pour moi Bianca, c’est la femme des publici- tés, des films, celle qui traîne dans la tête des hommes. C’est quelque chose que je pense pouvoir raconter par le biais de l’image. Des caméras seront présentes sur le plateau dans un processus de captation en direct. Le jeu dans le jeu M. L. C’est une pièce qui parle beaucoup de faux-sem-

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Interview de Mélanie Leray, metteur en scène du spectacle La Mégère apprivoisée, ou comment dompter l'insoumise

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Mélanie Leray« La Mégère,

c’est le parcours d’une femme vers

la liberté »

Propos recueillis par Adèle Duminy

Mélanie Leray, qui signe l’adaptation et la mise en scène de La Mégère apprivoisée, évoque sa manière d’ap-préhender la pièce de Shakespeare. Ses réflexions, recueillies au début du mois de mai 2014, précèdent le début du travail de création. À ce stade, ce qui transparaît chez la jeune metteur en scène, c’est son envie d’en découdre avec le relent misogyne qui accompagne la lecture de la pièce.

La Mégère apprivoisée, un texte misogyne ?Mélanie Leray Je suis arrivée à ce texte par le titre fran-çais, qui est une aberration. En anglais, « The Taming of the Shrew » signifie « Comment dompter l’insou-mise ? ». Et « shrew » est autant féminin que masculin. Donc, dans la traduction, « insoumise » est traduit par « mégère ». Tout un programme ! Entre « insoumise » et « mégère », il y a une différence... Au moment de l’écri-ture par Shakespeare, le système patriarcal domine. La femme est gouvernée par l’homme, qui est gouverné par le père, qui est gouverné par le roi, lui-même gou-verné par Dieu. Mais la grande contradiction de tout ça, c’est qu’à la tête de l’Angleterre, c’est une femme, Élisa-beth Ire, qui est célibataire et qui refuse d’avoir des en-fants, qui se dit vierge et qui ne veut pas se marier. Tout le contraire de ce que doit être une femme à l’époque ! J’ai envie d’envisager La Mégère sous cet angle. Pour moi, le parcours de Catherine c’est celui d’une femme vers la liberté et la compréhension. Catherine est une très jeune femme insoumise qui se demande pourquoi elle ne serait pas l’égale des hommes. Personne ne veut lui donner la réplique parce qu’elle ne veut pas se

soumettre à l’ordre établi. Donc, ce que j’ai envie de raconter, c’est comment cette femme va rencontrer Petruccio, le premier homme à lui donner la réplique, et comment il va lui apprendre, malgré lui, que c’est en maniant la langue qu’elle va pouvoir faire son chemin. Que ce n’est pas en étant en colère mais plutôt en com-posant avec l’état du monde qu’elle va pouvoir exister. Petruccio lui apprend à manier les mots qu’on attend d’elle. Catherine, en jouant parfaitement son rôle de femme, à la fin devient libre de faire ce qu’elle veut. »

Une nouvelle traduction qui retrouve l’immédiateté comique du texteM. L. Les traductions de La Mégère apprivoisée sont toujours très loin de Shakespeare parce que l’anglais a beaucoup plus de mots à double sens que le français. La pièce est très grivoise mais c’est très difficile d’en rendre compte en français. Avec Delphine Lemonnier-Texier, qui fait la traduction, nous avons pris soin de rendre le caractère comique de la pièce, de faire en sorte qu’on entende le côté grivois, les gags, qu’on n’ait pas besoin de réfléchir pendant dix minutes pour comprendre.

Un duo flamboyant pour jouer deux « incendies »M. L. Laëtitia Dosch sera Catherine. Elle amène avec elle une modernité. Parce que la question que je me posais dans le choix de l’actrice c’était de savoir quel genre de femme est une insoumise aujourd’hui, quel genre de femme fait peur aux hommes. C’est ça qui va frotter avec Petruccio, Philippe Torreton. Shakespeare disait en parlant de ses personnages : « C’est la rencontre de deux incendies ». Catherine trouve en lui un insou-mis à sa mesure. Pour moi, Petruccio est l’archétype du noceur, du menteur, du comédien. Donc je voulais trouver un grand comédien qui puisse tout jouer parce que Petruccio amène tout le monde à lui dans son art de la composition. Il fallait un comédien très flam-boyant. Quand j’ai vu Philippe Torreton en Cyrano [mise en scène de Dominique Pitoiset, programmée à la MC2 pendant la saison 2012-2013], j’ai été impressionnée par sa force.

La vidéoM. L. Pour moi, Bianca, la sœur de Catherine, c’est le corps. Elle adhère aux codes établis en utilisant ses seins et ses fesses pour obtenir ce qu’elle veut. Cathe-rine, c’est l’inverse, qui veut être reconnue pour son in-telligence. Pour moi Bianca, c’est la femme des publici-tés, des films, celle qui traîne dans la tête des hommes. C’est quelque chose que je pense pouvoir raconter par le biais de l’image. Des caméras seront présentes sur le plateau dans un processus de captation en direct.

Le jeu dans le jeuM. L. C’est une pièce qui parle beaucoup de faux-sem-

Du mercredi 1er au vendredi 10 avril

LA mégère APPrivoisée oU comment DomPter L’insoUmise

TrADuCTIon DeLPhine Lemonnier-texierADAPTATIon ET MISE En SCènE méLAnie LerAy

blants. Ça n’arrête pas de jouer à jouer. Ça joue le rôle de la femme objet, ça joue le rôle de la femme intelligente, du macho. Ce sont des gens qui s’amusent à jouer avec des archétypes masculins et féminins.

L’amourM. L. Il y a quelque chose de l’ordre d’une attirance sexuelle très forte entre Catherine et Petruccio mais il y a aussi la question de l’amour qui est posée. Cependant il ne faudrait pas, comme ça a souvent été fait dans les films, que la résolution se résume au fait qu’elle tombe amoureuse. Je ne veux pas me faire enfermer là-dedans. C’est ce que trimballent toutes les comédies roman-tiques aujourd’hui, à savoir comment l’amour est la résolution de tout. La pièce de Shakespeare est com-plètement ouverte à la fin donc c’est à moi de trouver la chute.

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