INNOVATION Lesvignobless’enremettentaucielpourprospérer · Tous droits réservés Les Echos 2009...

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Tous droits réservés - Les Echos 2009 17/9/2009 P.11 LES STRATÉGIES INNOVATION L a vigne vue du ciel. L’image- rie satellite constitue la der- nière technologie tendance pour quelques propriétés du Bor- delais, de la Champagne ou du Languedoc. L’intérêt ? Une con- naissance précise du terroir. Les vi- ticulteurs sont férus de technologie depuis longtemps : sondages ou encore mesure de la résistivité du sol, voire photographies aériennes. Pourtant, si elle est connue dans l’agriculture céréalière depuis long- temps, l’utilisation des satellites n’avait pourtant pas encore franchi la frontière des vignobles. Les ima- ges prises du ciel donnent des in- formations précises sur le dévelop- pement de la végétation ou encore les maladies. Cela permet ensuite aux agriculteurs d’adapter les trai- tements ou l’irrigation en fonction des besoins. La viticulture n’en est pas encore là. Infoterra, filiale d’EADS As- trium, qui fournit ce service de car- tographie très spécialisé, a d’abord travaillé plusieurs années pour adapter sa technologie au monde viticole en collaborant avec l’Insti- tut coopératif du vin (ICV). Le principe de fonctionnement est le même qu’avec d’autres plantes. La lumière du soleil est réfléchie par le feuillage de la vigne et captée par l’objectif du satellite. « Nous analy- sons ensuite ces données pour pro- duire des cartes. L’ICV fournissant le conseil d’un point de vue viticole », résume Henri Douche, respon- sable commercial agriculture et environnement chez Infoterra. Ces images satellite, présentant des zones allant du vert à l’orange sont peu lisibles pour le profane, mais très claires pour les profes- sionnels. L’information est précise à quatre mètres carrés près. « Vous voyez que cette parcelle n’est pas homogène. Ces couleurs indiquent que le développement végétal à un moment donné n’est pas le même ici et là. Donc que le raisin est de qua- lité différente. C’est le début de la viticulture de précision », insiste Stephen Carrier, directeur de Châ- teau Fieuzal, un domaine réputé de 80 hectares de l’appellation Pes- sac Léognan. A Château Lynch Ba- ges, un grand cru de Pauillac dans le Médoc, le responsable techni- que, Nicolas Labenne, scrute des cartes semblables : « Sur cette zone de 4 hectares, nous avions 6 parcel- les. Avec les photos aériennes nous avons défini 16 zones et avec le sa- tellite, nous sommes allés jusqu’à 18 zones présentant des qualités de raisins différentes. » Tout l’intérêt est ensuite de vinifier ces raisins séparément pour obtenir des vins aux caractéristiques différentes. Certains serviront à faire le second vin de la propriété, tandis que les meilleurs seront sélectionnés pour le premier. Méthodes de travail modifiées Une technologie dont le prix reste raisonnable (le service est vendu de 20 à 50 euros par hectare) et qui n’est pas réservée aux grands vi- gnobles. La preuve avec la cave coopérative de Mont Tauch qui rè- gne sur l’appellation Fitou : 2.000 hectares et 200 viticulteurs. Les languedociens ont recours au satellite depuis 2006. Avec une ap- proche originale. Les images satel- lites complètent le travail de l’homme. « Nous les utilisons sur la moitié du vignoble que nos techni- ciens de la coopérative n’ont pas le temps de parcourir », explique Jé- rôme Collas, responsable du ser- vice vignoble de la coopérative. Des terroirs jugés moins bons mais sur lesquels la cave a ainsi pu met- tre en évidence deux qualités bien distinctes en fonction des zones. Une différence confirmée lors des dégustations. « En moyenne, avec les raisins du lot 1, on obtient un meilleur profil aromatique, alors que le lot 2 donne moins de matière avec des arômes herbacés, résume Jérôme Collas, ensuite on peut tra- vailler ces vins de façon différente, toucher des marchés distincts et avoir des gammes différentes. » Utiliser ces outils « d’aide à la dé- cision » n’est pas sans conséquen- ces. Ils obligent les viticulteurs à modifier les méthodes de travail. A la coopérative de Mont Tauch où l’on travaille sur des centaines d’hectares, il a fallu adapter un process presque industriel : « Lors des vendanges, il faut pouvoir dire immédiatement lorsqu’une benne arrive qu’il s’agit d’un lot 1 ou 2 et dans quelle cuve le mettre. » De plus, vinifier les raisins séparément suppose des cuves plus petites. Château Fieuzal va ainsi investir 5 millions d’euros dans un cuvier neuf. L’avenir ? Rendre disponible ces images, précisément géoréfé- rencées, sur un simple « smart- phone ». Nul doute que Château Fieuzal sera parmi les premiers ac- quéreurs. FRANK NIEDERCORN (À BORDEAUX) Les vignobles s’en remettent au ciel pour prospérer Après l’agriculture, la viticulture commence à utiliser les images satellite permettant d’affiner la connaissance des parcelles. L’intérêt de cette nouvelle technologie est de vinifier les raisins séparément pour obtenir des vins aux caractéristiques différentes. PHOTOS : DR/SIPA Cette image satellite d’une parcelle de vigne montre, à un moment donné, que le développement de la végétation est différent selon les zones. Les spécialistes en déduisent ainsi des informations sur la qualité du raisin.

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Tous droits réservés ­ Les Echos 2009

17/9/2009P.11LES STRATÉGIES

INNOVATION

L a vigne vue du ciel. L’image-rie satellite constitue la der-nière technologie tendance

pour quelques propriétés du Bor-delais, de la Champagne ou duLanguedoc. L’intérêt ? Une con-naissance précise du terroir. Les vi-ticulteurs sont férus de technologiedepuis longtemps : sondages ouencore mesure de la résistivité dusol, voire photographies aériennes.Pourtant, si elle est connue dansl’agriculture céréalière depuis long-temps, l’utilisation des satellitesn’avait pourtant pas encore franchila frontière des vignobles. Les ima-ges prises du ciel donnent des in-formations précises sur le dévelop-pement de la végétation ou encoreles maladies. Cela permet ensuiteaux agriculteurs d’adapter les trai-tements ou l’irrigation en fonctiondes besoins.

La viticulture n’en est pas encorelà. Infoterra, filiale d’EADS As-trium, qui fournit ce service de car-tographie très spécialisé, a d’abordtravaillé plusieurs années pouradapter sa technologie au mondeviticole en collaborant avec l’Insti-tut coopératif du vin (ICV). Leprincipe de fonctionnement est lemême qu’avec d’autres plantes. Lalumière du soleil est réfléchie par lefeuillage de la vigne et captée parl’objectif du satellite. « Nous analy-sons ensuite ces données pour pro-duire des cartes. L’ICV fournissant leconseil d’un point de vue viticole »,résume Henri Douche, respon-sable commercial agriculture etenvironnement chez Infoterra.

Ces images satellite, présentantdes zones allant du vert à l’orangesont peu lisibles pour le profane,mais très claires pour les profes-sionnels. L’information est préciseà quatre mètres carrés près. « Vousvoyez que cette parcelle n’est pashomogène. Ces couleurs indiquentque le développement végétal à unmoment donné n’est pas le même iciet là. Donc que le raisin est de qua-lité différente. C’est le début de laviticulture de précision », insiste

Stephen Carrier, directeur de Châ-teau Fieuzal, un domaine réputéde 80 hectares de l’appellation Pes-sac Léognan. A Château Lynch Ba-ges, un grand cru de Pauillac dansle Médoc, le responsable techni-que, Nicolas Labenne, scrute descartes semblables : « Sur cette zonede 4 hectares, nous avions 6 parcel-les. Avec les photos aériennes nousavons défini 16 zones et avec le sa-tellite, nous sommes allés jusqu’à18 zones présentant des qualités deraisins différentes. » Tout l’intérêtest ensuite de vinifier ces raisinsséparément pour obtenir des vinsaux caractéristiques différentes.

Certains serviront à faire le secondvin de la propriété, tandis que lesmeilleurs seront sélectionnés pourle premier.

Méthodes de travail modifiéesUne technologie dont le prix resteraisonnable (le service est vendude 20 à 50 euros par hectare) et quin’est pas réservée aux grands vi-gnobles. La preuve avec la cavecoopérative de Mont Tauch qui rè-gne sur l’appellation Fitou :2.000 hectares et 200 viticulteurs.Les languedociens ont recours ausatellite depuis 2006. Avec une ap-proche originale. Les images satel-

lites complètent le travail del’homme. « Nous les utilisons sur lamoitié du vignoble que nos techni-ciens de la coopérative n’ont pas letemps de parcourir », explique Jé-rôme Collas, responsable du ser-vice vignoble de la coopérative.Des terroirs jugés moins bons maissur lesquels la cave a ainsi pu met-tre en évidence deux qualités biendistinctes en fonction des zones.Une différence confirmée lors desdégustations. « En moyenne, avecles raisins du lot 1, on obtient unmeilleur profil aromatique, alorsque le lot 2 donne moins de matièreavec des arômes herbacés, résumeJérôme Collas, ensuite on peut tra-vailler ces vins de façon différente,toucher des marchés distincts etavoir des gammes différentes. »

Utiliser ces outils « d’aide à la dé-

cision » n’est pas sans conséquen-ces. Ils obligent les viticulteurs àmodifier les méthodes de travail. Ala coopérative de Mont Tauch oùl’on travaille sur des centainesd’hectares, il a fallu adapter unprocess presque industriel : « Lorsdes vendanges, il faut pouvoir direimmédiatement lorsqu’une bennearrive qu’il s’agit d’un lot 1 ou 2 etdans quelle cuve le mettre. » Deplus, vinifier les raisins séparémentsuppose des cuves plus petites.Château Fieuzal va ainsi investir5 millions d’euros dans un cuvierneuf. L’avenir ? Rendre disponibleces images, précisément géoréfé-rencées, sur un simple « smart-phone ». Nul doute que ChâteauFieuzal sera parmi les premiers ac-quéreurs. FRANK NIEDERCORN

(À BORDEAUX)

Les vignobles s’en remettent au ciel pour prospérerAprès l’agriculture,la viticulture commenceà utiliser les imagessatellite permettantd’affiner la connaissancedes parcelles.

L’intérêt de cette nouvelle technologie est de vinifier les raisins séparément pour obtenir des vins aux caractéristiques différentes.

PHOTOS:DR/SIPA

Cette image satellited’une parcelle de vigne montre,

à un moment donné,que le développement

de la végétation est différentselon les zones.

Les spécialistes en déduisent ainsides informations

sur la qualité du raisin.