INTERNATIONAL · 2015. 3. 6. · INTERNATIONAL JOURNÉE DES FEMMES CAHIER THÉMATIQUE H› LE...

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INTERNATIONAL JOURNÉE DES FEMMES CAHIER THÉMATIQUE H LE DEVOIR, LES SAMEDI 7 ET DIMANCHE 8 MARS 2015 Un jalon important de l’ histoire des femmes Page H 8 Quand austérité rime avec recul de l’égalité Page H 2 JEN GRANTHAM THINKSTOCK M ARCHE MONDIALE DES FEMMES Une grande mobilisation contre la mondialisation HÉLÈNE ROULOT-GANZMANN L ibérons nos corps, notre terre et nos territoires! Après trois premières éditions destinées à sensibiliser les populations à la pauvreté, aux vio- lences faites aux femmes et aux conséquences pour elles de l’aug- mentation de la militarisation et de la criminalisa- tion, les réflexions portent cette fois sur l’accapa- rement de la nature et l’appropriation des reve- nus par un petit nombre, et leurs effets sur le droit des travailleuses et le contrôle du corps et de la vie des femmes. Le but : démontrer les im- pacts concrets des différents systèmes d’oppres- sion, tels que le capitalisme, le patriarcat, le ra- cisme, l’hétérosexisme ou encore le colonia- lisme, sur les femmes au Québec et ailleurs dans le monde, tout en mettant de l’avant les formes de résistance qui s’organisent et les solutions qui se développent un peu partout. « Les politiques d’austérité touchent particuliè- rement les femmes, assure Alexa Conradi, prési- dente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), organisme à l’origine de cette marche mondiale. Parce que les emplois perdus le sont principalement dans des secteurs occupés par les femmes. Parce que lorsqu’on augmente les tarifs ou que l’on coupe dans des services, ce sont elles qui prennent le relais et qui augmentent leur temps de travail non rémunéré. Parce que tout autour de la planète, ce sont elles qui sont les plus pauvres, elles subissent de manière plus marquée les changements climatiques. » M me Conradi explique par exemple que lorsqu’une tempête survient à New York, ce ne sont pas les riches qui vivent dans les tours de Manhattan qui en subissent les conséquences, mais plutôt celles qui logent dans des taudis et qui tentent tant bien que mal de faire manger leurs enfants. « Plus près de nous, ajoute-t-elle, on sait par exemple que lors du déluge du Saguenay, les vio- lences faites aux femmes ont augmenté. Dès qu’il y a un désordre social, quel qu’il soit, les femmes sont en première ligne et en subissent de plein fouet les effets. » Au programme de la première journée d’ac- tion demain, une marche organisée par l’asso- ciation Femmes de diverses origines, contre le mensonge de l’austérité et de la destruction environnementale. « Cet organisme regroupe de nombreuses femmes de couleur et/ou immigrantes, explique la prési- dente de la FFQ. Elles ont une connaissance, au- tant du vécu et de l’oppression subis par les femmes ici que des conflits, de la pauvreté, des luttes des femmes dans les pays du Sud. On est donc vrai- ment heureuses de se joindre à leur marche. » Un événement qui sera précédé dans la mati- née par une action éclair. Le lieu est tenu secret, mais il s’agira de former un mur de femmes en opposition aux oléoducs et à l’arrivée des sables bitumineux. Un geste auquel l’Association des femmes autochtones, dont sa présidente Vi- viane Michel, également co-porte-parole de la Marche des femmes, compte bien se joindre. « Les femmes autochtones se positionnent au ni- veau de la défense de l’environnement et de la préservation de leur territoire, explique-t-elle. Nos membres réagissent, se mobilisent, intervien- nent lorsqu’il y a des projets de développement sur leurs terres. Lorsqu’il y a extraction d’hydro- carbures, notamment. Nous sommes dans une dé- marche de résistance parce que nous sommes vé- ritablement attaquées. » Elle rappelle ainsi que partout où les mi- nières s’installent, les cas de viols et d’agres- sions sexuelles augmentent. Que l’industrie du sexe se développe et que les femmes autoch- tones s’y retrouvent faute d’autres options. Mais M me Michel souligne également que ses membres participent à cette marche mondiale dans le but surtout de braquer les projecteurs La Journée des femmes, le 8 mars prochain, marque aussi le lancement de la quatrième Marche mondiale des femmes. Initié par le mouvement féministe québécois en l’an 2000, l’événement se décline à l’international et a pour but, tous les cinq ans, de mettre un coup de projecteur sur la réalité des femmes tout autour de la planète. Au programme, colloques, ate- liers d’éducation populaire, actions éclairs et, pour terminer, un grand rassemblement final à Trois-Rivières, le 17 octobre prochain. VOIR PAGE H 8 : MOBILISATION

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  • INTERNATIONALJOURNÉE DES FEMMES

    C A H I E R T H É M A T I Q U E H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5

    Un jalon importantde l’histoire des femmesPage H 8

    Quand austéritérime avec recul de l’égalitéPage H 2

    JEN GRANTHAM THINKSTOCK

    MARCHE MONDIALE DES FEMMES

    Une grande mobilisation contre la mondialisation

    H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

    Libérons nos corps, notre terre et nosterritoires ! Après trois premièreséditions destinées à sensibiliser lespopulations à la pauvreté, aux vio-lences faites aux femmes et auxconséquences pour elles de l’aug-

    mentation de la militarisation et de la criminalisa-tion, les réflexions portent cette fois sur l’accapa-rement de la nature et l’appropriation des reve-nus par un petit nombre, et leurs effets sur ledroit des travailleuses et le contrôle du corps etde la vie des femmes. Le but : démontrer les im-pacts concrets des différents systèmes d’oppres-sion, tels que le capitalisme, le patriarcat, le ra-cisme, l’hétérosexisme ou encore le colonia-

    lisme, sur les femmes au Québec et ailleurs dansle monde, tout en mettant de l’avant les formesde résistance qui s’organisent et les solutionsqui se développent un peu partout.

    «Les politiques d’austérité touchent particuliè-rement les femmes, assure Alexa Conradi, prési-dente de la Fédération des femmes du Québec(FFQ), organisme à l’origine de cette marchemondiale. Parce que les emplois perdus le sontprincipalement dans des secteurs occupés par lesfemmes. Parce que lorsqu’on augmente les tarifsou que l’on coupe dans des services, ce sont ellesqui prennent le relais et qui augmentent leurtemps de travail non rémunéré. Parce que toutautour de la planète, ce sont elles qui sont lesplus pauvres, elles subissent de manière plusmarquée les changements climatiques. »

    Mme Conradi explique par exemple quelorsqu’une tempête survient à New York, ce nesont pas les riches qui vivent dans les tours deManhattan qui en subissent les conséquences,mais plutôt celles qui logent dans des taudis etqui tentent tant bien que mal de faire mangerleurs enfants.

    « Plus près de nous, ajoute-t-elle, on sait parexemple que lors du déluge du Saguenay, les vio-lences faites aux femmes ont augmenté. Dès qu’ily a un désordre social, quel qu’il soit, les femmessont en première ligne et en subissent de pleinfouet les effets. »

    Au programme de la première journée d’ac-tion demain, une marche organisée par l’asso-ciation Femmes de diverses origines, contre lemensonge de l’austérité et de la destructionenvironnementale.

    «Cet organisme regroupe de nombreuses femmesde couleur et/ou immigrantes, explique la prési-dente de la FFQ. Elles ont une connaissance, au-tant du vécu et de l’oppression subis par les femmesici que des conflits, de la pauvreté, des luttes desfemmes dans les pays du Sud. On est donc vrai-ment heureuses de se joindre à leur marche.»

    Un événement qui sera précédé dans la mati-

    née par une action éclair. Le lieu est tenu secret,mais il s’agira de former un mur de femmes enopposition aux oléoducs et à l’arrivée des sablesbitumineux. Un geste auquel l’Association desfemmes autochtones, dont sa présidente Vi-viane Michel, également co-porte-parole de laMarche des femmes, compte bien se joindre.

    «Les femmes autochtones se positionnent au ni-veau de la défense de l’environnement et de lapréservation de leur territoire, explique-t-elle.Nos membres réagissent, se mobilisent, intervien-nent lorsqu’il y a des projets de développementsur leurs terres. Lorsqu’il y a extraction d’hydro-carbures, notamment. Nous sommes dans une dé-marche de résistance parce que nous sommes vé-ritablement attaquées. »

    Elle rappelle ainsi que par tout où les mi-nières s’installent, les cas de viols et d’agres-sions sexuelles augmentent. Que l’industrie dusexe se développe et que les femmes autoch-tones s’y retrouvent faute d’autres options.Mais Mme Michel souligne également que sesmembres participent à cette marche mondialedans le but surtout de braquer les projecteurs

    La Journée des femmes, le 8 mars prochain, marque aussi le lancement de la quatrièmeMarche mondiale des femmes. Initié par le mouvement féministe québécois en l’an 2000,l’événement se décline à l’international et a pour but, tous les cinq ans, de mettre un coup deprojecteur sur la réalité des femmes tout autour de la planète. Au programme, colloques, ate-liers d’éducation populaire, actions éclairs et, pour terminer, un grand rassemblement final àTrois-Rivières, le 17 octobre prochain.

    VOIR PAGE H 8 : MOBILISATION

  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5H 2

    Adèle Labrèche-Michaud, Lise Prescott et Francine Harel-Giasson ont convaincu le maire Drapeau, en 1984, d’honorer Marguerite Bourgeoys, première institutrice de Ville-Marie et fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame, par un monument et une place juste à côté de l’hôtel de ville de Montréal.

    Aujourd’hui, pour que la place des femmes ne tombe pas sous le niqab, baptisons le futur pont qui enjambera le Saint-Laurent :

    Pont Hélène et Samuel de Champlain.Ligue des femmes du Québec fondée en 1957 tél. : 514-527-1176

    photo Jacques Nadeau

    F R É D É R I Q U E D O Y O N

    V ivement l’analyse différen-ciée selon les sexes dansl’élaboration des politiquesgouvernementales ! L’appel tra-verse, en sous-texte, l’étude dé-voilée cette semaine par l’Insti-tut de recherche et d’informa-tion socio-économique (IRIS).Et les représentantes de l’In-tersyndicale des femmes quil’ont commandée en rajoutent :haro sur l’austérité ; il est en-core temps d’infléchir l’actiongouvernementale.

    Tous égaux devant l’austé-rité ? Il faudrait plutôt dire quecer tains, nommément leshommes, sont plus égaux quetoutes les autres, concluent leschercheurs Ève-Lyne Coutu-rier et Simon Tremblay-Pépindans Les mesures d’austérité etles femmes : analyse des docu-ments budgétaires depuis no-vembre 2008. Ils révèlent queces mesures font subir auxfemmes des compressions de3,1 milliards de dollars de plusqu’aux hommes, sur un totalde 23 milliards.

    Même du côté de la relancequi a suivi la crise de 2008, leshommes récoltent deux foisplus de bénéfices (7,2 mil-liards de dollars) que leurs vis-à-vis (3,5 milliards). Les gou-vernants avaient pourtant ré-pété que leurs politiquesn’étaient pas discriminatoires,qu’elles étaient « neutres » et« technocratiques », comme lesouligne l’étude.

    «Elles sont peut-être neutresdans leurs intentions, mais pasdans leurs effets réels», résume lachercheure Ève-Lyne Couturier,qui cosigne le rapport de l’IRISavec Simon Tremblay-Pépin.

    En chif frant l’impact plusimpor tant de l’austérité surles femmes, l’étude démon-tre donc du même coup quele sacro-saint principe d’éga-l i té hommes-femmes, dé-fendu bec et ongles quand ilest question de valeurs pro-fondément québécoises,n’est peut-être qu’un mirageculturel à l’ère du néolibéra-lisme triomphant, obsédé parla croissance économique.

    «En 2006, le gouvernement adit qu’il allait mettre en œuvrel’analyse dif férenciée selon lessexes [dans l’élaboration de sespolitiques], mais il n’y a pas eude suite, explique Mme Coutu-rier. On se retrouve avec un mi-nistre des Finances qui s’étonneque ses mesures aient plus d’im-pacts négatifs sur les femmes etfavorisent des emplois générale-ment occupés par des hommes.»

    « C’est assez majeur commeétude, commente Louise Cha-bot, présidente de la Centraledes syndicats du Québec, unedes sept organisations mem-bres de l’Intersyndicale desfemmes, qui a commandé lerapport à l’IRIS. Ça permet dedonner un coup de barre au

    gouvernement pour qu’il fasseune priorité de l’égalitéhommes-femmes, qui n’est ja-mais acquise, et qu’il mette finà ses mesures d’austérité. »

    Effets chiffrés et non mesurables

    Les chercheurs de l’IRISont donc refait les devoirs dugouvernement en appliquantladite différenciation sexuelledans l’analyse des politiquespost-crise économique. Aprèsavoir cerné les contours del’austérité, réponse typique-ment néolibérale à la crise,pour confirmer qu’on est enplein dedans, ils ont analysé109 actions de relance et 83mesures d’austérité mises enœuvre au Québec depuis2008. Conclusion : les femmesencaissent deux fois moins debénéfices de la relance et su-bissent plus de compressions.

    Si la crise économique ad’abord touché les hommes —en heurtant de plein fouet l’en-treprise privée — la relanceles a concernés au premierchef en misant sur les res-sources naturelles et les infra-structures, souligne l’étude. Etl’austérité les a encore favori-sés, au détriment des femmes,en coupant dans les secteursqu’elles occupent en majorité.

    Au pays de l’austérité, « toutl’argent qu’on met dans le sec-teur privé, c’est de l’investisse-

    ment, et tout ce qui va dans lesecteur public, c’est considérécomme des dépenses, noteMme Couturier. Pour réduire lesdépenses, c’est donc là qu’onagit. Vu que c’est un secteur à75% occupé par des femmes, çales touche davantage que leshommes». Une « ségrégation oc-cupationnelle » reconnue parl’OCDE.

    «Les coupes effectuées dans lesecteur public ont bien d’autreseffets négatifs plus difficiles à me-surer sur les femmes», écriventles chercheurs de l’IRIS. Ils ci-tent notamment la difficulté àretrouver un emploi bien rému-néré et assorti de bonnes condi-tions, les répercussions néga-tives sur les services à la popu-lation, en s’appuyant sur plu-sieurs études internationales.

    Ces études « montrent queles femmes font encore la majo-rité des tâches domestiques. Or,

    quand la sphère publique se dé-barrasse de ses responsabilitéscollectives, ça retourne dans lasphère privée, donc dans ladouble tâche des femmes », ex-plique Mme Couturier.

    «Les femmes sont à la fois tou-

    chées comme travailleuses etcomme utilisatrices majoritairesdes services et des programmessociaux », souligne la prési-

    dente de laCSQ.

    Régine Lau-rent, prési-dente de la Fé-dération inter-p r o f e s s i o n -nelle de la

    santé du Québec (FIQ), voitdéjà chez ses membres des ef-fets liés aux augmentations detarifs dans les CPE. « Beau-coup de jeunes mères qui tra-vaillent déjà à temps partiel re-mettent en question la venue

    d’un deuxième enfant», dit-elle.Pour Manon Therrien, du

    Syndicat des professionnelles etprofessionnels du gouverne-ment du Québec (SPGQ), l’im-pact est direct, alors que cer-tains membres ont vu leur posteaboli dans les bureaux régio-naux du ministère de l’Éduca-tion, du Loisir et du Sport ou duConseil du statut de la femme.

    «Ces gens doivent se trouverun nouvel emploi. Or il n’y a pastant de postes aussi spécialisésdans les régions », dit-elle. Lerapport de l’IRIS signale qu’enEurope cette perspective d’unedévalorisation professionnelle amême entraîné «un certain re-tour à la maison des femmes».Un choix que les compressionscombinées dans d’autres sec-

    t e u r s ( a i d a n t s n a t u r e l s ,CPE, etc.) risquent de favoriser.

    « Si on persiste dans cettevoie-là, ça va être un recul ma-jeur pour les femmes, sur desannées d’acquis dif ficiles à re-trouver », conclut Mme Chabot,de la CSQ.

    Pour Régine Laurent, de laFIQ, le message qu’envoie legouvernement, à la lumière decette étude, est sans équi-voque : «Les femmes, envoye àmaison!» Et le long soupir quis’ensuit traduit à la fois l’exas-pération et la ferme intentionde se retrousser doublementles manches au cours des pro-chains jours et semaines.

    CollaboratriceLe Devoir

    Quand austérité rime avec recul des femmesUne étude de l’IRIS montre que l’analyse différenciée selon les sexes n’est pas appliquée par Québec

    ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

    «Les coupes ef fectuées dans le secteur public ont bien d’autres ef fets négatifs plus dif ficiles àmesurer sur les femmes», écrivent les chercheurs de l'IRIS. Ils citent notamment la dif ficulté àretrouver un emploi bien rémunéré et assorti de bonnes conditions.

    Le sacro-saint principe d’égalitéhommes-femmes n’est peut-être qu’un mirage culturel à l’ère du néolibéralisme triomphant

    Fondée en 1977, l’Intersyndi-cale des femmes réunit230 000 membres affiliées àsept organisations: l’Alliancedu personnel professionnel ettechnique de la santé et desservices sociaux, la Centraledes syndicats du Québec, laCentrale des syndicats démo-cratiques, la Fédération auto-nome de l’enseignement, la Fé-dération interprofessionnellede la santé du Québec, le Syn-dicat de la fonction publique etparapublique du Québec et leSyndicat de professionnelles etde professionnels du gouver-

    nement du Québec. Cette al-liance réalise des analyses etmobilise les femmes du milieusyndical pour plusieurs enjeux,notamment les droits paren-taux, le harcèlement psycholo-gique et la conciliation famille-travail. Une rencontre est pré-vue le 13 mars avec la ministreresponsable de la condition fé-minine, Stéphanie Vallée, pourlui faire part des revendica-tions de l’alliance. D’ici là,place à la manifestation du8 mars, Femmes en marchepour l’égalité — solidairescontre l’austérité.

    Le 8 mars, tous les jours

    JACQUES NADEAU LE DEVOIR

    « Les femmes sont à la fois touchées comme travailleuses etcomme utilisatrices majoritaires des services et des programmessociaux», souligne la présidente de la CSQ.

    ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

    Même du côté de la relance qui a suivi la crise de 2008, les hommes récoltent deux fois plus debénéfices (7,2 milliards de dollars) que leurs vis-à-vis (3,5 milliards).

  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5 H 3

    C L A U D E L A F L E U R

    L’ a t t e i n t e d e l ’ é g a l i t éhommes-femmes est unimportant moteur de progrèséconomique et social, car plusune société tend vers l’égalité,mieux elle se porte. Voilà ceque constate Sylvie Morel,économiste et professeure ti-tulaire au Département des re-lations industrielles de l’Uni-versité Laval. Les recherchesmontrent en effet que tout lemonde gagne à favoriser l’éga-lité, non seulement lesfemmes, mais tout aussi bienles hommes et les gouverne-ments que le secteur privé.

    « L’égalité comme vecteur dedéveloppement économique etsocial est un sujet peu connu»,indique Mme Morel. La re-cherche de l’égalité est en ou-tre une question brûlante d’ac-tualité, à l’heure où le gouver-nement Couillard a pour butde transformer radicalementnotre société. Par conséquent,c’est une question dont on de-vrait sérieusement débattre,estime la chercheuse.

    L’égalité… presque atteinte?

    Certains et certaines consi-dèrent qu’on est pratiquementpar venu à l’égalité hommes-femmes, du fait que lesfemmes se retrouvent désor-mais sur le marché du travailet ont accès à tous les typesd’emploi. Certes, il y a bien en-core un cer tain écar t de sa-laire à combler, observe-t-on,mais l’égalité est atteinte àbien des égards, n’est-ce pas?

    Ce n’est pourtant pas ce queconstate l’économiste. «Concrète-ment, l’égalité s’observe à partird’indicateurs tels que le sous-em-ploi et l’emploi à temps partiel, re-late Sylvie Morel. Or la préva-lence du temps partiel chez lesfemmes est un phénomène majeuraujourd’hui encore.» Il y a aussice que les spécialistes appellentla «ségrégation occupationnelle»,le fait que les femmes se retrou-vent souvent dans un nombre li-mité d’occupations (et générale-ment moins bien rémunérées).

    Le fait aussi que ce soientelles qui s’occupent davantagedes personnes dépendantes àla maison — donc, tout ce quia trait au partage des tâchesdomestiques — est un autreindicateur d’inégalité socialeet économique, rappor teMme Morel.

    Or il y a maints avantages àce qu’une société favorisel ’égalité hommes-femmes,enchaîne l ’économiste, àcommencer par le fait qu’onbénéficie alors de l ’appor td’une main-d’œuvre qualifiéeet diversifiée. « En favorisantl’égalité, on obtient un plusgrand apport de compétences,de créativité, etc. », obser veSylvie Morel.

    On peut aussi examiner l’im-pact des politiques d’égalitésur les taux de natalité. Il aainsi été démontré que les so-ciétés qui soutiennent davan-tage les parents, en favorisantnotamment la conciliation em-ploi-famille, voient augmenterleur taux de natalité. « C’est làun bel indicateur de bien-être etde la qualité de l’emploi », notela chercheuse.

    Un autre indicateur d’inéga-lité est la sous-évaluation de lavaleur du travail féminin, qui setraduit bien entendu par une ré-munération inférieure. Or on ob-serve un écart d’au moins 10%entre les conditions salarialesdes hommes et des femmes,précise Sylvie Morel. «Suppo-sons donc qu’on règle ce problèmepar une bonification de la loi surl’équité salariale et qu’on envoieainsi un signal clair aux entre-prises, ce serait alors une autrefaçon de générer un impact positifsur le dynamisme économique»,relate-t-elle.

    Elle observe en outre qu’unesociété égalitaire offre une éco-nomie de ser vices bien plusavantageuse à tout le mondequ’une société inégalitaire. C’estnotamment ce qui se passe dansles pays scandinaves, qui met-tent en place une foule de me-sures et de programmes so-ciaux, contrairement aux paysanglo-saxons, qui sont davan-tage portés vers le libre marchéet l’entreprise privée.

    « Ça, c’est assez fascinant àobserver, déclare-t-elle avec en-thousiasme. Ainsi, les sociétésqui octroient des services à l’en-semble de leur population déve-loppent par le fait même des em-plois de qualité, contrairement à

    celles qui nivellent par le bas.»« C’est tout à fait remarqua-

    ble, de poursuivre la profes-seure au Département des re-lations industrielles de l’Uni-versité Laval, de voir une struc-turation tout à fait dif férenteentre le modèle anglo-saxon etle modèle nordique. En favori-sant une économie de servicespublics, on génère un dévelop-pement par le haut plutôt quepar le bas, ce qui propulse l’en-semble de l‘économie » au pro-fit, pourrait-on ajouter, desfemmes et des hommes.

    «On casse la baraque!»Pour Sylvie Morel, il y a

    donc de grands écarts écono-miques et sociaux entre les so-ciétés qui favorisent l’égalitéhommes-femmes et celles quivisent essentiellement la ren-tabilité et l’équilibre budgé-taire. « Il faut qu’on y réfléchissesérieusement, dit-elle, et qu’onanalyse tous les aspects liés àcette thématique. »

    À l’heure actuelle, la situa-tion des femmes est à risque,poursuit-elle, à cause del’orientation du gouvernementCouillard. «Les risques sont trèsélevés, insiste-t-elle, parce qu’enmettant l’accent sur l’équilibrebudgétaire, sans considérer l’im-pact à tous les niveaux que celapeut occasionner, on fera ensor te que les femmes serontparmi les premières à ressentirl’impact négatif des politiquesgouvernementales.»

    Comme tout le monde,Mm e Morel obser ve qu’ac-tuellement « on casse la ba-raque » à tous les échelons :dans les régions, dans les po-litiques sociales, en emploi,en santé, en éducation, etc.,et ce, sans en avoir préalable-ment analysé les consé-quences désastreuses.

    «Réfléchir aux questions d’éga-lité permettrait de renouveler ledébat sur la façon dont on vit ensociété, poursuit-elle. Cela réacti-verait des enjeux qui sont passés àla trappe à l’heure actuelle, dansun contexte où on a l’impressionque tout ce qui compte, ce sontdes équilibres comptables.»

    « Mais ne nous y tromponspas, prévient la chercheuse,puisque, derrière la fixation surle déséquilibre budgétaire, il y aun projet de société », à savoir :l’imposition d’une vision qui vaà l’encontre de l’ensemble dece qui s’est fait au Québec de-puis des décennies et au sujetduquel on ne fait aucun ques-tionnement préalable.

    CollaborateurLe Devoir

    L’égalité… tout le monde y gagnerait !

    Tourné vers l’avenir et animé par le désir d’améliorer les conditions de vie des femmes, le Conseil poursuit plusieurs travaux autour d’enjeux actuels qui touchent

    la vie des femmes et des hommes d’ici.

    Plus que jamais, il est nécessaire de poursuivre le travail de promotion et de défense

    des droits des Québécoises pour l’atteinte d’une réelle égalité.

    Le Conseil du statut de la femme en action avec les femmes du Québec !

    Imaginez l’égalité !

    Partage du congé parental

    Mères

    porteuses

    Sexualité

    et vie amoureuse

    des adolescentes

    Agressions

    sexuelles

    Place des femmes en politique

    www.placealegalite.gouv.qc.ca

    8 mars 2015Journée internationale

    des femmes

    ÉRIC SAINT-PIERRE LE DEVOIR

    Un autre indicateur d’inégalité est la sous-évaluation de la valeur du travail féminin, qui se traduit bien entendu par une rémunération inférieure. Or, on observe un écartd’au moins 10% entre les conditions salariales des hommes et des femmes, précise Sylvie Morel.

    MICKAËL MONNIER LE DEVOIR

    Il y a maints avantages à ce qu’une société favorise l’égalité hommes-femmes, convient l’économiste Sylvie Morel, à commencer par le fait qu’on bénéficie alors de l’apportd’une main-d’œuvre qualifiée et diversifiée. «En favorisant l’égalité, on obtient un plus grand apport de compétences, de créativité, etc. »

  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5H 4

    R É G I N A L D H A R V E Y

    L a Fédération des femmesdu Québec (FFQ) formede nos jours un mouvement di-versifié au sein duquel est re-groupée toute une panoplie degroupes de femmes du Qué-bec. Pour sa par t, le Réseaudes tables régionales degroupes de femmes du Qué-bec réunit des membres enprovenance de 17 régions ad-ministratives. Ces gens-là sontmalmenés par la gouvernanceactuelle.

    Alexa Conradi occupe lafonction de présidente de la fé-dération depuis 2009 et quit-tera son poste en 2015 aprèsavoir rempli trois mandats.Quel regard pose-t-elle au-jourd’hui sur ce mouvementhistorique ? « On se donne lesmoyens pour être toujours àl’af fût et à l’avant-plan des en-jeux que rencontrent lesfemmes. Nos membres se diver-sifient au fil des années. »

    Que sont-ils devenus ? « Autout début, ils venaient d’unecertaine classe sociale et d’uncertain milieu. Maintenant, ilssont en provenance de toutessor tes de classes et leurs ori-gines sont multiples. Il y a desfemmes hétérosexuelles et d’au-tres qui sont lesbiennes ; les âgessont variables. Il y en a qui œu-vrent dans des milieux très dif-férents : cer taines travaillentauprès de femmes victimes deviolence conjugale, d’autressont des militantes auprès depersonnes non syndiquées dansdes secteurs d’emplois précaireset d’autres encore se penchentsur la sexualité et la santé. »

    Elle pose ce regard surcette organisation à caractèrehétéroclite : « La FFQ se veutun reflet de la société québé-coise ; il s’y déroule des débatsvigoureux qui engendrent par-fois des consensus et, en d’au-tres occasions, ils soulèvent despassions et font naître des divi-sions. » Sur le plan des coupesqui frappent ces diversgroupes, « il n’y a pas vrai-ment de controverse dans nosrangs quant à savoir si l’austé-rité a un impact par ticuliersur les femmes : c’est entenducomme une réalité qui suscite

    des ef fets négatifs ». L’égalitéhommes-femmes est malme-née : «Le tiers des travailleusestrouve de l’emploi auprès del’État qui supprime actuelle-ment un ensemble de ses pro-grammes et services. On coupeaussi des subventions dans lesgroupes de femmes et dans lesorganismes communautaires.Nombre de ces mesures sont ap-pliquées dans des secteurs àprédominance féminine, là oùelles entraînent des per tes

    d’emploi ou des reculs sur leplan des conditions de travail. »

    On coupe les vivres tous azimuts

    Alexa Conradi déplore queplusieurs groupes de femmessoient victimes actuellementde coupes sévères dans les al-locations budgétaires qu’ils re-cevaient de l’appareil gouver-nemental. Elle cite entre au-tres le Réseau des tables ré-gionales, dont le budget prévu

    a fondu : « Du fait que le gou-vernement décide de détruire laplupart des lieux de concerta-tion régionale par manque definancement, la majorité de cestables passeront de trois travail-leuses à une seule d’ici la fin dumois de mars. » Elle mesureles conséquences prévisiblesd’une telle mesure : « Il y auraen région un manque de lacontribution des connaissancesen condition féminine sur leplan des décisions politiques

    touchant le développement so-cial, économique et culturel ;une expertise se perd. »

    Le réseau québécois d’ac-tion pour la santé des femmesest pareillement affecté : « Il asubi des coupes impor tantes ;son personnel a été réduit àdeux personnes plutôt que septou huit dans le passé, ce qui aévidemment un impact sérieuxsur le travail qu’elles accom-plissaient, par exemple sur lesconséquences de l’utilisation desproduits pharmaceutiques et del’environnement sur la santédes femmes. » La Fédérationdes femmes qu’elle dirige n’apas été épargnée, tant sur leplan fédéral que provincial : « Ily a quatre ans, on était sept tra-vailleuses permanentes et ondisposait toujours d’un certainbudget pour utiliser les servicesde contractuelles ; nous nesommes plus que quatre pourune organisation qui a des as-sises partout au Québec et quitraite l’ensemble des dossiers encondition féminine. »

    Le couperet en d’autres lieux

    Blanche Paradis coordonne,à partir de Saint-Jérôme, les ac-tivités du Réseau des tables ré-gionales de groupes de femmesdu Québec, dont elle trace ceportrait : «On couvre toutes lesrégions administratives du Qué-bec, incluant la Baie-James. Onretrouve dans notre mouvementplus de 400 groupes de femmesprésents sur ce territoire. En fait,c’est tout ce qui bouge en condi-tion féminine et en féminisme seréunissant autour d’une mêmetable dans les régions.»

    Elle signale de son côté unesérie de coupes budgétairesqui affectent les femmes : « Il ya d’abord les bureaux régionauxdu ministère de l’Éducation quiont fermé, ce qui a entraîné lasuspension du concours « Cha-peau, les filles ! », qui était coor-

    donné par ceux-ci. » Une telleinitiative valorisait la diversifi-cation du choix des carrièrespossibles pour les femmes, etc’était aussi un endroit où il yavait un programme en par-cours innovateurs pour celles-ci. Tout cela s’est arrêté.

    Elle sert un autre exemplemal connu : « Il y a toute laquestion du projet annoncé dela fusion des commissions sco-laires. Mine de rien, il s’agit dela seule instance élective auQuébec où les femmes ont at-teint la parité de représenta-tion ; on touche là une forme degouvernement où elles sont pa-ritaires. » Entre de plus enligne de compte la fermeturedes bureaux régionaux du mi-nistère de l’Immigration, de laDiversité et de l’Inclusion :« Évidemment, cette mesure vaatteindre directement l’intégra-tion à la société de toutes lesfemmes immigrantes. »

    Blanche Paradis cite encoreà titre d’exemple la fermeturedes quatre bureaux régionauxrestants du Conseil du statutde la femme : « Il y en a déjàeu 15, et c’est une per te d’ex-per tise pour chacune des ré-gions. » L’inventaire ne s’ar-rête pas là et la coordonna-trice ajoute à la liste le coupe-ret qui a amputé de moitiéson faible budget de un mil-lion de dollars pour le pro-gramme « À égalité pour déci-der », qui favorisait l’accès desfemmes aux instances déci-sionnelles. Elle déplore dumême souffle les coupes dansles programmes d’aide auxmilieux dévitalisés, « qui don-naient un peu d’air aux ci-toyens et aux citoyennes parmiles plus pauvres du Québec ; lesfemmes et les enfants habitantdans ces municipalités sontparticulièrement touchés ».

    CollaborateurLe Devoir

    COMPRESSIONS GOUVERNEMENTALES

    Les groupes de femmes écopent

    GUNTHER GAMPER

    « Il y aura en région un manque de la contribution des connaissances en condition féminine sur leplan des décisions politiques touchant le développement social, économique et culturel; une expertisese perd », explique la présidente de la Fédération des femmes du Québec, Alexa Conradi.

    Il y a toute la question du projetannoncé de la fusion des commissionsscolaires. Mine de rien, il s’agit de la seule instance élective au Québecoù les femmes ont atteint la parité de représentation; on touche là une forme de gouvernement où elles sont paritaires.Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec

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  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5 H 5

    Notre formation politique a toujours été solidaire de celles et de ceux aspirant à la pleine égalité entre les hommes et les femmes. D’une génération à l’autre, cette cause fondamentale n’a cessé de récolter des appuis. Les femmes se sont élevées à des niveaux supérieurs, et ce, dans tous les domaines. Au Québec, elles savent maintenant qu’elles n’ont pas à imposer de limites à leurs ambitions. En cette Journée internationale de la femme, je me joins à toute la population pour rendre hommage à chacune d’elles. Stéphane Bédard, député de Chicoutimi et chef de l’opposition officielle

    Si l’égalité de fait entre les hommes et lesfemmes n’est pas encore devenue une réalitémême au Québec, les femmes autochtonessont dans une catégorie à part. En plus del’énorme violence dont celles-ci sont victimes,la situation laisse place à beaucoup d’indif fé-rence et est souvent accentuée par l’impunité.

    M A R T I N E L E T A R T E

    « R appelez-vous lors de la disparition deCédrika Provencher, il y a quelques an-nées, à quel point on voyait sa photo par toutdans les médias. Cela n’aurait pas eu lieu si elleavait été autochtone. Les cas de disparition defemmes autochtones ne sont pas médiatisés. »Cette constatation est faite par Viviane Michel,présidente de l’organisme Femmes autoch-tones du Québec (FAQ).

    On a tout de même beaucoup entendu par-ler dans les médias récemment des nombreuxcas de disparition et d’assassinat de femmesautochtones au Canada passés sous silencependant de nombreuses années. La GRC amême déposé un rapport le printemps derniersur la question. On y apprenait qu’entre 1980et 2012, 1017 meur tres de femmes autoch-tones ont été recensés dans les bases de don-nées policières canadiennes, soit 16 % desfemmes victimes d’homicides. C’est quatrefois plus que le pourcentage de femmes au-tochtones au pays, soit 4,3 %.

    Qu’en est-il au Québec ? Plusieurs femmesautochtones ont été assassinées ou sont dispa-rues. Notamment Maisy Odjick et ShannonAlexander, âgées respectivement de 16 et17 ans, vues pour la dernière fois à Maniwakien 2008. Puis, Tif fany Morrison, disparue en2006 à 24 ans, dont les restes ont été retrouvésen 2010 sous le pont Mercier.

    FAQ réalise une première étude sur le sujetavec des partenaires universitaires.

    « Nous faisons un suivi des femmes autoch-tones assassinées au Québec ; c’est une étude qua-litative et non quantitative, explique VivianeMichel. Nous nous adressons à leurs proches. Cequi est grave, c’est que l’impunité existe, et elleouvre la por te à de la violence gratuite. Lesfemmes autochtones en sont les meilleures cibles.Toutefois, nous réalisons aussi que de plus enplus de jeunes hommes sont portés disparus. »

    Plusieurs recommandationsUn rapport préliminaire vient d’être réalisé et

    le rapport final doit être prêt cet automne. Déjà,plusieurs recommandations ont été formulées.

    Entre autres, FAQ souhaite qu’une straté-gie utilisant les médias sociaux soit utiliséepour diffuser les cas de disparition de femmesautochtones.

    « Il faudrait que les médias et les corps poli-ciers participent», affirme Mme Michel.

    L’organisation demande aussi du soutienpour les proches des femmes disparues.

    «Plusieurs n’arrivent plus à travailler et on neleur offre rien après le signalement de la dispari-tion, même pas du soutien psychologique », af-firme Viviane Michel.

    L’accès au logement est également toujourscritique dans plusieurs communautés.

    «Nous recommandons que les gouvernements,les leaders autochtones et les communautés col-laborent pour élaborer une stratégie pour s’assu-rer qu’aucune situation à risque n’est causée parun manque d’accès au logement , af firmeMme Michel. Cela nous ramène au système so-cial néfaste dans lequel évoluent les communau-tés autochtones, qui engendre plusieurs grandesproblématiques comme de la violence. Il fautmettre l ’accent sur les services of fer ts auxhommes et aux femmes. »

    Ce travail est un début, mais il n’en demeurepas moins que pour FAQ, il y a nécessité de te-nir une commission d’enquête publique et indé-pendante sur le phénomène des femmes au-tochtones disparues ou assassinées. Et l’organi-sation veut que les femmes autochtones soientimpliquées dans le processus.

    «Nous voulons que ce soit fait pour nous et parnous», affirme Viviane Michel.

    Amnistie internationale vient d’ailleurs d’af-firmer dans son rapport de 2014-2015 que lespeuples autochtones sont confrontés à des vio-lations systématiques de leurs droits et re-grette que le gouvernement fédéral refused’ouvrir une enquête publique sur les meurtresde nombreuses femmes autochtones, puis deréaliser un plan d’action national pour s’atta-quer à la situation.

    Soutien féministePour Geneviève Pagé, professeure au Dépar-

    tement de science politique à l’UQAM spéciali-sée dans les questions féministes, il est alar-mant de voir que les enjeux des femmes au-tochtones ne sont pas plus présents dans lesmédias et dans les préoccupations des gens engénéral.

    «Des crises comme celle qu’on vit actuellementavec les femmes autochtones disparues et assassi-nées incitent à se renseigner, à en apprendre da-vantage sur les enjeux, à se tenir à leurs côtés, àessayer de militer avec elles, dit-elle. Comme fé-ministe, on a beau faire des gains, si ces gains nesont pas pour toutes les femmes, on n’avance pasvraiment. »

    Si les groupes de femmes autochtones et lesgroupes féministes ont déjà collaboré sur cer-tains enjeux, Geneviève Pagé remarque que larelation s’est transformée dans les dernièresannées.

    « Par exemple, FAQ a déjà été membre de laFédération des femmes du Québec (FFQ), maisil ne l’est plus : ils ont plutôt signé une entente departenariat, explique-t-elle. La nature des liensa changé et c’est un travail de nation à nation.On ne considère plus les femmes autochtonescomme un sous-groupe. »

    Cette relation nation à nation n’est pas unequestion symbolique, et cela ne signifie pas nonplus qu’elles ne partagent pas de points com-muns dans leurs luttes.

    « Toutefois, le contexte est dif férent, af firmeMme Pagé. La violence par exemple ne se vit pasexactement de la même manière et les solutionsne sont pas toujours les mêmes. Parfois, c’est plusdifficile à accepter pour les féministes. Par exem-ple, avec la violence conjugale dans les commu-nautés autochtones, quitter le domicile n’est pasévident avec la crise du logement. Souvent, celamènerait les femmes à quitter leur communauté,ce qui n’est pas une option pour plusieurs d’entre

    elles. Elles se retrouveraient isolées. Ce qui fonc-tionne pour nous ne fonctionnera pas nécessaire-ment dans un autre contexte et on ne peut pasimposer des solutions. »

    Les communautés autochtones vivent aussiplusieurs autres problématiques, comme de laviolence coloniale.

    «Et cette violence n’est pas qu’historique, elleest aussi contemporaine avec leurs luttes pourprotéger leur accès à leurs terres et la qualité decelles-ci, précise Geneviève Pagé. C’est leurmode de survie qui est remis en question. Lesfemmes autochtones doivent prioriser leurs enjeux

    et nous devons être à leur écoute, solidaires.»L’UQAM a d’ailleurs développé un cours sur

    les femmes autochtones et leurs enjeuxcontemporains en collaboration avec FAQ. Il sedonne pour la première fois cet hiver.

    « Une collaboration a lieu aussi pour la misesur pied du 7e Congrès international des re-cherches féministes dans la francophonie en aoûtprochain, précise Mme Pagé. Plusieurs conféren-cières autochtones seront à l’honneur. »

    CollaboratriceLe Devoir

    FEMMES AUTOCHTONES

    L’urgence d’agir contre la violence et l’impunité

    L’A MO URSES COUTURES

    SOUS TOUTES

    ROBES DE MARIÉE DU MUSÉE McCORD

    JUSQU’AU 12 AVRIL 2015

    PLUS QU’UN MOIS !

    Femmes Solidaires

    contre l’austérité

    8 mars refusons.org

    FRED CHARTRAND LA PRESSE CANADIENNE

    L’organisme Femmes autochtones du Québec (FAQ) souhaite qu’une stratégie utilisant les médiassociaux soit utilisée pour dif fuser les cas de disparition de femmes autochtones.

  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5H 6

    Choisir les études féministesL’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM offre une formation unique assurée par des spécialistes engagées dans les débats contemporains.

    Concentrations ◊Concentration de 1er cycle en études féministes ◊Concentration de 2e cycle en études féministes ◊Concentration de 3e cycle en études féministes

    Les concentrations, intégrées à l’intérieur de plusieurs programmes disciplinaires, mènent à une attestation en études féministes en sus du diplôme de baccalauréat, de maîtrise ou de doctorat.

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    Programme Certificat en études féministes

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    M A R I E L A M B E R T - C H A N

    L es femmes immigrantes ne l’ont jamais eufacile et leur situation ne s’améliore pas.Elles maîtrisent moins le français, sont moinsprésentes sur le marché du travail, occupentdes emplois au bas de l’échelle et sont moinsbien rémunérées. « On a l’impression quel’égalité entre les hommes et les femmes prônéeau Québec ne s’applique pas quand il s’agit depersonnes immigrantes », déplore YasminaChouakri, vice-présidente par intérim et an-cienne présidente du Réseau d’action pourl’égalité des femmes immigrées et racisées duQuébec (RAFIQ).

    En février, l’organisme a publié une longuelettre ouverte où il réclame une meilleure priseen compte des besoins des femmes dans les po-litiques et les programmes d’immigration etd’intégration, de même qu’un financement adé-quat pour lutter contre les inégalités dont ellessouffrent. Signée par plus d’une vingtaine degroupes de défense des droits des femmes, lalettre se veut un moyen de se faire entendre parle gouvernement québécois, qui tient actuelle-

    ment des consultations pu-bliques pour son projet denouvelle politique en ma-tière d’immigration, de di-versité et d’inclusion. «À no-tre connaissance, aucun orga-nisme de femmes immi-grantes n’y a été invité », ex-plique Mme Chouakri.

    Le RAFIQ demande augouvernement de mettre enœuvre une véritable « ana-lyse dif férenciée selon lessexes », qu’on appelle com-munément ADS, une ap-proche qui intègre les diffé-rences entre les hommes etles femmes au cours de l’éla-boration de politiques, deprogrammes ou de toute au-tre mesure. Si le ministère

    de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclu-sion fait déjà des ef for ts dans ce sens, toutreste encore à faire, selon Yasmina Chouakri.«Le gouvernement ventile toutes sortes de statis-tiques pour mettre en relief les disparitéshommes-femmes, ce qui demeure impor tant,constate-t-elle. Mais il ne propose rien de concretpour y remédier. »

    Yasmina Chouakri donne en exemple les pro-blèmes de francisation qui accablent lesfemmes immigrantes, qui sont moins nom-breuses que les hommes à maîtriser la languede Molière. Les données gouvernementales enfont clairement état. « On devrait mettre enplace des mesures spécifiques pour les aider à ap-prendre la langue, par exemple en offrant des ho-raires de cours plus flexibles aux femmes qui ontdes obligations parentales, dit-elle. Or, ce n’estpas le cas. » Si le gouvernement opérait de telschangements, il devrait réviser ses budgets enconséquence, ajoute la vice-présidente par inté-rim. « Ça ne veut pas dire d’accorder plus d’ar-gent, mais de le répartir dif féremment pour ré-duire les inégalités », dit-elle.

    Accès difficile au marché du travailLe taux d’emploi des femmes immigrantes

    demeure inférieur à celui des femmes natives,soit 49,4 % contre 57,7 %. La situation est d’au-tant plus préoccupante aux yeux du RAFIQ queles immigrantes occupent les emplois fémininsles plus précaires, à savoir les services aux per-sonnes — par ticulièrement les ser vices degarde — et les postes manufacturiers.

    « Pourtant, les femmes immigrantes sont plusscolarisées qu’avant et elles ont été sélectionnéessur ce critère, remarque Yasmina Chouakri.Mais comme la reconnaissance de leurs acquis et

    de leurs compétences reste très dif ficile, elles seruent sur des emplois d’éducatrice en garderie.C’est terrible parce que les féministes ont tout faitpour que les femmes sortent des métiers tradi-tionnellement féminins. Nous sommes très heu-reuses pour les femmes québécoises qui explorentd’autres horizons, mais il n’est pas normal queles femmes immigrantes soient désormais majori-taires dans ces emplois. Cela démontre qu’il y aun problème de discrimination structurelle. »

    Pour renverser la tendance, le RAFIQ sug-gère de multiplier les stages dans les entre-prises en lien avec les compétences desfemmes immigrantes. « Elles pourraient ainsicontinuer d’évoluer dans leur domaine, sansavoir à retourner sur les bancs d’école et à s’en-detter », observe Mme Chouakri.

    Des immigrantes en situation précaireAvant même d’ar river au Québec, les

    femmes immigrantes sont mises en situationd’échec, ne serait-ce que par leur statut d’immi-gration. «Elles sont surreprésentées dans les caté-gories les plus précaires, une situation à corrigerd’urgence », décrie Yasmina Chouakri. Parexemple, entre 2007 et 2011, elles étaient30 970 à être admises avec le statut de « regrou-pement familial » contre 20 405 hommes. Géréepar le gouvernement fédéral, cette catégorieimplique que les immigrants sont parrainés parun membre de la famille qui est citoyen ou rési-dent permanent du Canada.

    « Cela met les femmes, qu’elles soient épousesou filles du parrain, dans une grande situationde vulnérabilité », explique la vice-présidentepar intérim du RAFIQ. Elles doivent cohabiterpendant deux ans avec leur parrain pour obte-nir la résidence permanente. Ainsi, même sielles sont victimes de violence, elles hésitent àpartir. «Cette période conditionnelle de deux ansest inacceptable et devrait être abolie, et si elle nepeut l’être, les femmes devraient au moins êtremieux informées de leurs droits dès leur arrivée»,déclare Mme Chouakri.

    Le RAFIQ espère que ses demandes serontentendues, « car les femmes immigrantes viventdes réalités qui sont indignes d’un pays développéprônant fièrement la valeur de l’égalité hommes-femmes», conclut Yasmina Chouakri.

    CollaboratriceLe Devoir

    FUTURE POLITIQUE QUÉBÉCOISE EN MATIÈRE D’IMMIGRATION

    Les immigrantes veulent se faire entendre

    JACQUES NADEAU LE DEVOIR

    Le RAFIQ espère que ses demandes seront entendues, « car les femmes immigrantes vivent des réalités qui sont indignes d’un pays développé prônantfièrement la valeur de l’égalité hommes-femmes», assure la vice-présidente par intérim et ancienne présidente du Réseau d’action pour l’égalité desfemmes immigrées et racisées du Québec (RAFIQ), Yasmina Chouakri.

    Le tauxd’emploi desfemmesimmigrantesdemeureinférieur àcelui desfemmesnatives, soit49,4% contre57,7%

    JACQUES NADEAU LE DEVOIR

    Avant même d’arriver au Québec, les femmes immigrantes sont mises en situation d’échec, ne serait-ce que par leur statut d’immigration. « Elles sont surreprésentées dans les catégories les plusprécaires, une situation à corriger d’urgence», décrie Yasmina Chouakri.

  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5 H 7

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    Le Collectif 8 mars :

    Journée

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    L'ÉGALITÉ

    FEMMES EN MARCHE POUR

    SOLIDAIRES

    CONTRE

    L'AUSTERITE !

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    7E CONGRÈS INTERNATIONAL DES RECHERCHES FÉMINISTES DANS LA FRANCOPHONIE

    Le féminisme conjugué au pluriel

    M A R I E - H É L È N E A L A R I E

    C’ est sur le thème «PenserCréer Agir les fémi-nismes » que se tiendra leCongrès. « On est presque sur-prises de l’attrait qu’a suscité lecongrès. Pour le moment, on areçu au-delà de 90 propositionsde colloques », nous dit Fran-cine Descarries, professeureau Département de sociologiede l’UQAM, qui est aussi direc-trice scientifique du Réseauquébécois en études fémi-nistes, le RéQEF. Mais c’est àtitre de membre du comité deplanification et de coordinationdu congrès que Mme Descar-ries a accepté de répondre ànos questions. Même si pourl’instant la programmation fi-nale n’est pas encore disponi-ble, elle promet d’être du plusg r a n d i n t é r ê t p u i s q u ’ o ncompte déjà 550 personnes ins-crites à titre de communica-trices ou d’organisatricesd’événements.

    Les études féministes ras-semblent tous les genres disci-plinaires ou théoriques de ré-flexion qui visent à transformerla condition des femmes dans lasociété ainsi que l’avancementscientifique des connaissances.Comme on peut le constater, laquestion est vaste et les ma-nières de l’aborder sont nom-breuses, mais ici, au Québec,nous le faisons de façon tout àfait distincte : « On ne conçoitpas la pensée féministe commeunivoque. Ici, elle s’est dévelop-pée avec une approche très dyna-mique entre la construction théo-rique et la construction ar tis-tique puisque plusieurs artistesféministes contribuent à notre ré-flexion. Mais la grande spécifi-cité québécoise se situe dans l’ar-ticulation entre le milieu de lapratique et les universitaires, etça, on y tient beaucoup.» Quandon y regarde de plus près, lecongrès s’organisera selon troisaxes thématiques qui reflètentcette spécificité.

    La transmission des savoirs féministes

    Historiquement, l’histoiredes sciences s’est développéesans les femmes. Les étudesféministes introduisent unenouvelle perspective en tenantcompte du point de vue desfemmes. « Dans les années1970, on a eu besoin de faits,de données sur les femmes. C’estl’époque des premières grandesétudes sur la participation desfemmes sur le marché du tra-vail. Ces études démontraientla place de femmes dans la so-ciété et les rôles qu’elles ont étéobligées de jouer et ceux dontelles étaient exclues. Ensuite,on a fait une réflexion plus épis-témologique, plus théorique surl’androcentrisme de la science»,rappelle Francine Descarries.Au fil des avancées scienti-fiques, l’analyse est devenueplus critique et c’est ce qu’on anommé le féminisme radical.Un féminisme qu’il ne faut pasconfondre avec l’image « desécervelées qui auraient brûléleurs soutiens-gorge sur la placepublique, ce qui relève de la lé-gende urbaine ». Avec la trans-formation de la situation desfemmes, « on s’est aperçu qu’iln’était plus suf fisant de poserun regard univoque sur la viedes femmes et que les rapportsde genres ne permettaient pasde donner toute l’explication.Depuis les années 1990, lesétudes féministes se sont ou-

    vertes à des regards plus holis-tiques et plus politiques aussipuisqu’aujourd’hui on parled’intersectionnalité des rap-ports de pouvoir et des regardsqui prennent en compte l’en-semble des facteurs sociaux quiaffectent la vie des femmes». Àce titre, les études féministesont contribué à bousculer lesparadigmes de la science.

    Tout naturellement, ontrouve comme premier axethématique du congrès lacontribution des recherchesféministes de langue françaiseà l’avancement des connais-sances. Traditionnellement, lasociologie et l’anthropologieont été les disciplines fonda-trices des recherches fémi-nistes, mais aujourd’hui ellesinvestissent tous les domainesde la science et du savoir, quece soit dans l’espace scienti-fique, ar tistique ou militant.On cherchera donc à compren-dre, entre autres, les liens en-tre théories, créations et pra-tiques. Mais on se question-nera aussi sur les résistances àla transmission des savoirs fé-ministes, quelles sont-elles,comment se manifestent-elleset comment les dépasser. Ons’ef forcera de trouver com-ment mettre à profit la plura-lité des études féministes etcomment les recherches fémi-nistes font avancer différentssavoirs ou pratiques histo-riques. Finalement, on poserala question des enjeux et desdéfis associés aux rapports en-tre les recherches féministeset la société civile, l’État et legouvernement.

    Les femmes à l’heure du néolibéralisme et de la globalisation

    Parce que le monde est enébullition, Changement social,égalité, justice et solidaritédans les contextes du néolibé-ralisme, du néocolonialisme etde la globalisation seront pla-cés sur le second axe duCongrès. « Quand on regardece qui se passe ici même auQuébec avec le dossier des gar-deries et dans le monde de l’édu-cation, on a l’impression qu’onest tiré vers l’arrière, et ce quenous révèle le moment actuel,c’est qu’il n’y a aucune avancéefaite par les femmes qui est tota-lement acquise. »

    Depuis une vingtaine d’an-nées, i l s’est développé cequ’on appelle les études post-coloniales : « On a commencéà regarder les ef fets Nord-Sudsur la vie des femmes, pour

    s’apercevoir qu’ils sont à dou-ble tranchant ; les femmes duNord ont perdu des emplois àcause de l ’exploitation desfemmes du Sud et, dans unecer taine mesure, le Nord ex-ploite la division sexuelle dutravail pour finalement fairedes profits sur le dos desfemmes. » Au congrès, on ten-tera de mettre au jour les mé-canismes par lesquels nos so-ciétés produisent et reprodui-sent de l’inclusion et de l’ex-clusion, en par tant du prin-cipe selon lequel le racisme,le sexisme, l’homophobie etles rapports de domination en-tre catégories sociales ne peu-

    vent pas être entièrement ex-pliqués s’ils sont étudiés sépa-rément. Et bien sûr sera aussiabordée la question du com-ment s’organise la divisionsexuelle du travail sur lesplans local et international.

    Le féminisme multipleLes féminismes d’au-

    jourd’hui ne ressemblent pasau féminisme d’hier, et c’estpourquoi Pratiques féministes,militantisme et mouvementdes femmes représentent letroisième axe de réflexion.Les nouveaux médias, Inter-net et les réseaux sociauxsont venus transformer le mili-

    tantisme féministe et sont au-jourd’hui des outils incontour-nables au mouvement desfemmes. Comment les dif fé-rents mouvements féministesse mobilisent-ils, se mettent-ils en réseau, se consolident-ils ? Comment les féministesutilisent-elles Internet et lesmédias sociaux pour actuali-ser leurs stratégies de lutte,de résistance et de mobilisa-tion ? Quelles représentationsdes femmes sont privilégiéesdans les espaces publics etsymboliques ? Et plus spécifi-quement, quelles représenta-tions des féministes lesgroupes militants privilégient-

    ils dans leur matériel ? Voilàquelques-unes des questionsauxquelles le congrès tenterade répondre.

    « Le Québec peut se targuerd’avoir un mouvement defemmes très for t. On a vouluque la pensée féministe émanede la pratique et, dans ce sens,on a eu des féministes avantmême que n’existe le féminisme.Mais le militantisme aura tou-jours sa place et on a encore ettoujours besoin de la vigilancedu féminisme et des études fémi-nistes. »

    CollaboratriceLe Devoir

    Le 7e Congrès international des recherches féministes dans laFrancophonie se tiendra du 24 au 28 août prochains à l’Uni-versité du Québec à Montréal (UQAM). Pendant cinq jours,l’événement rassemblera plus de 600 personnes venues desquatre coins de la Francophonie. On y discutera non pas duféminisme, mais des féminismes.

    L’AUSTÉRITÉpénalise les femmes

    d’aujourd’hui et

    celles de demain.

    La FAE, c’est32 000 membresdont 24 000 enseignantesen colère.

    M E M B R E D E

    8 mars 2015 – Journée internationale des femmes

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    MICKAËL MONNIER LE DEVOIR

    Les études féministes rassemblent tous les genres disciplinaires ou théoriques de réflexion qui visent à transformer la condition desfemmes dans la société ainsi que l’avancement scientifique des connaissances.

    La grandespécificitéquébécoise sesitue dansl’articulationentre le milieu dela pratique et lesuniversitaires, et ça, on y tientbeaucoupFrancine Descarries, profes-seure au Département desociologie de l’UQAM

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  • JOURNÉE DES FEMMESL E D E V O I R , L E S S A M E D I 7 E T D I M A N C H E 8 M A R S 2 0 1 5H 8

    E M I L I E C O R R I V E A U

    L e 25 avril 1940, après plusieurs années derevendications, les Québécoises obtenaientle droit de vote. À l’approche du 75e anniver-saire de l’événement, l’historienne MichelineDumont ainsi que les comédiennes Béatrice Pi-card et Janine Sutto se penchent sur ce tour-nant important de la lutte des femmes.

    Au Québec, c’est au début du XXe siècle quele débat sur le suf frage féminin prend nais-sance. «On commence à en parler, mais à ce mo-ment-là, c’est vu comme une revendi-cation absolument extrémiste, préciseMme Dumont, spécialiste de l’histoiredes femmes. Même le premier regrou-pement féministe canadien est opposéau droit de vote, parce que trop de genssont contre, en par ticulier lesfemmes ! »

    Une minorité, toutefois, souhaite lesuffrage féminin. Aussi, une poignéede Québécoises, surtout des anglo-phones, se regroupent et fondent en1913 la Montreal Suffrage Association.Ce groupe, qui aspire au droit de voteféminin aux niveaux municipal et fé-déral, attendra quatre ans avant devoir cer taines de ses ambitions seconcrétiser.

    «Pendant la Première Guerre mon-diale, le premier ministre du Canada,M. Gordon, souhaite imposer la loi surla conscription. Il lui faut le plus devotes possible. C’est pour cette raisonqu’il accorde en 1917 le droit de voteaux Canadiennes, mais seulement àcelles qui ont des maris, des pères oudes fils à la guerre. Les femmes, quiétaient jusqu’alors encore hésitantes àdemander le droit de vote, ont été extrê-mement fâchées de constater que cen’était pas vraiment à elles qu’on l’ac-cordait. Elles ont manifesté leur mécon-tentement et, l’année suivante, M. Gor-don a accordé le droit de vote à toutesles Canadiennes», relate Mme Dumont.

    À la suite de cette première vic-toire, les suf fragettes décidentd’orienter leur action vers le Québec.Rabrouées par le gouvernement Ta-schereau, elles poursuivent leur lutte,mais trouvent peu d’écho au sein dela population.

    À compter de 1922 et chaque annéede 1927 à 1940, des Montréalaises,dont Idola Saint-Jean et Thérèse Cas-grain, se rendent à l’Assemblée légis-lative pour rencontrer le premier mi-nistre et exposer la légitimité de leurcause, mais ce, sans succès. En 1938,contre toute attente puisque l’hommeavait jusqu’alors toujours rejeté l’idée,Mme Casgrain convainc le chef libéralAdélard Godbout de mettre le suf-frage des femmes au programme deson parti. Porté au pouvoir en 1939, ilrespecte sa promesse et accorde ledroit de vote aux femmes enavril 1940.

    Un long processusLorsque les Québécoises ont ob-

    tenu droit de suffrage, Béatrice Picardn’avait que 10 ans. Élevée au seind’une famille plutôt progressiste, ellese souvient comme si c’était hier de ladiscussion qu’ont eue ses parents à la suite decet événement. Bien qu’ayant toujours encou-ragé ses filles à être indépendantes, commebeaucoup d’hommes québécois, M. Picard s’estmontré quelque peu perplexe à l’idée que saconjointe puisse exprimer une opinion dif fé-rente de la sienne aux urnes.

    « Mon père votait Union Nationale, raconte-t-elle. Ma mère n’avait pas les mêmes positions.Je me souviens que mon père avait dit à mamère que son vote allait annuler le sien. Mamère avait rétorqué que ce n’était pas comme çaque ça fonctionnait. Mes parents ont eu unelongue discussion sur le sujet et moi, j’en ai ététémoin. Je m’en souviens comme de ma première

    vraie réflexion "adulte". Ça a été un déclencheur.Après cela, être indépendante est devenu très im-portant pour moi. Mais ce n’était pas comme çapour toutes les femmes. J’ai eu l’impression queça a pris un temps fou avant que les chosesn’évoluent ! »

    Plus âgée que sa comparse, Janine Suttoavait pour sa part 19 ans lorsque le droit devote a été accordé aux Québécoises. CommeBéatrice, Janine avait grandi au sein d’une fa-mille fort moderne pour l’époque ; sa mère par-lait trois langues, avait toujours travaillé et son

    père n’y voyait aucun inconvénient.Chez elle, le suf frage féminin allaitdonc de soi.

    «Dans notre milieu, les hommes n’yvoyaient pas de problème, parce qu’ilsne se sentaient pas en compétition,commente-t-elle. Ils avaient tout, ilsn’avaient pas besoin de craindre lesfemmes ! »

    Si, en 1940, Mme Sutto s’est réjouiede pouvoir voter au même titre queles hommes, à l’époque, c’était sur-tout sa situation financière qui lapréoccupait, et ce n’est que plus tardqu’elle a pris la réelle mesure de l’im-pact de cette avancée.

    «Le droit de vote est arrivé pendantla Deuxième Guerre mondiale. Lecontexte économique et social étaitvraiment particulier. Plusieurs jeunesfemmes étaient pauvres. On pensaitbeaucoup à ça et à la guerre, parceque c’était ça, notre quotidien. Je suisallée voter dès que j’ai pu le faire, maisça a pris quelques années avant que ça

    ne devienne vraiment important dansma vie. Je crois que ça a été le cas pourplusieurs femmes de ma générationaussi », confie-t-elle.

    Micheline Dumont le confirme :« Ce qui était à l’ordre du jour, c’étaitvraiment l’ef fort de guerre ; les femmesn’ont pas beaucoup célébré leur vic-toire. Il faudra attendre la fin duconflit mondial avant que des dossierstouchant particulièrement les femmes,comme les droits civils des épouses parexemple, ne deviennent des préoccupa-tions, et ce n’est que très timidementque des groupes ont commencé à enfaire des revendications. En fait, cen’est que plusieurs années plus tardque les choses se sont mises à bougerréellement. »

    En maintenant?Quelque 75 ans après l’obtention

    du droit de suf frage féminin, selonplusieurs, la femme est aujourd’huidevenue l’égale de l’homme au seinde la société québécoise. Mais pourde nombreux autres, le chemin àparcourir reste encore impor tant.Aux yeux de l’auteure de Pas d’his-toire, les femmes ! Réflexions d’unehistorienne indignée, la lutte est en-core loin d’être terminée.

    « Ce n’est pas quand les femmes fontce que les hommes font qu’on a gagné.C’est quand toute la société est transfor-mée. Or, notre société n’est pas du touttransformée ! À preuve, toute notre or-ganisation économique est encoreconstruite autour des hommes. »

    Malgré tout, l’historienne, commeles deux comédiennes d’ailleurs, affirme êtreoptimiste quant à l’avenir des Québécoises.D’après elle, l’analyse et le discours de la jeunegénération de féministes comportent beaucoupd’espoir.

    «J’écoute ce que disent les jeunes femmes et j’ail’impression qu’elles ont compris des choses, confieMme Dumont. Ça me rassure. Par contre, il nefaut pas que leur présence, comme les commémo-rations d’ailleurs, ne serve qu’à nous réconforter ;il faut qu’elle nous serve à prendre conscience detout ce qu’il nous est encore nécessaire de faire!»

    CollaboratriceLe Devoir

    LE SUFFRAGE FÉMININ SOUFFLE 75 BOUGIES

    Un jalon important de l’histoire des femmes

    LE DEVOIR

    La Une du journal Le Devoir du 26 avril 1940

    sur le problème des femmes autochtones dispa-rues ou assassinées.

    « Ça entre totalement dans la thématique ducontrôle de nos corps et de nos territoires, estime-t-elle. Nous souhaitons mettre fin à l’indifférencedans ce dossier et obliger le gouvernement fédéralà entreprendre une enquête nationale. Ça fait unan que nous sommes sur ce dossier et on l’attendtoujours. Nous avons besoin de toutes les Québé-coises et de tout le monde pour le faire avancer. »

    Partout dans le monde, les mouvements fé-ministes vont donc se mettre en branle pourdénoncer les conséquences de la mondialisa-tion sur la gent féminine et en appeler plutôt àune mondialisation des solidarités. Car laMarche mondiale des femmes, c’est au-jourd’hui cinquante coordinations nationalessur tous les continents, qui chacune à leur ma-nière vont tenter de faire émerger leurs pro-blèmes sur la place publique, et qui à quelquesoccasions vont voir leurs actions converger.Notamment le 24 avril, date anniversaire del’ef fondrement du Rana Plazza, immeuble deDacca, au Bangladesh, qui abritait plusieursateliers de confection travaillant pour diversesmarques internationales.

    « À la mémoire des victimes, principalementdes femmes, entre midi et 13 heures, par toutdans le monde, des actions seront organisées

    pour dénoncer l’exploitation des femmes au tra-vail, explique Alexa Conradi. Ce sera donc24 heures d’actions féministes. »

    Un événement auquel prendront par t lesmembres de l’Association québécoise des or-ganismes de coopération inter nationale(AQOCI), très impliquée depuis ses débutsdans la Marche mondiale des femmes, notam-ment au niveau de la coordination et de lamise en contact des dif férents acteurs duNord et du Sud.

    « Ce qui nous plaît dans ce mouvement, c’estque les femmes ne font pas que s’indigner, ex-plique sa coordonnatrice Anne Delorme. Ellesne se posent pas en victimes. Elles s’organisent,elles s’inspirent les unes des autres pour récla-mer des droits face à tous ceux qui voudraientles exploiter. »

    Durant les sept prochains mois, des actionsauront donc lieu d’un bout à l’autre de la pro-vince. Une caravane sillonnera notamment toutle Québec au début de l’automne pour soutenirdes initiatives locales de résistance au systèmed’exploitation. Elle terminera sa route le 17 oc-tobre à Trois-Rivières pour un grand rassem-blement final qui, espèrent tous les organisa-teurs, permettra de véritablement sensibiliserl’opinion et les pouvoirs publics.

    Dimanche 8 mars à 13 h, départ de la marcheorganisée par Femmes de diverses origines,place Norman-Bethune, à Montréal, au métroGuy-Concordia.

    CollaboratriceLe Devoir

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    MOBILISATION

    À compter de1922 etchaque annéede 1927à 1940, desMontréalaises,dont IdolaSaint-Jean etThérèseCasgrain, serendent àl’Assembléelégislativepourrencontrer lepremierministre etexposer lalégitimité deleur cause,mais ce, sanssuccès

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    Ce n’est pas quand lesfemmes font ce que leshommes font qu’on a gagné.C’est quand toute la sociétéest transformée. Or, notresociété n’est pas du touttransformée !Micheline Dumont, historienne

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    TÉLÉ-QUÉBEC

    Thérèse Casgrain