Les dépossédés / interview

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entretien avec le realisateur

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LES DÉPOSSÉDÉS www.lesdepossedes.tumblr.com Interview du réalisateur.

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entretien

avec le realisateur

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« Ce qui est inex-ploitable n’est pas ou

ne mérite pas d’être ». Ce qui donne sous la forme

d’un impératif « exploite tout ! » (...)

Pour les ontologues de l’économie, la nature était seulement une chose

contingente avant qu’ils lui donnent « être » et « valeur » en en faisant la matière première de

leurs produits. Mais « être » et « valeur » ne lui ont été donnés qu’a titre d’avance sur les produits qu’on tirera d’elle.

l’Obsolescence de l’homme, Günther Anders, 1956

L’un des drames des biens environnementaux est qu’ils ne sont pas marchands et donc n’ont pas de valorisation

(...) Nous pouvons regretter qu’il faille mettre un prix à toute chose pour qu’elle soit prise en compte, mais

sauf à modifier notre société en profondeur nous devons nous y résoudre pour éviter la

tragédie.

Le Capital Vert, Christian de Perthuis et Pierre-

André Jouvet, 2014

illustrations : Les gros poissons mangent les petits, Pieter Bruegel l'Ancien, 1556

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Ce n’est jamais évident de relier la question sociale à l’écologie. Ton

documentaire s’ouvre sur une lutte sociale, celle des sidérurgistes de Lorraine pour la sauvegarde de leur emploi. Peux-tu expliquer ce qui relie cette question d’actualité à la financiarisation du climat ?

Arcelor Mittal est le plus gros producteur mondial d’acier et plus gros pollueur français (18 % des émissions de CO2 devant EDF 16 % ou TOTAL seulement 9 %). Ses usines si-dérurgistes du bassin lorrain

firent la une de l’actualité sociale pendant la présidentielle de 2012. Les hauts-four-neaux marchaient au ralenti depuis quelques temps et les causes étaient somme toute classiques dans une économie mondialisée : la concurrence chinoise, la hausse des matières premières qui devaient venir de plus loin depuis qu’on avait fini d’extraire le fer du bassin. On s’intéressait peu à cette région et à la situation sociale de ceux qui y vivent, mais les élections les projetèrent sur le devant de la scène. Les candidats en campagne s’y succédèrent, faisant de grandes promesses aux ou-vriers. Sarkozy promis de trouver un repreneur. Hollande aussi. Montebourg parla un temps de nationaliser les hauts-fourneaux. Jean-Marc Ayrault promet de reclas-ser les ouvriers.

Mais pendant ce temps-là : « En raison de la crise économique nous avons dû ré-duire nos volumes de production, ce qui a abouti à un excédent de quotas de CO2 gratuit. Mais ils sont soit conservés pour couvrir nos besoins futurs, soit revendus pour financer des projets d’efficacité énergétique », déclare Hervé Bourrier, PDF d’Arcelor Mittal en France. « En raison de » ou « grâce à » la crise économique, Ar-celor vend ses crédits sur BlueNext 1. La fameuse crise, celle à cause de laquelle « il faut se serrer la ceinture » c’est donc, pour Arcelor : 140 millions de dollars en 2010 et 93 millions de dollars en 2011. Entre 2005 et 2010, c’est 156 millions de tonnes de CO2 qui auraient été économisés. On ne peut pas calculer exactement le gain car le prix de la tonne carbone varie, mais au prix le plus bas (7 euros la tonne) le gain serait de 1,1 milliards d’euros. De l’argent qui tombe du ciel, puisque ces crédits ont été donnés à Arcelor par l’État. « Le CO2 n’est plus un déchet mais un sous-pro-duit dont les possibilités de valorisation déterminent la stratégie industrielle des groupes » relèvera la confédération européenne des syndicats (regroupement de syndicats européens auprès des institutions de l’union européenne) dans son rap-port sur l’Impact sur l’emploi du changement climatique et des mesures de réduc-tions des émissions de CO2.

Car Mittal Steel Company - propriété d’un milliardaire indien, qui racheta Arcelor, l’entreprise européenne en 2006, n’en est pas à son coup d’essai. L’office for the protection of competition, une autorité tchèque responsable de la concurrence dépendant de l’OCDE, peu soupçonnable de sympathie écolo, dénonça les pra-

1 Bluenext est la bourse du marché carbone où s’échangent et s’achètent les permis de polluer.

illustrations : Les gros poissons mangent les petits, Pieter Bruegel l'Ancien, 1556

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L’impossible capitalisme vert, Daniel Tanuro, la Découverte 2012

Comment s’enrichir en pré-tendant sauver la planète, Sophie Chapelle, BastaMag, Juin 2012

Les marchés carbone, com-ment gagner des millions grâce à la pollution, Ivan du Roy, Bastamag, Mars 2010

Comment ArcelorMittal engrange des millions grâce à la fermeture de Florange, Sophie Chapelle, BastaMag, Janvier 2013

Quand ArcelorMittal gagne de l’argent en mettant en sommeil ses aciéries, Cédric Pietralunga, Le Monde, Avril 2012

tiques de Mittal Steel Company qu’elle accuse de réduire son activité en République tchèque au profit de ses usines au Kazakhstan. Les crédits ainsi non utilisés en République tchèque étaient revendus en Europe de l’Ouest. Et la pro-duction pouvait continuer dans un pays non soumis aux lois sur le marché carbone. Le beurre et l’argent du beurre.

Autre exemple, au Brésil la Mittal Steel Company possède une filiale Arcelor Mittal Brazil forests. On privilégia le charbon de bois plutôt que le coke comme combustible pour alimenter les usines. Ce changement de combustible génère des millions de crédits de quotas carbone mais implique la transformation d’immenses régions en désert vert, gigantesque monoculture d’eucalyptus. Toujours au Brésil. Dans son usine de Tubarao, Arcelor Mit-tal réalise un investissement pour produire du courant en brûlant les gaz de ses hauts-fourneaux. Un investissement qui aurait de toute façon été consenti un jour ou l’autre puisque qu’il réduit la facture énergétique. Cet investisse-ment génère 430 000 tonnes de CO2 échangeables.

En Chine cette fois-ci, Arcelor Mittal finance un projet du PNUD, Programme des Nations-Unies pour le Développe-ment. 1,7 million d’investissement dans douze provinces. La Chine ayant un énorme parc industriel, vétuste et très polluant en gaz à effet de serre se révèle un terrain de jeu propice pour les éco-investisseurs. On y génère là-bas et en grande quantité, des crédits carbone qui pourront servir à polluer ailleurs.

Mais Arcelor Mittal n’est pas une exception. Entre 2008 et 2012, les pays membres de l’Union européenne devaient baisser leurs émissions de 130 millions de tonnes de CO2. Sauf qu’avec ce système de compensation par investisse-ment, ce sont en vérité 280 millions de tonnes sous forme de crédits qui sont rentrés en UE. Donc quand on nous parle du bilan de Kyoto, quand on nous dit qu’un pays est rentré dans ses objectifs ou non. Ce constat est de toute façon faussé dès le début.

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C’est le protocole de Kyoto en 1997 et le marché carbone de 2005 qui ont

institutionnalisé ce qu’on pourrait appeler « la financiarisation du climat » grâce notamment aux mécanismes flexibles qui sont une forme de compensation. Peux-tu revenir sur cet historique ?

Le protocole de Kyoto et le marché carbone sont des choses extraordinai-rement complexes. Cette complexité trouve sa source dans la lenteur des négociations. Et cette lenteur trouve sa source dans les rapports de forces qui se jouent entre les pays lors des grands sommets. Évidemment, en mettant à la même table des gens qui veulent faire des efforts, d’autres qui ne veulent pas, et d’autres qui ne voient pas pourquoi ils en feraient tant qu’ils n’auront pas eu leur part du gâteau, ça ne peut être que long et compliqué.

L’idée du marché comme solution émerge dès la COP de Kyoto en 1997, mais pour finalement n’être signé qu’à la COP3 de Berlin. Ses modalités de mise en place son discutées pendant 8 ans, à la COP4 de Buenos Aires, à la COP5 de Bonn, à la COP6 de la Hague, pour finalement être actées à la COP7 de Marrakech. Le marché carbone, la mise en pratique de Kyoto, ouvre of-ficiellement en 2005 après 8 ans de débat international. Revenir sur cet historique, c’est comprendre comment les mécanismes de compensation, à l’origine voulus comme marginaux par l’Union européenne, vont devenir la clé de voûte de la régulation environne-mentale et de ses échecs.

Dès la première COP, à Berlin en 1995, on fixe des objectifs de réductions. On parle d’un « partage du fardeau » in-

ternational entre signataires, mais on garde en même temps une souveraineté nationale quant aux choix des politiques. En somme, il faut arriver à un résultat commun mais cha-cun est libre des méthodes à employer. Peu à peu, lors des

discussions, en plus des objectifs de réductions on commence à parler des mécanismes flexibles, transformant les gaz en « commodities  » pouvant être échangées. L’air devient une matière première, un bien payant. Tandis que les ONG présentes qualifient ces mé-canismes flexibles d’« échappatoires » et que l’UE milite pour les considérer comme « supplémentaires » (elles ne doivent pas se substituer aux objectifs de réductions) les USA font pression pour leur accorder le plus d’importance possible. Non aux taxes, non à la régle-mentation, non à l’intervention de l’Etat et à l’écologie castratrice. Laissons faire le marché. Résultat : l’UE fait des concessions et l’accord final n’est pas contraignant et peu ambitieux.

On fixe donc des objectifs. L’année 1990 est prise comme année de référence. L’Union européenne doit réduire, par rapport à cette année ses rejets de 8 %, les USA de 7 %, le Japon de 6 %. Ces ob-jectifs doivent être atteint entre 2008 et 2012. Ils ne le seront pas. Le Cana-da augmentera ses rejets de 28 % alors qu’il était censé les baisser de 6 %. Le Japon, dans la même situation, se reti-rera du protocole avec le Canada.

Ces huit années de négociations inter-nationales, entre le protocole de Kyo-to et le premier marché carbone sont essentielles. Ce qui s’y est déroulé, les

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Gouverner le climat, 20 ans de négociations interna-tionales, Stefan C. Aykut et Amy Dahan, les presses de SciencePo, 2014

Climat, 30 questions pour comprendre la conférence de Paris, Pascal Canfin et Peter Staime, les petits matins, 2015

rapports de forces et la pression des USA pour faire adopter leur politique, alors même qu’ils ne ratifièrent pas le proto-cole, ouvre la voie : la régulation par le marché. Si l’objectif affiché était de réguler les gaz à effet de serre, ces réunions internationales auront surtout servi de relais aux idées li-bérales.

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Plutôt que parler de libéral, qui est un terme qui revêt plusieurs sens, il serait

préférable de parler de l’approche néo-classique. C’est-à-dire une approche de l’économie qui se focalise sur la question des prix, des mécanismes d’offre et de demande et de marché. C’est donc elle qui s’est imposée lors de ces grands sommets. Peux-tu revenir sur ses fondements théoriques ?

En 1920, Arthur Cecil Pigou ( 1 8 7 7 - 1 9 5 9 ) , é c o n o m i s t e néo-classique britannique, pu-blie The economies of Welfare. L’ouvrage traite des externali-tés, c’est-à-dire des impacts po-sitifs ou négatifs non voulus de l’économie, sans que ceux-ci ne soient reflétés dans le prix payé.

Au début du XXe siècle, les locomotives à vapeur fonctionnent encore au charbon. Parfois des morceaux de charbon incandescents, les escarbilles, sont éjectés de la cheminée et provoquent des incendies à proximité de la voie de chemin de fer. En 1920, rien n’oblige les compagnies de chemin de fer à indemniser les agriculteurs qui voient leurs champs brûler ou les propriétaires de forêt. Pour Pigou, l’Etat doit imposer une taxe aux compagnies. Soit elle est payée et permet de dédommager les victimes, soit la compagnie ferroviaire investit dans un dispositif anti-escarbille et évite la taxe. La taxe Pigouvienne devient un concept-clé de l’économie de l’en-vironnement.

Quarante ans plus tard, en 1960 un autre économiste néo-classique britannique, Ronald Coase, poursuit ces réflexions dans un article intitulé The problem of social cost. En bon libéral, il considère l’Etat comme un intermédiaire inutile. Qui plus est, la taxe implique une hausse du prix du billet de train : c’est finalement le consom-mateur qui paie. Il raisonne ainsi 1 : si la société de chemin de fer possédait aussi les champs qu’elle brûlait, elle procéderait à un calcul optimal - dispositif anti-incendie ou escarbille ? Il faut donc se rapprocher le plus possible de ce raisonnement. La so-lution ? Il faut attribuer des droits de propriété. Soit l’agriculteur a le droit de ne pas avoir d’incendie chez lui, soit la compagnie ferroviaire a le droit de les provoquer. Les droits sont échangeables. L’État a disparu. On a atteint l’optimum économique.

De la théorie il fallait passer à la pratique. Depuis 1963, les USA disposent d’une loi très stricte sur la qualité de l’air : le Clean air act. Tellement stricte et difficilement applicable qu’entre 1970 et 1980 les gouvernements successifs n’auront de cesse de l’assouplir. Ces assouplissements consistent en la mise en place de divers mé-canismes qualifiés de flexibles, notamment celui de la compensation. La contrainte n’est plus que chaque source de nuisance pollue moins, mais que leur activité cu-mulée respecte le niveau d’émission permis par la loi. On peut ainsi polluer plus ou moins suivant les endroits et ce, sans problème de distance géographique. A peut polluer plus en étant compensé par B qui pollue moins. A et B fussent-ils distants de

1 En vérité Ronal Coase ne prend pas le même exemple que Pigou. J’ai repris ici la comparaison faite par Aurélien Bernier dans son livre, Le climat otage de la finance.

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milliers de kilomètres. En 1990 on met en place un dispositif censé lutter contre les émissions de dioxyde de souffre -SO2 - (centrales à charbon) qui provoquent des pluies acides. Le dispositif Acid Rain prévoit la mise en place d’un marché des droits à polluer. Comment ça se passe ? Le gouvernement alloue chaque année des permis d’émissions (qui baissent d’année en année). Les titres peuvent s’échanger entre les différents pollueurs qui effectueront un calcul rationnel : investir dans des systèmes moins polluants et revendre ses permis d’émissions ou ne rien faire, les utiliser et en acheter. Les investissements se feront là où il seront les plus rentables : pollu-tion ou dépollution. Le résultat de cette politique fut positif puisque les émissions baissèrent de 60 %. Mais il faut relativiser ce bilan. D’abord en parallèle des lois fé-dérales, chaque Etat se chargea de la lutte contre les nuisances localement. Ensuite l’utilisation d’un charbon avec une teneur en souffre moins forte est responsable de cette baisse. Oui mais. Étant moins productif, il fallu en consommer plus et donc rejeter plus de CO2. La baisse d’émissions de SO2 fut compensée par la hausse des rejets de CO2. Ce « succès » servit de prétexte aux Américains pour faire pression lors des sommets mondiaux pour imposer leur politique.

Anecdote. En 2005 treize institutions financières se joignent pour créer le European Carbon Fund. Un fonds d’investissement destiné à financer divers projets et dans lequel on retrouve des banques, des assureurs, des investisseurs, des fonds de pen-sion et la Caisse des Dépôts et Consignations que l’on retrouvera plus tard. Il s’agit d’une structure privée, bien que mise en place par la CDC, une banque publique, dont le but est de vendre sur le marché carbone «  en recherchant à extraire tous les bénéfices possibles des crédits CO2 » Le fond a été placé dans une Société d’Inves-tissement à Capital Variable luxembourgeois au motif que la France ne dispose pas d’une législation suffisamment adaptée ! En 2007, L’écologiste Brice Lalonde, qui en préside alors le comité d’experts, déclare que l’idée de ce fonds «  est de se servir du capitalisme pour faire de l’écologie ». Le discours suivant lequel le salut ne peut venir que de l’économie a donc bien infusé dans toutes les têtes. Aujourd’hui même les écologistes le reprennent.

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Quel est le lien entre le marché carbone et le futur marché à venir

de la biodiversité ? Et peux-tu revenir sur ces mécanismes flexibles ?

❝ L’expérience de la tarification du carbone a constitué la première tentative de donner à grande échelle une valeur économique à une partie du capital naturel (...) La lutte contre le réchauffement se sert donc de la quantification du carbone. En revanche il n’y a pas d’équivalent pour la biodiversité, voilà pourquoi on échoue à la protéger (...) contrairement au cas de l’appauvrissement de la biodiversité l’action contre le dérèglement climatique dispose d’un étalon commun : le pouvoir d’une tonne de CO2 dans le réchauf-fement. ❞

Le Capital Vert, Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet, 2014 *

* Le premier est prof d’économie à Paris Dauphine et fondateur de la chaire d’économie du climat. Il présidait jusqu’à peu le comité pour la fiscalité écologique. Le second est aussi prof d’économie et directeur scientifique de la chaire d’économie du climat.

Le marché carbone européen, et ses échecs, sert de modèle au futur marché de la biodiversité

à venir. On a marchandisé l’air, la molécule de dioxyde de carbone (ou de dioxyde de souffre) comme on s’apprête maintenant à marchandiser les zones humides, la faune, la flore, les interactions entre les espèces ou les procédés biochimiques naturels. Par là, on a aussi ouvert des marchés. Celui de la dépollution mais aussi ceux qui s’ouvrent lorsque l’on transforme la nature, ce qui n’a pas de prix, en commodities.

C’est un peu tordu comme rai-sonnement mais je pense que l’échec de la régulation envi-ronnementale est la preuve de son bon fonctionnement. Le but de toutes ces gesticulations de l’économie et des politiques autour de l’écologie est assuré-ment de donner l’illusion que quelque chose est en train de se passer 1 (on aurait enfin pris en compte la réalité du réchauffe-ment climatique) et de profiter de cette situation de crise pour ouvrir de nouveaux marchés à l’économie. C’est finalement ce que confirme l’historien Jean-Baptiste Fressoz à la fin du documentaire quand il explique comment la régulation environ-

1 La société post-moderne dont parle Ulrich Beck dans La société du risque, c’est cette société contemporaine où les risques prennent une ampleur différente (ils ne sont plus naturels mais direc-tement issus de la modernité) mais où les hommes auraient enfin pris conscience des externalités négatives qu’ils génèrent : nuisances, pollutions, catastrophes sanitaires... D’un passé aveugle nous voici dans un présent en voie d’illumination. « Le politique dans la société postmoderne vit et s’orga-nise autour du risque et dans l’anticipation de la catastrophe. On dit aussi de la modernité qu’elle est devenue réflexive, c’est-à-dire qu’elle questionne dorénavant sa propre dynamique, écrit Jean-Bap-tiste Fressoz. Pourtant, plus les catastrophes se répètent et moins nous semblons en mesure d’en tirer les leçons. Notre foi dans le progrès et notre souci de la rentabilité économique sont tels que, contrairement à ce que prétend le discours postmoderne, nous ne sommes pas sortis des illusions de la modernité. » Jean-Baptiste Fressoz dans Les leçons de la catastrophe, critique historique de l’optimisme post-moderne.

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❝ Les énergies renou-velables deviennent pour nous une opportunité d’in-vestissement avec un profil risque-rendement attrayant (...) Allianz fonctionne sur une base neutre en car-bone depuis 2012. En plus de réduire en permanence les émissions de carbone de nos propres opérations, nous compensons les émis-sions restantes par des in-vestissements directs dans des projets de réduction de carbone, qui génèrent des certificats de CO2. Les investissements à ce jour incluent des projets de pro-tection des forêts au Kenya et en Indonésie et un pro-gramme d’efficacité éner-gétique en Inde. Les certi-ficats nous servent ainsi à compenser notre empreinte carbone. Les certificats res-tants peuvent être vendus sur le marché européen du carbone pour générer un rendement financier. ❞

Allianz, deuxième assureur mondial, investi 1,6 milliard en Europe dans le renouvelable

nementale du début de la révolution industrielle, en encadrant la pollution a permis son développement. « Réguler une pollution c’est accepter cette pollution », nous dit-il.

On ne sera donc pas surpris de constater que les pol-lueurs d’hier, maintenant qu’ils sentent le vent tourner, investissent dans le renouvelable. La biomasse. L’éolien. Le solaire. Un géant de l’énergie allemand investit dans la biomasse bois en Provence. Le deuxième assureur mondial plante des éoliennes en Aveyron. La possibilité de générer des droits à polluer, de les vendre ou de s’en servir pour compenser les dégâts fait désormais parti du business plan des grands groupes. En Sicile, c’est la ma-fia (une entreprise de BTP comme une autre) qui gère le parc éolien.

L’autre possibilité présentée dans le film est celle des plantations. Acheter ou planter de la forêt pour géné-rer des crédits carbone. Cela donne des grandes plan-tations de monoculture (eucalyptus souvent) qui sont de véritables désastres pour la biodiversité. Ensuite ce qu’il faut préciser c’est que tout ceci repose sur une es-croquerie. Les arbres ne détruisent pas le carbone, ils le fixent temporairement. Quand l’arbre brûle ou pourrit il le rejette dans l’atmosphère. Le CO2 est présent dans l’atmosphère pour 120 ans et les effets de son accumu-lation sont intemporels. Au printemps 2016 aura lieu à Oslo une réunion d’une quarantaine de chercheurs pour caractériser plus précisément l’anthropocène. Mais la chose est actée déjà pour pas mal de gens. Avec l’augmentation de concentration de CO2 dans l’atmos-phère nous sommes rentrés dans une nouvelle ère géologique 2. Nous sommes plus dans une simple crise environnementale et il n’y aura pas de retours en arrière possible.

2 L’événement anthropocène, Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, 2013

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Ce qui est terrifiant, c’est que cette régulation non seulement ne change

rien, mais parfois, dans certains cas, aggrave le problème.

❝ Mercredi à Berne, l’Office fédéral de l’en-vironnement (OFEV) indiquait que la Suisse avait atteint l’objectif 2008-2012 fixé dans le Protocole de Kyoto et qu’elle rendrait pro-chainement son rapport à l’ONU.

Sauf qu’à y regarder de plus près, le bilan helvétique n’est pas si réjouissant. La Suisse s’était engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 8 % en moyenne entre 2008 et 2012 par rapport à 1990. Mais elle y parvient grâce à l’achat de certificats d’émission étrangers et par ses forêts qui jouent le rôle de puits de carbone. Si on veut être sévère, sur la réduction de 8 %, seul 1 % peut être attribué à des mesures réellement prises en Suisse, confirme l’OFEV. ❞

La Suisse n’est pas le bon élève de Kyoto, Le Temps, 11/04/14

Effectivement, la financiarisation du cli-mat ne permet pas seulement de conti-nuer à polluer, elle provoque parfois des effets inverses. « Le pouvoir réchauffant de certains gaz fluorés est tel que leur va-leur en termes de crédits carbone est considérable. En Chine on construit des usines essen-t i e l l e m e n t pour produire ces gaz à seule fin de les détruire ensuite » , déclare un ex-pert du climat et partisan de sa financiari-sation dans Le Monde. En 2005, 65 % des crédits issus des MDP (mécanisme de dévelop-pement propre, qui fait partie des méca-nismes flexibles dont j’ai parlé plus haut) vendus sur le marché provenaient de la destruction du gaz HFC-23. Déchet de la production d’un gaz réfrigérant ce gaz à un pouvoir radiatif 11 700 fois supérieur au CO2. La destruction d’une tonne de ce gaz génère 11 700 crédits. La Chine a connu un boom de la fabrication du gaz réfrigérant, la destruction du déchet devenant plus rentable que la vente du produit.

Autre exemple. En août 2015, trois mois avant la COP21, un organisme indépendant suédois de recherche sur le climat, le Stockholm Environment Insti-

tute, publie un rapport démontrant que la plupart des mécanismes flexibles mis en place dans le cadre du protocole de Kyoto (ils sont au nombre de trois, mais

on parle surtout ici du MOC 1) n’avait pas « rem-pli leurs engage-ments ». Entre 2008 et 2013 on a émis par erreur 600 millions de tonnes de CO2, soit un peu plus d’une pleine année des émis-sions françaises !

« Notre analyse indique que les trois quarts envi-ron des compen-sations obtenues par le biais de la mise en œuvre

conjointe ne représentent probablement pas des réductions d’émissions C’est comme si on faisait marcher la planche à billets », note un des auteurs de l’étude.

1 Mise en Œuvre Conjointe. Ce principe inscrit dans le protocole de Kyoto consiste à mettre en place des systèmes de captage ou de réduction de CO2 dans divers domaines (industrie minière notamment) afin de générer des crédits carbones pour les entreprises qui les mettent en œuvre. Une faille du protocole de Kyoto a aggravé le réchauffement climatique, Stéphane Foucart, Le Monde, 27/08/15

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Le climat otage de la finance, Aurélien Bernier, 2008 Planter des arbres pour polluer tranquille, la fausse bonne idée, Sylvain Angerand, rue89, 12/12/2010

De l’argent propre avec de l’air pollué, un documentaire de Inge Altemeier, 52 minutes, 2013 Une faille du protocole de Kyoto a aggravé le réchauf-fement climatique, Stéphane Foucart, Le Monde, 27/08/2015 Plaidoyer contre les éo-liennes industrielles, brochure disponible sur douze.noblogs.org

La COP21 de Paris témoigne d’un étrange paradoxe. D’un côté il y a cette euphorie

du succès, celui d’avoir trouvé un accord mondial, mais qui va de pair avec le fait que cet accord est peu contraignant. Que va-t-il en rester finalement ? Que retiens-tu de la COP21 ?

Pour conclure je voudrais dire une chose. On ne sait pas ce qui aurait pu se passer sans régulations environnemen-tales. Je précise ça car je pense qu’il est incorrect de dire qu’on a aggravé le problème. Sans régulations le problème aurait pu être pire. Concernant la biodiversité, il n’y a pas eu de régulations pendant longtemps et voilà où nous en sommes. Ensuite, je continue de me faire l’avocat du diable, mais la compensation « consacre le passage d’une logique purement « anthropocentrique », de compensation financière des personnes ayant subi des préjudices à la suite de la destruction de la nature, à une logique écocen-trée de restauration de la nature elle-même. » (« Loi sur la biodiversité, ne tirez pas sur l’ambulance », Le Monde, 1/02/16).

Donc il est faut de dire que les choses s’aggravent avec la régulation environnementale. Elle pourrait très bien s’ag-graver toute seule.

Après la fin de la COP21, impossible d’en tirer un bilan. L’accord a été signé mais il n’est pas très contraignant nous dit-on, rendez-vous à la COP22 à Marrakech. Si pour beaucoup il n’y avait rien à en attendre, ce qui est sans doute vrai, il demeure néanmoins qu’il s’agit du pre-mier accord universel sur le climat. Pour la première fois, des pays producteurs d’énergies fossiles, des pays consom-mateurs d’énergies fossiles et des pays commençant à avoir les pieds dans l’eau étaient réunis au même endroit. C’est sans doute son seul mérite. L’im-portant, pour démontrer le néant de la COP c’est d’en comprendre les chiffres.

Revenons à Kyoto. L’objectif général du protocole était une baisse de 5,2 % des émissions de CO2 par rapport à 1990. Sauf que ce chiffre ne com-prenait pas les USA, l’Australie et bien d’autres, et ne concer-nait donc que 40 % des rejets

mondiaux. Plutôt que 5,2 % de baisse des émissions par les pays concernés, il vaut donc mieux parler 2,08 % de baisse générale. Ensuite entre 1990 et 1997 les émissions de CO2 ont chuté d’elles-mêmes (désindustrialisation ou délocalisation) de 4,08 %. Ceux qui an-nonçaient, fanfarons, l’objectif de 5,2 % manipulent les chiffres. L’« ambition » était donc tout autre : baisser les émis-sions de 0,16 %.

Il faut donc savoir lire entre les lignes. Et quand les médias annoncent qu’un ac-cord a été trouvé à Paris et qu’on s’ap-

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Dans la conclusion du documentaire, tu fais allusion à la géo-ingénierie. À

cette possibilité démiurgique offerte par la technologie de refroidir le climat. Le projet que tu cites, balancer du fer dans l’océan pour nourrir le plancton qui capterait ensuite le CO2 est hallucinant par ses motivations. Il ne s’agit pas simplement d’une fuite en avant technologique pour sauver la planète, mais aussi d’un montage financier farfelu visant à générer des crédits carbone. Le milliardaire responsable du projet voulait, en absorbant du carbone, générer des crédits, c’est-à-dire gagner de l’argent avec la dépollution pour pouvoir ensuite polluer.

proche d’une limitation de la hausse des températures à 2°, là encore il faut chercher à décrypter les chiffres.

« Accord ou pas les émissions de CO2 vont continuer de croître », titre un ar-ticle du Monde paru pendant la COP. « Il faut pourtant se méfier des effets d’optique. Mises bout à bout, ces pro-messes de réduction conduisent… à une augmentation globale des émissions de l’ordre de 20 % entre 2010 et 2030. Qu’un accord soit ou non scellé à Paris, la réalité est que la concentration de CO2 dans l’atmosphère va continuer à grimper, et le globe terrestre à transpi-rer de plus belle. » La raison est simple. La croissance démographique de La Chine et de l’Inde. Les deux pays, s’ils ont annoncé réduire la part du charbon dans leur économie (l’Inde prévoyant

un fort développement du solaire), n’ont nullement annoncé la baisse de leurs émissions. Les deux pays ont parlé de la baisse de leur intensité carbone (qui correspond au rejet carbone par point de PIB) et non de la baisse des rejets carbone. Ils misent donc sur une croissance toujours plus forte, où le charbon, sans baisser pour autant, per-drait des points en pourcentage. Cela dit attention à ne pas rejeter la faute du réchauffement sur les pauvres car ceux-ci seraient plus nombreux. Les véritables responsables sont connus. The Guardian a créé une carte interac-tive disponible sur Internet 1

1 http://www.theguardian.com/environment/interactive/2011/dec/08/carbon-emissions-glo-bal-climate-talks

Il existe des dizaines de projets tous plus farfelus les uns que les autres, qui consistent à influer sur le climat. À la fin du docu-mentaire, j’en cite un car il est mené par un homme d’affaires états-unien peu scrupuleux dont le but avoué n’est pas tant de sauver la planète que de pouvoir en tirer des bénéfices, en l’occurrence des crédits carbone. L’idée : déverser cent tonnes de sulfate de fer au large du Canada (côte de Colom-bie-Britannique). « Enrichir » en

fer des régions de l’océan favoriserait la croissance du phytoplancton, qui par la photosynthèse absorberait du dioxyde de carbone (CO2) - ce qui en réduirait le contenu dans l’atmosphère - et le séquestrerait au fond des océans. Russ Georges, le milliardaire en question, espérait qu’en retirant du CO2 de l’atmosphère, il pour-rait vendre des crédits sur le marché du carbone. Pour réaliser cette opération, l’entrepreneur peu scrupuleux a proposé à la communauté amérindienne vivant

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Les apprentis sorciers du climat, Clive Hamilton, éditions Seuil Anthropo-cène, 2013

Les apprentis sorciers du climat, un film de Pierre-Oscar Lévy, arte, 2015, 84 min

Géo-piraterie : argumen-taire contre la géo-ingé-nierie, ETC Group, 2011

sur une île de l’archipel Haida Gwaii, au large de la Colom-bie-Britannique, un « projet de restauration des popula-tions de saumons », lesquelles déclinaient dans cette ré-gion du Pacifique. Persuadé du bien-fondé de l’entreprise, le conseil du village d’Old Masset a accepté d’emprunter 2 millions de dollars de son fonds de réserve pour mettre sur pied la société Haida Salmon Restoration Corp. (HSRC) qui réaliserait le projet. La communauté autochtone n’a toutefois pas été prévenue que le projet comportait des risques environnementaux, et surtout qu’il violait des traités internationaux. « Pour convaincre la population locale, cet entrepreneur a fait valoir le fait qu’en enrichis-sant les océans en fer, on stimulera la chaîne trophique, ce qui permettra d’accroître les populations de poissons. Or, cet argument repose sur une « opinion » publié dans une revue d’océanographie, et donc pas un fait scienti-fique avéré. Russ George et son comparse, John Disney, président de HSRC, clament qu’ils tireront des crédits-car-bone de ce projet, mais personne ne leur en accordera, car la fertilisation océanique est illégale », dira même un écologiste sur le sujet.

Enfin je voudrais rajouter autre chose. Parmi les gens qui soutiennent la géo-ingénierie, il y a toutes sortes de per-sonnes : des scientifiques pour qui c’est un défi, des in-dustriels qui y voient une opportunité ou des écologistes qui ne voient pas comment on pourrait faire autrement. Dans la seconde catégorie, on retrouve beaucoup d’en-trepreneurs ou de multinationales qui appartiennent aussi au mouvement climato-sceptique. Ces gens qui nient le réchauffement climatique ou qui en contestent l’influence humaine. Stéphane Foucart en parle dans son excellent livre L’avenir du climat : enquête sur les clima-to-sceptiques. C’est-à-dire qu’on a des gens qui d’un côté dépensent des sommes astronomiques en lobbying pour nier les causes du réchauffement climatique et de l’autre soutiennent la géo-ingénierie. Si on suit leur logique, il s’agit de trouver une solution à un problème qui n’existe pas ! Ce que nous dit le positionnement totalement inco-hérent de ces gens est intéressant : le problème ce n’est pas l’écologie, c’est de trouver des solutions marchandes ou technologiques.

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Peux-tu revenir sur les enclosures, et sur le lien entre ce mouvement et le

présent ?« Dans toutes les régions du royaume, où l’on trouve la laine la plus fine et par conséquent la plus chère, les nobles et les riches, sans parler de

quelques abbés, saints personnages, non content de vivre largement et paresseuse-ment des revenus et rentrées annuelles que la terre assurait à leurs ancêtres, sans rien faire pour la communauté (en lui nuisant, devrait-on dire), ne laissent plus au-cune place à la culture, démolissent les fermes, détruisent les villages, clôturant toute la terre en pâturages fermés, ne laissant subsister que l’église, de laquelle ils feront une étable pour leurs moutons » Parmi les nombreux récits de la naissance du capitalisme agricole, celui de Thomas More est un des plus précieux. Il poursuit à propos des moutons « Normalement si doux, si faciles à nourrir de peu de chose, les voici devenus si voraces, si féroces qu’ils dévorent même les hommes, qu’ils ra-vagent et dépeuplent les champs, les fermes et les villages ». Dans Utopie, écrit en 1516, More dénonce la cupidité des riches s’accaparant les terres pour développer l’élevage. Ce dont il parle ici, est ce qu’on appellera plus tard le mouvement des enclosures. Cet accaparement des terres d’une rare violence a des conséquences sociales terribles. « Afin qu’un seul goinfre à l’appétit insatiable, redoutable fléau pour sa patrie, puisse entourer d’une seule clôture quelques milliers d’arpents d’un seul tenant, des fermiers seront chassés de chez eux, souvent dépouillés de tout ce qu’ils possédaient, circonvenus par des tromperies ou contraintes par des actes de violence. Ils partent misérablement, hommes, femmes, couples, orphelins, veuves, parents avec de petits enfants, toute une maisonnée plus nombreuse que riche, alors que la terre à besoin de travailleurs ».

Le titre du documentaire vient du livre de Daniel Bensaïd Les dépossédés, Karl Marx ou le vol de bois. Il essaie de mettre en perspective les observations et la critique de Marx sur les enclosures, qui débouchera dans Le Capital sur une théorie écono-mique avec une critique contemporaine de ces enclosures et du vol des communs. Je reprends : En 1842, alors jeune journaliste à la Gazette Rhénane, Karl Marx écrit une série d’articles sur les « débats sur la loi relative au vol de bois ». À l’époque, l’essor du capitalisme en Allemagne entraînait un déplacement de la ligne de par-tage entre le droit coutumier des pauvres (celui de ramasser et de glaner du bois mort dans les forêts) et le droit de plus en plus envahissant des nouveaux proprié-taires. De nouvelles lois venaient alors de passer au parlement rhénan, province dans laquelle vivait Marx, qui sanctionnaient l’usage commun de la forêt faisant prévaloir le droit des propriétaires. « L’évolution du dispositif de sanction pénales institutionnalise en conséquence de nouvelles formes de délinquance et de crimi-nalité sociale », écrit Daniel Bensaïd. Les paysans pauvres qui jouissaient jusque-là de la forêt gratuitement se retrouvent soudainement voleurs, délinquants. Le droit devient alors l’instrument privilégié pour imposer de nouvelles définitions de la propriété à l’avantage des propriétaires. C’est notamment en Angleterre que les enclosures furent les plus violentes. Les droits d’usage des communs (droit de pas-sage et de pâturage des troupeaux, de glanage, ramassage de bois mort) furent

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❝ C’est à juste titre que l’on a dit des en-closures qu’elles étaient une révolution des riches contre les pauvres. Les seigneurs et les nobles bouleversaient l’ordre social et ébranlaient le droit de coutume d’antan, en employant parfois la violence souvent les pressions et l’intimidation. Ils volaient littéra-lement leur part de communaux aux pauvres (...) le tissu de la société se déchirait ; les vil-lages abandonnés et les demeures en ruine témoignaient de la violence avec laquelle la révolution faisait rage, dévastait ses villes, décimait sa population, changeait en pous-sière son sol épuisé, harcelait ses habitants et les transformait d’honnêtes laboureurs qu’ils étaient, en une tourbe de mendiants et de voleurs » ❞

Karl Polanyi, La grande transformation, aux origines politiques et économiques de notre

temps.

remis en question autour du XVIIe siècle. En France, le phénomène des enclosures, bien que moins violent, culmina avec l’ordonnance de Colbert sur les eaux et forêts de 1669 limitant le glanage, le pacage des ovins et le ramassage de bois - et les nombreuses révoltes qu’elle provoqua.

En Angleterre, la pression écono-mique fît qu’on expropria les petits paysans pour donner les terres aux grands propriétaires terriens (on développa à l’époque tout une théorie sur la sylviculture et la productivité dans l’agriculture) pour abattre les arbres (bois de combustible) et surtout créer des prairies pour les troupeaux (viande et laine) et développer une agricul-ture à meilleur rendement.

« La pratique des enclosures, terroirs remembrés par le propriétaire indivi-dualiste et libéré des vieilles pratiques communautaires est indispensable. Le vieux système de l’open field (champ ou-vert en libre accès) avec ses servitudes collectives régresse devant l’individua-lisme agraire », écrit Jean Gimpel dans La révolution industrielle au Moyen-Âge. Il poursuit : « Marx le premier a insisté sur les conséquences sociales des enclosures qui contribuent à jeter vers la ville industrielle une masse de main-d’œuvre à l’origine du prolétariat. » Plus loin, « l’accroissement de la production exigea l’exploitation intensive de la main-d’œuvre, la fragmentation pous-sée du travail et la mécanisation des méthodes. C’est-à-dire la dépersonnali-sation du travail de l’ouvrier estimé en fonction de son seul rendement. »

Des années plus tard, ayant déménagé

en Angleterre, Marx écrit dans Le Capi-tal, que les pratiques du pillage ont été nécessaires à la mise en place du capi-talisme. Contre la conception idyllique des économistes qui imaginaient que le capital trouve son origine dans la sage épargne des travailleurs les plus méri-tants, Marx rappelle que la prétendue accumulation originelle, telle qu’elle était présentée sous un jour favorable pas les économistes, fut d’abord vio-lence et dépossession. Il décrit longue-ment, la « longue kyrielle d’actes de pillage, d’atrocités et de souffrance en-durée par le peuple entre le dernier tiers du XVe siècle et la fin du XVIIIe siècle ». Ce vol se poursuit ensuite légalement au XIXe. Il souligne les conséquences sociales désastreuses, la baisse des salaires, l’appauvrissement des petits propriétaires, l’exode rural, la déserti-fication des campagnes et la création d’une population surnuméraire (prolé-tariat et chômeurs). L’expropriation est « inscrite dans les annales de l’humani-

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Les Dépossédés. Karl Marx, les voleurs de bois et le droit des pauvres, Daniel Bensaïd, La Fabrique 2007

Commun, essai sur la révolu-tion au XXIe siècle, Pierre Dardot et Christiant Laval, La découverte, 2014

A qui appartient la nature ?Philippe Descola, La vie des idées, 2008

La guerre des demoiselles, film 2 X 52 minutes, 1976, INA

La guerre des demoiselles, François Baby, éditions Cairn, 2012

Les usages de la coutume, traditions et résistances populaires en Angleterre au XVII -XIX siècle. Edward P.Thompson, éd EHESS, 2015

La guerre des forêts, luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIsiècle, Edward P.Thompson, la Découverte 2014

Carbone contre nourriture, à propos de la compensation financière équitable, Les amis de la Terre, 2014

Autour du rapport Pur Projet, Terre à Terre, France Culture, 14/06/2014

Planter des arbres, pour polluer tranquille. La fausse bonne idée, Sylvain Angerand, rue89, 2010

té en caractères de sang et de feu ». C’est l’accumulation primitive du capital, l’acte fondateur de la naissance du capitalisme industriel.

En 1913, Rosa Luxembourg actualise cette pensée. Dans L’Accumulation du Capital, elle fait de cette idée d’accu-mulation primitive une théorie en évolution, une révolu-tion permanente en marche. Pour elle, le pillage continue, mais dans les zones non ou précapitalistes. Le capitalisme ne peut s’élargir qu’en subordonnant des régions ou des groupes sociaux extérieurs à sa logique. La destruction de l’artisanat, de la paysannerie, les conquêtes territoriales et les colonies ne concernent pas simplement un moment passé du capitalisme mais sa condition permanente. Il faut tout transformer en « commodities » et détruire toute autonomie des individus vis-à-vis du système.

Aujourd’hui dans la phase libérale du capitalisme finan-cier, le géographe américain David Harvey réactualise cette pensée en parlant « d’accumulation par déposses-sion ». La dépossession est une forme permanente d’ac-cumulation du capital, l’effet continu de son expansion. Les moments privilégiés de cette expansion sont les crises : moments de restructuration où le capital élimine certains et posent ses conditions pour la suite. Privatisa-tion d’administrations publiques (enseignement, santé), privatisation de ressources (eau, gaz, bois), chute de l’URSS et ouverture de la Chine (libération massive d’ac-tifs), guerre (économie de la reconstruction).

La sociologue québécoise Céline Lafontaine décrit dans le Corps-Marché – la marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie, la mise sur le marché de parties du corps humain (tissus, sang, cellules, ovules, organes, ADN). Le corps lui-même devient matière première de la croissance. Elle parle de cannibalisme technoscientifique quand « le corps des femmes les plus pauvres nourrit le corps des femmes les plus riches ». C’est le stade ultime du capitalisme.

Comme le montrent les prolongements contemporains de cette idée d’accumulation du capital, tout cela n’a rien de primitif. C’est une donnée structurelle du capitalisme : il fonctionne comme ça. Actuellement nous assistons à une nouvelle séquence de cette financiarisation : l’arrai-sonnement total de la biosphère par le marché dans un

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Les économistes néo-classiques comme leurs prédécesseurs semblent obnubilés

par ce qui n’est pas marchand. Ce qui n’est pas rentable ?

contexte de crise environnementale.

Voilà ce que dit le discours officiel : le problème de la nature c’est qu’elle est gra-tuite. Le monde étant ce qu’il est et face à la catastrophe en cours, le seul moyen de sauver la planète serait sa mise en marché. Si la nature a un prix, sa destruction sera coûteuse. Il faudra prendre en compte sa destruction dans le calcul économique. Le salut ne peut venir que du marché. Ce point de vue est porté tant par des écono-mistes qui y voient une opportunité de lier environnement et économie, que des écologistes qui ne voient pas comment on pourrait faire autrement. La vérité est tout autre : en prenant comme prétexte la crise environnementale, qui contraire-ment à la crise économique, elle, existe réellement, on va pouvoir marchandiser ce qui ne l’était pas. La première offensive était celle contre les gènes et les semences, mais aujourd’hui c’est la biodiversité dans son ensemble qui est visée. On assiste depuis une trentaine d’années au passage de la nature comme sphère dans laquelle l’homme vit et dépend à une sous-sphère de l’économie. En substance : le capita-lisme entre dans une sorte de phase terminale, où il protège/détruit les conditions mêmes de notre existence.

Les économistes classiques, néo-clas-siques, libéraux, partisans du libre-échange et du marché firent et conti-nuent de faire une fixation sur les communs. En France dès le milieu du XVIIIe siècle, les physiocrates eurent une influence considérable dans le débat sur les biens communaux et les usages collectifs. Ils considéraient les communaux comme archaïques et souhaitaient faire disparaître les contraintes collectives nuisibles à l’ef-fort de la production. Libéraux, hostiles à toute réglementation et à toute inter-vention de l’Etat, ils anticipent par leur laissez faire, laissez passer, les travaux d’Adam Smith. Aujourd’hui leurs héri-tiers relancent l’assaut contre ce qu’il reste de communs, mais cette fois-ci pour des raisons écologiques.

Ronald Coase, prix Nobel d’éco-nomie dont j’ai parlé plus haut, proche de l’école de Chicago (Friedman, Hayek) avance en

1960 l’idée d’un marché pour résoudre les questions de pollution. Pour lui seul un marché où l’on s’échangerait les titres de propriété serait efficace pour gérer les externalités négatives. Il faut créer un marché de droit de propriété échangeable. Voire, il faudrait instituer des droits de disposer d’air pur : si une entreprise pollue, les voisins peuvent soit exiger l’arrêt de la pollution soit re-vendre leurs droits à l’entreprise. Garret Hardin. Bien que biologiste, son influence auprès des économistes ne faiblit pas depuis quarante ans. Son article La Tragédie des biens communs, qui explique par l’exemple du pâturage communal comment l’absence de pro-priété entraîne la destruction, puise son influence chez un économiste an-glais William Foster Lloyd. Chez Llyod, comme chez beaucoup d’agronomes et

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Les pâturages de la guerre froide : Garrett Hardin la « Tragédie des communs »Fabien Locher cairn.info, 2013

Dans le documentaire Nature, le nouvel Eldorado de la finance et le livre Prédations, les auteurs reviennent longuement sur l’histoire

américaine de la régulation des nuisances. Comment l’écologie s’est fait digérer par l’économie, et comment l’économie est passée de problème, de responsable de la pollution à la solution. Les USA eurent ensuite une influence, via les sommets internationaux, sur d’autres pays notamment la France. Peux-tu revenir sur cette histoire ?

Prédations. Nature, le nou-vel Eldorado de la finance,Christophe Bonneuil et Sandrine Feydel, La découverte, 2015

Le marché des permis négo-ciables de SO2 et CO2, des premiers pas délicats,Nathalie Berta, cairn.info, 2010

Gouverner la biosphère, dans Gouverner le progrès, gouverner ses dégâts, Christophe Bonneuil et Yannick Mahrane, La Découverte, 2014

d’économistes du XVIIIe et XIXe siècle, la figure du pâ-turage dévasté est récurrente. « Le régime du commun enferme dans le présent et empêche de penser le futur. » Dans les années 1970, les approches néolibérales de l’en-vironnement se développent en appliquant ce raisonne-ment aux ressources et aux pollutions. Les dégradations environnementales sont attribuées à des déficits d’exten-sion de la propriété privée. Les entités non monétarisées étant gratuites, c’est l’absence de limite d’accès qui cause leur dégradation. D’une époque à une autre, avec pour prétexte la productivité ou l’écologie, l’absence de pro-priété n’a cessé de faire l’objet d’attaques.

Reprenons 1. Dans les années 1960 c’est l’ébullition. Aux USA comme ailleurs une contestation sociale, politique, économique prend forme. C’est sur ce terreau fertile qu’une conscience environnementale internationale émerge. Il faut dire que le risque change de forme. In-dustrielle, globale et incertaine, la catastrophe semble omniprésente. Pollution au plomb dans la baie de Mi-namata, marées noires du Torrey Canyon en 1967, de Santa Barbara, largage de fûts radioactifs dans l’océan, en plein apogée des Trente glorieuses, le revers de la mé-daille commence à apparaître de façon criante. En 1962 on commence à parler des pesticides avec le livre Silent Spring de Rachel Carlson. Vingt millions de personnes descendent dans la rue aux USA lors de la journée de la Terre en 1970. L’association des Amis de la terre voit le jour en 1969 et Greenpeace deux ans après. En 1972 se tient à Stockholm la première conférence de l’ONU sur les problèmes environnementaux, tandis que le Club de Rome sort son rapport Meadows « halte à la croissance ».Face à cela le gouvernement américain sent bien qu’il ne

1 Cette partie doit tout au chapitre 2 de Prédation, nature le nouvel eldorado de la finance de Christophe Bonneuil et Sandrine Feydel, éditions La découverte, 2015

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❝ L’Etat n’est pas la solu-

tion a nos problemes.

L’Etat est le probleme ❞

Ronald Reagan, lors de son discours d’investiture, 1981

peut ignorer plus longtemps la question écologique, les dégâts du progrès, de la croissance sans fin. D’abord pour assu-rer un équilibre social face à la montée de ces revendications mais aussi pour préserver les ressources, pour pouvoir les exploiter à long terme, le système va devoir changer. L’administration Ré-publicaine de Nixon met alors en place une série de réformes environnemen-tales. Le National Environmental Po-licy Act en 1970, l ’Environmental Protection Agency, la loi sur l’air, Clean air Act en 1963 et 1970 (qui établit des normes et des sanctions très strictes contre les indus-triels), la loi sur l’eau en 1972, la loi sur les espèces menacées ou encore l’inter-diction des DDT.

Mais face à la baisse des profits causée par le choc pétrolier de 1973, mais aussi à cause d’une baisse des gains de pro-ductivité, de la forte contestation so-ciale et des normes environnementales trop strictes, le patronat américain pré-pare une riposte. Il mettra en place un contre-feu anti-environnemental que les historiens appellent environmental backlash. C’est grâce à cette offensive que les instruments de marché vont prendre forme et s’imposer dans les politiques environnementales aux USA.

Donc, dès le début des années 1970 les dirigeants politiques américains, l’OCDE et le patronat vont amorcer une contre-révolution libérale afin de pré-parer le terrain aux futures politiques des années 1980 de Reagan et Bush. Cette fronde anti-écolo se manifeste de différentes façons : think tanks, lob-

bies, stratégie de communication ou contentieux juridique. Tous les fronts et toutes les techniques qui ont été ou-verts le sont encore aujourd’hui : atta-quer en contentieux les normes, taxes, règles ; constituer un contre-mouve-ment social ; répandre le doute sur la réalité scientifique des problèmes éco-logiques ; questionner le coût écono-mique des régulations environnemen-

tales ; imposer un regard écono-mique sur la na-ture ; promouvoir les mécanismes de marché comme les meilleurs outils de gestion de l’envi-ronnement ...

Peu à peu, les outils de marché – comme le principe du marché carbone qui prend exemple sur le marché du dioxyde de souffre, s’imposent. Ils s’af-firment comme la seule possibilité de lier croissance économique et question environnementale. Dans les années 1980 on voit aussi l’apparition du prin-cipe de biobanque, de la compensation d’espèces ou de territoires. La chute de l’URSS et les dégâts écologiques qu’elle met au jour, permet de légitimer l’approche libérale de la protection de la nature. Le directeur de l’agence de protection de la nature (EPA) déclare « la levée du rideau de fer a révélé au monde que les sociétés centralement planifiées posent de plus graves me-naces à l’environnement que les dé-mocraties capitalistes. Il était souvent impossible de défendre l’environnement

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Quelque chose choque souvent avec les économistes, c’est le décalage

entre leurs idées et leur mise en pratique. Le décalage entre la théorie et la réalité. Ce décalage semble d’autant plus grand avec la régulation environnementale.

en l’absence de propriété privée » 2 . Nommé par Bush il avait commencé sa carrière chez WWF dont il fut même patron. En 1992, c’est le sommet de Rio. Point culminant de la prise de conscience inter-nationale avec la ratification par 176 Etats de la Convention pour la Diversité Biolo-gique par laquelle on reconnaît à la biodiversité une « valeur intrinsèque (...) sur les plans environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, cultu-rel, récréatif et esthétique ». Bref une pluralité de valeurs qui vingt ans plus tard auront disparu, pour se concentrer sur les bénéfices économiques quantifiables.

En 1997 c’est la COP3 à Kyoto. Al Gore qui y représente les Etats-Unis, insiste sur l’importance de la mise en place d’un marché carbone. Il s’appuie sur l’expérience américaine du marché Acid Rain de permis d’émissions de dioxyde de souffre, ins-titué pour réduire les émissions de SO2 et les pluies acides. Si le Sénat américain ne ratifie pas le protocole, les USA auront réussi à imposer au niveau mondial l’idée d’un marché de droit à polluer et de permis d’émission. La brèche est ouverte.

2 J’ai interviewé des représentants français de cette vision ultra-libérale de la défense de la nature. Réunis autour d’Alain Madelin, ils défendent une nature entièrement privatisée, où l’écologie ne peut passer que par le titre de propriété et l’achat de permis à polluer. Chose amusante, ils parlent comme au temps de la guerre froide. Le monde de 2015 se partageant entre ceux qui ont raison (les ultra-libéraux) et les autres : les écolos, le MEDEF qu’ils qualifient de socialistes et la Corée du Nord !

Dans son livre Une question de taille le philosophe Olivier Rey réactualise les thèses de Léo-pold Kohr et de son élève Ernst Schumacher (auteur de Small is beautiful) autour des concepts d’échelle humaine. Pour Kohr, le principal problème de la

société est sa taille excessive. « Chaque fois que quelque chose va mal, c’est que quelque chose est trop gros », dit sa thèse.

Si les philosophes n’ont pas encore transformé le monde, les économistes néo-clas-siques - même s’ils se plaignent de ne jamais être écoutés, l’ont façonné à leur idée. Je voudrais revenir sur le décalage entre leurs théories et leur mise en pratique. Les idées économiques, tant qu’elles restent à l’état d’hypothèses, semblent fonction-ner, mais leur exécution se révèle catastrophique. Je n’ai pas d’explication à cela, néanmoins peut-être un début d’interprétation. Petit retour historique. David Ricar-do, économiste classique, dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt écrit en 1817, développe son idée de l’avantage comparatif. Cette idée, qui théo-rise le commerce international, ce que nous appelons aujourd’hui mondialisation

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affirme qu’un pays doit se spécialiser dans le domaine où il est le plus performant. Il prend l’exemple des draps et du vin, de l’Angleterre et du Portugal. Plutôt que l’au-tarcie, la fermeture des frontières pour privilégier la production nationale, il affirme qu’il faut au contraire les ouvrir et que chaque pays doit se consacrer au domaine dans lequel il est le meilleur.

Deux siècles plus tard, on peut dire que cette théorie, mise en œuvre par les gou-vernements, les multinationales, la banque mondiale, et divers organismes comme la BCE, le FMI ou l’OCDE est un désastre. Il y a sans doute quelques exemples où cela a été positif mais de manière générale la spécialisation internationale est un désastre. On produit du matériel high-tech dans les usines FoxConn de Taiwan, consommer ces produits uniformise les formes de vies en Europe et en Amérique du Nord. On meurt en Afrique. Les pays qui avaient une agriculture vivrière (Haïti est un cas emblématique) ont privilégié sous l’impulsion du FMI la monoculture (riz, coton), accepté les règles du libre-échange et les gens y crèvent la fin.

L’approche libérale de l’environnement mène elle aussi au désastre. Je ne parlerai pas de Friedman ou Hayek qui eurent une influence sur l’économie et la société de manière générale, mais de Ronald Coase et de Garret Hardin, moins connus, mais dont l’influence sur les questions de politique environnementale est omniprésente. Le premier, dont j’ai déjà parlé, est économiste et prix Nobel. Il écrit dans The pro-blem of social cost qu’il faut un marché de droits de permis à polluer, qu’ils doivent être échangeables et que l’Etat ne doit pas intervenir. Pour illustrer sa théorie il prend un exemple judiciaire ayant réellement existé. Un problème de voisinage pour nuisances sonores. Un médecin calme à côté d’un sweetmaker bruyant. Qui doit partir ? Ils font appel à la justice. Erreur. Faire confiance au marché, pas à l’Etat. On connaît la chanson.

L’autre exemple, c’est The tragedy of the Commons de 1968. Garret Hardin n’est pas économiste, mais écologue mais il revient très souvent dans la bouche des libé-raux. Il prend l’exemple du pâturage en libre accès. Les éleveurs viennent brouter, ils en retirent une plus-value, mais aucun d’eux ne se soucie de la dégradation du pâturage puisqu’il est en libre accès. Le commons n’appartient à personne, tout le monde en profitera et personne n’en prendra soin. Il faut des titres de propriété. Ces idées, même si elles nous promettent un monde entièrement payant, ne semblent pas farfelues. Après tout, « on prend plus soin de sa voiture que d’une voiture de location », me rappela un libéral lors d’une interview.

Le problème c’est que ces idées, écrites dans les années 1960 se veulent totali-santes. On voudrait à partir de l’exemple d’un pâturage ou d’un problème de voisi-nage, théoriser une politique mondiale des nuisances. Comment penser que la mé-thode des nuisances sonores, au-delà du ridicule qu’il y aurait de faire commerce de droit à faire du bruit avec son voisin, puisse être appliquée à des pollutions nu-cléaires ? Comment gérer à échelle planétaire le réchauffement climatique, avec des théories comme celles-ci ? Les problèmes auxquels nous sommes confrontés ne peuvent se résoudre avec des théories aussi réductrices.

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Fait remarquable à la financiarisation de la nature, c’est la quantification. Compter,

mesurer la nature et la vitesse à laquelle elle disparaît. D’où vient cette quantification et qu’apporte-t-elle ?

Mi-octobre 2015, la BBC Earth (filiale de la BBC spécialisée dans l’histoire naturelle) en coopération avec un pro-gramme environnemental des Nations Unies s’est demandé combien valait la nature 1. Ils ont créé un Earth Index (in-dice de la Terre) même si bien sûr « la nature ne peut être réduite à sa contri-bution monétaire ». Mais pour la BBC Earth « il était important d’accomplir cette démarche pour remettre la nature au cœur du débat économique et mieux apprécier l’impact à long terme des va-riations de ce capital naturel ». Et de poursuivre : ces chiffres font « écho au chiffre d’affaires des groupes qui réus-sissent le mieux au monde – Apple, Ge-neral Motors, Nestlé ou Bank of China, bien dérisoire en comparaison de l’ap-port financier des actifs de la nature à l’économie mondiale ». Ça donne donc, 8,2 trillions d’euros pour les récifs coral-liens, 143,3 milliards d’euros pour les abeilles, 2,16 milliards pour les vautours et 108 500 euros par castor.

Ce n’est pas la première fois qu’on se demande combien coûte la nature. En 1997, Robert Constanza, pionnier de l’économie écologique avait publié un article dans la revue Nature, annonçant des sommes astronomiques en billions de dollars. Cette idée de tout quantifier est concomitante au développement de

1 Les abeilles valent 143 milliards d’euros. Trois fois plus que General Motors. Dominique Nora, 15/10/2015, Le NouvelObs.

la notion de service écosysté-mique : l’idée d’une nature au service de l’homme. Le service écosystémique est un concept-clé du développement durable ;

elle induit de fait une liaison entre l’éco-nomie, le social et l’écologie. C’est une forme d’étalon commun, comme l’éta-lon or permet de se parler entre les dif-férentes monnaies, qui permet un « dia-logue » entre économie et écologie.

On ne peut pas gérer à grande échelle si on ne dispose pas d’une matière uni-forme et facile à manipuler : les chiffres. Comme toute technologie, la quantifi-cation est forcément duale. Bonne et mauvaise. Bonne, car les chiffres veulent choquer et faire prendre conscience. Les rapports du GIEC ont ceci de catas-trophique, qu’ils nous parlent simple-ment : 2 degrés, signifie 1 mètre au-des-sus du niveau de la mer, signifie point de bascule, X espèces en extinction et X millions de personnes déplacées. Mau-vaise, car ces chiffres ne disent rien. Ne représentent rien car impossible à se représenter. Mais le véritable problème c’est qu’ils provoquent une forme d’im-puissance en faisant passer le problème de la sphère politique à la sphère tech-nique. Le problème ce n’est plus le sys-tème économique, c’est de trouver des solutions techniques pour répondre à ce problème technique. Assurément technique comme tous les problèmes. Le domaine le plus symptomatique de ce phénomène c’est la question éner-gétique. Les écologistes, contestataires d’hier, furent peu à peu intégrés à la gestion de l’énergie. Ils ont joué d’une certaine façon le rôle d’avant-garde à la numérisation du monde. Aujourd’hui ils font la promotion de la ville intelli-

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gente et du réseau électrique intelli-gent qui n’est rien d’autre qu’une mise en pratique de cette quantification. In-telligent, s’entend ici au sens anglais : renseignements, circulation d’informa-tions. Créer de la donnée, pour mieux gérer. Alors bien sûr on peut parler de réduction des besoins et de l’isolation des bâtiments, mais selon eux, seule la gestion cybernétique (avec ses puces RFID, ses capteurs, ses compteurs Linky, ses datas et ses algorithmes prédictifs) serait à même de rationaliser le chaos. Pareil dans le domaine de la santé. Il y a quelque chose de paradoxal à voir le battage médiatique autour des usages du big data dans la médecine et le fait que pour la première fois en 2015 l’es-pérance de vie à la naissance a baissé 2.

André Gorz avait déjà prévu ça en 1977. « Les limites nécessaires à la préserva-tion de la vie seront calculées et plani-fiées centralement par des ingénieurs écologistes, et la production program-mée d’un milieu de vie optimal sera confiée à des institutions centralisées et à des techniques lourdes. C’est l’option technofasciste, sur la voie de laquelle nous sommes déjà plus qu’à moitié en-gagés »

On peut remonter plus loi dans l’his-toire de l’occident pour parler de l’om-niprésence des chiffres. Dans La mesure de la réalité Alfred Crosby étudie le passage en occident à la fin du Moyen-Âge d’un modèle qualitatif à un modèle quantitatif. « La société occidentale entreprit alors de mesurer le temps, l’espace, la distance, de traduire en nombres chaque aspect de la réalité. »

2 La vraie raison de la diminution de la durée de vie, André Cicolella, 30/01/16, reporterre.net

On compte en musique. On chrono-mètre le temps. La perspective en pein-ture. La cartographie. Alors que les civi-lisations arabes ou chinoise étaient plus en avance dans certains domaines, c’est finalement l’occident qui a triomphé. « Ce changement de mentalité a rendu possible le développement de la science et de la technologie, en même temps qu’il instaurait le règne de l’argent et de la bureaucratie », écrit Crosby.

❝ Le désastre produit son propre rap-port désastreux au monde, il s’y rapporte toujours de la même manière désas-treuse. Il calcule la vitesse à laquelle dis-paraît la banquise. Il mesure l’extermina-tion des formes de vies non-humaines. Le changement climatique, il n’en parle pas à partir de son expérience sensible - tel oiseau qui ne revient plus à la même période de l’année. Il en parle avec des chiffres, des moyennes, scientifiquement. Il pense dire quelque chose quand il éta-blit que la température va s’élever de tant de degrés et les précipitations diminuer de tant de millimètres. Il parle même de « biodiversité ». Il observe la raréfaction de la vie sur terre depuis l’espace. Comble de son orgueil, il prétend maintenant, pa-ternellement protéger l’environnement, qui ne lui en a pas tant demandé. Il y a tout lieu de croire que c’est là son ultime fuite en avant. ❞

À nos amis, Comité Invisible, 2014

Le fait de tout mesurer, de tout quan-tifier est donc une lubie occidentale ancienne. Il y a l’idée que l’on va pou-voir tout résoudre avec les chiffres. Ce qui est assez paradoxal et qu’explique Olivier Rey dans Une question de taille c’est que cette société de la quantifica-tion où tout se mesure, a perdu le sens de la mesure. On a oublié le deuxième sens du mot mesure : être à la juste me-sure. La société de la mesure, quantifie

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tout pour produire de la démesure. La nature avec les services écosystémiques, comme soi-même avec la mode du quantified self (le fait de mesurer son sommeil ou ses performances sportives avec son smartphone). En sciences sociales aussi il y a une croyance immodérée en la statistique. Un statisticien avait prédit l’élection d’Obama, et un autre affirme qu’il aurait pu prédire les insurrections arabes.

La compensation prolifère sur ce terreau de l’omniprésence des chiffres. Elle cho-sifie la nature. Elle en a une vision mécaniste. Un peu comme les transhumanistes 3 qui conçoivent le corps humain comme une machine, avec ses pièces à changer, les compensateurs réduisent la nature à des « fonctions ». Mais c’est impossible car la nature repose sur un équilibre extrêmement complexe. Si l’on considère les arbres uniquement sur leur capacité à stocker du carbone, alors une forêt de chênes cen-tenaires équivaut à une monoculture d’eucalyptus. C’est ce que les compensateurs font semblant de ne pas comprendre.

3 sur la façon dont la biologie moderne voit le vivant comme une machine voir Le vivant, la ma-chine et l’homme de Bertrand Louart, disponible sur sniadecki.wordpress.com

❝ Les écologistes sont, sur le ter-rain de la lutte contre les nuisances,

ce qu’étaient, sur celui des luttes ou-vrières, les syndicalistes : des intermédiaires

intéressés à conserver les contradictions dont ils assurent la régulation, des négociateurs voués au

marchandage (la révision des normes et des taux de nocivité remplaçant les pourcentages des hausses de sa-

laire), des défenseurs du quantitatif au moment où le calcul économique s’étend à de nouveaux domaines (l’air, l’eau, les em-

bryons humains ou la sociabilité de synthèse) ; bref, les nouveaux courtiers d’un assujettissement à l’économie dont le prix doit main-

tenant intégrer le coût d’un "environnement de qualité". On voit déjà se mettre en place, cogérée par les experts « verts »,

une redistribution du territoire entre zones sacrifiées et zones protégées, une division spatiale qui réglera l’ac-

cès hiérarchisé à la marchandise-nature. Quant a la radioactivité, il y en aura pour tout le monde. ❞

Adresse à tous ceux qui ne veulent pas gérer les nuisances mais les supprimer,

Encyclopédie des Nuisances, 1990

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Revenons sur la compensation en tant que telle. C’est aujourd’hui la Caisse des dépôts

et des consignations filiale « biodiversité », qui expérimente la compensation. Début janvier 2016, pour le bicentenaire de la CDC, François Hollande a annoncé qu’elle disposerait de 3 milliards supplémentaires pour financer la transition énergétique. Lors de la COP21, la CDC a annoncé consacrer 15 milliards d’euros de 2014 à 2017 à la transition écologique. Bref elle prend une importance considérable sur les questions environnementales. En janvier 2016, la loi sur la biodiversité passait devant le Sénat. Elle prévoit la création de « réserves d’actifs naturels » et d’ « opérateurs de compensation », l’équivalent des biobanques américaines. La CDC biodiversité ou des opérateurs privés pourraient alors s’accaparer des hectares de territoires, dont la protection ne serait justifié que par la valeur marchande qu’on leur accorde. Ces territoires seraient protégés uniquement dans le but de compenser d’autres territoires détruits dans l’avenir. Peux-tu revenir sur le rôle de la CDC ?

La CDC est une institution fi-nancière de l’Etat. C’est une banque, qui gère les 200 milliards d’euros d’épargne des Français, mais publique. Le bras armé de l’Etat dont elle est la seule institution non déficitaire qui dégage autant de bénéfices (1 ou 2 milliards d’euros suivant les années) . En 2007 elle se dote d’un plan stratégique qui fait du développement durable un de ses quatre objectifs (193 milliards in-vestis en 2011). Elle créait deux filiales la CDC climat et la CDC biodiversité. La pre-mière accompagne le déve-loppement économique de la transition énergétique. Elle s’investit dans des en-treprises, les conseille ou prend des actions, notam-ment sur la compensation

carbone. En 2007 avec NYSE euronext 1 elle crée bluenext une bourse du marché carbone ou s’échangent des crédits carbone, mais qui a fermé fin 2012 (suite à des scandales liés à la fraude à la TVA). Bref, elle est en plein dans ce qu’on pourrait appeler la financiarisation du climat.

La CDC biodiversité elle, naît en 2008 et se présente comme un « opérateur de com-pensation ». Suivant la loi de 1976 la compensation est la dernière étape du trip-tyque « éviter, réduire, compenser » qui doit prévaloir aux actions d’aménagement. Jamais appliquée, cette loi a refait surface lors du Grenelle de l’environnement. Dès lors, la Caisse des dépôts se positionne sur ce troisième volet et essaie d’en explorer les différentes possibilités en France.

Son but est de proposer des solutions « clef en main » aux investisseurs qui ont besoin de compensation. Elle accompagne les maîtres d’ouvrages dans leurs dé-marches de compensation. Elle travaille donc avec Vinci et les aide à compenser Notre-Dame-des-Landes.

1 fusion de la bourse de New-York et bourse de la zone Euro.

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Peux-tu nous parler de Notre-Dame-des-Landes et du rôle de la compensation

dans le projet d’aéroport ?

Depuis huit ans, elle expérimente dans la Crau, une zone de compensation par l’offre de 357 hectares. Ce sont surtout des entrepôts logistiques qui sont compen-sés. Mais aussi SPSE une société de pipeline dont un des tuyaux a explosé et déver-sé 4500 tonnes de pétrole sur 45 hectares en 2009 et qui a acheté pour compenser ses dégâts 10 hectares. Il y a aussi un entrepôt Castorama, un autre d’une société agroalimentaire.

En France, la nouvelle loi sur la biodiversité est en passe d’instaurer ce système à une plus grande échelle. « Un opérateur de compensation est une personne morale publique ou privée capable de mettre en œuvre les obligations de compensation des maîtres d’ouvrage et de les coordonner à long terme », nous dit l’article 33. Elle autorise aussi la mise en place de « réserves d’actifs naturels », l’équivalent des biobanques américaines.

Au printemps 2015, le volet environne-mental de la lutte contre l’aéroport a focalisé toutes les attentions. Après un important travail de contre-expertise juridique et de relevés effectué sur le terrain par les naturalistes en lutte, qui se voulait une réponse à l’expertise de Vinci, certains espoirs se sont portés sur des recours au tribunal qui visaient à démontrer l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures compensatoires et de déplacement des espèces proté-gées autorisant la destruction du bo-cage. Mi-juillet, le tribunal donna fina-lement gain de cause à Vinci. Quelques jours avant c’était le dossier Roybon (une autre ZAD près de Grenoble s’op-posant à la construction d’un Center parcs) qui avait été décrété « illégal » par le tribunal. Celui-ci avait jugé les compensations de zones humides « très insuffisantes ». C’est-à-dire qu’au même moment, la justice jugeait la compen-sation de deux projets « inutiles ». Dans un cas, elle donnait son feu vert à Vinci.

Dans l’autre Pierre & Vacances devait revoir sa copie. Et c’est la compensation qui était au cœur des débats.

La controverse compensatoire de l’aé-roport de Notre-Dame-des-Landes est intéressante. Premièrement elle a valeur d’expérimentation scientifique, ceux qui la mettent en place avancent à tâtons ne sachant pas comment quan-tifier ces centaines d’hectares de zones humides ni comment les compenser. Deuxièmement, cette expérience sert d’expérimentation sociale. La compen-sation, le vernis écologique et la pro-messe de remplacer ce qui sera perdu ici, par autre chose là-bas, y sont testés. Les compensateurs deviennent des so-ciologues de l’acceptabilité et leur rôle est de « désamorcer les craintes ».

Le collectif des naturalistes en lutte et des décompensateurs, fit alors un travail de contre-expertise pour dé-construire le travail d’étude de terrain et le projet de compensation proposé par Vinci par l’intermédiaire du bureau

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d’étude Biotope 1. Le travail des décom-pensateurs pointe les incohérences et les oublis du travail de Biotope. Je vais ici en citer quelques points 2 :

Concernant les zones humides celles-ci seraient dans le dossier « mal caractéri-sées et mal classifiées ce qui aboutirait a une sous-estimation de leur valeur écologique et donc du besoin de com-pensation ». Autre point de discorde sur la façon dont fut menée l’étude et sur la précision des observations mises en place « sachant que l’étude de AGO-Vinci (aéroport grand ouest) portait sur 3000 hectares on peut calculer que les équipes de Biotope ont prospecté 158 ha par jour pour les insectes, 79 ha par nuit pour les amphibiens, 250 ha par jour pour les rep-tiles et 67 ha par jour pour les oiseaux. » Et de conclure « qu’un inventaire qui a couvert une telle surface en si peu de temps ne peut pas avoir été réalisé d’une manière minutieuse. »

Autre point important, celui du « coeffi-cient de transaction ». Si un hectare doit être remplacé par un hectare équivalent, il est possible en donnant une valeur en unité de compensation à un territoire (qui dépend de son importance en termes de valeur écosystémique) de le compenser par autre chose (par exemple on peut compenser un hectare à forte valeur par 8 hectares à faible valeur, ou l’inverse). Sur ce point le rapport de contre-ex-pertise indique que « les coefficients de

1 Biotope n’a jamais voulu me recevoir. Depuis la polémique à Notre-Dame-des-Landes ils ont même engagé une agence de communication qui filtre les journalistes. Cette agence a visiblement bien fait son travail.

2 Toutes les citations sont tirées de la revue Penn Ar Bed n° : 213, La dérives des mesures compensatoires, bulletin naturaliste de Bretagne vivante spécial Notre-Dame-des-Landes

transaction imposés par le porteur de projet semblent relever plus d’un brico-lage permettant d’adapter des mesures compensatoires à la hauteur de ce qu’il est prêt à y investir que d’une méthode scientifique ». L’avantage de ce raison-nement pour Vinci, c’est qu’il est ainsi possible de compenser par tranche. La ZAD ne serait plus un tout, on pourrait la compenser par pièces. « La compensation telle que pensée par les aménageurs se fait à la découpe : parcelle par parcelle, espèce par espèce, fonction par fonction. Ces tranches seront plus tard interchan-geables si que l’on pourra compenser la perte de l’une par la bonne gestion ou la restauration de l’autre. (...) une telle fonctionnalité ne peut évidemment pas être découpée en différentes fonctions élémentaires et montre bien en quoi la zone humide de Notre-Dame-des-Landes constitue un tout auquel sont associées des fonctionnalités globales non com-pensables. (...) au lieu d’une approche globale du besoin de compensation le projet qui nous est proposé s’apparente à un droit à détruire compensé par pièces détachées. »

❝ Ce monde ressemble à une étrange maison de fou. En ce moment tout le monde discute avec tout le monde pour savoir si oui ou non la théorie de la rela-tivité est juste. Leurs opinions dépendent du parti politique auquel ils sont affiliés ❞,

disait Einstein en 1920.

Le bureau d’étude Biotope chargé de cette étude, attaqué par les décompensateurs qui l’accusaient d’utiliser une méthodo-logie certes inédite mais surtout « taillée sur mesure pour et par les maîtres d’ou-vrages » s’est en partie partiellement dé-chargé de sa responsabilité scientifique en précisant que « les maîtres d’ouvrage ont également apporté leur contribution à la rédaction du dossier, en rédigeant ou amendant certains chapitres ».

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Entretien

avec

un naturaliste en lutte,

collectif

Mauvaise Troupe,

Mars 2015,

constellation.boum.org

En CE2, on t'apprend à ne pas addi-tionner les choux et les carottes. Là, la logique de convertir toute la biodiversité en un seul chiffre, une seule valeur que l'on peut obtenir en additionnant tout et n'importe quoi, et c'est évidemment se préparer à la détruire. À ce sujet, il y a une lutte en marche qui va bien au-delà de la lutte de Notre-Dame-des-Landes. D'autant que l'aéroport leur sert de mo-dèle expérimental qui pourra être uti-lisé pour d'autres projets s'ils arrivent à justifier de sa validité. Il s'agit pour eux avec la logique de compensation de préparer la conver-sion de la biodi-versité en valeur monétaire, et ce pour préparer la création d' un mar-ché , avec tous les traders qui salivent déjà depuis des années sur l'arrivée de nouveaux terrains sur lesquels il était inter-dit jusqu'à présent de faire de l'économie de cette manière. (...)

Au final, des terres existantes, précieuses parce qu’elles abritent ou peuvent abriter des biotopes particuliers, et achetables ou louables pour compenser des des-tructions d’autres terres peuvent être mises en bourse. Cela va permettre de spéculer sur la biodiversité, de la vendre ou de l’acheter, d’augmenter la plus-va-lue dessus parce qu’elle sera de plus en plus rare et comptera de plus en plus de points, quitte à aider à sa raréfaction et à faire disparaître volontairement une espèce ou un milieu pour augmenter la plus-value... ou à faire faillite parce qu’ils auront malheureusement détruit

le dernier exemplaire d’un biotope qu’ils comptaient monétariser. (...)

Cela fait froid dans le dos. Ce qui se joue dans ce qu’ils tentent de mettre en œuvre à Notre-Dame-des-Lande, c’est tout sim-plement la conversion des derniers do-maines du vivant non marchandisés en monnaie, tout en obtenant des droits de détruire pour mener à bien leurs projets. Pour eux c’est deux fois banco. Ce n’est

pas rien de se battre aujourd’hui contre ça. A Notre-Dame-

des-Landes, c’est la première fois qu’ils

essaient de faire passer ça à cette échelle et avec une visibilité aussi grande, donc nous on peut pas man-

quer de les attaquer à cet endroit-là. Ils te

parlent d’expérimen-tation scientifique. Pour

moi il est évident qu’il ne s’agit pas d’une expérimentation

scientifique mais d’une expérimentation sociale, d’acceptabilité avec l’idée que si ça passe là, ça passera partout ailleurs et qu’a contrario si on arrive à les bloquer là-dessus, sur ce projet, on les neutrali-sera ailleurs aussi. (...)

L’idée de compensation pour moi ren-voie à une des maladies profondes de ce monde qui est de vouloir appliquer une logique gestionnaire et une qualité éco-nomique à l’ensemble du vivant : induire que tout est paramétrable, quantifiable, que tu peux donner des coefficients de valeur à tout ; une arithmétique générale avec laquelle tu peux jongler, où l’impor-tant au final est d’arriver à retrouver un certain chiffre.

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Ala fin du documentaire, tu reviens sur la régulation environnementale du début

de la révolution industrielle. Au XIXe siècle. L’historien Jean-Baptiste Fressoz explique que « la régulation environnementale n’a pas empêché les pollutions. Elle les a accompagnés. Elle les a rendues possibles. » Après la COP21, on nous a parlé d’ « optimisme », de « réveil » ou de « prise de conscience ». Pourtant à regarder l’histoire, il n’y a vraiment pas de quoi qualifier l’époque ainsi.

❝ La législation de 1810 sur les établisse-ments polluants, adoptée sous la pression des plus grands industriels du pays et pion-nière en son genre dans le monde indus-trialisé. Ce décret, toujours d’actualité, ne cherche pas à protéger la santé publique ni un environnement qui n’est pas encore pensé mais, tout au contraire, à protéger l’activité industrielle en régulant la relation entre propriété industrielle et propriété fon-cière et immobilière. Retirant à la justice le droit de fermer les entreprises polluantes, elle place celle-ci sous la protection de la justice administrative », écrit Geneviève Guillebaud-Massard. ❞

Ce que j’ai voulu montrer dans ce documentaire, c’est l’extrême paradoxe entre des mesures qui se veulent révolu-tionnaires (il n’y a qu’à regarder le battage médiatique autour de la COP21, le “sommet de la dernière chance“ comme celui quelques années avant à propos du Grenelle de l’en-vironnement) et la réalité. La réalité, c’est que toutes ces

régulations environnementales ont existé sous une autre forme ou un autre nom dès les débuts de la révolution industrielle. Un certain nombre d’historiens se sont intéressés au début de la révolution industrielle et à la régulation des nuisances. On peut citer Thomas Leroux dans Paris, le laboratoire des pollutions industrielles. Ge-neviève Massard-Guillebaud dans Histoire de la pollution industrielle, Jean-Baptiste Fressoz dans l’Apoca-lypse Joyeuse ou Estelle Baret-Bour-goin, à propos de Grenoble dans La ville industrielle et ses poisons.

Dans l’Apocalypse joyeuse, Fressoz explique qu’à partir du début du XIXe siècle, le bilan comptable des entreprises polluantes comporte une nouvelle ligne : dommage, in-demnités ou frais judiciaires. Les biens communs, comme le bon air de la cité et la santé qui en dépend ou l’état des rivières deviennent l’objet de transactions financières. Ces indemnités permirent aux conflits environnementaux de ne pas dégénérer. La justice civile et l’administration assurent la régulation environnementale d’un régime libéral. Car à partir de 1810, le décret impérial sur les établissements classés assure la pérennité de l’usine en dépit de la contestation des voisins. Ces derniers ne peuvent plus que se retourner vers les tribunaux civils et réclamer des indemnités. « La régulation est avant tout une libéralisation/marchandisation de l’environnement adapté à l’émer-gence du capitalisme industriel » écrit Fressoz. Chaptal, ministre de l’Intérieur de Napoléon, grand industriel et plus gros pollueur de France, déclare que « le gouver-nement doit protection à l’industrie. Il doit la protéger contre les événements. Du moment qu’elle existe, il ne s’agit plus d’examiner s’il a été avantageux de l’intro-duire ». Chaptal n’est pas responsable de ce décret mais son inspirateur.

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Dans le film, on voit des images de l’ancienne usine de Chaptal à Istres près de Fos-sur-mer. Cette usine, ouverte en 1809, est la plus importante du département. À l’époque, grâce aux chemins de fer on commence à délocaliser l’industrie en-dehors des villes. Autour de Marseille c’est notamment vers Istres que l’on concentre l’industrie chimique. Ce qui est plutôt cocasse c’est que cette usine, celle de Chaptal qui inspirera le décret de 1810, se trouve à moins de 20 kilomètres du site de Cossure, géré par la CDC Biodiversi-té et en charge de la compensation de la biodiversité. Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre.

Mais contrairement aux autres villes où se sont surtout les ouvriers qui sont touchés, ici c’est la bourgeoisie qui subit la pollution. L’élite sociale de la Provence, que l’on retrouve dans les conseils municipaux, au Conseil général des Bouches-du-Rhône, qui délibèrent toujours contre les soudiers. Malgré l’opposition générale des Marseillais, le régime soutient toujours les soudiers. Alors se met en place un système de compensation et les batailles juridiques ne concernent plus les fermetures d’usines mais le montant des in-demnités. On utilise le terme de « dommage moral », catégorie élastique donnant une existence juridique à l’environnement. Ces procès coûtent cher aux industriels, mais leur permettent de continuer leur activité. C’est à cette époque qu’il faut quantifier et chiffrer les dégâts. Les experts interviennent donc. Chaque année l’industriel arrose ses voisins. Pour la perte de la perte de la valeur vénale d’une maison. Pour des hectares de forêt frappée de stérilité. Pour la perte d’un mode de vie. Les sommes sont toujours plus importantes, d’autant que le voisinage commence à connaître le filon. Les indus-triels râlent, mais ils savent que leur survie dépend de ces compensations financières.

Lorsque j’ai parlé aux gens de la CDC Biodiversité de ces histoires d’un autre temps, ils m’ont répondu que le dédommagement financier des débuts de l’industrialisation n’avait rien à voir avec la compensation biodiversité. Dans un cas, l’argent achète le silence et la paix sociale dans l’autre il faut réellement compenser les dégâts. Quoiqu’on en pense, avec la compensation, on préserve réellement la nature. Mais dans les deux cas, l’argent reste l’intermédiaire. Dans les dédommagements du début du XIXe, dans le principe pollueur/payeur des années soixante-dix, ou dans la compensation biodiver-sité des années 2000, l’argent reste l’intermédiaire. L’argument des compensateurs de la CDC biodiversité de dire que tout ne s’achète pas (sous entendu tout ne se compense pas) est faux face à l’exemple de Notre-Dame-des-Landes. Effectivement l’aéroport ne se compense pas, mais on peut modeler la compensation comme on veut.

Dans l’Apocalypse Joyeuse, Fressoz introduit la notion de « désinhibition moderne ». Désinhiber : ne plus réfréner un processus. C’est-à-dire l’ensemble des processus qui permirent à nos ancêtres de détruire leur environnement en toute connaissance de cause. Cette notion renvoie à la thèse de Jean-Pierre Dupuy, dans Pour un catastro-phisme éclairé, pour qui nous ne sommes pas en face d’un problème de connaissance ou de conscience. Les problèmes sont connus et identifiés, au XXIe siècle comme au début de la révolution industrielle. Le problème c’est qu’on ne croit pas ce qu’on sait, et ON invente des dispositifs de désinhibition (comme la réglementation environnemen-tale ou la compensation) pour continuer comme avant malgré la parfaite connaissance du danger.

illustration : buste de Jean-Antoine CHAPTAL, (1756-1832), Ministre de l’Intérieur, plus gros pollueur de France, et écologiste

Page 32: Les dépossédés / interview

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❝ Ulrich Beck, dans La société du risque (écrit en 1986), parle de « rupture

dans la modernité » pour qualifier le fait que nous serions désormais conscients des risques de

l’action humaine sur l’environnement. Il fait de cette rupture un moment équivalent au passage du féodalisme

au capitalisme... Cette thèse est extraordinairement opti-miste : enfin seraient pris en compte les effets retours de

la modernité ! Elle donne l’illusion que le problème est com-pris et qu’on peut donc passer à autre chose. L’intendance sui-

vra, il ne reste plus qu’à inventer les outils ad hoc, à partir de ce constat intellectuel. Et de fait, World at risk (2008), un autre

livre d’Ulrich Beck non traduit en français, embrasse la doxa li-bérale sur les marchés à polluer, la prise en compte par le marché de la pollution, c’est-à-dire sa capacité à internaliser les coûts de la pollution. Beck juge que c’est un phénomène nouveau et que cela peut être une solution pour notre avenir.

Il peut alors être intéressant de montrer que ce principe de pollueur/payeur est en réalité très ancien, puisqu’il est présent dès les débuts de l’industrialisation. Dès ce moment, on se rend bien compte des dommages massifs de la pollution, que ce soit sur les récoltes ou sur la valeur des propriétés immobilières, et il paraît évident qu’on ne peut pas laisser faire.

A cette epoque, le pollueur compensait deja les

dommages, en indemnisant les voisins. Pour les gou-

vernements francais ou britanniques des annees 1820,

cette logique de compensation environnementale

permettrait meme d’aboutir a un point optimal entre

effort de depollution et efficacite productive. Or

on voit bien que ce mode liberal de regulation de

la pollution n’a pas empeche la degradation de

l’environnement.

Au contraire. Ce n’est donc pas en croyant découvrir ces dis-positifs qu’on va résoudre les problèmes. On ne ferait que ré-

péter l’histoire. Ces dispositifs anciens n’ont certainement pas réglé la pollution, ils l’ont plutôt légitimée, accompa-

gnée, justifiée ! Ils ont permis d’aplanir le conflit, de réduire le niveau de la polémique. C’est là que l’his-

toire est importante, pour ne pas faire illusion sur de fausses solutions. ❞

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Il y a un bonus à ce DVD. Peux-tu présenter Le soleil en boîte ?

Si Le soleil en boîte montre tout le délire d’ITER, de cette « croyance immodérée

des technophiles », il traite quand même de la compensation.

❝ Il existe cependant une opposition à l’implantation d’ITER, que portent les Verts du Conseil régional. Ils estiment le projet « frappé de gigantisme » pour des résultats incertains. Dans le programme de mandature qui les lie à la gauche, ils ont obtenu que, pour 1 euro versé à ITER, 1 euro aille aux énergies renouvelables. Leur vice-présidente du conseil régional, Annick Delhaye, se dit confiante dans le respect de la clause que Michel Vauzelle, président socialiste de la région PACA, de son côté, confirme. ❞

La région PACA se félicite et tente de parer aux critiques, 28/06/2005, Le Monde

Il s’agit de chutes du documentaire avec lesquelles j’ai décidé de faire un bonus. L’idée du film au départ était de montrer les deux solutions choisies par le système pour sauver la planète. D’abord, La fuite en avant technologique comme la fusion, la géo-ingenierie ou la croyance immodérée des technophiles selon laquelle la technologie nous sortira forcément de la situation dans laquelle elle nous a précédemment plongés. Et deuxièmement la marchan-disation. Parfois ces deux solutions se rejoignent. Finalement dans Les Dépos-sédés je me suis consacré à la question de l’économie, de la marchandisation. Bref. Dans La fusion nucléaire : toujours

pour après-demain 1 l’historien Nicolas Chevassus-au-Louis montre bien le rôle de la fu-

sion. L’espèce d’horizon lointain qu’elle a joué pendant des années. Depuis la fin des années 1950 jusqu’à aujourd’hui on a promis une énergie illimitée, quasi gratuite et sans danger. Justifiée par un discours alarmiste sur le stress énergé-tique, la peur de manquer et plus en-core aujourd’hui par l’épuisement des ressources et l’écologie, la fusion a légi-timé des milliards de subventions sans réel résultat. À tel point qu’aujourd’hui certains nucléaristes sont anti-ITER.

1 Chapitre 11 du livre Un iceberg dans mon whisky : quand la technologie dérape.

Oui, ce qui est intéressant c’est qu’on a là un projet écologique-ment désastreux qui s’inscrit sur une échelle de temps quasi

infinie mais on parle quand même de rendre le projet écologique. La forêt où est construit ITER est compensée. Ce que montre cet exemple c’est l’apolitisme total de façade de la compensation. Le cloisonnement entre le projet et sa mise en place. On va faire circuler du tritium sur les routes de Provence et on détournera la produc-tion électrique de Pierrelatte pour nourrir ce projet mais on a compensé l’habitat détruit du scarabée pique-prune. En général, les baux concernant les terrains de compensation sont de trente ans. Quant à la durée d’une pollution au tritium, je ne la connais pas.

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Ce que montre aussi le film, c’est le rôle des écologistes, des Verts j’entends,

dans le débat sur ITER.

❝ A mesure que le capitalisme se développe, il affaiblit et même détruit ses conditions de productions. Cette pression à la hausse sur les conditions de développement, le fait que le capital à besoin de ces dernières mais ne peut en même temps faire autrement que de les épuiser constitue la seconde contradiction du capitalisme, celle entre le capital et la nature, la première contradiction étant celle qui oppose le capital et le travail. (...)

L’État moderne doit être conçu comme l’interface entre le capital et la nature. Il est l’instant qui régule l’usage des condi-tions de production, afin que celles-ci puissent être exploitées par le capital. La nature livrée au capital sans interface serait rapidement détruite par lui. (...)

La crise environnementale n’est pas simplement un pro-blème a gérer pour la capitalisme, qui pèse négativement sur le taux de profit. Elle peut être une véritable stratégie d’accu-mulation. Comme l’a montré Gramsci, les crises sont toujours des moments ambivalents pour le capitalisme. D’un côté, elles représentent un risque pour la survie du système. Mais, de l’autre, elles sont aussi des occasions de générer de nouvelles opportunités de profits. La crise environnementale n’échappe pas à cette ambivalence. (...)

La nature est un champ de bataille, Razmig Keucheyan, 2014

« J’ai fait un bon compro-mis » me dit Annick Delhaye, vice-présidente de la région

PACA, dans l’interview. Leur rôle est ambigu et à la fois simple à comprendre. Ils sont pris dans leurs contradictions. Leurs sièges au Conseil régional dépendent du PS. Et leur crédibilité, de leur capacité à dire autre chose que non. « Ok pour ITER. Enfin oui mais non », poursuit-elle. Oui mais non, voilà sa position. Son compromis c’est donc 70 millions d’euros pour les énergies renouvelables quand le projet ITER en est déjà à 16 milliards d’euros. La position des Verts, c’est-à-dire de ceux qui sont censés représenter l’écologie dans les instances politiques, et le processus de com-pensation engagé dans le cadre d’ITER sont ce que Fressoz appelle des petites dé-sinhibitions modernes. Comme si ces quelques miettes allaient faire passer la pilule.

La crise n’a donc pas uniquement des effets negatifs pour le capital.

"Capitaliser sur le chaos" est toujours une possibilite pour lui.

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