Impressions naturalistes - LPO-IDF · Ce que j’avais sous les yeux était si merveilleux que...

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Impressions naturalistes Ces pages, rédigées par Guilhem Lesaffre, ont été publiées dans l’Épeichette Volume II - 2008- 2012 La plupart des illustrations sont extraites de la photothèque du Corif. Photos de la couverture : J.-J. Boujot, Y. Dubois, J. Hénon, O. Laporte, F. Lelièvre, T. Riabi

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Impressions naturalistes Ces pages, rédigées par Guilhem Lesaffre,

ont été publiées dans l’Épeichette – Volume II - 2008- 2012

La plupart des illustrations sont extraites de la photothèque du Corif. Photos de la couverture : J.-J. Boujot, Y. Dubois, J. Hénon, O. Laporte, F. Lelièvre, T. Riabi

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Poil et plume

rente-trois, trente-quatre, trente-cinq…

La harde est forte d’une quarantaine de

bêtes : deux cerfs déjà bien armés, quelques daguets, des biches et de grands

jeunes...

Ils ont beau être loin, on les voit parfaitement au télé. Tranquille, d’un pas mesuré, la troupe défile en lisière, entre bois et lac. L’air frais est limpide, les couleurs sobres du camaïeu hivernal sont mises en valeur par la lumière déclinante.

À un moment, quelques grues en partance pour leur dortoir s’élèvent calmement, survolent la harde indifférente avant de disparaître au-delà des arbres. Leur bec s’ouvre de temps à autre, sans bruit, le cri parvenant aux oreilles avec un léger décalage dû à la distance. Que demander de plus ? On a beau aimer les oiseaux, la rencontre avec des mammifères, surtout de bonne taille, c’est quand même “quelque chose”...

Retour aux oiseaux. Sur le lac, deux couples de harles bièvres convergent en ridant l’eau et finissent par se croiser.

Le mâle en tête se retourne et réalise qu’il est séparé de sa partenaire par le second mâle. Son sang ne fait qu’un tour : cou au ras de l’eau, bec pointé, menaçant, il fonce vers l’insolent qui bat en retraite laissant sur place sa femelle interloquée. Cou dressé, elle tourne la tête de droite et de gauche à plusieurs reprises, secouant ainsi les longues plumes de sa huppe touffue. Son étonnement est tellement visible que c’en est amusant !

Finalement, chacun retrouve sa chacune et tout rentre dans l’ordre. Il est alors possible d’admirer la façon dont le plumage blanc de ces beaux canards se nuance d’orangé, alors que le soleil disparaît sur l’horizon.

Bon, bien sûr, il va maintenant falloir reprendre la route, supporter de probables embouteillages aux abords de la capitale et retrouver la ville, mais la semaine sera plus facile à affronter avec quelques images bien présentes dans la mémoire sensible…

Guilhem Lesaffre – Février 2008

Photo : L. Bourgeais

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Attitudes et première

oici quelques jours, en découvrant un merle, figé dans une posture de

menace, cou tendu à l’oblique, bec ouvert, pointé vers le ciel, j’ai encore

une fois été frappé par la métamorphose que

connaissent les oiseaux, même les plus communs, quand ils adoptent une attitude de

parade, pour intimider ou séduire. En l’occurrence, mon merle s’efforçait d’expulser

de son jardinet attitré un rival aventureux.

Cela me rappelle la réflexion d’un éditeur à des photographes présentant des clichés d’oiseaux “bêtement” posés” : « Mais bon sang, faites qu’i’s’grattent ! » Et c’est vrai que, si un oiseau posé c’est déjà ça, un oiseau en action, c’est beaucoup mieux. Ça tombe bien, c’est le printemps : les oiseaux vont se démener et ce sera pour nous l’occasion de les surprendre en train de se battre, de s’accoupler, de construire, de nourrir. Mais prenez garde, les semaines défilent à toute vitesse…

La “première” avait les pattes emplumées, et c’est justement pour cela qu’on l’appelle

“pattue”. Je n’avais encore jamais vu la Buse pattue en Île-de-France (et ne l’avais vue qu’une seule fois, fugacement, en France). C’est un beau rapace, rare, dont l’identification est intéressante et le comportement différent de celui de la Buse variable. En plus, avec lui, c’est un peu du Grand Nord qui vient nous titiller les jumelles.

Bref, j’étais prêt à faire une entorse à ma règle personnelle en consacrant un peu de temps à la quête d’un oiseau rare. Je n’ai pas été déçu. Sur l’aérodrome de Melun, dans une mordante lumière hivernale, la Pattue était bien là – le vent glacé aussi !

Elle a volé, a eu une altercation avec un busard, s’est mise à cercler puis s’est immobilisée pour quelques-uns de ces vols sur place dont elle est coutumière. Beau spectacle. En prime, des perdrix grises appariées et peu farouches, des lièvres primesautiers galopant au milieu des vanneaux indifférents, des alouettes affairées, des crécerelles en chasse : merci la Pattue !

Guilhem Lesaffre – Avril 2008

Photo : L. Didion

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Peur et soulagement

Épisode I – L’étroit ruban de plastique de moins d’un dixième de millimètre sort du dévidoir. Son extrémité est aussitôt thermocollée au fond du sac poubelle, puis il est sectionné 40 cm plus loin : le lien est prêt à remplir son rôle. Au même moment, quelque part au-dessus de l’Afrique tropicale, un martinet glisse calmement à bonne hauteur dans l’air moite.

Épisode II – Arraché par inadvertance du sac qu’il était censé fermer, le lien tombe dans le caniveau. Un moineau s’en empare et l’emporte vers son nid pour en améliorer la garniture. Le “nichoir” n’est autre qu’un garde-manger extérieur à présent inutilisé, au flanc d’un immeuble.

Épisode III – Le martinet a senti que le moment était venu. Sous ses ailes aiguës, forêt, savane et mer ont défilé. Les jours et les nuits ont alterné. Aujourd’hui, quelques centaines de mètres plus bas, Paris étale enfin ses rues grouillantes de vie. Neuf mois ont eu beau s’écouler, le martinet a, de son œil vif, vite identifié son site de nidification. Il plonge et, cassant brutalement sa vitesse, arrondit souplement sa trajectoire pour finir sur le côté du nichoir occupé par les moineaux, auquel il accède en se faufilant entre mur et boîte.

Épisode IV – Sa visite terminée, le martinet s’apprête à ressortir mais ne peut pas : le lien apporté par le moineau s’est refermé sur lui comme un collet… Il a beau tirer, agiter les ailes, rien à faire. Pitoyable comme la pie saoule de Louis Pergaud, il pend entravé. Après de nouveaux essais infructueux, il abandonne la lutte et rentre dans la boîte. J’ai assisté à tout, le cœur d’autant plus serré qu’il est impossible d’intervenir.

Épisode V – Le lendemain matin, pas de martinet mais un bout de lien dilacéré. L’oiseau a dû s’en sortir mais le site sera sûrement abandonné. J’éprouve un mélange de soulagement et de déception.

Épilogue – À peu de jours de là, un soir, j’entends des cris sortir du “nichoir”. Ils semblent bien répondre à d’autres, poussés en plein ciel – l’espèce pratique ces duos entre mâle et femelle. Le couple s’est donc apparemment installé malgré tout. De fait, par la suite, j’ai plusieurs fois surpris le retour vespéral du martinet au nid, rejoignant probablement son partenaire.

Guilhem Lesaffre – Juillet 2008

Photos : J. Coatmeur O. Laporte

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Un petit air de Camargue

omme de coutume, j’avais prévu de vous

parler ici de mon été naturaliste. J’aurais

évoqué cette parade nuptiale de Chevrons

blancs (des papillons) posés face à face sur le tronc ensoleillé d’un vieil amandier, scellant leur union

dans un ballet de délicates caresses des ailes ; j’aurais mentionné l’agréable découverte d’une pie-

grièche à tête rousse égarée sur une île de Bretagne septentrionale ; j’y aurais ajouté les

nigritelles (ces orchidées au parfum vanillé) du

Vercors et, sans doute aussi, le défilé marin des labbes et des puffins, ou le ventre pâle d’un

dauphin glissant sous le bateau dans l’eau transparente. J’aurais enfin réservé une place de

choix à cette bondrée glissant à ma hauteur dans

l’air matinal, sur fond de pics et de vallées, et entraînant de son aile un fil de la Vierge (c’est

l’araignée, au bout, qui a dû être surprise…).

Seulement voilà, au début de septembre, je suis allé à l’étang de Saint-Quentin-en-Yvelines. J’avoue que j’ai aussitôt cessé de regretter les vacances enfuies et leur lot de bons moments. Ce que j’avais sous les yeux était si merveilleux que c’en était émouvant. Une profusion d’oiseaux, certains évoluant dans les airs, d’autres posés. Des milliers d’hirondelles volant au ras de l’eau, des guifettes noires, accompagnées d’une leucoptère, émaillant de décrochages fulgurants leur quête légère. Deux hobereaux capturant des libellules ou filant à toucher l’eau, provoquant l’émoi massif des hirondelles. Et puis les dix-sept cigognes en route vers le sud, les aigrettes, les hérons, les canards,

les grèbes, les limicoles… Une mention spéciale pour les balbuzards cerclant lentement avant de plonger et de s’ébrouer en reprenant l’air, alourdis d’un poisson frétillant.

Un tel spectacle aurait été amplement satisfaisant en soi, mais s’y sont ajoutés une lumière complice sous un ciel plombé, une plaisante douceur de l’air et, surtout, l’agrément du partage avec les chanceux présents sur la berge. Sans oublier la satisfaction de savoir tous ces oiseaux protégés par la réserve naturelle – que l’on doit, rappelons-le, aux efforts sans relâche des ornithologues, et notamment de Gérard Grolleau.

Il paraît que, le lendemain, cette frénésie s’était un peu calmée : carpe diem…

Guilhem Lesaffre – Octobre 2008

Photos : J. Hénon (balbuzard) F. Lelièvre (aigrette)

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La dernière surprise de l’année…

N SE DEMANDE PARFOIS ce que sera la

dernière observation mémorable de

l’année. Le 31 décembre, plus encore que les autres jours, on arpente le terrain en

espérant ce petit plus qui transforme une sortie honnête en bon souvenir. J’étais dans cet état

d’esprit lorsque j’ai entendu, dans le jardin, un

raffut de passereaux.

Au bout de cinq minutes, le doute n’était plus permis. Ce rassemblement gloussant, jacassant ou cajolant, selon que les sons courroucés sortaient du gosier d’un merle, d’une pie ou d’un geai, était dû à la présence, quelque part, d’une hulotte. Le charivari provenait à l’évidence d’un grand pin touffu. La réunion concernait des pinsons, des grives mauvis et musiciennes, des merles, des geais – très excités – des pies – à peine moins irritées – et même des roitelets, profitant de la présence rassurante de la foule en colère. Les geais ont été les derniers à s’éloigner à mon arrivée.

Leurs incessants cris rêches résonnaient encore à mon oreille quand je me suis mis en quête du nocturne vilipendé. Non aiguille dans une meule de foin mais chouette dans un énorme bouquet d’aiguilles. Au bout de quelques minutes d’insuccès, le torticolis menaçant de poindre, j’ai décidé de m’allonger.

Confortablement installé sur l’herbe humide et froide doublée d’une bonne couche de mousse, j’ai repris ma patiente recherche. Rien. Bon, un peu de méthode : je la tiens, la dernière de l’année. En suivant chaque branche maîtresse puis les branches latérales avant d’en venir aux touffes d’aiguilles, je devrais finir par tomber sur la bête…

Et tout à coup, entre quelques rameaux, juste deux ou trois flammèches sombres sur fond beige : la hulotte est là ! Je suis à la fois satisfait d’avoir trouvé la fève, et déconfit de ne pas voir

ce qui fait aussi la beauté de l’oiseau : son œil d’onyx. Et si j’essayais l’astuce qui marche avec les renards ? Jumelles rivées aux yeux, j’émets de petits sifflements suraigus.

Dans l’encadrement de verdure, je distingue enfin une tête qui se baisse lentement et un gros œil noir qui s’écarquille et me fixe, piqué d’un soleil en miniature. Je fais silence et attends que l’oiseau de nuit relève la tête. Alors, précautionneusement, je me relève et m’écarte du grand arbre où la chouette attendra l’obscurité. Est-ce pour me remercier de l’avoir débarrassée des houspilleurs ? À la tombée de la nuit, j’entendrai un clair hululement, un seul… L’année pouvait prendre fin.

Guilhem Lesaffre – Février 2009

Photo : A. Bloquet

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Métamorphoses…

UE LE TITRE de cette rubrique n’induise

pas en erreur, il ne sera pas question ici

d’insectes, bien que citrons, paons-du-jour ou aurores volètent à nouveau au

moment où j’écris ces lignes. Si j’ai emprunté son titre à Ovide, c’est parce que j’ai toujours été

frappé de la modification radicale qui touche les oiseaux au moment des parades nuptiales,

modification analogue à celle que présentent les

différents personnages mis en scène par l’auteur latin. Ces derniers temps, j’ai justement eu la

chance d’assister à la parade de trois espèces. Elles ont beau être communes, je n’avais encore

jamais surpris ces comportements pour deux

d’entre elles, et seulement incomplètement pour la troisième.

Commençons par la moins démonstrative : la mésange à longue queue. On est tellement habitué à sa silhouette et son comportement immuables que ce fut une vraie surprise de voir le mâle évoluer autour de la femelle convoitée, en faisant vibrer les ailes entrouvertes et en relevant légèrement la queue, parfois étalée. Même lorsqu’il se posait tout près d’elle, la femelle perchée restait de marbre – une mésange à longue queue immobile, avouez que c’est extraordinaire ! Elle n’a pas davantage bougé lorsqu’un rival s’est manifesté, chassé sans aucune agressivité par le mâle initial qui s’est contenté de s’en approcher pour le tenir à distance.

Puis ce fut ce couple de pinsons posés sur un mur. Elle, tapie sur ses tarses, comme figée à l’exception de vibrations épisodiques des ailes, à peine décollées du corps. Lui, méconnaissable, tête et queue abaissés, comme voûté par le poids des ans, progressant à tout petits pas

pressés en décrivant des huit ou des cercles et n’interrompant à plusieurs reprises sa chorégraphie mécanique que pour sauter sur le dos de sa partenaire, réagissant alors par des srrrrr roulés que je n’avais jamais entendus.

Enfin, les mésanges bleues. Je passerai sur les poursuites effrénées, les boucles en vol ralenti du mâle, les simulacres d’offrande pour insister sur cet incroyable manège : le mâle allant se percher au sommet d’un arbre puis se laissant tomber à l’oblique, ailes déployées (métamorphosé en pipit !) pour atterrir au bord de la cavité d’un mur, la désignant ainsi par trois fois à sa femelle, d’ailleurs peu convaincue par le choix de ce site… Là aussi, quelle différence entre la mésange bleue “habituelle” et celle-ci !

Finalement, la leçon à tirer de tout ceci incite à l’optimisme : même au bout de quatre décennies d’observations, on peut encore se laisser surprendre et émerveiller par les oiseaux dans son jardin…

Guilhem Lesaffre – Avril 2009

Photos : J.-J.Boujot (mésange bleue)

J.-F. Magne (mésange à longue queue) T. Riabi (pinson)

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Du vent dans les plumes

’AI EU L’IDÉE de ma chronique en

assistant une fois de plus – et une

fois de plus subjugué – aux évolutions des martinets quand vient

le soir. Dissimulé par un écran végétal, je me trouvais à vingt ou

trente centimètres de l’aile des bolides

tournoyant au ras des bâtiments. À chaque passage de la petite troupe

survoltée, hérissée de cris aigus, j’entendais nettement le « chhhh… »

de l’air contraint de s’écarter au passage des noires lames de faux.

Cela m’a fait penser au plaisir qu’offre la proximité des oiseaux en termes de perception sonore (et à la difficulté qu’il y a à tenter de retranscrire tous ces sons). Il faut avoir été par hasard tout près d’un oiseau en vol, ou mieux encore, avoir passé des heures dans un affût de toile, pour pouvoir s’en faire une juste idée.

Bien sûr, certains bruits s’entendent d’assez loin, comme le « ouish-ouish-ouish-ouish » régulier d’un ramier filant droit, le « vou vou vou vou » sourd mais puissant d’un cygne tuberculé quittant l’étang, le « vivivivivivi » pressé d’un canard de passage ou le « fffrrrrrrrr » accom-pagnant la perdrix déboulant des sillons. Toutefois, la plupart des sons ne se perçoivent que de près, surtout lorsqu’il s’agit de petits oiseaux. Le « flup flup flup » des ailes d’une mésange ou le « prrrrrr » de celles d’un moineau ne sont guère audibles à travers les jumelles ! Pas plus que ne l’est le bruit de turbine proprement stupéfiant que génère le piqué vertigineux d’un faucon pèlerin – j’ai beau chercher, je ne vois pas de traduction satisfaisante...

Et puis il y a ces bruits qui ne sont pas dus aux ailes mais aux pattes, comme le léger « tsèc-tsèc-tsèc » à peine crissant des doigts fins d’un moineau arpentant la table où il vient glaner les

miettes. Un jour, j’étais appuyé sur la grosse branche basse d’un pin, jumelles aux yeux, quand j’ai entendu juste à côté de moi un bruit sec, tel un coup de baguette sur une table.

Tournant la tête avec d’infinies précautions, je suis tombé nez à bec avec un joli petit mâle d’épervier dont les serres avaient claqué sur l’écorce. On dit que les bruits s’impriment plus durablement dans la mémoire que les images : des années après, j’entends encore ce claquement inattendu…

Cet été, tendez l’oreille…

Guilhem Lesaffre – Juillet 2009

Photo : J. Lejeune

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Du bleu et une touche d’écorce”…

out commence par des regards

anxieusement rivés sur l’eau gris-bleu

aux vaguelettes piquetées d’argent lumineux. Là ! Une colonne d’eau pulvérisée

monte à plusieurs mètres vers le ciel dégagé, lentement déportée par la brise avant de

s’évanouir comme à regret. La longue forme

sombre d’où a jailli le souffle défile au ras de l’eau puis disparaît.

Ce n’est pas encore pour maintenant. Il faudra quatre apparitions de plus avant que ce ne soit la bonne. Enfin, le sixième souffle, si proche que l’on a entendu la détonation qui l’accompagne. À présent, il faut tenter de calmer l’exaltation pour mieux profiter des instants fugitifs qui vont suivre.

Le calme défilement, si calme qu’il semble ne pas devoir finir, se déroule à nouveau. Mais cette fois, loin vers l’arrière, la modeste nageoire dorsale apparaît. C’est le signe que le cétacé va s’enfoncer. Un événement inattendu se produit alors (il n’intervient que dans 12% des plongées, paraît-il) : l’énorme queue sort de l’eau, s’élève doucement et, dans un mouvement d’une extrême fluidité, s’immerge. La baleine bleue a pris son élan pour « sonder » profondément.

Les 30 mètres et les 120 tonnes du plus gros être vivant n’ayant jamais existé ont été absorbés par les eaux froides du Saint-Laurent.

Cinq mille kilomètres plus à l’est, et trois semaines plus tard, le vent, par distraction, a oublié de souffler sur la petite île bretonne. Le jour est levé depuis peu, tout est calme… Et puis l’œil est attiré par un mouvement du côté des grands pins dont pas une aiguille ne bouge. C’est posé sur une branche, c’est brunâtre et pas très gros… Un torcol ! Aussitôt dit, aussitôt parti ! Frustration. Mais peu après, la session de rattrapage !

Le voilà de retour. Il s’installe posément le long d’une branche retombante, entre deux pommes de pin, presque invisible mais laissant admirer la merveilleuse complexité de son plumage couleur d’écorce. Puis il entreprend, avec méthode, de fouiller entre les écailles soulevées. Sa longue et fine langue rose en quête d’insectes s’insinue dans chaque interstice. Moment précieux, qui se prolonge.

Une autre forte « impression naturaliste » de cet été qui s’achève…

Guilhem Lesaffre – Octobre 2009

Photo : F. Lelièvre

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Vingt grammes…

nventaire hivernal. Des milliers et des

milliers de ramiers, d’étourneaux, de

moineaux, de merles ou de mésanges. Des centaines de sarcelles ou de pics noirs.

Des dizaines de faucons crécerelles ou de râles d’eau. Quatre pèlerins au moins et…

un tichodrome.

Cela suffirait bien sûr à expliquer l’intérêt suscité par la bestiole venue passer l’hiver non pas à « mille milles de toute terre habitée » mais quand même à 400 km de la première falaise digne de ce nom.

Mais le tichodrome, c’est bien plus que la rareté. C’est original et beau, gracieux et passionnant à voir se comporter. L’originalité est liée à la silhouette ramassée de l’oiselet, à son bec en alène noire, à ses longs ongles arqués en piolets efficaces, mais aussi à cette opiniâtreté à jouer les ventouses sur la pierre verticale. La beauté tient au carmin des ailes,

chichement révélé et mis en valeur par la cendre du plumage. La grâce… ne se décrit pas. Il faut avoir vu évoluer le tichodrome pour savoir de quoi il retourne.

Quant au comportement, on ne se lasse pas de voir cette “souris” se déplacer par à-coups, inspecter, fouiller les moindres anfractuosités, en extraire un cocon d’araignée, démailloter l’arthropode infortuné, avant de le gober et de voleter un peu plus loin.

Et comme si cela ne suffisait pas, il y a aussi la dimension humaine. Ce petit piaf de 20 grammes ne saura jamais qu’il a suscité l’espoir, généré la déception et fait naître la joie. Il ignorera qu’il a permis à des gens de se parler, qu’il en a réuni d’autres dans des moments de jubilation partagée. Tout cela pour quelques grammes décorés de rouge et de gris.

Guilhem Lesaffre – Février 2010

Photo : J.-J. Boujot

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Relativité

ES DERNIERS TEMPS, une sédentarité

imposée m’a empêché de parcourir mes

sites favoris. L’horizon visuel s’est trouvé essentiellement limité à mon balcon, et la

perspective auditive aux alentours immédiats. Frustrant ? Pas vraiment. Et c’est là qu’intervient

la notion de relativité.

J’ai reçu chaque matin la visite d’un pigeon ramier fort ponctuel, qui passait un long moment à picorer d’un bec précis les fleurs du mouron blanc que j’ai laissé se développer dans quelques jardinières, précisément à l’intention des oiseaux. Les tiges de ce même mouron ont aussi fait le bonheur d’un moineau mâle, qui les destinait à l’aménagement de son nid.

Un beau merle mâle est venu se poser à plusieurs reprises sur le balcon et même, une fois, un couple de mésanges charbonnières. Chacune des ces visites m’a apporté un appréciable réconfort.

Quant aux émissions vocales, elles ont été le fait du merle, des ramiers, du pigeon colombin, des verdiers, des pies ou des corneilles. Les temps forts en la matière ont été le premier chant de rougequeue noir et les premières vocalises aériennes de l’hirondelle rustique…

On voit par là que la liste des espèces reste fort modeste. Et pourtant, je n’ai sans doute jamais eu autant de plaisir à entendre les « hou-hou-hou… » du colombin ; la strophe stéréotypée du rougequeue avait un agrément tout particulier et la voix guillerette de l’hirondelle était stimulante à souhait.

Au risque de radoter, j’ai toujours affirmé que les espèces les plus banales sont dignes d’intérêt, et cette opinion s’est trouvée renforcée par les circonstances récentes. Un merle, c’est bien et ce peut même être plus que cela. Tout est relatif.

Guilhem Lesaffre – Avril 2010

Photos : A. Bloquet (rougequeue)

L. Epelboin (moineau)

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De sylvain en mars…

uand le pressant appel de la grasse matinée lui fait rater les premières heures

de la journée, voire les dernières de la nuit, propices aux oiseaux, à leurs ébats et à leurs

chants, il reste une session de rattrapage au

naturaliste. Il lui suffit de se tourner vers les insectes, stimulés par la lumière et la chaleur.

Vous l’avez compris, j’ai parfois recours à cette seconde chance, finalement fertile en découvertes.

La première rencontre, fin juin, a eu pour cadre une sente forestière dont la pénombre relative était ponctuée de puits de lumière surexposant le feuillage des ronciers. Elle s’est soldée par un mélange d’émerveillement et de frustration, à cause d’un sylvain et grâce à lui. Le sylvain est beau mais son vol léger est rapide. Comment fait-il pour se glisser entre les rameaux avec tant de prestance ? Quand il se pose enfin, sur une feuille ou le sol, on peut enfin l’admirer – et l’envers vaut l’endroit ! – mais mieux vaut faire

vite car le capricieux reprend son manège aérien rendant illusoire toute velléité de continuer à profiter de son élégante beauté.

L’autre rencontre s’est déroulée sur un chemin longeant un ruisseau francilien troublé par les orages. Elle m’a apporté ravissement et… frustration ! Comme le sylvain, le petit mars vole vite et il faut se hâter de profiter des brèves pauses dont il émaille sa course virevoltante. La récompense est alors largement à la hauteur de l’attente. Le bleu violacé de ses ailes, révélé fugacement par l’incidence complice de la lumière, ne se décrit pas, il se ressent en quelque sorte.

La fortune appartient, aussi, à ceux qui se lèvent tard.

Guilhem Lesaffre – Juillet 2010

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Inquiétude et tableau d'honneur

epuis quelque

temps, le natu-

raliste a large- ment de quoi être inquiet

de la tournure prise par les événements.

L'ours pyrénéen est proche

de l'éradication, les loups abattus sont exhibés au

journal télévisé et quelques dizaines de milliers de

cormorans venus faire escale chez nous pour l'hiver ne

remonteront pas vers le nord

de l'Europe. Un député jette l'anathème sur les « becs

crochus » jugés « nocifs pour le petit gibier »; un autre estime que les buses,

« grasses comme des gorets, prolifèrent ».

La liste des animaux protégés a subi quelques modifications qui devraient permettre à d'autres espèces de connaître le même sort que le loup. Tout se passe comme si une offensive concertée avait été lancée par ceux qui peuvent juger avoir perdu du terrain ces dernières années. Baroud d'honneur ?

Alors, divorce radical avec la nature ? Non, justement, car à côté de cela, les émissions sur

la nature ont toujours autant de succès, les voyages où l'on peut presque tripoter les

cétacés se déroulent à guichets fermés, tandis que varans et mygales apprivoisés envahissent

les appartements. De la nature donc, mais sur

commande, formatée, aseptisée, dominée, selon les cas. Pour l'autre, la vraie, celle qu'il

faut s'efforcer de comprendre et qui se mérite, c'est une autre histoire...

Après cette bouffée de pessimisme, et en réponse à ceux qui, dans les milieux cynégétiques, continuent à faire preuve d'aveuglement, j'inscris au tableau d'honneur deux grands écrivains qui ont, un jour, choisi de renoncer à leur passe-temps. Stendhal, tout

d'abord, qui raconte une chasse à la grive dans la Vie de Henry Brulard (un pseudonyme):

« Je tuai le troisième et dernier sur un petit noyer bordant le chemin au nord de notre petit verger. Ce tourdre fort petit était presque verticalement sur moi et me tomba presque sur le nez. Il tomba sur le mur à pierres sèches et avec lui de grosses gouttes de sang que je vois encore. Ce sang était signe de victoire. Ce ne fut qu'à Brunswick en 1808 que la pitié me dégoûta de la chasse, aujourd'hui, elle me semble un meurtre inhumain et dégoûtant (...).».

Jules Renard, ensuite, qui dans son Journal

écrit ces réflexions, en date du 1er septembre

1904 :

« C'est dangereux d'avoir un fusil. On croit que ça ne tue pas. Je tire, non pour la tuer, mais pour voir ce que ça fera. Je m'approche. Elle est sur le ventre, ses pattes s'agitent, son bec se ferme et s'ouvre, bâille : la petite paire de ciseaux coupe du sang. Alouette, puisses-tu devenir la plus fine de mes pensées, le plus cher de mes remords ! Elle est morte pour les autres. J'ai déchiré mon permis et pendu mon fusil au clou. »

Guilhem Lesaffre – Janvier 2005

Photo : J. Coatmeur

D

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À la vie, à la mort

arfois, quand j’entends

siffler une mauvis,

il me revient ces vers de Verlaine :

« L’automne/Faisait voler la grive à travers l’air atone ».

Ce jour-là, les grives

filaient dans l’air glacé, un peu perturbées par la neige

couvrant leurs habituelles prairies nourricières.

Et puis, quasiment à mes pieds, figée dans les feuilles mortes ourlées de givre, une mauvis. Mal en point. Je m’en saisis délicatement et la tiens au creux de mes mains, espérant que leur chaleur redonnera à l’oiseau affaibli un peu de sa vigueur perdue. Un rapide examen montre cependant que le froid n’est pas responsable. Les plumes sont tachées de sang, une aile est touchée… Le bel œil sombre brille encore et je sens la vie palpiter dans ma paume, pourtant je dois prendre la décision qui s’impose. Ce n’est pas la première fois mais c’est toujours aussi pénible.

es grands marronniers noirs et les tilleuls rouges appliquent sur le ciel gris leurs enchevêtrements de branches noueuses et de rameaux nouveaux. Hiver oblige, pépiements de moineaux, cliquetis

d’étourneaux et cris de mouettes sont seuls à se faire entendre. Un peu plus loin, on commence

à percevoir un mélange de brefs sifflements répétés et de secs cris roulés. Une bande de mésanges à longue queue mène sa scrupuleuse prospection des branchages.

Tremblez, larves, insectes et araignées blottis dans les recoins de l’écorce ! Les becs minuscules de la troupe emplumée sont impitoyables. Et voici enfin les petites terreurs des arthropodes. Avouons-le, elles sont… charmantes. Venues du nord lointain, elles en ont, dirait-on, conservé une tête neigeuse où le petit œil sombre tranche. Leur élégance immaculée fait paraître nos mésanges indigènes un peu dépenaillées. Et avec ça, pas fières les visiteuses scandinaves ! Elles se laissent admirer de tout près, permettant à l’œil de s’imprégner de leur beauté. On les regrettera, le printemps venu…

Guilhem Lesaffre – Février 2011

Photos : L. Epelboin (grive mauvis) J. Lejeune (mésange à longue queue)

P

L

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L’attente

ientôt 16h30 : il ne devrait pas tarder…

Justement, le voilà ! À délicats sautillements pressés, l’accenteur familier

arpente le balcon. De menues miettes ont été

disposées à son intention. Elles sont picorées d’un bec précis. D’un bond, le visiteur a gagné

l’une des jardinières abandonnées au désordre des plantes folles, pour le plus grand bénéfice

des oiseaux du coin.

Le mouron blanc est apprécié, comme à l’habitude. Après avoir exploré la jardinière suivante, l’accenteur, un instant repu, s’envole… Il reviendra demain, récompensant à nouveau l’attente de celui à qui il offrira une plaisante évasion.

Dans le vaste jardin public, rares sont les endroits accueillants quand on est un passereau migrateur, amateur de petits insectes cachés dans l’entrelacs des ramilles parées de feuilles nouvelles. C’est là que, les sens en éveil, un vieil ami et moi attendons l’un de ces voyageurs.

Les minutes passent et l’on se dit que ce n’est pas grave si on ne le voit pas… mais que, quand même, ce serait mieux si…

Bref, on gamberge comme tous les naturalistes plongés dans les délicieusement cruelles affres de l’attente. Quelques notes discrètes se font enfin entendre.

Le chanteur vagabond est bientôt localisé. Affairé, il ne prête aucune attention à ceux qui sont venus tout spécialement pour l’admirer et, surtout, l’entendre. Il faut dire que ce pouillot véloce « de Sibérie » est passablement éloigné de ses habituelles régions d’élection, qu’elles soient situées au-delà de l’Oural en été, ou en Inde en hiver ! Un trajet nocturne l’a amené dans une manière d’oasis au cœur de la grande ville et il s’y consacre assidûment à refaire ses forces pour pouvoir terminer son long chemin.

Cette fois encore, l’attente valait le coup, d’autant qu’elle a abouti à la double satisfaction de découvrir l’oiseau rare convoité et de partager ce contentement avec un ami.

Pour être honnête, il faudrait aussi parler des

attentes déçues. Ce sera pour plus tard…

Gulihem Le saffre – Avril 2011

Photo - J. Coatmeur

B

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Échanges

n peu de plumes, un soupçon de

fourrure et quelques écailles. Une

recette de sorcière ? Non, les ingrédients d’un printemps naturaliste généreux.

Les plumes, que l’on imagine plaquées au corps par la vitesse du piqué, sont celles d’un faucon hobereau. Il veut impressionner sa femelle en lui prouvant que ses talents de pourvoyeur de proies sont intacts. S’il peut foncer sur elle et l’éviter au tout dernier moment, dessinant une impeccable parabole, il pourra aussi, le moment venu, fondre sur un martinet, sans l’éviter cette fois… Pour le spectateur, en tout cas, la démonstration est superbe.

La fourrure, à peine humide malgré de fréquents passages dans l’eau de la rigole envahie de végétation, appartient au campagnol amphibie. Ce petit « rat », qui enfourne l’une après l’autre les tiges d’herbe poussées vers ses incisives frénétiques par de petites « mains » griffues, sait-il quelle joie il procure au naturaliste qui le découvre et connaît sa rareté ?

Les écailles, enfin, s’alignent avec rigueur le long du corps d’une vipère, composant des motifs géométriques dans une harmonie de tons évoquant le vieux cuir, le tabac et le bois patiné. Les sinuosités du serpent palpitent au rythme de sa respiration. L’œil doré à la pupille verticale évoque un cabochon de pierre semi-précieuse et l’on remarque la narine entourée d’une curieuse fleur d’écailles.

J’ai pu profiter du rongeur et du reptile parce qu’ils m’ont été « rendus visibles » par des connaisseurs, Pierre et Françoise. Ces moments valent autant par la démarche mise en œuvre – transmettre des connaissances, des façons de procéder – que par le résultat obtenu… ou non.

Guilhem Lesaffre - Juillet 2011

Illustration extraite de Naumann - Naturgeschichte der Vögel Mitteleuropas

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Attente

E VENT SOUFFLE et rien n’arrête sa

course. Les champs briards

s’étendent à perte de vue, terrain de jeu idéal pour les

bourrasques. Heureusement, les degrés refusent de descendre et il fait

frais mais pas frisquet. Et les minutes

s’ajoutent aux minutes, composant des heures qui s’ajoutent aux heures. C’est

dans ces moments-là qu’il vaut mieux n’être pas seul, pour ne pas tomber

dans le désenchantement, voire la frustration amère. Au début, c’était la

fébrilité enjouée, l’espoir intact,

l’imagination au pouvoir. Il était là voici peu, pourquoi ne serait-il pas

resté encore un peu ?

Les suppositions répondent aux interrogations. Les hypothèses et les déductions alternent avec l’évocation de circonstances analogues où la patience avait été récompensée. Il faut bien continuer à y croire… Mais force est de constater que si la campagne doucement vallonnée est loin d’être vide, il y manque l’essentiel.

Le visiteur venu de loin – des vastes étendues riveraines de la mer Noire aux environs de Paris, il y a quand même une fameuse trotte – ne se montre pas. Pourtant, les rangs de ceux qui sont venus l’admirer ont quelque peu grossi. Et le dépit a augmenté dans les mêmes proportions…

Et puis en une fraction de seconde, la longue attente est balayée. Il est là, à bonne distance, mais bien reconnaissable avec, autour du cou, les torques qu’il arbore comme un de ces guerriers qui parcouraient les steppes d’où lui-même est issu.

Le jeune busard pâle au dessous de huppe, ventre orangé et damier noir et blanc aux ailes, survole éteules, friches et champs avec la grâce

propre aux oiseaux de sa famille. Les longues ailes vibrent au gré des sautes de vent, la trajectoire capricieuse réserve des surprises. L’unanimité de l’admiration est presque palpable, scandée de commentaires élogieux et de silences éloquents. Quelques minutes de bonheur simple pour récompenser les heures passées à scruter le terrain.

Puisse le rapace à la silhouette déliée trouver le chemin de la si lointaine Afrique avant de survoler à nouveau, dans quelques mois, ses steppes natales !

Guilhem Lesaffre – Octobre 2011

Illustration extraite de Naumann - Naturgeschichte der Vögel Mitteleuropas

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La vie, toujours

ne fois n’est pas

coutume, je ne parlerai

pas de ce qu’il m’a été donné de découvrir au hasard

de mes baguenaudes naturalistes mais d’une scène

que j’ai vue à la télévision.

Je regardais la série documentaire « Apocalypse », produite par France 2, présentant la Seconde Guerre mondiale. La séquence qui a retenu mon attention met en scène Rommel, en 1942 ou 43, en train de visiter un cimetière militaire de fortune au milieu de nulle part.

Quelques méchantes croix de bois sont fichées dans le sable, la lumière est intense et l’on devine la chaleur…

Soudain, une hirondelle sans doute fatiguée par la migration et voletant à faible hauteur, vient se poser sur l’une des croix, à proximité de celui qui fut surnommé le « Renard du désert ». Elle redécolle aussitôt et quitte l’écran. J’ai trouvé cette incongruité salvatrice en ce qu’elle

remettait la vie à sa place, là où la guerre et la mort s’étaient invitées.

Cela m’a rappelé ces pages où Maurice Genevoix ou Jacques Delamain (qui initia Messiaen à l’écoute des chants d’oiseaux), engagés dans le premier conflit mondial, continuent d’observer la nature au milieu du carnage. C’est en partie ce qui leur a permis de tenir le choc. Dans son Journal de guerre d’un ornithologue (Stock), Delamain écrit :

« 9 mai. Vers 5 heures du matin, une violente détonation remplissant toute la vallée. Notre 120

probablement. Pas d’effet apparent sur le volume du chant matinal. 25 mai. Le départ du 90 tout proche, assourdissant, n’interrompt pas un instant le chant des Merles. »

Poignante, cette façon de continuer à prêter attention à ces bribes de vie alors même que la mort rôde…

Guilhem Lesaffre – Janvier 2012

Couverture d’un ouvrage de Jacques Delamain réédité en 2011. Il comprend l’ouvrage cité

par Guilhem.

La notice consacrée à Jacques Delamain sur Wikipédia, bien que brève, est fort intéressante.

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Doux amer

L FAIT ÉTONNAMMENT DOUX pour un mois de

mars. La journée s’achève dans

l’opalescence du ciel. À l’orée du bois, non loin de la décharge qui sollicite nos narines, les

grands arbres encore défeuillés semblent chargés de « fruits » inhabituels.

De temps à autre, de curieux hennissements se font entendre, révélant l’identité des hôtes du petit bois : des milans. Quelques royaux et plusieurs dizaines de noirs. Les premiers sont en fin d’hivernage et auront bientôt regagné leurs sites de nidification européens.

Les seconds, fraîchement revenus d’Afrique, reprennent contact avec les climats tempérés. Le dortoir mixte reçoit à chaque instant de nouveaux arrivants. Il est bien sûr plaisant de suivre la lente glissade d’un milan noir mais il faut avouer que l’agrément est plus vif encore

lorsque la silhouette d’un milan royal se découpe sur le couchant. Pareille élégance ne laisse jamais insensible. Voici que l’un d’eux a repéré un milan noir lesté d’un bon morceau. Une accélération l’amène dans son sillage. Quelques coups d’ailes plus appuyés du poursuivi, deux ou trois écarts brusques et le poursuivant abandonne la traque, jugeant sans doute inutile de se fatiguer avant la nuit pour si peu… Ébauche de duel qui permet aux observateurs d’engranger quelques images de plus au fond de leur mémoire.

La beauté du milan royal ne fait hélas pas oublier – peut-être même l’avive-t-elle – l’inquiétude suscitée par la délicate situation dans laquelle le rapace se trouve à présent. En quittant les lieux, le naturaliste est partagé, comme souvent, entre l’émotion des instants vécus et l’amertume d’un avenir sombre.

Guilhem Lesaffre – Janvier 2012

Photo : J. Coatmeur

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Jolis substituts

IL arrive que les oiseaux ne répondent pas à nos attentes. Deux solutions s’offrent alors à l’ornitho dépité : traduire sa frustration en vaines lamentations ou saisir l’occasion pour ouvrir l’œil sur d’autres centres d’intérêt – ainsi le naturaliste dilettante ne reste-t-il jamais, si l’on peut dire, le bec dans l’eau…

Tout récemment, j’ai été confronté à ce défaut

d’oiseaux espérés lors d’une balade en forêt. Et ce que j’ai rencontré, en compagnie d’un ami, valait bien ce que je n’ai pu voir. Côté oiseaux, ce fut un trio de loriots lancés dans de surprenantes vocalises modulées alternant avec le chant flûté bien connu.

Les insectes nous gratifièrent entre autres d’une panorpe au masque d’envahisseur extra-terrestre et, surtout, d’un spectacle d’ombres chinoises, un

petit sylvain s’étant posé, comme aime le faire l’espèce, sur une haute feuille inondée de soleil.

La transparence du support végétal laissait voir le lépidoptère avec une stupéfiante précision. Les antennes, les pattes et la moindre déchirure des ailes déjà fatiguées par des vols capricieux. Les végétaux ne furent pas en reste, avec une jolie collection de graminées aux noms poétiques, de la houque au dactyle, sans oublier la mélique. Les feuilles de charme, enfin, composaient un tableau où la rigoureuse géométrie des nervures rivalisait avec la variété des teintes, du vert tendre au rouge sang.

Les mammifères furent plus discrets mais des coulées de chevreuil gravées de traces d’onglons aigus. Et il faudrait encore ajouter à ce palmarès la lumière du sous-bois et l’éventail des parfums forestiers…

Guilhem Lesaffre – Juillet 2012

Photos - Guilhem Lesaffre

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Dépaysement

arement le titre de ma chronique aura autant été en adéquation avec mon

propos. C’est en effet d’une

impression naturaliste bien particulière qu’il sera ici question, celle d’être plongé dans une

ambiance absolument nouvelle, dans un univers totalement inconnu, à l’occasion d’un

voyage lointain. C’est à la fois merveilleux et

frustrant.

Cette candeur soudain retrouvée m’a replongé dans l’état d’esprit où j’étais voici un peu plus de quarante ans, lorsque les cris nerveux de la mésange bleue n’étaient que… des cris nerveux, quand j’ignorais que ces doux sifflets étaient le signal du bouvreuil.

Quand on change de continent et d’hémisphère, le premier matin est souvent d’abord une affaire d’oreille. L’aube point à peine, et alors que l’on ne distingue au mieux que des ombres fugaces dans la végétation ou des silhouettes sur fond de ciel sombre encore, les cris et les chants se font entendre de tous

côtés. Impossible de mettre le moindre nom sur ces émissions vocales !

Tout le savoir devra être construit au fil des heures et des jours, et restera hélas… lacunaire ! Mais quel plaisir, quand même, de venir à bout de certains de ces sons mystérieux avec le concours de l’œil – quand l’oiseau consent à se montrer…

Ainsi donc, c’est à son cri, répété de sa voix caverneuse, « arrra… arrra… », que l’ara doit son nom ! Et ce bref raclement ? Le toucan toco, tant espéré. Et ce puissant sifflet narquois ? C’est la signature du « bem-te-vi », l’oiseau qui ne cesse de répéter « Je t’ai vu ! ». La liste pourrait être longue…

Rentré en France, j’ai entendu un oiseau invisible que je ne connaissais pas. Émoi, interrogation, réflexion, appel à la mémoire et découverte de la clef de l’énigme : un étourneau aussi inventif que talentueux…

Guilhem Lesaffre – Septembre 2012

Photo : G. Lesaffre

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