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NUMÉRO 339 - DÉCEMBRE 2009 Banque de détail et innovations technologiques H ORIZONS B ANCAIRES

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N U M É R O 3 3 9 - D É C E M B R E 2 0 0 9

Banque de détailet innovations technologiques

HORIZONS BANCAIRES

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

ÉDITO ...................................................................................................................................................................................................................... 3ALAIN DESCHÊNES, directeur informatique et industriel du groupe Crédit Agricole S.A.

Enrichir les usages, enrichir la relationBanque et sites sociaux : retour d’expérience, perspectives ................................................................... 5JEAN PHILIPPE, directeur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne

La banque tout électronique : mythes et réalités .................................................................................................... 9JEAN-PIERRE VAUZANGES, directeur du développement Caisses régionales, membre du Comité exécutif,Crédit Agricole S.A.

Les consommateurs, les TIC et la banque ................................................................................................................... 12MICHÈLE FRANZA ET DANIEL VILLATTE, direction études de marchés groupe, Crédit Agricole S.A.

Insuffler la confiance envers les nouveaux services ......................................................................................... 18ALEXIS PETITJEAN, analyse stratégique groupe, Crédit Agricole S.A.

Innovations technologiques et mutualisme ................................................................................................................. 22CHRISTIAN TALGORN, président de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Morbihan

Nouveaux horizonsL’unification du système d’informationdes Caisses régionales de Crédit Agricole : un projet historique ...................................................... 29YVES NANQUETTE, directeur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel d’Ille-et-VilainePrésident du COSIR, Comité de pilotage du projet NICE

Les nouvelles technologies au service de la microfinance ....................................................................... 33ÉTIENNE GUYOT, chef de projet, Crédit Agricole S.A.ET FATIMA EL MOUKHTAFI, chargée des nouveaux développements, Fondation Grameen Crédit Agricole

La finance islamique appelle-t-elle de nouveaux outils informatiques ? .................................. 40LADISLAS GALLANT, global islamic banking, Calyon, Crédit Agricole CIB

Dessinons le futur Les nouveaux enjeux de la concurrence bancaire en sortie de crise ........................................... 42MICHEL CALLIAU, business development executive, GBS financial services sector, IBM France

ET OLIVIER PARISOT, consultant senior, GBS financial services sector, IBM France

L’agence du futur dans un dispositif « user centric » ...................................................................................... 50JEAN-PHILIPPE BLANCHARD, responsable du pôle innovation, Crédit Agricole S.A.

Cinq défis sécuritaires des systèmes d’information bancaires du XXIe siècle .................... 56GIL DELILLE, directeur de la sécurité des systèmes d’information, direction informatique et industrielle groupe,

Crédit Agricole S.A. – Président du Forum des compétences

Le droit bancaire à l’épreuve des nouvelles technologies ......................................................................... 62STÉPHANE HENRY, direction des affaires juridiques, Crédit Agricole S.A.

L’avenir à 50 ans ......................................................................................................................................................................................... 67ALAIN ARGILE, direction des études économiques, études industrielles et sectorielles, Crédit Agricole S.A.

Argent, éthique et technologie : quelques réflexions pour mieuxconstruire l’après-crise ........................................................................................................................................................................ 72LUC DE BRABANDÈRE, The Boston Consulting Group

ET LAURENT HUBLET, The Boston Consulting Group

Service aux lecteurs ............................................................................................................................................................................................... 77

Banque de déta i l e tinnovat ions techno log iques

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À une époque où les chœurs médiatiques chantent les louanges de l’innovation

technologique, il serait trop facile de simplement se joindre à une telle chorale !

Dans ce domaine, à maintes reprises dans le passé, les prédictions et autres

certitudes ont fait long feu, parfois même au prix de bulles boursières.

Néanmoins, les enjeux concurrentiels, les dangers sécuritaires, les exigences de

nos clients sont eux actuels et bien réels, et c’est bien l’immobilisme qui présente

le plus de risque.

Sans être candides, nous devons donc intégrer toute l’étendue de ces boulever-

sements multiples qui dépassent la seule dimension technologique.

Bien que provenant d’horizons différents, il est intéressant de noter que les auteurs

réunis ici ont des visions souvent convergentes sur ces sujets. Leurs contributions

soulignent les nombreuses opportunités en matière de produits et de services

bancaires et l’engagement concret du groupe Crédit Agricole sur ces différents

thèmes ; lequel s’appuie sur des racines et des valeurs clairement assumées.

L’humain, client, collaborateur ou partenaire, est au centre de leurs propos en

particulier dans son usage familier des TIC ou de l’évolution de sa relation commer-

ciale avec des industries comme la nôtre. Ainsi, le foisonnement d’innovations

technologiques, sources de succès universels souvent inattendus comme les

Texto/SMS, l’iPhone ou autre Facebook, démontre l’engouement de la société pour

des outils toujours plus communicants et son étonnante capacité d’assimilation.

Si aujourd’hui tout ce qui est tendance en matière de technologie se doit d’être

« virtuel » et « dans le nuage », les préoccupations plus classiques d’accessibilité

et d’ergonomie sont plus que jamais d’actualité, qu’il s’agisse de la nouvelle

agence bancaire, des services en ligne ou des processus métiers. Face aux

limites inhérentes des automates et autres serveurs vocaux, les clients souhaitent

maintenir et développer une relation de confiance fondée sur la disponibilité,

l’écoute, la sécurité, ainsi que les outils qui tissent et étendent cette relation. De

même, nos métiers en prennent la mesure et veulent en tirer eux-mêmes

pleinement avantage dans leurs activités.

Le culte du « tout numérique », porteur de bénéfices tangibles, doit donc soutenir

l’humain en particulier sur des domaines porteurs de valeurs essentielles comme

la proximité, l’accessibilité et la transparence.

É D I T O R I A L

AL A I N DE S C H Ê N E S

DIRECTEUR INFORMATIQUE ET INDUSTRIEL DU GROUPE CRÉDIT AGRICOLE S.A.

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Enrichir les usages,enrichir la relation

La révolution numérique porte en germe

une nouvelle façon de faire la banque.

Comment élargir la communication avec les clients ?

Comment inventer un « Internet de proximité »

valorisant l’ancrage territorial de la banque mutualiste

et la relation de confiance existant entre elle et ses sociétaires ?

Comment accompagner les transformations

de nos espaces de travail,

de consommation, de sociabilité ?

Autant de questions auxquelles les auteurs

des cinq articles suivants apportent

des réponses nourries d’expérimentations,

de réalisations et d’engagement.

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Internet enrichit la relation de proximité quiexiste entre une banque mutualiste et sessociétaires et clients. Les expériences menéesdepuis quatre ans par la Caisse régionalede Crédit Agricole Mutuel Pyrénées Gascogneen apportent la preuve. De nouvelles idées,de nouveaux projets émergent, dont celuid’un « internet de voisinage » à partir dechaque agence.

JEAN PHILIPPEDirecteur général de la Caisse régionalede Crédit agricole mutuel Pyrénées Gascogne

Banque et sites sociaux :retour d’expérience, perspectivesAPRÈS TOUT, LE MÉTIER DE BANQUIER EST

TROP SÉRIEUX pour céder à un effet de mode et il y

a bien d’autres moyens de séduire la clientèle des

jeunes ! Elle ne vient d’ailleurs pas sur ces sites pour

y rencontrer des financiers. À moins que ces nou-

veaux outils de communication ne portent en germe

une nouvelle façon de faire la banque ? C’est sur cette

conviction que le Crédit agricole mutuel Pyrénées

Gascogne a engagé de multiples usages profession-

nels de ces nouveaux réseaux. Explications.

Pourquoi une banques’intéresse-t-elle aux sites sociaux ?Le métier de la banque de détail associe la connais-

sance des personnes à la sécurisation des valeurs et

des flux. Ce qui est vrai quand le client entre physi-

quement dans son agence et confie son dépôt au

banquier, est vrai aussi quand il s’authentifie par son

code personnel et effectue des opérations électro-

niques. Il se passe cependant bien d’autres choses

dans l’agence : on identifie le client, mais on lui parle

aussi du temps qu’il fait, de la vie locale, on lui donne

des informations sur la banque et l’actualité, il y a un

échange de personne à personne. Si la relation par

Internet en reste à l’authentification et à la transaction,

elle oublie cette dimension de relation qui fait la force

du modèle de la banque de proximité. Si on sous-éva-

lue cette dimension relationnelle, c’est parce qu’elle est

prise en charge depuis des décennies par les

conseillers en agence et que l’informatique bancaire se

concentre sur les traitements comptables. Les sites

sociaux offrent aux banques un moyen simple de réta-

blir cet équilibre, de renforcer leur avantage relationnel

en élargissant leur communication avec leurs clients.

Pour cela, il est souhaitable que les usages d’Internet

associent les services de consultation et de transaction

avec les outils d’échange et de partage interactifs. De

cette combinaison dépendra l’attractivité du site et

celle de la banque. Faut-il s’en occuper dès mainte-

nant ? Les banques comptent aujourd’hui 50 %

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d’internautes habituels, mais sur 100 internautes, 60

n’utilisent qu’un moteur de recherche et interrogent leur

compte, 30 vont au-delà et achètent fréquemment

sur le Web ou bavardent en ligne, et 10 % seulement

sont des internautes agiles intéressés par les sites

sociaux. Faut-il investir pour si peu de monde ? Nous

pensons que la banque doit se mettre au niveau des

plus agiles et penser ses services pour eux : c’est la

meilleure façon de bien servir les autres et d’être prête

quand tous les internautes auront progressé dans ces

usages.

Ajoutons que la banque mutualiste est plus concernée

que les autres. Puisque l’association entre finances et

territoire crée de la valeur durable dans la relation phy-

sique, que c’est sur ce modèle que les mutualistes ont

bâti leur réussite, pourquoi ne serait-ce pas vrai aussi

avec Internet ? Et pourquoi Internet ne permettrait-il pas

de valoriser la relation de proximité ? Pourquoi clients

et conseillers n’utiliseraient-ils pas les mêmes outils pour

partager sur ces sites et donner aux services en ligne

une dimension régionale et communautaire ? Pourquoi

les mutualistes ne se différencieraient-ils pas avec

cette forme nouvelle de « proximité augmentée » ? La

relation à distance renforcera alors pour le client la

confiance dans les personnes qu’il connaît, qui sont

dans l’agence proche et à qui il peut quand il le veut

serrer la main.

Peut-être pensez-vous que cela n’a rien de bien

original et que je décris là le modèle bien connu du

« click & mortar » ? En fait, il a plusieurs façons de faire

du « click & mortar » : en juxtaposant la banque « béton »

et la banque Internet, sans qu’elles communiquent ;

en associant le canal Internet et le conseil en agence,

les deux se parlant, intervenant l’un ou l’autre au fil

d’une même relation ; en créant sur Internet une rela-

tion proche de la relation physique avec des échanges

sur la vie, le quartier, l’actualité. C’est bien là notre

objectif : donner à la relation à distance une teneur la

plus proche possible de la relation humaine, chaleu-

reuse et pas seulement « produits et techniques ».

Les expériencesde Pyrénées GascogneL’aventure de Pyrénées Gascogne sur les sites sociaux

remonte maintenant à quatre ans. Nous avons

commencé par des blogs. Celui du directeur général

a été le premier, en quelque sorte pour autoriser, pour

démystifier, pour ouvrir la voie. D’autres sont venus

depuis, gérés et enrichis chaque semaine par plu-

sieurs collaborateurs. L’entreprise compte aujourd’hui

une cinquantaine de blogueurs. Faut-il dire « blogueur »

d’ailleurs ? Sans doute pas. Il s’agit en fait de sites Web

dont l’architecture est celle du blog, qui fonctionnent

comme un blog, mais qui parlent de la banque et

autour de la banque, du territoire et des clients. J’insiste

sur ce point car le « blog » fait peur tant le mot renvoie

à un journal intime nombriliste quand il n’est pas immo-

ral ou pousse-au-crime. Pour illustrer cette appréhen-

sion, disons deux mots du journal d’entreprise que nous

avons décidé un jour d’éditer sous forme de blog

interne. Cette évolution n’a pas entrainé, loin s’en faut,

l’adhésion de tous les salariés en raison de cette image

qui fait peur. Nous avons alors décidé de ne plus

parler de blog mais de donner au site le nom du défunt

journal d’entreprise « PG Mag ». Les freins se sont

aussitôt levés et le site a été adopté sans réserve par

tous les salariés. Il faut respecter cette perception bien

compréhensible.

Depuis la page principale de la banque, les clients

accèdent désormais à des sites dédiés (patrimoniaux,

professionnels, agriculteurs, entreprises, jeunes) ou

traitant de sujets généraux, comme le mutualisme, le

développement durable ou encore l’innovation. Sur

ces pages, ce sont « des gens d’ici qui parlent aux gens

d’ici depuis ici », des Pyrénées, de la Gascogne. Les

rédacteurs parlent métier, ce sont des professionnels,

mais aussi territoire, car ils sont des voisins qui vivent

les mêmes villes, quartiers, villages, que les clients. A

tout moment, l’internaute peut réagir à une note,

demander un rendez-vous, accéder à des informations

plus détaillées sur tel ou tel produit ou service. Il peut

même pousser un « Coup de cœur » ou un « Coup de

gueule » que la banque affiche et auquel elle répond.

Le site « Do U speak jeunes ? » mérite une mention

spéciale. Au-delà de la présentation des offres et ser-

vices, il a été utilisé pour organiser le concours du

meilleur site personnel des moins de 30 ans. Plus de

250 candidats ont concouru sur le territoire et chacun

a vu son site adressé depuis le site de la banque. Ce

succès montre l’intérêt des jeunes pour ce média (on

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le savait déjà), mais aussi leur regard positif sur le par-

tenaire qui valorise leurs créations en entrant dans

leur univers par leur centre d’intérêt. La remise des prix

a été faite sur Second life ®, il n’y en pas eu d’autre.

Soixante personnes étaient présentes en même temps

par leur avatar dans l’amphithéâtre de l’Institut

Mutualiste, une des installations que nous développons

depuis trois ans maintenant avec la Fédération nationale

du Crédit agricole sur des îles électroniques.

Les implantations sur Second Life ® participent plus du

« buzz » que du développement de la banque. Ce

genre de monde virtuel, fortement médiatisé, n’a pas

encore pris sa place dans les utilités du Web. Les

réunions en 3D apportent pourtant beaucoup d’avan-

tages : on voit les participants, on dialogue avec eux,

on exprime des sentiments comme l’intérêt ou la las-

situde, on se déplace. Ajoutons que le réalisme du 3D,

avec les formes, les couleurs, les décors, l’environne-

ment, permet d’adapter l’ambiance à l’événement,

de suggérer un climat ; il est aussi possible de diffuser

des vidéos ou diapositives, de parler depuis une tribune,

de poser des questions. Tout cela donne aux réunions

une dimension très proche du réel.

Alors pourquoi en rester à l’expérimentation ? Tout

simplement parce que la technologie reste difficile

d’accès et demande un apprentissage. Ce frein sera

levé avant l’autre qui réside, là encore, dans l’image des

univers virtuels : ils ont été utilisés d’abord pour des jeux

vidéo et restent très marqués par cette origine (dans

« serious game », on entend plus « game » que

« serious »). Du coup, les utilités pour les clients, donc

l’intérêt pour les entreprises, passent au second plan,

et il est bien difficile d’intéresser à un conseil bancaire

un public qui vient pour jouer.

Nous sommes là en veille et c’est essentiel. D’abord,

il serait faux de croire que l’on aura toujours le temps

de s’y mettre car ceux qui prendront demain des posi-

tions fortes sur ces activités font aujourd’hui leur

apprentissage. Ensuite, en maîtrisant ces techniques

et leurs usages, nous améliorons la maîtrise des autres

techniques largement utilisées aujourd’hui : si Pyrénées

Gascogne a des sites sociaux qui marchent bien, c’est

parce qu’il est en recherche sur les évolutions du Web.

Dans la foulée des blogs, nous avons entrepris d’uti-

liser les outils sociaux les plus populaires, FaceBook ®

et Twitter ®. Nous les utilisons comme les « mordus »

du Web, c’est-à-dire en relais de nos sites profes-

sionnels. Chaque nouvelle note sur un site fait l’objet

d’un message sur ces sites sociaux, ce qui permet

d’informer nos « fans » et « followers » (nos abonnés).

Cette démarche ne suffit pas, bien sûr, et il est important

d’entretenir la relation et de coopérer en ligne en

émettant aussi des messages moins conventionnels

selon l’humeur de celui qui est au clavier.

Parler au nom de l’entrepriseJe me suis intéressé aux sites sociaux à titre personnel

avant de m’intéresser à leurs utilités pour la banque. Je

vous confie cette démarche parce qu’il me semble

essentiel de considérer ces nouvelles technologies

comme des moyens de communication qui prolon-

gent les moyens humains. Ainsi, j’aurais pu commen-

cer en vous disant : « J’ai appris à parler à titre personnel

avant de parler au nom de mon entreprise, et j’ai pro-

cédé pareil pour l’écriture », cela vous aurait paru une

évidence. De la même façon, il doit vous paraître évident

que l’on commence à écrire des blogs, à utiliser

Facebook ® et Twitter ® à titre personnel, à s’immer-

ger dans des mondes virtuels comme Second Life ®

d’abord à titre personnel. Ce sont des moyens de pro-

longer les expressions que sont la voix et l’écriture.

Cette vision très humaine des sites sociaux est fon-

damentale. Envisager d’utiliser ces outils comme on le

fait de la publicité ou du spot télé, à savoir sans s’y

impliquer soi-même, c’est comme se mettre au micro

à la tribune sans avoir appris à parler. Mieux vaut res-

ter spectateur. Il ne sert à rien à une entreprise de

s’offrir une place dans la « websphère » si c’est pour

reproduire les modes de communication utilisés dans

la publicité. Les internautes ne rejettent pas, mais ne

s’intéressent pas non plus. Cela ne fait pas de mal peut-

être, mais cela ne sert à rien. Une présence utile sur les

sites sociaux est autre : les propos sont personnels et

doivent s’affranchir des prudences habituelles ; il faut

être soi, avec ses goûts et ses préférences. L’entreprise

qui utilise ces sites ne peut donc le faire qu’en laissant

s’exprimer les personnes comme elles le souhaitent.

Celui qui s’adonne au clavardage ( le tchat en

québécois), qui le fait déjà à titre personnel, peut le faire

aussi dans le cadre de son entreprise. C’est très �

B a n q u e e t s i t e s s o c i a u x : r e t o u r d ’ e x p é r i e n c e , p e r s p e c t i v e sJ E A N P H I L I P P E

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exigeant puisqu’il parle alors « lui-même » en tant

que représentant de son organisation, sans filtre, sans

faux-nez. Il doit être convaincu et porter les valeurs et

le projet de son entreprise. Cela suppose quelque

chose qui ressemble à du militantisme. L’exercice est

exigeant puisque les salariés et les clients ont accès

aux mêmes ressources et voient la même chose, ce

qui suppose un parti pris de sincérité. Il n’y a pas de

présence sur les sites relationnels sans cette forme

d’engagement, ce qui signifie que les entreprises qui

se lancent dans cette démarche ne peuvent le faire que

si leurs modes de relations internes sont compatibles

avec ceux du Web. Par exemple, à Pyrénées

Gascogne, les notes rédigées par les salariés inter-

nautes ne sont ni commandées ni relues. Mon expé-

rience est qu’en quatre ans, je n’ai jamais demandé

d’en modifier un mot. L’exercice de la responsabilité

est total, les acteurs internes le savent et en font un

usage conscient et adapté. Je leur en suis énormé-

ment reconnaissant.

Lorsque nous avons envisagé, après des expériences

personnelles, d’utiliser les sites sociaux pour l’entreprise,

cela s’est fait par des coopérations internes. L’accès

à mon blog personnel a d’abord été ouvert aux sala-

riés de Pyrénées Gascogne via l’Intranet. Une innova-

tion qui a suscité chez certains l’indifférence, chez

d’autres une réaction de surprise, de crainte voire de

rejet, chez d’autres encore une réaction d’adhésion et

l’envie de participer. C’est avec ces derniers que nous

avons ensuite développé des sites d’entreprise. La

question de l’adhésion interne est fondamentale. Elle

a été possible parce que ces évolutions ont été com-

prises comme nécessaires pour accompagner un

mouvement plus important, plus structurant, celui

d’établir avec nos clients une relation nouvelle. Nous

avons inscrit ces évolutions dans une stratégie d’en-

treprise avec deux priorités affichées : offrir aux clients

une relation « multicanal » et réduire nos consomma-

tions de matières et d’énergie. L’utilisation d’internet

mais aussi, je dirais, l’excellence sur internet, a alors été

ressentie par beaucoup de collaborateurs comme une

condition indispensable à la réussite collective. Et ils ont

raison.

Quelles perspectives ?Nous allons continuer. Nous avons le projet immédiat

de doter chaque agence d’un site d’information et

d’échange avec ses clients qui sera alimenté et animé

par l’agence elle-même. Ce sera le support d’un

« Internet de voisinage » qui apportera en ligne, en

plus des services bancaires, la relation humaine de

proximité avec l’agence et les conseillers que le client

connaît physiquement. Nous sommes également en

train d’équiper nos agences de postes de travail qui

vont permettre de développer la formation à distance

en univers virtuel. Nous avons aussi engagé un parte-

nariat avec une société de « peer to peer » (« de pair

à pair ») qui, dans quelques semaines, proposera à des

épargnants de prêter en ligne à des porteurs de pro-

jets qui présenteront sur le site leur activité : il s’agit

d’utiliser un réseau social pour développer une activi-

té bancaire, le microcrédit. Enfin, nous avons com-

mencé à utiliser les vidéos faites par les équipes de la

banque pour présenter à la fois nos services et les

femmes et les hommes qui sont disponibles pour en

parler, avec bien sûr possibilité pour l’internaute d’en-

gager le débat ou donner son avis.

Nous aurons certainement d’autres projets dans les

prochains mois, tant les choses vont vite dans ce

domaine. Nous prendrons position avec toujours trois

objectifs : renforcer notre expérience et notre agilité sur

la toile ; continuer de capitaliser sur l’image d’une

banque ouverte au monde et aux nouvelles technolo-

gies ; privilégier les applications qui apportent des flux

d’internautes ou de l’activité en banque ou assurance.

Ce qui est sûr, c’est que ce sont les équipes de

Pyrénées Gascogne qui décideront du contenu et du

rythme de ces nouvelles avancées. ◗

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JEAN-PIERRE VAUZANGESDirecteur du développement Caisses régionalesMembre du Comité exécutif, Crédit Agricole S.A.

La banque tout électronique :mythes et réalitésVision d’angoisse !Une agence vide de clients où les conseillers com-

merciaux s’ennuient ! L’agence commerciale est deve-

nue une vitrine sans vie où rentrent de temps à autres

des passants en mal de conversation.

Un client devenu un consommateur averti et mature qui

passe sur le Net de comparateur en comparateur, qui

vole d’offre promotionnelle en offre promotionnelle,

choisit le moment de son achat et le canal par lequel

il veut le réaliser de jour comme de nuit, dans n’importe

quel pays, sans souci de la distance ni de la langue. Un

client qui, de plus, décide du moyen avec lequel il

veut payer et se sent totalement libre de résilier ou de

changer d’offre quand cela lui chante.

Le conseiller indépendant, l’agent général qui visite le

client à son domicile le soir en semaine ou le dimanche

matin, et qui par ailleurs échange avec ce même client

à 23 heures par messagerie électronique sur la

meilleure offre du marché.

L’opérateur Télécom devenu le fournisseur de moyens

de paiement au quotidien, le grand distributeur celui de

solutions de crédit. À quand les Livrets d’épargne

dans les stations-services, entre les bidons de lave-

glace et les bouteilles d’eau minérale, à côté des

cartes de rechargement de téléphone et des bon-

bons à la menthe ?

De cette vision d’un futur peut-être pas si lointain,

peut-on dire qu’il va rester un métier de conseiller de

proximité du client « captif » de la banque ? Et quelle

place pour la banque tout électronique ? Faut-il pousser

ce mode de relation, développer des sites marchands

en ligne, encourager les clients à les utiliser ? Et en

même temps repenser les agences, leurs organisa-

tions, leurs finalités ?

Rappelons-nous les évolutions dans l’organisation de

la relation entre le client et sa banque de détail ces vingt

dernières années.

La relation entre le client et la banque esten train de s’inverser : ce n’est plus la banquetoute puissante qui définit ce qui est bon etnécessaire pour son client, c’est celui-ciqui décide quand et avec qui il souhaite parlerde ses projets et avancer. La banqueélectronique s’insère dans cette évolution.

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� Dans les agences, les comptoirs et les guichets

disparaissent, remplacés par des bureaux et des

postes d’accueil en même temps que l’informatique

s’installe (pour le banquier !). Afin d’augmenter la

disponibilité des conseillers commerciaux, des

plateformes téléphoniques sont créées, déchargeant

ceux-ci des appels entrants. Au fil du temps, ces

plateformes montent en compétence et réalisent des

ventes, devenant ainsi un nouveau canal de distribution.

Très pratique pour le client, quand il n’est pas l’otage

du « taper 1, taper 2, musique d’attente, un conseiller

va vous répondre dans quelques instants, etc. ».

Un client indépendantDans le même temps, la banque met en place des

automates permettant de retirer de l’argent ou de le

déposer, de remettre des chèques et d’imprimer des

états de comptes. Plus de manipulations de mon-

naie dans les agences. Pratique également pour le

client, plus besoin de faire la queue au guichet : une

fois passée la phase d’apprentissage, il devient auto-

nome.

Enfin, le déploiement d’Internet permet à ce même

client de consulter à distance sa situation personnelle,

puis au fil du temps de réaliser lui-même des opérations

bancaires simples et de disposer de l’information en

ligne sur les nouveaux produits et services. Car timi-

dement, cette banque à distance électronique plutôt

« vitrine » devient marchande. D’autonome, le client

devient indépendant.

Le type de relation que le client entretient avec sa

banque a donc changé au fil des années, le senti-

ment de dépendance s’est estompé, le client est

devenu un consommateur ravi.

Ravi de pouvoir enfin choisir, de pouvoir prendre le

temps de s’informer et de comprendre en s’appuyant

de plus en plus sur une technologie qu’il maîtrise et qui

lui apporte toute la connaissance à la maison.

Ravi d’être « protégé » par des associations de

consommateurs qui dénoncent sans hésitation, récla-

ment toujours plus et lancent toujours plus d’actions

juridiques. Ravi d’être « considéré » par des pouvoirs

publics qui régulent à tour de bras. Ravi enfin d’être

libéré de l’emprise de la relation client à sens unique.

Certes, il faut bien reconnaître que le client de la

banque a été entraîné dans cette évolution par les

changements de mode de vie et par le poids des

média qui facilitent l’affichage de la concurrence. Mais

c’est la banque elle-même qui, en utilisant la techno-

logie pour optimiser ses processus de production et

de gestion, a fait évoluer ses organisations commer-

ciales et transformé la nature de la relation avec son

client qui, à son tour, s’adapte à cette modernité de

consommation.

Il y a quelques années, des assureurs français ont

lancé des banques en ligne ; seule l’ouverture du

compte est réalisée en agence, l’essentiel de la relation

bancaire qui suit est gérée à distance, un peu encore

par le courrier, la plus grande partie par Internet. Ces

banques revendiquent toutes aujourd’hui plusieurs

centaines de milliers de clients actifs, preuve que la

banque au quotidien peut être gérée à distance. En

mode tout électronique ?

Non, car ces banques ont toutes mis en place des pla-

teformes téléphoniques d’assistance au client sur des

horaires élargis.

Il est également vrai que la quasi-totalité de ces clients

sont en même temps bancarisés dans d’autres

réseaux. Ils ont une bonne connaissance de la gamme

des produits et des services de la banque au quotidien.

Ils arbitrent donc, en fonction de leurs besoins du

moment, le choix de la banque et le type de canal de

la relation.

Quand les Caisses régionales du Crédit Agricole lan-

cent BforBank avec comme positionnement en com-

munication : « Mon banquier, c’est moi », elles font le

pari qu’un segment de consommateurs est mature

pour un modèle de relation bancaire tout électronique,

et qu’il peut se passer de la relation en face à face dans

une agence.

Une relation équilibréeDepuis longtemps, la banque de détail est, dans la

vision de son client, essentiellement un métier de

conseil et de distribution de produits et de services,

dans une relation voulue et organisée par le banquier

pour être pérenne ; cette relation fondamentalement

basée sur la proximité (d’abord géographique puis à

distance avec le téléphone et Internet) aurait dû per-

mettre d’augmenter la connaissance du client pour

11

L a B a n q u e t o u t é l e c t r o n i q u e : m y t h e s e t r é a l i t é sJ E A N - P I E R R E V A U Z A N G E S

mieux l’accompagner dans les différentes étapes de sa

vie personnelle et professionnelle.

Mais la rotation des personnels des agences, le

rajeunissement des équipes commerciales, le

développement basé en majeure partie sur des cam-

pagnes successives d’équipement en produits et

en services bancaires, la mobilité croissante des

clients eux-mêmes, la lourdeur des programmes

internes d’informatisation en connaissance client,

sont autant de réalités que le client perçoit, qu’il

dénonce et dont il peut s’affranchir avec la banque

électronique.

La relation est en train de s’inverser : ce n’est plus la

banque toute puissante qui définit ce qui est bon et

nécessaire pour son client « captif », mais un consom-

mateur qui a des envies, des besoins, voire des projets

et qui décide quand et avec qui il souhaite en parler et

avancer.

Dans une telle situation, le banquier doit demeurer

sans contestation un « producteur d’offres à forte

valeur ajoutée perçue par le client, un créateur de

solutions financières globales, un innovateur ». Le

« tout électronique » croisé avec le « tout à distance »

n’est pas la solution. Certes, le client doit pouvoir

choisir sa manière de communiquer avec la banque,

passer de l’Internet au téléphone et à l’échange en

entretien face à face. À condition que le « tout élec-

tronique » facilite le transfert de connaissance entre les

deux parties et assure la continuité des échanges

dans les différentes étapes de la relation.

Banque au quotidien en mode tout électronique ?

Banque « projets épargne, crédits » en relation face à

face dans l’agence, même si une partie du chemin a

été faite en amont par le client en mode « autonome » ?

Cette vision segmentée est tentante... mais trop

simplificatrice.

Mythes et réalités ?

Tout ce qui a été écrit plus haut démontre que la

banque électronique est déjà une réalité et rappelle que

comme toujours en matière de distribution, c’est le

client qui aura le mot final et que les organisations qui

sauront le mieux capter ses attentes en matière de

consommation tireront des profits dans une relation

marchande équilibrée. ◗

MICHÈLE FRANZA ET DANIEL VILLATTEDirection études de marchés groupe, Crédit Agricole S.A.

L’INFORMATIQUE, INTERNET ET LA TÉLÉPHONIE

MOBILE, lieux phares de l’innovation, constituent pour

les consommateurs un univers formateur favorisant

l’apprentissage de nouvelles pratiques, l’acquisition

de nouvelles habitudes.

Ces nouveaux comportements s’étendent bien

au-delà des frontières du Web : c’est notre vie quoti-

dienne dans son ensemble qui s’en trouve affectée. Les

relations à l’argent, au commerce, à la banque sont

donc inévitablement concernées.

Le champ est si vaste qu’on ne peut prétendre à

l’exhaustivité. Nous nous proposons donc d’éclairer

quelques facettes des transformations à l’œuvre au sein

de la relation commerciale bancaire, sous l’influence

des TIC.

Le passage du back au front officeL’informatisation, dans l’univers bancaire, s’est d’abord

appliquée au back-office, dans une optique de ratio-

nalisation de type industrialiste : augmentation des

capacités de production et économies d’échelle. Les

innovations des early 90’s étaient encore davantage

guidées par des préoccupations de réduction des

coûts que par une volonté de répondre aux attentes

des consommateurs. Or le client bancaire, peu récep-

tif à ce déploiement d’une technicité qui semblait le tenir

à l’écart, en était arrivé à prendre en grippe murs d’au-

tomates et plateformes téléphoniques.

L’enjeu consistait alors à passer des principes du

monde industriel, où la performance s’apprécie en

termes de productivité, à ceux de l’univers des services,

où ce sont la valeur ajoutée et la qualité de la relation

client qui constituent la performance.

Banques et clients ont beaucoup évolué depuis ces

débuts ingrats. Avec et par les technologies. Celles-ci

ont engendré un immense mouvement d’acculturation

du grand public, dont les attentes portent aujourd’hui

la trace à tous niveaux, depuis les produits et services

jusqu’à la relation à la marque, en passant par la

question du prix et celle des canaux.

12

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Les technologies de l’information et de lacommunication (TIC) ont remanié enprofondeur nos environnements de travail, deconsommation, de sociabilité. Car plus encoreque de nouveaux outils, elles sont porteusesde nouveaux usages. Le client bancaire estdésormais multicanal, épris d’accessibilitésous toutes ses formes... et en attente designes d’humanité, contrepoids du virtuel.

Les consommateurs, les TIC et la banque

13

Ces marques qui donnent le tonLes grands annonceurs des technologies inventent

de nouvelles manières de s’adresser à leur public, de

nouveaux services périphériques, de nouveaux modes

de tarification qui deviennent les standards auxquels le

client va désormais comparer les discours et les offres

des autres secteurs. Les marques sont observées, et

jugées selon leurs pratiques en matière de stratégie

marketing, de discours publicitaire, de techniques de

vente. Le consommateur a haussé jusqu’à l’expertise

ses compétences de consommateur : il sait plus, peut

plus, veut plus.

Apple et le marketing des usages

À une époque où le monde PC rivalisait à coups de

méga-octets et de gigahertz, Apple faisait valoir sa

différence en centrant son discours non sur les per-

formances techniques mais sur les usages inno-

vants, avec un slogan qui disait, en substance :

« l’important n’est pas ce que votre ordinateur peut

faire, mais ce que vous pouvez faire avec ». C’est

aujourd’hui sur ce même positionnement que

triomphe l’iPhone. Doté de l’interface intuitive et

ludique propre à la marque, il est devenu, avec sa

simplicité et sa richesse d’usage, la référence en

téléphonie mobile.

L’environnement Mac constitue ainsi un « pattern »

qui a remodelé les comportements et attentes des

consommateurs dans le sens d’une plus grande flui-

dité, simplicité, souplesse, légèreté, ergonomie.

eBay ou le nouveau regard sur

la transaction commerciale

Les pratiques de ventes aux enchères à grande échelle

initiées par eBay ont, quant à elles, induit un change-

ment de la perception de l’acte commercial. Tour à tour

vendeur et acheteur, le consommateur relit la situation

à la lumière de cette double position.

Il envisage désormais la transaction comme un travail

qui se fait à deux. Il a besoin que les deux parties y

trouvent leur compte, afin que soit assurée la pérennité

du système. Il y gagne l’intuition d’une relation

d’échange équilibrée, marquée de co-responsabilité,

qu’il va ensuite chercher à retouver dans d’autres

situations de sa vie de client ou de citoyen.

Au-delà d’eBay, c’est l’ensemble des pratiques com-

merciales sur Internet qui participent à ces change-

ments. Le consommateur prend un certain plaisir à

court-circuiter les réseaux et marques classiques, pour

accéder à ce qu’il estime être un plus juste prix des

choses. Négocier, commercer, lui procurent le senti-

ment, non dénué de fierté, d’être l’un des acteurs de

ce monde en mutation et de contribuer à la création de

ses règles du jeu.

Et si les outils du Web 2.0 ne sont pas encore aussi

familiers au grand nombre, ils travaillent cependant

dans le même sens, et forgent pour les années à venir

un client beaucoup plus actif, participatif, autonome.

De la banque à accès multiplesà la relation bancaire multimédia

Un maître-mot : accessibilité

L’accessibilité est la notion clé héritée des technologies.

Les immenses progrès accomplis dans ce sens par la

micro-informatique ont permis de l’appréhender, de

l’identifier, de l’isoler, au sens où l’on isole une sub-

stance, une nouvelle molécule. Et la complexification

de la vie urbaine, dans ses structures et sa tempora-

lité, rend cette notion désirable, crée l’appel d’air. La

demande d’accessibilité se fait ainsi sentir à tous les

niveaux de la relation commerciale bancaire, qu’il

s’agisse d’accessibilité...

• physique : heures d’ouverture de l’agence, possibi-

lités de parking ;

• à distance : téléphone, e-messagerie, sites

Internet ;

• technique : ergonomie, facilité d’emploi, « user-

friendliness » ;

• intellectuelle : clarté des explications, des documents ;

• pécuniaire : aspect « abordable » des coûts des

services, des taux ;

• ou encore relationnelle : attitude d’écoute du

conseiller, disponibilité.

Tout client est multicanal

Pour le client, il est devenu impensable que la banque

ne mette pas à sa disposition ces outils qui lui sont

devenus familiers, quotidiens. La question stratégique

de savoir quel canal offrir à quel profil a perdu de son �

L e s c o n s o m m a t e u r s , l e s T I C e t l a b a n q u eM I C H È L E F R A N Z A E T D A N I E L V I L L A T T E

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

acuité. Tout client est « multicanal », au moins poten-

tiellement. La question est plutôt de parvenir à orches-

trer et à harmoniser entre eux ces canaux, afin que

chaque client puisse choisir celui qui convient le mieux

à sa situation du moment, selon l’heure, le lieu, la

circonstance, le besoin.

Les clients utilisateurs des services de banque en ligne

se recrutent dans toutes les tranches d’âge et à tous

les niveaux de revenus, même si on les trouve, sans

surprise, légèrement plus nombreux parmi les popu-

lations aisées et chez les jeunes.

On a pu craindre un temps que l’usage d’Internet

n’éloigne ces clients de leur agence bancaire. Il n’en est

rien : leurs rythmes de fréquentation de l’agence res-

tent très proches de ceux que l’on constate chez les

non-utilisateurs. Ils sont en effet 4 sur 10 à rendre

visite à leur agence au moins une fois par mois, contre

5 sur 10 chez ces derniers1.

Ceci n’a rien de paradoxal. C’est en effet l’un des corol-

laires de l’inflation du virtuel que de susciter un besoin

de matérialité compensatrice (c’est d’ailleurs ce besoin

qui a fait nommer bureau, fenêtre, dossier ou corbeille

les principaux éléments de l’interface informatique). Les

performances des technologies procurent à l’utilisateur

une impression de puissance et de facilité. Mais au

moindre grain de sable dans leurs rouages, elles laissent

la place à un sentiment d’isolement et de totale impuis-

sance. D’où l’importance, pratique et psychologique, de

tous les signes concrets et humains venant de l’orga-

nisme auquel on confie son argent. Cela commence,

bien sûr, par l’agence et le conseiller. Mais les pages

Internet devront elles aussi en porter la trace.

La valeur de l’agence

L’agence a ainsi une double valeur, d’usage et de

sens. Elle est avant tout, par sa matérialité et sa per-

manence, un lieu symbolique fort, qui apporte un

ancrage dans l’espace et dans le temps à cet espace

virtuel « où habite mon argent ». Cette fonction sym-

bolique de l’agence justifierait à elle seule son existence.

Mais elle a d’autres raisons d’être, au croisement du

symbolique et du pratique. Si l’on effectue volontiers sur

Internet ses opérations de banque au quotidien ou la

gestion courante de ses titres, c’est malgré tout à

l’agence que l’on préfère se rendre pour signer un

contrat, le « noir sur blanc » du document officiel ayant

gardé toute sa valeur probatoire. C’est aussi à l’agence

que l’on va chercher un conseil lorsque l’information ne

suffit pas pour fonder une opinion, prendre une déci-

sion, et que l’on a besoin d’une écoute active.

C’est dire que le conseiller est vraiment attendu, aujour-

d’hui, dans son rôle de... conseiller : au-delà de la

transaction, de l’information, de la vente, le client lui

demande de l’accompagner dans les décisions rela-

tives à la gestion de son argent et d’en faciliter la mise

en œuvre. La tâche est ardue face à ce consommateur

évolué, informé, outillé, exigeant : le conseiller doit, lui

aussi, être multicanal ! C’est donc bien sur la capacité

de l’enseigne à organiser ce fonctionnement multi-

média que reposera la valeur d’usage offerte au client.

Nouvelles technologies et innovationSi les consommateurs s’attendent à bénéficier de

l’avancée des TIC dans le cadre de leur relation com-

merciale avec la banque, en ligne ou en agence, il y a

des limites à ce qui leur paraît légitime et recevable de

la part d’une banque. La crise n’a fait qu’exacerber

l’hostilité du public à toutes les formes de gadgétisa-

tion, les offres qui s’écartent du champ bancaire étant

souvent perçues comme une dispersion de l’énergie et

de l’attention dues aux clients.

De ce point de vue, TIC et banques ne sont pas égales

devant l’innovation. Du côté de la micro-informatique, de

la téléphonie mobile ou de l’image et son, l’appétit des

consommateurs reste vif pour les nouveaux objets,

parce qu’il y a en ce domaine de vraies innovations pro-

duits, et que celles-ci prennent des formes visuelles et

tactiles très attrayantes. De plus, ces innovations peuvent

garantir à leur producteur une longueur d’avance, du

moins pendant un certain temps. Il n’en est pas de

même dans le secteur bancaire, où l’offre est abstraite,

souvent aride et « copiable » presque instantanément. Les

deux secteurs vivent en effet sur des temporalités diffé-

rentes. Ainsi, dans les TIC, où les consommateurs se

1. Source : Moyenne des études de satisfaction réalisées en 2009 par Crédit Agricole S.A. pour des Caisses régionales de Crédit Agricole.

15

ruent sur la nouveauté, trois mois peuvent assurer une

avance précieuse, alors que, sauf exception, le dernier

modèle de convention de compte ou de plan d’épargne

ne suscitera pas le même rush. L’innovation attendue de

la part de la banque – le grand changement – concerne

moins les produits que ce qui entoure les produits : les

modalités d’accès aux produits (canaux, information,

conseil) et, au-delà, la relation du client à l’enseigne.

Un exemple : l’offre bancaire

sur téléphone mobile

Ces nouveaux services sont bien acceptés s’ils appor-

tent une réelle nouveauté en termes de valeur d’usage.

C’est ainsi que sont valorisés ceux qui...

• permettent une réactivité forte face à des événements

personnels de la vie courante, et augmentent le poten-

tiel d’action de leurs utilisateurs : ils sont alors vus

comme de vraies inventions ;

• garantissent un accès simple et sécurisé ;

• semblent avoir été pensés d’abord dans l’intérêt du

client.

L’attractivité de ces services n’implique pas pour

autant spontanément le principe d’un coût, dans la

mesure où :

• ils sont vus globalement comme une remise à niveau

nécessaire de la qualité de l’offre de services

bancaires ;

• la dématérialisation des services est perçue comme

une source d’économie pour la banque (ça se fait

tout seul, sans intervention humaine) ;

• la logique économique du téléphone mobile, fondée

sur les principes de forfaits et d’illimité, alimente l’attente

de gratuité.

En résumé, dans ce domaine, la seule offre qui puisse

justifier un coût est celle qui propose une solution là où

il n’en existait pas.

Mais la gratuité, il faut le rappeler, n’est pas toujours

attendue par les consommateurs pour ce qui concerne

les services bancaires. Un coût, modique s’entend, a

toujours cet effet de confirmation d’une valeur, à condi-

tion que celle-ci lui soit reconnue à l’usage.

Une offre tarifaire diversifiée

Ce qui est attendu d’un système de tarification des

services bancaires, c’est qu’il soit, sur le plan des

montants comme sur celui des modalités, un juste

reflet de la consommation.

Échaudé par les packages « fourre-tout » des années

quatre-vingts, parfois égaré par les offres des opéra-

teurs téléphoniques de la dernière décennie, le

consommateur fait trois vœux :

• Disposer d’une offre flexible et évolutive adaptée à ses

besoins.

• Ne payer que ce qu’il consomme.

• Maîtriser les coûts prévisionnels liés à sa consom-

mation.

La télévision avait donné naissance au concept de

« bouquet ». Les consommateurs en ont gardé un

intérêt pour les packages thématiques, qui, sur une

offre trop vaste, opèrent un « pré-choix » conforme à

leurs besoins.

Les TIC sont allées plus loin, en mettant à leur dispo-

sition tout un éventail de modalités de tarification à

l’acte, à l’abonnement, au package, au temps passé...

Les consommateurs apprécient cette variété, qui, tout

en évitant habilement la confrontation entre payant et

non-payant, leur offre une large possibilité de choix et

suggère l’adaptabilité.

Who’s afraid of the World Wide Web ?

Lors des transactions sur Internet, la peur est tou-

jours plus ou moins présente. Elle est là chez les

novices qui s’aventurent dans la jungle du Net, elle s’at-

ténue avec un peu de pratique, et elle revient en force

chez les plus experts, liée à la prise de conscience de

la complexité des échanges de flux financiers. Comme

l’explique l’un d’eux : « Plus j’ai peur, plus je m’informe,

et plus je m’informe, plus j’ai peur ! ». Il s’agit là de la

crainte d’exposer des données personnelles, en

particulier bancaires, aux risques de piratage.

Mais les transactions sur Internet charrient bien d’autres

inquiétudes. Un processus d’achat sur Internet

suppose un investissement en temps, en énergie, en

stress, dont on n’évaluera le retour qu’au terme de la

transaction. Lors d’un achat en magasin, la situation est

différente. Le consommateur peut garder le contrôle

des opérations tout au long de leur déroulement. Il peut

s’assurer corporellement, par un ou plusieurs sens, que

le magasin inspire confiance, que le vendeur a l’air hon-

nête et compétent, que la matière est de belle qualité, �

L e s c o n s o m m a t e u r s , l e s T I C e t l a b a n q u eM I C H È L E F R A N Z A E T D A N I E L V I L L A T T E

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

que le fauteuil est confortable, le vêtement seyant...

Il peut, à chaque étape, interrompre le processus s’il

n’est pas entièrement convaincu.

Un achat sur Internet ne permet pas d’évacuer ainsi la

charge d’angoisse par petites doses. Celle-ci, au

contraire, s’accumule au fil des questions qui se posent

aux différentes étapes : vais-je trouver le bon pro-

duit ? Arrivera-t-il en bon état ? Arrivera-t-il, tout sim-

plement ? Sera-t-il conforme à mes attentes ? Ai-je fait

le bon choix ? Ce n’est qu’en fin de parcours, si tout

va bien, que la tension peut se relâcher.

Ces inquiétudes, le consommateur les endigue en

recherchant des signes de réassurance, tels que les

avis des autres consommateurs, la réputation d’un

site, le nombre d’étoiles, la présence d’un label de

sécurité, voire le soin apporté à l’annonce (qualité des

photos, précision du descriptif, niveau de langage)

qui témoignent de l’implication du vendeur.

Il leur oppose également la confiance qu’il existe un

recours qui va minimiser les risques et, du coup,

contenir l’angoisse. D’où son attente d’une panoplie

d’assurances et de garanties capables de le protéger

des aléas, des indélicatesses, et même de ses propres

erreurs, voire de ses caprices.

Une nouvelle race de consommateursà l’horizonOn entend beaucoup parler, dans les coulisses de la

sociologie et du marketing, de la « Génération Y », et

il n’est pas possible de parler d’évolution de la consom-

mation et de nouvelles technologies sans en dire

quelques mots.

La « Gen Y » : qui sont-ils ?

Il s’agit de ces jeunes hyper branchés, au sens propre,

c’est-à-dire vivant à longueur de journée avec un

terminal au bout des doigts (smartphone, « laptop »,

iPod, voire simple téléphone mobile ou console de

jeux vidéo), et qu’on appelle également « digital

natives » (traduction : ils sont tombés dedans quand ils

étaient petits).

La délimitation dans le temps de cette génération est

sujette à controverses, mais on peut dire qu’elle touche,

en gros, les 15-25 ans. Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse

ou non d’un fonctionnement de cohorte importe peu

finalement. L’important est d’avoir identifié une nouvelle

logique, qui infiltre tous les secteurs de la vie en société,

et de recueillir quelques clés pour en comprendre la

cohérence.

Ils sont décrits comme fondamentalement « multi-

tâches », surfant sur Internet tout en parlant au téléphone

ou en lisant leurs textos, moins « accro » à la télévision

que leurs aînés, accordant davantage de temps à leurs

activités privées, pilotant leur vie depuis leur mobile, et

partageant très libéralement leurs infos, via les réseaux

sociaux notamment (cf. liens en bas de page).

La victoire du bouche à oreille ?

Leurs comportements de consommateurs et leurs

attentes sont dessinés à traits fermes par les bloggeurs

qui s’intéressent à eux : des comportements où l’on

voit se préciser et s’accuser certaines tendances déjà

à l’œuvre. Un bref aperçu de leur rapport à la com-

munication et au discours des marques en fournira ici

une illustration :

« They don’t care about your ad, they care what their

friends think » (Ils n’ont rien à faire de votre pub, ce qui

compte, c’est ce que pensent leurs amis).

«Parce qu’il sont en immersion constante dans les

médias, que ce soit en ligne ou hors ligne, la généra-

tion Y est cernée par le marketing, mais quand ils ont

une décision à prendre, ils se retournent vers leurs

amis. La génération Y a tendance à se reposer sur son

réseau social et ses recommandations bien plus que

sur le marketing et la publicité. »

[...] « Le partage est synonyme de pouvoir au sein de

cette génération, quoi que ce soit que l’on partage :

connaissance, liens, compétences ou musique, au

sein d’un cadre privé ou professionnel. Le pouvoir

s’acquiert par le partage, là où le fait de posséder

sans partager était lié au pouvoir pour les anciennes

générations, qui ont vécu dans une économie de la

17

rareté et ne comprennent pas cette économie de

l’abondance propre au numérique. »2

Si l’on en croit ces constats prophétiques, l’image de

l’enseigne tendra donc de plus en plus à s’émanciper

de « l’image corporate » construite par elle, pour être,

plus que jamais, fondée sur les expériences concrètes

des consommateurs, co-construite et diffusée par eux.

Pour conclure :trois concepts de premier planAccessibilité, choix, personnalisation : trois concepts

en phase avec le grand processus d’individualisation

observé par les sociologues. Trois concepts qui ont

creusé leur lit dans l’abondance et la fluidité des TIC :

• Où je veux, quand je veux, comme je veux (et

comme je peux). L’accessibilité, c’est cette proximité

ponctuelle choisie. Une mise à disposition sans

pesanteur.

• C’est moi qui décide. Le choix, certes, mais un

choix accompagné, balisé, dans le dédale d’une offre

aussi diversifiée qu’abondante. D’où l’importance

grandissante du conseil, mais aussi des outils de

comparaison et de simulation, ainsi que du partage

d’expérience.

• C’est moi qui l’ai fait. On adapte, on décore, on

customise... son interface graphique, sa page Yahoo !,

son compte eBay, son iPod, etc. : une liste où « sa

carte bancaire » ne ferait pas figure d’intrus.

Une opportunité pour la banque de faire évoluer son

rapport à sa clientèle. ◗

L e s c o n s o m m a t e u r s , l e s T I C e t l a b a n q u eM I C H È L E F R A N Z A E T D A N I E L V I L L A T T E

2. Sarah Perez, dans ReadWriteWeb du 15 mai 2008 ; traduction et extrapolations de Fabrice Epelboin, dans ReadWriteWeb France du 8 septembre 2009.L’article : http://fr.readwriteweb.com/2009/09/08/analyse/generation-y/La controverse : http://www.chroniquesduweb.com/2009/09/17/la-generation-y-est-elle-si-connectee/

Sources : études réalisées en 2008 et 2009 pour Crédit Agricole S.A.

par les cabinets H2O, Initial, Innovacorp, Ipsos, Synovate, TNS Sofres

ALEXIS PETITJEANAnalyse stratégique groupeCrédit Agricole S.A.

Insuffler la confianceenvers les nouveaux servicesDEPUIS QUELQUES ANNÉES, l’approche consu-

mériste se focalise sur les « coûts de sortie », c’est-à-

dire les difficultés, y compris de nature psychologique,

que rencontre un consommateur pour changer de

fournisseurs de biens ou de services. La Commission

européenne, au nom de la recherche d’une concur-

rence parfaite, regarde d’ailleurs avec suspicion tous

les secteurs économiques où la relation avec le client

dure trop longtemps. Même si cette vision est extrê-

mement partielle, voire partiale, la banque de détail

entre pour elle dans cette catégorie.

Les nouvelles technologies et les nouveaux services

ont cette particularité qu’ils inversent le paradigme : on

ne sort pas d’un nouveau service puisqu’il n’existait

auparavant, on ne peut qu’y entrer. Or, dans ce cas,

l’analyse consumériste a tendance à assimiler

« le coût d’entrée » au seul prix payé par le consom-

mateur pour accéder à ce produit ou service. Pourtant,

lorsqu’un client choisit la nouveauté, il accepte de

surmonter un certain nombre de difficultés autres que

monétaires. Ce qui le fera passer à l’acte, c’est non

seulement la confiance qu’il aura dans l’adéquation de

ce nouveau produit avec ses besoins et dans les

avantages qu’il en tirera par rapport à l’inaction, mais

aussi la confiance qu’il accordera à l’institution qui le

lui propose.

Dans le domaine de la banque de détail, cette

confiance est loin de naître ex nihilo. Pour le client

des services bancaires – et même si nombreux sont les

banquiers qui en rêvent – l’achat « coup de cœur » d’un

produit bancaire n’existe pas. De la même façon, pour

les établissements bancaires, l’activité ne se prête pas

davantage au lancement « minute » de nouveaux pro-

duits ou services. Avant sa mise en marché, chacun

d’entre eux est mesuré, pesé, évalué à l’aune de la réa-

lité du marché lui-même, de sa réglementation et,

pour utiliser une expression d’actualité, de sa « sou-

tenabilité ». Car dans le retail, pour que le client adhère

18

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Dans le domaine de la banque de détail,la confiance du client face aux nouveautés,qu’elles soient technologiques oucommerciales, repose à la fois sur sonappréciation de l’adéquation de l’offrenouvelle avec ses propres besoins et surla confiance qu’il accorde à l’établissementqui la lui propose. Cette confiance dansle produit s’inscrit toujours dans la durée.

19

à l’innovation, il ne s’agit pas seulement d’insuffler la

confiance, il faut aussi l’inscrire dans la durée. Au

risque de voir les autorités s’étonner de la longévité de

la relation banque-client, le souci permanent de cette

double démarche, y compris dans l’innovation, est

une caractéristique de la relation bancaire et le gage de

la satisfaction de la clientèle et de sa fidélité.

Privilégier la sécurité etla simplicité dans l’innovationLa relation banque-client est une relation commerciale

très particulière. L’argent, qui en est le ciment, est

une « matière première » multidimensionnelle. C’est

particulièrement vrai en France où il véhicule, à travers

l’histoire politique et sociale de notre nation, une dimen-

sion émotionnelle forte. L’innovation technologique ou

commerciale dans le domaine de la banque de détail

doit nécessairement en tenir compte. En la matière, le

leitmotiv s’apparente à l’adage de l’essayiste américain

Oliver Wendell Holmes : « Ne mettez pas votre

confiance dans l’argent mais mettez votre argent en

confiance ». Mettre son argent en confiance, c’est

avant tout s’assurer que les conditions sont réunies

pour bénéficier à la fois d’un environnement propice

mais aussi de la compétence et la solidité de l’institu-

tion à qui on le confie.

Un peu à l’image du comportement des Français face

à la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1),

le client du secteur bancaire est rarement un cobaye

enthousiaste.

Certes, il est sensible aux tendances sociétales mais

il adhérera d’autant plus facilement à une nouvelle

technologie ou un nouveau service qu’il sera convaincu

que l’état de l’art en la matière a été suffisamment

éprouvé pour offrir le maximum de garanties.

Si l’on se penche, par exemple, sur le développe-

ment de la carte bancaire à la fin des années 1980 ou

de la banque en ligne à la fin des années 1990, on

peut constater qu’il n’y a pas eu de ruée massive et

immédiate sur ces nouveaux produits. Pourtant, les

banques françaises n’ont rien d’apprentis sorciers et,

dans un passé récent, aucune d’elles n’a jamais lancé

sur le marché la moindre innovation sans l’avoir tes-

tée et fait valider par les clients eux-mêmes, et, pour

la plupart, par leurs autorités de tutelles et de contrôle

interne et externe. Quand il y a vingt ans, les banques

françaises choisirent de développer la carte à puce,

système qui est encore aujourd’hui parmi les plus

sécurisés au monde, elles réagirent exactement en

adéquation avec ce que leurs clients attendaient pour

adopter la technologie. Pour autant, ces gages de

sécurité ne suffisent pas pour que la greffe prenne,

même s’ils en constituent un élément essentiel. En fait,

s’il n’y a pas de ruée massive de la clientèle face à une

innovation technologique bancaire, il y a dans la plu-

part des cas une montée en puissance progressive et

régulière de l’adhésion à l’innovation. Source de coûts

à l’origine, c’est sur ce schéma que les banques fran-

çaises peuvent inscrire toutefois leur business model

en matière d’innovation technologique. En outre, dans

un pays comme la France où 99 % de la population

est bancarisé, la rentabilité d’une innovation, gage

de sa qualité, dépend en grande partie de son indus-

trialisation. En conséquence, l’offre doit être accessible

au plus grand nombre tant en termes de prix que de

simplicité d’utilisation.

En matière de banque en ligne, les établissements

français ont également fait évoluer leurs services au fur

et à mesure que s’installait la confiance des consom-

mateurs dans cette offre nouvelle. Vécu surtout au

départ comme une source d’information, Internet s’im-

pose désormais comme un canal à part entière de la

relation banque-client. Un nombre significatif d’utili-

sateurs de ce canal ont dépassé le stade de

l’apprentissage et s’attendent à y trouver les mêmes

services qu’en agence, y compris en terme de sécurité

des opérations. Les banques y ont répondu en mettant

en place des moyens d’authentification performants,

comme la signature électronique.

En matière de produits commerciaux innovants, le

comportement prudent des clients est relativement

similaire, y compris lorsque les innovations sont encou-

ragées par les pouvoirs publics. On l’a vu par exemple

avec les produits d’épargne retraite issus des lois

Fillon. On le constate également sur des innovations

commerciales comme la Garantie des accidents de la

vie, la GAV, lancée par les assureurs il y a moins de dix

ans. La montée en puissance a été progressive mais

elle est solide et personne n’imaginerait aujourd’hui son

retrait du marché. �

I n s u f f l e r l a c o n f i a n c e e n v e r s l e s n o u v e a u x s e r v i c e sA L E X I S P E T I T J E A N

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

L’importance de l’environnementréglementaireQuant à la réglementation, elle constitue un élément clef

de la confiance mais n’en est pas la pierre angulaire. Le

consommateur français a cette particularité de vouloir

être protégé par la loi – et le droit français est bien l’un

des plus protecteurs d’Europe – mais il se méfie presque

davantage de celui qui le protège que de celui contre qui

il souhaite être protégé. Ce particularisme est décrit

notamment dans l’ouvrage d’Y. Algan et P. Cahuc, « La

société de défiance » (Éd. Rue d’Ulm). Il se traduit par

une tendance forte à se tourner vers l’État pour plus de

réglementation et de protection mais la conséquence en

est une défiance croissante à l’égard des institutions qui,

malgré la multiplication de leurs interventions, laissent

toujours le monde dans l’imperfection. Et la multitude de

textes et de normes régissant les activités bancaires ne

fait rien pour arranger les choses, y compris face au

développement des innovations technologiques. La

plupart d’entre eux sont, bien sûr, indispensables. Cer-

tains en revanche sont fortement imprégnés d’une

dimension politique qui ne contribue pas nécessairement

à la clarté du service. On peut penser, par exemple, à

l’automatisation du solde bancaire insaisissable.

Avec un client à la fois prudent face à l’innovation et

souvent sceptique sur la réalité de sa protection (pour-

tant l’une des plus étendues d’Europe), comment les

banques françaises peuvent-elles alors figurer en tête

des palmarès mondiaux en matière d’innovation dans

les produits financiers? Sans doute parce qu’elles ont

choisi de répondre à la recommandation d’O. Wendell

Holmes : « mettez votre argent en confiance ».

La confiance à l’épreuve del’insuffisante éducation financièreLa France souffre – et notre pays est loin d’être le

seul – d’un déficit chronique en matière d’éducation

financière et économique. Les banques n’en sont pas

responsables mais il en résulte, dans la relation banque-

client, une dépendance relative du client vis-à-vis de sa

banque. C’est ce que l’on qualifie aujourd’hui

d’asymétrie d’information entre le professionnel et le

client. Pour en atténuer les effets, le législateur, qu’il soit

national ou européen, multiplie les informations obli-

gatoires à destination du client (que bien souvent il ne

comprend pas faute d’éducation adaptée) et/ou ren-

force le contrôle et les sanctions sur les établisse-

ments bancaires pour les décourager d’abuser de

cette asymétrie. La crise financière a accéléré cette der-

nière tendance. Plutôt que d’en expliquer la réalité

complexe, on a accusé les banques d’à peu près

tous les maux, y compris les banques françaises dont

la bonne résistance témoignait pourtant d’une gestion

beaucoup moins risquée que la plupart de leurs

consoeurs.

Avec une telle attitude qui encourage la suspicion à

l’égard de l’institution bancaire, il est pourtant très

encourageant de constater que les enquêtes d’opinion

menées auprès des clientèles des différentes banques

françaises confirment qu’elles maintiennent de façon

très largement majoritaire leur confiance dans leur

banque. Compte tenu des spécificités nationales évo-

quées plus haut, et notamment l’ambivalence entre-

tenue à l’égard de l’argent, l’image de la banque en

général n’a jamais été excellente et a encore été for-

tement écornée par la crise. Comment expliquer alors

cette résistance ? Le « darwinisme » bancaire y est

sans doute pour quelque chose. Les sept ou huit éta-

blissements qui assurent aujourd’hui plus de 80 %

des services de banques de détail en France ont des

racines plus que centenaires. Cette longévité a permis

d’inscrire dans leur gène non seulement leur capacité

d’adaptation et de service mais aussi le sens des res-

ponsabilités à l’égard de leurs clientèles. La notoriété

de ces établissements et de leurs marques contribue

fortement au capital « confiance » dont elles bénéficient

auprès de leurs clients.

Parmi eux, rares sont ceux qui ont entendu parler de

la Directive MIF ou qui savent que le règlement

CRBF 97-02 demande aux banques de se couvrir

également contre les risques opérationnels ou les

risques de non-conformité. Mais par expérience,

même s’ils n’en connaissent pas le processus, ils

savent que leur banque n’a aucun intérêt à les flouer,

les surendetter ou les exposer à des expériences

technologiques douteuses. Et par intuition, ils

perçoivent que leurs exigences morales et

professionnelles à l’égard du secteur bancaire sont

un stimulant pour innover et améliorer en perma-

nence les services proposés.

21

La trop grande discrétion des banquessur leurs efforts de rechercheÀ l’égard de l’innovation, l’approche pragmatique et

prudente de la clientèle qui veut que le produit comme

l’établissement qui le propose aient fait leurs preuves,

a nécessairement un impact sur le marché. Au

moment de la bulle Internet ont fleuri les offres de

banque et de courtage en ligne. Mais, comme le

souligne le CECEI, autorité de tutelle des banques,

dans son rapport 2008, « Ces établissements nova-

teurs se sont peu développés et, depuis 2002, on

assiste à un mouvement de repli de ce type de struc-

tures ». On l’a vu, l’innovation bancaire a un coût et

ce coût s’amortit dans la durée. Tout nouvel entrant

doit donc assumer à ses débuts non seulement les

exigences financières prudentielles indispensables à

sa présence sur le marché, mais aussi les pertes de

fonctionnement jusqu’à l’atteinte d’un seuil d’adhésion

(de conquête) suffisant pour le rendre rentable. Dans

ces conditions, on comprend que si le rôle de la

concurrence est très important dans l’organisation du

marché, fondamentalement celui-ci s’organise surtout

en fonction du comportement et des attentes de la

clientèle.

En bout de chaîne, le client ne perçoit pas nécessai-

rement l’extraordinaire travail accompli par les équipes

internes de recherche. Elles constituent de véritables

laboratoires, que ce soit dans le domaine commercial

ou technologique. Les produits bancaires ne bénéficiant

pas du « copyright », tout ce travail est en général gardé

précieusement à l’abri des regards de la concurrence.

Le process mériterait peut-être d’être porté à la

connaissance du public afin qu’il réalise à quel point il

est indéniablement au cœur de la relation bancaire. En

matière d’innovation technologique, certains établis-

sements commencent à mesurer l’enjeu d’une

meilleure visibilité donnée aux travaux de leurs labo-

ratoires. Ainsi, la presse économique évoquait récem-

ment le projet de « technolab » du Crédit Agricole qui

fonctionnerait comme une vitrine expérimentale,

notamment dans le domaine de l’application des

nouvelles technologies de l’information aux services

bancaires.

Placer le client au cœurdu dispositif d’innovationDans son rapport annuel pour 2008, le CECEI rappelle

également que « le système bancaire et financier

français connaît depuis la deuxième partie des années

quatre-vingt-dix une restructuration continue (...).

Composé d’établissements expérimentés, dans les

activités traditionnelles comme dans les produits les

plus sophistiqués, le secteur bancaire français exerce

des activités aussi bien en France qu’à l’étranger. Ces

acteurs opèrent sur un marché de plus en plus ouvert

et concurrentiel, où le phénomène des concentrations

au plan européen est loin d’être achevé ».

A en croire de nombreux observateurs, la crise finan-

cière devrait encore accélérer ce mouvement de

concentration. Il n’est évidemment pas question de faire

le lien entre la fragilisation de certaines banques euro-

péennes – voire de systèmes bancaires nationaux – et

l’idée que ces établissements auraient quelque peu

perdu de vue les attentes réelles de leurs clientèles. Le

monde bancaire est plus complexe que ça. Pourtant

aujourd’hui, les banques qui ont su préserver la

confiance de leurs clients en les maintenant au cœur

de leurs préoccupations, savent le rôle que cette

confiance a joué pour les aider à traverser la crise. Plus

que jamais, elle constitue l’une des valeurs clefs de leur

fonds de commerce et contribue à leur solidité. Pas

étonnant que dans un monde où l’information circule

dès la survenance du moindre événement, les banques

accordent à leurs risques d’image et de réputation

une attention toute particulière. Pour le client, la « par-

tie émergée de l’iceberg » est souvent le conseiller et,

en cas de difficultés, les services « qualité et relations

clientèle » et parfois le médiateur. Mais il ne faut pas

oublier qu’en amont, les fonctions liées au contrôle (ins-

pection, audit, risque, conformité, déontologie...) repré-

sentent désormais une part significative des effectifs.

Pour la banque de détail française, insuffler auprès

de sa clientèle la confiance dans les nouveaux produits

et services, ne serait-ce pas finalement lui apporter la

garantie que d’un bout à l’autre de la chaîne de

l’innovation, la prise en compte de ses besoins et de

ses intérêts sont restés le fil conducteur de la

démarche ? ◗

I n s u f f l e r l a c o n f i a n c e e n v e r s l e s n o u v e a u x s e r v i c e sA L E X I S P E T I T J E A N

CHRISTIAN TALGORNPrésident de la Caisse régionale de Crédit agricole mutueldu Morbihan

Innovations technologiqueset mutualismeLA PROFONDE ÉVOLUTION DES TECHNOLOGIES

d’information et de communication ces deux dernières

décennies a fortement impacté la sphère professionnelle

et privée, modifiant de manière irréversible les com-

portements. L’avènement du Web 1.0 dans les

années 90 avait déjà changé le paysage. C’était le web

des données, des connaissances, constituant une

véritable bibliothèque universelle. L’apparition du Web

2.0 au début de ce XXIe siècle modifie à nouveau et de

manière forte la donne. Le monde du Web 2.0 est celui

des personnes et des échanges, créant un véritable lieu

de vie caractérisé par le partage. Il densifie et intensifie

le lien social en mettant en présence, à tout moment et

sans véritable distinction ni des rôles, ni des fonctions,

une tribune et un auditoire, encore plus nettement

affirmé aujourd’hui par le recours à la visioconférence.

La recherche extrêmement prolifique menée en ce

domaine laisse présager de nouvelles avancées.

Ce passage d’un web statique à un web dynamique,

de l’usager consommateur à l’usager acteur, du web

des « biens » à celui des « liens » s’est accompagné

d’une autre évolution plus matérielle : celle des moyens

d’accès. Si l’ordinateur a pu constituer l’instrument pri-

vilégié dans l’usage du web, il est maintenant fortement

concurrencé par des moyens « miniaturisés » qui en

facilitent l’usage de manière permanente, tels l’iphone,

le téléphone portable, les tablettes... La démocratisa-

tion de ces moyens d’accès permet d’élargir de

manière considérable le champ des personnes pouvant

les utiliser. Ces multiterminaux par les commodités

offertes permettent de communiquer en tout temps et

en tout lieu sur la planète entière, de manière ultra

rapide. En outre, hormis le cas de services particuliers

et l’achat des éléments matériels, l’usage est le plus

souvent marqué par la gratuité.

L’impact de ces technologies se fait sentir autant au

niveau local qu’au niveau mondial. Cette « glocalisa-

tion » du phénomène offre de riches perspectives dans

22

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

En donnant à chaque consommateur, àchaque sociétaire la possibilité de participeraux débats, d’apporter une contribution et dedevenir ainsi acteur, la deuxième générationdu web enrichit considérablement la vie dumutualisme. Nous sommes pour un usagesans limite de ces technologies quipermettent de toucher toutes les populations,dont les jeunes, et tous les territoires.

23

l’extension des relations humaines, proposant ainsi

des moyens de diffusion à toutes les cultures, à toutes

les nations, pouvant même résister mieux que d’autres

à la censure politique.

Des craintes se sont manifestées de manière protéi-

forme à la vue de ces nouvelles possibilités de

communication : distanciation de la relation personnelle

physique et donc son affaiblissement, triomphe du

virtuel et de la dématérialisation sur le réel, superficialité

des rapports plutôt qu’approfondissement, abandon de

la dimension territoriale au profit de repères incertains...

Au regard de ces craintes, la réflexion mérite d’être

menée sur les implications de ces technologies de

communication sur le mutualisme.

Sans entrer dans l’examen des valeurs qui lui sont

rattachées – solidarité, proximité et responsabilité,

elles-mêmes « complétées » par des principes qui

guideront l’action tels l’utilité des actes et des

comportements, la présence physique et relationnelle,

la confiance réciproque –, le mutualisme se décline

notamment à travers la relation de proximité avec un fort

ancrage territorial et sa dimension humaniste, les deux

s’imbriquant étroitement. La réalité territoriale doit être

appréhendée sous toutes ses formes – économique,

sociale, culturelle, vie citoyenne... – au profit des

femmes et des hommes qui vivent sur ce territoire.

Concernant le secteur bancaire, il est évident que

l’usage des nouvelles technologies est une nécessité

impérieuse. Il est vital de développer la banque dans

tous ses métiers au vu des opportunités offertes par

ces technologies. Mais il faut aussi que la banque

mutualiste en fasse un usage pour y développer non

seulement l’approche philosophique et juridique

du mutualisme, mais également en faisant état de ses

opérations et réalisations. En d’autres termes, si la

banque mutualiste dans un passé récent vivait son

mutualisme de manière très rituelle – relations tradi-

tionnelles lors des rencontres organisées ou assem-

blées de caisses locales ou régionales, communication

par le support papier – le nouveau paysage de la com-

munication offre des capacités de développement du

mutualisme. Cela nous paraît d’autant plus pertinent

qu’assez souvent le manque de communication et

donc de médiatisation du mutualisme, de ses valeurs

et – encore plus – de ses concrétisations, est dénoncé.

Incontestablement, la vision traditionnelle de la proxi-

mité territorialisée s’en trouve remodelée dans une

photographie qui désormais fait appel à un grand

angle. En outre, internet offre la possibilité de mettre en

place un mutualisme dynamique qui nous amènera à

souligner l’apport de ces nouvelles technologies à la

fois sur l’organisation bâtie sur ce fondement et la

facilitation de la réalisation des valeurs.

La proximité renforcéeLa relation physique s’atténuant par les nouvelles

formes de communication, ne va-t-on pas assister à

l’effritement de l’approche territoriale et voir de cette

manière s’effacer la relation de proximité ? Nous faisons

nôtre la réflexion de Jean Philippe, Directeur général de

la Caisse régionale du Crédit agricole de Pyrénées

Gascogne, quand il affirme sur son blog : « Puisque

l’association entre finances et territoire crée de la

valeur durable dans la relation physique, que c’est sur

ce modèle que les mutualistes ont bâti leur réussite,

pourquoi ne serait-ce pas vrai aussi avec Internet ? Et

pourquoi Internet ne permettrait-il pas de valoriser la

relation de proximité ? Pourquoi clients et conseillers

n’utiliseraient-ils pas les mêmes outils pour partager sur

ces sites et donner aux services en ligne une dimen-

sion régionale et communautaire ? » La valeur ajoutée

par ces nouvelles technologies créerait alors une

« proximité augmentée ». La relation à distance qui peut

a priori sembler une menace sur cette territorialité,

peut au contraire y trouver une valorisation.

Nous le savons, une banque mutualiste se doit avant

tout de mener son action sur son territoire, ce que le

Crédit agricole définit comme un espace prioritaire à

travers l’expression « la territoire attitude ». C’est aussi

sur ce territoire que doivent se développer et se concré-

tiser ses valeurs mutualistes. Le système décentralisé

de l’organisation d’une banque coopérative telle le

Crédit agricole permet une innovation permanente

dans les moyens d’appréhender le mutualisme et ses

réalisations sur le territoire. Chaque caisse locale,

chaque caisse régionale constitue elle-même un excel-

lent terrain d’innovation et d’expérimentation. La réus-

site d’une opération permettra par la suite son exten-

sion aux autres entités du groupe et cela de manière

le plus souvent progressive en fonction du choix de �

I n n o v a t i o n s t e c h n o l o g i q u e s e t m u t u a l i s m eC H R I S T I A N T A L G O R N

24

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

chacune d’entre elles. À ce titre, nous pouvons citer

comme exemples de réalisations expérimentées au

sein d’une caisse régionale et étendues par la suite à

bon nombre d’entre elles (et sans doute à toutes dans

un proche avenir), la mise en place du réseau « Pas-

serelle » pour venir en aide aux accidentés de la vie,

l’apparition de la carte sociétaire avec les avantages qui

peuvent y être attachés, eux-mêmes différents selon les

caisses régionales, sans oublier l’ensemble des actions

menées pour aider la vie associative, dont les trophées

de la vie locale... La labellisation nationale sera

l’aboutissement de toute cette extension territoriale. Or,

la réussite de cette extension repose dès le départ sur

une communication interne non seulement de l’opé-

ration mais du savoir-faire pour sa mise en œuvre. Le

Web aujourd’hui accélère la connaissance de ces

opérations, l’identification des projets et de ses por-

teurs, le mouvement de transfert du savoir-faire et la

création de partenariats. De même, en diffusant sur la

toile les multiples formes de réalisations des opérations,

Internet permet de montrer la vitalité de la vie mutua-

liste et surtout, d’entrer plus facilement en contact

avec les publics concernés.

Par ailleurs, l’univers du web aboutit sans conteste à

développer des phénomènes d’appartenance à des

groupes, « familles », tribus, ou communautés (qu’at-

teste, notamment, la création des sites sociaux). Le

mutualisme est aussi l’expression d’un sens collectif

dont la manifestation concrète de manière traditionnelle

prend le plus souvent une forme juridique et rituelle :

assemblées de caisses locales, assemblées de caisses

régionales, rencontres spécifiques réservées aux socié-

taires ou aux élus... Le Web autorise aujourd’hui – et

peut-être encore davantage demain – une conscience

collective d’appartenance sur un territoire donné à ce

corps de valeurs communes. En diffusant sur son

espace territorial l’information mutualiste – y compris

dans sa dimension conceptuelle – en faisant un état

des réalisations concrètes sur ce territoire quelle que

soit sa dimension, en permettant à tout moment aux

sociétaires – voire même clients – de se manifester sur

les valeurs mutualistes, la « plus-value territoriale » est

manifeste.

Un autre angle d’approche a été analysé d’une manière

pertinente par Marc Pouzet et Michel Maffesoli dans

leur ouvrage « Mutualisme financier, société de per-

sonnes et post-modernité » (éd. CNRS 2009). En

faisant état de relations sociales plus implicantes, du

partage d’expériences relationnelles, les auteurs témoi-

gnent de la réalité d’un espace qui peut être détaché

de l’espace physique. « Le territoire dont nous parlons

se rapproche d’une définition anthropologique, qui en

fait la somme d’un espace et d’une mémoire ». Et

d’affirmer qu’il est très probable « qu’une correspon-

dance secrète existe entre le sentiment d’apparte-

nance à une communauté sur la toile et la conviction

mutualiste, ce qui pourrait souligner l’actualité et la

puissance d’une telle culture dans l’esprit des jeunes

générations » (op. cit. p. 92 et s.). Il s’agit bien

du « renouveau du territoire » et une considération de

« l’humanisme au quotidien » par un développement de

la relation sociale, et non son affaiblissement.

Enfin, le Net par la proximité humaine qui s’y établit

arrive aussi à se faire rencontrer une communauté

dispersée dont l’identité, sous tous ses aspects, y

compris culturel, est attaché à un territoire. Ainsi, la

création toute récente sur internet de la banque affini-

taire « Breizh- banque.com », en offrant outre les ser-

vices bancaires tout un espace de discussion, forum,

visioconférence et en y intégrant un espace socié-

taire, constituera un instrument privilégié de dialogue

au sein de la diaspora bretonne quel que soit le lieu où

les personnes se situent. L’interaction de la proximité

humaine renforcée par le net avec la notion de territoire

revêt en ce cas un aspect particulier.

La réalité mutualiste dynamiséeD’une manière récurrente, le concept mutualiste souffre

d’une déficience de communication. Peu véhiculé par

la recherche universitaire, peu médiatisé par les moyens

de communication traditionnels, le concept risque

d’être marginalisé et avec lui son support juridique, dont

la société coopérative (pour ne citer que celui-ci). Tel

est en quelque sorte le destin de ceux qui ne se

manifestent pas dans une société dominée par la

communication. De plus, la détention du statut

mutualiste ne vous pare pas de toutes les vertus.

Encore faut-il le faire vivre.

Précisément, à un moment où le modèle établi sur la

société de capitaux avec la loi du profit qui la carac-

25

térise a été à l’origine d’un cataclysme financier et

économique, avec son cortège de drames humains, le

modèle mutualiste offre une autre voie d’approche

sociétale. Pour dénoncer l’existence du modèle unique

et vanter les mérites d’un modèle mutualiste, encore

faut-il pouvoir en faire connaître l’existence et ses mul-

tiples apports. Déjà, la première génération du web

offrait cette capacité d’acculturation par les consulta-

tions et l’accès aux bases de données. Cette vertu

demeure. Mais le Web 2.0 offre de nouvelles pers-

pectives bien plus satisfaisantes.

En donnant à chaque consommateur la possibilité de

participer aux débats, d’apporter une contribution et de

devenir ainsi acteur, la deuxième génération du Web

peut enrichir considérablement la vie du mutualisme.

Le Web devient l’instrument pour remédier – sans

doute pas totalement – à la carence informative déjà

signalée. La communication exacerbée faite à propos

de la société de capitaux – et la forme de « pensée

unique » qui en découle – tend à lui conférer le statut

de modèle de référence exclusif, passant ainsi sous

silence les mérites de la société coopérative et ses

valeurs mutualistes, y compris l’intelligence collective

qui s’y manifeste. Or, l’utilisateur du web devient à la

fois récepteur et émetteur, révélant de la sorte une

formidable démocratie participative bien réelle et

permettant de développer le débat mutualiste, de

l’enrichir de ses réalisations.

Cette diffusion-création s’affirme à plusieurs niveaux.

Pour une organisation décentralisée comme le Crédit

agricole, c’est un moyen incontestable de communi-

cation intense au plan interne au sein des caisses

locales, des caisses régionales et de l’ensemble des

entités constituant le groupe, y compris dans son volet

capitalistique. C’est en plus un moyen de communi-

cation mettant en connexion les élus et/ou les salariés,

le politique et l’opérationnel. C’est encore un moyen de

se faire connaître auprès des non-sociétaires, dont

les nouvelles générations, les jeunes étant particuliè-

rement férus de ces technologies de communication.

En outre, c’est le moyen efficace d’affirmer la « banque

autrement ». La contrepartie, c’est une forte exigence :

celle de faire réellement vivre les sites car toute passi-

vité ou inertie révélerait d’une manière évidente la fai-

blesse du mouvement. Le mutualisme trouvera la place

que voudront bien lui donner les acteurs de la banque,

dont les élus.

L’autre niveau de cette diffusion-création est sans

conteste le développement des relations à l’extérieur,

bien entendu avec les autres organisations de statut

similaire, mais surtout avec les entités qui en ignorent

le sens, pour ne pas dire l’existence.

Enfin, un dernier niveau de communication apparaît

à travers le caractère universel des moyens de com-

munication qui permet ainsi d’entrer en contact avec

n’importe quelle partie du monde, avec les multiples

formes d’organisations et d’institutions tant privées

que publiques, aux missions et cultures différentes.

Les connaissances et les échanges qui peuvent s’en

dégager offrent alors une formidable tribune au

mutualisme. Du reste, une rapide recherche sur le Net

permet de prendre conscience de l’existence d’un vrai

patrimoine commun mutualiste au niveau mondial,

parfois décliné sous des mots différents ou des

formes propres au territoire sur lequel il s’exerce.

Cette ouverture « multinationale », « mondialisée » et

« transfrontalière » est source d’un enrichissement

sans limite de nature à vaincre le scepticisme des

opposants. Cela permet d’accéder aux échanges

d’expérience à ce niveau en intégrant dans le trans-

fert de savoir-faire l’idée de partenariats à mettre en

place. La culture mutualiste, loin d’être attentiste et sur

la défensive, est bien présente pour relever les défis

d’un monde fortement perturbé et déséquilibré dans

son développement.

Mieux encore, cette forme de technologie facilite et

favorise tout modèle ascendant. Il s’agit bien du sys-

tème du « bottom up « qui permet à toute personne et

à toute entité de proposer et participer à la vie mutua-

liste. Les forums de discussion permettent à chacun de

réfléchir, de s’exprimer à son rythme et selon sa propre

disponibilité. Il y a place pour l’expression de tous, y

compris pour ceux qui peuvent avoir en d’autres cir-

constances des réticences à s’exprimer. En outre, la

discussion ouverte n’a point de limite de temps ni de

moment : la créativité est permanente. Il n’y a plus d’ex-

clusivité dans la création, puisque les dernières évolu-

tions du Web permettent à tout un chacun d’être

coauteurs de textes. �

I n n o v a t i o n s t e c h n o l o g i q u e s e t m u t u a l i s m eC H R I S T I A N T A L G O R N

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Les récentes évolutions renforcent encore la proxi-

mité humaine, puisqu’à l’écrit sur la toile, accompagné

par l’audio, s’ajoute aujourd’hui la visioconférence.

Ce sont de véritables débats interactifs qui se dérou-

lent à distance, facilités par les nouveaux supports

matériels. La communauté mutualiste doit profiter de

ces nouvelles possibilités pour multiplier les échanges

sans trouver l’alibi d’une indisponibilité d’agenda ou de

déplacement difficile.

L’organisation remodeléeLa diffusion et l’appropriation du concept mutualiste

dans les échanges sur la toile impose des disciplines

pour en assurer l’efficacité. Les nombreux partisans du

mutualisme doivent se réjouir des apports du web. Les

liens entre le mutualisme et les technologies de com-

munication d’aujourd’hui nous autorisent à souligner la

contribution de ces dernières dans la réalisation de

valeurs mutualistes. Deux exemples vont l’illustrer.

Ainsi, il est indéniable que parmi les nombreux axes

d’action du mutualisme figure l’intégration sociale et

donc professionnelle des handicapés. Bien des apports

technologiques autres qu’internet facilitent cette inté-

gration, quelle que soit la nature du handicap. Mais il

nous paraît opportun de souligner que les nouvelles

technologies de communication contribuent pleinement

aussi à cette réalisation. En changeant la configuration

des postes de travail, il est aujourd’hui possible pour

les handicapés qui connaissent de grandes difficultés

de mobilité de développer le télétravail. La visioconfé-

rence permet, en outre, d’intégrer un service ou une

équipe à distance. Cette dernière technique offre

encore la possibilité pour les malentendants d’entrer en

correspondance à distance avec des personnes souf-

frant du même handicap ou avec celles connaissant le

langage des signes.

Un autre exemple d’identification des valeurs mutua-

listes à travers les nouvelles technologies nous est

offert par leur apport en faveur du développement

durable, valeur sociétale incontournable. Or, les nou-

velles formes de communication entraînent, entre

autres avantages, des économies substantielles de

papier et une réduction significative des déplacements.

Sur ce dernier point, il est facile d’imaginer, quand

tout un chacun disposera du terminal adapté, la convo-

cation de tous les sociétaires aux assemblées par

voie électronique et éviter ainsi un usage inapproprié du

papier. Il en sera ainsi de la tenue de rencontres ponc-

tuelles par le recours à la visioconférence intégrée,

de la possibilité de suivre ces assemblées, voire peut-

être même la tenue d’assemblées dans des

circonstances particulières.

Par ailleurs, une véritable vie mutualiste au sein d’une

banque oblige à une certaine discipline dans un souci

de pleine efficacité des dispositifs mis en place. Les

sites créés au sein des caisses régionales doivent être

parfaitement tenus pour ceux, sociétaires ou clients, qui

voudraient y accéder. Une condition du succès de

cette accessibilité à la connaissance et à l’identification

de l’action mutualiste de sa banque est bien la simpli-

fication du site, du portail et des différents menus. La

diffusion des offres bancaires, la description des

différentes opérations commerciales ne doivent pas

occulter le portail mutualiste, lequel doit être bien

identifié aux fins de « cliquage immédiat ». L’attractivité

du site demeure une condition fondamentale de son

succès.

En outre, de nouvelles potentialités sont offertes par ces

nouvelles technologies pour développer des agences

virtuelles – comme cela est perceptible sur Second life –

ou des agences plus ciblées de type affinitaire comme

nous l’avons signalé. Quelle que soit la forme retenue

et les modalités de mise en œuvre, ces nouvelles

agences disposent de moyens autrement plus adap-

tés pour développer les espaces sociétaires compa-

rativement à ce qu’il est possible de faire dans les

agences ou bureaux « physiques ». Ces nouveaux

lieux de vie et ces nouvelles opportunités offertes pour

la connaissance du mutualisme illustrent d’une autre

manière l’apport des nouvelles technologies dans sa

diffusion.

Enfin, dans un souci de pleine efficacité et de maîtrise

de l’usage de ces nouvelles technologies, et face au

« mutant » que constitue Internet, une formation per-

manente adaptée s’impose aux utilisateurs – élus

notamment – non seulement au point de vue technique

mais aussi linguistique. La performance de la formation

commande la performance de l’usage de ces nou-

veaux moyens pour qu’ils ne soient pas l’exclusivité des

détenteurs de la connaissance.

27

ConclusionLes nouvelles technologies de communication offrent

sans conteste de réelles opportunités dans la diffusion

et l’enrichissement du mutualisme, touchant toutes

les populations dont celles des jeunes et tous les

territoires. « Être ou ne pas être » utilisateur n’est pas

la question tant l’évidence joue en faveur d’un usage,

que nous préconisons sans limite, de ces techniques

pour le développement du mutualisme. Les débats

qui peuvent s’animer autour du concept, les convictions

affirmées par les nombreux membres de la commu-

nauté, la diffusion des réalisations sont les éléments

fondamentaux pour la connaissance approfondie des

valeurs qui y sont rattachées. C’est aussi le moyen

adapté pour instaurer la confiance dans les organisa-

tions qui le mettent en œuvre. Pour une banque, cela

constitue un élément différenciant de tout premier

ordre. ◗

I n n o v a t i o n s t e c h n o l o g i q u e s e t m u t u a l i s m eC H R I S T I A N T A L G O R N

28

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Nouveaux horizons

Les ruptures technologiques dont notre XXIe siècle bénéficie permettent

de traduire en projets concrets une vision équilibrée du développement.

Trois domaines différents donnent la mesure des sauts qualitatifs

ainsi rendus possibles :

– la création, en France, d’un système multicanal répondant aux besoins

de liberté et de facilité des clients et des collaborateurs des Caisses

régionales de Crédit Agricole, qui sera totalement opérationnel d’ici

trois ans et demi ;

– la diffusion dans les pays émergents de la microfinance comme

outil de lutte contre la pauvreté, grâce notamment à la téléphonie mobile

et à internet ;

– la diversification culturelle des approches financières avec, par exemple,

la finance islamique.

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

29

YVES NANQUETTEDirecteur général de la Caisse régionale de Crédit agricole mutueld’Ille-et-VilainePrésident du COSIR, comité de pilotage du projet NICE

L’unification du système d’informationdes Caisses régionales de Crédit Agricole :un projet historiqueL’ÉTUDE DE FAISABILITÉ sur la construction du

nouveau système d’information des Caisses régio-

nales de Crédit Agricole, publiée juste un an après

le Congrès de Nice des 20 et 21 octobre 2008,

tient toutes les promesses faites par Jean-Paul Chif-

flet, secrétaire général de la Fédération nationale

de Crédit Agricole (FNCA). Il avait annoncé la créa-

tion d’un système multicanal pour répondre aux

besoins de liberté et de facilité de nos clients et de

nos collaborateurs. Le prototype réalisé par les

équipes des cinq systèmes d’information régionaux

actuels (SIR) avait comme objectifs d’alimenter par

des exemples concrets le champ des possibles de

la technologie pour les internautes, les commer-

ciaux et les métiers, et faire mieux appréhender cer-

tains points des nouvelles architectures technolo-

giques devenues des normes d’utilisation et de

développement. Après une présentation en avant-

première fin octobre 2009 à des conseillers et direc-

teurs d’agence, le principal commentaire recueilli

était : « C’est vraiment bluffant ! » L’ambition est

donc clairement affichée.

Un projet d’envergure hors normesLe qualificatif d’historique vient facilement à l’esprit.

Il faut toutefois se souvenir de notre passé récent.

Sans remonter à l’époque des fiches perforées

mécanographiques, les Caisses régionales en 1998

comptaient encore trente-quatre systèmes d’infor-

mation différents. L’état actuel des cinq SIR ne date

que de 2007, avec la dernière bascule de la Caisse

régionale de Crédit agricole mutuel Centre France sur

l’un d’entre eux, AMT. Il s’agit donc d’une trajectoire

de convergences et de coopérations toujours plus

poussées. D’autre part, il est surtout question de la

vision que nous avons de la relation commerciale à

moyen terme avec nos clients, en face à face, à dis-

tance ou en acheteurs à l’unité. Le diagnostic appro-

Le Crédit Agricole lance l’un des plus grandsprojets de refonte de système d’informationen France, et sans doute en Europe.Le prototype déjà réalisé permet de toucherdu doigt le saut qualitatif qui en résultera.Description d’une démarche qui contribueraà placer, en trois ans et demi, la banque deproximité au cœur de l’univers technologiquedu XXIe siècle.

30

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

� fondi fait par les directeurs généraux des SIR et la

FNCA a montré les limites de nos outils actuels, et la

nécessité de passer, tous ensemble, dans l’univers

technologique du XXIe siècle, où les normes sont

désormais « Touch » et « Search ». L’intuitif est le

maître mot.

Si historique n’est peut-être pas le meilleur qualificatif,

il s’agit en tout cas d’un des plus grands projets de

refonte de système d’information en France et sans

doute en Europe. Par exemple, les Caisses d’épargne

finaliseront l’an prochain leur unification, en basculant

deux de leurs systèmes sur le troisième au bout d’un

plan-projet qui aura duré quatre ans. Les Banques

populaires, sur la même durée, ont réalisé une quin-

zaine de migrations pour aboutir à un système unique.

Pour ce qui nous concerne, nous aurons trente-deux

migrations à conduire en trois ans et demi. La diffé-

rence notable est la taille des banques concernées et

la cible sur un nouveau système. C’est en référence à

cette dimension hors normes et à cette ambition par-

tagée de développement que l’on peut finalement

qualifier ce projet d’historique !

La cible du système d’information devra assurer, au tra-

vers d’un nouveau « SI 2.0 orienté client et distribu-

tion », un saut qualitatif et une compétitivité améliorée,

avec un potentiel de développement multiplié par trois

par rapport à la situation actuelle. Autre nouveauté, la

création d’une structure nationale pour la maîtrise

d’ouvrage (MOA) et une structure pour la maîtrise

d’œuvre (MOE) de type GIE employeur avec un pilotage

commun aux niveaux stratégiques et opérationnels. En

conséquence de ces réorganisations, on peut aussi

avoir des perspectives d’économies significatives sur

les études et sur la production dans le respect des per-

sonnes et de l’emploi en région.

Cette démarche s’appuiera sur un investissement très

important sur trois ans, dont bénéficieront les clients et

les collaborateurs : plus de 460 millions d’euros seront

mobilisés par les Caisses régionales pour réaliser les

migrations et surtout la création d’une nouvelle plate-

forme Internet et d’un nouveau poste de travail pour les

collaborateurs. Ce budget de transformation sera

assez largement amorti dans les comptes d’exploita-

tion par les économies dues aux arbitrages collectifs qui

se feront dès le lancement des travaux.

Des ambitions au service du client,un calendrier exigeantIl est important de s’arrêter un instant sur les ruptures

portées par les ambitions du projet. L’approche mul-

ticanal dans chacun des processus deviendra la norme,

avec une possibilité de commencer, d’interrompre et

de terminer une action en des temps, des lieux et sur

des outils différents (poste agence, iPhone, ordina-

teur du client...). D’ailleurs, les postes de travail du

conseiller et la « banque à accès multiple » des clients

(BAM) demain seront identiques. Les processus des

Caisses régionales deviendront plus convergents et

devront être complètement partagés avec les filiales,

ces scénarios de vente devant être structurés en fonc-

tion des besoins et des événements bancaires du

client. Client qui sera d’ailleurs beaucoup plus acteur

dans la relation, pouvant lui-même mettre à jour

certaines données le concernant. La facilité d’usage

devenant obligatoire, les schémas d’apprentissage

devront être naturels et intuitifs, les accès simplifiés tout

en gardant un excellent niveau de sécurité.

Au-delà, il sera possible aux Caisse régionales de

redonner à l’Internet une dimension territoriale de

proximité, en offrant la personnalisation de sites et de

leur banque en ligne. Enfin, le partage potentiel d’in-

formations entre les entités du Groupe permettra un

meilleur service aux clients sur tout le territoire et une

plus grande efficience dans les coopérations.

Du côté des filiales, des évolutions seront parallèlement

nécessaires, pour livrer désormais des services qui

seront agrégés dans des scénarios de conseil et de

vente. Grâce à de nouveaux modes de développe-

ment, le détourage et la transformation des applications

actuelles pourront se faire à des coûts très raison-

nables. En coordination sur le projet, la direction infor-

matique de Crédit Agricole S.A. a largement été asso-

ciée à l’ensemble des travaux. Et dans ses différentes

interventions en tribune, Georges Pauget, directeur

général de Crédit Agricole S.A., a déjà salué plusieurs

fois l’initiative et assuré les acteurs de tout son soutien.

Trois étapes sont prévues dans la montée en charge,

ce qui laissera donc à chacun le temps nécessaire pour

préparer les évolutions requises. En 2011, la première

version, ou V.1, aura traité les écarts fonctionnels

d’une part, et sera porteuse d’extension de fonctions

31

L’unif ication du système d’information des Caisses régionales de Crédit Agricole : un projet historiqueY V E S N A N Q U E T T E

d’autre part (le logiciel Score Crédit Conso s’intégrant

dans le processus crédit complet, offre entreprises,

suivi du PNB Client, souplesse dans l’organisation

des agences grâce à des portefeuilles secondaires,

développement du PNB grâce à l’ouverture de nou-

velles modalités de facturation, harmonisation des

Comptes services Crédit agricole avec une offre souple

répondant aux besoins clients pour trente-neuf Caisses

régionales...). Cette version apporte aussi des

améliorations comme la communication sur le poste de

travail (travail à trois avec les experts en plateforme), la

dématérialisation des processus (crédit, entrée en rela-

tion), l’intégration du canal téléphonique dans

l’approche multicanal, la finalisation de la refonte du

processus crédit et des compléments à la BAM (bou-

tique en ligne, gamme de produits achetés de bout en

bout sur Internet...).

En 2012, la version 2 apportera des évolutions

majeures en s’appuyant sur la refonte de l’architecture

permettant la convergence des postes de travail des

agents selon une approche web, la gestion de pro-

cessus interruptibles et tournés vers le client, le déploie-

ment du CRM, l’exploitation d’un catalogue d’offres

personnalisables par client, le lancement des offres

entreprises à niveau avec le marché et la personnali-

sation des services pour le marché haut de gamme. En

2013, la version 3 finalisera la trajectoire vers le SI 2.0,

avec l’intégration totale des produits et services des

producteurs, la mise à niveau de tous les processus

métiers et commerciaux caractérisés par des proces-

sus tous interruptibles, la personnalisation du poste de

travail, la déclinaison de scénarios d’aide à la vente

intégrés au poste de travail client et conseiller, le dos-

sier de crédit électronique entreprise et les adaptations

des offres aux collectivités publiques.

Une gouvernance innovante,responsable et efficaceAu Crédit Agricole, il y a au moins deux sujets avec les-

quels on ne plaisante pas : la gouvernance et la gestion

budgétaire. À tel point que nous avons su développer

de réelles expertises sur ces aspects. Et ce projet a

confirmé que, si nous avons avancé rapidement, c’est

parce que nous avons donné très tôt une vision en

termes de répartition des pouvoirs, entre Caisses

régionales, entre les métiers et l’informatique, entre le

futur GIE et les producteurs. Associé à ces éléments,

nous avons assez vite dessiné également le potentiel

d’économies, estimé à 35 %, que l’on peut attendre

d’une telle opération. La gouvernance unique du sys-

tème d’information des Caisses régionales est basée

sur des structures qui leur garantissent le pilotage des

développements technologiques : une structure natio-

nale pour la maîtrise d’ouvrage (MOA) et une structure

pour la maîtrise d’œuvre (MOE) de type GIE employeur

avec un pilotage commun aux niveaux stratégiques et

opérationnels. La MOA, qui allie professionnels des

domaines et des méthodes, prendra en charge les

projets du début à la fin, avec des ressources

employées par la structure ou détachées des Caisses

régionales. La MOA sera organisée autour de treize

pôles métiers regroupés en univers de besoin clients.

Ces pôles seront pris en charge par des Caisses

régionales leaders en liaison avec plusieurs Caisses

associées. Le métier crédit sera traité comme les

autres, au sein du SI 2.0, avec un directeur MOE qui

est le directeur de Greencam, GIE de développement

logiciel crédit. Le pôle métier crédit englobera l’inté-

gralité des outils traitant du domaine crédit.

Conformément à la lettre d’intention signée en avril

2009 par les présidents des cinq SIR actuels, chaque

collaborateur de l’informatique retrouvera un poste

dans la nouvelle structure ou dans une des Caisses

régionales qui assurent solidairement le volet social du

projet. D’ailleurs, un système de péréquation a déjà été

imaginé. Aucun site ne sera fermé, puisque l’informa-

tique est généralement hébergée dans les sièges des

Caisses régionales. Il sera toutefois nécessaire de

concentrer les équipes pour permettre une gestion

efficace de la cible à horizon 2014 autour d’une quin-

zaine de sites sélectionnés pour leur taille et leurs

compétences, pour les bassins d’emploi ou leur capa-

cité à permettre des regroupements de proximité entre

sites actuels, pour répondre à un équilibre entre com-

munautés et Caisses régionales. Quatorze sites seront

spécialisés sur les fonctions d’études et d’intégration

informatique, et deux sites consacrés à la production

avec un troisième site de secours. Par ailleurs, sur un

grand nombre de sites, verront se créer des fonctions

de maîtrise d’ouvrage « professionnalisées ».

32

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

� Le dossier est soumis pour consultation aux instances

du personnel et au Conseil d’administration des Caisses

régionales. Le résultat de ces consultations est attendu

pour la fin d’année 2009 et le lancement des travaux

pourrait donc avoir lieu avant le printemps 2010.

Quels enseignements peut-on déjà retirer des mois qui

viennent de s’écouler ? Tout d’abord se rassurer sur

la volonté et l’ambition du Crédit Agricole. Investir col-

lectivement et aussi massivement dans un projet aussi

important témoigne de la confiance que nous avons en

notre avenir et en celui de la banque de proximité,

même si nous devons la réinventer sous des formes

multiples. Ensuite saluer la dynamique collective qui a

permis de mobiliser autant de collaborateurs dans

une échéance de temps aussi réduite pour produire un

dossier aussi complet et d’une grande qualité, illustré

même d’un prototype qui permet de mieux com-

prendre la nature du changement attendu. Enfin, se

redire que le nouvel outil deviendra d’autant plus un

avantage concurrentiel que nous saurons accompa-

gner son implantation en faisant évoluer parallèlement

les compétences et savoir-être de nos collaborateurs,

nos modes de management et l’attention portée à

nos clients. ◗

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Fourmillantes par essence, les technologiesde l’information investissent de plus en plusle monde financier. La microfinance n’yéchappe pas, laissant entrevoir de nouvellesopportunités de développement.De plus en plus d’applications s’appuyantsur le Web comme sur les téléphones mobilescommencent déjà à faire leurs preuves.Mais le tout n’est pas exempt de risques...

ÉTIENNE GUYOTChef de projet, Crédit Agricole S.A.

FATIMA EL MOUKHTAFIChargée des nouveaux développements Fondation Grameen Crédit Agricole

33

Les nouvelles technologiesau service de la microfinanceL’OBJECTIF DES ACTEURS DE LA MICROFINANCE

est de fournir des services financiers aux populations

pauvres, exclues des systèmes bancaires classiques,

déconnectées des marchés financiers globalisés. À

première vue, la relation entre la microfinance et les

nouvelles technologies semble ténue, ou du moins

loin d’être un facteur clé de succès. Il n’en est rien.

Dans les faits, on se rend compte que le boum de la

microfinance des années 1990 - 2000 correspond

également à celui des nouvelles technologies. Sans

pour autant surévaluer le rôle de ces nouvelles tech-

nologies dans l’évolution de la microfinance vers une

véritable industrie structurée à l’échelle mondiale, il

est évident qu’elles ont eu, et auront encore à l’avenir,

un rôle déterminant dans le développement de cet

outil de lutte contre la pauvreté. Deux innovations

récentes du secteur illustrent à merveille l’impact des

nouvelles technologies de l’information sur la microfi-

nance : Internet et le téléphone mobile.

Quand le Web se met au servicedu développement

Un catalyseur de nouvelles ressources

S’il s’agit de la première illustration des nouvelles tech-

nologies au service de la microfinance, Internet reste

toutefois peu utilisé dans les pays en développement,

notamment par rapport au téléphone mobile. D’après

l’UIT (Union Internationale des Télécommunications), en

2008, l’Afrique comptait 5 % d’utilisateurs (avec une

concentration sur les deux extrêmes que sont l’Afrique

du Nord et l’Afrique du Sud) alors que le taux de

pénétration du téléphone mobile était de 33 %. La

faible progression du Web (passage de 4 % en 2005

à 5 % en 2008) est essentiellement due à l’infrastruc-

ture nécessaire ainsi qu’aux coûts d’abonnement qui

restent élevés malgré la concurrence exercée depuis

l’arrivée de nouveaux opérateurs ou le déploiement de

technologies sans fil (Wimax). �

34

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Si Internet sert les besoins de la microfinance, c’est

essentiellement au travers de son exploitation dans les

pays développés.

Internet a permis la mise à disposition de plates-formes

de gestion en open source au profit des Institutions de

Microfinance (IMF)1. La plus connue de ces plates-

formes, MIFOS, qui a été initiée par Grameen

Foundation, est déployée depuis 2006. Le logiciel est

aujourd’hui utilisé par neuf IMF dans huit pays (Séné-

gal, Ghana, Kenya, Népal, Inde, Tunisie, Philippines,

Honduras).

Internet a également contribué à la centralisation et à

la structuration d’informations relatives au secteur de

la microfinance. Le Mix Market par exemple est aujour-

d’hui la référence pour de nombreux acteurs du sec-

teur de la microfinance. Il s’agit d’une base de don-

nées, accessible sur le Net2, fournissant des

informations sur les IMF, les fonds investissant dans

la microfinance, les agences de notation, consultants,

agences gouvernementales et autres autorités régle-

mentaires. L’objectif du Mix Market est de mettre en

relation les IMF avec les investisseurs et bailleurs de

fonds et ainsi de promouvoir l’investissement au pro-

fit de la microfinance.

Mais l’une des avancés les plus novatrices, ce

sont les plates-formes de microcrédit en ligne,

également appelées plates-formes de social

banking ou encore sites Internet de microcrédit

solidaire.

Les plates-formes de microcrédit en ligne mettent en

relation des internautes des pays du Nord avec des

micro-entrepreneurs des pays du Sud et les premiers

financent les projets des seconds en réalisant des

prêts de faible montant non ou faiblement rémunérés.

Concrètement, des micro-entrepreneurs des pays du

Sud sont présentés à des internautes au travers de

photos et d’une description de leurs projets entrepre-

neuriaux ainsi que de leur situation socio-économique.

Sur la base de ces informations, les internautes/inves-

tisseurs sociaux choisissent de participer au finance-

ment d’un ou de plusieurs projets. Ils indiquent le

montant qu’ils souhaitent prêter, et, éventuellement, le

taux applicable à ce prêt. En général, un projet est

financé par plusieurs internautes. Aussi, le prêt est

réalisé une fois la somme nécessaire au micro-entre-

preneur recueillie auprès des internautes. Le prêt n’est

pas directement affecté au micro-entrepreneur. La

somme est apportée à l’IMF dont le micro-entrepreneur

est client et qu’elle aura probablement déjà financé au

moment où les fonds sont reçus.

Il existe deux grands types de plates-formes de

social banking :

• Des plates-formes qui permettent de financer des

projets à taux zéro. C’est le cas de Kiva, première

plate-forme de social banking lancée en 2005, par

Matt Flannery et Jessica Jackley ou encore de Baby-

loan, lancée par Arnaud Poissonnier en France en

2008 et dont la conception est très largement inspirée

de Kiva.

• Des plates-formes qui permettent de financer des

projets à taux réduit et offrent donc une rémunération

aux internautes. C’est notamment le cas de MYC4 dont

la vocation est le financement de projets en Afrique.

Créé par Mads Kjaer et Tim Vang en 2006, MYC4

fonctionne sur un modèle similaire à celui de Kiva à la

différence notable que les internautes/investisseurs

perçoivent un taux d’intérêt sur leurs financements. Ces

taux d’intérêt sont fixés par un système d’enchères à

la baisse entre les différents internautes. C’est aussi le

cas de Microplace, filiale d’E-Bay dont la particularité

est de permettre à des particuliers d’investir dans des

IMF : les internautes acquièrent des parts auprès de

1. Une IMF est une structure de proximité délivrant des services financiers de faible montant (crédit, épargne, assurance) à des populations privées d’accès aux systèmesbancaires traditionnels.2. www.mixmarket.org

QU’EST-CE QUE LA MICROFINANCE ?La microfinance se définit par l’offre de services financiers (épargne,crédit, assurance, etc.), à destination des plus pauvres. Elle s’adresseà des personnes à faible revenu, n’ayant pas accès aux institutionsfinancières classiques et sans activité salariée régulière.Aujourd’hui, la microfinance touche 150 millions de personnes dansle monde, servies par plus de 10 000 Institutions de Microfinance(coopératives, ONG, banques de microfinance) ou banques com-merciales. On estime à 500 millions le nombre de personnes toujoursen attente de financement.

35

L e s n o u v e l l e s t e c h n o l o g i e s a u s e r v i c e d e l a m i c r o f i n a n c eÉ T I E N N E G U Y O T E T F A T I M A E L M O U K H T A F I

Microfinance Investment Vehicules (MIV)3 qui apportent

ensuite leur financement à des IMF. Lancé en 2007, le

site compte aujourd’hui 6 500 membres et a permis la

réalisation de plus de 26 000 prêts à des micro-entre-

preneurs partout dans le monde.

L’apport de ces plates-formes

au secteur de la microfinance

En permettant à des internautes des pays du Nord de

soutenir et financer des projets de micro-entrepre-

neurs dans les pays du Sud, les plates-formes de

microcrédit solidaire constituent une nouvelle source de

financement pour les IMF.

Les montants en jeu sont loin d’être négligeables : à

l’occasion de son 4e anniversaire, en octobre 2009, Kiva

annonce avoir passé la barre des 100 millions de dollars

de prêts cumulés pour le financement de projets dans

les pays du Sud. Les fonds, levés auprès de

573 000 prêteurs, ont permis le financement de

240 000 projets dans cinquante pays. MYC4, grâce au

soutien de plus de 15 000 investisseurs, a investi

quelques 10 millions d’euros dans 5 000 projets en

Afrique (Ouganda, Kenya, Côte d’Ivoire, Rwanda,

Ghana, Sénégal et Tanzanie). Quant à Babyloan, dernière

née des plates-formes de social banking, après un an

de fonctionnement, elle aura permis la collecte de près

de 400 000 euros auprès de 4 000 membres et le

financement de 1 500 projets dans six pays. Ces chiffres

représentent plus que ceux de Kiva la première année.

Au vu du succès de Kiva, on peut estimer que les

plates-formes de microcrédit solidaire ont un potentiel

de croissance important, une croissance qui devra

cependant faire face à un certain nombre de limites.

Limites de ce mode de financement

pour les IMF

Si l’on reconnaît l’impact bénéfique des plates-formes

de microcrédit solidaire en termes de financement du

secteur de la microfinance, on sait aussi que ces

plates-formes sont génératrices de coûts et de risques

pour les IMF.

Ce sont les IMF qui sont chargées de présenter les pro-

jets des micro-entrepreneurs sur les plates-formes :

elles doivent collecter l’information, la mettre en ligne

et assurer son suivi en précisant notamment la mesure

de l’impact final du financement apporté par les inter-

nautes. Ce travail mobilise a minima une personne au

sein de l’IMF et nécessite une certaine infrastructure

dont les IMF ne sont pas toujours dotées.

Outre le coût du financement (même lorsque les prêts

sont effectués à taux zéro par les internautes, celui-ci

fait l’objet d’une facturation par les plates-formes), il est

donc important de considérer le coût du reporting.

Autres facteurs potentiellement limitants : le risque de

change qui pèse sur les IMF, les internautes prêtant

dans leurs devises ainsi que le risque de liquidité

généré par l’absence de garantie sur la stabilité du

financement dans le temps.

GRAMEEN CRÉDIT AGRICOLE MICROFINANCE FOUNDATION

Grameen Crédit Agricole Microfinance Foun-dation a été créée en 2008 à l’initiativeconjointe de Crédit Agricole S.A. et deGrameen Trust en partenariat avec leprofesseur Muhammad Yunus, Prix Nobel dela Paix 2006 et fondateur de la Grameen Bankau Bangladesh, dans le but de contribuer àl’éradication de la pauvreté dans le mondepar l’outil de la microfinance.Grameen Crédit Agricole Microfinance Foun-dation fait siennes les valeurs de sesfondateurs et traduit en action leur engage-

ment, en accompagnant le développementdes institutions de microfinance et en facilitantl’émergence de « social business » dans lespays en développement. Elle propose aux IMFune gamme complète de financements dansun esprit de partenariat. Elle s’adresse auxinstitutions qui se conforment aux meilleurespratiques de gouvernance, de transparenceet de protection des consommateurs. Elledonne priorité aux institutions de microfinancedédiées au secteur agricole et rural et à cellesqui s’adressent principalement aux femmes.

Organisme sans but lucratif, Grameen CréditAgricole Microfinance Foundation intervientdans des conditions lui permettant de maintenirdans le temps la dotation de 50 millionsd’euros reçue de ses fondateurs.

La Fondation est présidée par René Carronet compte le Professeur Yunus parmi lesmembres de son Conseil d’Administration.

Plus d’informations sur :www-grameen-credit-agricole.org

3. MIV est la formule générique désignant l’ensemble des organisations dont la mission est de refinancer des IMF, quels que soient leur statut juridique et leur objectifcommercial.

L’enjeu consiste à encadrer le risque

et réduire les coûts pour maximiser

l’impact social

Au travers du développement des plates-formes de

social banking, Internet aura permis de promouvoir,

auprès du grand public, une nouvelle forme de soli-

darité dont le succès est aujourd’hui indéniable. Reste

à espérer que ce changement de comportement du

grand public se confirme dans le temps : les plates-

formes de social banking sont particulièrement actives

sur les plans de la pédagogie et de la communication.

Reste aussi à espérer qu’elles ne se focalisent pas uni-

quement sur la collecte de fonds mais aussi sur les

moyens de soutenir le secteur de la microfinance dans

les meilleures conditions de coût et de sécurité.

Le téléphone mobile, nouvel outilphare du développement

Les premiers apports du téléphone mobile

Le secteur des télécommunications fait partie de ces

secteurs où les pays émergents n’ont pas à rougir de

la comparaison avec les pays développés. En Asie, en

Afrique ou en Amérique latine, partout, la téléphonie

mobile effectue une percée spectaculaire. A fin 2009,

l’ITU estime que le nombre de téléphones portables uti-

lisés dans le monde sera de 4,6 milliards dont les

trois-quarts dans les pays émergents (voir graphique 1).

Les facteurs qui expliquent cette envolée sont multiples,

mais nous retiendrons particulièrement :

• le prix des terminaux basiques (les modèles utilisés

dans les pays émergents) qui a considérablement

baissé ces dernières années, passant d’un prix moyen

d’environ 250 $ en 1997 à 20 $ aujourd’hui ;

• l’adoption d’un modèle de paiement prépayé qui

convient davantage aux pays pauvres ayant une culture

de l’argent liquide que les facturations a posteriori

mises en place initialement. Au Nigéria, la plus petite

carte de rechargement ne coûte que 50 Naira, soit

environ 0,40 $ ;

• la libéralisation du marché des télécommunications

dans beaucoup de pays, ce qui, en dynamisant la

concurrence, a permis d’augmenter la couverture tout

en faisant baisser les tarifs.

Dès lors, le téléphone mobile a commencé à montrer

les opportunités de développement qu’il offrait au

niveau économique : l’explosion de l’utilisation des

messages textes et l’arrivée de nouveaux services tels

que la fourniture d’informations sur l’agriculture, les

marchés ou la santé ont permis aux agents écono-

miques d’augmenter leur productivité et de diminuer

leurs coûts d’exploitation. Une étude de la Banque

mondiale4 menée sur 120 pays est venue valider ces

constats en calculant qu’à chaque augmentation de

36

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

4. Voir le rapport de la Banque mondiale, « Information and Communications for Development 2009 : Extending Reach and Increasing Impact », mai 2009.

2000 2001

Pays émergents Pays développés*

2002 2003 2004 2005 2006 2007 20080

1

2

3

4

0,55

1,55

2,55

3,55

GRAPHIQUE 1. Abonnements mobiles (en milliards)

*Membres de l’OCDE Source : Banque mondiale, ITU

37

L e s n o u v e l l e s t e c h n o l o g i e s a u s e r v i c e d e l a m i c r o f i n a n c eÉ T I E N N E G U Y O T E T F A T I M A E L M O U K H T A F I

10 % de la pénétration des téléphones mobiles cor-

respondait une hausse de la croissance économique

de 0,8 % dans les pays émergents.

Le mobile banking, nouvelle ruée

vers l’or des nouvelles technologies

Les services de mobile banking (m-banking) recouvrent

notamment les applications permettant de fournir des

services financiers sur un terminal mobile. Ils suscitent

particulièrement l’intérêt des acteurs du développement

en ce qu’ils permettraient de toucher une gigantesque

population de personnes non bancarisées. Le CGAP5

prévoit ainsi que d’ici 2012, 1,7 milliard d’individus non-

bancarisés seront équipés d’un terminal mobile. L’Afrique

illustre particulièrement bien ce principe avec des taux de

bancarisation particulièrement faibles et un équipement

en téléphone mobile qui explose (voir tableau 1).

De nombreuses entreprises proposent déjà des ser-

vices de m-banking dans les pays émergents :

• le transfert de fonds : l’abonné peut transférer des

fonds à ses proches au niveau national voire dans

certains cas depuis l’étranger (par exemple : offre

Smart Padala pour la diaspora philippine). Cette fonc-

tion est essentielle car elle est souvent la première

adoptée par les utilisateurs et celle qui va les familia-

riser avec le maniement de la monnaie électronique. Le

cabinet de consultants Juniper research prévoit que

500 millions de personnes utiliseront des services de

transferts via leur téléphone d’ici 20146 ;

• le paiement par mobile : l’abonné utilise son télé-

phone pour effectuer des paiements ou recharger son

temps de communication. Selon les pays et les offres,

les paiements vont du règlement de factures d’élec-

tricité au règlement des commerçants voire à des

solutions de paiements B2B. La solution Celpay, déve-

loppée en Zambie et au Congo, propose par exemple

à une entreprise ayant un vaste réseau de distribution

de passer par le mobile pour encaisser à distance les

paiements de chaque point de vente ;

• l’épargne : l’abonné effectue des dépôts et se consti-

tue ainsi une épargne de précaution afin de faire face

à d’éventuels coups durs (maladies, accidents...).

Cette épargne peut parfois être liée à un compte ban-

caire « réel » comme le propose par exemple l’opéra-

teur Zain grâce à des accords avec Citibank et Stan-

dard Chartered Bank.

À l’avenir, d’autres facettes du monde bancaire pour-

raient être déclinées sur les téléphones mobiles comme

le crédit – le service Pepesha Pesa de M-Pesa propose

déjà de payer les échéances d’un prêt aux clients de

la Family bank – ou même les assurances (paiement

des primes, versement des dédommagements...).

Comment le m-banking est-il

vecteur de développement ?

Ces offres ont commencé à montrer leur efficacité dans

les pays les plus en avance comme le Kenya (voir enca-

dré M-Pesa), les Philippines, l’Inde ou l’Afrique du Sud.

5. Consultative Group to Assist the Poor, organisme de recherche indépendant visant à améliorer l’accès de la population pauvre au système financier.6. Voir l’étude : « Mobile Money Transfer & Remittances : Markets, Forecasts & Strategies 2009-2014 », octobre 2009.

Pénétration Téléphonie MobilePays Accès Services Financiers2008 2012*

Tanzanie 5 % 33 % 61 %Kenya 10 % 49 % 101 %Liberia 11 % 29 % 49 %Mozambique 12 % 26 % 42 %Sierra Leone 13 % 26 % 55 %Zambie 15 % 31 % 63 %Soudan 15 % 29 % 73 %Nigeria 15 % 46 % 97 %*Projection

Sources : Banque mondiale « Finance for all? », Wireless Intelligence

TABLEAU 1. Bancarisation et équipement mobile en Afrique : le grand écart

38

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

� Pour les utilisateurs, les avantages sur les autres

formes de services financiers sont multiples. L’absence

de manipulation de liquide les rend plus sûrs qu’il

s’agisse de transfert ou d’épargne. L’argent est plus

accessible qu’en passant par le réseau d’agences

bancaires notamment dans les zones rurales. Les uti-

lisateurs apprécient également la rapidité et la praticité

des transferts et des paiements réalisés par téléphone.

Cela leur évite de coûteux déplacements pour rapatrier

ou aller chercher l’argent.

Au total, ces apports ont une réelle incidence financière

pour les abonnés : une étude du centre de recherche

CGAP menée au Kenya a fait ressortir des hausses de

revenus de la population rurale (cible des transferts)

pouvant aller de 5 à 30 %7.

Les IMF y voient aussi un moyen de sortir de l’exclu-

sion financière des populations qu’elles n’arrivaient

pas à toucher auparavant. Ces technologies leur

ouvrent en effet l’accès à des clients plus reculés pour

un moindre coût. De plus, la mise en place de solutions

mobiles constitue pour elles l’occasion de rationnaliser

leurs processus de fonctionnement souvent archaïques

(réunions hebdomadaires de remboursement, tenue

des comptes sur des cahiers, etc.).

Faciliter l’adoption des utilisateurs

Au regard des premières expériences menées, il est

déjà possible de souligner plusieurs conditions qui

faciliteront l’adoption des utilisateurs :

• la mise en place d’un réseau de distribution décen-

tralisé et étendu pour faciliter l’approvisionnement en

liquide (les utilisateurs auront toujours besoin d’argent

liquide et la praticité du service sera grandement fonc-

tion de la proximité de l’agent au travers duquel ils

pourront effectuer dépôts et retraits) ;

• la notoriété et l’implantation des acteurs dont le nom

est associé à la solution facilitera l’entente du message

et de ce fait, l’adoption du service ;

• l’adoption d’une tarification adaptée : au lancement

du service, la tarification doit être la plus simple et

transparente possible (type commission fixe) ;

• les aspects sociologiques : éducation de la popula-

tion, familiarité avec les offres « bancaires », urbanisa-

tion et dispersion géographique... Plus la population est

urbaine et déjà familiarisée avec les offres bancaires,

moins les efforts d’éducation seront lourds avant de

faire comprendre l’intérêt des solutions proposées.

En revanche, il ressort d’une étude comparative entre

le Kenya et la Tanzanie que les choix technologiques

importent finalement peu et les différentes solutions

peuvent fonctionner tant que l’ergonomie reste simple.

Tout n’est pas joué

Malgré les premiers résultats encourageants, plusieurs

problèmes pèsent sur le m-banking laissant de nom-

breuses zones d’incertitude.

Les problématiques liées au contexte national tout

d’abord. Au-delà des risques d’instabilité politique, la

réglementation en vigueur peut considérablement

évoluer : un opérateur peut-il émettre de la monnaie ?

Un agent peut-il faire des opérations de dépôt ou de

retrait ? Comment mettre en œuvre les procédures

Know your customer (KYC) dans le cadre du

m-banking ? Comment lutter contre le blanchiment

et le financement du terrorisme ? Toutes les réponses

à ces questions pourront radicalement modifier

l’environnement des acteurs.

Il existe aussi des risques liés à la sécurité des solutions,

risques variant fortement en fonction de la technologie

utilisée. Or, il est à prévoir que les tentatives de fraude

et de piratage augmenteront à mesure que les tech-

nologies auront du succès.

L’état des infrastructures locales peut aussi constituer

un frein important dans les pays les plus mal servis. En

Afrique, l’ITU précise qu’en 2008, 58,5 % des habitants

se trouvaient à proximité d’un signal mobile mais la

couverture reste limitée pour les zones rurales.

L’interopérabilité des réseaux est également un point

à surveiller, certains opérateurs pouvant être tentés de

conserver leurs clients en interdisant l’utilisation des

services aux non-clients.

Enfin, la gestion du cash, maillon essentiel de la chaîne,

peut devenir très complexe lorsque les agents sont

dans des zones reculées.

On le voit, les schémas ne sont pas aisément dupli-

cables entre les différents pays. Il appartient aux acteurs

7. CGAP brief note, “Poor people using mobile financial services : observations on customer usage and impact from M-Pesa”, août 2009, O. Morawczynski & M. Pickens.

39

L e s n o u v e l l e s t e c h n o l o g i e s a u s e r v i c e d e l a m i c r o f i n a n c eÉ T I E N N E G U Y O T E T F A T I M A E L M O U K H T A F I

de savoir prendre en compte les spécificités de leur

marché. L’exemple le plus frappant est fourni par le

lancement de la solution M-Pesa en Tanzanie qui

peine à percer alors qu’elle a explosé dans le Kenya

voisin (voir encadré M-Pesa).

En conclusion Les nouvelles technologies ont très clairement fourni

d’importants relais de croissance pour les IMF et

tous les acteurs du développement. En simplifiant

l’accès aux ressources en amont comme aux entre-

preneurs en aval, elles offrent des perspectives là

où la banque traditionnelle – pour des raisons de

coûts et de rentabilité – paraissait ne pas avoir de

réponse.

Cependant, comme toujours sur les marchés pionniers

et particulièrement en matière de technologie, les

risques ne sont pas encore pleinement circonscrits et

la prudence reste de mise. Pour reprendre la termi-

nologie introduite par D. Porteous8, il faut savoir jouer

entre ouverture, facteur d’innovation et certitude, fac-

teur de stabilité. Il est probable qu’à mesure que les

marchés arriveront à maturité, les États passeront

d’un système très ouvert et peu régulé à un système

plus contrôlé. L’avenir appartiendra alors aux acteurs

qui auront le mieux su anticiper et s’adapter. ◗

8. Étude DFID, “The enabling environment for mobile banking in Africa”, mai 2006, D. Porteous.

M-PESA, UNE SUCCESS STORY KENYANEMis au point par Vodafone en partenariat avecl’opérateur kenyan Safaricom, le système M-Pesa a été lancé par ce dernier en mars2007. Cette offre est rapidement devenue unphénomène dans le monde du m-banking depar le succès commercial qu’elle a rencontréau Kenya. À ce jour, M-Pesa sert près de6,5 millions d’abonnés (sur 38 millions d’habi-tants) pour un volume de transactions moyende 1,96 millions de dollars par jour.M-Pesa a construit son succès en captant lesflux financiers qui transitaient entre les tra-vailleurs urbains et leurs familles restées à lacampagne. Mais au-delà des transferts de

fonds, l’offre permet également d’ouvrir uncompte sur lequel effectuer des dépôts commedes retraits, payer des factures aussi diversesque l’électricité, les frais de scolarité ou le taxiou encore acheter du temps de communica-tion. Aguerri par ses différents succès,Safaricom propose même depuis septembre2009 un service de paiement des échéancesde prêts pour les clients de la Family Bankainsi que le transfert de fonds entre le Kenya etle Royaume-Uni.Si le succès du système M-Pesa attise lesambitions de nombreux acteurs dans lemonde, la réussite n’est cependant pas

garantie. Safaricom a en effet pu s’appuyersur un contexte national favorable : sa partde marché est de 80 %, la population kenyaneétait relativement familiarisée avec le systèmefinancier (en 2006, seuls 38 % de la populationn’utilisait aucune forme de services financiers,à comparer avec 54 % en Tanzanie) et lerégulateur a été peu contraignant. En outre,Safaricom a pu s’appuyer sur son large réseaude distribution initial pour signer des contratsavec d’autres agents, passant ainsi en deuxans de 300 à quasiment 10 000 agents deproximité.

Mandatpostal

De la mainà la main

Par bus

Virementsur compte

Services detransfertsde fonds

Chèque

Comptetiers

GRAPHIQUE 2. Impact du service M-Pesa sur les transferts d’argent au Kenya

Source : FinAccess, 2006 Source : FSD Kenya M-PESA study 2007

TRANSFERTS D’ARGENT AU KENYA AVANT M-PESA TRANSFERTS D’ARGENT AU KENYA APRÈS M-PESA

De la mainà la main

Par bus

Virementsur compte

Autres

M-PESA

40

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Les systèmes informatiques jouent un rôlecrucial en finance islamique. Il est souventnécessaire de construire des architecturessur mesure capables de gérer à la foisles principes et les actifs réels sous-jacents.

LADISLAS GALLANTGlobal islamic banking, Calyon, Credit Agricole CIB

La finance islamique appelle-t-ellede nouveaux outils informatiques ?LA FINANCE ISLAMIQUE EST UNE FINANCE

FONDÉE SUR DES PRINCIPES ISLAMIQUES

(Murabaha, Ijarah...) faisant appel à des actifs réels et

tangibles tels que des immeubles ou des matières

premières. Ces principes sont utilisés afin de répliquer

l’effet économique d’un produit conventionnel (dépôt,

financement, dérivés). On peut par exemple reprodui-

re un swap par combinaison de Murabahas. La prise

en considération de ces principes à plusieurs niveaux

pose de nombreux problèmes puisqu’ils ne corres-

pondent pas à un produit en soit, mais servent à repro-

duire les caractéristiques d’un produit conventionnel.

D’un point de vue informatique, les challenges concer-

nent la mise en place de systèmes qui soient capables

de gérer les principes et en même temps le produit

qu’ils répliquent. Ainsi, un Murabaha est concrète-

ment un achat spot suivi d’une vente spot de matières

premières avec paiement différé à un prix majoré.

Toutefois, les systèmes dans une banque classique ne

peuvent gérer un produit conventionnel à travers de

simples achats et ventes de commodities. Cela

implique donc l’emboîtage de différents systèmes et

une relation étroite avec des fonctions telles que la

comptabilité ou le département de gestion des risques.

La difficulté de la gestion informatique s’étend jus-

qu’aux confirmations puisque celles-ci doivent repré-

senter l’achat et la vente des commodities, et non le

produit conventionnel.

À travers ces quelques exemples, on constate le rôle

crucial des systèmes informatiques dans le cadre de

l’activité de finance islamique. Une analyse de son

architecture informatique et de la souplesse de ses sys-

tèmes est un des pré-requis avant le lancement de

cette activité. Plusieurs sociétés ont su saisir cette

opportunité et proposent des systèmes dédiés à la

finance islamique. Toutefois, ces solutions s’appliquent

à des banques purement islamiques, plus difficilement

aux banques déjà établies qui ne pourraient utiliser

ces systèmes spécifiques que parallèlement à leur

architecture. Ainsi, aujourd’hui, les banques telles que

Calyon ont dû établir des architectures sur mesure

qui impliquent notamment de surveiller la compatibili-

té des systèmes entre eux. D’où la mobilisation de leurs

équipes informatiques ! ◗

41

L ’ u n i f i c a t i o n d u s y s t è m e d ’ i n f o r m a t i o n d e s C R : u n p r o j e t h i s t o r i q u eY V E S N A N Q U E T T E

Dessinons le futur

L’ampleur des changements engendrés par

la révolution numérique implique de nombreux domaines :

le droit, bien sûr, la sécurité informatique, l’aménagement des agences,

les modèles concurrentiels... sans oublier l’éthique.

Six articles pour poser les repères des prochaines années.

MICHEL CALLIAUBusiness development executiveGBS financial services sector, IBM France

OLIVIER PARISOTConsultant senior GBS Financial Services Sector, IBM France

Les nouveaux enjeux de la concurrencebancaire en sortie de criseUne nouvelle donne issue de la crisePlus d’un an après la faillite de la banque Lehman

Brothers, s’il est encore tôt pour enterrer la crise et en

dresser son bilan, force est de constater que les

banques de détail ont plutôt bien résisté et que de

nombreux indicateurs repassent au vert : les activités

de banques d’investissement renouent avec les béné-

fices et plusieurs acteurs majeurs ont remboursé les

aides publiques débloquées en urgence l’an passé.

Pour autant, quel que soit son développement futur,

cette crise laissera une séquelle durable : la perte de

confiance des clients envers l’institution bancaire qui se

reflète par une détérioration de l’image de la banque et

de ses collaborateurs, en particulier ceux en contact

direct avec la clientèle. À l’issue de cette crise, l’enjeu

principal sera par conséquent la reconquête du client

en donnant aux collaborateurs les moyens de porter de

nouvelles valeurs. En effet, alors que l’on assiste depuis

une dizaine d’années à des investissements de la part

des banques de détail sur un modèle de Gestion de la

Relation Client centré sur la connaissance du

comportement client, dont les ambitions sont l’efficacité

opérationnelle des ventes croisées et la complémen-

tarité des canaux de distribution, il est désormais crucial

de recentrer la relation commerciale sur des valeurs de

conseil et d’éthique pour combler ce déficit d’image.

Dans cette optique, l’agilité et la souplesse de l’offre

deviennent des vecteurs majeurs de différentiation

dans la reconquête d’un client devenu consommateur

de produits et services dépassant largement le cadre

du cœur de métier historique d’une banque.

Indépendamment des éléments concurrentiels clé

que sont, pour la banque de détail, les spécificités de

l'organisation, le rôle prépondérant des collaborateurs

et l'efficacité du modèle de distribution multicanal,

cet article analyse plus particulièrement en quoi les

technologies de l’information peuvent contribuer à

supporter les enjeux d’une relation client repensée

en adéquation aux nouveaux comportements de

consommation.

42

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

À l’évocation des nouvelles formes deconcurrence issues de la crise, il est facilede penser « nouvel entrant spécialistelow cost ». Mais ce serait occulter un peuhâtivement la banque de détail qui grâceà son modèle, et sous réserve d’une relationclient repensée, possède tous les atoutspour demeurer une figure incontournablede ce nouveau paysage concurrentiel.

43

Les enjeux de personnalisationde l’offre commerciale

La flexibilité au centre

des nouvelles orientations marketing

Cette nécessité de rééquilibrer la balance de la relation

commerciale afin de conquérir et de conserver leurs

clients force les banques à adopter un comportement

quasi schizophrénique. L’enjeu est de recomposer

leurs offres pour mieux répondre aux attentes et aux

besoins du client, tout en optimisant leur produit net

bancaire. Cette recomposition intègre la prise en

compte des nouveaux comportements de consom-

mation en multicanal, mais aussi la capacité à s’adap-

ter à une situation client et à proposer des modules sur

mesure et à la carte permettant d’améliorer la rentabilité

de l’équipement client.

Dans ce cadre, si l’approche « pack » qui permet de

maîtriser le rapport « avantages client / assurance de

PNB » reste d’actualité, notamment pour les entrées en

relation et l’équipement de base, elle doit évoluer pour

inclure plus de flexibilité. Selon le principe de « choix

cadré », cette flexibilité consiste à proposer des pro-

duits optionnels à forte valeur ajoutée au libre choix du

client, tandis que la banque aura assuré son PNB via

des produits obligatoires composant le cœur de l’offre.

Cependant, une recomposition de l’offre ne peut se

limiter à une simple évolution de cette approche qui

reste incertaine en regard des évolutions réglementaires

latentes, de son rejet par les associations de consom-

mateurs, mais surtout de la réticence d’un client devenu

méfiant et qui attend d’avantage de sa banque.

C’est pourquoi une nouvelle approche commerciale de

vente multi produits à géométrie variable émerge. Basée

sur la détection de situations client, elle permet de

composer une offre à partir d’un groupe de produits

pouvant être contractualisés unitairement tout en offrant

des avantages croisés. Dans cette approche, le lien

situation client / offre de produits groupés doit se décliner

dans le contexte de relation commerciale notamment :

• Par foisonnement suite à une simulation produit

aboutie : cette approche permettant de répondre au

besoin primaire du client avant d’entamer la proposi-

tion d’un certain nombre de produits complémen-

taires améliorant sa couverture bancaire.

Par exemple : finaliser la simulation d’un crédit

immobilier avant de proposer une assurance MRH et

un crédit à la consommation pour les travaux.

• Par diagnostic de situation client : cette approche, qui

ne peut être envisagée que dans une relation directe,

permettant de travailler en profondeur sur les besoins

à différents horizons du client et de lui constituer une

véritable offre sur mesure.

Par exemple : établir une préconisation d’optimisa-

tion patrimoniale suite à un entretien exploratoire avec

le client.

• Par sollicitation d’offres privilèges : cette approche,

qui se base sur des études d’appétence par

comparaison de l’équipement et de population type,

permet de contacter le client sur différents canaux en

lui proposant des offres pré-calibrées par le marketing

à des conditions préférentielles.

La composition et l’édition du contrat doivent suivre le

modèle de construction dynamique de l’offre, pour

supporter sa flexibilité et son agilité et éviter qu’un

accord d’offre client ne soit qu’un simple agrégat des

contrats produits. Cependant cette agilité se heurte au

respect des cycles respectifs d’acceptation selon les

lignes produits.

Une personnalisation

qui s’étend jusqu’aux tarifs

Si la flexibilité de l’offre est un point clé de la

reconquête, le prix reste au centre des préoccupations

d’un client sensible aux messages des nouveaux

entrants qui axent le plus souvent leur communication

exclusivement sur ce critère. Pour les banques de

détail, la tarification devient donc un levier stratégique

aussi bien dans l’acquisition des nouveaux clients que

dans la fidélisation de son portefeuille existant. C’est

pourquoi, la mise en place des nouvelles stratégies

commerciales doit s’accompagner de politiques tari-

faires efficaces et innovantes.

Ces dernières doivent se globaliser sur l’ensemble de

la relation commerciale et la tarification doit donc évo-

luer pour dépasser le seul contenu de l’offre vendue.

D’ores et déjà on constate la mise en place de méca-

nismes d’avantages tarifaires pouvant s’étendre du

cadeau au cash back en passant par la réduction sur �

L e s n o u v e a u x e n j e u x d e l a c o n c u r r e n c e b a n c a i r e e n s o r t i e d e c r i s eM I C H E L C A L L I A U E T O L I V I E R P A R I S O T

44

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

des produits partenaires ou propriétaires afin d’en-

courager la vente croisée. Néanmoins, de telles

mesures ne prouveront leur efficacité que si elles sont

accompagnées :

• D’une connaissance toujours meilleure du client, de

ses relations, mais aussi de son comportement, de sa

rentabilité et de son potentiel pour mieux cibler le type

d’avantage à offrir.

• D’un effort pour rendre ces avantages plus lisibles aux

acteurs de la relation commerciale qu’ils soient clients,

collaborateurs ou partenaires, et ainsi intégrer la com-

position de l’offre dans les nouvelles perspectives de

négociation.

Par exemple : Argumenter sur les simulateurs en ligne

et autres comparateurs de taux de crédits immobiliers

qui occultent une partie de l’offre globale allant des frais

de dossier aux possibilités de rééchéancement ou de

rachat.

L’agilité de l’offre, vecteur

de croissance et de fidélisation

Dans tous les cas, une offre agile, personnalisable et

lisible dans son contenu et dans son prix, devient un

outil majeur aussi bien pour supporter la croissance,

où la capacité à lancer rapidement des offres inno-

vantes à forte valeur ajoutée sera essentielle, que

pour renforcer la fidélisation, où apparaître comme un

partenaire capable de comprendre et d’adapter son

offre aux situations de son client sera primordial. Pour

répondre à ces enjeux, la tendance vise à corréler

l’offre à des situations client qui apparaissent en temps

réel lors du contact quelque soit le canal. Pour ce faire,

les concepteurs des offres doivent prévoir les critères

qui permettront, lors de l’identification de la situation,

de proposer en mode réactif les produits et tarifs

adaptés, ainsi que les argumentaires de vente scé-

narisés associés.

Toutefois, cette approche ne se substitue pas aux

campagnes marketing ciblées en mode proactif, mais

celles-ci devront évoluer afin d’intégrer les situations

client, et d’adapter leurs conditions de déclenche-

ment et de scénarisation. Les campagnes ainsi

menées se révèleront plus efficaces, mais éviteront

surtout la sur-sollicitation, véritable plaie de la relation

commerciale.

Enfin, dans le cadre des nouveaux modèles de

distribution, les banques devront opérer une césure

entre leur gestion de l’offre et celle des produits se

déclinant jusqu’à la dissociation entre les tarifs de

vente de l’offre aux clients et les coûts de gestion des

produits par les producteurs, qui leur permettra alors

de disposer d’un plus grand nombre de leviers d’op-

timisation de leur marge.

Des modèles de distributioncentrés sur l’offreLe découplage Distribution / Production

Les principes de découplage entre les entités de dis-

tribution et celles de production pour les organismes

financiers sont bien antérieurs à la crise. Dès février

2002, lors des entretiens de la Maison Dorée, Henri de

Castries s’exprimait sur le sujet :

« Pour maximiser notre positionnement, nous devons

accepter de mettre nos produits dans des réseaux que

nous ne maîtrisons pas et accepter que nos propres

réseaux vendent des produits que nous ne fabriquons

pas ».

Ainsi, là où les atouts du distributeur sont la relation

client et la connaissance qui en découle pour lui

permettre de proposer le bon produit, au bon client, au

moment le plus opportun, via le bon canal. Pour le

producteur, ce sont le développement d’une expertise

métier et l’adaptabilité de ses produits conjugués à

l’optimisation opérationnelle de ses processus de

gestion qui doivent lui permettre de passer des accords

de partenariats avec des distributeurs internes ou

externes et ainsi atteindre la masse critique néces-

saire à la rentabilité de son activité.

Les principaux acteurs du marché ont, dès cette

époque, adopté ces principes de spécialisation de la

distribution et de mutualisation des productions.

Toutefois, l’extension du catalogue commercial à des

produits et services dépassant le strict cadre du cœur

de métier de la bancassurance impose de structurer ce

découplage autour de nouveaux modèles adaptés

aux besoins d’un client devenu consommateur.

Les nouveaux modèles de distribution

Aujourd’hui, dans un marché mature, composé de

banques universelles et d’un ensemble d’acteurs

45

spécialisés faisant face à un client informé, averti et

multi bancarisé, ce découplage doit se structurer au

travers de modèles centrés sur l’offre.

Déclinés sur l’ensemble de la chaîne de valeur de

vente, depuis la conception jusqu’à la production, ces

modèles représentés dans les schémas qui suivent,

formalisent le partage des prestations offertes par le dis-

tributeur (bleu) et le producteur (vert). Cependant, ces

modèles n’ont pas pour objectif de spécifier l’acteur

ayant en charge d’exécuter ces activités, cette

déclinaison étant généralement spécifiée lors de la

mise en place d’accords de partenariat ou à l’occasion

des réflexions sur l’articulation des activités front et

back, en particulier via le partage des processus métier.

En fonction de la stratégie de la banque sur une famille

de produits ou un segment de marché, ces modèles

se projettent de façon spécifique selon trois axes de

qualification d’une offre :

• La réactivité qualifie chaque modèle sur sa capacité

à mettre en marché rapidement une offre.

• L’adaptabilité le qualifie sur sa capacité à adapter faci-

lement une offre au comportement d’un client.

• La généricité le qualifie sur sa capacité à s’inté-

grer simplement dans un processus de relation

commerciale.

Le modèle Prescripteur (voir figure 1.1)

En phase de conception, après avoir qualifié les besoins

pour une cible, le distributeur après avoir choisi le

producteur ayant l'offre la plus adaptée, se positionne

en tant que prescripteur d’une offre clé en main conçue

par ce producteur. Dans la distribution, après les

activités d'accueil et de découverte du besoin, le

distributeur sollicite le producteur pour dérouler la

chaîne de valeur pour l'intégralité des activités de

vente et d'après-vente liées à cette offre.

Dans ce modèle, la réactivité est forte grâce à la

simplicité de l’intégration au niveau des processus et

du SI, mais l’adaptabilité est limitée au strict périmètre

initial de l’offre et la généricité est faible.

Ce modèle peut répondre à une stratégie Industry

specialist sur un produit spécifique qui n’est pas à un

instant donné dans le cœur de métier de la banque mais

qui doit être présent rapidement dans son catalogue.

Le modèle Intégrateur (voir figure 1.2)

En tant qu’intégrateur d’usines produit, le distributeur

maîtrise l’ensemble des activités de conception et de

distribution de l’offre. Après les activités de vente

et d'après-vente, le distributeur sollicite le ou les

producteurs pour qu'ils réalisent la gestion et les

traitements après-vente des produits unitaires entrants

dans l’offre contractualisée avec le client.

Dans ce modèle, le changement d’un producteur n’a

pas un impact majeur ce qui augmente les opportunités

de mutualisation. L’adaptabilité et la généricité de ce

modèle sont optimum. En revanche, même si l’inté-

gration des producteurs est simple pour les processus

et pour les SI, la réactivité est fortement pénalisée par

la nécessité de développer intégralement les phases de

vente et d’après-vente dès que l’on souhaite élargir

l’offre à de nouveaux produits.

Ce modèle peut répondre à une stratégie Universal

bank reposant sur une offre stable intégrant les produits

historiques de la banque. �

L e s n o u v e a u x e n j e u x d e l a c o n c u r r e n c e b a n c a i r e e n s o r t i e d e c r i s eM I C H E L C A L L I A U E T O L I V I E R P A R I S O T

Distribution ProductionConception

Défini-tionoffre

Condi-tions

Marketoffre Accueil Vente Après-

vente GestionTraitement

après-vente

FIGURE 1.1 Chaîne de valeur du modèle prescripteur

Source : IBM

Distribution ProductionConception

Défini-tionoffre

Condi-tions

Marketoffre Accueil Vente Après-

vente GestionTraitement

après-vente

FIGURE 1.2. Chaîne de valeur du modèle intégrateur

Source : IBM

46

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Le modèle Agrégateur (voir figure 1.3)

En tant qu’agrégateur de services, au niveau

conception le distributeur maîtrise les activités liées à

la définition de l’offre et ses conditions puis s’appuie sur

les producteurs les plus compétitifs pour y intégrer

leurs conditions de produits associées. Au niveau

distribution, pour la vente, les activités de découverte

& composition, de négociation & contractualisation

de l’offre sont celles du distributeur, le producteur

supporte celles liées aux accords sur les conditions de

fonctionnement de produits ainsi que les demandes de

modifications contractuelles associées.

Dans ce modèle, l’adaptabilité est forte sous réserve

d’un bon niveau de paramétrage par les producteurs

des conditions des produits et services composant

l’offre. La généricité est optimum et la réactivité est

bonne grâce à l’utilisation de « briques de services »

fournies par les producteurs.

Ce modèle peut répondre à une stratégie Multi specialist

reposant sur une souplesse de conception des offres

tout en s’appuyant sur des producteurs spécialisés.

L’offre et les modèles de distribution

En regard des stratégies par ligne produit ou segment

client, un distributeur qui se positionne comme acteur

de plein exercice sur le marché de la banque de détail

verra probablement cohabiter ces trois modèles avec

un certain degré de porosité. Il pourra ainsi, via la

solution d’un spécialiste, répondre rapidement à une

attente client sur un produit périphérique à son cœur

de métier, continuer à se différencier sur ses offres

historiques, mais surtout coller au plus près des

besoins de ses clients via une offre évolutive s’appuyant

sur une large gamme de producteurs spécialisés.

De son côté, un producteur souhaitant avoir une stra-

tégie multi-distributeur pour améliorer sa rentabilité et

répondre à différentes stratégies de distribution, pourra

proposer pour son périmètre d’activités les trois

modèles à des distributeurs internes ou partenaires.

Quels que soient ces positionnements au travers des

modèles, l’articulation de l’offre entre le client, le dis-

tributeur et le producteur amène à reconsidérer le

paradigme de la qualité de service.

La maîtrise des processus au servicede la qualité de la relation commercialeDu fait des changements dans la relation commerciale,

la qualité de service est encore, plus que par le passé,

un élément majeur de la reconquête. D’une part, le

client devient défiant et attend d’avantage de sa

banque : il veut savoir ce qu’il se passe, ce qu’il paie,

et comment les services dont il bénéficie lui sont

rendus. D’autre part, les banques de détail, dans leur

volonté d’afficher envers leurs clients et leurs collabo-

rateurs une nouvelle éthique, doivent suivre la trans-

formation de leur métier : vendeurs de produits ban-

caires, il leur faut maintenant appréhender la situation

du client pour pouvoir le conseiller et lui proposer la

composition de l’offre la plus adaptée.

Dès lors, le maintien a minima du niveau actuel de

qualité de service client devient un challenge qui, pour

être relevé, passe par un contrôle de bout en bout des

processus liés à la relation client.

Dans ce cadre, un processus ne doit pas être vu

comme une simple modélisation de procédures à appli-

quer pour répondre à une demande client en dehors de

tout autre contexte, mais comme un élément de réfé-

rence dans la maîtrise de l’ensemble des interactions

entre les participants dont dépend la qualité de la

relation commerciale. En effet, même s’il est toujours

propriété d’un acteur de la banque, un processus peut

faire participer tour à tour un collaborateur, un partenaire

ou le client et ce via l’agence, le web ou le mobile.

Ainsi, un processus n’est plus isolé, il doit intégrer les

événements liés aux différents acteurs sur les différents

canaux. Il n’est plus simplement exécuté en straight

through processing, mais peut être suspendu et repris

avec un changement de canal ou d’acteur sans perdre

Distribution ProductionConception

Défini-tionoffre

Condi-tions

Marketoffre Accueil Vente Après-

vente GestionTraitement

après-vente

FIGURE 1.3. Chaîne de valeur du modèle Agrégrateur

Source : IBM

47

son contexte et son état d’avancement. Enfin il doit

pouvoir être suivi par l’ensemble des participants qu’ils

soient collaborateurs, clients ou partenaires.

Pour répondre à cet enjeu sans tomber dans le travers

d’une démarche exhaustive de modélisation détaillée,

ni dans le syndrome « couteau suisse » d’une

approche trop conceptuelle et générale, il convient de

distinguer et de spécialiser les diverses perspectives

sous-tendues par la notion générique de gestion de

processus.

Décrire les processus

pour les comprendre et les partager

Un processus est une représentation conceptuelle du

savoir faire métier de l’entreprise. Il décrit et formalise

via un enchaînement de phases « comment se fait

mon métier » et avec quel résultat. Dans l’objectif de

faire des processus métier un véritable capital intel-

lectuel de l’entreprise, il faut, dans un premier temps,

les décrire et les partager :

• Au niveau des acteurs de la chaîne de valeur de l’offre

pour en particulier qualifier les responsabilités

Distributeur et Producteur dans chacun des modèles

de découplage.

• Au niveau des entités partageant les mêmes pro-

cessus pour identifier les spécificités ou les axes de

mutualisation comme par exemple lors de réorgani-

sation suite à une fusion.

• Au niveau des décideurs afin de pouvoir prioriser plus

finement les axes de développement, mais aussi de

tracer le respect des exigences tout au long du cycle

de mise en œuvre.

Pour accélérer et faciliter la compréhension et le par-

tage, il faut être vigilant sur le nombre et l’homogénéité

des processus décrits, mais surtout sur la granularité

des phases. De fait, si l’on considère la cinquantaine

de processus majeurs d’une banque de détail, chaque

phase devra exprimer une action portant sur un objet

métier issu d’un catalogue d’environ une trentaine

d’éléments permettant de classer les principales

informations manipulées dans l’entreprise.

Modéliser les processus pour

les analyser et les implémenter

Au-delà de cette perspective de partage, supportée par

une démarche type dictionnaire de processus, il peut

être intéressant de les analyser et de les modéliser pour

supporter une perspective d’implémentation répondant

à une finalité précise.

Au cours de ces dernières années, les grandes

initiatives autour des processus, notamment avec les

projets dits de workflow ou de BPM1, ont été entre-

prises sans généralement adapter les principes de

modélisation aux objectifs, ce qui a eu souvent pour

conséquence de complexifier leur réalisation voire d’en

perdre la finalité. Si l’on veut limiter ces travers, il faut

voir la modélisation de processus suivant trois grandes

perspectives :

• La perspective de suivi représente le franchisse-

ment des étapes d’un processus, avec pour objectif

d’une part de piloter les engagements de service et les

performances, et d’autre part d’exprimer les situa-

tions client pour supporter la découverte d’offres.

• La perspective d’orchestration représente la distri-

bution d’activités au sein d’un processus, avec pour

objectif d’optimiser son déroulement. Une activité

s’entend ici comme un ensemble de tâches déclen-

chées par un seul évènement, réalisée par un seul et

même acteur sans qu’il ait besoin de s’interrompre.

• La perspective de chorégraphie représente un

enchainement de services informatiques, avec pour

objectif le développement d’applications du système

d’information.

En fonction de leur finalité, ces modélisations peuvent

être réalisées indépendamment, mais dans le cas où

une perspective d’orchestration serait modélisée,

s’appuyer sur elle pourra accélérer la modélisation

des deux autres.

Intégrer la sphère événementielle

La modélisation de processus s’appuie sur la gestion

des événements. Qu’ils soient constatés ou détermi-

nés, ces derniers contribuent à identifier les risques et

les opportunités métier et à partager l’information au �

L e s n o u v e a u x e n j e u x d e l a c o n c u r r e n c e b a n c a i r e e n s o r t i e d e c r i s eM I C H E L C A L L I A U E T O L I V I E R P A R I S O T

1. Business Process Management.

48

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

bon moment. En revanche, du fait du nombre élevé

d’interactions pouvant survenir dans le cadre de la

relation commerciale, la modélisation des évènements

métier se conjuguera à celle des processus modélisés

leur permettant alors de jouer pleinement leur rôle de

transformation d’information en action.

Par ailleurs, un évènement isolé n’a pas forcément de

valeur métier. C’est pourquoi, il peut être intéressant

de le replacer dans son écosystème car, corrélé avec

une série d’autres évènements, il peut faire appa-

raître une nouvelle situation de risque ou d’opportunité

commerciale.

Cette combinaison de la gestion des événements avec

les différentes perspectives des processus, notam-

ment celles de suivi et d’orchestration, permet de ren-

forcer l’efficacité opérationnelle et commerciale de la

banque, mais aussi de répondre aux attentes des

clients en analysant et en exploitant au mieux toutes les

interactions constituant la relation commerciale.

Le système d’information supportde ces stratégiesAujourd’hui, à l’issue des programmes de GRC multi-

canale initiés début des années 2000, les systèmes

d’information des principales banques de détail

implémentent avec une certaine efficacité, notamment

au travers de référentiels client, les activités liées à la

relation commerciale. En revanche, ils ont subi avec

plus ou moins de douleur les vagues successives de

rapprochements et de consolidations qui ont impacté

leur homogénéité.

C’est dans ce contexte que les enjeux liés à la

personnalisation de l’offre, la structuration des modèles

de distribution et à la maîtrise de la qualité de service

au travers des processus viennent à leur tour percuter

les SI. Pour pouvoir absorber cette nouvelle onde de

choc, les SI devront être capables d’opérer les trans-

formations nécessaires, notamment :

• Pour la personnalisation de l’offre : extraire les

règles métier d’éligibilité et de tarification des sys-

tèmes de production pour construire un atelier de

conception à la main du métier pilotant l’alimentation

du référentiel d’offre du système opérationnel aussi

bien pour les données que pour les règles métier.

• Pour la structuration des modèles de distribution :

s’appuyer sur une architecture d’intégration riche et

adaptable en fonction du modèle de découplage retenu

pour la gestion d’un produit. Cette architecture devra

offrir des mécanismes industrialisés permettant en

particulier :

– dans le cas du modèle prescripteur, l’intégration

d’IHM2 entre les activités d’accueil et de vente et la

réplication de données pour les remontées d’infor-

mations de la production ;

– dans le cas du modèle intégrateur, la réplication de

données au fil de l’eau et par vacation une fois l’acte

de vente réalisé et les échanges d’événements néces-

saires aux processus de suivi et d’orchestration ;

– dans le cas du modèle agrégateur couvrir les péri-

mètres des deux modèles précédents complétés par

l’intégration de services métier pour la création des

contrats produit.

• Pour la maîtrise de la qualité de service au travers des

processus : bâtir un référentiel de processus de suivi

et d’orchestration pour les instancier en tant que véri-

table donnée de référence de la relation commerciale

tout en industrialisant les points de capture des

événements et leur exploitation dans le SI.

C’est pourquoi, afin de pérenniser les investissements

déjà réalisés tout en répondant à ces nouveaux enjeux,

les banques de détail vont devoir s’engager dans des

chantiers de transformation du système d’information

capables de conjuguer rationalisation des existants et

mise en œuvre des nouvelles ambitions. Pour cela, les

grands acteurs du marché optent pour une stratégie de

construction progressive d’assets de distribution via des

étapes ayant un apport métier mesurable et s’intégrant

sur un périmètre non-régressif dans un existant rénové.

Pour accélérer, via le partage de composants, les

développements de ces nouveaux assets et faciliter leur

intégration dans la souche existante, doit s’associer à

cette démarche la mise en place d’un socle d’inté-

gration composé :

• Au niveau fonctionnel :

– des référentiels « Personnes et Contacts », « Offres

et Produits », et « Processus et Evènements » ;

2. Interface Homme Machine.

49

– des mécanismes transverses de type ECM3,

workflow, dispatching d’événements et moteurs de

règle.

• Au niveau technique :

– de framework d’intégration de fonctions (IHM et

Services), de données (au fil de l’eau et par vacation),

d’événements (pour le suivi et l’orchestration) ;

– de framework de développement pour les couches

de présentation et de navigation, d’orchestration et

d’intégration, et de services métier et d’information

(voir figure 2).

En complément, pour supporter les objectifs de

rationalisation et mesurer la contribution du SI aux

enjeux métier, cette transformation doit également

s’accompagner d’un investissement sur :

• La chaîne de valeur de la construction logicielle

couvrant l’ensemble des étapes de la fabrication à

l’uti l isation, en intégrant les nouveaux enjeux

d’assemblage, d’adaptation, d’intégration, et de

déploiement propres aux nouveaux modèles de déve-

loppement logiciel basés sur l’intégration.

• Une gouvernance permettant de tracer les besoins

métier de leur modélisation dans les processus à leur

implémentation en tant que services métier tout en

optimisant la réutilisation fonctionnelle par l’approche

processus.

Une opportunité pour la banque de détailComme nous l’avons vu, la crise a induit une double

transformation sur le marché : le client devient méfiant

et exigent envers les organismes financiers qui, de

leur côté, se recentrent sur la maîtrise de l’offre dans

le cadre de la relation commerciale.

À l’instar du marché de la bourse, il semble fort

probable que seule une minorité de clients experts

souhaitera gérer elle-même l’ensemble de ses produits

en s’adressant en direct, et au cas par cas, à des spé-

cialistes. C’est dans ce cadre que les banques de

détail ont une réelle opportunité de capitaliser sur leur

valeur ajoutée principale : leur réseau de distribution

et la maîtrise de la relation commerciale. En proposant

à leurs clients une offre lisible et flexible, et en se

concentrant sur leur rôle de conseil, ces banques

peuvent se positionner en tiers de confiance et recon-

quérir le client.

Ainsi, en adoptant une stratégie de multi spécialiste,

elles pourront proposer l’agrégation d’un ensemble

de prestations au sein d’une offre agile dont la

compétitivité sera comparable par domaine à celle

des meilleurs acteurs du marché, quitte à les intégrer

via des accords de partenariats, et pour laquelle la qua-

lité de service, grâce à une maîtrise des processus de

l’ensemble de l’offre, sera bien supérieure à celle de la

somme des prestations unitaires. ◗

L e s n o u v e a u x e n j e u x d e l a c o n c u r r e n c e b a n c a i r e e n s o r t i e d e c r i s eM I C H E L C A L L I A U E T O L I V I E R P A R I S O T

Socle d’intégration

Système de distribution

Système de production

TéléphoneInternet BornesMobileAgence

intég

ratio

nAccueilVision globale Client,Gestion des contacts

Réalisation Ventes,Banque au quotidienVente

Personnes,Offres, Processus

Après-vente

Gestiondes

Crédits

Gestionde

l’épargne

Gestiondes Moyensde Paiement

Nouveau Système Distribution

3. Enterprise Content Management.

FIGURE 2. Construire et intégrer

Source : IBM

JEAN-PHILIPPE BLANCHARDResponsable du pôle innovationCrédit Agricole S.A.

L’agence du futur dans un dispositif« user centric »Nouvelles approchesLa grande tendance des zones d’automates, amorcée

au milieu des années 90, a peu à peu modifié les

habitudes des clients, faisant gagner de la productivité

sur les opérations de base. Elle a cependant eu des

effets pervers en banalisant la relation et en diminuant

drastiquement les occasions d’instants commerciaux.

Certes, les centres d’appels sortants ont tenté de

prendre le relais, cependant le constat demeure : la

relation-client s’est distendue.

Paradoxalement les ouvertures d’agences continuent,

mais leur positionnement dans la logique « distribution »

est en train de se modifier pour recréer le lien humain

et pour valoriser le conseil et la réelle prise en compte

des désirs et besoins du client ou du prospect.

La technologie a son rôle à jouer dans cette recréation

de valeur commerciale sur plusieurs points : per-

mettre d’une part au client de mieux s’approprier les

offres, notamment par une personnalisation à sa main,

offrir de l’autre une qualité de conseil accrue tout en

permettant à la banque d’améliorer l’usage de ses res-

sources humaines et logistiques en inscrivant son

image dans la modernité. Mais elle permet aussi, par

la dématérialisation et les progrès des modes de

communication, de prendre en compte un change-

ment important de comportement de la clientèle : la

mobilité.

L’agence s’inscrit donc au sein d’une expérience uti-

lisateur multi-canal qui gagne en cohérence, grâce à

une expérience client enrichie mettant en valeur chaque

canal en tant que tel et surtout en tant que maillon en

continuité avec les autres. Par conséquent, la logique

du web et des téléphones mobiles s’invite dans

l’agence, et symétriquement cette dernière en fait de

même au sein des canaux électroniques : l’imbrication

agence physique / agence virtuelle entre dans la réa-

lité, créant de meilleures synergies entre canaux (une

opération peut être initiée sur un canal et débouclée sur

un autre) et accroissant la valeur de la relation face à

face en agence au-delà de la relation à distance.

50

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Malgré la prolifération des canaux dedistribution numériques et la prégnancecroissante d’internet et des téléphonesmobiles, l’agence bancaire reste un élémentimportant dans la relation client, contredisantles oracles qui avaient prématurémentannoncé sa disparition et même celledes banques classiques au profit denouveaux entrants « tout numériques ».

51

Rendre l’agence plus attractiveLa première rupture concerne l’organisation de la

chalandise des agences. Elle part du constat que la

mise en place des murs d’automates dans les

agences à l’entrée de l’espace commercial a permis

l’élargissement des plages horaires sur les services de

base, mais qu’elle a aussi provoqué une baisse de la

fréquentation des espaces commerciaux classiques en

agence. Afin de rétablir un flux en direction des gui-

chets, les concepteurs ont tendance à faire machine

arrière en intégrant une partie des bornes au sein

même de l’agence. Certaines banques ont même

imaginé des îlots d’automates mobiles au centre de

l’espace d’accueil pendant les heures d’ouverture,

puis déplacés dans la zone librement accessible au

client pendant les heures de fermeture de l’agence.

Au-delà de cette problématique de positionnement, les

automates évoluent vers de nouveaux modes

d’interactions, en particulier le tactile et le sans contact.

Les bornes de publicités sur le lieu de vente ont été les

premières à bénéficier de ces tendances. Les premiers

écrans tactiles étaient limités à un contact et les appli-

cations dérivaient des interfaces informatiques clas-

siques, le curseur de la souris étant remplacé par le

doigt. On était plus près des bornes SNCF que de ce

que l’on voit aujourd’hui. Des matériels et logiciels

spécifiques sont apparus il y a deux ans, prenant en

compte deux contacts digitaux puis plusieurs doigts

simultanés, ce qui a permis d’envisager un saut

qualitatif vis-à-vis des interfaces homme-machine

(voir figure 1).

En parallèle, de nombreux prototypes, puis des pro-

duits industriels ont banalisé la « tactilité ». Les plus

connus sont le mobile iPhone de Apple et la table

Surface : cette dernière innovation sera détaillée dans

la suite de l’article.

Une autre technologie, « le sans contact », a permis

de créer de nouvelles opportunités. Ce terme géné-

rique recouvre plusieurs techniques : le RFID (Radio

Frequency Interference Identification), le NFC (Near

Field Communication) et le Bluetooth (liaison par micro-

onde à courte distance), mais on pourrait aussi y

ajouter les « tags graphiques »... Ces technologies per-

mettent de reconnaître des objets ou d’échanger des

données entre objets. Les applications sont multiples,

par exemple reconnaître un client et personnaliser

une application, faire reconnaître par une borne un

objet promotionnel pour lancer une publicité, télé-

charger de l’information à la demande dans un télé-

phone portable, authentifier un client dans un pro-

cessus bancaire comme la dématérialisation de la

signature contractuelle... Cette tendance appelée

« l’internet des objets » est en train de se généraliser

à beaucoup d’actes du quotidien : c’est le cas de

Navigo pour les transports en commun, mais aussi, de

manière moins visible pour le consommateur, dans la

gestion logistique. Elle s’invite maintenant dans les

agences bancaires et les moyens de paiement.

Par exemple, il serait aujourd’hui possible de propo-

ser à la clientèle, notamment lors de la mise en œuvre

de ses premiers contrats, un objet ayant la forme

d’une clé USB, donc utilisable sur un PC, contenant

une puce RFID permettant de lire et de mettre à jour

la mémoire, cette dernière étant un coffre-fort élec-

tronique sécurisé par un code PIN comme une carte

bancaire. L’idée est de proposer au client d’y stocker

son identité numérique sécurisée ; on y stockerait

également le certificat du client, mais aussi sa signa-

ture scannérisée. Quand il signerait un contrat en

agence, il présenterait la clé à un lecteur sans contact

et saisirait son code PIN. Sur le contrat dématérialisé

apparaîtrait la signature digitalisée et le document

serait scellé via le certificat. À domicile, les mêmes

fonctions seraient possibles en enfichant la clé USB,

permettant ainsi de sécuriser les paiements sur

internet. Enfin, la clé disposerait d’espace mémoire �

L ’ a g e n c e d u f u t u r d a n s u n d i s p o s i t i f « u s e r c e n t r i c »J E A N - P H I L I P P E B L A N C H A R D

FIGURE 1. L’apparition d’un menu contextuelsur un produit bancaire interactif

par multi-contact sur une borne tactile

52

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

utilisable pour stocker des documents soit dans la

zone confidentielle, soit dans une zone publique. Une

borne interactive équipée de RFID pourrait donc y

transférer de la documentation à la demande.

Un changement dansla relation bancaireCes bornes de nouvelles générations posent un ques-

tionnement sur le rôle du commercial. Ne risquent-elles

pas d’éloigner encore plus le client du vendeur ?

Paradoxalement non si on en profite pour établir une

relation à trois : le client, le commercial, l’écran.

L’exemple-type concerne « Surface » de Microsoft,

composé d’une table tactile où commercial et client

peuvent choisir de se mettre face à face ou côte à côte

pour dialoguer en s’appuyant sur une application ban-

caire conçue pour enrichir l’échange.

L’ergonomie et le design deviennent des éléments

essentiels pour mettre le client en situation d’appro-

priation. Pour ce faire, il faut créer des métaphores

graphiques compréhensibles au premier regard, faciles

d’usage et apportant une plus-value explicative pour

chaque produit ou service. Ces objets graphiques doi-

vent être capables de mettre en scène des situations

simples ou plus complexes, comme par exemple des

interactions financières entre produits.

Ce travail va bien au-delà de ce que nous connaissions

dans la conception classique d’une application. Il s’agit

de mettre en œuvre un processus créatif connu dans

l’industrie sous le terme de « design thinking »1 et qui

fait ses premières armes dans le « design de services

financiers ». Le challenge repose sur la nature le plus

souvent immatérielle de la prestation bancaire qu’il va

falloir représenter concrètement sur l’interface tactile

afin que le client et le commercial puissent « jouer »

ensemble. Ce contact matériel crée réellement un

phénomène bien connu des écoles de vente : « si le

client prend le produit en main, la vente est quasi-

ment faite ».

D’où l’intérêt de l’ajout d’interaction avec des objets

réels comme la carte, renforçant l’expérience utilisateur

(voir figure 2).

FIGURE 2. Recherches autour des interfaces tactiles

1. Design Thinking : processus créatif pluri-disciplinaire « user centric » qui associe non seulement les informaticiens et les maîtrises d’ouvrage métier, mais aussi dessociologues, comportementalistes, ergonomes, designers graphistes, marketing, commerciaux ... et clients.

53

Ces technologies permettent de s’interroger aussi sur

les processus de vente déterministes. En effet, ce

type d’interface peut privilégier l’immersion du client

dans un « espace des désirs et des besoins » où il va

naviguer librement et faire ses choix dans un ordre

quelconque, ce qui implique la nécessité de prévoir des

scénarios très souples et des techniques de réalisation

privilégiant des processus flexibles.

Bien évidemment, le poste de travail du commercial

évolue aussi sous l’influence de ces nouvelles possi-

bilités, dont l’une des plus intéressantes est l’intégration

des outils de « communication unifiée ». Ce nouveau

concept est la transposition professionnelle de produits

grand public comme Skype, qui allie messagerie ins-

tantanée, téléphonie, visioconférence interpersonnelle

ou en groupe, partage d’applications et « présence »,

cette dernière fonction signalant la disponibilité de

chaque personne (« libre », « occupé », « absent », « ne

pas déranger »...).

L’une des applications marquantes est la possibilité de

faire dialoguer expert, client et responsable commer-

cial, avec une qualité de contact remarquable : grand

écran vidéo, partage d’applications... Mais cette tech-

nologie peut être aussi intégrée aux bornes classiques

ou tactiles. Elle répond également à des besoins

internes, comme réunions à distance, formation sur

sites dédiés ou sur postes de travail, permettant une

rentabilisation rapide des investissements.

Renforcer le lien avec le clientL’aménagement des agences contribue aussi à la

recherche de « plus d’humain ». Sont ainsi visées des

salles d’attente plus attrayantes avec des coins enfants

disposant non seulement de jouets classiques mais

aussi de distractions technologiques, des zones de

détente accueillantes, bref, un vrai travail sur l’am-

biance de chaque zone : matériaux, couleurs, lumières,

musique... et même odeur. Les recherches se

multiplient donc, y compris dans l’intégration de la

zone bancaire dans des zones de chalandises plus

larges ou, inversement, l’intégration de boutiques au

sein même de l’agence. Les banques du nord de

l’Europe, en Allemagne, en Suède, au Danemark

notamment, ont ouvert la voie depuis plus de deux ans.

Des initiatives voient le jour autour de valeurs comme

la solidarité, la vie sociale, la culture, les agences

devenant un point de rencontre pour les habitants

afin de créer et renforcer les liens en l’insérant dans la

dynamique locale.

Mais il est nécessaire aussi de prolonger le contact au-

delà de l’agence physique. Que ce soit sur le web ou

sur le mobile, l’agence doit être présente. L’éditorial du

directeur, le conseil du commercial, l’annonce de

changements de personnel, la rénovation de l’agence,

une promotion, la participation à une animation locale...

autant d’opportunités pour communiquer de manière

plus personnelle avec sa clientèle.

De plus les technologies du Web 2.0 permettent d’al-

ler plus loin dans le prolongement de l’agence dans le

monde virtuel via les technologies de communication

unifiée, donnant au client l’accès à son commercial ou

à un pool de commerciaux et d’experts à partir d’un

simple ordinateur. Cette généralisation de la vidéo-

conférence apporte une qualité de présence, de

partage d’information et de conseil personnalisé

proches d’un entretien en vis-à-vis.

Les capacités croissantes des téléphones mobiles

permettront à court terme de faire aussi de la visio-

conférence, sachant qu’il est déjà possible d’avoir un

indicateur de disponibilité de son interlocuteur, de

lui envoyer des messages et de lui téléphoner d’un

clic.

Cette continuité entre les différents canaux physiques

et virtuels se retrouve dans les mécanismes de vente

et d’opérations bancaires, toute action pouvant être

initiée à partir de n’importe quel canal et finalisée sur

un autre. L’agence s’imbrique donc intimement dans

la relation multicanal.

De nouveaux écosystèmesLes changements de mode de vie actuels sont en

train de modifier le rapport de force au sein du système

économique et remettent en question les habitudes des

entreprises.

Longtemps dominé par un univers de l’offre et par le

productivisme jusqu’au milieu du XXe siècle (« Tout le

monde peut avoir une Ford T de la couleur qu’il sou-

haite, à condition que ce soit le noir... »), le marketing

a pris peu à peu la mesure de la demande, mais en

restant le plus souvent dans un raisonnement centré �

L ’ a g e n c e d u f u t u r d a n s u n d i s p o s i t i f « u s e r c e n t r i c »J E A N - P H I L I P P E B L A N C H A R D

54

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

sur l’entreprise qui se sentait « propriétaire du client »

et s’organisait pour se protéger contre la concurrence.

Michaël Porter, dans les années 80, avait formalisé les

limites de cet exercice en décomposant la chaîne de

valeur et en théorisant la création et le maintien de

l’avantage compétitif qui, le plus souvent, ne peut

exister que par une intégration des partenaires,

sous-traitants, distributeurs, clients mais aussi

« coopétiteurs » (concurrents avec lesquels on coopère

sur des éléments de l’offre) dans la construction de

l’offre.

Peu à peu, et notamment par la nécessité d’intégrer

des métiers non maîtrisés par l’entreprise ou par la

recherche d’effets d’échelle, les collaborations entre

compétiteurs directs ou indirects se sont multipliées en

se limitant la plupart du temps au « back office » de

l’offre (pièces détachées puis équipementiers dans

l’automobile, filiales communes dans la gestion des

titres, commercialisation de produits tiers, etc.). Mais

clairement, l’entreprise considérait toujours le client

comme « captif » ou « à rendre captif ».

Cette ambition de retenir le client reste fondamentale

et les efforts faits notamment autour de la connaissance

client ou de nouveaux concepts comme l’exploitation

des réseaux sociaux (marketing viral, utilisation des

communautés, communication plus interactive) vont

dans le sens de la fidélisation.

Malgré cela, la volatilité devient, si ce n’est la règle, du

moins un facteur incontournable, le client devenant plus

critique vis-à-vis de ses fournisseurs habituels, adepte

du picorage (« cherry picking »), capable de se fabriquer

un service sur mesure en assemblant lui-même les

meilleurs composants, Il est aidé en cela par les sites

comparateurs d’offres. Les évolutions technologiques

actuelles (portails personnalisables, « mash up ») et

celles que l’on peut percevoir à cinq ans (composition

dynamique de services par l’utilisateur2) ne font que

renforcer les possibilités laissées au client de choisir et

personnaliser son écosystème numérique. Les pre-

miers travaux de recherche ont commencé chez les

opérateurs de télécommunication pour mettre en

œuvre des infrastructures pouvant accueillir des

services marchands au sein d’un catalogue où les uti-

lisateurs pourront puiser pour se créer leur propre

bouquet de services, y compris en les assemblant

sous forme de « composition de services ».

Inquiétant ? Certes, mais c’est ce que le client a

toujours fait dans le monde physique en allant d’une

boutique à l’autre. La différence est que, dans le

monde numérique, l’offre est encore plus pléthorique,

la compétition exacerbée et le risque de désintermé-

diation plus élevé si l’on n’y prend garde.

Le défi pour les offreurs de services est donc de :

• lever tous les freins d’accessibilité du client aux

offres, notamment en termes de mobilité ;

• créer une forte valeur ajoutée autour d’un écosystème

cohérent, évolutif et ouvert, capable de répondre aux

désirs et aux besoins du client ;

• ne pas se limiter à son propre écosystème en étant

prêt à partager les profits plutôt que de tout perdre.

Ces éléments de stratégie ont des conséquences

multiples sur la manière de concevoir les offres et les

délivrer dans la sphère physique de l’agence comme

dans l’espace numérique. La gestion de la relation

client, le passage d’une relation systématique d’af-

frontement à une recherche d’interopérabilité avec les

compétiteurs anciens et les nouveaux entrants, bref,

passer d’un monde fermé à un monde ouvert où ce

n’est pas celui qui tente de se poser en dominant qui

gagne, voici probablement l’un des défis qui nous

attend demain.

Il faut donc s’interroger sur l’avantage qui pourrait être

accordé aux entreprises qui accepteraient de s’intégrer

comme une ressource à disposition du consommateur

dans un ensemble plus vaste, lui laissant le choix de

construire/personnaliser son écosystème : en un mot,

aux entreprises s’organisant pour être « centrées vers

l’utilisateur ».

Dans ce futur contexte ouvert, l’agence devient un

élément à forte valeur, car elle symbolise et concrétise

2. Composition de services : cette technique consiste à assembler plusieurs fonctionnalités suivant diverses modalités. La plus simple consiste en un portailpermettant de juxtaposer des services sans interaction (vous sélectionnez par exemple plusieurs services d’information pour vous construire votre portail personnalisédans Netvibes ou iGoogle). Plus sophistiqué, le « mashup « mixe deux fonctions pour créer une application (le grand classique : une application ayant des adressesgéographiques qui sont localisées sur GoogleMap ou BingMap). Stade ultime qui en est aux premiers balbutiements techniques : la composition par l’utilisateur lui-même.

55

l’écosystème aux couleurs de la banque. Cela néces-

site une continuité dans la relation multicanal, où le

client peut commencer un acte en un point de vente

physique ou virtuel et le finir dans un autre, et entrer à

tout moment en relation avec un ou plusieurs com-

merciaux. De plus, comme la composition de services

sera au cœur des écosystèmes, l’agence devra être

capable de fournir des services dépassant son propre

cadre, sans doute dans des espaces multi-fonctions

et multi-partenaires. Elle peut donc jouer sur la proxi-

mité tant géographique que numérique grâce à ses

prolongements sur le web et le mobile afin d’accroître

l’appétence de l’écosystème, et donc la fidélisation du

client. ◗

L ’ a g e n c e d u f u t u r d a n s u n d i s p o s i t i f « u s e r c e n t r i c »J E A N - P H I L I P P E B L A N C H A R D

GIL DELILLEDirecteur de la Sécurité des Systèmes d’Information,Direction Informatique et Industrielle Groupe,Crédit Agricole S.A.Président du Forum des Compétences

Cinq défis sécuritaires des systèmesd’information bancaires du XXIe siècleUne donne sécuritaireen plein bouleversementLa plupart des systèmes d’information bancaires

actuels ont été conçus dans les années 1990. Depuis

cette époque, le contexte sécuritaire a profondément

changé et tout laisse à penser que les choses vont

continuer :

• Les banques dépendent toujours plus de leurs sys-

tèmes informatiques, non seulement pour leurs opé-

rations classiques mais également pour leurs échanges

multicanaux avec la clientèle particulière ou institu-

tionnelle. Les frontières entre les réseaux d’entreprise

et l’extérieur, notamment l’Internet, s’atténuent rapi-

dement : l’Internet projette ses synapses dans

l’entreprise et l’entreprise y exporte ses ressources

informatiques. Les limites entre entreprises s’estom-

pent : joint-ventures, intérêts croisés, mutualisation

« d’usines » favorisent l’existence d’entreprises dont les

réseaux sont intimement liés à leurs multiples géniteurs.

• La frontière entre les sphères privée et professionnelle

s’amenuise : travail à domicile sur l’ordinateur familial,

pléthore de terminaux depuis lesquels peuvent être

passées des transactions et dont on ne pourra pas

indéfiniment garantir la compatibilité avec nos appli-

cations transactionnelles.

• L’étanchéité des réseaux des entreprises s’effrite

au fur et à mesure que les éditeurs proposent des

logiciels contournant les systèmes de sécurité qu’ils ont

parfois eux-mêmes vendus. Nos ordinateurs sont

désormais envahis de programmes communiquant

de façon permanente avec le monde extérieur.

• Le piratage, autrefois maîtrisé par quelques individus

chevronnés, est désormais à la portée de tout utilisateur

« avancé ». Les outils sont largement diffusés, que ce

soit sur Internet ou... dans les kiosques. Les logiciels

malveillants permettent la prise de contrôle à distance

d’un poste de travail et se propagent automatique-

ment ; les fameux pare-feux ne sont plus une panacée.

• La rentabilité économique, la part décroissante du prix

des ordinateurs par rapport à celui des infrastructures

56

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Les systèmes informatiques bancaires desdeux prochaines décennies opéreront dansdes environnements bouleversés.Nous en sentons les prémices en observantles évolutions de l’informatique individuelle.La donne sécuritaire change en profondeur.Plutôt que subir ce changement, il faut enfaire le moteur de la réflexion sur la sécuritédes nouveaux systèmes et en déduiredes avantages « business ».

57

immobilières et logistiques, amènent des concentra-

tions extrêmes de matériels dans quelques lieux dont

la probabilité de destruction n’est pas nulle.

• La réglementation s’est durcie et se durcira encore :

confidentialité des données, lutte contre la fraude,

traçabilité des échanges avec la clientèle, signature

électronique et, globalement, intensification du besoin

de contrôle permanent.

Dans ces conditions, l’entreprise qui conçoit mainte-

nant un système d’information destiné à perdurer se

doit de devancer la tendance plutôt que la subir. Quels

sont les défis à relever ?

Défi n° 1 : résister à un environnementmoins maîtrisé

De quoi s’agit-il ?

Les vers informatiques transportent des Chevaux de

Troie. Ceux-ci « squatteront » de plus en plus souvent

nos ordinateurs et ceux de nos partenaires et clients.

Ils seront de plus en plus difficiles à détecter.

Par ailleurs, force est de constater que la tactique

« traditionnelle » consistant à empêcher la diffusion,

dans l’entreprise, de logiciels communiquant constam-

ment avec l’extérieur est battue en brèche. La télé-

phonie et vidéoconférence dans le PC, les outils

bureautiques centrés sur l’Internet (voire dépendant

d’Internet), les échanges d’ordinateurs à ordinateurs

(« peer to peer ») ébranlent la fragile citadelle de l’or-

dinateur individuel. Dans ces conditions, comment

garantir que ces logiciels ne seront jamais dévoyés ?

Par ailleurs, les techniques de prise de contrôle mal-

veillante d’un ordinateur se sont largement répandues

et vulgarisées (des tutoriels en vidéo sont disponibles).

Enfin, le développement du travail à distance, l’utilisa-

tion d’applications depuis des sociétés dont nous ne

maîtrisons pas la sécurité, l’éventuelle externalisation

de fonctions bancaires et, bien sûr, les banques en

ligne, font que nos systèmes seront de plus en plus uti-

lisés depuis de multiples terminaux (table intelligente,

console de jeux, smartphone, affiche interactive, etc.)

dont nous ne saurons presque rien.

L’ensemble de ces évolutions augmente le risque

d’une utilisation frauduleuse du système d’informa-

tion bancaire.

Quelles orientations pour mieux s’adapter ?

S’affranchir des faiblesses

de l’environnement « client »

Si l’on renonce au dogme imposant l’utilisation

exclusive des systèmes depuis des terminaux parfai-

tement contrôlés, deux voies complémentaires sont à

explorer.

L’une consiste à « virtualiser » les composants essen-

tiels du système d’information et à n’en transmettre que

l’image. L’application bancaire s’exécute sur un

dispositif virtuel (sain, précisément contrôlé au sein

de l’entreprise), son image étant projetée sur le terminal

de l’utilisateur. Ce mode de fonctionnement soustrait

les composants du système d’information bancaire

aux comportements potentiellement hostiles des ter-

minaux non contrôlés ; les tentatives de malveillance

(recherche de vulnérabilités, exploitation de failles tech-

niques, détournement des transactions) buteront sur

une simple image.

L’autre voie consiste, plutôt que chercher à sécuriser

l’environnement, à faire entrer en jeu des moyens de

validation hors de portée des fraudeurs car indépen-

dants du terminal de l’utilisateur. Il s’agit, pour toute

transaction saisie (par un utilisateur légitime ou non), de

contrôler, à différents stades de son exécution, son

auteur et l’intégrité de ses caractéristiques (par

exemple, en vérifiant que ni le montant, ni le bénéficiaire

n’ont été modifiés par rapport à ce que l’utilisateur avait

saisi).

Cette logique est en rupture avec les habitudes

acquises. Dans les systèmes actuels, les contrôles

sont trop souvent faits au début d’une session de tra-

vail puis considérés comme acquis par les systèmes

successivement impliqués, sans nouvelle vérification.

Il est ainsi possible qu’un utilisateur passe des dizaines

de transactions en n’ayant prouvé son identité qu’une

seule fois. Dans ces conditions, la tâche du fraudeur est

grandement facilitée. Cette approche était défendable

dans un environnement sain où les terminaux étaient

parfaitement maîtrisés. Garantie environnementale per-

due d’avance, comme nous l’avons vu...

C’est pourquoi, avec la nouvelle voie que nous venons

de décrire, l’identité de l’émetteur et l’inaltération des

caractéristiques de la transaction sont vérifiées tout au

long de la chaîne de traitement. Un maillon de la chaîne �

C i n q d é f i s s é c u r i t a i r e s d e s s y s t è m e s d ’ i n f o r m a t i o n b a n c a i r e s d u X X I e s i è c l eG I L D E L I L L E

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

échappera forcément au contrôle du fraudeur. La

démarche s’appuie sur le scellement et sur l’une de ses

variantes, la signature électronique.

S’adapter aux évolutions du modèle

de sécurité interne

Nous faisons face à des paradoxes :

• Les réseaux internes devraient être de plus en plus

hermétiques pour contrecarrer la montée en puis-

sance des outils de piratage.

• Les nouveaux usages bancaires (muticanal et

mobilité) et les logiques de partage d’information entre

utilisateurs (outils collaboratifs) tendent au décloison-

nement des réseaux.

Partons du principe que, dans les dix prochaines

années, la segmentation des réseaux va perdre du

terrain. Certaines réflexions vont jusqu’à anticiper

l’abolition de la barrière entre Intranet et Internet. Ces

réflexions ne sont pas des vues de l’esprit : la mobilité,

les ambiguïtés sur la nature personnelle ou profes-

sionnelle des terminaux portables, les interconnexions

de réseau érodent la thèse de la ségrégation.

Dans ces conditions, il vaut mieux que les applications

destinées à durer soient conçues dans une optique de

résistance intrinsèque face à un environnement incer-

tain. Nous avons vu qu’il fallait les empêcher d’être

dupes d’une fraude, il s’agit maintenant d’en empêcher

l’altération.

En d’autres termes, un système d’information d’avenir

est conçu pour résister d’emblée à un réseau hostile,

en particulier à l’Internet. Nous maîtrisons ce savoir-

faire puisque nous plaçons des applications sensibles

sur Internet. Pourtant, pour des raisons historiques,

certains ajouteraient « financières », les développe-

ments à vocation interne ne bénéficient pas des

mêmes égards. La construction d’un système d’in-

formation moderne est l’occasion de rompre avec

cette inconsistance.

Un système d’information moderne ne comptera plus

sur l’herméticité des réseaux pour garantir sa propre

intégrité. La reconnaissance des serveurs entre eux, par

recours à la cryptographie, permettra le passage

d’ordres sécurisés, via des interfaces pourtant

accessibles depuis des réseaux publics, « entreprise

étendue » oblige. Réussir ce tournant sera un gage

d’interopérabilité entre systèmes d’un même groupe

mais aura d’autres retombées. Les entreprises

maîtrisant les technologies de publication de services

sécurisés seront en mesure de commercialiser leur

savoir-faire plus vite que les concurrents.

Défi n° 2 : survivre au pire

De quoi s’agit-il ?

La dépendance des entreprises vis-à-vis du système

d’information s’accroît sans relâche. Il s’agit donc :

• De concevoir les infrastructures informatiques pour

qu’elles résistent à la panne d’un composant.

• De prévoir l’hypothèse selon laquelle ces infrastruc-

tures, dites résilientes, pourraient elles-mêmes subir

une défaillance logique qui corromprait les données

nominales et leur sauvegarde.

Nous savons que beaucoup d’efforts sont consacrés

à la résilience. Le premier cas (panne d’un composant)

est, en général, pris en compte dès la conception des

systèmes. Il s’agit de doubler un composant sensible

par un « miroir ». En revanche, le traitement de scé-

narios de corruption ou de destruction logique de

données dans ce type d’environnement peut poser

problème et en particulier la copie simultanée des

données entre le composant et son « miroir ».

En outre, la concentration, voire la mutualisation, des

infrastructures de calcul et de stockage réduisent la

tolérance aux aléas d’un redémarrage en cas de

sinistre.

Comment améliorer la capacité

de reprise en cas de sinistre ?

Lorsque plusieurs banques victimes d’un sinistre de

centre informatique attendent la reconstruction des

données d’un système d’information vital, il s’agit de

connaître :

• (dans le cas d’une remise en ligne de données sau-

vegardées en temps réel), le délai de remise en ligne

prenant en compte le temps de vérification de l’état

d’exécution et de l’intégrité des transactions qui étaient

en cours au moment de l’incident ;

• (dans le cas d’une reconstruction des données après

une destruction logique par bug ou malveillance des

59

données et de leur copie instantanée), le délai de

restauration des données à partir d’une sauvegarde,

incluant le délai de vérification de l’état des données et

du statut des transactions depuis la dernière sauve-

garde exploitable ainsi que le délai de reconstitution

manuelle des données perdues entre le moment de la

sauvegarde et l’instant de l’incident.

Un système d’information moderne doit être conçu

pour maîtriser ces deux problématiques.

S’en déduisent de multiples caractéristiques souhai-

tables :

• une résilience portant sur les données mais aussi sur

la capacité de traitement (processeurs) pour favoriser

le maintien, sans interruption, de l’activité et limiter le

délai d’indisponibilité lié à la validation des données et

des transactions ;

• une identification des transactions, de bout en bout,

inter-systèmes, probablement inter-entreprises, pour

faciliter l’examen de l’état de finition des transactions

interrompues par le désastre et partiellement propa-

gées dans les chaînes de systèmes de traitement ;

• la production, dans le même but, de traces suffi-

samment riches et compréhensibles ;

• des performances de sauvegarde/restauration (capa-

cité et temps de reconstitution des données) en rap-

port, de manière vérifiée (tests), avec les exigences des

métiers.

Défi n° 3 :favoriser l’agilité du business

De quoi s’agit-il ?

On peut estimer que les activités bancaires devraient

évoluer davantage dans les quinze prochaines années

qu’elles n’ont changé dans le passé :

• les acquisitions et/ou reventes s’intensifieront pour

s’adapter rapidement aux évolutions des marchés ;

• la localisation des activités sera révisée régulièrement

(centralisation ou décentralisation de back-offices,

délégation de prestations essentielles à des sociétés

tierces...) ;

• les co-entreprises se multiplieront ainsi que les

partenariats avec des entreprises tierces (mise à

disposition de services, etc).

Un système d’information moderne doit proposer une

gestion de la sécurité qui favorise cette agilité.

Comment favoriser l’agilité ?

Comme vu précédemment, le système d’information

idéal, conçu pour œuvrer en environnement « incertain »,

pourra être mis à la disposition de tiers via des réseaux

ouverts. La question de l’ouverture, sans risque

d’utilisation réussie du système par des indésirables,

étant réglée, il s’agit maintenant de maîtriser le

processus selon lequel les droits d’accès seront gérés

en particulier par des partenaires. Il y aura divers cas

de figure à traiter :

• délégation, ou non, de la gestion des accès par le

propriétaire du système d’information ;

• délégation des contrôles.

Pourquoi externaliser si l’on ne tire pas la quintessence

de cette externalisation, en particulier, si l’on gère,

dans le détail, les accès des tiers ? Il faut donc, dans

un cadre contractuel bien conçu et responsabilisant

l’entreprise partenaire, ouvrir la voie à la délégation

de l’administration des droits d’accès détaillés.

Mais le fait de sous-traiter ne dégage pas des

responsabilités (textes réglementaires relatifs aux

prestations de services essentiels externalisées).

Lorsque le système d’information est rendu accessible

à autrui, la maîtrise des opérations reste une

obligation.

Les systèmes d’information modernes doivent donc

anticiper l’émergence d’une entreprise composite : ils

devront permettre la délégation de l’administration

d’un domaine à des tiers tout en autorisant un contrôle

précis des opérations par le propriétaire du système

d’information.

Nous avons vu qu’une banque doit garder un œil sur

l’activité en cas de sous-traitance de ses activités.

Allons plus loin et considérons maintenant que les

systèmes puissent servir de base à l’activité de tiers

auxquels seraient proposés des services.

Il faudrait alors que les entreprises tierces disposent de

moyen de contrôle de leurs propres activités et d’une

vue sur la liste des personnes ayant accès à leurs

données. �

C i n q d é f i s s é c u r i t a i r e s d e s s y s t è m e s d ’ i n f o r m a t i o n b a n c a i r e s d u X X I e s i è c l eG I L D E L I L L E

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Si un groupe bancaire souhaitait se positionner comme

offreur de services hébergés, les choses seraient plus

aisées si ses systèmes assuraient, au tiers, des

garanties de confidentialité des données vis-à-vis de

l’hébergeur technique et de l’administrateur central.

Seul un design particulièrement soigné le permet.

Défi n° 4 :faciliter l’exercice du contrôle

De quoi s’agit-il ?

Les exigences de contrôle permanent s’accroissent

constamment mais il n’est pas rare que le contrôle

s’exerce sans que des fonctionnalités spécifiques

soient prévues dans les systèmes. Il s’appuie donc sur

des moyens marginaux (extraits bruts, rapprochement

manuel d’informations collectées depuis divers

éléments du système d’information, etc.).

Or, à l’instar de toute autre activité, le contrôle

permanent, exercé par des milliers de personnes,

devrait pouvoir s’appuyer sur des fonctionnalités visant

à faciliter son exercice. Il y va de la faisabilité du

contrôle mais aussi de son efficacité. Dans un univers

réglementé, le contrôle fait partie intégrante du

business ; il est nécessaire de le doter d’outils

adéquats, bien intégrés ; c’est devenu un enjeu de

productivité pour l’entreprise.

Comment faciliter l’exercice du contrôle ?

Le système d’information moderne intègre des fonc-

tions visant à faciliter le contrôle permanent :

• production de traces lisibles par les métiers sans

recours au savoir-faire des informaticiens ;

• mise à disposition de fonctions spécialement conçues

pour le contrôle ;

• prise en compte de besoins d’utilisateurs, relatifs à

la sécurité, pour éviter les comportements généra-

teurs de risques (prêt d’identifiant et d’authentifiant).

Pour éviter l’enfreinte à la réglementation par le recours,

hors de toute traçabilité, à des expertises techniques

pour obtenir la correction de données erronées, un sys-

tème d’information bien pensé devrait aussi permettre

les « opérations bistouri » sur les données tout en

produisant les traces nécessaires.

Nous constatons aussi que des comportements

anormaux (prêt d’ identi f iant, sans que cette

délégation soit consignée) sont induits par une

conception inadéquate des systèmes qui ne

permettent pas, sauf rare exception, la délégation

temporaire d’une activité. Ces mécanismes de délé-

gation deviendraient nécessaires, quoi qu’il en soit,

si le recours à la biométrie se développait (on peut

« prêter » son mot de passe, mais pas son empreinte

digitale ou son iris !).

Défi n° 5 : répondre à l’accroissementdes exigences

De quoi s’agit-il ?

Si nous résumons la somme des exigences issues

des autorités de tutelles, des législations en vigueur ou

des grands opérateurs (Visa et Mastercard), et qui

influencent directement la politique de sécurisation du

système d’information, il s’agit très grossièrement de :

• mieux protéger les données au nom du secret

professionnel ou de la protection de la vie privée

(Loi n° 2004-801 modifiant la loi n° 78-17) ;

• pratiquer la catégorisation de la clientèle pour les

opérations de marchés (MIF) ;

• prévenir la fraude (CRBF 9702 modifié par décret de

janvier 2009) ;

• pratiquer la signature électronique ;

• assurer la protection avancée des données liées aux

cartes bancaires (PCI-DSS).

Comment ?

Nous n’aborderons pas les exigences de la MIF qui se

traduisent par une revue fonctionnelle des processus

« métier », ni la prévention de la fraude et la signature

électronique abordées supra.

Il reste la question d’une meilleure protection des

données (données à caractère personnel, données

liées aux cartes bancaires). Il est manifeste que la

seule gestion rigoureuse des droits d’accès ne suffira

pas indéfiniment. De plus en plus, les autorités ou

fournisseurs incontournables spécifient la nature des

moyens à mettre en œuvre et en particulier le recours

au chiffrement.

61

Un système d’information moderne se doit donc d’in-

tégrer des solutions cryptographiques qui, lorsqu’elles

sont bien conçues, s’appuient sur des infrastructures

globales, en particulier une Infrastructure de Gestion de

Clefs Publiques. Cette infrastructure étant nécessaire

à la signature électronique, déjà évoquée, son retour

sur investissement n’est pas exclusivement basé sur

la confidentialité.

Le chiffrement doit être étudié globalement : de l’unité

de stockage du micro-ordinateur de l’utilisateur (col-

laborateur ou client) aux dispositifs de sauvegarde

centralisés. Le but est de dissocier la capacité

d’intervenir techniquement sur les systèmes et la capa-

cité d’exploiter les données qui y sont stockées, en

d’autres termes : soustraire les données des métiers

à la convoitise d’un informaticien peu scrupuleux.

Un système d’information ayant vocation à traverser les

années 2010-2020 ne peut éluder la question de la

cryptographie, harmonieusement intégrée à chacun de

ses maillons.

ConclusionRelever ces cinq défis dès à présent, lors de la

conception de chaque nouveau composant du

système d’information, permettra d’anticiper les

risques futurs plutôt que de les subir. Un système

hautement interopérable, apte à tirer parti des réseaux

ouverts, s’accommodant de tout type de terminal,

résistant aux environnements hostiles, propice à

l’évolution de l’entreprise et des marchés n’est pas

antinomique de sécurité, bien au contraire. Dans

l’intervalle, il nous faut encore bichonner nos anciens

systèmes d’information, donc les environnements

réseaux et les postes de travail qui y accèdent...

chaque chose en son temps. La vitesse de concréti-

sation des systèmes « tout terrain », garants de la

malléabilité des offres business et des grands

partenariats des décennies à venir, sera proportionnelle

à la conviction dont les métiers feront preuve dans

leurs expressions de besoins. Chaque occasion de

progresser devra être saisie ! ◗

C i n q d é f i s s é c u r i t a i r e s d e s s y s t è m e s d ’ i n f o r m a t i o n b a n c a i r e s d u X X I e s i è c l eG I L D E L I L L E

STÉPHANE HENRYDirection des affaires juridiquesCrédit Agricole S.A.

Le droit bancaire à l’épreuvedes nouvelles technologiesLA BANQUE DE DÉTAIL connaît depuis une dizaine

d’années des évolutions technologiques majeures

dues principalement au développement spectaculaire

d’internet et des nouveaux moyens de communication

en ligne, ainsi qu’à la transformation des mentalités et

des comportements.

Il ne s’agit pas là d’un phénomène passager : la pers-

pective d’un fort potentiel de développement pour les

entreprises, conjuguée à un engouement croissant

des particuliers pour l’utilisation des nouvelles tech-

nologies dans leur vie quotidienne, montrent qu’il s’agit

d’un mouvement en profondeur qui va marquer, voire

révolutionner, nos habitudes pour les années à venir.

Cette mutation de l’économie traditionnelle vers l’éco-

nomie numérique entraîne dans son sillage toutes les

professions, même les plus traditionnellement conser-

vatrices comme le notariat, qui est cependant la pre-

mière à s’être dotée d’une signature électronique

sécurisée, pierre angulaire de la dématérialisation des

contrats.

Pour que cette projection soit parfaite et se concrétise,

il est indispensable que les personnes physiques aient

confiance dans l’utilisation des nouvelles technologies

et que disparaisse progressivement dans l’inconscient

collectif ce sentiment que le commerce électronique est

une zone de non droit et d’insécurité.

Les tribunaux ont très vite apporté une première

réponse en transposant les règles juridiques existantes

lorsque cela était possible. Toutefois, certains verrous

ne pouvaient être levés que par l’intervention du légis-

lateur tant la mutation est profonde, notamment quand

il s’agit de modifier plus de 200 ans de pratique et des

règles issues du code Napoléon de 1804.

Nous verrons successivement les principaux domaines

62

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Plus de 200 ans de pratique et de règlesissues du code Napoléon de 1804 sontmalmenés par l’irruption des nouvellestechnologies dans la vie quotidienne.Revue des évolutions du droit dansla banque de détail.

63

du droit qui, sous l’effet de l’introduction des nou-

velles technologies dans la banque de détail, ont déjà

ou vont progressivement évoluer.

La réglementation bancaireet la connaissance du clientLe développement des nouvelles technologies, parce

qu’elles permettent la réalisation d’opérations ban-

caires par un moyen de communication en ligne,

conduit les établissements de crédit à s’interroger sur

la façon dont ils vont pouvoir s’acquitter de leurs obli-

gations de vigilance et de contrôle imposées par la

réglementation bancaire, et plus particulièrement en ce

qui concerne les règles du KYC (Know your customer).

L’identification des clients est une obligation fonda-

mentale pour la banque, notamment au regard de la

réglementation relative à la lutte contre le blanchiment

des capitaux et le financement du terrorisme, et pour

prévenir les fraudes en général. Dans le cas contraire,

elle risque de voir sa responsabilité engagée.

Traditionnellement, la relation en face à face permet à

la banque, avant de nouer une relation contractuelle ou

d’assister son client dans la préparation ou la réalisation

d’une transaction, de vérifier l’identité de son

co-contractant par la présentation de tout document

écrit probant et de conserver la trace de son contrôle.

L’application fidèle de ces règles conduit les établis-

sements de crédit désireux d’effectuer ces opérations

en ligne à devoir adapter, voire différer leur réalisation

en attendant une évolution prochaine des technologies,

dès lors que la banque ne peut effectuer ses contrôles

dans des conditions satisfaisantes.

Ainsi, il serait aujourd’hui hasardeux de procéder à

l’ouverture en ligne d’un compte à un prospect en

l’absence de production d’un justificatif d’identité fiable

comme le serait la carte nationale d’identité électro-

nique promise par les autorités pour bientôt, et qui

permettrait d’attester sans autre formalité et produc-

tion de justificatifs de son identité, en bénéficiant de la

présomption légale attachée à ce type de document.

Quant aux autres pièces justificatives que la banque

doit demander, figurent les justificatifs de domicile et

les documents permettant de vérifier les déclarations

du client (relevé bancaire, bulletin de salaire, avis

d’imposition…) qui prennent de plus en plus une

forme dématérialisée dès leur émission (« e-facture »,

« e-relevé », « e-bulletin de salaire ») sans que le

client ne puisse remettre un original papier si la

banque le lui demande. Non encore véritablement

entrée dans les habitudes et retranscrite dans les

procédures, cette situation devrait à terme conduire

la banque à accepter et à conserver ces « e-docu-

ments » dans ses dossiers clients comme justificatifs

de ses contrôles. Toutefois, la banque devra au préa-

lable s’assurer techniquement que ces documents

sont authentiques.

Le secret bancaire et la sécurité dessystèmes d’informations de la banqueL’évolution permanente des techniques, leur maîtrise

quelquefois imparfaite par les utilisateurs et surtout

l’apparition de pirates informatiques de plus en plus

affûtés, posent sous un éclairage nouveau le pro-

blème du secret bancaire.

L’établissement de crédit devra en permanence lutter

contre toutes les formes d’intrusion frauduleuse ou

malveillante dans ses systèmes d’informations, mais

également être particulièrement vigilant quant à sa

propre maîtrise des outils informatiques afin de garan-

tir le secret bancaire et d’éviter que des internautes

aient accès en ligne à des comptes de tiers.

Le droit a dû évoluer afin de prendre en compte les

nouvelles pratiques bancaires, en reconnaissant la

validité de l’utilisation d’un code confidentiel comme un

élément d’authentification du porteur d’une carte ban-

caire ou du titulaire d’un compte en ligne, permettant

de lui attribuer la paternité d’une opération et laissant

reposer sur ses épaules la garde de ses identifiants et

les conséquences d’une usurpation de ceux-ci.

Avec le développement des nouvelles technologies

et des risques inhérents à leur utilisation, nous consta-

tons de la part des différents acteurs, qu’il s’agisse des

banques, des autorités de contrôle, des tribunaux,

voire même des clients, un aveu d’impuissance face

aux risques technologiques et, par voie de consé-

quence, la nécessité de composer avec les principes

jusque-là établis.

La banque informe aujourd’hui très clairement ses

clients dans ses contrats, sa documentation et ses sites

en ligne des risques inhérents à l’utilisation des �

L e d r o i t b a n c a i r e à l ’ é p r e u v e d e s n o u v e l l e s t e c h n o l o g i e sS T É P H A N E H E N R Y

64

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

nouvelles technologies et elle insiste particulièrement

sur les précautions à prendre.

En présence d’une clientèle désormais avertie et sen-

sibilisée, la banque mettra conventionnellement à la

charge de son client des obligations technologiques

d’installation et de mise à jour régulière de son équi-

pement informatique et de ses « antivirus » et « firewalls »,

et le soumettra à des conditions d’utilisation de ses

services. Elle exclura sa responsabilité en cas d’accès

à son site bancaire depuis un cybercafé ou un

équipement dont le client n’a pas la totale maîtrise, ou

encore en cas de connexion à partir d’une borne wifi

sans mise en sécurité préalable de son matériel.

En matière de secret bancaire, et sans que l’on puisse

véritablement parler d’un assouplissement des règles,

il suffit de constater que la banque, pour dégager sa

responsabilité, devra seulement démontrer qu’elle n’a

pas commis d’erreur et qu’elle a déployé les moyens

techniques nécessaires et suffisants correspondant à

l’état de l’art à un moment donné et compatibles avec

le niveau de ses obligations.

Lorsqu’il est impossible de répartir les responsabilités

face à des cas de fraude liés à l’utilisation des nouvelles

technologies, et afin d’instaurer la confiance, le légis-

lateur n’hésite pas à intervenir en faveur du consom-

mateur souvent impuissant à se défendre, en créant

des présomptions irréfragables (interdisant la preuve

contraire) ou simples (renversant la charge de la

preuve).

Ainsi, la loi dégage le client en cas de contestation, de

toute responsabilité pour les paiements par carte effec-

tués sans utilisation physique de celle-ci (art.L 132-4

du Code monétaire et financier). Dans le domaine de

la signature électronique, l’utilisation d’une signature

« sécurisée » bénéficie d’une présomption de fiabilité

mettant à la charge de celui qui en conteste la validité

le soin d’en apporter la preuve.

Preuve des obligationset conditions de validité des actesL’introduction des nouvelles technologies dans la

banque de détail conduit celle-ci à réexaminer toutes

les opérations dont elle souhaite la dématérialisation,

afin de s’assurer qu’au regard des textes en vigueur ce

processus est juridiquement possible. Reposant prin-

cipalement sur la suprématie de l’écrit-papier, qu’il

s’agisse du régime de la preuve ou de la validité de cer-

tains actes, cette introduction ne pouvait avoir lieu

sans l’intervention du législateur. Les bases juridiques

indispensables au développement de l’économie

numérique ont été données par la loi pour la confiance

dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN).

Ce texte reconnaît, sous réserve de satisfaire à cer-

taines exigences techniques, la validité juridique de la

signature électronique et de l’écrit électronique, les

hissant au même rang que la signature manuscrite et

l’écrit-papier.

En ouvrant cette brèche abyssale, le législateur ne

pouvait reprendre l’ensemble des textes où il est fait

référence à l’écrit-papier ou à des procédures

empreintes de matérialité. Avec sagesse et au-delà

même de toutes espérances, il va donc préciser à

l’article 1369-10 du Code civil que « lorsque l’écrit sur

papier est soumis à des conditions particulières de lisi-

bilité ou de présentation, l’écrit sous forme électronique

doit répondre à des exigences équivalentes ». Dans

cette course technologique, le droit passe ainsi le

relais aux spécialistes des nouvelles technologies pour

trouver, mais également pour renouveler, les disposi-

tifs techniques jugés équivalents en termes de finalité

et de sécurité. Dans certains cas, le législateur doit

néanmoins apporter certaines précisions. Ainsi,

l’exigence d’un formulaire détachable est satisfaite

par un procédé électronique qui permet d’accéder au

formulaire et de le renvoyer par la même voie. En

matière de pluralité d’exemplaires, la condition est

satisfaite sous la forme électronique si l’écrit peut être

imprimé par le destinataire. La mention manuscrite

(art.1326 du Code civil) est remplacée dans le texte par

une mention écrite « par lui-même » laissant aux spé-

cialistes des nouvelles technologies le soin de mettre

en place un dispositif technique répondant aux exi-

gences légales.

Forte de ces adaptations législatives indispensables, la

banque de détail s’attache à les mettre en application

en recherchant, opération par opération, celles que la

banque peut effectuer en ligne et en vérifiant, par rap-

port au régime légal de la preuve ou de la validité des

actes, le niveau de sécurité requis pour déterminer le

dispositif technique qui sera utilisé, tant pour la signa-

65

ture que pour l’archivage électronique des documents.

Désormais, sous réserve de quelques exceptions en

nombre limité pour lesquelles le législateur n’a pas

souhaité autoriser la dématérialisation en raison de la

solennité qu’il attache à certains actes peu compatibles

avec la rapidité de décision qu’engendrerait leur déma-

térialisation (droit des successions, droit de la famille et,

dans le domaine bancaire, garanties et sûretés non

professionnelles), tous les actes sous seing privé peu-

vent être dématérialisés.

Droit de la consommationet droit bancaireL’apparition de nouveaux modes de commercialisation

à distance autres que ceux traditionnels a conduit le

législateur et les autorités de contrôle à veiller à ce que

le consommateur ne soit pas privé des règles de

protections habituelles, et à prévoir de nouvelles

dispositions destinées à renforcer la confiance des

consommateurs.

Ce renforcement de la confiance passe en premier lieu

par l’information du consommateur sur l’établisse-

ment de crédit. La loi pour la confiance dans l’écono-

mie numérique oblige la banque, comme tout cyber-

commerçant, à indiquer en toute transparence et de

façon accessible les informations permettant de l’iden-

tifier clairement, d’informer les tiers du statut et des

règles professionnelles qui lui sont applicables et de

pouvoir être joint directement.

Parce qu’elle bouleverse les habitudes, l’utilisation des

nouvelles technologies peut être source d’erreurs et

d’appréhensions, voire d’inattentions conduisant le

consommateur à préférer les moyens traditionnels

pour les actes pouvant l’engager. Aussi, pour les

accompagner dans l’usage des nouvelles technologies,

le législateur est intervenu en précisant dans le Code

civil, sous l’article 1369-1, la façon dont se forme juri-

diquement un contrat sous forme électronique, en

énumérant les informations qui doivent être commu-

niquées et les différentes étapes qui doivent être sui-

vies afin que le consommateur puisse être parfaitement

informé et puisse contrôler de bout en bout l’ensemble

du processus contractuel.

Le législateur comme la jurisprudence mettent à la

charge du banquier, surtout en banque de détail, une

obligation d’information et de conseil qui dans certains

domaines est particulièrement importante et parfois dif-

ficile à réaliser en raison du caractère inadapté des sup-

ports, comme la taille réduite de l’écran d’un télé-

phone portable.

Lorsqu’elle est en mesure de délivrer ce conseil ou

cette information, la banque devra conserver la preuve

de la diligence accomplie, en encadrant notamment

leur diffusion et en conservant la trace informatique des

différents consentements recueillis.

Selon la technologie employée, il pourra s’avérer diffi-

cile de communiquer toute l’information et le conseil

nécessaires, de sorte que la banque devra recourir à

d’autres moyens de communication pour y satisfaire,

ce qui dans certains cas peut limiter considérable-

ment le recours à diverses technologies de communi-

cation en ligne pour la commercialisation de certains

produits ou services bancaires.

Informatique et libertésL’activité bancaire, et en particulier la banque de détail,

est devenue du fait des évolutions technologiques un

secteur particulièrement sensible et porteur de risques

pour les libertés individuelles, tant la banque traite de

données à caractère personnel.

La facilité des interrogations et interconnexions de

fichiers que permettent aujourd’hui ces nouvelles tech-

nologies conduit, plus que par le passé, à collecter et

traiter un nombre important de données dont le carac-

tère intrusif dans la vie privée ne manquerait pas d’in-

quiéter les citoyens si, d’une part, des mesures de cloi-

sonnement n’étaient pas mises en place par les

responsables conformité des établissements de crédit

et si, d’autre part, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’in-

formatique, aux fichiers et aux libertés, modifiée par la

loi du 6 août 2004, n’imposait pas le respect de prin-

cipes fondamentaux.

Le secteur bancaire est d’ailleurs l’un des secteurs où

les contrôles de la Commission informatique et liber-

tés (CNIL) sont les plus importants, qu’il s’agisse des

contrôles préalables par le biais des demandes d’au-

torisation avant mise en œuvre d’un traitement, ou

des contrôles a posteriori.

La vigilance de la CNIL s’exerce particulièrement sur les

points suivants : �

L e d r o i t b a n c a i r e à l ’ é p r e u v e d e s n o u v e l l e s t e c h n o l o g i e sS T É P H A N E H E N R Y

66

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

• le droit à l’oubli, principe qui oblige la banque à ne

plus conserver dans ses traitements actifs des données

de clients, passé un certain délai, afin d’éviter tout

risque de stigmatisation ;

• le droit d’accès et de rectification, qui permet à une

personne physique de connaître les raisons qui sous

tendent une décision prise à son encontre ou d’en cor-

riger les éventuelles erreurs ;

• l’interdiction du détournement de finalité, corollaire du

principe de loyauté, qui interdit l’utilisation d’une don-

née à d’autres fins que celle pour laquelle elle a été col-

lectée et traitée ;

• la garantie de la mise en œuvre d’un régime de pro-

tection des données en cas de transfert des données

vers des pays non membres de l’Union européenne qui

seraient considérés comme « non adéquats » en

termes de protection ;

• la communication non autorisée de données à des

tiers. Outre la cession volontaire de données sans

autorisation, la CNIL contrôle et sanctionne de plus en

plus toutes les atteintes à la sécurité et à la confiden-

tialité des données, quelle qu’en soit la forme : non res-

pect des règles d’habilitation, absence de code d’ac-

cès, système de sécurité insuffisant ou inadapté. Cette

atteinte à la sécurité et à la confidentialité des données

est en effet aujourd’hui un risque majeur dans un

contexte de développement technologique, où les

données se dupliquent et se stockent aisément. ◗

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

Les technologies qui ont fait émerger puiscroître le monde numérique depuis cinquanteans continuent de progresser.Une nouvelle ère paraît s’ouvrir alors queplus de 4 milliards d’individus vont disposerd’outils toujours plus puissants etcommunicants facilitant l’usage de servicesplus nombreux et innovants.

ALAIN ARGILEDirection des études économiques,études industrielles et sectoriellesCrédit Agricole S.A.

L’avenir à 50 ansUn peu d’histoirepour éclairer l’avenirL’ère numérique a 50 ans : elle est née quand deux

ingénieurs américains, Jack Kilby (Texas Instruments)

et Robert Noyce (Fairchild Semiconductors) ont réali-

sé les premiers circuits intégrés. La lignée la plus riche

fut celle de Noyce, qui utilisait le silicium comme maté-

riau semi-conducteur. Il créa Intel en 1968 avec Gordon

Moore, auteur de la « loi » éponyme qui, en affirmant

que le nombre de transistors sur une puce de silicium

double tous les deux ans, explique la « numérisation »

progressive des appareils électroniques. D’abord les

ordinateurs diminuèrent de taille tout en étant capables

de réaliser un nombre toujours plus grand d’opérations

sur les données. Vinrent ensuite le son numérique et les

« compact-disc » qui ont renvoyé les vinyles à leurs

pochettes, puis les images éliminant le film argentique

du marché en moins d’une dizaine d’années.

C’est à la même époque que les découvertes de

C. K. Kao, pour lesquelles il a reçu le prix Nobel en

2009, ont ouvert l’ère de l’optique dans les télécom-

munications. La capacité de transmission des fibres

optiques explose alors, donnant naissance au concept

« d’autoroutes de l’information ». Parallèlement, la

commutation de circuits cède la place à la commuta-

tion de paquets qui va progressivement sonner le glas

des systèmes propriétaires – et donc coûteux – du

monde des télécommunications. La première liaison est

établie pour les militaires américains en 1969. Désignant

initialement un protocole de communication, Internet

devient l’appellation générique du réseau quand

Arpanet fut progressivement ouvert aux universitaires

puis au grand public. L’année 1995 est un tournant

majeur1. L’usage commercial d’Internet est définitive-

ment autorisé, Microsoft lance Windows 95, premier

système d’exploitation grand public, et le navigateur

67

1. La simultanéité du développement des nouvelles technologies et de la déréglementation des secteurs des télécommunications et de la finance explique d’ailleursl’explosion de la « bulle » au début des années 2000.

68

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

graphique de Netscape permet de surfer facilement sur

ce que tout le monde désigne désormais par

l’acronyme « www », ou toile mondiale WorldWideWeb.

L’histoire de la téléphonie mobile débute également à

la toute fin des années 1950, quand Ericsson lance en

Suède le premier service automatique de ce nouveau

mode de communication. Le terminal pèse alors 40 kg

et le service comprend jusqu’à 600 abonnés dix ans

plus tard. La première génération réellement portable naît

aux États-Unis chez Motorola dans les années 1970 ;

la deuxième génération devient numérique en Europe

au début des années 90. Les appareils sont de plus en

plus performants mais aussi de plus en plus légers et

de moins en moins chers. Avec plus d’1,1 milliard

d’unités vendues en 2008, c’est désormais l’appareil

électronique le plus vendu dans le monde. On recense

aujourd’hui plus de 4 milliards d’abonnés, dont 3 mil-

liards dans les pays émergents (cf. graphique 1).

Toujours plusCe court résumé historique permet de mesurer l’ex-

traordinaire chemin parcouru ce dernier demi-siècle

(cf. figure 1). Il montre également deux tendances

majeures :

• La loi de Moore permet la miniaturisation des produits

et la baisse de leur prix : ils deviennent portables et

accessibles à un nombre toujours croissant de per-

sonnes. De quelques dizaines de milliers d’utilisateurs

en 1980, on en est à plusieurs milliards en 2008, d’où

un cercle vertueux toujours à l’œuvre.

• Le développement des télécommunications, car

tous ces produits et les individus qui les portent, sont

désormais connectés et à des débits toujours plus

élevés2.

Le motto inventé par Ericsson devient donc réalité :

l’accès à tout, n’importe où et n’importe quand3. Les

hauts débits sont en effet apparus sur les réseaux fixes

5 000 000

4 500 000

4 000 000

3 500 000

3 000 000

2 500 000

2 000 000

1 500 000

1 000 000

500 000

Base installée Ventes annuelles % Smartphones

0

45 %

40 %

35 %

30 %

25 %

20 %

15 %

10 %

5 %

0 %2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

GRAPHIQUE 1. Base installée de téléphones mobiles et pourcentage des smartphones dans les ventes annuelles

Source : Gartner

2. Alcatel Lucent a récemment battu le record mondial en acheminant 155 canaux transportant chacun 100 Gbit/s de données, soit au total 15,5 Tbit/s, sur7 000 km. Ceci équivaut à la transmission du contenu de 400 DVD en 1 seconde entre Paris et Chicago.3. “Anything, Anywhere, Anytime”, motto d’Ericsson.

69

à partir de 2000 et la masse critique dépassée vers

2005, provoquant une explosion de l’usage et des

usages d’Internet. Ce saut qualitatif est également

en passe d’être franchi par les réseaux mobiles : les

dernières versions 3G4 permettent des débits de plu-

sieurs Mbits/seconde, du même ordre de grandeur

que ceux obtenus sur les réseaux fixes. Une nouvel-

le révolution de l’usage est donc en cours avec des

produits emblématiques comme l’iPhone d’Apple,

dont l’ergonomie et la convivialité ont rendu facile

l’accès des téléphones mobiles à Internet, et sans

doute comme la future « iTablet » du même Apple

qui devrait être lancée en 20105.

Le monde numérique chemine rapidement. Et même

si les progrès sont amenés à ralentir – on se rapproche

des limites physiques théoriques de l’électronique sur

silicium – la tendance restera la même. À échéance cinq

à dix ans, des appareils compacts et multifonctions,

véritables « couteaux suisses » numériques et por-

tables, accèderont à Internet via des débits de 50 à 100

Mbits/seconde sur 80 % de la surface du monde habi-

té. Le marché potentiel des différentes déclinaisons

(smartphones, consoles de jeux, navigateurs, lecteurs

audio ou vidéo, tablettes PC...) pourrait dépasser les

10 milliards d’unités.

Tous ces terminaux feront appel à la mémoire et aux

capacités de calcul d’ordinateurs et de serveurs répar-

tis dans le monde et liés par Internet selon le concept

de « l’informatique dans le nuage » (cloud computing).

Il concrétise, vingt ans après, la vision de Scott McNealy,

fondateur de Sun6, pour qui « l’ordinateur c’est le

réseau »7. Des datacenters rassemblant des centaines

de milliers de serveurs, reliés entre eux par des liaisons

optiques à très haut débit, seront à la disposition des

entreprises et des particuliers via un simple naviga-

L ’ a v e n i r à 5 0 a n sA L A I N A R G I L E

1980

Ordinateurspersonnels

100 k

200 m

1 md

10 mds

Ordinateurs personnelsconnectés Internet

Ordinateurs portablesconnectés sans fil

Mobile Internet haut débit

AnythingAnywhereAnytime

Téléphonie mobile 1Ganalogique

Téléphonie mobile 2Gnumérique

Téléphonie mobile 3Gdonnées bas débit

Nombred’utilisateurs

1995 2005 2010

FIGURE 1. Monde numérique : moments clefs

4. 3,5 G HSDPA ; 3,75G HSPA.5. Pas plus que l’iPhone n’a été le premier « smartphone », l’«iTablet « ne sera pas la première du genre. Toshiba et le Français Archos ont déjà mis sur le marché desproduits de ce type. Mais ils ne possède pas l’« Apple Touch »...6. Acquisition en cours par Oracle dont le PDG, Larry Ellison, partageait alors la même vision alimentée par une opposition commune virulente à Microsoft.7. “The network is the computer”.

70

H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

teur. Avec le cloud computing, l’informatique se rap-

proche de l’électricité ; la puissance de calcul devient

une commodité à laquelle on accède en se « connec-

tant » sur le Web et que l’on paie à l’usage. Abaissement

des barrières à l’entrée (plus besoin d’acheter des

matériels et des logiciels) et puissance disponible

ouvrent le champ des applications possibles. Les appli-

cations de partage de photos, l’utilisation de logiciels

comme des services (SaaS8), ou encore les jeux en ligne

en sont les premiers exemples. Amazon d’abord,

Google ensuite et progressivement tous les grands

acteurs (américains) de l’informatique et de l’Internet ont

développé des offres techniques et commerciales pour

les entreprises, mais aussi pour les particuliers.

L’iPhone montre que le succès d’un produit dépend plus

de son design, de la facilité d’utilisation et de la riches-

se des applications portées que de ses performances

techniques. Tous les progrès dans la capacité de calcul

et les débits de connexion n’ont débouché sur une

explosion de l’usage que par les améliorations apportées

à la facilité d’utilisation et à l’élaboration de nouvelles

applications. Le terme (marketing) de Web 2.09 ras-

semble des technologies centrées sur l’utilisateur, qui

ont fait du web un outil relationnel (cf. figure 2).

Dans le « Web 2.0 », l’internaute n’est plus seulement

un consommateur passif, il devient acteur et acquiert

de facto un nouveau pouvoir10. Les contenus créés par

les utilisateurs envahissent la toile : vidéos sur YouTube

ou DailyMotion11, blogs (20 millions recensés, dont

420 000 permettraient à leurs auteurs d’être rémunérés)

ou encore Wikipédia, encyclopédie où chacun peut

contribuer à la rédaction d’articles (elle compterait

désormais 13 millions d’articles en 250 langues).

L’industrie des médias traditionnels est menacée12.

FIGURE 2. Nuage de mots clefs (Tag Cloud) du Web 2.0

Source : http://images.google.fr

8. Software as a Service.9. Tim O’Reilly : http://oreilly.com/web2/archive/what-is-web-20.html

Voir sur ce sujet : « Le nouveau pouvoir des internautes », M.E. Carrasco, F.X. Hussher, C. Hussher (Timée Edition, 2006) ; « Comment le Web change lemonde », par F. Pisani, D. Piotet (Pearson, 2008).11. Ces sites ont démontré leur puissance en diffusant les dérapages verbaux de responsables politiques.12. Voir Éclairage n° 137 : Laurent Collet, « La presse voit son avenir en ligne ». http://etudes-economiques.credit-agricole.com

10.

71

Autre phénomène à noter, le monde s’horizontalise. Les

réseaux d’individus s’organisent avec des lieux de

partage et d’échange. Le premier réseau social mon-

dial, Facebook, compte ainsi plus de 300 millions de

membres. Quant à Twitter, qui se développe sur les

mobiles, il en compterait 18 millions à fin 2009.

De même, une multitude de nouveaux services émer-

gent. Ils tablent toujours sur la désintermédiation mais

y ajoutent les atouts du Web 2.0 : facilité d’usage, créa-

tion de communautés et participation active des

internautes. La forte baisse des barrières à l’entrée leur

permet d’exploiter des micro-niches de marché

(« longue traîne »13).

Le monde bancaire est directement concerné par ces

évolutions. Très présents sur la toile, banques et paie-

ments en ligne connaissent un fort développement

après un début difficile lors de la première vague

Internet. Par ailleurs, des projets « très Web 2.0 » ini-

tiés en dehors de la sphère bancaire traditionnelle,

tels que Prosper, Zopa, Smava, Boober..., cherchent

à capitaliser sur le désamour entre consommateurs et

banques après la crise financière en mettant directe-

ment en contact offreurs de capitaux et demandeurs

de prêts.

On notera également le rôle croissant joué par les

sociétés non bancaires. Acquis par eBay, Paypal a

été le pionnier et reste loin devant. Mais de plus en plus

de grands acteurs, venant notamment de l’univers

des mobiles, proposent ou vont proposer leurs propres

services financiers. Côté constructeurs, Nokia a ainsi

lancé Nokia Money en 2009. Les opérateurs télépho-

niques ne devraient pas, non plus, être absents : le

président-directeur général de NTT DoCoMo a par

exemple déclaré, il y a plus de quatre ans maintenant,

que la banque était l’avenir des opérateurs mobiles.

Selon le cabinet Gartner, le transfert d’argent et les

paiements par mobiles figurent dans les dix premières

applications grand public qui se développeront sur

les mobiles d’ici 2012. Dans les pays émergents, où les

réseaux de télécommunications mobiles sont parmi les

seules infrastructures à fonctionner correctement, les

opérateurs sont très actifs sur ce créneau depuis deux

ans déjà.

Une nouvelle ère Internet s’installe14. On aurait tort de

penser qu’elle connaîtra le même sort que la précé-

dente. La combinaison de terminaux aux fonctions

multiples, plus nombreux et surtout plus communi-

cants, avec des outils logiciels facilitant les usages et

multipliant l’offre de services, est sans précédent.

Deux freins persistent cependant. La sécurité d’abord,

qui reste le talon d’Achille de la toile. L’autre est cul-

turel. Mais les « natifs numériques » (« digital natives »)

sont aujourd’hui bien plus nombreux qu’il y a dix ans :

le monde numérique est un quinquagénaire plein

d’avenir ! ◗

L ’ a v e n i r à 5 0 a n sA L A I N A R G I L E

13. “The Long Tail: Why the future of Business is Selling More for Less”, Chris Anderson (Hyperion, 2006).14. http://www.clipevents.tv/cedap-serge-soudoplatoff/

LUC DE BRABANDÈREThe Boston Consulting Group

LAURENT HUBLETThe Boston Consulting Group

Argent, éthique et technologie :quelques réflexions pourmieux construire l’après-crise« UNE COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER A SON

IMMENSE MATÉRIEL, QUI FAIT SES RECETTES ;

tandis que le vrai matériel d’une banque est son

crédit ; elle agonise, dès que son crédit chancelle. »

Peut-être cette phrase aurait-elle pu être prononcée

par un expert interrogé il y a quelques mois par

Les Échos au sujet de la crise des subprimes,

n’est-ce pas ? Elle est pourtant extraite d’un livre

publié par Émile Zola, il y a plus d’un siècle, sobrement

intitulé « L’Argent ». Zola y décrit la frénésie autour

d’une société créée par l’intrigant Sacart, l’élévation

progressive du cours de bourse de la société doublée

de l’ascension sociale du directeur, puis la chute

brutale entourée de rumeurs de malversations et la

débâcle qui s’en suit.

Bien sûr, beaucoup de choses ont changé dans l’uni-

vers financier depuis la publication de « L’Argent » :

le téléphone a remplacé la criée dans la corbeille, puis

il a lui-même été supplanté par les plateformes

d’échanges électroniques. De nouveaux produits finan-

ciers, plus complexes sont apparus ; des acteurs

importants tels que les agents de change ont disparu.

Et pourtant, de nombreux éléments de « L’Argent »

trouvent un écho étonnant dans l’actualité financière de

ces derniers mois : l’accès à l’information et plus par-

ticulièrement le rôle de la presse financière, les

croyances collectives qui se transforment en peurs

incontrôlées, le manque de réactivité de certains

conseils d’administration où trônent « des muets et des

aveugles ».

Pourquoi donc, cent ans après, a-t-on alors un peu

l’impression que « rien n’a changé sous le soleil » ?

Vaste et ambitieuse question, à laquelle nous ne don-

nerons certainement pas une réponse définitive. Notre

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

La crise financière récente nous remet face àquelques questions fondamentales.Qu’est-ce que l’argent ? Quel est son lienavec la morale et avec l’éthique ?Comment ce lien s’est-il transformé avecla révolution numérique ? Quelques pistesde réflexion pour ouvrir le débat et tenterde préparer au mieux l’après-crise.

73

but est plutôt d’esquisser des pistes, en nous attachant

à montrer la chose suivante : au cœur de la notion de

finance, il existe une distinction entre l’élément collec-

tif (« monnaie ») et l’élément individuel (« argent ») ; cette

distinction est analogue à celle que l’on retrouve dans

de nombreuses activités humaines, entre la morale et

l’éthique. L’incroyable évolution technique liée à l’argent

a considérablement modifié notre rapport à ce dernier ;

pourtant, la crise actuelle nous montre bien que l’argent

reste profondément lié à l’éthique, seule à même de

générer la confiance indispensable à l’équilibre du

système financier.

Argent ou monnaie ?Pour désigner l’élément monétaire, le français (comme

de nombreuses autres langues, l’anglais par exemple)

fait la distinction entre l’argent (money) et la monnaie

(currency)1.

L’argent, c’est le support individualisé ou individuali-

sable. La relation entre l’individu et l’élément matériel

est vue sous un prisme subjectif. De ce fait, on peut

non seulement posséder de l’argent mais également

émettre des jugements sur celui-ci (l’aimer, le détes-

ter...). La monnaie, c’est le support institutionnalisé ; la

relation est vue sous une forme collective. Si la mon-

naie a une nationalité, l’argent est alors universel (ou

presque). En tant qu’individu, on ne possède pas de

monnaie2.

Cette distinction sémantique remonte en fait à l’époque

latine, où « argent » se disait pecunia (dérivé de pecus,

le bétail, que l’on peut compter) et « monnaie » par

moneta (issu du temple de Junon Moneta, où l’Empire

battait monnaie). La distinction argent/monnaie a

d’ailleurs donné des idées à certains. Dans un discours

prononcé à l’occasion de la signature du traité de

Maastricht de 1992, François Mitterrand opposait,

sémantiquement et idéologiquement, la monnaie

– instrument de la richesse collective et institution qui

cimente les nations – à l’argent, qu’il présentait comme

le symbole de l’accumulation de la richesse indivi-

duelle et de la passion égoïste. « Le règne de l’argent,

quand il y a un certain refus d’en partager les profits est

une cause de dégradation morale » disait à l’époque

le président français3.

On trouve en philosophie morale un couple présentant

d’étonnantes similitudes avec le couple argent/

monnaie : l’éthique et la morale. L’éthique, c’est un

système de règles personnelles ; elle distingue le bon �

1. Il y a d’ailleurs eu un glissement sémantique intéressant du français vers l’anglais : l’élément collectif « monnaie » en français a donné lieu à l’élément individuel « money »(« argent » et non « monnaie ») en anglais.2. Le français ne nous facilite pas la vie, comme souvent... On peut bien sûr posséder de la monnaie, au sens de quelques pièces perdues au fond d’une poche, maischacun reconnaîtra qu’il s’agit « d’argent » et non de « monnaie » au sens dont on parle ici.3. Voir : Goux J.-J., « Frivolité de la valeur - Essai sur l’imaginaire du capitalisme », Blusson, Paris, 2000.

A r g e n t , é t h i q u e e t t e c h n o l o g i e : q u e l q u e s r é f l e x i o n s p o u r m i e u x c o n s t r u i r e l ’ a p r è s - c r i s eL U C D E B R A B A N D È R E E T L A U R E N T H U B L E T

Ethique

• Je : système de règles personnelles

• Distingue le bon du mauvais

Confiance Régulation,contrôle prudentiel

Morale

• Nous : système de règles collectives établies par la communauté

• Distingue le bien du mal

Argent

• Je : étalon qui relie l’individu à une chose

• Valeur subjective

Monnaie

• Nous : étalon qui relie les individus d’une communauté

• Valeur collective

GRAPHIQUE 1. Typologie des liens entre l’argent, la monnaie, l’éthique et la morale

Source : Luc de Brabandère et Laurent Hublet

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du mauvais. Par contre, la morale repose sur un

ensemble de règles établies par une communauté ; elle

distingue le bien du mal4. L’analogie entre la distinction

argent/monnaie et la distinction éthique/morale est

tentante : chaque premier terme a une forte

connotation individuelle et subjective, chaque second

terme une connotation collective et institutionnelle

(voir graphique 1).

Quelle éthique de l’argent ?La monnaie est d’ordre collective, son bon fonction-

nement est régi par des règles : on peut donc dire que

la morale de la monnaie, c’est la régulation prudentielle.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que certains parlent

de « bible » des banquiers à propos de Bâle II : on y

dit ce qu’une banque doit faire, on y distingue le bien

du mal dans l’activité bancaire. Sans plus. Les

partisans d’un retour à une régulation plus forte du

marché bancaire veulent donc « moraliser » la pratique

financière. Mais est-ce bien cela qui a posé pro-

blème ? Ne passe-t-on pas alors à côté de l’aspect

« éthique/argent » ?

Si l’argent peut être mis en parallèle avec l’éthique,

quelle est alors la nature de ce lien ? Une éthique

ayant trait à l’argent vise à permettre que ce dernier

remplisse au mieux sa fonction. Or, l’argent n’est pas

une fin en soi, il vise à faciliter l’échange et à acquérir

d’autres biens. La société se moque d’ailleurs de ceux

qui confondent le moyen avec la fin : les pingres, les

dépensiers compulsifs... La tirade de l’avare dans la

pièce éponyme de Molière montre avec humour et

férocité le ridicule d’un personnage épris d’argent

comme d’autres le sont d’une femme, de leurs enfants

ou même de leur animal domestique. Pour remplir

convenablement sa fonction, l’argent doit donc circuler.

Mais cela ne suffit pas. Pour que vous acceptiez de

céder un bien (votre voiture par exemple) contre une

somme d’argent, qui n’est jamais que la promesse de

pouvoir acheter un jour un autre bien (une autre voiture,

une semaine en thalasso...), il faut que vous ayez

confiance dans la persistance de cette promesse.

Pour cette raison, l’éthique de l’argent est une éthique

de la promesse, où la notion de confiance est

centrale5. En effet, quand la confiance se rompt, la

promesse n’est plus et l’argent cesse d’exister ; il

reste peut-être un morceau de papier (un billet, une

action), dérisoire car sans valeur. C’est notamment

pour cette raison, très simple finalement, que la

confiance d’un client dans sa banque est fondamen-

tale, ou que la perte de confiance des acteurs financiers

dans la solvabilité d’une institution peut avoir les consé-

quences que l’on a vues récemment.

Comment la technique a-t-ellechangé l’argent ?Au cours de l’histoire, l’argent a pu prendre des formes

multiples, et cela importe peu finalement puisque le

support sert uniquement à matérialiser un lien social,

une promesse. Pourtant, certains auteurs n’hésitent

pas à annoncer la fin prochaine de l’argent, liée à la

révolution numérique. Pour Joël Kurtzman par exemple,

dans son livre « The Death of Money6 », l’argent a

perdu sa fonction de communication entre les individus

d’une organisation ou d’un groupe social. Dès lors,

l’argent est mort et a cédé la place au « megabyte

money », un langage électronique, formé exclusivement

de bits 0 ou 1. On ne peut pas tout à fait lui donner

tort : en mémorisant quelques chiffres de son numéro

de carte de crédit et son code secret, il est possible,

même à un voleur, d’acheter n’importe quel bien (ou

presque) sans aucun support économique matériel.

Plusieurs changements fondamentaux dans notre rap-

port à l’argent ont eu lieu avec la révolution numérique ;

loin de faire disparaître l’argent, nous pensons qu’ils

ouvrent de nouvelles perspectives d’innovations aux

acteurs financiers. Ainsi par exemple, le développement

de la banque en ligne a créé un nouveau rapport,

désindividualisé, entre le client et sa banque. Le client

exige une maîtrise « en temps réel » de sa gestion finan-

cière (pour ses passages d’ordres en bourse par

exemple), mais il y a en réalité une double réduction de

l’espace-temps : les choses peuvent être faites tout de

4. Voir : de Brabandère L. (en collaboration avec Stanislas Deprez), « Le Sens des idées », Dunod, Paris 2004.5. La promesse est tellement importante qu’elle est même signée sur chaque billet par le directeur de la banque centrale.6. Kurtzman J, « The Death of Money: How the Electronic Economy Has Destablized the World’s Markets and Created Financial Chaos », New York, Simon and Schuster,1993.

75

suite et à tout moment, puisque le répondant n’est plus

un homme mais une machine. Le client a l’impression

d’être en prise directe avec son argent, ou presque ;

le banquier se fait transparent. Quelle conclusion

éthique en tirer pour le banquier ? La notion de

confiance se serait-elle amoindrie ?

Certes, dans ses transactions quotidiennes, le client a

sans doute moins besoin d’être rassuré. Mais que se

passerait-t-il par exemple le jour où tous les systèmes

seraient en panne ? Où s’ils étaient détruits ? La pro-

babilité de ce genre d’événement est infime, chacun en

conviendra, mais ils n’en sont pas moins générateurs

d’une certaine peur, liée à la survenance de catas-

trophes majeures. Le rapport de confiance évolue donc ;

il est plus ponctuel et lié à des événements extrêmes.

On pourrait l’appeler la « confiance intensive », pour

faire un parallèle avec le monde hospitalier et les soins

intensifs prodigués aux patients dans un état critique.

La monnaie n’échappe pas non plus à la révolution

digitale. Un exemple, récemment mis en évidence par

7. The Economist, «The Power of Mobile Money », 16 Septembre 2009.8. Pour cette raison, The Economist n’avait pas hésité à titrer il y a quelques années sur la fin du leadership du dollar : « the dollar has already been toppled as the world’sleading currency. (...) It has been superseded not by the euro, nor by the yen or yuan, but by another increasingly popular global currency: frequent-flyer miles. » (The Economist, 6 Janvier 2005).

A r g e n t , é t h i q u e e t t e c h n o l o g i e : q u e l q u e s r é f l e x i o n s p o u r m i e u x c o n s t r u i r e l ’ a p r è s - c r i s eL U C D E B R A B A N D È R E E T L A U R E N T H U B L E T

Argent Monnaie

Ethique Morale

Désindividualisationdes rapports bancaires

Conf

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Ouverture sur l’illim

ité

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Nouveaux acteurs ?

Quelle confiance leur accorder

GRAPHIQUE 2. Évolution de la typologie des liens entre l’argent, la monnaie, l’éthique et la morale

Sourcce : Luc de Brabandère et Laurent Hublet

The Economist7, montre les nouvelles perspectives

offertes par ces bouleversements. Dans de nombreux

pays africains, l’obtention d’argent liquide est un

processus souvent long et fastidieux : il faut prendre le

bus jusqu’à la ville, patienter dans la file d’attente à la

banque, être muni de ses papiers... Pour les sociétés

de télécom, cela posait d’ailleurs problème : les clients

ne disposaient pas de cash pour pouvoir acheter des

recharges pour leur portable. Un brainstorming efficace

a transformé le problème en aubaine : nombre d’opé-

rateurs télécom africains se sont lancées dans le

« mobile money ». Par l’envoi d’un simple SMS, un

client peut envoyer de l’argent à un autre client qui va

le retirer auprès d’une boutique de l’opérateur. Plus de

voyage, plus de file, et l’opérateur télécom s’est mué

en banquier, voire même un banquier central puis-

qu’il « émet » sa propre monnaie. Le développement

de monnaies complémentaires, à l’exemple des miles

aériens dont le volume ouvert dépasse les montants de

billets de dollars en circulation8, est révélateur des �

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H O R I Z O N S B A N C A I R E SN U M É R O 3 3 9 – D É C E M B R E 2 0 0 9

nouvelles perspectives monétaires ouvertes à des

acteurs non bancaires. Et il est bien clair que ces

changements impliquent des évolutions dans la «

morale de la monnaie ».

En effet, dans le cadre de cette « ouverture monétaire

sur l’illimité », une compagnie aérienne, un constructeur

de voiture ou un concepteur de site internet peuvent

s’arroger des prérogatives de banquier, pratiquement

du jour au lendemain. Ceci ouvre de nombreuses

questions, pour toutes les parties prenantes. De nou-

velles formes d’activité monétaire engendrent-elles de

nouveaux concurrents sur le long terme, tels que par

exemple les opérateurs de télécommunication ? Quelle

confiance les clients peuvent-ils avoir dans ces

nouveaux acteurs monétaires ? Quelles règles faut-il

promulguer pour garantir la stabilité du système ? Les

nouveaux acteurs ne seraient-ils pas privilégiés par

rapport aux acteurs financiers classiques, du fait qu’ils

ne seraient pas soumis aux mêmes règles pruden-

tielles ? Ne faudrait-il pas dès lors élargir le champ de

la régulation monétaire ?

En conclusion, on peut dire que l’argent ouvre toujours

sur une promesse, celle de permettre à tout individu

(ange ou voleur) d’acquérir le bien de son choix. En

corolaire de cette promesse, qui constitue le cœur

même de l’activité financière, les acteurs du monde

financier ont le devoir de maintenir la confiance indis-

pensable à la pérennité de l’argent. La forme que

revêt cette confiance évolue au gré des (r)évolutions

technologiques, et les acteurs du monde financier

doivent s’adapter à ces nouveaux besoins des clients.

Par ailleurs, de nouvelles perspectives liées à la

monnaie s’ouvrent, à la fois pour les acteurs bancaires

mais également pour de nouveaux acteurs (sociétés

actives dans d’autres secteurs ou inexistantes

aujourd’hui), qui pourraient constituer les grands

concurrents de demain. Cependant, malgré les

bouleversements technologiques de ces dernières

décennies, l’essence de l’argent – rapport social

d’échange incarné dans une réalité plus ou moins

matérielle – ne change pas. La confiance reste un

élément primordial de la pérennité de l’activité finan-

cière, ce qui rend quelques histoire vieilles d’un siècle

ou plus encore, étonnement actuelles... ◗

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325 À nos marques !

326 Agriculture et ruralité dans les pays en développement

327 Banque de financement et d’investissement : modèles et développements

328 Face aux risques extrêmes : banques et assurances

329 Conformité : pourquoi et comment

330 Les services à la personne

331 Le Financement des PME en France

332 Des PME et des territoires

333 Banque privée : mutations et défis

334 La microfinance au carrefour du social et de la finance

335 Dynamiques démographiques : une révolution socioéconomique

336 Dynamiques démographiques : quelles stratégies bancaires ?

337 Partenariats public-privé : un nouvel élan pour la commande publique

338 Les moyens de paiement, pierre angulaire de l’intermédiation financière

339 Banque de détail et innovations technologiques

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