IMPRIMERIE CENTRALE DE NAPOLÉON CHAIX ET C,

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IMPRIMERIE CENTRALE DE NAPOLÉON CHAIX ET C,

BIE BERGÈBE, 20, MES DO B O D I E V I R H MONIMiRTBE.

LE

SIÈGE DE SÉBASTOPOL ET

LA PAIX

POÈME HISTORIQUE

I f Auteur du Dictionnaire Mnémonique universel

ET

B O d l i A B E R T

PARIS CHEZ DENTU, L I B R A I R E , PALAIS-ROYAL

EOREANI ET DROZ, RUE DES SAINTS-PÈRES, 9.

BRUXELLES . PERICnON, BUE DE LA DIONTAGNE.

1856

Nous avons vu l'ordre merveilleusement rétabli, les intérêts rassurés, les passions apaisées, les grands travaux publics poussés avec une éton­nante activité, Paris transformé, le Louvre achevé, le crédit public fondé sur des bases nouvelles, la France faisant face à la fois aux travaux de la paix et aux efforts de la guerre, les nations conviées au concours de l'Exposition universelle, enfin la puissance et l'ascendant moral de notre pays consacrés par d'immortelles victoires et par la confiance des souve­rains et des peuples.

Nous partageons cette gloire avec l'Angleterre, engagée avec nous dans une alliance qui ouvre à l'avenir des perspectives infinies d'influence fé­conde et de progrès pacifiques. Unies désormais, la France et l'Angleterre poursuivront ensemble, avec la différence de leur caractère et de leur génie national, les grands problèmes de la civilisation moderne. Sachons les honorer et les respecter toutes deux : l'Angleterre marche avant nous dans la voie des libertés publiques, nous la précédons dans la voie de la liberté civile et de l'égalité sociale ; et, quand l'heure d'une liberté poli­tique plus complète sera venue pour nous, nous n'aurons pas à regretter d'avoir su l'attendre, car elle ne sera pas la liberté fondée sur le privilège, elle sera la liberté fondée sur le droit commun.

(DE FORCADE. La Renie contemporaine.)

DÉDICACE

Oh ! qu'elle soit notre espérance Sur le trône où nous l'attendons ! Le Ciel la créa pour la France, Quand il la combla de ses dons ! Ceux qui souffrent la vie amère, Tous les orphelins du malheur Demain retrouvent une mère : C'est la femme de l'Empereur.

Pour notre Impératrice, aux doux climats choisie. Chantez avec des voix qui savent nous ravir Les airs que redira l'écho d'Andalousie Aux collines du Tage et du Guadalquivir.

Espagne bien aimée. Où le ciel est vermeil. C'est toi qui l'as formée D'un rayon de soleil ! Nous bénissons l'aurore Et ses riantes pleurs Qui la firent éclore Dans les jardins de fleurs !

Étoile qui scintille Et se lève sur nous. Ses rayons de Castil le Font notre ciel plus doux I Le pauvre à ses souffrances Promet un meilleur temps ; Il a deux providences ; L'année a deux printemps.

(MÉnv, Épithalame.)

i^ uwmPEU^iuwQ>

Touché de vos vertus qu'admire l'univers.

J'ose mettre à vos pieds l'hommage de mes vers.

Ne le dédaignez pas, vous, nature bénie,

Pleine d'une grâce infinie ;

Noble front où Dieu mit le sceau de sa grandeur ;

Type le plus suave et le plus enchanteur ;

— 8 —

Ame que l'on dirait faite d'une autre essence.

Tant Dieu s'y réfléchit dans toute sa splendeur.

Dans toute sa magnificence 1

Miroir aux sublimes reflets,

Où resplendit tout un poëme

De douce bienveillance et de grâce suprême.

D'adorables bontés et de touchants bienfaits ;

Vous, pour qui c'était peu des titres de comtesse,

Ou de marquise ou de duchesse ;

Tant votre front respire une noble fierté !

Comme si vous étiez quelque divinité !

Tant de ce noble front, couronné de jeunesse,

Sur le monde à vos pieds, plongé dans sa bassesse.

Jaillissent, comme autant de célestes clartés.

Mille supériorités !

Tant les plus heureux dons, étoiles de votre âme.

Vous font à tous les yeux comme un voile de flamme :

Tant, en parlant de vous, on aime à raconter

Que votre corps si beau, trop beau pour une femme,

Un ange est venu l'habiter!

— g —

II

Ni la pompe des cours, ni les splendeurs du trône.

Ni le nom, ni le rang n'éblouissent mes yeux;

Car dans la main de Dieu que pèse une couronne ?

Et qu'est-ce que laterre à qui la voit des cieux ?

C'est pourquoi ma raison, d'accord avec Dieu même.

Quelque imposant que soit l'éclat du diadème.

N'admet de majesté dans l'homme et de grandeur

Que celle du génie : âme, rayon, splendeur.

Aussi la Renommée, impartiale et juste.

Avait beau proclamer vos grandes qualités.

Votre bonté céleste et votre grâce auguste.

Et toutes vos splendeurs et toutes vos beautés :

Je sais les mots flatteurs dont on berce les reines ;

Et, plus on m'exaltait vos vertus souveraines.

Moins je croyais, plongé dans mon aveuglement,

Au front de notre France un si pur diamant !

— 10 —

Mais dotant de grandeur vos traits portent l'empreinte;

Et ce triple rayon : grâce, beauté, bonté.

Couronnant votre front d'une auréole sainte,

Y mêle à tant d'éclat tant de sua\'ité,

Que, s'il n'existait pas, ce nom dont on vous nomme.

Ce nom le plus pompeux du terrestre idiome,

Ce titre dont Dieu même a voulu vous parer.

Sous quel nom faudrait-il. Reine, vous honorer ?

C'est pourquoi sur l'autel je suspends' ma guirlande ;

C'est pourquoi mon front fier s'incline devant vous,

Et qu'en vous suppliant d'agréer mon offrande

Ma rude voix se plie à des accents plus doux.

C'est pourquoi, vous voyant, Reine pleine de grâces.

Passer devant mes yeux qu'éblouissaient vos traces.

Je me suis écrié du plus profond du cœur :

Vive l'Impératrice et vive l'Empereur !

11 —

III

LA POESIE

La Poésie est tout. Rameau d'or ou couronne,

C'est tout ce qui fleurit, c'est tout ce qui rayonne ;

Tout ce qui plaît aux yeux, charme, attire, éblouit ;

Tout ce qui ravit l'âme et qui l'épanouit.

C'est toute chose belle, ou lumière ou rosée.

Aile de pourpre et d'or ou corolle irisée.

C'est le rayon de mai. C'est l'aubépine en fleur.

D'où pleut sur le chemin une neige odorante.

C'est le scintillement de l'onde transparente.

C'est le chant des oiseaux. C'est la vive couleur

Dont se teignent aux yeux les œillets et les roses.

Et mille fleurs sans nom dans la verdure écloses.

C'est le parfum ambré qui s'exhale, le soir.

De leur calice ouvert, comme d'un encensoir.

C'est le babil des eaux dans les bassins de marbre ,

Où le goujon frétille, où se répète l'arbre.

— 12 —

C'est le chant de la feuille et l'harmonieux bruit

Que font en s'éployant les ailes de la nuit.

C'est le souffle divin, c'est l'amoureuse haleine,

Dont on sent ses cheveux caressés, en dormant.

Comme d'une aile d'ange au doux frémissement.

Plus suave en odeurs que thym ou marjolaine.

C'est mille étoiles d'or au front du firmament.

C'est l'écrin de rubis, de saphirs et d'opales.

De diamants de flamme aux splendeurs idéales,

Qu'Ithuriel répand, pour éblouir nos yeux.

Sur la robe du Jour se levant dans les cieux.

C'est l'éclat du matin que chaque objet reflète.

C'est l'odeur de sainfoin, de thym, de violette,

Dont l'Aurore splendide embaume sa toilette,

Y mêlant les parfums de rose et de jasmin.

C'est le salut charmant qu'au bord du gai chemin

Vous donnent, de leur nid, le merle et la fauvette.

C'est le soleil qui rit dans l'herbe et dans les fleurs.

C'est mille bruits confus. C'est le ruisseau qui coule.

C'est le fleuve qui glisse ou le torrent qui roule.

C'est le doux cri plaintif de Philomèle en pleurs.

— 13 —

Au bord des eaux d'azur, c'est l'insecte qui rôde,

Cornaline animée ou vivante émeraude.

Sur le même gazon où le paon radieux,

Si fier, si triomphant d'attirer tous les yeux.

Fait tourner au soleil sa belle queue en roue ;

Où le vif papillon de fleur en fleur se joue.

C'est le bourdonnement de mille mouches d'or.

Voletant, se posant, reprenant leur essor.

C'est, parmi les roseaux, la verte demoiselle.

Au corsage de guêpe, à l'ardente prunelle,

Fatiguant les regards à la suivre dans l'air.

Tant son vol semble fait pour défier l'éclair !

C'est le lit de gazon, h l'ombre du vieux hêtre.

Où s'étend à loisir, pour chanter ses amours.

Le berger fortuné que Mantoue a vu naître ;

Taudis que ses troupeaux paissent aux alentours.

Et que ses blonds essaims, de corolle en corolle,

Viennent en bourdonnant sucer les fleurs du saule.

C'est le lait écumant qu'entre ses doigts de lis

Fait ruisseler à flots la belle AmarvUis.

— u —

IV

La Poésie est tout. C'est le gazon plein d'ombre,

Baigné de doux rayons, semé de fleurs sans nombre.

Dont je voudrais pouvoir, dans mon zèle pieux,

Sous le plus beau ciel bleu tout nuancé de rose.

Faire l'heureux chemin où votre pied se pose,

Comme celui d'un ange en descendant des cieux.

C'est dans le firmament, par une nuit sans voiles,

Le faisceau de rayons ou le groupe d'étoiles

A l'éclat magnifique, au reflet idéal,

Dont je voudrais pouvoir vous faire une couronne.

Dont je voudrais pouvoir entourer votre trône.

Dont je voudrais vous faire un char impérial.

La Poésie est tout ce qui rafraîchit l'âme.

Le regard d'un enfant ou celui d'une femme.

— 15 —

La prose n'est partout qu'un spectacle de maux :

C'est le malheur qui vient, poussé par l'égoïsme.

C'est le chemin de sang qui mène au communisme.

C'est, planant sur nos fronts, mille horribles fléaux.

La Poésie est tout. C'est l'ordre et la justice.

C'est le vent favorable et l'étoile propice

Qui poussent vers le port la nef du genre humain.

C'est la source limpide à côté de la route ;

L'aurore qui fait fuir les ténèbres du doute ;

La colonne de feu qui montre le chemin.

16 —

C'est l'admiration qui sur votre passage

Éclate en transports enivrants ;

C'est le cri glorieux qu'au milieu du carnage

Poussent nos soldats expirants.

C'est l'enthousiasme sublime

Qui les pousse, vainqueurs, contre Sébastopol,

Et qui leur donne, à tous, des ailes sur l'abîme

Pour la déraciner et l'arracher du sol.

C'est tous les rayons dont la gloire

Ceint le front des héros que sa flamme anima ;

C'est tout l'éclat de la victoire ;

C'est tous les lauriers de l'Aima.

C'est de Sébastopol le cratère qui gronde.

Jetant ses derniers feux, dernier efi'roi du monde.

Sur ce volcan éteint, c'est l'astre de la paix

Se levant dans l'azur où brillent vos bienfaits.

— 17

VI.

La Poésie est tout : la vie et la lumière.

C'est tout ce qu'on admire et tout ce qu'on vénère.

C'est l'essence dont Dieu compose tout grand cœur ;

Dont il forme, voyez, toute chose qui brille :

Le gazon qui verdoie ouïe flot qui scintille.

C'est Vous-même : à la fois, la grâce et la grandeur.

C'est Lui-même avec Vous : symbole d'harmonie

La bonté, la beauté, la force, le génie ;

La voix qui de la guerre apaise les fureurs.

Soleil de l'avenir, c'est l'éclat magnifique

Que jette désormais la France pacifique

Sous le sceptre béni de vos fils empereurs.

PROLOGUE

Se peut-il que des cœurs que le ciel créa frères Se soient fait tant de deuils sous des couleurs contraires Que deux peuples, doués de généreux instincts. Grandissant à la fois vers les mêmes destins, Unis parle savoir, les arts, la poésie, Aient nourri si long-temps une acre jalousie. De vieux ressentiments du temps de Beaumanoir, Légués par Jeanne d'Arc et par le Prince Noir ! Nous le répudions, ce funeste héritage ! 0 Reine, devant vous, qui venez en otage. Par un nœud gordien nous lions le faisceau ; Nous scellons notre accord d'un infrangible sceau; Devant vous, aujourd'hui qu'une autre ère commence. C'en est fait : l'avenir à nos yeux s'ouvre immense; De la nuit politique un nouvel asire sort. Qui d'un jet de lumière a consterné le Nord ; C'est un soleil d'honneur, de gloire, de justice. Dont le c^el maintiendra l'inmiuable solstice, Sur nous, Victoria, sur nos derniers neveux.

. ( BARTHÉLÉMY. A S. M. la Reine. )

Voici que l'Orient sonne le boute-selle Pour une guerre où court l'Europe universelle; Guerre où les régiments demandent à grands cris La laveur du départ, la gloire d'Être inscrits : Guerre où la charité, vierge aux flammes divines, l'intraînc un bataillon de blanches héroïnes ; Guerre de la raison, du bon droit suscité Contre la barbarie et la rapacité ; Guerre où l'honneur pour nous est le premier salaire; Guerre qui doit ouvrir une paix séculaire. Voici que, pour donner un drame saisissant, La Tauride a rouvert son théâtre de sang. Sur l'exécrable sol, dans les mêmes domaines Où Thoas égorgeait des victimes humaines, Voici que sur la scène apparaissent marquants, Des Masséna, des Ney, météores des camps, Inspirés comme ceux de nos vieux répertoires; Voici de nouveaux noms constellés de victoires. Aussi grands que jamais l'histoire en burina. Aussi beaux que Friedland, Austerlitz, léna.

{Id, La Tauride.)

L'ALLIANCE ANGLO-FRANÇAISE

(Mars 1854)

De nouveau, voilà donc la guerre qu'on déchaîne !

Comme si le torrent de la misère humaine

Ne formait pas encore un gouffre assez profond !

De nouveau, par l'orgueil d'un homme, voilà donc

Des milliers d'âmes arrachées

A la paix du foyer, à la joie, à l'amour,

Et la terre et les mers de cadavres jonchées !

Le vieil esprit des temps, le voilà de retour.

Pour égorger Priam dans son palais en flaînmes.

Pour emmener captifs les enfants et lés femmes,

— 22 —

Pour répandre partout le deuil et la terreur,

Et pour renouveler ces spectacles d'horreur

Dont, aux récits qu'en fait la Muse contristée,

L'imagination demeure épouvantée !

Il

Louons Napoléon de sa marche prudente

Pour épargner au monde un désastre si grand ;

Et que le sang versé retombe en pluie ardente

Sur la tête, aujourd'hui maudite, du tyran !

Puissent tous les malheurs que sème sa parole,

Ouragans déchaînés par ce nouvel Éole ;

Puissent tous les fléaux qu'évoque sa fureur.

Rebondissant du ciel en éclats de tonnerre.

En tourbillons de feu jaillissant de la terre.

L'atteindre et le frapper de la même terreur

Que son nom hier encor répandait dans le monde !

Et qu'on n'ait jamais vu de chute plus profonde .'

— 23 —

III

Soldats de l'Angleterre et de la France, allez,

Allez, vous que la gloire en tous lieux accompagne.

Allez à l'univers apprendre ce qu'on gagne

A fouler sans pudeur tous les droits violés !

Allez combattre l'injustice ;

Allez ouvrir le précipice

Où croulera demain le colosse du Nord,

Emportant avec soi l'affreux droit du plus fort.

D'où naît uniquement la puissance du Sort !

Allez protéger la faiblesse.

Lorsqu'elle tend vers vous ses bras, dans sa détresse.

L'héroïsme des Turcs les rend dignes de vous.

Et pour de nobles cœurs quel devoir est plus doux !

— 24 —

Turcs, Piémontais, Anglais, Français, comme un seul homme.

Marchez vers le Titan qui se proclame dieu.

Qui n'aspire qu'à voir toute l'Europe en feu;

Et qu'il s'évanouisse ainsi qu'un vain fantôme!

Pour terrasser d'un coup cet ennemi cruel.

Qui, toujours plus avide et de sang et de larmes,

Ose se prévaloir, dans ses appels aux armes.

De la complicité du Ciel ;

Pour abattre d'un coup ce fauteur d'anarchie.

Proclamé par les voix du monde ofliciel

L'idéal de la monarchie ;

Concentrez-vous, ainsi que la foudre de Dieu,

Dans un immense effort, vaste trombe de feu !

La guerre est un malheur. Faites-la courte et bonne.

Et que Cinquante-quatre, armé de tous ses droits.

Déluge amoncelé qui roule et tourbillonne.

Enveloppant ce roi des rois,

Venge Dix-huit cent douze, évoqué par sa voix !

IV

Que son peuple, par vous tiré de la poussière,

Revenant à la fin de sa stupeur première,

Comprenant mieux l'esprit de la religion.

Civilisé par vous, rentre dans la lumière.

Et, de troupeau qu'il est, devienne nation !

Et, lorsque pour briser les fers de tant d'esclaves.

Lorsque, pour affranchir des peuples opprimés.

Lorsque, pour rassurer les esprits alarmés,

L'Europe magnanime arme la main des braves.

Vous, peuples imprudents, remplis d'illusions.

Que le vertige pousse aux insurrections.

N'allez pas lui jeter de nouvelles entraves !

Sous prétexte de liberté.

N'allez pas du Titan servir la politique,

— 26 —

N'allez pas seconder sa perfide tactique !

Au profit de l'iniquité.

N'allez pas compliquer cette horrible tempête !

Guerre ! puisqu'il le faut ; mais, comme sans conquête.

Guerre aussi, mes amis, sans révolutions !

Les révolutions ne sont qu'un précipice

Où la force toujours fait crouler la justice.

Guerre, pour recouvrer la paix des nations ;

Pour mettre à la raison l'insensé qui la trouble ;

Prêt à sacrifier jusqu'à son dernier rouble,

Et son dernier soldat, vile chair à canon !

Plutôt que de rester au dessous de son nom !

Guerre, pour châtier l'auteur de tant de crimes.

Le bourreau de tant de victimes !

Pour venger tant de malheureux !

Guerre pour combler tant d'abîmes

Que creuse sous nos pas son orgueil doucereux 4

Pour lui faire expier devant toute la terre

' Les propositions qu'il fit à l'Angleterre !

Mais non pas dans le but criminel d'augmenter

Les désastres prés d'éclater !

— 27 —

Officiers et soldats qu'appelle cette guerre.

Soyez, soyez donc fiers de votre mission !

Soyez fiers du grand pas qu'ainsi vous ferez faire

A l'esprit dieu qui dit : CIVILISATION !

Qu'à la Croix le Croissant uni, dans cet orage,

Apprenne à l'Europe plus sage

Qu'il n'est qu'un Dieu, qu'il n'est qu'une religion.

Et que tous les hommes sont frères !

Malheur à qui soutient des doctrines contraires !

Gloire à qui lutte et meurt pour cette vérité !

Gloire à qui, cœur rempli d'une ardeur magnanime.

Combat pour la justice et pour la liberté !

— 28 —

Gloire à lui ! que son nom jette un éclat sublime !

Gloire à lui dans les temps et dans l'éternité !"

Malheur à qui du droit déserte la bannière !

A qui cherche la nuit et qui fuit la lumière !

PREMIÈRE PHASE

S A I N T - A R N A U D

L'amiral avait dit, l'œil fixé sur la carte : i< A tel jour de ce mois nous serons là; qu'on parte ! " Et nous partons. Les flots de Tabîme grondant. Les vents ont entendu l'ordre du commandant. Sous trois mille canons l'onde écume et se brise. Poussé par les volcans qui lui servent de brise, Le convoi symétrique ouvre le sein des eaux : Tels voyagent aux cieux ces bataillons d'oiseaux. Géomètres de l'air, qui, sous leur envergure. D'un angle ou d'une croix dessinent la figure. Si quelque lourde voile, en louvoyant à part, Rompt un moment la ligne imposée au départ, A ses flancs paresseux les vapeurs attelées La traînent au galop sur les routes salées. Ainsi les alliés marchent d'un cours certain, Longent la Péninsule où plane le destin, Font halte, au jour précis dont ils avaient pris date. Sous Eupatoria, fille de Mithridate, Et, sans rompre les rangs, sans perdre son niveau. Ce monde va bondir sur un monde nouveau.

Mais de ces rangs encor balancés par la houle, tous ces régiments qui se" dressent en foule,

Highlanders, riflemens, chasseurs, zouaves, dragons. Quels sont ceux qu'entre tous ici nous distinguons. Qui foulent les premiers ces rives inconnues? O toi, géant guerrier qui veilles snr les nues ! Patron de tout soldat dans les jours triomphants. Souris, vieil Empereur ! Ce sont les vrais enfants De ceux que promena ton ellipse lointaine Des sommets du Thabor aux flots du Borysthëne ! Les voici : Saint-Arnaud, dont, vingt ans, sur ses bords L'Afrique, sans l'abattre, a fatigué le corps ; Canrobert, dont la place également se marque Au conseil, au combat : un homme de Plutarque; Bosquet, toujours si prompt à s'élancer au feu. Et vingt autres, groupés autour de ton neveu.

Où donc est l'ennemi 1 Nul casque n'étincelle. Nul cavalier ne passe, incliné sur la selle. Nul cheval n'émeut l'air du cri de ses naseaux.

Tambours, clairons, sonnez la charge, les voici ! D'un long rideau mouvant l'horizon est noirci ; Les hauteurs de l'Aima, mornes et solitaires. Se peuplent de soldats, et de rouges cratères, Dans le creux des ravins labourés en tous sens, Vomissent, coup sur coup, les boulets bondissants. En avant! et Forward! Ce cri de guerre éclate Dans les régiments bleus et la ligne écarlate, Brûlants de se montrer, en ce jour hasardeux. Anglais dignes de nous et Français dignes d'eux !

(BARTHÉLÉMY. La Tnxride.)

L'ALMA

( Septembre 18ai)

LE POETE

Muse, comment nous mettre au pas de la victoire ?

La flotte d'un seul bond a franchi la mer Noire.

Hier, le sol de Crimée a tremblé sous les pas

Des braves alliés, afi'amés de combats.

- - .12 —

Et voilà qu'aujourd'hui Sébastopol, dont l'ombre

Épouvantait le jour de sa majesté sombre.

S'écroule

MUSE

Plût à Dieu qu'un tel événement

Ne dût pas nous coûter plus de sang et de larmes!

Et n'effrayât pas plus de l'éclat de nos armes

Les étoiles du firmament !

0 poète, avec moi chante, l'âme attendrie :

» Gloire, gloire au guerrier qui meurt pour la patriel

» Qui sacrifie ainsi jusqu'à sa liberté

» Pour le bien de l'humanité !

» Qui sacrifie ainsi son bonheur et sa vie !

» Tendre fleur de jeunesse, hélas ! trop tôt ravie

» Aux baisers d'une mère, aux chastes vœux d'un cœur

» Que le Ciel lui gardait pour compagne et pour sœur ! »

- 3.T —

II

LA MUSE

Poëte, prends ma main, et viens voir la bataille

Qui rugit'aux bords de l'Aima !

Viens voir cet ouragan de boulets, de mitraille!

Toi que dès le berceau mon amour enflamma,

0 poëte, viens voir cette armée héroïque

Qui soutient corps à corps un combat surhumain,

Sachant que le destin du monde est dans sa main.

Admire des Anglais l'attitude stoïque.

Admire des Français l'irrésistible élan.

Vois les Turcs s'avancer aussi prompts que l'élan ;

Jaloux comme il sied à des braves

Des postes les plus dangereux.

Et regrettant, parmi les sublimes zouaves.

De n'avoir pas assez de Russes devant eux !

- 3k —

0 poëte, vois-tu ces mouvements rapides

A travers les ravins, les rocs, les bataillons,

Les flammes, la fumée et trois rangs de canons.

Ce qui n'arrête pas nos soldats intrépides !

Distingues-tu, déjà flottant sur les sommets

Des falaises à pic qui bordent la mer Noire,

Nos aigles, d'où jaillit l'éclat de la victoire

En feux dont l'univers s'illumine à jamais ?

III

LA MUSE

Approche, et, d'un côté, vois la marche hardie

Des Français à travers ce déluge effrayant

De mitraille du haut des falaises pleuvant.

Vois-les, montant toujours, — comme fait l'incendie.

De plateaux en plateaux, jusque sur ces hauteurs

D'où, par un feu plongeant, les Russes les foudroient.

Vois, tandis qu'au sommet leur,'̂ aigles se déploient,

— 35 —

Les rochers se teignant du plus pur sang des leurs.

Et leurs corps des ravins comblant les profondeurs!

Écoute et vois, pendant l'escalade française,

La foudre des vaisseaux, par dessus la falaise.

Éclatant au milieu des Russes frémissants

Et rompant chaque fois leurs lignes en tous sens !

Cette musique est douce à l'oreille des braves.

Marchant droit au cratère, au milieu de ses laves.

Arrivée au sommet, vois notre armée alors

Couronnant dignement tant de sanglants efforts.

Prompte à se mettre en ligne au bord du précipice,

Ferme, elle s'y maintient jusqu'au moment propice.

Où, —les canons enfin soulevés jusque-là

Et le signal donné par Bosquet, — la voilà

Qui, comme un ouragan dévorant la distance,

Ba'ionnette en avant, sur les Russes s'élance.

Les charge, les renverse, et se fait dans leurs rangs

Un horrible chemin de morts et de mourants,

Jusqu'au pied de la tour qui leur sert de redoute.

Et d'où son œil bientôt contemple leur déroute.

— 36 —

L'entrain des artilleurs était superbe à voir.

Généraux et soldats ont bien fait leur devoir.

Gloire à l'Agamemnonde cet exploit sublime !

Gloire à Bosquet, planant le premier sur la cime !

Gloire au prince Napoléon

Que ce jour, signalé par tant de funérailles,

A montré dig'ue de son nom,

A montré plein du Dieu qui préside aux batailles !

L'as-tu vu, ce héros, favorisé des dieux,

Étouffant sous ses pieds les flammes du village.

L'as-tu vu deTAlma commander le passage?

Monnet, en franchissant le fleuve sous ses yeux.

Qu'il est beau! quelle flamme illumine sa tête!

Qu'il est beau, lorsque, atteint d'un éclat dans le cœur,

Canrobert du destin se relève vainqueur.

Salué d'un long cri de Vive l'Empereur!

Qu'il est beau, Cler, plantant son drapeau sur la crête !

Qu'il est beau de l'ardeur qu'il inspire, Thomas,

Renversé d'une balle aux yeux de ses soldats !

Gloire à tous ces héros, foudres que rien n'arrête !

— 37 —

IV

Plus loin, là-bas, vois-tu les Anglais à leur tour.

Se formant en bataille avant les feux du Jour,

Et, splendides à voir aux rayons de l'aurore.

Jaloux de conserver l'éclat qui les décore,

Marchant d'un pas réglé jusque sous les canons.

Dont les feux dans leurs rangs creusent d'affreux sillons.

Dans leur marche, en montant, gênés par le village

Où les Russes ont mis le feu sur leur passage.

Et d'où sort la fumée en épais tourbillons

Qui semble dévorer leurs rouges bataillons.

Les voilà qui font halte au pied de ces collines.

Véritable cratère ouvert au dessus d'eux,

D'où s'élance, mêlée au feu des carabines,

La lave à flots grondants des canons monstrueux.

Contemple-les par terre assis, et la mitraille

Rompant, par-ci, par-là, des jambes et des bras.

— 38 —

A l'entour de Raglan répandant mille éclats.

Comme s'il était seul le but de la bataille ;

Puis, au signal donné de reformer leurs rangs.

Se levant du milieu des morts et des mourants,

Et reprenant alors leur marche régulière ;

Sous un feu meurtrier traversant la rivière ;

Abordant les hauteurs, d'où rejaillit sur eux

Un déluge de plomb qui fait un mal affreux.

Qui sillonne leurs rangs d'effroyables trouées.

Telles, que jamais les nuées.

Passant sur ces scènes d'horreur,

N'en hâtèrent leur vol avec plus de terreur !

Vois, sur son cheval gris, Brown, parmi ce carnage,

Qui crut voir des Anglais hésiter le courage,

Les animant alors du geste et de la voix.

Disparaissant soudain dans un épais nuage

De fumée et de terre et de sang à la fois ;

Et, pendant que, frappé, son cheval mord la poudre.

Sortant, lui, sain et sauf, de cet éclat de foudre.

Et criant : u Tout est bien, mes amis ; en avant ! »

— 39 —

Vois-tu, leur apprenant à briser les obstacles.

Raglan, qui d'un regard enfante des miracles?

Vois-tu des Écossais, en ce cruel moment.

Les lignes sur le ciel si pures et si nettes.

Faisant au grand soleil briller leurs baïonnettes;

Les gardes avec eux marchant sans sourciller.

Si calmes, qu'on voyait à peine remuer

De leurs bonnets à poil le panache homérique.

Et qu'ils offraient vraiment un coup d'œil magnifique?

De balles, de boulets, vois-tu ces tourbillons

Éclatant tout à coup parmi leurs bataillons,

Tuant et renversant les hommes par centaines ;

Et ces héros, ainsi labourés, massacrés,

A travers mille morts certaines,

Maintenant jusqu'au bout leurs rangs toujours serrés,

Et, par sa fermeté, tout criblé de mitraille.

L'intrépide Campbell décidant la bataille !

Et les Russes alors fuyant de toutes parts.

Et Français, Turcs, Anglais, s'embrassant dans leur gloire

Et poussant jusqu'au ciel un grand cri de victoire.

Qui dut glacer d'effroi le troupeau des fuyards !

Les Écossais surtout n'ont-ils pas fait merveilles ?

Comme avec leur claymore ils défonçaient les rangs !

Quel effroyable amas de morts et de mourants !

Quels yeux ont jamais vu des prouesses pareilles?

En les voyant ainsi, dans leurs terribles chocs.

Effondrer l'ennemi, n'eùt-on pas dit des rocs ?

Gloire à Raglan, l'auteur d'une si belle page !

Gloire à tant de héros, notre espoir, nos regrets,

Couronnés de lauriers, couronnés de cyprès !

Gloire à tant de vertu ! gloire à tant de courage !

Gloire au duc de Cambridge, au niveau de son nom,

Au lustre des aïeux ajoutant ce rayon ;

Que ce jour, signalé par tant de funérailles,

A montré plein du dieu qui préside aux batailles !

LES MORTS ET LES BLESSÉS

LE POETE

0 Muse, ce spectacle est encor dans mes yeux.

Que c'est beau, que c'est grand, que c'est prodigieux.

Tant d'intrépidité, de sang-froid, de courage !

Mais que c'est triste aussi qu'un tel champ de carnage !

Muse, je vois surtout mille corps entassés.

Je vois sur le sol nu de malheureux blessés.

Pour abri contre l'air et la température

N'ayant qu'une capote et qu'une couverture ;

— /|2 —

Flottants entre la vie et la mort, o douleur !

Sans un regard ami qui rencontre le leur ;

Souvent sans autres soins, les pauvres créatures !

Que ceux du Choléra, moins que le fer cruel.

Qui vient les visiter et les conduire au ciel.

Je sens leurs atroces tortures.

Lorsque, après uue nuit passée en cet état.

Nuit plus rude à subir que l'heure du combat,

Ces pauvres mutilés, dévorés par la fièvre,

Le feu de leur blessure allumé sur leur lèvre.

Ils sont livrés en proie aux horribles cahots

Des hamacs ballottés ou des lourds chariots !

0 Muse, de corps morts vois ces piles affreuses,

Où les chevaux vont trébuchant!

Qui se seraient peut-être aimés, se connaissant !

Tu veux nous épargner ces scènes douloureuses !

Muse, raconte-nous dans toute son horreur.

De manière à frapper les esprits de terreur.

— 1)3 -

A glacer le bourreau lui-même d'épouvante.

Muse, raconte-nous cette histoire sanglante

D'hommes et de chevaux morts ou mourants,... de corps

Sans tête, ou de troncs vifs couchés parmi les morts.

Sans jambes ou sans bras, faisant de vains efforts

Pour se dégager d'un cadavre ;

Tout cela pêle-mêle avec fusils, affûts.

Mille débris épars, mille monceaux confus

Qui font que l'œil se trouble et que le cœur se navre :

Véritable abattoir où les chirurgiens

Ont plus l'air de bouchers que d'anges gardiens,

Au milieu de ce sang qui corrompt leur haleine.

Au milieu de ce vaste amas de chair humaine.

D'où s'exhale un concert de désolation

A couvrir des damnés la lamentation.

Dis-nous du Colombo le spectacle effroyable :

Plus de cinq cents blessés, labourés par le fer

Dans l'état le plus pitoyable.

Qui traînent sur le sol les lambeaux de leur chair.

D'où s'exhale une odeur si fort intolérable,

Que pour les gens à bord l'air n'est plus respirable !

— k!i —

Muse, voilà la guerre ! A nous de la montrer

Dans toute sou horreur, pour la faire exécrer !

Ces scènes de carnage et ces scènes d'alarmes.

Qui remplissent les cœurs d'épouvante et de larmes,

Tous ces groupes d'horreur, à nous de les tailler

Dans le marbre éclatant de nos vers, traits sublimes

Qui marquent les bourreaux et sacrent les victimes ;

A nous, à tous les yeux d'oser les étaler !

Puis, par nos chants divins, à nous de consoler I

w —

II

A nous de devancer l'histoire

En ceignant d'un bandeau diviu

Tant de morts glorieux, si dignes de mémoire :

Comme ce brave Poitevin,

Son drapeau dans la main, dans un calme stoïque.

Mort au poste d'honneur d'une mort héroïque;

Comme Fleury, non moins intrépide, en plantant

Son drapeau dans la tour, au fort de la bataille.

Foudroyé d'un coup de mitraille ;

Et mille autres encor qu'un même sort attend.

Non moins riche à la fois de douleur et de gloire,

Quand se cueillera la victoire

Qui de Sébastopol, avec d'horribles cris,

Doit ne faire bientôt qu'un amas de débris !

Gloire à cette armée héroïque

Triomphant sur l'Euxin comme sur la Baltique !

Comme à ceux que la nuit berce dans leurs tombeaux,

Gloire à ceux qu'épargna le ciseau d'Atropos !

/lO

III

Superbes conquérants, envahisseurs sublimes,

Qui ne portez la guerre au bout de l'univers

Que pour délivrer des victimes.

Pour ouvrir des cachots et pour briser des fers ;

Dignes fils des vainqueurs endormis sous la neige

Qu'après la Moskowa l'hiver prit dans son piège,

N'avez-vous pas ouï leurs mânes tressaillir

Au bruit de vos pas sur leurs tombes ?

Ne les vîtes-vous pas sourire aux hécatombes

Que vos mains venaient leur offrir ?

De plaisir et d'orgueil comme ils ont dû frémir !

Qu'il sera fier de vous, le héros qui vous guide,

0 Romains à l'âme intrépide.

Qui, pour un noble but, portés à tout souffrir.

Ne savez en tout temps que vaincre et que mourir !

Hélas ! sous la grandeur d'une telle entreprise.

Mourant, même à la Mort il a fait lâcher prise ;

Mais ce dernier effort a tué ce grand cœur.

Le prix de la victoire est la mort du vainqueur.

LA MORT DE SAINT-ARNAUD.

0 Muse, consacrons une immortelle page

A Saint-Arnaud, mourant d'un excès de courage !

A nous de saluer les premiers ce cercueil

Qui met sur tant de joie un tel voile de deuil !

A la Muse de dire, avec sa voix puissante,

Tout ce que cette mort a de grandeur touchante !

Mort sublime de dévouement !

Mort plus fière, plus martiale

Que s'il était tombé sur la brèche, au moment

Où sur Sébastopol notre aigle impériale

Abattra son vol triomphant !

- 48 —

Tout Français à ce deuil prend une part égale.

Eh ! lorsque la victoire a gonflé chaque cœur.

Qui pourrait refuser ses larmes au vainqueur ?

Quand de trois nations les drapeaux sur sa tombe

S'inclinent de respect et d'admiration ;

Quand de sa veuve en pleurs, comme un chant de colombe

La triste voix se mêle à cette ovation,

Quel cœur, nourri de fiel, pourrait garder encore

Un sentiment hostile aux faits qu'on voit éclore ?

Quand l'Europe gémit autour de. ce cercueil.

Quand l'uniforme anglais se mêle à notre deuil.

Quel Français, peu touché de cette concui'rence.

Pourrait sentir d'autres regrets

Que celui que ressent la France

De voir à nos lauriers mêlés tant de cyprès ?

Gloire- à qui de la guerre a fondé l'espérance !

A qui, corps affaibli, miné par la souffrance.

Sentant la mort venir et la voyant de près

Lui commande d'attendre encore un jour, une heure!

— (|0 —

Et quel jour? l'arrivée en Crimée ; et quelle heure ?

La bataille d'Alma ! la victoire d'Alma !

« Après quoi, s'il faut que je meure,

» Dit-il, les yeux tournés vers la haute demeure,

» Dieu, reprends-le, ce cœur, que ton soufile anima!... »

C'est au suprême terme ainsi de la phthisie,

0 Dumez ! par ton art jusque-là prolongé;

C'est au dernier moment du précieux C(mgé̂

Quand de ce corps brisé la vie

Fuyait, comme fuit l'eau d'une tremblante main,

Que par un effort surhumain.

Il organisait ces miracles,

En bravait les périls, en brisait les obstacles ;

Que, supérieur à son mal.

On le vit demeurer treize heures à cheval,

Demandant un boulet pour triomphe final.

C'est dans cet état-là que, porté par la gloire,

Il plantait nos drapeaux aux tords de la mer Noire ;

Qu'il donnait à l'Europe une grande victoire ;

Qu'il dictait ces ordres du jour.

Ces rapports aussi beaux que son triomphe même.

— 50 —

OÙ respire à la fois tant de zèle et d'amour.

Où se révèle un cœur qu'il faut bien que l'on aime,

En le voyant si plein de ce souiïïe brûlant,

Qui, poëte ou héros, fait toujours l'homme grand.

C'est ainsi, refoulant la mort dans ses entrailles.

Que de Sébastopol il atteint les murailles.

Et que là s'arrêtant, son ennemi défait,

Le succès assuré par tout ce qu'il a fait.

Sur ce sol conquis par nos armes.

Au pied de sa conquête, il dit à ses soldats,

D'une voix où du cœur se trahissent les larmes :

« Plaignez-moi, mes amis, de ne pouvoir, hélas !

» Vous guider sur la brèche, au milieu des combats,

» Où vous attend encore une plus grande gloire ;

» Adieu ! je meurs en paix, certain que la victoire

» Couronnera bientôt vos sublimes efforts,

B Et viendra consoler mon ombre chez les morts ! «

Il dit. Et, comme si, pour fondre sur sa proie,

La Mort n'eût attendu que ce consentement.

Soudain de ce grand cœur cesse le-battement...

Et voilà qu'un grand deuil s'étend sur notre joie.

— 51 —

II

Regrettons ce héros, mais ne le plaignons pas.

Après cette lutte héroïque

Contre la mort présente, attachée à ses pas.

Voyez quel trépas magnifique !

Sous les regards du monde, à la face du ciel,

Il meurt victorieux, entre cette Russie

Qui s'écroule, entraînant le joug universel,

Et la glorieuse Turquie,

Qui se relève enfin four affranchir l'Asiç!

11 meurt victorieux, au sein de cette mer

Dont les fureurs l'ont vu passer tranquille et fier :

Champ de bataille aussi qu'illumina sa gloire !

Dans le plus grand linceul dont jamais la victoire

Enveloppa ses favoris !

Quelle plus belle tin de jours si bien remplis !

m

Des Français pourraient-ils refuser leur hommage

A cet illustre mort, que tua son courage ?

Lorsque, au nom du progrès et de l'humanité.

Nous voyons l'Angleterre et la France, unanimes.

Oubliant leur rivalité,

Ne luttant que de zèle et d'intrépidité.

Marcher dans une seule et même volonté;

Quand l'Autriche se prête à leurs desseins sublimes.

Des Français pourraient-ils, moins grands, moins magnanimes.

Ne pas s'associer de cœur

A ces cris qu'on entend, partout poussés en chœur.

D'un bout à l'autre de la terre:

« Vive Napoléon Sauveur !

» Vive la Rdne d'Angleterre 1

» Vive François-Joseph, s'il est à la hauteur

» Du grand mouvement qui s'opère !

— 53 —

» Vive ce vrai type de père,

» Abdul-Medjid, qui donne aux blessés ses palais ;

» Qu'il faut bien qu'à tout prix l'on admire et l'on aime,

» Car il est la noblesse même ;

)' Car de ce cœur, doué d'une bonté suprême,

>' Les meilleurs cœurs ne sont que de pâles reflets ! »

Des Français pourraient-ils, sourds à de tels spectacles.

Ne pas crier, foulant tout souvenir amer :

« Vive la brave armée et de terre et de mer,

» Plus grande que tous les obstacles,

» Que commandent là-bas, au pays des miracles,

» Canrobert, Hamelin, Raglan, Dundas, Omer,

» Luttant de procédés non moins que d'énergie,

» Et de ce noble sang dont la terre est rougie

» Cimentant l'union qui doit durer toujours,

» Et qui d'un nouveau cycle a commencé le cours ! »

Le drapeau de l'armée est celui de la France ;

L'honneur de nos soldats est celui de nous tous.

Français, plus de partis, plus de guerre entre nous;

Unissons-nous au sein d'une même espérance.

- 54 —

Et d'une même voix, crions: Vive la France !

Vivent les nations qui luttent pour la paix !

Vivent les Turcs et les Anglais !

Vive Napoléon, l'auteur d'une alliance

Où déjà se révèle, avec tant de puissance.

Le grand but de la Providence !

Allons , qu'un même orgueil, enfant de nos succès,

Ne ta.'̂ se plus qu'un cœur de tous les cœurs français !

— 55 —

IV

Rejoignons cependant notre vaillante armée.

Que maladie et guerre ont en vain décimée;.

Qui manque d'eux souvent et parfois d'aliments;

Suivons-la dans sa marche à travers la Crimée,

A travers ces forêts et ces escarpements,

A travers ces débris de villages fumants,

Jusqu'à Sébastopol, terme de son voyage ;

Jusqu'à Sébastopol, ce repaire effrayant.

Dont l'ombre faisait tache au ciel de l'Orient,

Et qui va s'écrouler sous le poids du courage,

Pour ne plus exister que dans le souvenir.

Comme ces vieux donjons dont le nom fait frémir.

Sur nos pas, quels tableaux pleins de cris et de larmes !

Voye-i-les, devant nous, écrasés par nos armes.

Aveuglés par l'éclat que jettent nos drapeaux.

Les Russes s'enfuyant ainsi que des troupeaux :

De morts et de mourants ils ont semé la route ,

Lamentables témoins d'une affreuse déroute.

— 50 —

Voyez, parmi les morts dont le sol est jonché.

Maint de ces malheureux, sur son fusil couché,

Jusqu'au dernier soupir, dans une foi profonde.

Prier pour son bourreau, vivante horreur du monde.

Quelques-uns des blessés tirent sur leur sauveur,

Tant, hélas ! l'ignorance est profonde en leur cœur.

Pendant que C3ux dont l'âme est moins obliti;rée.

Qui savent discerner encore le bien du mal.

Baisent avec amour et tiennent pour sacrée

La main qui les arrache au sort de l'animal !

Pauvres infortunés ! déplorables victimes !

Contre celui dont les fureurs

Entraînent tant de maux et creusent tant d'abîmes.

Contre l'auteur de tant de crimes,

0 Muse ! inspire-moi de ces rimes sublimes

Qui scellent l'anathème au front des malfaiteurs !

SECONDE PHASE

CANROBERT

LES ALLIÉS DEVANT SÉBASTOPOL

Voyez ce vaste bloc, titaniquo structure. Dont les flancs ont la mer, d'un côté, pour ceinture ; DR l'autre, dfs rochers, des fleuves, des remparts Si larges, que de front y passeraient dix chars ; Massif entassement de forts et de redoutes. D'arsenaux abrités par d'infrangibles voûtes. De canons dont le bruit s'entend jusqu'aux S' pt-Tours Et lançant des boulets gros comme vos tambours. De mortiers dont la bouche enverra sur vos têtes Des bombes qu'on prendrait pour des ballons de fêtes; Ville autant défendue au dedans qu'au dehors Par cent mille soldats et d'éternels renforts ; Ville qui veut mourir plutôtque de se rendre; Ville de fur, de feu, de bronze : il faut la prendre. Fortifiez-vous donc pour ce grand dénouement; Et, le fait accompli, défiez hardiment Tout ce qu'on nous raconte et qu'on a peine à croire. Dans les fifecles passés, vieille ou moderne histoire, Même dans les dix ans de. l'empire immortel ; La guerre jusqu'à vous n'entreprit rien de tel. Et plus tard, quand pour nous luiront des jours plus calmes, Sous le toit paternel ombragé par vos palmes. Vous pourrez vous tourner du côté du soleil Et dire : Là s'est fait un siège sans pareil. Maintenant œuvre lente, opiniâtre, ardue, Il faut creuser le sol dans sa longue étendue. Inciser, pas à pa^, un chemin agressif Dans le sable et la boue, et dans le rocher vif. Là, le jour et la nuit, ceux que leur tour appelle Vont, armés du fusil, du pic et de la pelle ; Et, comprimant l'essor de son instinct guerrier. Le lion se résigne à creuser un terrier. Dans ce fossé profond que leur sueur abreuve, Ils semblent préparer le lit de quelque fleuve. Fleuve trop véritable, hélas ! oii rouleront Des flots d'hommes vaillants, avec la balle au front.

Déjà les fondements de la cité maudite Frissonnent sous les coups du sapeur troglodyte; En vain, pour échapper à ce cercle étouflant. Le formidable mur que Merischikoff défend D'artilleurs consternés remplit ses embrasures ; L'inévitable mort sait jirendreses mesures; Nul angle, nul recoin ne peut les garantir : Ils rencontrent partout la carabine à tir ; A l'abri du boulot qui passe au loin et tombe. Le chasseur, cuirassé d'une homicide tombe. Vise tout ennemi qui se montre en avant, Et, pour braver la mcrt, il s'enterre vivant.

Alors, tel qu'on son antre un ours des Pyrénées, Voyant autour de lui toutes routes cernées, Assailli, sur tout point, par des veneurs ardents, Hurle, crispe sa gi-ilfe, entrechoque ses dents. Arrache et lance au loin les rocs de sa tanière; Telle entre nos longs bras la ville prisonnière. Rassemble avec fureur, et sur nous fait pleuvoir Tout ce que lui fournit un âpre désespoir. •

(BAKTHÉLEMY, la Tauride.)

A L'EMPEREUR NICOLAS.

(Mars les^i )

Nicolas, fléau de la terre,

Qu'espères-tu, dis-moi, de cette afifreuse guerre ?

Qu'espères-tu, grand Dieu ! de ces monceaux de morts,

De ces fleuves de sang, de ces villes en cendre.

De ces champs ravagés, seul fruit de tant d'efforts ?

— 00 —

Athènes peut subir les lois d'un Alexandre,

Mais ne se courbe pas sous le joug d'un Xercès !

De ta témérité quel sera le supcès?

Rappelle-toi ces noms : — Marathon, Salamine !

Plutôt que de subir un joug comme le tien.

Après avoir usé de son dernier moyen,

L'Europe étoufferait son cœur dans sa poitrine

Espères-tu, Titan, esca'ader le ciel ?

Toi, l'ombre, espères-tu surmonter la lumière?

Crois-tu que le soleil te craigne en sa carrière ?

As-tu rêvé pour toi l'empire universel ?

Mais pour un tel dessein où donc est ta puissance ?

Bomarsund et l'Aima, le Danube et ses bords,

Ne t'avertissent pas de ton insufiisance !

Ton armée aux abois s'épuise en vains efforts,

Et tes vaisseaux honteux se cachent dans leurs ports !

Monarque impie, hélas ! contemple ton ouvrage !

Vois ces débris fumants, vois ces champs de carnage !

— 61 —

Que de sang, que de morts, que de cris, que de pleurs !

Que de misère et de douleurs !

Que d'instruments de deuil ! que d'horreurs ! qued'abîmes !

Que de bourreaux ! que de victimes !

De la Vistule au Pruth que de membres épars !

Le sang à gros bouillons coule de toutes parts !

Dans tes rêves, la nuit, Sinope et la mer Noire,

Ne passent-elles pas< jetant des cris affreux ?

Silistrie et l'Aima, de récente mémoire,

N'y passent-elles pas, en te criant : VICTOIRE !

Sanglantes , le front ceint de voiles ténébreux ?

Autour des monuments élevés à ta gloire.

Est-ce que la Pologne à son tour ne vient pas

Errer, puissant fantôme, en agitant ses bras

Armés de poignards et de glaives,

Et redoubler l'horreur dont s'emplissent tes rêves

— 62 —

Afi'reux blaspliémateur, qui rejettes sur Dieu

Tant de maux accomplis par le fer et le feu,

Va ! tu n'atteindras pas à ton but sacrilège :

Tu te trouveras pris toi-même dans ton piège !

A MENTSCHIKOFF-

(Octobre 18S4.)

.Mentschikoff, que vois-tu du haut de te^ remparts ?

Des vengeances de Dieu la vague irrésistible.

Qui s'enfle, qui grossit, qui vient de toutes parts,

T'enveloppant déjà dans un cercle terrible!

— 64 —

Cent mille combattants. Français avec Anglais,

Qui sur ta tête criminelle

Vont faire pleuvoir une grêle

Effroyable d'obus, de bombes, de boulets !

Trois peuples réunis pour te livrer bataille,

Et t'écraser sous un déluge de mitraille !

D'un côté. Raglan, ce héros

Que son expérience unie à son courage

Place déjà parmi les plus grands généraux;

De l'autre, Canrobert, aussi brave, aussi sage :

Coup d'œil sûr, esprit fin ; ferme autant que prudent,

De l'armée aujourd'hui suprême commandant ;

Tous deux, pour plus de confiance.

Pleins de cette énergie et de cette science

Qui font triompher la vaillance,

Secondés, l'un par Brown, et l'autre par Bosquet,

Qu'on a vus à l'Aima, tout rayonnants de gloire,

Charmer par leur tenue et fixer la victoire !

Sans parler de Campbell, sans parler de Monnet,

Dont l'âme dans leurs yeux tout entière éclatait ;

Devant qui l'on eût dit que le danger fuyait !

— 65 —

Sans parler de Burgoyne, et de tant d'autres braves,

Sur les pas de Cambridge ou de Napoléon,

Capables de guider, sous le feu du canon.

Leurs soldats à travers les flammes et les laves !

Sans parler de Bruat, ce nom qui retentit,

Et qui se lit, gravé sur tes blocs de granit ;

De Bruat, cet éclair, cette foudre vivante.

Qui, dans ton port fermé, s'ouvrant un libre accès,

Au cœur de tes canons fait rentrer l'épouvante.

Et donne sous tes murs les mains à son succès î

Regarde ces travaux, regarde ces tranchées,

Avec un si grand art entre elles rattachées.

Complètes, tu le vois, malgré tes vains efforts ;

Vois se dresser, devant tes pompeuses féeries,

Ces fronts bastionnés avec leurs batteries :

Foudres qui vont planer au dessus de tes forts.

Et servir de signal à tes lointains renforts.

En vain, pour t'opposer à ces progrès du siège,

Tu te précipitais en masse sur nos camps,

Comme un torrent de lave échappé des volcans ;

En vain un piège était suivi d'un autre piège ;

En vain dans nos travaux éclataient mille obus ;

En vain tout ce fracas allait jusqu'à l'abus;

En creusant la tranchée, en vain l'ardente pioche

Se tordait, se brisait contre le tuf de roche ;

En vain au choléra maint traître s'ajoutait.

Qui, trop digne du nom d'esclave,

Méditait lâchement la ruine du 'orave,

Et par qui de Varna l'incendie éclatait.

Souvenir effroyable ! épouvantable scène I

Où Lostanges, héros de dix-huit ans à peine.

Rival des vétérans dans cette affreuse arène.

Rempart placé devant les poudres, défendait

Aux flammes d'approcher et les déconcertait

Par son courage actif et son audace calme !

Du triomphe en nos mains nous enviant la palme,

En vain Balaklava dans l'ombre complotait ;

— 67 -

Eu vain la trahison et toute chose lâche

S'agitaient au milieu de notre rude tâche ;

En vain tu submergeais ta flotte dans ton port.

Incapable d'oser un glorieux effort :

A mesure, tu vois, que croissaient les obstacles.

Se produisaient aussi plus nombreux les miracles.

Admire de nos chefs ces dispositions

Convergeant vers un but comme autant de rayons.

Telles sont, Mentschikoff, les œuvres du génie.

Où toujours avec l'ordre éclate l'harmonie.

0 Mentschikoff! tels sont les miracles du cœur,

Où toujours la bonté s'allie à la valeur.

Voilà par quels moyens on gagne des batailles.

Non par de grands troupeaux ou de grandes murailles :

La générosité fait seule la grandeur.

Il n'est pas de génie où ne bat pas un cœur';

Où ne bat pas un cœur, où tout n'est que matière.

Bronze ou granit, tout croule et tout tombe en poussière.

Mais ce ciment des cœurs, l'humanité, l'amour.

Rien ne peut le briser, ni le percer à jour.

— 08 —

Vois cet accord qui règne entre les deux armées;

Du même enthousiasme elles sont enflammées ;

Se disputant l'honneur de monter à l'assaut,

Elles n'attendent plus qu'un signe, un geste, un mot.

Et tu sais si rien les arrête!

Tu sais pour elles quelle fête

De gravir sous le feu les rochers et les monts.

C'est pour le coup, barbare, entouré de victimes.

Que tu pourras te croire entouré de démons.

En voyant nos soldats planer sur les abîmes.

Où croulent avec toi dans d'affreux tourbillons

Tes remparts de granit avec leurs bastions.

Ici, les alliés, prêts à lancer la foudre

Qui doit mettre bientôt Sébastopol en poudre ;

Plus loin, Omer-Pacha, ce nouveau Fabius,

Contre qui Gortschakoff éprouva ses vertus ;

Omer-Pacha, l'auteur d'Oltenitza, qui passe

Aujourd'hui le Danube et le Pruth sur la trace

De ceux qu'à ton secours appelle en vain ta voix ;

— 69 —

Tandis que, sur ses pas, Hess, affamé d'exploits,

Avec l'Autrichien t'observe et te menace.

Korniloff, le héros de Sinope, a déjà

Porté la peine de son crime ;

L'éclat qui l'a frappé, quel bras le dirigea,

Sinon le Dieu vengeur des peuples qu'on opprime ?

Tremble; car sous tes pieds déjà frémit le sol,

Comme si, sous les coups répétés de la foudre.

En tout sens ébranlé par mille éclats de poudre.

Il allait s'entr'ouvrir, et de Sébastopol

Engloutir d'un seul coup les remparts mis en poudre.

Tremble; car Némèsis a déjà pris son vol.

La voilà déjà prête à fondre sur sa proie :

Bientôt Sébastopol aura le sort de Troie.

Pendant que, du côté de terre, nos soldats

Font voler en éclats tes remparts comme verre,

De leur foudre à propos renforçant ce tonnerre,

Vois avec quel concert Hamelin et Dundas,

— 70 —

Du côté de la mer, avec leurs équipages.

De leurs feux en écharpe étendent les ravages ;

Vois, malgré la bravoure et l'abnégation

De tes soldats de fer, remparts de chair humaine,

Plus durs que le granit, où ne mord qu'avec peine

La faux de la destruction ;

Vois, malgré leur maintien stcïque,

Malgré leur résistance, à vrai dire, héroïque.

Tes feux déjà muets, tes forts démantelés.

Et jusque dans leur port tes grands vaisseaux brûlés.

Sans doute, pour rester jusqu'au bout dans ton rôle,

Tu voudras te montrer fldèle à ta parole,

Et tu te roidiras dans un suprême effort,

Prêt à faire égorger jusqu'à ton dernier homme.

Plutôt que de soustraire une proie à la mort,

T'imaginant par là faire acte de grand homme !

Tu diras à l'Hiver, ce dieu de tes climats.

De se ruer, suivi des vents et des frimats,

— 71 —

Sur les audacieux, avides du martyre.

Qui viennent le braver jusque dans son empire.

Pour pouvoir triompher de ces cœurs généreux,

Ta voix invoquera le géant des tempêtes ;

Tu diras aux autans de siffler sur leurs têtes ;

A la foudre, grondant sous un ciel ténébreux.

De jaillir, d'éclater avec un bruit a''freux ;

A la nuit d'éteindre ses phares ;

Aux rochers de crouler sur eux ;

A tous les éléments de se faire tartares

Pour l'accomplissement de tes souhaits barbares.

Tu diras au Destin, complice des tyrans.

De déchaîner contre eux, pour décimer leurs ranj;

La fièvre, le typhus, le choléra, la peste :

Tu diras à la mer qu'elle fasse le reste.

Mais la mer ni les flots, ni les vents, avec toi

Ligués contre ces cœurs où n'entre point l'effroi,

— 72 —

Ne sauraient triompher de leur mâle vaillance :

Le choléra livide y perdra patience.

Plutôt que leur courage, armé de dévouements

Qui bravent la fureur de tous les éléments.

DEVANT SÉBASTOPOL.

(Octobre 1854.)

LE BOMBARDEMENT.

Tout ce que peut forger dans ses noirs arsenaux Le chimique savoir des esprits infernaux. Tout ce qu'ont inventé Perkins, Paixhans, Congrève, Pour rendre encor la mort plus terrible et plus Ijrève, Tous ces globes ardents qui partent furibonds En ligne droite ou courbe ou ricochent par bonds. Boulets, bombes, obus, rugissantes mitrailles, Sébastopol le fait sortir de ses entrailles. Une fièvre pareille exalte nos deux camps : Là, plus roides encor, jaillissent des volcans. Cataracte de fer, déluge d'incendie. De comètes grinçant dans leur course agrandie. Ouragan de boulets qui, se croisant dans l'air. De la tempête russe entrechoquent le fer. En même temps, la flotte, unie aux feux terrestres. De ses mille sabords déchaînant les orchestres. Prodigue sur la ville et le fort Constantin Des tonnerres vengeurs du trône byzantin.

(BARTHÉLÉMY, la Tauride.)

0 Muse ! les héros de Virgile et d'Homère

Sont éclipsés par nos soldats ;

— 74 —

Jamais de tels travaux, jamais de tels combats.

Parmi les plus hauts faits que la Gloire énumère

N'ont retenti dans l'univers :

Jamais plus beau sujet ne s'offrit à nos vers.

Entends ce bruit, pareil aux éclats du tonnerre !

C'est le bruit du bombardement

Qui sur Sébastopol éclate en ce moment.

Muse, comment pouvoir raconter à la terre

Cette magnificence horrible de la guerre?

Avec de simples mots, Muse, comment pouvoir

Dire tout ce tumulte, épouvantable à voir;

Dire tout ce fracas pir où l'ardente poudre

Le dispute à l'éclair, le dispute à la foudre?

Comment peindre, à grand bruit ne cessant de pleuvoir

De ces nuages de fumée.

Ces comètes de feu dont rugifsent les airs ;

Orage accompagné de sinistres éclairs,

— 75 —

Fondant avec fureur sur l'une et l'autre armée

Du même esprit divin grande foule animée ?

Au milieu des rescifs où la foudre s'abat.

Vois-tu, le premier au combat,

Le Charlemagne, une heure entière,

Soutenant seul le feu des forts.

Sans faire un seul pas en arrière,

Et, par sa fermeté, par sa fougue guerrière,

De l'admiration excitant les transports?

Devant la flotte anglaise en ligne de bataille.

Qu'il est beau, le Napoléon,

Un moment seul en proie à cette explosion

De bombes, d'obus, de mitraille,

Qui sifflent sur sa tête et qui criblent ses mâts !

Qu'il est beau, le signal donné du branle-bas ;

U amiral arborant, en guise de cocarde.

Ces mots prestigieux : LA FRANCE NOUS REGARDE !

— 70

Par l'aide de quel dieu, présidant aux combats.

Par quel miracle, lorsque, à travers les bordages,

Les bombes pénétrant avec d'affreux ravages.

Font voler, sous ses pieds, la dunette en éclats,

Hamelin trompe-t-il les desseins du Trépas?

Qu'il est beau, le Roland, passant comme une flèche

Sous le feu des canons, sans qu'un boulet l'ébrèche !

Qu'il est beau, le Vautour, qu'on prendrait à ses feux

Pour l'Etna vomissant l'enfer contre les cieux !

Qu'ils sont beaux, à leur tour, dans la ligne des nôtres.

Le Friedland, le BJonlebello!

Qu'ils sont beaux VAlbion, VAgamemnon, tant d'autres ;

Le Sans-Pareil, le Queen ! — Magnifique tableau!

Vastes éclats de foudre ! explosions superbes !

Le Vésuve et l'Etna se renvoyant leurs gerbes !

Océan de fumée, où, sous un ciel d'azur,

Se dressent quelques mâts et quelques pans de mur!

— 77 —

Dans toute sa splendeur le palais de la guerre ;

Un fracas près de qui pâlirait le tonnerre !

Et, comme des démons, soldats et matelots

Attisant à l'envi ces flammes sur ces flots!

0 Muse ! décris-nous ce spectacle sublime ;

Dis-nous tout ce qu'il a de grand, de magnanime.

Et tout ce qu'il révèle au fond du cœur humain

D'étincelles du feu divin.

Par quels chants, par quelles paroles

Louer tous ces héros, couronnés d'auréoles :

Canrobert, Hamelin, Raglan, Bruat, Dundas,

Que secondent si bien matelots et soldats ;

Tant d'autres, par leur rang moins grands que par leur gloire,

Dont le nom radieux échappe à ma mémoire.

Qui, tous, par leur courage et leur habileté,

De l'Europe et dir monde ont si bien mérité !

Gloire à vous, humbles noms, mais cœurs vraiment sublimes ,

Qu'on vit, dans la tranchée, au devant des obus,

— 78 —

Vous jeter fièrement, modernes Curtius,

Pour leur dérober leurs victimes !

Gloire à vous, d'un rayon double front couronné 1

Gloire à vos humbles noms, braves Pesch et Tourné!

BALAKLAVA.

(Octobre i85i.)

Oh ! que ne pouvons-nous, se disaient-ils entre eux, Au lieu de nous blottir dans une taupinière. En plein air, en champ libre, ouvrir notre bannière. Voir ces Russes, non pas dans leurs murs, mais dehors. Et mourir, s'il le faut, en luttant corps à corps ! Qu'ils soient contents, ils vont avoir leur jour de fête L'aigle russe a crié dans le camp du prophète ; Des masses d'ennemis bordent Balaclava ; Debout, Anglais, Français ! au secours ! On y va : Et déjà, réunis sur la noire falaise. Les hussards, les dragons, la brigade écossaise, Sur ces flots débordés ont posé leur rempart. Mais dans cette fortune il nous faut une part ; La voici : nos chasseurs, nos escadrons d'Afrique Arrivent, non moins prompts qu'un message électrique Ils s'éla'icent parmi ces loups sortis des bois. Et, pareils au simoun, qu'ils ont vu tant de fois Du désert de Lybie emporter la surface. Ils repoussent au loin cette bande vorace, Sans qu'il en reste un seul devant leurs yeux, sinon Les vainqueurs d'un moment sabrés sur le canon.

(BABTHÉLEMÏ, la Tauride.)

I

Muse, vit-on jamais plus superbe entreprise ?

Et sur ces mêmes bords la Toison d'or conquise

Devant un si haut fait ne pâlit-elle pas?

— 80 —

Sébastopol, debout, se berce dans la brise.

Et semble défier la rage des combats.

Faut-il que tant d'efforts restent sans résultats !

Disons l'élan, l'ardeur, la vigueur, la constance

De l'attaque ; disons ces efforts inouïs

Pour vaincre, pour courber ces puissants ennemis ;

Disons l'acliarnement de cette résistance.

Comment venir à bout de ces soldats de plomb.

Derrière ces remparts, pics rivaux du Simplon?

Voyez, sur ces hauteurs, quand pliant sous le nombre.

Les Turcs, par les Anglais vainement secourus.

Laissaient planer sur nous ce grand nuage sombre ;

Voyez le choc fougueux des Français accourus,

Qui font évanouir les Russes comme une ombre.

C'est encore à Bosquet qu'est dû ce coup d'éclat ;

A Bosquet, secondé par ces mêmes zouaves

— 81 —

Qu'on voit briller partout à la tête des braves.

Avec les Écossais, ils se retrouvent là

Non moins grands par leur fougue et par leur héroïsme

Que ceux-là par leur calme et par leur stoïcisme.

Voyez, — le lendemain, quand de Sébastopol

Les troupes, sous leurs pas faisant trembler le sol.

Se ruaient avec bruit sur les lignes anglaises ;

Mentscl ikoff, parce coup, jusqu'au haut des falaises.

D'où Liprandi lui tend la main.

Brûlant de se frayer quelque part un chemin ; —

Voyez Lucy- Évans, sublime de courage,

Du camp des alliés détournant cet orage.

Par où le siège eût vu ses efforts compromis.

Faisant dans le néant rentrer les ennemis.

Et les nôtres alors reprenant la redoute

Où s'épanouissait l'espoir de Liprandi ;

Puis, ce nouveau miracle une fois accompli,

Les Russes, en pleine déroute.

Laissant Balaklava s'épandre sur sa route

Comme une corbeille de fleurs,

Comme une source d'eau, comme un vase d'odeurs,

Comme une âme sortant des ténèbres du doute.

— 82 —

L'Aima, Balaklava, quels noms retentissants!

Pour dire tant de gloire où trouver des accents?

Quelle lyre, exercée aux chants de la victoire.

Ne se joindrait à nous pour crier : Gloire! gloire!

Arien de ce qu'il voit de bon, de beau, de grand,

Le pcëte peut-il rester indifférent!

Peut-il fermer l'oreille à ce cri dont l'espace

Tressaillit et vibra jusqu'aux bornes du ciel.

Quand, sur l'aile de feu de l'archange Michel,

Les Rouges et les Gris, pleins de la même audace.

Unis dans un seul cœur que brûle un même feu,

A travers la vallée, images de la foudre.

Soulevant sur leurs pas des tourbillons de poudre,

Volèrent à leur but, aussi prompts que leur vœu ?

Comme la foudre passe à travers le nuage.

Ainsi firent nos preux à travers l'ennemi.

Ce ne fut qu'un éclair, et voyez quel ravage

De cet éclair subit signale le passage.

— 83 —

Un effroyable choc, dont la terre a frémi ;

Un cliquetis d'acier, et, comme mille flammes.

Le vif miroitement dans l'air de mille lames ;

Et les voilà déjà, — disparus un moment

Dans les colonnes défoncées, —

Surgissant au delà des lignes traversées.

Et s'avançant toujours impétueusement.

Telles, par un nu'age un instant éclipsées.

Les étoiles du firmament

Découvrent leurs splendeurs de nouveau menacées.

« Dieu les protège ! Ils sont perdus ! »

C'est le cri qu'ont poussé tous les cœurs éperdus

En voyant la première ligne,

Pour les envelopper, se refermer sur eux.

Leur courage, au milieu du cercle ténébreux.

Éclaira l'horizon comme un céleste signe.

On eût dit le combat, plein d'effroyables cris,

Des anges de lumière avec les noirs esprits.

- 84 -

Le poëte, esprit pur qu'un divin souffle anime.

Peut-il fermer les yeux à ce tableau sublime ?

Peut il ne pas se fondre en admiration

Devant le dénoûment d'une telle action ;

Quand les dragons alors, autre foudre vivante.

Sur la première ligne à leur tour éclatant.

Comme un mur de carton l'enfoncent à l'instant,

Fondent sur la seconde, et, fléaux d'épouvante,

La mettent en déroute aux applaudissements

De tout l'amphithéâtre, ivre d'enthousiasme?

Le poëte peut-il, plongé dans son marasme.

Peut-il ne pas mêler ses chants aux compliments

Qu'à la tête des siens le vieux Raglan présente

Au chef qui commanda cette charge brillante ?

« Bravo ! Scarlett... — son front en devint radieux

« C'est ainsi que l'on va de pair avec les dieux ! »

— 85

II

Nolan survient alors, qui dit : « Stérile gloire

» Que celle qui consiste à braver les boulets,

» A les dissiper même au vent de la victoire !

)) Les canons pris aux Turcs sont des canons anglais,

» Abandonnerons-nous ce trophée aux esclaves?... »

Il dit. — Comme emportés sur les ailes du vent,

Voyez, voyez alors Cardigan et ses braves

A travers mille feux s'élancer en avant.

Telle rase la plaine une trombe enflammée;

Tel un trait fend les airs, jailli d'un arc puissant.

Mais qui les pousse ainsi, six cents contre une armée.

Et de quel aiguillon quel dieu va les pressant?

La troupe disparaît dans un flot de fumée,

D'où voilà qu'elle sort meurtrie et décimée.

— 86 —

Les hommes tombent, les chevaux

S'échappent à travers la plaine,

Crinière au vent, jetant du feu par les naseaux.

Nul ne bronche. A leur but ils volent d'une haleine,

Sabrent les artilleurs, enlèvent les canons,

Et reviennent, voilés de sublimes rayons.

Mais, ainsi qu'à l'aller, de la même manière

Au retour, tout le temps de leur course guerrière.

Pris, hélas ! d'écharpe et de flanc

Par seize gros canons et la mousqueterie

D'une nombreuse infanterie.

Ils laissent derrière eu\ un long sillon de sang.

La légion sacrée est presque anéantie.

A peine s'il en reste une faible partie ;

Moins de deux cents, je crois. — Encor

Faut-il sétonner que la Mort,

Attaquée à propos par Morris dans sou fort,

N'ait pu jusqu'au dernier dans leur vol les atteindre.

Morris et d'Allonville, avec nos Africains,

A ralentir ses coups avaient su la contraindre.

— 87 —

Gloire ! les héros grecs et les géants romains

Vont s'eftaçant devant ces exploits surhumains !

Enthousiasme saint, voilà de tes prodiges !

On reconnaît ta flamme à de pareils vestiges.

Gloire aux hommes de Cardigan,

Qu'un excès de l)ravoure, au fort de la bataille,

Poussa comme un torrent à travers la mitraille

Gloire à Scarlett, gloire à Lucan !

A Lucan qui commande et dirige l'attaque ;

A Scarlett qui, malg'réles obstacles du sol.

Non moins impétueux que la foudre en son vol.

Atteint, frappe, renverse et foule le Cosaque,

Déchaînant après lui la terreur qui le traque.

Comme une bête fauve, à travers les ravins.

Où le voilà bientôt qui disparaît dans l'ombre.

Honteux de ses eftbrts demeurés toujours vains.

Malgré l'avantage du nombre I

Gloire à Campbell, bravant mille feux meurtriers !

Fournaise où tant de cjeurs éprouvent leur courage,

Où, comme un roc, Ainslie essuya cet orage !

— 68 —

Gloire à Cathcart, à Brown, à tant d'autres guerriers,

Pour qui fut ce grand jour si fécond en lauriers !

Atcherley, Conoly, dont à flots le sang coule ;

Bayly, de qui la vie avec le sang s'écoule ;

Pennefather, dont rien ne peut, dans leur élan.

Arrêter les soldats, lions au pied d'élan !

Combien d'autres encore, incomparable foule

Que dominent à peine et Cambridge et Raglan !

A côté des soleils, étoiles qu'on voit luire !

Cœurs de feu dans des corps et de bronze et d'acier.

Contre qui vainement, terre et ciel, tout conspire !

Tous vrais cœurs de héros que la patrie inspire !

Tous sublimes de dévouement !

Céleste légion qu'un dieu semble conduire !

Tous natures de fer dont le bronze est l'aimant !

INKERMANN.

(Novembre 1834.)

C'était trop peu : voici des fatigues meilleures ; Inkermann improvise un oombatde six heures: Aux premières lueurs du ténébreux matin, D'oii vient ce bruit 7 quel est ce tonnerre lointain ? Tousles yeux, tous les doigts montrent un point unique ; Plus de doute, on se bat dans le camp britannique. Aux cris désespérés des vaincus de l'Aima, Pour effacer le deuil que ce jour consomma, Une armée innombrable à la hâte est sortie Des bords cimmériens de la froide Scythie, De Kherson, d'Odessa, du Pruth, du Danaîs. Par ce débordement, tout à coup envahis. Les fils de l'Angleterre-ont tressailli dans l'ombre ; Mais bientôt le courage a décuplé leur nombre; L'âme en de tels périls se retrempe, et dès lors Le dernier soldat monte à la hauteur des lords; Le poltron devient brave, et le brave subhme. Sous Cambridge et Cathcart, dont la voix les anime. Dans un cercle de feux, impassibles et droits. Comme un mur dont la flamme assiège les parois, Les solides Bretons, qu'un dur ciment enlace. Tombent en l'ésistant et meurent à leur place ; Et tous jusqu'au dcrner peut-être... En ces moments Arrive, au pas de course, avec ses régiments. Un homme de bras fort et d'àme résolue, Bosquet, libérateur, qu'un long hourra salue. Là, même eu nous mêlant entre leurs rangs étroits. Nous sommes pour combattre à pe ne un contre trois. Un contre ti-ois! Eh bien! la partie est égale. Entre tant d'ennemis la lutte se signale; Ils échangent la mort par les mêmes moyens. Se criblent de boulets, d'obus, de biscaîens; Dans la noire mêlée où la flamme rayonne. Sous la lance, le sabre, et l'arme deBayonne, Ils tombent, immolés à de sanglants discords : Nos .soldats sont heureux : ils luttent corps à corps.

(BARTHÉLEMÏ, la Tauride.)

I

0 Muse des combats, dis-nous LE CINQ NOVEMBRE,

Cette bataille de géants.

— 90 —

Où contre nos soldats, montagne qui se cambre.

Éclate tout à coup l'effort des océans ;

Dis-nous par quels efforts et par quelle puissance,

Canrobert et Raglan, ces pairs des demi-dieux.

Parviennent à dompter cette révolte immense

Des titans déchaînés qui menacent les cieux ;

Dis-nous, la foudre en main et l'éclair dans les yeux,

Bosquet les écrasant de ses éclats sublimes ;

Dis-nous ce nouveau Mars, au front victorieux,

Forey, les poursuivant jusqu'au fond des abîmes !

0 Muse des combats, Muse des demi-dieux.

Qui peut, si ce n'est toi, raconter ces prodiges ?

Quels vers, sinon les tiens, ont assez de splendeur

Pour réfléchir tous ces prestiges

De gloire, de vertu, de force, de grandeur?

Que ta voix, façonnée aux chants de la victoire.

En l'honneur des héros chante l'hymme de gloire.

— 01 —

Gloire à Cathcart, à Brown, à tant d'autres héros.

Dont le sang a coulé sous la lance des Goths !

Gloire à tant d'illustres courages.

Éclairs de l'âme au sein de ces sombres orages.

Où la foudre abattant les corps.

Entassait par milliers les mourants sur les morts !

- 92 —

II

Ah ! le Russe, croyant votre force épuisée

Par tant de sublimes efforts,

Avait donc nourri la pensée

De vous vaincre au moyen de ses nouveaux renforts

Mais cette armée aussi contre vous s'est brisée

Comme la vague sur ses bords.

Et cinq contre un, personne à présent ne l'ignore,

Ne vous feraient pas peur encore.

Car vous êtes les fils des héros d'autrefois,

Bien dignes, pour témoins de vos divins exploits.

D'avoir le Soleil et l'Aurore.

Qu'ils seront fiers de vous, la RE^E et I'EMPEREUR !

Déjà que votre place est grande dans leur cœur !

Se tairont-ils enfin, ces Grecs, sous leur poussière,

Ces ennemis de la lumière.

Enfants dégénérés de l'illustre Cité,

Qui s'arment aujourd'hui contre la liberté !

— 9J —

Oseront-ils encor évoquer leur histoire?

Oseront-ils encor se draper dans leur gloire ?

Est-il rien dont encor puissent se montrer fiers

Des hommes façonnés au vil métier d'esclaves.

Qui, quand vous accouriez pour briser leurs entraves.

Allaient vous trahissant par amour pour leurs fers ?

- 94 -

m

Quelle bataille, quelle gloire.

Quelle page éclatante ajoutée à l'histoire

De ce siège fameux, peut-être sans pareil.

Dont brille et retentit le pays du soleil !

Cathcart, le premier but de si rudes attaques.

Avec six mille Anglais, aussi ferme qu'un roc

Qu'assaillent vainement mille vagues en bloc,

Seul, deux heures durant, soutenant tout le choc

De soixante mille Cosaques ...

Dont trente mille au moins de la veille arrivés,

Danneberg à leur tête, et tout frais soulevés,

De terre comme un bloc immense.

Pour tomber tout à coup sur nos camps sans défense!.

Quelle vaillance égale une telle vaillance !

11 est quatre heures du matin.

La nuit, en s'en allant, laisse un brouillard intense

— o;. —

Que ne peut dissiper le soleil, incertain

De sa route à travers cette ombre et ce silence.

Dès l'aube, à la faveur de cet épais brouillard.

Vous figurez-vous, d'une part,

Cette masse compacte, en bataille formée.

D'un nouveau fanatisme à cette heure enflammée.

Par la présence dans l'armée

Des fils de l'empereur, Michel et Nicolas,

Vers nos positions marchant avec prudence ?

Vous imaginez-vous ce fleuve de soldats

Coulant sans bruit, bercé par la douce espérance

Qu'il va surprendre, avant le retp:tr du soleil.

Le camp peut-être encor plongé dans le sommeil ?

Mais Cathcart veille. Il a préparé son armée.

Il attend. Vous figurez-vous.

De l'âme de son chef tout entière animée,

Cette petite troupe à vaincre accoutumée.

L'œil fixé sur la brume, où d'avance ses coups

Volent, impatients de déchirer les voiles

— 90 —

Qui lui dérobent l'ennemi?

— Aspect plus désiré que celui des étoiles ! —

Écoutant ce bruit sourd qui l'annonce par,mi

Cet amas de vapeurs que l'enfer a vomi ;

Ne se soumettant qu'à dejni

A la voix de ses chefs, tant l'amour de la gloire

La pousse à s'élever de victoire en victoire !

Quel spectacle à faire frémir

Que ce calme, que ce silence

Qui laisse encor dans l'air les sylphides dormir.

Mais qui, troublé soudain par le fracas immense

De la bataille, avec ses mille explosions.

Jusqu'aux plus hautes régions

De l'atmosphère, va se changer en tempête.

Où le Mal et la Mort mêlent leurs cris de fête !

Bientôt, dans le brouillard, à cent pas des Anglais,

Se dessine uue ligne sombre.

Les voilà face à face, et soudain les boulets,

Les balles, les obus, de jaillir de cette ombre,

Et d'éclater avec un horrible fracas.

Faisant bondir le sol sous les pieds des soldats.

— 97 —

Sans aucun de ces bruits précurseurs de l'orage,

La tempête soudain déchira le nuage.

Et la foudre pleuvait si dru de toutes parts.

Que la tei-re en jetait au ciel des cris d'alarme.

Plus faible que les cœurs de ces nouveaux Bayards,

Que rien ne déconcerte et que rien ne désarme.

Ce fut un choc terrible. On eût dit deux remparts

Vivants qui se heurtaient par les effets d'un charme.

Trois fois de leurs positions

Repoussés, les Anglais trois fois les reconquirent.

Et des Russes trois fois les masses se rompirent

Sous les terribles pressions

De ces muscles d'acier, où l'on sent vivre une âme.

Où l'on sent que respire une divine flamme.

Les Russes eurent beau peser de tout leur poids ;

Ils eurent beau trois fois renouveler leurs troupes.

Ils ne purent jamais briser ces humbles groupes.

Mon vers ne suffit plus à dire tant d'exploits.

— 98 —

Deux bataillons français accourent à leur aide.

Et, l'un par l'autre alors augmentant leur grandeur.

Les deux peuples, unis dans une même ardeur.

Exécutent ensemble un choc à qui tout cède.

Admirable élan fraternel !

Puisse le souvenir de ce jour solennel

Former autour de nous un lien éternel!

Cathcart, pendant ce temps, reprenait l'offensive.

Et, par uue manœuvie habile autant que vive.

Pour mieux coopérer à l'œuvre des Français,

Il avait abordé les hauteurs que couronnent

Les Eusses, comme autant de Jupiters qui tonnent.

Lorsqu'une balle au front arrêta f es succès.

C'est lorsque, ses soldats n'ayant ni plomb ni poudre

Pour conjurer tant de périls,

11 venait de leur dire : « Eh bien ! contre la foudre

(. La ba'ionnette brille au bout de vos fusils ! »

— 99

IV

Par un mouvement peu propice

Où furent réduits les Anglais,

Criblés en ce moment d'obus et de boulets.

Bosquet, trop engagé, sentit le précipice.

Il appelle Morris, qui vole à son secours

Avec ses beaux chasseurs d'Afrique.

Un horrible chemin les force à cent détours ;

Mais rien ne les arrête, et, d'un bond électrique

Franchissant tout obstacle, ils ne sont plus enfin

Qu'à quelques pas du but où les attend la gloire.

Or, voilà qu'un profond ravin

Entre eux et l'ennemi roule sa ligne noire ;

Et de l'autre côté du ravin, voyez-vous

Sur les divers degrés de ces collines nues,

Ces masses noires, d'où, comme du flanc des nues,

Jaillissent mille éclairs, suivis de mille coups

De tonnerre éclatant sans relâche sur nous,

Qui sèment la mort dans l'armée •*

— 100 -

Par la mitraille ainsi se voyant décimée.

Et le ravin fermant tout passage aux chevaux,

Allant à l'ennemi par des chemins nouveaux,

lille se reporte en arrière.

Sur un terrain où, la première.

L'armée anglaise avait signalé ses efforts.

Un contre sept ! — Comment croire à de tels rapports ?

Qu'en diraient les héros d'Homère ?

Terrain encor jonché de cadavres, de corps

Coupés en deux, sans tête ou sans jambes, où même

Restent quelques blessés comptés parmi les morts.

Que les pieds des chevaux, ô misère suprême !

A terre sous leurs pas craignant de les heurter.

Ne savent comment éviter !

Les chasseurs firent des prodiges :

Bosquet fut dégagé, laissant mille vestiges

De tout ce que son cœur renferme de brillant :

— Magnifique sang-froid et courage brûlant! —

Si'ène éclatante de prestiges

De ce combat plein de vertiges

Qui va se déroulant de plus en plus sanglant,

Comme de plus en plus de gloire étincelant !

— 101

V

Mais notre Agamemnon n'est pas jaloux d'Achille.

Dans ses magnifiques eftbrts.

Secondé par un chef habile.

Bosquet voit à propos arriver ses renforts.

Le moment est venu de franchir les abîmes ;

Le moment est venu d'escalader ces cimes.

Et d'aller attaquer la foudre dans les cieux.

Il est temps d'eu finir avec ces furieux.

Il faut absolument dissiper cet orage

Qui, dans la nuit amoncelé.

Nuage sur nuage étant accumulé.

Depuis le grand matin dure avec tant de rage.

11 faut dans son Olympe assiéger Jupiter.

U est temps dans sa main qu'on éteigne l'éclair.

— 102 —

A quel prisme emprunter des couleurs assez vives

Pour peindre cet élan, cette fougue, ce vol

De ces géants par qui, devant Sébastopol,

Se voilent d'Ilion les grandes perspectives !

Voyez-les dans ces profondeurs.

Comme le jour dans les ténèbres,

Faisant pénétrer leurs splendeurs,

Déchirer promptement tous ces voiles funèbres ;

Voyez-les dissiper cet orage infernal

Au milieu d'un cri général

Dont les échos du ciel s'émurent,

Devant qui tout à coup les tonnerres se turent,

Devant qui tout à coup les nuages coururent,

Et, chassés par ce vent, en tous sens disparurent ;

Voyez-le, ce vainqueur, après cette action,

Qu'envîrait Miltiade, auteur de Marathon,

Ce soleil entouré des astres de lumière

Qui le suivent dans sa carrière ;

Voyez-le, ce bel astre et de gloire et d'amour.

— IO:J —

Par qui, sanglante fleur, la victoire est écluse,

Pleif.e d'un éclat grandiose;

Voyez-le, — général et soldat tour à tour —

Ce superbe Bosqui-t, de.- rayons d-'"! sa face

Jusqu'aux bornes du ciel illuminer l'espace

Où votre œil cherche en vain les Russes disparus.

Il se montre, et déjà voilà qu'ils ne sont plus.

A qui le comparer, ce héros, cet Achille,

Bien fait pour que tout œil le distingue entre mille.

Comme en un bois épais le chêne au premier rang ?

A qui le comparer, ce jeune conquérant.

Plus modeste encor qu'il n'est grand ;

Qui, — le front rayonnant de l'éclat des archanges.

Comme s'il conduisait les célestes phalanges.

Plein d'admiration pour ces braves soldats,

Anglais, Français et Turcs, empressés sur ses pas.

Qu'il voit braver sans peur mille horribles tré; as,—

Plus pour eux que pour lui demande des louanges.

Et veut que, sans emphase et le plus simplement,

Je dise leur ardeur, leur courage, leur gloire,

Fruit d'un sublime dévoûment.

— • 104 —

Mille fois au-dessus de tout ce que l'histoire

Offre de plus sublime, offre de plus brillant ;

Que je dise, en détail, d'une façon précise,

— Laissant la métaphore et sa forme indécise —

Leur vigueur à frapper et de front et de flanc ;

Sur les rangs ennemis ces charges glorieuses ;

Les baïonnettes furieuses.

Se tordant, se faussant, se brisant dans leur choc

Sur ces remparts de chair aussi durs que le roc ;

Pris par la crosse alors et changés en massues

Les fusils volant en éclats.

Remplacés à leur tour par des pierres, hélas!

La seule arme qui reste à ces mains éperdues !

— 105 —

VI

Tel était, en effet, ce terrible combat

Entre les Anglais et les Russes,

Avant qu'à l'horizon, Bosquet, tu ne parusses

Pour donner à ce jour tout son sublime éclat.

Avec Cathcart, plongés au cœur de la bataille,

Tombaient Cambridge et Brown, atteints par la mitraille.

Comme Strangway, Boldie était mort en héros.

La terre, avec le sang des meilleurs généraux,

Buvait à flots celui des soldats, par la foudre

Labourés, balayés comme un amas de poudre.

Ils combattaient ainsi dans la proportion

D'un contre sept, faisant miracle sur niiracle,

— Grande scène d'horreur et d'admiration ! —

Sans que tous leurs efforts pour briser cet obstacle,

Pour rompre ce cercle de fer.

Qui, comme un cercle de l'enfer.

— lOo —

Ne faisait autour d'eux, fournaise où manque l'air,

Que se resserrer davantage.

Sans que, par violence ou rage,

Ils eussent rien pu conquérir.

Il fallait se rendre ou mourir !

Mourir! oui. Mais se rendre ! impossible... Courage !

Une immense clameur retentit. C'est Bosquet,

Qui vole, accompagné de chasseurs, de zouaves ;

Courage ! C'est celui que leur âme invoquait.

Hourrah ! vont répondant les Anglais. Et ces braves.

En entendant ces cris à leurs cœurs si suaves :

« Vive la Reine et l'Empereur ! »

Les voyez-vous, alors, redoublant de fureur.

S'élancer en lions sur l'armée ennemie,

Et par un élan surhumain,

La rompre, sans pouvoir, — tant, colosse d'airain.

Sur sa base immobile elle semble affermie, —

Sans pouvoir lui gagner un pouce de terrain !

— 107 —

Du point où débouchaient nos trouijis, horsd'hileine.

L'œil ne distinguait qu'avec peine

Ce grand fouillis humain, caché par des buissons.

A l'épreuve de la mitraille.

Elles se forment en bataille

Sous le feu meurtrier de quarante canons.

« Mes enfants, dit Bosquet, s'élançant à leur tête,

1) Gardez-vous de tirer, vous tueriez les Anglais ;

» En avant, à la baïonnette,

» Et fi des balles, des boulets ! »

Et les voilà sous la mitraille.

Poussant jusques au ciel une immense clameur.

Dont la formidable rumeur

Couvre le bruit de la bataille ;

Les voilà tous ensemble et dans le même instant.

Anglais et Français, tous géants de même taille,

Clairons sonnant, tambours battant.

Qui, comme un ouragan, sur les Russes s'élancent :

La terreur et l'effroi comme un vent les devancent.

— 108 —

Quoique de l'essence du roc.

Pour le coup, c'est en vain qu'à ce terrible choc

Les Russes essaieraient de résister encore.

Comme à l'aspect d'un météore.

Les voilà qui, frappés de stupeur, sous les pas

De nos invincibles soldats

S'effacent, ne sachant d'où vient cette avalanche.

Plus forte que le vent qui courbe toute branche.

Nos zouaves surtout, véritables lions,

Dans les rangs ennemis font d'horribles sillons :

Dans une forêt sombre on dirait des percées,

Par de grands abattis d'arbres géants tracées.

Les Russes, corps criljlé, mais non pas ébranlé.

Les Russes cependant n'avaient pas reculé.

Mais sitôt que Bosquet eut réuni les troupes

Qu'envoyait Canrobert pour renforcer ses groupes,

Une attaque de front, d'une exécution

Admirable d'audace et de précision,

Força le Russe, ainsi bctttu par la tempête,

A céder, à plier, à lâcher sa conquête.

— 109 —

VII

La mêlée est terrible, et jamais sous le ciel

Ne se vit tableau plus cruel.

Voyez-vous, éteignant sa splendide auréole.

Par la mort dérobée à la vaillante main

Qui voulait lui frayer un glorieux chemin ;

Voyez-vous, égarée en son vol surhumain.

Cette aigle française qui vole.

En proie à l'ennemi, jusqu'à ses derniers rangs

Où la voilà déjà qui penche sur l'abîme?

Telle, une feuille, de sa cime

Arrachée, en tombant, roule au gré des torrents.

Entre les mains du Russe un drapeau de la France !

L'aigle du sixième léger I

A cet aspect, fermant les yeux à tout danger

Et n'écoutant que sa vaillance.

— 110 —

A travers l'ennemi, pour le reconquérir.

Le colonel Camas s'élance.

Tous le suivent, unis dans la même constance.

Mais, percé de cent coups, il ne peut que mourir.

« Au drapeau, mes amis! » — Tel est le mot de flamme

Que fit, en s'en allant, résonner sa grande âme.

Officiers et soldats répètent: — « Au drapeau ! — »

Et voyez, dans l'ardeur d'un mouvement si beau,

Quelle horrible mêlée autour de lui commence !

Les Russes culbutés sous cette attaque immense.

Laissent voir en nos mains le drapeau reconquis.

11 disparaît encor dans les rang-s ennemis.

Pour être au même instant ressaisi par nos braves,

Qui,,comme un volcan déchaîné,

Des cratères du cœur accumulant les laves,

Les lancent à la fois sur le Eusse obstiné.

Qui disparaît enfin, par la vague entraîné.

— 111 —

VIII

Monnet, qui conduisait une demi-brigade

De la belle division

Que commande Napoléon,

Pousse admirablement à cette reculade;

Tandis qu'à quelques pas, le prince, corps malade,

Mais cœur robuste et fier, que rien ne fait céder,

S3 tient prêt à le seconder.

L'attaque de Monnet, où brillent les zouaves,

Où chasseurs et marins, légion de héros,

Semblent le disputer en bravoure aux plus braves ;

L'attaque de Monnet, fulminante d'effroi.

Met les Russes en désarroi.

Et voilà qu'aussitôt commence leur déroute.

Arrivé près de la redoute

Qu'il avait enlevée aux Anglais le matin,

Gortschakoff, s'en faisant un appui, tente en vain

De se reformer en bataille.

— 112 —

Les Anglais avaient trop à cœur,

Après l'avoir perdu, forcés par la mitraille,

De reprendre ce poste à force de vigueur.

Pour qu'il pt'ït de nouveau se grandir à leur taille.

Dans un élan prodigieux,

Voyez-les balayant les Russes devant eux.

Mais ceux-ci, revenant en colonnes serrées.

Leur front tout hérissé de pointes acérées.

S'élancent sur le mamelon,

Qu'ils couronnent bientôt, planant sur le vallon.

Les Anglais à leur tour reculent. La redoute

Est encore une fois perdue. Et vous voyez

Le sol se dérober tour à tour sous leurs pieds.

Nos héroïques alliés

Se fussent fait tuer jusqu'au dernier sans doute,

Si Bosquet n'eût mis fin à cette horrible joute.

En faisant opérer un mouvement de flanc

Qui porte nos soldats, déjà couverts de sang.

Juste en face de la redoute,

Qu'ils emportent d'assaut, réunis aux Anglais,

Plus prompts, dans leur élan, que balles et boulets.

— 113 —

Fléchissant sous l'effort d'une telle pesée.

Les Russes vont roulant sur la rampe opposée,

Où nos soldats, sur eux brandissant nos drapeaux.

Les poussent sous leurs pieds ainsi que des troupeaux.

Vainement le corps de réserve

Accourait, se roulant en épais tourbillons.

Avec les premiers bataillons

Sur la pente rapide entraîné de conserve.

Il est forcé de s'entr'ouvrir

Pour laisser passer la retraite.

Que par sa résistance il tâche de couvrir ;

Mais qui bientôt se change en déroute complète,

Malgré les plus sanglants et les plus grands efforts ;

Jonchant affreusement le chemin de ses morts.

Puissance du courage et d'une artillerie

Habilement conduite et largement nourrie !

Qui, suivant progressivement

La retraite en son mouvement,

Et ne lui laissant pas un instant de relâche,

De nos braves soldats achève ainsi la tâche !

Là, de notre côté, cœur où Dieu s'imprima,

Brille, près de Barrai et de la Boussinière,

— 114 —

Le colonel Lebœuf, digne et généreux frère

De l'intendant Lebœuf qui périt à l'Aima.

Les Russes néanmoins, malgré d'énormes pertes,

Se retiraient encore en fort bon ordre, et, certes.

Devant les alliés ne restaient pas inertes.

Ils résistaient avec une ténacité,

Comme on n'en vit jamais un exemple cité !

Mais Bosquet, qu'on eût pris pour le dieu de la guerre.

Sur l'ennemi, déjà puissamment ébranlé,

Éclatant comme le tonnerre.

Lui dérobe à ses pieds la terre.

Le pousse devant lui, plié, pressé, foulé.

Comme fait l'aquilon d'un tas de paille immonde ;

Roule, impétueux flot, sa vague furibonde;

Et voilà, — jusqu'au bord d'un ravin acculés, —

Parmi les Russes, ceux, par la foudre aveuglés.

Qui n'ont pas vu la Mort entasser là sa fauche.

Réduits à s'élancer du haut de cette roche

Et comblant de leurs corps l'abîme rugissant,

D'où remonte une odeur de cadavre et de sang I

IX

Tandis que se heurtaient tant de masses diverses, Voilà Sébastopol qui soulève ses herses. Et sur le camp français, par essaims ruisselants, Jette les bataillons recelés dans ses flancs. La fortune a changé les rôles ; notre armée Est dans un double siège elle-même enfermée; Mais de ces deux remparts qui viennent l'investir. Par un double triomphe elle est prête à sortir. S'il faut beaucoup de sang, elle en sera prodigue : Comme un fleuve indigné crevant sa double digue. De ses flots bouillonnants submerge au loin ses bords. Telle, coalisant de suprêmes efforts. Elle s'enfle, déborde et refoule en arrière La horde moscovite, impuissante barrière. Qui fuit, les yeux hagards, et roule en se sauvant. Comme la paille sèche au tourbillon du vent. Là, Bosquet, là. Raglan, chargeant avec furie Cosaques, fantassins, fourgons, artillerie, Et tout ce qu'ont poussé dans ce sanglant hasard Le knout, le fanatisme et les deux fils du czar ; Leur souffle dévorant a balayé l'espace ; Ici vers le côté qui resserre la place, Canrobert, clôturant son triomphe si beau. Donne aux fils de Moscou leur fossé pour tombeau. De poussière et de sang, cadavéreux mélange. Sur qui la Motterouge entraîne sa phalange. Qui foule ce monceau jusqu'au rempart voisin. Comme le vendangeur écrase le raisin. C'est là que, dominé par son bouillant courage, Lourmel de ses débris consommait le carnage; La baïonnette aux reins à pas précipités. Il les suit, les refoule aux murs qu'ils ont quittés. Et peut-être avec eux, dans le feu qui l'emporte. De la ville béante eût-il franchi la porte. Comme jadis Murât, qu'on dirait son aieul. Aux murs de Saint-Jean-d'Acre osa pénétrer seul, Lorsqu'en pleine poitrine un plomb fatal le touche; Il tombe, et près de lui, sur leur dernière couche. Tombent chefs et soldats, dignes du Panthéon, Qui meurent pour la France et pour Napoléon.

(BARTHÉLÉMY, la Tauride.)

A flots le sang ruisselle aussi dans la tranchée.

Là, la terre est aussi de cadavres jonchée ;

Triste et douloureux fruit d'un combat corps à corps.

— 116 —

— A l'arme blanche, — avec les Russes, — de leurs forts

Sortis, dès le matin, en grande masse sombre;

Jusqu'aux canons français se glissant comme une ombre,

A la faveur de ce brouillard

Dont l'Aurore couvrait son visage blafard ;

Accablant les soldats de garde sous leur nombre.

La Motterouge accourt à la hâte et sans bruit ;

Glisse dans nos boyaux les soldats qu'il conduit,

Et, sans être aperçu, quittant les galeries.

Pénètre brusquement au sein des batteries,

D'où les Russes, surpris, sont rejetés dehors.

Non pas sans y laisser des centaines de morts.

A la nouvelle de ce piège.

Le commandant du corps de siège,

Forey lui-même, vole, et de ses bataillons.

Qu'il pousse devant lui comme des tourbillons.

Enveloppe le Russe, et l'écrase et le roule.

Et le dissipe ainsi qu'une grossière foule.

Pauvres Russes ! où fuir ? où se cacher ? hélas !

Le général Lourmel, à cheval, sur la route,

— 117 —

Leur ferme la retraite, et partout, sur leurs pas.

Pour précipiter leur déroute,

Par derrière et de flanc, les pressant, nos chasseurs

Semblent sortir de terre, effrayants précurseurs

Du désastre qui les menace.

Ils cherchent vainement à regagner la place.

Pris entre un double feu de canons bien pointés.

Ils ne voyaient de tous côtés

Que la Mort occupée à son œuvre terrible.

Et fauchant dans leurs rangs d'une manière horrible.

De huit mille que, le matin,

Au sortir de leur antre, ils étaient, pleins des flammes

Que la voix de l'évêque allumait dans leurs âmes.

Se flattant pour le coup d'un triomphe certain,

A peine si trois mille, à travers le carnage.

Purent vers les remparts se frayer un passage ;

Poursuivis, le fer dans les reins.

Par nos braves soldats jusques à la poterne

Du fort du Mât, s'ouvrant ainsi qu'un autre Averne ;

Refuge où nos soldats, l'âme hors de tous freins,

Pénètrent avec eux, sous le feu de la place,

Qui, quelque ardent qu'il soit, le cède à leur audace.

— 118 —

Ils s'arrêtent, voyant tomber leur général,

L'intrépide Lourmel, renversé de cbieval

Par un coup en pleine poitrine ;

D'où voilà que son front s'éclaire et s'illumine

De cette auréole divine

Que la mort réserve aux guerriers

Et dont on voit soudain resplendir leurs lauriers.

A la fougue inaccoutumée

Dont la brigade est animée,

Il semblerait que ces remparts

Vont à son souffle ardent crouler de toutes parts.

Mais trop de conviés manquent à cette fête !

Indomptables héros, soldats que rien n'arrête,

Protégés dans votre retraite

Par d'Aurelle, ce dieu caché dans la tempête.

Qui des forts rugissants fait taire les canons,

Et Niel, remplaçant Lourmel à votre tête.

Allez dire à vos compagnons

Le chemin teint de sang qui mène à la conquête !

Allez ! ils crouleront, ces superbes remparts !

La terre éclatera sous leurs débris épars !

MEMORARE.

Dignum laude virum Musa vetat moii (HOUACE. )

Ah ! combien vous m'avez remué les entrailles !

Je crois vous voir encore, à travers les broussailles.

Les vallons, les fossés, les clairières, les bois,

Livrant cette bataille égale à vingt batailles;

Cette bataille, amas de sublimes exploits ;

Si riche, si féconde en miracles d'audace;

Succession terrible à la sang-lante trace

De chocs impétueux, de mouvements adroits.

D'acharnés ralliements après chaque détresse.

De combats corps à corps renouvelés sans cesse.

Où, pour rester vainqueur, il faut vaincre cent fois !

Ces Russes, comme ils ont disputé la victoire!

— 120 —

Mais vous en aurez plus de gloire.

La grandeur du vaincu fait celle du vainqueur.

Guerriers au cœur si magnanime.

Pour vous récompenser d'un dévouement sublime.

Est-il assez d'amour, est-il assez d'estime?

Ah ! de quels sentiments je sens vibrer mon cœur

Pour cette jeunesse aguerrie.

Qui s'exténue ainsi de peines, de travaux ;

Qui se dévoue ainsi ; qui souffre tant de maux

Pour la gloire de la patrie,

Pour la cause du droit et de la liberté.

Pour le bien de l'humanité;

Qui lutte corps à corps contre la barbarie ;

Qui passe, pour l'atteindre, et les monts et les mers;

Qui brave les autans, les tempêtes, la foudre,

La faim, le chaud, le froid, mille fléaux divers;

Laisse le ciel, en pluie, en neige se dissoudre.

Et poursuit sa conquête au bout de l'univers !

Que n'ai-je d'autres récompenses

A leur offrir ici, pour prix de leurs souffrances.

Que ma sympathie et mes vœux !

— 121 —

Que ne puis je, immortel poëte !

Que ne puis-je, du moins, pour en ceindre leur tête.

Aller cueillir au ciel des palmes et des feux !

0 Muse inattentive, ô Muse flegmatique !

As-tu dit tout l'éclat de ce jour magnifique ?

As-tu dit tous les traits de ce vaste combat ?

Du moins, puisqu'on ne peut nommer chaque soldat.

Citons de Penhoat l'indomptable furie.

Citons son rival en valeur,

Méquet, dont rien n'éteint la bouillonnante ardeur.

De chacun de ces preux, montrons la batterie.

Dix fois détruite par un feu supérieur.

Se rallumant toujours avec plus de fureur.

Disons combien Cissey brilla dans cette lice.

Disons Michel, frappé d'un boulet à la cuisse.

Qui puise dans son sang, offert en sacrifice.

Une nouvelle force, une nouvelle ardeur.

Pour crier : « Vive l'Empereur ! »

Ah ! par quelles douleurs, par quelles allégresses.

Célébrer dignement ces illustres prouesses.

— 122 —

Qui, plus puissantes que le vent,

Jouant avec la foudre en leur vol triomphant,

De l'antique Orient ravivent les lumières.

Et de la liberté reculent les frontières !

D'accord avec le Eusse, avez-vous vu les flots,

Avez-vous vu le ciel, avez-vous vu la terre

Nous attaquer avec les vents et le tonnerre?

Mais, vaincus, lesvoilà rentrés dans leur repos.

0 Muse, lève-toi, comme un astre de gloire,

— Pour l'illuminer d'un rayon, —

Sur la lutte si méritoire,

— Contre les flots de la mer Noire, —

Du Henri quatre et du Pluton !

Fais reluire mes vers sur cette horrible scène

De tant de beaux vaisseaux en proie à l'aquilon !

Montre-nous les^Fisquet, montre-nous les Jéhenne,

Combattant corps à corps le terrible élément,

Lui disputant sa proie avec acharnement !

Assailli, par les flots, repoussé par la terre.

Tel Ajax, foudroyé, fit. pâlir le tonnerre !

TROISIÈME PHASE

PÉLISSIER.

PRISE DE SEBASTOPOL.

Paris, comme un flambeau, s'allume dans la nuit ; Il placarde partout Sébastopol détruit ; Les murs parlent; gardons notre bouche muette. Ou plutôt ranimons notre voix de poëte Pour chanter ce message écrit avec l'acier, Poëme fulminant que signe Pélissier. Soldats! rehaussez-vous de toute votre taille; C'est le jour, c'est l'instant de la grande bataille.

u A l'assaut ! à l'assaut ! » De cent mille poitrines Ce cri s'échappe et court jusqu'aux plages marines En semant le frisson sur les forts et les tours. A ce cri, renforcé par les rauques tambours, Les étendards anglais, les drapeaux tricolores. S'élancent vers trois points comme des météores. Sur ces trois points déjà la bataille se tord : Assiégés, assiégeants, la mort contre la mort. Ceux-ci dans les fossés, ceux-là sur les murailles Font ronfler les obus et grincer les mitrailles. Sans échelles, sans ponts, dans ces gouffres ardents. Nous fondons sur la tour et sur les deux redans. O formidable lutte ! ô coûteuse victoire ! Que de sang pour écrire une page d'histoire ! Que de soldats vaillants ! Que de braves sans nom. De héros ignorés, broyés par le canon ! Vous aussi, nobles chefs, vous leur vivante enseigne. Rivet, Breton, Saint-Pol, et toi, jeune Cassaigne, Toi que Péhssier aime et nomme son enfant. Vous tombez là, couverts d'un manteau triomphant ! Près de vous sont frappés Pontevës et Marolle. Mais sur vos bataillons en vain la foudre vole ; Les zouaves et la garde, incessamment éclos. Jaillissent sous le mur qui comprime leurs flots. Comme dans la chaudière une eau bouillante monte. En soulevant par bonds son couvercle de fonte. Vainement Malakoff, qui sent ses pieds étreints. D'une écharpe de flamme enveloppe ses reins. Vomit des blocs de fer par sa gueule béante; Cramponnés par les mains autour de la géante. Sur un sanglant morceau de débris chancelants. Bosquet et Mac-Mahon escaladent ses flancs ; Mais sa tête combat toujours avec furie. Cinq fois, sous l'ouragan de son artillerie. Notre aigle avec douleur redescend vers le sol ; Et c'est après l'élan de son sixième vol. Car il faut qu'en ce jour elle triomphe ou meure. C'est après cinq assauts, après la sixième heure. Qu'elle salue enfin le ciel qui la bénit. Et pousse un cri vainqueur sur la tour de granit.

(BABTHÉLEMÏ, la Tauride.)

PRISE DE SÉBASTOPOL.

(Septembre 18550

Aa -vol impétueux de la charge qui sonne, C'est Pétersbourg qui tremble et Moscou qui frissonne. Le Kremlin a frémi dans ses sombres détours, Sébastopol, qu'un monde eût en vain assiégée. Contemple, en regardant sa flotte submergée,

Mon aigle perché sur ses tours. (J. LESGUILLONO

Le capitaine de vaisseau Daguerre, dont l'intrépidité était devenue proverbiale, se trouvant avec le comte d'Harcourt,— comme ce dernier, chargé de reprendre sur les Espagnols les îles des côtes de Provence, représen­tait les difficultés de l'opération ou le manque de moyens d'exécution :

« — Eh! monsieur, s'écria Daguerre, le soleil eutre-t-il dans ces lies? —Sans doute. — Eh bien, nous y en­trerons aussi. »

Gloire ! la voilà donc croulée !

Sous les pieds des géants la voilà donc foulée,

La grande forteresse aux remparts de granit,

Qui semblait défier et le ciel et la terre ;

— 126 —

Qui, dans les éclats du tonnerre,

Semblait s'épanouir comme l'aigle en son nid !

Le voilà donc brisé, cet obstacle invincible

Qui rendait au progrès l'âsie inaccessible !

Le voilà donc réduit en poudre, cet écueil

Dont aucun pavillon n'osait braver l'orgueil !

Gloire à vous, gloire à vous, gloire et reconnaissance,

Soldats de l'Angleterre et soldats de la France !

Quoi ! tant d'obstacles aplanis !

Tant de remparts forcés, tant d'abîmes franchis !

Tant de miracles accomplis !

Quoi! ligués contre vous, pour vous faire la guerre,

Avec votre ennemi si puissant et si fort.

Tous les fléaux semblaient d'accord !

Quoi ! brandissant la foudre et roulant le tonnerre.

Toutes les légions du Sort

Combattaient à la fois ce gigantesque effort !

— 127 —

Quoi! de ces trous profonds, appelés casemates.

Jaillissait un volcan de boulets écarlates !

Quoi ! de mille canons sur vous pleuvait la mort !

Quoi ! vous étiez plongés dans un gouffre de flammes ! •

Et, comme si les corps habités par vos âmes

Eussent été doués d'un pouvoir surhumain,

Lorsqu'on croyait pour vous ce jour sans lendemain,

— 0 grand spectacle fait pour étonner la terre ! —

Voilà que tout à coup de l'horrible cratère

On vous a vus, géants, surgir la foudre en main!

C'est qu'à l'union salutaire

De la France et de l'Angleterre

Il n'est rien désormais qui puisse résister.

Les portes de l'enfer où la nuit s'amoncelle

Ne sauraient prévaloir contre elle.

Ne sauraient empêcher le soleil d'éclater.

Gloire à vous ! gloire à vous ! gloire et reconnaissance.

Soldats de l'Angleterre et soldats de la France!

128

Gloire à vous, qui prouvez, à force de vaillance,

Qu'impossible, ce mot, n'est pas un mot français,

Et que, comme disait Daguerre,

Où le soleil pénètre, on a de même accès,

Quand on s'appelle ainsi : LA FRANCE ET L'ANGLETERRE !

De l'obstacle jaillit la gloire du succès.

— 129 —

II

Est-il sous le soleil un cœur qui ne tressaille

Au bruit retentissant de la grande bataille.

Qui sous les pieds du Czar a fait trembler le sol,

Qui des anges du ciel a suspendu le vol !

Muse, raconte-nous ce grand coup de tonnerre.

Cette magnificence horrible de la guerre;

Ce fracas, ce tumulte épouvantable à voir ;

Ces boulets, ces obus, par où l'ardente poudre

Le dispute à l'éclair, le dispute à la foudre :

Déluge meurtrier ne cessant de pleuvoir

Par immenses torrents sur l'une et l'autre armée.

Du même feu sacré grande foule animée !

Muse, viens buriner, aux yeux de l'avenir,

En vers étincelants que rien ne peut ternir.

— 130 —

Cette affreuse mêlée où la Mort et la Vie

En efforts surhumains s'épuisent à l'envie !

Viens dire, sur ces fronts calmes et radieux.

Dans ce maintien majestueux.

Dans ces fiers mouvements, dans cet air, dans ces yeux,

Ce courage éclatant, cette ardeur magnanime,

Cette abnégation sublime.

Par où l'homme s'élève au rang des demi-dieux !

Qui peut, si ce n'est toi, raconter ces prodiges?

Or sculpté, les vers seuls ont assez de splendeur

Pour réfléchir tous ces prestiges

De gloire, de vertu, de force, de grandeur!

0 Muse des^combats. Muse aux élans sublimes,

Muse quiplanes sur les cimes.

Viens dire le courage et l'audace sans nom

De ces hommes moitié poudre, moitié canon !

Viens dire ce volcan, dont les torrents de laves

Ne peuvent arrêter la marche de nos braves !

— 1.31 —

Viens dire les efforts de ce combat sanglant!

Viens dire ces débris, viens dire ce carnage ;

Tous ces miracles de courage

Par où s'est accompli ce fait d'armes brillant

Qui fait étinceler le ciel de l'Orient !

Voyez-vous ces fossés, ces remparts, ces abîmes

Où vont s'amoncelant tant de nobles victimes !

Entendez -vous ce bruit près de Sébastopol ;

Ces détonations qui font trembler le sol :

Vastes éclats de foudre, explosions superbes !

Le Vésuve et l'Etna se renvoyant leurs gerbes !

Océan de fumée, où , sous un ciel d'azur.

Se dressent quelques mâts et quelques pans de mur!

Dans toute sa splendeur le palais de la guerre !

Un fracas près de qui pâlirait le tonnerre !

Et, comme des démons, soldats et matelots

Attisant à l'envi ces flammes sur ces flots I

132

m

On ne sait pas assez de combien de vies d'hommes est faite la gloire d'un héros ! Quand on foule un champ de bataille, il est assez rare que l'on pense à ces morts anonymes qui dorment sous le gazon.

(LoBis ENAOLT.)

Superbes conquérants, envahisseurs sublimes ,

Qui ne portez la guerre au bout de l'univers

Que pour délivrer des victimes ,

Pour ouvrir des cachots et pour briser des fers;

Soldats plus glorieux que les héros d'Homère,

Quelle Iliade, où rien ne brille d'éphémère,

Est digne de transmettre aux siècles à venir

Les prodiges sans nom qu'on vous voit accomplir !

Qu'elle est fière de vous, la France, votre mère!

De vous, ses fils, enclins pour elle à tout souffrir.

Qui ne savez toujours que vaincre ou que mourir !

Qu'il sera fier de vous, le héros qui vous guide,

0 Romains à l'âme intrépide !

— 133 —

Qu'ils seront fiers de vous la REIÎ^E et I'EMPEREUR !

Ah ! quand , pour satisfaire un doux besoin du cœur

Autant que pour remplir leur mission divine,

Ils viendront décorer votre sainte poitrine,

Ils n'auront pas assez de ces signes d'honneur

Qui vous font oublier la mort et la douleur !

En est-il parmi vous que le champ de bataille

Ait vu pâlir sous la mitraille?

En est-il parmi vous dont le co^r ait faibli?

En est-il parmi vous qui, cœur froid pour la gloire.

N'ait pas sa part de la victoire?

Au livre de l'honneur, au livre de l'histoire

Pourquoi faut-il qu'un seul soit laissé dans l'oubli ?

Ah ! le poëte aussi cherche en vain des paroles.

Il ne sait de quels feux, de quelles auréoles

Couronner aujourd'hui vos fronts victorieux ;

Il ne sait à quels cieux, il ne sait à quel prisme

Emprunter des couleurs pour retracer aux yeux

Tant d'abnégation, de sang-froid, d'héro'isme ;

Tant de prodiges faits pour étonner les dieux !

134 —

IV

Eux et lui de l'Europe .ont rompu les entraves, (BELMOJVTET.)

Seul, lorsque tous courbaient leurs têtes sous l'orage, Voyant dans l'avenir d'autres Germanicus, Tu savais qu'un vengeur, nous rendant le courage, Trait demander compte aux Germains d'un autre âge-

Delà défaite de Varus! (CAsm.LE DoDCET, A Casimir Delavigne.}.

Ah ! je voudrais vous dire à quel point je vous aime !

Put chacun de mes vers se changer en rayon

Pour vous en faire un diadème !

Pour y graver dans l'or votre glorieux nom ,

Que n'ai-je une Colonne ou quelque Panthéon!

Que n'ai-je le pouvoir de vous sculpter mon âme.

Comme fait Phidias un marbre précieux ;

— 135 —

Ou d'en faire jaillir vos noms victorieux

En grands caractères de flamme

Qu'on verrait resplendir sur le fronton des cieux !

Quelle bataille, quelle gloire !

Quelle gloire éclata jamais.

Parmi tous les hauts faits que recueille l'histoire,

Plus grande que cette victoire.

Dont voilà que vos fronts rayonnent désormais !

Ah ! pour prix de tant de constance

Par où jusques au ciel vous élevez la France,

Pour prix de tant de maux que vous avez soufferts,

Que n'ai-je d'autre récompense

Que ma sympathie et mes vers !

Pût ma voix s'égaler à celle du tonnerre

Pour porter votre gloire aux confins de la terre !

Mais qu'importe ma voix dans l'immense concert

Qui va jusqu'à troubler les échos du désert !

Jamaislepiédes'al ne manque à la statue.

Et la France, de force et d'éclat revêtue,

La France possède à la fois

Des héros pour mourir pour elle ;

Et, pour célébrer leurs exploits,

Des poètes armés de la lyre immortelle.

Mais la terre , le ciel, les flots, prendront des voix.

Des sources de l'Euphrate aux rives du Bosphore

Mille voix surgiront, plus grandes que mes vers ;

Voix des esprits guerriers, qui diront à l'Aurore

Les superbes lauriers dont vos fronts sont couverts.

Et l'Aurore au Soleil redira la nouvelle,

Et l'astre-roi par qui la nature étincelle

La répandra dans l'univers.

Aujourd'hui ce n'est plus un pâle coin de terre,

Comme aux vieux jours de Troie ou de Lesbos en feu,

Qui s'émeut de vos faits et de vos bruits de guerre ;

C'est l'univers entier, rempli d'un même vœu,

Qu'illumine à la fois votre sainte auréole

Et qui dit votre nom de l'un à l'autre pôle ;

C'est l'univers entier qui de sa grande voix

Acclame votre gloire et chante vos exploits.

— 137 —

C'est l'univers entier, témoin de vos prodiges ;

C'est l'univers entier, frappé de vos prestiges.

Qui vous crie, inclinant la tête devant vous :

« Soldats de l'Angleterre et soldats de la France,

» Dignes par vos vertus qu'on vous parle à genoux,

» Gloire à vous, gloire à vous, gloire et reconnaissance ;

» Gloire à vous, pour tant de hauts faits

» Destinés à fonder l'empire de la paix ! »

C'est l'univers entier qui, sauvé de l'abîme.

Devant un résultat si nouveau, si sublime.

Fait éclater ce cri de gloire et de bonheur :

« Vive Napoléon Sauveur ! »

138 —

Il faut avoir vu l'émotion qui s'emparait de tous le cœurs, ces larmes qui coulaient des yeux de toutes le; fonniies, au passage de ces bataillons décimés par 1< mitraille et de ces drapeaux troués, pour bien com prendre tout ce qu'il y a de ressort et d'orgueil natio nal dans le peuple français. (ALPHONSE DE GALONNÉ. La Revue contemporaine.

Ab ! quand vous reviendrez, après tant de prodiges,

Qui du monde sur vous enchaînent le regard,

Magniflques guerriers, couronnés de prestiges.

Tenus dans les esprits pour des êtres à part ;

Ah ! quand vous reviendrez de ces terres lointaines.

Intrépides soldats, illustres capitaines,

Débris sacrés des bataillons

Où le fer moissonna les héros par centaines ;

Lorsque vous reviendrez, le front ceint de rayons.

Quelques-uns d'entre vous tout couverts de blessures,

Béquilles et bandeaux leur formant des parures ;

— 139 —

Lorsque vous passerez sur nos grands boulevards »

Où sur vos pas se presse une foule en délire,

Où l'Empereur accourt lui-même pour vous dire :

« Soyez les bienvenus, mes enfants, chères parts

» De moi-même, la joie et l'orgueil de la France ! »

Lorsque vous passerez, pâlis par la souffrance.

Irrésistible aimant de cent mille regards,

Vous verrez se mouiller de pleurs, sous leur sourire,

Tous les yeux, pleins d'amour, que votre vue attire ;

S'incliner tous les fronts, s'agiter tous les bras.

Et, saluant en vous plus des dieux que des hommes,

On dira : <- Qui l'eût cru, que le siècle où nous sommes

'1 Verrait de tels guerriers et de pareils combats ! »

Voyez-vous, voyez vous, en ce jour magnifique.

Les haines s'éteignant dans l'ivresse publique;

Un même sentiment nous faisant tous joyeux.

Et des larmes d'amour coulant de tous les yeux!

L'amour, instinct sublime, infiltre dans les âmes

Et ses plus doux rayons et ses plus vives flammes ;

— 140 —

Avec plus de transport sur son sein triomphant,

La mère, plus heureuse, embrasse son enfant ;

La beauté, se parant d'une grâce nouvelle,

Répand comme un parfum plus suave autour d'elle.

La sœur en aime mieux son frère; en son chemin,

L'ami presse à l'ami plus vivement la main ;

Et des petits enfants la voix pure et fervente

Semble prier avec une foi plus vivante.

Tout devient vie, amour, joie, espérance, ardeur.

L'avenir apparaît dans toute sa splendeur.

Napoléon premier, du haut de ta colonne,

Penche-toi sur ces fiers guerriers

Qui viennent, couverts de lauriers.

Ajouter ce nouveau fleuron à ta couronne.

En les voyant, le cœur plein de ton souvenir,

Passer victorieux sous l'arche triomphale

Qui domine ta capitale.

Étends la main pour les béuir.

Car leur victoire, c'est la paix de l'avenir.

CHOEUR UNIVERSEL.

Contemplez cette sainte ivresse, Écoutez ce cri d'allégresse. Qui, du sud au septentrion. Comme du couchant à l'aurore. Hymne gigantesque et sonore. Chante : Gloire à Napoléon 1

(ACHILLE LAFON.)

Gloire à tous ces héros, à qui manque un Homère :

Pélissier, Canrobert, Bruat, Bixot, Dundas !

Gloire à tous ces héros, officiers et soldats.

Nouveaux Bellérophons, vainqueurs de la CJiimère !

Gloire à ce nouveau Brasidas,

Bosquet, que l'on prendrait pour le dieu de la guerre;

Qu'on vit avec les siens attaquer le tonnerre !

Et, non moins qu'aux vainqueurs, gloire, gloire au.\: vaincus !

Car ils ont layonné de toutes les vertus

Car ils ont été grands, superbes, magnifiques.

Ils vous ont opposé des âmes héroïques,

Dignes de vos cœurs surhumains.

— 142 —

Bénissez-les d'avoir été si magnanimes :

C'est parce qu'ils sont grands que vous êtes sublimes.

Gloire ! c'étaient les Grecs combattant les Romains ;

Gloire ! vous êtes faits pour vous donner les mains.

Ah ! que de cette gloire enfin la paix jaillisse !

Fermez, fermez bientôt cette sanglante lice ,

Et, dans un même cœur unis.

Éteignant dans nos pleurs tous sentiments profanes.

Sacrifions ensemble à tant d'illustres mânes.

Sans faire acception d'amis ou d'ennemis.

143 —

II

Gloire à tout noble cœur, brûlant d'un feu suprême,

Qui, prompt à s'arracher des bras de l'amour même,

Rougissant de languir dans un lâche repos.

Supérieur à tout, même aux plus tendres larmes,

Méprisant les dangers et bravant les alarmes.

S'élance, et va cueillir la mort sous ses drapeaux !

Qu'entre les plus beaux noms son nom brille et rayonne !

Que l'oubli vainement passe sur la colonne

Où ce nom brille, inscrit en grandes lettres d'or!

Que la patrie en deuil honore sa mémoire ;

Dans ses bras maternels que l'ange de la gloire

Le berce en son cercueil comme un enfant qui dort !

Après le bruit du fer, les accents de la lyre ;

Après l'ardeur du jour et les sanglants combats.

L'ombre, sous les lauriers, où la Muse soupire

Des noms voilés par le trépas 1

144 -

m

0 Muse des combats, Muse, sœur de l'Histoire,

Dis ces morts glorieux, si dignes de mémoire :

Sommailler, du boulet qui menace Hamelin,

Frappé dans la poitrine et disparu soudain

Sous les ondes de la mer Noire ;

Kourchid enveloppé dans le même destin ;

Labourdonnaye, hélas ! jetant un dernier lustre

Sur ce nom, qui s'éteint, d'une famille illustre ;

Mussot, pour qui le Sort ne fut pas moins cruel ;

Vassert, cœur tout français où la gaîté respire.

Atteint, dans la tranchée, au milieu d'un sourire,

Qui reste sur son front comme un cachet du ciel ;

Et ce nouveau Bayard, l'intrépide Lourmel ;

Et Bruat, cette foudre, irréparable perte ;

Et, parmi ces Anglais, que rien ne déconcerte,

— 1/|5 —

Raglan, Cathcart, Greathed, combien d'auirt^s lu'TdS :

Simples soldats ou généraux !

Somerset, si tranquille au milieu du carnage.

Comme un guerrier du moyen âge,

Mourant dans les rayons de sa sérénité;

La Marmora, si tôt par la mort emporté ;

Beuret, l'unique fils d'un père inconsolable ;

Mille autres dont le sort n'est pas moins lamentable

Qui tous, par leur ardeur et par leur fermeté.

De l'Europe et du monde ont si bien mérité!

LES SOEURS DE CHARITÉ.

Quel est donc ce blessé, couché dans l'ambulance? Il repose et chacun garde un profond silence

Dans la crainte do l'éveiller. Auprès de son chevet, attentive, inquiète, La sœur de charité, penchant vers lui sa tête.

Est assise pour le veiller.

C'était l'espoir, l'orgueil d'une antique famille. Si riche, elle aurait pu, la noble jeune flile.

Vivre dans la soie et les fleurs. Non ; dans un sac de serge emprisonnant ses charmes. Elle a pris le sentier tout abreuvé de larmes,

La coupe pleine de douleurs !

Chacun obéissait à son moindre caprice. Chez elle, vingt laquais, debout pour sou service,

A sa voix couraient empressés ; Eh bien! la jeune enfant, si frêle et si charmante, A quitté tout cela pour être la servante

Des infirmes et des blessés !

Fiancée adorée, épouse heureuse et fière. Un jour elle eût pressé d'une étreinte de mère

De jeunes et blonds chérubins , Qui, beaux et gazouillants, l'eussent partout suivie. Non, la vierge martyre a consacré sa vie

A recueillir des orphelins !

(Louis DELAHAYE, la Crimée.)

Après ceux des héros, sur les champs de bataille,

Après ceux des héros tombés sous la mitraille,

— 148 —

Au sein des hôpitaux où la douleur sévit.

Muse, raconte-nous les exploits de Lévy.

Montre-le, descendu du ciel, ce bon génie,

Disant au mal de s'arrêter ;

Du chevet des fiévreux éloignant l'insomnie ;

Ne cessant de manifester

Sa puissance magique à calmer la souffrance,

A faire rayonner la joie et l'espérance ;

Pesant de tout le poids de sa persévérance

Sur l'affreux Choléra, qu'il parvient à dompter ;

Enlevant au Typhus la force d'éclater.

- 119

II

Pour adoucir un peu l'horreur des mitraillades,

Oh ! nomme seulement les Sœurs de Charité :

Messagères de Dieu parmi l'humanité ;

Anges toujours debout au chevet des malades ;

Répandant sur nos maux comme un baume divin ;

Nous soutenant du cœur autant que de la main.

Mères, dont les enfants meurent pour la patrie.

Loin de votre regard qui leur serait si doux,

Loin de votre voix attendrie.

De manquer à leur cœur, mères, consolez-vous !

Pour aimer vos enfants, pour calmer leur souffrance.

Pour bercer leur pensée au vol de l'espérance.

Pour recueillir leur souffle au suprême moment,

Pour introduire au ciel leur âme doucement.

Les Sœurs ont des secrets ineffables, étranges.

Que l'amour maternel peut à peine égaler :

— 150 -

A la fois la tendresse et le calme des anges.

A leur aspect le ciel semble se révéler.

Mères, consolez-vous. Tout cède à leurs prières.

L'amour a dans leur voix mis toutes ses douceurs.

L'espérance en leurs yeux met toutes ses lumières.

Elles sont à la fois des mères et des sœurs.

Ne l'avais-je pas dit, que la femme est sublime?

Ange du ciel visible au bord de chaque abîme.

Où l'on entend gémir quelque amère douleur.

Gardant pour soi l'épine et prodiguant la fleur ;

Répandant à grands flots la pitié de son âme.

Comme si Dieu vivait tout entier dans la femme !

Témoin I'IMPÉRATRICE, au cœur si généreux,

Contraignant dans le ciel la joie à redescendre

Pour luire sur les malheureux ;

Comme si par ce cœur Dieu voulait se répandre,

Ainsi que fait le jour par ces miroirs d'azur

Où brillent ses rayons de l'éclat le plus pur !

EPILOGUE.

Cet homme est l'insti-ument que prend la Providence; Un invisible doigt le guide avec prudence; Il marche droit au but à travers des débris ; Son labeur porte empreiLt le cachet du génie; A Rome, c'est César qui refait Tharmonie,

C'est Napoléon h Paris. (ALFBCD DES ESSABTS.)

0 Napoléon III! la France vous proclame 1 Salut! N'avez-vous pas une étoile de flamme, Qui, là-haut, à vos yeux montre le but certain' Allez! rien ne peut faire obstacle à votre route; Il faut que jusqu'au bout vous l'accomplissiez toute:

Vous êtes l'homme du destin! (PnOSPER BLANCDEItlAinr.)

Guidez-nou<i, simple et fort, vers la terre promise : Vous nous y conduirez comme un autre Moïse,

Car Dieu le veut ainsi! (M™* MÉLAiviE WALDOR.)

Ton nom, après ces jours d'angoisse et de souffrance, Est le signal vivant de joie et d'espérance!

(ACHILLE JUBINAL.)

Poésie endormie, éveille aussi ta voix 1 Chante un prince si doux et si fort à la fois !

(Baronne PAULINE DE HUBEB.)

Saluons, saluons la fête universelle Que promet le travail et que bénira Dieu : La Vil peur entr'ouvrant ses cent ailes de feu. Et les sillons où l'or de nos gerbes ruisselle!

L'aigle a repris son vol et plane sur nos champs ; Sous un ciel radieux la France enfin respire. Et rêve en souriant un immortel empire Qu'un peuple enihousiaste acclame de ses chants.

Refaisons des tableaux dignes de la Genèse ; Que tout renaisse et vive, et que do toutes parts Les plus déshérités puissent prCxUdre leurs parts A l'un de ces banquets que peignait Véronèse !

Les muses, qu'effrayaient tant de cris inhumains. Vers les cieux en pleurant remontaient désolées ; Muses, revenez-nous, calmes et consolées. Sous les arcs de triomphe élevés par nos mains.

Que l'art, les monuments, les tableaux, les statues. Prince, disent tout haut quels jours tu nous as fait^. Et comment, sous l'éclat de tes hardis bienfaits. Les sourdes passions devant toi se sont tues.

O Prince, l'avenir qu'hier tu fécondas Nous ramène aux splendeurs des âges magnifiques. Et, pour suivre avec toi tes aigles pacifiques, Les Français, tu l'as dit, seront tous tes soldats.

(ARSÈNE HOOSSAÏE.)

Unissons-nous de cceur ! Soyons vrais sans détour ! Notre gloire est la force et la forcé est l'amour! Voici venir les jouis où la grande industrie. En immense atelier va changer la patrie !

(I-IERMANCE LESGDILLON.)

Tout allait s'engloutir dans le flot soulevé !, J'ai pris le gouvernail, le monde fut sauvé !

Et maintenant, fouillez d'un regard curieux Ma vie infatigable ouverte à tous les yeux ! Partout où le talent, luxe de la patrie, Et féconde les arts et pousse l'industrie. J'accours !.... De mes conseils, de mes soins, de mon or. J'élargis sa carrière et double son essor ! Que l'audace dorsine une ligne profonde Itans les'flancs de la terre ou les vagues de l'onde j Que la science, au loin reculant ses t,ravo\ix, Donne aux vieux éléments des instruments nouveaux : J'éclaire des rayons d'une gloire éclatante Et l'artiste qui trouve, et l'ouvrier qui tente. Au peuple qui s'immole à nos prospérités Je construis des palais, j'élève des cités-, Du génie et du goût j'applaudis les oracles; J'enflamme leurs efforts, j'anime leurs miracles, Et, de Paris natal orgueilleux citoyen, Je nie dis en mon cœur ; j'ai fait un p''u de bien.

(J. LESGUILLON.)

A NAPOLÉON II I , EMPEREUR.

LE BUT DE LA VICTOIIIE.

La victoire , c'est la paix. CL. N.)

La France, dominant tant d'œuvros grandioses , Au chaos féodal, débris cyclopéen , Imposera ses moeurs, son citfle européen. Alors se dépluîront, aux conquêtes humaines, Les champs de l'inconnu, mystérieux domaines; Peuples et nations, désunis six mille ans, Concentreront leurs vœux, leurs forces, leurs élans, Pour monter, pour atteindre à l'idéale orbite, Au tourbillon de feu que.le progr^s habite, Cercle sans bord, qui trouve en tout point son milieu Spirale qui se perd dans l'abîme de Dieu.

(BARTIIÉLEHY.)

On lira dans l'histoire : il fut juste, il fut sage. TLOCISE BOYELDIEU D ' A I ' V I G N V . '

Gloire à toi, le libérateur! ('ACHILLE LAFON.)

Vous voilà de retour, petites violettes! Epanouissez-vous, levez vos humbles têtes ; Fleurissez pour César à côté du laurier. L'abeille aussi revient et suit sa fleur chérie.

(ANAIS SÉC.ALAS.)

Rendons-lui grâce au nom de la société, (EDOUARD Tl lRQUETY.)

Le progrès, c'est l'émancipation de l'individu. (Lo C"̂ DE MONTALEMBERT.)

Napoléon, en toi c'est Dieu que je salue,

Dieu, qui ne t'a donné la puissance absolue

— 154 —

Que pour réaliser ses desseins éternels,

Pour fonder l'unité des peuples fraternels.

Pour raviver des arts la lumière féconde,

Pour égaler la France à ce rocher d'aimant

Où les vaisseaux, sortis de tous les ports du monde,

Tendaient de toutes parts irrésistiblement.

L'Angleterre et la Fraiice aux bords de la mer Noire,

C'est un des plus grands faits dont rayonne l'histoire

Aux portes de la Chine, aux portes du Japon,

C'est ce grand mot écrit : CIVILISATION.

Les croisades, auprès de cette aube nouvelle,

Dans la nuit du passé ne sont qu'une étincelle.

Toi, de l'autorité sublime usurpateur.

Qui de la liberté seras le fondateur.

Sublime ami de l'Angleterre,

Sublime conquérant de la paix par la guerre,

Sublime civilisateur.

Né pour être l'extirpateur

De l'esclavage sur la terre ;

— l.)J —

Sur les débris du mal, toi qui construis le bien;

Toi qui soustrais l'Asie à son esprit païen ;

Qui, par cinq ans de règne, à force d'être juste

T'es élevé plus haut que César et qu'Auguste ;

Napoléon, trois fois vainqueur,

Je t'applaudis du fond du cœur !

Entre I'AIITORITÉ, — ce sombre esprit fait homme.

Qui traite les humains comme bêtes de somme.

Qui les plie à son joug de fer,

Qui dégrade leur âme en meurtrissant leur chair.

Qui, partout où son bras peut atteindre, ne sème

Que l'esclavage et que la mort;

Qui, marqué d'un sceau d'anathème.

Horrible exécuteur des sentences du Sort,

S'abandonne au mal sans remord ;

Qui décrète la loi martiale et fusille

Ou bannit des fils de famille

Pour avoir refusé de trahir leur pays ;

Qui brûle, qui détruit, qui viole, qui pille;

Qui, par des dégâts inouïs,

Météore sanglant, signale son passage ;

Qui, nouvel Attila, se repaît de carnage,

— 156 —

Embrase les moissons, renverse les cités,

Tue, égorge, massacre, et, — le fer et la flamme

A la main, se berçant dans mille cruautés,

Insoucieux des noms de barbare et d'infâme,

Eoi des villes en cendre et des champs dévastés, —

Mêle ainsi l'incendie et le meurtre au blasphème,

Provoque ainsi sur soi mille cris d'anathème,

S'immortalise ainsi par mille atrocités ; —

Entre I'AUTORITÉ,— qui fait tant de victimes,

Source de tant de maux, source de tant de crimes;

Qui dans ses gouffres ténébreux

Entasse tant de malheureux ; —

Et cette LIBERTÉ, mère de l'industrie.

Qui met l'humanité plus haut que la patrie ;

Qui comble les divisions ;

Qui, dans l'éclat de sa lumière,

Fondant les sentiments et les opinions.

Ouvre à la vérité les yeux des nations

Et fait évanouir toute ombre de frontière

Entre les peuples, désormais

Unis par les liens d'une éternelle paix;

— 157 —

Qui, loin du bruit des camps et des champs de batailles,

Dessèche les marais, défriche les broussailles.

Creuse aux torrents des lits, affermit les chemins,

Reboise les sommets arides,

Assainit ces amas de détritus putrides

D'où s'exhalent dans l'air des miapmes fétides

Qui de fièvre et de mort vont frappant les liumains ;

Rapproche les esprits en rapprochant les mondes,

Découvre sous nos pas mille sources fécondes,

Et fait tout prospérer sous l'effort de ses mains;

Entre l'AUToniTÉ,— sur des tas de ruines

Se gorgeant nuit et jour de meurtres, de rapines.

Toujours prompte à forger des chaînes-et des fers.

Qui, lasse de festins, de bals et de concerts.

Compose et fait jouer par cent peuples divers

Un drame, le plus noir, le plus sanglant des drames.

Où l'on voit éclater mille volcans ouverts :

Quelque chose approchant la beauté des enfers ; —

Et cette LiBEîiTÊ,- qui va relevant l'hon.me

De l'état de bête de somme ;

— 158 —

Qui du poids du travail va dégageant le corps;

Qui, des muscles de chair reposant les efforts,

Force les éléments à travailler pour l'homme.

Et du rang de manœuvre ainsi le fait monter

Au rang de contre-mailre, et sur la terre entière

Le rend de plus en plus maître de la matière ;

Au point que le voilà qui parvient à dompter

Jusqu'à la foudre même ; habile à l'exploiter.

Comme tout ce qu'il a soumis à son empii e :

L'rtîr, l'onde, la vapeur : — l'AIR qu'il dérobe aux flots

Et qu'il force à prêter ses ailes au navire ;

L'EAU qui tourne la meule et qui fait ses travaux ;

Et, plus prompte en son vol que le cheval numide,

La VAPEUR, qui par monts et par vaux et par mers

Le porte d'une haleine au bout de l'univers ;

Prenant la foudre alors pour messager rapide;

Entre I'AUTORITÉ, — d'où coulent tant de maux.

Qui fait descendre l'homme au rang- des animaux;

Et cette LiitERTÉ, que Dieu même consacre

Pour le bonheur du genre humain.

Pour lui montrer l'abîme à côté du chemin ;

— 159 —

Entre I'AUTORITÉ, qui brûle, qui massacre.

Et la LIBERTÉ sainte, à l'œuvre, pour fonder

La paix des nations et pour la féconder ;

Entre I'OMBRE et le JOUR, toi, sur ta haute cime,

Crépuscule divin, transition sublime,

LOUIS-NAPOLÉON, si j 'ai lu dans ton cceur.

Gloire à toi ! gloire à toi. NAPOLÉON SAUVEUR !

160 —

II

Gloire done à celui qui d'un fouet (iiiergique A su du temple saint de la société Chasser tous ces vendeurs de la cliose publique I

(Lot'is TBEMBHY.)

Lassé d'attendre ainsi, l'aigle étendit ses ailes. Tressaillit en jetant des millieis d'étincelles. Invoqua le soleil, et, roi victorieux, Il partit, emportant le filet dans les cieux.

(JDLES DE SAIST-FÉLIX.)

De l'ordre social reconstruis l'édifice. (LiQuiEn.)

Oui, Dieu seul rf'gle toutes choses. (GADKIELLE D'ATTEsnEiM, née SotJ.nET.)

Hélas! où serions-nous, sans ce coup de tonnerre

Qui fit*rentrer soudain tant de complots sous terre!

La paix règne, les arts respirent, l'avenir

Des siècles dans sa gloire éteint le souvenir ;

Au lieu que nous aurions la guerre et ses désastres,

Et des scènes d'horreur dont pâliraient les astres.

Ce n'est pas tout, pour l'ordre et pour la liberté.

Que d'abattre à la fois les autels et les trônes.

— 161 —

Que de proscrire les couronnes :

Il faut encor marcher avec la vérité.

Les doctrines du jour où le monde se plonge

Ne sont que des tissus d'erreur et de mensonge.

Grâce à Napoléon, Ton peut se recueillir

Et chercher le chemin qui mène à l'avenir ;

Car, pour Voltaire ou Kant, c'en est fait, que je croie,

Et l'on ne peut plus faire un pas dans cette voie.

Dans l'état actuel de la société,

Napoléon est tout ce que l'humanité

Peut supporter de liberté.

Dans ces conditions, au fond de cet abîme.

Plus de liberté, c'est le crime ;

C'est l'un bourreau, l'autre victime ;

C'est, libres de leurs fers, mais de tout dépourvus.

Dans la société les forçats descendus.

Revomis par l'enfer, c'est fourmilière immonde.

Les damnés se ruant sur la scène du monde.

C'est, volcan déchaîné, tous les instincts pervers

Faisant irruption au sein de l'univers. 11

— 162 —

Apprenez à fonder avant que de détruire,

Et sachez épeler avant que d'oser lire.

Gloire à Napoléon, venu pour dissiper

Les nuages, tout prêts à nous envelopper,

Qui portaient dans leurs flancs le plus grand cataclysme

Qui jamais sur la terre eût encore éclaté!

Gloire à celui dont l'héroïsme,

En tuant d'un seul coup la fausse liberté,

Digne instrument de Dieu, sauva l'humanité!

Gloire à Napoléon, à qui la Providence

Semble avoir conféré ses titres glorieux ;

Enchaînant l'univers aux lois de sa prudence;

Comme elle secourable et présent en tous lieux I

L'ÉCHO DE SAINTE-HÉLÈNE.

Sainte-HélèneI ô torture! exil du dieu tombé I (La C"'" REGNAVLD DE SAINT-JEA.-» D'ANCÉIY.)

Vous l'aviez écroué plus loin que l'équateur. (ADOLPHE DLMAS.)

I.e phénix qu'on n'attendait point, Renaît tout à coup de sa cendre.

(ElGÈSE BE MO^GIAVE.)

Ils disaient, consternés, — frappés d'un bruit lointain,

Qui semblait provenir d'un globe mal éteint : —

« Dors, ô Napoléon ! que rien ne te réveille!

» Le monde tremble encor. Dors, et ne reviens pas

» Troubler dans son repos le monde qui sommeille,

)) Depuis qu'une défaite a pu joindre tes pas !

» Alors il fallut bien que sur des bords sauvages

» On t'envoyât captif, bien loin des nations.

» Volcan, on t'entoura d'une mer sans rivages :

» L'univers redoutait d'autres éruptions.

» Dors ! oh ! dors loin de nous ! — N'évoquez pas cette ombre !

» N'évoquez pas l'esprit qui lance des éclairs !

» Son épitaphe, écrite en feux d'un éclat sombre,

» Elle est assez visible aux yeux de l'univers !

— 164 —

» Ci-GÎT NAPOLÉON ! DANS SA SPHÈRE DE FLAMME

» ENTRAÎNÉ, GRAVITAIT VERS LUI LE MONDE ENTIER!

n TOUT PARLAIT PAR SA VOIX, RESPIRAIT PAR SON AME !

» IL VOULUT TOUT REFONDRE EN SON CREUSET D'ACIER!

» POUR LUI, PENDANT QUINZE ANS, POINT DE NUITS, POIN

» POUR ÉTEINDRE L'ARDEUR DE SON SEIN MUGISSANT,

» QUINZE ANS IL FIT A FLOTS COULER LE SANG DES HOMME

» ET TOUJOURS IL EUT SOIF !...» — Ce n'était pas de sanj

Il employa la guerre à combattre la guerre.

A détruire le mal il employa le mal.

Mais voilà, — dévoyée un moment, — que la terre

Se remet à tourner dans son cercle vital.

Contre lui, soleil d'or qui reprend sa carrière,

11 n'a plus désormais que qui hait la lumière.

Le droit des nations par lui triomphera!

Opprimés, votre jour aussi se lèvera !

Alors la liberté, sur l'Europe et le monde,

Répandant à torrents sa lumière féconde,

A l'abri des remparts que lui feront vos cœurs,

Des Cambyses futurs défiera les fureurs !

LA REINE VICTORIA A PARIS,

Recevez donc ici nos transports et nos vœux ! Puissent vos calmes jours atteindre la durée D'une reine qui seule à vous est comparée ; La fille de Henri que, par des nœuds étroits, Lia la politique au meilleur de nos rois !

(BARTHÉLÉMY.)

Vous, Reine, gracieux emblème d'espérance,'

Météore suave au doux éclat si pur.

Pour qui s'ornent nos cieux de leur plus bel azur.

Que ces vers soient pour Vous un écho de la France.

Pas un vœu de mon cœur, dans ces vers répandu.

Qui ne soit à Vous-même un hommage rendu.

— 166 —

Pas un sentiment pour nos braves

Qui sur vos fiers guerriers ne projette un rayon.

Les Écossais n'ont rien qui le cède aux Zouaves.

La gloire de la France est celle d'Albion.

Et le nom de NAPOLÉON.

Pour engendrer la paix, le bonheur, et la gloire,

Pour faire étinceler et rayonner l'histoire.

Est digne de s'unir à celui de VICTOIRE.

LE POËTE ET LE HÉROS,

On versifie pour graver dans la mé­moire des hommes des choses qui ne doivent point périr.

(J. BARBEÏ D'ACBEVILLÏ.)

Oh ! ne méprisez pas le concours du Poëte.

Sans lui toute victoire est stérile et muette.

Sans lui le marbre même et le plus dur airain

N'ont qu'une durée éphémère.

Où le sabre a tout fait il pourrait tout défaire.

Mais où la Muse a mis son cachet souverain

En vain passent les jours, les mois, et les années ;

En vain le Temps y mord de ses dents acharnées.

— 168 —

La Poésie est le ciment

Par qui tout ce qu'on fait dure éternellement.

Énée, où serais-tu sans les vers de Virgile ?

Et toi, vaillant Hector, égorgé par Achille,

Et vous que commandait le fier Agamemnon,

Sans les vers du Poëte où serait votre nom ?

Tout fuit; tout disparaît; le Poëte demeure.

Où donc est le tombeau de Mausole, à cette heure?

Ce tombeau magnifique, inouï, sans pareil.

Qui brillait si splendide aux rayons du soleil,

Et qui fit dire au sage, en frappant sa paupière :

« Grands Dieux ! que d'argent mis en pierre ! »

Où sont tes marbres, ô Paros,

Taillés à si grands frais en l'honneur des héros ?

Monuments de l'orgueil, superbes Pyramides,

Dont le front se perd dans les cieux.

Que dites-vous au cœur du rare curieux

— 109 —

Qui vient vous visiter sur vos sables arides,

Pour celui qui vous fit bâtir ?

Et jusques à combien de milles,

— En s'éloignant de vous, ô merveilles stériles, —

L'œil sur l'azur du ciel vous voit-il resplendir ?

Ah ! l'on ne sait pas même à quelle auguste cendre

Vous servez ici-bas de tabernacle saint.

Que son nom fût Bélus, Sésostris, Alexandre,

Votre masse immobile à qui le vent se plaint

Ne ravivera pas son souvenir éteint !

Tandis que quelques vers, quelques mots de Virgile,

D'un bout du monde à l'autre à jamais lus, relus.

Feront du cœur le plus stérile

Couler des flots de pleurs au nom de Marcellus.

— 170

II

Du bruit de vos exploits dardant mille étincelles,

Ébranlez un moment les voûtes éternelles.

Vaillants héros, fiers conquérants!

Passez dans l'univers ainsi que des torrents !

POUR L'IMMORTALITÉ LE VERS SEUL A DES AILES.

Les siècles dans l'oubli s'écoulent flot à flot ;

Les pompes de la terre ont à peine une aurore.

Rien ne brille un moment, rapide météore,

Que pour s'évanouir comme une bulle d'eau.

Les marbres croulent sur les chaumes ;

Les générations, les peuples, les royaumes.

Passent comme l'éclair de la vie au trépas ;

Les grands et les puissants ne sont que des fantômes;

Les cités, les remparts ne sont que des atomes

— 171 —

Qu'un léger soufile emporte, hélas !

Mais le Poëte, au front ceint de splendeurs divines.

Demeure inébranlable au milieu des ruines.

Tout passe et disparaît; lui seul ne passe pas.

Immuable soleil à la splendeur suprême,

Il sera dans mille ans ce qu'il est aujourd'hui ;

Il est semblable à Dieu, qui voit autour de lui

Tout changer sans changer lui-même.

17? —

III

Ne méprisez donc pas le Poëte divin.

Sans qui tout ce qu'on fait est chose périssable.

Sans qui tout ce qu'on fonde est fondé sur le sable.

Sans qui tout ici-bas est éphémère et vain!

Ne vous endormez pas sur le bord de l'abîme.

Au point où la voilà, triste et lente victime

Du fanatisme autant que de l'impiété.

Il n'est plus qu'une grande influence morale.

Baume du ciel versé sur le monde qui râle,

Qui puisse du chaos sauver l'humanité !

De la société la Poésie est l'âme.

Toute vie est son souffle et tout rayon sa flamme.

Ineffable reflet des cieux,

Prisme éclatant,' délicieux,

— 173 —

La Poésie est la lumière

Qui, teignant l'horizon des plus vives couleurs.

Et répandant sur tout comme un voile de fleurs,

A l'égal des palais fait briller la chaumière !

La Poésie est le seul bien.

La Poésie éteinte, il ne reste plus rien.

C'est la mère de nos croyances ;

La source où prennent cours toutes nos espérances.

C'est l'amour, c'est la foi, c'est la religion;

C'est la clarté de l'âme, ineffable rayon.

Son absence, voyez, livre la terre entière

A tous les vils instincts de l'impure matière.

Le monde désormais n'est que cendre et poussière.

Il faut au cœur humain, pour adoucir son fiel.

Pour lui faire oublier la réalité sombre,

Il lui faut, par delà son large cercle d'ombre.

Une perspecti\"e du ciel ;

Comme il faut au captif quelque étroite ouverture

Par où jusques à lui pénètre la nctare.

— 174 —

La Poésie est le flot pur

Où se mire le ciel, brillant d'or et d'azur ;

Où se balancent les feuillages.

L'âme, comme une fleur, aux bords s'épanouit.

Mais, la source tarie, adieu les frais ombrages.

Les jardins enchantés, les riants paysages :

Tout s'efface et s'évanouit.

Plus de foi, plus d'amour, plus aucune espérance ;

Plus d'ange pour donner ses soins à la souffrance;

Et l'homme, en proie aux sens et vaincu par le Sort,

Se débat convulsif dans les bras de la Mort.

— 175 -

IV

La prose n'est plus pn art d'initiés. Elle est devenue un métier à la portée de tout le monde.

(PH. BDSONI.)

Ne méprisez donc pas la sainte Poésie,

Par qui tout pain amer se change en ambroisie ;

Par qui l'idéal en vos cœurs

Éclôt comme un blanc lis au bord d'une onde pure;

Par qui le ciel scintille et la brise murmure ;

Par qui resplendissent les fleurs ;

Qui, comme autant de flots de leur source première,

Fait jaillir de son sein mille traits de lumière ;

Qui peuple la terre et les cieux

De mille esprits d'amour, innombrables phalanges

D'anges, de chérubins, de séraphins, d'archanges,

Au sourire si gracieux;

Qui, dès votre berceau que gardait l'innocence.

VOUS révéla le ciel et sa magnificence,

— 170 —

Ses jardins, ses gazons, ses fleurs;

Vous montra Dieu le Fils à la droite du Père,

Dissipant d'un regard les larmes de sa mère.

Qu'émeut l'aspect de vos douleurs ;

Vous montra i'Esprit-Saint, la lumière éternelle.

Comme un divin soleil dont l'humaine prunelle

N'eût pu découvrir les splendeurs ;

Faisant sous vos regards défiler le cortège

Des vierges, fronts d'azur aux longs voiles de neige.

Et des anges adorateurs.

Ne la méprisez pas, la douce enchanteresse.

Qui fait boire votre âme à la coupe d'ivresse,

A la source de volupté ;

Qui, du lieu le plus sombre où gémissait votre âme.

Vous transporte soudain, sur ses ailes de flamme.

Au seuil d'un palais enchanté ;

Qui fait fleurir la foi dans votre cœur candide.

Qui fait couler auprès cette source splendide

Où se mire l'éternité :

Flot dont rien ne ternit la douce transparence.

Où rayonne, parmi l'azur de l'espérance,

Le soleil de la charité.

— 177 —

Il n'est pas de grand cœur qui n'aime le Poëte ;

Il n'est pas de héros qui ne lui fasse fête.

Témoin tant de grands noms, dans le marbre des vers

Sculptés par des mains immortelles :

Alexandre, César, vainqueurs de l'univers ;

Scipion, Périclès, aux muses noms si chers,

Par elles couronnés de fleurs toujours nouvelles !

Témoin Napoléon, ce favori de Mars,

Qui, la foudre à la main, caressa les beaux-arts ;

Qui ne cessa d'aimer, d'honorer le génie ;

Qui de Corneille eût fait un prince souverain;

Inaugurant ainsi le régime divin

D'où doit renaître un jour l'éternelle harmonie; 12

— 178 —

Régime où, désormais, bons, justes, bienveillants.

Les hommes n'auront plus besoin d'être vaillants ;

Où chacun, désormais, mis à sa juste place,

Se mouvant dans son vrai milieu.

Pourra voir de son cœur éclore chaque vœu ;

Où, de celui qui le dépasse

Chacun se rapprochant et marchant sur sa trace,

L'HOMME unanimement s'élèvera vers DIEU.

LA PAIX.

(Mars 1856.)

L'Empire, c'est la paix. NAPOLÉOIV III.

L'Empire, c'est la paixl paix qui sera féconde. (ABSÈNE HOUSSAYE.)

L'Empire, c'est la paix. Ce serait la victoire. (PHILOXÈNE BOYEK.)

Il faut que des jours purs, viefges de tout nuage, Succèdent à des jours de tumulte et d'orage,

(ÉLISE MOEEAD.) Plus d'alarmes, d'un mot, votre esprit tout-puissant, Comme un souffle de Dieu, les apaise en passant.

(SiMÉON PÉCONTAl.)

La paix est à celui qui la veut grande et fière. (LÉON H A L É V T . )

Reprends tes chants de joie et tes habits de fêtel France 1 un astre vainqueur a chassé la tempête.

(A. ElGKAN.)

Aujourd'hui! c'est la paix, fille de la conquête; C'est le bruit des métiers, le chant du laboureur; C'est rœuvre de l'artiste et l'hymne du poëte.

(GALOPPE D'ONQDAIBE.)

Donnez-lui du bonheur, c'est plus que de la gloire. (EMILE VAIV DER BURCH.)

Tu sèmes le bonheur et recueilles ramour. (VIRGINIE BALMAIN-DOIIENGET.)

Souris à ta mère blonde Qui te contemple et t'inonde De sa splendide beauté ; Souris au père idolâtre Qui t'a construit un théâtre Digne de ta royauté.

Tu comprendras plus tard quelle France il t'a faite : Vois comme elle t'accueille en ses habits de fête. Dans Paris constellé de monuments nouveaux. De temples, de palais, de Loiivres sans rivaux ; Elle a refait pour toi les merveilles lointaines. Les splendeurs que sema Périclès dans Athènes, Celles que Rome autour de son vieux Panthéon, Vit s'élever depuis Titus jusqu'à Léon.

(BAr\THÉI,EMÏ.)

Il vient à nous à l'heure où les larmes amères Ne baignent plus les yeux des veuves et des mères ; Où le monde nouveau naît sur le monde ancien ; Où chaque roi, nommant un arbitre suprême. Va nous tendre la main en sachant que Dieu même Au congrès de la paix vient d'envoyer le sien ! A l'heure où naît l'enfant, l'océan Allantique A vu de Panama tomber l'écluse antique ; 11 a vu s'accomplir ce travail de géants ! Et le pont de vapeurs ruisselant sur les ondes. Ainsi que deux voisins fait embrasser deux mondes. Et comme deux ruisseaux unit deux océans ! C'est l'heure du miracle, et tout se renouvelle ! L'écluse de Suez à la mer se nivelle

•Et va dorer d'épis le sabjè des déserts ! Et le Rhône et l'Indus que ce prodige assemble, A la même minute écouteront ensemble L'électrique chaînon qui parle dans les airs.

(MÉEY.)

Jamais prince, en naissant, n'obtint de tels présages; Jamais jusqu'à nos jours, depuis les premiers âges. Un berceau n'avait vu ce concours de grandeurs. On dirait que ces rois, que ces ambassadeurs. Convoques tout à coup par des signaux étranges. Viennent pour saluer un enfant dans ses langes. Comme un médiateur candide et gracieux Aux peuples de la terre accordé par les cieux.

(BARTHÉLÉMY )

C'est un Jésus à tête blonde Qui porte en sa petite main. Pour globe bleu la paix du monde Et le bonheur du genre humain.

(TH. GAUTIER.)

Qu'il vive pour fous deux ! qu'il vive pour l'empire ! Que son âme naissante à son âme s'inspire !

Qu'il éternise nos splendeurs ! Et que, de vos deux noms méditant la mémoire, Sans plier sous l'exemple, il ajoute sa gloire

A celle des deux empereurs. (J. LESGUILLON,)

L'ANGE DE LA PAIX.

(16 mars 1856.)

l»u souffle maternel inspiré dès l'enfance, Il ira chez le pauvre éveiller Tespérance; De l'artisan qui souffre il séchera les pleurs; Digne de l'ange aimé qui d'en haut nous protège, Et n'envie au pouvoir que le doux privilège

De guérir toutes les douleurs. (H.-H. BBAMTOT.)

II ouvre une ère de bonheur. (JI"'̂ EUGÉME GENEST.)

Devenez son armée, anges du Dieu vivant! (GERVAIS ROBIN.)

Prince, je veux qu'on t'aime en bénissant ta mère. (MABIA DELCAMBBE.)

Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem. (Commence, petit enfant, à connaître ta mère par son sourire.)

(GLACUANT. )

Ange de bienfaisance, envoyé sur la terre,

L'IMPÉRATRICE allait sur les maux de la guerre

Posant l'appareil des bienfaits,

Et de sa douce voix, radieuse harmonie

— 1S2 —

Qui répand dans le ciel sa lumière bénie,

Invoquant l'Ange de la paix.

Pour la part qu'elle prit à la douleur des mères.

Dieu lui donne aujourd'hui sa part de leur bonheur.

Les pleurs qu'elle mêlait à leurs douleurs amères

Retombent en rosée aujourd'hui sur son cœur.

La tige de Jessé, que son amour féconde,

A de nouveau fleuri pour le bonheur du monde ;

Et l'Ange de la paix, sous les traits d'un enfant.

Au seuil des cieux ouverts apparaît triomphant,

A l'heure solennelle où la nature en fête

S'apprête à couronner de fleurs sa jeune tête ;

A l'heure où tout s'éveille, à l'heure où tout sourit :

Le soleil dans les fleurs, et Dieu dans notre esprit.

II

L UNITE MORALE DES NATIONS.

Déjà tous les peuples répondent A son exemple, à son appel; Ils s'unissent, ils se confondent. Et, par rinteiUgence, ils fondent Le grand royaume universel.

(CAIIILLE DOllCET.) Peuples, soldats, enfants et femmes. Mêlons nos regards et nos voixl Confondons nos vœux et nos âmes Sous rétendard de notre choix ! Soyons grands, généreux, sincères! Entraînons les rivaux jaloux I Montrons-leur que nous sommes frères. Et qu'un Dieu puissant parle en nous!

(HEBSIANCE LESGUILLON.) Là même oh Ton comptait les Caïns par centaines, Un peuple fraternel, en abjurant ses liaines, Sous la main du pasteur sera comme un troupeau; La France n'aura plus qu'un cœur et qu'un drapeau.

(BATHILD BOUNIOL.) Planant au-dessus des coteries politiques, exempte de

tout préjugé national, ridée napoléonienne ne voit en France que des frères faciles à réconcilier, et dans les différentes nations de l'Europe que les membres d'une seule et grande famille.

(NAPOLÉON III.)

L'EMPIRE, C'EST LA PAIX; c'est-à-dire, la gloire;

Car la Paix eut toujours pour mère la Victoire.

L'Empire, c'est la paix, soleil des nouveaux jours.

Par elle l'unité des nations commence.

— 18/) —

Quand l'Europe se fond dans un concert immense.

Qui pourrait pour le bien refuser son concours ?

L'unité, l'unité, voilà le mot suprême!

Le mot qui doit couvrir tous les cris d'anathème,

Le mot qui doit briser les portes de l'enfer.

Le mot qui doit un jour écraser Lucifer !

L'unité, ce premier attribut de Dieu même I

L'unité, l'unité ! voilà le mot suprême !

L'unité des esprits sous une même loi,

Sous un même principe évident, manifeste.

Où, parmi les rayons de sa clarté céleste,

Pas une ombre d'erreur, pas un doute ne reste !

L'unité dans la même foi !

L'unité, sur ce point que l'homme se concentre.

Ne tournons pas toujours dans un cercle fatal.

Nous détruisant au gré des puissances du mal ;

Mais suivons les rayons qui conduisent au centre.

Divisée en troupeau, tant que l'humanité

Ne forme pas une famille,

— 185 —

En vain autour de nous tout prospère, tout brille.

L'unité, c'est l'amour et la fraternité ;

C'est Dieu, c'est la justice^ avec la liberté.

Hors d'elle, voyez-vous, tout n'est qu'iniquité;

Tout n'est que guerre et que carnage,

Tout n'est que meurtre et que pillage.

Tout n'est partout que cris de vengeance et de rage;

Tout n'est qu'abomination.

Servitude, ignorance, et désolation.

Sans l'unité, la paix n'est qu'une illusion.

L'unité, l'unité, pour vaincre l'ignorance.

Mère du fanatisme et de l'intolérance.

Mère des superstitions,

Ces spectres déchaînés parmi les nations !

Par ignorance on voit, sur un signe du Maître,

Des hommes s'égorger, qui s'aimeraient peut-être.

S'il leur était donné de pouvoir se connaître.

Par ignorance, on voit les victimes servir

D'instrument au bourreau pour les faire souffrir,

— 186 —

Baiser servilement la main qui les déchire,

S'armer pour les auteurs de leur cruel martyre.

Et saluer César au moment de mourir.

L'unité ! Que ce mot fasse vibrer nos fibres.

L'unité reconquise, aussitôt tout revit,

Tout avance à la fois, tout se suit, tout gravit

L'échelle du progrès ; et les hommes, tous libres.

Tous frères, tous heureux, marchent d'un pas certain

Vers leur centre commun. DIEU, vainqueur du DESTIN.

— 187 —

III.

L EMPEREUR ALEXANDRE.

Vous verrez en tous lieux exalter votre nom. (JULIETTE LOBMEAC.)

Ces peuples envahis nous appellent leurs frères. (J. LESGUILLON.)

Suivant les lieux, selon les âges, Le Seigneur daigne en sa bonté, Susciter ses héros, ses sages, Pour le bien de rhumanlté.

(ACHILLE LAPON.)

L'EMPIRE, C'EST LA PAIX, c'est-à-dire, la gloire;

Car la Paix eut toujours pour mère la Victoire.

Eh bien ! dans ce triomphe immense, universel,

Dont tressaille la terre et dont sourit le ciel,

La plus grande victoire est celle qu'Alexandre

— Exploit plus glorieux que Troie ou Tyr en cendre ! •

Remporte sur lui-même et sur les préjugés

De ses peuples, au fond de tant d'ombre plongés ;

— 188 —

Arrachant de leurs yeux le bandeau centenaire.

Et, pour les forcer d'être heureux,

Brisant dans leurs mains son tonnerre ;

Digne d'être appelé le Grand, le Généreux !

Nous, nous n'avons vaincu que des remparts de pieri

Il a terrassé, lui, jusqu'au dieu de la guerre.

Pour le bonheur du monde, il a fait plus que nous ;

L'avenir à son nom fléchira les genoux.

FIN.

IVOTE.

(Page 66, vers 14.)

Où Lostanges, héros de dix-huit ans à peine.

A l'incendie de Warna, ce jeune homme, se hissant sur les épaules d'un de ses camarades, grimpa sur la plate-forme de la poudrière^ et, pendant environ vingt-cinq minutes, dirigea la lance de la pompe, de manière qu'il réussit à prévenir le plus grand malheur. La chaleur était si intense, que, lorsqu'il descendit, ses habits en étaient roussis. Le maréchal, témoin de sa conduite, l'en remercia dans les termes les plus chaleureux.

TABLE DES MATIÈRES.

DÉDICACE.

A L'IMPÉRATRICE 7

La Poésie U

PROLOGUE.

L'Alliance anglo-française 21

PREMIÈRE PHASE.

SAItVT-ABNADD.

L ' A L H A 31

Les Morts et les Blessés 41 La Mort de Saint-Arnaud &6

SECONDE PHASE.

CANROBEHT.

A l 'Empereur Nicolas 59

A Menschikoff 03 Devant Sébastopol. Le bombardement 73 Balaklava 79 Inkermann 89 A flots le sang ruisselle aussi dans la tranch^'c , 115 Memorare 119

— 192 —

TROISIÈME PHASE.

PELISSIER.

Prise de Sébastopol. • ^^' Chœur universel '"'• Les Sœurs de charité ^^'

ÉPILOGUE.

A Napoléon IIL Le but de la victoire 15; L'Écho de Sainte-Hélène 16: La reine Victoria à Paris 16; Le Poëte et le Héros 16'

LA PAIX.

L'Ange de la paix 181 L'unité morale des nations 182 L'Empereur Alexandre , 18'i

IMPRIMERIE CENTRALE DE NAPOLÉON CHAIX ET C', RLE BERGÈRE, 20.