Hôpital 2003

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Editorial gestions hospitalières Novembre 2003 668 C’est la panique à bord du vaisseau Hôpital : - état de cessation de paiement dans de nombreux établissements de moyenne importance; - délation entre médecins au sein du public ; - promesses médiatiques du ministère quant à des enveloppes financières fantômes ; - révolte des cadres à l’égard de leur direction qui n’a plus de pouvoir ; - agitation des directions qui bricolent les budgets, voire les trafiquent ; - tricherie des médecins au moment de l’accréditation pour faire illusion ; - effondrement de la qualité des soins masqué par les connivences interprofessionnelles ; - collaboration des personnels à ces mascarades avec le sentiment de vendre son âme ; - pillage du public par le privé dès passation des conventions de partenariat ; - logorrhée des médias sur la situation de l’hôpital ; - déferlement de normes inappliquables sur les services asphyxiés par le manque de moyens ; - injonctions paradoxales des directions et des médecins à l’égard d’un personnel dérouté, démuni et qui, après s’être épuisé dans les remplacements imprévus, se réfugie dans les arrêts maladie ; - délinquance professionnelle chez certains personnels sans foi ni loi ; - fuite des meilleurs éléments en burn out, voire en dépression ; - fuite des préretraités vers la retraite avant que d’autres réformes les privent de leurs droits ; - fuite des médecins hospitaliers vers le privé, des infirmières vers le libéral ; - fuite des instituts de formation en soins et des universités de médecine par les étudiants ; - baisse de la qualité du recrutement des étudiants et des professionnels afin de satisfaire à l’augmentation des quotas ; - augmentation des infirmières intérimaires et des postes de médecins étrangers, et donc hausse des dépenses et absence d’évaluation formative ; - augmentation des dépenses liées à la consommation de médicaments et aux équipements en haute technologie ; - absence de politique de prévention et diminution des compétences cliniques ; - manque de compétences pour utiliser la haute technologie et en assurer la maintenance ; - dépenses précipitées en informatisation hospitalière et soumission des décideurs aux édi- teurs de logiciels ; - désorganisation et donc dysfonctionnement général des services, auquel même une per- sona grata hospitalisée telle que Jean de Kervasdoué n’a pu échapper (cf. Le Monde, 28 novembre 2003). Le bateau coule et nous assistons tous, impuissants, à son naufrage. La situation sera pire dans deux ans, car les effets du papy boum ne seront pas compensés par l’arrivée des nouveaux personnels. La situation sera pire, car la tarification à l’activité privilégiera les bons et laissera de côté les autres. La situation sera pire, car des territoires entiers de l’Hexagone seront désertés du fait de la fermeture des petits et moyens établissements. La situation sera pire, car la mise en place des 32 heures 30 pour les personnels de nuit Hôpital 2003 : quelques lueurs d’espoir dans un ciel tourmenté Josette Hart* Formatrice consultante, chargée de cours à Paris-Dauphine. * Auteur, avec Alex Mucchielli, de Soigner l’hôpital (1994) et, avec Sylvie Lucas, de Management hospitalier, stratégies nouvelles des cadres (2002).

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Editorial

gestionshospitalières … Novembre 2003668

C’est la panique à bord du vaisseau Hôpital :-état de cessation de paiement dans de nombreux établissements de moyenne importance;-délation entre médecins au sein du public ;-promesses médiatiques du ministère quant à des enveloppes financières fantômes;- révolte des cadres à l’égard de leur direction qui n’a plus de pouvoir ;-agitation des directions qui bricolent les budgets, voire les trafiquent ;- tricherie des médecins au moment de l’accréditation pour faire illusion ;-effondrement de la qualité des soins masqué par les connivences interprofessionnelles ;-collaboration des personnels à ces mascarades avec le sentiment de vendre son âme;-pillage du public par le privé dès passation des conventions de partenariat ;- logorrhée des médias sur la situation de l’hôpital ;-déferlement de normes inappliquables sur les services asphyxiés par le manque demoyens ;

- injonctions paradoxales des directions et des médecins à l’égard d’un personnel dérouté,démuni et qui, après s’être épuisé dans les remplacements imprévus, se réfugie dans lesarrêts maladie ;

-délinquance professionnelle chez certains personnels sans foi ni loi ;- fuite des meilleurs éléments en burn out, voire en dépression ;-fuite des préretraités vers la retraite avant que d’autres réformes les privent de leurs droits ;- fuite des médecins hospitaliers vers le privé, des infirmières vers le libéral ;- fuite des instituts de formation en soins et des universités de médecine par les étudiants ;-baisse de la qualité du recrutement des étudiants et des professionnels afin de satisfaire àl’augmentation des quotas ;

-augmentation des infirmières intérimaires et des postes de médecins étrangers, et donchausse des dépenses et absence d’évaluation formative ;

-augmentation des dépenses liées à la consommation de médicaments et aux équipementsen haute technologie ;

-absence de politique de prévention et diminution des compétences cliniques ;-manque de compétences pour utiliser la haute technologie et en assurer la maintenance;-dépenses précipitées en informatisation hospitalière et soumission des décideurs aux édi-teurs de logiciels ;

-désorganisation et donc dysfonctionnement général des services, auquel même une per-sona grata hospitalisée telle que Jean de Kervasdoué n’a pu échapper (cf. Le Monde, 28novembre 2003).

Le bateau coule et nous assistons tous, impuissants, à son naufrage.La situation sera pire dans deux ans, car les effets du papy boum ne seront pas compenséspar l’arrivée des nouveaux personnels.La situation sera pire, car la tarification à l’activité privilégiera les bons et laissera de côtéles autres.La situation sera pire, car des territoires entiers de l’Hexagone seront désertés du fait de lafermeture des petits et moyens établissements. La situation sera pire, car la mise en place des 32 heures 30 pour les personnels de nuit

Hôpital 2003 :quelques lueurs d’espoirdans un ciel tourmenté

Josette Hart*Formatrice consultante,

chargée de cours à Paris-Dauphine.

* Auteur, avec Alex Mucchielli, de Soigner l’hôpital (1994)

et, avec Sylvie Lucas, de Management hospitalier,

stratégies nouvelles des cadres (2002).

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induit déjà les mêmes conséquences que celle des 35 heures pour le personnel de jour. La situation sera pire, car les passions professionnelles, la déontologie, la conscience pro-fessionnelle, les valeurs de dévouement, l’entraide auront quitté l’esprit des hospitaliers.

Autour de ce désastre surnagent quelques îlots de verdure et de lumière dans des établis-sements qui ont anticipé la crise ou qui ont depuis toujours été mieux dotés que d’autrespar le jeu des inégalités budgétaires bien connues du monde hospitalier. Certes, lesmeilleurs nageurs s’en sortiront mieux que les autres. Tels les managers qui ont construitun esprit collectif et empêché le sectarisme de ruiner l’hôpital ; les managers qui ont supotentialiser leurs ressources au lieu de les gaspiller ; ceux qui ont exigé de leurs collabora-teurs qu’ils actualisent leurs compétences et qui ont fait de leurs services une entrepriseapprenante ; ceux qui pourront passer le relais entre anciens partant à la retraite et nou-veaux par des tutorats internes anticipés; ceux qui ont créé le maillage ville/hôpital depuislongtemps et qui ont lié le médical au social, qui n’ont pas ciblé le tout-hôpital mais qui ontmisé aussi sur le domicile et la prévention ; ceux qui ont appris aux médecins l’espritd’équipe et qui ont souligné le mot «valeur» dans le terme «évaluation»; ceux qui ont sugratifier les efforts fournis par les personnels sans démagogie en les hissant vers les pro-motions possibles.

Nous sommes tous responsables de la crise ; saurons-nous être tous responsables de lasortie de crise ? •

Depuis trente ans, mon lieu de travailest l’hôpital. J’ai travaillé dans une dizained’établissements du nord au sud de la France. Depuis treize ans, j’exerce les fonctions de formatrice consultante et mes interventions ont concerné une cinquantaine d’établissements français auprès des directions, des médecins, des cadres et des personnels soignants.Après avoir publié deux ouvrages ainsi que de nombreux articles sur l’hôpital, après avoir soutenu une thèse de doctorat sur la question du non-changement dans les hôpitaux, j’ai estimé qu’il était de mon devoir, par cet article, de me faire le relais de tous les hospitaliers qui m’adressent chaque jour une plainte de plus en plus criante.