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Université Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implications politico-administratives Elus locaux et représentants de l’Etat entre gestion de crise et règlements de comptes Léa Berthet Année universitaire 2007/2008 Mémoire de 4 ème année du diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon Séminaire « Ville et pouvoir urbain » Sous la direction de Renaud Payre Soutenu le 1 er septembre 2008 Membre du jury : Gwenola Le Naour

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Université Lyon 2Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grandecatastrophe industrielle moderne et sesimplications politico-administrativesElus locaux et représentants de l’Etat entre gestionde crise et règlements de comptes

Léa BerthetAnnée universitaire 2007/2008

Mémoire de 4ème année du diplôme de l’Institut d’Etudes Politiques de LyonSéminaire « Ville et pouvoir urbain »

Sous la direction de Renaud Payre

Soutenu le 1er septembre 2008

Membre du jury : Gwenola Le Naour

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle . . 17

Chapitre 1 : L’importance du Préfet de département dans la gestion de la Catastrophe etde ses effets . . 17

I/ Assumer les obligations liées au pouvoir régalien en situation extrême . . 17II/ Représenter l’ « Etat local »… ou l’importance d’être omniprésent . . 22

Chapitre 2La mobilisation sans faille du maire de la commune sinistrée . . 28I/ L’autorité locale la plus proche des Feyzinois . . 28II/ Pour une gestion de crise efficace, le Maire se choisit des chevaux de bataille . . 33

Chapitre 3 : Même au cœur d’une gestion efficace de crise, les considérations politiquesne s’effacent pas . . 43

I/ Le Préfet…ou la préparation d’une défense anticipée . . 43II/ Un maire trop passif vis-à-vis de l’implantation de la Raffinerie et désireux de serattraper . . 47

Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositionspolitiques . . 54

Chapitre 4 :« L’Affaire Pradel », ou le face à face entre le Maire de Lyon et le Préfet del’Isère . . 54

I/ Les accusations de Louis Pradel et les réactions de M. Doublet . . 54II/ L’utilisation de la presse dans la controverse . . 58

Chapitre 5 :La question des limites départementales, un sujet politico-administratifd’actualité . . 64

I/ Les « limites départementales »…une controverse qui semble s’imposer après laCatastrophe . . 64II/ En réalité : un problème administratif en cours d’évolution, avec l’action des élusdu Rhône . . 67

Chapitre 6 :La question de l’implantation de la Raffinerie de Feyzin : un retour en arrièredans la recherche des responsabilités associées à la Catastrophe . . 74

I/ Elus locaux : l’exemplification de la mauvaise foi en politique . . 74II/ Une Raffinerie imposée par l’Etat ? . . 78

Conclusion . . 82Illustrations . . 85Sources . . 86

Ouvrages . . 86Presse . . 86Archives . . 86

Archives Départementales de l’Isère – A.D.I . . 87Archives Municipales de Lyon (W) – A.M.L . . 87Archives Municipales d’Irigny – A.M.I . . 87Archives Municipales de Feyzin . . 87Médiathèque Feyzin . . 87

Sitographie . . 88

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Photographie . . 88Bibliographies . . 89

Ouvrages généraux /politique . . 89Sur les risques . . 89Sur la règlementation des industries dangereuses . . 89Sur crise et Politique . . 90Sur les Catastrophes . . 90

Annexes . . 91Liste des personnes décédées dans la Catastrophe de Feyzin . . 91Discours prononcé par M. Doublet lors de la cérémonie officielle de Levée des Corpsle vendredi 7 janvier 1968 . . 91Schéma et plan de la situation géographique de Feyzin vis-à-vis de la Raffinerie . . 91Télégrammes officiels de Condoléances suite à l’accident du 4 janvier 1966 . . 91Délibération de la Séance extraordinaire du Conseil municipal de Feyzin le 6 janvier1966 . . 91Exemple d’un avis d’Enqûete Commodo et Incommodo (adressé à la ville d’Irigny, enseptembre 1966, à propos d’une l’extension de la Raffinerie de Feyzin) . . 92Lettre de M. Doublet envoyée le 10 mars 1966 à M. Pradel . . 92Une du Progrès du 25 janvier 1966, le lendemain de la Séance du Conseil municipalde Lyon . . 92Arrêté pris le 20 avril 1962 par le préfet de l’Isère autorisant l’installation d’uneraffinerie de pétrole à Feyzin. . . 92Copie d’une lettre des Archives Nationales suite à une demande de dérogation pourconsulter certains versements de la Préfecture de l’Isère . . 92

Résumé . . 93

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Remerciements

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RemerciementsJe tiens à remercier sincèrement, en tout premier lieu, mon professeur de séminaire, Renaud Payre,pour m’avoir encouragée et donné des pistes tout au long de l’année, alors même qu’il lui fallaitsupporter mes doutes et mon manque de rigueur !

Je tiens tout particulièrement à remercier Thierry Giraud, l’archiviste employé par la Ville deFeyzin, qui connaît parfaitement l’histoire de la catastrophe de Feyzin, étant l’auteur des textesdu livre Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, et qui, avec une grande gentillesse, m’a éclairé, audébut de mes recherches, sur les aspects administratifs auxquels je n’avais pas pensé, et m’a permisdécider du thème de mon mémoire. Il a également pris soin de rester en contact avec moi et m’aaidé, plus tard, à classer correctement les archives récoltées à Feyzin. Je le remercie égalementpour m’avoir permis d’utiliser des locaux de la mairie de Feyzin pour mener mes recherchesarchivistiques, et je remercie par la même occasion les personnes des pôles Tranquillité et Sportsde la mairie de Feyzin de m’avoir « hébergée » !

Je voudrais enfin remercier les personnes que j’ai côtoyées aux Archives départementales del’Isère à Grenoble, aux Archives départementales du Rhône, aux Archives Municipales de Lyon,et aux Archives Municipales d’Irigny. Je les ai TOUTES trouvées très à l’écoute et on ne peutplus serviables. Merci également aux employés de la Médiathèque de Feyzin pour m’avoir laisséconsulter leur dossier de presse, et merci au personnel de la Bibliothèque Municipale de la PartDieu pour l’aide apportée à mes recherches.

Merci aussi à ma famille qui m’a bien supportée, sans me stresser.

« Il suffit d’un geste esquissé, d’un mouvement du visage, la réponse vient,toujours la même, juste trois mots : "ça brûle toujours". »Bernard Soulié, Dernière Heure Lyonnaise, le 7 janvier 1966

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Introduction

Sur la première page de son cahier régional paru le 3 janvier 1996, Lyon Figaro titre : « Il y atrente ans, la raffinerie de Feyzin était en feu. La première Catastrophe de l’ère industrielle ».C’est ainsi qu’est souvent qualifiée, et à juste titre, la catastrophe de Feyzin survenue le4 janvier 1966.

Lors de chaque date anniversaire, de décennie en décennie, au rythme des cérémoniescommémoratives, la presse régionale1 se souvient de l’évènement qui a lourdement marquéla population locale comme la population nationale, à l’époque. Le vingtième siècle étaitdéjà bien avancé, et pourtant la France entière fut choquée de constater que le progrèstechnique n’était pas nécessairement positif, qu’il pouvait s’avérer dangereux.

Ce 4 janvier 1966, il est 6h40 quand trois employés de la Raffinerie de pétrole implantéesur la petite commune iséroise de Feyzin, à 10 km au sud de Lyon, effectuent de manièremaladroite une banale opération de purge sur une des sphères (ou réservoirs) contenant dupropane liquéfié, gaz hautement inflammable. L’aide- opérateur qui doit ouvrir deux vannesne le fait pas selon les règles établies, et c’est alors que du gaz s’échappe ; l’homme estbrûlé, perd sa clé, et le dispositif de purge est aussitôt gelé, ce qui rend impossible lafermeture de la vanne ouverte à son maximum, même avec l’aide du pompier qui assistel’opération. Ce dernier avertit le poste de secours et deux pompiers arrivent avec du matériel,tandis que le troisième homme, le laborantin, court alerter le poste de garde qui prévientdouane et gendarmerie. Mais le gaz continue de s’échapper et se dirige vers l’autorouteA7, toute récente, où il forme une nappe basse et épaisse, le propane étant plus lourd quel’air. L’autoroute, tout comme le C.D 4 qui la longe, sont coupés rapidement sans qu’il nese produise d’incident ; malheureusement, une voie perpendiculaire n’a pas été coupéeet un jeune automobiliste allant travailler à la raffinerie est à l’origine d’une successiond’évènements dramatiques. Bien qu’il n’ait jamais été formellement établi comment s’estdéroulée la scène, puisque l’homme décèdera deux jours plus tard à l’hôpital, on imaginequ’avec son véhicule ou avec une cigarette, il provoque une étincelle qui enflamme la nappede gaz. Ainsi à 7h15 une énorme flamme remonte sous la sphère d’où est partie la fuite, lan°443. A ce moment là les pompiers de la caserne de Lyon Gerland sont appelés sur leslieux, tandis que les systèmes de refroidissement de toutes les sphères voisines sont misen place par les pompiers de la raffinerie pour éviter la propagation du feu. Les sapeurs-pompiers lyonnais arrivent à 7h33 ; ils tentent d’abord de refroidir la sphère en feu puisd’éteindre le feu, mais en vain. Ils décident donc de se concentrer sur les sphères voisinescontenant du butane et du propane, pour les empêcher de s’enflammer à leur tour ; surtoutqu’à 7h45, la soupape de sécurité de la sphère en feu se met à hurler, s’ouvre et laisses’échapper une flamme de 15 mètres de haut. Selon les techniciens, ceci est bon signe carla torchère limite normalement les risques d’explosion. Les pompiers de Vienne et Givors,appelés en renfort, arrivent, ainsi que l’équipe de secours et le matériel de l’usine voisine,la Rhodiaceta. Tous les sapeurs-pompiers se trouvent au pied des sphères, et puisent del’eau en continu dans le canal qui se trouve derrière la raffinerie ; forcément, l’eau vient àmanquer et la situation ne s’améliore pas, la flamme atteignant les 40 mètres de hauteur.

1 Cf. notamment Le Progrès du 4/01/1966 avec les articles : “Le souvenir de Feyzin, le 4 janvier 1966“; “Blessés à Feyzin le 4janvier 1966… c’était notre première intervention“ ; ou encore Le Figaro Lyon du 4/01/2006 “ Il y a 40 ans“, etc.

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Introduction

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Illustration (2)Et voici qu’à 8h45, la sphère explose, contre toute attente. Il apparaîtra plus tard que

les matériaux n’ont pas résisté. Malheureusement, tous les hommes qui s’affairaient autourdes sphères sont soufflés par la déflagration et blessés par les projectiles rejetés par lasphère. Beaucoup se dirigent vers le canal pour atténuer leurs souffrances. Les blessés sontconduits le plus rapidement possible dans les)hôpitaux de Lyon les plus proches, Saint Lucet Saint Joseph, par ambulance, ou par les employés de la raffinerie, ou encore en faisantde l’auto-stop. Alors que des moyens supplémentaires arrivent de Lyon et que d’autressont envoyés de Grenoble, une seconde explosion encore plus violente se produit à 9h10,celle sphère voisine, n°442, contenant également du propane. Elle ne fait pas de victimessupplémentaires mais le feu s’étend à toute la zone des réservoirs, et tout le monde doitévacuer en zone sûre. Tandis que des renforts arrivent de Péage de Roussillon et Saint-Etienne, une troisième explosion se produit à 9h48, et, après le déclenchement du PlanORSEC à 10H00 par le préfet de l’Isère, une quatrième cuve explose, à 10h30 ; ce sontd’autres sphères, de butane cette fois, qui craquent. On peut voir à ce moment-là desflammes de 600 mètres de haut et de la fumée jusqu’à 1300 mètres d’altitude.

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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On ne viendra définitivement bout de l’incendie que le jeudi 6 janvier en fin de journée,notamment grâce à beaucoup de renforts tels que les marins –pompiers de Marseille etleurs engins à mousse2.

Les conséquences directes de ce drame, qui justifient que l’on qualifie cet évènementde « catastrophe », furent tout d'abord les victimes et les blessés, brûlés par la premièreexplosion. Au lendemain de l’accident, on dénombrait « 12 morts, 65 blessés, bilan

provisoire » 3 ; puis ce fut le nombre de 80 blessés, dont 12 atteints grièvement, qui fut

retenu ; le maire de Feyzin lui-même, qui s'était rendu sur les lieux, fut légèrement blessé parla première explosion, et l’un de ses conseillers municipaux fut plus grièvement blessé. Pource qui est des décès, le bilan s’alourdit dans le courant du mois de janvier, car six autreshommes succombèrent à leurs blessures à l’hôpital. Parmi les dix-huit victimes se trouvaientsept sapeurs-pompiers de Lyon, gradés ou non ; quatre sapeurs-pompiers de Vienne,gradés ou non ; deux employés de la raffinerie, et quatre employés d’usines voisines venusprêter main forte4. Du reste, beaucoup de blessés restèrent invalides. L’autre conséquencetraumatisante du drame fut la destruction d’une partie du village de Feyzin, principalement lequartier des Razes, situé en face de la raffinerie, de l’autre côté de l’autoroute, qui fut soufflépar les explosions ; deux mille personnes furent évacuées pour des raisons de sécurité5

sur une population d’environ 5000 habitants ; la plupart des habitations furent partiellementdétruites ou endommagées, ce qui impliqua un nombre important de sinistrés, à des degrésplus ou moins graves. Il faut savoir que les effets des explosions ont été ressentis jusqu'àVienne, soit 16 km au sud de la raffinerie.

La compréhension du déroulement des faits, à l’instant T, est une chose essentielle ;mais si l’on souhaite aller vers une analyse de la Catastrophe, on s’aperçoit qu’elle peutêtre envisagée sous une multitude d’angles. L’ouvrage Feyzin,Mémoires d’une catastrophe6 -paru pour 2006 à l’initiative de la municipalité de Feyzin- ayant déjà mis en lumière lerécit historique de l’évènement d’une manière très approfondie, enrichie d’un grand nombrede témoignages, il semblait évident qu’une nouvelle étude sur le sujet devait aller au-delàd’une lecture transversale, et se concentrer sur un des thèmes pouvant être rattachés à laCatastrophe.

Aperçu des thèmes envisagés et Etat de la questionDans un premier temps, le thème qui semble s’imposer en évoquant une catastrophe

industrielle telle que celle-ci est celui du risque industriel. On trouve une littérature assezabondante sur le sujet, et une première approche globale peut nous amener à s’intéresser

2 Le récit de ces évènements a été construit à partir de plusieurs sources qui ont été croisées : Centre d’étudespsychologiques des sinistres et de leur prévention, La Catastrophe de Feyzin, s.l, 1966, 513p.; Lagadec Patrick, Le risquetechnologique majeur. Politique, risque et processus de développement, Paris, Pergamon Press, 1981, coll.“Futuribles“. p. 213-216 ;Périer Jacques, Il y a trente ans, la catastrophe de feyzin, dans “Côté Cour Côté Jardin“, déc. 1995. p.17-20 ; Giraud T., Monin J.,Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005 ; Le Progrès du 7/01/1966, Paris Match n°875, 15/01/1966,Le Progrès du 16/02/1970.

3 Première page de Dernière Heure Lyonnaise, 5/01/19664 "Côté cour coté jardin", déc. 1995, p.18 (liste complète des victimes). Voir annexe n°15 Giraud T., Morin J., Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005. p.476 Giraud T., Morin J., Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005

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Introduction

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à la « société du risque ». Cette expression, employée principalement par Ulrich Beck7 etAnthony Giddens8, dans les années 1980 et 1990, renvoie à l’idée qu’il existe une culturedu risque dans nos sociétés contemporaines.

Beck, pour qui le risque est une notion plutôt généraliste, assimilée au terme de« menace »9, nous parle d’une société hyper industrialisée qui n’est plus construite autourde la répartition des richesses, mais autour de la répartition des risques multiples, souventinvisibles et donc voués à proliférer. Dans cette configuration, les plus faibles sont ceux quisont contraints d’accepter les risques. Pour lui les scientifiques dominent le politique, carils sont les seuls à même de reconnaître les risques. Mais pour autant, Beck ne voit pas lascience d’un bon œil, il l’accuse de proposer des solutions sans avoir de certitudes, et dechercher avant tout à favoriser certains marchés10 ; dans la société post-industrielle, « unescientificisation croissante conduirait au brouillage des frontières entre politique et science »11 . Sachant que la catastrophe de Feyzin est intervenue dans une période antérieure- cellede la société industrielle, disons- ce cadre d’analyse ne peut pas être appliqué en l’état ànotre sujet.

Anthony Giddens, lui, nous dit que la société du risque est cette société modernemarquée par le déclin de la tradition, par l’emprise du progrès scientifique sur nos vies, quiremplace l’emprise qu’avait autrefois la nature. Les conséquences de l’activité humaine ontengendré de nouveaux risques et de nouvelles incertitudes, et paradoxalement, les risquessont engendrés par le processus de modernisation qui tente de les contrôler12.

Voyons maintenant un cadre de lecture concernant plus précisément les risquesindustriels ou technologiques. Patrick Lagadec, qui s’est imposé comme un spécialiste à lafois technique et politique sur les questions de risques et crises, a parlé pour la premièrefois de « risque technologique majeur »13 dès 1979 ; le terme « technologique » qu’ilemploie renvoie à tout ce qui a été permis du fait du développement de la science et de latechnologie, c’est-à-dire du fait de l’homme. Pour lui, les moyens développés par l’homme

ont changé d’échelle dans le second tiers du 20ème siècle, notamment avec l’installationdes grands complexes industriels, et les progrès de la science ont fait naître de nouveauxproduits et processus dans les activités industrielles ; dans le même temps, cet appui massifde la science renforçait la prétention qu’avait l’homme de pouvoir maîtriser de mieux enmieux les éventuels dangers encourus. Dans une approche historique, on constate queles dangers n’ont plus rien à voir avec ceux qui existaient par le passé, même quand ilsavaient la même nature… et ce parce que l’ampleur des conséquences a été profondémentmodifié : Seveso, en 1976, n’a été qu’une alerte, mais si elle s’était transformée en crise

7 Beck Ulrich, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité. Paris, Aubier, 2001 (traduction). La publication originale,en Allemagne, date de 1986.

8 résumé dans Peretti Watel P., La société du Risque, Paris, La découverte, 20019 http://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-3-page-162.htm “A plusieurs voix sur La Société du risque“10 Beck Ulrich, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité. Paris, Aubier, 200111 http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=61 “U. Beck fait-il courir des risques à la sociologie?“12 Peretti-Watel Patrick., La société du Risque, Paris, La découverte, 2001. p.4113 Lagadec P., Le Risque technologique majeur - Politique, risque et processus de développement, Paris, Pergamon, 1981.

Cf. Introduction générale : http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/introduction_risque.pdf

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il aurait fallu évacuer Milan et toute son agglomération14 ; de plus la nature du dangerpousse à provoquer des « hécatombes civiles »15 (comme on pourra le constater lors descatastrophes de Bhopal et Mexico dans les années 1980). Le fait qu’aujourd’hui de vasteszones urbaines sont vulnérables à de nombreuses menaces de destruction, évacuation,potentiellement traductibles en catastrophes, est ce qui conduit Lagadec à parler de risquetechnologique « majeur ».

Les risques industriels sont étudiés en tant que risques urbains notamment par ClaudeChaline et Jocelyne Dubois- Maury16, qui mettent en avant la vulnérabilité du territoireurbain face à la concentration des industries dangereuses, dans des configurations tellesque « la Vallée de la chimie » au sud de Lyon17, lieu qui nous intéresse évidemment. Ilsconstatent également que dans nos sociétés contemporaines, c’est la peur de l’accidentindustriel qui est prégnante pour les populations des pays développés, et qu’elle passeavant la perception des risques naturels ; or, si pour mesurer la gravité des catastrophes,on prend comme indicateur le nombres de victimes qu’elles font (indicateur le plus utilisé),on s’aperçoit que les grands accidents industriels propres aux sociétés développées netotalisent à l’échelle mondiale qu’une faible quantité de victimes… et que ce sont lescatastrophes découlant d’évènements naturels qui causent le plus de morts. Pour donner unordre de grandeur, on compte entre 1970 et 2000 1.330.000 victimes de catastrophes, dontseulement 13% sont rattachées à des risques technologiques. En réalité l’opinion publiquese rebelle contre des dangers qui sont engendrés historiquement par le fait urbain, desdangers que l’homme a créé lui-même, parce que ces dangers n’ont pas été pensés, etque chacun craint l’intensité que peut prendre un accident industriel ou technologique18.La catastrophe de Feyzin, puis celle de Seveso (principalement), ont incité les pouvoirspublics à prendre des mesures de réglementation très strictes concernant les industriesdangereuses, avec une loi essentielle de 1976 relative aux installations classées pour laprotection de l’environnement, et la directive Seveso de 1982 qui institue entre autres despérimètres de protection autour de telles usines, etc. Cette nouvelle prise en charge desrisques industriels est liée à une nouvelle appréhension des risques dans le champ de lascience politique19.

Claude Gilbert cherche à comprendre comment les risques viennent à être pris encompte par les autorités publiques20, et répertorie trois modèles d’explication ; celui quisemble être le plus adapté aux risques industriels est celui de l’arbitrage opéré par lesautorités publiques entre les risques objectivés grâce aux experts et les risques subjectifsperçus par les populations, sachant qu’ils s’opposent parfois. Les autorités procèderaientdonc à une identification des dangers, et une hiérarchisation des risques qui conviendraità l’intérêt général. Cela laisse penser que l’articulation entre expertise et décision politiquepermet de parvenir à une maîtrise des risques. Mais cela n’est pas valable pour tous

14 Idem.15 Ibidem.16 Chaline, C., Dubois-Maury, J., La ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels, sociaux et technologiques.

Paris : Masson, 1994 ; Chaline, C., Dubois-Maury J. , Les risques urbains. Paris : A. Colin, 200217 Chaline, C., Dubois-Maury, J., La ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels, sociaux et technologiques,

op.cit., p.130-133.18 Chaline, C., Dubois-Maury, Les risques urbains. Paris : A. Colin, 200219 Ibid.20 Gilbert C., « La fabrique des risques », Cahiers internationaux de sociologie 2003/1, n° 114, p. 55-72.

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Introduction

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les risques, notamment ceux qui sont à la limite de la connaissance, comme les risquesnouveaux, ou le risque technologique, qu’on ne peut que partiellement objectiver, du fait desa nature. C’est plutôt cette limite de l’analyse qui colle avec le cas de Feyzin ; en effet,on verra que les risques autres que les nuisances « traditionnelles » (pollution, bruit) etl’incendie n’avaient pas été objectivés (risque d’explosion notamment).

Ceci me fait prendre conscience que la catastrophe de Feyzin est un terrain un peu« précoce » pour cadrer avec l’analyse des risques, et qu’il serait plus édifiant de s’attacherà l’ « après », c’est-à-dire à la situation de crise qui s’est inévitablement déclenchée unefois le drame survenu.

Pour ce qui est de la gestion de crise, Patrick Lagadec est là aussi un auteurincontournable. Comme il l’annonce en préambule de son ouvrage21, depuis les années1960 il faut de plus en plus faire face à « l’ingérable », et dans les sociétés contemporainesil semble que l’on atteigne « un degré de complexité […] propre à faire douter de lapossibilité même d’une gestion stratégique ». Son ouvrage, destiné aux décideurs, esttoutefois là pour démontrer qu’il y a des schémas d’actions à suivre pour gérer au mieuxles suites immédiates du choc provoqué par un accident majeur. La crise signifie que l’onne se trouve pas face à une défaillance « prévisible », pour laquelle le décideur peutmobiliser un « univers de référence »… Dans ce cas, il n’y pas de références, l’inconnuest le paramètre incontournable. Une autre spécificité de la crise est la nécessité deprendre des décisions très rapidement. L’auteur explique également que la « dynamique decrise » comporte trois dimensions qui se rencontrent, c’est-à-dire le dysfonctionnement desoutils utilisés habituellement, le dysfonctionnement des mécanismes d’organisation, et ledysfonctionnement même des objectifs du système (ce qui est plus « politique »)22. Pour lui,la meilleure gestion de crise est la prévention des risques, et aussi de la crise elle-même.

Mon intérêt s’étant porté sur la crise engendrée par la catastrophe, j’avais dans l’idéede faire également ressortir la question des responsabilités, puisque c’était un élémentprégnant dans la presse relative à l’évènement. A priori, la responsabilité juridique desindividus dans une catastrophe est ce qui interpelle le plus les observateurs. Il est en ainsidans nos sociétés assurantielles: « l’attribution de responsabilités reste un mécanismesocio-cognitif courant » 23. Marc-Alain Deschamps disait déjà dans les années 197024 quetoute action est désormais un danger en puissance, et selon la notion de « prise de risquecalculée », chacun est susceptible d’être responsable pénalement et civilement pour chaqueaction qu’il entreprend. Dans un esprit rationaliste, on veut des responsables coûte quecoûte. Ainsi la justice française, dans la pratique, privilégie la solidarité, c’est-à-dire quec’est la compensation qui prévaut, afin d’aider les victimes et les sinistrés ; cela illustre unpassage de la culpabilité à la responsabilité par rapport aux époques précédentes, c’est-à-dire qu’« il s’agit moins de trouver des coupables à punir que des responsables à fairepayer » 25. Et, comme l’explique René Favier, chercheur spécialiste des catastrophes : « On

21 Lagadec P., La gestion des crises, Paris, Mac Graaw-Hill, 1991.22 Lagadec P., "L’action en situation de crise" dans La Société vulnérable. Evaluer et maîtriser les risques, Paris, Presses de

l’Ecole Normale Supérieure, 1987.23 Peretti Watel P., La société du Risque, Paris, La découverte, 2001. p.4524 Deschamps M-A., “Catastrophe et responsabilité“ dans la Revue Française de Sociologie, vol.13, n°3, 1972. p. 376-39125 Peretti wattel, op.cit.

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peut dire que la catastrophe humaine, technologique, permet de désigner plus facilement

un responsable » 26 .

Selon Deschamps, « il y a de nombreuses manières d’être cause d’une catastrophe :on peut être le préparateur, le déclencheur, l’occasion ou le prétexte. [Interviennent aussiles notions] de prévision et prévention. […] La responsabilité s’élargit »27.

La responsabilité juridique s’élargit, cela s’entend, à l’Etat, qui doit protéger sescitoyens. Mais dans le cas de Feyzin, nous le verrons, le système politique et administratiféchappe aux inculpations de la Justice, et les personnes jugées responsables de lacatastrophe par la Justice en 1970 ne seront que des particuliers, c’est-à-dire les deuxopérateurs présents au moment de la fuite, les deux directeurs de la raffinerie et le Coloneldirecteur du service d’incendie de Lyon, responsable des opérations de secours sur les lieuxde l’accident…

C’est pour cela qu’il m’a semblé plus intéressant d’étudier les responsabilités dansla catastrophe sous un jour différent, où le terme « responsabilités » renvoie au faitd’assumer certains rôles, devoirs, liés aux statuts administratif et politique des personnes…la responsabilité politique, en somme.

Claude Gilbert s’intéresse précisément à l’action des responsables politiques face àla crise.Dans ses travaux sur le sujet, il part du principe établi que l’Etat doit assumer le rôleprincipal dans une crise locale. « Faire face à la crise, aux catastrophes, à l’organisationdes secours, est bien évidemment une responsabilité suprême des pouvoirs publics » 28,une responsabilité qui a valeur constitutionnelle29 … D’après le chercheur, les catastrophessont des situations qui « semblent appeler le plein exercice du pouvoir » 30, la garantiede sécurité étant une « contrepartie » somme toute logique aux avantages du pouvoir ; lagestion de la crise est une « mise à l’épreuve » de la légitimité, une vérification des capacitésdes autorités31. C’est l’exercice du pouvoir régalien, par définition un pouvoir exceptionnel,qui est attendu et accepté en situation extrême32. Pour autant, les élus locaux ne sont pas enreste, car la population exerce sur eux une « pression » 33 en se tournant d’abord vers eux,pour une question de proximité ; la pression tient aussi du fait que pour être réélu il faut semontrer à la hauteur. Gilbert cherche à voir si le partage du pouvoir préétabli est bousculé34.

26 http://www. diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0405-FAVIER-FR-2.pdf “ Dieu, l’expert et les cataclysmes“27 Deschamps M-A., op.cit., p.37928 Gilbert C., « Traitement des risques collectifs et action des préfets : entre procédures formelles et pratiques réelles », dans

Gleizal J-J. (dir.), Le retour des préfets ?, PUG, 1995. Partie III, chap. 3.29 Le préambule de la Constitution de 1946 énonce le principe de «solidarité de la Nation et égalité des français face aux

calamités nationales ».30 Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris, L’Harmattan, 1992. p.1331 Ibid., p.1432 Gilbert Claude, Zuanon Jean-Paul, « Situations de crise et risques majeurs : vers une redistribution des pouvoirs ? » dans

Politique et Management Public, Vol.9, n°2, 1993. p. 59-75.33 Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris, L’Harmattan, 1992. p. 14,15,16,17.34 Idem.

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Introduction

BERTHET Lea_2008 13

Lors du séminaire «Catastrophes et gestion de crise, rôle de l’Etat et des collectivitéslocales » qu’il a dirigé en 198935, il a été question de l’action concrète des élus et préfets faceà certaines catastrophes importantes de la fin des années 1980 ; les différents responsablespolitiques étaient là pour raconter leur expérience, que les chercheurs cherchaient àanalyser afin d’identifier notamment les différents temps de la crise (l’«avant», le «pendant»,l’«après»)36. Les récits et les discussions les ont conduit à s’interroger sur qui, en tempsde crise, a réellement l’initiative et la légitimité, et il est apparut que dans les faits de plusen plus l’élu local s’impose comme figure incontournable aux dépends du préfet (mais c’estun phénomène à relier avec la Décentralisation). L’intérêt était aussi d’identifier la meilleurefaçon de faire face aux situations de crise, question qui n’a pas été pas clairement tranchéepar les participants, puisque ceux-ci ont apporté des solutions souvent différentes.

Problématisation du sujet et hypothèsesConsidérant ces derniers travaux, et me basant sur l’avancée de mes recherches, j’ai

compris que l’intérêt de mon travail serait de pouvoir établir une vue d’ensemble des acteurset des actions intervenant dans la gestion politico-administrative d’une catastrophe datantde 1966 -au-delà des cadres de lecture produits seulement à partir des années 80 et pouvantdonc nous paraître anachroniques-. Mais pas seulement… car le ton assurément politiquedonné à la crise me menait à creuser du côté des subtilités du «jeu » politico-administratif quis’était greffé sur la catastrophe. Il fallait s’intéresser à la manière dont les représentants dupouvoir ne s’étaient pas seulement mobilisés pour gérer la crise, mais aussi pour l’alimenter,en se renvoyant mutuellement les responsabilités.

Dans la gestion de crise consécutive à cette catastrophe d’une ampleur inattendue,qui prend ses responsabilités, comment, selon quelles priorités ? Quelle est la naturedes relations entre les acteurs politiques ? Les dynamiques créées amènent-elles àdes résolutions de crise ? Vont-elles au contraire amplifier la crise provoquée par lacatastrophe ? Certains responsables politiques ou administratifs tirent-ils leur épingle dujeu ?

La volonté de bien comprendre les mécanismes engendrés par la catastrophe, telsqu’ils se sont produits, n’empêche pas de formuler des hypothèses pouvant guiderl’analyse ; ainsi on peut supposer que les rôles des responsables politiques n’étaient pastoujours clairement définis ni distincts ; que les responsabilités face à un tel événementn’étaient pas toujours assumées ; que des jeux de pouvoirs pouvaient prendre ledessus, à des niveaux purement politiques, mais également politico-industriels ou politico-médiatiques…

Méthodologie de rechercheIl ne serait pas facile d’expliquer pourquoi j’ai choisi pour sujet de Mémoire la

Catastrophe de Feyzin, même si cela a certainement un lien avec le fait qu’étant originaired’un village voisin et ayant souvent entendu mes proches en parler, j’ai voulu en découvrirdavantage sur l’histoire de ce drame. De plus, l’idée de faire un travail socio-historique, plutôtqu’une enquête sur un sujet contemporain, me plaisait assez. Ma première démarche a étéde rechercher des ouvrages traitant de la Catastrophe ; j’ai tout d’abord déniché une sourceimportante, une énorme enquête sociologique et psychologique37 menée immédiatement

35 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. Actes du séminaire « Catastropheet gestion de crise, rôle de l’Etat et des collectivités locales », 7-8 décembre 1989, Château de Sassenage, Grenoble.

36 Ibid., cf. Préface.37 CEPSP, La Catastrophe de Feyzin, s.l, 1966, 513p.

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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après la catastrophe, qui m’a permis de m’imprégner du sujet, sur bien des aspects, telsque les faits du drame, les préoccupations les plus importantes de la population et de lamunicipalité, l’état psychologiques des sinistrés, l’écho de l’évènement dans la presse, etc.L’étude a été réalisée en 1966 par le Centre d’Etudes Psychologique des Sinistres et de leurPrévention, dans le cadre d’une convention avec la Direction des Recherches et Moyensd’Essais, et d’un programme accordé par le C.N.R.S. C’est une enquête très « scientifique »dans le sens où elle est agrémentée de schémas, tableaux, calculs, courbes… et tout n’étaitpas intéressant à parcourir. Ce n’est qu’un peu plus tard que j’ai découvert l’existence del’ouvrage « Feyzin, Mémoires d'une catastrophe »38 rédigé en 2005 par la municipalitéde Feyzin pour les 60 ans de la catastrophe. Il était bien sûr très complet, il m’a mêmedéstabilisée car à ce moment-là je me suis demandée ce que je pourrais bien apporter denouveau sur le sujet ; j’ai donc préféré ne pas le lire tout de suite en entier pour prendre letemps de trouver les informations par moi-même, et non de seconde main.

Je me suis bien sûr demandée si je devais mener des entretiens, et il était difficile de ledéterminer au début de la recherche, car je ne savais pas sous quel angle j'allais aborderla Catastrophe, et parce que comme les possibilités ne me semblaient pas infinies audépart, je m'imaginais devoir interroger les pompiers, les familles des victimes, les sinistrésde la catastrophe,pour bien rester dans l'aspect socio-historique du sujet; mais cela medérangeait d'une part parce que je ne voyais pas quelle problématique cela pourrait servir,et d'autre part parce que cette démarche très sociologique avait déjà été entreprise dansles deux ouvrages précédemment cités.

Chemin faisant, mon angle d’étude se faisant plus précis, j’ai réalisé que je ne pourraispas avoir d’entretiens avec les protagonistes de mon Mémoire, puisqu’ils sont soit décédéssoit très âgés.

Mon travail de recherche, et je l’assume, a été de ce fait totalement archivistique.Les recherches ont délimité d’elles-mêmes les bornes temporelles du sujet. L’année

de référence est 1966, mais on revient en arrière jusqu’en 1962, année d’implantation dela Raffinerie à Feyzin, et l’on se projette jusqu’en 1971, année du procès en Appel descoupables de la Catastrophe.

La Bibliothèque de la Part-Dieu m’a été très utile pour son dossier de presse sur laCatastrophe de Feyzin, et aussi pour trouver aussi certains articles précis du Progrès quandj’en avais besoin (et également pour dénicher certains ouvrages bibliographiques, celas’entend, tout comme la Bibliothèque Inter-Universitaire de Lyon d’ailleurs).

38 Giraud T., Monin J., Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005, 179 p.

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Introduction

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( 3)Hôtel de Ville de Feyzin aujourd’huiMa première rencontre avec les archives s’est faite à la mairie de Feyzin, au sein de

laquelle j’ai passé beaucoup de temps à tout éplucher, même ce qui n’allait pas forcémentme servir. Ainsi par exemple ai-je pris plaisir à étudier les très nombreux télégrammesde condoléances, envois de dons, lettres d’amitié, parvenant de toute la France ; maiségalement les déclarations de sinistres, les listes de personnes relogées, etc. Pour le reste,j’ai étudié le registre des délibérations du Conseil Municipal, qui m’a donné beaucoupd’élément exploitables, surtout que des réunions extraordinaires s’étaient tenues presquetous les jours après la catastrophe. J’ai aussi épluché tous les cartons, essentiellementremplis d’articles de presse et de correspondance entre Mairie, Raffinerie Rhône-Alpes,Préfectures de l’Isère et du Rhône, autres communes concernées par la catastrophes,députés, sénateurs, Ministères… Monsieur Giraud m’a également gentiment permis deconsulter les sources qu’il avait rassemblées sa contribution à l’ouvrage. Ainsi j’ai puassimiler plus d’informations techniques sur l’implantation de la Raffinerie, par exemple.Tout était laissé à ma disposition, j’ai donc pu aller consulter ces archives à chaque fois queje le souhaitais, ce que j’ai beaucoup apprécié.

Pour compléter mes recherches archivistiques, j’ai choisi de me rendre d’abord auxArchives Départementales de l’Isère à Grenoble, puisque Feyzin en 1966 faisait encorepartie du département de l’Isère (jusqu’en 1968). Là-bas, ce sont les versements dela préfecture sur la Catastrophe de Feyzin qui m’ont intéressée. Là ? l’ampleur dessources atteignait encore un autre niveau, de nombreux cartons étant mobilisables ; Bienentendu, comme à Feyzin, j’y ai trouvé de la correspondance entre les différents servicesadministratifs de l’Etat, les communes concernées, les élus; et aussi des dossiers de presse,et des rapports, des copies des enquêtes administratives, etc.. La première fois, je me suis

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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rendue à Grenoble un jour seulement, mais la seconde fois, munie d’une une autorisationdes Archives Nationales pour certains cartons soumis à dérogation, je m’y suis renduepour une semaine ! Ayant ensuite obtenu plus tard une autorisation pour consulter desversements du Tribunal de Grande Instance de Vienne (où ont eu lieu les procès en 1970et 1971) j’y suis retournée deux jours début juillet, mais sans trop m’investir parce que lessources n’étaient pas essentielles par rapport à ma problématique.

Entre temps, je suis allée aux Archives Départementales du Rhône, pensant trouverdes sources sur le problème des limites départementales et leur modification en 1967/1968,mais même avec de l’aide je n’ai rien pu trouver ni sur cela ni sur la catastrophe de Feyzin,à part des sources iconographiques. Je m’y suis rendue deux autres fois pour cela, ayantobtenu des photographies du SDIS (Service Départemental d’Incendie et de Secours) duRhône.

Les Archives Municipales de Lyon ont été aussi « une seconde maison » pendantune semaine, car j’ai trouvé là-bas des sources essentielles, comme les délibérations duConseil Municipal de Lyon au moment de l’implantation de la Raffinerie en 1962 et après lacatastrophe, en 1966 ; mais aussi un dossier de presse (vraiment bienvenu) sur la questiondes limites départementales du Rhône et de l’Isère, couvrant une vingtaine d’années, ainsiqu’un dossier de presse très complet sur l’accident.

Pour compléter mes recherches, j’ai voulu me rendre à Irigny, puisque c’est unecommune du Rhône (qui l’a toujours été), qui a été sinistrée elle aussi par la Catastrophe,qui a toujours protesté contre la raffinerie. J’ai trouvé dans ces archives des éléments trèsintéressants.

…Ensuite, il ne restait « qu’»à faire parler toutes les sources accumulées, les recouper,et construire une trame inédite, faisant bon ménage avec la problématique

Les recherches ont délimité d’elles-mêmes les bornes temporelles du sujet. L’annéede référence est 1966, mais on revient en arrière jusqu’en 1962, année d’implantation dela Raffinerie à Feyzin.

Nous allons donc voir comment le maire de Feyzin et le préfet de l’Isère sont intervenus

dans la gestion de la crise post-accidentelle (1ère partie), avant de nous pencher sur lespolémiques qui ont opposé les autorités des deux départements impliqués dans la crise

(2me partie)..

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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Première partie : Le Maire et le préfet,acteurs locaux au devant DE la gestionde crise post-accidentelle

Chapitre 1 : L’importance du Préfet de départementdans la gestion de la Catastrophe et de ses effets

I/ Assumer les obligations liées au pouvoir régalien en situationextrême

a- Cadre théorique et « juridique» de l’intervention du préfetLe préambule de la Constitution de la République Française de 1946 énonce que « LaNation proclame la solidarité et l'égalité de tous les Français devant les charges qui résultentdes calamités nationales ».Une situation extrême, telle qu’une catastrophe industrielle dece type, appelle un pouvoir exceptionnel. Ce pouvoir exceptionnel se traduit dans notrerépublique démocratique par l’exercice du pouvoir régalien39, pouvoir qui par définition n’estpas souvent mobilisé. Il est donc là pour corriger « les règles du jeu démocratique », quiapparaissent comme insuffisantes40. Les « Risques Majeurs » sont d’ailleurs une questiond’intérêt général qui est telle qu’elle légitime complètement la notion de pouvoirs régaliensdans ce genre de situation41.

Le préfet est le représentant de l’Etat, donc du pouvoir régalien, au niveau local.L’autorité à laquelle il est confronté au quotidien est donc le maire. Il faut savoir quejuridiquement, c’est ce dernier à qui la loi42 confie depuis plus de deux siècles « le soinde prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution dessecours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toutenature, tels que les incendies […],de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistanceet de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure »43 . Mais après la Seconde Guerre Mondiale une nouvelle perception des risques, dont la

39 Gilbert Claude, Zuanon Jean-Paul, « Situations de crise et risques majeurs : vers une redistribution des pouvoirs ? » dans Politiqueet Management Public, Vol.9, n°2, 1993. p. 5940 Ibid. p.6141 Ibid. p.62

42 Code général des collectivités, Article L2212-2, modifié par Loi n°2007-297 du 5 mars 2007; Anciennement Art. L131-2 duCode des Communes

43 http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070633&idArticle=LEGIARTI000006390150&dateTexte=20080717

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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nature et l’ampleur semblent changer, conduit à dépasser le simple cadre communal pourpenser Prévention et Secours44.

Ainsi, depuis 1952, les préfets de département peuvent activer des Plans ORSEC(Plans d’Organisation des Secours) leur permettant de se substituer aux maires en casd’évènement de grande ampleur dépassant une commune45. Donc si l’on s’en tient au texte,« un maire ne [pouvait] pleinement conserver la conduite d’une gestion de crise que sil’évènement [était] strictement limité à sa commune », ce qui n’était pas le cas à Feyzin, le4 janvier 1966, puisque d’autres villes, du Rhône et de l’Isère, ont subi les conséquencesde la Catastrophe : Irigny, Vernaison, Saint Fons, Saint Symphorien d’Ozon… De plusl’ampleur de l’accident nécessitait de toute façon des moyens dépassant les capacités dela commune.

Il faut comprendre, que, de manière assez singulière, ainsi que le fait remarquerClaude Gilbert46, le rôle du préfet était ainsi affirmé, alors que selon les juristes l’instructioninterministérielle instituant les Plans ORSEC n’avait qu’une valeur interne à l’administration,et donc pas de réelle base légale47. On parle d’un Supra-droit des préfets, par opposition auDroit Formel des maires48. Pour les hauts fonctionnaires, ces considérations ne rentraientpas en compte. Monsieur Maurice Doublet, le préfet de l’Isère, nous éclaire lui-même surla représentation qu’il se faisait du rôle de préfet, dans sa Déclaration au Conseil Généralde l’Isère au lendemain de la Catastrophe :

« En me rendant sur place [alors qu’il avait quitté précipitamment les travauxde l’Assemblée la veille] je satisfaisais certes à une exigence juridique , maisje répondais aussi, je le crois, à une exigence fondamentale d’ordre humain et moral » 49.

Ces deux composantes du devoir telles que ressenti par le Préfet illustre bien ce que l’onpeut appeler la responsabilité politique : un mélange de « législatif » et de bonne conscienceenvers les administrés. Ce qui est d’autant plus vrai pour les Préfets puisqu’ils exercentleurs fonctions étatiques au niveau local.

b- La concrétisation de ses pouvoirs

44 Gilbert C., « Traitement des risques collectifs et action des préfets : entre procédures formelles et pratiques réelles », dansGleizal J-J. (dir.), Le retour des préfets ?, PUG, 1995. Partie III, chap. 3.

45 Instruction Ministérielle du 5 février 195246 Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris, L’Harmattan, 1992, p.21547 Ce n’est que plus tard, avec la Loi du 22/07/1987 « relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt

contre l’incendie, et à la prévention des risques majeurs », que le préfet est légalement reconnu comme autorité compétente en matièrede prévention des risques et d’organisation des secours quand un certain seuil de gravité et de complexité est atteint.

48 Gilbert Claude, Zuanon Jean-Paul, « Situations de crise et risques majeurs : vers une redistribution des pouvoirs ? » dansPolitique et Management Public, Vol.9, n°2, 1993. p. 6349 Archives Départementales de l’Isère (A.D.I), 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre »,

sous-dossier « La Catastrophe de Feyzin, 5 janvier 1966 », « Déclaration au Conseil Général »

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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(4) La zone industrielle de FeyzinLe 4 janvier 1966, le préfet de l’Isère, monsieur Maurice Doublet, est une des premières

personnes à être informée du sinistre. La remontée de l’information semble s’être effectuéede la manière suivante : dès le que le poste des douanes de la Raffinerie a été informé de lafuite de gaz, il a alerté, à (h05 la brigade de Gendarmerie de Saint Symphorien d’Ozon (quia déclenché l’appel des secours et fait couper l’autoroute), et puisqu’étant une communede l’Isère aussi (le chef-lieu de canton), ellena ensuite prévenu la

Compagnie de Gendarmerie de Grenoble. Celle-ci a ensuite relayé au Préfet de l’Isère(les informations sur le déroulement des faits, jusqu’au mardi 5 janvier au soir50.

Le 4 janvier donc, à 9h00, le Commandant de la Compagnie de Gendarmerie deGrenoble informe la Préfecture de « l’incendie survenu à 7h15 » dans une « boule de réservede gaz », et que les services d’incendie de Vienne et Lyon sont sur les lieux et que l’A7

50 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophes de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossiers « Catastrophe de Feyzin,4 janvier 1966 » et « La Catastrophe de Feyzin, 5 janvier 1966 », télégrammes par téléphone adressés par le Commandant deGendarmerie de Grenoble au Préfet de l’Isère

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et le CD 4 sont déviés. A 9h15, un deuxième télégramme annonce l’«explosion» qui vientde se produire, et dit qu’il y a de nombreux blessés, que de nombreuses ambulances sontdemandées sur les lieux. Le préfet, qui se trouvait à l’Assemblée du Conseil Général del’Isère, est prévenu par ses services et quitte la séance pour se rendre dans un premiertemps à la Préfecture. En tant que responsable d’un service déconcentré de l’Etat, c’està lui de faire remonter l’information à Paris. Ainsi, dans un télégramme expédié à 9h55, ilinforme le Ministère de l’Intérieur (le Cabinet et le Service National de la Protection Civile) etle Ministère de l’Industrie (le Cabinet et la Direction des Carburants, gérant les implantationsdes raffineries pétrolières en France), selon les termes suivants, assez vagues :

« Une explosion suivie d’un incendie s’est produit à la Raffinerie Rhône-Alpesà Feyzin à une heure non connue avec précision ; le sinistre dont l’importancesemble grande est combattu par les moyens propres à la Raffinerie et ceux du

centre de secours de Lyon » 51 .

D’après les informations qu’il diffuse, il apparaît que le préfet n’a pris ou n’a pu obteniraucune information supplémentaire par rapport aux télégrammes qui lui avaient étécommuniqués. Ce fait tient de l’urgence, évidemment, mais aussi de problèmes techniques,comme la difficulté d’obtenir une communication téléphonique avec le centre névralgiquede la Catastrophe (la Mairie de Feyzin).

Dans ce télégramme de 9h55, le Préfet avertit aussi les Ministères que les « Servicesd’incendie de l’Isère sont acheminés d’urgence sur Feyzin ». En effet, le commandantPlantier, inspecteur départemental des Services d’Incendie de l’Isère, a décidé d’envoyerun détachement du centre de secours de l’Isère52. Cela signifie également que le Préfeta autorisé l’envoi des Sapeurs-Pompiers de Grenoble avant même de mettre en placele Plan ORSEC, qui est censé coordonner tous les secours. Il semblerait qu’au-delà desprocédures établies, l’extrême urgence appelle des prises de décisions spontanées, et afortiori pour le cas cette catastrophe d’une typologie tellement nouvelle, puisque qu’uneindustrie d’hydrocarbures étant en cause, et que le phénomène de BLEVE (« Boilingexpanding vapour explosion »), résultant de l’éclatement des parois d’un stockage de gazliquéfié53, se produisait pour la première fois.

Comme le sous-entend Claude Gilbert54, l’urgence conduit à éliminer les différentesmédiations ou transitions ; c’est un processus normal dans les sociétés démocratiques.

Le Préfet Doublet envoie ensuite un autre télégramme au Ministère de l’Intérieur pourle prévenir qu’il a déclenché le Plan ORSEC à 10h. Activer ce plan signifie, en théorie,mettre en œuvre instantanément tous les moyens de secours disponibles, que ce soit leService départemental d’Incendie, les autres secours tels que le samu, la DDASS55, et la

51 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophes de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossiers « Catastrophe de Feyzin,

4 janvier 1966 » , télégramme de 9H5552 Giraud T., Morin J., Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005 p.44.53 Chaline C., Dubois-Maury J., La ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels, sociaux et technologiques.

Paris : Masson, 1994. p19754 Gilbert Claude, Zuanon Jean-Paul, « Situations de crise et risques majeurs : vers une redistribution des pouvoirs ? » dans

Politique et Management Public, Vol.9, n°2, 1993. p. 59-75, p.6255 Pour “Service d’aide médicale d’urgence“ et “Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales“

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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police, la gendarmerie56. En fait, le Plan ORSEC ne prévoit rien, il est fait pour donnerun organigramme de commandement et un répertoire des moyens57. Il doit, pour ce quiconcerne l’organisation en temps de crise, prévoir des procédures et moyens pour alerter lescollectivités locales concernées et des procédures et moyens pour alerter les populations,et bien sûr prévoir les modes d’actions à mobiliser en cas de crise, notamment pour portersecours aux victimes, protéger les populations, les biens, gérer les infrastructures, lespénuries, etc58. Le préfet intervient en tant que « responsable opérationnel » du SDIS59, carcela lui permet de mobiliser des moyens dépassant le cadre de la commune pour les mettreà disposition du maire60. La préfecture est le poste de commandement fixe, tandis que leposte de commandement opérationnel se situe au plus près de la catastrophe, c’est-à-direen mairie la plupart du temps, comme à Feyzin.

Le pouvoir des préfets se concrétise donc par le déclenchement des plans d’urgence,le « simple » déclenchement d’un plan, et cela ne garantit même pas une gestion de crisecorrecte ; en effet, « cela ne préjuge en rien de la possibilité réelle de mobiliser les hommes

et les moyens identifiés sur le papier » 61 … Dans le cas qui nous intéresse, le doute que l’on

peut émettre sur l’utilité du Plan ORSEC tient encore plus au fait qu’il soit lancé seulementdans un souci de coller à un cadre purement formel. En effet, au moment où monsieurDoublet le déclenche, les moyens de secours de plusieurs villes, de l’Isère et du Rhône, sontdéjà à pied d’œuvre ou en route pour le lieu du sinistre ; les représentants de l’ordre sont déjàmobilisés, l’aide médicale a déjà fait son travail d’évacuation des victimes… On pourraitalors considérer que dans ce cas c’est plutôt l’aspect « coordination des moyens » qui donneson sens à la mise en œuvre du Plan ORSEC, mais en réalité, on peut se questionnersur la possibilité qu’a le préfet de coordonner les secours alors qu’il ne reste même pasen poste de commandement fixe. Effectivement, il se rend à Feyzin directement après ledéclenchement du Plan, accompagné du Commandant Plantier62. Il est certain que Feyzinétant située à 100 km Grenoble, rester là ne pouvait pas permettre d’avoir une idée précisede la situation, d’autant plus que, si les liaisons fonctionnaient très bien entre les différentsacteurs sur le lieu du drame, la préfecture, elle, avait beaucoup de difficultés à joindre le« poste de commandement opérationnel » à Feyzin. En effet, il fallait à la Préfecture 20 à25 minutes pour établir la communication63. Toutefois, on ne peut pas nier que le Préfet del’Isère a tout de même pris des mesures illustrant son rôle de décideur à travers le Plan

56 Explications succintes données dans Le Progrès du 5/01/1966, p.1557 GilbertC.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p70 (Hubert Fournier)58 Adapté de : http://previnfo.net/modules.php?ModPath=sujet&ModStart=wiki&op=aff&page=planorsec et http://

www.isere.pref.gouv.fr/sections/risques3689/risques_technologiqu/risques_industriels/59 Service départemental d’Incendie et de Secours60 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p.2961 Gilbert C., « Traitement des risques collectifs et action des préfets : entre procédures formelles et pratiques réelles », dans

Gleizal J-J. (dir.), Le retour des préfets ?, PUG, 1995. Partie III, chap. 362 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », “Inspection départementale des Services

d’incendie et de Secours, Préfecture de l’Isère“ [premier rapport établi], 11h : Le préfet de l’Isère et l’inspecteur départemental duSDIS sur les lieux.

63 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendiede l’usine Rhône-Alpes. Page 6

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ORSEC ; depuis Feyzin, par exemple, il réquisitionne un escadron de gendarmerie mobileet deux pelotons de gendarmerie avec comme motif le maintien de l’ordre à Feyzin64.

A Grenoble, c’est le cabinet du Préfet qui doit gérer d’une part l’affluence des missives–condoléances, hommages, offres de dons-, arrivant de toute le France, essentiellementd’Hommes politiques, hauts-fonctionnaires, Services de secours65 ; et d’autre part l’arrivéedes informations sur la « situation » à Feyzin, transmises par les télégrammes téléphonésde la Compagnie de Gendarmerie de Grenoble, à 10h25, 11h30, 16h, 20h30, 21h3066. Ilsannoncent, successivement, les évènements de la journée : explosions suivantes, fait qu’ily aurait « une cinquantaine de blessés ou tués », nombre de sphères en feu, le bilanprovisoire dans les hôpitaux, les mesures prises pour les habitants de Feyzin, les morts quis’ajoutent à la liste.

Parmi les informations transmises, l’une d’elle tend à confirmer l’insignifiance apparentedu déclenchement du Plan ORSEC : dans le télégramme de 10h25, le Commandantde Gendarmerie indique que le sous-préfet [ndrl : monsieur Gilles, sous-préfet del’arrondissement de Vienne] est sur place et qu’il « demande le déclenchement du PlanORSEC ». Or, le Préfet lui–même avait prévenu le Ministère de l’Intérieur qu’il avait étédéclenché à 10h. Il apparaît donc que les personnes présentes sur le lieu de la Catastrophen’étaient pas au courant, ce qui, somme toute, semble un peu aberrant, puisque face àl’urgence de la situation elles ne savaient pas si l’administration répondait à leurs besoinsou non.

Les dispositions du Plan ORSEC seront « levées le vendredi 7 janvier à 16h, par lesous-préfet, pour le préfet ».67

II/ Représenter l’ « Etat local »… ou l’importance d’être omniprésentLe préfet au cœur de la communication entre les acteurs de la crise.

a- Etre le relais entre l’Etat et tous les acteursEn déclenchant le Plan ORSEC, le Préfet de département provoque le transfert decompétences entre le maire de la commune et lui-même, il devient donc officiellementl’autorité compétente68, prenant la gestion de la crise en main. Son autorité lui donnela faculté –théorique- de pouvoir fédérer tous les moyens, de se poser en négociateurpour cela69. Au-delà de la mobilisation des moyens techniques, administratifs, il devient le

64 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », Réquisitions du préfet adressées auCommandant de la 8ème Région Militaire et au Commandant du groupement de Gendarmerie de l’Isère.

65 Cf. A.D.I, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier “Catastrophe de Feyzin, 6 au 9 janvier“,“Direction des Renseignements Généraux“, objet: Catastrophe de Feyzin, 6/01/1966

66 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier « Catastrophe de Feyzin, 4janvier 1966 »

67 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier « Catastrophe de Feyzin, 4janvier 1966 », Direction Renseignements Généraux.68 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble. p.3069 Gilbert C., « Traitement des risques collectifs et action des préfets : entre procédures formelles et pratiques réelles », dans GleizalJ-J. (dir.), Le retour des préfets ?, PUG, 1995. Partie III, chap. 3, « Processus de négociation »

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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négociateur officiel entre les différents acteurs présents dans la crise post-accidentelle, etpar conséquent l’interlocuteur principal d’un réseau qui se construit spontanément.

Son premier devoir est de rendre compte à l’Etat central de la situation sur le terrain.On peut voir que cela revêt une grande importance car, ayant passé la plus grande partie dela journée du 4 janvier à Feyzin, le Préfet de l’Isère retourne à la préfecture le soir et remplitses obligations en rédigeant un premier rapport de synthèse des évènements, qu’il envoiepar télégramme aux Ministère de l’Intérieur, Ministère de l’Industrie et Premier Ministre,à 23h1570, ce qui semble tard, surtout dans l’Administration. Cela confirme que le Préfetidentifie la crise en tant que telle, si l’on part du principe qu’il y a crise « lorsque la normalité,c’est-à-dire l’administration quasi automatique de la réalité, est suspendue » 71 . Les jourssuivants, il continue de rendre compte aux ministères des évènements liés à la Catastrophede Feyzin, notamment l’état de l’incendie (qui ne sera éteint complètement éteint que dansla nuit du 6 au 7 janvier72), l’état des blessés et les nouveaux décès, l’enquête judicairelancée par le Parquet de Vienne, des mesures décidées pour l’aide aux sinistrés.73

La communication entre Etat local et Etat central n’est pas à sens unique, évidemment,et l’on peut voir que le Préfet est perçu comme l’autorité par qui toutes les informationsofficielles doivent transiter, même quand il ne s’agit pas de ses propres actions. Ainsi, le6 janvier à 14h15, il est avertit par un message des Renseignements Généraux que leMinistre de l’Industrie et du Commerce, M. Michel Maurice-Bokanowski, « est arrivé en finde matinée à Feyzin, a visité les lieux du sinistre et tenu une conférence de 10 minutesdans les bureaux de la Raffinerie ». 74 Une autre illustration du rôle centralisateur du Préfetest le fait que le Ministre de l’Intérieur, M. Roger Frey, mette « à disposition du Préfet »,deux délégations de crédit, l’une de 50 000F, pour le secours d’urgence des sinistrés, l’autrede 5 500F, pour les familles des victimes sans régime d’indemnisation75. Ainsi, c’est lui quidevra décider avec la municipalité de Feyzin des modalités d’attribution des aides. C’est enfévrier que le Préfet écrit au Maire de Feyzin pour le prévenir du versement du premier tiersprévisionnel aux sinistrés76

Justement, le deuxième interlocuteur privilégié du Préfet de l’Isère dans cette gestionde la crise est le maire de Feyzin, M. Ramillier. Dès le jour de la Catastrophe, ilsétablissent un contact évidemment nécessaire, qui se prolongera pendant des mois, parcorrespondance77. La plupart du temps, le maire ne peut faire autrement que de s’adresserau préfet, puisqu’il est l’autorité compétente administrativement. Ainsi par exemple, le 11janvier le maire de Feyzin adresse une lettre à M. Doublet, lui demandant d’attacher del’importance au fait qu’il a demandé, en séance extraordinaire du Conseil municipal de

70 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier « Catastrophe de Feyzin, 4janvier 1966 » , télégramme expédié par le préfet le 4/01/1966 à 23H15

71 Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris, L’Harmattan, 1992. p.21072 Dernière Heure Lyonnaise, 07/01/1966, p.373 Cf. A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », Télégrammes des 6/01, 10/01, 14/0174 A.D.I, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier “Catastrophe de Feyzin, 6 au 9 janvier“,

Message des RG à l’attention du Préfet de l‘Isère75 Dernière Heure Lyonnaise, 06/01/1966, p.776 A.D.I, 4332W153, dossier n°4, « Correspondances avec les personnalités des différentes Administrations, Associations… »77 Principalement dans les sources suivantes : Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10 ; A.D.I, 4332W152 et 4332W153

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Feyzin le 6 janvier, que ses représentants accompagnés d’experts de son choix puissent serendre à la Raffinerie périodiquement afin de contrôler les règles de sécurité.

« Vous seul, Monsieur le Préfet, pouvez nous donner les moyens de réaliserpratiquement cette attention » 78 .

Le préfet est incontournable, et il est aussi considéré comme utile, dans ce cas, car le mairene fait plus confiance à la Raffinerie et voudrait un soutien79.

Mais le préfet doit ménager tous les acteurs80. Après d’autres demandes de la communedans ce sens, il répond, dissuasif :

« Je comprends […] votre demande tendant à l’institution, d’une commissionde surveillance de la raffinerie. Cette solution ne saurait s’appliquer que dans lecadre de dispositions générales d’ordre légal ou réglementaire. […]. Ne pensez-vous pas que seraient présentées parfois des exigences non fondées sur des

connaissances techniques indiscutables ? » 81

Ce qui semble vouloir dire que selon lui -mais peut-il dire autre chose, étant donné sonstatut ?- seuls l’Administration centrale et les Services publics intéressés sont compétents.

Mais il ne faudrait pas se méprendre ; les relations entre le préfet Maurice Doublet etle maire de Feyzin, M. Ramillier, ont été bonnes tout au long de la gestion de crise et dansson prolongement. Ils ne se sont jamais réellement « affrontés » sur un sujet. Il apparaîtque c’était plutôt une relation de confiance qui les liait ; ceci se constate particulièrementsur un dossier, celui de l’école des Razes82, l’école située en face de la raffinerie, qui a étéfermée suite à l’accident. Ainsi, le Préfet a suivi l’avancée du dossier pendant cinq mois,donnant son avis mais sans s’immiscer dans les prises de décisions, à savoir est-ce quel’Ecole devait rouvrir au même endroit ou non. Quand la décision a été prise par le ConseilMunicipal de Feyzin en Juin 1966, voici ce qu’il a répondu, alors que sa position personnelledivergeait :

« Je m’empresse d’accuser réception de la délibération […]. Je prends acte decette décision qui met un point final aux discussions menées sur ce sujet depuisplusieurs mois. Je demande d’autre part à M. le Directeur Général de la SociétéRhône-Alpes d’accueillir avec bienveillance les demandes que vous serez amené

à lui présenter. 83 »

Gilbert et Zuanon84, dans leur analyse des relations entre préfets et élus locaux, nousdisent que ces deux pôles de pouvoir apparaissent « souvent tendus et caractérisés

78 A.D.I, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier “Catastrophe de Feyzin, 6 au 9 janvier“79 Dans la même lettre : « La population et le Conseil Municipal ont évidemment perdu confiance envers les déclarations des dirigeantsde la Raffinerie et par conséquent ne peuvent se contenter des affirmations qui seront prodiguées par eux ».

80 Il sera question dans la Deuxième partie du Mémoire de la défense des intérêts industriels par l’Etat.81 Archives Municipales de Feyzin, SérieI, 5I4-10, dossier “Préfecture de l’Isère, Sénat, Ministère de l’industrie“, Lettre du

Préfet de l’Isère du 8 avril 196682 Dont il sera question dans le deuxième chapitre de cette partie

83 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“84 Gilbert Claude, Zuanon Jean-Paul, « Situations de crise et risques majeurs : vers une redistribution des pouvoirs ? » dans Politiqueet Management Public, Vol.9, n°2, 1993. p. 70

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par de fréquentes velléités de grignotage des compétences respectives de chacun etvraisemblablement par de laborieux arbitrages ». Or, à Feyzin, cela n’a pas été le cas, mêmesi arbitrage il y a eu.

Le Préfet reste également un interlocuteur privilégié de la Raffinerie, ou plusexactement de messieurs Delapalme, Directeur général de la Société Rhône–Alpes, etBerthelet, Directeur de la Raffinerie de Feyzin. Il « le reste » dans le sens où il l’a toujoursété, depuis l’implantation de la raffinerie. Dans un échange de courrier avec M. Delapalme,au mois de janvier 1966, où le préfet dit en substance au Directeur de ne pas s’inquiéter, qu’iln’est pas responsable de ce qui s’est passé. Les termes employés sont tels qu’ils laissententrevoir une certaines complicité entre les deux hommes85. De même, le Président de laSociété Rhône–Alpes, M. André Martin, lui adresse le 10 janvier une lettre dans laquelle ilfait part de son affliction face à la Catastrophe qui vient de se produire, et il lui fait aussi part

de sa « gratitude pour le très grand soutien que [son] amitié agissante a apporté » 86 . Il

parle en l’occurrence du fait que le Préfet, lors de la rencontre à la Raffinerie avec le Ministrede l’Industrie le jeudi 6 janvier, a montré son soutien à la direction de l’usine, n’émettantaucun doute sur les questions de sécurité. Mais, au-delà de cette entente, les échangespouvaient et devaient aussi être plus formels, surtout en temps de crise.

Illustration (5)Par exemple, le jour du drame, la Préfecture a brièvement questionné « la Raffinerie »

87afin d’avoir un peu plus de précisions sur ce qui avait déclenché la fuite et sur le

déroulement des évènements.Enfin, le Préfet tient également à entretenir de bonnes relations avec le département

voisin du Rhône afin que la gestion administrative se passe au mieux. Ainsi dans saDéclaration au Conseil Général de l’Isère le 5 janvier, il s’exprime en ces termes : « Jetiens à remercier M. Ricard, Préfet du Rhône, pour la part qu’il a prise personnellement et àtravers les services publics du département du Rhône, à nos problèmes et nos angoisses »

85 A.D.I, 4332W153, dossier n°4 « Correspondances avec les personnalités des différentes Administrations, Associations… »86 A.D.I, 4332W154, dossier « Sapeurs-Pompiers, Obsèques, Victimes, Félicitations »87 « Questions posées à la Raffinerie », dans A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre »,

sous-dossier « Catastrophe de Feyzin, 4 janvier 1966 »

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88. Soulignons tout de même qu’employant ces pronoms possessifs il fait de la Catastropheun problème uniquement Isérois.

b- … ce qui va de pair avec une présence sur tous les frontsComme nous l’avons déjà vu, le matin de la Catastrophe, le Préfet se rend à Feyzinaprès avoir activé le Plan ORSEC. Pour lui il est essentiel d’être présent sur les lieux pourgérer au mieux la crise post-accidentelle. Quand il arrive à Feyzin il met en place un PCopérationnel avancé dans l’enceinte de la raffinerie, où les responsables des secours etofficiers pourront accéder librement et prendre des décisions, puis il se rend en mairie poursuivre le déroulement des opérations et l’arrivée des autres secours depuis la mairie deFeyzin, où il est accompagné des conseillers municipaux, du Sous- Préfet de Vienne M.Gilles, du député-maire de Vienne M. Chapuis89. Son rôle est d’autant plus important quele maire a été blessé et ne reviendra qu’en fin de journée de l’hôpital90. Le préfet tientégalement à s’assurer personnellement de l’Etat de la situation en survolant en hélicoptèrela Raffinerie, encore soumise aux flammes, en fin de journée. Après cela, il donne une brèveconférence de presse en compagnie de M. Delapalme91. Dans cette première déclarationofficielle, diffusée au journal de 20h à la télévision, il précise le bilan des victimes, et salue ledévouement des sauveteurs, et rappelle que tous les secours possibles ont été mobilisés,de Lyon, Vienne, Grenoble, et aussi des renforts de Paris et Marseille92.

Nous avons également pu noter que le soir même le Préfet se trouve à la préfecturepour faire son rapport ; les jours qui suivent, quand il s’y trouve, c’est pour gérer et dispatcherles informations relatives à la Catastrophe.

Dès le lendemain de la Catastrophe, il retourne à l’Assemblée du Conseil généralà Grenoble. On suppose donc que pour lui il était important de garder contact avec sesconseillers généraux, certainement afin d’avoir leur appui, et de leur donner sa vision dela Catastrophe. Dans la déclaration qu’il fait93, il rend bien sûr hommage aux victimes età la solidarité déclenchée par le drame, mais il parle également en tant que défenseur del’Etat, en anticipant les conséquences politiques de la Catastrophe94. Un autre passage dudiscours laisse dubitatif : en effet il dit que ses premiers mots vont au corps ses sapeurs-pompiers de Vienne « qui a eu la lourde charge du premier contact ». Etant donné que celaest faux, puisque les pompiers de Lyon ont été appelés en premier, cherche-t-il à mettreen avant les Isérois pour provoquer une émotion plus particulière (si ce n’était pas déjà lecas), ou fait-il une simple erreur ?

Le préfet de l’Isère remplit ensuite ses fonctions très officielles puisqu’il doit organiserla cérémonie de « levée des corps ». C’est lui qui, par de nombreux télégrammes, formuledes demandes au Ministère de l’Intérieur (Sûreté Nationale) afin d’obtenir la mobilisation

88 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier « Catastrophe de Feyzin, 4janvier 1966 »89 Le Progrès, 5/01/1966. p.290 Ramillier Bernadette, Chroniques de Feyzin, Tome I « Vie Publique », « 1966, L’année horrible », p.288-29391 Dernière Heure Lyonnaise, 5/01/1966. p.492 Le Progrès, 5/01/1966. p.15

93 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », sous-dossier « Catastrophe de Feyzin, 4janvier 1966 » , « Déclaration au Conseil, 05/01/1966 »

94 Nous verrons mieux ces considérations dans le chap.3 de cette partie

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de sections de CRS pour le Service d’honneur des obsèques à Feyzin95. C’est ensuite lui,aux côtés du Ministre de l’Industrie, qui dirige cette cérémonie de levée des corps qui setient à la mairie de Feyzin le vendredi 7 janvier96, avec toutes les dépouilles des victimesde la Catastrophe, douze à ce moment-là. Le Préfet fait un discours poignant, exaltant lagrandeur des sauveteurs, et souhaitant que ce drame serve de leçons97. Ce même jour, lesvictimes sont citées à l’Ordre de la Nation98.

(6) Levée des corps à FeyzinLe préfet de l’Isère revient par la suite sur les lieux de la Catastrophe pour participer à

la résolution des problèmes qui lui sont directement liés. Ainsi le 12 janvier il fait une visiteà la Raffinerie, en compagnie des représentants de l’usine, du sous-préfet de Vienne etdu Maire de Feyzin. Tous se rendent ensuite à la Mairie pour discuter des questions desécurité autour du périmètre de la Raffinerie99. Peut-être est-ce une coïncidence, mais ensa présence, « M. Delapalme donne l’accord de principe pour le déplacement des sphères

détruites » 100 , alors que la municipalité ne l’avait pas encore obtenu jusque là. Le 18

janvier, le préfet revient également pour visiter les installations de la Raffinerie, remises enservice101.

95 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, 6 janvier au 9 janvier », lettres à la Sûreté Nationale96 Dernière Heure, 08/01/196697 Cf Annexe N°2.98 Journal Officiel de la République Française du 7 janvier 196699 Registre des délibérations du Conseil municipal de Feyzin, 1D11 (du 8/10/1958 au 28/11/1967), Réunion du 12 janvier 1966100 Registre des délibérations du Conseil municipal de Feyzin, 1D11, Réunion du 12 janvier 1966101 Registre des délibérations du Conseil municipal de Feyzin, 1D11, Réunion du 21 janvier 1966

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Après avoir suivi le préfet, qui est très mobile dans sa gestion immédiate de la crise,voyons maintenant le rôle que doit jouer un maire dans de pareilles circonstances, etcomment s’en est acquitté le maire de Feyzin.

Chapitre 2 La mobilisation sans faille du maire de lacommune sinistrée

I/ L’autorité locale la plus proche des Feyzinois

a- Des fonctions traditionnelles bien rempliesLe maire d’une commune, en tant que représentant de l’Etat en sa commune, a depuis1884102, d’importantes responsabilités en matière de sécurité103. Dans le cadre de la policemunicipale qui a pour objet d'assurer « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubritépubliques », un maire, en 1966, avait bien compétence pour « prévenir par des précautionsconvenables les accidents et fléaux calamiteux […] » sans en avoir vraiment les moyens104,et il devait aussi « pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et,s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure » 105 . Bien que lepréfet, en tant qu’autorité supérieure, ait pris les choses en main en raison de l’ampleurde la Catastrophe, cela ne remet en cause la responsabilité traditionnelle du maire106 ;objectivement, ce sont les communes qui sont directement concernées quand il y a unaccident. Etant clairement les élus de la population, les maires doivent protéger les intérêtsde celle-ci, et ils sont donc conduits à être très présents en temps de crise107.

Dès les premiers temps de la Catastrophe, ce 4 janvier 1966, le maire se mobilise.D’après le récit qu’il fait le soir même, à 7h15 il a entendu l’alarme de la Raffinerie et décidéde se rendre dans la cour de la Mairie qui surplombe l’autoroute et la zone industrielle ; delà il a vu la nappe de gaz en feu et des hommes en train de la combattre, propane ; il ditqu’à 8h00 il a entendu la première explosion pendant qu’il était au téléphone - alors quel’explosion s’est en réalité produite à 8h45-, il explique ensuite qu’il s’est rendu à la Raffinerieà 8h40 avec son adjoint, M. Caillat, pour savoir si la population devait être évacuée, et qu’ilsont été projetés par l’onde de choc par la seconde explosion108 -qui en réalité s’est produitvers 9h10. L’inexactitude du récit n’est certainement pas intentionnelle est doit être due àla confusion régnant pendant cette journée. De plus, M. Ramillier a été légèrement brûlé,

102 C’est la loi républicaine (Jules Ferry) du 5 avril 1884 qui fixe les dispositions fondamentales du Code des communes103 Chaline C., Dubois-Maury J., La ville et ses dangers : prévention et gestion des risques naturels, sociaux et technologiques.Paris : Masson, 1994. p.160104 Qui seront réellement apportés par la Loi du 22 juillet 1987 « relative aux risques industriels », qui lui donne des responsabilitésen matière d’urbanisme105 Art. L131-2 du Code des Communes, qui a déjà été cité dans le Chap.1106 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p.26 (Hubert Fournier)107 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p. 223. Analyse : sinon, ne serontpas réélus

108 Dernière Heure, 5/01/1966, “Un récit du maire de Feyzin“

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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et ne peut regagner la mairie que le soir, tandis que son adjoint a été plus sérieusementblessé et restera plusieurs jours à l’hôpital109.

Comme le dit Claude Gilbert, « est légitime, particulièrement légitime, celui qui par sesfonctions est garant de la sécurité collective ou qui, à l’occasion de situation périlleuses,apparaît comme tel par ses actes ». Il y a un lien étroit « entre l’octroi de légitimité etla défense contre les dangers externes » 110 ; M. Ramillier, de par ses actions et sonimplication, est l’illustration de cette affirmation de légitimité.

L’Autoroute A7 entre la Raffinerie et Feyzin

Tenir hors de danger la population est la priorité immédiate de la Municipalité, etcela passe par l’évacuation de Feyzin le bas111, très exposé aux explosions. Alors que lapopulation évacue d’elle-même les lieux après la première explosion, dans la précipitationet la panique, en affluant vers la place de l’Eglise, vers la Nationale 7112 ; c’est aprèsla deuxième explosion que les CRS transmettent par radio l’ordre d’évacuer, aprèsconsultation avec les conseillers municipaux. Il est aussi demandé à la population nonévacuée d’aider les sinistrés (par exemple avec des couvertures, etc)113. La mairie se doitd’apporter le maximum de secours à ses habitants.

109 Ramillier Bernadette, Chroniques de Feyzin, Tome I « Vie Publique », « 1966, L’année horrible », p.288-293110 Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris, L’Harmattan, 1992. p.15111 Voir annexe n°3112 CEPSP, La Catastrophe de Feyzin, s.l, 1966 p. 411, 412113 CEPSP, La Catastrophe de Feyzin, s.l, 1966 p.13

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Dès ce moment se pose la question du relogement des sinistrés et de toutes lespersonnes ne pouvant pas retourner chez eux ; la Mairie devient le point de ralliement deshabitants qui cherchent des solutions ; elle reçoit également des dizaines de propositionsd’hébergement par télégramme, dans un élan de générosité incommensurable114. Le travailest d’attribuer des places, dans les villes voisines, comme Saint Symphorien d’Ozon,Saint Fons, Vénissieux, Corbas, que ce soit dans des foyers, associations, chez desparticuliers115… Le soir même, 202 victimes qui ne peuvent retourner chez elles sontrelogées, les 5 et 6 janvier 43 foyers de plus sont à l’abri, et il en reste ensuite 11 à placer116,alors que les solutions sont trop nombreuses. La plupart des autres personnes habitant prèsde la Raffinerie ont trouvé des solutions d’hébergement par elles-mêmes, dans leur famille,chez des amis de voisins, etc. Elles ne sont retournées dans leurs foyers que deux joursplus tard, quand la situation était sûre117.

La Mairie devient donc également dans le courant de l’après-midi et jusqu’au lendemainun point de ralliement des habitants qui cherchent des nouvelles de leurs proches. Ainsi,la porte de la mairie se transforme en tableau de petites annonces, où les personnes serassurent ou bien cherchent quelqu’un118.

114 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, dossiers « personnes relogées », « Indemnisations/coûts », « comité dedéfense des Razes + Syndicats »

115 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, dossiers « personnes relogées »116 Ramillier Bernadette, Chroniques de Feyzin, Tome I , « 1966, L’année horrible », p.288117 Giraud T., Monin J., Feyzin, Mémoires d’une catastrophe, Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005, « Témoignages »118 Dernière Heure, 5/01/1966 « La nuit du silence et de la peur »

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(8) La porte de la Mairie, aujourd’hui

La Mairie reçoit également, outre les condoléances119 des officiels et de toute lapopulation française, les manifestations d’admiration ou de compassion pour les victimeset sinistrés, des offres d’hébergement, de prêt de matériel, et de nombreux dons120. Cesdons, environ 1200, proviennent de toutes les couches sociales de la population, departiculiers, d’Instances gouvernementales ou administratives, d’associations, de sociétés,de Compagnies de Sapeurs-Pompiers, etc. Les collectivités représentent 60% du total desdons, qui s’élève à plus de 100 000F (la moitié venant du Ministère de l’Intérieur); lessommes données par chacun sont modestes ou conséquentes, oscillant en général entre50 et 1000 F121. La moitié des dons provient de la région Lyonnaise, dans laquelle on inclutles communes du Rhône et de l’Isère.122

Face aux exigences de relogement des victimes, à la nécessité d’aider les sinistrés etdonc de répartir les dons ainsi que l’aide du Gouvernement, il apparaît comme nécessaired’organiser un comité gérant ces questions à temps plein. Jusqu’au 11 août, ce sont lesconseillers municipaux, surtout Mme Marie-Jo Sublet et M. Paglia, qui établissent les listesde sinistrés, gèrent les demandes de relogement, de réparations, etc.123 En séance duConseil Municipal du 11 janvier, on décide de « constituer officiellement » le « Comitéde Secours aux Sinistrés »124, qui inclut M. le Maire, cinq conseillers municipaux, troisassistantes sociales et quatre représentants d’associations caritatives125. Sa principalefonction est de prélever une somme sur les fonds constitués pour les « premiers secoursd’urgence », c’est-à-dire pour les personnes vraiment dans le besoin ; ensuite il s’agirade trouver la répartition la plus équitable pour le reste des fonds, même si « en aucuncas le comité ne se substitue aux organismes responsables : raffinerie, assurances, qui

doivent dédommager les dégâts matériels » 126 . Les dossiers sont suivis de manière très

précise et approfondie127, tandis que la Mairie fait également le relais entre les demandesd’indemnisation et réclamations des habitants de Feyzin et la Raffinerie ainsi que lescompagnies d’assurances128.

Maintenant que nous avons vu que la Municipalité remplissait bien son rôle deprotecteur envers ses administrés, voyons maintenant s’il y a une autre manière d’envisagerla mobilisation du Maire dans la gestion de la crise.

119 Cf. Le Télégramme de De Gaulle, annexe n°4120 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, dossier spécifique.121 Nouveaux Francs122 CEPSP, La Catastrophe de Feyzin, s.l, 1966. p.56, 57, 58123 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, « Personnes relogées », « Indemnisations/Coûts »124 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion du mardi 11 janvier 1966, 20h30125 Les conseillers municipaux sont : Mme Sublet, MM. Pagliz, Hernette, Curty, Perret, Martin. Les assistantes sociales sont :

Mmes Chatain et Mogniat, Melle Mezin. Les associations sont : l’Association des familles, l’Association Populaire Familiale, le SecoursPopulaire et le Secours Catholique.

126 Archives Municipales de Feyzin, Série C, « sources imprimées », Le Progrès, 2/02/1966 : « Feyzin , Comité de Secoursaux sinistrés de Feyzin »

127 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, « Indemnisations/Coûts »128 Archives Municipales de Feyzin, Série I, 5I4-10, « Indemnisations/Coûts »

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b- L’appréciation quantitative du degré d’implication du Maire après laCatastropheM. Ramillier, Maire de Feyzin, a tout de suite donné le ton. Dès le soir du 4 janvier, alors qu’ilsort tout juste de l’hôpital, le Maire revient en Mairie et fait le point sur la situation, lors d’uneréunion extraordinaire avec ses conseillers et avec le Préfet. Il est question des mesuresde sécurité à exiger de la Raffinerie, et de la situation des Feyzin, de leur relogement129.

Dans la communication que la Municipalité adresse à la Presse le 11 janvier 2006130,elle demande à ce que « tous les groupement locaux ou associations établissent le contactavec elle », car « l’unité d’action est indispensable ». Toutes les initiatives doivent passerpar elle ; ainsi, le Maire montre qu’il se pose en tant que référent principal dans la gestion« technique » de la crise liée aux effets directs de la Catastrophe. On peut supposer quepar ce biais il cherche à asseoir sa légitimité.

La Mobilisation du Conseil Municipal est ensuite exceptionnelle, en terme de fréquencedes séances, durant le mois de janvier. Alors que d’ordinaire les réunions du ConseilMunicipal se tenaient toutes les deux semaines environ131, ici le Maire et ses fidèles necomptent plus leurs heures.

En dehors du temps passé à régler les aspects technique, administratif avec laRaffinerie, la population, la Préfecture, etc., ils mesurent la nécessité d’établir plusfréquemment des moments de prise de décision. En effet, la gestion quotidienne de la vie dela commune, en temps de calme, ne nécessite pas que l’on prenne des décisions tous lesjours, justement. En revanche, face au « désordre »132 qui vient rompre l’équilibre –certesimparfait, mais gérable- de l’administration, prendre des décisions dans l’urgence est sansdoute perçu comme l’unique moyen d’assumer sa responsabilité politique.

C’est ainsi que se réunit le Conseil Municipal le 6 janvier 1966, pour la première foisaprès la Catastrophe, en séance extraordinaire133. Il « s’incline respectueusement devantles courageux héros victimes du devoir », exprime sa reconnaissance envers les autressauveteurs et les brûlés, mais surtout il s’adresse à la Raffinerie, d’un ton assez remonté.Les verbes utilisés, la formulation des phrases, traduisent son souhait de démontrer uneforte autorité. Ainsi, dans l’énumération de ses exigences, le Conseil Municipal,

« exige que toute la lumière soit faite sur les causes de la Catastrophe, causesimmédiates et lointaines » ; il emploie ensuite l’expression « il est de notredevoir d’exiger qu’à l’avenir les règles de sécurité soient la préoccupationn°1 […] », il « attire l’attention du Gouvernement sur l’organisation descontrôles de sécurité », il « estime qu’il est nécessaire de créer un […] servicede contrôle [qui] devrait avoir les pleins pouvoirs », il « demande que sesreprésentants[…] puissent avoir accès périodiquement sur tous les points de la

129 Ramillier Bernadette, Chroniques de Feyzin, Tome I , « 1966, L’année horrible », p.288130 Registre des délibérations du Conseil Municipal de Feyzin, 1D11, Réunion du 11 janvier 1966, « Communication du mardi

11 janvier 1966 à la presse »131 Constaté dans le registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11132 Cf. Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. Vidal -Nacquet, p. 154, 155,

156.133 Registre des délibérations du Conseil municipal de Feyzin, 1D11, p.227, Réunion extraordinaire du 6 janvier 1966. Voir

annexe n°5

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Raffinerie[…] », puis il déclare : « les évènements nous permettent d’exiger que toutes les installations présentant un danger d’explosion soient éloignées aumaximum des lieux habités », enfin il « estime que la Société Rhône-Alpes [la Raffinerie], responsable des dommages causés, doit réparation immédiateà toutes les victimes ainsi qu’aux sinistrés », et « souhaite que la Raffineriedevienne effectivement un établissement modèle au niveau de la sécurité ».

Après avoir comblé ce besoin d’exprimer ses sentiments les plus spontanés et de montrerune position ferme, ce qui revient à se positionner en tant qu’acteur dans la gestion decrise en fait, le Conseil Municipal tient une autre séance le lendemain soir, le 7 janvier. Lesdiscussions sont plus brèves, il s’agit de faire le point sur les relogements et de parler « des

nombreux problèmes posés par l’explosion » 134 .

Le Maire convoque ensuite le Conseil Municipal le mardi 11 janvier, puis le mercredi12 janvier, sous la présidence du Préfet de l’Isère, le vendredi 14 janvier, le lundi 17janvier, le vendredi 21 janvier, le vendredi 27 janvier135. Ces séances sont uniquementconsacrées à la Catastrophe et à la gestion de ses conséquences. Il y est question desvisites des installations de la Raffinerie, des mesures de sécurité que la Raffinerie doitprendre impérativement, du périmètre de protection institué autour de la Raffinerie, dusecours aux sinistrés, du problème de la réouverture ou du transfert l’Ecole des Razes, desvisites à faire aux blessés, des obsèques auxquelles assister, des modifications qu’imposela catastrophe en terme d’urbanisme, dans le quartier des Razes…

Le rythme des réunions redevient ensuite normal. Il apparaît donc qu’au bout d’un moisla nécessité d’agir n’est plus autant soumise à l’urgence, et que la résolution des problèmesapparus pendant la crise se construit sur du plus long terme. Evidemment, la Catastrophede la Raffinerie ne disparaît pas des sujets de discussion du Conseil surtout pendant lesannées 1966 et 1967 (où il sera question des extensions de la Raffinerie)136.

Si, en plus de la volonté démontrée d’agir sur tous les plans, les décisions du mairesont prises avec le souci de préserver les administrés de toute autre crise de ce genre, etde se servir de la Catastrophe pour garantir un avenir plus certain, alors c’est un moyenpour lui de renforcer sa légitimité, légitimité que lui ont confiée donné les feyzinois en 1953quand ils l’ont élu137.

II/ Pour une gestion de crise efficace, le Maire se choisit des chevauxde bataille

Il ressort de notre analyse que pour sortir complètement de la crise, le maire de Feyzina déterminé très tôt deux priorités de la Municipalité, à savoir l’obtention de garantiesconcernant la sécurité de la commune par rapport aux dangers de la Raffinerie, et larésolution du dilemme concernant l’école qui se trouvait en face de la Raffinerie.

134 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion du vendredi 7 janvier 1966, 18h135 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11136 Notamment : Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, 6 juin 1966 ; Septembre 1966, Avril 1967 ; 26

septembre 1967137 http://wapedia.mobi/fr/Feyzin

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a- La sécurité de la population avant toutM. Ramillier, dès le surlendemain de la Catastrophe, montre que la réaction légitime del’élu d’une commune après un tel drame, c’est de s’assurer que cela ne se reproduisepas, et de l’exiger. Nous avons déjà pu constater cette réaction un peu plus haut à traversle procès-verbal de la séance extraordinaire tenue par le Conseil Municipal le 6 janvier1966138. Dès cet instant, il apparaît que la Municipalité attribue l’origine de la Catastropheà des mesures de sécurité défaillantes à la Raffinerie, puisqu’elle exige « qu’à l’avenir lesrègles de sécurité soient la préoccupation n°1 de la Raffinerie », ce qui veut bien dire qu’elleconsidère que jusqu’à présent ce n’étaient pas le cas. Bien sûr, le Maire n’avance pas celasans fondement, puisque des rapports sur le déclenchement du sinistre ont déjà été faits139,et qu’ils expliquent que les employés affectés à la purge de la sphère de propane le 4 janviern’ont pas suivi à la lettre les consignes et ont ainsi bloqué les vannes. Le Maire n’hésite doncpas à « accuser » la Raffinerie de responsable directe de la Catastrophe, en « [estimant] la

Société Rhône-Alpes responsable des dommages causés » 140 .

Hormis le fait de vouloir que « toute la lumière soit faite sur les causes de laCatastrophe », d’autres réclamations ressortent de cette réunion d’urgence, et les deuxprincipales sont les suivantes : la Municipalité exige qu’il n’y ait plus aucune sphère depropane ou butane dans la zone où elles se trouvaient jusqu’à présent ; et elle veut êtrepartie prenante dans les contrôles de sécurité qui seront effectués à la Raffinerie dans lefutur.

Concernant le problème des sphères, elle considère que celles-ci présentent « undanger d’explosion » et qu’elles doivent être « éloignées au maximum des lieux habités »141 .

138 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion extraordinaire du 6 janvier 1966139 Cf. notamment : A.D.I, 4332W152, « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre », Lettre du Commissaire de Police chef duservice des Renseignements Généraux au Commissaire Principal chef du service départemental des RG de Grenoble, 5/01/1966140 Toujours dans le Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion extraordinaire du 6 janvier 1966

141 Toujours dans le Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion extraordinaire du 6 janvier 1966

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(9) Les sphères endommagées

Cette demande est réitérée lors de la Réunion du 12 janvier142 qui se tient sous laprésidence de M. Doublet, le préfet, et de M. Gilles, le sous-préfet de Vienne. MonsieurDelapalme, le directeur de Rhône-Alpes, donne son accord de principe pour que les sphèresdétruites soient reconstruites mais « sans pouvoir dès ce soir s’engager pour celles qui sonten reconstruction à l’ouest ». En effet, la Raffinerie, quand est survenue la Catastrophe,était en train de monter de nouvelles sphères pour les gaz liquéfiés, dans la même zone,face au quartier du bas de la commune de Feyzin. Pour M. Ramillier, cela ne suffit pas.Dès le lendemain, le 13 janvier 1966, il adresse à la Société Rhône-Alpes une lettre143 danslaquelle il demande que tous les réservoirs de gaz liquéfiés soient « au moins déplacéesà 500 mètres au sud » de l’endroit où les sphères ont explosé, et qu’elles soient le pluséloignées possible de l’autoroute et des cuves de stockage (de pétrole). Cela « implique ladisparition des trois cuves encore utilisables », et le déplacement de celles en construction.

Le lendemain, 14 janvier, en séance du Conseil Municipal le Maire déclare n’avoir paseu la réponse de la Raffinerie (ce qui paraît normal !), et tient à réaffirmer que « la positiondu Conseil Municipal reste inébranlable », en répétant que toutes les sphères doivent être

installés « à 500 mètres de la sphère explosée la plus au sud, en direction Sud-Ouest » 144

. Le lundi 17 janvier, le Conseil Municipal déplore que qu’il n’y ait « pas encore de réponseà la lettre du 13/01/1966 à la Raffinerie » et tient à rappeler encore une fois sa « position

142 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion du 12 janvier 1966143 Archives Municipales de Feyzin, SérieI, 5I4-10, dossier « Réceptions à la Raffinerie de Feyzin »144 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion du 14 janvier 1966

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inébranlable » sur le devenir des sphères145. Le 21 janvier, la Municipalité « reste fermesur ses positions et maintient sa demande de déplacement de toutes les sphères détruites,endommagées ou en construction » 146.

Les 10 février, le maire organise une réunion de travail avec les maires des troiscommunes alentours directement concernées par les activités de la Raffinerie, c’est-à-direSolaize, Irigny et Vernaison147, qui se retrouvent de nouveau les 17 février et 4 mars148.Tous se mettent d’accord sur les thèmes sur lesquels ils doivent se faire entendre. Dans lalettre qu’ils publieront le 4 mars149, ils demandent –parmi d’autres exigences concernant lasécurité- « que tout stockage de gaz liquéfié à proximité des agglomérations soit interdit »,et « à ce qu’il soit mis fin d’urgence au montage des sphères […] en cours, défi intolérableaux populations voisines et riveraines ».

Le combat n’a pas été vain, et l’insistance du Maire a payé, car la Raffinerie envoiefinalement une lettre le 25 avril 1966 pour confirmer les dispositions prises pour les sphères,en disant qu’elles seront très vite supprimées ou déplacées de la zone sinistrée, et que lestrois dernières encore en bon état seront inutilisées150. Le fait que la réponse soit donnée aumois d’avril, soit trois mois après les demandes répétées du Maire, montre que la Raffinerien’était pas immédiatement encline à revoir son implantation, et qu’elle n’a pas peut-être pasapprécié qu’on lui dicte sa conduite.

145 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion du 17 janvier 1966146 Registre des délibérations municipales de Feyzin, 1D11, Réunion du 21 janvier 1966 à 18h.147 Dernière Heure, 11/02/1966148 A.D.I, 4332W154, dossier “Rapports Ministères, conclusion enquêtes“, rapport du Contrôleur général Beau149 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Mairies Voisines »150 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Lettres et documents provenant de la Raffinerie »

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(10) La raffinerie, symbole de la villeCette attitude a peut-être pesé dans la balance par la suite. En effet, même si la

Raffinerie a continué à transmettre à la Mairie de Feyzin toutes les informations susceptiblesde l’intéresser, telle que la reprise de l’activité propane et butane une fois les contrôlesnécessaires effectués,151 la Municipalité n’a pas pour autant retrouvé confiance envers laRaffinerie. Ainsi, quand la Mairie prend connaissance des dossiers de projet de constructionet d’enquête Commodo et Incommodo152 pour l’extension de la Raffinerie en septembre1966153, les termes qu’elle emploie sont les suivants :

151 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Lettres et documents provenant de la Raffinerie », lettre du 27/09/1966152 Enquête préalable auprès de la population et des services administratives pour recueillir les avis sur les avantages et les

inconvénients, avant l’implantation ou l’extension d’une installation classée. Démarche instaurée par le Décret Impérial du 15 octobre1810, relatif aux “manufactures et ateliers qui répandent une odeur insalubre“. Voir l’annexe n°6

153 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, Date exacte illisible

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« L’administration ne semble pas avoir pris conscience de la situation difficiledans laquelle se trouve la Commune et de l’état d’esprit de ses habitants. LeConseil Municipal ne peut donc qu’émettre un avis défavorable ».

Et de même, lors de la séance du 26 septembre 1967154, quand il doit répondre à l’enquêtecommodo et incommodo concernant l’exploitation par la Raffinerie de deux réservoirs destockage de propylène, le Conseil Municipal réserve son avis et demande à avoir plus d’avisdes services compétents sur les conditions de sécurité, car « il est nécessaire de limiter aumaximum les risques ».

Comme il a été dit, la deuxième exigence qui semblait très importante aux yeux de laMunicipalité de Feyzin était de faire partie intégrante des autorités qui allaient effectuer lescontrôles futurs en matière de sécurité à la Raffinerie Rhône-Alpes. Dès le 6 janvier, leMaire « demande que ses représentants accompagnés d’experts de son choix puissentavoir accès périodiquement sur tous les points de la Raffinerie et de ses filiales pour vérifiersi toutes les règles de sécurité indispensables sont bien observées » 155 . Le Maire et sesconseillers municipaux participent ensuite à la visite officielle de la Raffinerie en compagniedes directeurs et des autorités préfectorales, le 12 janvier156, et ils font aussi partie d’unecommission qui visité l’usine le 18 janvier, avant la reprise des ses activités de raffinage157.

Mais ces visites purement formelles servant à constater que la situation revenait à lanormale n’étaient pas suffisantes pour la Municipalité de Feyzin, qui voulait aller plus loin.Le 14 janvier, le Maire décide d’envoyer une lettre à toutes les commissions intéressées parla Catastrophe pour leur exprimer sa confiance et (surtout) leur demander s’il peut être tenuau courant de l’évolution des enquêtes158. Les commissions concernées sont nombreuses,il est vrai, et le Maire s’adresse plus particulièrement au Directeur des Carburants duMinistère de l’Industrie, M. Giraud, qui produira un rapport le 24 janvier ; au ContrôleurGénéral Beau, de l’Inspection Générale du Ministère de l’Industrie, qui produira le rapportadministratif le plus poussé sur la Catastrophe et les conséquences à en tirer (terminé enmai 1966) ; à l’Inspecteur Général Adjoint de l’Administration, M. Wiehn, au Ministère del’Intérieur ; mais aussi à l’Inspecteur des Etablissements classés, au niveau des autoritésdépartementales159.

Cependant le Maire ne veut pas être seulement spectateur ; il insiste donc sur lefait qu’il souhaite la présence de la Municipalité dans les « Commissions qui surveillerontl’application des mesures de sécurité et de prévention dans la Raffinerie et ses filiales »160.Il fait part de cette volonté avec ses homologues des communes voisines. Les quatremunicipalités – Feyzin, Irigny, Solaize, Vernaison- souhaiteraient également pouvoir choisirles experts qui les accompagneraient. Malgré cette volonté affichée, le préfet, comme nousl’avons déjà vu dans le premier chapitre, les empêchera d’aller au bout de leur démarche.Dans sa lettre de réponse161, celui-ci leur explique que légalement il n’est pas possible

154 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, Séance du 26 septembre 1967155 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, séance extraordinaire du 6 janvier156 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, séance du 11 janvier 1966157 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, séance du 14 janvier 1966158 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, séance du 14 janvier 1966159 A.D.I, 4332W153, dossier n°8 « Rapports »160 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Mairies Voisines » , lettre des 4 maires, 04/03/1966161 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Mairies Voisines », lettre du préfet, 08/04/1966

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de constituer cette Commission d’une nature nouvelle, que pour cela il faudrait modifierles textes administratifs. De plus, ce qui est assez remarquable, c’est qu’il essaie de lesdissuader en cherchant à leur faire peur :

« Cette formule [ndlr : celle que souhaiteraient les élus] ne garantit nullementcontre l’éventualité d’un accident dont les élus devraient alors aussi logiquementpartager la responsabilité ».

Toujours est-il que, par peur, ou par résignation, les Maires ont abandonné cette idée ;effectivement on ne trouve plus trace d’une réitération de cette demande par la suite !

b- Le problème de l’Ecole des Razes et les multiples concertations du maireCe problème sera traité par la Mairie sans discontinuer du mois de janvier au mois de juin,voire septembre, pour la réouverture des classes.

Après les premiers jours suivant la Catastrophe, où les priorités absolues étaientd’attribuer des secours aux sinistrés et de gérer les questions générales concernant lasécurité du village, vient le moment de se demander ce qu’il faut faire des élèves de l’Ecoledes Razes. Le 11 janvier, le Conseil Municipal établit que la question de la réouverturedes classes pour les enfants du quartier des Razes est « une des plus urgentes à traiter »162. Ce problème est évidemment intrinsèquement lié à celui de la sécurité. En effet, lejour de l’accident, l’Ecole primaire, se trouvant de l’autre côté de l’autoroute et de la routedépartementale, en face de la Raffinerie, a été endommagée par l’explosion. Les dégâts(essentiellement des vitres brisées, des sols arrachés) sont seulement matériels, car fortheureusement la Catastrophe a eu lieu le dernier jour des vacances de Noël, les classesétaient donc vides. Si la question de la réouverture de l’école se pose, c’est parce que lechoc est trop grand pour songer à réintégrer les élèves immédiatement dans leur école. Demanière provisoire, après des vacances supplémentaires pour les enfants des Razes, troisclasses improvisées sont ouvertes le lundi 17 janvier, à l’ancienne mairie et dans l’autreécole primaire de Feyzin163.

Pour le maire, toute éventualité de réouverture de l’Ecole dépend des mesures prisespar la Raffinerie en termes de sécurité. Il faudra que les sphères soient complètementvidangées, que la décision d’éloignement de toutes les sphères soit prise et que le principede la Commission composée de la Mairie et de ses experts soit accepté pour envisagerde rouvrir l’école164. Les conditions n’étant pas prêtes d’êtres réunies, et cette situation nepouvant pas perdurer, la Raffinerie finance ensuite des préfabriqués faisant office de sallesde classes165.

Cette situation aussi n’étant que provisoire, il fallait que les échanges de vue et lesdécisions aillent bons train du côté de l’Administration. Il était question de savoir si l’écoledevait rouvrir au même endroit, ou si une nouvelle école devait être construite ailleurs.Le Maire de Feyzin, dans cette affaire, a dû écouter et prendre en compte les avis desdifférents services de l’Administration, de la Raffinerie, mais il était aussi confronté auxparents d’élèves, à l’avis partagé.

162 Question abordée lors de la troisième séance post-Catastrophe du Conseil Municipal, Registre des délibérations du conseilmunicipal de Feyzin, 1D11, communication du 11 janvier 1966 à la Presse

163 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, séances des 14 et 17 janvier 1966164 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, séance du 11 janvier 1966165 Archives Municipales de Feyzin , 5I4-10, dossier “Lettres et documents provenant de la Raffinerie“

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Dans un premier temps, le Directeur des Carburants estime le 4 mars que la nonréoccupation de l’Ecole est une question de bon sens, pour ne pas exposer inutilementles élèves au danger166. Dans une lettre du 21 mars adressée au Maire de Feyzin167,en réponse à l’indétermination qu’il avait formulée dans sa lettre du 17 mars168, le Préfetsuggère d’attendre de connaître les propositions officielles des solutions qui peuvent êtreapportées par de M. Delapalme, le directeur de la Raffinerie. Dans une lettre du 24 mars169,le Préfet évoque la possibilité que la Raffinerie rachète le terrain de l’Ecole dans le quartierdes Razes, et subventionne entièrement la nouvelle école. Il pensait que cette solution était« une décision dont il ne restait plus qu’à préciser la mise en œuvre ». Or, il fait part auMaire de sa surprise (« j’avoue ne plus très bien comprendre ») quant aux positions desparents d’élèves, qui lui ont fait parvenir une pétition contre le transfert de l’Ecole. Cesparents d’élèves qui au départ semblaient être contre la réouverture, comme la Municipalité.Mais selon, « la pensée des familles des Razes a été mal interprétée », d’après le sondagequ’ils ont fait170.

Autant dire que pour le Maire, la situation n’est pas simple à gérer. Le 4 avril il tientune réunion avec la Direction de la Raffinerie, et le personnel enseignant, qui estime quela situation provisoire n’est pas satisfaisante. Il ressort alors de cet échange que les courspourraient reprendre provisoirement jusqu’au 30 juin dans l’ancienne école, puisqu’aucunstockage de gaz liquéfié n’était d’actualité à la Raffinerie. La proposition est soumise à l’avisde l’Inspecteur d’Académie et au Directeur Régional de la protection civile, par lettre du 13avril171.

166 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“167 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“168 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“169 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“170 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, Lettre des Parents d’Elèves de l’école des Razes

adressée au Préfet de l’Isère le 20 mars 1966171 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, Lettre du Maire de Feyzin adressée aux Préfet de

l’Isère, Sous-Préfet de Vienne, Inspecteur d’Académie de Grenoble, Inspecteur primaire de Vienne, Directeur Général de la ProtectionCivile, Inspecteur des services de sécurité de l‘Isère

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(11)LesRazesMais ceci ne fait nullement avancer le problème qui se pose de manière définitive. Ainsi,

dans cette même lettre, adressée à toutes les autorités compétentes en la matière, il estdemandé à tous les destinataires « de bien vouloir donner leur avis sur le transfert éventuelou le maintien du Groupe scolaire à son emplacement actuel ».

L’inspecteur d’Académie répond que pour lui ce sont les considérations de sécurité quipriment, il n’est pas vraiment d’accord avec la mesure provisoire proposée, et selon lui siles parents demandent la réouverture sans condition de l’école si peu de temps après le

sinistre, c’est en « subordonnant tout autre aspect aux commodités matérielles » 172 . On

voit donc qu’il n’est pas ému par les pétitions des familles !Le Préfet Maurice Doublet, quant à lui, ne tient pas trop compte de la situation provisoire

qui est envisagée173. Il se contente de dire qu’il penche toujours du côté de l’avis du Directeurdes Carburants, défavorable au maintient. Puis, pensant que le transfert de l’école est l’issueévidente de l’affaire, il informe le Maire qu’il a déjà entrepris de demander « aux diversservices administratifs intéressés d’étudier les modalités pédagogiques, administratives,techniques et financières de l’opération » qui inclurait la Raffinerie dans le rachat et letransfert de l’école. Cependant, il laisse au maire le soin de trancher, en lui promettant qu’il« [déploiera] le même zèle à faire entrer dans les faits la solution que vous aurez retenuequ’[il n’en a mis] à réunir les conditions d’un transfert ». Ce qu’il souhaite avant tout, c’est

172 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, Lettre de l’Inspecteur d’Académie de l’Isère au Mairede Feyzin, 15/01/1966

173 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, Lettre du Préfet de l’Isère au Maire de Feyzin,15/04/1966

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une solution soit trouvée rapidement, pour que la situation soit définitive pour la rentrée desclasses 1966/1967.

M. Plantier, l’Inspecteur départemental des Services d’Incendie et de Secours de l’Isère,pense que la réouverture, même provisoire, « n’est pas souhaitable » et il est très favorableau transfert174.

Le Maire, réceptif, tient compte de ces trois réponses et par lettre du 28 avril 1966 ilinforme le Préfet de l’Isère que sa décision de transférer l’école est prise, même si ce n’est

pas « de gaîté de cœur » (sic) ; il « s’incline devant les motifs de sécurité invoqués » 175 .

Mais voilà, ça ne pouvait pas être « aussi simple ». En Mai, le Conseil de Parentsd’Elèves des groupes scolaires de Feyzin choisit d’intervenir pour réclamer d’urgence unesolution définitive176. Il semble donc que le Maire n’avait pas encore informé les personnesconcernées de sa décision ! Peut-être la regrettait-il. Le 31 mai, il organise donc uneréunion avec les parents d’élèves pour donner des explications, et leur apprendre que lasolution retenue est la construction d’une nouvelle école177. C’est alors que ces derniers,qui s’étaient montrés neutres en apparence, puisqu’ils demandaient seulement l’arrêt dela situation provisoire, prennent position contre la décision du Maire, alors que ce dernieravait déjà eu tellement de mal à faire un choix ! Les parents d’élèves prennent pourjustification l’avis qu’ils avaient prononcé le 15 janvier, où ils disaient être favorables àla réouverture si les mesures de sécurité autour de l’école sont renforcées. Ils décidentde confirmer cette position, et envoient une pétition signée par 67 familles, représentantun total de 125 enfants178. Dans cette pétition, les Parents d’élèves « repoussant toutessolutions provisoires, demandent la réouverture de l’Ecole Publique des Razes, seulesolution raisonnable et définitive ».

Le Maire, qui on le constate, est décidément très réceptif dans cette affaire, changealors d’avis. Il décide d’écouter la population, plutôt que la logique administrative. Dans unrapport que le Conseil Municipal avait rédigé le 20 mai 1966179, l’avis était le suivant : leproblème du déplacement de l’école était plus psychologique que logique, puisque dans lesfaits l’école qui se situe sur le Plateau de Feyzin « a subi des effets identiques » le jour dela Catastrophe, alors même qu’elle est plus éloignée. Le Maire semble donc penser quel’école n’est pas plus soumise au danger que le reste de la ville. Cela semble étonnant auvu de l’acharnement qui a été le sien pour défendre la sécurité tout au long de ces mois.

Toujours est-il que le Conseil Municipal se réunit le 6 juin et « décide de la réouverture

de ce groupe » 180 . Le Préfet « s’empresse » de valider cette décision181. Par la suite, le

174 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, Lettre de L’Inspecteur départemental au Maire deFeyzin, 25/04/1966

175 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“176 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, lettre du 16/05/1966, adressée au Maire177 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, Lettre du Conseil de Parents d’Elèves adressée au

Maire de Feyzin, 4/06/1966178 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“.179 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“. “Rapport sur la situation du groupe scolaire des Razes

et de son éventuel déplacement.180 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, lettre du Maire au Préfet, 11/06/1966181 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, lettre du Préfet au Maire, 15/06/1966

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Maire de Feyzin s’entretient avec le Directeur de la Raffinerie pour la mise en œuvre desnouvelles mesures de sécurité, telles qu’une butte autour de l’école, des doubles vitrages,une liaison téléphonique directe avec la Raffinerie182…

Chapitre 3 : Même au cœur d’une gestion efficace decrise, les considérations politiques ne s’effacent pas

I/ Le Préfet…ou la préparation d’une défense anticipéeLe rôle de l’Etat, dans une telle Catastrophe, est de déterminer les causes et responsabilitésdans le déroulement d’un drame, et d’en tirer des conséquences. Ainsi, pour la Catastrophede Feyzin, de très nombreuses enquêtes ont été menées183, pour un nombre non moinsimportant de rapports rédigés.

Le Préfet de l’Isère, lui, a tenu à faire son rapport avant même qu’on ne lui demandequoi que ce soit, afin d’éviter que ses compétences et son intégrité ne soient mises en doute.

a- Comment assumer ses responsabilités publiques sans qu’elles ne soientremises en causeDès le lendemain de la Catastrophe, Maurice Doublet, Préfet de l’Isère, tient à se projeterau-delà de l’évènement, pour porter le problème vers des considérations d’avenir : « n’est-ce point répondre […] à l’esprit de cette journée que de tenter de dépasser l’évènementet d’en tirer des conséquences raisonnées ». Peut-être est-ce un moyen détourné d’inciterchacun à ne pas trop se concentrer sur ce qui s’est produit dans le passé, avant d’enarriver à cette catastrophe. « Nos sociétés industrielles modernes, dit-il, sont de plus enplus dangereuses pour l’homme. Face à cette constatation, deux attitudes sont possibles,ou bien considérer qu’il s’agit là d’une rançon normale du progrès, ou bien refuser cetteévolution de notre société. Je les rejette pour ma part toutes les deux […] ». Ainsi ilsouhaite montrer qu’il se positionne de façon objective entre les exigences économiquesmenant à concrétiser de grands projets industriels, et le devoir de protéger la population. Il explique ensuite que l’Administration ne doit pas imposer des décisions unilatérales,qu’elle doit privilégier au maximum la consultation et l’information. Et il conclut : « Tel estbien le processus qui a été suivi [pour] l’implantation à Feyzin de la Raffinerie Rhône-Alpes[…] ». C’est bien pour montrer que la question n’a pas été traitée de manière abusivepar l’Etat. Notons qu’un préfet a une carrière dont il ne maîtrise en rien les évolutions ;cette carrière dépend entièrement du Ministère de l’Intérieur, il doit donc donner la meilleurereprésentation possible de l’Etat en temps de crise184.

Mais bien que le Préfet représente l’Etat, il doit, en tant qu’ « Etat local », rendre descomptes à l’ « Etat Central ».

182 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier “Ecole des Razes“, dossier “Documents divers“183 Dont les trois officiellement lancées par le Ministre de l’Industrie le 6 janvier 1966, à savoir celle de la Commission Administrativecomposée de 15 experts du Ministère du Travail et du Ministère de l’Industrie (aboutissant au Rapport du Contrôleur Général Beau),celle de l’Inspection du Travail, et celle du collège des experts judiciaires pour le parquet de Vienne184 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p.223

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En l’occurrence, il décide de lui-même d’envoyer un rapport complet à Paris sur laCatastrophe, afin que les décideurs qui auront à répondre de la responsabilité juridique del’Etat aient entre les mains toutes les informations qu’il juge nécessaires.

Ainsi, il organise une réunion –que l’on peut qualifier d’informelle au vu des proposqui seront tenus- le 10 janvier 1966, au sein de son cabinet185. Trente-deux pages deretranscription ressortent de cette réunion, en présence de nombreuses personnalités,parmi lesquelles : M. Closson, Inspecteur des Etablissements Classés de l’Isère,M. Orthlieb, Directeur départemental de la Protection Civile, M. Plantier, Inspecteurdépartemental du Service d’Incendie, M. Gilles, Sous-Préfet de Vienne, M. Pradère, de laDirection des Raffineries de Feyzin.

Le Préfet a déjà prévu d’organiser les discussions en quatre points :Avant/Pendant la Catastrophe :Comment l’arrêté a été prisComment il a été appliquéLe déroulement chronologique de la CatastropheQuelles conséquences, quelles leçons en tirerLes motivations du Préfet apparaissent clairement d’emblée : « Bien entendu, tout le

monde essaie de se défendre, les uns comme les autres […]. Je vous réunis pour préparer

un rapport d’urgence […] » 186 . Il tient donc à « monter une défense », ou du moins une

version qui sera partagée au sein de l’Administration, et qui pourra servir de bouclier encas d’attaque.

Ceci est confirmé par cette petite phrase du Préfet : « [il faut] nous mettre d’accord,parce que nous serons interrogés séparément. Ce n’est pas pour vous imposer de dire ceque vous avez à dire, mais pour ne pas être en contradiction les uns avec les autres ».187

Cela fait penser à un réseau de résistants qui vont être soumis à la torture, et qui s’assurentqu’il n’y aura pas de trahisons. Cette comparaison un peu osée tend juste à montrer que leurconciliabule peut paraître surprenant, surtout à ce niveau dans la hiérarchie administrative.

Pendant leur échange, ils essaient de mettre en avant les efforts qu’ils ont fait alorsqu’ils n’y étaient en rien obligés, pour prouver leur haute conscience professionnelle.

Ainsi, il « [voudrait] que l’on souligne les consultations extra-réglementaires qui ont eulieu avec les communes du Rhône et notamment Lyon» 188 ; cette idée est reprise dans lerapport final189, dans lequel les points abordés ont été retravaillés. Le Préfet précise donc

185 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendiede l’usine Rhône-Alpes

186 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendiede l’usine Rhône-Alpes. Page 1

187 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendiede l’usine Rhône-Alpes .Page 4

188 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendiede l’usine Rhône-Alpes Page 2

189 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris » , sous-dossier « correspondances postérieures etrelatives aux rapports », Rapport du 18 janvier de M. le Préfet de l’Isère

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que « la procédure suivie a étroitement associé les services et collectivités du Rhône et del’Isère, même lorsque la législation ne le prévoyait pas » 190.

Toujours dans le même ton, à un certain moment l’Inspecteur des Etablissementsclassés, M. Closson, explique au Préfet que lors de l’extension de la Raffinerie en 1965,il avait souligné dans son rapport que la distance de 20 mètres (entre les raffinerie etl’autoroute) n’était pas respectée, mais qu’étant donné que le règlement en cours de créationsur les raffineries prévoyait une distance moindre, il avait laissé faire. Ce à quoi le Préfetrépond : « Il faudra le souligner, et consigner sur le papier ce que vous avez fait, alors quevous n’étiez pas tenu de le faire » 191 .

Le Préfet tient, également, dans son rapport192, à montrer –avec une forte utilisation du« je »-, que c’est lui qui a amélioré le domaine de la protection contre l’Incendie en Isère.Ainsi il précise : « je ne crois pas inutile de consacrer quelques développements à l’effort quej’ai personnellement mené dans ce Département […]. J’avais pu obtenir de la CommissionAdministratives des Services d’Incendie et du Conseil Général l’adoption du principe d’unplan quinquennal d’équipement ». Cette précision n’est peut-être pas la plus appropriée,étant donné que ce sont les secours du Rhône qui doivent intervenir à Feyzin !

Dans le même temps, les autorités réunies ne manquent pas non plus de noter lesdéfaillances qui ne peuvent pas les desservir, c’est-à-dire qui ne dépendent aucunementd’eux. C’est encore un moyen de se disculper. Par exemple, M. Closson, que l’on vient deciter à propos des distances réglementaires de la Raffinerie, fait également cette remarque :« les règlements à appliquer à une Raffinerie sont extrêmement "vaseux", puisque ces

règlements n’existent pas » 193 ! De même, sur la question de l’école des Razes, le Préfet

et M. Orthlieb, de la Protection Civile, ont l’échange suivant :« - Je fais mon mea culpa parce que j’ai inauguré cette école ; mais ne croyez-vous pas que c’est une aberration d’avoir fait une école à cet endroit ? - Lesbâtiments d’Education Nationale ne sont pas soumis aux Commissions de

Sécurité. 194 »

Enfin, pour prendre un dernier exemple, quand le Préfet dit qu’on lui reproche qu’il n’yait pas eu d’exercices des Sapeurs-Pompiers de Lyon, à l’intérieur de l’usine, l’Inspecteurdépartemental Plantier lui répond qu’« il appartenait au Corps de Lyon, [en tant que] centrede premier appel, de faire le nécessaire ». Il ajoute : « quand Grenoble a un secteur àdéfendre, il fait des visites d’usines ; je ne veux pas critiquer Lyon, mais il me semble qu’ilsn’ont pas fait d’eux-mêmes ces visites ».

Il y a un autre moyen pour le Préfet de se défendre de toute accusation éventuelle, c’estde cacher sa responsabilité juridique derrière celle de l’Etat.

b- L’Etat utilisé comme moyen de se protéger190 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris » , sous-dossier « correspondances postérieures et

relatives aux rapports », Rapport du 18 janvier de M. le Préfet de l’Isère. Page 4191 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendie

de l’usine Rhône-Alpes. Page 3192 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Rapport du 18 janvier 1966193 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Rapport du 18 janvier 1966. Page 3

194 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Rapport du 18 janvier 1966. Page 6

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Le préfet, c’est l’Etat, mais le préfet préfère dissocier l’entité du service déconcentré et lepouvoir « d’en haut » quand il s’agit de responsabilités juridiques qui peuvent être soumisesà la controverse, comme dans le cas de Feyzin…

Si la responsabilité des autorisations délivrées aux Etablissements industriels incombeaux préfets depuis 1852195, c’est avec la Loi du 17 décembre 1917 « relative auxEtablissements dangereux ou incommodes196 », que l’on a instauré que la responsabilité

des autorisations pour les Etablissements de 1ère et de 2ème classe (les plus dangereuxou contraignants) revenait au Préfet de département et aux Inspecteurs des Installationsclassés197.

Le Préfet de l’Isère est bien l’autorité qui a délivré l’autorisation d’implantation de laRaffinerie Rhône-Alpes de Feyzin le 20 avril 1962198. C’est M. Doublet qui occupait cesfonctions à l’époque. Il également dû, auparavant, organiser les consultations avec lescommunes et les rencontres qui se tenaient sur le thème de l’implantation de la Raffinerieau niveau régional.

Mais après que soit survenue la Catastrophe, il tient à insister sur le fait que ce faisant iln’a fait que remplir des fonctions réglementaires, après que le Gouvernement aie déjà toutdécidé, tout approuvé.

Dans le Rapport du 18 janvier qu’il transmet aux Ministères199, son titre B s’intitule :« Une Procédure juridique scrupuleusement suivie dans le cadre de la législation desEtablissements classés ». En ce qui le concerne, il fait noter que les enquêtes Commodoet Incommodo se sont déroulées en toute légalité, pendant 14 jours à compter du 5février 1962200. La Commission Consultative des hydrocarbures, avec la Commission

départementale d’Hygiène, avaient donné un avis favorable le 1er mars 1962 ;Puis c’est à l’échelon Parisien que les choses se sont décidées ; par la suite la

Commission interministérielle des dépôts d’hydrocarbures et le Comité consultatif desEtablissements Classés ont délivré un avis favorable également. M. Doublet précise, lorsde sa réunion de préparation à l’écriture du rapport, que la Commission interministérielle « a tenu une séance et [leur] a envoyé un PV », et qu’ils ont « tenu compte de cela dans

[leur] arrêté » 201 .

195 Baret-Bourgoin Estelle, La Ville industrielle et ses poisons. Les mutations de sensibilités aux nuisances et pollutionsindustrielles à Grenoble 1810-1914, Grenoble, PUG, 2005

196 Dans laquelle il est question pour la première fois de la sécurité des installations industrielles197 Massard-Guilbaud Geneviève, « La régulation des nuisances industrielles urbaines 1800-1940 » dans Vingtième Siècle,

Revue d’Histoire, n°64, oct-déc 1999. p. 53-65198 Archives Municipales d’Irigny, 5I4_03, “Raffinerie de Feyzin, 1962-1975“ Voir la reproduction complète en annexe199 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris » , sous-dossier « correspondances postérieures et

relatives aux rapports », Rapport du 18 janvier de M. le Préfet de l’Isère200 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris » , sous-dossier « correspondances postérieures et

relatives aux rapports », Rapport du 18 janvier de M. le Préfet de l’Isère. Pages 6, 7201 .D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris », Réunion du 10 janvier 1966 au sujet de l’incendie

de l’usine Rhône-Alpes. Page 2.

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Le 14 avril 1962, la Direction des Carburants, du Ministère de l’Industrie, demande parlettre au Préfet de l’Isère de prendre l’arrêté d’autorisation selon les termes spécifiques202.On voit donc en l’occurrence que le Préfet cherche à faire ressortir ces éléments, alors ques’il assumait totalement ses responsabilités juridiques, il ne mettrait pas en avant le rôle del’Etat central mais celui qui était le sien, à savoir la réunion de tous les éléments nécessairespour la rédaction de l’arrêté préfectoral d’autorisation d’implantation.

Le Préfet, lors de la Réunion du 10 janvier 1966 pour établir son rapport, montre bienqu’il ne veut pas être tenu pour responsable de la Catastrophe, de quelque façon que cesoit : « Le point principal, dit-il, le plus important, c’est de savoir qui, réglementairement,est responsable de la sécurité de l’intervention au moment où s’est produite l’explosion ».Il se trouve rassuré quand M. Orthlieb lui répond que « d’après l’arrêté, c’est le directeurde l’usine ». On voit par ailleurs avec cet échange que les textes et que les responsabilitésjuridiques elles-mêmes sont assez flous pour le Préfet.

Le Préfet Doublet se permet également de remettre lui-même en cause les règlementsde l’Administration, notamment lorsqu’il dit aux Ministères203 qu’il faudrait revoir lesdistances de sécurité entre les Installations Classées et les grandes voies de communication–sujet qui avait été évoqué avec M. Closson lors de la réunion informelle. Bien sûr, on peutvoir cela comme une volonté d’assumer sa responsabilité publique vis-à-vis des administrés,en pensant à l’intérêt général. Mais on peut aussi voir cela comme une manière un peuhypocrite de tirer son épingle du jeu vis-à-vis de l’Etat Central.

A SAVOIRQuand l’UGP, l’Union Générale des Pétroles, le Cartel qui sera l’actionnaire principal

de la Société « Rhône-Alpes », fait sa demande de construction pour une nouvelle raffinerieauprès de la Direction des Carburants le 22 juin 1961, c’est le Comité Régional pourl’Aménagement et l’Expansion du Territoire qui est chargé de la mission d’étude pourtrouver le meilleur emplacement possible. Ce Comité nomme cette étude la « MissionRhône Isère », qui est composée du Syndicat des Industries Chimiques, d’un géographede Lyon 2, et de personnalités compétentes des deux départements. En janvier 1962,le Comité désigne Feyzin comme réunissant toutes les conditions requises, surtout pourl’intérêt économique lié au fait d’être aux portes de Lyon. Il publie ensuite son rapport, intitulé« Implantation d’une raffinerie de pétrole dans la région industrielle de Feyzin »204. Lestravaux débutent en mai 1962. La Société « Rhône-Alpes » est constituée le 22 février1963, et la Raffinerie est mise en route le 9 juin 1964.

Voyons maintenant si le Maire de Feyzin a ressenti le besoin lui aussi de se défendrependant la crise et pourquoi.

II/ Un maire trop passif vis-à-vis de l’implantation de la Raffinerie etdésireux de se rattraper

a- Le maire de Feyzin : « Bouc Emissaire »202 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris » , sous-dossier « correspondances postérieures et

relatives aux rapports », Rapport du 18 janvier de M. le Préfet de l’Isère. Pages 6, 7203 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, rapports à Paris » , sous-dossier « correspondances postérieures et

relatives aux rapports », Rapport du 18 janvier de M. le Préfet de l’Isère. Partie III « Des enseignements peuvent être tirés »204 Brochure disponible aux A.D.I, 6569W42, dossier « Raffinerie de Feyzin »

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A l’issue de l’enquête Commodo et Incommodo qui a eu lieu en 1962 sous l’autorité du Préfetde l’Isère à propos d’une éventuelle implantation d’une raffinerie, le Maire de Feyzin et sonConseil Municipal ont donné un avis favorable sur le choix d’implanter la Raffinerie sur leterritoire de leur Commune205. Pour le Maire, c’était avant tout une opportunité économiquealléchante, qui devait apporter « des créations d’emplois pour les habitants de Feyzin ».

Mais aux lendemains de la Catastrophe, le Maire, en tant que responsable politique,est confronté à des attaques remettant en cause ses choix politiques

Ainsi se constitue à Feyzin un Cartel regroupant syndicats et associationspopulaires « pour la sécurité et l’aménagement de Feyzin », qui se réunit la première fois le11 janvier 1966206. Le Cartel est plus exactement composé de la C.G.T et de la C.F.D.T, detrois associations familiales populaires, de trois associations scolaires, de deux associationsd’exploitants agricole, et du Comité de défense du quartier des Géraniums de Feyzin207.Son but principal est de connaître les responsabilités « sur les évènements graves qui sesont produits », ainsi qu’il l’exprime dans la lettre envoyée au maire le 12 janvier208. Lesgroupements qui se sont mobilisés « regrettent que la Municipalité ait permis l’implantationde la Raffinerie près de la zone urbaine sans s’assurer que toutes les précautions étaientprises pour la sécurité de la population ». Ils lui reprochent également de n’avoir pas pris encompte « les différents accidents qui auraient dû alerter l’attention du Conseil Municipal ». Eneffet, le 12 juin 1965, une explosion s’était déjà produite à la Raffinerie, faisant des blesséslégers et des dégâts sur les machines et les vitres209. Voici le temps des reproches pour lemaire, reproches fondés sur le fait qu’il est le garant de la sécurité publique, au titre de lapolice administrative… mais est-ce vraiment objectif de lui adresser ces reproches ? Quepouvait-il faire concrètement pour éviter un nouvel incident, alors que la Raffinerie venaitd’entrer en service, et que les connaissances en matière de risques technologiques étaientinexistantes et ne permettaient donc pas de mettre en œuvre une réelle protection contre lesrisques? Pas grand-chose. Même le Comité Régional pour l’Aménagement et l’Expansiondu Territoire qui avait remis son étude en janvier 1962 n’avait envisagé comme nuisancespossibles que les problèmes de pollution atmosphérique, de pollution des eaux, des odeurs,qui toutefois ne devaient pas être présents, et le risque réel de pollution des sols, « peut-êtrenégligeable »210. A aucun moment il n’était fait état des risques d’incendie et d’explosion.

Le Cartel des syndicats et associations de Feyzin, outre de pointer du doigt laresponsabilité du Maire, tient aussi à formuler des exigences, comme la volonté d’êtreinformé de tout ce qui concerne les évolutions concernant la sécurité ; l’opposition à touteautre implantation ou extension d’usine dangereuse ; ou encore la demande de création

205 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, Réunion du 20 février 1962206 Dossier « Catastrophe de Feyzin » de la Médiathèque de Feyzin, lettre du 12/01/1966 du Cartel des Syndicats et des

Associations Populaire adressée au Maire de Feyzin et aux conseillers municipaux207 Dossier « Catastrophe de Feyzin » de la Médiathèque de Feyzin, lettre du 12/01/1966208 Dossier « Catastrophe de Feyzin » de la Médiathèque de Feyzin, lettre du 12/01/1966209 Dernière Heure, 06/01/1966210 A.D.I, 6569W42, dossier « Raffinerie de Feyzin », Comité Régional pour l’Aménagement et l’Expansion du Territoire,

Implantation d’une raffinerie de pétrole dans la région industrielle de Feyzin, s.l, 1962

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d’un « petit plan ORSEC » dans la commune ; mais aussi l’élaboration d’un nouveau pland’urbanisme cohérent avec la présence des industries chimiques, etc211.

Insistant, le Cartel adresse de nouveau une lettre au Maire le 15 janvier, quasimentsimilaire212.

Nous pouvons voir que le Maire est plein de bonne volonté, à travers le fait suivant :alors que le Conseil Municipal avait envisagé d’organisé une manifestation à propos dela sécurité de la Commune le samedi 29 janvier, il décide d’ajourner ce projet après unerencontre avec le Cartel et les élus communistes du Rhône213. En effet, ceux-ci ont prévuune manifestation le 3 février 1966, et le Maire « décide d’accorder son soutien à lamanifestation ». Il accepte même la condition posée par la CFDT, à savoir que « seuls lesdélégués syndicaux et du Cartel prenne la parole au cours de ce meeting ».

M. Ramillier, toujours très ouvert et tolérant, ne semble pourtant pas saisir qu’il estle « Bouc-émissaire » de ces personnes214. Le Préfet, lui, le dit pourtant clairement dansune lettre qu’il adresse au Gouvernement215 pour rendre compte de la manifestation, qui aregroupé 700 à 800 personnes Place des Razes le 3 février. Il constate que :

« Sur le plan politique, toutes les oppositions à la Municipalité se sontrassemblées avec le souci de mettre en difficulté le Maire, M. Ramillier (MRP).Sur une initiative du P.C, un " cartel " réunit les adversaires politiques du Maireet les agriculteurs auxquels M. Ramillier avait dû s’opposer dans le passé, nonseulement à propos de la Raffinerie mais sur plusieurs cas d’expropriation ».

Pourtant le maire n’a pas été un partisan acharné du choix d’implanter la Raffinerie à Feyzin ;il a été au contraire plutôt neutre, en tentant seulement de ne pas s’opposer aux volontés del’Etat, et en pensant au bien être économique de ses administrés. Ainsi, un conseiller adjointdu Maire explique que la Raffinerie s’est installée avec l’autorisation et que la Municipalité adû faire avec216. M. Ramillier, lui, déclarera plus tard : « Nous savions que que la Raffinerieétait une affaire d’Etat, appuyée par le Gouvernement. Dans ce cas, que voulez-vous quefasse le Maire d’une modeste commune ? » 217.

Nous pouvons être amenés à penser que c’est avec l’envie de se déculpabiliser et demontrer sa légitimité que le Maire s’est engagé dans le combat pour les mesures de sécurité,comme nous l’avons vu plus haut. Nous pouvons également considérer que pour menerces combats, face à la mise en cause de ses responsabilités par ses adversaires, le mairea choisi de s’allier avec d’autres élus, pour avoir un impact plus fort politiquement.

211 Dossier « Catastrophe de Feyzin » de la Médiathèque de Feyzin, lettre du 12/01/1966 du Cartel des Syndicats et desAssociations Populaire adressée au Maire de Feyzin et aux conseillers municipaux

212 Dossier « Catastrophe de Feyzin » de la Médiathèque de Feyzin, lettre du 15/01/1966 du Cartel des Syndicats et desAssociations Populaire adressée au Maire de Feyzin et aux conseillers municipaux

213 Registre des délibérations du conseil municipal de Feyzin, 1D11, Réunion du 27 janvier 1966214 Expression employée dans l’étude du CEPSP, La Catastrophe de Feyzin, s.l, 1966, p.57215 A.D.I, 4332W154, dossier n°13 « Meetings-réunions-manifestations », Lettre du Préfet de l’Isère du 04/02/1966 adressée

aux Ministères de l’Industrie, des Affaires Sociales, de l’Intérieur, et au Secrétariat d’Etat à l’Information216 Dernière Heure, 06/01/1966, p. 6217 Déclaration faite le 18/02/1970, lors du Procès de la Catastrophe à Vienne, où M. Ramillier était entendu comme témoin. L’Echoliberté, 19/02/1970

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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b- Le maire reçoit le soutien des élus locaux

1. Les autres Communes voisines de la RaffinerieLe Maire de Feyzin n’est pas le seul à vouloir des garanties à propos des mesuresde Sécurité, et cela est bien normal, puisque d’autres Communes sont limitrophes dela Raffinerie, et ont donc été fortement sinistrées par la Catastrophe. Ces Communeslimitrophes sont Irigny, située derrière la Raffinerie, de l’autre côté du Rhône, Vernaison,située aussi derrière la Raffinerie et le Rhône, mais à peine plus au Sud, et Solaize, situé,limitrophe de Feyzin, en allant vers le Sud218. Les deux premières font partie du Rhône,tandis que la troisième fait partie du même canton que Feyzin.

A Irigny, les dégâts causés ont été « considérables », ainsi qu’il en est fait mentiondans la Délibération du 8 janvier 1966219. Le nombre de déclarations de sinistres après laCatastrophe s’est élevé à 282220.

Nous avons déjà pu voir que les maires de ces Communes se sont réunis à plusieursreprises. Ainsi, le 10 février 1966, ils se retrouvent tous les quatre une première fois pourune réunion de travail ; ils décident d’une action commune, à concrétiser par une déclarationcommune sur les exigences de sécurité concernant la Raffinerie, pour l’envoyer à toutes lesautorités compétentes, afin d’être entendus221.

Le 17 février, ils se retrouvent en réunion avec le Conseil Municipal de Feyzin etle Contrôleur Général Beau, de la Commission administrative spécifique constituée parl’Inspection Générale du Ministère de l’Industrie. La déclaration est en ébauche222. Le4 mars, les élus locaux se retrouvent à nouveau, avec le Directeur des Carburants, M.Giraud, et un expert de la Sorbonne en mécanique des fluides, M. Brun. Ils obtiennentdes explications, et à l’issue de cette réunion, rédigent la déclaration définitive, comportanttoutes les exigences qu’ils ont en matière de sécurité vis-à-vis de la Raffinerie, en insistantsur « l’importance des problèmes vitaux de sécurité » par rapport au souci d’extension dela Raffinerie. Ils envoient le texte aux autorités préfectorales du Rhône et de l’Isère, ainsiqu’à tous les parlementaires et élus des deux départements, pour avoir leur appui223.

Les réponses sont très nombreuses224, les élus tiennent à souligner qu’ils ont bienpris note de leurs revendications, et qu’ils sont à la disposition des Maires s’ils en ontbesoin. Cette affluence de réponses est toutefois certainement due au fait que dansleur communication les Maires « demandent respectueusement et instamment à tous lesdestinataires […] de bien vouloir leur en accuser réception et de leur faire part des mesuresqu’ils comptent prendre […] » !

218 Indications de l’auteur219 Registre des délibérations du Conseil Municipal d’Irigny (du 05/02/1961 au 19/01/1968)220 Archives Municipales d’Irigny, 1I4_05, Cahier des déclarations des sinistrés221 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « mairies voisines »222 A.D.I, 4332W154, dossier “Rapports Ministères, conclusion enquêtes“, Rapport du Contrôleur Général Beau, remis le 5

octobre 1966223 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « mairies voisines », lettre du 4 mars 1966 des 4 maires.224 Cf. Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie » et Archives

Municipales d’Irigny, 5I4_03

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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Tout comme le Préfet de l’Isère225, le Préfet régional et Préfet du Rhône, M. RogerRicard, leur répond226. Il les assure que leurs considérations retiennent tout particulièrementson attention, et que si néanmoins, « la plupart des questions soulevées […] n’appellentde [sa] part aucune décision », il est convaincu que « dans l’Isère ou à Paris, ces gravesproblèmes sont examinés avec un minutieux souci d’éviter, par toutes les mesures ou tousles moyens appropriés, que puisse se renouveler pareil sinistre ».

Pour les maires des communes, leurs « contacts » sont cependant plus intéressants etprécieux lorsqu’ils tentent effectivement de les aider, grâce à leur statut politique.

2. L’action du Sénateur Vallin auprès de l’EtatPrenons l’exemple de ce Sénateur communiste du Rhône, Camille Vallin, maire de Givors.Il est nous permet de voir, d’une part, comment un parlementaire pouvait agir auprès duGouvernement pour aider un élu local en pleine gestion de crise, et, d’autre part, si sesactions avaient un impact. L’exemple de cet homme est d’autant plus intéressant que c’estcelui qui a manifesté le plus de volonté à aider le Maire de Feyzin et ses homologues, alorsmême qu’il était étiqueté P.C, et qu’à Feyzin c’étaient bien le P.C qui organisait les attaquescontre M. Ramillier.

Tout d’abord, avant même que les quatre maires ne fassent appel à l’aide desparlementaires, M. Vallin s’était déjà emparé de la question de la Catastrophe de Feyzinet les questions qu’elle soulevait quant aux mesures de sécurité de la Raffinerie. Ainsi,le 6 janvier 1966 il avait adressé une question orale au Gouvernement227. Il demande auPremier Ministre dans quelles conditions la Raffinerie de Feyzin a obtenu son autorisationd’implantation, et quelles mesures il envisage pour mettre fin au danger de la population decette région, pour que les raffineries aient des systèmes de sécurité à la mesure du dangerpotentiel qu’elles représentent, et pour combler « la carence quasi-totale de l’Etat » enmatière de protection civile. On peut noter que le Sénateur utilise un ton incisif et polémique.A la date du 18 mars, ce débat n’avait toujours pas eu lieu228. Cela ne l’empêche pas, àréception de la lettre du 4 mars signée par les quatre maires, de leur répondre qu’il va « dansl’immédiat s’adresser à M. le Ministre de l’Industrie pour appuyer [leur] protestation et [leurs]propositions ». Selon lui il est « scandaleux […] qu’aucun compte ne soit tenu de l’avis desmaires et de la sécurité des populations concernées » 229.

Tenant parole, le 23 mars il adresse un courrier au Ministre de l’Industrie230, dans lequelil se fait le relais des demandes des maires, concernant le retrait des sphères de stockage,et concernant de nouvelles mesures de sécurité à la Raffinerie, plus conformes -et c’estlui qui l’ajoute -, avec la nature nouvelle des dangers, que la Législation de 1939 sur les

225 Déjà évoqué226 Archives Municipales d’Irigny, 5I4_03, lettre du Préfet Ricard adressée aux maires de Feyzin, Solaize, Irigny et Vernaison,

le 11/03/1966227 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie »228 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie », lettre du Sénateur

C.Vallin à M. le Maire de Feyzin, 18/03/1966229 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie », lettre du Sénateur

C.Vallin à M. le Maire de Feyzin, 18/03/1966230 Archives Municipales d’Irigny, 5I4_03, lettre du Sénateur C.Vallin au Ministre de l’Industrie, 23/03/1966

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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hydrocarbures ne peut plus couvrir. Il n’hésite pas à s’adresser au Ministre de manièrevirulente, notamment dans ce passage :

« […] Ne devrait-on pas, avant de continuer les travaux à Feyzin, attendre que lesétudes nécessaires soient terminées ? Ce serait, je crois, une marque élémentairede sagesse et de bon sens et j’ajoute de décence, eu égard aux nombreusesvictimes de cette catastrophe. »

L’utilisation de cette amplification laisse imaginer une personnalité haute en couleur, rodéeà l’exercice du politique, qui ne craint en aucune façon d’affirmer ses opinions politiques,et n’a pas peur de bousculer le pouvoir…ce qui traduit une grande confiance en soi et enson importance politique.

Cependant, malgré cette aptitude à se faire entendre, le Sénateur ne réussit pasà provoquer des miracle en aidant le Maire de Feyzin dans sa recherche de réponsesconcrètes ; en effet, lorsque que le débat est engagé au Sénat le 10 mai 1966, le Ministre del’Industrie, au nom du Gouvernement, donne « une réponse des plus vagues », qui contientseulement « l’assurance que des mesures importantes [seront] prises pour améliorer la

sécurité à la suite d’une enquête technique dans toutes les raffineries Françaises » 231 .

Par conséquent, le 21 octobre de la même année, alors que des travaux d’extensionde la Raffinerie de Feyzin ont été menés, M. Vallin demande au Ministre de l’Intérieur, cettefois, « en quoi consistent exactement ces mesures de sécurité », et « s’il ne lui semble pasnécessaire de les faire connaître à la population et aux élus des communes intéressées »232 .

Il apparaît que les Ministères concernés n’ont pas donné suite directement à cesquestionnements, mais que les mesures de sécurité se sont tout de même améliorées à laRaffinerie, avec un mur plein la séparant de l’autoroute par exemple, ceci grâce une miseen application plus rigide des règlements.

Le Sénateur Vallin, lui, au-delà de la crise, a spontanément continué à jouer le rôledu messager de la Mairie de Feyzin et de ses attentes devant le Gouvernement. Ainsi, le12 avril 1967, il envoyait au Maire la Question écrite qu’il avait fait passer au Ministre del’Intérieur, à propos de la pollution dégagée par la Raffinerie, de plus en plus incommodantespour les habitants des alentours, à mesure que l’usine se développe233.

Nous avons vu, au cours de cette première grande partie, la gestion de la crise post-accidentelle, définie par une situation qui réclamait des secours d’urgence, de l’organisation

administrative, des assurances en termes de sécurité, une clarification de 234 laresponsabilité politique. Ce sont en tout cas les ingrédients, si l’on peut dire, de la criseissue de la Catastrophe de Feyzin. Nous avons vu également sue sur les quelques mois degestion de crise, les principaux acteurs, parce que désignés comme tels, étaient le Préfetde département et le Maire de la Commune sinistrée.

231 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie », Question écrite,21 octobre 1966

232 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie », Question écrite,21 octobre 1966, envoyée ce même jour au Maire de Feyzin

233 Archives Municipales de Feyzin, 5I4-10, dossier « Préfecture de l’Isère, Sénat- Ministère de l’Industrie »234

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Première partie : Le Maire et le préfet, acteurs locaux au devant DE la gestion de crise post-accidentelle

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Mais le risque technologique majeur conduit à des accidents qui deviennent sansfrontières, parce que leurs effets dépassent les limites des enceintes des établissements

industriels 235 . A Feyzin, cela a impliqué une crise à gérer sur plusieurs territoires, en

l’occurrence plusieurs départements, l’Isère et le Rhône. Et inévitablement, cela a entraînéune multiplication des acteurs amenés à prendre position dans la gestion de la crise. Unecrise qui est devenue administrative.

L’acteur de taille qui s’est inséré dans cette crise est un élu local, le maire de Lyon, M.Louis Pradel. Et autant dire que si le premier maire concerné, celui de Feyzin, est intervenutout naturellement et de son mieux dans la gestion de la crise, l’intervention du deuxièmeMaire, celui de Lyon, est venue amplifier la crise, ou du moins compliquer la gestion de lacrise.

235 Cf. Patrick Lagadec. dont les idées sont citées dans Le Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique,Paris, L’Harmattan, 1992 ; p.97.

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Deuxieme partie : Des argumentsadministratifs comme pretexte a desoppositions politiques

Nous allons donc pouvoir observer dans cette partie les confrontations politico-administratives entre Préfet et Elus locaux, qui se sont adonnés de manière très polémiqueau « jeu » des renvois de responsabilité, la Catastrophe ayant soulevé des controversessur deux sujets s’avérant intimement liés, à savoir la question des limites départementalesentre Rhône et Isère, et les conditions d’implantation de la Raffinerie.

Chapitre 4 : « L’Affaire Pradel », ou le face à faceentre le Maire de Lyon et le Préfet de l’Isère

En nous penchant ici plutôt sur la « forme », nous essaierons de voir comment s’est construitcet affrontement, qui illustre à lui seul les différentes complications de la gestion de crise.

I/ Les accusations de Louis Pradel et les réactions de M. Doublet

a- Le premier épisode de l’opposition

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Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositions politiques

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« L’Affaire Pradel »236débute avec les propos tenus par le Maire Louis Pradel lors de laSéance du Conseil Municipal de Lyon du 24 janvier 1966237. (12)

Il tient à revenir sur la déclaration que le Préfet de l’Isère a faite lors de la réunion quis’est tenue à la Mairie de Feyzin le 18 janvier 1966238. Ce dernier, qui avait déjà réuni descoupures de presse de nombreux journaux régionaux et nationaux commençant à associerla Catastrophe avec le problème des limites départementales à cause des pompiers de Lyonqui étaient impliqués239, avait tenu à éclaircir quelques points. Premièrement, il rappelait

que Lyon est le Centre de Secours de 1er appel pour Feyzin, et que c’est Roger Ricard,236 Ainsi qu’est intitulé le dossier par le Cabinet du Préfet de l’Isère : A.D.I, 4332W153, dossier n°6237 Archives Municipales de Lyon (A.M.L), W, base de données du B.M.O = Bulletin Municipal Officiel238 Dernière Heure, Mercredi 19 janvier 1966. p.4239 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, Correspondances postérieures et relatives aux rapports », Lettre de

M. Doublet à M. Galichon, conseiller d’Etat Directeur du Cabinet du Président de la République, avec coupures de presse jointes,19/01/1966

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alors Préfet de l’Isère, qui avait pris cet arrêté en 1953. M. Doublet ajoutait qu’en touteobjectivité, « sur l’annuaire téléphonique de Feyzin, seul le numéro des Pompiers de Lyonfigure », et qu’ « une ligne directe relie du reste la Raffinerie aux pompiers Lyonnais ». Ilprécisait que pour l’implantation de la Raffinerie, les huit communes du Rhône comme lessix communes de l’Isère proches de Feyzin ont été consultées, et qu’il y a eu des réunionsdes Conseil d’Hygiène du Rhône et de l’Isère. Selon lui, sur le plan de la sécurité, il n’était« pas supportable, eut égard aux familles des victimes, de laisser croire que toutes lesdispositions n’avaient pas été prises sous prétexte des limites départementales ». Il ajoutaitsolennellement :

« Nos deux départements du Rhône et de l’Isère ont été dès le début étroitementunis dans la préparation, dans l’exécution des décisions, comme ils le furentdans le deuil et le malheur. Ce sont les mêmes larmes qui pleurent les mêmes

morts » 240 .

C’est justement cela qui n’a pas plus à M. Pradel, qui se sent « dans l’obligation de faire une

mise au point » 241 .Il admet que le Préfet de l’Isère a demandé l’avis de la Ville de Lyon

à propos de l’implantation de la Raffinerie, et qu’à cet effet la Municipalité a constitué uneCommission Spéciale d’étude. Mais quand elle a rendu son avis défavorable le 2 juillet 1962,l’arrêté d’autorisation d’implantation de la Raffinerie avait déjà été pris, et Pradel « regretteque le Préfet n’ait pas attendu cet avis ». Sur la question des limites administratives entreles deux départements, qui auraient éventuellement posé problème dans l’organisation dessecours pendant l’accident de la Raffinerie, le Maire de Lyon admet qu’ « objectivement

les limites départementales n’ont pas apporté de gêne dans la rapidité des secours » 242

, mais selon lui elles ont posé problème d’une part pour les mesures de prévention, car ilaffirme que la reconnaissance de la Raffinerie a été faite grâce aux contacts personnelsentre les Sapeurs Pompiers de Vienne et ceux de Lyon, mais que jamais les autorités del’Isère n’ont proposé au Corps de Lyon de manœuvre d’ensemble ; et d’autre part, leslimites administratives se seraient faites ressentir dans la conduite des opérations pendantl’incendie, puisqu’il affirme qu’aucun contact n’a jamais été pris par les autorités de l’Isèreavec les Sapeurs Pompiers de Lyon.

Le lendemain, 25 janvier, le Préfet de l’Isère réagit aux déclarations de Pradel, avec unelettre destinée au Préfet du Rhône243, qui est son homologue et accessoirement l’autoritéde tutelle du Maire de Lyon. Il soumet à M. Ricard tout ce que Pradel peut se voir rétorquer,en démontant ses arguments un par un.

Alors que M. Pradel regrette qu’il n’ait pas attendu la délibération du Conseil Municipalde Lyon, M. Doublet répond qu’il lui avait soumis la demande d’avis le 16 février 1962, etque l’avis de Lyon n’est intervenu qu’en juillet. De plus, ils étaient tous trois présents (avecM. Ricard, s’entend) lors de la réunion qui s’était déroulée le 31 janvier 1962 à la Directiondes Carburants, et le procès-verbal244 mentionne : « La construction de l’usine prévue doit

240 Dernière Heure, Mercredi 19 janvier 1966. p.4241 A.M.L, W, B.M.O, Séance du Conseil Municipal du 24 janvier 1966. p.3242 A.M.L, W, B.M.O, Séance du Conseil Municipal du 24 janvier 1966. p.4

243 A.D.I, 4332W152, dossier “Correspondances postérieures et relatives aux rapports“244 Compte-rendu envoyé au Préfet par le Directeur des Carburants le 27/02/1962. Classé dans :A.D.I, 4332W152, dossier

“Correspondances postérieures et relatives aux rapports“

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Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositions politiques

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apporter sur le plan économique et social un avantage pour l’agglomération lyonnaise, ildéclare y être en conséquence favorable ». La Commission d’hygiène du Rhône, qui avaitété associée à celle de l’Isère, avait aussi un avis favorable.

Sur la question des secours de Lyon, M. Doublet infirme l’allégation du Maire de Lyonselon laquelle la reconnaissance faite par les pompiers à la Raffinerie n’avait été permiseque grâce à « des contacts personnels » ; il affirme en revanche qu’ « au moins une réunionet deux visites ont été organisées par les Services Départementaux de l’Isère entre janvier

1963 et mai 1965 » 245 . Quant au fait que les Pompiers de Lyon auraient été tenus à

l’écart des décisions pendant les opérations du 4 janvier, c’est entièrement faux car « il y aeu une co- direction Plantier/Bal » (respectivement Inspecteur départemental des Servicesd’Incendie de l’Isère et Inspecteur départemental de la Protection Civile du Rhône)246.

b- Le deuxième épisodeCette deuxième phase de l’affrontement entre le Maire de Lyon et le Préfet Doublet est

déclenchée par une nouvelle attaque de M. Pradel. Le 1er Mars, Le Progrès relate lespropos tenus par Pradel en séance du Conseil Municipal, alors que les suites de laCatastrophe de Feyzin étaient évoquées : « C’est bien le Département de l’Isère qui estresponsable, dit-il. C’est lui que je vise et son préfet en particulier ». Il aurait pu laisser leschoses se tasser, mais il semble que le Maire de Lyon préfère s’exposer à la confrontation.

Pour le Préfet de l’Isère, c’en est trop, il décide de s’adresser directement à lui pourlui exprimer son mécontentement, par une lettre qu’il lui envoie le 10 mars 1966247. Leton est incisif. Le Préfet répète tous les arguments qui contrent les accusations de LouisPradel, et il y ajoute des faits irréfutables que le Maire s’est bien gardé d’évoquer ; ainsi, lePréfet peut prouver la mauvaise foi de l’élu248. Il tient aussi à lui dire que ce qu’il ne peutvraiment pas supporter, c’est d’apparaître « comme l’individu ayant délibérément organisé

l’holocauste des pompiers lyonnais » 249 . Il tente de bien faire comprendre au Maire qu’il

est inconcevable de mettre en cause sa responsabilité personnelle sur cet état de fait

administratif, car si Lyon est le centre de secours de 1er appel de Feyzin, « la réciproque estvraie puisque certaines communes du Rhône sont rattachées dans les mêmes conditions

au centre de secours de Vienne » 250 . Il affirme que les limites départementales n’ont pas

eu « la moindre influence avant ou pendant la Catastrophe sur les Services Publics », etpour prouver qu’il n’y a rien à reprocher aux services du département de l’Isère, il ajoute

245 Toujours dans la lettre du 25 janvier 1966 : A.D.I, 4332W152, dossier “Correspondances postérieures et relatives auxrapports“

246 Ce qui est confirmé par les nombreux rapports, notamment le rapport technique de l’Inspection départementale des servicesd’Incendie et de Secours de l’Isère, dans : A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin, chronologie du sinistre »

247 Archives Municipales de Feyzin, 5I4_10, dossier « Préfecture de l’Isère… » , Lettre du Préfet de l’Isère au Maire de Lyon,du 10 mars 1966 . Voir l’annexe n°7

248 Archives Municipales de Feyzin, 5I4_10, dossier « Préfecture de l’Isère… » , Lettre du Préfet de l’Isère au Maire de Lyon,du 10 mars 1966 ; Page 3

249 Page 5250 Page 6

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ostensiblement qu’ils sont de sa « seule responsabilité » 251 . Il conclut sur un ton solennel,

utilisant la mémoire des victimes de la Catastrophe pour déplorer une « polémique aussi

manifestement dépourvue de grandeur » 252 .

Louis Pradel attend plus d’un mois avant de répondre au Préfet253, certainement parcequ’il est à court d’arguments. Il lui « apparaît toutefois impossible de ne pas répondre »,même si « la stérilité de telles discussions ne [l]’ inclinent guère à poursuivre cettecontroverse ». Ceci semble être de la pure hypocrisie, puisque c’est lui qui a lancé cettecontroverse ! On dirait qu’il n’assume pas toutes ses déclarations, car il dit au Préfet qu’ilserait préférable qu’il se reporte au Bulletin Municipal Officiel, notamment à la Séance duConseil Municipal du 24 janvier, qui est « le seul texte qui doit être pris en considération ». Ilpense que le Préfet a « cru très habile de partager les responsabilités avec la Ville de Lyon »,mais comme « les textes confient aux services du département du lieu de l’Etablissementclassé l’instruction de l’installation et la surveillance dudit Etablissement, c’est donc bien audépartement de l’Isère qu’incombe la responsabilité dans le cadre de la réglementation quilui est imposée ». Il trouve là encore nécessaire de rejeter la responsabilité de la Catastrophesur la Préfecture de l’Isère. Son raisonnement ne comporte plus aucune logique, puisqued’une part il se plaignait que l’avis de la Municipalité de Lyon n’ait pas été pris en compte, etque d’autre part il semble satisfait d’affirmer ici que c’est l’Isère qui avait toutes compétencespour les décisions concernant la Raffinerie…

Il tient également à justifier le fait que l’avis défavorable ait été prononcé trop tard,ce qu’il explique par le fait que « le Conseil Municipal a voulu se livrer à une enquêteapprofondie », et il n’accepte pas que le Préfet l’accuse d’avoir « délibérément cherché àretarder cette prise de position ».

II/ L’utilisation de la presse dans la controverseLa polémique entre le Préfet et le Maire de Lyon a été largement relayée par la presse254,mais force est de constater que chacun y a recours d’une manière différente.

a- Pradel : le désir de médiatiser ses proposDès sa première intervention sur le sujet de la Catastrophe de Feyzin en séance du ConseilMunicipal le 24 janvier –sachant que certains de ses propos avaient déjà été repris dans lapresse depuis le 4 janvier, notamment concernant ses sentiments sur le lourd tribut payépar les pompiers de Lyon255-, le Maire de Lyon tient à faire une Communication officielle256

devant l’assemblée présente (la séance est publique), et qui sera destinée au Ministre del’Intérieur , au Préfet du Rhône, et à la presse surtout.

251 Page 7252 Page 8253 Lettre du 16 avril 1966, retranscrite dans Le Progrès, 19/04/1966, p.7

254 C’est de la presse écrite dont il est ici question255 Cf. notamment, Dernière Heure, 05/01/1966, p.1 « MM. Ricard et Pradel au chevet des victimes »256 A.M.L, W, B.M.O, Séance du 24 janvier 1966, “Communication de M. le Maire au sujet de la Catastrophe de Feyzin“, p.3

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C’est dans cette communication qu’il évoque l’avis défavorable de Lyon pourl’implantation de la Raffinerie et la mauvaise organisation entre sapeurs-pompiers lyonnaiset Raffinerie.

Dès le lendemain, 25 janvier, la presse diffuse cette communication ; Le Progrès257 rétablit l’ensemble des propos de Pradel -pas la communication telle quelle-, en lesprésentant d’une manière totalement acquise à la cause du Maire, ainsi que le montrela façon dont ces propos sont ponctués et dont ils sont paraphrasés, ou précisés258. Parexemple, pour corroborer le l’idée que les pompiers de Lyon n’ont pas été contactés pendantla conduite des opérations par les autorités de l’Isère, le journaliste ajoute que « en effet ,le colonel Bal, qui dirigeait les sapeurs-pompiers de Lyon […] ne fut pas invité à la réunionde Plan ORSEC … ». C’est non seulement une nouvelle information (qui s’avère fausse),mais de plus l’utilisation des points de suspension (signifiant un reproche implicite) illustrela partialité du journaliste259 . Sur la première page du quotidien, parmi les titres, un encadréannonçant la déclaration du maire allèche le lecteur avec l’argument le plus polémique : «M. Pradel au conseil municipal de Lyon : "Nous n’avons jamais été associés au contrôle

des installations de la raffinerie de Feyzin" » 260 .

Le Monde, qui relate également la communication de M. Pradel261, le fait de façonbeaucoup plus neutre, en utilisant des tournures de phrases plus objectives : « Le préfet del’Isère déclarait... ; Cette déclaration a provoqué […] une mise au point de M. Pradel… ; M.Pradel rappelle… ; Enfin, M. Pradel a précisé que… ».

La suite du face à face avec Maurice Doublet se déroule de nouveau par l’intermédiaire

de la presse, car c’est dans Le Progrès 262 -en l’occurrence- que le Préfet prendconnaissance de l’attaque personnelle que lui a lancée Louis Pradel en déclarant « C’estbien le Département de l’Isère qui est responsable ; c’est lui que je vise et son Préfet enparticulier ».

Par la suite, quand il s’agit de répondre à la lettre que lui a envoyée M. Doublet, il nefait pas de complexe pour se servir encore une fois de l’intermédiaire la presse, puisqu’ilfait publier sa lettre du 16 avril par Le Progrès, le 19 Avril 1966263. La démarche n’est pasloyale, car le Préfet de l’Isère n’a pas, lui, rendu sa correspondance publique, et n’a doncpas fait étalage des ses sentiments ; il importe donc peu au maire de Lyon que les lyonnaiset autres habitants de la région de la Raffinerie n’aient droit qu’à une version des faits, lasienne. En réalité, c’est ce qui l’arrange. Il justifie tout de même cette démarche auprès duPréfet Doublet :

« Vous avez cru devoir adresser des copies de cette circulaire [ndlr : la lettredu Préfet datant du 10 mars] à de nombreuses personnalités lyonnaises,

257 Le Progrès, 25/01/1966, p.6 « La catastrophe de Feyzin évoquée au conseil municipal »258 Par exemple, à un certain moment le journaliste ajoute que le colonel Bal259 M. Morin- Marty260 Le Progrès, 25/01/1966. Voir l’annexe n°8261 Le Monde, 26/01/1966, p.9262 Le Progrès du 01/03/1966263 Le Progrès, 19/04/1966, p.7

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rhodaniennes et dauphinoises ; vous ne vous étonnerez donc pas que ma

réponse soit publiée… » 264 .

Cette justification soulève bien évidemment une remarque : s’il voulait que sa réponse soitrendue publique pour une question d’équité avec le Préfet, il devait lui aussi l’envoyer auxpersonnalités politiques ou administratives locales, et non à la presse, qui touche tout demême un nombre beaucoup plus important de destinataires.

b- L’attachement de Louis Pradel au Progrès de LyonLe journal lyonnais Le Progrès, en réalité, a toujours été acquis à la cause de Louis Pradel.C’est en fait un lien affectif qui unit le Maire à ce journal, depuis de très nombreusesannées. Dès son adolescence, il prend l’habitude de côtoyer les journalistes du Progrès,parce que ceux-ci fréquentent le Bistrot de ses parents, place de l’Hôpital à Lyon, LeProgrès se trouvant juste à côté265. Pour lui comme pour beaucoup à l’époque c’est le« grand journal républicain », et Louis Pradel aimait à dire qu’il avait appris à lire dans LeProgrès, qu’il parcourait assidûment266. Quand il est élu par Conseil municipal en 1957, sonaspect d’homme « simple » et son attachement à entretenir quotidiennement des relationspersonnelles avec ses administrés suscite l’enthousiasme. Louis Pradel, qui est ami avecdes hommes de la rédaction du Progrès, tient même une tribune dans ce journal, danslaquelle il répond directement au courrier des lecteurs. Cet attachement, Le Progrès le luirend bien, ainsi que l’illustre ce compliment qui lui est destiné dans l’édition du 15 avril1957 267: « M. Pradel est très sympathiquement connu de tous les lyonnais qui apprécientunanimement son affabilité, son travail acharné, son sens su devoir et du service public,son souci de servir avant tout la ville. 268 » Fort de cette affection des lyonnais, on comprendalors mieux pourquoi M. Pradel n’hésite pas à utiliser la presse pour exprimer haut et fortses opinions quand il s’agit de défendre sa Ville.

c- Doublet : un recours à la presse plus hésitantSe retrouvant confronté à l’attaque publique de Louis Pradel, le meilleur moyen qu’il trouvede contre-attaquer est de se servir de lui-même de la presse à son avantage ; ainsi, il faitpublier la lettre qu’il a adressée le 10 mars 1966 à M. Pradel dans Le Progrès le 20 avril etla Dernière Heure Lyonnaise (qui est l’édition lyonnaise du Dauphiné Libéré) le 21 avril269.Comme il l’expliquait lui-même dans cette lettre du 10 mars, il n’a normalement pas « lapossibilité de [s’] exprimer publiquement avec cette liberté ». Effectivement, s’il ne l’a pasfait avant, c’est parce qu’en tant que Préfet, sa fonction lui impose de privilégier certainscomportements, en l’occurrence la discrétion dans les médias et en règle générale une

264 Le Progrès, 19/04/1966, p.7265 Sauzay Laurent, Louis Pradel, Maire de Lyon, Lyon : Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 1998266 Sauzay Laurent, Louis Pradel, Maire de Lyon, Lyon : Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire,1998, p.55267 Sauzay Laurent, Louis Pradel, Maire de Lyon, Lyon : Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire,1998, p.80268 Un autre hommage de ce type lui est rendu lors de sa mort, le 27/11/1976. "Si, précisément, la population se reconnaissait en LouisPradel, c’est parce qu’elle le connaissait bien, tant par sa multiple présence qu’à travers sa démarche obstinée. L’esprit critique deslyonnais s’était émoussé au frottement de la simplicité, de la discrétion et de l’efficacité du maire, dont le caractère frondeur, procédantdirectement d’une tradition d’indépendance – qu’elle soit thermidorienne ou libertaire- particulière à l’histoire de Lyon, enchantait, enoutre, l’homme de la rue."269 A.D.I, 4332W153, dossier n°6 “Affaire Pradel“

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certaine mesure dans les déclarations publiques. Ainsi, comme nous l’explique Françoisd’Arcy270, la légitimité préfectorale, est telle dans la tradition française, que la relation entreles préfets et les élus a toujours été « très codée » 271, le Préfet possédant les ressourcesjuridiques en matière de législation , les ressources financières et les ressources techniqueslui permettant de coordonner les différents services administratifs, et le Maire étant faceà cela l’incarnation de la légitimité politique, donc celui qui entretient des rapports avec lapopulation. Et selon ces codes, « dans ce jeu », le Préfet « ne se [met] pas en premièreligne » 272 .

Ce devoir de réserve du préfet, Maurice Doublet lui-même en donne la preuve, quand,dans le courrier qu’il adresse aux ministères le 25 janvier suite aux déclarations de M. Pradelen séance du Conseil municipal de Lyon, « [il] demande au Gouvernement de [l]’autoriser à

parler pour réfuter en public ces imputations insupportables » 273 . Mais obtenir l’autorisation

de s’exprimer publiquement n’est pas ce qu’il souhaite réellement, semble-t-il (peut-êtrepréfère-t-il les avantages liés à ce devoir de réserve), puisqu’un peu plus loin il « sollicitel’intervention rapide du Gouvernement en cette affaire, soit pour qu’il fasse une mise aupoint officielle, soit pour qu’il obtienne du maire de Lyon qu’il veuille bien s’abstenir de toutcommentaire tant que les enquêtes en cours n’auront pas révélé leurs conclusions ».

Dans ce même courrier adressé aux Ministères de l’Economie et Finances, del’Industrie, et au Secrétariat d’Etat chargé de l’Information auprès du Premier Ministre, ilmontre la mauvaise opinion qu’il a de la presse, qui relate des propos sans fondement,portant préjudice aux Services départementaux de l’Isère ; et il regrette d’ailleurs que desautorités supérieures ne soient pas intervenues, ce qui montre encore une fois qu’il nes’estime pas compétent, à son niveau d’autorité locale de l’Etat, pour évoquer publiquementla question des responsabilités dans la Catastrophe de Feyzin (au mois de janvier toutdu moins). « Aucun démenti n’est venu mettre un frein à l’exploitation faite par la pressede déclarations prêtées, à tort ou à raison, à certaines personnalités », dit-il. Ou encore :« Certains journaux continuent d’exploiter la Catastrophe de Feyzin sans que le moindrecontact soit pris avec les autorités de l’Isère ; tous ces éléments contribuent à créer un climat

particulièrement désagréable » 274 . Ici, il dénonce le fait que nous avons déjà évoqué, à

savoir que la population lisant la presse régionale n’est renseignée qu’avec les informationspartisanes délivrées par le Rhône, plus particulièrement le Maire de Lyon.

d- Des appuis politiques plutôt que médiatiquesLe préfet de l’Isère, plutôt que la presse, préfère utiliser ses « contacts » politiques ouadministratifs, quand il souhaite être soutenu et défendu. C’est d’ailleurs ce que lui areproché le maire de Lyon dans sa lettre du 16 avril275.

270 Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p.191271 Du moins jusqu’à la Décentralisation272 C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble, 1990. p. 191

273 A.D.I, 4332W152, dossier “Catastrophe de Feyzin, correspondances postérieures et relatives au rapport“, Lettre du Préfetde l’Isère du 25 janvier 1966

274 Toujours dans : A.D.I, 4332W152, dossier “Catastrophe de Feyzin, correspondances postérieures et relatives au rapport“,Lettre du Préfet de l’Isère du 25 janvier 1966275 Le Progrès, 19/04/1966, p.7

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Illustration (13)

Dès la naissance de la polémique dans la presse, il avait –comme on l’a déjà évoqué-envoyé une lettre au Directeur de Cabinet du Président de la République, le 19 janvier276. Ily avait joint dix coupures de presse, émanant de 8 journaux nationaux277 et du Progrès, qu’ilavait rassemblées entre le 5 et le 18 janvier. Ces articles remettaient en cause les autoritésde l’Isère, bien entendu, et le Préfet désirait déjà que le sommet de l’exécutif interviennepour défendre le département.

De même, quand il avait rédigé son rapport détaillé du 18 janvier sur la Catastrophe,(après la fameuse réunion officieuse du 10 janvier en compagnie des personnalitésreprésentants les différents services administratifs de l’Isère, souvenons-nous), destinéau Ministère de l’Intérieur, il avait tenu à en envoyer une copie à beaucoup d’autres

276 A.D.I, 4332W152, dossier “Castastrophe de Feyzin, correspondances postérieures et relatives aux rapports“277 France Soir, L’Express, La Croix, Le Monde, L’Aurore, Le Canard Enchaîné, Le Nouvel Observateur, Combat

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personnalités278, à savoir : le Premier Ministre, le Ministre de l’Industrie, Le Garde desSceaux, le Procureur Général de la Cour d’appel de Grenoble, le Ministre de l’Equipement,le Secrétaire d’Etat auprès du Gouvernement chargé des relations avec le Parlement, leMinistre de l’Economie et des Finances ; mais également à des « amis » (on trouve dansces lettres la plupart du temps l’expression " Mon Cher Ami "), c’est-à-dire ce même M.Galichon du Cabinet du Président, et des députés, des conseillers généraux, des sénateurs(tous de l’Isère).

Quand Louis Pradel publie dans Le Progrès le 19 avril sa lettre réponse au Préfet del’Isère, celui-ci, outre le fait de faire paraître sa propre lettre du 10 mars, décide encore unefois d’impliquer d’autres autorités susceptibles de lui apporter un soutien ou une aide, dontil a ici besoin dans son combat contre le maire de Lyon. Il n’hésite alors pas à « monterun dossier », le jour même279, où il réunit les déclarations de M. Pradel dans la presse, sadéclaration à lui, la réponse de M. Pradel. Il dit que le M. Pradel n’a pas de bons argumentscontre lui mais il estime que malgré cela sa réputation est entachée, et il demande denouveau une enquête officielle et publique pour se prononcer sur le sujet280. Cette lettre etle dossier qui l’accompagne, il l’envoie au Premier Ministre, aux Ministre de l’Intérieur et del’Industrie, mais aussi à la Chambre d’agriculture (pourquoi?), aux chambres de commercedes deux départements, à plusieurs préfets, à des députés, des sénateurs, à un conseillergénéral281. Il reçoit des réponses amicales de la part de chacun, ce qui confirme un soutien,mais pas une aide…mais de toutes manières, que pourraient-ils bien faire de concret contrele maire de cette grande ville qu’est Lyon ?

Le face à face entre Messieurs Doublet et Pradel, très intéressant à étudier autant sur lefond que sur la forme, laisse bien transparaître, tout de même, une animosité qui n’est passeulement due aux « obligations » que leur imposent leurs fonctions, l’une administrative etl’autre politique ; il semble, au-delà de la Catastrophe et de la crise qui s’en est suivie, queces deux personnages ne s’appréciaient guère. S’il est encore besoin de le prouver, voicicette petite « pique » de M. Pradel, toujours percutant, quand on lui demande, en juin 1966,si ses rapports sont toujours aussi tendus avec Monsieur Doublet après la Catastrophe deFeyzin : « Toujours ! C’est un plaisantin ! Il a des arguments à la hauteur de sa taille » La

retranscription précise : « Monsieur Doublet est petit, au point de vue de sa taille » 282 !

Mais maintenant, voyons plus précisément les enjeux politiques que représentaient ces« problèmes » des frontières entre les départements du Rhône et de l’Isère, et des modalitésd’implantation de la Raffinerie de pétrole de Feyzin.

278 A.D.I, 4332W152, dossier “Castastrophe de Feyzin, correspondances postérieures et relatives aux rapports“, “Lettreaccompagnant le Rapport du 18 janvier 1966“

279 A.D.I, 4332W153, dossier n°6 “Affaire Pradel“, lettre du Préfet de l’Isère du 19/04/1966280 Enquête qui ne verra jamais le jour281 Selon les copies de la lettre du 19/04 qui ont pu être répertoriées. A.D.I, 4332W153, dossier n°6 “Affaire Pradel“, lettre

du Préfet de l’Isère du 19/04/1966282 Bulletin “Objectifs“: journal des jeunes salariés et élèves des écoles professionnelles“ (Lyon), dans A.D.I, 4332W153,

dossier n°6 “Affaire Pradel“

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Chapitre 5 : La question des limites départementales,un sujet politico-administratif d’actualité

Nous verrons dans un premier temps que la responsabilité de la controverse sur ceslimites entre les départements n’était pas seulement imputable à Louis Pradel, avant de voirpourquoi les personnalités de Lyon en ont fait un sujet de premier plan après la Catastrophe.

I/ Les « limites départementales »…une controverse qui sembles’imposer après la Catastrophe

a- Quand les autorités Lyonnaises associent Accident de Feyzin etdécoupages administratifsLe Préfet du Rhône, Roger Ricard, qui avait été le préfet de l’Isère de 1949 à 1955, est lepremier à parler des limites administratives après l’accident survenu à la Raffinerie. Le 4janvier 1966, il se trouvait à l’ouverture de la session de l’Assemblée du Conseil Généraldu Rhône, et s’était rendu sur les lieux de la Catastrophe en fin de matinée. De retourau Conseil, il déclarait : « J’ai pu constater l’ampleur de la catastrophe et le courage dessauveteurs qui a été au niveau du désastre. Il ajoutait : La Raffinerie Rhône-Alpes estune très grande entreprise qui honore notre région et contribue à sa prospérité, mais en

contrepartie la rançon a été très lourde 283 ». On peut noter qu’employant le terme « notre

région », il fait allusion à la région lyonnaise dans son ensemble, ou peut-être même à laRégion Rhône-Alpes (il est lui même le préfet de Région), mais en tout cas il ne dissociepas les départements de l’Isère et du Rhône, tous deux côtoyant la Raffinerie.

Mais la presse relate également d’autres propos qu’il a eu sur le drame qui s’est produit,où il aborde « un problème qui n’est pas "malheureusement" pas nouveau, celui des limitesadministratives ». Il poursuit en disant la chose suivante :

« Les Sapeurs-Pompiers lyonnais qui ont eu à combattre le sinistre [hier matin]étaient en possession du plan de la raffinerie mais ils n’avaient jamais eu àparticiper à des manœuvres ou à des essais à l’intérieur de la raffinerie […] Ceproblème des compétences administratives, c’était une histoire de fous, c’estdevenu une histoire sanglante » 284.

Ses propos, résolument marquants, ne manquent pas d’être repris dès le lendemain partoute une partie de la presse écrite, régionale bien sûr, mais aussi nationale, car il fautrappeler que l’évènement de Feyzin a choqué la France entière, qui était confrontée pour lapremière fois à un accident industriel de ce type, d’une aussi grande ampleur. Ainsi, ParisJour et Combat citent les propos du préfet le 6 janvier, et Le Figaro et Le Monde prennentle relais le 7285.

De manière assez certaine, on peut affirmer que cette déclaration a ouvert la brèche du« problème des limites », où se sont engouffré ensuite de nombreuses autres personnalités,qui ont pris pour référence l’opinion de M. Ricard.

283 Le Progrès 05/01/1966, p.7284 Le Progrès 05/01/1966, p.15285 A.D.I, 4332W152, dans le Rapport du 18 janvier 1966 du Préfet de l’Isère adressé au Gouvernement

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Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositions politiques

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Quand Louis Pradel s’est saisi lui aussi de la question, il a essayé de prouver queles limites départementales avaient été un gros problème dans le déroulement de laCatastrophe, avec les arguments voulant montrer que les Pompiers n’étaient pas préparéspour intervenir à la Raffinerie, que le mélange Isère/Rhône avait provoqué une mauvaisegestion des opérations pendant le sinistre.

Ce que l’on n’a pas encore abordé, c’est le fait qu’il a aussi « utilisé » la questiondes découpages administratifs entre Rhône et Isère sous un aspect financier, de manière« peu noble ». Effectivement, lors de la Séance du Conseil municipal de Lyon du 24 janvier1966, il en est venu, après sa communication publique, à évoquer « les conditions danslesquelles les communes peuvent être reliées au Service d’incendie de Lyon » 286 . Là, ilattaque directement la commune de Feyzin :

« Que nous donnait la commune de Feyzin ? Rien, rien, rien ! Elle n’effectuaitaucun versement et n’effectuait aucun versement à la Ville de Lyon. »

Cette argumentation semble être une réaction purement égoïste ; l’accusation portée àFeyzin est trop « facile », et loin d’être fondée. De deux choses l’une : comment peut-ilremettre en cause un état de fait que la commune ne choisit pas elle-même ? En effet,elle fait partie de l’Isère, elle verse donc des subventions au Service d’incendie de l’Isère,sans faire preuve de mauvaise fois mais en suivant les textes ; et c’est de plus par arrêtépréfectoral de 1953 (de M. Ricard) que Feyzin a été rattaché au Centre des Pompiersde Lyon, pas selon un désir de la commune. D’autre part, il vaudrait mieux dissocierla commune de la Raffinerie ; en effet, c’est de la Raffinerie qu’il est question avec laCatastrophe, c’est elle qui expose le plus la commune au risque de devoir faire intervenirles Services d’incendie. Ce serait donc à la Raffinerie qu’il serait plus « juste » de s’attaquer. D’ailleurs M. Doublet précise « qu’un contrat d’abonnement a été souscrit par la SociétéRhône-Alpes, au service de secours de la Ville de Lyon, en date du 29 janvier 1964 » 287.

Louis Pradel a donc encore une fois attisé la polémique, alors que sur le sujet enquestion il n’y avait pas lieu d’invoquer de difficultés liées au découpage administratif.

b- Cette tendance à invoquer le lien entre limites départementales etCatastrophe devient une « mode »Voici un premier exemple de l’écho qui a été donné aux déclarations des deux principalesautorités du Rhône, le préfet et le maire de Lyon, sur les questions liées aux limitesdépartementales.

Dans l’édition du Monde du 26 janvier 1966, une pleine page est titrée « La Catastrophea fait apparaître l’erreur que constitue le découpage du département du Rhône » 288. C’estun Inspecteur Général honoraire de l’Administration, Jean Bancal, qui s’exprime sur sonterrain de prédilection, c’est-à-dire la délimitation du Département du Rhône ; comme il le ditlui-même en introduction à sa tribune, « la Catastrophe de Feyzin a éveillé en [lui] certainesréminiscences », et, de fait, elle lui sert juste de prétexte pour expliquer longuement en quoile Département du Rhône a été très mal délimité, dès ses origines, en 1789 : « C’est l’erreurla plus flagrante des Constituants ». De la Catastrophe, il dit juste que les pompiers de Lyon« n’avaient pas les plans et ne connaissaient pas son dispositif de protection, ce dossier

286 A.M.L, W, B.M.O, Séance du 24/01/1966, « Exposé de M. Le Maire… », p.4287 Archives Municipales de Feyzin, 5I4_10, dossier « Préfecture de l’Isère… », Lettre du Préfet de l’Isère au Maire de Lyon, du10 mars 1966, p.6

288 Le Monde, 26/01/1966, “Correspondance“

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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se trouvant à la Préfecture de Grenoble, distante de 100 km ». Cet argument semble unpeu ténu, car la distance n’empêchait pas que le dossier soit disponible aussi à Feyzin, etqu’il soit connu des Pompiers, qui ont d’ailleurs pris part à des réunions avec les Servicesd’incendie de l’Isère d’ailleurs.

Voici ici un deuxième exemple, puisé dans un registre étonnant, puisque le sujet liantles limites départementales et la Catastrophe vient à être évoqué dans un ouvrage médical,celui du Docteur Gérard Biron de 1968, intitulé « Contribution à l’étude des brûlures. Apropos de la Catastrophe de Feyzin, Isère, 4 janvier 1966 » 289, dans lequel il explique lesavancées qui ont été « permises » par la Catastrophe de Feyzin dans le traitement desgrandes brûlures.

Une partie du livre traite cependant de la Catastrophe en elle-même, afin de resituerdans quel contexte global le Docteur a effectué ses interventions sur les blessés ; dans undes passages290, il évoque le problème provoqué par l’intervention de deux départementssur le lieu d’un sinistre. Son point de vue est très subjectif, et il semble que pour le construireil ait récolté toutes les « informations » qui avaient été relatées sur le sujet jusqu’à présent.

Ainsi, « de par sa position géographique même, dit-il, le site de Feyzin devait montrertout ce qu’ont d’aléatoire et irrationnels certains découpages purement artificiels ». Selonlui il faudrait « éliminer les limites administratives entre les différentes circonscriptionsterritoriales », car ni le préfet du Rhône ni le Maire de Lyon « n’ont été sollicités de donnerleur avis sur la création d’un grand complexe pétrochimique aux portes de leur ville » ; d’unepart, on ne voit pas vraiment le rapport entre ces deux idées ; d’autre part l’allégation selonlaquelle les autorités n’ont pas été sollicitées est fausse, nous le savons. Ce n’est d’ailleurspas la seule erreur qu’il fait sur le déroulement des faits : car, avec l’idée fixe de démontrerque les limites entre Rhône et Isère sont sources de toutes les difficultés imaginables, il« ose » affirmer, deux ans après la Catastrophe, que « Feyzin ne se trouvant pas dans lacirconscription territoriale des Pompiers de Lyon , ce qui est complètement faux, ceux-ci eurent à intervenir sans avoir eu auparavant à connaître les lieux […] »… Même LouisPradel et Roger Ricard n’auraient pas osé déclarer cela ! Il semble tout de même, au vu detoutes les erreurs que comportent les affirmations du Docteur, que toutes ses justificationsmal fondées ne soient pas volontaires, à moins que son acharnement à vouloir démontrerque la frontière administrative entre les deux départements avait été problématique pendantla Catastrophe l’ait poussé à réinventer les faits !

D’après ce que nous venons de voir, nous pouvons être amenés à nous demander sic’est réellement la Catastrophe de Feyzin qui a fait apparaître ou a amplifié le problème deslimites départementales entre Rhône et Isère, ou si - ce qui semble plus correct- c’est cethème politico-administratif latent des frontières départementales, inhérent à la vie politiquede la région lyonnaise, qui s’est « nourri » des arguments –fondés ou non-- qu’il pouvait tirerde la Catastrophe pour revenir sur le devant de la scène.

Certaines personnalités seraient plutôt du même avis que nous. Ainsi, selon M. Doublet,« M. le Maire de Lyon […] utilise le choc émotionnel de cette catastrophe pour relancer la

querelle des limites départementales » 291 .

289 Archives Municipales de Feyzin, Série C, “sources imprimées“290 Chap. 4 “Enseignements tirés de la Catastrophe“, II : “Mesures administratives“291 A.D.I, 4332W152, dossier “Catastrophe de Feyzin, correspondances postérieures et relatives au rapport“, Lettre du Préfet

de l’Isère du 25 janvier 1966

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Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositions politiques

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Le Contrôleur Général Beau, qui a rédigé pendant plusieurs mois après la Catastropheun rapport sur la Raffinerie pour le Ministère de l’Industrie, semble d’accord avec lui, car ila consigné dans ce rapport que les difficultés qu’avait eues M. Doublet « côté Lyon » (sic)avaient « pour but d’appuyer la thèse de la réunion de la région de Feyzin à l’agglomération

lyonnaise » 292 .

II/ En réalité : un problème administratif en cours d’évolution, avecl’action des élus du Rhône

Nous pouvons, effectivement, faire un rapprochement entre le fait que la question des limitesdépartementales soit tellement mise en avant après la Catastrophe de Feyzin, et le faitqu’à cette époque, la sphère politique Lyonnaise s’activait pour obtenir une amélioration dudécoupage administratif du Rhône.

a- Un problème de longue date pour l’agglomération lyonnaise

1. Avant la CatastropheC’est en 1947 que le Conseil général du Rhône a pour la première fois « réclamé, àl’unanimité, l’élargissement de ses frontières », pour devenir « un grand département, qui

réunisse à la fois le centre industriel à la campagne qui l’alimente » 293 . Le problème évoqué

est un découpage de frontières incohérents, qui mène à ce que les villes autour de Lyon nefassent pas partie de l’agglomération, puisque rattachées aux départements de l’Isère et del’Ain. Alors que leur activité économique se dirige sur Lyon, de nombreux arrondissementsne peuvent contribuer au développement économique du département du Rhône.

Après dix ans qui s’écoulent sans la moindre évolution sur ce point, le problème des« barrières départementales du Rhône » 294 resurgit en 1957, quand les discussions sur unfutur « Grand Lyon » se mettent en route. Mais pour former une communauté de communesqui fassent de Lyon une agglomération de poids au niveau national, il faudrait y associer« dix grandes villes », telles que Décines et Saint Priest, qui ne sont malheureusementpas Rhodaniennes. Le Préfet Roger Ricard, justement affecté dans le Rhône en 1957,devient le chef de file de ces revendications. Il estime que « le rattachement serait plus quenécessaire », et que « la frontière avec l’Isère constitue un frein à l’expansion économique

de Lyon » 295 . Pour lui, « le Grand Lyon » traduirait « une unité urbaine et économique,

avec des communes appartenant à l’Isère », comme Feyzin, qu’il cite.

292 A.D.I, 4332W154, dossier « Rapports Ministères, Conclusions enquêtes »293 L’Echo Liberté, 04/11/1947

294 Le Progrès, 19/12/1957. p.1295 Le Progrès, 19/12/1957. p.1

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Ensuite, ce n’est qu’en 1963 que la procédure commence à se concrétiser, puisque « laquestion de l’élargissement du Rhône commence à se faire entendre à Paris » 296. « LeMinistère de l’Intérieur [envoie] un Inspecteur général de l’Administration qui [enquête] surplace et [rédige] un rapport nettement favorable à la révision des limites départementales »297.

Face à cette bonne volonté qui ne donne toutefois rien de concret, M. Cousté, unparlementaire du Rhône, adresse une demande au Gouvernement fin 1964 pour fairebouger les choses298 ; le Premier Ministre Pompidou lui répond en avril 1965 (ce qui illustrela lenteur des démarches dans l’Administration) et lui donne « un ferme espoir quant à larévision des limites départementales » 299… autant dire que rien n’a évolué !

296 Le Progrès, 10/02/1963297 Le Tout Lyon, 17/12/1964298 Le Tout Lyon, 17/12/1964, p.1299 L’Echo Liberté, 11/04/1965

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Alors dans le même temps, en avril 1965, cinq autres parlementaires de l’agglomérationlyonnaise300, étiquetés UNR-UDT (la couleur de l’exécutif), décide de déposer uneproposition de loi devant le Parlement avant la fin de la session parlementaire. Cetteproposition adressée au Ministère de l’Intérieur, et reste à l’étude301. Parmi les solutionsenvisagées, les parlementaires ont choisi une solution « moyenne » qui serait d’annexer13 communes de l’Ain et 26 communes de l’Isère au Département du Rhône302, au lieu den’annexer que quelques villes, ou au contraire de tenir compte d’une « limite naturelle »,à 15 ou 20 km de Lyon303.

Les arguments des élus du Rhône, repris dans la proposition, tournent toujours autourdes mêmes thèmes, qui sont bien résumés par L’Echo-Liberté304 : « des difficultés ausein des populations, mais surtout entre les administrations municipales, cantonales etdépartementales ». L’absurdité de la situation a souvent été évoquée par M. Pradel, quiironisait par exemple sur le fait que s’il voulait accueillir un hôte officiel à Lyon, il devait serendre à l’aéroport de Bron pour l’accueillir, et qu’à ce moment là, il ne se trouvait mêmeplus dans son département !

En juillet 1965, le Ministre de l’Intérieur répond, mais pas par rapport à la propositionde Loi, non, il répond à la demande de M. Cousté, datant de décembre 1964, en disantque « les problèmes soulevés font l’objet d’études approfondies »305… En septembre, étantdonnée la lenteur des prises de décisions, certains sénateurs et députés du Rhône prennentde nouvelles initiatives, en envoyant deux questions écrites au Gouvernement306.

Voilà où en sont les choses, concernant un éventuel redécoupage des limitesadministratives du Rhône, quand survient la Catastrophe de Feyzin. On comprend alorsun peu mieux les motivations des personnalités lyonnaises à évoquer à tort et à raison leproblème des limites départementales.

2. Après la Catastrophe

Le 1er avril 1966, la Proposition de Loi approuvée par tous les Parlementaires du Rhône,sauf les communistes, est déposée au Parlement. La solution retenue est celle de l’annexionde 13 communes de l’Ain et de 28 communes de l’Isère307, dont le canton entier de SaintSymphorien d’Ozon, qui comprend notamment les communes de Feyzin et Saint Priest.

Voici le texte de la Proposition de loi 308 => (14)

300 MM. Gorce-Franklin, Charret, Caille, Guillermin et Danilo301 Le Monde, 12/05/1965302 L’Echo Liberté 18/04/1965303 L’Echo Liberté, 11/04/1965304 L’Echo Liberté 18/04/1965305 Le Progrès, 15/07/1965306 Le Progrès, 29/09/1965

307 Dernière Heure, 01/04/1966308 Source : Dernière Heure, 01/04/1966

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Pendant la session de printemps les « Conseils généraux du Rhône, de l’Isère et de

l’Ain [doivent] se prononcer sur le projet des nouvelles limites» 309 . Nous verrons dans la

section suivante divergences d’opinion sur cette révision des cartes administratives.Ce sera le 2 décembre 1967, encore un an et demi plus tard, que sera adopté le texte

en première lecture, par 249 voix contre 234310. Avant d’être rejeté par le Sénat à 151 voixcontre 72311, puis ré adopté par l’Assemblée Nationale le 21 décembre 1967312.

Ainsi en décembre 1967, Feyzin, parmi 28 autres communes, passe de l’Isère dansle Rhône.

309 Le Progrès, 25/03/1967310 Dernière Heure Lyonnaise, 02/12/1967311 Echo Liberté 15/12/1967312 Le Progrès, 21/12/1967

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Puisque nous avons vu comment les élus lyonnais ont finalement réussi à imposer leurvolonté par la Loi, nous allons maintenant voir qu’ils ont dû s’opposer à d’autres élus, del’Isère notamment, et que c’est le camp qui a le mieux réussi à faire valoir sa politique quil’a emporté.

(15) Les nouvelles communes rattachées aux départements du Rhône (zone blanche)

b- Les avis divergents des élus du Rhône et de l’Isère

1. Les volte-face du Docteur Cinelli, Conseiller Général du Canton de SaintSymphorien d’OzonCette autorité politique de l’Isère, directement concernée par la volonté lyonnaise demodifier les contours administratifs du Rhône, puisque son canton est au cœur du débat,va changer de position sur le sujet plusieurs fois entre 1963 et 1967.

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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En 1963, quand le débat est vraiment lancé par les Conseillers généraux du Rhône, ilrépond de la manière suivante à une interview du Progrès :

« Les simples raisons de la logique et de la simplification administratives sontassez fortes, dans une cité et un canton qui travaillent à Lyon et y vivent presque,pour se défendre seules. […] De nombreux bienfaits économiques, dit-il, sont liésau rattachement du Rhône. […] Quoi qu’il en soit, si le Rhône est étendu, notrecanton y a sa place, mais je tiens à dire qu’il doit être pris en entier. Son intégritédoit être respectée » 313.

Puisque les élus lyonnais comptaient bien rattacher ce canton dans son ensemble, ilapparaît au premier abord que de côté-là ils n’auraient pas dû rencontrer d’opposition.

Mais lors du débat du 27 avril 1966 en séance du Conseil Général de l’Isère, consécutifau dépôt de la Proposition de Loi devant le Parlement, l’opinion du conseiller Cinelli abien changée. En effet, avant l’ouverture du débat, il a déposé un vœu « repoussant

la Proposition de Loi des parlementaires du Rhône » 314 . Il se trouve qu’il est biensoutenu par ses pairs, puisqu’un autre conseiller général, M. Paquet, dépose un vœu danslequel il propose, avec l’assentiment de tous, que le Conseil général « démissionneracollectivement » si le rattachement au Rhône des villes de l’Isère est confirmé par leParlement Français.

En juin 1967, Joseph Cinelli, affirme devant le Conseil général de l’Isère : « Votrecollègue de Saint Symphorien d’Ozon n’acceptera jamais d’être maire d’une commune duRhône, ni conseiller général d’un canton du Rhône »315 . Les raisons qu’il donne sont lessuivantes : «

« - Est-ce que cette idée de rattachement est une volonté des populations ? Non.- Est-ce que c’est le département, lassé de contenir "le monstreux enfant qu’estdevenu Lyon", qui a décidé de s’étendre aux terres voisines ? Oui. »

Pourtant, quatre ans auparavant, il affirmait que faire partie du Rhône serait une bonnechose, puisque la population de son canton était « presque » lyonnaise du fait de son rapportquotidien avec cette ville. Pourquoi utilise-t-il tant de mépris envers Lyon, une ville qui faittravailler ses administrés ?

2. Le problème de l’arrondissement de ViennePourquoi ce volte-face ? La réponse n’est peut-être pas à chercher du côté des affinités ouinimitiés avec le département du Rhône. Apparemment, si le Conseiller général s’exprimede cette façon, c’est pour défendre son collègue Député-Maire de Vienne, M. Chapuis.Car ce dernier, qui était favorable à un passage dans le Rhône, pour des raisonséconomiques et administratives, a vu son enthousiasme s’envoler quand il a compris quetout l’arrondissement de Vienne ne serait pas concerné316 par la mesure ; en effet, lecanton de Saint Symphorien d’Ozon aurait été enlevé à son arrondissement, comme celuid’Heyrieux, mais pas celui de Péage-de-Roussillon par exemple ; les élus rhodaniensne pensaient pas non plus rattacher la ville de Vienne, alors que M. Chapuis pensait à

313 Le Progrès, 16/02/1963314 Le Progrès, 28/04/1966315 Le Progrès, 13/06/ 1967

316 Le Progrès, 26/05/1966

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l’opportunité économique de sortir sa ville de la crise industrielle. Et par réciproque, il nepouvait pas accepter que seuls certains cantons partent et aillent faire profiter Lyon de leursrichesses. C’est pour cela qu’il a exprimé à tous ses partenaires de l’Isère et du Rhône :« L’arrondissement de Vienne doit rester dans l’Isère ou bien passer en entier dans leRhône »317. Tout ou rien. Et puisque les Parlementaires Lyonnais n’ont pas intégré cetteoption dans leur Proposition de Loi, c’est plutôt « rien ». Bien que M. Pradel, lui, « ne voitpas d’inconvénient à ce que l’arrondissement de Vienne soit incorporé au département duRhône », parce que « cette ville meure », il n’en dit rien, par peur d’être accusé de vouloir« mettre le grappin sur Vienne » si le Conseil municipal de Lyon se met en avant318.

Alors le député-maire de Vienne préfère se ranger dans un camp : il se rallie aux autresconseillers généraux de l’Isère et s’oppose à tout rattachement de son arrondissement auRhône319.

3. Un Département de l’Isère susceptible d’être affaibliLe Préfet de l’Isère, Maurice Doublet, n’était déjà pas très enthousiaste quand il s’agissaitdu thème des limites départementales entre Rhône et Isère ! Ainsi, en mai 1965, Le Monderelate que « le préfet Maurice Doublet lui-même ne cache pas ses craintes pour l’équilibrede son département. Amputé de sa partie rhodanienne, il verrait sa prospérité compromiseet risquerait de devenir une charge pour la Nation, au même titre que d’autres départements

alpestres » 320 .

L’utilisation de l’argument « une charge pour la Nation » montre qu’il essaie de fairepeur au Gouvernement, avec un argument fort efficace, celui du coût financier, afin que leMinistère de l’Intérieur qui est en train d’étudier la proposition faite par les parlementairesdu Rhône ne donne pas suite. Cet argument a peut-être joué son rôle en ralentissant leprocessus de décision, qui sait, mais il n’a pas fonctionné face aux garanties économiquesplus alléchantes que le rattachement semblait devoir apporter à la région lyonnaise.

M. Doublet, préfet, MM. Cinelli et Chapuis, pour ne citer qu’eux en tant qu’élus de l’Isère,ne sont pas les seuls à avoir peur que leur département soit laissé pour compte au profit du« voisin ». Ainsi, par exemple, le « Comité d’Expansion Economique de l’Isère » se poseaussi contre la Proposition de rattachement, la raison étant que cela défavoriserait l’Isère

aux dépends de Lyon économiquement, et cela « à cause d’un problème administratif » 321 .

Si l’argument principal contre le rattachement est d’ordre économique, les autoritéspolitiques de l’Isère évoquent aussi l’argument affectif : dès le mois de décembre 1964,le Conseil général tient à préciser à M. Cousté, qui vient d’adresser une demande auGouvernement pour qu’elle prenne mieux en compte les exigences du département du

Rhône, qu’il « ne veut pas être amputé » 322 . En effet, l’idée de perdre une trentaine de

communes sur son territoire administratif peut paraître quelque peu brutale.317 Le Progrès, 26/05/1966318 Séance du Conseil municipal de Lyon du 29/05/1967, dans A.M.L, dossiers de presses, 3Cp8, thématique 4B7 « Limites territoiredépartemental »

319 Le Progrès, 13/06/1967.320 Le Monde, 12/5/1965

321 L’Echo Liberté, 03/06/1966322 Le Tout Lyon et le Moniteur judiciaire, jeudi 17/09/1964

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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S’il en est un, en revanche, qui n’a jamais tenu à s’exprimer vraiment sur la question deslimites territoriales, alors que sa commune était directement concernée par de potentiellesmodifications, c’est M. Marcel Ramillier, maire de Feyzin. Interrogé par le journal L’Echo-Liberté en avril 1965323, à propos de la Proposition que venait de déposer les cinq élusdu Rhône sur le bureau du Ministre de l’Intérieur, M. Ramillier répond qu’avec « l’arrivéede l’or noir » (la Raffinerie, depuis un an), l’agriculture a quasiment disparue et qu’elle est« remplacée par des centres résidentiels », et que de ce fait, certainement « la populationserait favorable à un [rattachement] ». « Mais le maire, ajoute le journal, est d’un avis plusnuancé ». En résumé, il est réservé sur la question, il n’est pas opposé totalement audétachement, mais « il doit se faire sur un plan plus général, avec d’autres communesque la périphérie immédiate ». C’est une idée un peu étrange, qu’il ne justifie pas. « Notresituation ne comporte pas de difficulté sur le plan administratif pour la population », ajoute-t-il. Sous entendu, pour Feyzin ce n’est pas un problème d’être rattaché administrativementà l’Isère mais d’avoir plus souvent affaire avec le Rhône.

Ce n’est pas ce que penseront de nombreuses personnes, quelques mois plus tard,quand surviendra la Catastrophe de Feyzin.

En guise de conclusion à ce chapitre, il est d’ailleurs vraiment très étonnant de voir ce

qu’avait publié le bulletin d’informations « Le Tout Lyon et le moniteur judiciaire» 324 , qui

abordait en 1964, en même temps que la question des limites départementales, la questionde la raffinerie de Feyzin, et évoquait une situation toute à fait prémonitoire :

« La Raffinerie de pétrole, dont il n’est pas question, ici, de discuter l’opportunité,mais qui s’implanta naguère en vertu de décisions prises à Grenoble alorsqu’elles concernaient une banlieue lyonnaise, un personnel en grande partielyonnais, l’hygiène et la sécurité des lyonnais et jusqu’à nos pompiers. Car onsuppose que les frontières départementales ne résisteraient pas à un incendie dupipe ou des réservoirs ».

Cette mise en rapport de la problématique des frontières départementales soumises àcontroverse et de l’implantation de la raffinerie de pétrole de Feyzin nous permet égalementde faire une transition avec notre chapitre suivant, qui va traiter de l’implantation de laRaffinerie en 1962, et des questions qu’elle a soulevées quant aux responsabilités publiquesdes acteurs impliqués.

Chapitre 6 : La question de l’implantation de laRaffinerie de Feyzin : un retour en arrière dansla recherche des responsabilités associées à laCatastrophe

I/ Elus locaux : l’exemplification de la mauvaise foi en politique

323 L’Echo Liberté, 18/04/1965324 « A propos des limites départementales du Rhône… », jeudi 17/09/1964

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Nous allons voir ici comment, en s’immisçant dans la crise pour accuser l’Etat etl’administration préfectorale d’avoir négligé leur avis, les élus locaux ont usé de justificationsreflétant objectivement la mauvaise foi, et illustrant donc un manque de crédibilité dans lesaccusations qu’ils ont lancées.

a- Les maires du Rhône pas si hostiles à la grande industrie

1.Le Maire de Lyon : Comment retourner sa veste…Comme nous le savons, Louis Pradel a accusé le préfet de l’Isère de ne pas avoir tenucompte de l’avis défavorable du Conseil municipal de Lyon sur l’implantation d’une raffinerieà Feyzin en 1962.

Mais contrairement à ce qu’il veut laisser entendre en 1966 après la Catastrophe, il nes’est pas toujours opposé au préfet de l’Isère. Premièrement, comme cela a déjà été dit,il a participé à la réunion organisée à la Direction des Carburants le 31 janvier 1962 pourdiscuter de la possibilité d’implanter la raffinerie à Feyzin ; et le procès-verbal de cette nousdit qu’il pensait que l’usine représenterait un « avantage sur le plan économique et socialpour l’agglomération lyonnaise » et « qu’il y était en conséquence favorable »325.

Mais en outre, alors qu’il n’était confronté qu’à ses conseillers municipaux, lors de laSéance du 2 avril 1962326, M. Pradel a montré deux types de comportements qui corroborentl’idée qu’il n’était pas encore hostile à l’idée de la Raffinerie. D’une part il dit : « Nousnous sommes arrêtés à cette solution [ndlr : du lieu de Feyzin], à laquelle le ConseilDépartemental de l’Isère a donné un avis favorable ». De toute évidence, il s’inclut dans ladécision. Il dit aussi : « M. le Préfet de l’Isère a pensé à nous consulter, mais il n’y était pasobligé ». Qui aurait pu croire qu’un jour il avait eu du respect pour le Préfet ? »

D’autre part, chose encore plus étonnante, il tente de dissuader ses conseillers dechercher à être trop tatillons et il insiste : « Si vous le désirez, je veux bien-je le répète-soumettre le dossier à une commission de techniciens […] mais je vous précise à nouveauque le Conseil départemental […] a donné un avis favorable….Si vous refusez, ils irontailleurs. Il y a deux raffineries à Strasbourg […], nous pouvons bien en avoir une à Lyon ».S’il est besoin de le préciser, cela illustre le fait qu’il était vraiment favorable à l’implantationde la raffinerie, pour des motifs de répercussions économiques.

2. Irigny ou comment être contre l’implantation d’une raffinerie pour desraisons peu avouables…Le maire de Lyon n’est pas le seul élu du Rhône à mettre en cause la responsabilité du Préfetde l’Isère dans la Catastrophe en critiquant les conditions dans lesquelles s’est implantée laRaffinerie. M. Gotail, le maire d’Irigny, ville jouxtant la raffinerie, est aussi du combat. Lorsde sa réunion extraordinaire, le 8 janvier 1966, après la Catastrophe, le Conseil municipald’Irigny rappelle qu’il a toujours été défavorable à l’implantation de la Raffinerie327. De plus,

325 A.D.I, 4332W152, dossier « Catastrophe de Feyzin , Correspondances postérieures et relatives aux rapports », Compte-rendu du 27/02/1962 du Directeur des Carburants

326 A.D.I, 4332W154, dossier n° 15 « Documents divers, Textes Conseils Municipaux Ville de Lyon »327 Archives Municipales d’Irigny (A.M.I), Série D, 2D1_12

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dans une lettre qu’il adresse au préfet du Rhône le 17 février 1966328, le Conseil Municipaldit, entre autres, que :

« la situation de cette raffinerie, sise territorialement dans l’ISERE, mais auxportes du Grand LYON, est une aberration qui a fait que la localité la plus expose,après Feyzin : la nôtre, n’a pu efficacement se faire entendre avant l’installationde cette usine, mais doit, maintenant, se préoccuper de ses deux cent soixantesinistrés ».

Comme à Lyon, la Municipalité met en cause les limites départementales, et comme àLyon elle reproche aux autorités de l’Isère de ne pas avoir pas été entendue quand elles’était opposée à l’autorisation d’implantation ; cette opposition s’était matérialisée dans ladélibération du Conseil municipal du 6 mai 1962329, où celui-ci « se [faisait] l’interprète dela population d’Irigny unanimement opposée à la création d’une raffinerie de pétrole dansla plaine de Feyzin ».

Mais l’argument phare de cette opposition résidait dans le fait qu’Irigny voulait préserverson « développement ultérieur », puisqu’il était « prévu que, dans l’avenir, [allait être]créée dans la plaine de Feyzin une zone industrielle avec des industries […] dont ledéveloppement est considérable », et de plus, une zone résidentielle devait être créée. Enclair, la Municipalité d’Irigny ne voulait surtout pas qu’on lui prenne « son » terrain.

Après avoir vu cet argument, il est amusant de constater qu’à la fin de la délibération330,le Conseil rappelle que « si dans un tel projet l’économie doit être prise en compte, elle nedoit pas passer avant l’humain ».

b. Les maires opposés à l’implantation de la raffinerie ont de mauvaisesjustifications pour se permettre d’accuserPersonne, avant la Catastrophe de Feyzin, n’était préparé face à des risques de tellenature. L’ignorance du danger technologique était partagée par tous, préfets comme élusnotamment ; en l’occurrence, quand les maires veulent attaquer le Préfet et mettre en causeses responsabilités par rapport à la décision d’implantation, ils ne peuvent pas se justifiersérieusement.

Dans la délibération du 8 janvier 1966, le Conseil Municipal d’Irigny rappelle qu’il atoujours été opposé à l’implantation de la Raffinerie, « ce qui, aujourd’hui justifie cetteposition »331. Or, cela ne « justifie » pas grand chose puisque la Catastrophe qui vientde se dérouler n’a pas de rapport avec les revendications de l’époque, étant donné qu’en1962, le Conseil municipal (outre ses ambitions d’expansion industrielle) s’était opposé auprojet à cause de la probabilité que la Raffinerie « déverse dans l’atmosphère des quantitésconsidérables de produits sulfureux », et parce qu’il était « inévitable que dans certainesconditions atmosphériques ces produits [se déposent] sur le territoire de la communed’Irigny ». C’était une précaution prise « du point de vue de la santé des hommes et

accessoirement de la conservation des cultures fruitières » 332 .

328 A.M.I, 5I4_03329 A.M.I, Série D, 2D1_12

330 A.M.I, Série D, 2D1_12, 6 mai 1962331 A.M.I, Série, D, 2D1_12332 A.M.I, Série D, 5I4_03

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Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositions politiques

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Les risques envisagés étaient liés à la pollution ; à aucun moment la Municipalité nementionnait les risques d’incendie ou explosion.

Du côté de Lyon, c’est à peu près la même chose, même si le maire semble un peu plusconscient des grands dangers liés à ce type d’industrie. Bizarrement, cependant, il les faitpasser en second plan. En séance du Conseil Municipal du 2 juillet 1962333, avant d’émettreson avis défavorable à l’implantation de la Raffinerie, il reconnaît donc dans un premiertemps que « l’implantation d’un complexe pétrochimique […] ne manque pas d’inquiéter »,que « les dangers d’explosion et d’incendie résultant du stockage de […] pétrole, fuel,butane et propane ne seront pas négligeables », mais, ajoute-t-il, « de sérieuses mesurespréventives ont été mises au point et nous savons que les moyens actuels de lutte contrel’incendie permettent de circonscrire rapidement de pareils sinistres ». Cela montre qu’il atotalement confiance envers les connaissances des pompiers en matière d’incendie, alorsque la Catastrophe révèlera un phénomène nouveau, que les pompiers n’avaient jamaiseu à combattre.

Faisant donc confiance aux hommes pour combattre ce genre de sinistre, pour lui il« reste un problème plus grave, qui intéresse Lyon au premier chef : celui de la pollutionatmosphérique », et c’est « compte-tenu de l’avis [des] techniciens » qu’il émet un avisdéfavorable.

(16 ) Pompiers après le sinistre de 1966Ajoutons à ces exemples celui, à un niveau de moindre importance, du Docteur Cinelli,

conseiller général de l’Isère, qui, bien qu’il soit Isérois, était contre l’implantation de laRaffinerie– comme quoi le problème n’était pas « départemental »- et le fait savoir le 5janvier 1966 au Conseil Général de l’Isère334, en déclarant : « Les maires de mon canton

333 A.D.I, 6569W42, dossier « sinistre du 4/01/1966 », « Ville de Lyon, séance du 2 juillet 1962 »334 Le Progrès, 6/01/1966, p.5 bis

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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et moi-même avons lutté par tous les moyens contre l’installation du complexe pétrolier ».D’une part, ce n’est certainement pas vrai pour tous les maires de son canton, puisquecelui-ci inclut M. Ramillier, maire de Feyzin, qui en l’occurrence n’aurait pu se joindre à ce« mouvement » ; et d’autre part on ne retrouve pas trace de cette « lutte », mis à part le faitqu’il ait sûrement donné un avis défavorable lorsque le Préfet de l’Isère l’a consulté. Sesseuls propos émis par le passé au sujet de la raffinerie335, sont les suivants :

« Je me suis toujours attaché à réserver chez nous un coin de verdure, un endroitoù l’on pourra encore tremper un fil dans l’eau, et je crois que dans l’ensemblelyonnais notre contrée doit continuer à être un espace vert. C’est dans cet espritque j’ai combattu l’installation d’une raffinerie de pétrole sur le territoire de lacommune championne de France de la culture des roses [ndlr : Feyzin] ».

C’est en tout cas une façon bien romantique de lutter contre une raffinerie de pétrole, peut-être pas vraiment efficace… ! Mais dans le fond, sa préoccupation rejoint celle des maires deLyon et Irigny : empêcher que leur région ne soit irréversiblement polluée par une industrieintensive.

II/ Une Raffinerie imposée par l’Etat ?Cette partie nous permettra de voir, sans avoir la prétention de trancher la question, enquoi l’Etat, à travers le préfet, a tout fait pour ne pas risquer d’être accusé d’avoir imposéEtablissement, et pourquoi, pourtant, subsiste cette idée que les intérêts politico-industrielspriment.

a- La bonne volonté du Préfet de l’IsèreSouvent, le préfet de l’Isère a insisté sur le fait qu’il avait fait plus que le nécessaire pourélargir les consultations au sujet de l’implantation de la Raffinerie de Feyzin en 1962.

Dans la lettre qu’il adressait au Préfet du Rhône, le 25 janvier 1966, à propos desdéclarations faites par Louis Pradel336, il s’exprimait de la manière suivante :

« Vous conviendrez que je suis bien mal récompensé du souci de conciliationqui a toujours été mien dans cette affaire. En ce qui concerne l’implantation, j’aiélargi les consultations et les procédures bien au-delà de ce que m’imposaientles textes. Peut-être serai-il opportun de rappeler à M. le Maire de Lyon que jen’étais nullement tenu de le consulter ».

Avant même les consultations des communes environnantes de la Raffinerie, les autoritésdu Rhône avaient été conviées à la réunion qui a eu lieu à la Direction des carburantsle 31 janvier 1962, après que le Comité Régional pour l’Aménagement et l’ExpansionEconomique de la Région Rhône-Alpes ait arrêté son choix sur un terrain industriel de lacommune de Feyzin337.

Ensuite, le préfet, « dans un souci de large information, [a] tenu à recueillir les avisdes communes de l’Isère voisines de Feyzin : Solaize, Corbas, Sérézin, Saint Symphorien

335 Ce qui n’engage que l’auteur336 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Lettre du Préfet de l’Isère, 25/01/1966

337 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Rapport du Préfet de l’Isère auGouvernement, 18/01/1966

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d’Ozon, ainsi que les communes du Rhône directement concernées : Lyon, Pierre-Bénite,Saint-Genis-Laval, Vénissieux, Saint Fons, Charly, Vernaison, Irigny » 338 ; « compte tenude l’importance exceptionnelle prise par la Raffinerie de Feyzin, [il a] personnellement tenu

à associer étroitement l’ensemble des autorités et collectivités concernées » 339 .

Ainsi en atteste la lettre adressée le 16 février 1962340 aux maires des communes duRhône :

« J’ai tenu à vous informer de ce projet et je vous serais obligé de vouloir bien,le cas échéant, me transmettre, dans les meilleurs délais, vos observations à cesujet et celles que vous aurez pu recueillir dans votre commune ».

Auparavant, il les informe que l’enquête commodo et incommodo se tient à Feyzinuniquement, pendant 14 jours, du 5 au 19 février, selon la procédure instaurée par le décret

du 1er avril 1939 relatifs aux Etablissements traitant des hydrocarbures. L’article 4 de cedécret ne l’obligeait à consulter que la commune de Feyzin341.

De plus, il organise « personnellement et spontanément » une confrontation Rhône-Isère, « en associant une délégation du Conseil départemental d’Hygiène du Rhône aux

travaux du Conseil départemental d’Hygiène de l’Isère », le 1er mars 1962342.Ces preuves de bonne volonté, toutefois, ne signifie pas qu’il a été tenu compte des

personnes concertées. Mais il semble que selon le Préfet, aucune des « réserves » émisespar ces collectivités quand elles ont fait connaître leur avis n’ait retenu son attention, puisque« ces dernières ne concernaient que les risques de pollution de l’air et des eaux » 343.

Pourtant pour les collectivités concernées, et en première ligne Lyon et Irigny, ces« largesses » prises par le préfet vis-à-vis des textes n’étaient que des façades, qui nerésistaient pas longtemps à la pratique, puisque les décisions qui devaient satisfaire laSociété Rhône-Alpes étaient déjà prises.

b- .Les intérêts politico-industriels, masqués par l’Administration

1. Deux communes témoins de promesses non tenuesLa Ville d’Irigny, tout d’abord, a pu se sentir flouée dans le processus de « consultation »qui émanait du Préfet Doublet, ainsi qu’en témoigne la correspondance échangée entre

338 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Rapport du Préfet de l’Isère auGouvernement, 18/01/1966, p.8

339 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Rapport du Préfet de l’Isère auGouvernement, 18/01/1966, p.10

340 A.D.I, 6569W42, dossier « sinistre du 4/01/66 »341 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Rapport du Préfet de l’Isère auGouvernement, 18/01/1966

342 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Rapport du Préfet de l’Isère auGouvernement, 18/01/196

343 A.D.I, 4332W152, dossier « Correspondances relatives et postérieures aux rapports », Rapport du Préfet de l’Isère auGouvernement, 18/01/1966

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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les deux autorités. Premièrement, M. Doublet envoie au maire d’Irigny le 16 mai 1962344

l’information selon laquelle l’enquête commodo et incommodo se tient à la mairie de Feyzinjusqu’au 19 février. Ce qui laisse trois jours pour réfléchir à une éventuelle réclamation etla transmettre ! Ensuite, quand le Maire lui fait part de ses craintes concernant l’usine345

(fumée et odeur), le Préfet lui répond en date du 13 mars346 par une lettre se voulantrassurante, puisqu’il affirme que toutes les conditions d’exploitation ont été « approuvéespar les personnes nécessaires », et qu’il insiste sur le fait que la Raffinerie se comporte« comme une usine ordinaire », au niveau de la chaufferie. Puis intervient l’arrêté préfectoraldu 20/04/1962 autorisant l’implantation de la raffinerie347, alors que la délibération du Conseilmunicipal d’Irigny portant sur le sujet de la raffinerie n’est prise que le 6 mai 1962. Commel’avis d’Irigny est défavorable, le préfet renvoie une lettre le 28 mai348, dans laquelle il tentede justifier encore une fois que la raffinerie ne présente pas plus de problèmes qu’une« usine Ordinaire », et il répète que toutes les conditions ont été réunies pour une bonneprise de décision.

A Lyon, le scénario a été plus ou moins le même, même si c’est le dossier completdu projet avait été adressé au Maire de Lyon le 16 février par le préfet349, et que leConseil municipal aurait pu intervenir avant l’arrêté préfectoral du 20 avril s’il l’avait souhaité.Toujours est-il que la délibération étant intervenue le 2 juillet 1966, le préfet de l’Isère a quandmême fait savoir en septembre que Lyon était toujours susceptible d’être « associée »à la surveillance de l’Etablissement, même si l’attribution revenait à l’Inspecteur desEtablissements classés de l’Isère. Louis Pradel a donc fait une proposition de deux nomsde fonctionnaires de la Ville de Lyon, le 19 octobre. Ce à quoi M. Doublet a répondu, le 26novembre, que ce n’était « pas prévu dans les textes », et qu’il était donc difficile d’accéderà sa requête. Evidemment, le maire répond, le 16 janvier 1963, en faisant bien noter aupréfet qu’il y a des contradictions entre ses propositions et ce qu’il est possible de réaliser ;n’ayant pas de réponse, il sollicite à nouveau en mars une collaboration dans le contrôledes installations, ce qu’il n’obtient pas350.

2. Des intérêts économiques évidents

Un ami de M. Gotail ( le maire d’Irigny) au Conseil général du Rhône351, lui fait part de sonimpression selon laquelle le préfet de l’Isère, par les justifications qu’il s’efforçait de donner àpropos du choix de l’implantation de la raffinerie en 1962, essayait seulement de masquer lefait que « cette Raffinerie appartient au Groupement pétrolier le plus important, dans lequeldes capitaux d’Etat sont investis pour un fort pourcentage ». Ce même conseiller général estpersuadé « que l’enquête en cours [en 1966]révèlera une responsabilité en bas de l’échelle

344 A.M.I, 5I4_03, lettre du préfet de l’Isère, 16/02/1962345 lettre du 24 février , A.M.I, 5I4_03346 A.M.I, 5I4_03, lettre du préfet de l’Isère, 13/03/1962347 A.M.I, 5I4_03, texte intégral. Voir annexe n°9348 A.M.I, 5I4_03, lettre du préfet de l’Isère, 28/05/1966

349 Archives Municipales de Feyzin, dossier « Préfecture de l’Isère… », Lettre du Préfet de l’Isère du 10/03/1966 adresséeà M. Pradel.

350 Tous les faits et dates relatés dans ce dernier paragraphe sont issus de la Séance du Conseil municipal de Lyon du24/01/1966 : A.M.L, W, B.M.O351 Courrier incomplet, sans le nom de l’expéditeur. AM.I, 5I4_03, lettre du 7/03/1966

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Deuxieme partie : Des arguments administratifs comme pretexte a des oppositions politiques

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ou la fatalité, parce que le juge d’instruction ne pourra évoquer le véritable problème quipose la responsabilité de l’implantation d’une raffinerie de pétrole de cette importance ».Ses suppositions se révèleront exactes.

C’est la même impression qui domine quand le sénateur Camille Vallin exprime, lui, aumaire de Feyzin son sentiment sur le fait que la commission d’élus locaux qu’ils proposaientpour surveiller la sécurité de la raffinerie de Feyzin « aurait contrecarré les projets quiactuellement se réalisent en vue de l’augmentation de la capacité de production de l’usine »352 , toujours avec cette idée que les intérêts économiques priment du point de vue de l’Etat.

Ces allégations se trouvent être fondées, puisque la Direction des Carburants, dansle compte-rendu qu’elle avait adressé à M. Doublet après la réunion qui s’était tenue le 31janvier 1962 à Paris pour examiner le projet de Raffinerie à Feyzin, s’exprimait de la manièresuivante :

« Compte tenu des considérations d’économie pétrolière et des délaisnécessaires, il est reconnu que l’implantation à Feyzin est la seule qu’il soitpossible de retenir dans la région lyonnaise, dans le cadre du projet de l’UGP »353.

Cela signifie d’une part que c’est l’Union Générale des Pétrole qui avait de toute façon ledernier mot sur le choix du lieu d’implantation de la raffinerie, et que par conséquent M.Doublet devait se conformer à cette volonté conjointe de l’Etat et de la Société. Ainsi, il nelui aurait donc pas été possible de prendre en compte les avis défavorables qui lui ont étéadressés, même si officiellement les multiples consultations lancées devaient démontrerque l’Administration tenait compte de toutes les opinions politiques.

352 Archives Municipales de Feyzin, dossier « Préfecture de l’Isère… », lettre de C. Vallin au Maire de Feyzin, 18/03/1966.353 A.D.I, 6569W42, dossier « sinistre de Feyzin », Compte-rendu de la réunion du 31/01/1962, du Ministère de l’Industrie à

M. Doublet, 27/02/1962

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Conclusion

Voici le moment de conclure cette étude sur les aspects du pouvoir dans la crise. Nousavons vu aussi bien le terme des gestions de crise dans son sens le plus objectif, à savoir larecherche de solutions aux problèmes provoqués par la Catastrophe ; et dans un sens plusorienté politiquement, où la crise n’est plus tant lié à l’évènement perturbateur, mais à uneextrapolation autour de celui-ci, du fait que les répercussions d’un tel évènement provoquenttoute une série de réactions. Ces réactions proviennent de tous les milieux, mais celles quiont le plus de poids sont les commentaires faits par la sphère politique.

« L’avalanche de problèmes » est donc synonyme d’une multiplication des acteurs354,et par conséquent, l’effet est un accroissement de la complexité qui émane déjà de lacrise. Le fait que le champ du pouvoir s’étend modifie les enjeux de la crise. Ainsi à Feyzinles polémiques purement politiques, notamment du maire de Lyon, tendent à donner uneautre vision de la Catastrophe, qui ne serait plus surprenante du fait de la fatalité, maisintolérable du fait des responsabilités que l’on peut y associer. Ici, l’Etat est mis en cause,ce qui aujourd’hui n’aurait rien de surprenant. Mais à l’époque, les grands intérêts politico-industriels n’étaient pas encore envisagés par tous, car les complexes industriels de cetteenvergure étaient plutôt récents.

Après la Catastrophe, une fois l’urgence résolue, c’est donc la multiplication des prisesde position liées à la recherche des responsabilités qui provoquent le « désordre ».

Nous nous demandions au départ si les relations entre les acteurs devant gérer la criseétaient efficaces pour bien gérer cette crise, justement. D’après notre première partie, nouspouvons dire qu’assurément que ça a été un facteur positif pour dépasser la crise, puisquele préfet et le maire entretenaient de bons rapports, même si l’Etat, incarné par le préfet,ne pouvait pas toujours aider l’élu à obtenir des améliorations en matières de sécurité…puisque ces amélioration étaient justement demandées à l’Etat central.

Dans notre deuxième partie deuxième en revanche il apparaît réellement que le faitqu’un acteur politique de premier plan, le maire de Lyon, vienne se greffer au cercle desdécideurs a conduit à compliquer la gestion de la crise. L’argument de la crise n’était plusla Catastrophe en elle-même, mais les compétences administratives. Ce qui, on l’a vu, estune question de taille dans la vie politique ; les frontières administratives déterminaient lespoints de vue, et justifiaient selon les acteurs politiques ou administratifs l’attribution desresponsabilités.

Malgré cela, la Catastrophe n’a pas freiné l’expansion de la raffinerie de Feyzin, nipermis d’impliquer judiciairement la responsabilité de l’Etat.

illustration (17)

354 Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris, L’Harmattan, 1992

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Conclusion

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Ce qu’il reste de la sphere 443 apres lA CATASTROPHE (18)

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Illustrations

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Illustrations

1- Archives départementales de l’Isère, 4332W154, collection Le Progrès2- Archives départementales de l’Isère, 4332W154, collection Le Progrès3- Photographie personnelle4- Photographie personnelle5- Publication Elf 1974 ( Médiathèque Feyzin )6- Dernière heure 8 janvier7- Archives départementales de l’Isère, 4332W154,collection Le Progrès8- Photographie personnelle9- Archives départementales de l’Isère, 4332W154, collection Le Progrès10- Publication Raffinerie Elf 197411- Photographie personnelle12- Brochure Corps des Sapeurs Pompiers de la Ville de Lyon Plaquette Souvenir 1966,

Dossier13- Catastrophe de Feyzin, (Médiathèque Feyzin)14- L’Echo-Liberté, 20/02/197015- Dernière Heure, 1/04/196616- L’Echo Liberté, 3/12/196717-Archives Départementales du Rhône, 3618W172 : Incendie18- Archives départementales de l’Isère, 4332W154,collection Le Progrès19- Archives départementales de l’Isère, 4332W154,collection Le Progrès

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Sources

Ouvrages

Centre d’études psychologiques des sinistres et de leur prévention, La Catastrophe deFeyzin, 1966, 513 pages

Giraud Thierry, Monin Josiane, Bellay Frédéric, Feyzin, Mémoires d’une catastrophe,Lyon, Ed. Lieux Dits, déc.2005

Ramillier Bernadette, Chroniques de Feyzin, Tome I « Vie Publique », « 1966, L’annéehorrible », p.288-293

Comité Régional pour l’aménagement et l’expansion économique de la Région Rhône-Alpes, « Implantation d’une raffinerie de pétrole dans la région industrielle deFeyzin », 1962

Dictionnaire Biographique des Préfets. Septembre 1870-mai 1982, Paris, ArchivesNationales, 1982

Presse

Périer Jacques, Il y a trente ans, la catastrophe de Feyzin, dans “Côté Cour CôtéJardin“, déc. 1995. p.17-20

Archives Municipales de Lyon, Dossier de Presse 3Cp8 « thème 4B7 : Limites territ.Départemental»

Archives Municipales de Lyon, Dossier de Presse 3Cp101 « thème 2I7 : Incendie deFeyzin »

Archives Municipales de Feyzin, Série C « Sources Imprimées », Revue de Presse

Archives Départementales de l’Isère, 4332W157 : Revue de Presse Locale, 1966

Bibliothèque Municipale de Lyon, Dossier de Presse sur la Catastrophe + Le Progrèsde 1966

Médiathèque de Feyzin, quelques articles Dauphiné, Progrès

Archives

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Sources

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Archives Départementales de l’Isère – A.D.I

4332W153 : Ecole des Razes/ Correspondances journaux,/Correspondancespersonnalités administrations, associations/Dossier Affaire Pradel/ Rapport Wiehn/Doléances maires

4332W152 : Catastrophe de Feyzin chronologie du sinistre/ Catastrophe Rapports àParis/Correspondance postérieure et relatives aux rapports /Instruction Vienne

6569W42 : Raffinerie de Feyzin/Sté Rhône-Alpes/Procès

4332W154 : Rapports Ministères/Conclusions enquêtes/Réunions, manifestations/Conseils Municipaux Lyon/ Sapeurs Pompiers,Télégrammes, obsèques, victimes

Archives Municipales de Lyon (W) – A.M.L

Bulletins Municipaux Officiels : Séance 24/01/1966, BMO 06/03/66, BMO09/01/1966, Bulletin Officiel 16 janvier 1966, Séance 26/09/1966, Séance 10/04/1967

Archives Municipales d’Irigny – A.M.I

Série D > 2D1_12 Registre des délibérations du 5/02/1961 au 19/01/1968 : Séance 6mai 1962, Séance 8 janvier 1966

Série I > 5I4_03 : Raffinerie Feyzin : Arrêté préfectoral/ lettres raffinerie/lettre Ricard

1I4_05 : explosion à Feyzin : déclarations sinistrés/ lettres Berthelet

Archives Municipales de Feyzin

1D11, Registre des délibérations municipales du 8/11/1958 au 28/11/1967 : Séance duconseil du mois de janvier, essentiellement

Série I > 5I4_10 : Catastrophe de Feyzin : tout : Comité de défense des Razes/Assurances, indemnisations/ Réceptions à la Raffinerie/ lettres et docs de laRaffinerie / Relogements/ Municipalités voisines/Comité de réparation et de secours/Préfecture Isère, Sénat, Minist.Industrie/Divers/ Ecole des Razes/ Télégrammes.

Série C : sources imprimeées : Etude sur les brûlures/ tracts syndicaux

Médiathèque Feyzin

Divers : Cartel des syndicats et associations populaires de Feyzin/ tracts syndicaux /Publication Elf / Bulletin Sapeurs de Lyon

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

88 BERTHET Lea_2008

Sitographie

http://www.legifrance.gouv.fr > Code Général des collectivités locales [vu en juillet 08]

http://www.isere.pref.gouv.fr/sections/risques3689/risques_technologiqu/risques_industriels/ [vu en août 08]

http://previnfo.net/modules.php?ModPath=sujet&ModStart=wiki&op=aff&page=planorsec > Plan Orsec [revu en août08]

http://www.patricklagadec.net/fr/[revu en août 08]

http://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-3-page-162.htm > “A plusieurs voix surLa Société du risque“ [vu en avril 08]

http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=61 > “U. Beck fait-il courir desrisques à la sociologie ?“ [vu en mars en avril 08]

http//:www. diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/0405-FAVIER-FR-2.pdf > Entretien RenéFavier : “ Dieu, l’expert et les cataclysmes“ [mai 08]

http://www.cfbp.fr/?p_idref=704> Comité Français du Butane et du Propane [ août 08]

http://www.aria.developpement-durable.gouv.fr/barpi_stats.gnc> Site des accidentsindustriels, Catastrophe Feyzin = fiche n°1 [revu en août 08]

Généawiki : historiques Feyzin, département du Rhône

Photographie

Archives Départementale de l’Isère, 4332W154, Dossier n°16, Photographies LeProgrès, 1966

Archives Départementales du Rhône, 3618W172 : Raffinerie, Incendie, dégâts,obsèques publiques et 3618W145: Cérémonies commémoratives (Versements duSDIS du Rhône)

Photographies personnelles

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Bibliographies

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Bibliographies

Ouvrages généraux /politique

Sauzay Laurent, Louis Pradel, maire de Lyon, Lyon : Ed. Lyonnaises d’Art et d’Histoire,1998

Favre Pierre, Comprendre le Monde pour le changer, Paris, Presses de Science Po,2005

Sur les risques

Beck Ulrich, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité. Paris, Aubier, 2001(traduction)

Peretti-Watel Patrick., La société du Risque, Paris, La découverte, 2001

Lagadec P., Le Risque technologique majeur - Politique, risque et processusde développement, Paris, Pergamon, 1981. Cf. Introduction générale http://www.patricklagadec.net/fr/pdf/introduction_risque.pdf

Fabiani JL., Theys Jacques (dir.), La Société vulnérable. Evaluer et maîtriser lesrisques, Paris, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 1987

Chaline C., Dubois-Maury J., La ville et ses dangers : prévention et gestion des risquesnaturels, sociaux et technologiques. Paris : Masson, 1994

Chaline C., Dubois-Maury J., Les risques urbains. Paris : A. Colin, 2002

Coanus T., Pérouse J-F , Villes et risques. Regards croisés sur quelques cités « endanger », Paris, Economica, 2006

Gilbert C., « La fabrique des risques », Cahiers internationaux de sociologie 2003/1, n°114, p. 55-72

Sur la règlementation des industries dangereuses

Certu, Risque industriel et territoires en France et en Europe , Ministère de l’écologie,2003

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Baret-Bourgoin Estelle., La Ville Industrielle et ses poisons- Les mutations desensibilités aux nuisances et pollutions industrielles à Grenoble 1810-1914 ,Grenoble : PUG, 2005

Massard-Guilbaud G., « La régulation des nuisances industrielles urbaines,1800-1940 », Vingtième Siècle. Revue d’Histoire, n°64, oct-déc 1999, p.53-65.

Sur crise et Politique

Lagadec P., La gestion des crises, Paris, Mac Graaw-Hill, 1991.

Gilbert C.(dir), La Catastrophe, l'élu et le préfet , Presses Universitaires de Grenoble,1990. Actes du séminaire « Catastrophe et gestion de crise, rôle de l’Etat et descollectivités locales », 7-8 décembre 1989, Château de Sassenage, Grenoble

Gilbert C., « Traitement des risques collectifs et action des préfets : entre procéduresformelles et pratiques réelles », dans Gleizal J-J. (dir.), Le retour des préfets ?, PUG,1995. Partie III, chap. 3.

Gilbert C., Le pouvoir en situation extrême. Catastrophes et Politique, Paris,L’Harmattan, 1992

Gilbert Claude, Zuanon Jean-Paul, « Situations de crise et risques majeurs : vers uneredistribution des pouvoirs ? » dans Politique et Management Public, Vol.9, n°2,1993. p.59-75

Sur les Catastrophes

Descamps Marc-Alain, « Catastrophe et responsabilité », dans la Revue Française deSociologie, vol.13, n°3, 1972

Favier R., Granet-Abisset A-M., Récits et représentations des catastrophes depuisl’Antiquité, MSH Rhône –Alpes.

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Annexes

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Annexes

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Liste des personnes décédées dans la Catastrophe deFeyzin

Discours prononcé par M. Doublet lors de lacérémonie officielle de Levée des Corps le vendredi 7janvier 1968

Schéma et plan de la situation géographique deFeyzin vis-à-vis de la Raffinerie

Télégrammes officiels de Condoléances suite àl’accident du 4 janvier 1966

Délibération de la Séance extraordinaire du Conseilmunicipal de Feyzin le 6 janvier 1966

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Feyzin, 4 janvier 1966 : La première grande catastrophe industrielle moderne et ses implicationspolitico-administratives

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Exemple d’un avis d’Enqûete Commodo etIncommodo (adressé à la ville d’Irigny, en septembre1966, à propos d’une l’extension de la Raffinerie deFeyzin)

Lettre de M. Doublet envoyée le 10 mars 1966 à M.Pradel

Une du Progrès du 25 janvier 1966, le lendemain de laSéance du Conseil municipal de Lyon

Arrêté pris le 20 avril 1962 par le préfet de l’Isèreautorisant l’installation d’une raffinerie de pétrole àFeyzin.

Copie d’une lettre des Archives Nationales suite àune demande de dérogation pour consulter certainsversements de la Préfecture de l’Isère

A consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de l'Institutd'Etudes Politiques de Lyon

Source :De l’auteur

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Résumé

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Résumé

Le 4 janvier 1966, un incendie et plusieurs explosions surviennent à la raffinerie de Feyzin,commune située à 10 kilomètres au sud de Lyon. Cette catastrophe, première du genre,coûte la vie à 18 personnes, principalement des pompiers. La crise provoquée par lacatastrophe appelle une gestion administrative efficace, qui sera essentiellement portéepar le maire de Feyzin, M. Ramillier, et le préfet de l’Isère (dont Feyzin fait partie), M.Doublet. Outre la gestion immédiate des aspects techniques de la crise, c’est la questiondes responsabilités qui fait rapidement son apparition. Ces acteurs, en tant qu’élu etreprésentant de l’Etat, se disculpent de toute responsabilité vis-à-vis de l’accident, touten assumant leur responsabilité politique ou juridique. Mais on peut constater que lacatastrophe devient petit à petit un prétexte à des batailles politiques, notamment sur fondde découpages administratifs…car avec l’entrée en scène du maire de Lyon, M. Pradel,c’est la question de la délimitation de la frontière entre Rhône et Isère qui devient le cœurdu problème, tandis que cette question est justement débattue au niveau national. Les élusdu Rhône regrettent que les autorités de l’Isère n’aient pas tenu compte de l’avis du Rhônepour implanter une raffinerie aussi proche de ce département. En réalité, ces accusationsne sont pas toujours fondées, et il apparaît que c’est une vraie logique politique de renvoisde responsabilités qui se met en place, notamment avec la question des pompiers de Lyonmorts à Feyzin, pour accréditer la thèse du mauvais découpage du département du Rhône,et tout cela sur fond d’intérêts politico-industriels non avoués de la part de l’Etat.

Mots-clésCatastrophe Feyzin 1966/ incendie raffinerie/ explosion raffinerie/ phénomène BLEVE/

pompiers tués/ responsabilités politiques/ gestion de crise post-accidentelle/ élus locauxet préfet/ découpages administratifs/ limites départementales Rhône-Isère/ Louis Pradel/Maurice Doublet/ implantation complexe pétrolier 1962/ intérêts politico-industriels