IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE RÉSERVÉS A L'AUTEUR.

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 20 EXEMPLAIRES SUR PAPIER PUR FIL DES PAPETERIES LAFUMA, A VOIRON, NUMÉROTÉS DE 1 à 20,

RÉSERVÉS A L'AUTEUR.

MADEMOISELLE AÏSSÉ

DU MÊME AUTEUR, A LA MÊME LIBRAIRIE

LE PÈRE BUGEAUD (1784-1849).

MAURICE ANDRIEUX

MADEMOISELLE AÏSSÉ

Elle laisse, au seuil du XVIII siècle, un de ces tendres souvenirs dont le cœur humain fait ses légendes.

E. et J. DE GONCOURT.

Paris LIBRAIRIE PLON

LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT

Imprimeurs-Éditeurs -8, rue Garancière, 6

Copyright 1952 by Librairie Plon. Droits de traduction et de reproduction réservés

pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.

A RAYMOND DUMAY

AVANT-PROPOS

C'est vers le milieu du XIX siècle qu'un article devenu célèbre de Sainte-Beuve a ajouté un couple nouveau à la Légende dorée des martyrs de l'amour. M Aïssé, princesse d'Orient et le chevalier d'Aydie, gentilhomme périgourdin ont alors pris place, sur la réputation de leurs malheurs, aux côtés de Titus et de Bérénice, d'Héloïse et d'Abélard, de Roméo et de Juliette.

Leurs contemporains ne les avaient point placés si haut, mais les âmes sensibles ont ratifié le jugement du critique des Lundis; toute une littérature est venue parer de belles images l'aventure sentimentale de la princesse et du che- valier et l'histoire des cœurs s'est enrichie d'un épisode romanesque qui demeure l'un des plus touchants que nous connaissions.

« C'est un des romans les mieux faits, les plus complets, a écrit André Bellessort, que la vie nous ait fourni. Les autres laissent encore aux romanciers des incidents à ima- giner, des détails à corriger, des personnages à créer. Ici rien de semblable. Tout se tient, action, personnages, aven- tures. » Et tout se tient par une sorte de miracle et même de paradoxe, puisqu'on ne connaît, ou plutôt qu'on ne devine, l'histoire des deux amants qu'à travers des propos indirects, des allusions, des reflets : de toute la corres- pondance qu'ils échangèrent, sans nul doute, car ils vécu- rent longtemps séparés, quatre lettres seulement nous sont parvenues, dont la chronologie est incertaine' et dont

1. Revue des Deux Mondes, 15 janvier 1846.

l'authenticité même pourrait être suspectée, puisque nous n'en connaissons que des copies.

Tout ce qu'on sait de cette liaison, qui dura treize ans, on le découvre dans les Lettres d'Aïssé à M Calandrini. Mais ces lettres sont discrètes, réticentes et comme rete- nues par la modestie et la pudeur. On ne s'instruit de l'aventure que par un jeu continu de la recherche. Mais cette aventure ainsi voilée devient plus délicate et plus touchante; la compassion qu'elle éveille se fait plus intime, plus amicale.

Cependant, elle se déroule au temps de la Régence, c'est-à- dire au temps du libertinage le plus débridé. Elle nous présente ainsi, au cœur de cette époque d'extrême relâ- chement des mœurs, une oasis inattendue de pureté et de fraîcheur et elle reçoit, de ce contraste, un indéniable complément d'attrait et de sympathie.

La profusion même des éléments poétiques qui entourent et parent ce roman d'amour triste était propre à emporter les esprits imaginatifs à des jugements aventurés; des essayistes, des romanciers et des poètes ont tissé l'auréole de légende qui nimbe les figures d'Aïssé et du chevalier. Mais il est bien rare que la légende ne déforme pas les personnages et l'histoire des deux amants paraîtrait peut-être un peu moins lyrique si on la dégageait de ses enluminures.

C'est dans cet esprit qu'il ne nous a pas paru inutile de faire de leurs amours une nouvelle étude guidée par une curiosité plus exigeante et un nouveau récit où la fiction n'aurait point de part.

Sans nourrir l'illusoire prétention de réformer les verdicts populaires qui qualifient les héros et consacrent les saints, nous pensons pouvoir montrer que si Aïssé ressemble en tous points à la réputation charmante qu'elle a laissée, son « tendre chevalier », par contre, est parfaitement indi-

gne de la gloire dont une littérature trop indulgente l'a gratifié.

Cette constatation n'affecte d'ailleurs, en aucune ma- nière, le sens profond et douloureux d'une aventure des cœurs justement célèbre. Commencée en conte galant, tour- nant ensuite au drame janséniste le plus noir, qu'elle finisse en une sorte de roman bourgeois mélancolique et cruel, cela ne lui ôte aucune de ses pathétiques résonances. Elle demeure de celles où les amoureux de tous les siècles fixent valablement leurs lieux spirituels de pèlerinage.

PREMIÈRE PARTIE

CONTE GALANT

Hier, des Arméniens menèrent au sérail une jeune esclave de Circassie qu'ils voulaient vendre.

MONTESQUIEU. Lettres Persanes.

Cette aventure débute de la manière d'un chapitre des Mille et une Nuits; elle évoque, dans son principe, l'atmo- sphère des Lettres Persanes ou des Contes de Voltaire. Mais le cadre où elle déroule sa première scène ne relève pas de l'Orient de légende, de fantaisie et, parfois, de paco- tille, où les faiseurs de contes galants du XVIII siècle ont situé leurs récits; il est bien autrement authentique, puis- que c'est au pied même de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople, qu'un jour du printemps de l'année 1698, le baron Charles de Ferriol 1 baron d'Argental, conseiller du roi en ses conseils, rencontra la petite Aïssé et que se nouèrent leurs destins.

Il se promenait en ce lieu, en grand appareil, selon sa coutume — car il aimait exagérément le faste — à la recherche de ces objets d'Orient, dont il était collection- neur passionné et dont il contribuera à imposer la mode en France, une mode qui sera durable puisqu'elle marque encore profondément de son influence la décoration de nos logis, mais qui fut si despotique au temps de la Régence, que les hôtels de la rue Saint-Honoré ou du Marais sem- blaient alors être le centre de quelque univers exotique.

L'intérêt de M. de Ferriol ne se limitait pas aux tapis turcs ou persans, aux bijoux et aux armes damasquinés, aux étoffes brodées et tissées d'arabesques; il n'était

1. Un étrange « dictamen » de la conscience publique, lui donnait déjà, en raison de la magnificence et de la singularité de sa vie, le titre de mar- quis, auquel il n'avait aucun droit. C'est cependant ainsi que le désignent la plupart de ses contemporains.

insensible à aucune forme de l'art oriental et on disait que son palais s'égayait d'un véritable sérail, peuplé de belles filles dont l'âge n'avait point encore appesanti les formes. Aussi ne dédaignait-il pas de jeter un coup d'œil à l'étal des marchands d'esclaves; c'est dans un tel groupe qu'il découvrit cette petite fille de quatre ans qui deviendra Aïssé quand les usages français auront déformé son nom et qui n'était encore qu'Haydée par une étrange quasi- homonymie avec le gentilhomme périgourdin qui sera plus tard son amour, son tourment et la cause de son trépas.

La petite Haydée avait été capturée dans cette région de Tiflis où les pourvoyeurs de harems se sont tradition- nellement approvisionnés au cours des siècles. Les soldats turcs qui l'offraient aux amateurs racontaient qu'elle avait été recueillie dans les ruines d'un palais fumant, échappée par miracle au massacre de sa famille entière. Ils la di- saient princesse et même de sang royal. Corroborant ces dires, les serviteurs qui l'accompagnaient donnaient à l'en- fant des marques singulières de respect et de soumission; même ils ne lui parlaient, dit-on, qu'à genoux. Pour empha- tiques qu'aient toujours été les formes de la déférence orientale, on peut déceler, dans cette outrance, quelque indice de supercherie. Cependant la petite fille avait, paraît-il, conservé le vague souvenir d'une enfance entourée d'hommages et de pompeuses magnificences. On peut tout de même craindre qu'une habile mise en scène n'ait tendu. à donner un surcroît d'intérêt à la marchandise offerte pour justifier le prix élevé qu'on en demandait : quinze cents livres. Ce prix n'arrêta point M. de Ferriol qu'avaient séduit l'agréable figure de l'enfant et le romanesque de son aven- ture.

Quels furent, dans l'instant où il fit compter par ses serviteurs le prix de la petite esclave, les desseins du puis- sant seigneur français? Peut-être suffira-t-il de connaître un peu l'homme qu'il était pour être aussitôt mis en méfiance à l'égard de l'honnêteté de ses vues lointaines.

Bien que M. de Ferriol n'eût pas encore, à cette époque, réalisé entièrement le personnage extravagant dont il devait — un grain de folie aidant — laisser le souvenir à l'histoire, les singularités de son caractère et de sa vie lui avaient déjà assuré une renommée qui, pour n'être pas du meilleur aloi à tous les yeux, s'étendait loin et parlait fort. Il était, à vrai dire, de ces personnes à qui il est diffi- cile de passer inaperçues. Ce n'était pas, à proprement parler, un aventurier, bien qu'il ait été dépourvu de grands scrupules. Ce n'était pas non plus un méchant homme et Aïssé lui a rendu, à cet égard, Un hommage qui a son prix 1 Mais il avait la tête chaude, et ses emportements le menaient fort loin : il semble que le comte de Flassan ait fait montre d'une exorbitante mansuétude en le jugeant seulement « un militaire un peu trop emporté ». A la vérité, il manquait de pondération à un point extraordi- naire.

Il avait débuté à dix-neuf ans dans le métier des armes : engagé dans les mousquetaires du duc de Beaufort, il avait participé avec honneur à l'expédition qui avait dis- puté aux Turcs l'île de Candie. Dans cette campagne, il avait eu comme compagnon d'armes ce Noël Bouton de Chamilly à qui furent adressées par Marianna Alcaforado, qu'il avait séduite et abandonnée les bouleversantes plaintes d'amour que sont les Lettres de la Religieuse portu- gaise. On devait signaler cette rencontre fortuite des deux

1. « Pour parler de la vie que je mène et dont vous avez la bonté de me demander des détails, je vous dirai que la maîtresse de cette maison est bien plus difficile à vivre que le pauvre ambassadeur. » (Lettres de M Aïssé à Mme Calandrini, édition revue et annotée par J. Ravenel, Paris, Gerdes et Lecou, 1846, Lettre XIV, octobre 1728.)

2. Histoire de la Diplomatie, t. IV, p. 175. 3. Saint-Simon ne le dépeint pas du tout comme un séducteur : « C'était

un grand et gros homme, dit-il, le meilleur homme du monde, le plus brave et le plus plein d'honneur, mais si bête et si lourd. »

hommes qui furent mêlés à l'éclosion des correspondances amoureuses les plus fameuses de leur siècle. Ces corres- pondances n'ont, du reste, de commun que leur célébrité; elles sont de ton très différent et les destins de leurs deux héroïnes furent bien dissemblables, puisque la religieuse portugaise vécut jusqu'à quatre-vingt-trois ans dans la paix de son couvent, alors qu'Aïssé, dont les cris avaient été moins frénétiques, mourut, jeune encore, de son amour.

Pour n'avoir pas eu personnellement d'aventures de la même qualité littéraire que celle de Chamilly, M. de Ferriol n'en mena pas moins une vie sentimentale fort agitée; l'une de ses affaires amoureuses eut une suite par- ticulièrement malencontreuse, puisqu'il dut abandonner l'armée pour s'être laissé surprendre en conversation galante avec la maîtresse du capitaine de Maupertuis, dans la propre maison de celui-ci. Il exerça alors dans toute l'Eu- rope une activité fantasque et souvent brouillonne, sur laquelle on est incomplètement renseigné et qu'un contem- porain résumera, sans l'éclaircir, en disant : « Ferriol a longtemps voyagé en Pologne, en Hongrie, en Turquie et il s'y est mêlé à beaucoup d'affaires. » On peut penser que ces « affaires » furent souvent analogues à celles « qui ne se pouvaient révéler sans crime et sans péril », auxquelles fut initié, à la même époque, le fameux comte de Bonne- val, dont la vie fut, comme celle du marquis de Ferriol, aventureuse et romanesque. Les deux personnages pré- sentent d'ailleurs nombre de similitudes; leur extrême vivacité et leur insolente crânerie compliquaient égale- ment leurs missions; ils aimaient, a-t-on dit, tous les deux beaucoup trop à se battre pour être de « véritables géné- raux »! Ils avaient enfin, pour l'Orient, un goût commun que Bonneval poussa jusqu'à se faire Turc et même jus- qu'à finir pacha à trois queues.

Dans ces activités si disparates, toujours mêlées de vio- lents orages, de duels et de tapageuses amours, Ferriol avait fini par acquérir une grande expérience des hommes et une connaissance approfondie des imbroglios politiques

de toute une partie de l'Europe. Il était devenu, de la sorte, une manière de spécialiste; comme il avait, en même temps, fait montre d'intelligence, d'audace et de courage, sa réputation s'était établie dans les cercles consulaires. Il s'était aussi fait des relations utiles et avait été pris en amitié (pour ne pas dire plus) par la femme de l'ambas- sadeur de France à Varsovie, M de Béthune. C'est par l'effet de sa protection qu'il fut introduit dans des affaires plus sérieuses; il fut chargé, par l'ambassadeur, de missions diverses, qui relevaient parfois d'une certaine diplomatie latérale et en quelque sorte occulte, mais qui touchaient surtout à des opérations militaires. Elles le conduisirent finalement, par un étrange concours de cir- constances et d'intrigues, à commander une armée turque contre les Impériaux. Devenu ainsi général en brûlant tous les grades intermédiaires, il fut battu à plate couture par le prince Eugène. Mais il ne fut pas disgracié pour autant, et ses services, déjà grassement payés par les Turcs, ne furent pas indifférents au roi Louis XIV, qui le pen- sionna de mille écus et le fit désigner pour négocier les préliminaires de la paix que sa propre défaite avait impo- sée. C'est à quoi il était justement occupé au printemps de 1698, lorsqu'il découvrit la petite esclave circassienne dans les bazars de Stamboul.

Sa mission menée à bien, M. de Ferriol dut quitter Constantinople où il espérait bien revenir sans tarder; il nourrissait en effet l'ambition de remplacer l'ambassadeur de France auprès de la Porte, le comte de Chateauneuf, avec lequel il avait eu des démêlés orageux et qu'il comptait bien discréditer durant son séjour à Versailles. Son départ s'effectua, en grande pompe, le 22 juin 1698. Sous le couvert des franchises diplomatiques, il emportait de nom- breuses caisses renfermant ses collections de meubles, de tapis, d'étoffes précieuses, de bijoux et de bibelots. Au

mépris des lois du pays qui interdisaient sévèrement les exportations de cette nature 1 il emmenait avec lui la petite Haydée.

Quelles pouvaient être ses intentions à l'égard de l'en- fant? Nombre d'hypothèses sont encore plausibles dans cet instant. Il n'en est qu'une qu'on doive déjà abandon- ner; c'est qu'il ait acheté la fillette parce qu'il la jugeait digne du harem du Padischa et dans le dessein de la lui offrir. Mais il se peut encore qu'il n'ait considéré la petite esclave que comme un bibelot tout semblable aux autres, comme une « curiosité » du pays qu'il quitte, comme un souvenir qu'il en emporte. Peut-être même songe-t-il à en faire présent à quelqu'un de ses amis qui préférera ce cadeau animé à un tapis ou à un meuble. Sans que ce geste ait jamais été de pratique très courante, le « marquis» ne serait pas le premier voyageur lointain qui eût disposé de cette manière d'une captive ou d'une esclave achetée. Les Croi- sés avaient donné, à cet égard, des exemples qui n'étaient pas encore oubliés. D'ailleurs, M. de Ferriol lui-même n'en avait pas usé différemment avec une autre petite Cir- cassienne, Julistanne, fille du pacha de Mehausel, qui lui avait été remise par le chevalier de Lauzun et qu'il avait pareillement ramenée en France en 1686. Cette jeune per- sonne, connue dans la société parisienne sous le sobriquet de « la Turquesse » fut épousée, dans la suite, par le comte de Beautru-Nogent. Et même, si l'on devait en croire cet impénitent bavard que fut l'avocat Barbier, M. de Ferriol aurait ramené à Paris, en même temps que Julistanne, une autre petite esclave dont le destin ultérieur nous est demeuré inconnu 2

1. Le grand-père de la future reine de France, Raphaël Leckzinski, s'était vu confisquer deux jeunes femmes qu'il avait achetées et à qui il tentait de faire passer la frontière.

2. Journal de l'avocat Barbier, avril 1732, p. 578-579 : « C'est une petite allusion sur ce que M. de Ferriol ambassadeur à Constantinople, ramena ici deux esclaves très belles. Il en garda une pour lui; le comte de Nogent qui, peut-être était son ami, prit l'autre. Non seulement il l'a gardée, mais,

En tout cas, il ne donnera Aïssé à aucun de ses amis et nous voyons ainsi le champ des suppositions se rétrécir dangereusement. D'autant que le « marquis » était un peu trop imprégné des mœurs orientales et qu'il était, pour tout dire, devenu un peu trop Turc pour qu'on puisse lui prêter des intentions parfaitement pures. Peut-on cepen- dant admettre que, pris de pitié pour l'enfant et séduit par sa grâce, il ait conçu, sans arrière-pensée, le noble dessein de l'arracher à sa condition? Il est hélas! bien improbable que cet habitué des bazars d'esclaves, posses- seur lui-même d'un harem, ait éprouvé ces sentiments insolites.

Tout en lui laissant encore si l'on veut, et de manière provisoire, le bénéfice du doute, il convient de prendre conscience des immorales réalités de la conjoncture. Quand il reçoit la petite Haydée des mains de ses ravisseurs, le baron de Ferriol a dépassé la cinquantaine. Ses conquêtes féminines ne se comptent plus, mais son goût pour ces sortes d'aventures n'est pas émoussé. Cependant, il sait bien que le temps inexorable l'éloignera, quelque jour, de la vie brillante et piaffante où se donnent libre cours ses appétits de jouissance et sa paillardise; et il n'ignore pas que sa retraite, comme l'âge qui l'aura rendue inéluctable, lui ôteront ses meilleurs moyens de séduction. Il se trouve qu'il n'est pas homme à faire, du souvenir des jours heu- reux, le bonheur de sa vie, ainsi que le recommande la maxime épicurienne de Plutarque. Alors il songe peut-être que cette petite esclave circassienne, devenue femme et devenue belle — et qui lui devra tout — pourra être à la fois l'évocatrice de son passé et la remplaçante de toutes ces femmes d'Orient qu'il a aimées. Déjà sans doute a-t-il pour Haydée les sentiments qu'avait Arnolphe pour Agnès :

il l'a épousée et c'est d'elle que vient la fille à marier qui a fait le sujet de la dispute. »

Ce propos de Barbier ne peut viser Aïssé elle-même. S'il en était ainsi, il aurait commis, sur la date de sa venue en France, une erreur de douze années et une aussi lourde confusion paraît bien invraisemblable.

Un air doux et posé, parmi d'autres enfants M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans.

M. de Ferriol n'a-t-il pas été comme Arnolphe et selon l'expression d'André Bellessort « un prévoyant de l'ave- nir »? Force nous est bien de reconnaître que les aventures amoureuses de ces deux barbons présentent un paral- lélisme singulier et bien inquiétant.

Le vaisseau du roi qui ramenait en France M. de Fer- riol et ses précieuses collections aborda à Marseille le 20 août 1698. Prenant tout aussitôt aux yeux de sa famille la qualité provisoire de père adoptif et décidé à transformer la. petite esclave en fille de bonne maison, le « marquis » la fit incontinent baptiser. Ce n'était peut-être pas indispen- sable, puisque rien ne prouvait qu'elle eût déjà reçu la loi de Mahomet, laquelle ne s'était introduite en Circas- sie qu'à la faveur des invasions turques et n'y était encore que peu répandue. Mais M. de Ferriol ne s'embarrassa aucunement de ces scrupules et même il mit, à faire célé- brer le baptême de sa pupille, une hâte qui nous le fait apparaître, de façon assez inattendue, comme un très zélé propagateur de la foi. Il fut le parrain de l'enfant et la sénéchale de la Ferrière, accourue au-devant de son parent, arriva juste à point à Lyon pour être marraine. La fillette reçut, avec l'eau sainte, les prénoms de Charlotte et d'Éli- sabeth, dont elle ne devait faire aucun usage; on leur ajouta celui d'Aïssé, tout semblable à celui qui était déjà le sien, mais adouci et approprié à la prononciation française

1. André Bellessort. XVIII siècle et Romantisme, Arthème Fayard, 1942, p. 97.

2. Certains biographes de M Aïssé ont émis l'idée que son véritable nom avait été Aïshé, dont la transformation en Aïssé n'aurait été qu'une transposition infime et purement orthographique. C'est oublier que le nom d'Aïsché (Aïscha dans la prononciation arabe) est un nom arabe, alors que celui d'Aïdée est un nom purement circassien. D'ailleurs, le Marquis de Ferriol a dit expressément que c'est bien au nom d'Haïdée que répondait

Aïssé elle restera; nul ne la nommera autrement, sauf le curé de Saint-Eustache qui l'inscrira sous le nom d'Haydée dans l'acte de baptême de Charles de Ferriol.

Dès son arrivée à Paris et pour qu'elle reçoive une édu- cation française dans un milieu familial, le « marquis » confia la fillette à son frère et à sa belle-sœur, Augustin et Angélique de Ferriol, qui habitaient encore rue des Fossés-Montmartre, mais qui devaient s'installer, peu après, dans un bel hôtel d'allure aristocratique de la rue Neuve- Saint-Augustin, construit à l'emplacement du n° 24 de l'actuelle rue Saint-Augustin. C'était alors un quartier nou- veau que le voisinage du Palais-Royal et l'aplanissement de la butte Saint-Roch venaient de mettre à la mode. Moins peuplé que le Marais ou la rue Saint-Honoré, il était tout aussi élégant et beaucoup plus luxueux en rai- son des grands jardins et des vastes espaces boisés qui l'agrémentaient.

L'hôtel portait le nom des Ferriol et le « marquis » en était propriétaire; malgré la magnificence dispendieuse de sa vie, il possédait à ce moment, une belle fortune, ayant su, dans ses aventures guerrières, prendre sa part du butin, ce qui était alors parfaitement admis et même recommandé. Il s'était certainement conformé de bonne grâce aux usages reçus en cette matière et tout porte à croire qu'il ne mérita jamais les reproches que les femmes tartares adressaient à leurs maris quand ils revenaient les mains vides de la guerre : « Tu n'es pas un guerrier puisque tu ne m'as rien apporté, car celui-là seul s'enrichit qui ne craint pas de marcher en avant »

Introduite dans une société qui se mit tout de suite, à son propos, en frais d ' en thous iasme la petite Aïssé fut

la petite esclave qu'il acheta; il fut transformé en Aïssé par corruption euphonique.

1. Lettre de Sobieski à sa femme après la prise de Vienne, rapportée par Jehan d'Ivray. L'Étrange destin de M Aïssé, Édition de la Nouvelle Revue Critique (1935, p. 54).

2. « Tous ses amis en étaient charmés; il était impossible de connaître cette petite fille sans l'aimer. » (Notice de M Rieu.)

traitée par le ménage Ferriol en enfant de la maison. Cela ne signifie pas qu'elle reçut de lui une éducation familiale; le milieu et le temps ne s'y prêtaient guère. En tout cas Augustin de Ferriol n'exerça sur elle aucune sorte d'in- fluence. C'était un homme timide, effacé et dépourvu d'am- bition; le souci de sa tranquillité personnelle le tenait à l'écart de la plupart des sujets qui ne relevaient pas de son activité professionnelle : « Il est toujours, nous dira Aïssé, dans une indifférence complète. » Au surplus, c'était un homme fort occupé, puisqu'il exerçait simultanément deux charges qui l'appelaient en des lieux tout à la fois très éloignés de Paris et fort distants l'un de l'autre : il était en effet conseiller au Parlement de Metz, dont il devint par la suite président et receveur général des Finances du Dauphiné. C'était, au demeurant, un assez bon homme qui ne se départait de son maintien placide que lorsqu'il trouvait l'occasion d'entrer dans une contro- verse sur le jansénisme : il était, pour son compte, moli- niste convaincu et militant. On ne peut que trouver naturel que cet homme paisible ait eu du goût pour une doctrine consolante qui permettait aux hommes de jouir de la vie et compatissait à leurs faiblesses; mais on demeure surpris qu'il ait pu mettre tant d'ardeur à vitupérer la sévérité janséniste. Car son aversion à l'égard de cette morale implacable qui ne laissait aux hommes, selon l'expression de Montesquieu « que le plaisir de se gratter », le portait à des violences verbales dont son caractère eût dû le tenir éloigné. « Il n'est point indifférent sur les molinistes, nous a dit Aïssé. C'est avec fureur qu'il est passionné sur ce sujet. Il est d'un zèle outré pour eux. Il se met dans de grands emportements quand il trouve quelqu'un qui ne pense pas comme lui. Il est occupé de cela au point de n'en pas dormir. Il sort à huit heures du matin pour faire part de ses réflexions, ou de quelques riens qu'il aura ramassés; c'est à faire mourir de rire 1 » Mais la question

1. Lettre X.

de savoir si la grâce peut s'accorder avec le libre arbitre était bien la seule pour laquelle il fut susceptible de s'en- flammer. Sur tous autres sujets, il retombait dans l'indif- férence et l'effacement qui faisaient le fond de sa nature.

C'est assez dire que le gouvernement de sa maison et de sa famille était entièrement abandonné aux soins de sa femme. On ne peut pas prétendre qu'il se trouvât, de ce fait, placé en de très bonnes mains. M Angélique de Ferriol appartenait, en effet, à cette terrible famille des Tencin, où les qualités d'intrigue, d'ambition et de galan- terie, étaient poussées à un degré qui faisait scandale, dans un temps cependant bien indulgent au dérèglement des mœurs et des esprits. Elle était l'aînée des enfants d'Antoine Guérin de Tencin qui devait mourir en 1705 premier président du sénat de Chambéry. On avait tenté de la pousser vers le cloître, car on aimait bien, dans cette famille, « débarrasser le plancher patrimonial du surcroît d'enfants ». Mais elle avait vivement résisté aux volontés paternelles et on n'avait pu, comme on le fit peu après pour sa sœur Alexandrine, la cloîtrer de force. Elle était de vingt-quatre ans plus jeune que le président de Ferriol son mari, et elle avait à peine atteint sa vingt-cinquième année, lorsque la petite Aïssé fut confiée à ses soins.

Elle menait une existence fort agitée; elle avait une maison importante, de nombreux serviteurs, des toilettes somptueuses; elle fréquentait la Cour et était très répandue dans les salons où on la trouve mêlée à toutes sortes d'intrigues. En bref, c'était une élégante mondaine, turbu- lente et ostentatoire. Il ne faut pas s'étonner qu'elle n'ait pas donné à l'éducation d'Aïssé beaucoup de soin personnel. Ce n'était d'ailleurs pas la mode de ce temps, où la tradi- tion aristocratique mettait entre les parents et les enfants « une barrière pour mettre une distance 1 ». A cette époque, nous ont dit Edmond et Jules de Goncourt « l'âme des enfants ne croît pas sur les genoux des mères. On ne trouve

1. Taine. Origines de la France contemporaine. Ancien Régime.

pas trace, pendant de longues années, d'une éducation maternelle, de ce premier enseignement où les baisers se mêlent aux leçons, où les réponses rient aux demandes qui bégayent1 ».

Les contacts mêmes étaient rares; tout au plus une gou- vernante amenait-elle à sa mère, pour une visite de quel- ques minutes, un enfant muet et tout pénétré de déférence craintive. Le prince de Ligne 2 nous a laissé un croquis fort expressif de ces furtives entrevues :

« Comme vous êtes mise! disait la mère à sa fille, qui lui souhaitait le bonjour. Qu'avez-vous? Vous avez un bien mauvais visage aujourd'hui. Allez mettre du rouge; non, n'en mettez pas, vous ne sortirez pas aujourd'hui. » Puis, se tournant vers une personne qui arrivait : « Comme je l'aime, cette enfant! Viens, baise-moi, ma petite. Mais tu es bien sale; va te nettoyer les dents... Ne me fais pas tes questions à l'ordinaire; tu es réellement insupportable.

— Ah! madame, quelle tendre mère! disait la personne en visite.

— Que voulez-vous, répondait la mère, je suis folle de cette enfant. »

Notons ici que ces usages étaient loin d'être généraux et que, dans la bourgeoisie et dans le peuple, l'enfant était, comme de nos jours, l'objet des soins les plus attentifs et le centre de toute l'activité familiale. Ce trait nous rend sensible la profonde différence des mœurs de ce temps entre les diverses classes de la population. Des différences de même ordre pourraient d'ailleurs être relevées dans beau- coup d'autres habitudes de la vie sociale et sentimentale; elles établiraient que le XVIII siècle, si décrié, n'a mérité son mauvais renom que par la faute d'une partie de sa noblesse parisienne de Cour et de salons. Seulement, les généralisations ont été rendues faciles par le fait que la littérature de l'époque s'est surtout intéressée à cette petite minorité.

1. La Femme au XVIII siècle, Firmin Didot, 1862. 2. Mélanges militaires, littéraires et sentimentaires, Dresde, vol. 20.

Pour ne pas couvrir M de Ferriol d'opprobres immé- rités, redisons qu'elle se conforma simplement aux habi- tudes de son milieu et de son temps et que la première édu- cation de ses propres enfants fut, tout autant que celle d'Aïssé, abandonnée aux femmes de chambre et aux gou- vernantes. Ces personnes, bien intentionnées, mais dépour- vues de toute formation pédagogique, leur racontèrent, selon l'usage, « un nombre infini d'histoires de revenants 1 » et leur donnèrent, par surcroît, quelques notions de caté- chisme et de clavecin. Ce n'est pas à leur école qu'Aïssé apprit à lire; elle était encore illettrée à l'âge de sept ans, ainsi qu'en témoigne l'acte de baptême de Charles de Ferriol dressé le 21 décembre 1700 par le curé de Saint- Eustache et où elle a déclaré « ne savoir signer ». On ne relève donc chez elle aucun indice de particulière préco- cité; elle ne se peut comparer à cet égard, ni à M de Rambouillet, qui disait : « Or ça, grand-maman, parlons d'affaires d'État à présent que j'ai sept ans », ni à ce petit duc d'Angoulême qui, plus tard, mais au même âge, recevra le bailli de Suffren un livre à la main et l'accueil- lera par ce discours : « Je lisais Plutarque et ses hommes illustres; vous ne pouviez arriver plus à propos. »

L'intervention officielle de la fillette au baptême du second fils de M de Ferriol, qui deviendra d'Argental

1. Taine. Origines de la France contemporaine. L'Ancien Régime. 2. Saint-Eustache. Baptêmes. Du mardi 21 décembre 1700 : « Fut bap-

tisé Charles Augustin, né d'hier, fils de Messire Augustin de Ferriol, escuyer, baron d'Argental, Conseiller du Roy au Parlement de Metz, trésorier rece- veur général des finances du Dauphiné et de dame Marie Angélique de Tencin, son épouse, demeurant rue des Fossés-Montmartre. Le parrain Messire Charles de Ferriol, chevalier, Conseiller du Roy en ses Conseils, Ambassadeur de Sa Majesté à la Porte Ottomane, représenté par Antoine de Ferriol, frère du présent baptisé; marraine dame Louise de Bufferant, femme de messire Antoine de Tencin, Chevalier, conseiller du Roy en ses conseils, président à mortier au parlement de Grenoble, cy-devant premier président du Sénat de Chambéry, représenté par demoiselle Charlotte Haydée, lesquels ont déclaré ne savoir signer. Signé : Ferriol, J. Vallin de Sérignan.

3. Le premier étant Antoine, né le 1 octobre 1697, qui deviendra Pont de Veyle. Tous deux devaient tenir une place importante dans la vie litté- raire et mondaine de leur siècle.

nous montre, du moins, qu'elle était déjà considérée comme faisant partie de la famille. On ne peut retenir comme une réserve de quelque importance le fait qu'elle figure sim- plement à l'acte comme représentant la marraine : elle se trouvait, en effet, placée, à cet égard, dans la même position que le fils aîné de la maison. L'intention de la mêler à la vie familiale est évidente. Par là se confirment à la fois, le désir du marquis d'intégrer Aïssé dans sa famille, l'acquiescement du ménage Ferriol à ce dessein et la bonne volonté qu'il apporte à le seconder.

Toujours selon l'usage du temps, Aïssé fut mise au couvent aux alentours de sa septième année. Le couvent qui la reçut et qui assura son éducation fut-il bien celui des Nouvelles Catholiques? Certains l'ont mis en doute pour la raison que les listes des entrées et des sorties de cet établis- sement ne portent aucune trace de la petite Circassienne. Cette constatation n'apporterait quelque incertitude que relativement à la fin du séjour d'Aïssé aux Nouvelles Catholiques; elle ne pose aucun problème au sujet de son début. En effet, le registre des entrées au couvent, qui est déposé aux Archives nationales 1 ne commence qu'à l'année 1700; si le nom d'Aïssé n'y figure pas, c'est sans nul doute pour la très simple raison que son arrivée fut anté- rieure à cette date. Le fait qu'elle n'avait, à ce moment-là, que six ou sept ans, ne fait pas du tout obstacle à cette supposition. Il n'implique même pas, de la part du ménage Ferriol, une hâte excessive à se débarrasser de l'enfant : il n'était nullement inhabituel de placer au couvent des fillettes de cet âge.

Le couvent des Nouvelles Catholiques était installé à l'emplacement actuel du 63 de la rue Sainte-Anne; il était par conséquent très voisin de l'hôtel de Ferriol. Ce serait une raison supplémentaire de supposer que c'est bien à cet établissement que fut confiée l'éducation d'Aïssé. D'ailleurs, aucune hésitation ne semble possible à cet égard, puisque

1. Archives nationales, sect. Histoire, L. L. 1662.

le fait a été confirmé par Aïssé elle-même; de son lit de malade et déjà en proie aux affres de la phtisie qui devait l'emporter peu après, elle a donné ce souvenir à l'une de ses anciennes compagnes : « Je viens de me ressouvenir qu'une religieuse des Nouvelles Catholiques, de mon âge, et pour laquelle j'avais beaucoup d'amitié, est morte de la même maladie 1 ».

Aïssé reçut au couvent une formation inspirée des mé- thodes de M de Maintenon, car Saint-Cyr servait de modèle à toutes les maisons d'éducation de l'époque. Mais ces méthodes avaient été assez vite relâchées, puis corrigées par les usages nouveaux. Aïssé dut être pension- naire des Nouvelles Catholiques pendant une période approximative de dix années. Nous savons, en effet, qu'elle fut admise dans cette maison, soit en 1699, soit au début de l'année suivante et, d'autre part, nous avons les plus sérieuses raisons de supposer qu'elle l'avait quittée en mai 1711, date à laquelle le marquis de Ferriol rentra à Paris, après son ambassade turque. La date exacte de sa sortie du couvent nous est inconnue; les registres de l'éta- blissement n'en font pas mention, sans doute parce qu'elle fut précédée d'une assez longue absence, réputée tout d'abord provisoire et devenue définitive sans déclaration officielle.

Ce que nous savons bien, c'est que ces dix années de séjour au couvent des Nouvelles Catholiques transformèrent la petite Orientale en une jeune fille française accomplie. Elle profita pleinement des exemples et des leçons qui lui furent donnés; dès la seconde année de ses études, elle était classée parmi les élèves les plus intelligentes et les plus appliquées. On note déjà, à ce moment, comme un trait dominant de sa nature, une extrême docilité, et nous devrons tenir compte de cette disposition d'esprit, manifestée dès l'enfance, lorsque nous nous trouverons amenés, pour éclairer certaines circonstances obscures de sa vie, à nous référer à son caractère.

1. Lettre XXXIV.

Sans doute n'est-ce pas aux Nouvelles Catholiques qu'Aïssé acquit la culture délicate dont ses lettres porteront témoignage à chacune de leurs pages; le programme d'étu- des de ces maisons aristocratiques ne pouvait assurer aux élèves les mieux douées que des connaissances superficielles et fragmentaires. Jules Lemaître, qui s'est amusé à faire le relevé des heures de travail pour une journée au couvent de l'Abbaye-au-Bois y a trouvé « deux heures pour l'écri- ture, le calcul, le dessin, la musique, le clavecin et la harpe. D'algèbre, de chimie, de physique ou de zoologie, pas la moindre trace 1 ». Encore ce joli programme n'est-il pas appliqué tous les jours; sans parler des autres occa- sions de vacances, toutes les fêtes de l'Église étaient chômées et elles étaient, à cette époque, fort nombreuses. C'est dans les salons de leurs mères, par le commerce avec des gens d'esprit qui les fréquentaient, que les jeunes filles de ce temps recevaient un appréciable complément d'ins- truction. C'est à cette école, sans méthode ni pédagogie, que s'est formé l'esprit d'Aïssé, à cette école « d'où sortiront tant de femmes dont le siècle dira « qu'elles savaient tout « sans avoir rien appris » »

Mais à défaut d'une culture véritable, Aïssé acquit aux Nouvelles Catholiques « des talents analogues à l'état de femme qui doit être dans le monde et y tenir un état ». C'est ainsi que M de Créqui définissait la formation d'une jeune fille de qualité. La connaissance des usages du monde et le développement des qualités nécessaires pour y tenir rang, tel était bien l'objet de ces éducations de couvent « tournées peu à peu uniquement vers le monde et vers tout ce qui forme les grâces et les charmes de la femme pour la société 3 ».

Ces écoles de vie élégante étaient d'ailleurs largement ouvertes à la vie du monde et même envahies par elle; les sœurs converses y apportaient les bruits de la ville;

1. Les Contemporains, Lecène, Oudin et C 5 série, p. 64. 2. Ed. et J. de Goncourt. La Femme au XVIII siècle, p. 19. 3. Ibidem, p. 18.

certaines pensionnaires qui avaient été mariées à douze ans venaient y attendre le temps de leur nubilité 1 des artistes de l'Opéra y donnaient des leçons de danse; le parloir était envahi de visites; des poètes y venaient réciter leurs vers; il ne se passait rien à la Cour ou à la ville qui n'y fût connu et commenté : « La clôture, ont dit E. et J. de Goncourt n'arrêtait rien des pensées du monde, ni les ambitions, ni les insomnies, ni les fièvres; elle en empê- chait à peine l'expérience. » Et tout cela était au point qu'une pensionnaire de Panthémont, le couvent princier de la rue de Grenelle, pourra écrire un livre Confidences d' une jolie femme où elle révélera une connaissance si pré- cise des mœurs de la Cour, que les personnes qu'elle dépein- dra, sans les connaître, se reconnaîtront si bien qu'elles feront enfermer l'auteur à la Bastille 2

Quelques-uns de ces traits se réfèrent, sans doute, à une époque un peu postérieure au temps du séjour d'Aïssé aux Nouvelles Catholiques. Mais ils restent, dans leur ensemble, applicables à ce temps, où l'esprit du siècle avait envahi les couvents d'une manière que Fénelon avait déjà dénoncée bien auparavant : « Je craindrais, avait-il dit, un couvent mondain encore plus que le monde même. » En tout cas, la devise inscrite au fronton de l'édifice des Nouvelles Catholiques : Vincit mundum fides nostra n'était plus, depuis longtemps, qu'une dérisoire formule, de lettre morte.

Nous sommes donc assurés que, dans la maison même où elle recevait l'éducation appropriée à son rang, Aïssé, devenue jeune fille, eut les yeux ouverts aux réalités de la vie. Mais si quelques-unes de ses compagnes ne les

1. Car les couvents n'étaient pas seulement des maisons d'éducation; ils répondaient, en outre, à nombre de besoins sociaux.

2. Correspondance littéraire, philosophique et critique de Grimm, Paris, 1829, vol. 8.

S. P.

LE PÈRE BUGEAUD 1784 -1849

par

MAURICE ANDRIEUX M. Maurice Andrieux s'est surtout attaché à nous présenter l'homme,

si longtemps discuté et même vilipendé et à en chercher une explication dans sa jeunesse et ses années de formation. L'ouvrage est très fortement documenté.

Mercure de France. Georges MONGRÉDIEN. M. Andrieux connaît le pays et le milieu où son héros fut élevé, et son

originalité a été de nous présenter un Bugeaud, solidement enraciné dans le terroir ancestral, et soucieux, de son enfance à sa mort, d'obtenir des résul- tats tangibles de ses efforts.

Revue de la Pensée française. Jean CANU. M. Maurice Andrieux a retracé avec talent l'histoire de ce soldat intran-

sigeant dans ses principes, parfois hâbleur, souvent rude, qui n'a pas tou- jours répondu à l'idée paternelle d'un soldat-laboureur, mais qui fut, comme le dit son historiographe, un bâtisseur d'Empire.

L'Aurore. P. L. Le Père Bugeaud, M. Maurice Andrieux, a ainsi intitulé sa biographie

loyale, alertement écrite et attrayante par sa belle humeur périgourdine. Monde nouveau. J. D.

L'auteur a su, avec une documentation étendue, refaire de la vie, une vie qui, comme celle de Bugeaud, heurte, bouscule, semble tourbillonner, mais construit... Et le lecteur se laisse prendre à l'élan qui anime ce livre, à l'amour avec lequel il a été écrit.

Vous vous passionnerez pour le secret de cette existence, parce que Mau- rice Andrieux a su nous en révéler l'âme. Oran républicain. R. P. GIRAUDET.

M. Maurice Andrieux vient, avec beaucoup de soin, de nous restituer la figure de ce curieux homme, soldat sans enthousiasme, conquérant de l'Algérie sans la foi, mais terrien passionné et colonisateur incomparable.

Le Figaro littéraire. PLON

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