INSTITUT DE FORMATION CADRE DE SANTE IFSANTE … · MEMOIRE DE RECHERCHE Pour obtenir le diplôme...
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INSTITUT DE FORMATION CADRE DE SANTE
IFSANTE
UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LILLE
MEMOIRE DE RECHERCHE Pour obtenir le diplôme de
Cadre de santé
Présenté et soutenu publiquement
Le 08 Juin 2016
« L’identité en construction, le chantier du faisant-fonction »
Sous la direction de Monsieur,
Maître de conférences,
Et
Madame,
Surveillante Générale
David MARTIE Promotion 2015-2016
INSTITUT DE FORMATION CADRE DE SANTE
IFSANTE
UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LILLE
MEMOIRE DE RECHERCHE Pour obtenir le diplôme de
Cadre de santé
Présenté et soutenu publiquement
Le 08 Juin 2016
« L’identité en construction, le chantier du faisant-fonction»
Sous la direction de Monsieur,
Maître de conférences,
Et
Madame,
Surveillante Générale
David MARTIE Promotion 2015-2016
Remerciements
La rédaction du mémoire est une étape importante dans la formation Cadre de santé.
Rendre son travail signe, presque, la fin de cette année de formation.
Mais cela marque surtout la fin d’une grande aventure faîtes de réflexions, de
constructions, de doutes. Ces étapes sont difficilement supportables sans l’aide des personnes
que ce travail m’a permis de rencontrer, ni sans l’aide de mon entourage.
Je tiens donc sincèrement à remercier :
- Monsieur, Maître de conférences, Docteur en Philosophie au Centre d’Ethique
Médical de L’université
- Madame , Surveillante Générale
- Madame , Cadre de santé,
Merci également :
- A toutes les personnes qui ont accepté de répondre à mes entretiens.
- A mes collègues de l’IFSI qui m’ont supporté et encouragé durant cette année.
- A mes collègues de promotion, pour nos échanges et nos rires.
Un merci tout particulier à Anne, qui m’a toujours encouragé et qui reste pour moi un
modèle.
Abstract
Key Words :
Healthcare manager, non-registred healthcare manager, identity, construction, socialisation,
representation, recognition.
This dissertation examines the construction process of the healthcare manager’s
professional identity, among the staff who work as non-registred healthcare managers.
By examining the characteristic period of duty, of non-registred healthcare managers, I
clarify how this period could be a fundamental element of the new identity construction.
The population studied includes the people who work as non-registred healthcare managers
at IFSI and in care units.
The research strategy consists in interview conducted with non-registred healthcare
managers.
Data have been collected from literature, reports, articles and interview analyses.
This dissertation challenges the argument that a new professional identity is a difficult
step to build up and integrate. The characteristic period of non-registred nurse management is
an initiation rite, that implements various factors, aiming at building a new professional
identity.
« Notre identité n'est pas chose faite, toujours déjà constituée,
mais une perspective toujours ouverte, l'attente de possibles indéterminables. »
Nicolas Grimaldi
Ambiguïtés de la liberté (1999)
Glossaire
A.S : Aide-soignant(e)
C.A.F.I.S : Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Infirmière Surveillante
C.A.F.I.M : Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Infirmière Monitrice
C.E.F.I.E.C : Comité d’entente des Formations Infirmières Et Cadres de santé
D.E : Diplôme d’Etat ou Diplôme d’Etat
E.H.P.A.D : Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes
F.F : Faisant-Fonction (cadre de santé)
I.B.O.D.E : Infirmier(e) de Bloc Opératoire Diplomé(e) d’Etat
I.D.E : Infirmier(e) Diplômé(e) d’Etat
I.F.C.S : Institut de Formation de Cadre de Santé
I.F.S.I : Institut de Formation en Soins Infirmiers
L.M.D : Licence-Master-Doctorat
M.S.P: Mise en Situation Professionnelle
U.E : Unité d’Enseignement
1
Sommaire
Introduction ................................................................................................................................ 2
Première Partie : Constat et Problématique ................................................................................ 4
I. Constat ............................................................................................................................ 4
II. Problématique ............................................................................................................... 10
III. Hypothèses de départ .................................................................................................... 13
IV. Questionnement du sujet .............................................................................................. 13
Deuxième Partie : Cadre contextuel ......................................................................................... 28
I. Le Cadre de Santé ......................................................................................................... 28
II. Le Cadre de santé pédagogique .................................................................................... 35
Troisième Partie : Cadre conceptuel ........................................................................................ 41
I. Concept d’identité ........................................................................................................ 41
II. La socialisation ............................................................................................................. 50
III. Aspects psychosociologiques ....................................................................................... 52
Quatrième Partie : Méthodologie de la recherche .................................................................... 64
I. Démarche de la recherche ............................................................................................ 64
II. Analyses et résultats de l’enquête ................................................................................. 72
III. Confrontation aux hypothèses .................................................................................... 100
Conclusion Générale .............................................................................................................. 107
Bibliographie .......................................................................................................................... 111
Annexe : Grille d’entretien des entretiens ....................................... Erreur ! Signet non défini.
2
Introduction
Vouloir devenir cadre de santé est parfois un long processus. Tout d’abord cette
volonté exige la construction, et la maturation d’un désir d’évolution de carrière et de
changement d’orientation de son exercice professionnel. Puis, ce changement doit se voir
contraindre aux exigences institutionnelles, d’un point de vue organisationnel, financier et de
politique d’établissements.
La réalité de terrain montre qu’il est assez rare d’accéder à la formation cadre de santé
sans une expérience professionnelle préalable en tant que « faisant-fonction de cadre de
santé ». Cette période, qui peut durer quelques années, est parfois une période de test pour
confirmer ou pas son projet d’évolution, elle peut être une période d’expérience et
d’enrichissement pour s’initier de façon pragmatique, à cette fonction. Elle peut être aussi une
période de remise en question.
Cette période, peut ne pas être vécue de la même façon chez tous les candidats à la
fonction cadre de santé. En effet, au-delà du changement de tâches, c’est un changement plus
intime qui s’opère, et cela peut être perturbant. Car même si l’on suppose que cela ne change
pas « qui nous sommes », on peut dire que cela change « ce que nous sommes ». L’image de
soi, va fatalement être modifiée, tant pour nous, que pour le regard des autres. Et cela se
comprend, car les missions et les responsabilités de ce nouveau rôle et de ce nouveau statut
sont différentes. De façon plus intérieure, c’est l’identité de l’individu qui se modifie, et notre
travail aura pour objet de s’intéresser à cette identité.
Le choix du titre de ce mémoire n’est pas dû au hasard. Le terme de chantier renvoi à
un triple sens, de lieu, d’action et de résultat. Il renvoie aussi à l’idée de construction, et par
extension, à une construction d’un projet professionnel ou intellectuel. Et cette construction
ne peut se faire, si les matériaux sont absents, s’il n’y a pas de plan, ou s’il n’y a pas une
équipe aux différents postes. Le F.F est au cœur du chantier, il dispose des plans, à lui à
utiliser les bons outils, les bons matériaux et de composer avec l’ensemble de l’équipe.
Notre histoire professionnelle n’est pas étrangère au sujet de ce travail, l’impression de
stigmate, m’a amené, au travers de mes recherches vers le concept du syndrome de
l’imposteur qui a imprégné fortement mes débuts en tant que F.F. Ma place et ma légitimité
dans cette fonction m’ont poussé à une introspection et à une réflexion sur ma propre identité.
3
Cette longue réflexion, m’a permis de soulever différents questionnements et d’en tirer
une problématique qui a constitué le questionnement central de ce travail. Les hypothèses
formulées pour y apporter des réponses nous ont logiquement amenées vers une phase
exploratoire de recherche, et vers différentes lectures riches d’enseignements. Le bilan en a
été une modification de mon axe de recherche.
Le thème central de ce mémoire, fait appel à des notions et des concepts variés qu’il a
fallu investiguer, au gré de lectures d’ouvrages et d’articles s’y rapportant. Poser un cadre
contextuel et conceptuel m’a permis, et je l’espère permettra aux lecteurs, de resituer l’objet
de ma recherche et d’en avoir des bases théoriques pour éclairer la phase de recherche, et
susciter la réflexion. Je me suis attaché à vouloir construire une trame logique et progressive
de réflexion autour des concepts d’identité et de socialisation. Les deux sont intimement liés
car ils se répondent par un effet réciproque, de causes et de conséquences.
Comme pour tout phénomène sociologique, ils sont dépendants des interactions
sociétales, et de l’appropriation propre à chaque individu. Ainsi, la partie conceptuelle
s’attachera aussi à expliquer les déviances observées pouvant expliquer les difficultés de
construction identitaire.
J’ai pu mener une investigation auprès d’une population ciblée de personnes
exerçantes comme faisant fonction cadre de santé, aussi bien en I.F.S.I, qu’en services de
soins. Les données récoltées ont fait l’objet d’une analyse logico-sémantique, quantitative et
qualitative. Les résultats analysés, se sont voulus le plus objectifs possibles, pour être
confrontés aux hypothèses de travail, en y apportant l’éclairage conceptuel préalablement
développé.
Ainsi, les résultats ont pu être confrontés aux hypothèses formulées. Le but étant de
répondre, ou tout au moins, d’apporter un éclairage à la problématique centrale de ce
mémoire.
La conclusion générale, tentera d’apporter mon analyse globale sur ce travail, et une
prise de recul sur les apprentissages que celui-ci a pu m’apporter en tant qu’individu et en tant
que futur cadre de santé.
4
Première Partie : Constat et Problématique
I. Constat
Je propose ici, mon constat. Ce dernier se veut volontairement personnel car c’est un
questionnement personnel qui m’a amené à choisir ce sujet de mémoire. Il retrace non
seulement un parcours professionnel, mais aussi un changement de pensée et de ressenti.
a) La fascination
À l’entrée en I.F.S.I (Institut de Formation en Soins Infirmiers), j’ai découvert cette
profession. Nous les appelions « les profs », « le prof de… ». En regardant sur les portes des
bureaux il était inscrit « cadre de santé », parfois en blouse, l’étiquette mentionnée
« Infirmière enseignante » ou de nouveau, « cadre de santé ». Quelle drôle de profession,
inconnue, avec plusieurs appellations ! Ces formateurs avaient tous été un jour infirmier (e).
La curiosité, s’est transformée presque en fascination car je m’interrogeais sur le passé
professionnel de mes formateurs et sur ce qui avait pu leur permettre de devenir formateurs.
Où avaient-ils été I.D.E (Infirmier (e) Diplômé (e) d’État) ? Combien de temps ? Pourquoi
étaient-ils là ? Comment avaient-ils fait ? Bref, je me suis posé pleins de questions sur cette
fonction mystérieuse.
Je me suis d’abord dit que ces formateurs avaient tous fait leur preuve après une
longue expérience à l’hôpital et que ce poste était en quelque sorte l’élite des infirmiers. De
ma propre conception, j’estimais qu’une carrière longue et exceptionnelle avait permis
d’atteindre la fonction de formateur.
Puis, durant ma première année, les formateurs se sont présentés, et en allant en stage,
j’ai aussi rencontré des cadres de santé. En faisant des recherches, j’ai découvert peu à peu
cette fonction, et la formation nécessaire pour l’atteindre. Mais l’univers de l’enseignement
restait pour moi toujours fascinant, que se passe-t-il dans les bureaux ? Parlent-ils de nous ?
Et la question que nous étions beaucoup à nous poser sur nos formateurs : Sont-ils comme
nous ? J’ai eu tendance à toujours voir mes enseignants comme des êtres un peu à part car
détenant un savoir, faisant autorité, d’un haut niveau intellectuel.
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J’ai toujours été admiratif de cette capacité qu’avaient ces formateurs à venir nous
faire cours, nous expliquer leurs expériences, faire preuve d’une grande maîtrise, de savoirs.
Ils imposaient le respect. Je les voyais un peu comme des « supers infirmiers ».
Dès lors mon souhait d’accéder un jour à cette fonction est né et ne m’a jamais quitté,
c’était l’objectif de ma carrière (pas encore commencée). Pouvoir enseigner des choses, parler
de mon expérience…
b) L’engagement
Puis j’ai commencé ma carrière. Je savais que devenir cadre formateur ne pourrait pas
se faire tout de suite.
J’ai toujours eu plaisir à voir arriver des étudiants infirmiers ou aides-soignants dans le
service. J’appréciai de les accueillir, leur expliquer le fonctionnement, les pathologies, le
déroulement de la journée… les suivre durant le stage, les aider, les rassurer, leur donner des
petits conseils pour le stage, la formation en général, leur transmettre un peu de savoirs, de
savoir -faire, du savoir être. Certains venaient dans le service le soir pour avoir un peu d’aide
et de conseils pour la réalisation de leur mémoire de fin d’études.
Après 3 ans d’exercice, je me suis investi d’avantage dans l’accompagnement des
étudiants en devenant référent des étudiants. J’ai participé aux M.S.P (Mise en Situation
Professionnelle) Infirmier et Aide-soignant. Chaque année je faisais « passer » le D.E
(Diplôme d’État). J’ai créé un outil, indispensable de nos jours, mais qui n’avais jamais existé
à l’époque dans le service, « un livret d’accueil ». Ces activités auprès des étudiants, m’ont
toujours beaucoup plu, car je partageais un savoir, savoir être, savoir-faire, une petite
expérience. Cette activité était très valorisante pour moi, je ressentais une sorte de fierté à
participer à leur formation, et je pense que cela était utile pour eux, j’avais à cœur que les
étudiants se sentent bien, à l’aise dans le service et avec les patients.
Il me manquait pourtant quelque chose, cette activité n’était pas constante, et je voulais
vraiment faire de la formation. Je me suis donc intéressé au moyen de concrétiser ce projet.
Après 5 ans d’exercice professionnel, j’ai commencé les démarches pour être faisant
fonction cadre. Les démarches et les étapes m’ont vite freiné, découragé, car complexes :
Demander au cadre, au cadre supérieur, au D.S.I (Directeur des Soins Infirmiers), puis un
entretien devant jury de 8 personnes, puis éventuellement être sélectionné pour être F.F
(Faisant-Fonction) dans un service disponible, sans concertation, et sans assurance de faire la
formation cadre.
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Bien qu’ayant l’aval de ma cadre de santé, je me suis arrêté à l’étape du cadre
supérieur, car mon souhait d’être formateur n’était pas pris en compte. L’institution ne
permettait qu’un éventuel accès à un poste de F.F cadre dans une unité de soins. Il est vrai que
j’ai préféré la sécurité de mon service, et continuer l’encadrement d’étudiant dans celui-ci,
remettant ce projet à plus tard.
c) L’apprentissage et la prise décision
Quelques années après, j’ai pris la décision de demander ma mutation dans un autre
établissement. Plusieurs raisons à cela et j’avais besoin de mettre à profit mon expérience
autrement. J’avais eu connaissance d’un service qui pouvait correspondre à mes attentes.
Service spécialisé, peu courant, où presque tout repose sur les infirmiers. Mon exercice
consistait, dans un service d’urgences psychiatriques, à accueillir, faire des consultations,
orienter, suivre des patients… Cette activité était très valorisante, car nos connaissances, notre
expertise était reconnue par les médecins, l’encadrement, l’institution, il fallait de
l’autonomie, avoir le sens de la responsabilité, de la rapidité… J’ai pu apprendre et,
m’épanouir. Là aussi, j’ai également pris la responsabilité de l’encadrement des étudiants.
Mais du fait de la spécificité du service, il n’y en avait que très peu. En effet les consultations
demandaient un certain savoir-faire, une connaissance des solutions d’aides possible, un
étudiant ne les maîtrisant pas encore, pouvait ne pas être aidant et était donc difficilement
« intégrable » dans ce processus.
Mon projet de devenir cadre formateur étant toujours présent, j’ai pu m’initier peu à
peu, avec l’aide de ma cadre à la fonction de cadre de santé. J’ai participé à certaines tâches,
elle m’a délégué certaines missions comme les plannings, le calcul d’indemnités, la gestion
des commandes de mobilier, lorsque le service a déménagé dans de nouveaux locaux. A une
petite échelle bien sûr, mais cela me donnait peu à peu une vision plus élargie de cette
fonction. J’étais donc prêt à ce moment, mais un peu contraint, à demander un poste de F.F en
service, et ainsi avoir plus de chance de devenir formateur par la suite.
Étant, intéressé par la formation, j’ai cependant essayé de postuler auprès d’I.F.S.I, la
réponse était invariable : « Il faut être cadré».
L’encadrement en services de soins n’était pas une orientation que je souhaitais, je ne
me sentais ni la motivation, ni l’envie de le faire et j’avais envie aussi de quitter
l’environnement hospitalier et les patients. Paradoxe pour un infirmier, mais j’étais arrivé à un
moment de ma carrière où je voulais faire autre chose et réaliser mes projets.
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Le premier constat a été qu’il fallait bien souvent être faisant fonction cadre dans un
service de soins. C’est en tout cas l’expérience vécue dans les hôpitaux dans lesquels j’ai pu
exercer. Il fallait dans ce cas être sélectionné par une procédure parfois lourde. Ensuite
pouvoir être affecté et éventuellement accéder à la formation cadre de santé et finalement
pouvoir postuler en I.F.S.I.
Je me retrouvais donc dans une impasse dans ce schéma, pour être formateur, il faut
être cadre, mais pour être cadre il faut d’abord avoir été F.F cadre en service. Refuser cette
dernière étape condamnait mes projets.
En parallèle, et dans le contexte où une formation n’avait pu m’être accordée, j’ai pris
l’initiative de réaliser un vieux projet. Passer une licence en sciences de l’éducation.
L’objectif étant que je voulais découvrir et acquérir des connaissances relatives à
l’enseignement, la formation, pouvoir les mettre en œuvre avec les étudiants. Par ce diplôme,
je me constituais une base de connaissances qui pourrait aussi m’être utile pour la carrière que
je souhaitais avoir.
J’ai donc autofinancé et suivi en parallèle de mon activité cette licence. Avec l’aide de
ma cadre, j’ai pu aussi réaliser le stage en milieu scolaire obligatoire dans l’une des unités
d’enseignement. J’ai appris beaucoup de choses durant cette année, comme les théories de
l’apprentissage, l’histoire des milieux scolaires, l’e-learning… Et 2011, j’obtenais cette
licence.
J’ai pris la liberté de contacter différents I.F.S.I pour proposer mes services pour des
cours, des jurys de mémoire. Je voulais mettre un petit pied dans cet univers, me faire
connaître, m’apporter une expérience dans ce domaine. Car même si je le souhaitais depuis
longtemps, je n’avais jamais eu aucune expérience. Peut-être cela allait-il me décevoir, ne pas
me plaire…
Je n’ai eu aucune réponse, jusqu’au jour où, un I.F.S.I m’a contacté pour me proposer
d’être jury de mémoire. Quelle chance et quelle fierté, j’ai évidemment répondu positivement.
Enfin j’allais pouvoir faire ce que j’aime faire. Non seulement ce jury s’est bien passé, mais il
y a eu un bon contact avec ma collègue qui après en avoir discuté m’informe que son I.F.S.I
recherche des formateurs et que même non cadré je peux tenter ma chance, car il y a un
I.F.C.S (Institut de Formation des Cadres de Santé) dans cette école et que le projet de
formation doit être présent.
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d) La concrétisation
Me voilà donc postulant avec espoir dans cette I.F.S.I. La semaine suivante, la réponse
arrive, je suis convoqué pour un entretien. Deux jours après cet entretien, on me propose un
poste de formateur en I.F.S.I.
J’avais je crois, mis en avant ma motivation sincère pour cette fonction, mis en avant
mon travail auprès des étudiants à l’hôpital, mon intérêt pour le domaine en passant une
licence et mon honnêteté en avouant mon inexpérience et mon envie d’apprendre.
J’ai donc quitté l’hôpital pour concrétiser mon projet et me lancer dans une nouvelle
aventure…
e) La remise en question
J’ai ressenti une immense fierté à être choisi pour intégrer une équipe de formateur. Je
passais à la fois une étape où mon expérience était reconnue puisqu’elle pouvait être utile aux
étudiants et à l’équipe. Mais en même temps, apprendre une toute nouvelle fonction, repartir
en quelque sorte à zéro était angoissant.
Les débuts n’ont pas été simples. Au-delà du fait de devoir s’intégrer à une équipe, un
nouvel environnement, un autre fonctionnement… je me suis vite rendu compte que mon
expérience et mon envie seules ne suffiraient pas. J’ai découvert un nouveau vocabulaire, une
autre posture, et appris aussi à mettre de côté mon rôle de soignant.
Il m’a été difficile durant les premières semaines de faire face. J’ai, sûrement
maladroitement, essayé de faire bonne figure et ne pas montrer que je ne comprenais pas tout,
par fierté ou pour ne pas décevoir. J’ai cependant eu cette chance d’intégrer une équipe bien
au fait avec ce changement de fonction et beaucoup ont repéré sans me le dire tout de suite
mon malaise pour ne pas dire mal-être.
J’ai eu durant cette période cette idée d’avoir fait « l’erreur de ma vie ». En quittant un
milieu que je connaissais parfaitement, un travail que je maîtrisais, une routine installée…
Mais j’ai eu cette chance d’avoir toujours été aidé quand j’en ai eu besoin. D’ailleurs c’est une
phrase d’une de mes collègues qui marqué et qui m’a dit un jour ceci : « tu as quitté une place
d’expert, pour celle de novice ». Dès lors, j’ai accepté de lâcher prise, et d’accepter cette
posture où il fallait partir de l’existant pour reconstruire une autre fonction.
9
f) Le malaise
Après quelques semaines, j’ai pris mes marques, appris beaucoup. Mes premières
interventions auprès des étudiants se sont bien déroulées. Malgré le trac des premières fois,
mon enseignement a pu se faire, sans grandes difficultés à gérer le groupe d’étudiants. Je me
suis intégré progressivement à l’équipe, et me suis épanoui, mes doutes avaient disparu et ma
volonté d’exercer comme formateur était confirmée.
En commençant mon exercice comme formateur, je n’avais aucune expérience tant
dans la pédagogie qu’en termes de prestation devant un groupe d’étudiant plus ou moins
grand. Après une phase de découverte et grâce à l’expérience de mes collègues, j’ai pu
développer des compétences.
Cependant arrive un second constat. J’ai toujours ressenti une sorte de sentiment
d’infériorité à ne pas être cadré. Pourtant les missions, les horaires, les obligations… sont les
mêmes. Mais toujours ce sentiment de ne pas être comme les autres, peut être moins
légitime ?
La majorité de mes collègues sont tous titulaires du diplôme de cadre de santé,
licenciés, ou titulaires de masters… et avec une grande expérience. J’avoue envier leurs titres,
leurs compétences. Je reste un jeune formateur toujours en apprentissage. Mais je ressens
cette gêne à ne pas me sentir appartenir au même groupe. Je suis un faisant-fonction, je ne
suis pas cadre de santé. Mon statut de F.F et mon salaire sont différents (ma fiche de paie en
témoigne ma fonction est clairement inscrite), mes collègues eux ne font aucune différence,
jamais aucun d’entre eux n’a fait de remarque, beaucoup me l’ont clairement dit « je ne fais
pas de différence ». Alors pourquoi je me sens diffèrent ? Car j’estime en toute modestie, faire
un travail correct, témoigner d’un grand investissement, d’un intérêt pour les étudiants, pour
l’institution, mettre bien intégré à l’équipe.
Seule contrariété, venant directement de mon statut de non cadré, les mémoires
infirmiers. En tant que non cadré, il ne m’est pas possible d’assurer l’évaluation de la
soutenance orale des étudiants, alors que, quelques mois auparavant je le faisais en tant que
professionnel de terrain, en passant au statut F.F cadre, cela devenait impossible.
Néanmoins, l’I.F.S.I nous y fait participer en binôme avec un formateur cadre de
santé. Nous suivons l’avancée des travaux en rencontre individuelle ou collective. J’ai lu,
corrigé, commenté les travaux de ces étudiants et transmis à mon collègue les informations.
Ainsi, et appréciant cet exercice, je me suis senti frustré de ne pas aller jusqu’au bout de mon
travail, au bout de l’évaluation, voir l’aboutissement de la réflexion de l’étudiant.
10
En cherchant une raison à cela, je découvre que cette décision est institutionnelle, du
fait d’une recommandation du C.E.F.I.E.C (Comité d’Entente des Formations Infirmières et
Cadres), afin d’éviter tout éventuel recours d’étudiants.
g) Le soulagement
Durant ma deuxième année d’exercice, j’ai passé le concours d’entrée à l’I.F.C.S que
j’ai réussi. Après un an de report, je suis actuellement en formation cadre de santé. À partir du
moment où je me suis engagé dans ce concours et durant la période où j’attendais la rentrée à
l’I.F.C.S, ce sentiment d’infériorité s’est un peu atténué.
En effet, j’avais montré mes aptitudes pour suivre cette formation et je m’engageais
sur une route qui m’amènerait dans peu de temps vers le diplôme de cadre et me faire
« rejoindre » mes collègues. Je serais, l’expérience en moins, leur égal du point de vue
statutaire.
II. Problématique
Ce constat m’a donc amené à me poser plusieurs questions. La première était de
comprendre pourquoi il fallait souvent passer par l’étape de faisant-fonction en service de
soins avant de pouvoir entrer en formation cadre de santé. La deuxième, à l’inverse, pourquoi
n’est-il quasiment jamais possible de l’être quand on souhaite devenir formateur en I.F.S.I ?
Les réponses viendront plus tard en cherchant et en discutant avec mes collègues. À la
première question, la réponse est que le faisant-fonction cadre de santé représente une étape
avantageuse à plusieurs niveaux. D’une façon pragmatique, le faisant-fonction représente un
coût moindre pour l’établissement qui l’emploi. En effet, le salaire d’un cadre de santé est
plus élevé que celui d’un infirmier par exemple. En effectuant les missions de cadre,
l’établissement peut, sans jugement de ma part, réaliser une économie financière toujours
appréciable dans un contexte délicat financièrement. L’avantage se trouve également du côté
de la personne qui assure un poste de faisant-fonction. La période constitue une expérience
professionnelle importante, permettant la découverte de la fonction, l’acquisition de
compétences, mais aussi une période permettant la confirmation, ou non du projet de devenir
cadre de santé.
11
À la deuxième question, la réponse est plutôt d’ordre organisationnel. Les études en
soins infirmiers sont passées dans le schéma Licence-Master-Doctorat, suivant les accords de
Bologne. Le Diplôme d’État se voit complété d’un grade de Licence, et ce grade universitaire
nécessite que les formateurs soient au moins d’un niveau universitaire équivalent.
Or, le mémoire de fin d’études ne peut être évalué et noté que par un formateur cadre
de santé et dans la mesure du possible titulaire d’un niveau universitaire. C’est aussi dans ce
cas, à n’en pas douter également, une expérience professionnelle riche. Le travail entre cadre
et non-cadre demeure sensiblement le même, sauf pour certaines tâches.
Ces réponses, me font poser d’autres questions. En effet, que ce soit en service de
soins ou en I.F.S.I, le poste de faisant-fonction est un moment d’expérience et d’acquisitions
de compétences. Mais c’est aussi un changement de missions, de responsabilités, de relations
avec ses collègues, un statut qui diffère. C’est une période de modifications, mais à une place
très instable. Le faisant-fonction cadre, n’est pas un statut défini réglementairement, entre
infirmier et cadre de santé. Je me pose donc la question de ce changement de statut.
Comme pour toute nouvelle expérience, il y a changement de représentations, de
réactions, de regards. Comment le faisant-fonction vit-il ces modifications ?
Concernant son statut, je me pose la question de l’appréhension de celui-ci, et de
l’identité inhérente à ce statut. La période de faisant-fonction est en toute logique une étape
vers la formation et le diplôme (donc le titre) de cadre de santé. La formation est une étape
indispensable où s’acquièrent des connaissances, mais aussi une identité. La période de
faisant-fonction est un préambule. Alors, que représente cette période pour la construction de
l’identité cadre de santé ?
De mon propre vécu de faisant-fonction, j’ai pu ressentir ce que la psychologue
Américaine, Pauline Rose Clance appelle le « syndrome de l’imposteur »1. Ce syndrome est
mis en évidence en 1978. D’abord observé chez les femmes cadres, il sera ensuite mis en
évidence de la même façon chez les hommes cadres. Il consiste pour eux à ressentir un
manque de confiance et une mésestime de soi.
1 Pauline Rose Clance, Le complexe d'imposture, ou, Comment surmonter la peur qui mine votre réussite, Edition Flammarion, 1992, 223 p.
12
Ce sentiment étrange, je l’attribue à une identité encore floue et à un changement de
statut qui n’est pas à l’égal de celui de mes collègues. Cet écart, entre une identité vécue et
une identité désirée représente ce que le sociologue Erving Goffman pourrait appeler un
stigmate.
L’exercice dans une équipe impose l’intégration à un groupe social de cadre de santé
auquel je ne suis pas totalement identifié, puisque je n’en ai pas le titre. Le poste de faisant-
fonction représente-t-il alors une immersion dans ce groupe social, l’expérience est-elle à
l’image de ce qu’Arnaud Van Gennep2 décrit comme un rite de passage ? Et ce rite permet-il
de quitter un groupe infirmier pour un groupe cadre de santé ?
Ainsi et pour résumer, ma thématique se propose d’explorer la période de faisant-
fonction en regard avec l’identité professionnelle.
Cette fonction permet-elle une construction voire une intégration d’une identité
professionnelle de cadre de santé ?
2 Arnold Van Gennep, Les rites de passage, Paris, 1909, 315 p.
13
III. Hypothèses de départ
Au regard de cette problématique, je formule les trois hypothèses suivantes, qui feront
l’objet d’une confrontation avec une recherche sur le terrain.
Hypothèse 1 : La période de faisant-fonction représente un rite de passage
permettant de (se) construire une identité cadre de santé.
Hypothèse 2 : La période de faisant-fonction, donne une expérience
pragmatique permettant d’atténuer le stigmate pouvant être induit par le
statut de faisant-fonction et autorise ainsi une construction identitaire.
Hypothèse 3 : L’expérience de faisant-fonction permet d’intégrer un
groupe cadre de santé favorisant la socialisation de la profession.
IV. Questionnement du sujet
a) Les entretiens exploratoires
À cette étape de ma recherche, il a semblé indispensable d’entrer dans une phase
exploratoire. Celle-ci a pour but à la fois d’aller à la rencontre de notre public cible, mais
surtout de mener les premiers entretiens. La finalité de ceux-ci étant de pouvoir tester en
situation réelle notre grille d’entretien et de la réajuster si besoin pour la phase suivante, mais
aussi d’obtenir des réponses pouvant enrichir nos concepts, éventuellement en faire sortir des
concepts, des idées qui peuvent enrichir les propos de ce mémoire.
En effet, selon Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy3, « les entretiens contribuent à
découvrir les aspects à prendre en considération et élargissent ou rectifient le champ
d’investigation des lectures ».
3 Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy, Manuel de recherche en sciences sociales, 4ème édition, Dunod, 1995, 256 p, p 58.
14
De plus dans leur manuel, les auteurs indiquent qu’« un second objectif, tout aussi
important, est de prendre conscience d’aspects du problème qui n’avaient pas été envisagés
au moment de la formulation de la question de départ, d’imaginer de nouvelles pistes et donc,
le cas échéant, de reformuler cette question de départ de manière plus adéquate et mieux
fondée »4.
Dans le même ouvrage, les auteurs expliquent clairement l’intérêt de mener une phase
exploratoire, ce qui confirme mon choix de la mener. Les entretiens exploratoires
« contribuent à découvrir les aspects à prendre en considération et élargissent ou rectifient le
champ d’investigation des lectures5 » et de « prendre conscience d’aspects du problème qui
n’avaient pas été envisagés au moment de la formulation de la question de départ, d’imaginer
de nouvelles pistes […]6 ».
b) L’outil d’exploration
Directement inspiré de l’entretien d’aide développé par le psychothérapeute Carl Rogers7,
l’entretien exploratoire a trouvé sa place dans la recherche sociale. Le chercheur dans ce
domaine, pourra emprunter certaines caractéristiques de la méthode de Carl Rogers,
notamment sur son attitude peu directive et facilitante.
En effet il s’agit d’explorer certains sujets, thèmes de recherche, tout en laissant une libre
parole aux personnes interviewées afin de laisser une grande chance aux idées, aux liens, aux
ressentis de pouvoir s’exprimer. Néanmoins, les objectifs de l’entretien sont ceux de la
recherche, et non pas ceux de la personne interrogée, il est donc nécessaire de cadrer à
minima les questions, ainsi l’entretien semi-directif me semble être le mieux adapté.
4 Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy, « Manuel de recherche en sciences sociales », 4ème édition, Dunod, 1995, 256 p, p 59.
5 Ibid p 58.
6 Ibid p 59.
7 Carl Rogers, La relation d’aide et la psychothérapie, Paris, ESF, 1980.
15
Notons qu’il est conseillé d’adopter trois traits principaux pour mener ces entretiens
exploratoires de manière la plus pertinente8 :
Poser le moins de questions possible, avec une présentation introductive, afin de ne
pas donner l’impression de répondre à un interrogatoire.
Poser les questions d’une manière aussi ouverte que possible, laissant ainsi une
plus grande place à l’expression de la personne. Les relances permettront de
recentrer le sujet et de susciter le développement.
Le chercheur ne doit pas s’impliquer, pour ne pas engendrer des débats d’idées,
non productifs ici. Il faut rester relativement neutre.
Ainsi j’ai pu concevoir une grille d’entretien exploratoire (jointe en annexe),
répondant à ces différents critères. Le nombre de neuf questions, ne m’a pas semblé trop
important, et les questions même si elles sont ciblées sur les thèmes de ma recherche, j’ai
construit des questions assez larges.
L’un des objectifs ayant été de recueillir un maximum d’informations pouvant orienter
et compléter la suite de ma recherche.
Le choix a été fait de mener cette phase exploratoire, d’une manière plus large.
J’entends par là qu’il était intéressant d’interroger des professionnels exerçant aussi bien en
I.F.S.I, qu’en service de soins car les informations recueillies peuvent en être d’autant plus
riche.
J’ai fait le choix, de mener une phase exploratoire avec quatre personnes, deux F.F en
I.F.S.I et deux F.F en service de soins. J’ai également adapté ma façon de recueillir les
informations pour plus d’efficacité. Deux entretiens en face-à-face ont été réalisés avec deux
F.F (un en I.F.S.I et un en service de soins), et une grille d’entretien ayant été envoyée à deux
F.F (un en I.F.S.I et un en service de soins) par mail (après avoir demandé leur accord de
participation).
8 Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy, Manuel de recherche en sciences sociales, 4ème édition, Dunod, 1995, 256 p, p 62.
16
En observant le contenu des entretiens, je constate une richesse des réponses tout aussi
intéressante. Diviser la phase exploratoire en une méthode plus classique en face-à-face, et par
mail, ne me semble pas avoir constitué un biais ou un frein à l’atteinte des objectifs de cette
partie exploratoire.
À ce stade, et pour l’objectif visé, il ne me semblait pas obligatoire de mener chaque
entretien en face-à-face. Les deux entretiens réalisés ont été enregistrés et retranscrits
intégralement.
Les questions posées avaient pour but de connaître les motivations à vouloir occuper
un poste de faisant-fonction, et de facto devenir cadre de santé, de connaître le ressenti de la
personne par rapport à l’identité cadre. C’est-à-dire d’avoir une idée que se fait la personne du
statut, de son appartenance à cette catégorie, de son impression par rapport aux collègues
cadres de santé diplômés. D’autre part de savoir si la personne exerçante comme faisant-
fonction, a perçu une modification de son identité professionnelle en passant d’un poste de
paramédical diplômé avec une certaine expertise, à un poste de faisant-fonction cadre de
santé.
Les dernières questions consacrées à la formation I.F.C.S, permettaient de connaître la vision
de la personne interrogée sur la formation qui amène définitivement vers un changement de
catégorie professionnelle.
c) Analyse de la phase exploratoire
Les entretiens ayant eu lieu, il est donc nécessaire d’analyser les éléments recueillis afin
de pouvoir satisfaire nos objectifs. Ceux-ci je le rappelle, consiste à voir si les informations
font écho à nos hypothèses, mais également de voir si des éléments nouveaux apparaissent
modifiant notre angle de recherche.
J’ai réalisé pour cela une première analyse assez synthétique et interprétative des propos.
En fonction de thèmes de ma recherche, en liant avec mes hypothèses, j’ai réalisé un tableau
regroupant pour chacune des personnes interrogées, les réponses en lien avec ces thèmes.
17
Le tableau ci-après, reprend les items identifiés et explorés.
SUJET X
Age : Sexe : Durée : Exercice : Ancienneté :
Motivation à être F.F
Représentation de la période
de F.F
Modification de l’identité
Liens faits
Sentiment de différence :
Stigmate ?
Sentiment de différence :
Intégration au groupe cadre ?
Représentation de l’I.F.C.S
Représentation du diplôme
Autre (s) Élément (s)
Après plusieurs écoutes et la retranscription intégrale des entretiens, j’ai classé les
éléments de réponses dans la colonne de droite.
Faire de la sorte, m’a permis après lecture attentive, de regrouper les informations
émises et de les classer. Ceci me donnant une vision plus claire et synthétique du contenu du
discours et de façon à y confronter directement les hypothèses.
Il n’était pas question de me contenter de cette analyse. J’ai procédé à une analyse plus
fine, plus qualitative des contenus, juste après le tableau synthétique. Ceci m’a permis de
mieux comprendre le ressenti ou les pensées du sujet en lien avec les hypothèses.
Je propose maintenant une analyse de cette phase exploratoire. Les entretiens menés et
reçus de notre échantillonnage, sont anonymisés. Ainsi pour plus de compréhension, il faudra
lire « S » pour Sujet, les initiales « DM » pour me représenter. Notons, que j’ai parfois oublié
de demander l’âge de la personne. Celui-ci peut donc être absent de l’analyse, cependant, il
faut prendre en compte que ce critère est purement informatif et ne rentre pas en compte dans
mon analyse.
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- Sujet N° 1 (face à face)
SUJET 1 (face à face)
Age : 32 Sexe : M Durée : 36 minutes Exercice : I.F.S.I Ancienneté : 1 an I/2
Motivation à être F.F Envie d’être formateur, ce n’est pas le poste de cadre
Représentation de la période de F.F Passer d’un groupe N à N + 1, position provisoire en
attente de savoirs
Modification de l’identité Non
Liens faits Prise de recul et réflexion
Sentiment de différence : Stigmate ? Objectif mais pas de stigmate
Sentiment de différence : Intégration au
groupe cadre ? Oui
Représentation de l’I.F.C.S Apprentissage de + moyens
Représentation du diplôme Important, valorisation, statut, reconnaissance des
études
Autre (s) Élément (s) Prépa première étape du processus
La première personne rencontrée est un jeune homme de 32 ans. En poste de faisant-
fonction cadre pédagogique depuis un an et demi, il exerce dans un I.F.S.I Auparavant il était
infirmier en service de réanimation, puis de cardiologie pendant six ans.
Cette personne nous dit clairement que ce n’est pas le poste de faisant-fonction qui l’a
motivé à quitter les soins, mais le poste de formateur. Son expérience en tant que tuteur
auprès des étudiants en stage, a développé chez lui l’envie de s’investir d’avantage dans cette
mission et d’approfondir ses compétences dans le domaine de l’accompagnement.
Cette fonction, il la perçoit comme un changement de groupe de référence, ses anciens
supérieurs sont devenus ses collègues. Il évoque un niveau de responsabilités différentes et
une modification de statut en passant du statut d’infirmier a celui de F.F cadre.
Il est intéressant de noter que cette différence de statut est essentiellement perçue par
rapport à ses anciens supérieurs. À l’I.F.S.I, il ne ressent aucune différence de statut. Ceci
s’explique par sa réponse à la question suivante. Sa vision du cadre de santé était uniquement
forgée par son exercice sur le terrain, donc il avait une vision du cadre de service de soin,
mais aucune réellement construite du cadre de santé pédagogique.
En service de soins, l’infirmier est confronté au cadre de santé quotidiennement. Il y a
une hiérarchie plus perceptible et des catégories plus évidentes.
19
En I.F.S.I, l’ensemble des formateurs (cadrés ou non), forme une équipe pédagogique,
et chacun a les mêmes missions (à quelques différences). Sa représentation du cadre de santé
se centre désormais sur la fonction pédagogique, d’accompagnement, qu’il avait déjà perçu en
service de soins.
Son changement d’identité n’est pas exprimé, car elle s’assimile pour lui à ses valeurs
personnelles et professionnelles. En exerçant comme F.F il les a conservées. Les
modifications plus intimes, concerne sa prise de distance par rapport au travail, il prend le
temps de réfléchir, il est moins dans l’action ici que dans son exercice d’infirmier. Rappelons
qu’il était infirmier en cardiologie et devait davantage être dans une dynamique d’action-
réaction. C’est au quotidien dans son organisation qu’il perçoit un changement, il perçoit une
flexibilité et une certaine forme d’autonomie dans cette nouvelle fonction.
Il ne perçoit pas de différence par rapport à ses collègues cadrés, sauf effectivement
sur une tâche qui ne lui est pas permis d’assurer (le suivi de l’élaboration des mémoires
infirmiers). Chose qu’il ne dénonce pas car il estime avoir besoin de plus d’expérience et de
méthodologie pour assurer un accompagnement de qualité. La seule différence d’identité
relève uniquement de l’identité propre à chacun.
Concernant la formation I.F.C.S et le diplôme cadre, il dit que c’est important pour lui.
Car au-delà de savoirs qu’il espère acquérir, il souhaite aussi acquérir un statut cadre
révélateur d’un niveau d’études et de compétences développées.
Nous voyons donc ici la volonté de s’investir dans une mission, plus que dans une
catégorie professionnelle. Le changement de groupe d’appartenance est effectif, mais la
situation de non cadré ne semble pas constituer une difficulté. De plus, on peut noter que le
titre de cadre de santé est considéré comme une attestation de compétences et de niveau.
20
- Sujet N° 2 (par mail)
SUJET 2 (face à face)
Age : NR Sexe : F Durée : 38 minutes Exercice : Service Ancienneté : 2 ans 1/2
Motivation à être F.F Encadrement des étudiants, actions plus larges pour
équipe et patients
Représentation de la période de F.F Échange, liens, coopération, position pouvant être
pérenne
Modification de l’identité Prise de distance, réflexion, rejet d’une position de
pouvoir
Liens faits Responsabilités +++
Sentiment de différence : Stigmate ? Non, rejet du terme cadre
Sentiment de différence : Intégration au
groupe cadre ? Oui, fonction prime sur titre
Représentation de l’I.F.C.S Mitigée, expérience à valoriser, mais envie de savoirs +
Représentation du diplôme Important, fierté, légitimité/direction
Autre (s) Élément (s) Non
Le sujet S2 est une jeune femme de 35 ans. Elle exerce comme F.F depuis plus de
quatre ans, après une carrière d’infirmière dans différents services hospitaliers.
Investie dans l’institution par sa participation à divers groupes de travail pour
améliorer la qualité et la sécurité des soins. Elle a eu à cœur de mettre à profit son expérience
et ses compétences pour accompagner et guider une équipe dans cette démarche
d’amélioration des soins.
Cette prise de fonction est pour elle un gage de confiance de la part de sa hiérarchie.
Elle se « sent » cadre, car elle a cette reconnaissance de sa hiérarchie et de ses pairs,
cependant elle reconnaît ne pas avoir la légitimité d’un cadre de santé, bien qu’elle se dise
perçue comme cadre par ses collègues.
Son identité a changé car elle estime avoir pris du recul et a amélioré ses compétences
managériales. Source d’ailleurs d’un sentiment de différence car ses collègues cadrés ont des
styles de management différents.
Cependant, elle dit que les années d’exercice « gomment » cette différence de style
managérial. Cette dernière est également exprimée quand elle évoque « le costume cadre »
qu’elle enfile le matin et que les faux pas « déboutonnent ».
21
On ressent cependant ce besoin de reconnaissance du statut cadre quand elle évoque la
fonction comme un signe de confiance, un manque de légitimité, ou cet « habit ». D’ailleurs,
elle déplore ce manque de reconnaissance de son expérience, en évoquant le fait que cela lui
permettrait de ne pas passer le concours d’entrée à l’I.F.C.S
Elle rajoute que le diplôme est une reconnaissance de son travail et de ses compétences
acquises.
On retrouve donc chez S2, une professionnelle qui exprime une fonction assumée mais
qui est une quête de reconnaissance et d’assise statutaire. Son identité professionnelle s’est
translatée de celle d’une infirmière vers celle d’un manager, en lien avec son exercice du
quotidien qui lui fait atténuer les différences ressenties avec ses autres collègues cadrés. Il y a
l’expression claire d’une illégitimité, que le diplôme cadre de santé permettrait d’éradiquer
complètement.
- Sujet N° 3 (par mail)
SUJET 3 (mail)
Age : 35 Sexe : F Durée : 36 minutes Exercice : Service Ancienneté : 4 ans 1/2
Motivation à être F.F Améliorer soins, guider une équipe
Représentation de la période de F.F Confiance de la direction, illégitimité/diplôme,
inconfort, parfois faiblesse
Modification de l’identité Profondément
Liens faits Prise de recul, positionnement, développement de
compétences
Sentiment de différence : Stigmate ? Non
Sentiment de différence : Intégration au
groupe cadre ? Oui, légitimité par expérience
Représentation de l’I.F.C.S Échanges, Ouvertures, Expérience
Représentation du diplôme Reconnaissance du travail et des compétences
Autre (s) Élément (s) Costume à adapter avec l’expérience
Le sujet 3 est un jeune homme de 31 ans, faisant-fonction cadre de santé depuis trois
ans au sein d’un I.F.S.I. Il exerce la profession d’infirmier depuis 2006 et a exercé en service
de gériatrie, puis en équipe mobile de soins palliatifs où il a eu des missions d’encadrement
durant deux ans. Il évoque lui aussi une implication dans la vie institutionnelle de son
établissement en participant à des groupes de travail notamment sur la gestion de la qualité.
22
En parallèle, il a pu avoir quelques missions pédagogiques dans différents I.F.S.I, en
« donnant des cours » et en participant en tant que jury de soutenance orale de mémoire de fin
d’études infirmières.
Ses expériences d’encadrement et de pédagogie l’ont amené à réfléchir sur sa posture
et à son orientation professionnelle. Il souhaitait « accompagner » et « donner du sens ». Être
faisant-fonction cadre de santé et pour lui une continuité de son parcours.
L’absence de diplôme et de formation se compose par une identité, un caractère et des
compétences de cadre, ce qui lui fait se sentir cadre de santé. De plus, son expérience de
faisant-fonction lui a permis d’élargir sa vision et de mieux comprendre les rôles et missions
du cadre de santé. Lui apprenant notamment l’humilité, car il a pris conscience que tout
problème ne trouvait pas forcément une solution immédiate.
Concernant son identité, il dit qu’elle n’a pas changé, cependant on distingue deux
identités dans son discours ; La sienne et celle du cadre de santé qui est perçue.
Il n’évoque pas de différence avec ses collègues cadrés, cependant certaines
responsabilités ne lui sont pas accessibles faute de diplôme. La seule différence évoquée est
celle que peuvent lui faire sentir certains collègues du fait de leur expérience.
La formation I.F.C.S et la diplômation représentent une reconnaissance officielle mais
aussi une étape indispensable pour évoluer car elle est une fonction « intermédiaire », mais
non reconnue législativement.
Nous voyons donc ici, un sujet pour lequel être faisant-fonction cadre de santé est une
étape. Celle-ci lui permet d’acquérir à la fois compétences et vision élargie des rôles et
missions du cadre. L’absence de diplôme n’impacte pas son identité cadre car il l’assimile à
sa propre identité de professionnel de santé. Cependant on note un besoin de reconnaissance
et de légitimité pour prendre certaines responsabilités et pour pouvoir évoluer.
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- Sujet N° 4 (face à face)
SUJET 4 (mail)
Age : 31 Sexe : M Durée :
Exercice : Service
2 ans I.F.S.I : 3
ans
Ancienneté : 5 ans
Motivation à être F.F Responsabilités, accompagner, donner du sens
Représentation de la période de F.F Une continuité de la carrière, fonction
intermédiaire
Modification de l’identité Non, identité et valeurs conservées et renforcées
Liens faits Compétences et posture
Sentiment de différence : Stigmate ? Non
Sentiment de différence : Intégration au groupe
cadre ? Oui car identité, compétences, posture
Représentation de l’I.F.C.S Réflexion, connaissances +, obligatoire pour
l’instant
Représentation du diplôme Reconnaissance officielle
Autre (s) Élément (s) Non
Le sujet 4 est une jeune femme, kinésithérapeute de formation, et qui exerce comme
faisant fonction cadre de santé dans un hôpital. Elle est responsable d’un service de
rééducation où il n’y a pas de lits d’hospitalisation. Après avoir exercé sa profession de
kinésithérapeute pendant dix ans elle occupe la fonction de faisant-fonction depuis deux ans,
pour l’encadrement des étudiants et pour avoir une place stratégique pour l’amélioration des
conditions de travail de son équipe et pour améliorer la prise en charge des patients.
Cette position, elle ne la voit pas comme une position hiérarchique de type pyramidal,
ce qu’elle rejette complètement. Pour elle, le cadre de santé est un membre à part entière
d’une équipe et cette position centrale lui permet d’avoir une vision globale et une interaction
entre tous les acteurs toujours dans l’optique d’une amélioration de la qualité des soins. Pour
elle, le cadre « ce n’est pas le chef ! »
Elle prend conscience grâce à cette fonction des rouages de l’hôpital et comprend un
peu mieux les impératifs notamment financiers qui représentent pour elle un danger pour la
prise en charge des patients.
Avoir un poste de faisant-fonction n’a pas modifié son identité professionnelle. Elle
prend conscience de la distance qu’il est nécessaire parfois de mettre entre elle et ses
collègues de travail et elle prend également conscience des responsabilités inhérentes à cette
fonction.
24
Néanmoins elle continue dans son discours de rejeter ce rôle de cadre comme une
position hiérarchique associée à la notion de pouvoir et d’autorité. D’ailleurs il est intéressant
de noter que le sujet 4 rejette le terme même de « cadre » elle préfère parler de « responsable
d’équipe ». Elle est en léger désaccord avec l’image du cadre de santé qui doit commander,
prendre les décisions… Car elle estime elle, être un manager qui aime travailler en
coopération, collectivement de façon participative. D’ailleurs elle remet les agents au centre
de l’activité car elle dit volontiers qu’en l’absence des cadres le service continue de
fonctionner aussi bien et ce, grâce aux équipes. Hormis le travail inhérent au cadre de santé, le
sujet 4 évoque sa position comme une place lui permettant de prendre du recul et de réfléchir
et de proposer des actions pour améliorer le travail des agents améliorer la prise en charge des
patients.
Concernant la différence avec ses collègues titulaires du diplôme elle a ressenti une
différence clairement exprimée par certains. Elle attribue cette distinction à ses débuts de
carrière dans la fonction, et qu’il y a fallu un certain temps pour s’adapter et pour faire ses
preuves. Ce qui a changé le comportement et le discours de certains de ses collègues et elle se
dit maintenant reconnue pour son travail mais déplore cependant que certains continue à faire
une différence. Elles ne se sont pas différentes des cadres de santé diplômés, car elle
privilégie ses actions plutôt qu’un titre ou une fonction.
La formation I.F.C.S et pour elle un moment de prise de recul, d’enrichissement,
d’apports théoriques, d’échanges et de découvertes. Elle est mitigée quant à son utilité car elle
estime que son expérience est importante. Cependant la découverte d’autres milieux
notamment par les stages la motive, afin d’enrichir sa vision et satisfaire sa curiosité. Le
diplôme reste cependant important pour elle car il représente une fierté de son travail, de ses
efforts, mais pour elle le diplôme de cadre de santé ne légitime pas une position car on peut
légitimer une position autrement. Elle a pourtant conscience que ce diplôme est obligatoire
légalement parlant, notamment pour continuer de mener à bien ses missions d’encadrement.
S4 est donc une professionnelle de santé investie dans son travail, pour les patients et
pour les équipes dont elle à la responsabilité. Le titre et le diplôme de cadre de santé ne
semblent pas réellement importants, sauf concernant l’obligation légale pour exercer cette
profession.
25
Le sujet S4 montre réellement, une personnalité dynamique et engagée, c’est son
travail et la reconnaissance de celui-ci qui est important pour elle. On voit bien ici pour cette
personne, l’importance de la personnalité et de l’engagement que le diplôme de cadre de santé
ne doit pas modifier.
d) Avancée de la problématique
Avant de livrer mon analyse suite à cette phase exploratoire, rappelons que la
problématique concerne l’identité professionnelle du F.F, et je propose de poser un regard sur
cette période et particulièrement sur son rôle dans une construction et une intégration
identitaire professionnelle.
Les hypothèses de départ que je formule étant que cette période de F.F représente un
rite de passage permettant la construction d’une nouvelle identité, favorise l’atténuation du
stigmate pouvant représenter un frein à cette construction et permet une socialisation dans le
groupe de référence cadre de santé.
De la phase exploratoire on peut retenir certaines choses. Concernant l’idée d’un rite
de passage, on peut noter que les personnes interrogées l’expriment mais de façon différente.
Pour l’un, la fonction occupée est une période d’acquisitions de connaissances et de
compétences nécessaires, pour l’autre une phase de transition avant d’être reconnu
législativement, ou encore une période de « droit à l’erreur » pour affirmer son identité. Une
seule personne interrogée ne l’exprime pas ainsi, cette période est pour elle, l’occasion
d’améliorer les choses.
Sur l’idée de présence d’un stigmate, des faits sont évoqués mais ne sont pas perçus de
manière négative. Par exemple, l’impossibilité de pouvoir accompagner seul un étudiant dans
la réalisation de son mémoire n’est pas perçu comme un manque mais plutôt comme une
occasion de se former au contact d’un collègue cadré, l’impossibilité d’être responsable
d’année est un fait mais qui n’est pas exprimé comme une frustration. En service de soins, les
F.F interrogées ne font état d’aucune différence dans leurs missions. La reconnaissance de
leur travail prime, et de fait, ne pas être cadré ne constitue pas un réel stigmate.
Enfin concernant la socialisation, il est évoqué l’idée d’un changement de groupe, de
statut. Chez une personne devenir F.F lui a fait accéder à un niveau hiérarchique supérieur en
devenant collègue d’ancien supérieur.
26
Chez les autres individus, cette socialisation est exprimée soit comme une fonction
intermédiaire, non reconnue que le diplôme rendra concrète, soit métaphoriquement par un
« costume cadre » qu’elle met puis enlève. Autrement dit, une identité cadre le temps de son
poste de travail puis elle doit le quitter puisqu’elle n’en a pas encore le titre.
Cependant, il est intéressant de noter que pour chacune des personnes interrogées, le
besoin de reconnaissance est évoqué. Cette reconnaissance s’entend par rapport au niveau de
compétences acquises, du travail effectué, mais aussi une reconnaissance d’un statut, et une
reconnaissance « légale » devant une fonction intermédiaire entre l’infirmier et le cadre de
santé.
Cette phase exploratoire avait pour objectif de connaître les motivations à vouloir
devenir cadre de santé, à apercevoir l’image que les F.F avaient de ce métier. Au-delà de cela,
il s’agissait d’enrichir la construction de mon mémoire de recherche, pouvoir enrichir ou
modifier ma problématique et mes axes de recherche et modifier mon outil d’investigation au
besoin.
Suite à l’analyse de cette phase, j’obtiens des réponses cohérentes et utiles au
développement de mon sujet. Cependant, sur la notion de rite de passage qui peut contribuer à
la construction identitaire, peu d’éléments viennent répondre à cette hypothèse mais cette
notion reste perceptible.
Sur la notion de stigmate également, aucune des personnes ne l’exprime.
Enfin sur l’hypothèse d’une période de F.F propice à l’intégration d’un nouveau
groupe, seul un sujet l’exprime clairement. Les autres personnes en donnent des informations
pouvant suggérer que cet item est présent.
Cette phase exploratoire a rempli ses objectifs. Elle m’a permis d’investiguer mes
hypothèses, mais aussi de corriger celles-ci. En effet, concernant la notion de stigmate, je ne
relève ici aucun élément exprimé en lien avec cette idée. Ce ressenti m’est peut-être tout à fait
personnel, lié à ma personnalité ou à un moment particulier. Je fais alors ici le choix, de
mettre de côté cette hypothèse. Elle pourrait sûrement faire l’objet d’une recherche fort
intéressante, mais le temps imparti ne me permet pas de mener un nombre suffisamment
étendu d’entretiens pour l’explorer au mieux.
27
Autre élément satisfaisant issu de cette phase exploratoire et l’apparition de données
nouvelles, me donnant une piste d’investigation intéressante et une nouvelle orientation à ma
recherche, la recherche de reconnaissance. La période de faisant-fonction ne constituerait-elle
pas une étape pour satisfaire un besoin de reconnaissance dans la fonction ?
J’exprime aussi ma satisfaction de ma grille d’entretien qui répond aux objectifs visés,
je peux alors conserver cet outil pour mener la suite de ma recherche.
28
Deuxième Partie : Cadre contextuel
Ayant à cœur d’étudier une catégorie professionnelle, il me semble évident dans cette
partie contextuelle d’apporter quelques éléments d’informations pouvant permettre au lecteur
non initié de situer et de comprendre le métier de cadre de santé et l’exercice de faisant-
fonction cadre de santé, qui de plus n’existe pas légalement parlant et ne fait l’objet d’aucune
définition précise, ni d’aucun texte définissant les fonctions inhérentes à ce statut.
I. Le Cadre de Santé
a) Historique
L’histoire du cadre de santé est longue et prend sa naissance, tout comme les
infirmières, dans les institutions religieuses.
Le terme « cadre », largement étendu dans plusieurs domaines d’activité, est d’origine
militaire. « À la fin du XVIIe siècle, ce sont des militaires chargés de former le carré et qui
s’interposent entre l’état-major et le soldat9 », autrement dit des hommes formant une
frontière entre deux niveaux, mais une frontière perméable permettant les échanges
d’informations et de commandement. En 1930, la catégorie des cadres dans le monde ouvrier
existe pour créer un lien entre la classe ouvrière et le patronat.
La catégorie « cadre de santé » est relativement récente, elle a remplacé celle de
« surveillante » et a évolué avec le monde hospitalier. À l’origine, l’hôpital est un lieu
d’accueil et d’hébergement des exclus, et la médecine toujours emprunte des théories
grecques, n’a pas encore cet aspect scientifique, curatif, tel que nous le connaissons à notre
époque.
Ainsi, « il est plus important de s’occuper des âmes que de soigner des corps10 », la
charge des religieuses tient plus en une mission charitable, elles s’occupent davantage de
l’intendance que de soins aux malades.
9 Paule Bourret, Les cadres de santé à l’hôpital, 2006, 284 p, p 16. 10 Ibid, p 18.
29
« L’origine de la profession de cadre remonte aux occupations de ces religieuses ;
elles contribuent à la gestion de ces lieux spécialisés dans l’enfermement des pauvres 11 », ces
fonctions se poursuivent jusqu’au début du XXe siècle. Mais cette fois, elles ont en plus la
fonction d’encadrement d’un personnel placé sous leurs ordres.
En effet, les soins administrés, le sont par les externes et/ou par les infirmières, la
surveillante, elle, « fait la répartition des aliments que distribuent les infirmiers, elle règle les
rapports avec la lingerie, veille au maintien de l’ordre et de la discipline dans la salle 12 ».
C’est en 1943, qu’un décret officialise la fonction de surveillante.
Entre-temps bien sûr, les progrès de la médecine ont eu lieu, et dans les années
cinquante, la généralisation de la protection sociale, la croissance économique, transforment
radicalement les hôpitaux. Les formations et les diplômes deviennent obligatoires pour
exercer une profession paramédicale. Le monde de l’hôpital se professionnalise, se diversifie
et une division du travail devient de plus en plus forte.
La laïcisation des structures hospitalières, déjà commencée après la Révolution
française, fait que les religieuses vont progressivement disparaître des hôpitaux. Les laïques
qui les remplacent doivent toutes être infirmières diplômées.
Pour les surveillantes, dès 195813, une formation est proposée, le C.A.F.I.M (Certificat
d’Aptitude aux fonctions d’infirmière Monitrice) et le C.A.F.I.S (Certificat d’Aptitude aux
fonctions d’infirmier Surveillant). Ces certificats sont délivrés aux infirmiers (es) au terme
d’une sélection et d’une formation de huit mois.
En parallèle, les progrès scientifiques étant constants, on assiste à une division du
travail de plus en plus nette, et de fait, la profession infirmière elle-même se développe et
s’affirme. Cette catégorie se veut reconnue comme indispensable et disposant d’un savoir et
d’une autonomie notamment grâce à la reconnaissance du rôle propre14, « la fonction de
surveillante, issue elle-même de la catégorie infirmière, reste marquée par ce développement,
en lien avec les disciplines médicales 15 ».
11 Ibid p 21. 12 Ibid, p 23.
13 Décret N°58-1104 du 14 novembre 1958.
14 Loi du 31 mai 1978, N° 78-615.
15 Paule Bourret, « Les cadres de santé à l’hôpital », 2006, 284 p, p 33.
30
En effet, une hiérarchisation des activités soignantes s’établit, et les surveillantes ne
sont pas étrangères à cette reconnaissance de leur profession d’origine. Elles interviennent
dans la construction d’une professionnalité infirmière fondée sur des compétences techniques,
relationnelles et de nursing. Le désir de perfectionnement des surveillantes, et par là même
l’émergence d’une catégorie de surveillante, se concrétise par leurs participations à des
instances nationales et internationales et par la création d’écoles de cadres, avant la création
officielle par décret de 1958.
À partir des années 1990, la conception gestionnaire à l’hôpital s’accentue. La réforme
hospitalière en 1991 fixe un cadre réglementaire de gestion par objectifs, cela reconfigure le
travail de l’ensemble des personnels hospitaliers.
Pour les surveillantes cela se traduit par un nouveau programme de formation des
cadres en 199516, qui oriente clairement la fonction vers une dimension gestionnaire, notons
également que ce décret institue officiellement le titre de cadre de santé, on ne parle
désormais plus de surveillant (e), ou de cadre infirmier (e). Le programme de formation n’a
pas été revu depuis.
b) Rôles et missions du Cadre de santé
Pour faire suite à cet historique de la profession de cadre de santé, il convient
d’apporter une définition de ce qu’est un cadre de santé de nos jours.
Cet exercice n’est pas simple tant les missions du cadre de santé sont variées. Restons
simples en énonçant qu’un cadre de santé, est à l’origine un paramédical, autrement dit un
professionnel de santé ayant suivi et réussi la formation à l’I.F.C.S.
Ceci peut paraître simpliste mais au final, se baser sur le décret de 1995, me semble un
point de départ adapté pour donner une définition du cadre de santé afin de pouvoir décliner
ses rôles et missions.
16 Décret du 18 Août 1995, N°95-926.
31
L’Arrêté du 18 août 199517 relatif au diplôme de cadre de santé nous dit, dans son
article 4 que :
« Pour être admis à suivre la formation sanctionnée par le diplôme de cadre de santé,
les candidats doivent :
1° Être titulaires d’un diplôme, certificat ou autre titre permettant d’exercer l’une des
professions mentionnées à l'article 1er du décret du 18 août 1995 susvisé ;
2° Avoir exercé pendant au moins quatre ans à temps plein ou une durée de quatre ans
d’équivalent temps plein au 31 janvier de l’année des épreuves de sélection l’une des
professions mentionnées au 1° ci-dessus18 ;
3° Avoir subi avec succès les épreuves de sélection organisées par chaque institut sous
le contrôle du directeur général de l’agence régionale de santé ».
Ainsi le cadre de santé est un professionnel paramédical, ayant une expérience
significative dans son domaine. Ce qui laisse supposer à la fois une certaine expertise de son
métier, mais aussi une maturité et une connaissance de l’environnement sanitaire et social
dans lequel il évolue. L’annexe de ce même article nous apporte des précisions :
« Le bon fonctionnement de nos structures de santé, qu’elles soient hospitalières ou de
formation, dépend largement de la place des cadres de santé et de leur compétence, qui est
déterminante pour la qualité des prestations offertes tant aux patients qu’aux étudiants.
C’est pourquoi la formation des cadres de santé est une priorité essentielle pour garantir la
qualité de l’encadrement. Elle contribue en effet à assurer l’efficacité et la pertinence du rôle
de l’encadrement dans l’exercice de ses responsabilités en matière de formation des
personnels et de gestion des équipes et des activités. L’adaptation régulière de cette
formation est une nécessité pour préparer et accompagner l’évolution rapide des
établissements de santé et des pratiques professionnelles ».
Ainsi, en faisant écho à la partie historique développée ci-dessus. Il apparaît ici
confirmé que le cadre de santé est bien une fonction dévolue au bon fonctionnement des
structures hospitalières et pour répondre à leur mode de fonctionnement. Les premières
missions du cadre apparaissent ici : encadrer des personnels, gérer des équipes, et promouvoir
une qualité de prestations aux patients et aux étudiants.
17Consultable sur le site Légifrance en intégralité (http://www.legifrance.gouv.fr).
18 Les professions paramédicales concernées sont au nombre de 13, dont les infirmiers(es), kinésithérapeute, ergothérapeute, technicien de
laboratoire, manipulateur d’électroradiologie…..
32
« La formation conduisant au diplôme de cadre de santé a pour ambition de favoriser
l’acquisition d’une culture et d’un langage communs à l’ensemble des cadres de santé afin
d’enrichir les relations de travail et les coopérations entre les nombreuses catégories
professionnelles, indispensables à la cohérence des prestations ».
Ici, nous avons l’illustration du diplôme de cadre de santé commun aux treize
formations paramédicales concernées. Mais au-delà de cela, l’accent est mis sur la culture et
le langage commun, pour la coopération entre les membres du système. Le cadre de santé est
aussi vecteur et garant de l’inter professionnalité et de la pluri-professionnalité. La prise en
charge multidisciplinaire du patient suppose l’intervention d’une multitude d’acteurs
(médicaux, paramédicaux, administratifs, logistiques…)
Le cadre de santé est donc une pièce pivot qui doit avoir une connaissance assez fine
du rôle de chacun et une vision large de l’activité.
« La formation instituée a pour objectif de préparer les étudiants conjointement à
l’exercice des fonctions d’animation et de gestion d’une part, de formation et de pédagogie
d’autre part, dévolues aux cadres de santé, en leur apportant les concepts, les savoirs et les
pratiques nécessaires, et en favorisant leur application à leur domaine professionnel. Ainsi
l’objectif de décloisonnement poursuivi ne saurait en aucun cas conduire à remettre en cause
l’identité de chacune des professions ».
Ici apparaissent les deux orientations possibles à l’issue de la formation I.F.C.S
L’encadrement en service de soins, et la voie pédagogique comme cadre de santé
pédagogique en I.F.S.I et/ou I.F.A.S). Les deux voies d’exercice ne sont pas antagonistes.
Elles sont différentes pour certains aspects, mais présentent aussi beaucoup de similitude et il
est préférable de dire qu’elles sont complémentaires.
Cependant, la formation apporte les éléments nécessaires pour exercer dans l’une ou
l’autre voie. Laissant ainsi la possibilité de changer d’orientation par la suite, à la différence
des anciens diplômes C.A.F.I.S et C.A.F.I.M, qui imposaient un choix d’orientation dès le
départ.
33
« Les stages devront leur permettre un apprentissage pratique et approfondi de leurs
fonctions de cadre par une application concrète et un transfert à leur domaine d’exercice
professionnel. ».
Concrètement, la formation I.F.C.S est professionnalisante et propose une alternance
entre enseignements théoriques et périodes de stage.
« La formation se compose de 6 modules :
Module 1 : Initiation à la fonction de cadre.
Module 2 : Santé publique.
Module 3 : Analyse des pratiques et initiation à la recherche.
Module 4 : Fonction d’encadrement.
Module 5 : Fonction de formation.
Module 6 : Approfondissement des fonctions d’encadrement et de formation professionnelle.
La formation permet donc l’acquisition de savoirs inhérents aux futures missions. Le
module de santé publique donne les connaissances nécessaires à la compréhension du système
de santé actuel, de son organisation, sa politique… Des grandes problématiques de santé
actuelles auxquels tout professionnel de santé est confronté. Mais aussi et surtout, permet
l’acquisition de connaissances à concrétiser sur le terrain et permet d’y apporter un regard
critique et de jouer son rôle d’acteur de santé pour le bien être des populations.
Car le cadre de santé, au même titre que n’importe quel professionnel de santé doit
être un professionnel réflexif, capable d’analyse et de synthèse, et capable d’animer ou de
conduire des projets. À ce titre, le module 3, consacré à la recherche permet à l’étudiant (e)
cadre de santé, d’investiguer un thème, souvent en lien avec son activité, et de mener une
analyse fine sur cette problématique, lui donnant outre des connaissances relatives à ce sujet,
une méthodologie.
34
En effet, le cadre de santé peut être amené à se positionner en tant que chercheur pour
faire évoluer les connaissances, concourir à l’amélioration des pratiques et des savoirs.
L’initiation à la fonction cadre, du module 1, permet, grâce notamment au stage hors
du secteur sanitaire et sociale, de décontextualiser l’encadrement tel que l’étudiant le connaît
de par son exercice. Ceci participe à l’ouverture d’esprit du futur cadre et lui donne une
expérience concrète des différents « managements ». En effet, le cadre de santé doit autant
avoir une vision élargie du contexte mais doit pouvoir en tant que manager, adopté un
management efficace et adapté au contexte et aux personnes.
Ceci fait écho à ses missions de gestion d’équipe. Car le cadre de santé à des fonctions
d’encadrement. En service de soins il va être le responsable d’une équipe de soins, tant dans
l’organisation du travail, la gestion des ressources humaines, la gestion de l’humain tout
simplement, en repérant et en apportant des réponses aux difficultés d’un de ses
collaborateurs, en repérant et en apportant une réponse aux conflits d’équipe, en promouvant
la formation continue des membres de son équipe. Il a donc à ce titre, une forte mission
pédagogique.
C’est en cela que l’on peut trouver un lien entre les deux orientations d’exercice. Le
module 5 consacré à la formation, donne des clés indispensables aux fonctions de formateurs.
Certes la pédagogie sera prévalente dans un exercice en institut de formation, cependant
l’exercice en service de soins demande également des capacités pédagogiques. À la fois pour
l’équipe de soins, mais également pour l’accueil et la formation des étudiants en stage.
Ainsi, le cadre de santé est un professionnel de santé aux rôles et aux missions variées.
Il est à la fois tantôt manager d’équipe, avec tout ce que cela comporte d’analyse et de
relationnel, tantôt pédagogue pour former les futurs professionnels de santé. Il est aussi un
acteur du système de santé capable d’analyse, de regard critique, d’esprit réflexif pour
apporter sa contribution à l’amélioration des soins et des prestations offertes aux patients.
Je n’ai pas encore évoqué les tâches administratives. Volontairement car elles sont
nombreuses et il me serait difficile de toutes les lister ici. Elles ne sont pas à négliger, tant il
est vrai que les procédures de recours, même si nous ne sommes pas encore dans le cas des
États-Unis, ont tendance à progresser en France. Le cadre de santé est garant du respect des
procédures et de la traçabilité.
35
II. Le Cadre de santé pédagogique
a) Définition
Pour reproduire la même simplicité que dans notre définition du cadre de santé,
j’utiliserais un texte officiel19 pour donner une définition du cadre de santé pédagogique.
L’arrêté du 31 juillet 2009 dans son article 10, nous dit donc, que « les formateurs
permanents des instituts susmentionnés, à l’exception des instituts de formation d’aides-
soignants, d’auxiliaires de puériculture et d’ambulanciers, doivent être titulaires :
1. D’un titre permettant l’exercice des professions pour lesquelles l’institut est autorisé ;
2. Du diplôme de cadre de santé ou d’un des certificats de cadre auxquels ce diplôme
s’est substitué ou d’un diplôme reconnu équivalent.
Les formateurs permanents des instituts de formation d’aides-soignants, d’auxiliaires
de puériculture et d’ambulanciers doivent être titulaires du diplôme d’État d’infirmier.
Un titre universitaire de niveau II dans les domaines de la pédagogie ou de la santé est
recommandé».
Le cadre de santé pédagogique est donc un professionnel titulaire du diplôme de cadre
de santé obtenu à l’issue de sa formation à l’I.F.C.S. La formation a été développée
précédemment. Il exerce donc en institut de formation (I.F.S.I ou I.F.A.S pour les cadres de
santé infirmiers) et a donc pour rôles de former les futurs infirmiers (es) et/ou futurs aides-
soignants (es). Ces missions méritent d’être développées, car elles restent malgré tout assez
méconnues et aussi parce que ce métier est le mien.
En I.F.S.I ou I.F.A.S, il ne s’agit pas juste de « faire cours » à des étudiants ou des
élèves. La relation pédagogique avec les apprenants est plus complexe et l’organisation de
l’enseignement demande rigueur et réflexion. De plus, le cadre pédagogique s’inscrit aussi à
la fois dans une institution et dans des missions transversales.
19 Arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux autorisations des instituts de formation préparant aux diplômes d’infirmier […], cadre de santé et aux
agréments de leur directeur. (http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/arrete_310709.pdf).
36
Les programmes définis par arrêté doivent bien sûr être appliqués. Ceux-ci prévoient
un enseignement théorique et clinique. Concernant l’enseignement théorique, organisé en U.E
(unités d’enseignement), ou modules pour l’I.F.A.S, il s’agit pour le cadre ou le F.F
d’organiser l’enseignement dont il a la charge. Ainsi cela demande de trouver les bons
intervenants, de les rencontrer, de planifier les interventions, d’informer sur le contenu du
programme. Ce qui suppose pour le cadre des capacités d’organisation, de planification, de
négociation. Il est aussi en charge de certains enseignements dont le T.D ou les T.P. Ainsi le
cadre est capable de bâtir une stratégie pédagogique efficace et adaptée.
Les capacités d’animation d’une promotion, impulser la motivation, ne sont pas
toujours évidentes. Les générations d’étudiants évoluent, il faut pouvoir s’y adapter et adapter
ses méthodes pédagogiques. De même, les savoirs et techniques évoluent, il faut donc aussi
nécessairement une curiosité intellectuelle pour transmettre des savoirs concrets et actualisés.
L’enseignement suppose également une partie évaluation, le cadre doit ainsi pouvoir
se positionner dans l’évaluation de l’apprenant, objectivement et en regard des apports
proposés. C’est une lourde responsabilité, en tant que formateur il est important de pouvoir
être objectif, et conscient de l’évolution de l’apprenant.
Concernant l’enseignement clinique, il est principalement confié aux professionnels de
terrain qui accueillent l’apprenant en stage. Cependant, le cadre de santé pédagogique (le
formateur), doit garder ce lien avec les lieux de stage. Il est amené à se rendre sur les terrains
de stages pour permettre à l’étudiant de conscientiser ses acquis.
Les missions ne s’arrêtent pas là. Le cadre de santé pédagogique doit accompagner.
Dans les U.E, sur les lieux de stage, mais aussi tout au long de la formation. Les capacités
pédagogiques imposent d’accompagner l’apprenant vers des objectifs, à son rythme, selon sa
personnalité, car l’étudiant et avant tout un être fait de son histoire et de sa personnalité. Ceci
suppose de l’adaptabilité, une certaine forme de psychologie et de patience. Mais cela est
fascinant. Voir évoluer, et je me permets l’usage du verbe « grandir », reste un plaisir et une
satisfaction.
Je le disais précédemment, le cadre s’inscrit aussi dans un processus de réflexion, de
démarche qualité, d’amélioration. Il peut ainsi s’inscrire dans des groupes de travail et
continuer à se former. Il doit s’inscrire dans un processus de formation tout au long de sa
carrière.
Il va s’en dire, que les capacités relationnelles, de communication sont essentielles. La
notion d’équipe est importante pour échanger, co-construire, mais aussi pour avoir des avis,
de l’aide parfois. Car le cadre doit aussi savoir se remettre en cause.
37
b) Historique20
Si l’on parle aujourd’hui de cadre de santé, voire de cadre de santé pédagogique, il
faut indiquer que l’intitulé lui-même n’a pas toujours été celui-là. Plusieurs appellations ont
existé, et se sont confondues, pour désigner cette fonction.
Le terme monitrice apparaît dès 1907. Elles peuvent être de deux types : l’une de
répétition des cours des médecins, l’autre d’enseignement en stage. Mais il n’y a pas de
manuel officiel, en stage on enseigne en fonction des situations rencontrées.
De par les progrès scientifiques et de la médecine, le besoin d’un enseignement
devient important pour les responsables de services de soins qui ressentent le besoin d’un
complément de formation.
En 1942, le pouvoir de Vichy, institue un diplôme de monitrice des écoles
d’infirmières, mais sans réel effet jusqu’en 1958. Entre-temps, les infirmières sont formées
par les plus expérimentées. Les I.D.E ont donc exercé des fonctions de monitrices sans le titre
spécifique.
En 1948 la Croix-Rouge américaine offre deux bourses pour créer la première école
des cadres en France. Ce qui est fait en 1951 avec la première école des cadres de la Croix-
Rouge à Paris. Cette école forme à la fois les monitrices et les surveillantes. D’autres écoles
seront créées (trois jusqu’en 195821). La croix rouge propose deux programmes d’études, un
pour les monitrices, un pour les surveillantes.
Si la première école ouvre en 1951, il faut attendre sept ans pour la création par le
ministère de la santé22 du C.A.F.I.M (Certificat d’Aptitude aux fonctions d’Infirmières
Monitrices) et le C.A.F.I.S (Certificat d’Aptitude aux fonctions d’Infirmières Surveillantes).
L’infirmière enseignante devient « monitrice ».
20 Christiane BOUDIER, « Les formateurs en soins infirmiers », Seli Arslan, 2012, 189 p, p 51-89.
21 Croix-Rouge, Ecole catholique des cadres en 1954, Ecole des cadres de l’assistance Publique de Paris en 1956.
22 Décret N°58-1104 du 14 novembre 1958.
38
Un article23 fait par une monitrice de l’École des cadres de la croix rouge permet de
voir quels sont les rôles de la monitrice : « une fonction d’enseignement, une fonction de
coordination et fonction d’éducation (actuel suivi pédagogique) et de tâches annexes
(administratives) », les monitrices de l’époque se décrivent plus comme accompagnatrice,
qu’enseignante. La monitrice vient voir l’élève sur son lieu de stage, une à deux fois par
semaine et réalise des soins avec les élèves, font la démonstration et les révisions des actes
techniques.
En 1975, un décret institue le Certificat de cadre infirmier. La formation dure dix mois
et forme à l’organisation des soins, administration, enseignement, animation et recherche. Le
titre de monitrice disparaît car il n’y a plus de formation spécifique.
En 1992, le programme des écoles d’infirmières change24, le diplôme devient unique
(la spécialité d’infirmier de secteur psychiatrique disparaît), les termes d’élève et d’école
d’infirmières sont respectivement remplacés par ceux d’étudiant et d’I.F.S.I. Ce programme
précise l’action de « former » des étudiants, de fait, et même si le terme n’est pas officialisé,
on commence à parler de « formateur (trice) en soins infirmiers ».
Les enseignants vivent une crise identitaire. Les titres, non officiels, ne permettent pas
de se situer en tant que monitrice, infirmière enseignante, ou formatrice…
En 1995, par décret25 le certificat de cadre infirmier est remplacé par le Certificat de
Cadre de Santé. Il réunit plusieurs professions paramédicales pour un même titre de cadre de
santé. Le formateur devient cette fois-ci officiellement cadre de santé.
La réforme des études en 200926, intègre le schéma L.M.D27. Le grade Licence étant
conféré au titulaire du D.E d’infirmier, il devient donc nécessaire aux formateurs d’avoir un
diplôme supérieur de niveau universitaire.
23 Anne-Marie de Saxcé, A propos du rôle des monitrices d’écoles d’infirmières, 1961, in Christiane BOUDIER, Les formateurs en
Soins infirmiers, Seli Arslan, 2012, 189 p, p 59.
24 Décret N°92-264 du 23 mars 1992, relatif aux études conduisant au diplôme d’Etat d’infirmier.
25 Décret N°95-296 du 18 août 1995.
26 Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d'Etat d'infirmier
27 Circulaire N°DHOS/RH1/DGESIP/2009/202 du 9 juillet 2009 relative au conventionnement des instituts de formation en soins infirmiers
avec l’université et la région dans le cadre de la mise en œuvre du processus Licence-Master-Doctorat (LMD).
39
c) Le « Faisant-fonction » Cadre de santé pédagogique
Définir précisément ce qu’est un faisant-fonction cadre de santé est une entreprise
délicate. Car cette fonction ne repose sur aucun texte, elle n’a pas d’existence légale.
J’en donnerais donc une définition tout à fait personnelle. Le faisant-fonction cadre de
santé est un professionnel de santé ayant le projet de devenir cadre de santé. Il assure à temps
plein ou à temps quasiment les mêmes missions que le cadre de santé.
Ce poste peut revêtir diffèrent objectifs, pour l’institution qui l’autorise, il permet de
ne pas laisser vacant un poste d’encadrement. Pour le professionnel s’y engageant, il permet
de conforter, ou pas, le projet d’évoluer vers le métier de cadre de santé, et de fait pouvoir
réintégrer la fonction d’origine si cette expérience ne s’avère pas concluante. L’expérience est
riche d’enseignements et de développement de compétences qui peuvent constituer un atout
pour la formation I.F.C.S.
En institut de formation, le F.F est donc chargé des mêmes missions de formation,
d’accompagnement et d’évaluation, que ces autres collègues titulaires du diplôme de cadre de
santé. Cependant, il peut exister quelques différences dans la répartition de la charge de
travail. J’ai pu les exposer dans la partie constat de ce travail. Par exemple et pour rappel, le
suivi des étudiants dans le cadre de l’élaboration du mémoire de fin d’études n’est pas
autorisé seul, et la soutenance orale ne peut être évaluée par un F.F. De fait, il peut arriver
qu’une autre mission puisse être confiée au F.F pour « soulager » les cadres de santé
pédagogique. À titre d’exemple, le nombre d’analyses de situations sur les lieux de stage, ou
le nombre de suivis pédagogiques peuvent être plus importants pour un F.F.
Les F.F en I.F.S.I sont relativement rares. En effet, dans le cadre de l’inclusion des
études infirmières dans le processus L.M.D et la délivrance du grade Licence, être détenteur
uniquement du D.E d’infirmier est insuffisant. Il est donc demandé, légalement parlant,
d’avoir le diplôme de cadre de santé mais également d’un grade universitaire du niveau
Master.
Ne pas avoir le diplôme cadre reste un frein à l’embauche, cela reste possible si le
projet de faire la formation I.F.C.S est présent et si l’institution dispose de budget pour
autoriser cette formation. De plus, les I.F.C.S établissent des partenariats avec les Universités
afin de délivrer dans le même temps le diplôme cadre de santé et un diplôme de Master. On
peut facilement comprendre, de fait, que les institutions favorisent une personne déjà
« cadrée».
40
Toutefois, certains instituts permettent à des professionnels d’intégrer la fonction de
cadre de santé pédagogique. Accueillir un professionnel ayant une spécialité particulière
pouvant être partagée avec le reste de l’équipe permet d’enrichir les compétences de l’équipe,
en accompagnant le faisant fonction, l’équipe va permettre un développement de compétences
progressif, s’inclure dans une équipe et adhérer aux valeurs de l’institution. Ainsi, la
réintégration de la personne nouvellement cadrée, dans un environnement et un
fonctionnement connu, est facilitée.
Mais les F.F cadres pédagogiques ont aussi une petite histoire en lien avec la pénurie
d’infirmière. En 1974, la pénurie fait ouvrir plusieurs écoles d’infirmières. Ouvrir des écoles
suppose donc d’employer des formateurs. Mais il est difficile de confier cette tâche
uniquement aux infirmières monitrices.
Dans ce contexte, Alain Charbonneau, Directeur Général de la santé estime que « dans
ce contexte de crise il est impossible que l’encadrement soit uniquement prodigué par des
infirmières ayant reçu une formation pour enseigner. Le recrutement est alors facilité si grâce
à la formation discontinue, il leur était possible de préparer le certificat de monitrice tout en
assurant des fonctions d’enseignement à l’école. »28. C’est ainsi donc qu’apparaît ce que l’on
nomme encore de nos jours, le poste de faisant-fonction. Il est établi cependant un contrat
moral entre les directions qui emploient et le F.F. Celui-ci autorise l’exercice pour deux
années, sous réserve de préparer le concours d’entrée en formation cadre.
Voici donc la possibilité aux I.D.E d’être « monitrice », mais au-delà de deux ans, si
l’I.D.E ne réussi pas le concours d’entrée à l’école des cadres, elle réintègre un poste
d’infirmière. En 1980, une enquête a permis de déterminer que 1/3 des enseignantes exercent
sans diplôme de cadre.
De nos jours, certains F.F sont en poste depuis plus de deux ans, les institutions en
effet ne disposent pas toujours des ressources pour financer la formation ou pour se permettre
l’absence d’un F.F durant dix mois. Le professionnel engagé dans cette fonction, doit
rapidement se positionner sur le fait de vouloir entamer la formation à l’I.F.C.S ou quitter
cette fonction.
28 Geneviève Charles, L’infirmière en France d’hier à aujourd’hui, Paris, Le Centurion, 1979, in C. BOUDIER, Les formateurs en soins
infirmiers, Seli Arslan, 2012, 189 p, p 67.
41
Troisième Partie : Cadre conceptuel
Cette troisième partie est proposée afin d’apporter un éclairage sur les différents
concepts à mobiliser pour tenter de comprendre chaque aspect du thème de la recherche. Ces
concepts mobilisés sont identifiés à partir des différentes lectures faites pour ce travail, mais
font écho aussi aux éléments mobilisés par la phase exploratoire.
Ils vont permettre d’apporter une base conceptuelle nécessaire à la suite de la
recherche. Ces éléments clés confrontés aux résultats de l’investigation, permettront
d’apporter un éclairage théorique à confronter aux résultats pour permettre une analyse plus
fine et apporter des réponses aux hypothèses posées. Partons donc à la découverte de ces
concepts d’identité et de socialisation, qui sont au cœur de ce travail et qui sont intimement
liés. Nous terminerons ce voyage en découvrant des aspects psychosociologiques qui
développeront cette notion de rite de passage et de reconnaissance, exposés plus haut.
J’exposerais également ces troubles que sont le stigmate et le syndrome de l’imposteur.
I. Concept d’identité
Je tente ici d’explorer le concept de l’identité. Concept vaste tant les définitions sont
multiples et empreintes des champs de la sociologie, anthropologie, psychologie… Je fais le
choix après une définition, de le décliner sous un angle sociologique, puis sous l’angle
professionnel, car c’est bien cette construction que je tente de comprendre dans mon travail de
recherche. En abordant l’identité infirmière, j’entends apporter un éclairage complémentaire
sur cette identité cadre de santé dont la construction est au cœur de mon questionnement.
a) Définition
Définir le concept d’identité s’inscrit dans le « paradigme de la complexité29 » car il
n’est jamais fixé. Il reste dépendant du point de vue de la science dans laquelle on se place
pour le définir, c’est ce que l’on appelle le « relativisme constructiviste ».
29 Alex Mucchielli, L’identité, collection Que sais-je, Puf, 9émé édition 2013, 127 p, p3.
42
Dans ce travail, le concept d’identité est à considérer du point de vue des sciences
humaines, considérant ainsi l’individu en tant « qu’acteur social ». De fait, en considérant
l’individu et son individualité on ne peut faire l’économie de considérer celui-ci comme un
être doué de réflexion, sentiments, ressentis, émotions, volonté, capacités d’actions…
Les principes du paradigme de la complexité30 énoncent que « la réalité humaine est
une réalité de sens construite pas les acteurs, qu’il existe plusieurs réalités construites par les
différents acteurs et coexistantes en même temps et aussi « vraies » les unes que les autres, et
que la réalité de sens émerge d’un ensemble de causalités (Edgar Morin) ».
L’identité d’un acteur social ne peut donc pas être unique pour tous les acteurs et
j’apporterais dans ce travail la définition de l’identité telle que l’a défini A. Mucchielli dans
son ouvrage31, et qui la replace dans le champ des sciences humaines :
L’identité est un ensemble de significations (variables selon les acteurs d’une
situation) apposées par des acteurs sur une réalité physique et subjective, plus
ou moins floue, de leurs mondes vécus, ensemble construit par un autre acteur.
C’est donc un sens perçu donné par chaque acteur au sujet de lui-même ou
d’autres acteurs. L’identité est donc toujours plurielle du fait même qu’elle
implique toujours différents acteurs du contexte social qui ont toujours leur
lecture de leur identité et de l’identité des autres selon les situations, leurs
enjeux et leurs projets. Cette identité est toujours en transformation, puisque
les contextes de référence de cette identité : contexte biologique,
psychologique, temporel, matériel, économique, relationnel, normatif, culturel,
politique… qui fournissent les significations, sont chacun en évolution du fait
même des interactions. Elle est, à un moment donné la résultante d’un
ensemble d’autoprocessus (génétiques, biologiques, affectifs, cognitifs…) et de
processus (relationnels et communicationnels, historiques, culturels…) formant
entre eux un système de causalités circulaires.
30 Ibid, p9.
31 Ibid, p10.
43
Il faut donc retenir que l’identité est à la fois un construit individuel mais aussi un
construit social car dépendant en partie des relations sociales. De plus, cette identité est
évolutive car elle entretient toujours un rapport à l’autre, elle évolue donc tout au long de
l’existence. Mucchielli32 énonce que l’identité d’un individu est aussi fonction de « référents
identitaires » qui sont des contextes particuliers permettant de donner un sens à l’identité de
l’individu.
Ainsi, les référents écologiques, matériels et physiques, historiques, culturels et
référents psychosociaux donnent une définition potentielle de l’individu, mais la liste de
référents identitaires est aussi vaste qu’il y a d’angle de vue possible. C’est pourquoi donner
une définition claire et ferme de l’identité est impossible, il n’y a pas de définition mais des
définitions.
b) Construction de l’identité
Elle ne peut se construire seule et se fait par trois mécanismes :
Identification : On s’identifie, on adopte le rôle de l’autre
Introjection : On intègre ce que l’on dit de nous
Différenciation : On développe des traits propres
Dominique bourgeon33 explique que l’identité c’est à la fois être semblable et
diffèrent. Notre identité personnelle reviendrait à la part que nous partageons avec d’autres, la
part identique et traduirait aussi un sentiment d’appartenance à un groupe, à une institution,
une profession. L’identité reviendrait également à l’idée de reconnaissance, ce qui renvoie à
l’idée d’un « tout », un ensemble dont les composantes sont suffisamment homogènes pour
constituer une totalité distinguable.
Si l’identité est un processus de construction, comme le résultat de son individuation
(L’individuation est le processus de distinction d’un individu des autres de la même espèce ou
du groupe, de la société dont il fait partie), il existe un paradoxe, comment exister en étant
identiques aux autres ? L’identité est donc un mélange d’identique et de différence, il faut être
semblable pour être accepté, et suffisamment diffèrent pour être distingué.
32 Alex Mucchielli, L’identité, Collection Que sais-je, Puf, 9émé édition 2013, 127 p, p41.
33 D. Bourgeon, Le modèle infirmier : engagement et identité, Editions Lamarre, 2014, 257 p, p 81.
44
En explorant le concept d’identité, l’auteure note que l’individu se présente par
filiation. L’identité renvoie à un lien, un sentiment d’appartenance horizontale (avec nos
semblables) et verticale (avec les ascendants, ancêtres…). L’identité traduit donc une idée de
continuité, elle exige un fil conducteur. L’être ne peut se construire dans le présent, il exige
un passé et un avenir. Ce fondement identitaire n’est concevable que si l’individu réussit à
maîtriser l’avenir, à intégrer le présent dans le passé. Le rapport avec son passé permet au
sujet de penser sa propre continuité, cette dimension essentielle de l’identité34.
L’identité renvoie donc au collectif et à l’individu, elle est un subtil mélange de
semblable et de différence, elle est une histoire, un mythe intérieur, elle exige une continuité.
Pour les sociologues, les identités naissent pour beaucoup des interactions sociales35, ainsi
l’identité n’est pas figée dans le temps, elle est le résultat d’un processus qui continue tout au
long de la vie d’un individu. L’identité se modifie en fonction des diverses expériences
rencontrées par l’individu. Claude Dubar36 distingue deux composantes indissociables,
l’identité pour soi qui est l’image que l’on se fait de soi-même et l’identité pour autrui qui est
une image qui se construit par rapport aux autres et que l’on souhaite renvoyer aux autres.
c) L’identité sociale
Travailler sur la construction identitaire d’un groupe de personne, fait logiquement
référence aux interactions sociales, et donc à l’identité sociale. Chercher l’appartenance à un
groupe, c’est chercher en permanence des éléments qui la confortent, c’est ce que A.Muchielli
appelle « une identité attribuée37 », et à la fois des éléments qui renvoient à notre propre
singularité. L’identité attribuée se fonde sur des caractéristiques propres à un groupe de
référence, et qui permettent à l’individu de se situer dans celui-ci, étant établi qu’il accepte
d’intégrer ces critères, ces caractéristiques et ses normes. On peut donc aussi affirmer, que la
société actuelle, organisée et décrites en « couches sociales », comporte une multitude de
groupes sociaux et autant d’identités sociales.
34 M. Pollack, L’expérience concentrationnaire, paris, 2000, in D. Bourgeon, Le modèle infirmier : engagement et identité,
Editions Lamarre, 2014, 257 p, p 82.
35 M. Castra, identité, sociologie, les 100 mots de la sociologie, sociologie.revues.org
36 C. Dubar, La crise des identités, Paris, PUF, collection le lien social, 2000.
37 Alex Mucchielli, L’identité, collection Que sais-je, Puf, 9ème édition 2013, 127 p, p85.
45
Quand est-il quand cette identité sociale ne convient pas ou ne convient plus ?
L’identité n’est pas figée, elle évolue sans cesse, se construit et se déconstruit. Ce processus
appelle logiquement l’intégration des attributs identitaires du nouveau groupe pour construire,
de fait, une nouvelle identité sociale.
A. Mucchielli expose dans son ouvrage38, « qu’une identité saine et une identité qui a
sa dynamique interne. Elle cherche à s’affirmer et à se réaliser […] C’est aussi une identité
qui sait préserver son intégrité et sa valeur ». Ainsi, deux situations peuvent se produire ici.
Un individu appartenant à un groupe social a construit une identité sociale propre.
Mais rien n’est figé, l’identité évolue naturellement, c’est ce que A. Mucchielli nomme « la
maturité de l’identité39 ». Cette maturité permet à l’individu d’assumer et d’intégrer les
modifications et elle contient « une capacité de progression qui nécessite une certaine
souplesse intégrative des systèmes cognitifs et culturel 40 ». Autrement dit, A.Muchielli définit
cette maturité de l’identité par « l’aptitude à intégrer des expériences nouvelles et à créer
sans arrêt à partir de cela une identité nouvelle, toujours en devenir 41 ».
Secondairement, on peut dire que l’attaque ou la critique d’un groupe social donné
déclenche invariablement des réactions défensives, de revendications par exemple, prenons
l’exemple des grèves. Ces épisodes sont au final, l’expression d’une souffrance liée à une
atteinte identitaire. On peut considérer par exemple les acquis sociaux, les grilles salariales…
comme autant de caractéristiques propres à un groupe. Vouloir y toucher engendre un
mécontentement car il y a risque de rupture et fragilité du groupe.
Plus l’identité sociale est forte, plus le besoin de singularité est élevé. Par exemple à
l’hôpital, le groupe infirmier revendique son existence. Je cite, par exemple, les réformes
relativement récentes de la formation infirmière qui ont débouché sur l’intégration au schéma
L.M.D des études universitaires et l’attribution du grade Licence. Ceci n’est au final qu’un
besoin de reconnaissance et d’affirmation d’un groupe face à d’autres. Vouloir témoigner de
compétences, d’un certain niveau technique, d’expertise etc. fait partie aussi des critères
propres à un groupe social.
38 Ibid, p94.
39 Alex Mucchielli, L’identité, collection Que sais-je, Puf, 9ème édition 2013, 127 p, p94.
40 Ibid, p95.
41 Ibid, p95.
46
Ce qui m’amène à évoquer la notion d’identité professionnelle. Car la profession
représente un groupe social particulier.
d) L’identité professionnelle
Le groupe professionnel est donc un autre groupe social qui se définit comme
n’importe quel autre groupe social. Cette identité résulte des interactions entre les membres
du groupe et grâce à des valeurs et des normes communes. L’évoquer ici me semble pertinent
car l’infirmier (e) souhaitant évoluer vers la fonction de cadre de santé, fait donc initialement
partie du groupe social professionnel infirmier et se dirige donc vers un autre groupe
professionnel, celui des cadres de santé. Nous sommes donc dans un processus de rupture, de
remise en question, et la question de la construction identitaire se pose ici. Il est donc utile de
connaître cette identité infirmière, pour comprendre ce que nos interviewés pourraient
évoquer.
Le travail constitue un élément important et structurant de la socialisation d’un
individu. Pour Claude Dubar42, l’identité privée de l’individu se distingue de l’identité
professionnelle, les deux participent à l’identité de l’individu. Mais surtout le travail, pourvu
qu’il soit stable et satisfaisant pour la personne permet d’être reconnu. Cette reconnaissance
est au cœur de l’identité professionnelle et permet de distinguer d’autres formes d’identités,
celle pour soi et celle pour autrui.
e) L’identité infirmière
Selon Abdelmalek et Gérard43 l’identité infirmière se construit selon 2 processus :
L’identification au modèle médical et l’identisation (Processus de différenciation par lequel
l’individu prend distance par rapport à l’autre et se saisit comme distinct de lui) aux
références paramédicales, l’infirmière se distingue du médical par le pôle relationnel.
L’identité infirmière repose donc sur le rôle propre, qui compense difficilement les tâches
déléguées (sur prescription) qui constituent une identité prêtée par le monde médical.
L’appartenance soignante se fait par quatre éléments44 : la filiation, les valeurs, la formation et
le statut.
42 Claude Dubar, La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Armand Colin, 2000, p 193.
43 AA. Abdelmalek et JL. Gérard. Sciences humaines et soins, Manuel a l’usage des professions de santé, Masson, Paris 1995.
44 A.Vilbrod, Les fondements de l’identité professionnelle, in Informations sociales, 2001, N°94.
47
Toute personne s’interroge sur ses origines, beaucoup d’étudiants cherchent à
s’approprier l’histoire de sa profession, qui constitue un peu l’identité professionnelle, voire
un mythe. Une profession se distingue par son rôle propre, son savoir, mais aussi par son
histoire
L’identité infirmière est donc aussi un construit biographique, marqué par des codes, il
existe donc une identification personnelle mais également collective. Nous jouons ainsi sur la
dualité entre soi et les autres. Ce qui est tout autant un processus de construction identitaire
puisque l’identification, la différenciation et l’opposition aux autres permettent à tout à
chacun de se situer dans un groupe.
Selon C. Dubar, la déstabilisation du cadre de socialisation aboutit à une crise
identitaire. En effet, par exemple lors d’une formation initiale, ou d’un changement d’emploi
ou de fonction, l’individu se confronte à une déconstruction de son identité. En se confrontant
à d’autres histoires, d’autres cultures, contextes, valeurs, codes… On reconstruit autre chose,
sans nier le passé, mais en intégrant de nouvelles données. Comme toute identité, l’identité
professionnelle est donc en mouvance continuelle, faite de déconstruction, rupture et
reconstruction.
Cette notion peut s’appliquer aux étudiants infirmiers qui découvrent et intègrent petit
à petit l’identité infirmière avec ses valeurs soignantes. Celles-ci grandissent, évoluent et
permettent, en plus des connaissances théoriques et pratiques, aux jeunes de se
professionnaliser et de devenir des professionnels sachant s’intégrer à une équipe, un monde
du soin. Pour notre travail, le parallèle devient évident, un paramédical formé dans et pour
une forme d’identité professionnelle, sera soumis à cette crise identitaire mentionnée
précédemment. Vouloir devenir cadre de santé, suppose alors une crise identitaire, une rupture
avec son identité.
Il faut de plus reconnaître que le travail de cadre de santé, éloigne la personne qui est
soignante à l’origine, du patient. Il est concret et honnête de le dire, je l’ai vécu aussi durant
cette formation à l’I.F.C.S, durant le stage d’encadrement. Le cadre est un pivot dans « la
bonne marche » des soins, mais il ne les délivre plus concrètement. Ce changement est à
prendre en compte avant de s’orienter vers l’encadrement. Le cadre de santé reste et restera
pour toujours infirmier (e) (ou une autre profession paramédicale), mais il ne soignera plus
directement les personnes. Ceci peut être considéré comme une forme de deuil, constituant
une crise identitaire majeure pour transiter de l’identité infirmière vers l’identité cadre de
santé.
48
Entre les deux métiers, on trouve des missions différentes bien sûr, mais on trouve
également un écart entre le rôle et le statut de l’infirmier (e) et ceux du cadre de santé.
Apporter un éclairage sur le statut et le rôle est indispensable car c’est cela qui va
changer entre une fonction et l’autre. Comme dit plus haut, c’est cela aussi qui conditionne la
construction identitaire.
f) Rôle et Statut45
Le statut coïncide avec la position occupée par un individu dans la société. Il
correspond à « l’ensemble des comportements à quoi il peut s’attendre légitimement de la
part des autres46 ». On retrouve ici l’idée que l’individu se construit aussi par rapport aux
autres et par ses interactions avec eux. Et cette relation s’entend à la fois horizontalement,
mais aussi verticalement par la place qu’il occupe dans une hiérarchie.
Les individus se définissent alors par plusieurs statuts tels que l’âge, le sexe, la
sexualité… que je qualifierai de critères innés. Mais, il existe aussi de critères acquis par un
emploi par exemple, ou touts autres critères auxquels la personne peut accéder au cours de sa
vie (études, formations, concours…). Je résumerais la définition du statut en le qualifiant de
position sociale et/ou hiérarchique dans la société ou dans une organisation. Ce qui suppose la
reconnaissance de celui-ci, à la fois par les autres ou par un processus de certification ou une
loi.
Pour l’anthropologue Américain R. Linton47, un individu remplit un rôle « quand il
met en œuvre les droits et les devoirs qui constituent le statut ». On peut donc trouver ici, le
lien entre les deux notions de rôle et de statut.
Le rôle48 lui, est « une fonction remplie par quelqu’un, une attribution assignée par
une institution », en sociologie, « le rôle se définit par l’ensemble de normes et d’attentes qui
régissent le comportement d’un individu, du fait de son statut social ou de sa fonction dans un
groupe».
45 Anne-Marie Rocheblave-Spenle, Rôles et statuts sociaux, Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 19 mars 2016.
URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/roles-et-statuts-sociaux/
46 Jean Stoetzel, La psychologie sociale, Flammarion, 1978, 316 p, p 206.
47 Cité par Jacques Coenen-Huter, Heurs et malheurs du concept de rôle social, Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XLIII-
132 | 2005, mis en ligne le 30 octobre 2009, consulté le 19 mars 2016.
URL : http://ress.revues.org/328 ; DOI : 10.4000/ress.328
48 Définition inscrite dans le Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/r%C3%B4le/69736.
49
L’orientation plus interactionniste, impulsée par le sociologue et psychosociologue
Américain G.H Mead49, précise que, « Les rôles de groupe différencient les membres suivant
les tâches à remplir et les motivations personnelles, quoique de façon relativement prévisible
et régulière ». Ils se distribuent « suivant l’interaction dynamique des membres ».
On en revient donc à cette notion essentielle largement développée d’interaction dans les
groupes sociétaux.
Pour notre travail, on peut faire le lien avec les F.F, qui je le suppose ici, sont dans une
phase de construction identitaire. Celle-ci pourrait être liée à leurs fonctions même au sein des
institutions. Auprès des équipes, ou auprès de leur hiérarchie, les missions que leur confère ce
statut de F.F, dessinent un rôle qui est le leur. Ce rôle se construit non seulement du fait de ce
statut « intermédiaire », car il n’est pas législativement reconnu, seules les institutions le
reconnaissent, mais il se construit aussi par rapport aux autres. L’équipe, les collègues cadrés,
la hiérarchie, attendent du F.F d’accomplir au mieux les missions qui lui incombent. En
quelque sorte, c’est la validation des missions accomplies, qui vont confirmer le rôle de F.F et
indirectement une forme de statut cadre, peut-être une forme embryonnaire du statut de cadre
de santé.
49 Cité par Jacques Coenen-Huter, Heurs et malheurs du concept de rôle social, Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XLIII-
132 | 2005, mis en ligne le 30 octobre 2009, consulté le 19 mars 2016.
50
II. La socialisation
Le processus de construction identitaire est intimement lié à la socialisation. Après
avoir exploré cette notion d’identité, mon travail propose de suivre ce lien logique en donnant
quelques éléments d’explication sur ce qu’est la socialisation, et sur ce lien qui unie les deux.
a) Socialisation et identité
L’identité personnelle est le produit de la socialisation. Elle désigne « les mécanismes
de transmission de la culture, la manière dont les individus reçoivent cette transmission et
intériorisent les valeurs, les normes qui régissent le fonctionnement de la vie sociale50 ».
On distingue une socialisation primaire et une socialisation secondaire51. La
socialisation primaire correspond à la période de l’enfance, où la famille est la référence
principale pour la structuration de l’identité sociale. Ensuite, l’école va représenter une autre
importante instance de socialisation car « cette socialisation méthodique de la jeune
génération par la génération adulte permet d’inculquer les normes et les valeurs qui
constituent le fond commun de la société52 ». Le groupe des pairs, par l’intégration à des
bandes, les jeux de récréation… permet également à l’enfant de se socialiser de manière plus
informelle.
Quant à la socialisation secondaire, elle se base sur les acquis de la socialisation
primaire, les prolongent voire les transforment. En effet en intégrant des groupes sociaux
spécifiques tels que travail, association, parti politique, club sportif… l’adulte continue de se
socialiser et lui permet de définir ses rôles sociaux et ses statuts. Nous avons donc à nouveau
l’idée d’une continuité de la socialisation tout au long de sa vie et donc d’une identité sans
cesse en mouvement au gré des événements de vie, des rencontres, du contexte sociétal.
50 M. Castra, identité, sociologie, les 100 mots de la sociologie, www.sociologie.revues.org
51 Peter Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Edition Armand Collin, 2012, 344 p.
52 Emile Durkheim, Education et sociologie, Editions Puf, 2013, 144 p.
51
b) La socialisation anticipatrice
Je vais développer ici une notion intéressante à prendre en compte dans ce mémoire et
qui éclaire aussi mon vécu de ma période de F.F. La notion de sociologie anticipatrice a été
développée par le sociologue Américain Robert Merton en 195753. La notion vise à désigner
le processus par lequel un individu apprend et intériorise les valeurs d’un groupe auquel il
désire appartenir, c’est ce que Claude Dubar nomme le groupe de référence54.
Selon George H. Mead55, « L’individu s’expérimente lui-même, non pas directement,
mais indirectement, du point de vue particulier des autres individus membres du même
groupe ou du point de vue général du groupe social auquel il appartient pris comme un
tout ». Souhaiter devenir cadre de santé, c’est donc vouloir changer de groupe, quitter le
groupe infirmier par exemple, donc de faire une rupture d’avec son groupe d’appartenance et
appréhender les valeurs du groupe de référence. Les raisons en sont multiples, souhait de
changement, d’évolution professionnelle, changement de statut… Peu importe au final.
Si on se réfère à la sociologie anticipatrice « l’individu qui adopte les valeurs du
groupe auquel il désire appartenir, cette tendance l’aide à se hisser dans ce groupe56 ». La
période de faisant-fonction pourrait donc être ce moment particulier qui permet de vivre et
d’adopter les valeurs du groupe cadre, et de fait, faciliter l’intégration à ce groupe.
La sociologie anticipatrice n’est fonctionnelle que dans une organisation permettant la
mobilité. Si tel n’était pas le cas, la socialisation serait dysfonctionnelle car l’individu ne
pourrait pas se faire intégrer par le groupe souhaité. Mais, ce n’est pas le cas dans notre
situation car en toute logique, le F.F a été recruté par l’institution pour assurer des missions de
cadre de santé et s’engage logiquement dans une démarche de formation pour aboutir à la
diplômation et se voir attribuer le titre. La période de F.F est une étape de mise en pratique
concrète permettant au futur aspirant cadre, de se « tester » à cette fonction, et de se faire
« évaluer » sur ses missions par sa hiérarchie et par ses pairs. On peut ainsi dire que le groupe
visé peut intégrer progressivement le F.F parmi lui, selon son implication.
C’est ce qui a déjà été évoqué dans les entretiens exploratoires. En effet, les débuts de
prise de fonction, sont souvent le moment des erreurs, et le réajustement permet de prendre de
l’assurance pour une meilleure reconnaissance par ses pairs.
53 Robert K.Merton, Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Armand Colin/Masson, 1957, 352 p.
54 Claude Dubar, La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, 1995, p57.
55 George H. Mead, L’Esprit, le soi, et la société. 56 Robert K. Merton, Eléments de théorie et de méthode scientifique, Paris, Colin/Masson, 1997, p 223.
52
III. Aspects psychosociologiques
Souhaitant étudier le processus de construction identitaire, je ne peux faire l’économie
d’aborder certains points qui relèvent de processus psychosociologiques. D’une part parce que
cette construction est interne à chacun et met en jeu des processus cognitifs et émotionnels, et
d’autre part parce que la construction est la résultante d’interactions avec les membres du
groupe sociétal.
Une défaillance dans ce processus peut freiner la construction identitaire, et il importe
d’en donner quelques explications.
a) Notion de rite de passage
Faisant partie de mes hypothèses, il fallait accorder un espace à cette notion. Passer
d’infirmier (par exemple), à faisant-fonction, puis à cadre de santé, relève du changement de
statut, hors selon le sociologue Pierre Bourdieu, « Tout changement de statut impose un rite
de passage 57 ».
Les rites de passage servent au passage du monde de l’enfance à celui de l’âge adulte.
Ils sont décrits par Arnold Van Gennep58.
L’anthropologue décrit trois phases :
Phase de séparation : L’enfant est coupé du monde des femmes où il vit depuis
toujours
Phase de marge : L’enfant est emmené hors du village, de la communauté pour subir
des épreuves, parfois douloureuses, parfois laissant des traces
Phase d’intégration : L’enfant devenu homme revient dans le village, reconnu comme
tel et intégré, et portant les marques de son initiation (cicatrices). Souvent avec une
fête.
Ces phases s’entendent pour des sociétés dites « primitives », mais elles peuvent
largement s’appliquer à nos sociétés modernes. La vie d’un individu est parsemée d’étapes
constituant des rites initiatiques. Prenons par exemple l’atteinte de l’âge de la majorité, celui
du baccalauréat, du permis de conduire…
57 Bourdieu. P, Les rites comme actes d'institution, in Actes de la recherche en sciences sociales, N°43, juin 1982, p58-63.
58 Arnold Van Gennep, Les rites de passage, Paris, 1981, 315 p.
53
Concernant le sujet de ce mémoire, Dominique Bourgeon59 fait une projection de ces
phases chez les cadres de santé :
La phase de séparation s’apparente au concours d’entrée à l’I.F.C.S
La phase de marge correspond à la formation en elle-même, les futurs cadres sont
réunis hors de leur milieu d’origine et doivent aussi passer des épreuves.
La phase d’intégration correspond à la diplômation, souvent associée à un moment
festif, solennel.
Cette description que fait Dominique Bourgeon est tout à fait intéressante et il est aussi
exact de dire que par expérience, que la vision de son statut change une fois le concours
d’entrée réussi. Je dirais même que l’on obtient un autre statut, nous ne sommes plus
vraiment faisant-fonction de cadre de santé, mais étudiant cadre de santé. Cela change
beaucoup de choses, car on est alors engagé concrètement vers la voie d’obtention du
diplôme et de la reconnaissance d’un statut. Je peux l’apparenter effectivement à la phase
de séparation, on quitte un statut pour un autre.
La formation à l’I.F.C.S permet de vivre et d’observer des comportements assez
intéressants, qu’il me semble utile de raconter ici car ils soulignent bien les étapes que
D.Bourgeon décrit. Mon récit n’est qu’une observation de mon expérience personnelle,
mais semble être également vécu par d’autres étudiants de l’I.F.C.S.
La phase de marge est effectivement observée. En intégrant une formation, on va
quitter son lieu d’exercice habituel. En début de formation cela peut être assez mal vécu
car il s’agit de mettre de la distance entre ses activités quotidiennes, ses collègues, un
rythme de travail, un bureau… pour accepter un autre lieu d’exercice. Celui-ci est marqué
par l’intégration à une promotion, un autre lieu, d’autres matériels… On peut aussi
observer une certaine forme de régression dans les comportements. Comme ce que
beaucoup ont pu vivre durant leur scolarité, j’ai pu vivre les phénomènes de groupe, les
disputes et les plaisanteries, mais aussi le stress des épreuves, la fatigue des révisions…
59 Dominique Bourgeon, Du soin à l’encadrement : trajectoires de vie et motivation professionnelles, Editions Lamarre, 2010, p 204.
54
Mais l’ensemble compose une promotion de cadres en devenir, la confrontation aux
autres, l’entre-aide, les travaux communs, les exposés oraux… isolent temporairement du
milieu d’exercice et construisent une identité cadre. De même la période des stages
impose un statut d’étudiant ou de stagiaire particulièrement inconfortable mais qui pousse
à la remise en question, et progressivement à l’affirmation d’une posture.
Quant à la phase d’intégration, elle se profile avant la fin officielle de la formation.
Les résultats ne viennent que confirmer le changement de statut, mais quelques semaines,
voire mois, auparavant, les étudiants se mettent en recherche d’un poste de cadre,
participent à des entretiens de recrutement, prennent des contacts, planifient leur date de
retour dans leur établissement…
Je me permettrais de dire que si ces phases sont effectivement existantes, elles ne
finalisent au final qu’un processus déjà amorcé dès la décision de vouloir devenir cadre de
santé. Des réflexions et des projections dans la fonction se mettent en place bien avant, et
la période de faisant-fonction est selon notre hypothèse une étape importante pour
amorcer le cheminement vers une autre fonction.
b) Aspects psychosociologiques de l’identité du cadre de santé60
Chez le cadre de santé il peut exister un conflit car persiste la dualité groupe
cadre/groupe infirmier. Il a donc des difficultés à avoir une vision claire de son groupe
d’appartenance. Le cadre ne conteste pas le groupe cadre mais sa référence reste le groupe
infirmier. Le groupe cadre s’éloigne de la fonction soins, ce qui peut rendre coupable de ne
plus être dans les soins, et un sentiment de trahir son groupe d’origine. Des stratégies pour
diminuer ce sentiment de culpabilité se mettent en place :
Beaucoup de travail pour justifier un investissement, un dévouement
Chercher le contact avec les patients, les familles
Trouver des stratégies pour baisser le sentiment d’isolement (réunion, pause, portes du
bureau ouverte, développer un réseau…)
60Conférence donnée dans le cadre des soirées de l'Association des Cadres Infirmiers de Brest et sa région.
(http://guilloispsychotherapie.fr/resources/identSocialCad.pdf)
55
Ces difficultés peuvent s’apparenter à des rites initiatiques. Si ces difficultés sont
surmontées, les rites de passage sont réussis, le conflit est résolu et donc l’individu intègre
peu à peu son identité et son changement de statut.
Une source de motivation pour devenir cadre est la quête de reconnaissance. Pour C.
Deroche61 les futurs cadres souhaitent transiter d’une reconnaissance de conformité
(reconnaissance en tant qu’infirmier) à une reconnaissance de distinction (être distingué de
l’équipe).
Le statut de cadre étant valorisé dans la société, la gestion constitue une voie
d’émancipation. E. Freidson62 écrit « curieux dilemme que celui de l’infirmière, il lui faut
apparemment abandonner les tâches qui lui sont propres pour changer de position dans la
hiérarchie ».
Ce besoin de reconnaissance a déjà été évoqué, et fait partie à mon sens du processus
de construction identitaire. La dualité groupe infirmier/groupe cadre, modifie cette perception.
Le F.F est reconnu pour ses qualités professionnelles en tant que paramédical, c’est une
reconnaissance source de satisfaction pour l’individu.
Vouloir devenir cadre, fait entrer dans un processus où beaucoup de choses sont
remises en cause et notamment ses capacités. Celles-ci vont devoir être prouvées une nouvelle
fois, pour acquérir une nouvelle reconnaissance dans un autre rôle, et ceci afin de se voir
reconnaître un certain statut. Je propose donc d’explorer ces notions pour comprendre un peu
ce qu’est l’objet de cette quête.
61 C. Deroche, Du soins a l’encadrement trajectoire de vie et motivations professionnelles, Editions Lamarre, 2010, 314 p, p 174. 62 E. Freidson, La profession médicale, Payot, Paris, 1984, p 76.
56
c) La reconnaissance et l’estime de soi
Il est d’autant plus important d’apporter un éclairage, car il existe un lien étroit entre
reconnaissance et socialisation. J’ai souvent argumenté que la socialisation est une condition
nécessaire à la construction de l’identité. De fait, « la disparition de ces relations de
reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne peuvent être
sans conséquences pour la formation de l’identité de l’individu ». C’est ce que le philosophe
et sociologue Allemand, Axel Honneth écrit dans sa théorie de la reconnaissance63.
Ainsi, chez le F.F, un mépris des tâches accomplies, peut aboutir à un mépris du statut
intermédiaire de F.F qui se situe entre celui d’infirmier et celui de cadre, il peut fausser les
relations de reconnaissance et perturber ainsi la construction de l’identité.
Toujours d’après A. Honneth, la demande de reconnaissance est une demande morale,
car « ce qu’il y a de juste ou de bon dans une société se mesure à sa capacité à assurer les
conditions de la reconnaissance réciproque qui permettent à la formation de l‘identité et donc
à la réalisation de soi de l’individu, de s’accomplir de façon satisfaisante 64 ». Et quels sont
les effets de la reconnaissance sur le rapport à soi ?
A. Honnet en décline trois, la confiance en soi, le respect de soi et l’estime de soi. Ces
trois éléments constituent une forme de logique de développement du rapport à soi, donc de sa
propre considération. Concernant l’estime de soi, A. Honnet dit qu’elle est intimement liée à
l’honneur, qui est indissociable de la position de l’individu dans une hiérarchie ou dans un
ordre social. Mais il rajoute aussi que la société moderne a ébranlé cet ordre et que la
considération et le prestige social ont remplacé l’honneur. En effet, « les rapports d’estime de
sociale sont, dans les sociétés modernes, l’enjeu d’une lutte permanente65 ». Ainsi, on peut
aisément envisager qu’une estime de soi positive puisse être difficile à acquérir tant la
position statutaire du F.F est elle-même fragile ou mal vécue.
63 Axel Honneth, La théorie de la reconnaissance : une esquisse , revue du Mauss, N°24, 2003, 512 p, p 133-136. Consultable sur
www.CAIRN.info/revue-du-mauss-2004-1-page-133.html
64 Ibid.
65 André Berten. Axel Honnet, La lutte pour la reconnaissance, traduit de l’allemand par P. Rush, in revue philosophique de Louvain, 4ème
série, tome 99, N°1, 2001, p135-139.
57
Malgré une reconnaissance des qualités, l’estime de soi peut être défaillante. Ce
sentiment fait partie de mon vécu de F.F, il est aussi à la source de ce travail. Il est donc
indispensable d’investiguer ce phénomène qui est source d’inquiétude et de dévalorisation.
L’estime de soi est d’après le psychiatre Français C. André, « une donnée
fondamentale de la personnalité, placée au carrefour des trois composantes essentielles du
soi : comportementale, cognitive et émotionnelle66 ». Repartant de mon propre vécu, mon
statut de F.F me posait problème. Me comparant à mes collègues titulaires du diplôme de
cadre de santé, je me suis souvent mis à réfléchir sur le regard que portaient les autres sur
moi, mais également sur mon propre regard, en quelque sorte mon autoévaluation. Se
positionner par rapport aux personnes de son environnement est un mécanisme fondamental
de l’ajustement de l’estime de soi. Les comparaisons sociales sont très impliquées et au même
titre que la construction de l’identité, « l’estime de soi ne peut se concevoir en dehors de la
référence au regard d’un groupe social 67 ».
Être apprécié, dans mon sujet d’étude je dirais plutôt être reconnu comme égal aux
autres cadres, pèse, d’après C. André, « plus lourd qu’être performant68 », et le poids du
regard des autres est important sur l’estime de soi. Se sentir « exclu » d’un groupe est souvent
le rappel de sa moindre valeur dans la hiérarchie du groupe. Cette estime de soi déficiente va
entraîner des stratégies d’adaptation aux situations qui ne sont pas vraiment en adéquation
avec les attentes du groupe ; repli sur soi, autocritique, dévalorisation, stratégie d’évitement…
Cependant, l’estime de soi à un rôle fondamental pour favoriser le bien-être émotionnel de
l’individu. On peut donc affirmer qu’une faible estime de soi, peut freiner les performances au
travail, voir entraîner une souffrance, source de divers maux.
Le lien est établi entre reconnaissance et estime de soi. On peut alors dire qu’une
mésestime de soi, ne favorise pas la reconnaissance du groupe et donc l’intégration dans
celui-ci. Parlant de la construction identitaire chez le F.F cadre de santé, on peut affirmer que
cette difficulté est un frein à la construction identitaire. On voit aussi, tout l’intérêt des
relations et des interactions sociales dans ce phénomène. Cependant, le problème peut ne pas
être uniquement induit par le regard des autres, mais juste par son propre regard sur soi.
66 Christophe André, L’estime de soi, revue recherche en soins infirmiers, N°82, septembre 2005, p 26-30, p 26. 67 Ibid, p 27.
68 Ibid, p 27.
58
Il semble que justement ce phénomène ne soit pas si isolé, il est d’ailleurs reconnu et
porte le nom du syndrome de l’imposteur, que je vous propose d’expliquer ci-après.
d) Le syndrome de l’imposteur
Ce syndrome est décrit pour la première fois en 1978, dans un article69 des
psychologues et chercheuses Américaines, Pauline Rose Clance et Suzanne Himes, de
l’Université de Géorgie.
Leur recherche se concentre sur les femmes hautement diplômées et à un poste à
responsabilité. Bien que leurs compétences aient permis de les faire accéder à un poste de
cadre, elles ne se sentent pas légitimes et ne se reconnaissent pas le droit d’assurer ce travail.
Elles pensent que cela est injuste, que c’est une erreur, qu’il y a d’autres personnes plus
méritantes. Le phénomène à également était observé, dans une moindre mesure, chez les
hommes70 de la même façon.
Le psychologue Kevin Chassangre, qui prépare une thèse71 sur ce syndrome, estime
que 70 % des personnes sont assurées de passer par cet épisode à des épisodes de vie où il est
nécessaire de prouver à tout le monde que l’on est légitime (naissance, promotion,
changement de travail…)
Deux hypothèses sont formulées pour expliquer ce syndrome. Les deux étant en lien
avec une dynamique familiale précoce. La première concerne une cellule familiale ou un autre
membre de la fratrie est désigné comme brillant ou particulièrement intelligent. On reconnaît
à l’autre enfant d’autres qualités telles que la sensibilité, le charme, la gentillesse… Une partie
du sujet adhère à la croyance de la famille, l’autre non. De fait, l’école sera le moyen idéal
pour contredire la famille et prouver les mêmes qualités d’intelligence et qu’elle est bien plus
que ce que la famille avait désigné au départ. La famille restant figée sur ses idées premières,
va entraîner chez le sujet un doute : les bons résultats scolaires sont-ils dus à son intelligence,
à ses capacités ou juste aux autres qualités désignées par la famille?
69 Pauline Rose Clance & Suzanne Imes, The Imposter Phenomenon in High Achieving Women: Dynamics and Therapeutic Intervention,
Georgia State University, 1978, 8 p.
70 Sarah W. Holmes, Lee Kertay, Lauren B. Adamson, C.L. Holland & Pauline Rose Clance, Measuring the Impostor Phenomenon : a
Comparison of Clance’s IP Scale and Harvey’s I-P Scale, Journal of Personality Assessment, vol. 60, n° 1, 1993, pp. 48-59
71 Kevin Chassangre, La modestie pathologique, pour une meilleure compréhension du phénomène de l'imposteur, projet de thèse, Université
de Toulouse 2.
59
La seconde hypothèse concerne une cellule familiale, où le sujet est dès le départ
qualifié d’exceptionnel, avec des qualités, une intelligence, des potentialités. Le sujet est donc
persuadé qu’il peut tout réussir. Cependant, les premières expériences d’échec, vont faire
douter le sujet et le pousser à répondre aux attentes de sa famille. Les parents ont induit une
croyance chez le sujet « la perfection en toute simplicité », et comme le sujet ne peut pas être
à la hauteur de ce standard, va se développer un sentiment d’imposture intellectuelle, malgré
de bons résultats.
Dans un autre ouvrage72, K. Chassangre décrit les trois piliers du syndrome de
l’imposteur :
Les 3 piliers du syndrome de l’imposteur
Les trois sentiments vont donc être ressentis péniblement par l’individu victime de ce
syndrome. D’autres auteurs (Kolligian et Sternberg, 1991), utilisent eux la notion de
« fraude perçue », et cette dernière résulte d’un complexe mélange entre deux notions
fondamentales, le sentiment d’inauthenticité et l’auto dépréciation.
72 Stacey Callahan et K.Chassangre Dunod, Traiter la dépréciation de soi Le syndrome de l'imposteur, 2015, 224 p, p19.
60
Le syndrome de l’imposteur est un mélange d’autodépréciation et d’un sentiment d’inauthenticité.
Ces critères sont alors associés à une attention excessive portée à ses actions et
comportements pouvant révéler une incompétence et une forte appréhension des situations.
P.R. Clance (1985) décrit des caractéristiques particulières de l’individu présentant le
syndrome de l’imposteur, le perfectionnisme, la procrastination, la dépendance au travail, le
besoin d’être reconnu, la peur de l’échec, la peur du succès, le déni de compétence,
l’incapacité à s’attribuer sa réussite, peur d’être démasquée, impression de tromper, sentiment
d’inauthenticité, auto dépréciation.
On imagine aisément devant ce tableau clinique les conséquences
psychopathologiques sur l’individu et pouvant altérer toutes les sphères de vie de l’individu,
anxiété, dépression, burn-out, démission, risques suicidaires.
61
La symptomatologie du syndrome entraîne des comportements permettant de détecter
un syndrome de l’imposteur :
Le sujet minimise son succès.
Il travaille de façon excessive, son investissement en temps et son implication sont si
démesurés qu’il risque de faire un burn-out.
Il diffère les décisions. Du moins celles qu’il juge importantes, de peur d’être
démasqué.
Il s’inquiète d’être promu. Au lieu de se réjouir d’avoir été choisi, il ressent un
malaise et se demande «Qu’ont-ils bien pu me trouver ? »
Il use de stratégie d’évitement. Au moment de rendre des comptes, il pratique la
stratégie de l’esquive en posant, par exemple, des jours de congé.
« Pour résumer, ces personnalités peuvent réussir, car elles sont belles et bien
qualifiées pour le poste qu’elles occupent, mais elles souffrent d’un cruel manque d’estime de
soi »73. Le syndrome de l’imposteur va donc se manifester par différentes catégories de
signes, les signes cognitifs, émotionnels, comportementaux voire physiques liés à l’anxiété.
La prise en charge thérapeutique est possible et va s’orienter surtout vers une
psychothérapie d’orientation comportementaliste, « le postulat de base des T.C.C considère
un comportement inadapté [par exemple une phobie] comme la résultante d’apprentissages
liés à des expériences antérieures survenues dans des situations similaires, puis maintenus
par les contingences de l’environnement. La thérapie visera donc, par un nouvel
apprentissage, à remplacer le comportement inadapté par un comportement plus adapté
correspondant à ce que souhaite le patient74 ».
73 Christophe André, François Lelord, L’Estime de soi, Odile Jacob, 1999.
74 http://www.aftcc.org/les-therapies-comportementales-et-cognitives.
62
En effet, au vu des signes cliniques, il va s’agir de mettre à jour, analyser et modifier
les relations pathologiques entre les pensées du sujet et le comportement associé. Un
accompagnement permettra de mettre des mots et d’exprimer les pensées négatives et d’y
travailler afin de les positiver. Ce travail est de longue haleine, car il faut permettre à
l’individu à la fois d’identifier ses failles, de les exprimer mais aussi de lui faire prendre
conscience de ses capacités. Moduler les comportements et les dissocier des cognitions
permettra une amélioration des symptômes. Le processus est complexe, car il faut déjà que le
sujet puisse avoir conscience de son trouble, qu’il l’accepte et qu’il accepte d’être aidé, et
accepte de modifier un mécanisme installé souvent depuis l’enfance.
e) Le concept de stigmate
Selon E. Goffman75, la société caractérise ses individus selon des attributs. Ceux-ci
constituent l’identité sociale.
Il existe une identité sociale réelle et virtuelle. C’est-à-dire que de par ses attributs, un
individu A aura une identité sociale virtuelle pour un individu B qui le rencontre. B attendra
des comportements inhérents aux attributs de A. Si le comportement est en adéquation, alors
l’identité virtuelle deviendra identité réelle. Mais si le comportement n’est pas conforme à ce
que l’on attend, alors il y a distorsion, et on parle de stigmate. Ce stigmate peut marquer la
frontière entre le reconnu et le non-reconnu. Or, tout individu est porté par un désir de
reconnaissance. Selon F. Bourricaud76 notre comportement tient surtout à notre dépendance
vis-à-vis des autres, nos proches, nos collègues.
Les normes sont donc intériorisées pour signifier notre appartenance au groupe
« l’intériorisation de la norme apparaît comme le terme d’un processus d’identification ».
Ici, l’approche du stigmate est caractérisée par l’interaction entre les individus, car « le
stigmate n’est pas un attribut en soi : il se définit dans le regard d’autrui. Il renvoie à l’écart
à la norme : toute personne qui ne correspond pas à ce qu’on attend d’une personne
considérée comme « normale » est susceptible d’être stigmatisée. Le stigmate s’analyse donc
en termes relationnels77 ».
75 E. Goffman, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, 1975, 176 p, p 12.
76 F. Bourricaud, Conformité et déviance, Encyclopédie Universalis, p 894, in D. Bourgeon, Le modèle infirmier : engagement et
identité, Editions Lamarre, 2014, 257 p, p 124. 77 Corinne Rostaing, Stigmate, Sociologie [En ligne], Les 100 mots de la sociologie, mis en ligne le 01 février 2015, consulté le 20 mars
2016. URL : http://sociologie.revues.org/2572
63
Le stigmate s’exprime donc chez un individu par rapport à un autre. Dans mon travail,
je souhaite emprunter ce concept, et l’adapter à mon vécu. On a déjà évoqué le fait que
certains F.F puissent se sentir différents de leurs collègues cadrés, ce sentiment évolue avec
l’expérience. De mon vécu, ce sentiment que j’appelle stigmate est un sentiment à la fois
personnel et peut-être lié à l’institution. Si pour certains ce sentiment vient des attitudes, des
comportements ou des dires de leurs collègues, à titre personnel aucun élément de ce genre ne
permet de l’expliquer. Il se peut alors que ce soit lié à l’institution qui ne permet pas
d’effectuer les mêmes missions ou d’avoir les mêmes responsabilités qu’une personne cadre
de santé diplômée. J’ai cité au tout début de mon travail de l’impossibilité de suivre et
d’évaluer un mémoire infirmier, ou parmi nos interviewés en phase exploratoire, de
l’impossibilité d’être responsable d’année, ou par rapport au partage des tâches.
Ces différences, sans jugement de ma part, peuvent créer ce sentiment d’écart entre
F.F et cadrés, et donc à l’origine d’un stigmate. Je découvre donc des variantes à cette notion
de stigmate, il peut être induit par le rapport à autrui, mais également par rapport à
l’institution qui emploie le F.F ou encore par interprétation personnelle. Celle-ci fait écho à
l’estime de soi, expliquée précédemment, qui faisant défaut, parasite le positionnement
comme cadre.
Après avoir exposé cette partie conceptuelle, utile pour avoir une base de connaissance
théorique sur les éléments étudiés dans mon travail, et pour éclairer la phase de recherche. Je
vous propose d’aborder la quatrième partie qui la concerne. Je m’attacherai alors, à expliquer
le but et la méthode de recherche, avant de vous proposer son analyse.
64
Quatrième Partie : Méthodologie de la recherche
I. Démarche de la recherche
Comme pour toute recherche, il ne s’agit pas de chercher n’importe comment, ni
n’importe où. La démarche implique obligatoirement méthodologie et rigueur. En débutant
par une phase exploratoire, nos hypothèses ont pu être confrontées aux discours réels de mon
échantillon. Elle a permis également de réajuster l’une de nos hypothèses.
Le fait que l’une de nos hypothèses n’a pas fait écho auprès de l’échantillon, a confirmé
l’idée qu’une démarche de chercheur doit être objective, et ne peut être influencée par un
préconçu, une représentation personnelle, ou une idée déjà faite. Cela influencerait d’une
façon plus ou moins directe les résultats de la démarche. Ainsi, l’honnêteté et l’objectif même
de mémoire de recherche seraient mis à mal. Je me servirai donc de tous ces éléments, pour
poursuivre ma démarche de recherche et en appliquer toute la rigueur méthodologique.
a) Rappel de la question de départ et des hypothèses
Afin de ne pas perdre le lecteur, je rappellerais brièvement la question de départ de ce
travail et les hypothèses que je formule pour y apporter une réponse. Ceci permettra, outre le
fait de resituer le sujet de la recherche, de provoquer un écho avec le cadre conceptuel
développé précédemment. Je suppose donc que ce rappel, enrichi des concepts, permettra une
lecture critique plus aiguisée de la suite de la recherche.
65
La problématique est donc de savoir si la période d’exercice de « faisant-fonction
cadre de santé » permet une construction, voire une intégration d’une identité professionnelle
de cadre de santé ? Mon travail consiste à y répondre selon les hypothèses formulées ainsi :
La période de faisant-fonction représente un rite de passage permettant de
(se) construire une identité Cadre de santé.
L’expérience de faisant-fonction permet d’intégrer un groupe cadre de
santé favorisant la socialisation de la profession.
La période de faisant-fonction, permet d’atteindre une forme de
reconnaissance de la fonction et autorise ainsi une construction identitaire.
b) Choix de l’outil d’enquête
Comme pour la phase exploratoire, la suite de notre recherche impose un outil
d’investigation adapté. Différentes méthodes peuvent être utilisées, l’observation, le
questionnaire, les entretiens. C’est ce dernier outil qui nous semble le plus adapté. Le manuel
de L. Van Campenoudt et R. Quivy78 apporte une confirmation de ce choix. En effet, durant
un entretien, « s’instaure en principe un véritable échange au cours duquel l’interlocuteur du
chercheur exprime ses perceptions d’un événement ou d’une situation, ses interprétations ou
ses expériences […]79 ». C’est bien l’enjeu de mon travail, connaître la perception et
l’interprétation de la période vécue de « faisant-fonction ».
Il existe diffèrent types d’entretien, dont l’entretien semi-directif. De celui-ci, Quivy et
Van Campenhoudt disent « qu’il n’est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un grand nombre
de questions précises. Le chercheur dispose d’une série de questions guides80 ».
R. Mucchielli, quant à lui, écrit que « l’entretien semi-directif regroupe ici un
ensemble de méthodes ayant ceci de commun qu’une question est posée par l’interviewer ou
le praticien, question large, tirée soir d’une liste préétablie de questions ouvertes, soit du
discours même du « client » pour élucider le sens pour lui d’un concept ou d’une
situation 81 ».
78 Luc Van Campenhoudt et Raymond Quivy, Manuel de recherche en sciences sociales, 4ème édition, Dunod, 1995, 256 p.
79 Ibid, p 170.
80 Ibid, p 171.
81 Roger Mucchielli, L’analyse de contenu , ESF Editeur, 2006, 223 p, p 63.
66
Disposant d’une grille d’entretien dont les thèmes sont listés mais proposés sous une
forme interrogative ouverte, la personne interrogée conserve la possibilité d’y répondre aussi
longuement qu’il le souhaite, et de ma position de chercheur, il m’est possible d’avoir un fil
conducteur afin de garder le cap sur mes objectifs de recherche.
c) Choix de la population ciblée
Cette phase est sûrement celle qui a le plus était remise en cause et réfléchie. Il
convenait d’enquêter auprès d’une population la plus significative par rapport à mon sujet de
travail. Des personnes exerçant en tant que « faisant-fonction » de cadres de santé, étaient
donc la cible la mieux adaptée à ma démarche.
Dans les premières réflexions du mémoire, j’envisageais de m’intéresser uniquement
au « faisant-fonction » cadre pédagogique, c’est-à-dire ayant des fonctions de formation en
I.F.S.I ou I.F.A.S. Ce choix, était induit par mon constat de départ, teinté, il est vrai d’une part
plus personnel de moi-même.
Une démarche de recherche, ne peut en aucun cas se faire avec au départ, une
interprétation ou un préconçu du chercheur. Cela influencerait toute la construction du travail
de recherche, mais aussi l’enquête et donc les résultats. Au final, le travail ne ressemblerait
qu’à une réponse influencée, et qui ne s’adresserait qu’au chercheur lui-même. Ce qui ne me
semble pas être digne d’une méthodologie sérieuse. Car le but d’une recherche est de tenter,
de rassembler logiquement des données, des connaissances, pour apporter un éclairage sur
une problématique particulière. Cela ne débouche pas toujours sur une ou des réponses à des
questions, sur un savoir ferme et définitif, mais en tout cas, et c’est ma prétention, la
recherche permet d’apporter un éclairage pouvant susciter l’intérêt et la réflexion.
Au début, donc, je me destinais à n’interroger que des F.F en I.F.S.I, puis d’y associer
des directrices/directeurs d’I.F.S.I, afin d’amener un point de vue comparatif sur la
représentation de l’exercice de F.F. J’ai donc réorienté mon choix de population, au fur et à
mesure, pour la raison citée précédemment, mais également pour une raison que je n’avais pas
envisagée en débutant cette recherche.
67
Comme j’ai pu déjà le dire dans les chapitres précédents, le F.F est relativement rare
en I.F.S.I En me renseignant auprès de tous les I.F.S.I de la région, je n’ai pu trouver que
deux I.F.S.I où exercent des personnes non cadrées. Ces deux personnes ayant été interrogées
lors de ma phase exploratoire, je ne pouvais donc plus les inclure à mon échantillon pour la
suite de mon investigation.
Mais, au final, au fil de mes lectures, de mes réflexions et après la phase d’entretiens
exploratoires, j’ai pu comprendre que l’objet de mon étude ne se limitait pas uniquement au
F.F en I.F.S.I. Le processus de construction identitaire concerne l’ensemble des F.F.
Ainsi, mon choix de population cible pouvait s’élargir à l’ensemble des F.F, de plus il
n’était plus nécessaire d’interroger les directrices/directeurs d’I.F.S.I, car ici le regard
comparatif n’aurait qu’un intérêt limité, d’autant que mon échantillon est constitué en
minorité de F.F cadre pédagogique.
d) Construction de l’outil de recherche
La grille d’entretien de la phase exploratoire répondant à mes attentes, j’ai décidé de la
conserver pour poursuivre ma recherche. Pour rappel, elle axe mes questions en fonction des
hypothèses formulées. Je les résume ainsi :
1. Depuis quand exercez-vous comme faisant-fonction cadre de santé ?
2. Depuis combien de temps exerciez-vous avant cette fonction ?
Pourriez-vous m’exposer brièvement votre parcours professionnel ?
Les questions ont pour objectifs d’entamer le dialogue, et de faire connaissance avec la
personne. En m’étant présenté au préalable, puis en expliquant à minima ma recherche,
j’instaure une confiance réciproque, et tends à favoriser l’échange.
68
3. Pourquoi avez-vous souhaité prendre un poste de cadre de santé ?
Que représente pour vous cette prise de fonction ?
9. Pourriez-vous rester « faisant-fonction » longtemps ? Pourquoi ?
Ici, je cherche à obtenir une interprétation qu’a le sujet sur la fonction de « faisant-
fonction ». La question 9, arrive en dernier afin de ne pas focaliser tout de suite sur ce thème.
L’échanges et la réflexion, permet de détourner un peu l’attention, pour revenir sur une
réponse plus spontanée sur le thème.
La question est volontier plus directive, mais suscite l’introspection. Le fait de vouloir rester,
ou pas, F.F longtemps, me donne des informations sur la représentation de ce statut.
5. Qu’est-ce qui a changé dans vos représentations par rapport à vos anciennes
fonctions ?
Votre identité a-t-elle changé ?
C’est la seule question sur le thème de l’identité. C’est un sujet assez complexe et
vaste. Posant une question très ouverte, j’espère une somme d’informations personnelles.
4. Vous sentez-vous Cadre de santé ?
Qu’est-ce qu’un Cadre de santé pour vous ?
6. Percevez-vous des différences par rapport à vos collègues cadres de santé ?
Si oui lesquelles ?
7. Comment vous perçoivent vos collègues cadres de santé selon vous ?
Vous sentez-vous diffèrent ? Pourquoi ?
Pour ces questions, il est recherché plusieurs informations. Tout d’abord savoir si le
F.F lui-même ressent une différence par rapport à sa fonction et par rapport à son statut. Cette
différence peut s’exprimer de par le ressenti personnel mais aussi de l’interprétation que peut
faire le sujet des réactions des personnes cadrées. Ce qui constituerait là, un stigmate au sens
de Goffman. Mais le but est aussi de savoir s’ils se sentent appartenir à un groupe de
référence, ce qui peut faire écho à la notion de la sociologie anticipatrice.
69
8. Que représente la formation I.F.C.S pour vous ?
Peut-on, selon vous, se « passer » de la formation I.F.C.S ?
Pourquoi ?
Le diplôme Cadre de santé est-il important pour vous ? Pourquoi ?
Ici, l’objectif de ces questions est d’apporter des éléments concernant le statut de cadre
de santé, au regard de la formation et du diplôme. Rappelant D. Bourgeon, on peut supposer
que l’étape de la formation et de la diplômation fait partie du rite initiatique du futur cadre de
santé. Peut-être les personnes interrogées ont-elles initié ce passage ? Peut-être le voient-elles
sous un angle diffèrent ?
Voici donc présentaient les questions et leurs objectifs. Comme pour la phase
exploratoire, après retranscription des entretiens, je mènerai une analyse de contenu.
Pour justifier de cette méthode, notons que pour R. Mucchielli82, « Analyser le contenu
(d’un document ou d’une communication), c’est, par des méthodes sûres… rechercher les
informations qui s’y trouvent, dégager le sens ou les sens de ce qui y est présenté, formuler et
classer tout ce que « contient » ce document ou cette communication » et que, « L’analyse de
contenu étudie les contenus signifiés dans des textes d’origine écrite ou orale ; elle relève
alors de la sémantique83 ».
Ainsi, procédant de la sorte, l’analyse sémantique permettra de dégager les contenus
signifiés en lien avec les hypothèses. La confrontation entre les différents entretiens, éclairée
des éléments conceptuels, permettra d’apporter des éléments de réponses à notre
questionnement. Je reviendrais sur la méthodologie par la suite.
82 R. Mucchielli. (1984), L’analyse de Contenu des Documents et des Communications, 5ème Ed. ESF, p. 17
83 Blanchet et COLL, (1985), L’entretien dans les Sciences Sociales, Bordas, Paris, p.237
70
e) Déroulement de l’enquête
La première contrainte à laquelle je me suis astreint, a été d’avoir dans ma population
d’interviewés, une diversité d’opinions et d’ avis. J’ai donc souhaité interroger des personnes
de différentes structures.
A. Guittet dit que « la manière de prendre rendez-vous est aussi indicative du rapport
que l’on souhaite entretenir avec autrui84 ». Souhaitant un déroulement d’entretien détendu et
propice à l’échange, j’ai toujours prêté attention à ce que la prise de contact soit de la
meilleure qualité possible. Après avoir eu des coordonnées de personnes exerçant comme F.F,
j’ai contacté directement celles-ci par téléphone pour convenir d’un rendez-vous pouvant nous
satisfaire réciproquement.
Deux exceptions cependant sont à souligner ici, pour l’une d’entre elle j’ai eu l’occasion de la
rencontrer et avons convenu de nous contacter par mail pour fixer d’un rendez-vous. Pour
l’autre, je devais obligatoirement demander l’accord de la direction des soins de
l’établissement pour pouvoir interroger les personnes, et après validation de ma grille
d’entretien. C’est la directrice des soins qui a fourni mes coordonnées aux F.F, la prise de
rendez-vous s’est donc faite uniquement par mail.
Afin de faciliter ces rencontres, et pour ne pas perturber le déroulement de leur travail,
j’ai toujours laissé le libre choix de l’heure de rencontre. Il était aussi implicite que je me
déplace dans leurs lieux d’exercices.
De plus, lors du rendez-vous, j’ai toujours pris soin de me présenter et de présenter
sans trop de détails l’objet de ma recherche et le temps estimé de cet entretien. Les F.F sont
tous dans la perspective de l’entrée en I.F.C.S et sont donc bien au courant de l’objet de mon
travail, je peux donc dire qu’ils ont tous rapidement accepté de répondre à mes questions.
Dans le souci de mettre en confiance la personne interrogée et de témoigner du sérieux
de ma recherche, j’ai également toujours demandé l’accord pour que l’entretien puisse être
enregistré. J’ai également précisé que l’entretien serait anonymisé, ne ferait l’objet d’aucun
jugement de ma part et que je tiendrais à disposition un exemplaire de mon travail au besoin.
84 A. Guittet. L’entretien, techniques et pratiques, sixième édition, Collection « U «, Paris, Armand Colin, 2002, p 13.
71
Dans le tableau ci-après, je présente la population des personnes interrogées :
Entretiens Sexe Age Lieu d’exercice Expérience de F.F
E1 F NR I.F.S.I 5 ans
E2 F 30 CH privé 11 mois
E3 M 33 CH public 1 an I/2
E4 M 29 E.P.S.M 1 an I/2
E5 F 44 CH privé 6 mois
E6 F NR E.H.P.A.D 3 ans ½
E7 F 41 E.H.P.A.D 5 ans (1/2 temps
puis temps plein)
72
II. Analyses et résultats de l’enquête
a) Méthodologie de l’analyse
Avant de présenter l’analyse de ces entretiens, je tiens à exposer la méthode utilisée de
l’analyse de contenu qui « se veut être une méthode capable d’effectuer l’exploitation totale et
objective des données informationnelles85 », « c’est rechercher les informations qui s’y
trouvent, dégager le sens ou les sens de ce qui est présenté, formuler et classer tout ce que
contient ce document ou cette communication86 ».
Je me suis basé sur l’ouvrage de Roger Mucchielli pour adopter une méthodologie
rigoureuse, celui-ci dit que « si elle se veut autre chose qu’une impression générale et
personnelle du sens du texte, si elle veut mesurer quelque chose, l’analyse de contenu doit
nécessairement découper le contenu en tranches pour ensuite effectuer toutes les opérations
requises87 ». Différentes méthodes existent, pour l’analyse des entretiens semi-directifs, j’ai
retenu la méthode logico-sémantique.
Cette méthode peut se définir de trois façons :
Par son objet, « elle s’en tient au contenu manifeste directement et, pour ainsi dire,
simplement ; elle ne considère que le signifié immédiatement accessible88 ». Ici
l’organisation logico-esthétique, et la recherche des seconds sens, ne sont pas
concernés.
Par ses applications les plus fréquentes, « elles s’appliquent aux analyses de textes
divers depuis l’index des divers concepts utilisés et la classification des éléments
d’information […] les recherches d’opinions sur un événement, la catégorisation-
classification des réponses à une question ouverte89 ».
Par la définition technique, cette méthode « procède par inventaire, dénombrement,
caractérisation-codification, recherche éventuelle des relations et corrélations, mais
toujours et en même temps à partir de la compréhension du sens, de la perception des
analogies de sens et des hiérarchies de sens90 ».
85 R. Mucchielli, L’analyse de Contenu des Documents et des Communications, 5ème Ed. ESF, p 24.
86 Ibid, p 24.
87 Ibid, p 40.
88 Ibid, p 53.
89 Ibid
90 Ibid
73
La première étape a été bien sûr de reconstituer le corpus par la retranscription fidèle
des entretiens menés. Ce corpus disponible, j’ai dû réfléchir à un découpage en unité de sens.
Les unités de sens ainsi dégagées, doivent être répertoriées en catégories, cette étape est
sûrement la plus cruciale, selon Berelson « une analyse de contenu vaut ce que valent ses
catégories91 ». D’où l’importance de celles-ci, et la catégorisation peut se déduire des
hypothèses de travail, dans ce cas « la recherche est orientée par une ou plusieurs questions
que s’est posées l’analyste92 », ce sont des catégories a priori. Dans ce travail, je pars donc de
mes hypothèses pour proposer les catégories suivantes :
Représentation de la période de faisant-fonction
Socialisation de la fonction cadre de santé
Reconnaissance de la fonction
Il s’agit ensuite de réaliser un découpage encore plus fin du corpus pour indexer les
réponses dans ces catégories. Pour se faire, « l’indexation ou caractérisation des réponses,
présuppose alors le résumé de leur sens, pour le ramener à un concept univoque […]
l’indexation implique également de réduire le texte-réponse à des énoncés clairs, même au
prix d’une reconstruction syntaxique ou d’une décomposition de phrase […] 93 »
Cet inventaire des énoncés et le classement en groupements logico-sémantiques,
peuvent se faire selon une méthode de « va-et-vient entre la constitution des rubriques et le
dépouillement des réponses une à une94 », et ainsi donc, « au fur et à mesure du
dépouillement, des genres d’indicateurs se dessinent que l’on nommera par leur définition
générique. Ainsi les réponses analogues suivantes peuvent se regrouper sous la rubrique
générale95 ».
91 R. Mucchielli, L’analyse de Contenu des Documents et des Communications, 5ème Ed. ESF, p 44.
92 Ibid, p 45.
93 Ibid, p 60.
94 Ibid.
95 Ibid, p 61.
74
Classer uniquement les éléments de réponses ne porte aucun intérêt en soi, si on ne
pousse pas plus avant la réflexion. Il fallait donc à partir de cette catégorisation et indexation,
mener une analyse quantitative qui permet de dénombrer, évaluer la fréquence des réponses et
ainsi de pouvoir dégager « des effets qui dévoilent et mesurent l’orientation tendancieuse,
invisible au premier abord96 ». Puis de faire une analyse qualitative qui va consister à mettre
en relation ou comparaison, les discours des personnes interrogées, et ceci afin d’éviter le
risque de subjectivité des hypothèses, car l’analyse s’appuiera sur le contenu fidèle et
authentique des entretiens.
Après l’exposé de ma méthode d’analyse de contenu, je propose maintenant, de vous
livrer celle faite des propos de nos interviewés.
b) Analyse des entretiens
Procédons catégorie par catégorie, en commençant par celle de la représentation de la
période de F.F. Par une lecture attentive de chaque entretien, j’ai retenu les éléments se
rapportant à cette représentation, et les ai regroupés en des termes génériques. Pour chaque
entretien, j’ai pu ainsi dénombrer les références faites à ces termes génériques. Faisant suite à
cette analyse quantitative, je mènerai une analyse qualitative des propos. La démarche
d’analyse sera la même pour les autres catégories.
Il m’a fallu procéder à plusieurs lectures des entretiens, repérer et lister chaque
référence. Ensuite, plusieurs regroupements de sens ont été effectués avant d’aboutir aux
classifications suivantes. Ces regroupements sont ensuite hiérarchisés par ordre décroissant
d’énonciations. Ceci, afin de faire apparaître plus clairement les sens le plus souvent
mentionnés en tête de liste, pour une lecture plus frappante.
L’objectif visé est de donner une première lecture, brute, mais évocatrice de sens
concernant nos catégories. Des tendances peuvent apparaître, des liens, des majorités… ce qui
peut donner une première vision, assez large avant une analyse qualitative venant la
compléter.
Sans tarder, je vous livre ci-après, mes analyses sur les entretiens menés.
96 R. Mucchielli, L’analyse de Contenu des Documents et des Communications, 5ème Ed. ESF, p 50.
75
La représentation de la période de faisant-fonction cadre de santé
Analyse quantitative
Représentation
de la période de
« Faisant-
fonction »
E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 Total
Apprentissage 7 5 6 4 4 26
Découverte 6 6 12
Nouvelles
missions 6 1 1 2 10
Expérience 2 3 4 9
Évolution 3 1 2 1 7
Test 1 1 4 6
Échanges 1 1 1 1 1 5
Sacrifice 1 1 2 4
Responsabilités 2 1 3
Chance 1 1 1 3
Cette analyse qualitative permet de constater que dans notre population, les
représentations sont relativement variées. Les dix indexations qui apparaissent ici ne sont pas
vraiment uniformément citées.
« L’apprentissage » est cité en grande majorité, et représente près de 72 % des
personnes interrogées, « La découverte » vient ensuite, mais citée uniquement par 28 % des
personnes, puis l’idée d’effectuer de « nouvelles missions » différentes de la fonction
d’origine, est exprimée par 57 % de la population, enfin « l’expérience » pour 43 % de notre
panel.
Même si j’ai fait le choix de les séparer ici, je peux cependant dire que ces termes
appartiennent au même champ lexical de l’apprentissage. Au final donc, en une large majorité
et pour l’ensemble du panel, la période de faisant-fonction est une période de formation, les
mentions à ce sens représentent près de 67 % de l’ensemble des mentions relevées.
76
Vient ensuite, l’idée d’une période professionnelle vécue comme « un test » d’aptitude
à la fonction de cadre pour 43 % des personnes. Je remarque dans ce tableau un élément
intéressant concernant l’idée de « sacrifice » et « d’évolution » (comprendre ici d’un point de
vue professionnel). On pourrait s’attendre logiquement à l’idée plus présente de l’évolution de
carrière, et de fait retrouver d’avantage cette notion de sacrifice pour y parvenir. Or, seules
43 % des personnes évoquent ce « sacrifice » (comprendre ici sacrifice financier), mais ces
mêmes personnes n’évoquent pas cette idée « d’évolution ». Seule une seule personne cite les
deux éléments, ce qui renforce l’idée d’évolution, d’autant que c’est la seule même personne
qui va évoquer l’idée d’une « chance ».
Et parallèlement, la seule personne qui évoque l’idée « d’évolution », n’y associe pas
l’idée de « sacrifice ».
La notion de « responsabilités » est largement minoritaire ici, ce qui semble cohérent
puisque la majorité des personnes parlent de formation, on peut supposer donc des
responsabilités qui ne sont pas minorées, loin de là, mais peut-être vécue comme partagées
avec les collègues qui peuvent former le F.F.
En bilan, cette idée d’une période de F.F comme une période d’apprentissage, de
formation et de test, est largement présente dans l’ensemble de la population interrogée.
Paradoxalement, alors que l’accès à une fonction d’encadrement peut être considéré comme
une « promotion », d’autant qu’elle présuppose ensuite la formation débouchant vers le
diplôme cadre de santé, cette notion de promotion n’est pas la plus citée, ni la plus
représentative, d’autant que l’idée de sacrifice vient négativer cette promotion.
Je vais maintenant procéder à une analyse plus qualitative du contenu des entretiens,
afin d’avoir une analyse plus objective éclairée des propos des F.F.
77
Analyse qualitative
La personne E1, est une F.F qui exerce comme formatrice dans un I.F.S.I depuis 5 ans.
Après une carrière d’A.S, puis d’infirmière elle a décidé, après longue réflexion, de mettre à
profit son expérience pour faire de la formation. Elle insiste beaucoup sur ce point, à de
nombreuses reprises elle insistera sur ce point « c’est pour faire de la formation », et c’est
vraiment cela qui compte pour elle. Bien que les formateurs doivent être titulaires du diplôme
de cadre de santé, ce point lui semble secondaire, « je suis pas venue ici pour être cadrée,
mais bien pour faire de la formation ».
Ce poste est donc pour elle l’occasion de faire un travail auquel « elle pensait déjà
depuis longtemps ». En tant que tel, le titre de F.F, ou même celui de cadre de santé lui
importe peu car d’une part, le titre de F.F n’existe pas. Il n’est mentionné aucunement sur sa
fiche de salaire, sur un badge pour le concrétiser et ne représente rien, pour elle, en termes de
compétences ou de valeur ajoutée, « ça ne représentait rien dans le sens où je faisais de la
formation et je voyais bien qu’avec ou sans diplôme, je ne faisais pas moins bien ni mieux que
d’autres collègues ». D’ailleurs, elle rajoute « je n’aimais pas qu’on dise F.F ».
Mais il faut noter aussi, que cette période est aussi un point de départ dans ces
nouvelles missions, « il faut bien commencer comme F.F quelque part ». On peut donc
interpréter ceci aussi comme l’acceptation du début d’une nouvelle étape dans la carrière.
Pour E1, nous sommes donc sur une période de F.F donnant l’occasion
uniquement d’exercer des fonctions de formation, loin d’une recherche particulière vers
un titre ou un statut.
La personne E2, et une jeune F.F, tant en âge, qu’en expérience dans cette fonction.
Infirmière de formation, elle a exercé dans ce service avant d’en prendre la responsabilité.
Cette mise en fonction relève d’une opportunité, après proposition de ses collègues,
témoignant de certaines capacités déjà présentent durant son exercice d’infirmier. On retrouve
chez E2, un investissement institutionnel ancien, témoignant d’une volonté et d’une appétence
pour des missions transversales et complémentaires, prémices fréquents vers des fonctions
d’encadrement. C’est d’ailleurs ce qui est présent dans son discours, la période de F.F
représente « une évolution de carrière », c’est « avoir plus de responsabilités et d’évoluer ».
78
Pour elle, cette période est aussi une expérience formatrice, qui lui a permis de
s’enrichir, de voir les choses différemment, d’avoir un regard extérieur, une vision plus
globale des situations, de raisonner aussi autrement, de découvrir. Cette mise en fonction est
aussi une période de responsabilités, qui demande de « l’autonomie », qui lui a permis
« d’apprendre rapidement ».
La personne E2, est donc une professionnelle qui disposait déjà des qualités pour
exercer cette fonction. Qualités reconnues par ses collègues et sa hiérarchie. Je pourrais
dire, qu’elle était destinée à exercer ce métier. D’ailleurs, elle reconnaît cette évolution,
presque logique, dans sa carrière professionnelle. Outre cette évolution, la période de
F.F représente surtout une période de découverte et de formation. Les éléments acquis
sur le terrain seront pour elle à confronter, conforter, et compléter grâce à la formation
de l’école des cadres. Je pourrais donc dire que pour E2, nous sommes dans un
apprentissage de base, par le terrain, avant une formation plus officielle.
Concernant la personne E3. J’ai pu rencontrer un jeune homme de 33 ans, infirmier de
formation avec une expérience de neuf ans, avant d’exercer comme F.F, depuis un peu plus
d’un an. Comme chez E2, nous retrouvons ici également, un investissement préalable dans
des missions transversales, avec un goût prononcé pour le côté managérial, la gestion… ce qui
a fait mûrir un projet, concrétisé depuis peu. La période de F.F représente ici une prise de
distance, « prendre un peu de hauteur par rapport à la profession », dira-t-il, et une volonté
de « faire autre chose », diffèrent des soins puisqu’il évoque « le deuil des soins », en
évoquant son nouvel exercice. Cette période est une vraie découverte, et une confirmation de
son choix d’orientation vers des missions d’encadrement. Cette transition, s’est faite
« vraiment naturellement », après une période de réflexion cependant de 3 ans. Tout comme
E2, notre interviewé évoque aussi l’occasion d’avoir « une vision globale », avec une
« meilleure compréhension des problématiques ». Cette période reste également, une période
de formation, car E3 évoque le fait qu’« il me manque quand même des choses », il est
conscient d’avoir encore des « lacunes », qu’il espère pouvoir combler avec la formation
cadre.
79
Élément important mentionné ici par E3, concernant sa représentation de la période de
F.F, vécue comme « une période de test », pour savoir « si on est fait pour ça en fait », « c’est
beau sur le papier, mais une fois dedans, ça peut être autre chose ». Ceci fait écho à la
période d’apprentissage car il avoue « on change de métier, on a vraiment tout à apprendre »
et être F.F « c’est une façon d’apprendre aussi ».
Notons qu’ici, il est mentionné que « l’accompagnement institutionnel » est insuffisant
dans cet apprentissage. Le soutien et l’aide des collègues sont présents, mais semble-t-il, pas
celui de l’institution, « le soutien n’est pas forcément institutionnel, plus de la part des
collègues mais assez peu de l’institution ».
Pour la personne E3, nous retrouvons des éléments similaires à E2, à savoir cette
appétence pour les fonctions d’encadrement, une vision de la période vécue comme une
mise en situation pratique et un apprentissage important. Élément nouveau ici, l’idée
d’une étape capitale, un test pour confirmer ou non son souhait de devenir cadre. Bien
que des lacunes soient reconnues, on peut relever un investissement et un
épanouissement dans cette fonction. Toutefois, il est regretté aussi que cette période
d’apprentissage et de test, ne soit accompagnée principalement que par les collègues
cadres de santé, l’institution faisant défaut ici.
Je poursuis maintenant avec la personne E4. C’est un jeune homme de 29 ans,
infirmier de formation depuis sept ans, il a accédé à ce poste de F.F depuis un an et demi. La
représentation de cette période de F.F est relativement claire pour lui, la réponse est rapide,
« c’est une évolution logique dans ma carrière », car il y pensait déjà « depuis l’école
d’infirmier », c’est donc venu « naturellement ». Là aussi on retrouve l’idée d’une période de
test où il s’agit « de faire ses preuves », en même temps il reconnaît que c’est une « chance »,
malgré parfois des « sacrifices » notamment financiers. C’est une période test aussi car elle
permet de « confirmer ou pas le projet » et pouvoir faire le cas échéant, « marche arrière »,
comprenons ici de pouvoir réintégrer un poste d’infirmier.
Dans cet entretien aussi, on peut retrouver l’idée de changement de fonction, mais
aussi un changement de vision de l’exercice infirmier, « avoir une distance particulière », « le
travail qui est différent », « le rapport avec le corps médical… avec la direction ».
80
La période est aussi vécue comme une période d’apprentissage. E4 parle d’une
compréhension moins rapide que ses collègues ayant fait la formation cadre, d’un manque
« d’apports théoriques », malgré le fait que cette période donne « une connaissance du
terrain » et de pouvoir « apporter des cas concrets » pour compléter la théorie qui sera
approfondie à l’I.F.C.S. Il confirme que « c’est une mise en pratique avant les apports
théoriques ».
Pour E4 donc, la période de faisant-fonction est vécue comme une « expérience »,
un test préalable, pour apprendre, mais aussi confirmer ou pas le souhait de s’engager
dans la voie de l’encadrement. Nous retrouvons donc là des éléments relativement
similaires aux propos tenus par nos précédents interviewés.
E5 maintenant, qui est une femme de 44 ans, qui est infirmière de formation, qui s’est
spécialisée en tant qu’infirmière de bloc opératoire. La particularité de cette personne est
qu’elle a eu l’occasion d’avoir deux expériences de F.F, séparée de trois ans. La première
période de six mois, dans le bloc opératoire où elle exerçait, et celle actuelle de six mois
également mais dans un autre service.
La période de F.F est pour elle « une phase d’apprentissage », car elle avoue avoir
encore « beaucoup de choses à apprendre », car elle n’est « qu’au début de son parcours ».
Ce qui renvoie ici, à l’idée d’une démarche en cours, mais déjà entamée il y a trois ans.
Démarche qui doit aboutir logiquement pour elle vers la diplômation car elle sait « que la
finalité sera d’être cadrée ».
L’idée d’une période d’apprentissage est là aussi bien présente. Ce n’est « qu’une
étape », qui consiste pour elle à apprendre, elle dit d’ailleurs « j’apprends actuellement sur le
terrain », mais cet apport pratique doit absolument être complété par une « formation plus
poussée » à l’I.F.C.S. De ces propos, on peut retenir que la période de F.F représente une
« phase d’apprentissage, c’est une étape ». Cette étape semble obligatoire pour E5, à la
question de savoir si elle la pense obligatoire, elle répond que de s’abstenir de vivre cette
période de F.F pourrait rendre plus difficile la formation I.F.C.S. En effet, en comparant avec
ce qu’elle a pu voir en école d’I.B.O.D.E, elle estime que « c’est un métier complètement
diffèrent », si une personne rentre à l’I.F.C.S sans cette expérience de F.F, elle pense que « ça
sera plus difficile », car « elle maîtrisera rien, elle va débarquer ».
81
Pour résumer les propos de la personne E5, je peux dire que la période de F.F est
vécue également comme une période d’apprentissage, et là aussi un préalable à la
formation de l’I.F.C.S, car elle va la faciliter en mettant en lien l’apprentissage sur le
terrain, issu de la période de F.F, et les apports plus théoriques de l’I.F.C.S.
C’est aussi également une période transitoire, une étape, presque obligatoire dans
un processus dont la finalité clairement exprimée et l’entrée en formation cadre et
obtenir le diplôme de cadre de santé.
La prochaine personne, est une F.F, exerçant en E.H.P.A.D. Structure où elle exerçait
comme infirmière, avant d’occuper un poste d’encadrement pour la première fois, depuis trois
ans et demi. Celui-ci, lui a été proposé directement par la direction de son établissement ayant
décelé chez elle, des capacités pour assurer cette fonction.
Cette période représente un changement d’orientation professionnelle, l’occasion de
« quitter le poste d’infirmier » et de « voir autre chose ». Cette période est aussi vécue
comme une « évolution, une promotion » dans sa carrière d’infirmière, le désir de vouloir
« passer à un stade supérieur ». Il ne faut pas ici l’interpréter comme une volonté de
progresser hiérarchiquement, cela n’est pas la priorité exprimée par E6. En effet, cette
personne évoque également un changement de vision de son métier d’origine. Avoir un poste
d’encadrement, lui a permis de se détacher du côté purement technique de la profession
d’infirmière et elle a souhaité accorder plus d’importance au « côté relationnel ». C’est
d’ailleurs ce côté qui l’a poussé à quitter l’hôpital, qui ne correspondait plus à ses attentes à ce
niveau, et a accepter un poste de F.F. Elle se sent « plus épanouie dans le relationnel que
dans la technique à proprement dit », et de rajouter que « cadre de santé c’est quand même
beaucoup plus axé sur le relationnel, donc ça me convient mieux… »
De nouveau, on retrouve cette idée d’une période de formation. E6 reconnaît que les
acquis de cette période sont des « bribes » et qu’envisager de rester sur du long terme F.F lui
est impensable car elle estime avoir besoin « d’armes et des outils pour bien progresser ».
Ainsi la formation à l’I.F.C.S est « indispensable pour faire correctement son travail ».
Malgré tout, la période est formatrice car en E.H.P.A.D, le F.F doit avoir « beaucoup
d’autonomie », pour assumer « plein de casquettes différentes », « on touche à tout » dira-t-
elle.
82
Ainsi, pour la personne E6, la période de F.F est vécue comme une évolution, une
promotion de carrière. C’est aussi une période de changement, tant dans les missions
que dans la vision qu’elle peut se faire de son métier d’origine. Une évolution de
représentation pourrait-on dire.
C’est aussi une période propice à l’apprentissage, et à porter « différentes
casquettes » tout aussi favorable à la découverte et à l’enrichissement. Cette période
d’apprentissage doit n’être qu’une étape pour E6, car elle estime n’obtenir que des
connaissances et compétences, que de manière succincte et non sûre. De fait, l’étape
suivante reste la formation à l’I.F.C.S pour en obtenir d’autres.
Je passe finalement au dernier entretien avec la personne E7. Cette personne est une
femme, qui exerce comme F.F dans un E.H.P.A.D. Après une carrière diversifiée de plus de
20 ans, elle occupe ce poste de F.F depuis 2011. La prise de poste s’est faite progressivement
puisque E7, a d’abord exercé à mi-temps, en complément d’un poste d’infirmière, puis, le
temps de travail d’encadrement a pris le pas, et cette fonction a pris 100 % du temps de
travail. E7 est actuellement F.F, pour deux E.H.P.A.D.
Concernant la période de F.F, E7 la voit comme « une continuité de mon métier
d’infirmière ». C’est un poste qui est venu « presque naturellement » et comme elle le
répétera très souvent « petit à petit ». Et cette période, comme les autres personnes
interrogées, est vécue comme une période ayant permis un changement de regard, elle lui a
apporté « un enrichissement et une vision du métier d’infirmière complètement différent »,
« une autre facette du métier d’infirmière ». Cette personne insiste beaucoup sur
l’« ouverture » que cette fonction lui permet, une volonté de voir « autre chose », qui se
confirme par son dynamisme quand elle évoque les perspectives que pourra lui offrir le
diplôme de cadre de santé. D’ailleurs il faut noter qu’elle évoque ce statut de F.F comme « un
frein à pouvoir encore évoluer ».
C’est aussi une étape, et il est important pour E7 de « passer par cette étape-là », et
cette étape comme pour beaucoup de nos interviewés, est une période d’apprentissage. Ses
propos sont clairs à ce sujet, « le métier de F.F, et ben on apprend tous les jours… », « on fait
plein de choses », « vraiment, j’ai beaucoup, beaucoup appris ! » ou encore, « j’ai beaucoup,
beaucoup évolué ».
83
Comme pour sa collègue E6, qui exerce aussi comme F.F en E.H.P.A.D, elle évoque
de multiples activités qui s’écartent beaucoup du champ de compétences initial. Le relatif
isolement de ces F.F, fait qu’il est nécessaire d’assumer et d’assurer différentes missions que
non peut-être pas effectivement les F.F qui exercent en structures plus « classiques ». La
position hiérarchique de ces F.F, en E.H.P.A.D (directement après le directeur
d’établissement), les places à la fois à une position stratégique, imposant de se former à
différentes choses et à s’intéresser à divers domaines. Autant d’éléments formateurs qui
enrichissent la vision de nos F.F.
Ainsi pour résumer brièvement les propos de la personne E7, la période de F.F
est vécue comme une continuité dans la carrière d’infirmière. Cette période est source
de changement de regard, mais aussi d’apprentissage.
Malgré les connaissances et les compétences acquises, E7 considère ce poste
comme une étape avant la formation à l’I.F.C.S. En tout cas pour elle, car tout « dépend
des perspectives professionnelles que l’on envisage ».
Passons désormais à l’étude de ma seconde catégorie qui concerne la socialisation au
groupe cadre de santé.
84
La socialisation de la fonction cadre de santé
Analyse quantitative
Ici sont répertoriées toutes les mentions faites en lien avec la socialisation au groupe
cadre de santé. C’est-à-dire chaque item pouvant montrer soit le sentiment d’appartenance
personnel au « groupe cadre de santé », soit les éléments attestant d’une adhésion au groupe,
ou à l’inverse les éléments mentionnés qui peuvent mettre un frein à la socialisation.
Socialisation de
la fonction
cadre de santé
E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 Total
Sentiment personnel
d’appartenance 5 3 5 1 2 1 17
Compétences et valeurs
intégrées 7 6 1 14
Convivialité-rituel-
bienveillance du groupe
cadre
4 2 1 2 1 10
L’institution conditionne
une différence 2 2 1 1 6
Les missions conditionnent
une différence 4 1 1 1 7
L’équipe conditionne
l’appartenance 2 1 1 1 5
Les avantages du « groupe
cadre » 2 2
Le groupe cadre ne fait pas
de différence 1 1 1 3
L’accompagnement
institutionnel 1 1
Ce qui est marquant ici, c’est de constater que le sentiment d’appartenance au groupe
est une affaire personnelle. L’ensemble de nos interrogés se sent appartenir à ce groupe. C’est
un ressenti personnel qui est livré spontanément en première réponse. En seconde place,
malgré le fait, que seules deux personnes le mentionnent, c’est le sentiment d’avoir les mêmes
compétences et les mêmes valeurs que n’importe quel autre cadre de santé qui donne ce
sentiment d’appartenance. C’est ensuite l’intégration dans le groupe par les pairs qui vient en
troisième position dans les propositions.
L’accueil, la convivialité, la bienveillance et l’aide des cadres de santé, renforcent ce
sentiment d’appartenance au groupe. D’ailleurs, et cela est cohérent, peu de réponses font
remonter l’idée que les cadres de santé diplômés font une différence entre eux et le F.F.
85
Il faut noter, en parallèle que pour 57 % des personnes, c’est également l’équipe de
soins, que le F.F encadre, qui favorise ce sentiment d’appartenance au groupe cadre de santé.
Autre élément important ici, les freins à la socialisation qui apparaissent. L’institution,
au sens large, puisqu’il faut ici comprendre la hiérarchie directe, ou la direction des
établissements, ne favorise pas cette socialisation, ce qui est renforcé chez une personne qui
évoque le manque d’accompagnement institutionnel à la fois dans sa « formation » et donc
l’accomplissement de ses missions de cadres. De plus concernant ces missions, le fait que
celles-ci ne puissent pas être similaires à celles des cadres diplômés, provoquent un certain
malaise et frein à l’intégration au groupe cadre. Ceci est surtout vrai pour la personne exerçant
comme formatrice, mais se retrouve aussi chez un F.F de service de soins.
La première analyse de type quantitative, fait donc apparaître des facteurs favorisant la
socialisation au groupe cadre de santé, mais également des freins à celle-ci. En premier
rappelons que c’est le sentiment personnel d’appartenance qui est favorisant, cela n’est pas
réellement surprenant, si on considère que les F.F ont tous été volontaires pour intégrer cette
fonction, il est donc logique que chacun puisse se sentir à sa place et puisse assumer ses
fonctions.
Vient ensuite la confrontation à ce que je nomme le « groupe cadre de santé », c’est-à-
dire toutes les personnes titulaires du diplôme de cadre de santé. Ce groupe est un facteur
favorisant car il est accueillant, bienveillant et aidant dans la prise de poste. L’intégration par
les pairs est très importante, de même que le fait qu’aussi bien le F.F, que les cadres, aient
conscience que le F.F a besoin d’aide et de conseils.
La confrontation à l’équipe, autrement dit la confrontation à ses actions concrètes de
cadre est également importante. Faire un travail de cadre, effectuer ses missions, est apprécié
par l’équipe, qui faisant écho de sa propre satisfaction, favorise l’idée d’appartenance au
groupe cadre.
Enfin, apparaît l’institution. C’est le seul élément relevant d’un frein à la socialisation,
tant dans la considération du F.F, la limitation de ses missions ou dans son accompagnement.
86
Analyse qualitative
Procédons tout pour commencer par l’étude du discours de la personne E1. Le premier
élément est de noter que cette personne ne se sent pas différente de ses collègues, « j’ai pas ce
sentiment-là », elle se sent complètement appartenir à un même groupe, car « on est une
équipe, un point c’est tout ! ». De même à l’inverse, elle ne perçoit pas un regard différent de
la part de ses collègues et « au contraire les discours étaient plutôt l’inverse, donc pour mes
collègues, pour eux, ça faisait aucune différence ». Bien qu’il ait pu y avoir ce ressenti par le
passé, « dans une ambiance générale » mais « de façon plus personnelle je l’ai pas ressenti »,
aujourd’hui elle semble à l’aise dans cette position de F.F.
Dans son discours, on peut également relever des éléments qui représentent un frein à
la socialisation dans le groupe cadre. Par exemple, et même si elle ne se perçoit pas différente
de ses collègues, parce qu’elle estime avoir des compétences équivalentes, elle regrette
l’absence d’un titre officiel, à l’instar de ces collègues F.F en hôpital, qui eux « ont un badge
F.F cadre de santé ». De plus, elle regrette l’absence de notification de ce titre sur sa fiche de
salaire, et, de fait l’absence d’une reconnaissance salariale.
L’institution, comme pour la représentation de la période, peut jouer un rôle négatif
dans la socialisation. En effet, si « l’I.F.S.I décide que la politique d’est d’avoir des gens
cadrés », comme elle le dit, on peut regretter qu’un statut de F.F au milieu d’une équipe
composée de personnes cadrées puisse faire une différence ce qui peut laisser supposer un
frein à son intégration dans le groupe. De plus, les missions peuvent être limitées du fait du
non-statut. Dans le cas de la personne E1 qui est formatrice, le mémoire infirmier est une
source d’inconfort, tout comme le sujet S3 durant la phase exploratoire qui faisait remonter la
même problématique. Celle-ci semble être en contradiction avec les valeurs de formatrice de
la personne E1.
Elle évoquera, en les considérants comme une différence, par rapport à ses collègues
cadrés, que « les missions sont un peu limitées, on voit bien aussi que dans certaines missions,
bah si t’es cadre de santé tu auras accès, si tu l’es pas, ça sera moins évident ». Et concernant
les mémoires infirmiers, elle y participe, mais se sent frustrée de ne pas pouvoir
« accompagner jusqu’au bout », ne pas « aller au bout de ses missions ».
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Dans son lieu d’exercice, elle note aussi une différence faite par les étudiants eux-
mêmes et qui ont identifié la « différence entre cadrés et non cadrés », car « ils savent qu’on
va pas leur faire passer le mémoire, que nous ça compte pas notre avis », c’est un jugement
assez dur, cependant cette année, « et c’est bien la première année », elle assiste au
phénomène inverse. Certains étudiants font appel à elle directement pour avoir des avis, une
aide pour la rédaction de leurs mémoires. Et là, elle estime être « vraiment dans
l’accompagnement » (son visage s’illumine et son discours est enjoué), « pour eux, je fais
partie de leur mémoire », elle a possibilité de « s’investir ». Le sentiment de pouvoir
accomplir ces missions totalement est visiblement une source important de valorisation et de
satisfaction.
Je note également dans son discours, qu’elle mentionne des éléments que je considère
comme des avantages du groupe cadre de santé. Ici, leurs absences vont à l’encontre de
l’appartenance au groupe. Par exemple le salaire, mais également les perspectives
professionnelles limitées du fait de l’absence de diplôme. Comme elle le dit, concernant le
diplôme cadre qu’elle souhaite obtenir, « ça peut être important, dans le sens ou si je veux
continuer à faire de la formation, mais dans un autre I.F.S.I, je pourrai bouger », ou encore
« ça m’ouvre d’autres perspectives » ou « un champ plus large dans le choix des postes ».
Ainsi, même si à titre personnel E1 se sent appartenir au groupe cadre, des
éléments l’empêchent d’en être complètement assurée. Le groupe cadre ne fait pas non
plus de différence, mais c’est l’institution au sens large, qui peut, en décidant des
missions par exemple, freiner l’intégration complète au groupe. Ici, E1 considère cela
comme une non-reconnaissance de ces compétences, l’impossibilité d’assurer ses
missions d’accompagnement totalement. Je peux donc dire que la socialisation au
groupe cadre est incomplète.
Concernant la personne E2. Elle se sent également, clairement appartenir au groupe
des cadres, elle se sent cadre de santé parce que ses collègues « ne font pas de différence » et
qui « ne la sous-estime pas », ni même le « personnel paramédical » du service qu’elle
encadre et qui ne vont pas, ne pas « la prendre au sérieux parce que je ne suis pas cadre ». Ce
sentiment d’appartenance elle l’a acquis très rapidement et au bout de quinze jours, elle avait
le « sentiment d’avoir intégré l’équipe ». Pourquoi cette intégration aussi rapide ?
88
Elle l’attribue au fait premier que l’équipe est « accueillante », mais aussi grâce à un
rituel tout à fait intéressant et très intégrateur. Le repas du midi, pareil à un moment convivial,
entre cadres et qui « renforce l’équipe », car il lui a permis « d’apprendre à se connaître ».
Elle souligne d’autant plus l’important de ce moment, en évoquant ses collègues F.F qui n’y
participent pas et qui de fait, sont « un peu plus en écart, en recul ». Les regroupements entre
pairs sont effectivement des vecteurs de socialisation et d’échanges.
Là aussi, comme pour E1, nous retrouvons des freins qui ne permettent pas une
socialisation entière et complète. La fonction de F.F, signifie ne pas avoir fait la formation à
l’I.F.C.S et ne permet donc pas de porter le titre de cadre de santé. De plus, les avantages liés
à la fonction comme la « retraite de cadre » mentionnée par E2, est un élément qui fait une
différence d’avec ses collègues. Les avantages financiers sont de nouveau mentionnés quand
E2 parle de la « prime », elle dit « je pensais même pas avoir la prime quand j’ai pris mon
poste », c’est un élément, certes agréable, mais qui a aussi pour avantage d’atténuer le défaut
de statut officiel, elle dira même concernant le salaire, « d’après mes collègues… quand ils
ont été diplômés, ils n’ont pas vu grand-chose à leur fiche de paie ».
Néanmoins, la façon de considérer sa place dans l’institution est importante. Si ici, E2
se sent appartenir comme égal au groupe cadre de santé, elle a conscience aussi de représenter
un « maillon de la chaîne », comme les autres, indispensable à la bonne marche des soins.
La personne E2 se sent tout à fait être à l’égal de ces collègues cadrés. Le
sentiment personnel d’appartenance est présent et l’image renvoyée par le groupe
semble le confirmer. On note là aussi des éléments pouvant constituer un frein à la
socialisation au groupe, mais qui ne semblent pas réellement perturbateurs pour E2. Son
intégration s’est faite rapidement, grâce à un rituel du groupe, et l’attribution d’une
prime sur son salaire.
Poursuivons par l’étude du discours de la personne E3. Son avis est clair, il se sent
parfaitement être cadre de santé, car dit-il, « en termes de travail je n’y vois aucune
différence ». Concernant ses collègues cadre, aucune différence n’a jamais été faite, ou perçue
par lui. Comme pour E2, on retrouve la notion de « bienveillance dès le départ », et d’une
équipe disponible pour aider le jeune F.F en cas de problème, « j’ai toujours pu me tourner
vers quelqu’un quand j’avais des soucis ». Le fait que le groupe de référence se montre
disponible, accueillant et aidant, semble être une source de satisfaction, mais également un
point de repère pour s’intégrer progressivement.
89
Ce groupe pour lequel E3 ne ressent pas « de rapport de hiérarchie », ce qui confirme
le sentiment d’égalité et d’appartenance au groupe cadre.
Comme pour les précédentes personnes, on peut relever des freins à la socialisation, en
ce sens que certains attributs du cadre sont absents. Le salaire par exemple, E3 dit « j’ai vu la
différence entre infirmier et F.F, y a quand même une perte », également concernant le statut
qui va gommer une différence faite par l’institution entre F.F et cadres. Notons également ici
que l’accompagnement institutionnel est vécu comme insuffisant, la socialisation n’est pas
accompagnée, ni favorisée par elle. Seul le groupe des pairs y participe favorablement.
Je retrouve donc chez E3 des éléments similaires à E1 et E2, à savoir le sentiment
d’appartenance à un groupe de référence cadre. Ce groupe joue un rôle primordial dans
l’intégration, par son accueil, sa bienveillance et son aide. En revanche certains points
sont soulevés, et peuvent être considérés aussi comme des freins à la socialisation comme
l’absence de valorisation salariale, ou l’accompagnement institutionnel insuffisant.
La personne E4, de la même façon se sent tout à fait appartenir au groupe cadre, aussi
bien au sein de son service, qu’au niveau du groupe cadre, « on discute d’égal à égal ! ».
Malgré un léger sentiment de différence par rapport à ses collègues, car dit-il « je n’ai pas
encore fait l’école », et cela s’assimile à des compétences et à un savoir moindre par rapport à
eux.
Cependant chez lui, il est question de « mentalité ». Reconnaître ses difficultés et son
manque d’expérience, lui donne une certaine sincérité et une humilité qui l’ont fait accepter
par tous.
Il évoque également sa situation particulière, où il exerce dans une structure
relativement isolée, donc le groupe cadre est plus petit, l’intégration se fait d’autant plus
facilement que ce groupe est restreint, mais également parce qu’il vit la même situation qu’un
de ses collègues également F.F. Le fait de ne pas être seul dans cette situation semble donc le
rassurer. Je note également qu’ici que la personne E3 est dans une situation où dit-il, « ils
attendaient que quelqu’un vienne et ils étaient demandeurs », en effet l’absence d’une
personne à ce poste posait des difficultés ans le service. Le fait de se sentir attendu a sûrement
favorisé son intégration au sein du groupe.
90
E4 est donc aussi un F.F qui estime se sentir l’égal des membres du groupe, et se
sent appartenir à ce même groupe de référence. Il évoque peu de freins à la socialisation,
sauf le manque de connaissances. Mais la situation est ici particulière, puisque nous
sommes dans une équipe de cadre restreinte et isolée, l’accueil a d’autant été favorisé
car E4 était attendu, ce qui a facilité son intégration. C’est également le positionnement
propre du sujet qui lui fait intégrer ce groupe plus aisément.
La personne E5 est une personne qui a bien conscience de son statut de F.F et du fait
qu’elle ne revendique pas ce titre. Comme chez les personnes précédentes, l’accueil et l’aide
du groupe est important. Cependant, E5 insiste beaucoup sur le fait que sa place est
transitoire, ce n’est qu’une étape dans le parcours. Elle se sent donc à part du groupe cadre,
d’ailleurs, elle ne dit pas que le groupe la considère comme une cadre ou une F.F, mais elle,
parle de « nouvelle arrivée qu’ils doivent épauler ». C’est donc elle-même en toute
conscience qui ne s’assimile pas au groupe de référence. Elle l’explique par le fait qu’elle a
« des choses à apprendre », mais cette différence dit-elle « ça ne me perturbe pas».
Concernant l’institution, existe une différence qui est faite de par « la façon dont les choses
sont faites, les choses sont dites, on se rend compte que bah voila, on est que F.F ». Ici on
ressent donc une sorte de dévalorisation de l’institution, qui, comme nous avons pu déjà le
voir précédemment, peut représenter un frein à la socialisation.
Pour E5 la socialisation semble donc plus délicate à percevoir. Les différences de
savoir-faire par rapport à ses collègues cadrés, mais aussi la considération de
l’institution ne lui permettent pas de se sentir appartenir à un même groupe. Élément
non perturbateur ici, car, pourrais-je dire, E5 appartient à son propre groupe, assumé
et reconnu comme tout à fait transitoire. La socialisation ici semble donc être mise de
côté et se fera à la fin de son parcours. La priorité est pour elle d’apprendre et de faire
un travail de qualité dans l’encadrement de son service. Mais je pourrais dire ici, que le
fait d’assumer ses missions de F.F, en toute cohérence avec ses valeurs, et en adoptant de
fait aussi celle du groupe et de l’institution, est une préparation à la socialisation au
groupe cadre, qui sera plus effective par la suite.
91
Pour la personne E6, la situation est également assez particulière. Elle exerce en
E.H.P.A.D et a le titre d’infirmière coordinatrice. On peut assimiler cette fonction à celle de
F.F. Mais cette fonction, avec deux appellations pose parfois le trouble chez notre sujet.
L’appellation F.F la rend mal à l’aise, car en E.H.P.A.D, être F.F c’est avoir une position
hiérarchique très proche de la direction. Ainsi le directeur de cet établissement était
« hérissait » lorsque mention de faisant-fonction était faite. Le titre habituellement utilisé est
celui d’infirmière coordinatrice. Ainsi E6 dit avoir « alterné entre infirmière coordinatrice et
F.F ». Le titre de cadre de santé est donc, d’autant plus non utilisé, et de plus cela provoque
une gêne « puisque que je n’avais pas le diplôme… je suis pas cadrée » dit-elle. E6 ne se sent
donc pas encore appartenir au groupe cadre de santé, par défaut de diplôme.
Cependant, et même si elle travaille seule, les collaborations qu’elle a pu avoir avec
des personnes cadrées, lui font penser que celles-ci ne faisaient pas de différence. Elle ne se
sent pas donc pas réellement appartenir au groupe car le statut de F.F est « inconfortable »,
car non reconnu. Il y a dans ce processus de socialisation, un aspect particulier dans cette
situation. Le fait de travailler seule, avec de « nombreuses casquettes » à porter, fait qu’il n’y
a pas réellement d’identification à un groupe, même restreint de personnes cadrées. La seule
référence reste le directeur, cela peut donc aussi constituer un frein à la socialisation. Les
titres sont confondus, les missions aussi. De plus les attributs du groupe, comme la
reconnaissance salariale, sont ici atténués, en effet « le directeur a été très bien, puisque dès le
début, il a augmenté mon salaire pour que je n’ai pas trop de perte, vu l’investissement ».
Ici, la situation professionnelle particulière de la personne, entraîne une
confusion des titres et missions, ce qui ne favorise pas la socialisation au groupe. De plus,
l’isolement et la non-confrontation au même membre du groupe cadre ne permettent
pas non plus l’identification. Malgré une projection présente, je peux dire que la
socialisation ne peut donc se faire véritablement dans cette situation.
E7 est dans une situation professionnelle quasi similaire, travaillant en E.H.P.A.D, à
un poste d’encadrement en toute autonomie. Elle me dira qu’elle « se sent cadre de santé,
mais au fond de moi je le serais vraiment quand je serais diplômée », elle fera référence à ce
besoin de diplôme plusieurs fois.
92
Tout comme E6, il y a peu d’occasions de se confronter à des cadres de santé. Mais,
en comparant son travail, à celui d’une ancienne cadre de santé, elle estime ne pas se sentir
différente. Cependant, comme E6, les missions en E.H.P.A.D sont différentes et les degrés de
hiérarchie également. Donc, la confusion et la non-identification sont favorisées.
De plus des éléments de discours me font penser que la personne E7 « nage entre deux
eaux ». Elle exerce des missions d’encadrement, mais elle souhaite aussi pouvoir réaliser des
soins infirmiers en cas de besoin, tout comme la personne E6 d’ailleurs. Depuis qu’elle est à
ce poste, E7 me dit avoir « gardé les mêmes valeurs ». Quelles sont-elles ? « Le respect,
l’humanité et l’équité », des valeurs qui pour elles, sont celles de l’infirmière mais aussi celle
du cadre… Loin de juger celles-ci bien sûr, mais cela renforce l’idée d’être entre deux
fonctions moins bien distinguées.
Pour finir, j’apprends que sur la fiche de paie de la personne E7, est mentionné le titre
d’infirmière coordinatrice. Ce statut n’existe que pour les E.H.P.A.D, et s’éloigne d’autant
plus d’une identification au F.F, et encore plus du cadre de santé, ce qui ne favorise pas la
socialisation.
Concernant les attributs du groupe, ici, à la différence de la personne E6, ils ne sont
pas présents. La personne E7 ne dispose d’une prime spécifique, « je suis payée comme une
infirmière », mais cela ne semble pas lui poser de problème.
Les situations des personnes E6 et E7 sont proches de par les modalités
d’exercice. Cependant chez la personne E7, j’ai pu relever des choses constituant un
frein à la socialisation. La confusion des titres et des missions est évidente, tout comme
une certaine dualité de pensée entre le métier d’infirmière, de coordinatrice, de F.F et de
cadre. Autant de choses qui ne facilitent pas la socialisation au groupe cadre de santé.
Terminons notre analyse par l’étude de la troisième catégorie, en lien avec la
reconnaissance de la fonction.
93
La reconnaissance de la fonction
Pour cette catégorie, les items relatifs à la reconnaissance ont été répertoriés. Il
s’agissait de relever les termes mettant en avant le sentiment de reconnaissance ou à l’inverse
parfois, ceux limitant celle-ci.
Analyse quantitative
Reconnaissance
de la fonction
E1 E2 E3 E4 E5 E6 E7 Total
Par le statut-diplôme 2 2 3 5 4 16
Reconnaissance
personnelle 2 2 5 9
Par les avantages du
diplôme 1 2 1 1 3 8
Par l’équipe 1 5 1 1 7
Limites des missions 2 1 3
Non-reconnaissance de
l’institution 1 1 2
Par les compétences 2 1 3
Par les missions 2 1 3
Par un sentiment de
réussite 1 1
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Pour cette analyse quantitative, on peut relever qu’effectivement, en majorité, les
personnes interrogées ont dans l’optique à court terme de rentrer en formation pour obtenir le
diplôme de cadre de santé et de fait, obtenir un titre officiel de cadre certifiant par là même la
reconnaissance dans la fonction (pour 71 % des personnes interrogées), ce qui est renforcé par
les réponses relatives aux avantages du diplôme, entendons par là, l’attribution d’un titre, un
supplément salarial lié à cette fonction, ou la possibilité d’envisager d’autres perspectives de
carrière (pour 71 % des personnes). À ne pas négliger pour autant, la reconnaissance
personnelle, c’est-à-dire le sentiment de se sentir à sa place, je dirais légitime à ce poste, par
ses compétences, son parcours, ses potentialités. Cette notion de reconnaissance personnelle
se trouve renforcée par les quelques réponses concernant les compétences acquises, les
missions confiées, le sentiment de réussite personnelle.
L’équipe, tout comme dans la socialisation, joue un rôle important dans la
reconnaissance à cette place de F.F, pour 57 % de notre population de F.F.
Notons, également, comme pour la socialisation, qu’il existe des freins pouvant nuire à
la reconnaissance de la fonction, moins fortement que pour la catégorie précédente, mais
l’institution, ainsi que les limites des missions du F.F, peuvent jouer un rôle.
Ainsi donc, pour refaire un petit bilan de cette analyse quantitative, la reconnaissance
de la fonction apparaît intimement liée à l’obtention du diplôme de cadre de santé, à l’issue
d’une formation à l’I.F.C.S donnant des éléments d’apports théorico-pratiques plus officiels
que ceux acquis sur « le tas », mais diplôme donnant également un titre et des « avantages »
associés. Néanmoins, le sentiment personnel de la personne sur sa légitimité à ce poste vient
en deuxième position pour assurer la reconnaissance à cette fonction, qui est renforcée par la
reconnaissance des équipes, sur les compétences et missions assurées par le F.F au poste de
cadre de santé.
Il faut aussi relever, les freins à la reconnaissance à la fonction, lié à l’institution elle-
même et aux limites dans certaines tâches que peut imposer cette même institution.
95
Analyse qualitative
Je procède pour cette dernière catégorie, comme pour les deux précédentes, à l’analyse
des discours des F.F rencontrés. Je commence donc par la personne E1.
Chez cette personne la reconnaissance de ses compétences passe avant tout. Quand
elle dit qu’elle n’est « pas venue ici pour être cadrée mais bien pour faire de la formation »,
ou, quand on évoque la prise de poste en tant que F.F et qu’elle répond « ça représentait rien
dans le sens où je faisais de la formation », on peut comprendre que son objectif principal et
de faire un travail qui lui tient à cœur. Ce travail est d’autant plus important pour elle,
lorsqu’elle évoque certaines missions qui lui sont limitées. Le sentiment de « ne pas aller au
bout », de ne pas être « vraiment dans l’accompagnement ». On sent une frustration, et une
déception. D’autant qu’elle estime « ne pas faire mieux ou moins bien qu’un autre ». La
reconnaissance présente est alors celle qu’elle s’accorde elle-même, en lien avec son
expérience et ses compétences.
L’institution joue ici aussi un rôle important quand elle évoque un sentiment de
« dévalorisation » et de « solitude », qu’elle a pu ressentir par le passé car la différence était
nette entre F.F et cadrés. Ce sont des termes forts, qui témoignent d’une réelle souffrance,
encore vive, au point que je n’ai pas souhaité « creuser » d’avantage sa réponse.
Par voie de conséquence, certains étudiants peuvent jouer de cette différence et renforcer
davantage l’impression de non-reconnaissance du rôle de formateur, car « notre avis ne
compte pas ». Or quand l’avis, justement, est sollicité par des étudiants, elle trouve ça
« valorisant », car là se trouve le sentiment d’accompagner jusqu’au bout, « c’est chouette »,
même quand elle le raconte, j’ai pu voir un visage souriant et un discours enjoué.
La reconnaissance s’exprime également par le biais d’une recherche de légitimité de la
fonction, ceci est bien sûr en lien avec ce sentiment de compétences. Mais ces compétences
liées à l’expérience ont une valeur supérieure à celle du diplôme. Ici, le diplôme représente
une importance uniquement pour obtenir un titre qui lui permettra de s’épanouir d’avantage,
sans limite, avec la possibilité d’avoir « d’autres perspectives professionnelles ».
La personne E1 est une personne investie, riche d’expériences, pour laquelle la
reconnaissance n’est pas liée à l’acquisition d’un diplôme. Son regard sur son travail, et
le regard que lui renvoie les personnes accompagnées, sont sa source de reconnaissance.
La reconnaissance salariale est aussi évoquée, bien qu’elle ne soit pas motrice dans ce
processus, elle est mentionnée.
96
Car il est vrai qu’au final, une dévalorisation salariale, au sein d’une même
équipe, ne reflète pas l’équité, ni l’égalité. Elle renforce l’impression de valeurs
moindres, et je pourrais dire aussi l’impression d’un travail de moindre qualité, ne
méritant pas le même salaire. Or, il est évident que nous ne sommes pas dans ce cas.
La personne E2, comme la précédente, tire source de reconnaissance de son travail et
de ses compétences, et de sa personnalité la rendant apte à ce poste. Concernant le diplôme de
cadre de santé, c’est « juste l’obtention d’un diplôme », il représente dit-elle une
« reconnaissance », mais je l’interprète ici, comme une confirmation du travail qu’elle
accomplit déjà en tant que F.F. À la différence de E1, ici il y a attribution d’une prime
d’encadrement, qui pour elle, lui reconnaît une forme de statut. C’est d’ailleurs le statut de
cadre qui est recherché en faisant sa formation à l’I.F.C.S. Quand elle dit qu’il est nécessaire
de faire l’école des cadres, « sinon, on est pas reconnu cadre », on peut ressentir que E2, se
sent profondément reconnue par les autres, mais aussi par elle comme cadre. Juste le titre lui
fait défaut.
Sa source de reconnaissance est davantage liée à son intégration au groupe de cadre de
santé de l’établissement, elle est « conviée », « invitée », à des moments conviviaux entre
cadres. Ce qui renforce son sentiment d’appartenance et de sa reconnaissance en tant que
membre du groupe.
E2, est une professionnelle ayant témoigné de qualités durant son exercice
infirmier, et qui ont été reconnues aussi bien par ses collègues, que par la hiérarchie.
Ceci lui a permis d’accéder logiquement à un poste de F.F. Son intégration fut rapide et
aisée, tant le sentiment d’être à l’égal des membres du groupe est fort. C’est aussi un
fort sentiment personnel de reconnaissance qui l’aide dans cette intégration.
L’institution ne semble jouait ici aucun rôle négatif sur la reconnaissance, au contraire.
Quant à la personne E3, elle exprime clairement sa reconnaissance, par celle de
l’équipe, quand elle dit « c’est l’équipe qui m’a mis à ma place de cadre », on voit
l’importance du regard des autres, surtout de celles qu’il encadre. D’ailleurs il rajoutera que
« la reconnaissance des équipes et plus importante que la reconnaissance de la hiérarchie ».
On peut facilement comprendre que c’est la qualité de son travail, où le sentiment du travail
bien fait qui se retrouve dans la reconnaissance de l’équipe.
97
On pourrait dire alors, que c’est une reconnaissance personnelle qui lui est renvoyée,
d’ailleurs cela se confirme quand il dit avoir eu « à se débrouiller ». C’est cette épreuve qui
l’a fait reconnaître à sa position de F.F.
Là encore, le titre de cadre, en tant que tel, n’est pas la recherche prioritaire. Si le
salaire est équivalent, alors E3 peut se passer du diplôme. On retrouve donc encore l’idée
d’une reconnaissance salariale défaillante, bien que le diplôme représente un aboutissement,
une confirmation des compétences.
La reconnaissance de la hiérarchie n’est pas présente, du fait d’un sentiment de
différence manifeste, et d’un peu « plus de pression » de sa part sur le F.F. Cependant, même
si elle est moins importante pour E3, « la reconnaissance de la hiérarchie est agréable quand
ça arrive ».
Concernant la personne E3, je peux résumer son sentiment d’appartenance
comme d’abord personnelle, sur son autoévaluation et dépendante du regard des autres.
Celle des équipes, des collègues et donc par là même sur son propre regard qu’il porte
sur lui et sur son travail. La reconnaissance de la hiérarchie, étant déplorée ici, je peux
supposer qu’elle est au fond souhaitée puisque, agréable et valorisante.
Pour E4, le discours est similaire à son collègue E3. C’est la reconnaissance du travail
bien fait, et des efforts, qui l’emporte sur la reconnaissance d’un titre. Même si le diplôme est
souhaité, il l’est pour avoir des savoirs supplémentaires et pour obtenir un statut et une
légitimité.
La reconnaissance personnelle est clairement exprimée, et passe au premier plan avant
la reconnaissance des autres. L’essentiel pour lui et de « s’épanouir lui-même », « le plus
important c’est de s’épanouir professionnellement ». Ce sentiment de reconnaissance
personnelle est renforcé quand je lui demande pourquoi il a été sélectionné pour ce poste. Il
me dit « car je me suis présenté comme j’étais, avec mes valeurs, mes projets ». Cette
humilité se renforce quand il exprime « que tout vient pas de moi, je peux rien faire sans
eux ». C’est donc ici à la fois une reconnaissance personnelle qui prime, mais qui doit être
renforcée malgré tout par la reconnaissance des autres car « après la reconnaissance, oui c’est
toujours un plus ».
98
La personne E4 est un jeune professionnel dans la fonction, il est aussi sur un
poste en « intérim ». Cette position un peu instable, mais temporaire, associée à sa jeune
expérience, fait que la priorité reste sa propre reconnaissance durant cette phase de test
et d’apprentissage. Cette propre reconnaissance passe par le respect de ses valeurs, et
par une humilité louable. Même s’il le nie presque, je peux quand même dire que le
regard et la reconnaissance des autres, et surtout de son équipe, sont importants, et
certainement recherchés. Ceci confirmera ses actions, et le fait qu’il a fait le bon choix.
Pour la personne E5, « la reconnaissance c’est pas une fin en soi », comment ne pas
être plus clair ? Les propos relevés dans le discours au sujet de la reconnaissance sont peu
nombreux mais sans équivoque. Pour elle, le diplôme de cadre est « valorisant », mais ce
qui compte surtout c’est d’être reconnue par les autres, preuve d’un travail bien fait. La
reconnaissance vient donc de l’équipe, mais encore une fois, pas véritablement de
l’institution.
Chez E6, la reconnaissance est celle d’une carrière longue. Ce poste représente une
« promotion après pas mal d’années de travail ». Je peux relever dans ce discours, la notion
claire d’une reconnaissance qui ne sera clairement établie que par l’obtention du diplôme de
cadre. La formation permettra d’être « nommée officiellement », et donc d’avoir la
reconnaissance, rien de plus évident dans ses propos, « pour moi le diplôme, c’est la
reconnaissance », elle le dira à plusieurs reprises. Mais ce titre, n’est pas uniquement pour
elle l’assise d’un grade, c’est aussi « la reconnaissance des pairs ».
Son institution joue un rôle positif dans cette reconnaissance puisqu’à la fois la
fonction de F.F n’existe pas dans son milieu, mais aussi parce que la direction ne supporte pas
l’usage de ce terme, et invite E6 à se positionner directement comme cadre de santé.
Cependant, E6 ne se sent par la légitimité de ce titre, n’estime pas avoir le droit de le porter,
cela représente une « gêne ». À la différence donc des personnes précédentes, l’institution est
valorisante et pousse facilement à la reconnaissance d’un titre. Mais avoir un titre, et
l’intégrer sont deux choses différentes. Le milieu en question est particulier et ne peut
s’assimiler aux structures hospitalières, disons plus classiques. Mais la personne E6 reste
consciente des réalités du fonctionnement du système de soin et ne s’accorde pas cette facilité.
99
Dans le contenu de ce discours, la recherche de reconnaissance est avérée mais à
titre personnel. Le besoin d’un titre officiel est présent et ce titre de cadre représente
également un cadre de référence pour E6. Les multiples « casquettes » portées par E6
sont parfois trop nombreuses et entraînent la confusion. Avoir un titre clair, permettra à
E6 d’asseoir une position clairement définie et officielle.
Je termine par le discours de la personne E7. Les problématiques identitaires sont
similaires à celle d’E6, puisque je le rappelle, il s’agit également d’un E.H.P.A.D Les
fonctions de F.F et d’infirmière coordinatrice se confondent. Le besoin de reconnaissance est
clairement exprimé par le besoin « d’une reconnaissance extérieure au cadre de travail »,
« être jugée par quelqu’un d’extérieur à l’encadrement professionnel».
La recherche de la reconnaissance passe aussi par l’obtention d’un diplôme. Pour deux
raisons. La première, pour E7, est qu’« on est dans une société où de toute façon, il faut de la
reconnaissance, et il faut de la reconnaissance qui passe par les diplômes ». La deuxième
raison est qu’E7 ne se sentira pas reconnue tant qu’elle n’aura pas le diplôme. Car, à l’image
du rite initiatique exploré plus haut, E7, n’a pas « l’ambition de se définir cadre », tant qu’elle
n’aura pas fait la formation. Pour elle, cette formation représente des épreuves à passer et à
réussir, je note par exemple « le courage de passer le concours, de faire l’école, de produire
un travail de mémoire ». En empruntant ce titre sans avoir fait la formation, elle aura
l’impression « de ne pas avoir de reconnaissance par rapport à tout ce travail et tout ce
qu’ils ont pu faire pour obtenir ce diplôme », et celui-ci légitimera sa fonction.
La reconnaissance passe aussi par la reconnaissance de son travail, car ce qui peut
légitimer sa position, avant la formation, c’est « la reconnaissance des agents et des
patients », c’est aussi « la reconnaissance salariale ». C’est enfin, la reconnaissance de ses
compétences, car le fait d’être « capable de répondre à une question… aider les autres à
progresser », « c’est ça ma reconnaissance ! » dit-elle.
Pour E7, la reconnaissance est donc importante. À la fois pour elle, et pour les
autres. À titre personnel car elle va témoigner d’un parcours, faits d’efforts et de
réussites. Mais aussi par rapport aux autres, en témoignant de compétences. Mais la
reconnaissance passera avant tout par la légitimation d’un statut clairement défini qui
pourra répondre à sa soif de découverte.
100
III. Confrontation aux hypothèses
L’analyse quantitative et qualitative de nos entretiens a permis de relever des éléments
intéressants. Il me faut maintenant les confronter à notre hypothèse de travail.
c) À propos de l’hypothèse 1
La première hypothèse avançait que la période de faisant-fonction représente un rite de
passage permettant de (se) construire une identité Cadre de santé. Incontestablement, la
période de faisant-fonction cadre de santé constitue une période à part pour la majorité des
F.F interrogés.
Cette étape peut représenter diverses choses, un test, une étape, une époque, mais
toujours caractérisé par un apprentissage. Chacun apprend, durant cette période son métier, de
nouvelles missions, de nouvelles responsabilités etc., bref il y a toujours un apprentissage
associé à cette période. Pour beaucoup, cet apprentissage est un préalable nécessaire avant
d’obtenir le titre convoité de cadre de santé.
De plus, bien souvent cette étape a été précédée d’une réflexion, la volonté d’exercer
comme F.F, n’est pas dû au hasard, le candidat a soit toujours eu cette envie, soit a montré en
s’investissant dans différentes missions, des capacités pour assurer des missions
d’encadrement. Être F.F est donc une étape naturelle, souhaitée par les F.F eux-mêmes, mais
également par leur hiérarchie.
Je peux donc dire ici que cette période est un « pont » entre le métier d’infirmier et
celui de cadre de santé, à ce titre il est un rite de passage, à l’image du rite décrit par A. Van
Gennep97. Chez les F.F interrogés, le destin est presque tout tracé, il leur faut passer par cette
étape pour être confirmé. Tout comme dans les sociétés primitives, l’enfant est de toute façon
destiné à devenir adulte, et doit donc s’il veut respecter les traditions, effectuer ce rite
initiatique. Ainsi, le candidat au titre de cadre de santé, doit passer et réussir, tant que
possible, cette étape.
La période de F.F telle que décrite par nos interviewés, est faite de découvertes, de
sacrifices, parfois de souffrance et de solitude, de changement de perception et de regard, elle
représente une évolution etc. on ne peut donc pas nier ici, le parallèle avec le rite initiatique
des enfants vers l’âge adulte.
97 Arnold Van Gennep, Les rites de passage, Paris, 1981, 315 p.
101
Si je refais un parallèle avec l’anthropologie que j’ai abordé lors de l’étude
conceptuelle, au travers l’ouvrage de A. Van Gennep, il faut dire que les jeunes vivent ces
rites initiatiques, qui sont déterminés par des coutumes, des croyances, guidés par un groupe
de référence, qui accompagne et qui aide ces jeunes. Ici, chacun a pu s’exprimer sur les
collègues cadres qui aident et conseillent l’apprenti cadre.
Le groupe de référence est donc un initiateur de cette fonction, en ce sens, on se
rapproche d’autant plus d’une notion de rite de passage initiatique. L’accompagnement est
essentiel ici, et parfois celui de l’institution elle-même est défaillant, voir absent, celle-là
même qui permet d’accéder à ce poste.
En résumé, je peux dire que la période de faisant-fonction représente un rite de
passage initiatique à l’image des rites initiatiques observés dans les tribus primitives décrites
par l’anthropologie. Beaucoup d’éléments viennent en faire une comparaison efficace allant
dans ce sens.
L’identité d’un être se construit, pour beaucoup par son immersion dans la société, son
rapport aux autres, mais aussi par l’adoption des codes, valeurs et coutumes. L’identité
professionnelle du cadre de santé, peut donc aussi se construire, en partie, par cette période
initiatique. Elle ne fera pas tout, car beaucoup ressentent le besoin d’aller plus loin, d’en
apprendre plus, d’être évalué, mais aussi de se confronter à soi-même, pour au final obtenir un
diplôme et un titre officiel. L’identité se construit, voire s’auto-construit, par rapport aux
autres, par l’image et l’estime de soi, à sa perception de ses valeurs etc.
Ainsi, à l’issue de cette recherche, je peux confirmer l’hypothèse 1, qui énonce
que la période de faisant-fonction représente un rite de passage permettant de (se)
construire une identité cadre de santé.
102
d) À propos de l’hypothèse 2
Si la période de faisant-fonction est un rite de passage permettant une construction
identitaire professionnelle, quand est-il du processus de socialisation ?
La sociologie définie l’identité comme le produit de la socialisation qui s’entend par la
transmission de toutes valeurs, normes, coutumes etc. d’une société. Et le milieu
professionnel représente à en lui-même une société particulière, dans laquelle l’individu, s’il
souhaite y appartenir, doit en intégrer les codes, y vivre et évoluer aussi pour garder une part
de singularité. De la même façon, le groupe cadre de santé peut être considéré comme une
société particulière.
De l’analyse de nos entretiens, le premier élément à retenir est que chacune des
personnes interrogées ambitionne de faire partie de ce groupe. Le choix de cette fonction n’est
pas complètement dû au hasard et ils ont tous et toutes le sentiment d’appartenance à un
groupe particulier. L’appellation va varier d’une personne à l’autre, mais, il y a conscience de
ce changement de groupe progressif.
Intégrer un groupe cadre, c’est-à-dire travailler étroitement avec ces membres, n’est
pas toujours faisable, ainsi l’identification peut s’en trouver défaillante. Or, l’identité est un
construit, entre-autre par l’identification. La socialisation n’est pas alors facilitée.
Dans le cas, où la confrontation au groupe est effective, les entretiens nous montrent
que celui-ci est largement accueillant, bienveillant et aidant. L’absence de jugement ou de
dévalorisation d’un statut intermédiaire, pourrait-on dire inférieur, n’est jamais relevée. Être
accepté par les membres du groupe est donc un élément fondamental permettant
l’identification et donc la socialisation. Pour les autres, il s’en trouve une confusion des
genres, et un isolement que seule la période de formation pourra éradiquer. Dominique
Bourgeon a montré l’importance de cette période, fondatrice d’une identité cadre de santé. Le
concours, qu’il soit acquis ou en préparation joue aussi un rôle dans cette construction.
L’ensemble des F.F que j’ai pu rencontrer, a soit ce projet à court terme, soit à déjà franchi
cette première étape. Et chez les F.F isolés dont je parlais précédemment, on peut affirmer
qu’il y a là une première étape dans la socialisation. Étape plus concrète que leur exercice du
quotidien, car ils viennent de se confronter plus concrètement au groupe cadre de santé.
103
J’ai mentionné plus haut, l’importance de l’accueil, en son sein, du groupe cadre de
santé. Ils aident, forment, rassurent… Mais je ne peux pas éluder la question de l’institution.
Celle-ci est souveraine, dans l’attribution des postes de F.F, dans le financement de la
formation, dans le choix des candidats tout simplement. Certains ont relevé
l’accompagnement insuffisant de cette période critique. Est-ce à elle de le faire ? Le peut-
elle ? Est-ce volontaire de laisser le F.F apprendre en toute autonomie et aller à la recherche
des personnes ressources ? Je n’ai pas de réponse à ces questions. Il existe certainement une
part de responsabilité dans cet accompagnement, car j’estime qu’accorder le droit d’évoluer,
de changer de fonction et de responsabilités, d’intégrer un autre groupe professionnel, doit se
faire dans de bonnes conditions et en s’assurant d’une certaine zone de confort. Au-delà du
bien-être du F.F, il y a une équipe et des patients qui en dépendent. Un mauvais
accompagnement peut être source d’inconfort, de difficultés et d’inefficacité. Cette période de
test doit-elle aller jusqu’à prendre ce risque ? Ou alors, effectivement, est-ce volontaire de
confier cet accompagnement par les pairs parce qu’il est plus efficace ? Là encore, je n’ai
aucune prétention de réponse, le constat est que pour l’ensemble de notre population, rien ne
permet d’y répondre.
La socialisation, je le disais, c’est aussi intégrer des normes, des valeurs et des
caractéristiques propres au groupe de référence. Je ne rentrerai pas dans la discussion des
avantages d’être cadre ou pas. Cependant, des éléments sont remontés par notre panel et il
faut en tenir compte. La limitation des missions, la différence salariale, l’absence même de
l’appellation de la fonction, sont autant de freins à la socialisation au groupe. Pour des
responsabilités identiques, des différences notables qui ne sont pas sans conséquence. Certes,
la législation ne permet pas tout, mais il est possible, comme certaines personnes que j’ai
rencontrées, de bénéficier de certaines marques de valorisation, permettant un déséquilibre
moins flagrant entre membre du même groupe. L’institution à, là aussi un rôle à jouer.
Concernant les missions du F.F, j’ai pu me rendre compte qu’une limitation entraînée
frustration, déception et le sentiment de ne pas assurer son rôle jusqu’au bout. Or, rôle et
statut sont tout aussi importants pour la socialisation. À l’inverse des missions trop larges et
sortant du cadre de la fonction, entraîne une confusion et ne permet pas une identification
claire des missions du cadre. Encore une fois, valeurs et normes du groupe sont importantes à
prendre en compte et à maîtriser pour appartenir au groupe de référence.
104
Nos sept personnes, sont dans un effort de sociologie anticipatrice. K.Merton98, pour
rappel, décrit celle-ci désir comme un désir d’appartenance à un groupe de référence en
adoptant ses valeurs, ses normes, ses codes… Chacun ici, ambitionne d’être diplômé, d’avoir
le titre, le statut de cadre de santé et les avantages associés. Ce phénomène est effectif puisque
tous sont dans des institutions qui permettent cette évolution statutaire, et l’exercice du
quotidien permet parfois d’intégrer certains comportements du groupe de référence cadre de
santé.
J’en reviens à mon hypothèse de travail, qui énonce que l’expérience de faisant-
fonction permet d’intégrer un groupe cadre de santé favorisant la socialisation de la
profession. Je ne peux pas être affirmatif dans ma conclusion.
Car être F.F peut représenter des formes d’exercices différents, dans des institutions
différentes, et dans des contextes particuliers. Ainsi, tous les éléments nécessaires à une
socialisation et une construction identitaire, peuvent ne pas être présents.
98 Robert K.Merton, Éléments de théorie et de méthode sociologique, Paris, Armand Colin/Masson, 1957, 352 p.
105
e) À propos de l’hypothèse 3
A. Honnet99 nous dit que les relations de reconnaissance ont une conséquence sur la
formation de l’identité, et que les conditions de cette reconnaissance influencent la réalisation
de soi. Qu’en est-il de mon hypothèse avançant que la période de F.F permet d’atteindre une
forme de reconnaissance de la fonction et autorise ainsi une construction identitaire ?
L’ensemble des personnes interrogées a pu montrer une forme de reconnaissance
personnelle, soit par un sentiment de légitimité au poste de F.F, soit pas le fait d’assumer au
mieux les missions qui y sont associées. La considération de soi du fait de compétences
développées par l’expérimentation de la fonction, ou pas les acquis de la carrière est évidente
dans notre population. Bien souvent, les F.F sont en attente de formation et notamment celle
de l’I.F.C.S, afin d’acquérir des connaissances supplémentaires, une ouverture d’esprit mais
surtout pour obtenir le diplôme de cadre de santé.
Ce diplôme assure pour tous, une qualification officielle à ce poste, une
reconnaissance statutaire qui met fin aux sentiments de différences et parfois de
dévalorisation vis-à-vis des personnes déjà titulaire du titre de cadre de santé. Le prestige
social, induit par ce titre est également important. Les avantages salariaux, et la poursuite de
l’évolution professionnelle seront dès lors acquis.
Ce qui est important aussi à retenir, c’est que malgré tout, le regard de l’autre reste
important dans la reconnaissance à ce poste. L’idée d’un travail bien fait et de qualité, joue
sur la satisfaction des équipes encadrées, et sur celle des patients ou résidents pris en charge.
Ce sentiment de réussite personnelle valorise le F.F, et lui donne en confiance en lui. Les F.F
se présentent tels qu’ils sont, avec leurs défauts, leurs expériences encore fragiles, leur
humilité, mais toujours dans le respect de leurs propres valeurs et de celles de leur fonction.
La triade « confiance en soi, respect de soi et estime de soi », est donc bien présente
dans les discours recueillis. Et cette triade permet la réalisation de soi. Être soi, c’est avoir son
identité, accepter qu’elle évolue, et qu’elle s’adapte en fonction des contextes dans lequel
chacun évolue. La réalisation de soi est donc indissociable de la formation de l’identité et
dépend donc des conditions de reconnaissance.
99 Axel Honneth, La théorie de la reconnaissance : une esquisse, revue du Mauss, N°24, 2003, 512 p
106
Si les conditions de reconnaissance sont réunies à titre personnel parce que la
mentalité de la personne le permet, ou parce que le travail au quotidien le permet, le groupe de
référence et l’institution plus largement, sont des facteurs importants.
Concernant le groupe « cadre de santé », toutes les personnes évoquent un groupe de
référence accueillant et attentif aux besoins du F.F. Par là même, la reconnaissance d’un
membre du groupe en devenir, qu’il faut accompagner. C’est là une source de reconnaissance
réciproque, dénuée de tout jugement de valeur et de dévalorisation.
Quant à l’institution, j’ai déjà pu mentionner, que l’accompagnement était vécu
comme insuffisant, mais c’est aussi une considération des F.F qui accentue la différence entre
les membres du groupe. Loin de moi l’idée de porter un jugement, car les contraintes sont
aussi législatives. J’ai bien conscience, tout comme les F.F interrogés, que le statut de F.F
n’existe pas réellement, et qu’il est donc impossible d’accorder les mêmes droits aux F.F
qu’aux cadres de santé. La difficulté vient peut-être de la considération du travail fourni par
les F.F. Les conditions de reconnaissance réciproque sont donc moins évidentes à mettre en
lumière ici. Mais pour atténuer ceci, il faut dire que notre population n’y accorde pas une
place prioritaire. L’essentiel reste leur propre reconnaissance, celle de leurs équipes, des
patients, et de leurs pairs.
Notre recherche permet donc d’affirmer, que la période de faisant-fonction
permet d’atteindre une forme de reconnaissance de la fonction. Une reconnaissance
pour soi et une reconnaissance pour autrui. Et cette reconnaissance, en référence à A.
Honnet, permet la formation d’une identité, et ici particulièrement une formation d’une
identité cadre de santé.
107
Conclusion Générale
Voici l’étape ultime de mon travail, sûrement la plus délicate. Conclure est la marque
d’une forme de fin, même si rien n’est jamais figé. En rédigeant cette conclusion, je me rends
compte que je vais terminer ce travail de recherche, le laisser vivre, et peut-être servira-t-il de
base de travail à un futur étudiant, peut être la recherche sera poursuivie ? Je l’espère au fond
de moi, car comme chez les F.F, je ressens une forme de satisfaction à l’avoir écrit. J’en
oublie presque la charge de travail, le stress et la fatigue qu’il a pu me coûter, mais peu
importe, car il fut passionnant, enrichissant et j’en suis fier. Au final, je me demande si ce
n’est pas sa rédaction qui a permis aussi, de me construire une identité de cadre de santé.
Ce travail a été une source d’enrichissement incroyable, tant dans les lectures, la
réflexion qu’il impose, mais surtout par les rencontres que j’ai eu la chance de faire. J’ai
rencontré les membres d’une tribu à laquelle je fais encore partie pour le moment. Mais je
ressens un changement, et ce mémoire n’y est pas étranger.
Les personnes ont toutes eu un discours honnête et sincère, et je me suis retrouvé
parfois dans leurs difficultés et leurs questionnements. Mais je me suis rendu compte que
ceux-ci étaient, somme toute, normaux, et qu’il fallait peut-être en passer par là. Je n’ai pas
toujours été convaincu de l’intérêt d’être faisant-fonction, mais avec le recul, j’avais peut-être
besoin de ce temps pour m’affirmer et comprendre tous les enjeux de mon futur métier.
Mon vécu est teinté de ce désagréable sentiment d’infériorité, preuve que chaque vécu
est différent et que chaque identité est différente. C’est un voyage autour de ce concept que
j’ai voulu proposer au lecteur, j’espère que chacun aura pu y trouver un peu d’intérêt, peut-
être des réponses ? En tout cas, à titre personnel, je vais refermer ces pages, avec le sentiment
d’y avoir trouvé les miennes.
Le temps est donc venu de tirer les conclusions de ce travail de recherche et d’en faire
une autocritique. L’objectif du travail, était d’explorer le concept d’identité et en particulier sa
construction, en la regardant par le prisme d’un exercice particulier qu’est le faisant-fonction
cadre de santé. Cette fonction est particulière par bien des aspects, et ma propre expérience en
témoigne. En rencontrant des personnes vivant cette même expérience, j’ai pu me rendre
compte que ce vécu de la fonction est différent, mais en même temps qu’il montre des aspects
communs.
108
Pour tous, être F.F représente une étape dans le parcours professionnel. Une étape faite
de difficultés qu’il faut pouvoir surmonter, mais aussi de modifications de regard sur soi, par
soi-même, mais aussi par les autres. Et cet œil, à la fois bienveillant, mais aussi critique, n’est
pas toujours facile à assumer et remet en cause beaucoup de choses. Le F.F est à une étape de
changement, il doit faire le bilan de sa carrière, et en même temps se projeter dans l’avenir en
s’engageant dans une voie différente, faite de responsabilités et d’engagement.
J’ai tenté de montrer que la période de F.F pouvait être assimilée à un rite de passage
initiatique vers une fonction d’encadrement. Ce rite est fait de doutes, d’épreuves, de
sacrifices, mais aussi de réussite et d’un sentiment de valorisation et de reconnaissance. Rien
n’oblige à devoir passer par cette étape, pourtant notre étude m’a convaincu de l’utilité de
celle-ci, alors que jusqu’ici je n’en comprenais pas tout à fait l’intérêt. Je ne me permettrai pas
de dire qu’une personne n’ayant jamais vécu cette période sera moins bonne à l’I.F.C.S, ou
qu’elle fera un moins bon cadre de santé. Mais force est de constater par cette recherche et
notre propre expérience, qu’elle apporte ce petit plus.
Cette chance de pouvoir se positionner, de réfléchir, et d’avoir un apport bien utile en
formation, mais aussi dans sa construction identitaire. Se sentir presque cadre de santé, ne
peut que faciliter l’intégration de la posture cadre, ou comme le disait joliment l’une des
personnes, de pouvoir enfiler son costume, de pouvoir l’essayer et l’ajuster.
Vouloir être cadre de santé, c’est aussi vouloir appartenir à un groupe professionnel
particulier, avec des missions particulières, des valeurs, mais aussi une position hiérarchique
nécessairement supérieure au groupe professionnel d’origine. En exerçant à ce poste, le F.F
doit assumer cette position hiérarchique, sans en avoir le grade. Cela veut donc dire, être dans
un statut intermédiaire entre cadre et infirmier. Il faut donc se faire accepter par le premier et
se faire respecter par le second. La socialisation doit ainsi pouvoir se faire dans de bonnes
conditions.
Ma recherche n’a pas pu réellement montrer que les conditions étaient réunies, durant
cette période pour favoriser cette socialisation. En cause notamment l’institution qui ne
permet pas toujours l’accomplissement total des missions, ou au contraire qui rend le F.F
« multitâches ». De fait le F.F, ne peut pas complètement se sentir appartenir au groupe. Or,
l’identité est aussi le produit de la socialisation, on a donc ici un frein à la construction
identitaire.
109
Mon travail a aussi mis en avant qu’exercer comme F.F, était un exercice à
responsabilités, que chacun assume, mais qui suppose la reconnaissance de son travail. La
recherche a permis de montrer que cette reconnaissance était possible. Elle l’est pour le F.F
lui-même, ce qui me semble essentiel, elle l’est aussi dans le regard des autres, notamment
des ceux des équipes, ce qui est valorisant et dynamisant.
Alors, cette fonction permet-elle au final une construction identitaire de cadre de
santé ? Je l’affirme, néanmoins, cette identité, comme toute identité est évolutive. Elle doit et
elle va évoluer, grandir, se confirmer, durant la formation à l’I.F.C.S, et continuera encore une
fois diplômé obtenu. Cette identité peut-elle être intégrée durant cette période ? Cette fois, je
n’en suis pas convaincu. Car ma recherche m’a fait prendre conscience que le F.F, même si
c’est un statut non-officiel, représente un groupe particulier aussi. Et ainsi, une personne F.F,
développe et possède une identité de F.F. Et cela est normal, car c’est une étape intermédiaire,
préparatoire oserais-je dire avant la prochaine mue vers celle de cadre de santé.
Le cadre a des valeurs, et je crois fortement que l’humilité en fait partie. Je ne peux
donc pas clore ce chapitre, sans poser un regard critique sur ma recherche. Non pas qu’elle
n’a pas été faite sérieusement, que le lecteur se rassure sur ce point.
Tout d’abord, mon objectif était d’étudier uniquement les F.F cadres pédagogiques.
Dès le départ je me suis donc imposé des critères de recrutement stricts pour ma population.
Je n’avais pas anticipé que cette population particulière était trop restreinte. De fait, la phase
exploratoire m’a permis de rencontrer deux F.F cadres pédagogiques sur les trois, que j’ai pu
identifier. J’estime que si j’avais d’emblée élargi mes critères à l’ensemble des F.F, j’aurais
pu mener une recherche me permettant peut-être de faire le distinguo entre F.F cadres
pédagogiques et F.F cadre de santé en service de soins.
Cette recherche mériterait d’être menée, mais elle demanderait du temps et surtout de
rencontrer beaucoup plus de personnes, certainement dans d’autres régions.
Les rencontres que ce mémoire m’a permis de faire, furent un réel plaisir, et un vrai
enrichissement, je reste satisfait malgré mes erreurs de stratégie du début.
110
Achever ce travail, signifie aussi que j’arrive bientôt à la fin de formation. Cette idée
me trouble. J’ai attendu longtemps ce moment, et j’ai du mal à me rendre compte que peut-
être bientôt je porterais moi aussi le titre de cadre de santé. Je me revois encore étudiant
infirmier, admirant mes formateurs, et me voilà, moi aussi cadre santé. J’en éprouve en
sentiment de fierté, mêlé d’une pointe d’appréhension. Désormais, je le suis, je suis reconnu,
j’en ai le titre, les droits et les devoirs. Je ne ressens plus ce stigmate, je suis guéri du
syndrome de l’imposteur.
Le retour à la vie professionnelle est proche, et la réintégration parmi mes collègues
aussi. Après dix mois d’absence, vont-ils me voir autrement ? Vais-je, moi, me conduire
différemment ? Je suppose que cette réintégration va aussi consister en une autre étape
initiatique…
111
Bibliographie
Ouvrages
- BAZILE Rémy, BERNADEAU Nadine, BOURGEON Dominique (Dir) et al, Faire
fonction de cadre de santé, Editions Lamarre, 2015, 200 pages.
- BOUDIER Christiane, Les formateurs en soins infirmiers, Edition Seli Arslan,
2012, 189 pages.
- BOURGEON Dominique, le modèle infirmier : engagement et identité, Editions
Lamarre, collection fonction cadre de santé, 257 pages.
- BOURRET Paule, Les cadres de santé à l’hôpital, Editions Seli Arslan, 284 pages.
- ROSE CLANCE Pauline, Le complexe d’imposture, ou, Comment surmonter la peur
qui mine votre réussite, édition Flammarion, 1992, 223 pages.
- VAN CAMPENHOUDT Luc et QUIVY Raymond, Manuel de recherche en sciences
sociales, 4ème édition, Dunod, 1995, 256 pages.
- VAN GENNEP Arnold, Les rites de passage, Paris, 1909, 315 pages.
- MUCCHIELLI Alex, L’identité, collection Que sais-je, Puf, 9éme édition 2013, 127
pages.
- MUCCHIELLI Roger, L’analyse de contenu, ESF Editeur, 2006, 223 pages.
Articles
- Karine Abikhzer, La quête d’une nouvelle identité des professionnels de santé, revue
Soins Cadres, N° 85, février 2013, p 49-52.
- Christophe André, L’estime de soi, revue recherche en soins infirmiers, N° 82,
septembre 2005, p 26-30.
- Anne Buisson, La construction de l’identité professionnelle, revue L’aide-soignante,
N° 127, mai 2011, p 9-10.
- Michel Castra, Socialisation, in Paugam Serge (dir), Les 100 mots de la sociologie,
Paris, Presses universitaires de France, collection « Que sais-je ? », p97-98.
- Jacques Coenen-Huter, Heurs et malheurs du concept de rôle social, Revue
européenne des sciences sociales [En ligne], XLIII-132 | 2005, mis en ligne le
30 octobre 2009, consulté le 19 mars 2016. URL : http ://ress.revues.org/328 ; DOI :
10.4000/ress.328.
112
Sitographie
- Décret n° 95-926 du 18 août 1995 portant création d’un diplôme de cadre de santé.
Disponible en intégralité sur le site http://www.legifrance.gouv.fr
- Arrêté du 31 juillet 2009 relatif aux autorisations des instituts de formation préparant
aux diplômes d’infirmier […], cadre de santé et aux agréments de leur directeur.
Consultable à l’adresse : http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/arrete_310709.pdf
- Michel Castra, Identité, Sociologie [en ligne], les 100 mots de la sociologie, mis en
ligne le 1er septembre 2012, URL : http://sociologie.revues.org/1593.
- Axel Honneth, La théorie de la reconnaissance : une esquisse, revue du Mauss, N° 24,
2003, 512 p, p 133-136.
URL : www.CAIRN.info/revue-du-mauss-2004-1-page-133.html.
- Blog de Christian Mailliot, formateur IRTS, titulaire d’un DEA de sociologie,
URL : http://axesocionancy.canalblog.com/archives/2011/12/04/22879793.html.
- Corinne Rostaing, Stigmate, Sociologie [En ligne], Les 100 mots de la sociologie, mis
en ligne le 1er février 2015, consulté le 20 mars 2016.
URL : http://sociologie.revues.org/2572.
113
Table des Matières
Introduction ................................................................................................................................ 1
Première Partie : Constat et Problématique ................................................................................ 4
I. Constat ............................................................................................................................ 4
a) La fascination .......................................................................................................... 4
b) L’engagement .......................................................................................................... 5 c) L’apprentissage et la prise décision ......................................................................... 6
d) La concrétisation ..................................................................................................... 8 e) La remise en question .............................................................................................. 8 f) Le malaise ................................................................................................................ 9 g) Le soulagement ...................................................................................................... 10
II. Problématique ............................................................................................................... 10
III. Hypothèses de départ .................................................................................................... 13
IV. Questionnement du sujet .............................................................................................. 13
a) Les entretiens exploratoires ................................................................................... 13
b) L’outil d’exploration ............................................................................................. 14
c) Analyse de la phase exploratoire ........................................................................... 16 d) Avancée de la problématique ................................................................................ 25
Deuxième Partie : Cadre contextuel ......................................................................................... 28
I. Le Cadre de Santé ......................................................................................................... 28
a) Historique .............................................................................................................. 28
b) Rôles et missions du Cadre de santé ..................................................................... 30
II. Le Cadre de santé pédagogique .................................................................................... 35
a) Définition ............................................................................................................... 35
b) Historique .............................................................................................................. 37 c) Le « Faisant-fonction » Cadre de santé pédagogique ............................................ 39
Troisième Partie : Cadre conceptuel ........................................................................................ 41
I. Concept d’identité ........................................................................................................ 41
a) Définition ............................................................................................................... 41
b) Construction de l’identité ...................................................................................... 43 c) L’identité sociale ................................................................................................... 44 d) L’identité professionnelle ...................................................................................... 46
e) L’identité infirmière .............................................................................................. 46 f) Rôle et Statut ......................................................................................................... 48
114
II. La socialisation ............................................................................................................. 50
a) Socialisation et identité ......................................................................................... 50
b) La socialisation anticipatrice ................................................................................. 51
III. Aspects psychosociologiques ....................................................................................... 52
a) Notion de rite de passage ....................................................................................... 52
b) Aspects psychosociologiques de l'identité du cadre de santé ................................ 54 c) La reconnaissance et l’estime de soi ..................................................................... 56 d) Le syndrome de l’imposteur .................................................................................. 58
e) Le concept de stigmate .......................................................................................... 62
Quatrième Partie : Méthodologie de la recherche .................................................................... 64
I. Démarche de la recherche ............................................................................................ 64
a) Rappel de la question de départ et des hypothèses ................................................ 64 b) Choix de l’outil d’enquête ..................................................................................... 65
c) Choix de la population ciblée ................................................................................ 66 d) Construction de l’outil de recherche ..................................................................... 67
e) Déroulement de l’enquête ..................................................................................... 70
II. Analyses et résultats de l’enquête ................................................................................. 72
a) Méthodologie de l’analyse .................................................................................... 72 b) Analyse des entretiens ........................................................................................... 74
III. Confrontation aux hypothèses .................................................................................... 100
c) A propos de l’hypothèse 1 ................................................................................... 100
d) A propos de l’hypothèse 2 ................................................................................... 102 e) A propos de l’hypothèse 3 ................................................................................... 105
IV. Conclusion de la recherche ......................................................................................... 107
Conclusion générale ........................................................................ Erreur ! Signet non défini.
Bibliographie .......................................................................................................................... 111
Table des Matières ..................................................................................................................... 1
Annexe : Grille d’entretien des entretiens .............................................................................. 115
115
Annexe : Grille d’entretien des entretiens
Sexe :
Lieu d’exercice : IFSI Service de soins
Temps : Début ……h …… Fin ……h …… Durée ……
1. Depuis quand exercez-vous comme faisant-fonction cadre de santé ?
2. Depuis combien de temps exerciez-vous avant cette fonction ?
Pourriez-vous m’exposer brièvement votre parcours professionnel ?
3. Pourquoi avez-vous souhaité prendre un poste de cadre de santé ?
Que représente pour vous cette prise de fonction ?
4. Vous sentez-vous Cadre de santé ?
Qu’est-ce qu’un Cadre de santé pour vous ?
5. Qu’est-ce qui a changé dans vos représentations par rapport à vos anciennes
fonctions ?
Votre identité a-t-elle changée ?
6. Percevez-vous des différences par rapport à vos collègues cadres de santé ?
Si oui lesquelles ?
7. Comment vous perçoivent vos collègues cadres de santé selon vous ?
Vous sentez-vous diffèrent ? Pourquoi ?
8. Que représente la formation IFCS pour vous ?
Peut-on, selon vous, se « passer » de la formation IFCS ?
Pourquoi ?
Le diplôme Cadre de santé est-il important pour vous ? Pourquoi ?
9. Pourriez-vous rester « faisant-fonction » longtemps ? Pourquoi ?
Mots-clés :
cadre de santé, « faisant-fonction » de cadre de santé, identité, construction, socialisation,
représentation, reconnaissance.
Résumé :
Ce mémoire se propose d’examiner la construction de l’identité professionnelle du
Cadre de santé chez les personnes exerçant comme « faisant-fonction » cadre de santé.
En examinant, la période caractéristique de « faisant-fonction », j’expliquerais ce en
quoi cette période constitue un élément fondateur de la construction d’une nouvelle identité.
La population ciblée inclue des personnes exerçant comme « faisant-fonction » en IFSI
et en services de soins.
La méthode de recherche utilisée consiste en la réalisation d’entretiens semi-directifs,
réalisés auprès d’une population constituée de personnes non titulaires du diplôme de Cadre
de santé.
Les éléments conceptuels sont issus de la littérature, notamment sociologique, et
d’articles, complétés par une analyse des différents entretiens.
Ce mémoire a pour ambition d’expliquer qu’une nouvelle identité professionnelle est
un processus de construction et d’intégration difficile, et que la période caractéristique de
« faisant-fonction » est une étape qui met en jeu différents éléments permettant la
construction d’une nouvelle identité professionnelle.