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MEDIATETE ( A-YOGA) "Nouvel an 2013", horreur absolue des lieux communs imposés par le maternage, des heures bien totalement perdues, négatives énergétiques. Tous les pères se devraient d'être en fuite. Elle, quelque part, lointaine, chante Halleluya mais qui n'est plus, d'ici, de Cohen. Tout est à refaire, et c'est peut être là le seul message de nouvel an, millénariste, désescalade. Quel est le possible d'être seul ? Cette extase où le miroir de l'autre est à l'océan ? Qui parle enfin tout le langage, et plus le maternage ? Là où se tient allumé tout un peuple non- dépendant, solidaire d'obligé en ce juste de la solitude-expansion. Où seuls les quadrants noirs du phare ne divisent plus la nuit ? Où toute sa pensée, d'Elle, vous soutient ? (une année où tout nous tiendrait, même nos absences !, et qui ne serait pas d'un pauvre calendrier, mais Citta, Manas, retour aux sources, sanscrit). Thérèse d'Avila, enfumée ( Ahumada!) plutôt que Romain Rolland, en 1

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MEDIATETE (A-YOGA)

"Nouvel an 2013", horreur absolue des lieux communs imposés par le maternage, des

heures bien totalement perdues, négatives énergétiques. Tous les pères se devraient d'être

en fuite. Elle, quelque part, lointaine, chante Halleluya mais qui n'est plus, d'ici, de Cohen.

Tout est à refaire, et c'est peut être là le seul message de nouvel an, millénariste,

désescalade.

Quel est le possible d'être seul ? Cette extase où le miroir de l'autre est à l'océan ? Qui parle

enfin tout le langage, et plus le maternage ? Là où se tient allumé tout un peuple non-

dépendant, solidaire d'obligé en ce juste de la solitude-expansion. Où seuls les quadrants

noirs du phare ne divisent plus la nuit ?

Où toute sa pensée, d'Elle, vous soutient ? (une année où tout nous tiendrait, même nos

absences !, et qui ne serait pas d'un pauvre calendrier, mais Citta, Manas, retour aux

sources, sanscrit). Thérèse d'Avila, enfumée (Ahumada!) plutôt que Romain Rolland, en

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plein d'emblée, et sans ce labeur pauvre des jours: nécessité mystique, les mots en plein,

tous recrutés, à l'objet.

Merci à la fenêtre du deuxième étage enfin retrouvée après ces très longues heures d'attente

vides. Intérêt pourtant de ce vide d'attente, qui ne sépare pas. Un néant actif, un presque

mourir qui nous laisse libre de jouir sans comprendre de quoi ni comment, dit la sainte.

Des textes qui exigent une halte, de la lecture même, pour consigner l'obstacle atteint,

avant de le traverser peut-être, lui ou l'autre d'un "hier" de même route. Nous marchons

tous dès lors que nous allons contre le père, c'est là la fonction active du symbole, nous

coller enfin au réel, après toutes ces heures de maternage générationnel. Livre des

fondations, pérégrinations, ce monde est bien en feu, de Tsétaïeva en Avila, Chemin de

perfection, avancer dans le monde tout en pénétrant au plus profond de soi, dépasser les

bornes, s'en inquéter encore parfois, s'autoriser à lâcher prise enfin, La Mère divine et non

plus maternante. L'écriture d'extase (Avila) est-elle autre que celle des expériences

psychodysleptiques (Michaux, etc...) ? Tout avait été dit jusqu'ici sans "trucs" aucuns,

uniquement par la concentration dans le voyage-mot; y aurait-il aujourd'hui comme une

bascule avec cette dépendance-induction ("oh, rien de grave, un peu moins d'un biri par

jour, et de l'herbe à pierre une fois par mois peut-être") qui me bascule peut-être dans cette

"dépendance delta" d'habitude et de faible dose contre laquelle longtemps, jeune étudiant,

je mettais en garde mes proches ? De cette modification là, de cet impératif à penser là,

fonctionne-t-on par un autre feuillet de l'esprit, tout est-il stoppé par une multiplicité facile,

et ne faudrait-il pas retourner au grand oeuvre ? Faut-il se contenter de naviguer, lâchant

prise, ou résister au désir de comprendre ? Quel englobement est-il plus nécessaire à ce

retour au réel ? Comment accorder la vibration du ça à celle de l'océan primordial ?

Comment être quasi-soi dans ce geste progressif et tâcheron du mourir ?

Une exaltation unie au martèlement des mots, dit Michaux, dans le lieu même de la

souffrance et de l'idée fixe, et le mal progressivement dissous en est remplacé par une

boule aérienne, alchimie poétique, ravissement, science expérimentale, action sur le corps,

la contemplation en est concomitante de l'examen de ce dernier. Double mouvement

contradictoire encore de rupture et d'adhésion, le pôle de ce double mouvement là est toute

la quête, et il est l'âme sans doute, qui échappe à toute forme, et requiert le recours à toutes

les dimensions du temps.

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Avila, Freud: notre âme est un château avec plusieurs demeures, ces espaces-là sont à

conquérir, dans un acte d'hospitalité envers soi. Les images qui envahissent au passage le

discours sont nécessaires fabrications de fictions, pour donner à comprendre. Certeau.

Famille, sympathique mythologie de poubelles, qui ne sont pas en propre, que l'on

s'espionne. Rétention d'habitudes et compost de voisins humides, invités tolérés, vite

irritants, cultivant par leur autre-social cette place de toujours-même à laquelle quelques

jours, par amusement aussi, ils s'accommodent. Pièces rapportées ne s'y rapportant plus,

chocolats interposés. Grandes plages cachées, volées, comme un peu de musique toujours

inconnue à l'autre généalogique. A l'intrusion, la soeur qui pourtant y devine, le fils qui

pourtant y attend, y atteint. L'ailleurs qui s'accoude au rite qui le conteste, l'autre qui s'y

accroche d'y être, quasi-espion, anti-fan toujours à l'heure de la messe prêchée en tous.

Famille, prêche croisé d'une religion-colle que tous fuient en souriant, en s'y pliant.

Insocial, et dans un temps qui ne s'alignera jamais à celui du trauma, gagner enfin

l'ermitage du soleil. Hermitage est possible. Esparons, 1973 peut-être, et comme une

injustice dans cette communauté que je tentais. Impossibilité de la replantation ad

integrum, car c'est le temps même qui a changé : même si la chair est sauvée la diachronie

constitutive de l'être et de son traumatisme se révèle. Au café parisien : Elle, imagine vivre

en rythme avec un amoureux de la montagne... La diachronie de l'ambassadeur (!) : est

originaire. Un temps de deux n'est jamais clair ; la faucheuse en oublie sa faux...

En Egypte, aux alentours de -1000 (si ce repère de notre muséographie signifie quelque

chose): plusieurs types d'éternités sont encore symbolisables : l'une cyclique, l'autre

linéaire. Des facettes de temps. Des déesses noires, aussi. Un choix d'abords. Et la mort en

un autre monde des vivants, tandis que bientôt la Grèce extériorise et expose la mort avec

la prothésis.

Un sens de l'intuitif (au travers des mots, des exposés, ou des flaques d'eau) qui d'emblée

compensa une intelligence à la vitesse freinée, bridée. Une forme d'évasion en contact au

réel, et autour la nécessité de très longues approches studieuses. Aujourd'hui ne tendrait à

persister que le "direct", de plus en plus utilisé, banalisé ?

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Et ce galbe féminin qui seul touche le monde: quelle accommodation de ces deux modes-là

? Comme autant de plongées pour un possible.

Le seul traitement que je proposai à mon père - et qu'il attendait de moi, à ma surprise -

fut ... la Génésérine ("ça fait rien, ton truc, le lendemain, râlant, douleur). Deux granules

peut-être... Et un soin de drain au décours de la première opération, lors duquel il évacua la

pudeur de mon service trois pièces originel, de ses gestes saccadés sans yeux. Puis des

myoclonies à 90° pré-mortem. Aujourd'hui ce n'est plus du Mécano mais du briquet à

rallumer les demi-bidis que mon pouce se lisse; je me souviens (peu) de des Gitanes, mais

pas de ses briquets. Un cri de la Pierre ? Non, un clic de l'électrique. Je me brûle les doigts

doucement aujourd'hui, combustion plus lente, comprenant.

RECU VACACIONES EDREAMS. Les vacances la tentent, m'insuffisent, par leur

manque d'arrêt, cet arrêt devant le fleuve qui brûle, silencieux, solitaire, une foule entière

rien que pour moi devenu absent grâce à la multitude même où le monde immerge. Et

pourtant je ne peux me résigner à cette absence d'elle, totalité vitale, nécessité, catalyse,

chant. L'ashram serait sans doute le seul compromis, je pourrais l'y attendre. Je m'en

gonfle, du quotidien, hors tes petites trouvailles j'aspire à ce deuxième étage de soleil et de

bruit en bas qui me porte, devant la fumée qui monte, ou bien le fleuve, cette fumée de tous

les restes des hommes où je passe sous tous mes états. Le premier instant du bidi, ou de la

première gorgée de whisky, survient bien maintenant avant même tout effet cybernétique

molécules-récepteurs; ou, si l'on prèfère, en bon thalamique, ils sont activés de façon

réflexe. vers un hypothalamus actif mais connecté au monde-soi est sans doute la tâche

totale de cette évolution à venir que décrit Aurobindo. A la fenêtre ouverte, il pense que le

bidi n'est plus que rengaine, parfois; en d'autres jours pourtant on retrouve ce beau

tourbillon interne de la mêlée à laquelle on aspire, pleine-en-soi de ce que l'on désire, on se

plait à penser, quelque part derrière, que la neurologie n'est plus que système ouvert aux

autres feuillets du soi-non soi, là où le soi persiste à l'océan. Peut-être est-ce bien là ce que

R. Rolland a découvert en vieillissant, cette préservation du jivâtman, dans son déni du

mystique. En cet autre soir, le bidi devient rengaine, il faut un peu s'y forcer, heureusement

la nuit est claire, d'une impalpable mais tenace brume, je ne peux renoncer à cette fenêtre-

là, mais je suis prêt à l'y emmener, elle qui calcule maintenant son quotidien, pour

préserver sa propre poésie, celle-là même qui me fascine. Peut-on être volé par celui ou

celle qui nous aime, celui ou celle qui nous aime peut-il être tenté à voler l'autre ? Le goût

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âcre est maintenant bien installé, dans l'accommodation à ce "dehors" d'un instant toujours

plus jeune; l'extérieur n'est que notre diachronie en cette vie réduite du temps entropique.

Combien coûte un coffre où l'on roule pour un temps toute cette étoffe de seule limite ?

Mais en voilà une étoffe bien pleine, tissée de sept, et qui laisse toujours amène-amère

celle à venir ! Implore-t-elle encore comme je l'espère ?

Comme un laiteux du ciel qui résiste à la fin de la lune. La te s'en plaint, un instant, et vite

redemande; le fil net qui se déroulait n'est plus, une autre étoffe croise, faut-il s'en éprendre

? "Au fil" du bidi est devenu est redevenu une 2D qui demande, encore, encore,

dépendance. Tout un vaisseau, encore, s'impose, en marche de volume qui avance, vers

cette fusion cette fois des formes, et qui court-circuite la cuisson ménagée du corps

organique. Entre il n'est presque plus d'impatience. Peur de la perte des écus ? Quelle

police encore ? Allons vite au grésil du fil, pour l'au-delà de l'histoire; mais le bidi tente le

grésillement sans moi, et déjà une étoile-braise leur fait sa course, en bas, en plein. Il est à

peine besoin du guide maintenant, et le mariage serait-il encore possible ? Qu'est-ce-que

-peut recomposer le mariage qui soit hors de ce quotidien qui nous traine, nous déchire ?

A l'entre-deux du réveil - à l'entre-monde, à l'entre-tout - , consistance de moka des sinus,

traversée de la bûche de Noël. Même dans le regret de ce grand trans-bidi-time sinuso-

stimulant parfois perdu, satisfaction qu'il remplace, replace, l'anxiolytique, et peut-être

économise et positive le sommeil.

Touristants en pays de sable, indigènes, rosé-déjà-du-matin; tenancière du lieu, sobres

habitudes, réglages d'antan. Bistrot des immémoriaux de la peine mais de la parole: "Non,

je n'ai eu personne, j'ai passé les Etrennes à regarder la télé, ils sont trop loin", dit la

cliente-au rosé du 9h26 au café de la gare. Mais la tenancière, elle, est famille, s'inquiète

des objets de vie trouvés, "Oui mais comme on ne se parle pas, vous savez, avec la

mercière". La femme seule a un mari pourtant, qui vient la chercher à la gare le soir de

travail, à moins que ce ne soit le gendre, les petits-enfants "je ne retiens jamais leur nom".

Mr Gossart le VRP vient payer sa chambre. "Y'a un fumoir, c'est marqué", lance la

patronne au pervers quittant la très jeune métis - est-ce sa fille ? - pour fumer dehors. Elle a

de très beaux seins sans doute, mais ses lunettes par trop dévorantes la néoténisent, quand

tant d'autres adolescentes se misstickent. La télé assène "on est sauvés, ce sont les garde-

côtes". Le couple sort sur un froid "je déteste les débats"qui lui arrache un sourire soumis,

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ils ne se donnent pas la main, son Dexter refume. "Je réfléchis également, là", continue la

tenancière, "les têtes de veau on pourrait les prendre. J'y ai réfléchit cette nuit; en fonction

des commandes, mais je n'ai que trois concrets à prévenir pour l'instant, au cas où. Les

cervelles, là, aussi. On les ferait pour le 15 et pas pour le 7". Le VRP était son chef, sans

doute. Mais elle continue: "La porte s'ouvre entièrement, à part entière, Monsieur". et

comme pour elle-même encore: "Tout le monde cogne ses valises, alors que vous serez

beaucoup plus à l'aise pour passer vos bagages; on n'est même pas obligé de la tenir, cette

porte".

Je commence à apprécier le scepticisme social de R. Rolland. Grand bourgeois contrarié,

cependant, avoue-t-il; il aurait voulu l'or et l'anarchie, l'or nous colle. J'entre à Vichy avec

une pièce slovène à croix de Lorraine. Où est donc la Slovénie ?

On est maintenant installés en Sibérie crasseuse, voies de garage à la fois blanches et

noires, températures douloureuses, et l'humeur qui en rien dans ce morne tableau ne peut

faire levier. Une idée de là-bas, me dit-elle, dont tu fais l'éloge, mais tu oublies l'hiver.

Voyages insensés, étonnants voyageurs, un ciel bleu de toujours attente et pourtant d'accès

à ce dépaysement suprême qu'aucune rapidité des voies de communication ne pourra

jamais détrôner, on peut rêver au bord même de l'autoroute. Effroi de dépaysement

suprême, à la fois charme et petite angoisse, des bouts du monde, et comment y arriver est

sans doute important, comment ne pas en revenir encore plus, ce pathologique est-il d'un

voyage absolu ou d'un non-voyage ?

Le troisième de l'amour: ce "juge" de L. Cohen entre l'homme et la femme dans "Where is

my gypsy wife tonight ?".

On existe en plein, dans ce temps décontraint. Beaucoup à qui rendre compte, travail,

compagne, enfants, mère. Et puis, cet arrêt total, cette journée enfin vide et qui s'étend,

heureuse, de tous les possibles de vague. L'estomac s'emplit, le verre de vin, la radio libre,

les événements qui ne forcent pas mais sont livrés à notre pensée englobée-englobante. La

mort ! ce bonheur qui n'obéit plus à aucun scénario !Je n'aspire à aucun pays juste et

possible, mais bien à la coalescence douce de tous les handicaps de cette plénitude du sol

total (mon rêve du Varanasi-Benares). Les hommes d'affaires dirigent tous des centres de

torture, parfois même s'en excusent; le, monde est cet ailleurs décontraint.

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Paroi qui cède, ou paroi qui se reforme, d'aise, d'ipséité, au sortir de la fièvre qui bloque-

bouche-pèse-condense ! De la douleur ! Levée, liberté, de la santé, que l'on ne sait goûter à

l'état d'usage !

L'admettre, cette incompétence à tout social, à toute politique, pour le seul plaisir de

naviguer en les soleils des attrape-mots, des mots-trappes, des concepts-qui-dressent !

Je ne sais plus dire le mot qui est pensé juste à l'extérieur de ce social-là; je savais détourer

le réel à l'entre-mots, hier encore, mais aujourd'hui me surprend en retour, j'ai quitté ce

corps en cette nuit de fièvres, laissant les rails du quotidien pour seul dire. Je est un

autre !!!

Se désencombrer de soi-même, pour atteindre.

Homo faber, Homo democratis, Homo biopoliticus: quand la compétence se réduit à la

capacité de soumission proposée. Vécu de l'institution, territorialisante,

compartimentalisante, pyramidalisante, maître d'un temps de pointeuse: écrire est échapper

à cette servitude (Véronique Pittolo, On sait pourquoi les renards sont roux, écrits à

l'hôpital), par l'enfant cloîtré des dimanches de tous les jours, dans la maladie-bulle

qu'impose heureuse de séquestration la mère, cette enfance-là, mienne, fut un syndrome de

Stockholm, mais est-il d'autres enfances ? Quand obligé-résigné à la chambre et à sa robe,

cachant la non-maladie aux hôtes de passage qui tentent de m'arracher l'aveu qui n'existe

pas, moi n'osant dire que je suis séquestré... Pourquoi n'ai-je donc pas saisi l'occasion,

exigé la liberté, auprès de ce cousin que je croyais d'abord s'inquiéter pour la santé de son

épouse ? Aurait-il pu m'arracher à cette bulle ? A ce placard, à cette chambre noire, à ce

grenier que mes parents ne pouvaient que reproduire, ne connaissant d'autres modes

secures ? Dans ce roman de V. Pittolo, il est aussi une prof de mathématiques, agrégée

précise-t-elle bien, qui, maintenant décédée, lui ouvrit pourtant les voies de la tangente...

L'ouverture béante se profile et agira, mais hors de ce temps-ci.

Pourquoi, et de quelle nature est cette anti-empathie qui me coupait à ceux que j'admirais,

sinon toujours cette coque qui me faisait ressentir d'exception, car au monde toujours de

cette coque-bulle materno-post-utérien, l'utérin et son mystère et sa co-extensivité,

océanique, oui ! Ce repli-là: a pourtant donné, permis l'atmosphère permanente de ce

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dimanche d'ennui où l'on tente le monde. Mais auquel on s'oblige et meurt dès qu'un

certain mouvement cesse. Thérèse d'Avila ne se comprend certes pas par la description de

ses fondations temporelles, il manque ses cris à ses écrits, que jean de la Croix dans ses

souffrances lui restituait en plein, en vrai, alors même que, victime du même Stockholm,

elle s'appliquait à traduire son oeuvre en texte. Jean de la Croix était dans l'attente de ce

qu'elle espérait toujours à chaque page. Fin de séance, fin de tranche.

Il n'y a bien sûr aucun compte à rendre sur ce passage (qu'est-ce qu'un jugement sur une

pyramide de livres de chevet qui s'effondre par glissement doux dans la mer de l'être ?).On

ne peut pour l'heure que briser la glace de cette surface, et ce craquement même ouvre par

places et par éclairs fugaces à ce contact à venir, chacun en est sa marche d'être. Ici-bas

reste cependant un ailleurs sans être, et aucune hagiographie n'a plus de justification en ne

se livrant que sur quelque création temporelle, si riche soit-elle d'apparences. Nous

sommes tous accordeurs de ce compte-à-tendre; on ne juge pas une montagne, fut-elle de

brume magnifique sur ce qu'elle doit immanquablement livrer un jour.

Quelle catastrophe (plus totale, brutale) espérer, qui nécessiterait le recours au seul canal

empathique ?

Démonter le campement tous les matins, en chantant les révoltes du Père Duval, protège de

l'alcoolisme de la société. Ne fait que protéger ? Un marche-dit, le limite-pas est cette

marche constante, nous dit encore Deleuze.

La castration en psychanalyse est le sacrifice d'une part de soi au profit du groupe, de

l'autre. Quelque chose de "résonnant" avec le "reste" du sacrifice. Un partage d'espace

intermédiaire qui fait germe /dans une culture / dans le Réel ?

Insomnie, ces angoisses matinales, descente du week-end fumé-arrosé sans doute, mais

plus fondamentalement aussi - il n'est point de frontière des états d'âme et des positions

d'être ! - souhait de révolte envers moi-même, prendre l'écriture, s'y obliger pour mémoire,

pour construire; ou bien prendre l'ashram. Il est vrai que l'exploration s'en précise, au

plaisir encore de la navigation dans l'institution générale. Où poser ses congés sonne

comme récompense et acte de liberté; pourquoi y voir encore résistance ?

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Farenheit 451, R. Bradbury semble avoir tout pressenti de notre carcan sociétal actuel, la

tentative d'abolition des périphéries, un centre-sphère qui veut imposer un monde sans

mémoire, en apesanteur dans un présent perpétuel.

La chirurgie primaire est celle du bide, Monsieur Mondor, enveloppe floue, domestique, ne

livre rien. Les médecins de l'âme, eux, sont sur la ligne de front qui les expose. Folie privée

et traumatisme secondaire, feux croisés de la séduction et de la destruction. La littérature

est de ces mêmes confins de l'humain, où l'on risque d'être touchés au mort. Ecrire un

journal qui épuiserait le matériau autobiographique, tarirait le besoin même d'écrire, c'est-

à-dire de se mettre à distance, en retrait de l'existence, mais par métamorphose, un

entretien soigneux de la stratégie de rupture, depuis la première défaite de la naissance. Le

bonheur: dans l'attrait de sa peau d'aurore, dans ce jour plein d'elle qui se lève, et dans la

certitude que l'on ne veut pas atteindre midi, jamais (il n'est pas d'arc-en-ciel de neige). Le

chagrin d'amour: ne peut se lire au premier survol. Se retrouve, plus loin, neutre des vies-

surface, traversée justement de cette douleur de notre domestique du bide, autrefois à jeûn,

et déployant maintenant son originaire en 10.000 facettes de l'être, vers le cristal et son

asymétrie à nouveau germinale de la "mort". La mémoire est une couche de chaux sur les

trottoirs du sang.

Comment peut-on encore être Homo faber après avoir lu H. Arendt ? Le travail: chaque

lecteur en plus est cet actionnaire en moins, qui fait retour à un collectif par lignes de fuite,

en autant de suivis de son étoile, de fabrique de son hasard. Travail et iceberg du Care

cependant, touts les acteurs s'y imbriquent, vers accomplissement d'un lien qu'il faut

détourer et dire. Dans l'échappement au contractuel qui achoppe à la frontière de

l'institution, nous n'avons rien d'autre que la route et ce travail, où chacun joue un rôle, seul

le contrat du "trader" peut-être est absolu, H. laborans n'étant même plus H. faber, son

collectif étant un vide, au sein duquel on parvient encore à créer des "cellules"...de crise.

On s'éloigne, on s'isole. Fait-on semblant ? Travail qui tente d'annihiler la subjectivité, qui

impose un sédentaire; depuis le "passage" débuté vers 1998, je ne fais plus semblant, je

suis pris au désir de famille, par parcelles certes, mais la route est vraie.

Civilité, malaise face au corps. L'égalité morale de la démocratie nous cache et nous

dégoûte à notre chair, l'auto-contrainte de la chair se transmet par les mères... On en tend

même à se dégriser de l'amour de soi. Attrait pervers en retour des faits divers déviants de

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la presse ..."people". Les "cool", eux, savent recirculer, croire encore la société mobile, au

gré de toutes les musiques, dans l'empire du juste avant l'adolescence, ce moment ou la

chair se quantifie, s''évalue, se soupèse dans la terreur et le désir renouvelés du mélange

des corps jusque là soigneusement cachés.

L'archéologie n'est pas un métier raisonnable, surtout quand on s'évertue à épuiser au long

de décades un seul et même chantier, plutôt que de multiplier les sauvetages. Au

laboratoire d'immunologie, chacun de même cultive sa propre cellule, son propre

marqueur. Un même mode de conquête linéaire et balayant pourtant le réel, faisant fi des

strates imposées. Une tegula enserre le monde, un tesson mène en Inde, le relatif et

l'anodin ont un caractère. Les enfants sont les détectives que les parents lancent dans le

monde à la recherche du plein de leur fragments.

On peut gagner Madras parce qu'on a un père alcoolique, parce qu'Eliade a senti les

effluves des palétuviers avant même d'aborder à Ceylan, parce qu'en légiste on est fasciné

par le germe que portent ses propres os, parce qu'Allwright, mousse, quitte la Nouvelle-

Zélande pour le théâtre; derrière chaque point de départ il y a toujours une histoire qui

attend, et les histoires sont difficile à percer, il faut donc lire, passer le lisse. En caravane,

en train, dans son bureau, dans son lit, tous ces lieux qui se déplacent sans cesse.

Ceux à qui la parole se déroule sans pré-établi, sous la poussée de la pensée, calmement,

logiquement (les analystes); et les poètes qui plantent ou réceptionnent des mots entre

lesquels se détoure le réel. L'analysant est le poète qui contourne la lacune toujours plus

proche, mais toujours hors d'atteinte du réel; l'analyste lui est du côté de la coupure du

langage.

L'"éducateur" travaille dans son imaginaire pour dire la parole du psychotique, qui, elle, est

plus ou moins non-verbale, et inclivée, nous dit l'éducatrice devenue psychanalyste. Je

parlais trop fort (celà m'arrive...) de "prise de leur parole", il ne s'agit en fait que d'une

distorsion,ou, si l'on parle encore lacanien, d'une prise partielle. Si notre langage évolue

sous la poussée de la pensée ("contrairement" à celui des poètes), comme un "propre" du

sujet, est-ce que deux peuvent parler en chaîne ? Une théorie de l'information qui ne

considérerait plus un sujet Emetteur et un autre récepteur serait-elle navigation au sein de

ce chaos inclivé, à travers une "prothèse" de langage proposée par l'autre dans sa structure-

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découpe propre ? L'éducateur fait-il de l'"aide humaine" ? Il ne peut sans doute être que la

voix d'un collectif qui l'a lui même formaté, mais qui propose un milieu d'expression au

psychotique, dans le cadre de la psychothérapie institutionnelle, cet oxymore auquel Freud

se refusait, "trahi" par Ferenczi, Winnicott et leur bande d'expansion.

La plaque de banquise, masquée par la neige, cède sous mes pas, et s'incline, alors que je

m'en reviens du bosquet sacré de Nolhac. Je reste quelques instants en lutte sur ce radeau

ivre. France-Culture: pour la dernière fois, dit A. Camus (Les Noces, à Tipasa), nous

sommes spectateurs, voici l'expérience, et la beauté du monde n'est pas négociable au bien

et au mal, le monde sourit, gratuitement; dans l'étreinte sexuelle, comme dans ma mort, du

ciel descend une joie étrange vers la mer. Mort du symbole, absolu de la quête de

transcendance paternelle, bain d'immanence maternelle (Sloterdijk, Sphères I).

Effet nicotinique (sans doute) du bidi: simple stimulation de l'intellect ou levée d'une

certaine médiateté (a-yoga) ? Importance de la diction-digestion complète des mots en

-tion, exige F. Lucchini (Alceste à bicyclette). L'intellect, ou buddhi, assure dans l'organe

interne (ou corps subtil) la fonction psychologique suprême, c'est l'éveilleur, la certitude, la

décision; il n'est plus dans le domaine des idées comme le manas ou mental, premier

connecteur de l'activité sensible dans le corps subtil, et qui est caractérisé par le doute.

Mental et intellect ont qualité d'organe, le Soi n'a pas plus besoin d'organe que d'objet, le

sujet se trouve bien du côté de l'esprit, mais sans s'identifier avec lui (O. Lacombe). Ces

successions de formations mentales, du manas au buddhi, en passant par citta l'élaborateur

de pensée puis ahamkara le producteur du soi, de l'egotisme, se produisent au gré des

interactions de l'organe mental avec ses objets, il y a ébranlement de toute l'âme, et la

vibration de l'organe interne à laquelle nous parvenons perdurera après la mort, par

réincarnations dans d'autres corps grossiers, jusqu'à la délivrance de l'âme. Vibrations

différentes donc de chaque renaissances, inversement liée à l'intensité de l'arrachement

originel à l'atman ou à la grande matrice, en fonction du niveau d'activation de cet organe

interne transmigrant: plus proche de la matrice-atman, plus faible arrachement, vibration

plus intense, intellect plus volontaire... L'avenir m'est ouvert ! Car je fonctionne pour

l'heure (en ce temps du chronos) dans l'indétermination, mais avec cependant la certitude

que la certitude est possible (dans celui des temps multiples qui nous restent à déployer).

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Comment comprendre que, les physiciens ayant englobé les concepts newtoniens dans

ceux plus vastes de la relativité puis de la théorie des cordes, ils n'aient pas théorisé encore

ces différentes dimensions de temps, se "bornant" à multiplier celles d'espace ? Oeuvre des

physiciens des supercordes peut-être ? Mais le boson de Higgs, ce coupable majeur de la

médiateté, encore nous aveugle.

L'étrangement de l'être naturel, dit Hegel (p. 420) secrète l'esprit de sa vraie nature (comme

la pensée est épanchement de la buddhi, dit Cankara), de sa substance originelle.

L'étrangement, ce premier trauma, cette séparation première, par laquelle une vibration

spécifique, d'entremêlement aux strates du chaos (sic) (je dis), d'entremêlement à d'autres

arrachements, redonne matière au réel dans ses tentatives de réenracinement, et dépôt lors

de la dernière tentative, efficace, dernière du cycle entropique d'un corps ou d'une

conjonction diachronique de sujets, ou encore d'une cascade chronologique de réinsertions

dans cette parcelle du réel qu'est le corps. L'aliénation enfin, poursuit H., moyen du

passage. La volonté ne peut appartenir elle-même qu'à quelque chose d'universel. Je me

posais hier soir la question: l'énergie originelle, d'où cette volonté, est-elle plus ou moins

intense selon les sujets; y-a-t-il égalité dans l'arrachement premier ? Eléments de réponse

de Cankara dans le paragraphe ci-dessus.

Hegel: le point de vue intime (ahankara) n'a pas d'existence durable en ce monde. Ce

"point de vue" évoque le centre panoptique du sujet (encore plus proche donc du choc

primaire avec les organes des sens (manas) que du buddhi), un lieu polaire du miroir

lacanien où l'imaginaire du corps se construit, tout aussi imaginaire, "neurone miroir"... Il

est des moments de la pure essence, dans le pur mouvement même, nous dit encore Hegel.

Sans doute ces moments sont-ils nos refuges d'individualité (le château de l'âme, chez

Thèrèse d'Avila), et le sont-ils encore une fois accomplie la grande dissolution (ou la

cascade de ces dissolutions). Des noeuds ("des torsions du néant", disait P. Ledru)

conjonctifs (au sens des logiciens stoïciens) de ceux qui nous portent "individuellement".

Ces noeuds que nous traquons en analyse, tandis que voir est un handicap pour apprendre

ce braille du réel, dans cet état de spectateurs qui par nos sens annihile la volonté qui nous

porte. Mais le volontarisme fort de certains réside sans doute également dans tout un pan

de leur surdité ou cécité de conscience, anesthésie du manas, cette conscience de début de

chaîne associée aux organes des sens (la conscience relève de toute une chaîne psychique

d'opérateurs dont certains sont organes, mais d'autres extensifs à toute la nature, récepteurs-

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pronoïa, bien plus larges que le corps anatomique, à chacun son niveau de paralysie, à

chacun son programme de réactivation). L'éveil suit une chaîne quasi-physiologique, mais

dans un temps diachronique, un degré zéro du temps, un Δ temps/ sujet. Une structure

éclate, avec Hegel, le structuralisme passera comme les guerres.

Au-dessus ou en dessous de la mêlée se tenait R. Rolland, homme sans enfants ? R.

Rolland, ou la vie à travers les volets.

Pourquoi le journal ouvert, replié sur son interne, perd-il cette aura, ce secret, cette

jeunesse, cette éternité... cette beauté de l'originaire qui clame ? Dès lors que l'on a

transpénétré l'écriture qui ne s'offrait qu'à nous, et maintenant mêlée de tout ce qui nous

assaille de quotidien, on passe du sentiment au travail...

Des êtres qui tentent de faire face aux assauts de la vie ? Snober ces assauts, ne pas donner

prise à l'entropie, tuniques internes seules, sous le masque d'organique, quai d'attente de la

pronoïa, seule qualia. Grand roman de la consternation humaine. Des hommes assistant de

loin à la vie des femmes. Un homme ? Cet être inachevé que l'amour, en le laminant,

accomplit. La biologie, elle, n'est pas ambiguë.

L'île d'Olkhon est, selon les Bouriates, l'endroit où la distance entre le monde des vivants et

celui des esprits est la plus faible. Mais on disait aussi cela de Rome. La plus grande île du

Baïkal. Golovanov doit y tendre. Lire Les nuits de Vladivostok, de J. Garcin pour y

rejoindre cette porosité des mondes. Y reparler le zaoum, ce langage humoral issu de cette

végétalisation progressive de la pensée, entre poésie et écriture automatique, envahissant et

évident.

L'homme n'est jamais qu'un fils, et la paternité une option. Ou: nous sommes tous pères

d'enfants apprenant un autre langage, et qu'il leur faudra rétro-traduire à la maturité. Faire

son deuil... alors que la mort ne provoque qu'une marche sans rémission, d'abord colère,

puis processus. Mais sans doute sommes-nous dans une méta-société ou l'humeur devenue

invisible ne se prête plus au végétalisme du réel, alors que tous les enfants ont bien hérité

d'une histoire qui excède largement la famille. Guerres et utopies. 1940 et Vatican 2-mai

68. Cosmopolitisme et sous-développement. Pacte germano-soviétique.

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Nazisme: l'antisémitisme avait cessé d'être un code culturel pour devenir le vecteur d'une

extermination (E. Roudinesco).

La chambre à part du père, ses livres, sa radio et sa fumée. Ces instants de livre-soleil-seul

dont je suis dépendant. Madeleine avait ses fenêtres ouvertes sur l'obscurité liquide. Le

livre, idéalement, serait une coopérative.

Dans la fièvre (du rhume) on ressent bien la distance qu'il y a entre soi-même et son

"living body", et inversement les phases d'écrasement par ce dernier, scaphandre/papillon.

Te le disais ce matin, je poursuis avec la bible d'Edith Stein sur l'empathie que je viens

d'imprimer.

IL ne faut pas parler de la mort sous la tente du nomade. Extrême-Orient ancien, extrême-

conscience, un climat longtemps resté "gothique", précartésien: des cosmologies pour

lesquelles une même substance compose toutes les choses créées. Les grandes religions

monothéistes ont rompu cette unité primitive en opposant à la création périssable et à

l'absolu divin l'homme capable de rédemption et de résurrection. C'est enfin la science

moderne, qui en "désacralisant la Nature" à fait de celle-ci un simple objet offert à sa

curiosité et docile à ses fins. L'Ancien considère qu'il est normal que l'homme parle aux

animaux, aux choses, aux forces occultes répandues dans la Nature, tous en rapport

constants. Prononcer leur nom, c'est les appeler; de là la coutume si répandue de parler

par antiphrases, de ne pas évoquer, de ne pas prononcer, le nom de la maladie, de la chose

ou de l'homme que l'on craint. On lui donne un autre nom. "Cette maladie"... On ne dit pas

tigre mais Monsieur... (P. Huard et M. Durand, Connaissance du Viêt-Nam, 1954). Le

cartésianisme a liquidé le sentiment de dépendance dans la culture occidentale.

Qu'est-ce qu'un pouvoir médical qui ne s'exerce pas ? Mais qui par éclairs satisfait l'Ego ?

Est-il "pouvoir social" bien qu'intangible ? Ou: vacaciones et radiance du pouvoir

"inutile" ? Ou: besoin de délire. Et: comme un besoin de famille... Ashram, Ashes, Mère...

(Retour au Réel) La beauté est cette circulation des radiances inutiles.

-"Que cherchez-vous ?" -"La Loire !" (salle éponyme)

"Hébergement renforcé de personnes Alzheimer": hamsters en cage, circulation-exutoire

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au plus près des portes, des visiteurs ou des vitres; des objets pathétiques en accroches, une

tentative de sortie, "Non Monsieur D...", porte, main, serrure. Le social d'une dispute entre

deux dames semi-écroulées mais voisines de table.

Privilège de la vieillesse d'afficher tous les âges en simultané et non plus simplement en

mémoire ou en projets. Une phénoménologie de la vieillesse, où, en toute logique,

l'imaginaire du moi, dans ce travail à plein temps de l'âge, disparaît. Avant ce boulot là, une

période d'incertitude, celle encore de l'intelligence des choses, cette douleur toujours

jeune, active, qui empêche la trêve et ne prévoit pas la fin de la vie (Colette).

Graeme Allwright, l'oiseau blanc, le retour à son grand-nuage-blanc, grand sourire, blancs

de mots. Le tore du réel. Un homme qui a rencontré de Certeau nous parle d'une psychose

angélique, mais le titre de sa conférence a dû être masqué au très catholique Trou-en-elay.

Gödel et son "délire" angélique, il y a bien autant de plans d'existence qu'il y a de concepts,

le plan mathématique que Platon déjà disait monde autonome peut bien "s'incarner"

quelque part, et nous n'en percevrons bien que ce qui nous est sensoriellement possible

(considérant comme organes sensoriels aussi ceux de "l'organe interne' de l'Inde ancienne,

Manas, Citta, etc...). Des anges non plus des mathématiques maintenant, mais incarnant le

sacré, l'océanique: "le sacré n'est pas un stade dans l'histoire de la conscience, c'est un

élément dans la structure de la conscience. [...] Le sacré n'implique pas la croyance en

Dieu, en des dieux ou des esprits. C'est [...] l'expérience d'une réalité et la source de la

conscience d'exister dans le monde" , nous dit Eliade. Exister dans le monde, et donc avec

et de par les autres: le sacré, ce processus empathique itéré ?

Et puis Graeme Allwright, cette année entré dans le travail à plein temps de la vieillesse,

justement. Le dos flanche, la voix s'amuse, les mots s'oublient, le caractère s'égare, mais

l'intérieur bouillonne ! L'intensité et le sourire, sur "J'm'envolerai", sont d'une intensité et

d'un bonheurs intérieurs fabuleux. L'homme, s'excusant des "ratés", continue, parfois n'y

arrive pas et les musiciens compensent, mais lui aussi parfois se plonge totalement dans le

texte et c'est magie (sur Kipling, cette magnifique traduction d'André Maurois qui "colle"

si bien au message de Graeme, sur Meditation adapté de Jobim, sur Halleluyah de Cohen

qu'il a adapté de ses clefs à lui... Bien vieillir, c'est sans doute cela, quand son corps et son

moi disparaissent peu-à-peu, mais qu'un passage est en marche devant nous. J'attendais

peut-être encore un "magic choc" d'une rencontre qui n'aurait pu être que banale et

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décevante, la réponse à ma lettre de Jageshwar est tout dans cet être qui parle bientôt sans

plus de mot, qui passe et nous porte. C'est son travail intérieur qui toujours nous fait choc.

Et la boucle faite du "Jour de Clarté", que je dactylographiai lettre à lettre dans mon carnet

de chants scouts alors qu'il décidait, pour des décades, de ne plus la chanter, qui fit retour

ce soir. Boucle bouclée, chez lui. Quête avec Méditation de C. Jobim, extase de

J'm'envolerai, clefs de Halleluyah de Cohen en son interprétation française. La douleur

s'est faite bonheur, et la tristesse s'est en allée.

On m'a dit qu'il existe un accord secret

David jouait et Dieu l'aimait

Mais tu n'aimes pas vraiment la musique

N'est-ce pas ?

C'est très simple la quarte, la quinte

Le chute mineur, le majeur qui grimpe

Le Roi dérouté composant

ALLELUIA...

Tu voulais des preuves malgré ta foi

Tu l'as vue se baigner sur le toit

Sa beauté, le clair de lune

Te renversaient

A une chaise de cuisine elle t'a attaché

Brisé ton trône, tes cheveux coupés

Et de tes lèvres arraché

ALLELUIA...

Tu me dis que j'ai pris ce nom en vain

Je ne connais pas ce nom enfin

Mais si je le connaissais

Qu'est-ce que ça peut te faire ?.

Dans chaque mot un éclat de lumière

Peu importe lequel tu considères

Le Saint ou le brisé

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ALLELUIA...

J'ai fait de mon mieux, très peu je sais

Je ne sentais rien, je voulais toucher

Je parlais et je ne voulais

Pas te tromper

Et même si tout a mal tourné

Devant le Dieu du Chant je me tiendrai

Plus rien sur ma langue sauf Halleluya...

(Halleluya de L. Cohen, adaptation française G. Allwright)

Il arrive devant un gigantesque complexe en bordure de la vie:

Il sort à grandes enjambées de lui-même (la seule utopie est la troisième aile).

Je suis resté profane, sentant le sacré devant la porte du temple.

Un café de Mézenc blanc.

"Quand vous vous ennuyez mortellement, vous chiquez le temps", dit Cioran cité par E.

Klein, physicien du temps. (Mais) la joie est aussi dans cet immédiat qui suit

(Jankélévitch).

Je dois m'absenter pour une durée indéterminée. Touquet peut-être, aux fenêtres d ela mer,

au bruit nocturne de ses vagues par gros temps, jusqu'à la plongée dans cette humidité

totale qui parfois angoisse de quelque chose justement qui est presque au-delà de l'ennui.

Cette maison qui ne se ferme pas sur les décès, car elle n'est pas habitat permanent, et

pourtant siège. Cette grande table à la double exposition, et aux rideaux si simples à ouvrir

comme à fermer. Lieu de rires, et du zaoum familial, ce plurilogue qui porte bien un sens

auquel personne ne veut s'astreindre, dans ces cènes familiales, car ce sens est en-deçà et

au-delà de ce qui nous y réunit. Ce silence et ce vif de l'air, aussi, et ce jardin ouvert, ces

portes multiples qui ne s'ouvrent grand que sur la thanatosphère privée de la famille, et

permettent le travail, comme en ces mois de réclusion (2007-8) où j'y étudiais comme en

cachette les ouvertures des mots sanskrits.

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Toutes les guerres dégagent de la poussière: villes de suds, villes de vents, villes de déserts.

Tout film adapté d'un livre est un plagiat.

Je fleuris sans saison, raison ni maison. La plante qui a passé l'hiver en intérieur, et toi, me

dit-elle.

Dominicaines de Langeac ou frères de Ker Guila, Sénégal: on entend la courbe de leur

chant, la voûte de la chapelle, la rencontre quand la vibration de voix et de pierre redescend

pour s'unir à déjà l'autre plein du chant.

La mort: une maman de substitution, qui disparaît, comme ça, sans qu'on ait pu savoir si

l'amour, au-revoir impossible (Tante Madeleine; la bonne dans Les femmes du sixième;

Geneviève pour Maxime à Fosseux, me dit Pierre).

Je marche sur les nuages comme un malade de la moelle épinière

B. Brecht, en exil

Blessure sur site: "notre neurologie" est sectaire - et paranoïaque - Internet n'est libre ici

qu'aux handicapés, qu'aux membres de cette communauté de souffrance qui se dit

spécifique, alors que, oui, je théorise mais tente la circulation par la souffrance originaire,

aspécifique. Rejet des souffrants-eux, site SEP, "quel est votre rapport ?", me demande-t-on

inquisitoirement...

Le parking du tout-au-bout (hier, Nietzsche: co-métonymique. Des premières pages de

Zarathoustra éclate l'Oméga).

Réveil au Touquet. Des objets pleins, clairs, garants d'un espace large. Et les oiseaux,

pleins de leur chant. Et comme une angoisse dans cette sérénité.

L'île du Dr moreau de H.G. Wells. Bibliothèque des grands-parents paternels au Touquet,

tandis que je découvrais La faim de Knut dans la maternelle. Moreau, ce livre qui

appartenait à Brigitte, renvoie à L'invention de Morel, et est sans doute un primordial de

L'interprétation des singes en forêt de Meudon. La souffrance et le corps d'un très autre, ce

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thème m'interroge. Orson Wells (1915-1985, La guerre des mondes radiodiffusée) versus

H.G. Wells (l'écrivain), Pierre ou Brigitte ? Pour H.G. Wells, l'histoire de l'humanité est

une course entre l'éducation et la catastrophe. Une bibliothèque qui aurait dû être précoce,

très précoce, énorme d'humanités. Le livre sorti de la bibliothèque, donc, commence dans

l'espace mince entre le juste-encore-en-vie et le déjà-mort: une ville à l'horizon, perçue, est

dans le trop tard du narrateur. Et passe de la Dame Altière à la Chance Rouge... mais voici

bientôt le premier demi. L'île est une histoire de demis qu'on apparie pour tenter un tout -

L'interprétation des singes n'en était qu'un résumé-force. Car il ne s'agit pas ici

d'appariement dans la strate du rêve, mais dans un niveau de conscience corporel, et Morel,

quant à lui, échouera sur le plan de l'assemblage des soi, des Jivatman. Notre demi-des-

corps, lui, est toujours dans le chemin. Tout s'est dit dès le capot de l'échelle, passant

l'écoutille. Il n'y a plus, il n'y a pas, d'anomalie distincte, mais une étrangeté globale (et

sommes-nous dans le Normal ou le Pathologique ?), et un refuge en la fissure d'humanité-

proche, et son espoir encore. Car tous les demis sont façonnés en de nouvelles formes par

lesquelles les passions s'ensuivent, il s'agit de former par l'anatomie nouvelle différents

sous-symboles par lesquels la pensée peut se soutenir, explique Moreau, et les signifiants

maternels ne sont plus les seuls à même d'organiser la pensée. La quête paradoxale de

Moreau vivisecteur passe par ce stade où la douleur en devient inutile, et que nos propres

souffrances ne sont plus ce qui nous mène. Re-façonner, une forme nouvelle qui porte émoi

et pensée, mais surgit un conflit nouveau entre ce qui est donné et ce qui est possible. Car

c'est cette forme nouvelle qui crée la contrainte mentale, entraves de l'humanité, crainte et

loi... Comment façonner pourtant ce qui peut-être ne dépendrait pas du corps, cette part

peut-être libre et sans propriétaire de la pronoïa ? Cette part de pensée libre du corps

existe-t-elle ? La pensée n'existe-t-elle qu'à ce filtre à venir du corps ? Et faut-il attendre ?

Ou se risquer à façonner selon un quelconque "dessein intelligent" qui monopolisera une

route unique ? Un destin qui façonne les existences ? Une sculpture, et par quoi ? La

mort ? La forme ? L'arrachement originel ? Ou autant de rouages qui nous sont invisibles,

et tous soumis aux mille sculptures ? La vie n'est-elle que ce laboratoire des corps du Dr

Moreau ? Sans doute allons-nous vers un Dieu que nous ne connaissons pas, et qui ne peut

nous imaginer encore. Moreau, d'ailleurs, "butte" dans sa chirurgie sur le remodelage d'un

siège qu'il ne peut déterminer... Le siège de ce non symbolisable, et qui pourtant se

manifeste...

A la mort de Moreau, aux trans-formes s'impose maintenant le sans-forme du "Dieu

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éloigné", ce Dieu défaillant d'Eliade, transcendance et médiateté, comme celle des sens

par rapport à la représentation, rishis perdus dans la Maya. La forme, passage-douleur,

versus l'alcool, plaisir-impasse. Les trans-formes déjà en perdent le langage, sans que l'on

sache bien s'il s'agit maintenant d'un zaoum des émetteurs, ou d'une agnosie des récepteurs,

d'une "syn-mantique" suprasymbolique, au-dessus du langage, ou d'une régression vers le

bruit, cette asymbolie malgré les coupures. Il y a un retour animal au corps, dans l'île du Dr

Moreau, comme il y a un retour-vieillesse au corps en dehors de l'île, retour que l'on dit

désinhibition, utilisation de la main pour manger de la Vieille Maman, chute du rideau de

la pudeur, etc... Ce qui semble un arrêt de pensée pour l'autre qui se croit plein-corps est

accès à un nouvel être-pensée du synmantique. Un Khlebnikov, lui, eut ce langage avant le

temps de l'Alzheimer. "Nous sommes prêts!" répètent les semi-animaux de Wells, "nous

sommes prêts" ! La loi ! Allumez le feu !

On ne peut s'éloigner de l'île que sur la barque des morts, dans ce plan inversé d'animalité

qui voudrait, illusoire, nous diriger - le Lethe de la mémoire: l'homme fuyant l'animal

pousse les corps humains déjà gangrénés, en contrepoint du passage du Styx. Bientôt

"sauvé" par les hommes, le narrateur voit son incertitude et sa crainte grandir, mais

toujours de même nature que celles qu'il ressentait au contact des demi-animaux. Lui

même est à jamais entre ces deux barques, crainte d'une "réversion" animale, crainte d'une

mort-corps comme celle qu'il cotoie à nouveau, hors de l'île, de tous ces ouvriers blessés et

comme perdant leur sang. L'animal trouve sa consolation dans l'infini de la matière, et non

dans le quotidien d'une semi-humanité, le fugitif ne peut plus vivre maintenant que près

d'une large plaine libre, dans l'espérance et la solitude. Une yourte sous le ciel, dans une

grande plaine chaude de nuit...

On est tous quasiment à l'origine de ce quelque chose qui à la fis nous dépasse et nous

attire tel un trou noir impossible ("je suis presque à l'origine de cette association, j'y suis

arrivé un an après sa création", dit l'orateur, quelqu'un en "plein de parties", pourtant,

depuis cette origine. Moi, devant, en fuite-détourage de cette origine-appel-poussée;

l'origine est bien sûr une supercorde, et pas seulement ce point impossible. Je ne sais pas

mon "je", comment dire "je" ? Y entrer enfin ? Et parler de là où ça touche, enfin, et pas

seulement de là où ça ne touche pas... Mais dans l'urgence, la personne accueillie que nous

sommes n'apparaît qu'en creux, membrane-contrepoint d'une famille et de tout un social.

Un contrepoint, et une greffe.

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Le fontainier de la commune réclame, Fred, lui, boucle comme il peut son départ.

Un bilan d'extension que l'on reconstitue à demi-mots, à demi-douleur, à traits tirés. Un

pronostic trop automatique. Sur la voiture, mauvaises surprises, silencieux arrière, joints de

cardan, cylindre de frein arrière droit. On voudrait croire que ça suffira, on ne veut plus

rouler, sauf à déménager, poser ailleurs tout ce support.

Dans la littérature, dans le symbole, dans la harpe des mots, on n'est plus dans le fantasme

puis la branlette, on ne peut se donner pour l'autre n'y le recevoir au seul, on traverse cet

espace plein et qui avance: une jouissance sans dépersonnalisation. Comme lire dans le

train. F. Cusset voudrait croire en un possible d'un collectif de la lecture (celui de l'écriture

s'impose à l'évidence). Le lecteur a-t-il une dette ? Est-il le seul créateur ? L'inchoativité du

livre est-elle sa seule fonction ? Une empathie est, à l'évidence également, impossible au

travers des seuls mots ? Un peuple lecteur ??? Aucune lecture commune n'est possible,

sauf à média nouveau peut-être et encore à venir, lecture interactive en réseau, hypernotes

de lecture.

Si, cher Ami, vous allez chez le coiffeur à Clignancourt: quémandez, quémandez !! du bidi.

Car ces bêtes s'y circulent comme en Bénarès. En Arles plutôt qu'en Avignon, et tous ces

bouts-du-monde de notre guide au Vietnam aux tongues paraît-il puantes, qui là-bas ne se

fournissait qu'en fils et laines magnifiques à broder en retour de quelconque mari de cadre

Penelopus. La lumière jaune des fenêtres de reste nous circule comme ce feu entretenu aux

confins des cicatrices de tous ces plans de limites, nations, individus, et foyers même.

"Combien de feux en ton foyer, combien de feux en ton village ?" demande Platonov à

chaque étape, spécialiste hydraulique de sa ville-utopie (la seule limite est celle que nous

ne parvenons jamais à porter seul). Puis leur fenêtre de jaune, en face, vire à ce rez-de-

chaussée déjà, mais ce soir solidaire d'un brouillard de toutes les formes (il fait toujours

beau quand on ne sait le soleil masqué de la brume de mer), les vaisseaux de linéaires en

prenant toutes leurs aises, traversant non plus les espaces entre les bords mais nos propres

allants. Le vent peut bien faiblir en cette phorèse maintenant, qui rien ne peut plus séparer,

quelles que soient nos modifications post-générationnelles, tous ces ajouts de résidus à

notre carbonation première qui n'a jamais quitté le feu et qui n'est pas que programme: les

babas sont les virus de nos généalogies. Et les lectures précoces, aussi, augmentent le

monde ? Les phrases lues, alors, nous devancent.

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Cerisier-de-mer-peut-être et home-cinéma des connexions entre la vieille "chaîne Hi-Fi", la

TNT, et quelques cables récupérés par le fils. Assemblage de résistance, création-malgré,

relève sans spéculation.

Le brouillard s'est levé, on revoit l'église et les voitures trop rangées derrière la clôture.

Des gares qui ne sont connectées que par nos pas-de-nuit-de-deux. Seul on n'atteint aucune

communauté. Eluard: "Nous n'irons plus au but un par un mais deux par deux. Nous

connaissant par deux nous nous connaîtrons tous, et nos enfants riront de la légende noire

où pleure un solitaire". Dans cette citation on a omis dans la brique rouge peut-être, j'ai

omis certainement, "nous nous aimerons tous". Toutes les briques sont rouge-sang.

Planteurs de poteaux à courant qui accourent vers la jeune fille dont la famille fait silence,

et la gène et le départ, sans mots. Qu'est-ce-qui nous fait clair un jour-puis dans le destin de

l'autre ? Quoi sauf un jour le partage des demi-rêves ? Comme une double empathie de ce

qui n'est pas mais doit venir.

Réveil: "remontée d'ashram", tous ces temps de culture cellulaire, d'errance d'une cachette

bio-médicale à une autre, échec de tout clone. Mais: les voyages ! Où seuls régnaient les

potentats dirigés: congrès, regrets de désert.

Lévinas, la dialectique de la parole (p.100): il y a dans la parole une impossibilité de

sincérité qui en constitue l'unique sincérité. Personnages de Dostoïevsky, de Gide qui en

pleine confession s'interrompent pour déclarer qu'ils font de la comédie, de la littérature, et

cet aveu est la seule sincérité qui leur soit encore donnée. La simplicité honnête et posée de

l'Idiot: comme une empathie automatique, mais qui ne règne que lorsque la dépolarisation

corticale et orientée est levée, cette vague corticale de la migraine, de l'aura et que je tente

dans l'épilepsie. La personnage s'en dégage de sa position sexuelle, pour atteindre un ordre

simultané et une égalité de personnes: quotidien et ordre cosmologique, croisement,

Dharma.

Aphorisme: un méthodologiste qui clame n'être en quête que d'une idée, au mieux, et si le

vent est "bon" dans sa vie, est quelqu'un qui n'a jamais dépolarisé, et n'a jamais fumé. La

force du bidi, aussi: est qu'il stoppe sa combustion quand on le délaisse. La méthodologie -

de ceux qui, $cientifiques ou littérateux, ne publient que leurs protocoles - est d'écriture

corticale. La littérature, elle, traque le sous-cortical libre et ouvert au vent de la pronoïa.

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Mais je me répète, je n'ai que cette seule "idée"... Ou encore depuis ces quelques mois: je

fume à cette idée par jour du bidi, qui est toujours la même et qui est toujours une autre.

La conscience est le mode d'existence d'un être qui peut, et, dès lors, le rapport avec le

commencement est une relation avec ce qu'on ne peut pas.

Lévinas

S'affirmer, dit Lévinas, comme une souveraineté dans cette civilisation, est la condition

pour la transcendance de l'accomplissement d'une promesse.

En terrasse, une ombre toute noire qui me percute latéralement, je dois me retenir de la

main à la table voisine, c'est elle ! en manteau et guitare noirs, coquine et radieuse !

Le mot, dit Lévinas, n'est qu'un signe, qui, taillé dans l'élément du son, confère aux

éléments signifiés un rapport avec le mystère de l'être, qui brise la continuité de l'univers.

Mais la société-QCM s'accommode à sa dyslexie. L'écriture échappe, on compense par des

dictées à trous, il suffit de compléter le programme. Le dyslexique apprend-il l'ordinateur,

ou le virtuel de l'hyper-image, qui n'est plus dans le même registre de césure partielle du

symbole, mais dans l'hyperdistance, dicte-t-il sa loi nouvelle ? D'une logique exploratoire

du langage, et qui laissait libre l'imaginaire des autres plans de langages, on s'applique à de

nouveaux interdits au réel plus massifs que ceux de la logique, sans bien savoir lesquels.

Qui regarde encore le monde des résistants qui tentent ?

Pour Marx, mais en Amour aussi, les grands événements se présentent une première fois

sous forme de tragédie, puis se répètent sous forme de comédie. On se cache, dans

l'ensuite, espérant.

Exil universel et aphasie. Babel fut interdit de la langue commune, à chacun ses césures et

qui ne font plus sens à l'autre, dans le langage des Dieux, ce zaoum du mélange de toutes

ces langues devenues étrangères, chevauchement de coupures mais qui ne peuvent dire, les

hommes étant descendus. Aphasie de l'exilé dans un seul langage maternel, la naissance est

quasi-aphasie qu'il faut éteindre encore pour se reprendre. L'écriture, dit N. Manea, est un

résultat du déracinement, qui oblige à habiter dans les fissures, le sol perdu, portant sa

maison sur son dos. Ecrire après Auschwitz ? Aujourd'hui rien ne semble assez scandaleux

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à l'audimat des médias, mais rien n'est plus assez scandaleux pour devenir mémorable.

Comment exprimer cet inexprimable dont nous sommes privés par le déracinement

originel, tombés du placenta-contact ? Quel avenir pour les écrivains roumains privés du

refuge et de l'exil ?

Romain Rolland et Panaït Istrati. Il en tapissa sa chambre pour apprendre ce français

mièvre, mais sut camper l'injustive au vent des saisons, chardons des saisonniers agricoles,

chemins interdits des gitans, et toute première dénonciation de la dictature stalinienne. Il

paya de la part des camarades français... Vers l'autre flamme. Une mort discrète en 1935.

Comme une non-tronche du père, aux lunettes, dans la collection Phoebus.

Au Trou-en-Velay, prendre sa carte, c'est pour la pêche. On hésite. Il faut pourtant satisfaire

l'esprit cannibale, le printemps épargnant les animaux à leur ponte, les poissons en relai

offrent leur chair de croissance elle continue.

Il est d'autres émigrés roumains à Paris que des ambigus du fascisme: Elie Wiesel, et ce

très beau Mendiant de Jérusalem, me fut-il offert en toute vision ?

Les changements ne tombent que du ciel, ou alors ils ne tombent pas, dit encore un

roumain littéraire. Mais il nous échoit bien de titiller l'échelle, de ployer sous la myriade

des étoiles découvertes, de voir ainsi quelque peu leur courroie d'unique dans ce

mouvement-là qui s'enclenche dans cette chute, qui nous fracasse, ou nous projette.

Comme un Ph.D. écrit à bout de compétence. Lui était déménageur international, qui ne

croyait pas aux nations, ces cicatrices des guerres, ces gels de la migration première. Il ne

laisse à ses fils que des cartons emplis de souvenirs et une foule de questions. Tout s'y

bouscule, mais oui, joyeusement. Je répète (la science, c'est risqué, peut-on aussi proposer).

Crépuscule des idoles, mais ce crépuscule est annonce d'un plus de réel. Schweitzer

revisité d'un autre côté d'un miroir, dans cette aura qui ne nous apparaît pas, justement, de

l'intérieur des nations auxquelles on a voulu nous lier. Le miroir d'Eliade, lui, est sphérique,

ce qui complique son agonie, l'aura en reste palpable, ancrée malgré le voile. Fascinant

fascisant. Dr America, le Dr Tom Dooley était sans doute médiocre étudiant et homosexuel

de découverte tardive, mais pourtant fondateur d'un royaume. L'image peut bien un jour

tomber, et doit bien tomber, l'aura persiste et nous a donné à la faille, le pli nous explique.

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Sloterdijk et l'origine technognostique des religions. Elevation de murs, restitution de leurs

fantômes. Sloterdijk (Globes, Sphères II, Pluriel, 2010, p. 240-87). Les murs des

civilisations de la haute antiquité, les premières murailles, celles de Mésopotamie, notre

berceau du néolithique, sont constitutives de notre immunité de surélévation, externe

comme interne. Le castillo intérieur de Thérèse d'Avila reprendra encore, lui aussi, en

quête de sa septième chambre, cette technognostique héritée du haut-empire romain. La foi

est un effet psychologique secondaire à la construction des paléomurs: aucun religieux du

premier palier ne peut discerner ce qui constitue le fait primitif de toute religion,

considérée comme cryptoarchitecture: seul l'emmurement du dieu produit son mystère

spécifique.

Edifices paléo-chrétiens, bientôt les cryptes s'armeront de forteresses-églises. Dans cette

compétition des chambres successives, c'est la crypte, et son rocher originel, qui lui ne fait

plus mur, qui tient de cette restitution suprême du mur-fantôme, quête de l'archéologue de

l'antiquité et du monde médiéval. Nous recherchons constamment la crypte, et ce à la

verticale aussi bien qu'à l'horizontale, dans une démarche phénoménologique ou abscisse et

ordonnée ne sont plus que des modes de chiffrement de notre emmurement et de notre

désaliénation au grand carroyage. Là où, dira Augustin, notre Dieu est plus proche de nous

que de nous-même. Ce là vers où se diriger non plus en faisant la queue, en perçant les

enfermements concentriques, mais en brisant les codes comme on voudrait briser les murs.

Sloterdijk nous redit Eliade, dans son exploration du sacré au néolithique, quand la foi des

hautes-cultures relègue l'"inconscient" paléolithique dans des enceintes de murailles, dans

la ville, d'où aucun recul n'est plus possible. Obscurci, isolé, retranché et perdu de l'autre

côté du mur, le dieu créateur; dans la ville, un dieu "sauveur" auquel il faut désormais se

livrer, sauf à retrouver la crypte: Sloterdijk nous donne ce lien étroit entre archéologie, foi

et "psychisme néolithique" qui nous gouverne encore. Nous offre une lecture de cet

ésotérisme néolithique, et de son hermétisme, du sadisme du constructeur, du masochisme

du contemplatif emmuré. Gilgamesh, roi d'Uruk, cette énorme cité de sans doute plus de

50.000 habitants en l'empire et l'emprise de Babylone en 2700 avant J.C., fait le premier

récit, celui de son échec dans l'immortalité, sur lequel Epicure fera deux mille ans plus tard

ce commentaire: "face à la mort, nous vivons tous dans une ville sans murs". Et si

aujourd'hui, livrés au monde globalisant, les murailles physiques des cités ne sont plus

aussi épaisses qu'en Babylone, mais sont des parois fines, notre immunologie en est-elle

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pour autant modifiée, avons-nous quitté le néolithique ? Car si les limites de notre être ne

sont plus en murailles concentriques mais en emboîtements décentrés et chevauchants,

"réseaux", "entreprises", "classes sociales", etc..., ne sommes nous pas masqués au réel de

manière encore plus complexe, distante et opaque dans cette "modernité" ?

Si la Grande vérité l'emporte, alors la terre sera la propriété de tous. Alors les hommes

n'aimeront plus seulement leurs proches, ils ne se soucieront plus seulement de leurs

propres enfants. C'est celà, la grande communauté (vision de Confucius, face à la

claustrophilie et la xénophobie de ses compatriotes).

Sloterdijk rejoint aussi la démarche mystique d'un de Certeau, dans cette description

oxymorique du mur, car les murs, porteurs de miracles, quoi qu'ils montrent déjà d'eux-

mêmes, dissimulent en même temps quelque chose d'essentiel, même s'il ne s'agissait à

première vue que du mur suivant. Quête de la crypte, de l'argile, du rocher originel qui est

celle de l'archéologue sur son champ de fouilles, ou quête d'une cité utopique sans plus de

murs, à l'image de la Tchevengour de Platonov, ingénieur es-argile qui s'emploie à faire

déplacer chaque fin de semaine les quelques maisons encore debout dans une ronde de

désespoir communiste, ou encore "graal" du mandala kalachakra tibétain où l'initié devra

parvenir à franchir nombre de constructions avant de retrouver la semence pleine du centre

emmuré. Car de la cellule primordiale à la cathédrale occidentale, la membrane, le mur, le

rempart sont autant d'épiphanies.

Visions prophétiques d'îles plutôt que dissection du panoptique des tours-murs. Oasis en

désert: d'où l'on sent plus que l'on ne voit, comme si l'on était en mer. Attrait pour

l'immunologie, mais en déconstruction, recherche de l'atteinte du fantôme archéologique

du mur, du mur spectre total, métamatériau.

Seule une existence purement physique (prison, camp, simplicité volontaire, ashram, etc...)

peut permettre de ré-atteindre au noir de source. Le corps en vecteur obligatoire de

l'énergie d'arrachement originel.

Mézenc et Allambre vus de Nolhac: le lingam et le réceptacle de Shivah.

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Réveil: marre

d'extraire mes

souvenirs

comme de

vieilles dents.

Tournée en bicyclette assistée - mais la batterie faiblit vite aux rues en fortes montées - j'en

reviens penaud, ayant réalisé pourtant mon évasion, échappé au rendez-vous sans question,

la nuit m'en avait donné l'évidence, je n'avais aucune raison. Je tournai, donc, en boucles

dans la ville, insulté de ma liberté par le camionneur enrageant au feu rouge, moi le croyant

vouloir me réorienter. J'étais irrémédiablement libre, bien qu'assisté. Electrique de cette

énergie qui filait.

Enorme guitare de trop petit, corde cassée-sourire, la croix masquée et pourtant déjà forte

de haine, cadeau de la mère, qui l'a oublié. Oublié ? Elle sourit plus maintenant qu'elle

nous échappe. Elle trouve sa

présence, que nous aurions aimé

côtoyer enfants; elle accepte enfin

d'être guide, perdant son guindé.

Découvrir le père dans ses furtives

phrases de fin, la mère dans son

silence enfin. Cancer versus

Alzheimer, fumée précoce et

fumée tardive, j'espère en ce

centre.

"Je découvre votre travail, mais ce qui se passe est très fort, car il est des écrivains qui

n'ont pas vécu, des lecteurs qui en vivent, et vous nous donnez ce centre", aurai-je pu leur

dire, à ces quatre de l'atelier d'écriture de l'hôpital psychiatrique.

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Hegel: en-soi durable dans des dimensions qui ne sont plus orientées, rejoignant peut-être

l'univers physique de la théorie des supercordes. Mais pourquoi donc n'apparaît jamais

cette possibilité mathématique de dimensions multiples de temps, sauf à relire les

psychanalystes (A. Green) ? Les présocratiques eux-mêmes ne semblent que vouloir abolir

le temps, sans poser clairement le possible de sa multiplicité; même les mondes de la S.F.

ne s'autorisent des temps diachroniques que dans des mondes parallèles mais peu

communicants. Théorie des multivers de la S.F., rejointe par la théorie des cordes encore,

où se déploient électivement quelques dimensions choisies d'univers, mais toupours une

seule dimension temporelle. Einstein même ne posa dans sa relativité qu'une courbure du

temps sous l'effet des masses, sans oser théoriser des temps multiples: ?

La Madeleine à la veilleuse, retour à l'homme, Eliade partiel sans journal 1940 et

Alexandra David Neel m'y attendent, mais "vendre ce lieu" trop fermé encore pour le

champ et son centre-yourte, où d'autres refuges peu-à-peu s'adjoindront.

Réveil: j'ai vu le ciel de lotus, détail sous couvert de l'automate sacrée, danse en un ciel

toujours proche, bleu-vert mer et paon.

Eliade: une présence du réel plus qu'une mécanique structurale. Une phénoménologie des

religions, plutôt qu'une "histoire" des religions. Mythes, messianismes et guerres ? Les

généraux sont ailleurs, et pas dans tous ces livres qu'il nous reste à lire. Coquille, carapace

et crâne sont les livres; au reliquaire, avec la poudre de source du Gange, d'une source, il

ne manque au fait religieux que la consubstantialité de la relique.

"Je vois une fonction sociale à l'histoire des religions", poursuit Eliade dans ces entretiens

(p. 125): voilà la thèse, qui prépare un certain oecuménisme religieux; son oeuvre et son

courant, la contre-culture, Chicago, ont favorisé ces rencontres, mouvement hippie comme

Taizé, et on l'a voulu guru de ces années là. Eliade a certes posé là un "New-Age", mais

sans son aspect commercial, sans ce cognitivisme ou ce dessein intelligent qui maintenant

en émerge; quelque chose comme l'atmosphère du campus universitaire de Chicago, mais

sans Chicago; un lieu risqué, certes, où "la liberté de l'esprit est telle qu'on ne peut

l'anticiper". Eliade ne propose rien de moins risqué en effet qu'une phénoménologie des

religions (p. 138), qui vise à nous faire revivre ces positions, ces moments, un "comprendre

du dedans" la situation de l'homme en sa religion primitive (ou pour le moins néolithique).

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Et à cet empathique vers la religiosité première, répond un risque de possession secondaire

de l'historien (comme du thérapeute se risquant au soin non médicamenteux de la

psychose): un risque existentiel de l'aventure intellectuelle, dit Eliade, où il risqua parfois

le passage irréversible, mais risque qu'il sut dépasser. Risque existentiel de décompensation

psychologique dans la traversée du mystique, par la participation au phénomène, et risque

majeur par rapport à Hegel, qui, lui, "ne s'occupait que de deux ou trois cultures"...

Spectre du cannibalisme, omniprésent, aussi, (p. 140), cette énorme liberté vivante dans les

rites orgiaques, et jusque dans le mouvement hippie, et sa créativité. Eliade valide les

catastrophes créatrices (p. 143), y compris celle du nazisme, la déesse-mère shivaïste

enfante et tue dans ce monde où nous vivons "entre" animal et esprit, il y aurait un sens de

l'horreur à appréhender dans une voie parallèle à celles de la mystique, du yoga, de la

contemplation. Condamnation par contre du meurtre moderne "inutile", "désacralisé", de la

cruauté pure, mais "pour les SS l'anéantissement de millions d'hommes avait un sens

eschatologique"... Et encore, sur l'idéologie nazie: "ces malades, ou ces passionnés", qui

auraient basculé dans l'effondrement existentiel... Il n'y aurait "terreur de l'histoire" que si

le mal n'est pas accolé à un sens, et Eliade navigue dans cette herméneutique et cette

créativité-là de ce sens parfois horreur...

Eveil: quand on meurt (m'envolant) on s'aperçoit que ce monde est plat (comme une feuille

blanche peu écrite, et presque pas plissée, à peine quelques montagnes d'émoi et de

conjonctions). Noir et blanc, aussi. Mais non irréel: un feuillet de tout ce qui est. A tous

ceux qui explorent ces plis, où nous nous retrouvons. Etranges, convaincus ou

explorateurs, y tentent des pieux, vers toutes les autres strates, avec péril souvent (ce risque

existentiel de l'aventure). Moi, je me laisse pour mort, réintègre le plan peut-être, éveil.

Ages obscurs: préhistoire et Alzheimer. Le second attend aussi ses phénoménologues.

Eliade se livrant, sans construction sans doute, mais avec quelques scotomes de choix (ses

sympathies fascisantes; ses expériences tantriques). Compréhension cosmique et destinée

propre, gnose de Princeton, une phénoménologie qui permet de balayer, voire de décrire

l'unité de l'esprit humain et sa créativité, en partant de l'analyse de l'imaginaire et du

symbolique: "le sacré est camouflé dans le profane, comme pour Freud ou Marx le profane

est camouflé dans le sacré". Dès l'enfance, une expérience en pénétrant dans un tout autre

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espace, le salon interdit des parents, lieu d'un social ordinaire bourgeois pourtant, mais le

fanum interdit qui s'emplit d'une lueur verte d'un centre plein. Mon fanum interdit exista

bien, ce premier chantier qu'on me refusa car appartenant à un autre champ, de discipline

(un médicastre qui se voulait fouilleur!), et du père Mathieu, aussi, qui y soignait je ne sais

plus quels choux au croisement d'une déroute de Thérouanne. Interdit surtout de par la

volonté que je n'exprimai pas, non né, trainant de père introuvable en père occupé. Mon

fanum en propre existe pourtant, il fut dans la contemplation de routes interdites, liquides

ou souterraines, de mes huit ans, puis circulation à pied en équipe scoute ou en caravane

pourtant familiale sur ces routes qui en devenaient dès lors sinon sacrées encore, mais bien

autorisées de l'institutions et échappées. Maitryi, elle, y était encore soit invisible, soit

dangereuse.

Eliade tend à atteindre l'autre espèce humaine, qui est androgyne. Sous l'influence de

Kierkegaard (lui aussi me resterait, semble-t-il, à découvrir tout au moins en ses mots,

sinon en son message. Ne pas lire K. lui-même, qui serait "dilué", mais les études Kennes de

J. Wahl, conseille le maître, souvent critiqué pour sa culture de seconde main et de

bibliothèque plutôt que de terrain), il se sait précocement pamphlétaire, fiancé et ermite.

Reformer une philosophie, amener à lire les penseurs à l'âge encore ouvert, éviter le nuage

forcé qui règne dans l'éducation occidentale, suggère-t-il. Le socle de l'histoire des

religions: Le Rameau d'Or de Frazer (et ma joie d'être encore inculte !). La gnose: le jnana

yoga, Pic de la Mirandole, Ficin, et l'orphisme. Voir, voir, tout celà ! Eliade, sans doute, ne

cherche pas un guru qui reviendrait parmi nous, mais un homme en partance: celui qui, au-

delà de cet espace que nous partageons (le monde plat de mon rêve) arpentera le

labyrinthe, par les plis. Sur ses expériences yogiques, donc, Eliade se livrerait quelque peu

ailleurs, dans son roman Le secret du Dr Honig Berger, et sur l'"érotisme" dans La nuit

bengali. Fragments d'un journal, aussi. Et le grand initiateur semble bien Milarepa, dans sa

biographie comme dans ses poèmes.

Néolithique, le sujet d'Eliade est le sacré au néolithique, ce grand pli toujours de la culture,

et la chtonalgie est-elle alors cette douleur nouvelle de l'homme qui érige les premières

limites étanches à la nature ? Le rêve, en tant que mémoire de notre vibration

d'arrachement, est bien le livre de notre destinée; plus que "prémonitoire", il est description

fidèle de cette "destinée" qui n'est autre que l'originaire spécifique qui porte chacun de

nous, une vibration une, mais torsadée par notre forme. La vie, torsion du néant en tant

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qu'arrachement originaire, à cheval sur la probabilité de notre forme, propose le fils

complétant l'équation du père Pierre. Et selon Platon, la connaissance consiste pour l'âme à

se souvenir des Idées qu'elle a contemplées au Ciel; pour les soufis ou le zen, "contempler

le visage d'avant sa naissance".

La lokoapattes de l'imagination tire le train où vont les choses, livre quant-à lui Fred;

comme un crâne de l'imaginaire qui transcende le caput mortuus. De l'odeur pleine de

l'encre, imaginaire total, au point du bidi et de son vertige horizontal, les choses n'ont pas

changé. Plein pouvoir de ce mot choses, réel de Ponge, mystique de Lacan, vécu dans les

choses totales du haut hindouisme. Les artha nous articulent bien au réel, et non le manas,

qui est aussi chose en abyme; chacune des choses a cette articulation au réel qui s'écrit, se

projette sur la portée (infinie ?) du mille-feuilles deleuzien du réel. La bibliothèque

philosophique totale se construit autour de Mille Plateaux, de Qu'est-ce que la philosophie,

de Philémon et de de Certeau. Et je me retrouve à nouveau en l'oncle Félicien, qui n'a plus

besoin de voyager, mais sait imaginer l'entrée de tous les tunnels.

Le ternaire éliadien, sur le modèle de Dumézil qui l'épaula à son arrivée en France:

alimentation, travail, vie sexuelle. "Vivre en tant qu'être humain est en soi un acte

religieux", ce mode d'être ouvre l'expérience du sacré, phénoménologique. Une ipséité, une

oïkeiosis; c'est par ces expériences, et non par la vie religieuse, qu'il faut se construire.

L'exploration du labyrinthe, chemin des épreuves-expériences; Neumann, disciple de Jung,

apporte la notion d'un "centre" de ces expériences sacrées, mais "nous sommes des êtres

d'aventure", aventure qui nous distingue des pierres, des plantes et des insectes (la ligne

claire du vivant ne serait pas alors dans le mouvement, qui peut être imprimé passivement

à tout tissu organique ou minéral, selon les stoïciens, mais bien dans cette force

hegelienne de l'exploration, en amont de ce mouvement).

Le nourrisson donne tous les sourires et tous les droits à la maman. Second mode d'accès à

la terre-mère, la maternité, et sur un mode peut-être moins psychotique que dans l'amour.

Voilà pourquoi sans doute l'Inde, mais aussi l'Eglise catholique, n'envisage-t-elle pas de

dissocier sexualité et conception. Ceci dit après lecture de Mayetri et sa triple interrogation

finale.

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La littérature devait très bien pouvoir se passer du livre, cette occasion matérielle, qui

aujourd'hui est circulée, le texte n'étant plus qu'occasion de connexion. L'auteur seul,

d'ailleurs, s'enfermait dans le livre, soupape, devant l'impossibilité du dire, l'écrasement

d'interdits. Un code, un texte, une souveraineté. Soupape de l'écrire, quand, tout près du

réel, il faut écrire inflammatoirement, afin que ce tissu qui maintenant nous trame puisse

rejeter sans sanction ce social qui encore tente notre découpe à froid. Parler des pauvres

quand on ne l'est pas c'est s'exposer à l'anathème, et à ce rejet, maintenant, de nous-même

par le tissu. Avec le clochard, dit P. Bruckner, la compassion n'est jamais loin de la

violence, la charité de la haine. Car le peuple des berges, à l'hébergement de la cloche

céleste, s'il n'était pas déjà rêveur, le devient, illuminé; cloche pathologique, et pathologie

de la cloche, voyage sans doute absolu. Bien loin, bien loin de l'ouvert plein, qu'est-ce-qui

branle la cloche opaque du cybermonde ? L'usage ou la maille imposée ? Le réseau est-il

vraiment celui de la nouvelle migration de masse de la population vers un nouveau

continent ? Ou dérivation, itinéraire de délestage du désir, qui bientôt deviendra circuit

obligatoire, les routes et les ciels se nécrosant d'oubli ? Internet n'est ni média, car il n'est

plus de source centrale, ni oeuvre reproductible, car totale plastique d'un contenu (dans une

forme pourtant sévèrement imposée); nous y sommes aliénés non seulement par notre

capacité réceptrice, mais aussi par nos émissions qui s'y tubulisent, délaissant les auras de

l'affect. Cette nouvelle viralité sociale, est mouvement, forme, attraction qui l'emporte sur

le fond, analysent J.-F. Fogel et B. Patino; un colle-au-social plutôt qu'un fouille-réel,

qu'était la littérature-livre. Un flux qui tient autant de l'électricité qui la porte (comme la

douleur) que du débat; et un flux éphémère, vite submergé par un autre, d'aussi peu

d'importance. Mais dans cette régression étonnante, l'hypertexte du réseau social recrée

aussi l'ambiguïté créatrice des premiers manuscrits médiévaux, où le commentaire du

copiste se diluait à ce qu'il reproduisait. Carl 'hypertexte abandonne l'italique et la

guillemée, le commentaire différencié des textes sanskrits ou la note de bas de page, et

jusqu'au nom de l'auteur, dans la liberté du clavier. Mais qui, dans ce flux des posts, se

soucie encore de cette créativité, et du message ? Du pouvoir étrange du littéraire, de

l'écriture, de son matériau, plutôt que du dématérialisé, qui ne gère plus son énergie perdue,

livrée à la connectique et à une onde impalpable à l'usager ? Et quel écrit utilisera demain

l'histoire pour juger cette toile qui nous guide-prive notre électrique ?

Eliade et la Bhagavad-gita: la guerre aussi peut être "karma-yoga", acte désintéressé,

renoncement au fruit de ses actes; mal et compassion se rejoindraient alors, acceptation

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d'un chat qui hurle... un dépassement de la logique et de l'interdit... un double mouvement

entre un moment de la création (du "temps" des origines vers celui du temps légendaire

puis du temps historique) et un moment herméneutique, en sens inverse: dans ce retour-là

rien n'est perdu et siège la mémoire. Lévy-Bruhl, et la phase prélogique (Gödel pourrait

intervenir..;: n'est-elle pas encore et toujours logique, incomplète, cette origine ? est-elle

pleine, consistante ? ) de la pensée humaine, avec ses explorations-vols ascendantes, et son

noir de source à la J. Bousquet, "descesus ad inferos", dans cet aller-retour, ou cette

combinatoire qu'il faut rendre incessante, entre ces deux mouvements (insérer scan

schéma). Cycle des oiseaux de Brancusi, autre zaoum: l'artiste y recherche non le vol lui-

même, mais l'essence du vol, ponctuation du labyrinthe. Pour Eliade, le contact par l'extase

au sacré n'est pas une "mystique", n'est pas un cri de la perte de contact; mais l'expérience,

elle, englobe ces deux aspects, se vit dans le parcours du labyrinthe comme lors des sorties

de ce labyrinthe. Et notre corps, soumis à toutes les pesanteurs, est capable de navigations

comme de "transmutations".

n: valeur pleine de cet effectif impossible des statisticiens, toujours pourvue d'un manque,

qu'ici on appelle risque.

Réveil: bloc de sommeil (condensation tête-mains-etc, foetale), des vers y-aspirés défilent

en clair. Ribosomique ! Je ne les note pas, pensant les avoir déjà écrits...

Biographie d'un frère altiligérien, enseignement, patronage, camps de jeunes, missions en

Côte-d'Ivoire, puis bienfaiteur des polios... Attention ! Frère Polycarpe va parler ! Toute

une gangue de colonialisme ! Mais qui masquait la beauté de ces hommes, aussi ! Appel

interdit de mon scoutisme des années 70 ! Et la technicité-prétexte ! Soeur Sourire

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fracassée ! Mission impossible ! Mais attention ! Frère Polycarpe va parler ! Frère

polycarpe parlera-t-il ? Ces jeunes que l'on draguait dans les campagnes (aujourd'hui

encore aux USA pour gagner le Golfe ou autres Afghanistans), sous la conduite des Pères

des villes; tous ceux-là qui sont "allés chez les Frères" et en ont gardé un éveil peut-être ?

Simple hyperactivisme ? Foi ? Compassion comme Mal... Dois-je maudire mes parents

d'avoir été trop bêtes, ou trop absents, pour m'évoquer une voie religieuse ? Frère

Polycarpe aurait-il parlé ? Parlera-t-il dans ce besoin de contact (cf. Eliade ci-dessus) qui

se renforce maintenant d'année en année, après toutes ces années d'autisme ? Frère

Polycarpe a-t-il touché le monde, son évidence et sa joie ? Nécessaire traversée du trauma:

les Pères et leurs enfants handicapés,une fois l'école et la catéchèse "usées" à leur

activisme, celui que je n'ai pas ? La vie dans ce plan en pure traversée du corps-trauma,

ouverture de l'oeil interne, une fois l'horrible exorbitation réalisée...

Zeno Bianu, chantre des poètes du Grand Jeu, disciple de quelque cercle... qui me touche

...les yeux sous le oui affleurent dans un bleu d'aube pour saluer les anges et les

dépossédés... rappel au plus insoumis de toi-même, à ton noyau de mort errante... Peut-

être la mort n'est qu'un phosphène, une brèche pour respirer autrement; cours plus vite

sous la cendre, traque les instants où se lève la parole, enfouis-toi dans les limbes d'une

seule seconde. Elle disait encore comment ouvrir une prière jamais dite remontant à la

source. Nous nous insoumettons (La Troisième Rive, Fata Morgana, 2004).

Eric Jaqueline, assistant d'histologie que je ne fus pas... et mes macrophages qui doivent

gérer ce bidi maintenant quotidien. Le journal est la seule littérature qui tienne, qui lève

l'angoisse de ce qui est étroit, cette pure étymologie de détresse - si on m'autorise cet

oxymore - qui donne la question en migration, nous dit Adler dans Voyages: ces quelques

lignes le valaient bien, ce voyage, qu'à nouveau on me le permette, moi qui ne suit

aujourd'hui encore qu'en témoin obligé de tout ce que mes parents se sont vu occulter de la

guerre. Abandonner toute prétention au clavier, mes deux doigts pauvres frappeurs sont

une chance contre toute cette dyslexie du monde d'aujourd'hui, laisser glisser cette plume

qui tente à abolir toutes les césures.

Art et santé mentale, lectures croisées, en revanche contre les murs. Portrait chimique:

suis-je moi-même sous clopixol injectable ? Emoussement de l'affect. Viennent alors les

année solian: manie. Années zyprexa: prise de poids. Abilify, trop haut; zeroken: bien. HP

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libératoire: enfermement sans sentence, consignes secrètes, injustice, attente, solitude.

Notre folie nous est bien commune, mais la douleur, elle, est la, charge des fous: notre

décharge. Ouvrir un livre: l'envie de boire s'en est passée, intérieurement je le déguste, je

me plonge, je garde tel passage, la répétition est comme une fête. Lectures de contes à

l'école: les personnes handicapées, encore, font du care. Beckett et sa psychose, aussi. je

déambule à gauche de mon couloir et je fais tourner l'hémisphère sud, je pense que celui

que je croise de l'autre côté fait tourner l'hémisphère nord. La guerre la ferme le

catholicisme les cris les grossesses les bottes de traîtres (quel lapsus...) le pensionnat le

linge neuf le numéro

Les sinus s'ouvrent il faisait longtemps quelles sont donc ces bottes de traître quelqu'un un

jour lui a-t-il demandé demandé demandé demandé quelqu'un c'est moiu je n'accroche rien

il faut répéter celui-là me demande mais il tourne j'ai déjà répondu mais moi aussi moi

aussi moi aussi j'ai tourné c'est dans l'autre sens les bottes de traite la ferme oui la ferme on

se tait par la suite par la suite on nous taira (Tes petits pieds dans les traces de mes sabots,

R. Defay). Renée. Le médecin lui lui ne s'est jamais autorisé rené rené. Je tourne, ça

tourne, oui ça tourne, je n'ai pas le dire ça tourne le médicament les murs les murs. Je

donne du coeur et de la voix, parce qu'on est là pour ça.

Le voyage (Adler) n'a pas de lieu mais un milieu, là tout est présent, Paul prend sa part,

parcourt beaucoup de chemin avec ses parents et ses amis, descend, meurt. L'image du

voyage. Le souvenir en pérégrination. Il y a un milieu comme lieu d'origine et destination

du voyage. Ai-je atteint le but ? Suis-je l'invité ? Je me tiens sur la scène, même en tant que

mort fuyant le phénomène. Il y a un milieu où exister, et la contenance est dmilieu/dt. La

fuite devant l'apparence, pas de tranquillité... voyage... emporté... déchet, rien que déchet.

Le pèlerinage, lui, est contenance du groupe, contenance des morts, communauté à la M.

Weber. Il me restait encore quelques représentations. Le déchet est partout. Ce qui nous

appelle, c'est le devoir de reconstruire.

Le métro de Porto (coup de massue d'un nez fabuleux en bord d'océan, fort, tempête, plus

de sardines ici) est en arbre et non en étoile, s'ouvrant vers les vagues et le nord. Il a un

tronc, et pas de centre, à l'image de sa ville. S'ils faisaient une révolution, ils en

trouveraient bien, un centre ? dit-elle, elle, tendre. Ils sont conservateurs, répond-il.

Immune Porto... "Oh les mêmes épaves de toujours, entre l'Asie et l'Europe. Les luttes, les

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variétés éclatent dans ces côtes et partout. Où reste la mer dans sa détresse irréelle ?" (cet

après-midi, l'océan frappant les rochers où s'établit le fort à l'empire des identiques). "Et les

empires et toutes leurs provinces ne durent plus. Ils sont l'affaire des gens vaincus", la

frontière est le propre du vaincu à son niveau de tentative impériale.

Nous ne sommes pas rue des Douradores, et pourtant Pessoa est partout et nous foulons

son pavage, son portant, ses frontières. Meillassoux m'offre une densité conceptuelle de

mon "oeuvre" que je croyais passée, redoutant d'ouvrir son mail, croyant en sa politesse

face à ma folie. Feuilleté, éclat et transparence. Enormes granites pailletés de mica des

roches lusitaniennes. Dressées en murs ou domestiquées en pavés. Un bardo entre la rue

qui rejoint de la rivière la ville haute, dans la brume de l'océan, passant sous la ferraille du

pont ou quelque métro à la lueur de buée semble traverser l'espace d'une rive à l'autre sans

plus aucune consistance intermédiaire. Des chats tranquilles et des vides-ordures au plein

de la pente. Du linge qui pourtant sèche, donnant une verticale rose à ce chaos de gris, à

cette étoile faite d'ombres de poutrelles Eiffel. Quelques rais d'un improbable réverbère:

bardo, étage, étoile.

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... "d'autres foules plus vouées à quelques histoires absurdes. Voire des odes, certaines

épigrammes dangereuses; rien ne va changer la vie en mort d'un seul coup. La mort, ça

n'existe que dans les forces ignorées des vagues ou d'autres choses encore mémorables; les

allures de ce monde décimal ne changent pas la bride des âmes, il y a peut-être un

écoulement, des tempêtes, quelque égarement de symboles" (J.P. Feio, Pathos, in Sundry

poems collected as poetical tracts). "Le monde décimal a triomphé, aux abords d'une vie

dorénavant déconsacrée. La compassion n'est plus visible. On souffre, désormais. Et l'on

craint l'ennui, la mort, les machines et les leviers du profit. L'Occident n'a plus de sens.

L'Orient s'enfonce dans ses ###" (humeurs ? humours ? hum...?)

L'étrange n'est pas celui que l'on croit, que l'on croise sur la brume à gros sable de la plage.

Hier baigneur décapité, rongé, comme un organillon tardif d'avortement, comme un trop

néoténique mal engagé; aujourd'hui un foetus de chien (ou un rat nude). Longue queue, sur

la grève, quelque part entre poisson et mammifère: une récapitulation portugaise. Ces

roches maintenant, encore, qui serrent ce presque-cap, en un passer à battre. Verticalité des

vagues, surfant comme sur elles-mêmes, jusqu'en geyser, positivité de l'abyme marin;

Saudade. La Mauritanie, atlante et déserte, est en continuité de cette terre-mer. Un enfant

élevé en ville peut-il encore être compensé ? Odeur d'anis, des plantes grasses sous le vent.

Compostelle en galerie de gâteaux. Quelques femmes sur le pas de leur champ y vendent

citrouilles et blettes géantes. L'Italie, bientôt, autre voyage, dira le sud et le fenouil; ici

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Manuel a mis en grenier dogon le varech qui doit nourrir son champ.

Ponte de Lima, rio, et ville aux directions pleines. Brume stable, Noël sur terre, ici est eau,

Elle dans son bain, enregistrer tous les sons qui passent, et sa voix de soprano, et le

rythme: dans chaque gouttelette stable. Julian, L'Ombre du vent, jeunesse des passants de

noir, hors toutes le "automobiles" que les pères de famille vont chercher. Que rassemblent-

ils (y ?). Mussorie encore, bidi qui restait à venir. Parking insubmersible, sauf les jour de

marché, nous ne craignons rien sauf de l'eau, passants d'attente pris au flux, plus aucun

horoscope qui vaille, lichen absolu, quelle est ta symbiose rêvée ?

Sur son monte, sur la route de la devenue sainte, la capella de Madalena n'est qu'eau, qui

rebondit, flotte, coule, s'évapore, nous composte, permanents ici au monde qui circule.

Elle: est là où elle devait arriver. Les femmes sont à l'eau magnétiques. L'onde tourne,

aérosole, neige de soleil, été de décembre, et j'écris dans les bulles même sur la peau de ce

carnet. Ciment-boucles tordu des kermesses, invasions de mon enfance-pourtant, en ces

massifs où le sud se découvrait de leur ombre, ces labyrinthes de joie à se cacher des

adultes et à être au monde, ces jardins des Soeurs missionnaires malgré ce Nord, comme

une foi portugaise transportée en les murs de la ville déjà-toujours usée, la ville alors

éclatée, libérée, pur espace d'émois et de chagrins.

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Striptease au musée d'art moderne: "il n'y a pas une phénoménologie, mais bien des

problèmes phénoménologiques", dit-elle discutant des couleurs et rangeant ses vêtements

en cubes, impassible (mais promptée), séductrice finale. Wittgenstein, Remarks on colour.

A Porto, immune à la modernité, frappe toujours le "calash-calash" du fondu-enchaîné,

trois projecteur pour une ambiance de jardins lisboètes. Paniers circulaires mais

programmés: cybernétique et société, pour une aura pourtant au-delà de la machine de

Turing.

Le retour, ah! être à l'étranger du temps... larges des quais ou des valgo, y être vaste et

fainéant, places estago de ces villes amples et vides, comme des fleuves toujours partis,

partants. Le Puy nouveau sous la pleine lune, exotique et froid. Elle envahie dans son chez

elle: par moi, et ses fils. Nous faut-il de l'ordre ou du temps ? Ou les autres ? Je suis un

sol(it)aire qui n'ose pas voyager seul, elle me confisque et plonge dans Mystiques et

magiciens du Tibet (A. David-Néel) dont je voulais apprendre les asanas.

Italie. Notes végétariennes sur le journal de Genève (###). Tournerons-nous toute la

semaine autour de l'ashram qui nous amena ici ? Cisternino, Cisternino, mantra d'autour

encore, mantra de route.

Pour mon anniversaire, elle veut m'offrir un saut en parachute, moi j'préfère un seau de

compost ! J'aurai au final un sot dans le compost. Mon destin était scellé.

Psychiatrie ou compétence en humanité précaire ?

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Dans l'ashram à venir, il y aura la salle, le vestibule, des figures tutélaires, Allwright,

Mother et Aurobindo, Soeur Sourire ou Aimé Duval, etc... Méditation sur les textes

d'Allwright. Leila songs et consultation de schizoanalyse. Fleurs dans l'Oka, et dans la

Ganga. Mandala de Michelangelo (cf. pièce en euros) with Anda's lotus all around. Au

centre du lieu: le compost. Salle des gurus et des fleuves, salle des communautés, aussi:

Auroville, Larzac, et Touva, Asie centrale à venir. Et puis les textes, de la supraconscience,

et du réel. Borges pourrait être de la bibliothèque, et Winnicott, Green, et pas mal d'autres.

Et puis le théorème de la table du nuit-radio du père, en sa cellule pas si recluse qui guettait

la vie extra-terrestre, quand la science-fiction (et K. Gödel, en secret) théorisaient déjà des

voyages par les différentes dimensions du temps, "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se

retrouve et se transforme dans la nature". Et le guru, dans sa cellule feutrée et ouverte, se

consacrera à l'écriture du monde de la cellule, cet ouvert-fermé. Et sa "pathologie de

limite".

L'ahsram à venir, un vaste espace, enluminé (mer, rivière et/ou soleil), des abris de passage,

un bloc central-bureau, un camping permanent sans réservation, un mouvement interne qui

s'alimente aussi aux déplacements des visiteurs, comme une Tchevengour non pas cyclique

d'absurde mais une ville blanche auto-catalytique.

Ne plus déménager plus vite que je ne décomposte ! Toutes les marches sont renégates.

Suis-je blocage (réutilisation, cora), ou parement (une surface, plus ou moins

renouvelée ?).

Les accords-bornes de l'harmonique te sont imposés par ton éducation, même artistique;

mais ton individu danse le déséquilibre entre ces deux harmoniques. Le chamane voyage

dans les deux sens de cet autre harmonique de l'espèce; ou peut-il fusionner les bornes ?

Fin mars, au Touquet, le froid printemps de sable a une lueur blanche intense qui nappe

toute la ville, l'air lui-même, le bruit lui-même. Ici il est vrai on échappe au bruit

d'ambiance neutre et gris de la ville, et dominent les doux fracas des vagues que le vent

nous donne jusqu'aux maisons.

Ecouter l'arrêt de la pluie, les haies maintenant gorgées de blanc, l'éclat plat des pissenlits.:

le bruit soudain levé que ne font plus les gouttes lentes, un silence vif, comme lorsque les

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murs de la caverne-maladie, chez Michaux, se métamorphosent plus qu'ils ne se

disloquent. Ecouter les parcelles colorées d'un maintenant.

Un Thé au Sahara avait donc été

interrompu une première fois, juste après

mon diagnostic, elle de sommeil, et

aujourd'hui la fuite totale, frustrée de cet

exotisme qui est, heureusement, derrière

moi. Enterré son Monchu Moldu, elle

part chez les gens normaux, en quête de

mariage, et en seul orgasme de la

baignoire; elle part dans l'ombre pourtant

d'une dernière fesse. La séduction, nous

montre bien le film, c'est tenter de réduire

l'autre, celui qui fuit, en esclavage; je

pousse un grand Ouf !, les hirondelles

sont bien là ce matin comme je le

pressentais, enfin libérées de l'eau de la

vallée.

Possession des petits riens. Le monde figé des urbains n'est lisible que par une certaine

forme d'illumination, qui ne relève ni du sujet, ni de l'objet, écrit Warren Montag relisant

de Certeau. Qu'est-ce qui donc, vu de la ville, pourrait ne pas rentrer ici ? Tout le monde

n'a pas voulu converger vers la même boîte de nuit, ramassons donc la mémoire, et c'est

aussitôt le clavier qui s'emballe au feu de mon petit truc, après un bon repas au soleil, seul,

comme il se doit, là sans doute je rejoins un peu A. Nothomb, même si elle est sans doute

toujours multiple dans son apparente redite littéraire de ce qui ne se mange pas, se mange

trop, se gerbe. Elle ne peut prendre sur elle le risque du débordement, aussi travaille-t-elle

à jeûn, tout au moins de calories. Ramasser, donc, "ce qui aurait pu y rentrer", dans cette

ville qui se délite au sujet: ainsi de la mémoire, au feu de la micro-histoire collective, qui

tente au réel de ce que toute une histoire prétend avoir nettoyé. La ville: quand l'absence de

camarades vaut mieux que leur silence.

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Je la laisse à tous ses feux verts.

Zomia: une histoire anarchiste des hautes-terres d'Asie du Sud-Est. Zomia, terre de

Zaoum. Inclusion de tous mes bouts du monde, refuge, un loin, une vallée, et une

itinérance donc de ce fleuve-là, qui pourrait même permettre l'abandon de l'écriture, là on

n'est pas dans un "pré-quelque chose", on peut s'y affirmer post-sédentaire. Comme en ces

confins Inde-Tibet-Népal, où peut-être reculent toujours les glaciers, mais quelque chose

toujours s'ensemence. Tout est prêt pour l'oubli, qu'on appelle l'éternité ? L'écriture procède

du phénomène hégélien: la phrase posée s'efface à la lecture; mais le chef-d'oeuvre,

conquérant des territoires, élargit notre domaine (Ch. Dantzig). Un dernier sifflement balte,

inconnue totale de la langue des serpents, si continue que rien ne peut la faire affleurer à la

mémoire, d'un effroi d'étrange, cette mémoire du "quand-nous-avons-quitté-la-forêt", cet

oubligatoire qui nous fait craindre, et tomber malade, parfois. Un jour, pourtant, il faut

quitter le Centre. Ou écrire un pamphlet, à l'ombre des tronçons d'autoroutes, si l'on

s'oblige encore à suivre deux lignes de crête (crête: ce qui est à la fois le nadir et la faille),

pour tenter, comme les médiums, d'entrer en lévitation par effet de levier, et de nous

regarder déjà, non plus dans la glace, mais dans le papier.

Borges: un style ennuyeux, le mien, de commentateur, mais une torsion de la littérature sur

le réel: nous tordons l'univers, par nos mots-actes, qui en retour, et c'est cela qu'il nous

donne en touche et donc en navigation dans sa cécité perceptive, nous écrit. Fictions ?

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Bibliothèque absolue, libre encore de la maille digitale ? (toute une école hispanophone

suivra dans cette ombre du vent). Il ne me manqua, pour percer plus tôt la Maya, mais c'est

juste l'histoire d'une génération, que la fierté de ses ancêtres. Les miens: se cachant en pas-

de-politique ou en personne-de-tué. Les auteurs ne peuvent être que kibboutznik ou bien

d'épopées guerrières. L'amour, lui, ne leur est pas toujours un cadeau mais parfois un

obstacle à l'existence; l'auteur est seul entre tous à sculpter plutôt la maitri, ou le rêve: nous

livrer une communauté, ou bien un reste laissé intact. A part les romanciers, bien sûr, mais

qu'espèrent-ils de ce descriptif des corps ?

Abandonnant le mystère de la porte unique, cette quête impossible des mystiques, Volodine

explore un plus proche du bardo. Sfarr, lui, croit en la permanence tragique, dans un plus

proche encore, celui des corps morts, gonflés, puis flottants, des charniers. Celui des

cauchemars de l'enfant, nous dit-il, dont l'adulte croira pour de faux qu'il s'agit de la

matière de l'histoire. Se rencontrent, en silence, des corps fatigués par l'errance, que l'on

tente de sculpter, d'enfermer dans des frontières, mais la frontière est justement un coeur

battant et une matrice, un lieu de transformation, quand elle ne se stérilise pas en muraille

de la ville. La frontière ne tient qu'en tant qu'étirement intérieur (M. Agier), seuls les

camps et les ghettos sont fertiles pour penser le monde, rien n'est plus (in)habitable qu'un

lieu où l'on a été heureux (S. Berlendis). Quand les robinets de la ville, dépotoir d'instants,

crachotent des coulées de rouille (A. Devi), quand les reliquats des rêves ne sont plus

alluvions de la mémoire (E. O'Brien), quand il suffit pourtant de patauger dans les

tourbières de l'hiver, guettant les haies d'aubépines blanches et se risquant à leur carnaval

de pétales aux vents d'un mai tardif. To splash about.

Là-haut dans le monde des corps forts, même en rase campagne, le bruit reste nécessaire,

concert des tondeuses et des moteurs à régler rien que pour consommer le silence,

beaucoup succombent au quotidien, surtout des dimanches.

Eliade, La nuit bengali, 1950/2012, traduit du roumain: MAITR(EY)I... son nom apparaît

beaucoup plus tard, après ma sortie du sanatorium... S'ouvre sur l'oubli et la quête de la

première rencontre l'image, le trouble, la surprise et l'incertitude: le coup de foudre décrit

ici, ressenti ici, en contrepoint de l'arrachement originel à notre tissu placentaire. Son père

et moi relève de l'intrigue fondamentale, de la puissance de ce "livre", de ce qui nous livre,

un déplacement d'emblée du temps généalogique au temps absolu - un fils mais un couple.

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L'Autre absolu, la femme, et non européenne, ici au piège encore d'une même classe

sociale, Eliade refoule quand-même encore l'intouchabilité constitutive de l'étranger à la

terre de la mythologie indienne (celle-là même que Gandhi contait, quoi que timidement, à

la même époque). Lui envoyer ce livre, évidence. Et une poitrine puissante, matrice, alliage

d'argile et de cire, de l'originel et du phénomène, comme on rêve avec le personnage

européen qui s'immerge là presque contre son gré, mais aimanté, d'une ferme proche d'une

ville... Progressivement on sait déjà, en quelques pages, que la matrice sera rejointe, par

accès-retraits, Maitreyi initie en se livrant non pas à lui mais à son Être. Alors qu'ils

deviennent amant, dans un interdit qui pourtant ne s'impose pas, la jeune soeur, elle, accède

à la psychose, leur amour est toute douleur qui protège sa voie à Elle, l'énergie de retour à

l'originaire n'étant pas totale mais dissociée, lui doutant comme s'il connaissait un certain

futur, et les soeurs seules sachant l'être total qui se livre à lui mais auquel lui se refuse

encore, soumis à son interrogation, ne s'autorisant pour l'heure qu'une initiation ménagée,

préservant d'autres rêves, craignant comme une chute dans le retour total, car d'un là-bas le

père va donner des ordres, il le sait. Risque essentiel du retour éliadien qui emporte soit

vers l'union totale, soit vers l'effondrement, voilà l'exercice avec garde-fous que propose le

maître, là est ce "risque du yoga"... La terre-mère amante, elle-même, est malade, et il faut

l'enduire, même dans une fête des couleurs, car de vives douleurs l'assaillent alors qu'elle

se donne, totalement, frénétiquement. Une humeur circule qui tient encore par fibres à la

cloison, interrègne qui gémit encore aux décharges de l'inorganique: il doute, au lieu de

compatir.

Pour l'heure le père de famille disparaît encore de jour en jour dans sa cécité. Lui imagine

des rites de possession brutaux, cannibalisme et sa jalousie. La fillette tente de quitter plus

radicalement son corps en se jetant, depuis la balustrade, dans la rue. Il est alors chassé par

le père, la petite reprend ses esprits, mais meurt le jour du départ de l'amant... Il gagne la

solitude d'un bungalow de l'Himalaya, à ... Almora, non loin de Jageshwar et ses bois de

pins !!! Ils seront unis de tous leurs sens, il voudrait regarder Maitreyi droit dans les yeux,

mais quels sont ces yeux de l'amour qui seraient en amont de toute illusion ?

L'idée vient comme une première page. Puis, labeur de l'écriture.

Aujourd'hui, Clermont-Ferrand, ciel bas, j'ai perdu - ou plutôt je n'ai plus - ma cuillère

mongole et mon couteau suisse, jusqu'à ce moment indispensables. Chaque évasion

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compte, quel que soit le nombre de morts, hier soir La grande évasion, avec Julien,

évocation de Philippe au service militaire, qui m'accompagna au cinéma en ce dernier soir

de perme, se replongeant plus tôt en malaise d'armées pour me permettre de voir ce film.

Now happy in the very last train, Elle aussi en attente du train vers, quoiqu'hiver, centre

détouré de deux, préparé de tout. Sans doute au fond du bus des prochaines sources du

Gange fumerai-je avec les jeunes imbéciles amis. Pour l'heure, un mélange d'anchois et de

tabac dans l'odeur de mes doigts. Derrière, un peu de neige encore sur le dôme du Puy. Plus

aucun livre, tout à écrire bien en route, des blocs de réel qui s'accrochent, contreforts du

tunnel de l'évasion.

Le radin vient de réparer ses chaussures à la colle !

Bon, j'espère que le frérot va pas faire cette nuit une décompensation, d'avoir cédé ce

bateau jaune qui l'accrochait à un rêve de naviguer depuis près de 40 ans... Dur la vie; je

me demande quelle est sa porte de navigation à lui ? Bon, c'est un scientifique malgré les

apparences gamines et originales, il sublime dans les théories sur les avions, l'énergie, etc...

Ben, oui, tout le monde ne peut pas être artiste, mais tout le monde sort du sillon d'une

façon ou de l'autre pour creuser plus profond. BizouX, avec Z et x c'est plus cher.

Envie d'un chat, en en regardant un qui s'amuse-chasse-souple dans le jardin.

Pour écrire, il faut être juste assez solitaire, dans juste un peu de désordre...

La Princesse de la yourte - on en reverra à Touvour, ne seront-elles qu'isbas, il faudra

chercher, Elle sera en URSS, ne me traduira pas - Peleka en T9 donne toujours relecture, et

c'est bien, toute traduction est l'impossible en plain (comme plainte) de l'adolescence, une

nouvelle fois je côtoierai cet impossible énorme. Je ne pense pas assez souvent à l'accent

circonflexe, si fréquent dans cette langue française, seul refuge d'une identité mouvante

depuis la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'il faudrait faire approuver en

contrat de désintégration nationale à tous ces petits haineux de la fable de la nation. Alors

on pourra se côtoyer. Je chercherai la yourte, donc, ou Elle avait le regard plein et comme

bleu d'un ciel que sans doute elle eut bien quitté; le missionnaire aurait pu, en d'autres

temps, pourchassé, lui faire son bois à côté des jeunes yacks à traire dans son enclos; mais

alors il n'y avait là ni guerre ni nécessaire refuge où son corps à Lui eut pu s'autoriser, il

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repartit dans l'ivresse, et elle resta maîtresse de sa tente, se donnant à son mari. Un jour, le

missionnaire connaîtra son nom.

La fille qui n'osait pas dire qu'elle voulait aller dans son Sud. Sur le triptyque de la vie un

couple marche vers la mer; bientôt ils jouent, trois. Puis une femme seule s'en revient, lui

s'immerge dans les vagues tendres et mortelles peut-être. Savoir l'immense masse de la mer

alors que l'on fait la queue pour le pain, déjà caché par quelques rues (acte de croire:

percevoir l'énorme de la réalité).

Retrouvant le chez moi, j'en avais presque oublié de regarder mon Mézenc.

Le cadre aux ruches, smartphone et agenda, terrasse de la gare de Lyon

Un gros bagage théorique, tant de galeries creusées, mais cette difficulté à le mettre en

application, avoue-t-il. Où est la reine ? Il est bien apiculteur maintenant. Mais ne s'est-il

pas plutôt façonné-tamis pour gagner le sable-écume ? A la table d'à côté, c'est mon

premier bidi d'escale, ce truc à idées, à aller chercher en fond de galerie, mais je n'ai pas

ensuite le courage du développement de ce gradient qui s'amorce là. , me si je n'apprécie

pas le bidi-téléphone, celui qui ne s'éteint pas, et que je lutte avec le vent sous la table pour

rallumer plusieurs fois le mien. Je découvre tous ces gestes, mille fois décriés, toutes ces

années.

"Je crois en Dieu, le Père tout puissant, sécateur du ciel et de la terre", profère-t-elle, qui

devra être coupée pour renaître (R. Defay, Tes petits pieds dans les traces de mes sabots, et

atelier d'écriture de l'hôpital Ste-Marie); son pépé, lui, ne mentait jamais, il y aura un grand

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coup de sécateur, rupture inaugurale qui la rendra à un originaire, la livrera a toute une

traversée de souffrances, de désirs et de violences, qui apparaissent uniquement en

filigrane dans cette oeuvre qu'il faut lire totale, les nuits de la ferme, les aubes de la nature,

malgré le trop ciselé parfois de l'écriture, mais elle ne peut s'autoriser à nouveau

l'effondrement, malgré l'enchaînement au premier abord déconcertant des courts

paragraphes, comme des aboiements mais empathiques. Les ribotes aussi, ces tournées des

bistros qui n'existent plus aujourd'hui au village, sont furtivement évoquées, mais feront

bien partie, on le devine en discrétion, de la catastrophe encore à venir. Quelques moutons,

suivant le pépé qui disparaît, prennent le chemin de la lune, et si "la lune leur était bien

apparentée, à eux gens de la campagne, c'était toutefois, la fillette venait de le comprendre,

avec une certaine distance qu'elle avait prise depuis la nuit des temps, la bergère devrait

savoir pardonner à son papa, jusqu'à ce lieu où il l'avait précipitée, dans ce geste indigne

d'un être humain". Mais elle frissonnait de bonheur, pour l'heure, en compagnie des

garçons, elle très jeune, eux toujours fort vieux. Bêtes de somme, grands et petits enfants,

citoyens bouseux de la France rurale et démodée, il faut bien s'évader, comme mourir pour

vivre à tous les voyeurs, "les fourneaux brûlaient ce que les cochons ne mangeaient pas et,

dans les environs, traînait ce que le fourneau ne brûlait pas". "Pourvu, mon Dieu, que le

papa rentre", et tous ces adultes pour qui les êtres n'existaient que par leur sang, que par

leur comestible, ces êtres cependant "refusant, jusque dans la mort, d'abandonner leurs

partenaires... (...) A l'église, elle crut que c'était pour elle qu'on le chantait, ce requiem"...

Toujours le chat. c'est en parlant de cette petite bête à François qu'on est arrivé à parler de

Laura, on dit que les chats portent beaucoup de choses dans l'histoire des humains, je l'ai

revu ce matin, escaladant l'escalier de secours de l'immeuble en face, il avait l'air du vrai

maître des lieux.

Tom Dooley, Dr America, baie de Haïphong 1954 et premiers boat-people, bien avant les

Frenchy doctors, parce qu'il avait fait un "erasmus" en France. Puis Nam-Tha et Muong-

Sing au nord Laos, meurt début 61 d'un mélanome, aura, mais piètre étudiant-médecin

condamné à l'exercice outre-mer, médaille du congrès, eut été béatifié sans doute s'il

n'avait pas été homosexuel, pourquoi ne recrutait-il que des infirmier mâles, se demandait

l'adolescent, Fred Mella et les compagnons, le Kingston trio et les campus américains, la

CIA sans doute, la rencontre avec Schweitzer, tous deux un piano dans la brousse, piano

qui moi me fut interdit, dans le grand salon, simple décoration, ne rien poser ...

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Trois millions de volumes, et les voûtes, et les pleines peaux, et si peu de temps depuis les

premiers volumes imprimés, et toutes ces interrogations et ce travail à venir encore,

quelque chose nous submerge, agréablement, et de par les tripes d'abord. La première lettre

est la seule certitude du copiste et l'enluminure seule s'entrelace à l'origine, la reproduction

est parent pauvre, perte provisoire, attente de l'hypertexte. Atteindre l'autre bout de la

salle ? Les poèmes de Yeats, par nous dénichés dans la belle collection à la tranche d'or de

la majestueuse library-du-poids-vivant-des manuscrits de Dublin, un unique qui porte et

développe, une voûte toujours rehaussable, la réception du poids de tout le livre: d'où vient

le souffle de cet anglais pourtant mal compris, mais qui persiste à l'exploration des pages ?

Où tient, et où se tient, l'amour dans cette voûte de la révélation ?

Douane. Le bidi au filochage rouge du plus humble, retourné par les doigts gantés de latex

face au presque hippie qui se présentait devant lui, le sac jaunasse sale multi-recousu de

lui, et la veste en cuir, encore on the floor, "downstair" dis-je, comme si même en cette

douane de la mondialisation, une crypte restait un possible à découvrir. Il me rendit tout,

satisfait des 50 ml en trop de mon tube quasi-vide de gel dont je lui prouvai l'inocuité en

m'en appliquant devant lui. Soupçonneux mais désabusé sans doute, du non-toucher de

nous deux, et pourtant: une communication.

Pub. L'homme de certitude, de menton découpé, reste debout toute la soirée derrière

l'extrémité de son comptoir, grosses paluches d'accroche pure, courtes et fortes. Le menton

supporte cette ride unique d'entre jeunesse et veille, profonde, par laquelle la bouche

parfois médite, ou ordonne. L'homme a la haute carrure tirée par l'abdomen du bouton de la

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veste, et la cravate claire à petites fleurs bleues et roses, et dirige de son regard de toujours

son pub, paye pourtant ses pintes, enfile celles-ci d'un demi-trait.

Les petits fils rouges du quartier indien de Paname sont respectables. Ce quartier est à

explorer plus profond. Les gâteaux, de Ganesh peut-être, sont de juste consistance (cet

indémontrable de toute recette de cuisine, comme Gödel se laissant mourir d'inanition était

fin cuisinier d'un monde total).

C'est le printemps et enfin la fenêtre ouverte permet de diluer aussi la fumée, le fils

s'insurge et râle, comme son père, sa grand-mère, explosif de mes cris qui cherchent à dire,

de mon capharnaüm qui gagne, l'aîné, lui, refusant le calme de l'ashram, et m'offrant

pourtant les couleurs de la capitale qu'il s'est choisie, fondatrice de son centre, Dublin. Elle,

regagnant son chez elle dès sa voiture, son chant retrouvé, inquiète du matériel qui la

dépasse mais la happe aussi, se révoltant de ma possible nouvelle fugue intellectuelle: est-

elle encore possible, est-elle souhaitable ? Je reste avec son fils, nomade et propre de son

être si jeune.

Sweet heart, do not love too long:

I love(d) long and long,

And grew to be out of fashion

Like an old song

(In a minute she changed)

W.B. Yeats

A Saint Alban, un fol nous donne le passage.

"De voir cet homme je ne suis pas à jeûn" est l'unique phrase qui me parle dans L'Enfer de

dante. Revendu.

Encore et jamais, de Camille Laurens, essai sur la répétition. C'est un de ces livres qu'on

achète parce qu'on considère que c'est celui qu'on aurait voulu écrire. Et que toutes les trois

pages on croise une image de soi, un lieu connu, et qu'en te d'un chapitre sur deux trône

une citation que l'on aurait pu souligner. Je le pense homme, je le sauve de la pile des

"retours" alors que je ne testais en cette place que des écritoires, "oh oui nous faisons

beaucoup de retours, mais prenez donc votre temps", et la pile qui le supportait l'instant

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d'avant sur ce rayon perdu et de simple pause disparut, où aurais-je pu le reposer ? La

répétition en méditation de l'horrible: et ce n'est pas triste. Vanille très douce et papier maïs

tendre, pour son encre. Comme chaque concert d'Allwright: une rencontre doublée d'un

adieu. Ecouter Cohen: relèverait du suicide - répéter, c'est aller chercher quelque chose.

Mais ! Comme si un livre était répétable ! On ne peut répéter qu'un non, certes pas un oui,

le nom du fils mort, car Camille se révèle vite être une Elle. Evanescence du final de

concert, qui nous ramène brutalement à notre seule vacuité, plutôt qu'à notre devenir-

répétition, à notre modalité, plutôt qu'à notre fuite mélodique. Seul le rêve ne répète pas,

premier.

Seul le rêve serait l'échappée à la forme, vers la pensée, dans une voie atraumatique peut-

être, une traversée douce arc-boutant l'autre, celle des blessures, vers le noir de source, une

voie externe, englobante, et une autre condensante, mais vers le même centre.

C. Laurens est quelque part entre A. Dillard et E. de la Herronière, et comme si elle

rédigeait par touches sa propre biographie. Quignardesque, aussi, bien sûr, elle se coule

dans un style à la Quignard, elle l'avoue très tout de suite, en exergue presque ! Mais qui

est-elle, cette Camille qui vaut son pesant de féminin, de féminité, de perte et de matrice ?

Elle reste encore un peu hermétique: elle est femme ! Et ça m'accommode très

correctement, très plaisamment. La répétition, dont l'acte I serait "le grand pouls

amniotique" ? La littérature seule est capable de ramasser ainsi en quatre mots (et un point

d'interrogation-exploratoire que je rajoute) toute la thèse de Sloterdijk sur la philosophie de

la sphère ! Je m'éloigne au plus, moi, tentant encore l'impossible marche, de ma très pauvre

langue maternelle, réduite aux seules coupures, au vide et à l'absence, par tous ces zaoums-

là sans césures, ou toutes ces forces littéraires de la dislocation et de l'attente, qui laissent

vivre d'autres rythmes que celui qui me fut si longtemps imposé. La littérature est ce

nouvel harmonique qui se joue de toute gamme. Je veux absolument qu'on me lâche pour

pouvoir être; mon train qui ne s'arrêterait jamais - mais d'où encore je m'évade, lâche - n'a

aucun roulement saccadé, c'est un tissu qui glisse sur la terre. Laurens recherche dans la

langue une solidité d'arbre, je cherche l'arbre qui s'étend malgré la langue, et où Camille est

bien femme ! Anyway ! C. Laurens: l'angoisse qui se ramène le matin comme une servante

chargée de mon réveil. C'est une première fois, ce livre: savourer, participer à la pensée

féminine, moi qui espérait à l'abord un classique Camille mâle.

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Ecouter d'un reste de gâteau à Pierre de la veille Diamonds in the mine au soleil du bureau

de jardin, what else ? (dans la version de l'album "songs of love and hate", où

l'accompagnement piano est fabuleux. La voix de Cohen tiendrait-elle, sur cette musique,

de l'impossible synergie du raga et du mélodique ?)

Mon "humanitaire" a été jugé dés son émergence ambigu ou égoïste (le professeur de

français de première me refusant à la correction ce mot qui était censé résumer "toute

l'humanité", car trop chargé d'autre chose maintenant dans son usage).. En ces temps-là

encore, une analyse graphologique gratuite me réfuta mon altruisme; un verre d'alcool me

permettrait plus tard de franchir l'épreuve d'un recrutement basé en grande part sur cette

approche, de gagner la seconde place, échappant ainsi à un emploi qui m'eut fixé

histologiquement en plein sang à jamais externe, contaminé sans doute (en un centre de

transfusion sanguine de Lyon). Il me fallait, il me faut toujours, marcher ce traumatisme

insoupçonnable, par trop léger mais... de répétition justement, de toute cette enfance

blessée, m'inscrire dans la théorie de la séduction freudienne, renoncer à celle du fantasme

qui fait la zone grise de notre perversitude. Seul le noyau ne répète pas, et seule la famille

s'acharne à répéter pour figer la pensée; vivre est un lieu où c'est impossible, crache aussi

en beauté Tsetaeïva, fracassée dans la mondialisation-empire, sans qui nous aurions sans

doute ignoré un énorme poète. Refuser maintenant toute carte d'identité, et vivre le

passeport.

Du Péguy à la Colombière, du poète catholique à la résistance, des tableaux, des greniers,

des archets, et leur reste, chez C. Laurens, et quel seuil ? Elle moulinait les archets des

déchets, par la répétition, et le pas-de-côté; le verre pour boire du psychotique est en lui-

même, et en le monde. Le mille-feuilles n'est pas une question de goût, ni de possible: juste

cette difficulté à le déguster sans explosion. L'état stable est nouveau champ de répétition

atteint via le chaos, cet espace de vecteurs libres. "Je" est soit l'objet de tout présent,

mystique, soit un présent absolu, traumatique. "Je" est cet entre. La psychose: quand on se

détache de ce "Je" imperator, trompeur, domestique (le "Je" est un symptôme, un mode

particulier du jouir, dit Lacan). Est-il dans la jouissance ou dans le désir ? Elle me croit

dans la jouissance quand je suis dans la quête. Se détacher constamment de son lieu, de sa

généalogie, pour pénétrer et vivre la vibration du désir, originelle, viatique: "chaque fois

que je voyage, je perds ou bien je gagne". Et de temps à autre, il s'agit bien de passer outre

la répétition; ce qui serait folie ce serait d'attendre que ça change".

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Borges, livre de sable, infini, bibliothèque circulaire. Ce sont les objets qui changent, pas

les gens (B. Vian, L'écume des jours). Au non psychotique manque le mot qui trompe la

mort, l'exploration de la faille est continue, Tapisseries, de Ch. Péguy.

Une décondensation appliquée de la répétition et de son processus de recherche; un texte

peu inchoatif cependant, si on le compare aux essais de Quignard, de par même cet

étalement: ce livre est par trop personnel pour être essai, par trop conceptuel pour être

roman, c'est un livre "entre". Mais chaque texte, aussi, change selon la transparence

instantanée des yeux du lecteur, ou le niveau des marées de la mort dans lesquelles il

baigne, nous dit R. Juarroz; on est simplement ici un peu trop soigneusement guidé, dans

un livre sur le relire... qu'on ne pourra pas relire ! Musique ! Mais je ne signe pas: je me

relis.

Première satisfaction téléphonique, peut-être, de cet appel à Hubert G., cloué ou presque

chez lui par la maladie, et qui travaille à son oeuvre politique, sociale, encore un peu plus

exclus maintenant du réseau que le premier il a initié (Attac 43), cherchant à renouer. Une

discussion pleine, et qui était inattendue, mon appel longtemps différé, repoussé, fait

comme par obligation médicale, mais il en ressort une vraie sympathie.

On ne plaisante pas avec le compost. Celui qu'elle destinait à mon anniversaire s'est

transformé en son seul jardin intérieur. Mais plus d'angoisse seul au réveil ce matin: j'y suis

bien dans une marche pleine de lait.

"Peut-être ceux qui tuent jusqu'à plus soif n'ont-ils pas d'autre moyen de se purger du

démon qui les dévore", de cette haine qui les délie depuis n générations et z exils...

Réveil: être retraité du soleil, savourer un café-terrasse permanent, non pas reclus, mais

mélangé, à la belle couleur dorée du monde qui s'éprend.

Tsetaïeva: Bien que j'eusse vite appris à lire la musique à la perfection, je n'ai jamais aimé

les notes. Les notes me gênaient: elles m'empêchaient de regarder, ou plutôt de ne pas

regarder le clavier, elles me faisaient perdre la mélodie, le savoir, le mystère; comme on

fait perdre pied à quelqu'un elles me faisaient perdre mes mains, elles empêchaient mes

mains de savoir par elles-mêmes, elles s'imposaient en tiers, cet "éternel tiers dans

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l'amour" de mon poème (La Naïade) que personne (sauf Monchu) n'a compris à cause de

sa simplicité ou de sa complexité - et jamais je n'ai joué de façon aussi sûre que lorsque je

jouais par coeur.

(Le diable et autres récits, p. 50)

L'âme mêlée à la cendre a oxydé au profond vert le cuivre, plus qu'un oxyde, plus qu'une

attaque même, un nouvel état du son à venir, greffe et plaie à la fois. Et cette fois, comme il

était craint, le cendrier plein tombe, tinte, roule, revient et se tait dans une dernière roulade.

Qui avons-nous vu en cette dernière rencontre où elle se fumait-sauvait plutôt que de

s'épandre, et que je l'insultai ? C'est mon incapacité à être public, publié que je lui criais,

c'est son angoisse carrière-rêvée qui la torturait. Abruti de mots, je ne nage que dans le

contrepoint qui a arraché avec lui le conflit, laissant le tendre que d'autres n'ont toujours-

craqué-déjà sans goût. Moi ancré au plot, elle marchait sans plus regarder que trouble; elle

est le Moi de l'humain qui me fut volé, je manquai-toujours-demain la révolte et tout ce

sang autour. Un moldu: celui qui loupe toutes les guerres, aussi loin que remonte sa

génération. Elle a fui,

elle s'est défaite de ses liens éoliens.

Plus encore

- toute seule -

elle s'est dissoute en procession.

Mon coeur ressuscité tressaille lourdement.

Je suis reconnu par mes terrestres tourments.

Et vive

à nouveau

mon aliénation !

L'homme, V. Maïakovsky

Ce serait toujours à son double historique qu'on s'adresserait à travers lui, ou par dessus

son épaule (F. Saintonge). Je tournais la tête vers mon passager, celui que j'ignorai avoir

gagné en cette tombola, passager de sang trop interne, pas d'effusion grave, tous l'ont

évitée, sauf le sabre de l'aïeul, exposé au musée... Nous avons tous besoin d'un myope aux

lentilles que l'on souille... Pour le post-moderne, qui lui est équipé, l'humanité n'est pas une

catégorie, mais une intensité variable, qui peut se rétracter, se diffuser, être au-delà ou en

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deçà d'elle-même (T. Garcia). Mémoires de la jungle jamais écrites, empathie pour tous ces

êtres qui y sont devenus étrangers à cette nature, exilés, martyrisés, ressoudés peut-être

parfois par un Schweitzer ou un Dooley. Humanité dont je suis, justement, un post-

moderne.

"Je la connais, la source, elle coule, elle court, mais c'est de nuit", écrivit Jean de la Croix

lors de son passage au cachot. Celle qui pourrait sauver nos vies, celle du grand âge, cette

partie de la vie qui pourrait en être la plus précieuse, celle où chaque instant compte,

vraiment, où l'on voit que rien n'est profane ici-bas, selon la formule de Teilhard (J.

Benameur). Profanes est l'incroyable récit d'un élargissement.

Un journal que l'on écrit: une bibliothèque de souvenirs ? Alors on écrit une fiction; la

bibliothèque de sensations, elle, décrit notre vibration.

Être maintenu dans un enclos, attendant d'être lâché dans la vraie vie. Chercher, jeune,

l'intensité d'un présent qui ne l'était pas encore, privé de vision comme de regard,

condamné à une alloscopie, et à l'exil du Moi. Un père vivace m'eut sans doute aidé à

basculer dans la psychose. Alors, entre mémoire et documentation, tenter d'atteindre le

point d'équivalence, entre ces deux gels mouvants et pourtant porteurs d'événements que

nous sommes à chaque instant, désir et devenir, projets et souvenirs, et diffuser enfin de

nous en nous.

Dingo ! En plein Alchimiste: je cherchais l'Inde partout, elle est juste au tournant derrière la

Gare du Nord !! (voir la carte du réseau TGV, l'Italie du Sud non plus n'est pas forcément

là où on la pense, dans cette pensée-temps qu'il nous faut composter). Un petit fil rose

retrouvé, avec les félicitations du patron ("you know India ! South India !"), le doigt

bientôt brûlé au vent, le journal flottant, passe un bus qui affirme se transformer chaque

nuit.

J'emmènerai tous mes carnets de notes aux portes sans portes du bardo, et me jetterai sur la

première lumière capable de les brûler, me rendant ainsi pour toute la suite au flux retrouvé

de la parole, cette vibration qui ne me fut pas donnée en ce cycle présent.

Dans la correspondance de Tsetaiëva qu'elle lit, elle me signale le renvoi à La Naïade, ce

poème incompris de tous, où est évoqué mon troisième de l'amour, lacanien peut-être,

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expérience en tout cas, de ces nuits-là où flottait au dessus de nos ébats cette présence. Elle

me le traduira du russe, ce poème introuvable. Et hier soir, au générique de Lelouch, Brel

nous le redonne, il y a toi, il y a l'amour il y a moi, valse à trois temps.

"Pourquoi ai-je gardé la mémoire ?" se demande la survivante, "quand je ne peux retrouver

l'odeur des cheveux ou joue le vent"; mais aujourd'hui, nous l'avons vue, cette odeur des

couleurs que le vent faisait onduler dans la palette impressionniste des près d'enfin

printemps de cette Haute-Loire où tous deux nous avons échoué comme par désir.

Reliaison, moi qui suis hanté par le mal absolu, cet oméga du totalitarisme, et elle qui

cherche l'amour, ces deux pensées peut-être plus puissantes pour sentir au-delà du mal et le

bien, une voie de moldu, une voie d'artiste. La vie ici n'est plus ce qu'elle était, puisqu'elle

ne devait plus être (Charlotte Delbo, rescapée). Je reviens d'au-delà de la connaissance, il

faut maintenant désapprendre, résignation qui est celle aussi du père Surin de retour à la

vie civile après vingt ans d'expérience, enfermé dans son corps souffrant mais dialoguant

avec le surnaturel.

Changer d'avis: mais en avoir un, comme dans le monde financier, commercial,

domestique, etc... est-il cohérence ? Cultiver les préavis de changement, mais devant

témoins si possible maintenant. Je n'ai jamais eu d'avis mais été un obsessionnel de la

culture du pré-avis (autant de déménagements, portés par une même vibration que l'on

qualifierait pourtant d'instable au code de la bonne société DSMisée et maintenant anglo-

saxonne, loin les contradictions spirituelles des croisades, entièrement digérées et

restreintes à des modes de conquête par l'histoire, cette fable des nations). Être peut-être un

écrivain du vacillement, de cette torsion autour de notre énergie porteuse fondamentale. Le

doute doit être seul roi. Le ciel, tourmenté, acquiesce; ne pas faire abstraction des touristes,

de tous ceux égarés là, de l'inadvertance; l'écriture doit poser et l'inadvertance et le

vacillement pour dire l'avant de la si incertaine forme. D'autres goûtent aux cendres de

leurs pères; mais écrire, ne serait-ce pas cela, dire le tabac du père ? (ce roman-essai qui

serait à soumettre à la collection L'un et l'autre de Gallimard). Oeuvre d'empathie.

P. Deville: de Kampuchea à Peste et Choléra, il évacue crudités sexuelles et sado-

masochisme du monde, et gagne en concision.

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Retour du Mézenc aujourd'hui, enfin, et comme une présence un peu trop proche, trop plat,

lavé de ses énigmes de nuages, de noirceurs et de tempêtes de masse, qu'on ressent le

besoin d'y aller, d'y gravir, d'y partir.

Le retour mathématique, au corps des anges...

On a dit des médecins (des 70' ) qu'ils étaient des matheux, et comme en retrait sans doute

de la contre-culture de ces années-là, comme à contre-courant, conservatisme de corps

peut-être. Un matheux limite décroche son bac C avec 5/20 en maths, et fut biologiste

malgré son diplôme de médicastre jusque dans les 2002, année de rédaction de son Ph.D.

que l'on jugea étrange de littéraire, que l'on commenta d'ailleurs sur ses citations, "l'arbre

finit toujours par tomber du côté où il penche", et autres indécidabilités contestées. Jusque

dans les 2005, tsunami au coeur de la grande vague indienne et tous ses mystiques, Pessoa,

Allwright, Cohen etc... 2012: retour mathématique des anges, mort définitive du corps

scientifique-restreint, Gödel et Surin. Prêt pour une co-stratification ?

Le pâtre poète altiligérien fort à propos ce soir du décès de G. Moustaki: "Il a pris quelque

chose au poumon qui lui venait de son histoire".

Encore un guru qui tombe en son centre: René Leriche, médecin de la douleur, chirurgien

sympathique, pseudonyme du père dans les années retour, fut aussi... le premier président

du conseil de l'Ordre, à la demande de Pétain... Syndrome de Leriche, algodystrophie, sa

prévention par la douceur chirurgicale, mais l'absence de révolte du ponte face aux lois

racistes qu'il appliqua à ses confrères au sein de l'ordre nouveau... Il était dans une

dépendance de la génération, pourrait-on peut-être dire: "chaque génération redécouvre",

dit RL (Mémoires de ma vie morte, bouquin déniché dans... le vieux Puy-en-Velay, au bas

des marches de la basilique, où le dernier Roi de France justement vînt s'exhiber en

1942 !). Curieux titre, écrit de sa retraite d'un certain Sud, cassis, une villa, Madame posant

dans son cabinet de travail, ancienne carabine reconvertie par le maître en gérante de tout

son quotidien, "je n'eus jamais à m'occuper de rien" sur le plan matériel et domestique, la

félicite-t-il... Snobant l'autre dépendance, celle de la dette aux non-affiliés, aux hors-classe,

Leriche traque le mécanisme de la douleur que sa position bourgeoise ne lui rend pas

perceptible pourtant. "Chaque génération redécouvre", donc, "ce que la précédente a

imaginé et n'a pas su faire triompher". Négation d'un au-delà de l'origine, réductionnisme

occidental en marche, sensibilité au bain du Lethé (il s'amuse d'ailleurs de son prénom, lui

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qui ne se considère pas re-né). Mais une créativité toujours en action dans l'acte

chirurgical, chez l'homme blessé comme l'animal de laboratoire, et une distinction assumée

par lui entre la "douleur de laboratoire" (traumatique, accidentelle, accessible à la

technique) et la douleur-maladie qui lui reste bien plus énigmatique, insaisissable, en

posant pourtant dès ces années-là sa gouvernance thalamique.

Où s'enregistrent donc, dans la génération, ces "fausses nouveautés" que nous

redécouvrons ? Que reste-t-il aujourd'hui de ses patientes dissections du sympathique par

tout le corps (qu'il découvre auprès des confrères allemands), pilier de sa théorie

fonctionnelle vasculaire de l'algodystrophie, modèle tissulaire de toute une douleur ? Pour

Leriche, ce qui "vient de (re)naître" à l'expérimentateur ne nécessite pas de vaste

échantillonnage, c'est une marche immédiate vers le nouveau, qu'il ne faut pas perdre

encore à une autre amnésie, celle des chiffres et des statistiques. Leriche a une intelligence

particulière et propre des situations pathologiques, et une cécité à l'abstraction. Il entre

droit dans l'analyse de l'état physiologique nouveau créé par la maladie, thèse que

développera dans sa thèse de 1943 (à Clermont-Ferrand je crois) le double Dr Canguilhem,

citant abondamment le maître ! Pour Leriche, "la chirurgie est une" et traite le tissu,

l'expérimentation ou la maladie lui parle directement, dans ce message par lequel "souvent

l'os se venge de ce qui trouble sa vie propre". "La pathologie n'est qu'une succession

d'actes physiologiques"; un cycle qui nous progresse de fonction en lésion et fonction

"nouvelle", au sein d'un tissu qui n'est pas isolé, seul un mur tissulaire, pourrait dire

Sloterdijk, n'isole pas. Lésion, nouvelle physiologie et chirurgie, une tentative "à la

Moreau" de refaçonner la fonction... Comme une empathie du corps, une vie morte et sans

regrets, car sans échecs rapportés dans ses mémoires; une vie qui cesse avec la douleur des

autres...

"Parce que... je suis de la campagne", dit-elle de son accent du 16è à sa compagne au

caniche, dans l'autocar qui la ramène de prou-Prout-Plage à son appartement, depuis

longtemps délaissé par son cadre de mari fauché au décours de quelque repas de petites

affaires. Le chauffeur ne se lève même pas: "la soute est ouverte, Madame", jette-t-il sans

regard sur sa petite valise qu'elle avait décidé ne pas pouvoir hisser elle même dans le

transport de prolétaires où elle se glisse avec jouissance altière. "C'est pour cela que le

soleil a une grande action sur moi", poursuit-elle, précieuse, fragile, teinte de roux et au

visage lent, tellement écoeurante à moi en cet instant, que si je le pouvais je l'euthanasierai,

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cette sans-déchet-à-seulement-la-peau-comme-liftée, je lui crierai "si vous êtes trop vieille

ne voyagez plus', comme si seuls les vrais vieux et les pauvres, pour moi avaient ce droit

au voyage. Devant le café-arrêt de bus, deux vrais de la mer et de la campagne discutent,

en fait il est seul, le copain en unique prétexte à rapporter les deux voix de sa conversation

téléphonique, "alors je lui dis à Jean-Pierre, t'es où ? - A Boulogne il me dit - Ben qu'est-ce

qu'tu fais ce soir tu prends le train ? - Il dit ... - A sa place si c'est Ronaldo moi je le

laisserai pas monter dans le bus - Il me demande vous prenez le bus ? Moi j'étais assis

dedans alors y dit...". Devant les deux canichées toujours tentent de tendre vers le centre du

couloir du bus où leur bulle propre cherche à ne pas éclater, l'une le cou légèrement penché

de vif argent, l'autre toute tournée et toute sourire-rides-sous-le-fard-pas cachées quand-

même au coin des lèvres-et-des-yeux. Mais tout le monde n'a pas eu la chance de pouvoir

croire se perdre en Inde, dans ce même autobus vers les sources. "Jai dû perdre une roulette

dans le car", s'enfonce-telle à la descente, exigeant et trouvant de l'aide. Comme si !

d'autres qu'elles n'étaient pas de la campagne, elle dans son enfance peut-être, à la ferme

riche, épousée du notable en recherche d'une invisibilité de son domestique, et toutes les

autres poussées peut-être par le besoin plutôt que déplacées ! Le migratoire commun

rendrait-il plus ou moins fort, plus ou moins libre, s'il est en "push" plutôt qu'en "pull" ?

Lequel renferme-til plus de douleur d'absence au monde ? Tant que l'on creuse le tunnel, on

ne soufre pas, on espère; l'angoisse vient en ce juste avant les retrouvailles, quand, un bref

instant, ni la tâche ni l'espoir ne meublent plus. Certains, en ce presque, se trouvent

confinés.

Vers une masse critique de compost dans la caillasse de la Maya, vers une bascule, quand

en surface comme en thanatosphère la force noire, terre et os, dépassera l'équilibre mort de

l'illusoire individualisme.

Aujourd'hui, Clermont-Ferrand, j'ai perdu - ou plutôt je n'ai plus - ma cuillère mongole et

mon couteau suisse, jusqu'alors indispensables à chaque évasion. Les retrouverai.

Vaslan Nijinski. Folie, danseur. Manuela Hesse, le regard émacié d'ailleurs, perchée, un

parler qui cultive son étrange, et son désir, mais dans l'autorisé de sa thèse de philo., en ce

séminaire sur "intime et handicap". Nijinski consulte Bleuler à Zürich en 1919, l'année de

l'écriture de ses Cahiers, empruntés à Anda. Il utilise un "fountain-plume", mon stylo

chinois de Mongolie pour deuxième étage à fumée verticale. La philosophe fume, de ses

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yeux proches et son corps qui incline à l'empathie, "pourquoi êtes-vous là", me demande-t-

elle, plutôt que "quel est votre nom ?". Phénoménologie, empathie, lutte de l'intellectuel,

mur occidental. On ne sait pas s'il est lui ou elle; "bien des gens n'aiment pas la fountain-

plume", sans doute la philosophe est-elle femme fontaine quand elle fouette, on ne s'y

trompe pas, elle est la maîtresse de Jung, mais elle se récuse, elle est très prise par sa

famille et son enseignement de taï-chi. "Je pompe l'encre de façon que l'air n'y entre pas".

"Pour que l'air n'y entre pas, il faut tremper le tube dans l'encre". "Souvent les gens se

trompent en prenant la bulle pour de l'encre". "J'aime la physionomie noire". Je ne soupire

pas chaque fois que je la remplis d'encre. J'ai l'encre blue-black Stephen. L'encre est diluée

avec de l'eau, car l'homme veut s'enrichir. Je sais que tout le monde aimerait avoir une

fountain-plume. J'ai lu L'Idiot à 18 ans et j'en ai compris le sens. Je ne pouvais pas écrire

car je réfléchissais à ce que j'écrivais. Elle: la lutte affect/intellect; ce n'est pas elle que

j'aime, c'est son fountain-plume à affect quand elle parle, elle m'emporte dans son affect,

l'auditoire lui est partagé, je suis dans ceux qu'elle emporte, je crois qu'elle me lance des

appels, je vérifie qu'elle est belle, même si ça n'a pas d'importance. Je ne veux pas être son

élève, mais qu'elle lise mes textes, et me dise qu'elle sent ce qui y passe, elle me dira

simplement que c'est un gros travail que j'ai fait. Ses nerfs sont en mauvais état, elle ne

peut supporter les ponctuations de l'intellect, seul le flux qui traverse les corps. Séduire est

un mouvement, M. Gaucher est celui-là d'elle. Je lui dirai un jour que nous devions nous

marier par le sentiment. Nous pourrions être le moment de la troisième phase de l'individu.

Elle est si universitaire dans son délire de négation de l'occident, psychose aurovillienne.

Ce projet qui passe est mouvement, ne se parle pas. "Dieu est mouvement", dit V. Nijinski.

C'est pourquoi il faut mourir. Je suis un philosophe qui ne pense pas, je suis un philosophe

qui ressent. L'oeil est le théâtre. Le cerveau est le public.

Machisme, jeunisme, validisme: nous sommes tous de vieilles femmes handicapées. Ce

retour en matrice.

Je suis né dans un "Boulle", "va dans le Boulle" me répétait ma mère chaque dimanche

urgent de réception de famille, il n'y avait plus de repas de confrères déjà, il n'y avait

jamais eu d'amis - "va dans le tiroir du Boulle". Mais j'écris maintenant au fountain-pen du

fond du tiroir du Boulle.

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Imagine! Un jardin dans une valise !

Chez les cousins Polle, la conversation de ma mère était tirée vers le haut, et mon père

redevenait l'élève qu'il eut toujours voulu être, fidèle absent.

Chez Tatane et Raymond: encore une histoire atypique qui a nourri mes deux ainées mais

qui n'était plus que rentrée en norme spiessbürger à l'heure de la deuxième couvée, moi et

mon cadet (tandis qu'entre Philippe et moi "il y aurait dû avoir quelqu'un, culpabilisa la

mère à l'évocation, une seule fois, de cette fausse couche qui fait voguer un troisième

centre fantômatique). Christiane, sévère-peut-être institutrice de maternelle de l'aînée,

devenue l'amie lilloise de la mère, arracha Raymond et sa trompette, au bal des Gadsarts,

des bras de sa fiancée. Le jeune ingénieur toujours marin breton, fermement ferré, voguera

alors aussi devant l'oscilloscope des regrets électroniques du père, un homme condamné à

régler les fumées d'Usinor, l'autre à vivre en chambre noire. La fille adolescente du breton,

en ces années 68, a sans doute rêvé d'Inde comme l'héroïne de Chandigarh, mais fut

rattrapée par sa généalogie, ses hanches de plus en plus scellées lui refusant le fleuve.

Tandis que tatane gagnait tous ses plaisirs à la salle des ventes, et que Raymond rafistolait

tout, sauf ses escapades en mer. Il tenta de me faire voguer sur une patinoire mais buta sur

ma phobie du couteau censé me faire danser sur la glace, trompette coupée.

Loin de Chandigarh, T.J. Tejpal, tandis qu'Allwright chante Jageshwar, que pour les

pèlerins morts aux sources on monte en urgence des bûchers à Badrinath et Kerdanath, et

que je recircule à Kathgodam, ce nom que je me répétais inlassablement afin de ne pas

l'oublier, en route vers le temple Cham. Le corps, c'est à dire la généalogie, avec ses

besoins multiples et tenaces, avec ses marques de fabrique, est-il le véritable moteur d'un

certain feuillet de cette vie, de cette norme ? Dès la première page on sent que ce roman

sera inachevé, ne sera qu'un départ, ne servira qu'à retourner son auteur et ses lecteurs en

doigt de gant. Et dans le sexe, il n'y a pas de doute, les hommes stationnent au camp de

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base, seules les femmes gagnent les sommets vertigineux, mais ceux du camp de base

connaissant l'existence de ces altitudes inaccessibles, luttent contre la certitude. J'ai le mal

des montagnes avant même les 3000 mètres, le Baba de Badrinath m'a soulagé, a-t-il

survécu au désastre de la mousson précoce cette année ? En Inde, tout ce qui devrait être

dans un musée se trouve sur la route et subit des mauvais traitements: idées, objets,

édifices, individus. Mr le Bouffon aussi, Chinchpokli, Monchu. L'aide-conducteur, dans un

geste désespéré arrache le levier de vitesse des entrailles de son camion bloqué au feu,

geste retrouvé de cultivateur dans son enfer de la ville. Le levier reste dans la main, le

moteur ronronne ailleurs, Tejpal quête cet ailleurs dont il connait l'existence, le monde

appartient à ceux qui en sont dépourvus. Rêve d'un train, lent et silencieux, empli de gens

immobiles, démarrant sans jamais s'être arrêté en gare d'une aurore rouge, beaucoup y sont

morts, c'est mon rêve du Varanasi-Benares, en pages 271/272 (cf. rue grenouillis), tandis

qu'hors cette gare on se prépare avec entrain à mourir de divertissement, occidentalisés.

Dans la vie publique indienne, avec son tissage exaspérant de castes, de classes, de

religions et de régions, le fossé entre le dit et le signifié, le jeu entre la piété et l'immoralité,

la liaison illicite entre le symbolique et le réel, le médiévisme et le modernisme, le danger

de l'innocence est double. Entre, quelques uns encore sont en colère contre le monde. Dans

un petit village proche de Kurukshetra, là ou le Maha bharata imposa le modèle

merveilleux et ambigu permettant la compréhension de l'humanité entière, une femme au

mari éventré par la religion se préparait à fuir, ayant enflammé le bûcher de son rituel.

Grand-mère qui permettra au travers de l'interdit, tandis que celle de Catherine regagnera

dans le contraint. Aucune vie n'est bien ordonnée; de celles qui nous paraissent claires et

nettes on connait en fait peu de choses. Des démons invisibles qui nous assaillent seuls on

peut faire émerger cet ordre d'un autre ordre. Puissance exponentielle, mathématique, vers

les anges. Les visages aperçus dans les portes ne disent que la porte, ils sont pagaille de ce

monde de portes qui s'ouvrent à l'infini, de l'existence sans frontières, et le monde est un

lieu merveilleux à étudier. Catherine, sur la route après Kathgodam, sent qu'elle arrive, à

Gethia, chez elle, dans l'endroit sur terre où elle devait vivre, elle l'enfant née au hasard

d'un Chicago arrière-boutique des élans de son père. Le pic des brumes tournoyantes. Non

loin de Jageshwar où le petit tenancier de dhaba me fit visiter le lodge donnant sur la vallée

sublime par une grande baie, chauffé par un poële à bois, au mobilier cosy, au plancher

simple, aux fondements improbables et sûrs de pierres, tout juste achevé, attendant que je

revienne. Aux fondements qui enserrent et pourtant recèlent encore non-violence,

compassion, humour, ces armes totales du fantôme faiblissant du grand fakir que l'on tente

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d'immoler à la puissance technologique et à la production matérielle, dans la plaine, et

bientôt jusqu'aux cimes des dernières frontières. Mais l'eau violente toujours résiste,

emporte. Mousson 2013: nous empêche de devenir moins que ce que nous sommes.

Greetings et blessings for the pilgrims, and the Babas, from Badrinath. J'en suis, j'aurais pu

en être, j'en serai. Des pactes que nous concluons avec l'univers à notre naissance, à notre

arrachement à l'anesthésie du Lethe.

Arlescapade possible, me dit Le Monde, et l'angoisse de ne pas pouvoir partir se lève,

d'ailleurs souhaite-t-elle encore que je la rejoigne sur sa Baltique ? Sergio Larrain, le

photographe mystique exposé post-mortem à Arles, a mené une quête de lui-même passant

par les moyes extrêmes, psychotropes, psychanalyse, spiritualité occidentale. Julien hier se

cachant à demi-seulement pour fumer un cigare, me jetant à la foule familiale pour avoir

consommé, moi !, de la « beuh » avec Pierre, Julien en crise d'adolescence, oui !! Et puis

les USA ont proposé hier soir de l'aide à Morsi le Frère Musulman, me dit le vendeur de

journaux, oui, il est bien Egyptien, mais nous n'en voulons pas nous n'en voulons plus, me

dit-il, excitation non simulée, je vérifie quand-même ma monnaie, car je sais que celui-là

toujours attend quelque-chose, si même il ne le prend pas d'emblée. Je suis à Paris, en

Centre-Culture, c'est bien le réel du monde même qui sort du papier du journal, ce

suintement singulier, irremplaçable, irrationnel et technologique pourtant que l'auteur de

Telex hier soir, et moi avec, aimons, lui en 1974 déjà annonçant le risque de son déclin, de

son autre, de son seul enveloppement d'un corps qui ne serait plus multitude de fantôme

mais individuelle momification aux bandelettes reproduites... Mais quel est-il donc, ce

« centre » immobile retrouvé, plein, à la sortie mouvante du RER, en gare, et en soleil ?

Quelques instants plus tôt en ce centre, un magnifique cul, qui se prépositionne au dessus

de me mains, après un sourire à travers une vitre. Il n'est pas de hasard, mais seulement des

coïncidences. Album du cinquantenaire offert hier au frère : quand tu prends une photo, dit

S. Larrain, tu organises ton corps, les trois points sont en ligne, c'est une expérience de

yoga. Il est, hors de tout contexte, des fuiteurs sans frontières, qui tiennent doux et fort ce

centre : content ! Et le Sud y impose, une mère napolitaine, une Amérique dite latine, une

adolescence qui n'en finira pas, en ce centre.

Le "Trou-en-Velay" et sa dimension figée: le "depuis-quand n'as tu pas campé (le sol,

l'immersion en nature, le Bouddha en prise, sa clef de sol...) aurait tendance a y devenir:

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"depuis quand n'es-tu pas allé à une conférence ?" Le train et son déplacement, plutôt que

son mouvement, les remplace-t-elles ?

Philippe Riviale, Demain vous entrez dans la conjuration, Attila, 2012. Une grande

histoire de puzzle qu'il ne faut surtout pas assembler par les bords, quitte à en créer de

nouveaux, ciseaux à la main. J'ai longtemps, dit un des héros en poupées russes, justifié

mon absence dans la vie, ma passivité à l'égard des choses et des gens, par la conviction de

mon omniscience. Pourquoi vouloir une chose en particulier quand mon oeil panoptique

voit tout, un cerisier gorgé de fruits sur une aire d'autoroute, une lampe indienne magique

dans une brocante de Haute-Loire , ou l'émergence brusque d'une réponse inflammatoire

pourtant inattendue ? Mon oeil donne à mon esprit connaissance de l'équivalence absolue,

ou, si vous voulez, la connaissance de l'aveuglement de tous ceux qui préfèrent,

choisissent, décident des idées, des carrières, des moyens de s'affirmer. Comme si, à prix

d'or, ils avaient accumulé des tessons de poteries irréparables, tandis qu'un seul tesson

minuscule par sa fracture même, et par son durcissant, me dit le monde. Au lieu de projeter

l'idée d'une demeure, amasser des rebuts, ne jamais appliquer son jugement, mais s'enrichir

de la transformation, du manque, du cassé, du reste. Un peuple n'est qu'une absence, une

perfection de cauchemar; la loi, la langue, les usages, le passé raconté, tout cela est au

peuple sa différence proclamée envers les étrangers; or un peuple ne contient que des gens

qui auraient voulu autre chose, ailleurs, autrement. Le peuple tue le messager, épuisé de

transporter un si lourd message. Il faut bien un échappement à l'harmonie sociale, chacun

veut être seul parfois, oublier les autres; si les autres lui en savent gré en reconnaissant la

valeur de sa contribution, alors on peut vivre en harmonie. Nulle volonté collective, nul

pouvoir transcendant, et l'amour de soi en ciment tenant ensemble ces gens, mais amour

d'un soi compris comme vivant parmi les vivants, maitri. Et ne pas déclarer d'avance un

amour qui doit se faire. Et non plus une égalité dans la quête d'un butin, mais une égalité

dans une friche, où l'on ignore toujours le jardin à venir, où l'on produit l'humus par

couches fines, insensibles, et que l'on contemple avec satisfaction, avec dispersion.

Dispersion qui éveille la mémoire des temps futurs, celle-là qui sommeillait au profond de

nous, et nous ne sommes pas au bout de nos peines, nous sommes des rebelles, nous ne

serons jamais nombreux, on ne nous laissera pas tranquilles.

Tu n'est capable d'aucun ici, me traduit-elle; bien sûr, lui répondis-je, nous ne somme qu'en

voyage vers ce bout qui nous tiendra. Mais: es-tu capable de l'écrire, là, cette ambiance

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unique de ton histoire et de ton rêve ? Quand tu sens que déjà tes yeux se brouillent un peu

plus, qu'une lourde chaleur une nouvelle fois les a pris, et ne rend que peu, et que tu

n'avances pas sur l'autoroute qui traverse un unique des villes, où tu ne peux joindre au

nomade qu'il faudra bien, dans la douceur de ton soir ? La vie te manque ce personnage qui

ferait de tes tessons une maison, mais dont 'absence précisément permet l'ouvert de la plaie

du bonheur, éclate le fragment qui ne tient qu'au jardin mais à aucune poutre maîtresse.

L'âtre y est doux, ne pleure que l'entre des feux que tu repousses au plus loin d'une

quelconque cité.

Elle voudrait n'être qu'elle et brûler en noeuds de sa propre traîne tous ces points de non-

alliage que pourtant tu as besoin de lui offrir. Quand elle te vide ainsi, pourtant, le chemin

est au fort qui offre à l'orage blanc et noir de trois.

Tu avances donc un peu plus dans la rue que tu ne cherches plus, inspectant ses seuls

pavés, ou plutôt leur réseau d'interstice, éloge du dépôt, comme celui hier de la poussière.

Ton orthographe se dégrade alors même que tu scrutes cette maille. Il y a tout l'amas des

pas dans ces creux comblés, ici sans doute un jour Teilhard, comme chez A. Dillard, sans

doute un peu de la cendre d'un de ces multiples mégots qui fracassèrent le coeur du père

échoué à New-York. Tu récapitules les raisons qui te conduiront un jour vers Big Aple: la

pierre du jésuite inaccessible, la quête de Roehrich, mais il en est une autre, une troisième,

celle qui toujours t'échappe.

Il n'y a plus de briquet, tous vides, les trois chinois à sécurité qui souffrent ta rhizarthrose,

même au fond de ton sac tibétain de voyage, que tu déverses sur le lit défait, plutôt que de

le resuspendre à son clou dans ta chambre. Tu refuses d'exposer maintenant d'espoir le sac-

de-la-prospérité-de-la-famille, que t'offrit la médecin-chef mongole en cadeau de bon

retour. Les bidis s'épuisent, les allumettes de Riga n'y sont pas assez précises de leur

flamme, tu reviens à cette feuille. Le troisième n'était pas tout-à-fait vide, tu apprécies ce

demi-bidi, elle t'a dit aimer l'orangé géométrique et translucide de ta peinture dans la

cuisine, elle te regrette de ne pouvoir s'offrir à toi pendant les trois jours de sa pleine lune,

elle t'a donné une magnifique recette pour demain soir, et encore tu protestes, vers elle

fragile poète qui se veut sédentaire, enfin, ici, avec toi. Tu as vu les cantonniers du XXIè

siècle colmater d'une coulée dirigée de gélifiant brun le pourtour du goudron rapiécé de la

route, pour prévenir le dépôt encore des cendres des pères, pour que la faille qui viendra

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pourtant à la puissance de l'hiver n'éclate l'interstice, en genève déjà tu as détouré un pavé

de grès, avec lui passé interdit la frontière, l'amie a pleuré de ce cadeau d'anniversaire de

leur mariage, de ce lest de la famille qui empêche notre implosion de tous en la ville

psychotique, tu as préservé son jeu par cet arrachement nocturne et donc illicite, les fous

sont les plaies à respirer de la ville, les mots masquent notre interdit à nous réenfoncer trop

vite dans le sol qui nous a donné en pâture à notre douleur. Elle, encore, t'a demandé des

paroles pour ses chansons, mais tu crains de ne pas lui permette son rythme. Tu as beau

massacrer ta coiffure aux ciseaux seul devant la glace, on te complimente encore, on ne te

regarde que de face, tu souris.

Le voisin (l'autre) a tronçonné de beaux arbres pour entourer son potager de tristes

parpaings gris. Tout en travaillant sa terre comme si de rien n'était, mais s'emmurant.

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