Il n'y a jamais eu de chasseurs-cueilleurs

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Bernard Arcand Anthropologue, professeur au département d’anthropologie, Université Laval (1988) “Il n'y a jamais eu de société de chasseurs-cueilleurs” Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, bénévole, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Site web pédagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/ Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Anthropologie

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  • Bernard Arcand Anthropologue, professeur au dpartement danthropologie, Universit Laval

    (1988)

    Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,

    professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi Courriel: [email protected]

    Site web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de larticle de :

    Bernard Arcand Anthropologue, professeur au dpartement danthropologie, Universit Laval. Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs. Un article publi dans la revue Anthropologie et Socits, vol. 12 no 1, 1988,

    pp. 39-58. Numro intitul : Questions dethnocentrisme. Qubec : Dparte-ment d'anthropologie, Universit Laval.

    [Autorisation formelle accorde le 13 novembre 2005 par lauteur de diffuser

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    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 2004 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11) dition complte le 10 juillet 2007 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec.

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    Bernard Arcand Anthropologue, professeur au dpartement danthropologie,

    Universit Laval.

    Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs.

    Un article publi dans la revue Anthropologie et Socits, vol. 12 no 1, 1988,

    pp. 39-58. Numro intitul : Questions dethnocentrisme. Qubec : Dparte-ment d'anthropologie, Universit Laval.

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    Table des matires

    La question se pose Critique des anciens Critique des modernes Critique de l'ethnocentrisme Conclusion Bibliographie Rsum / Abstract

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    Bernard Arcand

    Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs. Un article publi dans la revue Anthropologie et Socits, vol. 12 no 1, 1988,

    pp. 39-58. Numro intitul : Questions dethnocentrisme. Qubec : Dparte-ment d'anthropologie, Universit Laval.

    Les sauvages, il ne faut pas en douter, ont toujours une raison pour faire ce qu'ils font et pour croire ce qu'ils croient, mais il con-vient d'ajouter que leurs raisons sont souvent fort absurdes.

    Sir John Lubbock (1877 : 6) Et pourtant une hache ne donne pas physiquement naissance

    une hache, la faon d'un animal. Claude Lvi-Strauss (1973 : 386)

    La question se pose

    Retour la table des matires Dans l'histoire rcente des tudes sur les socits de chasseurs-

    cueilleurs, la publication des actes du symposium de l'universit de Chicago, sous le titre Man the Hunter (Lee et DeVore 1968), est maintenant reconnue comme la marque d'un tournant important qui obligea l'anthropologie une rvision profonde de ce qu'elle croyait savoir de ce type de socit. Vingt ans aprs, on peut ajouter que les implications de l'vnement n'ont peut-tre pas encore toutes t me-sures.

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    En partageant les bilans de leurs recherches, les participants au symposium de Chicago ont beaucoup discut d'cologie et de produc-tivit, en plus de revoir grands traits les modles traditionnels d'or-ganisation sociale et territoriale des peuples chasseurs-cueilleurs ainsi que quelques-unes des principales conclusions de l'archologie prhis-torique. Surtout, c'est l qu'ont d'abord t communiqus les rsultats des minutieuses enqutes ethnographiques menes par R. Lee chez les !Kunq et par J. Woodburn chez les Hadza et qui montraient, peut-tre pour la premire fois, que les chasseurs-cueilleurs pouvaient trs bien survivre et jouir d'une dite plus qu'adquate et de loisirs consi-drables, tout en travaillant relativement peu. C'est aussi lors de ce mme symposium que M. Sahlins offrit la premire esquisse de son essai sur )'conomie de l'ge de pierre , qui se permettait de retour-ner dans un envers volutif la formule de Galbraith en dcrivant les chasseurs-cueilleurs comme reprsentants de la vritable et originelle socit d'abondance, marque par une sorte d'attitude zen face la ra-ret qui pouvait rendre des gens la fois pauvres et aiss. On assistait donc une rvolution de la pense.

    Toutefois, les travaux du symposium de Chicago reposent sur une

    prmisse qui parat aujourd'hui particulirement fragile. On y prend pour acquis que la notion de socit de chasseurs-cueilleurs est perti-nente, en ce sens qu'il existerait un prtexte scientifique valable pour runir et comparer des donnes et des analyses issues de socits aussi diverses que celles des Inuit, des Hadza, des Tsimshian ou des Ka-riera. Cette question, fondamentale puisqu'elle dfinit l'objet de toutes ces tudes, reoit en tout une demi-page d'attention dans Man the Hunter (1968 : 4). Les auteurs de l'introduction au volume expliquent comment il n'y a jamais eu de consensus parmi les participants au symposium sur ce qui constitue en fait une socit de chasseurs-cueilleurs. Ils rejettent toute dfinition historique, car en limitant ces populations aux conomies du plistocne on liminerait du mme coup tous les chasseurs-cueilleurs modernes. Ils ne peuvent non plus adopter une dfinition qui ferait de la vie en bande la caractris-tique sociale dominante de ce type de populations puisque cela exclu-

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    rait plusieurs chasseurs-cueilleurs, dont tous les habitants de l'Austra-lie et de la Cte Nord-Ouest du Canada. Enfin, comme s'il fallait compliquer davantage, ta littrature ethnographique offre aussi des cas de chasseurs-cueilleurs qu'on dit dvolus , c'est--dire des gens qui sont devenus chasseurs-cueilleurs aprs avoir vcu d'agriculture et qui auraient chang de mode de subsistance par obligation ou par choix. Bref, les auteurs n'arrivent pas dfinir un type commun et se rendent bien compte que tout choix de dfinition particulire limine-rait une partie importante des participants au symposium. La demi-page se termine donc sur une pirouette : The symposium agreed to consider as hunters all cases presented, at least in the first instance (1968 : 4). En somme, la catgorie regroupe ici toutes les populations vivant essentiellement de chasse et de cueillette !

    Si la question est laisse en suspens, Man the Hunter aura au

    moins eu le mrite de la rendre vidente. Le volume offre une srie de contributions individuelles souvent fort originales sur des socits dont les ressemblances sont de moins en moins certaines, et dont l'ap-partenance un mme type encore indfini n'est plus que prsume tandis qu'auparavant, l'anthropologie croyait trs bien savoir de qui il s'agissait chaque fois qu'elle parlait des peuples chasseurs-cueilleurs. On peut ainsi mesurer le progrs que reprsente cette publication en comparant ses hsitations et ses incertitudes la vision antrieure, dont on trouve un exemple, parmi bien d'autres, dans le petit livre de E. Service, The Hunters (1966), publi dans une collection trs popu-laire qui a servi la formation de plusieurs anthropologues amri-cains. Pour Service, la typologie est simple et limpide : les chasseurs-cueilleurs font contraste avec les paysans horticulteurs, leveurs ou agriculteurs, par leur faible productivit de nourriture, la faible densit de leurs populations, par leur nomadisme et l'organisation so-ciale fonde sur la bande. Service trace ainsi un type idal, dont la lit-trature ethnographique offre certainement des exemples, mais qui n'puise pas l'ensemble des socits humaines dont l'conomie est ba-se sur la chasse et la cueillette. Nous verrons plus loin comment cha-cune des caractristiques de ce modle est aujourd'hui conteste par

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    l'ethnographie : la productivit conomique et les densits de popula-tions des chasseurs-cueilleurs sont souvent gales et parfois mme suprieures celles de populations vivant d'agriculture, tandis que le degr de nomadisme varie beaucoup d'une population l'autre et de-meure souvent comparable ce qu'on a constat chez plusieurs horti-culteurs saisonniers et, enfin, insister sur le fait de vivre en bande oblige liminer un nombre important de socits dont t'conomie repose pourtant exclusivement sur la chasse et la cueillette. En somme, ce qu'affirme l'ethnographie moderne, la suite de Man the Hunter, c'est que le modle de Service, qui rsume assez bien les prin-cipaux enseignements de l'anthropologie traditionnelle, rencontre trop de contradictions empiriques.

    Mais l'ethnographie moderne n'a pas russi remplacer le modle

    ancien. Elle ne sait plus vraiment ce qui constitue le type idal et pourtant elle continue parler de socits plus de chasseurs-cueilleurs. Comme si l'absence de dfinition lmentaire et la contradiction eth-nographique n'taient pas gnantes. Par exemple, les ouvrages de M. Sahlins (1974) et de P. Clastres (1974), ce jour probablement les deux essais les plus remarquables dans le prolongement de Man the Hunter, explorent des modles, l'un de l'conomie de la sous-production, l'autre de la politique de la non-alination, sans toutefois remettre en question l'existence mme d'un type de socit de chas-seurs-cueilleurs ; leurs propos doivent, pour tre trs authentiquement rvolutionnaires, inverser les conceptions antrieures de l'anthropolo-gie mais aussi maintenir la prmisse que les chasseurs-cueilleurs se ressemblent et se distinguent ainsi des socits qui ont adopt d'autres modes d'exploitation de la nature.

    La catgorie est maintenue, mme si on ne sait plus trs bien

    comment la dfinir. On pourrait croire que c'est l un autre exemple de l'inertie intellectuelle que R. Murphy (1971 : 37) dcrivait comme le conservatisme des anthropologues que des perceptions lmentaires poussent s'accrocher des systmes de sens leur permettant de fonc-tionner. Ou plutt un indice de l'importance de la question. Il ne s'agit

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    pas simplement de repenser une typologie analytique quelconque, le genre d'exercice auquel l'anthropologie s'engage couramment. La question pose par les chasseurs-cueilleurs parat beaucoup plus vaste. D'une part, c'est un fait que la chasse et la cueillette furent les modes exclusifs d'appropriation de la nature durant la majeure partie de l'his-toire de l'humanit et donc un fait dont toute anthropologie vritable doit rendre compte. D'autre part, la cration d'une catgorie chas-seurs-cueilleurs repose sur la thse d'un dterminisme techno-conomique qui regroupe les socits humaines selon leurs modes de subsistance en assumant que ceux-ci ont un effet dterminant sur l'en-semble de la vie sociale. Cette thse matrialiste, que nous devons dans sa version moderne aux travaux de G. Childe (1936, 1942) et l'cole no-volutionniste amricaine, jouit maintenant d'une accepta-tion trs gnrale. Bien sr, les recherches rcentes ont rendu plus prudentes les interprtations ; les archologues, par exemple, ... sont devenus plus conscients qu'ils ne l'taient de la complexit des rela-tions, souvent indirectes, qui lient la culture matrielle aux comporte-ments sociaux conomiques et de l'enveloppe symbolique ou secon-daire... (Smith 1984 : 59). Mais on ne remet gnralement pas en question le postulat voulant que les socits de chasseurs-cueilleurs prsentent des particularits qui les rendent diffrentes et que l'adop-tion de l'agriculture viendra changer, de sorte qu'avant et aprs te no-lithique, les socits humaines ne seront plus les mmes. Et l'enjeu de la thse est important, car ce qui apparat avec le dveloppement de l'agriculture c'est aussi tout ce qui fonde ta socit moderne et qui pas-sionne l'anthropologie depuis toujours : l'accroissement de la produc-tivit, l'augmentation des populations, la naissance de la vie urbaine, la cration des bureaucraties et de la police, l'invention des modes d'criture et des grandes religions et surtout, pour plusieurs analystes, l'instauration de rapports sociaux ingalitaires. C'est cela, et tout le reste qui thoriquement en dcoule, qui est en jeu et qui rend si crucial le passage de la chasse l'agriculture.

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    Critique des anciens

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    Dans ce qui est certainement l'ouvrage le plus savant (dans le sens

    anglais de scholarly) sur les socits de chasseurs-cueilleurs depuis plusieurs annes, Alain Testart (1982) cherche dmontrer, juste-ment, que la rvolution nolithique n'a jamais eu lieu. C'est cet ou-vrage qu'il faut maintenant renvoyer quiconque s'intresse au sens et aux limites souvent arbitraires de la notion de chasseur-cueilleur. Tes-tart nous engage dans un examen minutieux d'une grande partie de la littrature anthropologique afin de vrifier la pertinence de chacun des traits caractristiques traditionnellement accols aux socits de chas-seurs-cueilleurs. Nous ne ferons ici qu'un rsum rapide de cet exa-men, en ajoutant aux donnes recueillies par Testart quelques infor-mations plus rcentes extraites des confrences internationales sur ce type de socit tenues Qubec en 1980 et Londres en 1986.

    Si l'image traditionnelle des chasseurs-cueilleurs montrait des po-

    pulations perptuellement au bord de la famine et si Man the Hunter laissait au contraire l'impression d'une productivit largement suffi-sante et trs peu exigeante, la littrature ethnographique montre que ces deux visions sont galement vrifiables. Il ne fait plus de doute que les !Kung, les Hadza, et probablement plusieurs autres chasseurs-cueilleurs, vivent beaucoup mieux qu'on ne le croyait il y a trente ans. D'autres, comme les Cuiva (Arcand 1976), offrent l'exemple de ce que Sahlins concevait comme le modle d'une socit d'abondance et il n'est pas impensable que les habitants pr-historiques de rgions rela-tivement favorises aient connu des conditions de vie semblables, qu'ils auraient donc voulu maintenir le plus longtemps possible. Par contre, il faut aussi admettre que la situation d'autres chasseurs-

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    cueilleurs ne parat pas aussi facile et tend confirmer l'image an-cienne d'une conomie exigeante, prcaire et souvent peu productive (Nicolaisen 1974-75). Les chasseurs-cueilleurs ne sont donc, par dfi-nition, ni productifs ni improductifs, ni pauvres ni riches. Et ces con-trastes expliqueraient probablement pourquoi, quand deviennent pos-sibles l'agriculture ou l'levage, certains semblent profiter tout de suite de l'occasion (Nicolaisen 1976) et d'autres rsistent (Arcand 1976).

    On a aussi prtendu que les chasseurs-cueilleurs, ternellement

    obligs de poursuivre leurs gibiers et d'exploiter des ressources vg-tales disperses, taient principalement nomades, contrairement aux agriculteurs sdentaires. En fait, le nomadisme et la sdentarit ne sont jamais mesurables qu'en degrs et on constate alors de fortes va-riations parmi les chasseurs-cueilleurs. Entre le nomadisme pur des Semang et la sdentarit des Ainu (Watanabe 1968), on rencontre peu prs tous les exemples possibles de semi-nomadisme, d'occupa-tion saisonnire de sites nouveaux ou anciens, d'abris temporaires mais revisits en permanence et mme des cas de patterns migratoires apparemment non rptitifs. Aux tenants d'un dterminisme colo-gique simple voulant que la sdentarit soit un effet de la richesse des ressources alimentaires, Testart (1982 : 10) rappelle que D. Forde (1954, 1963) avait dj soulign la similitude des milieux de vie des habitants sdentaires de la Cte Nord-Ouest et des nomades Yaghan et Alakaluf de l'Amrique du Sud. Les habitants de ces deux rgions n'utilisaient pas les mmes techniques de chasse. Pour comprendre le degr de nomadisme de toute population, Testart rappelle qu'il est es-sentiel d'ajouter la concentration naturelle des ressources les tech-niques d'exploitation, mais aussi la capacit de stockage des produits alimentaires, la qualit des moyens de transport, les limites territo-riales et la nature des rapports interethniques ainsi que la tradition d'occupation de sites privilgis. On pourrait encore ajouter qu'il faut aussi comprendre les mcanismes de rsolution des conflits sociaux, les modes de gestion de la sexualit et les prfrences gastrono-miques : toutes ces raisons, et sans doute bien d'autres encore, qui in-citent se dplacer.

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    En somme, il y a trop de faons d'tre nomade pour permettre

    d'riger le nomadisme en trait caractristique, constatation plus con-traignante encore, le degr de sdentarit de plusieurs socits de chasseurs-cueilleurs est gal ou suprieur celui de certaines socits d'horticulteurs. Par exemple, l'aire culturelle du bassin de l'Amazone offre de nombreux cas de populations dont l'conomie est fonde sur l'agriculture et qui, lors de frquentes expditions de chasse (Silver-wood-Cope 1972) ou lors de treks annuels (Turner 1979), connais-sent une mobilit statistiquement bien suprieure celle de plusieurs socits de chasseurs-cueilleurs. Mme les clbres Nomads of the Long Bow (Holmberg 1969) entretenaient des jardins. Donc, vivre de chasse et de cueillette n'impose pas le nomadisme, pas plus que la culture du soi n'impose la sdentarit.

    Le modle ancien insistait aussi sur la faible densit des popula-

    tions de chasseurs-cueilleurs. Parce qu'une productivit faible ne pou-vait maintenir que des populations relativement restreintes et que la croissance dmographique ne pouvait que dcouler d'une capacit de production accrue par l'agriculture. videmment, parmi les plus c-lbres chasseurs-cueilleurs d'aujourd'hui, certains habitent des rgions semi-dsertiques qui n'ont jamais t propices aux fortes densits de population. Par contre, nous savons aussi qu'une socit peut vivre de chasse et de pche et maintenir une densit gale ou suprieure celle de peuples horticulteurs ; les exemples viennent de la Cte Nord-Ouest, bien sr, mais aussi de la Californie et des Andamans (Testart 1982 : 36-39). On croit maintenant savoir que c'est en fait la sdenta-risation, plutt que l'agriculture, qui tend entraner la croissance de la densit et Binford (1968) a mme suggr que l'adoption de l'agri-culture devrait tre considre comme un effet, rendu invitable, d'une explosion dmographique. Reste comprendre ce qui pousse une po-pulation se sdentariser.

    Pour bien des dbats thoriques, ces questions de sdentarit, de

    densit de population et mme de productivit conomique demeurent

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    des aspects secondaires. La caractristique principale des chasseurs-cueilleurs rsiderait plutt dans la nature galitaire de leurs rapports sociaux. L'image traditionnelle dcrit des socits sans ingalits co-nomiques ou sociales, dans lesquelles chacun produit selon ses capaci-ts et consomme selon ses besoins, un monde o tous les biens mat-riels et tous les produits de la chasse et de la cueillette sont partags, un monde o les distinctions sociales bases sur l'ge, le sexe, la com-ptence, le savoir ou le mrite demeurent toujours minimales. Tandis qu'avec les dbuts de l'agriculture, la socit devient plus large et plus complexe, la spcialisation apparat, l'conomie devient capable de gnrer des surplus qui pourront ensuite tre accapars, les rapports sociaux se transforment et deviennent ingalitaires, et toutes ces muta-tions mneront, plus tard, aux socits classes. C'est la thse trs connue de la naissance des ingalits sociales due au dveloppement de la capacit de production.

    Quel que soit le mrite de la thorie du surplus conomique

    comme condition ncessaire l'mergence d'ingalits sociales (nous en reparlerons), le maintien de rapports sociaux galitaires n'est mal-heureusement pas une caractristique de toutes les socits de chas-seurs-cueilleurs et ici encore celles-ci ne se distinguent pas, comme type, des socits d'agriculteurs ou d'leveurs. Les Calusa du sud de la Floride formaient une socit divise en classes, habitaient des vil-lages qui pouvaient accueillir plus de 2000 personnes, construisaient des temples, maintenaient une arme qui assurait le paiement de tri-buts essentiels un systme hirarchique de chefferies locales, et cette complexit sociale et ces rapports ingalitaires taient nourris par une conomie de chasse et de cueillette (Marquardt 1986). Par ailleurs, Testart souligne aussi combien les ingalits sociales des chasseurs-cueilleurs du sud-est sibrien posent problme la thse du commu-nisme primitif de l'ethnologie sovitique. Il ajoute ensuite l'exemple considrable de la Californie, dont les habitants contredisaient le schma volutif classique de l'archologie amricaine parce que, comme chasseurs-cueilleurs, la densit de leurs populations tait trop leve et leurs socits beaucoup trop complexes. Puis, le cas des

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    Warrau du delta de l'Ornoque dont la socit est divise en classes et dont la religion implique la cration d'un clerg, la construction de temples et la fabrication d'idoles. Sans mme faire mention des habi-tants de la Cte Nord-Ouest, il faut dire que ces exemples n'puisent mme pas les contradictions du modle ancien.

    L'anthropologie traditionnelle avait l'habitude de traiter tous ces

    exemples comme des cas exceptionnels (richesse de l'environnement, contacts avec des voisins plus volus, dculturation force, etc.), une attitude qui ne rsiste plus un examen ethnographique minutieux. On doit maintenant admettre qu'une conomie de chasse et de cueillette peut nourrir des formes d'organisation sociale diverses et qui ne sont pas ncessairement marques par des rapports sociaux galitaires. De la mme manire, la culture du sol ne cre pas mcaniquement l'inga-lit sociale immdiate. Il existe de trs nombreux exemples de petites socits d'horticulteurs dans lesquelles les ingalits conomiques et sociales demeurent minimales et qui paraissent, au moins en ce sens, beaucoup plus proches des bandes de chasseurs-cueilleurs nomades que celles-ci peuvent l'tre des socits de la Californie ou des Calusa de la Floride. De nouveau, le contraste parmi les chasseurs-cueilleurs parat plus prononc que celui qui sert dfinir la catgorie.

    Tout en redisant que chacun de ces points trouve une bien meil-

    leure discussion dans l'ouvrage d'A. Testart (1982), il nous faut con-clure cette critique en dduisant que les cas d'exception d'hier sont en train de devenir la rgle. L'anthropologie prend conscience que son modle traditionnel ne correspondait qu' certaines socits de chas-seurs-cueilleurs vivant en bandes nomades et dont elle a beaucoup parl. Il devient de plus en plus vident que ces chasseurs-cueilleurs nomades, habitant pour la plupart ce qu'il n'est pas excessif de consi-drer comme des environnements marginaux, constituent les vri-tables exceptions et que la chasse et la cueillette peuvent offrir une base conomique viable pour des socits stratifies, complexes et surtout trs diverses. De plus, certains participants la Confrence internationale de Londres en 1986 disaient combien il est parfois dif-

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    ficile de distinguer cueillette et rcolte (Ellen 1986), ou mme d'oppo-ser des socits de chasseurs-cueilleurs des communauts vivant d'agriculture (Karim 1986), tandis que d'autres adoptaient une pers-pective rgionaliste pour affirmer que le cas de chaque socit de chasseurs-cueilleurs moderne ne peut tre compris hors de son sys-tme local de relations aux populations agricoles voisines et par l suggrer que toute gnralisation trans-rgionale serait abusive (Bird-David 1986, Hall 1986). toutes ces corrections du modle, il faut enfin ajouter que l'archologie moderne semble en voie de com-prendre que les socits de chasseurs-cueilleurs de la prhistoire n'taient pas toutes uniformes ni mme peut-tre toujours comparables (par exemple, Davidson 1986).

    Au terme de cette critique empirique du modle ancien, on pourrait

    esprer que l'anthropologie s'inquite de la pertinence analytique de la notion de chasseur-cueilleur. Si le fait de vivre de chasse et de cueil-lette n'a pas d'influence dterminante sur l'ensemble de la vie sociale, si cette base conomique permet tout aussi bien les rapports galitaires et l'exploitation, le nomadisme et la sdentarit, des densits de popu-lations fortes et faibles, la dmocratie et la police ou l'arme, la cons-truction de temples et le shamanisme, il ne semble pas trs clairant de s'obstiner regrouper sous une mme tiquette des socits aussi dissemblables. Pourtant, l'anthropologie parle encore de socits de chasseurs-cueilleurs et cherche raffiner l'ancien modle pour le rendre acceptable. Comme s'il y avait acharnement.

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    Critique des modernes

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    Au cours des vingt dernires annes, l'tude des socits de chas-

    seurs-cueilleurs est demeure un terrain d'enqutes anthropologiques particulirement fertile, dont on ne saurait prtendre faire ici le survol (voir plutt A. Barnard 1983). Disons seulement que ces travaux r-cents ont surtout t marqus par un progrs qualitatif considrable des rapports ethnographiques sur ces socits, ce qui a rendu toute comparaison encore plus difficile et toute gnralisation plus hasar-deuse.

    Mises part les typologies, largement descriptives, de H. Wata-

    nabe (1968, 1986), la poursuite de la rflexion autour de la notion de chasseurs-cueilleurs est venue principalement d'une anthropologie d'inspiration largement marxiste. Bien sr, parce que ce courant tho-rique a t populaire durant les dernires annes, mais aussi parce que le marxisme doit ncessairement s'inquiter de maintenir une vision cohrente de l'volution humaine et, enfin, parce que ses critiques les plus svres ont souvent point ses difficults interprter les socits de chasseurs-cueilleurs (Sahlins 1974, Clastres 1974, Baudrillard 1973).

    Au pire, les analyses marxistes des socits de chasseurs-cueilleurs

    nous ont parfois offert rien de plus que des exercices de jargon. On a malheureusement voulu faire croire qu'une analyse devenait pertinente et complte si on comprenait qu'un chasseur est engag dans un pro-cs de travail, qu'il apporte un arc qui est en fait une force productive, et que d'offrir ensuite la viande sa belle-mre le situe dans un rap-port de production. Reprendre une phrase de Marx et affirmer, comme

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    C. Meillassoux (1967) et d'autres aprs lui, que le mode d'exploitation de la terre en fait un objet de travail pour les chasseurs-cueilleurs et un moyen de travail pour les agriculteurs, c'est dire que les premiers chassent et que les seconds cultivent. Dmontrer qu'il existe un mode de production fourrageur (Lee 1980), c'est montrer que des socits humaines vivent de chasse et de cueillette.

    Les efforts les plus systmatiques arrivent parfois la formulation

    d'un modle social complet. Par exemple, T. Ingold (1986), aprs avoir critiqu le simplisme de toute rduction d'une socit son mode de subsistance, insiste sur l'importance de bien saisir qu'un mode de production est toujours la jonction de deux niveaux : les acti-vits de subsistance et les relations sociales au sein de la production. Pour lui, ce qui caractrise ces socits, ce n'est pas la chasse et la cueillette, mais les relations sociales profondment marques par le partage : c'est la vie en bande, o les gens se partagent mutuellement (share on another) sur la base d'un sentiment fort de camaraderie (companionship). Le langage est diffrent, mais c'est assez proche de ce que disait E. Service vingt ans auparavant.

    Mais l'anthropologie marxiste ne s'est pas limite ces exercices

    de r-criture. Dans l'ouvrage dj cit, A. Testart (1982) dveloppe une thse gnrale sur l'importance du stockage et son impact sur le dveloppement des ingalits sociales. Critiquant la vision tradition-nelle d'un certain marxisme, selon laquelle la cration d'un surplus conomique demeure impossible sans accroissement des forces pro-ductives, Testart propose une subdivision de la catgorie chasseurs-cueilleurs fonde essentiellement sur l'existence de stocks de nourri-ture. Un examen impressionnant de la littrature rvle une corrlation statistique assez forte entre la prsence de stockage et le degr de s-dentarit, la taille des populations et l'importance des ingalits so-ciales. Pour Testart, le stockage expliquerait donc une grande partie des diffrences entre ces socits que l'anthropologie traditionnelle assimilait trop facilement sous une mme tiquette grossire. En crant un stock de nourriture, une socit s'assure videmment d'une

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 18

    rserve, mais cre aussi un bien durable qui pourrait tre chang ou converti. Contrairement aux chasseurs-cueilleurs nomades qui con-somment immdiatement tous les produits de leurs activits de subsis-tance, les peuples stockeurs produisent un excdent qui sera conserv et qui pourrait tre l'origine de la richesse individuelle et de la diff-renciation conomique ds que l'appropriation du stock n'est plus communautaire mais prive. Quant l'origine du stockage, Testart note seulement qu'on le retrouve surtout hors des rgions tropicales o la conservation de nourriture est plus difficile, souvent l o il faut profiter d'une migration importante et saisonnire de gibier et surtout chez des gens qui dpendent du poisson, un gibier que le chasseur ne peut poursuivre et dont la prservation est relativement simple.

    Au del de cette corrlation statistique, Testart demeure prudent.

    D'abord, il ne veut pas suggrer un modle mcanique simple qui fe-rait de l'environnement le dterminisme ultime impliquant que le stockage apparatrait chaque fois qu'il est cologiquement et technolo-giquement possible. Il reconnat que le stockage et la sdentarit d-pendent de facteurs multiples, dont bien sr la concentration des res-sources et les limites des habitats possibles, mais aussi l'tat des rela-tions inter-ethniques et la force d'une idologie qui valorise la mobili-t. Ce qu'il dit, en somme, c'est que le stockage cre une condition fa-vorable et peut-tre historiquement essentielle l'apparition d'ingali-ts sociales qui contrasteront avec les rapports sociaux galitaires des bandes de chasseurs-cueilleurs nomades et sans stocks.

    Ensuite, et cela n'enlve rien la valeur de sa contribution, Testart

    est conscient d'avoir repouss la question qui, grce lui, devient maintenant centrale : La question de savoir qui contrle et comment se fait ce contrle ne nous intresse pas ici : il nous suffit de noter l'existence de ces rserves collectives qui servent de support matriel l'exploitation (1982 : 48). Pourtant, si on cherche expliquer l'ori-gine des ingalits sociales, il faudra tt ou tard rpondre cette ques-tion. On peut tre en accord avec Testart sur le fait que la cration de rserves de nourriture rend possible le dveloppement d'ingalits,

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 19

    mais encore faut-il comprendre comment celles-ci deviendront prives plutt que communautaires et, surtout, par quels moyens et de quel droit certains individus russiront se les approprier. Mais la rponse ces questions obligerait traiter de rapports sociaux qui sont avant tout politiques et qui s'accordent moins bien une thorie qui veut ultimement retrouver l'essentiel dterminisme de la production. Nous y reviendrons.

    Finalement, la dmonstration de Testart laisse un problme ethno-

    graphique : les Australiens, chez qui les techniques de conservation de nourriture sont assez largement connues et qui, ici et l, crent des stocks, mais sans que la base conomique de ces socits s'en trouve modifie. Bref, un cas d'exception, sur lequel Testart reviendra abon-damment dans un second ouvrage que nous commenterons un peu plus loin.

    J. Woodburn (1980, 1982) a propos une typologie assez proche

    certains gards de celle de Testart, quoique beaucoup moins dvelop-pe. Selon lui, on peut expliquer les diffrences remarques entre di-verses socits de chasseurs-cueilleurs en distinguant les systmes conomiques retour immdiat et retour diffr. La production agri-cole et certaines activits de chasse et de cueillette entranent des re-tours diffrs et donc exigent des investissements plus ou moins long terme qui cimentent les liens sociaux et imposent souvent des solidarits durables. Tandis qu'un systme retour immdiat, o la production et la consommation demeurent ponctuelles, permet la flexibilit des groupes sociaux et assure une libert maximale d'asso-ciation. Woodburn (1982) trouve des exemples de systme retour immdiat chez les Hadza, les !Kung, les Mbuti, les Pandaram, les Pa-liyan et les Batek, bref, dans des socits qui servaient autrefois de modles classiques l'organisation en bandes.

    Dans sa prsentation lors de la prestigieuse Malinowski Memo-

    rial Lecture , Woodburn (1982) rsume plusieurs des faits saillants de l'galitarisme de ces socits de bandes, qu'il oppose ensuite ce

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 20

    qu'il nomme l'galitarisme comptitif des socits de la Nouvelle-Guine et des pasteurs nomades, afin de montrer qu'il s'agit bien l de deux types de socits assez radicalement distincts. Sa contribution demeure largement descriptive, il constate et souligne les diffrences, et il n'est pas facile d'identifier l'assise thorique de sa typologie. D'une part, il dit trs clairement que l'organisation sociale n'est pas le simple reflet du systme de production immdiat ou diffr et au con-traire, un peu plus loin, que l'galitarisme n'est pas possible dans les systmes retour diffr parce que cela nuirait l'conomie. On trouve ailleurs l'attribution d'une certaine primaut aux rapports so-ciaux, lorsqu'il ajoute que la fluidit des bandes et l'galitarisme des rapports sociaux obligent les gens se distancier de toute proprit matrielle, ce qui limite toute transformation politique et toute intensi-fication de la production. Enfin, on peut mme y lire une thorie des valeurs dominantes, quand Woodburn explique que le passage l'agriculture a d tre accompli par des chasseurs-cueilleurs systme diffr, puisqu'eux seuls possdent les valeurs et l'organisation qui permettent une telle transformation. Quelle que soit la thorie gnrale qui l'anime, la typologie de Woodburn rejoint celle de Testart en d-clarant qu'il y a d'une part des socits de chasseurs-cueilleurs no-mades, vivant en bandes relativement restreintes et ne pratiquant pas le stockage de nourriture, et, d'autre part, le reste du monde.

    C'est cette vaste conclusion que s'oppose T. Ingold (1983) en re-

    tournant, encore une fois, la complexit de l'ethnographie afin de mettre l'preuve ces notions de stockage et de retour immdiat ou diffr. Pour lui, il serait simpliste de porter surtout attention aux pressions de l'environnement, aux migrations saisonnires des gibiers et aux techniques de conservation, car le stockage est avant tout une cration sociale qui dcoule ncessairement du systme d'change. Nul ne peut tout faire en mme temps et il faut souvent obtenir du voi-sin ce dont on manque. Le stockage devient surtout utile s'il n'y a pas de voisin dispos suppler nos manques, ou encore, si on a l'inten-tion d'accumuler un surplus afin de le vendre rapidement aux tran-gers. Donc, le stockage n'est jamais premier et dcoule de la division

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 21

    sociale du travail et des relations au sein de la communaut comme avec ses voisins. De plus, il n'a pas en soi ncessairement d'impact sociologique important puisque des chasseurs-cueilleurs nomades peuvent trs bien crer des rserves et les partager selon les rgles ha-bituelles de la distribution communautaire des produits de la chasse (Tanner 1979 : 159). Le stockage ne constitue donc pas la source de l'ingalit sociale, il offre simplement l'occasion d'assurer un pouvoir pr-existant qui, lui, est dterminant en ce qu'il rend possible l'appro-priation prive du stock. Le stock, en lui-mme, ne peut jamais dter-miner son propre mode d'appropriation sociale. moins d'adhrer la thse du dveloppement autonome des forces productives et de penser qu'une hache peut se reproduire la faon d'un animal.

    En outre, Ingold ne juge pas trs clairante la distinction entre sys-

    tmes conomiques retour immdiat et diffr. Tout systme co-nomique et toute activit de production peut paratre immdiat dans certains de ses aspects et diffr dans d'autres. Il cite, entre autres, l'exemple des agriculteurs sur brlis qui, leurs jardins une fois prpa-rs, produisent et, consomment au jour le jour, sans stockage et comme n'importe quel cueilleur de vgtaux non domestiqus. De la mme manire que le stockage ne dtermine pas son mode d'appro-priation sociale, Ingold refuse d'admettre la thse de Woodburn sur l'impact d'une conomie retour diffr : pour qu'un investissement long terme soit la source de relations sociales plus stables et perma-nentes que celles que l'on constate au sein des bandes de chasseurs-cueilleurs nomades, encore faut-il que le rsultat de l'activit de pro-duction soit au dpart accapar par les individus qui y collaborent ; en d'autres termes, il faut premirement que la ressource exploiter soit dj devenue proprit prive, ce qui, dans l'hypothse de Woodburn, demeure inexpliqu.

    Toutefois, la critique de Ingold le mne ce qui ne peut tre dcrit

    que comme un cul-de-sac. D'une part, il reprend la distinction tradi-tionnelle entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs ou leveurs ; pour lui les rapports sociaux de production chez les chasseurs-cueilleurs

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 22

    sont toujours du type retour immdiat si on les compare au mode d'appropriation long terme de l'agriculture et du pastoralisme. Donc, mais sans vraiment justifier davantage, il retourne ainsi une case de dpart que l'on croyait pourtant dissoute. D'autre part, il termine en avouant une impression de profonde confusion face un type de don-nes ethnographiques que ces efforts typologiques ne considrent ja-mais et qui chappe aussi aux archologues. 11 rappelle que certains chasseurs-cueilleurs ne considrent pas leurs chasses comme la pro-duction d'animaux jamais morts, mais comme une obligation cosmo-logique qui assure le renouvellement des ressources, ce qui ressemble beaucoup un investissement retour diffr. Ailleurs, sur la Cte Nord-Ouest, les gibiers tus et stocks taient considrs vivants et en rserve, comparables aux humains qui sont aussi en rserve dans des maisons qui ressemblaient aux botes servant au stockage. On pourrait ajouter l'exemple des Desana (Reichel-Dolmatoff 1968) chez qui le shaman doit rgulirement ngocier avec le matre des animaux le droit de prlever dans la nature certains gibiers en change d'un nombre comparable d'mes humaines. Dans tous ces cas, et il y en a bien d'autres, il n'est plus facile de distinguer entre chasse, cueillette et rcolte.

    La dernire et la plus rcente typologie qu'il nous faut considrer

    signale un tournant important dans les travaux d'A. Testart (1985). Se dissociant de ce qu'il appelle une vision matrialiste mcansite dans laquelle il se serait lui-mme fourvoy si longtemps (Idem : 10), Testart critique une certaine approche marxiste , devenue tra-ditionnelle en France, pour son incapacit comprendre la vraie na-ture des rapports sociaux de production et pour ses conclusions d'ana-lyse qui se limitent trop souvent au jeu du recollage artificiel entre deux sries, l'une matrielle et l'autre tout ce qui ne l'est pas. A ce schma habituel qui tend rduire l'conomie aux rapports la nature, Testart veut ajouter ce qui lui parat maintenant essentiel : les rapports sociaux de production, eux-mmes profondment conditionns par d'autres rapports qu'il appelle fondamentaux , comme l'exogamie,

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 23

    le totmisme, le dualisme et les rapports entre les sexes (idem : 12-13).

    Cette approche, 'nouvelle peut-tre pour l'analyse marxiste mais

    que l'anthropologie connaissait depuis longtemps comme l'objectif idal de toute monographie gnrale, mne Testart reconsidrer le cas australien qui, dans son ouvrage sur l'importance du stockage, fai-sait figure d'exception. La forme d'appropriation du produit de la chasse serait diffrente, en Australie, de celle de tous les autres chas-seurs-cueilleurs. En Australie, le producteur ne doit pas s'approprier les fruits de son travail qui sont distribus et consomms par les autres, tandis qu'ailleurs, le chasseur s'approprie le produit qui sera distribu sa famille, ses amis, puis seulement ensuite aux autres. Le cas des Australiens reprsenterait donc le seul exemple d'appro-priation commune d'un produit qui est au dpart social. Bref, le seul exemple d'un vritable communisme primitif. Ailleurs, le produit est d'abord priv, ou du moins individuel, et c'est cet individualisme, aus-si mince ou fragile qu'il puisse se manifester chez les !Kung, les Had-za, les Mbuti, ou autres, qui fait toute la diffrence. Tt ou tard, cet individualisme poussera l'tre humain travailler davantage, inven-ter de nouveaux outils, produire plus et c'est lui qui deviendra en somme le moteur de l'volution. Cette vision, qui n'est pas sans rappe-ler certaines positions philosophiques de Sartre, place donc au coeur de l'histoire l'tre humain agissant au travers de ses contradictions, ses conflits et ses luttes. Pour Testart, il n'y a pas de rupture dans les types de rapports de production entre les chasseurs-nomades et les stock-eurs, ni entre les stockeurs et les agriculteurs. La seule vritable et ra-dicale diffrence est trouver entre le modle australien et tous les autres.

    La majeure partie de l'ouvrage est consacre une dmonstration

    de la cohrence des institutions australiennes, c'est--dire comment divers aspects de l'organisation sociale et culturelle de ces socits concordent et sont tout fait bien ajusts au systme de production de nourriture. Les analyses de Testart y sont souvent fascinantes et il

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 24

    s'agit probablement d'une contribution nouvelle et importante la lit-trature sur l'Australie. Mais la perspective thorique d'ensemble ne semble pas particulirement neuve. Malgr la mention mille fois rp-te des rapports de production , Testart construit, comme tout bon ethnographe, un modle cohrent et systmatique d'une socit en-tire. Comme toujours, la qualit de l'information ethnographique permet de prdire combien chaque lment du modle sera compris comme indissociable de tous les autres, et comment une logique commune, unique et unitaire est sous-jacente des comportements sociaux aussi divers que la poursuite d'un gibier, une rgle de mariage ou une croyance sur le sang. En ce sens, l'ouvrage de Testart est sans doute une russite, mais sans tre, semble-t-il, conscient du cot que cela impose au cadrage thorique ; la notion de rapports de produc-tion s'amplifie tout au long de l'ouvrage, les lieux des dterminismes deviennent progressivement plus obscurs et la toute dernire phrase du livre nonce ce que d'autres tiendraient pour une banalit : Ido-logique et conomique sont comme les deux faces, subjective et ob-jective, d'un mme objet (1985 : 521). Nanmoins, l'ouvrage de-meure important parce qu'il offre une remarquable dmonstration de la complexit sociologique que le matrialisme vulgaire escamote trop souvent et aussi parce que participant au mme courant thorique (et parlant le mme langage), Testart russira peut-tre mieux que d'autres convaincre qu'une analyse des rapports de production ra-mne toujours et ncessairement l'entire complexit de l'ensemble des rapports sociaux.

    Cette nouvelle typologie gnrale des socits de chasseurs-

    cueilleurs provoquera srement des controverses. Par exemple, Testart arrive la conclusion que l'organisation sociale modle du commu-nisme primitif exige l'institution de clans matrilinaires et l'adoption d'une terminologie de parent de type iroquois. Ceci l'oblige dans cer-tains arguments reprendre la trs ancienne thse de la survivance d'un tat historiquement antrieur et lui fait dire ailleurs que les so-cits de bandes de chasseurs-cueilleurs sont du point de vue des rapports de production... des agriculteurs rats, des agriculteurs gars

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 25

    dans des zones o l'agriculture est impossible (1985 : 180). Devant de tels placages de schmes volutifs tonnamment simples, les cri-tiques auront comme toujours la partie facile. Mais ce qui nous int-resse davantage ici c'est comment l'argument de Testart, comme toute bonne interprtation, permet de prciser les questions soudainement devenues essentielles. Si l'essence de ce communisme primitif tient au fait que le chasseur ne consomme pas lui-mme son gibier mais doit plutt le donner aux autres, qu'est-ce qui l'oblige ce partage ? La r-ponse de Testart consiste trs bien dire que la logique sociale austra-lienne est entirement oriente vers l'appropriation commune de toute proprit. Mais cette rponse devient alors parfaitement tautologique : les Australiens sont comme a... logiques, sophistiqus, cohrents avec eux-mmes et trs rigoureusement organiss ! On peut s'en merveiller, mais on ne comprend pas encore ce qui a bien pu un jour (puisque, dans le fond de cette histoire il s'agit toujours d'volution) pousser un !Kung ou un Hadza manger lui-mme le produit de sa chasse ou le donner sa famille.

    Critique de l'ethnocentrisme

    Antrieur l'volutionnisme biologique, thorie scientifique, l'volutionnisme social n'est, trop souvent, que le maquillage faus-sement scientifique d'un vieux problme philosophique dont il n'est nullement certain que l'observation et l'induction puissent un jour fournir la clef.

    Claude Lvi-Strauss (1973 : 387)

    Retour la table des matires

    Les observations et les inductions des vingt dernires annes pour

    rsoudre la question des socits de chasseurs-cueilleurs donne l'im-pression d'un cheminement vers le creux d'un entonnoir. Au dpart, il y a l'ensemble des chasseurs-cueilleurs. Puis, on doit constater que le fait de produire sa nourriture par la chasse et la cueillette ne dtermine

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 26

    pas la nature de l'organisation sociale et que les socits de chasseurs-cueilleurs peuvent tre petites ou grandes, riches ou pauvres, gali-taires ou non. On en conclut que le mode de subsistance n'est pas d-terminant et que l'essentiel est trouver dans les rapports sociaux qui l'encadrent. C'est donc l que se porte l'attention et on dcouvre, vi-demment, que l'organisation de ces rapports sociaux peut tre fort va-rie. On se concentre sur le type d'organisation sociale qui semble of-frir le contraste maximal et qui pourra ainsi tre rig en modle pri-mitif, ce qui permet d'liminer tous les autres chasseurs-cueilleurs. Et l'effet d'entonnoir joue parfaitement : dans la premire typologie de Testart, il y a les non stockeurs et tous les autres ; pour Woodburn, c'est plutt les Hadza et la demi-douzaine de socits qui leur ressem-blent, et le reste du monde ; dans le dernier essai de Testart, ce sont les socits australiennes clans matrilinaires face l'ensemble de l'humanit.

    Partant d'une dfinition axe sur un mode de subsistance, on passe

    l'tude des rapports sociaux et ce qu'on nommait mode de subsis-tance devient mode de production, mais sans pour autant abandonner la dfinition originale. Mme aprs avoir dit que les rapports sociaux sont plus dterminants que le mode d'exploitation de la nature, on s'interdit de considrer ces rapports au sein de socits agricoles parce qu'il ne s'agit pas l de chasseurs-cueilleurs. Il tait donc entirement prvisible que la typologie devienne progressivement plus troite et que le type idal soit de plus en plus restreint. Par le mme effet, il y a accroissement du rsidu et la valeur explicative des schmes proposs diminue. Sous prtexte de rechercher le type idal, le plus simple, le plus parfait ou le plus ancien, on s'obstine surtout maintenir les pa-ramtres de la catgorie chasseurs-cueilleurs.

    Logiquement, l'anthropologie aurait pu tout aussi bien procder au-

    trement. Si le mode de subsistance est sociologiquement insignifiant et si l'essentiel est trouver dans le jeu des rapports sociaux, c'est donc ce niveau que les socits devraient tre compares et les typo-logies devraient pouvoir regrouper des gens dont les modes de subsis-

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 27

    tance peuvent tre trs diffrents mais dont les modes de vie sociale paraissent semblables. Par exemple, il est tonnant que la Mali-nowski Memorial Lecture de Woodburn porte le titre Les socits galitaires , alors qu'il n'y parle vraiment que de l'galitarisme au sein de certaines socits de chasseurs-cueilleurs. Pourtant, la notion d'galitarisme fait d'abord rfrence une dimension politique des rapports sociaux, laquelle n'est pas lie aux activits de subsistance puisqu'une socit peut trs bien tre ingalitaire et vivre de chasse et de cueillette. Woodburn aurait donc d chercher ailleurs que parmi les chasseurs-cueilleurs du monde entier les socits o la gestion poli-tique des rapports sociaux se compare ce qu'il a observ chez les Hadza ; et, sans entrer dans les dtails, il aurait sans doute trouv, par exemple dans les basses terres de l'Amrique du Sud, plusieurs soci-ts dont les conomies ne reposent pas sur la chasse et la cueillette, mais o J'galitarisme s'approche du type qui l'intresse et se distingue des systmes de diffrenciation hirarchique que l'on retrouve ailleurs. Bref, une vritable typologie des socits humaines sur la base de leur degr d'galitarisme aboutirait un rsultat autre qu'une simple divi-sion du monde entre bandes de chasseurs-cueilleurs nomades et tout le reste.

    Il semble y avoir l une obsession perverse et remarquablement du-

    rable pour le mode de subsistance qui a pour effet de maintenir im-permables les frontires de la catgorie chasseurs-cueilleurs. Il est en effet tonnant de voir de vritables spcialistes de ce type de socit, ceux-l mme qui ont construit par observation et induction une cri-tique empirique dvastatrice de la notion, vouloir ensuite la prserver avec autant d'acharnement.

    On peut trouver l un exemple d'ethnocentrisme ; c'est--dire un

    cas d'analyse anthropologique trop fortement conditionne par une procdure intellectuelle ou une faon de penser le monde, qui n'est pas dicte par la discipline scientifique mais par les schmes culturels par-ticuliers de ses auteurs. Dans la logique constitutive des arguments de Testart et de Woodburn, il y a un maillon qui ne respecte pas les

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 28

    rgles de la mthode scientifique, auxquelles leurs analyses veulent pourtant adhrer trs strictement. On trouve sinon un virage, du moins une direction impose l'argument qui ne dcoule ni de l'observation des faits ni de la logique analytique, mais plutt d'une prmisse cultu-relle qui n'a jamais t scientifiquement dmontre. Et puisque ce sont justement les travaux de Testart et de Woodburn qui ont fait com-prendre que cette prmisse culturelle ne pouvait rsister une vrifi-cation empirique, son maintien et sa survie malgr tout devrait nous convaincre de sa puissance et de sa profondeur.

    On parle souvent du lourd hritage de la tradition. La catgorie

    chasseurs-cueilleurs, dit-on trop facilement, serait une invention du XIXe sicle et d'un climat intellectuel passionn d'histoire universelle qui consacra beaucoup d'nergies dbattre les mrites de l'volution-nisme. Certains attribuent plus prcisment la paternit de la notion Sir John Lubbock, botaniste, classificateur et grand dfenseur de l'volutionnisme progressif face aux thories de la rgression diffren-tielle des peuples soutenues entre autres par le duc d'Argyll et l'arche-vque Whately, sans doute plus respectueux des enseignements de la Gense. Cependant, cette rfrence au XIXe sicle exige plusieurs qualifications car elle risque de demeurer incomplte et trop facile.

    D'abord, en lisant les grands auteurs de cette poque, on voit que

    les types de socits qui mergent de leurs schmes volutifs demeu-rent des socits entires et sans subdivisions autonomes qui tmoi-gnent de divers tats de civilisation . Les stades de la sauvage-rie ou de la barbarie , par exemple dans les crits de Lubbock ou de Morgan, sont caractriss par un certain mode d'exploitation de la nature, mais galement par certains systmes de parent et de lois, une forme particulire de religion, un certain sens de la moralit, et ainsi de suite. Tous ces lments forment un ensemble gnralement indis-sociable et l'volution de l'humanit devient donc reprable autant en religion qu'en parent, autant par la transformation des techniques que par le dveloppement des lois. Or l'anthropologie, qui depuis long-temps a rejet ces images globales de priodes historiques et aban-

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    donn tous ces critres de classement volutif, maintient encore celui des modes de subsistance, tandis que plus personne aujourd'hui ne serait dispos tracer une distinction entre les peuples sur la base d'une plus ou moins grande moralit ou encore dfendre l'ide d'une volution progressive des terminologies de parent 1.

    Alors pourquoi avoir conserv peu prs intacts les critres de la

    technologie et du mode de subsistance, quand on liminait par ailleurs tout le reste ?

    Pas simplement parce que ces critres sont videmment plus fa-

    ciles mesurer et donc moins contestables que les mrites relatifs de tel ou tel systme de moralit, puisque l'anthropologie, mme la plus matrialiste, a progressivement mais depuis fort longtemps dj com-pris que la production tait elle-mme un produit social et que c'tait donc au sein des relations sociales qu'il lui faudrait chercher les expli-cations ce qu'elle a toujours voulu comprendre. Il y a plus.

    D'une part, on ne peut minimiser l'influence profonde de l'archo-

    logie qui a toujours t, du fait de ses mthodes d'enqute, passionne de techniques et qui au sicle dernier dominait trs largement l'ethno-graphie, encore aux mains d'explorateurs, de missionnaires ou d'offi-ciers coloniaux, dont les rapports servaient avant tout vrifier les schmes volutifs labors d'abord par les archologues. Les nations de stades volutifs, d'ges et de rvolution nolithique ont pratique-ment toutes t construites partir de constats sur les techniques et les modes de subsistance.

    1 Sauf peut-tre A. Testart dans sa discussion de l'volution des clans matrili-

    naires du communisme primitif. D'ailleurs, certaines formules de l'auteur adoptent un ton qui rappelle le XIXe sicle : Dans une socit o l'homme ne transforme pas la nature, o le travail prend un aspect naturel, la socit est pense comme un simple Prolongement de la nature, le social ne peut s'oppo-ser au naturel (1985 : 217) ; ou encore, en parlant des forces productives : Dans le communisme primitif, elles restent compltement enfouies, encha-nes dans le trfonds du possible non actualis (idem : 158).

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 30

    D'autre part, il y a sans doute aussi l'influence d'une idologie in-

    dustrielle mergente qui russit, principalement au XIXe sicle, pos-tuler le statut autonome de l'conomie et son rection au titre d'ultime dterminant social et culturel. L'argument est dj trs connu et n'a pas besoin d'tre repris. Le capitalisme industriel et sa critique socia-liste affirmaient l'importance tout fait dterminante du dveloppe-ment des forces productives, garantie d'un accroissement de la produc-tivit et condition essentielle au progrs et au bonheur ; malgr le con-traste radical de leurs programmes politiques et de leurs objectifs, ca-pitalisme et socialisme voulaient s'emparer d'une mme machine produire. Plus modeste, l'anthropologie des socits de chasseurs-cueilleurs pouvait difficilement prtendre que tous se trompaient, que tout cela n'tait que secondaire, et on a donc continu prtendre que le mode de subsistance avait son importance.

    Il serait cependant trop simple de se limiter l'hritage du sicle

    dernier, car la notion est en fait beaucoup plus ancienne. De la Renais-sance au sicle des Lumires, Dieu commence son agonie et l'homme qui s'en dtache cherche se resituer dans la nature. Rien ne semble plus ternel, l'ordre du monde comme celui de la socit paraissent moins que jamais immuables et leurs transformations passent dsor-mais par un contrle de plus en plus assur de la nature. Et la domina-tion de la nature devint ainsi le critre universel d'valuation des civi-lisations, ce qui ds lors accordait un tout premier plan aux modes de subsistance. En 1750, Turgot disait dj l'unit des chasseurs-cueilleurs : Nous avons trouv les petites nations qui vivent de chasse au mme point, avec les mmes arts, les mmes armes, les mmes moeurs (Claire et Hussard 1966 : 646). En 1795, dans son Esquisse d'un tableau historique des progrs de l'esprit humain, Con-dorcet identifiait une premire poque o domine la chasse, la-quelle il oppose une seconde marque par la domestication (1981 : 20-27). Il faudrait ajouter aussi les noms de Buffon, Vico, Smith, Comte, et bien d'autres encore qui, au XVIlle sicle, ont construit l'es-sentiel de la thorie des stades volutifs dfinis par des modes spci-

  • Bernard Arcand, Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs (1988) 31

    fiques de subsistance et qui est demeure depuis peu prs inchange. Il faudrait bien sr remonter encore plus loin dans le temps, comme cette classification par J. de Acosta qui, en 1589, soit quatre sicles avant Julian Steward, distinguait dj les peuples autochtones de l'Amrique du Sud en trois types volutifs, dont le plus simple tait la bande nomade des chasseurs-cueilleurs (Menget 1985 : 190-191). Et ainsi de suite, probablement jusqu' Hrodote. La tradition est cer-tainement lourde.

    Sous-jacent ce trs vieil hritage, on peut galement dceler une

    manoeuvre d'un tout autre ordre. Classer les socits selon leur mode de subsistance rpond un vieux problme philosophique, comme le suggrait Lvi-Strauss, en assurant aussi qu'il y aura toujours entre les chasseurs-cueilleurs et nous une distance maximale. En effet, rien n'est plus diffrent d'une hache de pierre qu'un micro-processeur. Tandis qu'une classification sur la base des rapports sociaux et poli-tiques (puisque C'est vers cela que nous dirigent les efforts typolo-giques de Woodburn et Testart) risquerait de nous rapprocher davan-tage. Bien qu'il serait risqu de prdire les rsultats d'un classement des socits sur la base des rapports politiques entre ans et cadets, ou entre les sexes, ou encore d'imaginer une typologie universelle ba-se sur la notion d'alination politique ou culturelle, on imagine nanmoins facilement qu'on obtiendrait par l de nouveaux arrange-ments, similitudes et contrastes, qui diraient qu' bien des gards nous sommes plus proches de certaines socits de chasseurs-cueilleurs et fort diffrents de certaines autres. Bref, il n'y aurait plus cette mme distanciation uniforme.

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    Conclusion

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    Avant de poursuivre et conclure, ouvrons une brve parenthse

    dans l'espoir d'viter quelques malentendus probables. D'abord, il de-vrait tre vident que cette critique ne vise pas du tout l'ensemble du matrialisme historique, dont les applications en anthropologie dpas-sent largement notre propos. Ensuite, cette critique du caractre eth-nocentrique de la notion de socit de chasseurs-cueilleurs et de la typologie qui la sous-tend n'implique nullement qu'il faille abandon-ner tout effort de classement des socits humaines. Au contraire, l'an-thropologie a dj explor et doit continuer explorer toutes les typo-logies alternatives, car il lui faut toujours ultimement refuser de s'en-fermer dans un relativisme qui deviendrait vite une forme d'autisme culturel ou ce que Sperber (1982 : 83) appelait un apartheid cogni-tif. On pourrait mme consciemment construire des typologies sur la base totalement ethnocentrique des intrts passagers de la mode in-tellectuelle, pourvu qu'elles soient ensuite soumises une vrification rigoureuse. Bref, on ne saurait dduire de cette critique que toute ty-pologie est inutile et que l'ethnocentrisme est invitable. Au contraire, nous voulons pour l'instant discuter un cas trs particulier d'ethnocen-trisme dans l'espoir de le voir un jour corrig. Et s'il doit y avoir une suite ce travail, il faudra y suggrer l'examen d'une typologie fonde sur les rapports de pouvoir, c'est--dire un nouveau mode de classe-ment qui poursuivrait les travaux de Testart et Woodburn en prenant son dpart au point o ils nous ont men et l prcisment o leurs typologies nous font dfaut. Il n'est donc pas question ici d'insinuer que toute ou n'importe quelle typologie est galement bonne ou fausse.

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    Cette lourde parenthse referme, revenons au thme central de notre argument. Ce qui nous intresse c'est seulement de constater, d'une part, la force de la rsistance aux typologies alternatives 2, et surtout, d'autre part, de prendre conscience qu'aucun autre schme classificatoire n'a connu en anthropologie l'impact et la durabilit de la division simple du monde en socits de chasseurs, socits d'agricul-teurs et socits industrielles.

    Malgr la contradiction flagrante des informations ethnographiques

    et malgr l'impuissance analytique du concept, on continue parler de socit de chasseurs-cueilleurs. L'obsession est telle qu'on arrive croire qu'il est des chasseurs-cueilleurs comme de l'hystrie et de la pense sauvage. Des choses honnies et menaantes qu'il serait prf-rable de tenir loignes.

    D'abord, peut-tre, parce que les chasseurs-cueilleurs ont souvent

    pos un problme particulier aux efforts de colonisation. Turgot disait dj que ...au Prou, o la nature a plac une espce de moutons ap-pels Ilamas, il s'est form des pasteurs ; et c'est vraisemblablement la raison qui fait que cette partie de l'Amrique a t police plus ais-ment (Daire et Hussard, 1966 : 629-630). Il faudrait retracer l'his-toire de l'expansion coloniale pour mieux comprendre que les chas-seurs-cueilleurs ont souvent fait problme et combien les colonisa-teurs europens se sont partout plaints des difficults propres la sai-sie et la domination de peuples nomades qui leur semblaient tou-jours n'avoir rien perdre. Il faudrait aussi explorer la conscience de la colonisation europenne et mesurer, si l'extermination totale de l'autre est un chec, quel point les chasseurs-cueilleurs ont t g-nants.

    2 Il serait sans doute pertinent de montrer comment l'interminable dbat entre

    relativisme et universalisme se rsume trs souvent vouloir dcider s'il est ou non impoli d'admettre et d'affirmer la Supriorit de l'Occident. Des typo-logies diffrentes poseraient la question autrement et permettraient peut-tre de dpasser ce dbat strile qui informe moins sur la socit occidentale que sur les tats d'me de certains de ses porte-parole.

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    Les chasseurs-cueilleurs paraissent menaants aussi parce que

    (comme si les intuitions de Sahlins et de Clastres avaient toujours t justes 3), si on venait dmontrer que l'cart qui nous spare n'est qu'une illusion, on en arriverait bientt se convaincre aussi qu'il est possible de bien vivre sans trop travailler, que la proprit peut tre ni prive ni publique mais non existante, et que la vie exige une attitude zen. Ce sont l des ides qui paraissent videmment dangereuses et absurdes l'idologie bourgeoise, comme l'anthropologie. Pire en-core, on ne saurait plus par quoi remplacer Dieu, ni comment justifier le progrs constant de notre exploitation de la nature.

    Il faut donc repousser le Plus loin possible tous ces chasseurs-

    cueilleurs et s'en servir comme contraste. Pourtant, l'ethnographie nous a toujours dit qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiter, puisqu'ils n'existent pas. Et c'est pourquoi il fallait d'abord les inventer.

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    3 Il serait superflu d'insister sur le fait que les thses dfendues par Sahlins et

    Clastres, bien qu'elles en modifient la nature, maintiennent le rapport entre Nous et les chasseurs-cueilleurs-nomades-primitifs-etc. Certes, la misre, l'abondance, la libert et l'alination changent de place, mais l'opposition de-meure intacte.

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    RSUM / ABSTRACT

    Il n'y a jamais eu de socit de chasseurs-cueilleurs

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    Les tudes rcentes des socits de chasseurs-cueilleurs confirment

    que la catgorie est incohrente et inutile pour une analyse anthropo-logique et que le critre fondamental du classement des socits hu-maines selon leur mode de subsistance tmoigne d'un ethnocentrisme profond et durable qui a besoin d'offrir un contraste lgitimant notre propre volution.

    There Has Never Been a Hunting and Gathering Society

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    Recent studies of societies of hunter-gatherers confirm that the ca-tegory is not coherent nor useful for anthropological analysis and that the fundamental criterion of rating human societies according to their mode of subsistance testifies to a deep and lasting ethnocentrism which requires a justifying contrast for our own development.

    Bernard Arcand Dpartement d'anthropologie Universit Laval Sainte-Foy (Qubec) Canada G1K 7P4