HORIZONS BANCAIRES - Etudes économiques du Crédit...
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Les moyens de paiement,pierre angulairede l’intermédiationfinancière
HORIZONS BANCAIRES
R E V U E É D I T É E P A R C R É D I T A G R I C O L E S . A .
D I R E C T I O N D E S É T U D E S É C O N O M I Q U E S
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
ÉDITO ...................................................................................................................................................................................................................... 3MARC CARLOS, directeur des systèmes et services de paiement Groupe Crédit Agricole, Crédit Agricole S.A.
Développement des moyens de paiement et sécurité :l’engagement des banques ............................................................................................................................................................... 5DOMINIQUE TRESSE, responsable communication, direction des moyens de paiement groupe, Crédit Agricole S.A.
Le rôle des instruments de paiement dans l’économie ........................................................................................ 10DAVID BOUNIE, maître de conférences en économie / associate Professor in Economics, Telecom Paris Tech
Le rôle de la BCE par rapport aux enjeux du SEPA ................................................................................................... 16INTERVIEW DE MR. JEAN-MICHEL GODEFFROY, directeur général des systèmes de paiement
et des infrastructures de marché, Banque centrale européenne
Les droits des consommateurs européens face aux changementsdans les moyens de paiement .................................................................................................................................................... 19INTERVIEW DE JEAN-PAUL GAUZÈS, député européen, membre titulaire de la commission des affaires
économiques et monétaires
Les usages des moyens de paiement en France,quels changements pour les consommateurs ? ................................................................................................... 23HERVÉ MONDANGE, juriste à l’AFOC, membre du Comité national SEPA
La tarification des instruments de paiement :quelques éléments de théorie économique ................................................................................................................ 27MARIANNE VERDIER, docteur en économie, chercheur post doctoral à Telecom Paris Tech
L’évolution des solutions de paiement dans la vie numérique ............................................................. 33XAVIER LARDUINAT, directeur de la communication, Secure Transactions, Gemalto
PHILIPPE CAMBRIEL, executive vice-président, Secure Transactions, Gemalto
L’émergence d’un nouveau moyen de paiement,les téléphones mobiles intégrant la NFC .................................................................................................................................. 41MICHAËL NIQUE, consultant sénior, Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunications en Europe (IDATE)
BASILE CARLE, consultant junior, Institut de l’Audiovisuel et des Télécommunications en Europe (IDATE)
Les moyens de paiement dans un pays émergent,la stratégie du Crédit du Maroc ............................................................................................................................................................. 46BERNARD BORDAS, directeur central de la banque de réseau et de détail, Crédit du Maroc
Encadré : Les transferts de migrants dans les pays émergents ............................................................. 51FRÉDÉRIC LAPEYRE, direction de la stratégie groupe, Crédit Agricole S.A.
La carte Double Action : une réponse innovante au Crédit Agricole ................................................. 52JEAN-PIERRE VAUZANGES, directeur développement Caisses régionales, Crédit Agricole S.A.
& MARIE-PIERRE BONNET, responsable marketing de la banque du quotidien et crédit à la consommation,
direction développement Caisses régionales, Crédit Agricole S.A.
Service aux lecteurs ............................................................................................................................................................................................... 57
Les moyens de pa iement ,p ier re angu la i re de l ’ in termédiat ion f inanc ière
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Les services de paiement sont des services intrinsèquement liés à la gestion
des comptes clients pour les banques de détail. Le groupe Crédit Agricole, lea-
der sur ce marché, en a fait un axe de développement stratégique en France et
en Europe. Il a décidé de donner la parole à des experts pour éclairer de la
manière la plus complète possible les profondes évolutions qui marquent cette
industrie et présenter le point de vue du consommateur qui reste l’utilisateur
« naturel » de ces services.
La volonté politique de construire un grand marché intérieur pour l’Europe s’est
traduite par l’introduction de l’euro fiduciaire en 2002 et se poursuit avec la mise
en œuvre du SEPA (Single Euro Payments Area) : virement pan-européen lancé
en 2008 et introduction à compter de fin 2009 du prélèvement SEPA.
Cet espace unique de paiements en euro couvre aujourd’hui pour l’industrie
bancaire une zone géographique de trente-deux pays (les trente pays de
l’Espace économique européen [EEE] ainsi que la Suisse et Monaco) et un mar-
ché de près de 70 milliards de transactions de paiements scripturaux.
Sa construction a nécessité des travaux intensifs de la part des banques euro-
péennes pour se mettre d’accord sur les standards des messages à échanger
ainsi que les engagements pris vis-à-vis de leurs clients respectifs.
La protection de ces derniers a été renforcée par le vote d’une directive sur les
services de paiement (DSP) qui va tenter d’harmoniser les règles de fonctionne-
ment des instruments de paiement en Europe et créer les conditions d’un mar-
ché plus concurrentiel.
Sur ce marché, pour lequel la confiance des utilisateurs et la sécurité sont les
maîtres mots, nous allons donc voir apparaître de nouveaux entrants. Les
services de paiement, qui constituaient un monopole des banques en France,
pourront être proposés par des « prestataires de services de paiement » non
bancaires.
Les nouvelles technologies ont créé un environnement propice à des innovations
majeures en termes de modalités de transmission des ordres de paiement et
d’informations ou d’alertes sur leur bonne exécution.
É D I T O R I A L
MA R C CA R L O S
DIRECTEUR DES SYSTÈMES ET SERVICES DE PAIEMENT GROUPE CRÉDIT AGRICOLE,CRÉDIT AGRICOLE S.A.
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Paiement sur mobile, paiement sur internet, paiement sans contact... Toutes ces
technologies sont actuellement testées par l’ensemble des acteurs concernés
mais elles doivent également pouvoir être déployées sur des modèles écono-
miques pérennes.
Si nous voulons favoriser les investissements dans ces domaines et créer de
nouveaux produits pour servir ce marché européen de 500 millions d’habitants,
il nous faut développer des modèles économiques qui soient durablement profi-
tables.
Il conviendra donc sans doute de repositionner les services à leur juste valeur et
convaincre les différentes parties prenantes (opérateurs télécom, grands factu-
riers, systèmes cartes...) du juste partage de cette valeur.
Pour les banques, la bataille risque d’être rude : le modèle faisant intervenir deux
banques contreparties semble menacé par les autorités de concurrence qui sou-
haitent favoriser des modèles plus simples dans lesquels les banques ne sont
que des distributeurs, voire des intervenants « passifs ».
C’est ce qui fait le succès de systèmes tels que PayPal ou les paiements « mobi-
les », opérés par les opérateurs télécom, mais qui pose la question initiale de
la valeur de l’intermédiation des banques dans les systèmes de paiement sur le
plan de la confiance et de la sécurité. Au final, ce sont les consommateurs qui
choisiront.
Le groupe Crédit Agricole reste cependant convaincu que la banque a encore de
l’avenir sur ce marché et que la capacité d’innovation sera essentielle dans la
fidélisation et la captation de nouveaux clients.
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L’activité des banques de détail est fortementcorrélée aux moyens de paiement,particulièrement les services liés à la monnaiescripturale, dont elles garantissent l’accès,la sécurité, le règlement, les normes ainsique l’évolution des contextes d’utilisation.
DOMINIQUE TRESSEResponsable communication,direction des moyens de paiement groupe,Crédit Agricole S.A.
Développement des moyensde paiement et sécurité :l’engagement des banquesÉvolution des supports de la monnaieTrois supports de monnaie ont marqué l’histoire des
moyens de paiement : la monnaie métallique, la mon-
naie papier et la monnaie dématérialisée (monnaie
scripturale). La monnaie métallique est apparue en
Asie Mineure sous forme de pièces frappées, vers la fin
du VIIe siècle avant Jésus-Christ. La frappe donne à ces
pièces une valeur précise, valeur correspondant nor-
malement au poids du métal (or, argent, cuivre) qui la
constitue. Il n’est alors plus nécessaire de la peser
pour connaître sa valeur. À partir de cette date, la
monnaie métallique est pratiquement la seule monnaie
utilisée pendant deux millénaires.
Au XIVe siècle, pour éviter le transport de la monnaie
métallique, la monnaie papier se développe, notam-
ment avec la lettre de change. En 1609, la banque
d’Amsterdam prend en dépôt les différentes mon-
naies, et met en circulation les premiers billets. Le
montant des billets émis correspondait à la valeur du
métal déposé à la banque. Les choses changent en
1656 quand la banque de Suède adopte une nouvel-
le technique. Elle émet toujours des billets contre la
valeur du métal précieux qu’elle prend en dépôt, mais
elle émet un supplément de billets qui sont utilisés
pour escompter « des effets de commerce ». Cette pra-
tique qui existait déjà avant, se généralise au cours du
XIXe siècle. Pendant la grave crise économique et socia-
le de 1848, le gouvernement français proclama le
« cours légal » (obligation pour tous d’accepter les
billets en paiement), et le « cours forcé » (la banque
n’échange plus les billets contre de l’or). La converti-
bilité est rétablie en 1878, mais le cours légal est défi-
nitivement instauré. En France, la valeur de la monnaie
n’a plus jamais été déterminée par rapport à l’or depuis
1969. L’or fut officiellement démonétisé en 1976 lors
des accords de Kingston.
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Dans la deuxième moitié du XXe siècle, l’utilisation du
chèque et celle de la carte bancaire entraînent une
dématérialisation croissante de la monnaie. La monnaie
scripturale est née.
Définition des moyens de paiementet différences entre monnaiefiduciaire et monnaie scripturaleLes moyens de paiement sont définis par les banques
centrales comme les instruments qui permettent à
toute personne de transférer des fonds, quel que soit
le support ou le procédé technique utilisé.
Un moyen de paiement scriptural (chèque, carte, vire-
ment, prélèvement...) est la combinaison d’un instrument
(sur support papier ou numérisé), qui permet de produire
un ordre de paiement, et d’un dispositif technique et
organisationnel qui permet le traitement de cet ordre.
La monnaie fiduciaire ne nécessite pas d’instruction ni
de système de communication spécifique. La trans-
mission physique suffit. Elle peut être immédiatement
réutilisée par son porteur. Elle ne nécessite pas la
détention d’un compte auprès d’un intermédiaire finan-
cier. Elle est en outre porteuse d’une compensation et
d’un règlement immédiat. Elle assure l’anonymat des
porteurs et des transactions, par contre elle est limitée
aux transactions face-à-face.
En ce qui concerne les instruments scripturaux, la tra-
çabilité de la transaction est primordiale. Une inscrip-
tion en compte est obligatoire avant toute utilisation ;
l’identité du titulaire du compte est connue ; la pro-
duction d’un ordre de paiement et sa communication
pour traitement sont obligatoires.
Données statistiquessur les moyens de paiementLes données qui permettent de comparer l’ensemble
des moyens de paiement, y compris les moyens de
paiement fiduciaires, montrent que la monnaie fiduciaire
prédomine largement en France, comme dans l’ensem-
ble des pays industrialisés (cf. figure 1). Les volumes
conséquents de pièces et de billets posent des
problèmes de coûts de traitement et de traçabilité.
Parmi les moyens de paiement scripturaux, 3,2 %
sont représentés par des instruments non bancaires.
Sous ce vocable se trouvent : les titres-restaurant, les
cartes privatives, les chèques cadeaux et les chèques
emploi-service.
Le chèque, depuis plusieurs années, a tendance à
diminuer (une tendance de - 4% par an) au profit
majoritairement de la carte et du prélèvement.
En matière d’usage, on assiste donc à une dématé-
rialisation croissante bien que les espèces restent
encore assez largement utilisées notamment pour les
petits montants. L’usage de la monnaie scripturale
Poids Poidsen volume en valeur
Virement 8,19 % 39,45 %Chèque 11,26 % 32,28 %Prélèvement automatique 5,97 % 7,88 %Lettre de change 0,33 % 7,42 %Carte bancaire particuliers 16,46 % 4,75 %Espèces 53,49 % 3,50 %TIP 0,53 % 1,00 %
TABLEAU 1 : Poids de chaque moyen de paiementdans l’ensemble en 2005
FIGURE 1 : Répartition des moyens de paiement en France
Source : GM Consultants
Source : GM Consultants
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D é v e l o p p e m e n t d e s m o y e n s d e p a i e m e n t e t s é c u r i t é : l ’ e n g a g e m e n t d e s b a n q u e sD O M I N I Q U E T R E S S E
diffère selon les pays européens. Les nouvelles tech-
nologies, notamment l’usage du « sans contact »,
seront des éléments déterminants de l’évolution dans
les années à venir.
Rôle des banques dans les moyensde paiement aujourd’huiLes banques ont été dans la plupart des pays les
seuls intermédiaires habilités à délivrer des moyens de
paiement scripturaux et de la monnaie fiduciaire.
L’activité de la banque de détail est basée particuliè-
rement sur la gestion des comptes à vue et la gestion
des services rattachés, au premier rang desquels les
services de paiement.
La banque de détail en Europe se caractérise enco-
re par le nombre important d’agences et guichets
automatiques, indispensables au maintien d’une rela-
tion de proximité avec le client, même si l’usage
d’Internet permet aujourd’hui une dématérialisation
importante de cette relation via le « web banking ».
On ne peut, en revanche, pas faire de lien direct entre
le nombre d’opérations de paiement dans un pays et
le nombre d’agences bancaires ainsi que le montrent
les statistiques sur les principaux pays en terme de
nombre de paiements.
L’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie repré-
sentent en cumul 94 % du nombre d’opérations de
paiement traitées dans la zone euro et 75 % du nombre
d’agences. Les trois premiers pays représentent des
nombres d’opérations très significatifs et relativement
moins de guichets, l’Italie étant dans la proportion très
exactement inverse (cf. tableau 3).
Les caractéristiques dumarché français : le droit au compteet l’interbancaritéLe taux de bancarisation des ménages français (98 %
en 2004) est le plus élevé des grands pays européens,
beaucoup de ménages ayant d’ailleurs plusieurs
banques, notamment du fait de la législation qui le
favorise avec le droit au compte, inscrit dans la loi
bancaire. Ce droit au compte est d’ailleurs accompa-
gné d’un nombre d’instruments de paiement mini-
mum, dont une carte bancaire qui permet le paiement
et le retrait.
Une des caractéristiques principales du marché fran-
çais est l’interbancarité. Sous ce terme, quelque peu
hermétique, se cache une réalité que tout le monde
peut constater tous les jours : il est possible de payer
dans la plupart des enseignes avec le moyen de paie-
ment souhaité par le consommateur sans restriction
(hormis celles liées à la législation comme un montant
maximum en espèces). Cette interbancarité se géné-
ralisera en Europe avec la mise en place des moyens
de paiement européens (virement, prélèvement, carte).
Pour y parvenir, les banques françaises ont depuis
une trentaine d’années œuvré ensemble, et avec la
Banque de France, pour harmoniser les instruments de
paiement et créer des systèmes de compensation et
de règlement permettant les échanges entre elles, le
tout avec une sécurité maximum. Ces échanges ont
supposé la définition de standards, de règles de fonc-
tionnement. Pour compléter l’aperçu des responsabi-
lités des banques dans le domaine des moyens de
paiement, il faut également citer toutes les obligations
qui leur incombent en matière d’information du client
et de protection du consommateur.
La profession bancaire française s’est dotée depuis plus
de soixante-dix ans d’une structure appelée Comité
français d’organisation et de normalisation bancaires
(CFONB), sous forme d’association loi 1901 dont la
Pays /CartesMoyens Virement Prélèvement
de paiementde paiementAllemagne 36 % 48 % 15 %France 17 % 19 % 40 %Italie 29 % 14 % 35 %Pays-Bas 32 % 27 % 38 %Royaume-Uni 21 % 20 % 48 %Espagne 14 % 43 % 38 %Pourcentage du nombre total de transactions en 2007 par payspour le virement, le prélèvement et les cartes de paiement.
Source : Blue Book 2007 de la BCE
TABLEAU 2 : Comparaison européenne du poidsdes principaux moyens de paiement scripturauxnumériques dans les paiements dématérialisés
Pays% d’opérations / % d’agences
zone euro bancaires/zone euroAllemagne 28 % 20 %France 30 % 19 %Royaume-Uni 29 % 13 %Italie 7 % 23 %
Source : Blue Book 2007 de la BCE
TABLEAU 3
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mission est d’étudier et de résoudre, aux plans orga-
nisationnel et normatif, les problèmes de caractère
technique liés à l’activité bancaire. Ses travaux portent
essentiellement sur les instruments et systèmes de
paiement.
Le CFONB édicte des règles professionnelles que doit
respecter tout établissement exerçant une activité
bancaire en France, ou publie des normes à caractè-
re officiel applicables par l’ensemble des secteurs éco-
nomiques concernés.
Ces actions de concertation et de proposition s’étendent
auprès de structures européennes et internationales.
La standardisation et la normalisation ont permis depuis
les trente dernières années des progrès considérables
dans le traitement des opérations de paiement, au
bénéfice notamment du délai de traitement des opé-
rations, qui s’est considérablement réduit. Si cela est
visible pour les particuliers dans les délais d’encais-
sement des chèques ou des virements, les progrès les
plus importants ont été constatés dans le service aux
entreprises.
La quasi-totalité des entreprises remettent aujour-
d’hui leurs ordres de paiement aux banques via des
outils télématiques et cela même avant l’avènement
d’Internet. Le format de ces ordres et la sécurité des
échanges qui les accompagnent ont fait l’objet de dis-
cussions et de mises au point par les banques de for-
mats de messages standardisés. Ce sont les mêmes
formats qui sont remis, quelle que soit la banque.
Les efforts d’harmonisation et de standardisation exis-
tent également au niveau interbancaire européen. Ils ont
permis la naissance en 2008 du premier instrument de
paiement totalement européen : le virement SEPA. La
manière de formuler la demande de paiement auprès
de la banque a été harmonisée par les banques euro-
péennes, cette harmonisation permettant, à partir de
novembre 2009, de garantir un délai maximum d’exé-
cution d’une journée pour tous les virements SEPA, et
ce, dans les mêmes conditions de sécurité.
La création de systèmes interbancaires
de compensation et de règlement
des instruments de paiement, des
systèmes d’autorisation pour la carte
La Banque de France estimait dans un récent bulletin
(novembre 2008) que 80 % des instruments de paie-
ment sont échangés entre banques dans les sys-
tèmes d’échange interbancaires, les 20 % restant rele-
vant d’un traitement intra-bancaire (le débiteur et le
créancier ayant un compte dans une même banque)
ou par accords bilatéraux entre banques.
Depuis 1994, en France, l’ensemble des échanges
entre banques s’effectuent sur un système organisé et
géré par les banques, le SIT à l’origine, CORE aujour-
d’hui. Ce système est contrôlé par la Banque de
France dans le cadre de sa mission de surveillance. Il
présente la particularité, unique en Europe, jusqu’à
une date récente, de traiter dans un même système
tous les moyens de paiement y compris la carte.
Concernant cette dernière, les banques se sont orga-
nisées dès la fin des années soixante avec le lancement
de la « carte bleue ». Au début des années 80, les com-
merçants ont commencé à s’équiper en terminaux
de paiement électronique. En 1984, pour la première
fois, un accord interbancaire a permis à tout porteur de
carte CB, quel que soit l’établissement où son comp-
te était tenu, de pouvoir retirer de l’argent dans n’im-
porte quel distributeur automatique, de régler ses
achats chez les commerçants affiliés. C’est le début de
l’interbancarité.
L’interbancarité des paiements en France se représente
schématiquement de la manière suivante.
C’est cette cinématique qui garantit les conditions de
sécurité du système d’une part et qui facilite la régu-
lation d’autre part. Cette dernière repose à la fois sur
les banques elles-mêmes et sur l’autorité de sur-
veillance qu’est la Banque de France.
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FIGURE 2 : La cinématique d’un paiement
Source : Direction des moyens de paiementGroupe, Crédit Agricole S.A.
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Les moyens de paiement et la tenue de
compte, un domaine très réglementé
La réglementation dans ce domaine se situe à plusieurs
niveaux et concerne des objectifs différents.
• Une réglementation « professionnelle »
assurée par la Banque de France
Elle a deux axes stratégiques : le bon fonctionnement
des systèmes de paiement et leur sécurité. La Banque
de France considère que l’interbancarité est un élément
déterminant de l’efficacité du système de paiement fran-
çais : caractère universel des instruments de paie-
ment, mise en œuvre de règles communes, préféren-
ce pour les circuits interbancaires versus accords
bilatéraux, accès ouvert et équitable aux systèmes
d’échange.
• Une réglementation de source européenne :
les Directives et les Règlements
De nombreuses directives européennes ont des impacts
directs sur la banque de détail et les moyens de paie-
ment. La plus récente (directive sur les services de
paiement) dont l’entrée en vigueur en France sera
effective en novembre 2009 touche aussi bien les
règles de fonctionnement des moyens de paiement
dématérialisés (virement, prélèvement, carte) que les
conditions d’exercice de la profession. Elle permettra,
par exemple, l’entrée sur le marché de nouveaux
acteurs qui auront la possibilité de proposer des services
de paiement sans toutefois pouvoir offrir un service de
tenue de compte identique : le compte de paiement res-
tera un « compte de passage » d’opérations.
Une autre directive impose par exemple aux banques
de faciliter la mobilité de leurs clients lorsque ceux-ci
souhaitent changer d’établissement bancaire, une autre
définit les règles régissant l’émission et le fonctionne-
ment de la monnaie électronique (domaine du pré-
payé qu’il s’agisse du téléphone ou encore de cartes)...
Le domaine du règlement est plus restreint et s’impo-
se entièrement et immédiatement aux États. Un règle-
ment particulièrement important dans les moyens de
paiement a été voté en 2001. Il porte sur la tarification
des opérations transfrontières. Il vient d’être révisé et
se rapportera également au prélèvement SEPA.
• Des contraintes liées à la sécurité
Cet ensemble de dispositions reste la plupart du temps
transparent pour la clientèle du fait de son caractère
préventif. Il porte sur la sécurité des services financiers
en ligne (web banking), la prévention et la surveillance
de la fraude et des incidents, la sécurité financière, l’au-
toprotection et l’autorégulation des banques.
• La protection des consommateurs
Ce domaine a fait l’objet d’une attention toute parti-
culière ces dernières années.
– Loi Murcef : Loi portant sur les Mesures urgentes de
réformes à caractère économique et financier du 11
décembre 2001. Parmi ses applications figurent, par
exemple, la convention écrite de gestion des comptes
de dépôt, la désignation de médiateurs et la création
d’un comité de la médiation bancaire ou encore la
limitation des pénalités correspondant à l’émission de
chèques sans provision suffisante.
– Les Mesures du CCSF : Comité consultatif des
services financiers.
Les banques ont pris des engagements en novembre
2004 afin de rendre la banque plus claire et plus simple
pour leurs clients : la mobilité est facilitée, les tarifs sont
accessibles et comparables.
– La LSQ : Loi sur la sécurité quotidienne du
15 novembre 2001 qui précise les droits à contestation
des consommateurs lors d’achats frauduleux sur le net
avec utilisation usurpée d’une carte bancaire.
Nous voyons au travers de ce qui vient d’être décrit que
si, pour le client, les moyens de paiement sont passés
parfois dans le domaine des utilities, cela repose sur un
ensemble important de dispositions relevant tant de la
loi que de l’autorégulation.
C’est cet ensemble, construit au fil du temps, qui a per-
mis le développement de la monnaie scripturale en
France et en Europe. La possibilité est donnée à cha-
cun de ne pas avoir à se poser de questions particu-
lières chaque fois qu’il souhaite faire un paiement ou
retirer de l’argent dans un distributeur automatique
de billets.
Les efforts d’harmonisation en Europe sont néces-
saires, ils se poursuivront. Chaque pays a et aura,
pendant un certain temps encore, des particula-
rismes qui sont des freins à la mise en œuvre de
moyens de paiement communs. Ils réduisent le
confort des consommateurs et bloquent la concur-
rence des entreprises. ◗
D é v e l o p p e m e n t d e s m o y e n s d e p a i e m e n t e t s é c u r i t é : l ’ e n g a g e m e n t d e s b a n q u e sD O M I N I Q U E T R E S S E
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Malgré son importance économique, lespaiements ont toujours été considéréscomme un sous-produit de l’activité bancaireet monétaire. Cet article tente de montrerque les instruments de paiement occupentune place centrale dans les économiescontemporaines, à l’articulation dessphères économique, bancaire et monétaire.
DAVID BOUNIEMaître de conférences en économie /associate Professor in Economics,Telecom ParisTech
Le rôle des instruments de paiementdans l’économieDANS LES ÉCONOMIES CONTEMPORAINES, la cir-
culation des valeurs monétaires entre les agents éco-
nomiques est assurée par l’intermédiaire de nombreux
instruments de paiement à l’image des pièces et billets,
du chèque, des cartes de paiement, du porte-monnaie
électronique, des virements. Selon les dernières sta-
tistiques publiées par la Banque centrale européenne,
la carte de paiement est l’instrument de paiement le
plus utilisé en 2007 dans les pays de la zone euro avec
près de 30 % de la totalité des paiements1 alors que
le virement constitue le premier instrument de paiement
en valeur, avec une part équivalente à près de 83 % de
la valeur totale des paiements, la part de la carte de
paiement s’élevant seulement à 0,7 %. Pour autant, si
la part de la valeur des paiements par carte reste
négligeable, les dépenses totales réglées à l’aide de cet
instrument s’élèvent à près de 900 milliards d’euros.
L’industrie des paiements est donc sans conteste celle
qui enregistre le plus grand chiffre d’affaires au monde2.
Toutefois, malgré son importance économique, les
paiements ont toujours été considérés comme un
sous-produit de l’activité bancaire et monétaire, les
recherches économiques privilégiant, d’une part, la
fonction d’intermédiation financière des banques et,
d’autre part, la demande de monnaie des acteurs
économiques.
Dans une première partie, nous posons un cadre
simplifié afin d’illustrer les relations entre les instru-
ments de paiement et les sphères économique,
bancaire et monétaire. Dans les deuxième et troisième
parties, nous discutons plus en détail de la manière
dont l’activité économique est liée aux usages des ins-
1. Ce résultat ne tient pas compte de l’évaluation de l’usage des pièces et billets. Une étude de Bounie et François (2006) indique cependant que six achats surdix réalisés par les consommateurs en 2005 au point de vente étaient réglés à l’aide des pièces et billets.2. Par définition, toute transaction commerciale entre un consommateur et un commerce d’une industrie particulière implique un paiement.
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L e r ô l e d e s i n s t r u m e n t s d e p a i e m e n t d a n s l ’ é c o n o m i eD A V I D B O U N I E
truments de paiement et comment, à leur tour, les
usages impactent les modèles économiques des
banques et les demandes de monnaie dans le sys-
tème monétaire.
Un cadre d’analyse simplifiéPour comprendre la manière dont les instruments de
paiement articulent les sphères économique, bancai-
re et monétaire, posons un cadre d’analyse simplifié
qui permette de schématiser la manière dont les
agents forment leur décision en matière d’usage des
instruments de paiement3. La théorie économique
stipule que le choix d’un instrument de paiement pour
un consommateur est lié aux coûts (ou aux béné-
fices) d’usage d’un instrument lors d’une transaction
de valeur p. Les coûts peuvent être fixes comme,
par exemple, le temps nécessaire pour remplir un
chèque ou bien obtenir une autorisation de paiement
par carte ou bien encore les délais supplémentaires
dans les files d’attente aux points de vente qui n’ac-
ceptent que les espèces. Les coûts peuvent être éga-
lement variables et dépendre de la valeur de la tran-
saction p. Par exemple, pour régler une transaction
d’une valeur p en pièces et billets, un consommateur
a besoin de détenir un billet d’une valeur supérieure ou
égale à p. Or, la détention de ce billet est coûteuse
pour le consommateur car il supporte un manque à
gagner (coût d’opportunité de la détention d’un billet)
équivalent à la perte en intérêt (liée au non place-
ment de la valeur du billet sur un simple dépôt à vue
rémunéré). L’arbitrage pour un consommateur entre les
différents instruments de paiement consisterait donc
à comparer lors de chaque transaction de valeur p les
coûts fixes et variables associés à chaque instrument
de paiement et à privilégier celui qui minimise les
coûts.
Ce cadre d’analyse très simple permet d’expliquer
l’usage actuel des instruments de paiement. Par
exemple, pour les espèces, leur détention est bien
soumise à un coût d’opportunité lié au taux d’intérêt
mais leur utilisation fait l’objet de très faibles coûts fixes
lors de la transaction (usage simple, rapide et poten-
tiellement source de ristourne dans les marchés
noirs). En revanche, l’utilisation des autres instru-
ments de paiement, tels que le chèque ou la carte de
paiement, implique des coûts fixes et variables lors de
chaque transaction de sorte qu’il existe un arbitrage
pour les consommateurs entre coût d’opportunité
pour les espèces et coûts de transaction pour les
autres instruments de paiement. Il suit de ce raison-
nement que les espèces ne devraient être utilisées que
pour des petites valeurs d’achat, là où le coût d’op-
portunité est faible par rapport au coût fixe des autres
instruments, ce que confirment en grande partie les
analyses empiriques. Par exemple, Bounie et François
(2006) ont montré que la part de marché des espèces
pour des valeurs d’achat inférieures à 5 euros s’éle-
vait en 2005 à 90 % alors qu’elles n’étaient que de
8 % et 2 % environ pour la carte de paiement et le
chèque. Mais, la part de marché des espèces décroît
rapidement à mesure que la valeur de la transaction
augmente. Ainsi, lorsque la valeur de la transaction est
égale à 23 euros, les parts de marché de la carte et
des espèces s’élèvent chacune à 35 %. Au-delà, la
carte de paiement s’impose devant les espèces et le
chèque. Enfin, pour des valeurs supérieures à
150 euros, la part de marché du chèque excède
celle de la carte de paiement.
Mais au final, ce modèle simplifié permet surtout de
comprendre comment les instruments de paiement
sont à l’articulation des sphères économique, bancaire
et monétaire. D’une part, nous constatons que la
valeur p d’un bien influence les usages des instruments
de paiement : l’activité économique est donc de natu-
re à orienter les usages des instruments de paiement.
Mais, inversement, les caractéristiques des instru-
ments de paiement peuvent affecter les dépenses
de consommation des ménages et conditionner l’exis-
tence de certains marchés de biens et services.
D’autre part, les usages des instruments de paie-
ment déterminent les revenus liés aux activités de
paiement pour les banques mais également le mon-
tant des dépôts bancaires et, de causes à effets, les
marges d’intermédiation financière. Enfin, les usages
3. Écartons, dans un premier temps, le rôle du marchand dans le choix à l’équilibre d’un instrument de paiement et supposons que seul le consommateur opère unarbitrage.
12
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� des instruments de paiement déterminent la deman-
de totale de monnaie (monnaie fiduciaire et monnaie
banque centrale) dans un système monétaire. Nous
décrivons plus en détail dans le reste de l’article les
mécanismes à l’œuvre.
Instruments de paiement,prix et activités économiquesLe modèle simplifié a permis de mettre en évidence que
la valeur de l’achat affectait les usages des instru-
ments de paiement. Dans cette partie, nous mon-
trons comment, d’une part, le prix de la transaction peut
devenir une variable stratégique pour les commerces
afin d’orienter les usages des instruments de paie-
ment et réduire ainsi les coûts des systèmes de paie-
ment et comment, d’autre part, la structure des prix
dans une économie peut modifier la composition des
systèmes des divisions monétaires4. Enfin, nous ren-
versons la logique en illustrant comment les coûts des
instruments de paiement influencent à leur tour les
activités économiques.
Tout d’abord, les études empiriques montrent que les
marchands supportent la plus grande partie des coûts
liés aux espèces (cf. infra). Or, dans la mesure où les
marchands peuvent difficilement contraindre les
consommateurs à ne pas payer en espèces, ceux-ci
peuvent fixer des prix de manière à conduire les
consommateurs à privilégier certains instruments de
paiement. Une stratégie pertinente pour les marchands
peut consister par exemple à fixer des prix ronds afin
de ne recevoir qu’un nombre minimum de pièces et
billets ou à fixer un prix non rond pour orienter les
consommateurs sur un instrument de paiement alter-
natif de type carte de paiement ou chèque. Un prix rond
doit être entendu ici comme un prix nécessitant le
nombre minimum de pièces pour le composer ; dans
ce cas, plus un prix est égal à la valeur faciale d’une divi-
sion plus il peut être considéré comme rond. En effet,
un prix rond est susceptible d’être plus souvent payé
en espèces dans la mesure où le coût fixe lié à l’usa-
ge des pièces et billets peut être supérieur aux coûts
d’usage d’un instrument de paiement alternatif, ce
que confirment les études en France.
La structure des prix
Dans une économie, la structure des prix peut
contraindre la composition des systèmes de divisions
monétaires.
Par exemple, les Pays-Bas ont cessé l’émission des
divisions de 1 et 2 centimes d’euros au motif d’une
inadéquation du système de divisions monétaires
européen au système des prix en espèces arrondis à
5 centimes d’euros. En outre, le faible nombre de
prix au-delà de 100 euros a conduit certains écono-
mistes à défendre la suppression des valeurs faciales
élevées, 200 et 500 euros, dans la mesure où celles-
ci sont peu utilisées dans le commerce traditionnel et
sur-utilisées, au contraire, dans les marchés illicites.
Certaines banques centrales, à l’image de celle du
Canada, ont par exemple cessé l’émission des valeurs
faciales élevées à l’image du billet de 1 000 dollars. De
même, les États-Unis ont stoppé l’émission de billets
supérieurs à 100 dollars depuis déjà 1946. Ces ques-
tions, a priori marginales, ne sont pourtant pas sans
intérêts dans la mesure où les études économiques
montrent que le coût social des espèces s’élève à
75 % environ du coût social 5 total des paiements aux
points de vente, évalués selon les pays entre 0,4 % et
3 % du PIB (Bergman et al., 2007). C’est donc une
question d’efficacité économique pour les banques et
les autorités monétaires que de limiter les paiements
en espèces.
Impact des instruments de paiement
sur les activités économiques
Si les prix orientent les usages des instruments de
paiement, à l’inverse, les instruments de paiement ont
également un impact sur le développement des acti-
vités économiques.
Tout d’abord, les instruments de paiement peuvent
impacter les structures de dépenses des ménages. Par
exemple, les études américaines sur les usages des
4. Un système de divisions monétaires est un ensemble de valeurs faciales. Le système de divisions monétaires européen est composé des valeurs faciales allantde 1 centime d’euro à 500 euros. 5. Le coût social d’un instrument de paiement peut être défini comme la somme des ressources utilisées par l’ensemble de la société pour réaliser un paiement.Le coût social est composé des coûts privés supportés par les acteurs des paiements que sont les banques, les commerces, les consommateurs, etc.
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L e r ô l e d e s i n s t r u m e n t s d e p a i e m e n t d a n s l ’ é c o n o m i eD A V I D B O U N I E
cartes de crédit montrent clairement l’impact de l’uti-
lisation du crédit sur la consommation des ménages.
Mais, paradoxalement, cette relation persiste avec
des instruments de paiement qui ne requièrent pas
nécessairement l’usage de lignes de crédit. Ainsi, les
travaux en France sur les cartes de débit ont mis en évi-
dence qu’un porteur de carte à débit différé n’avait pas
la même structure de consommation qu’un porteur de
carte à débit immédiat : pour un porteur de carte à débit
immédiat, la valeur de la dépense moyenne quoti-
dienne décroît à mesure que la date de la dernière paie
s’éloigne, alors que cette même valeur croît pour les
porteurs de carte à débit différé. Les fonctionnalités des
instruments de paiement, comme le débit différé, sont
donc de nature à affecter les dépenses de consom-
mation des ménages. Dans le cas présent, nous obser-
vons en particulier que les porteurs de carte à débit dif-
féré ont tendance à lisser leur consommation dans le
temps.
Ensuite, les coûts des instruments de paiement peu-
vent affecter le développement des activités écono-
miques. Trois exemples peuvent permettent d’illustrer
cette question. D’une part, le coût d’usage d’un ins-
trument de paiement peut être supérieur au prix de cer-
tains biens, de sorte que l’existence même de certains
marchés de biens et services peut être compromise.
Le développement des marchés électroniques sur
Internet a conduit certains acteurs à proposer de nou-
veaux biens et services payants en ligne à l’image du
segment des micro-paiements de biens informationnels
(paiements de l’ordre de quelques centimes d’euro à
plusieurs euros). Mais, dans la mesure où le prix de la
transaction est supérieur au coût d’usage d’un ins-
trument de paiement, aucun paiement à l’acte ne peut
être conçu. D’autre part, les recherches économiques
sur les marchés électroniques ont bien mis en évi-
dence que le faible niveau de sécurité relatif au systè-
me de paiement par carte sur Internet augmentait
l’aversion au risque de fraude de certains consom-
mateurs et pouvait porter atteinte au développement
des échanges électroniques. Enfin, les études macroé-
conomiques récentes confirment clairement que la
réduction des coûts liés aux paiements transfrontières
a permis l’accroissement du nombre de transferts
entre les résidents dans les pays d’accueil et les non
résidents dans les pays d’origine. Ces effets sont par
exemple très visibles avec le développement des trans-
ferts d’argent des migrants qui, pour certains auteurs,
contribuent à la réduction de la pauvreté et au soutien
de la croissance économique dans les pays d’origine6.
Ces exemples montrent sommairement dans quelle
mesure les activités économiques sont liées aux ins-
truments de paiement. Dans la partie qui suit, nous
montrons de quelle manière les instruments de paie-
ment ont également une incidence sur les sphères
bancaires et monétaires.
Monnaie, banque etinstruments de paiementLes coûts des instruments de paiement orientent
leurs usages et affectent, de fait, les revenus des
paiements pour les banques, mais également le mon-
tant des dépôts à vue, les conditions d’intermédiation
financière et la demande de monnaie adressée au
système bancaire.
Les usages des instruments de paiement génèrent des
revenus pour les banques qui selon les pays peu-
vent être très conséquents. Aux États-Unis par
exemple, Rice et Stanton (2003) calculent qu’en
moyenne 16 % des revenus des quarante plus
grandes banques américaines proviennent des activités
de paiement7. Cette étude fait suite à une première
contribution de Radecki (1999) qui estimait qu’entre
33 % et 40 % des revenus des vingt-cinq plus grandes
banques américaines étaient imputables aux activités
de paiement. Mais, si les revenus liés aux instruments
de paiement peuvent être importants, en particulier
pour les banques, il convient également de souligner
qu’ils engendrent des coûts qui, pour la société, sont
loin d’être négligeables. Deux études conduites par les
Banques centrales de Belgique (2004) et des Pays-
Bas (2006) montrent par exemple que les pièces et
6. Pour un certain nombre de pays, les transferts d’argent dépassent même les investissements directs étrangers et les aides officielles au développement : parexemple, la part des transferts d’argent dans le PIB de la Moldavie est évaluée à 38,3 % selon la Banque mondiale.7. Abonnements, commissions d’interchange sur les paiements et fourniture des espèces, etc., auxquels s’ajoutent l’ensemble des services de paiement effectuéssur des comptes-titres et les services de paiement associés aux cartes de crédit (hors intérêts liés au crédit).
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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� billets sont les instruments de paiement les plus coû-
teux socialement. Plus précisément, les études mon-
trent que 73 % et 75 % des coûts totaux des paie-
ments aux points de vente, évalués à plus d’un
demi-point de PIB, sont imputables aux pièces et
billets et que les instruments les moins coûteux sont
le porte-monnaie électronique et la carte de débit.
Un autre résultat intéressant de l’étude néerlandaise
porte sur la répartition des coûts entre les marchands,
les banques (et réseaux de carte de paiement) et la
banque centrale. L’analyse montre que les commerces
et les banques supportent respectivement 54 % et 46
% de la totalité des coûts et que la substitution des
paiements électroniques aux paiements en cash per-
mettrait d’économiser plus de 600 millions d’euros aux
Pays-Bas.
Impact des usages des instruments de
paiement sur l’intermédiation financière
Les usages des instruments de paiement sont certes
sources de revenus mais ils impactent également
directement les conditions d’intermédiation financière
des banques.
En premier lieu, les retraits de billets diminuent les
dépôts des banques et, de causes à effets, les marges
potentielles d’intermédiation financière. Les études
empiriques récentes montrent toutefois que plusieurs
stratégies sont possibles pour limiter la détention et
l’usage des espèces8. La première d’entre elles consis-
te à augmenter les coûts des retraits sur les distribu-
teurs automatiques de billets. L’effet attendu de cette
politique est bien entendu la baisse du nombre de
retraits. Une deuxième mesure consiste à accroître le
nombre disponible de terminaux de paiement électro-
nique car, en dépit de la double fonctionnalité de retrait
et de paiement des cartes, les travaux empiriques
réalisés en France montrent clairement que les mon-
tants moyens des retraits des porteurs de carte sont
bien plus faibles que ceux des non détenteurs de
cartes de paiement9. En second lieu, les informations
collectées au travers des paiements peuvent être uti-
lisées pour évaluer la défaillance potentielle des emprun-
teurs. L’activité bancaire dans les paiements assure
donc un avantage comparatif aux banques par rapport
aux non banques et améliore ainsi les conditions de l’in-
termédiation financière. Ce résultat intuitif a été confir-
mé par le travail économétrique de Mester et al. (2002)
à partir des données d’une grande banque commer-
ciale canadienne. Selon ces auteurs, la banque dispose
d’un flux ininterrompu d’informations et en retire un
avantage comparatif par rapport à d’autres entreprises
prêteuses de fonds mais non teneuses de comptes. La
gestion des dépôts et la mise à disposition d’instru-
ments de paiement qui y sont attachés permettent
alors d’améliorer les conditions dans lesquelles l’in-
termédiation financière s’effectue.
Dans la mesure où les instruments de paiement consti-
tuent les véhicules des valeurs monétaires, il est trivial
d’étendre le raisonnement et d’affirmer que ce sont les
arbitrages entre les coûts des instruments qui sont à
l’origine des demandes de monnaie fiduciaire et de
dépôts auprès des banques : par exemple, plus les
coûts de détention et d’usage des espèces sont éle-
vés, plus la demande de monnaie fiduciaire est faible
et plus les dépôts sont élevés.
Dès lors, ce sont bien les arbitrages entre les instru-
ments de paiement qui déterminent la concurrence
entre les monnaies fiduciaire et scripturale au sein
d’un espace monétaire. Cette remarque a priori com-
mune a plusieurs implications. D’une part, la concur-
rence entre les instruments de paiement s’étend natu-
rellement à la concurrence entre les acteurs qui gèrent
les instruments de paiement ; ces acteurs peuvent
être des banques mais également des non-banques.
D’autre part, l’usage d’un instrument de paiement
scriptural implique de fait une collecte préalable de
dépôts ; l’intermédiation dans les paiements peut donc
être à l’origine de la création des banques contrairement
à ce qu’énoncent les théories standards en économie
bancaire centrées sur le seul rôle d’intermédiaire finan-
8. Ces stratégies s’inspirent d’un cadre théorique célèbre formulé pour la première fois par Baumol (1952) sur la demande de monnaie pour motif de transaction.L’auteur montre en particulier que le montant d’espèces optimal détenu par un consommateur devrait être d’autant plus faible que les coûts de retrait sont faibles etque les taux d’intérêt sont élevés. Ce cadre a servi de base à un certain nombre de travaux empiriques et de politiques tarifaires bancaires.9. Bounie et al. (2006) ont montré que le montant moyen d’un retrait et le montant moyen des dépenses en espèces d’un porteur de carte de paiement diminuaientrespectivement de 27 % et 35 % par rapport à une personne non détentrice d’une carte de paiement et de retrait.
15
cier (transformation des dépôts en crédits). Enfin, la
concurrence entre les instruments de paiement implique
la concurrence entre les monnaies, légales ou privées,
et les revenus du seigneuriage associés10. Les sources
du financement des banques centrales sont donc
questionnées. ◗
10. Les revenus du seigneuriage sont liés aux revenus provenant de l’émission de monnaie pour les instituts d’émission. Dans le cas de la monnaie fiduciaire parexemple, il résulte de la différence entre la valeur nominale d’une pièce de monnaie ou d’un billet et son coût de production et de distribution.
RÉFÉRENCESBaumol W., 1952, “The Transaction Demand for Cash – An Inventory Theoretic Approach”, Quarterly Journal of Economics, 66 (nov): 545-56.
Banque centrale de Belgique, 2004, “Costs, Advantages and Drawbacks of the Various Means of Payment”, Economic Review, 41-47.
Banque centrale des Pays-Bas, 2006, “The Cost of Payments”, Quarterly Bulletin, March, 57-64.
Bergman M., Guibourg G. and Segendorf B., 2006, “The Costs of Paying - Private and Social Costs of Cash and Card Payments”, mimeo.
Bounie D. et François A., 2006, “Cash, Check or Bank Card? The Effects of Transaction Characteristics on the Use of Payment Instruments”, Workingpapers in Economics and Social Sciences, 06/05/ESS.
Bounie D., Bourreau M. et François A., 2006, « L’impact du développement des cartes de paiement sur la détention et l’usage des espèces »,mimeo.
Mester L. J., Nakamura L. I. et Renault M., 2002, “Checking Accounts and Bank Monitoring”, Federal Reserve Bank of Philadelphia, WorkingPapers 99-02.
Radecki L. J., 1999, “Banks’ Payments-Driven Revenues”, Federal Reserve Bank of New York, Policy Review, July.
Rice T. et Stanton K., 2003, “Estimating the Volume of Payments-Driven Revenues”, Federal Reserve Bank of Chicago, Emerging Payments OccasionalPapers Series, 2003-1C.
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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 8
Le SEPA est primordial pour la compétitivitéde l’Europe. La BCE a pour vocationde préparer les réponses aux enjeux futursdans le domaine des paiements.Elle est partie prenante de ce projetéconomique et politique majeur pourl’euro et l’Europe.
INTERVIEW DE JEAN-MICHEL GODEFFROYDirecteur général des systèmes de paiement et desinfrastructures de marché, Banque centrale européenne
Le rôle de la BCE par rapportaux enjeux du SEPAPourquoi la BCE est-elle partie prenante dans le
SEPA et quel est son rôle dans la réalisation du
SEPA ?
Le traité instituant la Communauté européenne et les
statuts du Système européen de banques centrales
(SEBC) et de la Banque centrale européenne constituent
le fondement juridique, non seulement de la politique
monétaire unique, mais aussi de la politique de
l’Eurosystème à l’égard des systèmes de paiement.
Conjointement, la BCE et les banques centrales natio-
nales de l’Eurosystème accomplissent les missions qui
leur ont été conférées, et notamment de promouvoir le
bon fonctionnement des systèmes de paiement. Une
autre mission consiste également à assurer la bonne
conduite des politiques menées par les autorités com-
pétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des
établissements de crédit et la stabilité du système
financier. La BCE a un rôle de catalyseur du marché pour
établir les normes de sécurité, favoriser l’interopérabi-
lité des systèmes et les rendre plus efficaces.
Elle veille, en outre, à la solidité financière des systèmes.
Le SEPA est un projet politique et économique majeur
pour l’Euro et l’Europe. Il est de la responsabilité géné-
rale des autorités publiques, et des autorités monétaires
en particulier, de promouvoir et de maintenir la sécu-
rité et l’efficacité des systèmes et des instruments de
paiement. Ceux-ci jouent en effet un rôle prépondérant
dans la transmission de la politique monétaire, dans les
échanges économiques et dans la stabilité financière.
Il y a deux interprétations de la façon de développer le
SEPA. Selon la première interprétation, l’EPC (European
Payment Council) est en charge du SEPA et les auto-
rités publiques donnent leur avis ; selon la seconde
interprétation, les autorités publiques européennes, la
Commission, le Parlement, le Conseil et la BCE sont en
charge de ce projet dont l’EPC gère les aspects tech-
niques. Mon avis est que l’on est en train de passer de
la première à la seconde interprétation. La première
vision pose un certain nombre de difficultés à l’heure
actuelle, car dès que le SEPA implique des actions en
*Le SEBC est composé de la BCE et des banques centrales nationales (BCN) de tous les États membres de l’UE, qu’ils aient ou non adopté l’euro. L’Eurosystèmecomprend la BCE et les Banques centrales nationales des pays ayant adopté l’euro. L’Eurosystème coexistera avec le SEBC tant qu’il y aura des États membres del’UE ne faisant pas partie de la zone euro.
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L e r ô l e d e l a B C E p a r r a p p o r t a u x e n j e u x d u S E P AJ E A N - M I C H E L G O D E F F R O Y
dehors du monde bancaire, l’autorégulation n’est plus
adaptée. Actuellement, le projet SEPA entre dans sa
phase de mise en œuvre et la BCE est une autorité
publique attentive aux problèmes des banques. À ce
titre, elle peut être amenée à essayer de nuancer la vision
quelquefois plus théorique de la Commission. Mais
dans d’autres cas, elle peut prendre position pour la
Commission, contre les intérêts à court terme des
banques, comme ce fut le cas récemment lorsque
nous avons pris position contre la possibilité de percevoir
un interchange sur les prélèvements.
Comment envisagez-vous la supervision des nou-
veaux prestataires de paiement ?
La BCE est à la fois une institution publique et une
banque. Les établissements de paiement sont une
notion nouvelle. Au cours du débat législatif, nous
avons exprimé des réserves concernant la création de
ces nouvelles entités qui pourraient remettre en cause
la réglementation bancaire et, partant, la protection des
consommateurs et la stabilité financière. La directive
laisse le choix à chaque État membre de la supervision
des établissements de paiement.
Je pense que la supervision des établissements de
paiement devrait être la plus proche possible de celle des
institutions de crédit. Ce ne sont pas toujours les
banques centrales nationales qui agissent en tant qu’au-
torité de réglementation nationale, mais dans tous les cas
il existe une autorité de régulation pour les banques
dans chaque pays et je pense qu’elle devrait égale-
ment être l’autorité de régulation des établissements de
paiement.
Comment envisagez-vous la supervision des opé-
rations et particulièrement des opérations qui
seraient « one leg out » ?
En ce qui concerne les établissements qui sont « one
leg out », c’est-à-dire dont une partie cliente ne serait
pas dans la zone SEPA, il est important que les insti-
tutions qui agissent en tant qu’intermédiaires, gardent
une trace des opérations qu’elles ont effectuées et
qu’elles n’acceptent que des opérations admises par
la loi. Il ne s’agit pas d’une question relative au SEPA,
mais plutôt d’une question relative aux règles concer-
nant le blanchiment. Il faut que chaque établissement
de paiement puisse retracer toute la chaîne de paiement
à laquelle il a participé. La définition d’une opération
SEPA est une opération selon la directive, qui est
réalisée entre établissements qui sont résidents de
la zone SEPA. Les opérations qui seraient effectuées
avec un établissement en dehors de la zone SEPA
ne seraient pas des opérations SEPA, elles suivraient
donc les règles des paiements internationaux hors
SEPA.
Quelle est votre position sur les conséquences de
l’adoption de nouveaux moyens de paiement,
plus facilement révocables, sur les besoins en
fonds de roulement des entreprises et leur finan-
cement, notamment les grands facturiers ?
Le prélèvement SEPA est nouveau et suscite des
craintes que je ne crois pas justifiées. Dans les pays où
le prélèvement est courant et où la révocation est très
facile, comme en Allemagne, il apparaît que les parti-
culiers révoquent très peu les paiements car ils sont
conscients que, sauf en cas d’erreur, ils sont débiteurs
des sommes correspondantes à leurs achats et que la
révocation sans raison entraînerait des frais supplé-
mentaires. Les cas de litige sont peu nombreux. Je suis
persuadé qu’il en sera de même en France lorsque le
prélèvement SEPA se généralisera.
En ce qui concerne les grands facturiers, la masse des
petits paiements qu’ils gèrent, dont une très faible
proportion sera révoquée, est telle que l’effet en tré-
sorerie sera sans doute négligeable. Les questions
qui se posent sont liées à la peur du changement ; elles
ne sont, à mon sens, pas rationnelles.
Pensez-vous que la mise en œuvre du SEPA va
entraîner rapidement une préférence des nou-
veaux moyens de paiement par les consomma-
teurs et les Très Petites Entreprises, ou pensez-
vous que des offres spécifiques devront émerger
pour des catégories de clients différenciées ?
Le SEPA est basé sur trois moyens de paiement : le vire-
ment, le prélèvement et les cartes. Le chèque n’est un
moyen de paiement important que pour un très petit
nombre de pays au sein du SEPA (essentiellement la
France, l’Italie et l’Irlande). Dès lors, il disparaîtra peu à
peu. Bien entendu, il ne s’agit pas de le faire disparaître
18
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� du jour au lendemain, certaines catégories voudront
continuer à utiliser le chèque et devraient pouvoir le faire.
En France, on se prive d’un moyen de paiement très
facile pour payer entre particuliers, qui est le virement.
Avec le développement d’Internet, le paiement par
virement pourrait se développer.
L’intérêt est commun à tous les acteurs. Les clients peu-
vent réaliser leurs transactions sur des sites sécurisés en
passant les transactions en dehors du site marchand. Le
commerçant peut y ajouter des services de e-factura-
tion, et de réconciliation automatique des opérations. Les
banques peuvent faire de nouvelles offres aux com-
merçants et aux particuliers, en ajoutant de la valeur ajou-
tée à ce moyen de paiement qui reste le moins cher.
La BCE ne voit pas son rôle uniquement comme un rôle
de transformation des paiements nationaux en paie-
ments européens ; son rôle est essentiellement de
préparer les réponses aux enjeux futurs. Il y a quelques
années, les banques centrales ont promu le passage
de systèmes de paiement papier à des systèmes de
paiement électronique entre banques, ces systèmes
sont toutefois restés nationaux et très disparates,
comme un système d’autoroutes qui serait uniquement
domestique et n’assurerait pas le transport au-delà de
la frontière. Dorénavant, il s’agit de préparer et d’ac-
compagner la deuxième phase qui est le paiement
de bout en bout sous format électronique, afin de
permettre, en Europe, les gains de productivité des
entreprises concernées et de coûts pour les consom-
mateurs. Il s’agit de faire des « autoroutes de paiements
européennes ».
Pour répondre plus directement à votre question, je
dirais simplement que nous n’avons aucune objection
pour que les banques proposent à leurs clients des pro-
duits basés sur les instruments SEPA, mais adaptés à
leurs besoins. La seule limite bien sûr est que ces
paiements restent interopérables entre banques.
Les gains de productivité attendus par les acteurs
européens dans le domaine des moyens de paie-
ment auront-ils selon vous des effets importants
en terme de consolidation du secteur sur le plan
financier ou géographique. Quels sont les avan-
tages que vous y voyez ?
Les gains de productivité auront des effets positifs,
notamment pour les paiements transfrontaliers. Mais le
SEPA ne sera qu’une des mesures qui justifiera la
consolidation des acteurs.
Il est de l’intérêt des banques de pouvoir étendre leurs
activités au-delà des frontières nationales avec plus de
facilité, de la même façon qu’il est de l’intérêt pour le
consommateur de pouvoir effectuer des paiements
dans toute la zone SEPA comme il effectue des paie-
ments au niveau domestique, sans avoir de surprises,
ni de frais trop importants à payer dès qu’il veut réali-
ser un paiement à l’étranger.
L’intérêt est aussi évident pour les petites entreprises
qui aujourd’hui renoncent à des ventes en dehors des
frontières nationales en raison des freins que constituent
la grande hétérogénéité des dispositifs et des lois sur
les paiements en Europe.
De plus, la concurrence sera certainement accrue et
devrait permettre une diminution globale du coût des
paiements.
Quel est votre point de vue sur le parallèle qui est
fait entre le passage au SEPA et le passage à
l’euro ?
S’il y a un parallèle à faire entre le passage à l’euro et
le passage au SEPA, il est à faire à mon sens par la
fixation d’une date butoir. Celle-ci manque encore à la
réalisation du projet SEPA. Lors du passage à l’euro,
l’ensemble des acteurs se sont préparés avec une
grande coordination et ont investi en raison de la date
butoir définie pour le passage à la monnaie unique.
Quels seront à terme les bénéfices pour l’euro et
l’Euroland de la mise en œuvre de moyens de
paiement communs à l’ensemble de l’Union euro-
péenne et des autres pays SEPA ?
La mise en œuvre des moyens de paiement communs
permettra d’abaisser nos coûts et d’être plus compé-
titifs au niveau mondial. Il permettra également de faire
ensemble ce que les pays ne peuvent pas faire indivi-
duellement. À ce sujet, il n’est pas normal que l’Europe
ne soit pas présente parmi les grands systèmes de carte
à vocation internationale. Le SEPA n’est pas seule-
ment un projet économique. Il fait également partie
d’un projet politique : l’intégration européenne.
Propos recueillis par Catherine Rienmeyer
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La directive européenne instaure un cadrejuridique identique pour l’exercicede l’activité de paiements dans toute l’Unionet renforce les droits des consommateurs.
INTERVIEW DE JEAN-PAUL GAUZÈSDéputé européen, membre titulaire de la commissiondes affaires économiques et monétaires
Les droits des consommateurseuropéens face aux changementsdans les moyens de paiementDeux ans après l’approbation à l’unanimité de
votre rapport sur la proposition de directive
concernant les services de paiement, quel est
votre regard sur les avancées en matière de
législation européenne ?
Tout d’abord, il convient de préciser les objectifs de la
directive ainsi que les rôles respectifs des institutions
européennes lors de sa discussion et pour sa mise en
œuvre.
L’infrastructure actuelle des services de paiement dans
l’UE se situe au niveau national. À ce jour, chaque
État membre a son propre système bancaire fonc-
tionnant selon des règles locales et avec sa propre
technologie.
Par conséquent, l’infrastructure reste très fragmen-
tée. L’introduction de la monnaie unique et l’intégration
croissante du marché intérieur ont rendu nécessaire une
évolution.
Un processus entamé en 2006
La directive sur les services de paiement a été pro-
mulguée le 5 décembre 2007. Depuis cette date,
les acteurs des paiements au sein de l’Union ont un
texte de référence qui permet de clarifier les droits et
devoirs de chacun.
Élaborée au cours de deux années de travaux, cette
directive définit le cadre juridique dans lequel s’exercera
l’activité de paiement des banques et des établisse-
ments de paiement. Elle complète une initiative par
laquelle le secteur des paiements s’est engagé à créer
lui-même, au plus tard pour 2010, un « espace unique
de paiements en euros » (SEPA).
Le Parlement européen a apporté différents amende-
ments à la proposition initiale de la Commission euro-
péenne afin de lui conférer une meilleure efficacité et
prendre en compte les contraintes techniques de l’in-
dustrie tout en conservant l’objectif d’une réduction des
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� coûts au bénéfice des utilisateurs par le développement
d’une concurrence loyale.
L’étape suivante est assez rapprochée puisque les
États membres devront mettre en application les dis-
positions législatives et règlementaires pour se confor-
mer à la directive avant le premier novembre 2009. Le
suivi de l’impact de la directive sera effectué et
la Commission devra soumettre au Parlement, au
Conseil, au Comité économique et social européen
ainsi qu’à la Banque centrale européenne un rapport
sur la mise en œuvre et l’impact avant le premier
novembre 2012.
Les objectifs
Les objectifs sont de faire en sorte qu’un paiement au
sein de l’Union européenne soit réalisé dans les mêmes
conditions qu’un paiement domestique, tout en favo-
risant la concurrence des prestataires de paiement
au bénéfice des consommateurs.
Les principales avancées qui en découlent :
• l’instauration de plus de concurrence par l’accès au
marché des services de paiement de nouvelles caté-
gories d’intervenants : les « établissements de paie-
ment » dont le statut est défini par la directive et qui
s’ajouteront aux banques pour fournir des services
de paiement au public ;
• l’introduction d’un ensemble d’exigences claires
et simples en matière d’information des clients à res-
pecter par tous les prestataires de services de
paiement ;
• la définition d’obligations pour les prestataires de
services de paiement au niveau de l’exécution des
ordres de paiement (par exemple, le temps d’exécu-
tion d’une opération de paiement).
De nouveaux intervenants
La Commission européenne a souhaité favoriser l’ar-
rivée de nouveaux acteurs en créant une catégorie spé-
cifique de prestataires de services de paiement qui
s’ajoutent aux prestataires traditionnels que sont les éta-
blissements de crédit, les établissements de monnaie
électronique, les offices de chèques postaux.
Ces établissements de paiement, qui ne sont pas des
établissements de crédit, auront accès au marché des
paiements. Ils sont regroupés dans une catégorie
appelée « établissement de paiement ». La directive
définit les règles qui s’appliquent à eux et les limites de
leurs activités.
La commission parlementaire a notamment insisté sur
le fait que les établissements de paiement ne pourront
recevoir des dépôts des utilisateurs. Ils ne pourront
consentir des crédits immobiliers ou des crédits à
moyen terme, ni se porter caution. Ils pourront cepen-
dant consentir des crédits à court terme liés aux
moyens de paiement comme les cartes bancaires. Ils
ne pourront utiliser les fonds des clients que pour les
opérations de paiement. Les fonds détenus tempo-
rairement devront être cantonnés et l’activité de paie-
ment séparée de leurs autres activités commerciales
éventuelles.
En contrepartie de ces restrictions, l’exigence de fonds
propres des établissements de paiement est réduite par
rapport à celle des établissements de crédit : ils ont
l’obligation de détenir un capital minimum dont le mon-
tant est proportionnel au volume des paiements traités
ou prévus. En revanche, ils sont soumis aux mêmes
objectifs de sécurité techniques et opérationnels que les
établissements de crédit dans le domaine des paie-
ments. Enfin, pour assurer la sécurité des transactions,
le Parlement a obtenu qu’une personne physique ne
puisse constituer un établissement de paiement.
Le Parlement a également insisté pour une protection
des fonds des clients, en cas de faillite du prestataire
de paiements, grâce à l’introduction d’une disposi-
tion instaurant un cantonnement des fonds affectés aux
paiements par rapport à toute autre activité du pres-
tataire.
Le Parlement a estimé dans un premier temps que les
obligations résultant de la réglementation des services
de paiement ne devaient s’appliquer qu’au sein de
l’Union européenne. Une extension aux paiements
avec les autres pays pourra intervenir dans l’avenir. Les
paiements concernés seront effectués soit en euros soit
dans une monnaie d’un des États membres.
Avec des avantages concrets
pour les consommateurs
Pour éviter le dumping règlementaire, les autorités
des pays d’accueil auront leur mot à dire sur les suc-
cursales qui exerceront sur leur territoire dans le cas où
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�
L e s d r o i t s d e s c o n s o m m a t e u r s e u r o p é e n sf a c e a u x c h a n g e m e n t s d a n s l e s m o y e n s d e p a i e m e n t
I N T E R V I E W D E J E A N - P A U L G A U Z È S
l’établissement de paiement exerce son activité dans
plusieurs pays de la communauté.
Le nouveau dispositif apporte aux consommateurs
des avantages en termes d’efficacité, de sécurité et de
tarification, pour les opérations de paiement au sein de
l’Union.
Les délais d’exécution des opérations seront rame-
nés à un jour ouvrable après la réception de l’ordre
par le prestataire de paiement, les jours de valeur
n’étant plus autorisés. Afin de permettre l’harmoni-
sation entre les pays, le délai pourra être différent jus-
qu’en 2012 mais il ne pourra excéder trois jours
ouvrables.
C’est donc un effort important de mise à niveau des
systèmes techniques qui est demandé, particulièrement
aux établissements de crédit qui gèrent actuellement
la plupart des paiements. Le coût a été estimé à un
montant supérieur à celui du passage à l’euro.
Les tarifs et la durée d’exécution devront être clairement
établis et fournis préalablement à toute signature de
contrat aux clients de façon à leur permettre de com-
parer les offres.
Les droits des consommateurs par rapport aux pres-
tataires de paiement sont renforcés également en ce
qui concerne les réclamations. Par exemple, le pres-
tataire de paiement du payeur (débiteur) devra appor-
ter les preuves de régularité et de transmission des
ordres de paiements en cas de contestation sur le
délai d’exécution.
Les associations de consommateurs pourront égale-
ment intervenir en appui des consommateurs, auprès
des prestataires de paiement ou des instances concer-
nées par un litige.
Les prestataires de paiement du payeur et du bénéfi-
ciaire ne pourront pas prélever de commission sur le
montant du paiement lui-même, celui-ci devra être
transféré dans son intégralité.
Les entreprises ne rentrent pas dans le même cadre
puisqu’elles ont d’autres types d’accords ou de
conventions avec les prestataires de paiement.
Du point de vue du consommateur, est-ce que ses
habitudes vont devoir changer ? Est-ce que des
particularismes resteront en vigueur dans les
différents pays de la communauté ?
Cela dépend des moyens de paiement utilisés dans
chaque pays de l’Union. Dans un premier temps, le
consommateur français ne verra pas de changement
très important dans les moyens de paiement qu’il uti-
lise. Si on prend l’exemple de la France, l’interbanca-
rité, c’est-à-dire les échanges organisés entre toutes
les banques, a favorisé le développement de la carte
bancaire. Celle-ci continuera à être utilisée de la même
manière. Il y aura seulement un plus grand nombre
d’acteurs qui pourront la proposer. Les conditions
d’utilisation pour les consommateurs seront claire-
ment établies quel que soit le prestataire.
Dans d’autres pays où l’interbancarité est moins pré-
gnante, les changements seront peut-être plus per-
ceptibles. Dans des pays comme l’Allemagne, les
Pays-Bas, l’Autriche, par exemple, où le virement et le
prélèvement sont les moyens de paiement les plus
utilisés par les consommateurs, les changements ris-
quent d’être plus immédiats car ces moyens de paie-
ment seront les premiers à être harmonisés au niveau
européen.
Dans tous les cas, pour les consommateurs, les chan-
gements seront favorables car ils auront des recours
plus importants. S’agissant par exemple du prélève-
ment, ils pourront refuser plus aisément un prélèvement
d’un créancier ou de manière conventionnelle refuser
globalement tout prélèvement sur leur compte.
La directive est dite d’« harmonisation ciblée » et non
de pleine harmonisation. Le texte laisse une certaine
souplesse aux États membres afin de permettre une
prise en compte des contraintes de droit national.
Il faut enfin rappeler que la monnaie fiduciaire, pièces
et billets, ainsi que chèques, ne sont pas couverts
par la directive.
En Europe, coexistent les systèmes qui acceptent
la révocabilité des paiements ou la non-garantie
des transactions pour le commerçant, et d’autres
systèmes qui défendent l’irrévocabilité des
paiements et la garantie des paiements. Quel
est l’apport de la directive dans ce domaine ?
La rapidité avec laquelle les systèmes de paiement
modernes, entièrement automatisés, permettent de
traiter les opérations de paiement implique que, passé
un certain délai, les ordres de paiement ne puissent être
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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� révoqués sans coûts d’intervention manuelle élevés.
C’est l’irrévocabilité du paiement qui sera la règle. Il est
nécessaire de fixer un moment à partir duquel un paie-
ment devient irrévocable, de façon à permettre un
traitement efficient, tout en garantissant la sécurité
juridique pour toutes les parties concernées. Le
moment où ce délai expire devrait être défini comme
le moment où l’ordre de paiement est reçu par le pres-
tataire de services de paiement.
L’irrévocabilité des paiements est la condition pour une
bonne acceptation des moyens de paiement par le
commerce, particulièrement pour les cartes. Cependant,
si le prestataire de services de paiement n’a pas trai-
té le paiement, l’utilisateur du service doit avoir la pos-
sibilité de demander que l’ordre ne soit pas exécuté.
Ces règles doivent permettre d’effectuer plus facilement
des opérations dans toute l’Union européenne puis-
qu’elles s’appliqueront partout.
Les nouveaux moyens de paiement sur Internet
ou téléphone mobile sont-ils bien pris en comp-
te par la directive sur les services de paiement ?
On distingue en fait les paiements de petits montants
pour l’achat de contenu numérique tels les sonneries
de portable, des autres types de paiement pour des
achats aux sociétés de commerce électronique.
Dans le premier cas, la directive sur les paiements ne
s’applique pas car le contenu est distribué par le
prestataire de paiements lui-même. Le règlement s’ef-
fectue par la facturation d’abonnements ou d’unités de
téléphonie ou de temps. En revanche, s’il s’agit de
paiements pour l’achat à un commerçant, la directive
s’applique.
Il est prévu tout de même pour les paiements de
contenu que l’établissement émetteur assure la tra-
çabilité pendant deux ans des chargements et des
encaissements des unités de monnaie électronique.
Par ailleurs, l’achat lui-même est couvert essentielle-
ment par la directive 2000/29 relative au commerce
électronique, et la directive 2002/65 sur les services
financiers à distance qui protège le consommateur
vis-à-vis d’une utilisation frauduleuse d’un moyen de
paiement.
Cette dernière précise qu’une information préalable
et gratuite doit être fournie sur les tarifs et modalités des
transactions de paiement. Par ailleurs, lorsque les
paiements sont associés à un compte en ligne, les infor-
mations doivent être accessibles en ligne dans le cadre
des services de banque par internet.
Quelles sont les étapes que vous entrevoyez au
niveau de la transposition de la directive ?
Le Parlement participe à l’adoption des actes com-
munautaires au côté du Conseil de l’Union européen-
ne (Conseil des ministres). Si le pouvoir d’initiative
concernant les propositions d’actes communautaires
reste réservé à la Commission, le Parlement peut
demander de soumettre les propositions de textes
qui lui semblent nécessaires.
Dans le cas de la directive sur les paiements, c’est une
« codécision » du Conseil et du Parlement. Mais le
Parlement européen n’a pas un rôle de vérification de
la mise en application de la directive qui est gérée par
des comités constitués par la Commission.
Parmi les prochaines actions à mener, il y aura la com-
munication sur les avancées formalisées par la direc-
tive sur les paiements et les résultats tangibles qui en
résultent pour les paiements transfrontières européens.
Il y a assurément dans les questions européennes
une dimension temporelle et une technicité des sujets
qui rendent la communication malaisée, particulièrement
une communication sur un processus tel que l’adop-
tion de la directive sur les services de paiement. Même
si l’Union européenne a des relais d’information, il faut
bien dire qu’ils sont hétérogènes, et les médias qui font
de l’information en direction des particuliers ne se sai-
sissent pas souvent des sujets européens, sinon avec
un biais critique.
La communication dans le domaine des possibilités
d’amélioration des offres à la clientèle permises par la
directive devra être réalisée par les prestataires de paie-
ment dans le jeu concurrentiel. Ce sera plus immé-
diatement efficace et convaincant pour le consom-
mateur. ◗Propos recueillis par Catherine Rienmeyer et
Dominique Tresse
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
Les organisations de consommateurs, etnotamment l’AFOC, se sont investies dansles travaux de transposition de la directiveconcernant les services de paiement ainsique dans ceux du Comité national SEPA,dans le but de contrôler les changementsinduits pour les consommateurs par ce projet.
HERVÉ MONDANGEJuriste à l’AFOC, membre du Comité national SEPA
Les usages des moyens de paiementen France, quels changements pourles consommateurs ?L’ART DIVINATOIRE n’est pas au nombre des
domaines de compétence, déjà nombreux, d’une
organisation de consommateurs. Néanmoins, la réfor-
me des moyens de paiement, décidée à l’échelle euro-
péenne, est désormais suffisamment avancée pour
se risquer à une esquisse partielle du futur paysage
français des paiements, qui, harmonisation oblige,
devrait également être celui de chacun des pays de
l’Union européenne.
En effet, muni des grandes lignes du texte français de
transposition de la directive sur les services de paie-
ment, des règles de fonctionnement des nouveaux
services de paiement européens élaborées par l’EPC,
et enfin d’informations sur les futures innovations en
matière de paiement, essentiellement sans contact,
l’exercice semble plus accessible.
Le mouvement est indubitablement en marche et le
gouvernement bien décidé à voir le cadre législatif
issu de la directive sur les services de paiement entrer
en vigueur dès le 1er novembre prochain. Or, cette
réforme, qui vise à harmoniser les régimes juridiques au
sein de l’Union européenne apparaît comme porteuse
de véritables bouleversements, tout du moins pour
les consommateurs français.
La situation avant l’entrée en vigueurde la DSP et la généralisationdes moyens de paiements SEPAPour le client/consommateur français, l’accessibilité des
systèmes de paiement auquel il est soumis semble
complète. Il ne s’interroge nullement, ou presque, sur
sa faculté d’utiliser l’un quelconque des moyens de
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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
paiement mis à sa disposition par sa banque, au point
d’ailleurs de saisir couramment les permanences
juridiques des organisations de consommateurs, sur la
légalité des restrictions apportées par certains com-
merçants à l’usage de tel ou tel moyen de paiement.
Il ne s’interroge guère plus sur la faculté qui pourrait être
la sienne d’accéder à d’autres moyens de paiement,
commercialisés par d’autres opérateurs, que ceux qui
lui sont proposés par son banquier.
Le consommateur, dans la majorité des cas, a un
compte de dépôt, qui laisse apparaître si possible un
solde créditeur, et il dispose d’un certain nombre d’ins-
truments lui permettant d’user de son argent. Chèque,
virement, prélèvement automatique, Titre Interbancaire
de Paiement (TIP), télérèglement et bien entendu carte
bancaire, lui permettent d’effectuer tous les paiements
et transferts d’argent nécessaires à sa vie quotidienne.
Les usages attachés à chacun
de ses moyens de paiement sont
d’ailleurs plutôt bien définis
En effet, les espèces et le chèque permettent les
échanges financiers entre particuliers, et en y ajoutant
une carte bancaire, l’ensemble des paiements dit de
contact chez les commerçants, petits ou grands, en
France comme à l’étranger.
Le prélèvement, ainsi que le TIP, et ce, le plus géné-
ralement sans exclusivité vis-à-vis des autres moyens
de paiement précités, permettent d’effectuer des règle-
ments récurrents fondés sur des contrats s’étalant
dans le temps et proposés par de grandes entreprises
publiques ou privées. On pense bien entendu aux
contrats des fournisseurs d’énergie et des opérateurs
de communication électronique, mais également à
ceux des assureurs ou des établissements financiers
dispensateurs de crédits.
Reste enfin le cas de la vente à distance, et tout par-
ticulièrement du dernier de ses avatars, le commerce
électronique, qui, s’il semble privilégier la carte de
paiement et le chèque, peine tout de même à trouver
le moyen de paiement idéal, à même de prévenir les
risques inhérents au caractère asynchrone de cette rela-
tion commerciale.
En effet, les relations commerciales à distance, en C to
C ou B to C, poussent immanquablement l’un des
acteurs à craindre de n’être pas payé, et l’autre de
payer pour un bien qu’il ne verra jamais. Elles ont
donc entraîné des besoins nouveaux en matière de
sécurité, couverts aujourd’hui imparfaitement par des
évolutions de la carte bancaire.
Enfin, que dire des coûts, ainsi que des modes de fac-
turation pour les consommateurs des différents moyens
de paiement, si ce n’est qu’ils sont très variables, et
disons-le, relativement opaques. En effet, force est
de constater qu’aujourd’hui seul le prix des cartes de
paiement, qui offrent plusieurs niveaux de service à des
tarifs bien entendu différents et dont la facturation
annuelle est bien identifiable, suscite une réflexion et des
velléités de mise en concurrence de la part des
consommateurs.
Pour le reste, les moyens de paiement leur apparais-
sent comme les accessoires indissociables du fonc-
tionnement d’un compte de dépôt. Il semble donc
normal pour le consommateur français, que le prix
des instruments de paiement soit inclus dans les frais
de tenue de compte perçus par le banquier, confor-
mément à la solution historique française retenue pour
le chèque, et à la gratuité de la monnaie fiduciaire. C’est
dire l’importance des bouleversements qui les attendent
dans les années à venir.
Esquisse du paysagedes paiements de demainAvant toute chose, il semble important de souligner
qu’en la matière, les consommateurs, français tout
du moins, ainsi que les organisations qui les repré-
sentent n’avaient rien demandé. Ils étaient plutôt satis-
faits, du dispositif qui vient d’être décrit.
L’impérieuse nécessité de créer des services de paie-
ment européens dotés d’un régime juridique harmonisé
n’était pas criante de leur point de vue, l’ensemble de
leurs besoins en la matière semblant largement satis-
faits, et ce dans des conditions de simplicité d’accès
et d’usage, de sécurité voire de coûts qui ne semblaient
poser aucun problème majeur.
Dans ces conditions, les changements induits par la
directive et le projet SEPA vont devoir faire l’objet d’ac-
tions d’information et de pédagogie en direction des
consommateurs, et certainement aussi des créan-
ciers (entreprises et commerçants), afin que soit main-
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L e s u s a g e s d e s m o y e n s d e p a i e m e n t e n F r a n c e ,q u e l s c h a n g e m e n t s p o u r l e s c o n s o m m a t e u r s ?
H E R V É M O N D A N G E
tenue la confiance, absolument indispensable au fonc-
tionnement des systèmes de paiement quels qu’ils
soient.
C’est d’ailleurs en partie pour veiller au maintien, voire
à l’amélioration, des hauts niveaux de fiabilité et de
sécurité caractérisant les moyens de paiement, et de
la gamme actuelle de ces derniers, que l’AFOC s’est
investie dans les travaux de transposition de la direc-
tive ainsi que dans le Comité national SEPA.
Mais quelles sont ces nouveautés,
et que vont-elles changer
pour le consommateur ?
Tout d’abord, et du fait même de son origine bruxelloise,
l’exacerbation de la concurrence à une échelle qui se
veut européenne semble être le moteur essentiel de
cette réforme. C’est le cas, tout du moins, en ce qui
concerne deux de ses mesures phares, que sont les
créations, ex nihilo s’agissant du marché français, de
la notion de service de paiement d’une part, et des
« établissements de services de paiement » d’autre part.
La directive a exclu de son champ de compétence les
instruments se présentant sous forme papier, à savoir
le chèque pour les consommateurs, le billet à ordre et
la lettre de change en ce qui concerne les relations B
to B. Elle a par ailleurs édicté des règles qui, si elles ont
vocation à s’appliquer à tous les moyens de paie-
ment, ont essentiellement pour objectif de faciliter les
paiements transfrontières dans l’espace SEPA, et ce
malgré leur très faible nombre.
La notion de service, venant se substituer à celle de
moyen, est une vraie innovation en ce qu’elle semble
dissocier totalement le compte de dépôt des instru-
ments permettant de le faire fonctionner. Ils n’en sont
donc plus l’accessoire, mais constituent des services
à part entière avec toutes les conséquences que cela
peut avoir en terme de liberté de prestation et de tari-
fication. Peut-on imaginer à terme ouvrir un compte de
dépôt, nu, ne permettant que le dépôt et le retrait
d’argent aux guichets de la banque, mais dépourvu de
tout instrument de paiement, ces derniers faisant l’ob-
jet de contrats de service autonomes et concurrentiels ?
Assurément, au début tout du moins, cette mutation
devrait avoir des conséquences relativement limitées,
sur les moyens de paiement eux-mêmes, les consom-
mateurs devant seulement être informés par leurs
banquiers des modifications, cette fois substantielles,
de leurs conventions, rendues nécessaire par l’entrée
en vigueur du nouveau régime juridique applicable
aux services de paiement SEPA. Néanmoins, ces der-
niers vont se substituer automatiquement et progres-
sivement aux défunts moyens de paiement nationaux
sans conséquences pratiques et quotidiennes impor-
tantes.
Toutefois, si la réforme atteint ses buts, les consom-
mateurs devraient rapidement se voir proposer des
offres de services de paiement, normalement intéres-
santes d’un simple point de vue tarifaire, par des opé-
rateurs distincts des établissements bancaires ges-
tionnaires de leurs comptes de dépôt.
C’est le second bouleversement auquel les consom-
mateurs français vont devoir s’habituer, car l’origine
même de ces nouveaux opérateurs risque parfois de
surprendre le client habitué de longue date à n’avoir
que son banquier comme interlocuteur sur ces sujets.
En effet, les opérateurs de communications électro-
niques (fixe, mobile, internet), la grande distribution ainsi
que les établissements spécialisés dans le crédit à la
consommation, entre autres, sont d’ores et déjà prêts
à lancer l’offensive et ce en provenance des quatre
coins de l’Europe. Or, sur ce point, force est d’admettre
que notre organisation a du mal à y voir une bonne
nouvelle.
C’est pourquoi elle en appelle à l’esprit de responsa-
bilité de tous les acteurs, que sont les banquiers
teneurs des comptes de dépôt, les superviseurs et
autorités de contrôle et, bien sûr, les établissements de
paiement. En effet, s’agissant d’éléments aussi sen-
sibles pour les personnes et, au-delà, pour l’économie
elle-même, cette possibilité offerte aux nouveaux
entrants de venir concurrencer les banques sur ce
marché ne doit surtout pas donner lieu à des pra-
tiques agressives, voir déloyales, vis-à-vis des consom-
mateurs, sous couvert de la nécessité, prétendument
absolue pour ces établissements en phase de démar-
rage, d’une conquête rapide de clients.
Dans cet esprit, il conviendrait également que soient
préalablement et clairement expliqués aux clients les �
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recours à sa disposition en cas d’erreurs ou de fraudes
liées aux services de paiement. Ceci suppose que les
processus de réclamations soient clairement définis et
connus afin de prévenir tout risque de voir un jour un
client, indûment débité, dans l’impossibilité d’expri-
mer valablement sa réclamation, banquier, établisse-
ment de paiement et créancier se renvoyant mutuel-
lement la balle.
L’AFOC soutient que le titulaire d’un compte de dépôt
devrait toujours pouvoir s’adresser directement au
banquier qui en assure la gestion afin d’exprimer toute
contestation ou opposition concernant des services de
paiement.
S’agissant des autorités de contrôle, nous espérons
qu’elles seront en mesure d’exercer pleinement leur
rôle, afin que les bouleversements majeurs induits par
cette réforme, qu’ils soient juridiques ou techniques, tels
que l’accès direct des nouveaux acteurs aux sys-
tèmes de paiement et aux chambres de compensation,
ne fragilisent nullement la sécurité et, qu’en cas de
danger, elles aient le pouvoir d’y mettre rapidement fin,
et ce en toute transparence, afin que les consomma-
teurs soient à même de se protéger d’un système ou
d’un opérateur potentiellement risqué.
Enfin, comment aborder le paysage des paiements de
demain sans évoquer les nouveaux services de paie-
ment, aussi nombreux qu’innovants, et généralement
tournés vers les technologies du sans contact. Ne
doutons pas qu’ils trouveront leur public, mais certai-
nement pour partie au détriment de services de paie-
ment plus traditionnels, tels que la carte et le chèque,
car il existe un nombre de moyens de paiement par
consommateur au-delà duquel il n’est peut-être pas
nécessaire d’aller.
En effet, la multiplication des cartes, classiques ou
dont les fonctions seront intégrées à un téléphone
portable, avec ou sans contact, entraîne inévitablement
une augmentation des risques liés à la perte, au vol et
aux utilisations frauduleuses de ces moyens de paie-
ment pour le consommateur et subsidiairement une
augmentation de sa facture globale de « services de
paiement », qui elle-aussi risque d’atteindre rapidement
ses limites.
Maintenant irrémédiablement lancée, la révolution du
marché des paiements devrait rapidement être sensible
pour les consommateurs. Espérons que cette phase
de lancement, tout particulièrement dans les temps de
crise que nous connaissons, sera emprunte de res-
ponsabilité de la part des professionnels et d’une cer-
taine prudence de la part des consommateurs. En
tout état de cause, elle suscitera, n’en doutons pas, une
grande vigilance de la part des organisations de
consommateurs dans leur ensemble et de l’AFOC en
particulier. ◗
�
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
Les banques s’interrogent sur la tarificationdes instruments de paiement européensproposés dans le cadre du SEPA.Cet article fournit quelques élémentsde théorie économique permettant decomprendre les problèmes posés par latarification des instruments de paiement.
MARIANNE VERDIERDocteur en économie, chercheur post-doctoralà Telecom ParisTech
La tarification des instrumentsde paiement : quelques élémentsde théorie économiqueLES INSTRUMENTS DE PAIEMENT ET LA
MONNAIE sont indispensables aux échanges. Aristote
disait, au sujet de la monnaie, « Il est nécessaire que
toutes choses soient évaluées ; dans ces conditions,
l’échange sera toujours possible et par suite la vie
sociale. »1 Le projet SEPA poursuit l’objectif d’amélio-
rer les conditions dans lesquelles les personnes de
l’Union européenne échangent entre elles, en les dotant
d’instruments de paiement dont les caractéristiques et
la tarification ne dépendront pas du territoire sur les-
quels ils sont utilisés. Avec la mise en place du SEPA,
les banques s’interrogent sur les mécanismes à utiliser
pour tarifer les nouveaux instruments de paiement
européens. Nous nous proposons dans cet article de
fournir quelques éléments de théorie économique per-
mettant d’expliquer le problème posé par la tarification
des instruments de paiement, afin de mieux com-
prendre les questions soulevées par la mise en œuvre
du SEPA.
Les caractéristiques économiquesdes instruments de paiementLes instruments de paiement sont des biens ou des
services particuliers. Les agents ne les désirent pas
pour eux-mêmes, mais dans la mesure où ils leur per-
mettront d’effectuer des achats2. Leur tarification ne
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1. Aristote, Éthique à Nicomaque, éditions Flammarion.2. Les moyens de paiement se distinguent de la monnaie, car ils ne servent pas nécessairement d’unité de compte ni de réserve de valeur. « Sont considérés commemoyens de paiement tous les instruments qui permettent à toute personne de transférer des fonds quel que soit le support ou le procédé technique utilisé » (ArticleL311-3, Code monétaire et financier). Dans la théorie économique, la monnaie peut être détenue pour d’autres motifs que celui des transactions. Par exemple, la théoriekeynésienne distingue le motif de précaution et le motif de spéculation.
28
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
peut donc pas être élevée au regard du bien ou du ser-
vice qu’ils permettent de se procurer.
Par ailleurs, une transaction commerciale fait toujours
intervenir au moins deux agents, un acheteur et un ven-
deur, qui ont intérêt à trouver un accord pour que
l’échange ait lieu. Cependant, si tous les agents
devaient négocier à chaque achat pour choisir un ins-
trument de paiement, les coûts de transaction seraient
considérables. Le règlement des transactions serait
plus long, les commerçants devraient trouver des
moyens pour se protéger contre les risques d’incerti-
tude sur la valeur de l’instrument de paiement fourni par
l’acheteur (les coûts des asymétries d’information3), les
consommateurs perdraient du temps à trouver des
commerçants qui acceptent les instruments qu’ils
souhaitent utiliser (les coûts de recherche). Nous ver-
rons que ces raisons expliquent la présence d’inter-
médiaires, qui fournissent des instruments de paiement,
dont l’usage peut être facturé ou non à chacune des
parties de la transaction.
Les instruments de paiement sont aussi marqués par
l’existence d’externalités4 de réseau « croisées » entre
acheteurs et vendeurs. En économie, on qualifie d’ex-
ternalité de réseau le fait que l’utilité qu’obtient un
agent en s’équipant d’un bien augmente avec le
nombre d’agents qui l’utilisent5. Dans le cas des ins-
truments de paiement, on parle d’externalités de réseau
« croisées ». En effet, le nombre d’acheteurs souhai-
tant s’équiper d’un instrument de paiement augmen-
tera avec le nombre de vendeurs qui l’acceptent, et vice
versa. Ces externalités sont des externalités d’adop-
tion. Par exemple, les commerçants ne souhaiteraient
pas s’équiper de terminaux pour accepter les cartes de
paiement si les consommateurs ne les utilisaient jamais.
Cette caractéristique doit être conservée à l’esprit
pour comprendre la diffusion de l’adoption et de l’ac-
ceptation des instruments de paiement du projet SEPA.
Par ailleurs, l’agent qui choisit l’instrument de paiement
peut exercer une externalité d’usage sur l’autre partie
prenante à la transaction. Par exemple, si un consom-
mateur choisit de payer par chèque, alors que cet
instrument de paiement est plus coûteux pour le com-
merçant que la carte, on dit que le consommateur
exerce une externalité d’usage sur le commerçant.
L’identité de l’agent qui choisit l’instrument de paie-
ment, ainsi que sa place dans la chaîne de valeur, ont
donc une influence sur l’utilité perçue par chaque
agent. Or, selon l’instrument de paiement utilisé, ou le
pays européen considéré, ce ne sont pas les mêmes
agents qui disposent du pouvoir de décision, ce qui
entraîne des différences en matière de tarification. En
effet, nous verrons que si l’on souhaite encourager
l’usage d’un instrument de paiement au détriment
d’un autre, il faut procurer un avantage tarifaire à
l’agent décisionnaire.
L’importance des intermédiairesfinanciers pour la fourniturede services de paiementPourquoi existe-t-il des intermédiaires, qui fournissent
les instruments de paiement comme des services (gra-
tuits ou payants) ? La théorie sur l’intermédiation finan-
cière montre que les caractéristiques des instruments
de paiement conduisent à l’émergence d’intermé-
diaires entre les consommateurs et les commerçants
réduisant par leurs services les coûts de transaction.
Par exemple, le processus de certification de l’instru-
ment de paiement par une entité indépendante fait
diminuer le coût des asymétries d’information entre
consommateurs et commerçants (sur la valeur, sur
l’authenticité). Le fait que les intermédiaires propo-
sent des instruments permettant de payer à distance
réduit aussi les coûts résultant de l’échange. Par
ailleurs, la présence d’un intermédiaire permet aux
consommateurs et aux commerçants de bénéficier
des effets de réseau. Par exemple, l’utilité d’un
consommateur augmente grâce à la présence d’une
zone d’acceptation plus importante, puisque l’inter-
médiaire peut être commun à plusieurs commerçants.
�
3. Une asymétrie d’information caractérise une situation dans laquelle l’une des parties est moins informée que l’autre. Elle va donc chercher à mettre au point descontrats qui incitent l’autre partie à lui révéler l’information qu’elle détient. La révélation de l’information est coûteuse, et confère à la partie qui détient de l’informationprivée une rente informationnelle.4. En économie, on dit qu’un agent A exerce une externalité sur un autre agent B lorsque les choix de A modifient l’utilité obtenue par B sans que cela ne fasse l’ob-jet d’un transfert monétaire.5. On illustre généralement cette propriété par l’exemple des téléphones.
29
Les banques constituent des intermédiaires privilé-
giés, dans la mesure où elles gèrent les comptes des
consommateurs, à partir desquels peuvent être trans-
férés des fonds. Cependant, les progrès des techno-
logies de l’information et de la communication ont
rendu possible l’entrée sur le marché de nouveaux
acteurs, qui selon la directive européenne, peuvent
fournir des services de paiement selon le statut de
« Payment Service Provider ». Par exemple, l’entreprise
Pay-Pal joue le rôle d’intermédiaire entre de nombreux
acheteurs et vendeurs sur Internet. Les banques ont
également de plus en plus recours à des prestataires
pour fournir des services de paiement.
L’activité d’intermédiation sur les paiements est indis-
sociable d’une gestion des risques associés au règle-
ment des transactions (risque de liquidité, risque de
contrepartie, risque opérationnel, risque systémique).
Ceci soulève la question de la surveillance des nou-
veaux acteurs de la chaîne de valeur des paiements,
afin que soit maintenue la confiance des agents en l’ins-
trument de paiement qu’ils utilisent. Le projet SEPA
comporte des aspects de standardisation technique
(par exemple, la norme EMV pour les cartes à puce) et
juridique (la directive sur les services de paiement),
afin que les caractéristiques des prestations minimales
qui doivent être fournies par les intermédiaires soient
définies6. Par ailleurs, les banques qui proposent des
instruments de paiement similaires doivent gérer les
risques qui résultent de leurs échanges financiers.
Les intermédiaires qui proposent des instruments de
paiement fournissent donc aux agents d’une part, et
à l’ensemble de la société, d’autre part, non seulement
un service d’intermédiation et de règlement des tran-
sactions, mais aussi un service de gestion des risques.
Ces services comportent des coûts, qui dépendent de
l’instrument de paiement envisagé, et de la qualité de
la prestation fournie par l’intermédiaire. Les consom-
mateurs et les commerçants ne perçoivent générale-
ment pas l’existence des coûts subis par les presta-
taires de services de paiement, car l’usage des
espèces est gratuit. Cependant, de nombreuses
études, comme celle menée en 2008 par la Banque
centrale norvégienne, révèlent que le coût des espèces
est élevé relativement à celui d’autres instruments de
paiement. La question de la tarification des instru-
ments de paiement est donc biaisée par la gratuité de
l’usage des espèces. Ceci explique le fait que les
banques pratiquent souvent des subventions croi-
sées entre instruments de paiement. Les consom-
mateurs et les commerçants ne font donc générale-
ment pas face aux véritables coûts de l’instrument de
paiement qu’ils utilisent.
Le rôle des systèmes de paiement :une analyse par la théoriedes marchés bifacesLa confiance entre intermédiaires et la compatibilité
entre les technologies utilisées sont essentielles à l’ef-
ficacité de l’usage d’un instrument de paiement, et au
règlement des transactions. Dans le cas des espèces,
la Banque centrale participe à la surveillance des flux
monétaires qui transitent entre banques. En ce qui
concerne les autres instruments de paiement ban-
caires, comme la carte, le virement, ou le prélèvement,
les banques ont dû construire des infrastructures
pour se doter de règles de gestion communes, et de
systèmes et de réseaux pour se transmettre des mes-
sages, afin d’optimiser le fonctionnement de leurs
échanges. On qualifie ces infrastructures de « sys-
tèmes de paiement » de détail. En France, le Grou-
pement des cartes bancaires « CB » constitue un
exemple de système de paiement par carte. Ces infra-
structures comportent des coûts pour les banques,
lorsqu’elles choisissent de les construire ou d’y adhé-
rer, coûts qui influencent la tarification qu’elles prati-
quent pour leurs clients. Par ailleurs, nous verrons
que certaines de ces infrastructures se sont dotées de
commissions interbancaires, les interchanges, qui
jouent le rôle d’un mécanisme de redistribution des
coûts de transaction.
L’existence de niveaux multiples de tarification (adhé-
sion au système pour les banques, prix à l’équipement
et à l’usage pour les consommateurs et les commer-
çants), de formes différentes de tarification (prix fixes �
L a t a r i f i c a t i o n d e s i n s t r u m e n t s d e p a i e m e n t :q u e l q u e s é l é m e n t s d e t h é o r i e é c o n o m i q u e
M A R I A N N E V E R D I E R
6. Les directives européennes proposent divers degrés de standardisation et d’obligations. Par exemple, les obligations en matière de gestion des risques des four-nisseurs de services de paiement ne sont pas détaillées.
30
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
ou linéaires) et de transferts (commissions interban-
caires) rend l’étude de la tarification des systèmes de
paiement particulièrement complexe. Les systèmes
de paiement dits « nationaux » en Europe ont mis en
place des mécanismes très différents en fonction de
l’histoire du pays, de son niveau de développement, de
son système bancaire, et des préférences des consom-
mateurs, ce qui rend leur comparaison très difficile. La
littérature économique récente sur les marchés bifaces
fournit des modèles pour tenter d’en comprendre le
fonctionnement de façon simplifiée.
Les économistes se sont intéressés au fonctionne-
ment des systèmes de paiement de détail, parce que
ces systèmes constituent un excellent exemple illustratif
de la théorie des marchés bifaces7. Cette théorie part
du constat que dans de nombreux marchés comme les
médias, les jeux vidéos, ou encore les paiements, des
plates-formes mettent en relation deux types d’utili-
sateurs distincts exerçant des externalités les uns sur
les autres. Dans ces marchés, la tarification est géné-
ralement fortement asymétrique, pour attirer le groupe
d’utilisateurs le plus réticent aux échanges, ou bien
pour attirer le groupe d’utilisateurs qui exerce l’exter-
nalité la plus forte sur l’autre versant du marché. Par
exemple, cette théorie explique que les cartes de paie-
ment proposées par American Express soient très lar-
gement conçues pour attirer les consommateurs, en
leur proposant un système de tarification et de récom-
penses très avantageux. En effet, les consommateurs
au pouvoir d’achat élevé attireront par leur présence
des commerçants désireux de capter cette clientèle. La
structure des prix pratiqués de chaque côté du mar-
ché influence donc le nombre de paiements qui seront
réalisés par les consommateurs. Notons que cette
théorie s’applique plus difficilement aux paiements
entre les entreprises, à moins que certaines entre-
prises jouent systématiquement le rôle d’acheteurs
tandis que d’autres jouent le rôle de fournisseurs. L’in-
termédiation entre fournisseurs et acheteurs par des
systèmes de facturation électronique répond dans ce
cas à des principes similaires8.
Cette littérature sur les marchés bifaces montre aussi
que les externalités de réseau rendent la concurrence
entre plates-formes particulièrement intense, et que la
concurrence n’entraîne pas systématiquement une
amélioration du bien-être social. Par rapport aux ques-
tions que nous avions soulevées précédemment, cette
théorie fournit des éléments de réponse à la question
suivante : l’asymétrie de tarification entre consomma-
teurs et commerçants se légitime-t-elle par une amé-
lioration du bien-être social ? Le résultat dépend de
nombreux paramètres, comme les préférences des
agents, ou la nature des interactions concurrentielles
à l’œuvre sur le marché. Néanmoins, cette littérature
récente mériterait de nombreux approfondissements,
et ne permet pas de répondre à toutes les questions
qui se posent dans l’industrie.
La diversité des modèles tarifairespratiqués par les systèmesde paiement de détailIl existe différents types de systèmes de paiement de
détail. American Express est qualifié de système à
trois coins, car la plate-forme choisit directement les
prix payés par les consommateurs et les commer-
çants, par opposition aux systèmes à quatre coins
ou « systèmes ouverts », comme Visa ou MasterCard,
qui mettent en relation les banques des consomma-
teurs et les banques des commerçants. L’étude des
systèmes à quatre coins implique la prise en compte
de deux échelons de tarification : la tarification des
échanges interbancaires et la tarification pratiquée par
les banques pour leurs clients. Les commissions inter-
bancaires, appelées souvent interchanges, peuvent
constituer un moyen pour la plate-forme de paiement
d’influencer la structure des prix payés de chaque
côté du marché en subventionnant éventuellement le
côté des consommateurs décisionnaires (plus réticent
à l’usage s’il existe des instruments de paiement sub-
stituts). Par exemple, lorsque la banque du commer-
çant paye un interchange à la banque du porteur
d’une carte, cette dernière bénéficie d’une baisse de
�
7. Pour plus de détails, le lecteur pourra se référer à Rochet et Tirole (2006) : « Two-Sided Markets : a Progress Report », RAND Journal of Economics, vol. 37, n° 3(March) p. 645-667.8. Pour une analyse plus détaillée de l’apport de la théorie des marchés bifaces à l’analyse des systèmes de paiement de détail, le lecteur pourra se référer à Verdier(2006) : « Retail Payment Systems : What do we Learn From Two-Sided Markets ? », Communication&Stratégies, n° 61, 1st quarter pp : 37-59.
31
son coût marginal pour chaque transaction, qui se
traduit potentiellement par une baisse du prix payé par
le porteur à l’usage9. Lorsqu’il existe une forte asymétrie
de coûts entre les deux côtés du marché, les inter-
changes permettent à la plate-forme de redistribuer les
coûts de transaction entre les banques des consom-
mateurs et les banques des commerçants. La littéra-
ture économique montre que, sous certaines condi-
tions, ce mécanisme permet de corriger l’externalité
d’usage exercée par les consommateurs sur les com-
merçants. En effet, imaginons par exemple que les
coûts des banques émettrices de cartes de paiement
soient extrêmement élevés, et qu’elles les répercu-
tent sur les consommateurs. Personne ne serait incité
à utiliser sa carte de paiement, et les commerçants
seraient contraints de subir le coût des paiements en
espèces réalisés par les consommateurs. Du point
de vue des commerçants, la présence de cette com-
mission se traduit par un coût supplémentaire. En
l’absence de surcharges, ce coût est répercuté de la
même façon sur les consommateurs qui payent par
carte et sur ceux qui payent en espèces, ce qui cor-
respond à la mise en place d’une subvention croisée
entre consommateurs. La présence d’interchanges
peut donc contribuer au développement de l’usage
d’un instrument de paiement par rapport à un autre.
En pratique, toutes les plates-formes de paiement
n’utilisent pas de commissions d’interchanges, ce qui
pose le problème de leur comparaison dans le cadre
de la construction du SEPA. Les coûts de transaction
peuvent parfois s’équilibrer naturellement grâce à la
structure des marchés de détail bancaires, si les
banques ont des activités symétriques des deux côtés
du marché. Les études empiriques ont aussi montré
que les préférences des consommateurs n’étaient
pas les mêmes d’un pays à l’autre. En Allemagne,
par exemple, les consommateurs utilisent très large-
ment les espèces, et l’organisation du système de
paiement par carte est très différente de celle qui peut
être observée en France. Cependant, l’absence de
commissions d’interchange pour un système de paie-
ment donné ne signifie pas qu’il n’existe pas d’exter-
nalités. Par ailleurs, certains systèmes utilisent des
commissions multilatérales, décidées au niveau de la
plate-forme, tandis que d’autres utilisent des commis-
sions bilatérales10. L’avantage d’un système multilatéral
est de réduire les coûts de négociations entre banques,
et d’offrir des conditions de traitement des transactions
qui ne dépendent pas de la taille de la banque. Un sys-
tème bilatéral offre plus de souplesse, mais désavan-
tage les banques dont le pouvoir de négociation est
faible. Les modes de calcul des commissions d’inter-
change ne sont pas identiques d’un système à l’autre.
Tous ces éléments montrent que la théorie ne permet
pas de rendre compte de la diversité des modèles
observés dans la réalité.
Les autres problèmes liésà l’élaboration d’une tarificationdes instruments de paiementdans le cadre du SEPALes arguments présentés dans notre article mon-
trent que les banques font face à un environnement
de décision complexe pour la mise en place de la tari-
fication des instruments de paiement du projet SEPA.
Les banques ne disposent pas de données sur les
préférences des agents pour les nouveaux instru-
ments de paiement, comme le prélèvement euro-
péen. Par ailleurs, la structure des marchés de détail
bancaires est en constante mutation, suite aux opé-
rations de fusion et d’acquisition liées à la construc-
tion du marché commun. Ce phénomène est ampli-
fié par les restructurations causées par la crise
financière. Les banques font donc face à une situa-
tion d’incertitude importante. Par ailleurs, le travail de
standardisation nécessaire au SEPA constitue un
coût d’investissement élevé pour les banques euro-
péennes, qui peut différer d’une banque à l’autre, ou
d’un pays à l’autre. Par exemple, les problématiques
ne sont pas les mêmes pour les nouveaux États
membres de l’Union européenne, et pour les pays
dont les consommateurs sont déjà habitués à l’usage
d’instruments de paiement électroniques. Cela sou-
lève la question de la répercussion sur les prix payés
L a t a r i f i c a t i o n d e s i n s t r u m e n t s d e p a i e m e n t :q u e l q u e s é l é m e n t s d e t h é o r i e é c o n o m i q u e
M A R I A N N E V E R D I E R
9. Notons que les commissions interbancaires ne se répercutent pas systématiquement sur les prix payés par les usagers, d’une part à cause de l’existence d’uneconcurrence imparfaite sur les marchés de détail bancaires, et d’autre part à cause de l’existence d’un pouvoir de négociation, notamment pour les grands commerçants. 10. Certains systèmes, comme le système « CB », pratiquent une tarification qui comprend une composante bilatérale et une composante multilatérale.
�
32
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par les consommateurs et les commerçants de ces
investissements. Si les prix sont trop élevés, l’instru-
ment de paiement ne sera pas utilisé, ni accepté.
Dans le cas d’un nouvel instrument de paiement
comme le prélèvement européen, cette question
s’ajoute à celle de l’adoption d’un nouvel instrument
de paiement par les consommateurs. Aux incerti-
tudes de marché s’ajoutent les incertitudes régle-
mentaires. Les banques et les intermédiaires ne sont
en effet pas en mesure de déterminer dans quelle
mesure les modèles de tarification choisis seront vali-
dés par les régulateurs. L’exemple de la controverse
récente sur la mise en place d’interchanges pour le
prélèvement européen montre qu’une clarification
des positions des différents acteurs est nécessaire,
afin de favoriser le processus de convergence, dans
un contexte rendu difficile par la crise financière. Si
l’objectif est de réaliser des économies d’échelle, en
favorisant l’usage des nouveaux instruments de paie-
ment, leur tarification doit être étudiée de façon minu-
tieuse, afin de convaincre les agents de les adopter
et de les utiliser. ◗
�
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
La révolution numérique est rapide et touchetous les comportements des consommateursainsi que les relations avec les prestatairesde services. Les moyens de paiementévoluent avec ces technologies et empruntentde nouveaux réseaux de connexionet de règlement.
XAVIER LARDUINATDirecteur de la communication, Secure Transactions, Gemalto
PHILIPPE CAMBRIELExecutive vice-president, Secure Transactions, Gemalto
33
▼
L’évolution des solutions de paiementdans la vie numériqueUn monde numériquené il y a près de quinze ansIl est difficile aujourd’hui d’envisager notre vie quoti-
dienne sans la multitude d’objets et de services qui
constituent notre vie numérique. Les deux symboles de
cette révolution en marche, entamée il y a environ
15 ans, sont l’Internet et la téléphonie mobile. Bien
avant l’Internet, l’émergence du « Personal Computer »
grâce à Intel et Microsoft (mais aussi grâce à Apple
Computer) au début des années 80, avait permis de
faire découvrir aux particuliers le monde des applica-
tions numériques grâce au CD-ROM et grâce à l’ex-
plosion du « multimédia ». Ce n’est vraiment qu’avec
l’émergence des réseaux (GSM pour les télécommu-
nications et Internet pour les applications et le contenu)
que la valeur de ces nouveaux services s’est imposée.
Aujourd’hui, toutes nos activités telles que travailler,
s’éduquer, payer, se distraire, voyager, échanger des
informations et communiquer avec nos proches, impli-
quent de plus en plus ces nouvelles technologies dites
« Technologies de l’lnformation et de la Communica-
tion » (TIC ou ITC en anglais, c’est-à-dire Information
& Communication Technologies). Dans cet article,
nous verrons tout particulièrement l’impact des TIC sur
les moyens de paiement et les nouvelles perspectives
offertes dans ce domaine.
Dans la vie numérique, comme dans la vie réelle,
chaque consommateur dispose d’une ou plusieurs
identités et de biens : nos données personnelles ou
bien encore des données acquises ou créées par nos
soins, c’est-à-dire de la propriété intellectuelle. La vie
numérique est constituée de transactions et d’opéra-
tions sur ces données. Suivant la nature de ces tran-
sactions, les solutions TIC doivent répondre à des
besoins de sécurité, de confiance et de respect de la
vie privée. La carte bancaire, par exemple, est un
micro-ordinateur personnel qui gère à la fois un méca-
nisme d’authentification forte de son porteur, mais
représente aussi la banque dans sa relation avec son
client, pour autoriser une transaction de paiement.
34
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Toutes les raisons sont bonnes
pour aller vers le numérique.
Force est de constater que depuis quinze ans, la révo-
lution numérique est non seulement compatible, mais
bien souvent instrumentale dans toutes les grandes
tendances de la société de consommation. Quand le
besoin pour plus de sécurité et pour réduire le taux de
fraude devient un impératif pour la pérennité d’un ser-
vice, les TIC s’imposent et révolutionnent toutes nos
habitudes, comme par exemple dans nos démarches
administratives ou nos relations avec nos fournisseurs
de services, notamment les banques. Quand notre
monde prend finalement conscience de la nécessité de
protéger la planète et l’environnement, les technologies
TIC offrent des réponses concrètes, comme par
exemple la dématérialisation des documents papiers ou
la domotique, pour optimiser nos consommations
d’énergie. Enfin, face au besoin croissant des individus
de s’exprimer et de partager de l’information et du
contenu, les technologies TIC répondent par cette
nouvelle vague 2.0 de services où les mots clés sont
« collaborer », « recevoir » et « échanger ».
Dans le domaine du paiement, les consommateurs
sont de plus en plus nomades et recherchent des
solutions globales, interopérables au-delà des fron-
tières géographiques. Les consommateurs sont à la
fois clients et payeurs mais aussi de plus en plus mar-
chands et donc « receveurs de paiement » dans le
monde 2.0. Pour mesurer ce nouveau phénomène, il
suffit par exemple d’observer la performance du groupe
eBay qui représente aujourd’hui près de 150 millions
de marchands occasionnels (source : ebay.com) et
environ un million de marchands structurels, dont l’in-
tégralité de l’activité commerciale repose sur la distri-
bution via eBay.
Il y a quinze ans, Netscape offrait une vision très inno-
vante et qui a accéléré instantanément l’usage des ser-
vices en réseau : profitant d’une plateforme quasi uni-
verselle, le PC, Netscape a eu la clairvoyance de
proposer une interface utilisateur s’intégrant parfaite-
ment dans le système d’exploitation révolutionnaire
de Microsoft (Windows 95), afin de naviguer sur Inter-
net de façon uniforme et prévisible, facilitant ainsi
l’éducation des consommateurs. Netscape a rendu
Internet simple d’emploi et concret pour des millions de
personnes, ouvrant ainsi la voie à la distribution mas-
sive de contenu via ce nouveau media.
Première enseignement reçu grâce à Netscape :
Le succès d’un nouveau service pour le grand
public, quelque soit sa complexité technologique,
dépend d’une interface utilisateur simple,
universelle, minimaliste et interopérable entre
les différents acteurs du marché.
Bien avant l’Internet et Netscape, au début des
années 80, la carte bancaire constituait un des tout pre-
miers objets de l’ère TIC, anticipant de façon remar-
quable cette règle de simplicité d’usage et d’accès à
des services interopérables qui est appliquée depuis par
les services les plus innovants.
Dans sa version « Débit » tout d’abord, elle s’est rapi-
dement imposée comme un service performant pour
le consommateur et comme une solution efficace de
paiement. Elle a donné la possibilité aux institutions
financières de lutter contre l’utilisation du chèque et de
la monnaie fiduciaire, et donc de réduire les coûts, ainsi
que la fraude. L’arrivée de la puce dans le monde de
la carte bancaire a permis de transformer la carte ban-
caire en un micro-ordinateur, personnel, sécurisé,
matérialisant la relation entre le porteur de la carte et
sa banque, disponible pour une multitude d’applica-
tions d’aujourd’hui et de demain : aujourd’hui le
paiement, demain une véritable carte d’identité pour
accéder à d’autres services, sur Internet par exemple.
Le deuxième enseignement reçu de la carte
bancaire est que le monde numérique permet de
construire rapidement des services transversaux qui
tirent le meilleur parti des points forts de la relation
clients-fournisseurs. La carte bancaire matérialise la
confiance entre une banque et son client pour des
services de paiement. Cette confiance représente
une valeur qui peut être mise à disposition d’autres
prestataires de services qui souhaiteraient
également établir une relation de confiance avec
leurs clients, sans avoir ni l’expérience, ni la base
installée d’utilisateurs, ni l’historique en terme de
fiabilité d’une banque.
�
35
La carte bancaire (et la carte à puce en général), repré-
sente en quelque sorte le premier symbole de la troi-
sième génération de l’ère de l’informatique :
• La première génération, symbolisée par IBM, est celle
des grands systèmes appelés aussi « mainframes ».
Des calculateurs réservés aux entreprises et aux orga-
nismes d’État qui ont permis de démultiplier considé-
rablement l’acquisition et l’exploitation de données.
• La deuxième génération, née en 1980, est celle du PC
du binôme « Win-Tel », du Macintosh d’Apple, du
microVAX de Digital Equipement, ou des stations de tra-
vail UNIX de SUN Microsystems et SGI. Le calculateur
est devenu plus petit, plus abordable en prix. Il est
entré dans les entreprises de tailles moyennes, et même
à terme, dans les foyers des particuliers. Pour ces der-
niers, il est resté longtemps limité à des jeux, des outils
tels que le traitement de texte et du contenu multimé-
dia distribué sur CD-ROM. En 1994, Internet a permis
l’explosion du contenu et du partage de l’information.
• La troisième génération est celle des objets nomades
et connectés à l’Internet : nous sommes en train d’as-
sister à « des changements de formes spectaculaires »
du PC. Chaque service, chaque situation défini de
nouvelles interfaces utilisateurs. Le trinôme clavier-
souris-écran cède chaque jour du terrain face au prag-
matisme, au besoin de simplicité et à la spécificité
des objets connectés. LINUX et JAVA1 symbolisent
cette révolution, sans contrainte de chercher à « tout
transformer en PC ». Ces environnements fournissent
un moteur informatique dans de nouveaux objets qui
souhaitent tirer parti de l’accès à des réseaux. Nos voi-
tures, nos télévisions, nos lave-vaisselle, sont des ordi-
nateurs, connectés, plus puissants en terme de capa-
cité de calculs que les PC les plus hauts de gammes
en 2004. Cette troisième génération de l’informatique
sera celle (est déjà celle) de l’explosion du modèle de
la carte à puce, comme le noyau fondamental, qui va
permettre à de nombreux objets de fournir deux ser-
vices aux utilisateurs :
– s’informatiser, c’est-à-dire accueillir un système
d’exploitation et des applications ;
– se connecter sur les réseaux disponibles pour échan-
ger des informations.
• La quatrième génération sera une extension naturelle
de cette troisième phase où les objets communique-
ront entre eux, et non plus uniquement par l’intermé-
diaire d’une instruction humaine. Cet avenir souvent
appelé « machine-to-machine » est amené à se déve-
lopper, grâce à une multitude de nouvelles technolo-
gies, dans le domaine des capteurs (température,
pression, courant, acidité, etc.) qui permettront aux
objets de partager des alertes et des informations
sans avoir à attendre l’intervention d’un humain.
Dans une démarche où 100 % de la fonctionnalité
d’un service provient du module personnel (de la carte
à puce, par exemple) inséré dans une plateforme
générique, l’importance de l’expérience et de l’histo-
rique de l’émetteur de ces cartes devient un avantage
compétitif, lorsque sécurité et confiance sont les deux
impératifs pour un nouveau service. En dehors de ses
avancées technologiques, l’écosystème TIC a besoin
plus que jamais de Tiers de confiance.
Le troisième enseignement, reçu par l’observation
de l’explosion de l’Internet mobile et de la course
à la connectivité pour de nombreux nouveaux
secteurs de l’économie, est que les banques,
les opérateurs de téléphonie mobile et
les organismes d’État sont les candidats idéaux pour
devenir les « opérateurs d’identité » de l’Internet
du futur, bien au-delà de leur cœur de métier actuel.
Le paiement : un service capitaldans le monde réelet dans le monde numériqueUn marché des cartes bancaires actif et en pleine
conquête du monde.
Pour l’année 2009, ce sont environ 730 millions de
cartes à puce qui seront émises dans le monde
pour des applications de paiement (source : Euros-
mart). À ces 730 millions de cartes dites à micro-
processeurs intelligents viennent se rajouter 2 mil- �
L ’ é v o l u t i o n d e s s o l u t i o n s d e p a i e m e n t d a n s l a v i e n u m é r i q u eX A V I E R L A R D U I N A T E T P H I L I P P E C A M B R I E L
1. Le langage JAVA est un langage de programmation informatique orienté objet. Les logiciels écrits avec JAVA sont facilement portables sur plusieurs sytèmes d’ex-ploitation tels que UNIX, Microsoft Windows, MAC OS ou LINUX par une plateforme. Linux est un système d’exploitation basé sur un logiciel libre créé en 1991 parLinus Torvalds pour ordinateur compatible PC.
36
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
liards de cartes bancaires à piste magnétique. Grâce
à l’adoption de nouveaux standards tels que EMV
(Europay Mastercard Visa)2, ces moyens de paie-
ment sont interopérables. Ils offrent une garantie
de sécurité optimale pour les institutions financières
qui les émettent et pour leurs clients qui les utilisent
quotidiennement.
À l’origine limitée à un petit nombre de pays en Europe
de l’Ouest, la carte bancaire EMV connaît depuis
quelques années une expansion géographique sur
tous les continents (cf. figure 1).
Quatre tendances majeures
pour un avenir proche
Dans le contexte de l’écosystème TIC, il est possible
aujourd’hui d’anticiper quatre tendances majeures qui
vont étendre le succès actuel des paiements par cartes
bancaires et du potentiel de ces mêmes cartes dans
le domaine de « la gestion des identités ».
Pour identifier ces tendances, il suffit d’observer les
directions macroscopiques de ce monde digital qui se
dessine sous nos yeux et de se poser trois questions
fondamentales :
– Comment la problématique de la sécurité pourra
être résolue, tout en garantissant confiance et pro-
tection de la vie privée ?
– Comment garantir l’interopérabilité pour diminuer
les barrières d’adoption des nouveaux services ?
– Quels sont les nouveaux besoins relatifs à mon sec-
teur d’activité, que va engendrer la nouvelle économie
de l’Internet ?
• La norme EMV pour réduire la fraude et
offrir des services interopérables
Le processus est déjà bien entamé et va se prolonger
dans les trois à cinq années à venir, pays après pays.
Des programmes massifs dits de « migration EMV »
sont mis en place. Ils sont souvent motivés par des
changements de règlementations quant à la respon-
sabilité et la prise en charge des coûts dus à la fraude
sur des produits moins sécuritaires tels que les cartes
à piste magnétique.
Le cas du marché américain mis à part, il est certain
que la norme EMV va continuer à s’imposer sur tous
les marchés.
• L’explosion du « sans contact »
Entamé sur une large échelle depuis 2007 en Amérique
�
FIGURE 1 : Déploiement des cartes EMV
Source : Gemalto
2. EMV est un protocole qui permet l’interopérabilité. Il détermine : les types d’applications dont dispose le porteur de la carte ; le type de cryptographie (façon d’en-crypter et décrypter les codes pin) ; le dialogue avec le terminal de paiement (qui n’est qu’un intermédiaire entre la puce et le site central de la banque).
37
du Nord et relayé depuis dans près de 25 pays dans
le monde, on assiste de façon spectaculaire à une
adoption des cartes bancaires dites « sans contact »
(100 millions de cartes dans le monde en 2009). Elles
offrent le plus souvent les deux fonctionnalités
« contact » par la puce pour les transactions avec les
terminaux ou les DAB, et « sans contact » par le biais
d’une deuxième puce logée dans le corps de carte.
Toutes les parties prenantes en dégagent des béné-
fices majeurs :
– Les consommateurs perçoivent un gain de temps
pour effectuer leurs transactions. Ils sont prêts à utili-
ser cette nouvelle fonctionnalité pour le paiement de
petits montants, en lieu et place des paiements en
espèces.
– Pour les banques, le sans contact permet de capter
une partie du marché des transactions fiduciaires et
d’augmenter le nombre de transactions par client,
fidélisant ainsi ce dernier.
– Pour les commerçants, le montant moyen des tran-
sactions augmente par rapport aux paiements en
espèces. La diminution de l’usage du fiduciaire est
également un gain de temps pour les commerçants,
ainsi qu’une réduction du risque de fraudes ou d’er-
reurs de caisse.
Dans le cas spécifique du marché des États-Unis
d’Amérique, la carte bancaire sans contact a permis à
la technologie carte à puce de gagner des parts de
marché sur les cartes à piste magnétique qui domi-
naient historiquement ce marché. Il existe déjà un
réseau important de commerces acceptant les paie-
ments par carte bancaire à technologie sans contact.
En plus des cartes, de nombreuses banques testent
aujourd’hui des services de paiement sur le téléphone �
L ’ é v o l u t i o n d e s s o l u t i o n s d e p a i e m e n t d a n s l a v i e n u m é r i q u eX A V I E R L A R D U I N A T E T P H I L I P P E C A M B R I E L
FIGURE 2 : Déploiement des cartes sans contact
Source : Gemalto
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38
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
mobile, en exploitant la technologie NFC (Near Field
Communications) dont un téléphone sur cinq sera
équipé en 2011. Le téléphone mobile, avec plus de
3,2 milliards d’utilisateurs des réseaux GSM et 3G
dans le monde (source : GSMA), est devenu l’objet
le plus intime pour le consommateur et le symbole de
la vie nomade. Conçu initialement pour les services
de communication, le téléphone mobile est devenu
un véritable « assistant personnel numérique » per-
mettant la gestion de nos agendas, nos contacts et
nos messages (SMS et e-mails). Il est aussi une
plate-forme de loisirs avec du contenu audio, vidéo,
des jeux et de multiples services d’accès à l’infor-
mation.
Pour les banques, le mobile est un media pertinent
pour positionner la marque de la banque en accom-
pagnant le client dans toutes les démarches de sa vie
nomade numérique. C’est un complément de la carte
bancaire et non un remplacement de celle-ci.
Sur le long terme, le mobile offre un clavier et un écran
pour développer des services de plus en plus interac-
tifs liés au paiement.
Exemple parfait de l’implication de plus en plus forte de
l’écosystème TIC dans le monde du paiement, le paie-
ment sur mobile NFC nécessitera la mise en place
des structures de services appelés TSM (Trusted Ser-
vices Manager, en anglais), offrant un service de média-
tion entre les opérateurs de réseaux et les institutions
financières. Les TSM pourront opérer des actions
d’activation/désactivation du service paiement, fournir
des services « Over the Air » par le biais des réseaux
sans fil, le tout avec un maximum de sécurité et de sim-
plicité pour l’abonné.
Enfin, après les cartes et les téléphones mobiles,
d’autres objets comme par exemple des porte-clés tire-
ront partie des infrastructures de paiement NFC pour
offrir des solutions de paiement très ciblées sur des
marchés de niches. À titre d’exemple, on pourrait faci-
lement envisager que l’industrie du textile rejoigne
l’écosystème TIC en rajoutant des objets connectés
dans nos vêtements, pour des services de contrôle
d’accès, d’utilisation des transports en commun ou des
applications de paiement.
Le sans contact, en simplifiant la problématique d’in-
teraction carte-terminal, va ouvrir la voie à de nou-
veaux entrants dans les solutions TIC pour créer un
bouquet de nouveaux services, dont le paiement.
• L’harmonisation et la sécurisation
des flux numériques pour les transferts
financiers : initiatives de type SEPA
La problématique de l’interopérabilité, de la sécurité et
de la rapidité des transferts financiers (virement, pré-
lèvement ou cartes bancaires) va générer des initiatives
comme celle de l’EPC « European Payment Council »
qui propose une zone de 32 pays où les flux en euros
seront harmonisés.
Dans le cadre des standards mis en place par l’EPC
dans le déploiement de SEPA, les banques vont avoir
l’opportunité de matérialiser leur savoir-faire, acquis
grâce aux cartes bancaires, dans les domaines de
l’authentification fortes et du cryptage des données
pour sécuriser les ordres de débit par internet.
• Payer et être payé
Dans tout marché ou pour tout type de commerce,
l’expansion organique est toujours gage de succès. Elle
est malheureusement souvent très limitée. Peu de
marchés sont élastiques et offrent des perspectives de
démultiplication significatives.
Dans le cas du paiement, une vue optimiste, même si
elle est confirmée dès aujourd’hui par quelques initia-
tives du type PayPal, est que chaque payeur est en
passe de devenir un marchand potentiel, et donc un
receveur de paiements grâce à la nouvelle économie
de l’Internet collaboratif.
Quatrième enseignement reçu par le Web 2.0.
« Client un jour, vendeur le lendemain... » Nous
avons tous besoin des moyens de paiement,
mais aussi de nouveaux moyens pour recevoir
des paiements de façon sécurisée par nos clients
qui peuvent être loin, inconnus de nous et opérant
dans des devises différentes des nôtres.
D’ores et déjà, la carte bancaire peut se positionner
pour sécuriser ce type de service, non plus dans le
cadre d’une transaction classique carte-terminal ou
carte-DAB, mais par le biais d’un lecteur de carte
connecté à un ordinateur par exemple. La carte devient
cette fois un authentifiant fort qui permet à une appli-
cation de paiement de s’assurer de l’identité de l’uti-
�
39
lisateur. Plusieurs banques pionnières dans le domaine
des solutions d’authentification forte pour l’accès à leur
service de banque en ligne sont prêtes technologi-
quement à offrir des solutions de paiement « Peer-to-
Peer ». Les solutions en place mettent en œuvre la
carte de paiement comme un identifiant pour l’accès
au portail, offrant ainsi « deux facteurs » de sécurité :
ce que je sais (mon code PIN) et ce que j’ai en ma pos-
session (ma carte à puce), plutôt qu’« un seul fac-
teur » faible qui est mon mot de passe sur Internet.
Des réseaux sociaux qui deviendrontdes outils d’intelligence marketingLes applications de « loyauté » stimulent un marché dit
de co-branding entre de grandes marques de la dis-
tribution et des banques. En présentant au consom-
mateur leurs deux marques côte à côte sur une carte
de paiement, la banque bénéficie de la notoriété de la
marque du distributeur pour augmenter le nombre de
transactions réalisées avec la carte. Le distributeur
offre une solution de paiement sécurisée et de fidéli-
sation à son client. Le client final est récompensé pour
sa loyauté envers les distributeurs par le biais d’offres
marketing ciblées sur la population des porteurs de ces
cartes.
La grande distribution est friande de segmentation, de
proximité avec ses clients, d’études de comporte-
ments. L’écosystème TIC offre déjà des solutions
pointues de CRM (Customer Relationship Manage-
ment) pour proposer le bon produit, au bon moment,
au bon client. Internet, avec le succès fulgurant des
réseaux sociaux de type MySpace ou Facebok, utilise
un marketing viral en offrant de multiples services gra-
tuits dans le but de constituer une base gigantesque
de clients, bien profilés, afin de monétiser cette valeur
à ceux qui souhaitent toucher la juste cible.
L’avenir des applications de loyauté constitue trois
opportunités pour les banques, bénéficiant des nou-
velles technologies qui vont permettre d’animer ces
réseaux :
– la visibilité du rôle de la banque dans le service �
L ’ é v o l u t i o n d e s s o l u t i o n s d e p a i e m e n t d a n s l a v i e n u m é r i q u eX A V I E R L A R D U I N A T E T P H I L I P P E C A M B R I E L
« loyauté » par la mise en valeur des marques parte-
naires sur le corps de la carte bancaire ;
– l’information des consommateurs sur les valeurs de
la marque du partenaire et de celle de la banque par
le biais de l’animation d’un réseau social sur le portail
de la banque ;
– de nouveaux services personnalisés et confiden-
tiels, non intrusifs, d’aide et de conseil aux consom-
mateurs sur la base de leur historique de consomma-
tion connu par la banque.
Cinquième enseignement reçu des réseaux sociaux :
le nouvel or noir du 21e siècle est la connaissance
individuelle et détaillée de chacun de ses millions
de clients.
Tout bon commerçant connaît très bien ses dix, cent
clients et leurs besoins propres. Internet, par le biais des
réseaux sociaux, permet de reproduire cette perfor-
mance à l’échelle de dizaines ou de centaines de mil-
lions de clients.
Les réseaux ad-hoc et le e-fiduciaireUn nouveau mot « ad hoc » pourrait lui aussi révolu-
tionner à terme le monde des paiements. Les réseaux
« ad hoc » représentent les réseaux constitués de
machines à proximité l’une de l’autre, par opposition
aux réseaux de type Internet.
Dans un futur proche, la nouvelle version 3 du standard
« Bluetooth »3 va offrir une bande passante considé-
rablement améliorée par rapport au standard actuel-
lement déployé.
La conséquence directe de ce nouveau standard
sera la possibilité de transférer instantanément une
quantité considérable de données, par exemple entre
deux téléphones mobiles dans un périmètre de
quelques mètres. Une des conséquences les plus
intéressantes pour les banques est que chaque télé-
phone mobile pourra devenir à la fois un outil de
paiement et un terminal pour recevoir des paiements,
améliorant ainsi « l’empreinte » disponible pour effec-
tuer des paiements mobiles4.
3. Un protocole de réseau de proximité sans fil couramment utilisé dans la téléphonie mobile pour connecter, par exemple, un micro/oreillette avec un téléphone.4. La notion d’empreinte correspond à la disponibilité des sites ou des marchands, acceptant les paiements sans contact.
40
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
En ConclusionL’écosystème TIC va permettre aux banques d’étendre
leurs services de paiements aux nouveaux réseaux
mobiles et « ad hoc ». Le monde des réseaux télécoms
et le monde de l’Internet (réseau IP) convergent en un
seul réseau sur lequel la gestion des identités numé-
riques, des biens numériques et des transactions vont
permettre aux banques et établissements
de paiement de démultipl ier les solutions de
paiement. Cette évolution va également leur permettre
de devenir un tiers de confiance dans les domaines
de l’identité numérique, de la relation client ciblée
avec des partenaires des domaines de la grande
distribution, de l’assurance et des services relatifs à
la santé. ◗
�
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
La communication en champ proche(Near Field Communication ou NFC),est une nouvelle technologie qui permetde transformer le téléphone mobile enune carte à puce de paiement sans contact,en offrant des services supplémentairesd’authentification, de transfert de donnéeset de fidélisation.
MICHAËL NIQUEConsultant sénior, Institut de l’Audiovisuelet des Télécommunications en Europe (IDATE)
BASILE CARLEConsultant junior, Institut de l’Audiovisuelet des Télécommunications en Europe (IDATE)
L’émergence d’un nouveau moyende paiement, les téléphones mobilesintégrant la NFC
L’émergence de la technologie NFCLa technologie NFC (Near Field Communication) est
la technologie du mobile sans contact. La communi-
cation en champ proche se caractérise par une utili-
sation à très courte distance et à bande passante
très faible. De fait, la norme NFC constitue une
opportunité très attrayante sur le marché mobile dans
la mesure où elle est rapide et sécurisée.
La technologie NFC a été créée en 2004 par le
consortium NFC Forum, regroupant notamment Sony,
Philips et Nokia. Cette technologie de connexion
sans fil de type point à point est l’aboutissement
d’une série de technologies RFID1 sans contact anté-
rieures permettant l’identification et l’interconnexion.
41
▼
FIGURE 1. Utilisation d’un téléphone NFCpour une transaction mobile
Source : IDATE
1. RFID signifie « Radio Frequency Identification », en français, « Identification par Radio Fréquence ». Cette technologie permet d’identifier un objet, d’en suivre lecheminement et d’en connaître les caractéristiques à distance grâce à une étiquette émettant des ondes radio, attachée ou incorporée à l’objet. La technologieRFID permet la lecture des étiquettes même sans ligne de vue directe et peut traverser de fines couches de matériaux (peinture, neige, etc.).
42
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
• Comment fonctionne la technologie NFC ?
Lorsqu’il est activé, le lecteur émet un signal radio à
très courte distance qui active le composant NFC.
Cette opération permet la lecture d’une petite quan-
tité de données stockées directement sur la mémoi-
re du composant NFC : par exemple, des informations
sur l’utilisateur. La technologie NFC se distingue des
autres technologies sans contact ou RFID par le fait
qu’elle s’emploie à une distance très courte et parce
qu’elle permet également l’interconnexion entre deux
appareils. La distance effective d’opération est géné-
ralement inférieure à 20 cm en fonction des compo-
sants et du lecteur sans contact. De plus, les appa-
rei ls NFC peuvent simultanément recevoir et
transmettre des données.
Par ailleurs, la faible distance d’utilisation limite le
risque de piratage potentiel des données échangées.
Pour les applications sensibles telles que les paie-
ments sécurisés, des normes de chiffrement peuvent
être ajoutées sur la couche la plus élevée en utilisant
les mêmes techniques que pour les technologies
standard de cartes à puce.
Paiements par mobilePaiements et billettique : ces applications sont consi-
dérées comme les principaux facteurs de développe-
ment de la norme NFC sur les téléphones portables.
Les banques et les opérateurs mobiles s’emploient
actuellement à mettre en œuvre un modèle cohérent
en vue d’offrir des solutions de paiements et de billet-
tique intégrées sur les téléphones portables. Des expé-
rimentations sont actuellement en cours en Europe et
aux États-Unis.
À l’heure actuelle, dans le domaine du commerce
mobile, on considère que les paiements de proximité
utilisant des technologies telles que NFC, consistant
à présenter un appareil ou une carte de paiement à
proximité d’un lecteur, offrent des perspectives plus
prometteuses que les transactions à distance effec-
tuées sur les réseaux de télécommunication (GSM, 3G
ou WLAN).
Développement des paiements
sans contact
Le marché du paiement sans contact est appelé à
connaître un très fort développement au cours des cinq
années à venir. En effet, en vue de diversifier leurs
sources de revenus en se positionnant sur le marché
mobile, AMEX, MasterCard et VISA cherchent à
convaincre les consommateurs d’adopter les solu-
tions sans contact pour les paiements en espèces de
faible montant. Dans le même temps, les fabricants de
combinés mobiles tels que Nokia proposent des ter-
minaux offrant des fonctionnalités de paiement sans
contact tandis que sont organisés des essais régio-
naux autour de la technologie NFC en Europe et aux
États-Unis. Le paiement de proximité avec le télé-
phone portable offre des perspectives de plus en plus
prometteuses.
Après plusieurs années d’expérimentations et d’ini-
tiatives, les obstacles à l’acceptation des commer-
çants disparaissent peu à peu, et la technologie NFC
�
FIGURE 2 : Technologies de paiement et de billettique par mobiles
Source : VTT
43
L ’ é m e r g e n c e d ’ u n n o u v e a u m o y e n d e p a i e m e n t ,l e s t é l é p h o n e s m o b i l e s i n t è g r a n t l a N F C
M I C H A Ë L N I Q U E E T B A S I L E C A R L E
est de plus en plus reconnue au niveau mondial comme
un moyen sécurisé d’effectuer des transactions.
L’adoption du paiement sans contact est désormais en
butte au « problème de la poule et de l’œuf » auquel
sont confrontées les nouvelles technologies de paie-
ment. D’une part, il faut qu’un nombre suffisant de
consommateurs soient dotés d’appareils de paiement
sans contact pour convaincre les commerçants d’ac-
croître les capacités de leurs systèmes de point de
vente. Dans le même temps, il faut qu’un nombre suf-
fisant de commerçants acceptent le paiement sans
contact pour que les consommateurs décident d’adop-
ter ce nouveau mécanisme de paiement.
Du côté des consommateurs, une barrière potentielle
à l’acceptation est le manque perçu de sécurité en cas
de vol. En revanche, un des principaux avantages du
paiement sans contact réside dans la possibilité offer-
te aux consommateurs d’accélérer le processus de
paiement par rapport aux achats par carte traditionnels.
Pour les transactions de faible montant, le consom-
mateur peut accorder son autorisation sans devoir
fournir son code PIN ou sa signature, alors que ceux-
ci sont actuellement obligatoires pour les achats par
carte.
Aux États-Unis, VISA, MasterCard et American Express
ont réuni leurs efforts pour assurer l’interopérabilité
entre leurs systèmes de paiement sans contact à tra-
vers l’adoption de la norme ISO 14443. MasterCard
affirme que 28 millions de cartes et d’appareils
MasterCard PayPass ont été émis à ce jour et sont uti-
lisés chez plus de 109 000 commerçants, non seule-
ment aux États-Unis mais partout dans le monde.
La transition de la carte sans contact aux téléphones
portables équipés de puces NFC est en cours et déjà
active dans de nombreux pays asiatiques. Au Japon,
NTT Docomo affirme compter plus de 3 millions d’uti-
lisateurs de sa solution « m-purse » de porte-monnaie
électronique mobile (sur 15 millions de combinés sur
lesquels l’option m-purse est disponible au Japon) et
1,5 million de clients utilisant les téléphones compor-
tant des solutions de crédit sans contact Docomo2.
Essais de paiements par mobile NFC
Partout dans le monde, d’importants essais de paie-
ment par mobile sont organisés en vue de créer un éco-
système autour des services et des produits aux
normes NFC. En général, les retours de ces expéri-
mentations sont assez positifs : par exemple, sur le pro- �
FIGURE 3 : Principaux essais et déploiements de la norme NFC au niveau mondial
Source : GSMA
2. Digital Money Forum, février 2007 - http://digitalmoneyforum.com/blog/
44
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
jet Pegasus « Payez mobile » développé en France par
un consortium composé d’opérateurs, de fabricants de
puces et de banques, l’expérience paraît réussie puis-
qu’une étude indique que 90 % des clients et des
commerçants sont satisfaits (cf. figure 3 en page 43).
La chaîne de valeur des paiements
par mobile
Compte tenu du nombre d’acteurs offrant des solu-
tions de paiement mobile, la question se pose de
savoir qui doit offrir ce service et quel plan straté-
gique doit être adopté. On peut distinguer cinq types
d’acteurs différents : l’opérateur, le prestataire de ser-
vice financier, le commerçant, le consommateur et
peut-être un « tiers de confiance » (Trusted Service
Manager).
Parmi les raisons qui devraient motiver les banques à
investir dans la technologie NFC mobile, il faut citer la
réduction des coûts de manipulation des espèces et
des chèques, mais aussi la perspective d’une aug-
mentation des revenus générés par les commerçants
et, parallèlement, un moyen de fidéliser leur clientèle à
travers ces services à valeur ajoutée.
Les questions stratégiquesLe principal obstacle à l’intégration de la technologie
NFC au sein des téléphones portables réside dans
l’absence d’un plan stratégique global permettant de
concilier les intérêts des opérateurs mobiles, des
banques et des autres acteurs de la chaîne de valeur
mobile. Jusqu’à présent, chacun des acteurs a créé un
modèle propre de mise en œuvre des services de
commerce électronique mobile (m-commerce) indé-
pendamment des intérêts des autres parties prenantes.
Les principaux modèles sont obtenus à partir des
résultats d’une enquête sur les applications NFC réa-
lisée par la Smart Card Alliance auprès des princi-
pales parties prenantes.
L’adoption des paiements par mobile effectués, à
partir de téléphones NFC, nécessite un effort commun
des établissements financiers et des opérateurs
mobiles. Les opérateurs doivent trouver un intérêt à
ce modèle, sans quoi ils n’assureront pas la promo-
tion des téléphones portables équipés de la norme
NFC.
En effet, dans la plupart des pays, les opérateurs télé-
com ont une influence déterminante sur le type de
téléphones portables qui font l’objet d’une promotion
sur le marché. Dans le même temps, les opérateurs
télécom doivent coopérer avec le secteur financier,
qui dispose depuis longtemps d’une connaissance
approfondie des problèmes liés aux paiements, de
rapports étroits avec les distributeurs et d’une base ins-
tallée, importante, de clients utilisant les différents
moyens de paiement.
Le modèle qui présente le plus d’intérêt pour les éta-
blissements bancaires se base sur le modèle existant
de cartes de crédit appliqué au marché des télé-
phones portables. D’après ce modèle, une banque
émettrice contrôle la relation avec le client et doit s’as-
surer que l’appareil de paiement (ex. : un téléphone à
la norme NFC) est fourni à ses clients de la même
manière que sont distribuées les cartes bancaires à
l’heure actuelle.
Du côté des opérateurs, le défi est de convaincre les
établissements financiers de la capacité de carte SIM
à effectuer des transactions NFC.
La GSM Association (GSMA), l’association commerciale
mondiale des opérateurs de télécommunication mobi-
le, a lancé une initiative majeure avec le programme
Pay-Buy Mobile, qui définit les grandes lignes du
modèle de carte SIM pour le stockage des applications
de paiement.
Ce modèle prévoit que les opérateurs mobiles factu-
rent des royalties aux banques et aux sociétés émet-
trices de cartes de crédit pour le téléchargement sur
les cartes SIM d’applications de paiement conçues par
les émetteurs de cartes.
À l’évidence, ce modèle est avantageux pour les opé-
rateurs mobiles qui obtiennent des revenus supplé-
mentaires liés à ce service additionnel, et apportent de
la valeur ajoutée au consommateur.
Toutefois, deux facteurs limitent la viabilité de ce modè-
le, à savoir que les opérateurs mobiles n’ont pas l’ex-
pertise nécessaire pour assurer le traitement des tran-
sactions au niveau mondial et qu’ils n’ont pas non plus
établi de relations de longue date avec les commer-
çants. La mise en œuvre d’un tel modèle impliquerait
donc un recentrage des activités de base des opéra-
teurs mobiles ainsi que des investissements majeurs.
�
45
Vers une adoption mondialePour l’heure, les retours des essais de paiements par
mobile sont encourageants : par exemple, pour les tran-
sactions de faible montant (moins de 20 euros), 90 %
des commerçants et des consommateurs ayant testé
les paiements NFC se déclarent satisfaits. Les cartes
bancaires flash équipées d’une puce permettant le
paiement sans contact existent déjà, mais les télé-
phones portables pourraient comporter les mêmes
fonctions sans qu’il soit nécessaire d’émettre une
carte de crédit supplémentaire.
En Asie, où les paiements par téléphone portable sont
déjà pratiqués, les gouvernements et les entreprises
impliqués encouragent l’adoption de cette technologie
en vue de stimuler l’activité et développer de nou-
veaux marchés. Le gouvernement japonais a annon-
cé le lancement prochain d’une vaste campagne à
l’étranger visant à distribuer la technologie mobile, en
mettant l’accent sur le téléphone porte-monnaie, qui est
déjà largement utilisé comme mode de paiement pour
les biens et les services au Japon. Introduits par l’opé-
rateur télécom NTT DoCoMo, les téléphones porte-
monnaie sont disponibles depuis 2004.
La participation d’acteurs disposant d’une expertise
solide de la technologie NFC pourrait favoriser la géné-
ralisation de cette technologie sur le marché mondial
de la téléphonie mobile. Dans ces conditions, d’ici
deux ans, nous prévoyons que le marché NFC com-
mencera réellement à se généraliser, plaçant le télé-
phone portable au centre de la vie courante des
consommateurs. ◗
L ’ é m e r g e n c e d ’ u n n o u v e a u m o y e n d e p a i e m e n t ,l e s t é l é p h o n e s m o b i l e s i n t è g r a n t l a N F C
M I C H A Ë L N I Q U E E T B A S I L E C A R L E
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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 8
Les pays émergents sont caractérisés pourla plupart par un faible taux de bancarisationet un emploi prépondérant de la monnaiefiduciaire. Le recours à de nouveaux moyensde paiement numériques compatibles avecles cultures et le niveau d’éducation favorisela bancarisation.
BERNARD BORDASDirecteur central de la banque de réseau et de détail,Crédit du Maroc
Un faible taux de pénétration bancaire pour un pays de 710 850 km2
Comme l’ensemble des pays émergents, le Maroc
connaît un faible taux de pénétration bancaire. Toute-
fois, il est plus élevé que dans les pays voisins, et
pour les grandes villes se rapproche de certains pays
d’Europe. Le système bancaire compte 2 748 gui-
chets soit une agence pour 11 400 habitants. Avec les
guichets de la Poste marocaine, le Maroc compte un
guichet pour 6 900 habitants.
L’écart est élevé entre les villes et les zones rurales. Si
pour la région du Grand Casablanca – 12 % de la
population – on relève un guichet pour 3 896 habitants,
63% des crédits et 39 % des dépôts et 1/3 des
3 123 GAB ; dans les zones rurales, on compte encore
126 000 habitants par guichet (hors comptes pos-
taux, Barid Al-Maghrib).
Globalement, le taux de bancarisation de la popula-
tion est estimé à 30 % environ. Le faible taux de
bancarisation s’explique par la faiblesse des revenus
d’une grande partie de la population. Par ailleurs,
on estime le taux d’analphabétisation entre 40 % et
50 % et le chômage urbain, dont l’incidence est plus
forte sur les jeunes et les femmes, concerne 19 % de
la population.
Répartition des moyens de paiementDans ce contexte de faible bancarisation, les moyens
de paiement connaissent un développement différent
des pays riches. Les moyens de paiement scriptu-
raux, chèque ou carte, sont essentiellement un moyen,
pour les particuliers, de retirer de la monnaie fiduciaire
au guichet. Le montant total de la circulation fiduciaire
a atteint, fin 2008, 127,8 milliards de dirhams soit une
Les moyens de paiementdans un pays émergent,la stratégie du Crédit du Maroc
47
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L e s m o y e n s d e p a i e m e n t d a n s u n p a y s é m e r g e n t ,l a s t r a t é g i e d u C r é d i t d u M a r o c
B E R N A R D B O R D A S
augmentation de 6,6 % par rapport à l’année 2007. La
part de la circulation fiduciaire dans la masse monétaire
ne représente que 26,4 % du total des moyens de
paiement.
La monnaie scripturale est largement utilisée par les
entreprises privées et les organismes d’État, elle
dépasse donc en valeur la monnaie fiduciaire mais
est moins utilisée par les particuliers.
L’utilisation des chèques s’est développée. Il est
cependant entaché par un haut niveau de fraude, qui
pourrait représenter plus de 3 % du montant total des
chèques en circulation, malgré la vérification des signa-
tures chèque par chèque. Une des raisons principales
est la possibilité d’endossement, la plupart des
chèques n’étant pas barrés et permettant à l’endosseur
final d’effectuer le retrait du montant du chèque au gui-
chet. L’utilisation des chèques, en dépit de l’amélio-
ration de la compensation, continue ainsi à poser des
problèmes très importants d’impayés, car leur utilisa-
tion dans le commerce est souvent dévoyée du paie-
ment à vue. Le chèque est largement utilisé pour le
paiement à tempérament, et comme garantie. Le vire-
ment est également un mode de paiement utilisé par
les entreprises plutôt que par les particuliers.
Le nombre de paiements par cartes est en augmen-
tation et s’est établi, en 2008, à 10,2 millions, corres-
pondant à une valeur de 4,3 milliards de dirhams,
contre 7,1 millions d’opérations pour une valeur de
3,3 milliards de dirhams une année auparavant, soit une
augmentation de 28,4 % en valeur.
Les paiements en espèces continuent de représenter
l’essentiel des opérations effectuées par le biais des
cartes bancaires. En effet, le nombre de retraits effec-
tués au Maroc par des cartes émises ou gérées par les
établissements de crédit marocains a atteint, en 2008,
plus de 100 millions, pour une valeur de 83,9 milliards
de dirhams.
Le marché des cartes bancaires classiques de débit
n’a pas décollé en Afrique, même dans un marché
plus mature comme le Maroc qui recense 1,6 million
de porteurs. La carte de crédit est encore plus fai-
blement déployée, on compte 800 000 porteurs au
Maroc. L’utilisation de ces cartes est limitée au terri-
toire national en raison de l’inconvertibilité du Dirham
marocain. En outre, l’acceptation au Maroc ne pro-
gresse que lentement, notamment pour des raisons
fiscales et de tarification des commerçants. En effet,
les banques ne développent pas directement un
réseau commerçants, celui-ci est développé par le
centre monétique interbancaire (CMI), qui installe les
terminaux de paiement éectroniques (TPE) auprès
des commerçants. La tarification du CMI est basée sur
une commission qui intègre à la fois la location du TPE,
les interventions techniques et l’acquisition des flux. De
ce fait, les commissions ont un niveau assez élevé qui
peut même atteindre 4 %. Si le commerçant choisit sa
banque pour l’acquisition des flux, la remise à plusieurs
banques différentes n’est pas facilitée et peut obliger
le commerçant (dans un souci de gestion) à s’équiper
d’un TPE dédié à chaque flux d’acquisition bancaire.
La norme EMV n’étant adoptée au Maroc au niveau
émission que depuis un peu plus d’un an, la plupart
des cartes bancaires au Maroc fonctionnent en tant
que cartes à piste, moins sécurisées que les cartes à
puce. Le commerçant requiert la signature sur le tic-
ket TPE, ainsi que la production d’une carte d’identité
(dans la majorité des cas), ce qui est un frein à l’utili-
sation usuelle et pratique de la carte pour les achats
courants par les consommateurs.
Une économie du « cash »Bien que le Maroc soit doté d’une législation du travail,
inspirée des conventions et recommandations du
Bureau international du travail, la domiciliation des
salaires n’est pas obligatoire, le paiement des salaires
peut avoir lieu en espèces.
En corollaire, le système économique fonctionne à
double vitesse, avec une économie informelle encore
très présente qui ne permet pas à tous d’avoir accès
au financement et contraint un nombre important de
Marocains à recourir au financement par des sys-
tèmes de tontine, ou des systèmes de solidarité fami-
liale qui ne permettent pas toujours de maîtriser le
coût d’un financement.
Le développement de moyens de paiement efficaces,
adaptés aux usages du pays, est, comme pour beau-
coup de pays émergents, une condition importante du
développement des dépôts et de l’épargne et au-delà
de l’accès au financement bancaire. Un haut degré de
bancarisation de la plupart de la population a pour effet
48
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� la sécurisation des avoirs et des transactions et l’ins-
tauration de la confiance entre les intermédiaires finan-
ciers et leurs clients. Les moyens de paiement émis au
Maroc, comme dans d’autres pays émergents, doivent
remplir le double objectif d’être un support qui maté-
rialise ce lien de confiance avec l’intermédiaire financier
et être adapté à la culture de paiement du pays.
Dès lors, deux étapes se dessinent dans la voie vers
la bancarisation. En premier lieu, le développement
d’une offre de moyens de paiement scripturaux, sub-
stitutifs du cash. Elle s’adresse à des personnes qui ne
sont pas bancarisées, pour sécuriser leurs avoirs sans
actionner les freins culturels ou structurels de l’accès
à une agence bancaire. En second lieu, la création d’un
compte de dépôt, et au-delà l’accès au crédit. Cette
seconde étape, si elle semble aller de soi dans le pro-
cessus de développement de la relation bancaire, est
moins évidente pour d’autres acteurs importants dans
les pays émergents, comme les opérateurs de télé-
phonie mobile.
Les conditions d’émergencede moyens de paiement alternatifsLe Maroc, comme beaucoup de pays émergents,
s’oriente vers les moyens de paiement numériques
ne nécessitant que peu d’éducation du consommateur.
Ces moyens de paiement permettent de palier la fai-
blesse des infrastructures à la fois au niveau des
réseaux d’agences bancaires, des moyens de trans-
port dans un pays au territoire étendu, des lignes de
téléphone fixe (3 millions pour une population de
29 891708 habitants, mais 20 millions de portables).
Par ailleurs, le Maroc est un pays où le taux d’urbani-
sation est de 55,1 %, en croissance.
Les conditions semblent réunies pour mener une stra-
tégie de banque de détail pour le plus grand nombre,
en intensifiant de nouveaux réseaux pour les cartes
bancaires en zone urbaine et en développant pour la
ruralité une offre de banque à distance, basée sur la
téléphonie mobile.
Les conditions de mise en œuvre de cette stratégie
pour les banques marocaines sont, d’une part, créer
un moyen de paiement pragmatique dont l’ergonomie
d’utilisation est similaire à celle acquise pour l’usage du
téléphone portable (utilisation simple d’un clavier numé-
rique, et vérification écran ou vérification par un appel
téléphonique d’une plateforme de services adaptée à
la culture du pays). D’autre part, sécuriser le moyen de
paiement pour qu’il soit préféré au chèque ou aux
espèces.
Enfin, il est nécessaire également de développer les
infrastructures permettant l’interopérabilité sinon l’in-
terbancarité des moyens de paiement nouveaux, et
créer ainsi les conditions de leur acceptation.
La carte prépayée semble une solution plus promet-
teuse que les autres moyens de paiement scripturaux,
particulièrement pour une population non bancarisée.
Son développement s’opère dans le sillage des cartes
prépayées pour l’utilisation du téléphone portable
qui représentent plus de 85 % de l’activité de la télé-
phonie mobile dans l’ensemble de l’Afrique.
Les observateurs s’accordent à dire que le dévelop-
pement de cartes prépayées à puce permettra de
réduire, pour de nombreux pays émergents, les coûts
de la monnaie fiduciaire et de l’économie informelle.
Pour le consommateur marocain, il permet d’amélio-
rer la sécurité de ses avoirs et de lisser ses dépenses
par un moyen de paiement ergonomique. Il est le
vecteur de l’accès à la bancarisation.
Le développement de la carte requiert toutefois le
développement simultané de l’acceptation de cette
carte. La carte prépayée est utilisée essentiellement
pour retirer de l’argent liquide, mais elle permet bien
plus si elle est reconnue par un guichet automatique
bancaire (GAB). Les fonctions du GAB sont en effet
essentielles pour la croissance du marché de la carte
et la bancarisation.
Le GAB devient très important dans le système des ins-
truments de paiement et de l’accès au compte au
Maroc. Il permet de sortir un « trafic agence » inutile au
développement de la relation Banque-Client. Les gui-
chetiers en agence sont en général saturés par la dis-
tribution des espèces, particulièrement les jours de
paiement des salaires ou de la retraite. À cela s’ajoute
la problématique de la sécurité des agences posée par
les autorités. Un projet gouvernemental en cours oblige
les banques à engager des investissements pour assu-
rer la sécurité des agences, tels un vigile pour chaque
agence, de la vidéo surveillance...
49
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L e s m o y e n s d e p a i e m e n t d a n s u n p a y s é m e r g e n t ,l a s t r a t é g i e d u C r é d i t d u M a r o c
B E R N A R D B O R D A S
La possibilité de fournir un moyen de paiement de
quasi-cash, utilisable en dehors de l’agence, sécurisera
à la fois l’agence et le client lui-même. Il permet éga-
lement de développer les dépôts à vue de la banque
et d’inciter le client à une gestion dans le temps de ses
avoirs.
D’autres moyens de paiements numériques sont expé-
rimentés au Maroc et dans toute l’Afrique, notam-
ment par les opérateurs de téléphonie mobile à l’image
de l’opérateur kenyan de téléphonie mobile Safaricom.
Celui-ci a été le premier au monde à lancer, en 2007,
un service de transfert d’argent par téléphone, lequel
a attiré près de quatre millions de clients. Le transfert
est réalisé sur la base de SMS et de cartes prépayées.
Cependant, les opérations sont en général limitées
en montant par les autorités qui doivent s’inquiéter de
l’origine de la monnaie fiduciaire sous-jacente. Les
opérateurs de téléphonie sont poussés à s’allier avec
des banques pour assurer une partie de la logistique
de ce moyen de paiement et le respect des normes.
Le paiement par internet reste par contre marginal, car
les sites Internet marchands au Maroc, comme dans
d’autres pays émergents, ne proposent, pour le
moment, que des services qui se limitent aux réser-
vations ou aux commandes. Les conditions de démar-
rage des paiements par Internet sont la conjonction de
l’innovation technologique, des investissements pour
la création du centre monétique interbancaire, le rem-
placement des classiques « fers à repasser » par des
terminaux de paiement électroniques, et l’introduc-
tion de cartes bancaires à puce sécurisées.
Le Crédit du Maroc se positionne pouroffrir des services en tant que banquecitoyenne permettant la bancarisationLes banques marocaines sont venues tardivement à la
banque de détail. Les banques se positionnant sur la
clientèle grand public doivent savoir gérer une clientèle
peu fortunée, sachant que la clientèle intermédiaire
est un segment très étroit. Le segment grand public
impose un niveau plus élevé d’industrialisation de la
Banque et l’accroissement de son réseau. Le crédit du
Maroc ouvre une agence par semaine. Il s’est déve-
loppé pour atteindre 257 agences en mai 2009, soit un
accroissement de 25 % de son réseau sur un an. À fin
avril 2008, le Crédit du Maroc disposait de 280 GAB.
Le passage aux moyens de paiement scripturaux
numériques et notamment la carte bancaire est impor-
tant pour la banque. Pour faire face à la concurrence,
elle doit investir dans l’activité commerciale, et per-
mettre la formation de son personnel vers des métiers
à plus forte valeur ajoutée en se dégageant des opé-
rations de base.
Le crédit du Maroc s’est appuyé sur le développe-
ment simultané d’une carte prépayée « Daba Daba »
et le développement de GAB pour donner accès à
de nombreux porteurs à un premier niveau de ban-
carisation.
La carte « Daba Daba » est une carte prépayée, rechar-
geable sans compte bancaire. Anonyme facialement,
elle n’indique pas, non plus, la date de validité (la vali-
dité débute à partir de la date de souscription). La
carte est remise pour une utilisation immédiate. Elle est
vendue aux clients et aux non-clients de la banque
après récupération des données d’identification du
souscripteur. Ainsi les règles internationales du « know
your customer » s’appliquent, mais la procédure est
allégée par rapport à une ouverture de compte. En
outre, la carte est plafonnée à 6 000 dirhams et ne peut
être débitrice. C’est une carte sécurisée par un code
confidentiel aussi bien pour les retraits GAB que pour
les paiements chez les commerçants. Ainsi, elle offre
plus de sécurité que les cartes bancaires classiques uti-
lisées au Maroc (code confidentiel, uniquement pour les
GAB). Cette carte reste domestique, comme les autres
cartes bancaires marocaines, notamment en raison de
la non convertibilité du dirham, mais des projets voient
le jour, au niveau des autorités marocaines, pour per-
mettre aux Marocains de posséder des cartes pré-
payées en devises.
Cet instrument de paiement permet au client d’offrir des
cartes à sa famille et de susciter un enrôlement. Il
peut être utilisé auprès de tous les commerçants au
Maroc dotés d’un TPE, à hauteur du solde disponible
sur la carte. La carte peut être utilisée pour les retraits
dans tous les GAB du royaume.
D’autres banques se positionnent également comme
banque de détail en direction d’une large clientèle, en
développant des produits analogues. La différenciation
se fait par l’anonymat de la carte « Daba Daba ». Elle
50
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� lui confère la qualité de quasi-cash et correspond à
l’usage de la monnaie fiduciaire. Le crédit du Maroc a
décliné le produit en créant la carte « Daba Daba Cha-
rika » qui permet aux PME de fournir à leurs salariés des
cartes pour y virer les salaires. Elle permet de répondre
aux questions de sécurité dans le maniement des
fonds, sur le lieu de travail et en dehors, à la fois pour
l’employeur et pour le salarié. Cette carte est fournie par
l’employeur au salarié, elle est de ce point de vue un
vecteur important de l’enrôlement de nouveaux clients.
Les autres éléments discriminants du produit sont les
propriétés du GAB et les services des plate-formes
téléphoniques.
Les GAB du Crédit du Maroc peuvent être utilisés
pour payer des factures concernant des donneurs
d’ordres prédéterminés tels les compagnies d’électri-
cité, d’eau ou de téléphone. Les porteurs peuvent
choisir au GAB la fonctionnalité de paiement et effec-
tuer un virement à destination d’un fournisseur de ser-
vices. Les fonctionnalités sont simples et ne requièrent
que la lecture d’un numéro de contrat, la reconnais-
sance du nom du donneur d’ordre, la lecture du mon-
tant à payer. Les GAB permettent les recharges de la
carte prépayée.
Les GAB sont utilisés également pour recharger les
cartes de téléphone par la frappe simple du numéro de
téléphone et du montant.
L’alliance entre les fonctionnalités du GAB et d’une
carte prépayée constitue un premier niveau d’agence
bancaire automatisée, permettant à la banque d’amé-
liorer rapidement son réseau de distribution et de se
positionner comme banque de détail.
La conquête de la clientèledes Marocains résidentsà l’étranger (MRE) par les moyensde paiement numériquesLes « remittances » constituent selon les statistiques
20 % des dépôts au Maroc. Les remises de fonds de
particuliers, par virements réguliers, en provenance
de l’Europe, pour leur famille, est un enjeu important
pour les banques de détail. Les circuits traditionnels
interbancaires pour les fonds des MRE sont entre
autres, MoneyGram pour le Crédit du Maroc et Wes-
tern Union pour les autres banques. Ces accords
d’exclusivité sont actuellement remis en cause par les
autorités pour favoriser une plus grande concurrence.
De nouveaux produits voient le jour, tels les transferts
de cash to card. Le Crédit du Maroc a utilisé la carte
« Daba Daba » pour créer un service permettant au
bénéficiaire d’un transfert MoneyGram de disposer
de la carte prépayée et d’y charger les fonds reçus
sans se déplacer ; ceci grâce à une plate-forme télé-
phonique sur la base de la référence reçue préalable-
FIGURE 3 : Importance des transferts de migrants 2008
Source : Banque mondiale, estimations basées sur les statistiques de balances des paiements du FMI
51
L e s m o y e n s d e p a i e m e n t d a n s u n p a y s é m e r g e n t ,l a s t r a t é g i e d u C r é d i t d u M a r o c
B E R N A R D B O R D A S
ment de l’émetteur. Le bénéficiaire pourra voir un his-
torique des transactions effectuées, moyennant sa
carte prépayée, sur les GAB du Crédit du Maroc. Ce
service a également pour vertu d’éviter les queues
aux guichets bancaires autorisant la réception des
transferts MoneyGram en espèces (cash to cash).
Bien qu’il s’agisse de petits montants qui sont infé-
rieurs aux salaires des clients marocains, la cible de
la clientèle des MRE est intéressante sur le plan de
l’intermédiation bancaire car elle a souvent acquis une
culture bancaire dans les pays d’accueil, et les fonds
adressés constituent des dépôts stables. Par ailleurs,
les solidarités familiales permettent à l’un des
membres bénéficiaires d’investir, éventuellement de
prendre un crédit bancaire et d’en assurer le rem-
boursement.
Pour cette cible de clientèle, pour laquelle les conditions
tarifaires sont primordiales, l’usage du transfert d’argent
par téléphone mobile se dessine comme le principal
moyen de paiement alternatif. ◗
LES TRANSFERTS DE MIGRANTS DANS LES PAYS ÉMERGENTS
Les transferts de migrants ont plusieurs effetsbénéfiques pour les parties prenantes. C’est unservice à part entière pour les individus concer-nés, généralement un moyen de survie pour lesbénéficiaires, un levier de croissance écono-mique locale pour le pays récepteur parl’apport de capitaux, et bien sûr une activitérentable pour les quelques organisationsoffrant ce service.
Les fondamentaux sont porteurs puisque lesflux existeront tant qu’il y aura des différencesde richesse importantes entre pays, tant que
les régulateurs des pays bénéficiaires facilite-ront ces flux, et tant que l’équation écono-mique sera rentable.
Malheureusement pour les utilisateurs, c’est unservice encore cher du fait du nombre limitéd’acteurs spécialisés, du coût élevé de mise àdisposition du cash, des coûts de conformitéet de gestion des contentieux. La dématéria-lisation est loin d’exister de bout en bout ce quinécessite la présence de réseaux d’accepta-tion ou points de sortie du cash qui sont longset coûteux à développer.
Certains facteurs permettent néanmoinsd’accélérer le développement des transferts demigrants. On peut citer par exemple les nou-velles technologies et la carte bancaire et letéléphone mobile en particulier, le développe-ment de points verts dans certains pays et lapoussée du micro-crédit. Ces facteurs sontdirectement liés à la créativité de nouveauxentrants attirés par les niveaux de rentabilitéencore élevés des transferts de migrants.
Frédéric LAPEYREDirection de la stratégie groupe
Crédit Agricole S.A.
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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 8
La carte bancaire a été une innovationmajeure dans les moyens de paiement.Avec la carte Double Action, le Crédit Agricolefait franchir à cet instrument de paiementun nouveau pas en avant qui fera date.
JEAN-PIERRE VAUZANGESDirecteur développement Caisses régionales,Crédit Agricole S.A.
MARIE-PIERRE BONNETResponsable marketing de la banque du quotidien et crédità la consommation, direction développement Caisses régionales,Crédit Agricole S.A.
La carte Double Action : une réponseinnovante au Crédit AgricoleUn contexte propiceEn 2005, le Crédit Agricole adopte le positionnement
de la banque de la relation durable.
Dans un monde où tout change très vite, le client est
en recherche d’une relation de longue durée et de
reconnaissance de sa fidélité : il attend de sa banque
une relation de confiance, une relation « des bons
comme des mauvais jours ». Le Crédit Agricole choi-
sit alors le positionnement de « la banque de la relation
durable ».
Les consommateurs sont ambigus face au crédit.
Alors que 50 % des Français ont recours au crédit,
seulement 30 % d’entre eux le déclarent dans l’ob-
servatoire de l’endettement des ménages. En France,
le recours au crédit est un besoin réel mais qui ne doit
pas être affiché, contrairement à ce que l’on observe
dans les pays anglo-saxons où la plupart des cartes
sont des cartes de crédit, tandis que les cartes de
débit sont l’exception.
En France, les sociétés financières spécialisées et la
grande distribution détiennent l’essentiel du marché des
cartes de crédit et les banques celui des cartes de
débit.
Une des particularités françaises est la bipolarité du mar-
ché des cartes : 56 millions de cartes bancaires de débit
et environ 40 millions de cartes privatives de crédit.
Cette particularité était liée jusqu’en octobre 2007 à l’in-
terdiction du co-branding, c’est-à-dire à l’interdiction
d’apposer, sur une carte bancaire « CB » de paie-
ment, la marque d’une enseigne. Les deux marchés se
sont donc développés en parallèle : les banques sur le
marché du débit et les enseignes sur celui du crédit.
Plus facile, en effet, pour la grande distribution de
proposer la souscription d’une carte de crédit à ses
clients : au moment d’acheter, le consommateur est
plus enclin à souscrire un crédit pour pouvoir concré-
tiser un projet immédiat, et les multiples avantages
associés, tels que les remises immédiates ou les
coupe-files, emportent sa décision.
53
�
L a c a r t e D o u b l e A c t i o n : u n e r é p o n s e i n n o v a n t e a u C r é d i t A g r i c o l eJ E A N - P I E R R E V A U Z A N G E S E T M A R I E - P I E R R E B O N N E T
Certes, il y a un inconvénient : le fait de devoir penser
chaque fin de mois à préciser si le paiement doit être
prélevé sur son compte courant ou sur sa réserve de
crédit, est vécu comme une contrainte. En effet, avec
ces cartes, le choix « paiement à crédit » s’applique par
défaut, à un taux que le titulaire de la carte n’a pas for-
cément bien mémorisé.
Mais il n’existe alors pas d’autres solutions dispo-
nibles sur le marché, et les banques françaises peinent
depuis des années à se faire une place sur le marché
du crédit revolving.
Il leur reste en fait à inventer le produit permettant au
client d’utiliser sur demande, sur le lieu d’achat, chez
tous les commerçants, en toute discrétion et à un
taux raisonnable, un crédit revolving pour les situations
où le solde du compte courant le justifie.
Dans le domaine des cartes, la technologie progresse
vite et encourage la créativité. C’est en 2003 qu’ap-
paraît la première carte pilote dotée d’une puce EMV
« Europay Mastercard Visa »1 qui est une nouvelle
génération de puce dotée d’un degré de sécurité élevé
et permettant de pouvoir mémoriser plusieurs appli-
cations concomitantes. La puce crée une relation
dynamique avec le terminal de paiement électronique
du commerçant.
De là, les rêves les plus fous des spécialistes du
marketing : pourquoi pas des cartes faisant à la fois du
paiement et des points de fidélité, des accès aux
transports, des tickets de spectacles et, plus prosaï-
quement, le recours à une réserve de crédit, directe-
ment sur le lieu de vente, sans à avoir à attendre la
réception du relevé de compte, en fin de mois, pour
opter pour un paiement à comptant ou à crédit.
En 2006, Auchan propose à ses clients une carte
bancaire, homologuée « CB », qui permet au moment
du passage en caisse, de choisir sur le TPE2 (Termi-
nal de Paiement Electronique) de payer soit par pré-
lèvement sur son compte bancaire, soit par sa réserve
de crédit ouvert chez la Banque Accord. Seule
restriction : cette possibilité ne s’exerce que sur les
TPE des magasins Auchan et pas chez les autres
commerçants.
Il reste donc un espace pour créer la carte universelle
débit/crédit, avec le choix chez tous les commerçants
et sur tous les distributeurs automatiques de billets
(DAB).
Naissance de la « carte Double Action »du Crédit AgricoleLe Crédit Agricole détient la première part de marché
des cartes de paiement en France et possède de sur-
croît son propre atelier de personnalisation de cartes.
Dans ce contexte, les premières réflexions démarrent
en 2006 et associent Crédit Agricole S.A., des Caisses
régionales et le Cedicam.
Confortées par des études de marché démontrant
l’appétence des titulaires de cartes de débit à dispo-
ser sur leur carte de débit de la possibilité d’actionner
immédiatement un crédit, les spécifications se préci-
sent et le Cedicam démarre ses recherches pour for-
mater les puces EMV « multi-applicatives » avec la
double fonction « débit-crédit ».
Les fonctionnalités recherchées pour ce nouveau pro-
duit sont la possibilité d’offrir le choix d’affectation au
porteur lors de la transaction de paiement ou de retrait
par carte, en totale indépendance vis-à-vis du système
d’acquisition. Il s’agit ainsi d’une proposition de choix
effectuée à l’initiative de la banque émettrice et non du
commerçant acquéreur. Les autres fonctionnalités
seront en tout point identiques aux cartes actuelles
de débit : paiement, retrait, France/International,
proximité/VAD.
Plusieurs études clients sont réalisées en 2007 par
Crédit Agricole S.A., qui démontrent le fort pouvoir
d’attractivité d’une carte Double Action, il est notam-
ment vérifié que les clients sont intéressés par :
1. EMV : « Europay MasterCard Visa « est le standard international de carte bancaire à puce. EMV est un protocole qui permet l’interopérabilité. Il détermine : les typesd’applications dont dispose le porteur de la carte, le type de cryptographie (façon d’encrypter et décrypter les codes pin), le dialogue avec le terminal de paiement (quin’est qu’un intermédiaire entre la puce et le site central de la banque).2. TPE : Un terminal de paiement électronique (aussi appelé TPE) est un appareil électronique capable de lire les données d’une carte bancaire, d’enregistrer une transaction,et de communiquer avec un serveur d’authentification à distance.En 2008 : 96 % des TPE en France sont EMV, 30 % des automates et quasiment la totalité des DAB (Distributeurs automatiques de Billets).
54
H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 8 – J U I N 2 0 0 9
� – une carte multi-usage, multifonction, qui permet de
basculer d’une fonction à l’autre ;
– une carte universelle : tous commerçants et tous dis-
tributeurs. Plus universelle que les cartes privatives
de magasins ;
– une offre de crédit adaptée au profil du client, dont
le plafond de la réserve de trésorerie est calculé en
fonction de ses capacités de remboursement ;
– l’autonomie et la liberté qui permettent de ne pas
avoir besoin d’aller voir le banquier ou de souscrire
l’offre de crédit dans le magasin ;
– la discrétion qui fait que personne ne sait sur le lieu
de vente si le client paie au comptant ou à crédit.
Au Cedicam, différentes pistes sont à l’étude : une
puce « débit » et une puce « crédit » sur la même carte,
un numéro de carte au recto pour le débit et un autre
au verso pour le crédit...
Finalement, ce sera un seul numéro et une seule
puce EMV, que les TPE de tous les commerçants
devront être capables de lire sans entraîner leur rem-
placement, du moment qu’ils sont capables de trai-
ter les informations d’une carte équipée d’une puce
EMV.
Mais comment faire comprendre au client quelle
touche du TPE actionner ? Des tests consomma-
teurs sont organisés sur la base d’un prototype de
carte et divers TPE.
Deux premiers pilotes dès mai 2008,puis un déploiement dans toutes lesCaisses régionales en 2009La nouvelle carte Double Action du Crédit Agricole allie
les avantages d’une carte de paiement internatio-
nale MasterCard à de nouvelles fonctionnalités que
sont le choix à chaque achat et à chaque retrait, du
mode de paiement entre comptant (à partir du
compte de dépôt) et crédit (à partir de la réserve de
crédit).
La carte Double Action se décline en deux versions :
MasterCard classique et Gold MasterCard.
Les pilotes ont permis de tester les fonctionnalités de
la carte Double Action : à chaque achat et retrait, le
client choisit sur le TPE, DAB ou GAB le mode de
paiement qu’il souhaite, au comptant (en débit immé-
diat ou débit différé selon l’option) ou à crédit.
Par défaut, le paiement est toujours réalisé au comp-
tant (et cela même si la carte porte la mention légale
« carte de crédit »).
• Le fonctionnement au comptant est possible partout
FIGURE 1. Fonctionnement de la carte Débit/Crédit
Source : Crédit Agricole S.A.
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L a c a r t e D o u b l e A c t i o n : u n e r é p o n s e i n n o v a n t e a u C r é d i t A g r i c o l eJ E A N - P I E R R E V A U Z A N G E S E T M A R I E - P I E R R E B O N N E T
en France et dans le monde, chez les commerçants
identifiés par le logo MasterCard.
• Le fonctionnement à crédit est possible en France,
chez les commerçants comme sur les distributeurs,
quelle que soit la banque.
Avec cette carte débit/crédit, le client appréhende en
temps réel son argent et gère ses relations avec sa
banque. La carte Double Action introduit une nouvelle
étape : le client n’a plus besoin de demander à son
conseiller s’il peut dépasser son découvert ou s’il peut
obtenir un crédit à la consommation.
Le montant de la réserve de crédit est négocié avec le
conseiller lors de la souscription de la carte. Le crédit
utilisé est à un taux inférieur au taux du découvert.
Le client gère ensuite en toute autonomie ses finances.
À chaque achat en magasin, il a le choix de payer au
comptant ou à crédit.
Il bénéficie également de deux nouvelles assurances qui
rentabilisent très vite la souscription de la carte. En
réglant avec la carte Double Action, quel que soit le
mode de paiement, comptant ou crédit, le client béné-
ficie automatiquement pour son achat d’une garantie
en cas de vol ou de dommages du bien acheté pen-
dant les 60 jours suivant l’achat et d’une extension de
la garantie constructeur à trois ans.
La carte Double Action dispose également de tous les
services d’assistance et d’assurances des cartes
MasterCard et Gold, tels que l’assistance médicale,
l’assistance juridique à l’étranger, l’assurance acci-
dents de voyage.
Une première conférence de presse nationale, réunis-
sant la presse grand public et la presse professionnelle,
a eu lieu le 16 janvier 2008. Depuis, une grande cam-
pagne télévisuelle a animé les écrans pendant plu-
sieurs semaines, au moment du déploiement national
de la carte dans l’ensemble des Caisses régionales, en
octobre 2008.
Un succès incontestableLes commerces de proximité sont très réceptifs à
cette carte. En effet, elle les fait bénéficier de tous
les avantages de la carte par rapport au chèque,
combinés à ceux de la carte privative de leur
enseigne, qu’il leur aurait été beaucoup plus coû-
teux de proposer à leurs clients. Cela les aide à se
mettre à niveau par rapport à la grande distribution.
La carte déculpabilise le client vis-à-vis du crédit.
Auparavant, le Client ne voulait pas solliciter sa banque
et se justifier devant son conseiller. Aussi, préférait-il
passer par la carte privative, plus anonyme. Avec
« Double Action », il est libéré de ce frein psychologique.
La réussite commerciale
est au rendez-vous
Au 30 mars 2009, plus de 500 000 cartes Double
Action étaient déjà souscrites, soit environ
4 000 cartes vendues chaque jour. Une enquête de
satisfaction réalisée début 2009 révèle que la carte
Double Action répond aux besoins d’une clientèle
plus large que celle ciblée initialement. Sur l’ensemble
des détenteurs de la carte, 70 % n’avaient pas de cré-
dit revolving au Crédit Agricole. En outre, la clientèle
intermédiaire et haut de gamme montre une forte
appétence.
Une innovation majeuresur le marché des cartes en FranceLa carte Double Action est une carte révolutionnaire qui
modifie le paysage monétique français. Elle permet en
effet de sortir de la dichotomie cartes de débit ou
carte de crédit. Elle lie pour un même instrument la
fonction paiement et l’accès au crédit en temps réel,
en toute indépendance par rapport au commerçant
acquéreur. Cette innovation est née du savoir-faire du
Cedicam, filiale du Crédit Agricole, qui a su exploiter
la technologie EMV de la puce, et de la détermination
des équipes de Crédit Agricole SA et des Caisses
régionales.
C’est aussi une carte innovante sur le plan du design.
Le visuel est particulièrement innovant : la carte Double
Action est réalisée sur un plastique transparent dont
une bande est laissée apparente, ce que peu de fabri-
cants savent réaliser aujourd’hui.
Ce design, qui symbolise la volonté de transparence du
Crédit Agricole vis-à-vis de ses clients, remporte un vif
succès.
La carte Double Action a été récompensée par
deux Oscars. Lors de la cérémonie 2008 des Oscars
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� des cartes innovantes, organisée par Publinews et
Alténor, la carte Double Action a remporté deux prix
parmi les six catégories primées pour les cartes
émises en France :
• L’Oscar de la catégorie « Services » pour la fonction
comptant/crédit des cartes Double Action.
• L’Oscar de la catégorie « Design » pour le bandeau
transparent. ◗
FIGURE 2. Un visuel innovant
Source : Crédit Agricole S.A.
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325 À nos marques !
326 Agriculture et ruralité dans les pays en développement
327 Banque de financement et d’investissement : modèles et développements
328 Face aux risques extrêmes : banques et assurances
329 Conformité : pourquoi et comment
330 Les services à la personne
331 Le Financement des PME en France
332 Des PME et des territoires
333 Banque privée : mutations et défis
334 La microfinance au carrefour du social et de la finance
335 Dynamiques démographiques : une révolution socioéconomique
336 Dynamiques démographiques : quelles stratégies bancaires ?
337 Partenariats public-privé : un nouvel élan pour la commande publique
338 Les moyens de paiement, pierre angulaire de l’intermédiation financière
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HORIZONS BANCAIRES
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