HomÇlies 1997 - franáais

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Homélies du pape Jean-Paul II 1997 1

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Homéliesdu pape Jean-Paul II

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1er janvier 1997

Le pardon est nécessaire pour faire naître la paix

Le thème du Message pour la Journée de la Paix 1997 est : « Offre le pardon, reçois la paix »

Dans la matinée du mercredi 1er janvier 1997, solennité de la Mère de Dieu et XXXe Journée mondiale de la Paix, le Pape Jean-Paul II a célébré la Messe dans la basilique vaticane. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Voici que tu concevras dans ton sein et tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus » (Lc 1, 31). Jésus signifie « Dieu qui sauve ».

Jésus, nom donné par Dieu lui-même, veut signifier qu'« il n'y a pas d'autre nom par lequel nous devions être sauvé » (Ac 4, 12), si ce n'est par Jésus de Nazareth, né de la Vierge Marie. En Lui, Dieu s'est fait homme, allant ainsi à la rencontre de chaque être humain.

« Après avoir, à maintes reprises et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les prophètes, Dieu, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils » (He 1, 1). Ce Fils est le Verbe éternel, de la même matière que le Père, fait homme pour nous révéler le Père et pour nous rendre facile l'accès à la compréhension de toute la vérité sur nous. Il nous a parlé avec des mots humains, et également à travers ses œuvres et sa vie même : de la naissance à la mort en croix et à la résurrection.

Dès le début, tout cela provoque l'émerveillement. Les pasteurs venus à Bethléem s'émerveillèrent déjà de ce qu'ils avaient vu, et les autres restèrent stupéfaits en écoutant ce qu'ils racontaient du nouveau-né (cf. Lc 2, 18). Guidés par l'intuition de la foi, ils reconnurent le Messie dans l'enfant couché dans la mangeoire et la naissance dans la pauvreté du Fils de Dieu à Bethléem les poussa à proclamer avec joie la gloire du Très-Haut.

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2. Le nom de Jésus appartenait dès le début à celui qui fut ainsi prénommé le huitième jour après sa naissance. D'une certaine façon, en venant au monde Il apporta ce nom avec Lui, qui exprime de façon admirable l'essence et la mission du Verbe incarné.

Il est venu au monde pour sauver l'humanité. Donc, lorsque ce nom lui fut donné, en même temps fut révélé qui il était et quelle aurait été sa mission. Beaucoup de personnes en Israël avaient ce nom, mais Lui le porta d'une façon unique, réalisant pleinement sa signification : Jésus de Nazareth, Sauveur du monde.

3. Comme nous l'avons écouté dans la seconde Lecture, saint Paul écrit : « ...quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la Loi [...] afin de nous conférer l'adoption filiale » (Ga 4, 4-5). Dès le début, le temps est lié au nom de Jésus. Ce nom L'accompagne au cours de son existence terrestre insérée dans le temps, mais sans qu'Il y soit sujet, car en Lui se trouve la plénitude du temps. C'est même Dieu qui a apporté la plénitude dans le temps humain, entrant avec elle dans l'histoire de l'homme. Il n'est pas entré comme un concept abstrait. Il est entré comme un Père qui donne la vie, — une vie nouvelle, la vie divine — à ses enfants adoptifs. Par l'action de Jésus-Christ nous pouvons tous participer à la vie divine : fils dans le Fils, destinés à la gloire de l'éternité.

Saint Paul approfondit ensuite cette vérité : « Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père ! (Ga 4, 6). En nous, les hommes, la filiation divine provient du Christ et se réalise par l'œuvre de l'Esprit Saint. L'Esprit vient pour nous enseigner que nous sommes des fils et en même temps pour rendre effective en nous cette filiation divine. Le Fils, est celui qui, de tout son être, dit à Dieu : « Abba, Père ».

Nous touchons ici le sommet du mystère de notre vie chrétienne. Le nom « chrétien » indique en effet une nouvelle façon d'être : exister en ressemblant au Fils de Dieu. En tant que fils dans le Fils, nous participons au salut, qui n'est pas seulement libération du

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mal mais, avant tout, plénitude du bien : du bien suprême de la filiation divine. Et c'est l'Esprit de Dieu qui renouvelle la face de la terre (cf. Ps 104/103, 30). Le premier jour de la nouvelle année, l'Église nous invite à prendre une conscience toujours plus profonde de ce fait. Elle nous invite à considérer le temps humain sous cette lumière.

4. Aujourd'hui, la liturgie célèbre la solennité de la Mère de Dieu. Marie est Celle qui a été choisie pour être la Mère du Rédempteur, partageant intimement sa mission. Dans la lumière de Noël, s'illumine le mystère de sa maternité divine. Marie, Mère de Jésus qui naît dans la Grotte de Bethléem, est également la Mère de chaque homme qui vient dans le monde. Comment ne pas lui confier l'année qui commence, pour implorer qu'elle soit un temps de sérénité et de paix pour l'humanité tout entière ? Le jour où débute cette nouvelle année, sous le regard bienveillant de la Mère de Dieu, nous invoquons pour chacun et pour tous le don de la paix.

5. En effet, depuis plusieurs années déjà, à la suite d'une initiative de mon vénéré prédécesseur le Pape Paul VI, le premier janvier est célébré comme la Journée mondiale de la Paix. Cette année aussi nous nous trouvons ici, dans la Basilique vaticane, pour implorer le don de la paix pour les Nations du monde entier.

Dans cette perspective, la présence de MM. les Ambassadeurs près le Saint- Siège, que je salue avec respect, est significative. Je salue également avec affection le Président du Conseil pontifical « Justice et Paix », le Cardinal Roger Etchegaray, et tous ses collaborateurs ; les remerciant de la contribution précieuse qu'ils offrent à la diffusion du message de paix que l'Église ne se lasse pas de répéter.

Cette année, le thème du Message pour cette Journée est « Offre le pardon, reçois la paix ». Comme le pardon est nécessaire pour faire naître la paix dans le cœur de chaque croyant et de chaque personne de bonne volonté ! Paix et pardon constituent comme un binôme inséparable. Chaque personne de bonne volonté, souhaitant

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travailler inlassablement à l'édification de la civilisation de l'amour, doit faire sienne cette invitation : offre le pardon, reçois la paix.

6. L'Église prie et agit pour la paix dans chaque domaine : pour la paix des consciences, pour la paix des familles, pour la paix entre les nations. Sa sollicitude se met au service de la paix dans le monde, car elle est consciente que ce n'est que dans la paix que peut se développer de façon authentique la grande communauté des hommes.

En vivant cette fin de siècle, où le monde, et en particulier l'Europe, ont fait l'expérience de nombreuses guerres et souffrances, comme nous voudrions que le seuil de l'an 2000 puisse être franchi par tous les hommes sous le signe de la paix ! C'est pourquoi, en pensant à l'humanité appelée à vivre une autre année de grâce, nous répétons avec Moïse les parole de l'Ancienne Alliance : « Que Yahvé te bénisse et te garde ! Que Yahvé fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce ! Que Yahvé te découvre sa face et t'apporte la paix ! » (Nb 6, 24-26). Nous répétons en outre avec foi et espérance les paroles de l'Apôtre : « Le Christ est notre paix ! » (cf. Ep 2, 14). Nous avons confiance en l'aide du Seigneur et dans la protection maternelle de Marie, Reine de la Paix. Nous déposons notre espérance en Jésus, nom de salut donné aux hommes de toute langue et de toute race. En confessant son nom, nous marchons avec confiance vers l'avenir. Nous sommes certains de ne pas être déçus si nous plaçons notre confiance dans le très saint Nom de Jésus.

In te Domine speravi, non confundar in aeternum.

Amen !

06 janvier 1997

Le souffle universel de l'Epiphanie

Dans la matinée du lundi 6 janvier 1996, en la solennité de l'Epiphanie, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la basilique vaticane une solennelle concélébration eucharistique, au cours de

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laquelle il a conféré l'ordination épiscopale à douze nouveaux pasteurs. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Debout [Jérusalem] !, Resplendis ! Car voici ta lumière et sur toi se lève la lumière de Yahvé » (Is 60, 1).

Ainsi résonnent les paroles du Prophète en ce jour, solennité de l'Epiphanie. L'antique oracle suggestif d'Isaïe préannonce d'une certaine façon la lumière qui, dans la nuit de Noël, brilla sur la grotte de Bethléem, anticipant le chant angélique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! » (Lc 2, 14). D'une certaine façon, en indiquant la lumière, le Prophète indique le Christ. Comme pour les pasteurs à la recherche du Messie qui vient de naître, cette lumière resplendit aujourd'hui sur le chemin des Mages venus de l'Orient pour adorer le Roi des Juifs nouveau-né.

Les Mages représentent les peuples de toute la terre qui, à la lumière du Noël du Seigneur, se mettent en route sur le chemin qui conduit à Jésus, représentant ainsi d'une certaine façon les premiers destinataires de ce salut inauguré par la naissance du Sauveur et accompli dans le mystère pascal de sa mort et de sa résurrection.

Arrivés à Bethléem, les Mages adorent l'Enfant divin et offrent des dons symboliques, devenant les précurseurs des peuples et des nations qui, au cours des siècles, ne cessent de chercher et de rencontrer le Christ.

2. Dans la seconde Lecture, tirée de la Lettre aux Ephésiens, l'Apôtre Paul commente.avec.un émerveillement intense le mystère célébré dans la solennité d'aujourd'hui : « ...Car vous avez appris, je pense, comment Dieu m'a dispensé la grâce qu'il m'a confiée pour vous, m'accordant par révélation la connaissance du Mystère [...] Ce Mystère n'avait pas été communiqué aux hommes des temps passés comme il vient d'être révélé maintenant à ses saints apôtres et prophètes, dans l'Esprit : les païens sont admis au même héritage,

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membres du même Corps, bénéficiaires de la même promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l'Évangile » (Ep 3, 2-3.5-6). Fils de la Nation élue, converti par le Christ, Paul a participé à la Révélation divine, après les autres Apôtres, pour la transmettre aux nations du monde entier. Suite à ce grand tournant dans sa vie, il comprend que l'élection s'étend à tous les peuples et que tous les peuples sont appelés au salut, car ils sont « bénéficiaires de la même Promesse par le moyen de l'Évangile » (Ep 3, 6). En effet, la lumière du Christ et l'appel universel au salut sont destinés aux peuples de toute la terre. « Ce caractère d'universalité qui brille sur le Peuple de Dieu est un don du Seigneur lui-même, grâce auquel l'Église catholique, efficacement et perpétuellement, tend à récapituler l'humanité entière avec tout ce qu'elle comprend de biens sous le Christ chef, dans l'unité de son esprit » (Lumen gentium, n. 3).

3. Nous comprenons ainsi tout le sens de l'Epiphanie, présenté par Paul de la façon dont lui-même l'a compris et réalisé. Le devoir de l'Apôtre est de diffuser l'Évangile dans le monde, annoncer aux hommes la rédemption opérée par le Christ, conduire l'humanité tout entière sur la voie du salut, manifesté par Dieu depuis la nuit de Bethléem. L'activité missionnaire de l'Église, à travers ses multiples étapes au cours des siècles, trouve dans la fête de l'Epiphanie son commencement et son souffle universel.

C'est précisément pour souligner ce souffle universel de la mission de l'Église, qu'est née depuis désormais plusieurs années l'habitude selon laquelle, lors de la fête de l'Epiphanie, l'Evêque de Rome impose les mains et invoque l'Esprit Saint pour le service épiscopal sur certains prêtres, provenant de diverses nations.

Aujourd'hui, j'ai la joie de conférer la plénitude du sacerdoce à douze frères. Lors de la consécration épiscopale, l'Évangile sera placé sur leur tête pour souligner que leur mission fondamentale est d'apporter la Bonne Nouvelle, une mission riche de joie et, en même temps,.de.peine.pour.ceux.qui..se consacrent.à.la.réaliser.de façon responsable et fidèle. Prions ensemble afin que la lumière, qui

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illumina les Mages en route vers Bethléem, accompagne également ces nouveaux élus à l'épiscopat.

4. Chers frères choisis par Dieu pour le ministère épiscopal, je souhaite à chacun de vous la richesse et la plénitude de l'Epiphanie du Christ. Je la souhaite à toi, Mgr Luigi Pezzuto, qui seras Représentant pontifical au Congo et au Gabon, au cœur du continent africain, qui m'est si cher. Je prie pour toi, Mgr Paolo Sardi, qui, nommé Nonce apostolique avec charges spéciales, continueras à œuvrer encore auprès de moi à la Secrétairerie d'Etat, et, en te remerciant pour le service que tu as rendu jusqu'à présent, je te souhaite de continuer de la même façon, avec le même zèle. Je te salue, Mgr Varkey Vithayathil, toi qui as reçu le devoir très important d'administrer l'archiépiscopat majeur d'Ernakulam-Angamaly des Syro-malabars, dans l'état indien du Kerala. Je souhaite que l'Epiphanie du Christ resplendisse pleinement pour toi, Mgr Delio Lucarelli, Pasteur du diocèse de Rieti, pour toi, Mgr Ignace Sambar- Talkena, Evêque de Kara au Togo et pour toi, Mgr Luciano Pacomio, Pasteur du diocèse de Mondovì. Que la lumière de l'Esprit Saint te guide, Mgr Angelo Massafra, premier Evêque de Rrëshen et Administrateur apostolique de Lezhë en Albanie, ainsi que toi, Mgr Florentin Cihãlmeanu, appelé à collaborer comme Auxiliaire auprès de l'Evêque de ton diocèse de Cluj-Gherla en Roumanie. Que le Seigneur te soutienne, Mgr Jean-Claude Périsset, dans la.fonction.de.Secrétaire-adjoint du Conseil pontifical pour la Promotion de l'Unité des Chrétiens, et toi, très cher Mgr Piotr Libera, qui, en tant qu'Auxiliaire, seras aux côtés de mon frère, l'Archevêque de Katowice en Pologne. Que le même Esprit et sa Grâce t'accompagnent, Mgr Basilio do Nascimento, envoyé aux fidèles du nouveau diocèse de Baucau au Timor oriental ainsi que toi, Mgr Hil Kabashi, que la Providence envoie en Albanie méridionale.

5. Chers et vénérés frères, il me plaît, en ce moment, de vous imaginer auprès des Mages, tandis que vous adorez le Roi de la paix, le Sauveur du monde et de voir la main de l'enfant Jésus, guidée par celle de sa sainte Mère, dans l'acte de bénir chacun de vous. C'est

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l'Agneau de Dieu, le Pasteur des pasteurs, qui vous demande de prolonger et de diffuser sa charité dans le corps admirable de l'Église et dans chaque coin du monde, en ces années de préparation au Grand Jubilé de l'An 2000. Forts de son aide, allez sans hésitation ; soyez des apôtres fidèles et courageux du Christ, annonçant et témoignant de l'Évangile, lumière qui illumine tous les peuples. N'ayez pas peur ! le Christ est avec nous tous les jours, jusqu'à la fin du monde (cf. Mt 28, 20). « Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui, [...] à jamais » (He 13, 8).

Amen !

12 janvier 1997

Une colombe qui descend sur chaque enfant

Tous les baptisés sont les fils bien-aimés du Père et, à ce titre, ils ont toute sa faveur

Le dimanche 12 janvier 1997, le Pape Jean-Paul II a administré le Sacrement du Baptême à dix-neuf nouveau-nés, dans la Chapelle Sixtine au Vatican. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19).

L'Église célèbre aujourd'hui la fête du Baptême du Christ et cette année encore j'ai la joie d'administrer, en cette circonstance, le Sacrement du Baptême à plusieurs nouveaunés : dix petites filles et neuf petits garçons, dont quatorze Italiens, deux Polonais, un Espagnol,.. un Mexicain et un Indien. Soyez les bienvenus, chers parents, qui êtes venus ici avec vos enfants. Je salue également les parrains et les marraines, ainsi que vous tous qui êtes ici présents.

2. Très chers frères et sœurs, avant d'administrer le Sacrement à ces nouveaunés, je voudrais m'arrêter un instant pour réfléchir avec vous sur la Parole de Dieu que nous venons d'écouter. L'Évangile

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selon Marc, comme du reste les autres évangiles synoptiques, raconte le baptême de Jésus dans le fleuve Jourdain. La liturgie de l'Epiphanie rappelle cet événement, en le présentant dans un tryptique qui comprend l'adoration des Mages d'Orient et les noces de Cana. Chacun de ces trois moments de la vie de Jésus de Nazareth constitue une révélation particulière de sa filiation divine. Les Églises orientales soulignent de manière particulière la fête d'aujourd'hui, appelée, communément, « Jourdain ». Ils la considèrent comme un moment de la « manifestation » du Christ, étroitement lié à Noël. La liturgie orientale souligne d'ailleurs, plus que la naissance de Jésus à Bethléem, sa révélation comme Fils de Dieu. Une révélation qui eut lieu avec une intensité particulière précisément durant le baptême dans le Jourdain.

Ce que Jean le Baptiste conférait sur les rives du Jourdain était un baptême de pénitence, visant à la conversion et au pardon des pécheurs. Mais, il annonçait : « Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi... Je vous ai baptisés avec de l'eau, mais lui vous baptisera avec l'Esprit Saint » (Mc 1, 7-8). C'est ce qu'il annonçait à une multitude de pénitents, qui venaient le trouver pour confesser leurs péchés, en se repentant et en se disposant à corriger leur vie.

De toute autre nature est le baptême donné par Jésus et que l'Église, fidèle à son commandement, ne cesse d'administrer. Ce Baptême libère l'homme de la faute originelle et en remet les péchés, il le rachète de l'esclavage moral et marque sa renaissance dans l'Esprit Saint ; il lui communique une nouvelle vie, qui est une participation à la vie de Dieu le Père, qui nous est donnée par son Fils Unique, qui s'est fait homme, qui est mort et qui est ressuscité.

3. Au moment où Jésus sort de l'eau, l'Esprit Saint descend sur lui sous for me d'une colombe et, le ciel s'étant ouvert, l'on entend la voix du Père venir d'en-haut : « Tu es mon fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Mc 1, 11). L'événement du Baptême du Christ n'est donc pas seulement la révélation de sa filiation divine, mais il est en même temps la révélation de toute la Sainte Trinité : le Père — la

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voix d'en haut — révèle en Jésus le Fils unique, qui Lui est consubstantiel, et tout cela s'accomplit en vertu de l'Esprit Saint, qui descend sur le Christ, le Consacré du Seigneur, sous forme d'une colombe.

Dans les Actes des Apôtres, nous pouvons lire l'épisode du Baptême administré par l'Apôtre Pierre au centurion Corneille et à ses proches. Pierre accomplit ainsi les consignes que le Christ ressuscité donna à ses disciples : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19). Le Baptême dans l'eau et dans l'Esprit Saint est le premier Sacrement fondamental de l'Église, le Sacrement de la vie nouvelle dans le Christ.

4. Très chers frères et sœurs, d'ici peu, ces enfants aussi recevront ce même baptême et ils deviendront des membres vivants de l'Église. Ils seront tout d'abord oints avec l'huile des catéchumènes, signe de la force douce du Christ, qui leur est donnée pour lutter contre le mal. Ensuite, l'on versera sur eux l'eau bénite, signe de la purification intérieure à travers le don de l'Esprit Saint, que Jésus a répandu en mourant sur la croix. Immédiatement après, ils recevront une seconde onction, plus importante encore, avec le « chrême »,.pour indiquer qu'ils sont consacrés à l'image de Jésus, l'Oint du Père. Puis, un cierge sera remis au père de chacun d'eux, qui devra être allumé au cierge pascal, symbole de la lumière de la foi que les parents, les parrains et les marraines devront toujours conserver et alimenter, avec la grâce vivifiante de l'Esprit.

Chers parents, parrains et marraines, confions ces petits êtres à l'intercession maternelle de la Vierge Marie. Demandons- lui que, revêtus de la robe blanche, signe de leur nouvelle dignité de fils de Dieu, ils soient des chrétiens authentiques et des témoins courageux de l'Évangile durant toute leur vie.

Amen !

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19 janvier 1997

Savoir discerner l'appel de Dieu

L'appel de Samuel nous place devant le thème de la recherche et de la découverte de Dieu

Dans la matinée du dimanche 19 janvier 1997, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine de « Santa Maria della Speranza », située dans le quartier Nuovo Salario à la périphérie de Rome. Au cours de la Célébration eucharistique pour les fidèles de la paroisse, le Pape a prononcé l'homélie suivante :

1. « Yahvé appela : “Samuel, Samuel !”. Il répondit : “Me voici !” » (1 S 3, 4).

La liturgie de la Parole de ce dimanche nous présente le thème de la vocation. Il est abordé dans la première lecture, tirée du premier Livre de Samuel. Nous venons d'écouter à nouveau le récit suggestif de la vocation du prophète, que Dieu appelle par son nom, le tirant de son sommeil. Dans un premier temps, le jeune Samuel ne sait pas d'où provient cette voix mystérieuse. C'est seulement ensuite, peu à peu, et également grâce à l'explication du vieux prêtre Eli, qu'il découvre que la voix qu'il a entendue est celle de Dieu lui-même. Alors, il lui répond immédiatement : « Parle, car ton serviteur t'écoute » (ibid. 3, 10).

Nous pouvons dire que l'appel de Samuel revêt une signification exemplaire, car il est la réalisation d'un processus qui se répète dans toutes les vocations. En effet, la voix de Dieu se fait entendre avec une clarté toujours plus grande et le sujet acquiert progressivement la conscience de sa provenance divine. Avec le temps, la personne appelée par Dieu apprend à s'ouvrir toujours davantage à la Parole de Dieu, se disposant à écouter et à réaliser sa volonté dans sa propre vie.

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2. Le récit de la vocation de Samuel dans le contexte de l'Ancien Testament correspond, d'une certaine façon, à ce que saint Jean écrit sur la vocation des Apôtres. Le premier à être appelé fut André, le frère de Simon-Pierre. Ce fut précisément lui qui conduisit son propre frère au Christ en lui annonçant : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1, 41). Lorsque Jésus vit Simon, il lui dit : « Tu es Simon, le fils de Jean ; tu t'appeleras Céphas (qui veut dire Pierre) » (ibid. 1, 42).

Dans cette description, brève mais solennelle, de la vocation des disciples de Jésus, le thème de la « recherche » et de la « découverte » est placé au premier plan. Dans l'attitude des deux frères, André et Simon, se manifeste cette recherche de l'accomplissement des prophéties, qui était une partie essentielle de la foi de l'Ancien Testament. Israël attendait le Messie promis ; il le cherchait avec un zèle plus grand notamment depuis que Jean-Baptiste avait commencé à prêcher sur les rives du Jourdain. Le Baptiste n'annonça pas seulement la venue prochaine du Messie, mais il déclara qu'il était présent dans la personne de Jésus de Nazareth, venu au Jourdain pour se faire baptiser. L'appel des premiers Apôtres eut lieu précisément dans ce contexte, c'està- dire qu'il naquit de la foi du Baptiste dans le Messie, désormais présent au sein du Peuple de Dieu.

Le Psaume responsorial d'aujourd'hui parle également de la venue du Messie dans le monde. La liturgie de ce dimanche place les paroles du psalmiste dans la bouche de Jésus : « Voici, je viens. Au rouleau du livre il m'est prescrit de faire tes volontés » (Ps 40/39, 8-9). Cette présence du Messie, annoncée par Dieu dans les livres prophétiques, devient une réalité historique dans le mystère de l'Incarnation lorsque vient la plénitude des temps. Nous tous, qui venons de vivre la période de Noël, un temps de joie et de fête pour la naissance du Sauveur, nous avons encore devant nos yeux et dans notre cœur la célébration de cet accomplissement des prophéties messianiques dans la nuit de Bethléem. Le temps de Noël étant terminé, la liturgie nous montre à présent le début progressif de la

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mission salvifique de Jésus à travers les récits simples et immédiats de la vocation des Apôtres.

3. Très chers frères et sœurs de la paroisse Santa Maria della Speranza ! Je suis heureux d'être avec vous aujourd'hui, pour célébrer l'Eucharistie en ce dimanche qui se situe dans la « Semaine de prière pour l'Unité des Chrétiens ». Je suis certain qu'au cours de ces journées, ne manquera pas de s'élever également de votre paroisse une prière plus insistante pour cet objectif — l'unité des chrétiens — que le Divin Rédempteur a tant à cœur.

Je. sais. que vous attendez depuis longtemps ma visite pastorale. Je vous salue tous avec affection, en commençant par le Cardinal Vicaire, Camillo Ruini, l'Evêque auxiliaire du secteur, Mgr Enzo Dieci, et le Recteur majeur des Salésiens, Dom Juan Edmundo Vecchi, que nous avons aujourd'hui la joie d'avoir avec nous. Je salue également le curé, Dom Stelvio Tonnini, ainsi que les vicaires paroissiaux et tous les Fils et les Filles de Don Bosco, qui œuvrent avec tant de générosité dans cette communauté depuis sa fondation.

Ma pensée s'adresse ensuite aux Sœurs du Sacré-Cœur, fondées par Dom Variara, aux membres des différents organes de participation pastorale, aux représentants des nombreux groupes paroissiaux actifs, au grand nombre de laïcs engagés à différent titre dans les multiples activités de votre paroisse.

Vous vivez dans un grand quartier de banlieue, où les problèmes pourraient sembler ne pas être aussi graves que dans d'autres zones de Rome. Toutefois, ici aussi, les gens doivent faire face chaque jour à des difficultés, comme par exemple celle de passer toute la journée loin de chez soi, ce qui a des conséquences négatives sur la vie familiale et sur l'établissement de relations véritablement amicales avec le voisinage. Dans ce contexte, la paroisse, qui constitue l'unique point de rencontre, a une tâche importante. Avec ses multiples propositions bien organisées, elle devient un lieu idéal pour un chemin spirituel, éducatif, culturel et récréatif pour tous.

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Votre communauté dispose à présent d'un lieu de culte agréable et spacieux, ardemment désiré par vous tous et surtout par le regretté Recteur majeur de la Société salésienne, Dom Egidio Viganò, que nous rappelons avec une affection particulière au cours de cette Eucharistie. Avant la consécration de ce temple, qui a eu lieu il y a environ un an, la paroisse a été accueillie pendant plusieurs années dans la citadelle de l'Université pontificale salésienne voisine. Je remercie les responsables et les professeurs de l'Université salésienne, non seulement pour l'hospitalité offerte pendant de longues années à votre Communauté paroissiale, mais également pour le généreux service théologique, pastoral et culturel qu'ils rendent au diocèse de Rome et à toute l'Église.

4. Très chers frères et sœurs ! Au cours de notre rencontre, j'ai pu observer comment le soin pastoral des jeunes, que saint Jean Bosco avait tant à cœur, a fait l'objet d'un choix privilégié par votre paroisse. En effet, les initiatives et les propositions qui leur sont offertes sont nombreuses, comme par exemple le Patronage-Centre de la Jeunesse, où travaillent quatre-vingt animateurs, jeunes et adultes, qui confèrent une note de dynamisme et d'énergie à toute la Communauté paroissiale.

Je sais que vous vous préparez avec application à la célébration de la grande mission dans la ville. C'est précisément hier qu'a été rendue publique la Lettre que, le jour de Noël, j'ai adressée à tous les Romains pour leur présenter l'Évangile de saint Marc : celui-ci sera également remis à chacune des familles de cette Communauté. Dans cette Lettre, j'ai souligné qu'aucune nouvelle n'est plus surprenante que celle qui est contenue dans l'Évangile : « Dieu lui-même — en Jésus — est venu personnellement à notre rencontre, il s'est fait l'un de nous, il a été crucifié, il est ressuscité et il appelle chacun à participer à sa vie pour toujours ». Je vous invite à apporter cette heureuse nouvelle à ceux qui ne sont pas avec nous aujourd'hui ; apportez-la à tous les jeunes, garçons et filles, aux familles, aux personnes âgées et aux malades. Offrez à tous la bonne nouvelle de

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l'Évangile, afin qu'ils puissent dire, comme l'Apôtre André : « Nous avons trouvé le Messie ! » (Jn 1, 41).

5. « Ne savez-vous pas que vos corps sont des membres du Christ ?... Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit ? » (1 Co 6, 15.19). Ces paroles de l'Apôtre Paul aux Corinthiens méritent une réflexion particulière, car elles décrivent la vocation chrétienne. Oui, l'Esprit Saint est présent en chacun de nous, et nous l'avons reçu de Dieu. Nous ne nous appartenons donc plus (cf. 1 Co 6, 19), car nous avons été « bel et bien achetés » (cf. ibid. 6, 20).

Paul veut rendre les Corinthiens destinataires de sa lettre, conscients de cette vérité : l'homme appartient à Dieu, d'abord parce qu'il est l'une de ses créatures, mais plus encore parce qu'il a été racheté du péché par l'œuvre du Christ. S'en rendre compte signifie plonger aux racines mêmes de chaque vocation.

Cela est tout d'abord vrai en ce qui concerne la vocation chrétienne et, à partir de là, cela est vrai pour toute vocation particulière : pour la vocation sacerdotale, pour celle religieuse, pour celle au mariage, ainsi que pour toute autre vocation liée aux différentes activités et aux différentes professions comme médecin, ingénieur, artiste, professeur etc. Pour un chrétien, toutes ces vocations particulières trouvent leur fondement dans le grand mystère de la Rédemption.

C'est précisément parce qu'il a été racheté par le Christ et qu'il est devenu la demeure de l'Esprit Saint, que chaque chrétien peut trouver en lui-même ces différents talents et charismes qui lui permettent de développer de façon créative sa propre vie. Il est ainsi apte à servir Dieu et les hommes, en répondant de façon adaptée à sa vocation particulière dans la Communauté chrétienne et dans le contexte social dans lequel il vit. Je vous souhaite d'être toujours conscients de la dignité de votre vocation chrétienne, attentifs à l'appel de la voix de Dieu, généreux dans l'annonce de sa présence salvifique à vos frères.

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Parle, Seigneur, nous, tes serviteurs, sommes prêts à t'écouter !

« Toi seul as les paroles de vie éternelle » (cf. Acclamation après l'Évangile).

Amen !

25 janvier 1997

Le dessein de Dieu pour toutes les nations

Conversion, réconciliation et communion constituent le plan du salut voulu par Dieu pour les hommes

Dans l'après-midi du samedi 25 janvier 1997, le Saint-Père a présidé une célébration eucharistique dans la Basilique Saint-Paul-Hors-les-Murs, en conclusion de la semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens. Au cours de la Sainte Messe, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Louez Yahvé, tous les peuples, fêtez- le, tous les pays ! Fort est son amour pour nous, pour toujours sa vérité » (Ps 117/116, 1-2). A travers ces paroles du Psaume, l'Ancien Testament annonçait déjà le dessein salvifique de Dieu concernant toutes les nations. Il s'agit d'un dessein universel, l'on pourrait même dire « oecuménique », car il concerne tout le monde habité, c'est-à-dire l'oikouméne.

Cette vision du salut, offert par Dieu à tous les peuples de la terre, est également décrite dans la première Lecture de la liturgie d'aujourd'hui, à travers l'image. du. banquet.. messianique. « Yahvé Sabaot prépare pour tous les peuples, sur cette montagne, un festin de viandes grasses » (Is 25, 6). Le prophète Isaïe nous fait entrevoir l'œuvre mystérieuse et providentielle du Seigneur, qui agit au service de l'unité et du salut de l'humanité. Il soulève le voile qui cache le regard des peuples, il vainc la mort, il essuie les larmes sur tous les visages (cf. Is 25, 7-8).

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Oui, cette puissance extraordinaire provient vraiment de Dieu ; en Lui, nous plaçons nos espérances. Cependant, nous nous sentons en même temps engagés à soutenir ce dessein de salut avec toutes nos énergies.

Aujourd'hui, l'Évangile fait écho à ces perspectives universalistes déjà présentes dans l'Ancien Testament, en nous présentant le mandat missionnaire confié par Jésus aux Apôtres, avant son ascension au ciel : « Allez dans le monde entier, proclamez l'Évangile à toute la création » (Mc 16, 15). Puis, il ajoute : « Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé, celui qui ne croira pas, sera condamné » (Mc 16, 16). Au terme de sa mission messianique, à travers des paroles fortes et décisives, le Christ confirme encore une fois le plan universel du salut voulu par le Père, et il en indique la dimension planétaire en parlant de toutes les nations et de toute la terre.

2. Cette mission universelle de salut acquiert une dimension importante, le jour où l'Église rappelle la conversion de saint Paul. En effet, parmi les Apôtres, c'est précisément Paul qui exprime et qui réalise de façon particulière la mission universelle de l'Église. Sur la route de Damas, le Christ l'associe au dessein divin du salut universel : « Le Dieu de nos pères t'a prédestiné à connaître sa volonté [...] car pour lui tu dois être témoin devant tous les hommes » (Ac 22, 14-16).

Jusque là, le zélé pharisien Saul était convaincu que le plan du salut ne concernait qu'un unique peuple : Israël. C'est pourquoi il combattait par tous les moyens les disciples de Jésus de Nazareth, les chrétiens. De Jérusalem, il se dirigeait vers Damas car c'est précisément là, le lieu où le christianisme se diffusait rapidement, qu'il voulait emprisonner et punir tous ceux qui, abandonnant les anciennes traditions des pères, embrassaient la foi chrétienne. Près de Damas, il est illuminé par la lumière provenant d'en Haut. Il tombe à terre et, à ce moment dramatique, le Christ le rend conscient de son erreur.

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En cette circonstance, Jésus se révèle pleinement à Paul comme Celui qui est ressuscité d'entre les morts. Il est ainsi permis à l'Apôtre de « voir le Juste et d'entendre la voix sortie de sa bouche » (Ac 22, 14). A partir de ce moment, Paul est constitué « Apôtre » comme les Douze, et il pourra affirmer, en s'adressant aux Galates : « Celui qui dès le sein maternel m'a mis à part et appelé par sa grâce daigna révéler en moi son Fils pour que je l'annonce parmi les païens » (Ga 1, 15 sq).

La conversion de Paul s'accomplit à travers la souffrance. L'on peut dire qu'en lui Saul, le persécuteur, a tout d'abord été vaincu, afin que puisse naître Paul, l'Apôtre des nations. Son appel est sans doute le plus singulier qui fut fait à un Apôtre : le Christ lui-même vainc le pharisien qui est en lui et le transforme en un messager ardent de l'Évangile. La mission que Paul reçoit du Christ est en harmonie avec celle qui est confiée aux Douze, mais avec un contenu et un itinéraire particulier : il sera l'Apôtre des nations.

3. Très chers frères et sœurs ! C'est vraiment une heureuse circonstance qui nous réunit chaque année dans cette antique Basilique pour la célébration eucharistique qui conclut la Semaine de Prière pour l'Unité des Chrétiens. Nous rappelons la conversion de Paul, dans ce temple qui lui est consacré. A partir du moment où, à Damas, Jésus ressuscité se révéla à lui, jusqu'au témoignage suprême qu'il rendit à Rome, Paul fut un fervent serviteur de la communion qui doit exister entre les membres du Corps du Christ. Son « obsession quotidienne » était, comme lui-même le confesse, « le souci de toutes les Églises » (2 Co 11, 28).

Le thème de la Semaine de Prière de cette année, tire son inspiration précisément de son activité apostolique pour la réconciliation et la communion des croyants : « Nous vous en supplions au nom du Christ : laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5, 20).

Cette attitude qui tend vers la réconciliation selon la vérité et dans la charité, et qui a été au centre de notre prière durant cette

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Semaine, doit nous accompagner chaque jour. La célébration eucharistique d'aujourd'hui constitue un signe de notre quête d'une communion plus profonde entre tous les chrétiens. Elle revêt une signification oecuménique particulière grâce à la présence de notre très cher frère dans le Christ, le Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, Sa Sainteté Aram Ier, que je salue avec une affection cordiale et fraternelle.

La nation arménienne fut baptisée au début du IVe siècle. Les épreuves et les persécutions endurées au cours des siècles par le peuple arménien et son Église sont connues. Précisément en raison de ces événements, une partie de la population a dû fuir de l'Arménie, au début du second millénaire, et se réfugier en Cilicie, la patrie de Paul de Tarse. Le Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie a joué un rôle important pour garantir la vie chrétienne au peuple arménien durant la diaspora.

4. Le baiser de paix du Catholicos et de l'Evêque de Rome, Successeur de l'Apôtre Pierre, et la bénédiction qu'ils donneront ensemble au nom du Seigneur, témoignent de la reconnaissance réciproque de la légitimité de la succession apostolique. Tout en respectant la diversité des tâches confiées à chacun, nous sommes ensemble corresponsables de ce qui nous rassemble : transmettre fidèlement la foi reçue par les Apôtres, témoigner de l'amour du Christ envers chaque être humain dans les situations souvent dramatiques du monde contemporain, renforcer notre marche vers la pleine unité de tous les disciples du Christ. Pour cela, nous avons besoin de nous consulter périodiquement, de façon à pouvoir annoncer l'Évangile d'une voix unanime et le servir d'un cœur sans partage.

Très chers frères et sœurs ici présents, je vous invite tous à prier afin que la visite appréciée du Catholicos de la Grande Maison de Cilicie encourage chacun de nous à vivre toujours davantage le mystère de la communion selon la vérité et dans la charité. Que le sang de nos martyrs et la communion de nos saints nous aident à

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nous renouveler dans la Tradition qui nous est commune. La récente visite du Catholicos de tous les Arméniens, Sa Sainteté Karékine Ier, a constitué un témoignage éloquent de notre volonté d'approfondir la communion dans une diakonia réciproque : « Un membre souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui » (1 Co 12, 26). Ainsi, nous sommes mutuellement encouragés à nous mettre au service les uns des autres, à travers la charité (cf. Ga 5, 13).

5. Ces dernières années la célébration de la conversion de saint Paul est devenue la fête annuelle de l'engagement oecuménique. A Rome, comme dans le monde entier, les disciples du Christ des différentes Églises et communautés se rencontrent pour élever vers Dieu un chœur de prières pour l'unité des chrétiens. Le lien de cette prière avec la fête liturgique de la conversion de saint Paul souligne le fait que l'unité et la communion de tous les chrétiens ne peuvent être atteintes qu'en parcourant la voie de la conversion.

En particulier aujourd'hui, nous rappelons les paroles de la prière sacerdotale de Jésus : Père, fais que « tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé » (Jn 17, 21). La prière du Christ nous révèle la dimension profonde de la conversion : se convertir à l'unité signifie dégager du chemin l'obstacle le plus grand pour la conversion du monde au Christ.

Comme Paul de Tarse qui découvrit la vraie voie qui mène au salut et qui comprit que le Christ crucifié et ressuscité y a conduit le peuple d'Israël et toute l'humanité ; les chrétiens doivent eux aussi prendre conscience que le chemin du salut passe à travers leur unité dans le Christ et que cela exige de tous un engagement spirituel particulier.

Le Concile Vatican II a précisé la signification de l'unitatis redintegratio entre tous les chrétiens, en illustrant ses méthodes et ses moyens, au cours de l'époque historique que vit actuellement l'Église. Dans l'Encyclique Ut unum sint j'ai voulu rappeler, à trente ans de sa

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publication, les indications du Document conciliaire, en en dégageant des applications actuelles.

6. Aujourd'hui, nous rendons grâce à la Très Sainte Trinité pour les efforts accomplis au cours de ces années et, en même temps, nous demandons la lumière pour les nouveaux pas à accomplir sur ce chemin, dans une adhésion fidèle et généreuse aux impulsions de l'Esprit Saint.

Au cours de cette Semaine de Prière, des rencontres oecuméniques et des célébrations spéciales ont eu lieu dans le monde entier, pour demander à Dieu le grand don de l'unité. L'Église qui est à Rome, liée de façon particulière à la tradition apostolique des saints Pierre et Paul, a elle aussi participé à cette prière unanime de tous les chrétiens. Elle est fondée sur les colonnes des Coryphées des Apôtres. Précisément en raison de son identité particulière, elle désire offrir des signes d'accueil et de communion aux Communautés des disciples du Christ de toutes les parties du monde. A notre époque également, elle proclame avec eux, la grandeur du nom du Seigneur à tous les peuples.

« Louez Yahvé, tous les peuples,fêtez-le, tous les pays !Fort est son amour pour nous,pour toujours sa vérité »

Amen !

02 février 1997

Les portes du Temple sont ouvertes à tous

Le devoir de proclamer la primauté de l'Absolu sur toute réalité humaine est confié aux personnes consacrées

Dans la matinée du dimanche 2 février 1997, en la fête de la Présentation du Seigneur au Temple et première « Journée de la Vie

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consacrée », le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique dans la basilique Saint- Pierre. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Lumen ad revelationem gentium : Lumière pour éclairer les nations (Lc 2, 32).

Quarante jours après sa naissance, Jésus fut conduit au Temple par Marie et Josephre, pour être présenté au Seigneur (cf. Lc 2, 22), selon ce qui était prescrit dans la Loi de Moïse : « Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur » (Lc 2, 22) ; et pour offrir en sacrifice « suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes » (Lc 2, 24).

En rappelant ces faits, la liturgie suit de façon intentionnelle et avec précision le rythme des événements évangéliques : l'échéance des quarante jours après la naissance du Christ. Elle en fera de même, par la suite, en ce qui concerne la période qui s'étend de la résurrection à l'ascension au ciel.

Trois éléments fondamentaux ressortent de l'épisode évangélique qui est aujourd'hui célébré : le mystère de la venue, la réalité de la rencontre et la proclamation de la prophétie.

Le mystère de la venue

2. Tout d'abord, le mystère de la venue. Les lectures bibliques, que nous venons d'écouter, soulignent le caractère extraordinaire de cette venue de Dieu : le prophète Malachie l'annonce avec ferveur et avec joie, le Psaume responsorial la chante, le texte de l'Évangile selon Luc la décrit. Il suffit, par exemple, de se mettre à l'écoute du Psaume responsorial : « Portes, levez vos frontons [...], qu'il entre, le roi de gloire !

.Qui.est-il.ce.roi de gloire ? C'est Yahvé, le fort, le vaillant [...] Yahvé Sabaot, c'est lui le roi de gloire » (Ps 24/23, 7-8. 10).

Dans le Temple de Jérusalem, entre Celui qui est attendu depuis des siècles, Celui qui est l'accomplissement des promesses de

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l'Ancienne Alliance : le Messie annoncé. Le Psalmiste l'appelle « roi de gloire ». C'est seulement plus tard qu'il apparaîtra clairement que son Royaume n'est pas de ce monde (cf. Jn 18, 36) et que ceux qui appartiennent à ce monde préparent pour Lui une couronne d'épines, et non pas une couronne royale.

Toutefois, la liturgie porte son regard au-delà. Elle voit dans cet enfant de quarante jours la « lumière » destinée à illuminer les nations et elle le présente comme la « gloire » du peuple d'Israël (cf. Lc 2, 32). Il est Celui qui devra vaincre la mort, comme l'annonce l'Épître aux Hébreux, en expliquant le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption : « Puis donc que les enfants avaient en commun le sang et la chair, lui aussi y participa pareillement » (He 2, 14), ayant assumé une nature humaine.

Après avoir décrit le mystère de l'Incarnation, l'auteur de l'Épître aux Hébreux présente celui de la Rédemption : « En conséquence, il a dû venir en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans leurs rapports avec Dieu un grand prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du peuple. Car, du fait qu'il a lui-même souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés » (ibid., 2, 17-18). Voilà une présentation profonde et touchante du mystère du Christ. Le passage de l'Épître aux Hébreux nous aide à mieux comprendre pourquoi cette venue à Jérusalem du Fils nouveau-né de Marie est un événement décisif pour l'histoire du salut. Dès sa construction, le Temple attendait d'une façon toute particulière Celui qui avait été promis. C'est pourquoi sa venue revêt une signification sacerdotale : « Ecco sacerdos magnus » ; voilà, le vrai Prêtre suprême éternel entre dans le Temple.

La réalité de la rencontre

3. Le second élément caractéristique de la célébration d'aujourd'hui est la réalité de la rencontre. Même si personne n'attend Joseph et Marie qui arrivent, mêlés à la foule, avec le petit Jésus dans le Temple de Jérusalem, il se produit quelque chose de particulier. En ce lieu, ils rencontrent des personnes guidées par l'Esprit Saint : le

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vieux Syméon, au sujet de qui saint Luc écrit : « Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint reposait sur lui. Et il avait été divinement averti par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur » (Lc 2, 25-26), et la prophétesse Anne qui, ayant vécu « sept ans avec son mari était restée veuve [...] Parvenue à l'âge de quatre-vingt quatre ans, elle ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière » (Lc 2, 36-37). L'évangéliste poursuit : « Survenant à cette heure même, elle louait Dieu et parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (Lc 2, 38).

Syméon et Anne : un homme et une femme, des représentants de l'Ancienne Alliance qui, en un certain sens, avaient vécu toute leur existence en vue du moment où le Temple de Jérusalem aurait été visité par le Messie attendu. Syméon et Anne comprennent que le moment est finalement arrivé et, rassurés par la rencontre, ils peuvent affronter, le cœur en paix, la dernière période de leur vie : « Maintenant, Souverain Maître, tu peux selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut » (Lc 2, 29-30).

Dans cette rencontre discrète, les paroles et les gestes expriment de façon efficace la réalité de l'événement qui s'accomplit. La venue du Messie ne passe pas inaperçue. Il a été reconnu grâce au regard pénétrant de la foi, que le vieux Syméon manifeste dans ses paroles touchantes.

La proclamation de la prophétie

4. Le troisième élément qui se dégage de cette solennité est la prophétie : aujourd'hui retentissent des paroles vraiment prophétiques. La Liturgie des Heures conclut chaque journée par un cantique inspiré par Syméon : « Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut [...], lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël » (Lc 2, 29- 32).

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S'adressant à Marie, le vieux Syméon ajoute : « Cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël, il doit être un signe en butte à la contradiction, — et toi-même, une épée te transpercera l'âme » (Lc 2, 34- 35). Ainsi donc, alors que nous sommes encore à l'aube de la vie de Jésus, nous sommes déjà orientés vers le Calvaire. C'est sur la croix que Jésus se confirmera de façon définitive comme un signe de contradiction et c'est là que le cœur de sa Mère sera transpercé par l'épée de la douleur. Tout nous est dit dès le début, le quarantième jour après la naissance de Jésus, en la fête de la Présentation de Jésus au Temple, dont l'importance est grande dans la Liturgie de l'Église.

La célébration de la « Journée de la Vie consacrée »

5. Très chers frères et sœurs ! La solennité d'aujourd'hui s'enrichit cette année d'une nouvelle signification. En effet, pour la première fois, nous célébrons la Journée de la Vie consacrée.

Chers religieux et religieuses, chers frères et sœurs membres des Instituts séculiers et des Sociétés de Vie apostolique, c'est à vous tous qu'est confiée la tâche de proclamer, à travers la parole et l'exemple, la primauté de l'Absolu sur toute réalité humaine. Il s'agit d'un engagement urgent à notre époque, qui semble souvent avoir égaré le sens authentique de Dieu. Comme je l'ai rappelé dans le Message que je vous ai adressé pour cette première Journée de la Vie consacrée, de nos jours « il est véritablement urgent que la vie consacrée se montre toujours plus “pleine de joie et d'Esprit Saint”, qu'elle s'élance sur les chemins de la mission, et soit reconnue grâce au témoignage donné, puisque “l'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins” » (n. 4, cf. ORLF n. 4, du 28 janvier 1997). Puisse votre mission dans l'Église et dans le monde être lumière et source d'espérance.

Avec le vieux Syméon et la prophétesse Anne, nous allons à la rencontre du Seigneur dans son Temple. Accueillons la lumière de sa

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Révélation, en nous engageant à la diffuser parmi nos frères, en vue du grand Jubilé de l'An 2000, désormais proche.

Que nous accompagne la Sainte Vierge,Mère de l'espérance et de la joie,et qu'elle obtienne pour tous les croyantsd'être des témoins du salut,que Dieu a préparé à la face de tous les peuplesdans son Fils incarné, Jésus-Christ,lumière pour éclairer les nationset gloire de son peuple Israël. Amen !

12 février 1997

La perspective de la nouvelle création

Une conversion authentique implique l'accomplissement de toutes les œuvres propres au Carême

Dans l'après-midi du 12 février 1997, Mercredi des Cendres, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique dans la Basilique Sainte-Sabine, sur l'Aventin à Rome. Au cours de la cérémonie le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Dieu, crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme » (Ps 51/50, 12).

Ces paroles du Psaume responsorial contiennent, d'une certaine manière, le sens le plus profond du Carême et en expriment en même temps le programme essentiel. Ce sont des paroles tirées du psaume Miserere, dans lequel le pécheur ouvre son cœur à Dieu, confesse sa culpabilité et implore la rémission des péchés : « Lave-moi tout entier de mon mal et de ma faute purifie-moi. Car mon péché, moi, je le connais, ma faute est devant moi sans relâche ; contre toi, toi seul j'ai péché, ce qui est coupable à tes yeux, je l'ai fait... ne me repousse pas loin de ta face, ne m'enlève pas ton esprit de sainteté » (ibid. 50, 4-6. 13).

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Ce Psaume constitue un commentaire liturgique au rite des Cendres d'une force particulière. La cendre est le signe de la caducité de l'homme et de son assujettissement à la mort. En ce temps, au cours duquel nous nous préparons à revivre liturgiquement le mystère de la mort en croix du Rédempteur, nous devons sentir et vivre plus profondément notre mortalité. Nous sommes des êtres mortels, mais notre mort ne signifie cependant pas la destruction et l'anéantissement. Dieu a inscrit en elle la profonde perspective de la nouvelle création. C'est pourquoi le pécheur qui célèbre le Mercredi des Cendres peut et doit s'écrier : « Crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme » (ibid. 50, 12).

2. Durant le Carême, la certitude de cette nouvelle création naît de la lumière du mystère du Christ : mystère de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Dans la liturgie d'aujourd'hui, saint Paul affirme : « Nous vous en supplions au nom du Christ : laisssez-vous réconcilier avec Dieu. Celui qui n'avait pas connu le péché, Il l'a fait péché pour nous, afin qu'en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Co 5, 20-21). En acceptant de faire l'expérience dans sa chair du drame de la mort humaine, le Christ fut sujet au caractère destructible de l'existence temporelle de l'homme. L'Apôtre en parle avec une grande clarté lorsqu'il affirme : « Dieu l'a fait péché ». Ce qui signifie que Dieu traita le Christ, « Celui qui n'avait pas connu le péché », de la même manière qu'un pécheur, et cela en notre faveur. En effet, le Christ a partagé notre sort d'hommes accablés par le péché, afin qu'à travers Lui nous devenions justice de Dieu.

En raison de notre foi dans le Christ nous pouvons nous écrier avec le Psalmiste : « Crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme » (Ps 50, 12). A quoi servirait l'imposition des cendres, si elle ne nous montrait pas l'espérance de la vie nouvelle, de la nouvelle création, que Dieu nous a donnée dans le Christ ?

3. Au cours de toute l'Année liturgique l'Église vit du Sacrifice rédempteur du Christ. Toutefois, au cours du Carême, nous désirons

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nous plonger dans celui-ci d'une façon particulièrement intense, selon l'exhortation de l'Apôtre : « Le voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ! » (2 Co 6, 2). Durant ces temps forts, les trésors de la rédemption, mérités pour nous par le Christ crucifié et ressuscité, nous sont dispensés d'une façon toute particulière. L'exclamation du Psalmiste : « Crée pour moi un cœur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme » devient ainsi, au début du Carême, un puissant appel à la conversion.

A travers les paroles du Psaume Miserere le pécheur s'accuse non seulement de ses propres fautes, mais il commence en même temps un nouvel itinéraire créatif, le chemin de la conversion : « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2, 12), s'exclame le prophète Joël au nom de Dieu, dans la première Lecture. « Se convertir » signifie donc entrer en profonde intimité avec Dieu, comme le propose également l'Évangile d'aujourd'hui.

Une conversion authentique implique l'accomplissement de toutes les œuvres qui sont propres au temps de Carême : l'aumône, la prière, le jeûne. Toutefois, elles ne doivent pas être vécues uniquement comme des actions extérieures, mais comme l'expression d'une rencontre intime, et dans une certaine mesure inconnue aux hommes, avec Dieu lui-même. La conversion comporte une nouvelle découverte de Dieu. Dans la conversion l'on se rend compte qu'en Lui réside la plénitude du bien, qui s'est révélée dans le mystère pascal du Christ ; et dans la demeure intime du cœur l'on peut puiser à pleines mains à cette plénitude du bien.

Dieu attend cela ! Dieu veut créer en nous un cœur pur et renouveler en nous un esprit ferme. Et, en ce début de Carême, nous voulons ouvrir notre âme à la grâce de Dieu, pour vivre intensément l'itinéraire de conversion vers la Pâque.

16 février 1997

L'Alliance de la rédemption de l'homme

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Les eaux destructrices du déluge sont transformées en eaux baptismales qui sanctifient

Dans la matinée du dimanche 16 février 1997, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « Sant'Andrea Avellino », où il a présidé une célébration eucharistique pour les fidèles du quartier. Cette visite pastorale dans son diocèse s'inscrit dans le cadre de la Mission dans la ville. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a remis l'Évangile de Marc a neuf représentants de la paroisse et de la ville, symbolisant par là un véritable envoi en mission. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

1. « Voici que j'établis mon alliance » (Gn 9, 8).

La liturgie de la Parole de ce premier dimanche de Carême nous présente l'alliance établie par Dieu avec les hommes et avec la création, après le déluge, à travers Noé. Nous avons à nouveau écouté les paroles solennelles prononcées par Dieu : « Voici que j'établis mon alliance avec vous et avec vos descendants après vous, et avec tous les êtres animés qui sont avec vous [...] J'établis mon alliance avec vous : tout ce qui est ne sera plus détruit par les eaux du déluge, il n'y aura plus de déluge pour ravager la terre » (Gn 9, 9-11). Cette alliance revêt une valeur particulière dans l'Ancien Testament. Dieu, créateur de l'homme et de tous les êtres vivants, avait anéanti par le déluge, d'une certaine façon, tout ce à quoi il avait donné vie. La décision de cette punition avait pour origine le péché qui s'était diffusé dans le monde, après la première. chute.de.nos ancêtres.

Toutefois, les eaux avaient épargné Noé et sa famille, ainsi que les animaux qu'il avait amenés avec lui dans l'arche. C'est ainsi que furent sauvés l'homme et les autres êtres vivants qui, ayant survécu à la punition du Créateur, constituèrent après le déluge le début d'une nouvelle alliance entre Dieu et le créé.

Cette alliance se manifesta par le signe tangible de l'arc-en-ciel : « Je mets mon arc — dit Dieu — dans la nuée et il deviendra un

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signe d'alliance entre moi et la terre. Lorsque j'assemblerai les nuées sur la terre et que l'arc apparaîtra dans la nuée, je me souviendrai de l'alliance qu'il y a entre moi et vous » (Gn 9, 13-15).

2. Les lectures d'aujourd'hui nous permettent donc de considérer d'une nouvelle façon l'homme et le monde dans lequel nous vivons. En effet, le monde et l'homme représentent non seulement la réalité de l'existence en tant qu'expression de l'œuvre créatrice de Dieu, mais également l'image de l'alliance. Toute la création parle de cette alliance.

Au cours des différentes époques de l'histoire, les hommes ont continué à commettre des péchés, peut-être même plus graves que ceux qui sont décrits avant le déluge. Toutefois, dans les paroles de l'alliance établie par Dieu avec Noé, l'on comprend que désormais, aucun péché ne pourra conduire Dieu à anéantir le monde qu'Il a créé.

La liturgie d'aujourd'hui nous dévoile une vision nouvelle du monde. Elle nous aide à prendre conscience de la valeur que le monde possède aux yeux de Dieu, qui a inscrit toute l'œuvre de la création dans l'alliance établie avec Noé, et qui s'est engagé à la sauvegarder de la destruction.

3. Le Carême a commencé mercredi dernier, avec l'imposition des cendres, et c'est aujourd'hui le premier dimanche de ce temps fort, qui fait référence au jeûne de quarante jours que le Christ commença après son baptême dans le Jourdain. Saint Marc, qui nous accompagne cette année dans la liturgie du dimanche, écrit à ce propos : « Et aussitôt, l'Esprit le pousse au désert. Et il était dans le désert durant quarante jours, tenté par satan. Et il était avec les bêtes sauvages, et les anges le servaient » (Mc 1, 12-13).

Dans le passage concernant le même épisode, saint Matthieu ne rapporte que la réponse du Seigneur au tentateur qui le provoquait pour qu'il transforme les pierres en pains : « Si tu es fils de Dieu, dis que ces pierres deviennent des pains » (Mt 4, 3). Jésus répondit :

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« Ce n'est pas de pain seul que vivra l'homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Mt 4, 4 ; cf. Chant de l'Évangile). Telle est l'une des trois réponses du Christ à satan, qui cherchait à le séduire et à le convaincre en faisant appel aux trois concupiscences de la nature humaine déchue.

Au seuil du Carême, la victoire du Christ sur le diable constitue comme une indication pour vaincre le mal par l'engagement à une vie d'ascèse, dont le jeûne est une manifestation, et vivre ainsi cette période de façon authentique.

4. Très chers frères et sœurs de la paroisse « Sant'Andrea Avellino » ! Je suis heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui, pour célébrer le jour du Seigneur en ce premier dimanche de Carême ! Je salue le Cardinal-Vicaire, l'Evêque auxiliaire du secteur, votre curé plein de zèle, dom Giuseppe Grazioli, ainsi que vous tous qui participez à cette célébration eucharistique. J'adresse une pensée affectueuse aux enfants qui ne vont pas encore à l'école et à leurs mamans, aux enfants qui se préparent à recevoir la Confirmation ou la Première Communion, aux jeunes ainsi qu'aux membres du Cercle du 3e âge, au groupe culturel et à la chorale, aux rédacteurs du bulletin paroissial ainsi qu'aux volontaires de la Caritas, aux catéchistes et aux membres du Conseil pastoral. Que mon salut et mon encouragement parvienne à tous, sans distinction, pour vivre en profondeur la communion ecclésiale et pour témoigner généreusement de l'Évangile.

Très chers frères et sœurs, que votre paroisse, qui constitue un centre important de réunion pour ce quartier, soit toujours davantage un lieu sûr pour les enfants et les jeunes, un point de rencontre pour les adultes et les personnes âgées, et un lieu d'écoute et de partage pour tous. Cette nouvelle église fonctionnelle, inaugurée et consacrée par le Cardinal-Vicaire le 20 octobre dernier, ne manquera pas de favoriser la participation à la vie liturgique et permettra à chacun de vous une communion toujours plus grande et une authentique solidarité spirituelle.

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5. « Le.temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l'Évangile » (Mc 1, 15). Ces paroles de l'évangéliste Marc retentissent dans notre cœur. L'Évangile commence par la mission de Jésus, une mission qui s'accomplira lors des événements pascals. L'Église poursuit cette mission dans le temps, à laquelle chacun de nous est appelé à offrir sa propre contribution personnelle, en annonçant et en témoignant le Christ, mort et ressuscité pour le salut du monde.

C'est dans ce contexte que se situe la Mission dans la ville qui, au niveau paroissial, se déroulera lors du Carême de l'année prochaine. Aujourd'hui, précisément en préparation à cette mission, commence officiellement la distribution de l'Évangile, afin qu'il parvienne dans chaque famille et chaque milieu de la ville. C'est avec une grande joie que je viens moi aussi de remettre à plusieurs de vos représentants une copie de l'Évangile de Marc, disciple et fidèle interprète de l'Apôtre Pierre.

6. Dans sa Première épître, saint Pierre écrit : « Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste pour des injustes [...] il s'en alla même prêcher aux esprits en prison, à ceux qui jadis avaient refusé de croire lorsque se prolongeait la patience de Dieu, au jour où Noé construisait l'Arche, dans laquelle un petit nombre, en tout huit personnes, furent sauvées à travers l'eau ». (1 P 3, 18-20). Ces paroles de Pierre font référence à l'alliance de Noé, dont nous a parlé la première lecture. Cette alliance représente un modèle, un symbole, une figure de la Nouvelle Alliance conclue par Dieu avec l'humanité tout entière en Jésus-Christ, à travers sa mort sur la Croix et sa résurrection. Si l'ancienne alliance concernait tout d'abord la création, la Nouvelle Alliance, fondée sur le mystère pascal du Christ, est l'Alliance de la Rédemption.

Dans le texte que nous avons écouté l'Apôtre Paul se réfère au sacrement du Baptême. Les eaux destructrices du déluge cèdent le pas aux eaux baptismales qui sanctifient. Le Baptême est le sacrement fondamental dans lequel se réalise l'Alliance de la

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rédemption de l'homme. Dès l'origine de la tradition chrétienne, le Carême était tout entier une préparation au Baptême qui était administré aux catéchumènes lors de la Vigile solennelle de Pâques.

Très chers frères et sœurs, renouvelons en nous-mêmes, en particulier durant cette période quadragésimale, la conscience de notre Alliance avec Dieu. Dieu a établi une Alliance avec Noé et l'a inscrite dans l’œuvre de la création. Le Christ, Rédempteur de l'homme et de tout l'homme, a mené à bien l’œuvre du Créateur à travers sa mort et sa résurrection.

Nous avons été rachetés par le sang du Christ. Le Christ est mort une fois pour toujours pour les péchés, juste pour les injustes.

Amen !

23 février 1997

Dieu a arrêté la main d'Abraham, mais n'a pas hésité à sacrifier son Fils pour le salut de l'humanité

Dans la matinée du dimanche 23 février 1997, temps de Carême, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « Santa Croce al Flaminio », où il a présidé une célébration eucharistique pour les fidèles du quartier. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

1.  » Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le » (Mc 9, 7).

Aujourd'hui, nous écoutons à nouveau, dans le contexte de la transfiguration du Seigneur, les paroles qui retentirent au moment du baptême de Jésus dans le Jourdain (cf. Mt 3, 17). « Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean [...] et fut transfiguré devant eux [...] Élie leur apparut avec Moïse et ils s'entretenaient avec Jésus [...] Pierre dit :.“Rabbi,.il est heureux que nous soyons ici ; faisons donc trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Élie” » (Mc 9, 2-5). A cet instant précis, on entendit une voix : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; écoutez-le » (Mc 9, 7).

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Cette manifestation extraordinaire de la filiation divine de Jésus ne dura pas longtemps. Lorsque les Apôtres levèrent à nouveau les yeux, ils ne virent plus personne en dehors de Jésus qui, « comme ils descendaient de la montagne — poursuit l'évangéliste — leur ordonna de ne raconter à personne ce qu'ils avaient vu, si ce n'est quand le Fils de l'homme serait ressuscité d'entre les morts » (Mc 9, 9). Ainsi, en ce deuxième dimanche de Carême, nous écoutons avec les Apôtres l'annonce de la Résurrection. Nous l'écoutons tandis que nous marchons avec eux vers Jérusalem, où nous revivrons le mystère de la passion et de la mort du Seigneur. C'est précisément vers cet événement-clef de toute l'économie du salut que tendent en effet le jeûne et la pénitence de cette période sacrée.

2. La transfiguration du Seigneur, qui, selon la tradition, eut lieu sur le mont Tabor, met au premier plan la personne et l'œuvre de Dieu le Père, présent aux côtés du Fils de façon invisible, mais réelle. C'est ainsi que s'explique le fait que, dans le cadre de l'Évangile de la transfiguration, la Liturgie d'aujourd'hui fait apparaître un épisode important de l'Ancien Testament, dans lequel la paternité est mise en valeur de façon particulière.

La première Lecture, tirée du Livre de la Genèse, nous rappelle en effet le sacrifice d'Abraham. Celui-ci avait un fils, Isaac, né alors qu'il était déjà âgé. C'était le fils de la promesse. Mais un jour, Abraham reçoit de Dieu le commandement de l'offrir en sacrifice. Le vieillard se trouve face à la perspective d'un sacrifice qui pour lui, père, est certainement le plus grand que l'on puisse imaginer. Toutefois, il n'hésite pas même un instant et, après avoir fait les préparatifs nécessaires, part avec Isaac pour le lieu établi. Il construit un autel, dispose le bois et, ayant attaché son fils, saisit le couteau pour l'immoler. Ce n'est qu'alors qu'il est arrêté par un ordre d'en haut : « N'étends pas la main contre l'enfant ! Ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique » (Gn 22, 12).

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Cet événement, dans lequel la foi et l'abandon d'un père à Dieu atteignent leur sommet, revêt quelque chose de bouleversant. Saint.Paul appelle à raison Abraham. « père de tous les croyants » (cf. Rm 4, 11.17). Les religions juive et chrétienne font référence à sa foi. Le Coran n'ignore pas non plus la figure d'Abraham. La foi du père des croyants est le miroir dans lequel se reflète le mystère de Dieu, mystère d'amour qui unit le Père et le Fils.

3. Très chers frères et sœurs de la paroisse « Santa Croce a Via Flaminia » ! C'est pour moi une grande joie de célébrer aujourd'hui la Sainte Messe dans cette belle Église, construite par la volonté de mon vénéré prédécesseur Pie X et visitée en 1964 par le Serviteur de Dieu, le Pape Paul VI, qui l'a élevée au rang de Basilique mineure. Je salue le Cardinal-Vicaire, ainsi que le Cardinal Baum, titulaire de la Basilique, l'Evêque auxiliaire chargé du secteur, le curé, le Père Carlo Zanini, les Vicaires paroissiaux et les Pères Stigmatins, auxquels a été confié dès le début le soin pastoral de votre communauté. Nombre d'entre eux, en accomplissant leur ministère ici, ont profondément marqué la vie de la paroisse. Parmi tous ceux qui mériteraient d'être mentionnés en particulier, je voudrais citer, avec le père Emilio Recchia, qui a été pendant de nombreuses années curé de votre communauté, le célèbre philosophe et théologien, le Père Cornelio Fabro, disparu voilà deux ans.

Très chers frères et sœurs, je sais que la Mission dans la ville, qui a débuté depuis peu, a reçu une prompte et généreuse adhésion également au sein de votre paroisse. J'exprime ma satisfaction pour votre disponibilité et je vous exhorte à être les témoins de l'Évangile dans ce quartier qui, comme d'autres zones de Rome, subit de rapides mutations sociales.

Mais pour que l'annonce soit efficace, il faut que les croyants soient et œuvrent profondément unis. Dans cette perspective, valorisez donc le plus possible les énergies apostoliques présentes ici sous de multiples formes. Je pense aux Instituts religieux des Frères des Écoles chrétiennes, des Sœurs Elisabetaines, des Filles de la

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Miséricorde et des Apôtres de la Vie intérieure, ainsi qu'à la richesse des groupes paroissiaux engagés dans les divers domaines de la catéchèse, de la liturgie et de la charité.

Je pense au patronage paroissial qui, une fois restructuré, pourra constituer un lieu privilégié de rencontre formative pour tout le quartier. Que l'Église et les œuvres paroissiales deviennent toujours plus un point de référence pour tous. Que votre Communauté soit prête à accueillir chaque personne, en particulier les nombreux immigrés philippins et péruviens, qui vivent souvent comme des « paroissiens sans maison dans la paroisse ».

5.  » Lui [Dieu] qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous accordera- t-il pas toute faveur ? » (Rm 8, 32). Ces paroles de saint Paul tirées de l'Épître aux Romains nous ramènent au thème fondamental de la Liturgie d'aujourd'hui : le mystère de l'amour divin révélé dans le sacrifice de la Croix.

Le sacrifice d'Isaac anticipe celui du Christ : le Père n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a donné pour le salut du monde. Lui, qui arrêta la main d'Abraham au moment où celui-ci s'apprêtait à immoler Isaac, n'a pas hésité à sacrifier son Fils pour notre rédemption. Le sacrifice d'Abraham souligne ainsi que jamais et en aucun lieu ne doivent s'accomplir des sacrifices humains, car le seul sacrifice vrai et parfait est celui du Fils unique et éternel du Dieu vivant. Né pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Jésus s'est immolé volontairement une fois pour toutes, comme victime pour l'expiation de nos péchés, nous procurant ainsi le salut total et définitif (cf. He 10, 5-10). Après le sacrifice du Fils de Dieu, aucune autre expiation humaine n'est nécessaire, car son sacrifice sur la Croix comprend et dépasse tous les autres sacrifices que l'homme pourrait offrir à Dieu. Nous sommes ici au centre du mystère pascal.

Du Tabor, le mont de la transfiguration, l'itinéraire quadragésimal nous conduit jusqu'au Golgotha, le mont du sacrifice suprême du Prêtre unique de la nouvelle et éternelle Alliance. Ce

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sacrifice renferme la plus grande force de transformation de l'homme et de l'histoire. En assumant toutes les conséquences du mal et du péché, Jésus ressuscitera le troisième jour et sortira de cette expérience dramatique vainqueur de la mort, de l'enfer et de satan. Le Carême nous prépare à participer personnellement à ce grand mystère de la foi, que nous célébrerons au cours du Triduum de la passion, de la mort et de la résurrection du Christ.

Demandons au Seigneur de nous préparer de façon adaptée : « Jésus, Fils préféré du Père, donne-nous de t'écouter et de te suivre jusqu'au Calvaire, jusqu'à la Croix, pour pouvoir participer avec Toi à la gloire de la résurrection ».

Amen !

27 février 1997

Proche et à l'écoute de chacun

Sa connaissance de la ville de Rome et de ses habitants faisait de lui un collaborateur précieux de Jean-Paul II

Dans la matinée du jeudi 27 février 1997, le Pape Jean-Paul II a célébré, dans la Basilique vaticane, la Sainte Messe en mémoire du défunt Cardinal Ugo Poletti. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1.  » Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant » (Jb 19, 25).

Dans le grand silence qui entoure le mystère de la mort, s'élève, pleine d'espérance, la voix de l'antique croyant. Job implore le salut du Vivant, dans lequel tout événement de l'homme trouve son sens et son but définitif.

« Celui que je verrai sera pour moi, celui que mes yeux regarderont ne sera pas un étranger » (Jb 19, 27), poursuit le texte inspiré, laissant entrevoir au terme du pèlerinage terrestre le Visage miséricordieux du Seigneur. « Mon Défenseur se lèvera sur la

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poussière », souligne l'auteur sacré, qui place dans la bonté secourable du Tout-Puissant le fondement de son attente et le soutien de son espérance.

2. Cette ferme espérance a guidé le chemin de notre défunt et bien-aimé Cardinal Poletti tout au long de son existence parmi nous : une espérance qui reposait sur la foi inébranlable et simple, apprise en famille et dans la communauté chrétienne d'Omegna, dans le diocèse de Novara, où il naquit voici quatre-vingt-trois ans.

Ce fut précisément cette relation de confiance et de dialogue avec le Seigneur qui devait conduire le jeune Ugo à ressentir l'appel divin et à entrer au séminaire de Novara. Ce fut cette relation, nourrie chaque jour par la prière, qui soutint ses premiers pas dans le ministère sacerdotal. Il se laissa guider par le Maître divin lors des différents services qu'il effectua dans le diocèse de Novara, d'abord comme Pro-Vicaire, puis comme Vicaire général. Auprès de son Évêque et maître, Mgr Gilla Gremigni, ancien curé romain, le Seigneur le préparait à assumer des responsabilités plus importantes.

Nommé Auxiliaire de Novara en 1958, six ans plus tard, Mgr Poletti se vit confier la direction des Œuvres missionnaires pontificales. En 1967, il devint Archevêque de Spolète, puis, à peine deux ans plus tard, il fut appelé à Rome comme Vice-gérant et collaborateur du défunt Cardinal Dell'Acqua. En 1972, le Pape Paul VI le nomma Pro-Vicaire du diocèse de Rome et, l'année suivante, Cardinal et Vicaire général. En 1985, je lui confiai la présidence de la Conférence épiscopale italienne, charge qu'il accepta avec une grande disponibilité et accomplit avec sa générosité habituelle jusqu'en janvier 1991. Après avoir quitté la direction du diocèse de Rome, il assuma la charge d'Archiprêtre de la Basilique Libérienne, passant à l'ombre de la « Salus Populi Romani » — « Spes certa poli », comme le dit sa devise épiscopale — les dernières années, silencieuses mais non moins fructueuses, de sa vie.

3. « Je me suis fait tout à tous, afin d'en sauver à tout prix quelques-uns. Et tout cela, je le fais à cause de l'Évangile, afin d'en

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avoir ma part » (1 Co 9, 22-23). Ces paroles de l'Apôtre Paul, qui viennent d'être proclamées, conviennent bien à la préoccupation apostolique constante du défunt Cardinal Ugo Poletti. Nous le rappelons aujourd'hui, dans son don inlassable à la cause de l'Évangile et surtout dans la charge de Cardinal-Vicaire, dans laquelle il plaça ses énergies les plus mûres au service de l'Église.

Un amour particulier le lia à la ville de Rome, qu'il considérait comme sa seconde patrie. Il nourrit envers mon vénéré prédécesseur, le serviteur de Dieu Paul VI, des sentiments de vénération et d'obéissance sincère, qu'il eut ensuite avec la même cordialité à mon égard, en m'introduisant au service pastoral de cette Ville singulière, lorsque je fus appelé par la Providence sur la Chaire de Pierre. Je me rappelle avec émotion des nombreuses rencontres que j'ai eues avec Lui et la passion avec laquelle il parlait du diocèse, des prêtres et des religieux, du laïcat, des problèmes des gens communs, des lumières et des ombres apparues lors des rapides mutations du tissu urbain.

Ce fut surtout lui qui me familiarisa avec la connaissance des paroisses, que je commençai à visiter. Grâce à sa direction experte et sage, j'ai pu déchiffrer avec une précision particulière la réalité complexe de la ville, en vivant dans une harmonie toujours plus profonde avec le troupeau que la Providence m'a confié. Pour tout cela, je ressens aujourd'hui le devoir d'exprimer au très cher Cardinal Poletti ma sincère reconnaissance.

4. « Tout cela, je le fais à cause de l'Évangile ». Le défunt Cardinal, dont nous prenons aujourd'hui le congé spirituel, a fait siennes ces paroles de saint Paul. Il considérait la mission de l'Église comme étroitement liée à la réalité humaine et ecclésiale concrète de la Ville éternelle. Il se consacra avec un zèle particulier à susciter dans le diocèse, outre la conscience du lien profond qui l'unit au Pontife Romain, la conscience et la joie de contribuer à son ministère universel, en redécouvrant son identité d'Église locale.

En accueillant l'élan du Concile oecuménique Vatican II, il sut imprimer aux diverses composantes du diocèse de Rome une

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nouvelle vitalité : les congrès ecclésiaux furent des pierres milliaires pour la croissance de la vie diocésaine, eux qui avaient pour but de récupérer pour l'évangélisation de la Ville des forces vives et précieuses pour les insérer de façon harmonieuse dans l'activité diocésaine.

5. « Malheur à moi si je n'annonçais pas l'Évangile ! ». On dirait que ce cri de l'Apôtre retentit constamment dans l'âme du défunt Cardinal. Son action visait à susciter chez les Romains une vive conscience de l'extraordinaire patrimoine de valeurs hérité des pères et un engagement toujours plus grand pour la mission historique de la Ville en vue de l'avenir.

En se mettant à l'écoute de ceux qui sont proches et éloignés, des hommes de culture et des personnes les plus simples, des responsables de l'Administration publique et de ceux qui avaient une attitude critique envers les institutions, il contribua à susciter chez les prêtres, les religieux et les laïcs engagés une attitude d'accueil et de tolérance, qui ne manqua pas d'influencer également la vie de la communauté civile.

C'est avec ces intentions que commença la préparation du Synode diocésain, qui constitua un moment supplémentaire de confrontation loyale et positive entre les chrétiens et les citoyens de l'Urbs.

6. « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jn 10, 14).

Les paroles de l'Évangile, qui ont retenti il y a peu dans cette Basilique, indiquent quel doit être le comportement du Pasteur envers les personnes qui lui sont confiées. N'était-ce pas là la façon d'œuvrer qui distingua le ministère épiscopal du Cardinal Poletti ? Ne s'engagea- t-il pas à établir avec tous un rapport personnel et affectueux ?

Nous pouvons dire que c'est sans doute là que réside le secret de son service ecclésial fructueux. « Je ne suis pas un intellectuel,

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mais un homme qui essaie d'être proche des personnes », dit-il un jour à un ami. Son cœur de pasteur le conduisait à placer cette volonté « d'être proche des personnes » au premier plan, qui représentait la finalité vers laquelle tendaient aussi bien ses énergies que ses remarquables compétences théologiques, pastorales et administratives accumulées tout au long des années de sacerdoce et d'épiscopat.

Les habitants de Rome le connaissaient et il les connaissait. Au-delà des cérémonies officielles, son zèle pastoral le rendait capable d'établir des relations pleines d'humanité au cours des nombreux contacts à l'occasion des visites aux paroisses, aux écoles, aux sièges des associations, aux communautés religieuses, ainsi que lors des pèlerinages diocésains à Lourdes, auxquels il essayait d'être toujours présent.

C'est pour cela qu'il était aimé par le clergé et par le peuple. Je salue tous ceux qui sont venus lui témoigner leur affection à l'occasion de cette dernière rencontre : le Président de la République italienne M. Oscar Luigi Scalfaro, le Ministre Giovanni Maria Flick, les représentants des Autorités de la ville, les nombreux prêtres, religieux et religieuses ainsi que les nombreux représentants des fidèles laïcs.

7. « Le bon Pasteur offre sa vie pour ses brebis ».

Avec la liturgie des obsèques d'aujourd'hui, illuminée par la présence du Christ ressuscité, nous adressons un dernier salut à la dépouille mortelle de ce bien-aimé Frère, mon très précieux collaborateur. Nous le remettons avec confiance au Bon Pasteur, tandis que nous invoquons pour son âme élue la divine miséricorde.

Rendons grâce au Père de l'avoir donné à son Église. Que le Christ Bon Pasteur l'accueille dans sa demeure de lumière et de paix et lui donne la récompense réservée aux serviteurs bons et fidèles.

Et que la Vierge Marie, « Salus Populi Romani », dont il fut le fils dévoué, l'introduise dans la liturgie joyeuse du Ciel.

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« In paradisum deducant te Angeli », dilectissime Frater ! Amen.

02 mars 1997

« ...et en trois jours, je le relèverai »

Dans la Pâque se révèle en plénitude la puissance du Verbe incarné, puissance du Fils éternel de Dieu

Dans la matinée du dimanche 2 mars 1997, temps de Carême, le Pape Jean- Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « San Giuliano Martire », où il a présidé une concélébration eucharistique pour les fidèles du quartier. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père :

1. « Seigneur, tu as les paroles de vie éternelle » (cf. Jn 6, 68).

Le Psaume responsorial qui vient d'être proclamé nous porte au cœur du message de la liturgie d'aujourd'hui. La puissance de la parole divine se manifesta pour la première fois dans la création du monde, lorsque Dieu dit : « soit » (cf. Gn 1, 3), en appelant à la vie toutes les créatures. Mais les lectures bibliques de ce troisième Dimanche de Carême mettent en lumière une autre dimension de la puissance de la Parole de Dieu : celle qui concerne l'ordre moral.

Yahvé remit au peuple élu le Décalogue sur le mont Sinaï, une montagne qui revêt une valeur symbolique dans l'histoire du salut. C'est précisément la raison pour laquelle, à l'occasion du grand Jubilé de l'An 2000, une rencontre sur cette montagne a été proposée (cf. Tertio millennio adveniente, n. 53). La première lecture d'aujourd'hui, tirée du Livre de l'Exode, développe de façon particulière, des commandements donnés à Israël, les trois premiers, ceux de ce que l'on appelle la « première table » : « Je suis Yahvé, ton Dieu, [...] Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi [...] Tu. ne prononceras pas le nom de Yahvé ton Dieu à faux [...] Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier » (Ex 20, 2.7-8).

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2. Le premier commandement dans lequel est affirmée de façon solennelle l'unicité de Dieu est fondamental : il n'existe aucune autre divinité à côté de lui. Dans la Loi transmise à Moïse se manifeste le Dieu invisible, qu'aucune image produite par les mains de l'homme ne peut dignement représenter. A travers l'Incarnation du Verbe, Dieu s'est fait homme et ainsi, le Dieu invisible s'est rendu visible et, à partir de ce moment, il a été donné à l'humanité de contempler sa gloire. La question de la représentation artistique de Dieu fut examinée en détail par le Concile de Nicée et fut éclaircie lorsque, le Dieu invisible s'étant fait homme par l'Incarnation, sa reproduction artistique devint légitime pour les chrétiens.

Le second commandement est lié au premier, et ne vise pas seulement à condamner l'abus du nom de Dieu, mais il a également pour but de mettre en garde contre l'idolâtrie diffuse dans les religions païennes.

De même, en ce qui concerne le troisième commandement : « Tu te souviendras du jour du sabbat » (Ex 20, 8), la normative est détaillée et remonte au modèle originel du repos dont Dieu a donné l'exemple au terme de la création.

Les commandements de la « deuxième table » sont décrits au contraire de façon synthétique.

3. « Seigneur, tu as les paroles de vie éternelle ». Les paroles prononcées par Dieu dans l'Ancien Testament trouvent leur plein accomplissement dans le Christ, Parole de Dieu incarnée. Dans l'Ancienne Alliance, la puissance créatrice de Dieu dans le domaine moral s'est exprimée dans le Décalogue ; dans la Nouvelle Alliance, au contraire, le Christ représente le plein accomplissement de cette puissance : non pas, donc, une loi écrite, mais la Personne même du Sauveur.

Il s'agit d'une vérité que saint Paul exprime avec vigueur en écrivant aux Galates et aux Romains : il répond à la justification à travers l'observation de la loi, la justification à travers la foi dans le

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Christ. Aujourd'hui au contraire, dans la seconde lecture, tirée de la première Épître aux Corinthiens, nous lisons : « Nous proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens ; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, c'est le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 22-24).

La puissance et la sagesse, que Dieu a manifestées en créant le monde et l'homme fait « à son image et ressemblance » (cf. Gn 1, 26), sont pleinement exprimées dans l'ordre moral. Celui-ci est donc au service du bien de l'homme et de la société humaine. Cela est confirmé dans le Nouveau Testament, qui détermine avec clarté le rôle de la morale au service du salut éternel de l'homme.

C'est précisément pour cela, dans l'acclamation à l'Évangile, qu'ont été proclamées il y a peu les paroles prononcées par Jésus au cours de la conversation nocturne avec Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui [...] ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Non seulement les commandements, mais surtout le Verbe éternel qui s'est fait homme, constituent la source de la vie éternelle.

4. Très chers Frères et Sœurs de la paroisse « San Giuliano Martire » ! Je suis heureux d'être ici avec vous aujourd'hui, pour célébrer l'Eucharistie en ce troisième Dimanche de Carême. Je salue le Cardinal-Vicaire, l'Évêque Auxiliaire du secteur, votre zélé curé, dom Luciano D'Erme, le vicaire paroissial, les religieuses qui vivent sur le territoire de la paroisse et vous tous qui appartenez à cette Communauté paroissiale, dédiée de façon particulière au Cœur Immaculé de Marie et au Cœur Miséricordieux de Jésus.

Aujourd'hui, ma pensée se tourne naturellement vers mon vénéré et cher Frère, le Cardinal Ugo Poletti, disparu il y a quelques jours. Votre paroisse, érigée en 1980, fait partie des plus de soixante-dix paroisses qu'il a construites au cours de son long service au diocèse de Rome. Tandis que je remercie encore une fois le Seigneur pour me l'avoir accordé comme précieux Vicaire général, je vous

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invite tous à prier pour lui, en confiant son âme élue à la miséricorde divine.

Je suis avec affection et attention les phases successives de la Mission et en particulier, je m'unis à la remise de l'Évangile de Marc dans les familles et à la pratique des Exercices spirituels, qui s'accomplissent en ce temps de Carême. L'initiative des Exercices spirituels est véritablement bienvenue ; ils constituent une aide précieuse pour les chrétiens, appelés à « se renouveler dans l'Esprit [...] et à revêtir l'Homme Nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité » (cf. Ep 4, 23-24). Fruit de la riche tradition spirituelle de l'Église, les Exercices spirituelle répondent de façon authentique aux profondes questions de l'homme. Je les recommande donc aux jeunes, dans le cadre de leur chemin de discernement vocationnel, aux époux chrétiens, aux familles et à tous ceux qui recherchent sincèrement Dieu.

5. « Il parlait du sanctuaire de son corps » (Jn 2, 21).

Dans l'Évangile, nous avons relu l'épisode de Jésus chassant les vendeurs du Temple. La description de saint Jean est vive et éloquente : d'un côté, il y a Jésus, qui « se faisant un fouet de cordes, les chassa tous du temple, et les brebis et les bœufs » (Jn 2, 14-15) et de l'autre, il y a les juifs, en particulier les pharisiens. Le contraste est profond, à tel point que certaines des personnes présentes demandent à Jésus : « Quel signe nous montres-tu pour agir ainsi ? » (Jn 2, 18).

« Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19), répond le Christ. Ce à quoi répondent les gens : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours, tu le relèveras ? » (Jn 2, 20). Ils n'avaient pas compris — observe saint Jean — que le Seigneur parlait du sanctuaire vivant de son corps, qui, au cours des événements pascals, devait être détruit par la mort sur la croix, mais qui devait ressusciter le troisième jour. « Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts — écrit l'évangéliste — ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela, et ils crurent à l'Écriture et à la parole qu'il avait dite » (Jn 2, 22).

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C'est l'événement de la Pâque qui confère leur signification authentique à tous les éléments divers présents dans les lectures d'aujourd'hui. Dans la Pâque se révèle en plénitude la puissance du Verbe incarné, puissance du Fils éternel de Dieu, fait homme pour nous et pour notre salut.

« Seigneur, tu as les paroles de vie éternelle ».Nous croyons que tu es véritablement le Fils de Dieu.Et nous Te remercions pour nous avoir fait participer à ta vie divine.

Amen.

09 mars 1997

Les jeunes : une priorité pastorale

Il faut soutenir les jeunes qui, trop souvent, sont sans travail et ne bénéficient pas de l'appui d'une véritable famille

Dans la matinée du dimanche 9 mars 1997, temps de Carême, le Pape Jean- Paul II s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine « San Gaudenzio a Torre Nova », où il a présidé une concélébration eucharistique pour les fidèles du quartier. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint- Père :

1. « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit ait par lui la vie éternelle » (Jn 3, 16).

Ces paroles, prononcées par Jésus lors de l'entretien avec Nicodème, expriment de façon synthétique et efficace le thème principal de la liturgie d'aujourd'hui. En effet, elles se réfèrent au salut apporté au monde par le Fils unique de Dieu, en le révélant dans sa réalité profonde, en tant qu'œuvre du « Dieu riche de miséricorde » : Dives in misericordia.

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Saint Paul fait écho à l'Évangile, en écrivant aux Éphésiens : « Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il nous a aimés alors que nous étions morts par suite de nos fautes, nous a fait revivre avec le. Christ ».(Ep 2, 4-5)..Nous sommes ainsi introduits dans la perspective pascale : en effet, qu'est-ce que le salut, sinon la participation à la mort et à la résurrection du Christ ?

L'apôtre présente ensuite l'œuvre du salut, en indiquant les fruits de bien qu'il produit dans la vie des chrétiens. Il considère la Rédemption comme une nouvelle création ; la création qui enracine l'homme dans Jésus-Christ, le rendant capable d'accomplir les bonnes œuvres selon le plan de Dieu (cf. Ef 2, 10).

2. Le salut et la rédemption, que Dieu apporte à l'humanité à travers la mort de son Fils unique, sont décrites dans la Première lecture et le Psaume responsorial, comme une libération de l'esclavage, en référence à l'esclavage de Babylone, que les fils d'Israël ont connu à la chute du royaume de Judée. Cette expérience douloureuse retentit de façon profondément authentique dans les lamentations du psalmiste :

« Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion... » (cf. Ps 136, 1). L'auteur de ce Psaume rappelle avec des images vives la souffrance de l'exil et la nostalgie de Jérusalem, que les déportés éprouvaient : « Si je t'oublie Jérusalem, que ma droite se dessèche ! Que ma langue s'attache à mon palais, si je perds ton souvenir » (cf. Ps 136, 5-6).

Le second Livre des Chroniques nous rappelle que la déportation à Babylone était une punition infligée par Yahvé à son peuple à cause de ses graves péchés, en particulier celui de l'idolâtrie. Toutefois, la période de l'esclavage visait à son repentir et à sa conversion et se termina lorsque Cyrus, roi de Perse, permit aux Israéliens de retourner dans leur patrie et de reconstruire à Jérusalem le temple détruit.

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Cyrus représente dans un certain sens le Messie qu'attendait Israël. Il est l'image du Rédempteur promis, qui devait libérer le Peuple de Dieu de l'esclavage du péché pour l'introduire dans le Royaume de la liberté.

3. Très chers frères et sœurs de la paroisse « San Gaudenzio a Torre Nova » ! C'est avec une grande joie que je célèbre aujourd'hui l'Eucharistie, en cette nouvelle Église paroissiale, avec votre jeune communauté. Je salue cordialement le Cardinal-Vicaire et Mgr le Vice-gérant, votre cher curé, dom Virginio Bolchini, le Vicaire paroissial, ainsi que tous les prêtres qui collaborent avec lui à la direction de la paroisse. Votre curé vient du diocèse de Novare et cela m'offre l'occasion d'exprimer ma vive reconnaissance à l'Evêque et à tout le diocèse de Novare pour la générosité avec laquelle certains prêtres ont été offerts à l'Église de Rome afin d'accomplir leur ministère parmi nous.

J'adresse ensuite une pensée particulière aux Sœurs de Marie Auxiliatrice et de Notre Dame de la Merci et en particulier aux membres de la Communauté de « Sant' Egidio » qui, depuis 1977, soutiennent, animent et promeuvent la pastorale et la charité dans ce quartier.

La nouvelle Église est dédiée à saint Gaudence, Patron de Novare. Comment ne pas penser en ce moment au défunt Cardinal Ugo Poletti, lui aussi originaire de ce bien-aimé diocèse, que Dieu a rappelé récemment auprès de lui ? Sous la protection de saint Gaudence, mon illustre et généreux collaborateur commença à Novare son ministère sacerdotal et épiscopal, qu'il continua par la suite en cette Église de Rome, qu'il aimait. tant. Que le Seigneur le récompense pour le service inlassable à l'Évangile qu'il dispensa généreusement toute sa vie !

4. Très chers amis ! Votre Communauté est jeune. La paroisse est également jeune, car elle est de fondation récente mais surtout, l'âge des paroissiens est jeune, puisque votre paroisse est composée d'un nombre important de jeunes garçons et jeunes filles. L'attention

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portée aux nouvelles générations doit donc représenter l'une de vos priorités pastorales. En effet, trop souvent, les jeunes, riches de possibilités et de dons, se retrouvent sans travail, sans l'appui d'une véritable famille. Ils sont donc souvent la proie facile de la solitude, du manque de projets, des désillusions, lorsqu'ils ne tombent pas dans le piège de la drogue, de la criminalité et d'autres formes de déviation.

Votre Communauté paroissiale a été instituée récemment, toutefois, le premier établissement sur cette zone remonte à l'an 1600, lorsque Béatrice Cenci fit construire dans le Château une tour et une église dédiée à saint Clément. Ils devinrent ainsi une étape naturelle pour les pèlerins désirant rendre visite à la mémoire des apôtres, arrivés désormais aux portes de Rome. Au cours des prochaines années, un grand nombre de fidèles et de touristes viendront à Rome à l'occasion du grand Jubilé de l'An 2000. Je souhaite qu'ils puissent trouver des Communautés accueillantes et vives dans la foi. Que la Mission dans la ville, que vous célébrez avec enthousiasme et générosité dans cette paroisse également, soit comme un chantier de l'Esprit Saint, ouvert et actif, pour construire une Communauté diocésaine toujours plus généreuse et solidaire.

5. « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière » (Jn 3, 19). La liturgie de la parole d'aujourd'hui présente l'antithèse entre l'esclavage et la liberté, illustrée par les lectures de l'Ancien Testament, parallèlement à l'antithèse entre les ténèbres et la lumière, développée dans l'Évangile. Cette dernière opposition est proposée par Jésus dans l'entretien avec Nicodème et reprend sous forme de discours l'un des traits caractéristiques de l'Évangile de Jean, présent dès les premières expressions du Prologue : « Au commencement était le Verbe [...] Ce qui fut en lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie » (Jn 1, 1.4-5).

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Dans l'entretien avec Nicodème, cette même opposition radicale entre la lumière et les ténèbres est présente : « La lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière [...] Quiconque en effet commet le mal hait la lumière [...] Mais celui qui fait la vérité vient à la lumière afin que soit manifesté que ses œuvres sont faites en Dieu » (Jn 3, 19- 21).

Comment ne pas souligner l'allusion au jugement divin ? L'homme est jugé non seulement par un juge extérieur, mais par la lumière intérieure qui se manifeste à travers la voix d'une conscience droite. C'est ce qu'a rappelé le Concile Vatican II dans la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes : « Au fond de sa conscience, l'homme découvre la présence d'une loi qu'il ne s'est pas donnée lui-même, mais à laquelle il est tenu d'obéir [...] La conscience est le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre » (n. 16).

Très chers frères et sœurs, au cours de notre itinéraire quadragésimal vers la Pâque désormais proche, laissons-nous guider par la voix de Dieu qui nous appelle à travers notre conscience. Nous pourrons ainsi aller à sa rencontre à travers une vie saine et riche de bonnes œuvres, toujours conformes à sa volonté et selon son cœur.

Amen !

23 mars 1997

C'est à Jérusalem qu'eut lieu la première Journée de la Jeunesse

Dans la matinée du dimanche 23 mars 1997, Dimanche des Rameaux, le Pape Jean-Paul II a présidé une Messe à l'occasion de la XIIe Journée mondiale de la Jeunesse. Au cours de la cérémonie,.qui avait lieu sur la place Saint- Pierre, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

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1. « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! [...] Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9-10).

Ces acclamations de la foule, réunie pour la fête de Pâques à Jérusalem, accompagnent l'entrée du Christ et des Apôtres dans la Ville sainte. Jésus entre à Jérusalem sur le dos d'un ânon, selon la parole du Prophète : « Dites à la fille de Sion : Voici que ton Roi viens à toi ; modeste, il monte une ânesse et un ânon, petit d'une bête de somme » (Mt 21, 5).

L'animal choisi indique qu'il ne s'agit pas d'une entrée triomphale, mais de celle d'un roi doux et humble de cœur. Toutefois, la foule rassemblée à Jérusalem, ne remarquant qu'à peine cette expression d'humilité, salue le Christ avec des paroles pleines d'enthousiasme : « Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mt 21, 9). Et lorsque Jésus entre à Jérusalem, toute la ville est en effervescence. Les gens se demandent : « “Qui est-ce ?”, et les foules disaient : “C'est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée” » (Mt 21, 10-11).

Ce n'était pas la première fois que les gens reconnaissaient dans le Christ le roi attendu. Cela s'était déjà produit après la multiplication miraculeuse du pain, lorsque la foule voulait le porter en triomphe. Jésus savait cependant que son royaume n'était pas de ce monde ; c'est pourquoi il avait fui cet enthousiasme. A présent, Il s'achemine vers Jérusalem pour affronter l'épreuve qui l'attend. Il est conscient de s'y rendre pour la dernière fois, pour une semaine « sainte », au terme de laquelle l'attendent la passion, la croix et la mort. Il va à la rencontre de ces événements dans une disponibilité totale, sachant qu'ainsi, le dessein éternel du Père s'accomplit en lui.

Depuis ce jour, l'Église qui est présente sur toute la terre répète les paroles de la foule de Jérusalem : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ». Elle les répète chaque jour, en célébrant l'Eucharistie, peu avant la consécration. Elle les répète avec une emphase particulière aujourd'hui, Dimanche des Rameaux.

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2. Les lectures de la liturgie nous présentent le Messie qui souffre. Elles font tout d'abord référence à ses épreuves et à son humiliation. L'Église proclame l'Évangile de la passion du Seigneur selon l'un des Synoptiques ; en revanche, l'Apôtre Paul, dans l'Épître aux Philippiens, nous offre une admirable synthèse du mystère du Christ, qui « de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même prenant condition d'esclave [...] Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus [...] proclame. de Jésus-Christ,.qu'il est Seigneur. à la gloire de Dieu le Père » (2, 6-11).

Cet hymne d'une inestimable valeur théologique présente une synthèse complète de la Semaine Sainte, allant du Dimanche des Rameaux en passant par le Vendredi Saint jusqu'au Dimanche de la Résurrection. Les paroles de l'Épître aux Philippiens, reprises sous forme progressive dans un ancien répons, nous accompagneront pendant tout le Triduum Sacrum.

Le texte paulinien contient l'annonce de la résurrection et de la gloire, mais la Liturgie de la Parole du Dimanche des Rameaux se concentre avant tout sur la passion. La première Lecture, ainsi que le Psaume responsorial, en parlent tous deux. Dans le texte, qui appartient à ce qu'on appelle « Les poèmes du Serviteur de Yahvé », est esquissé le moment de la flagellation et du couronnement d'épines ; dans le Psaume, l'agonie douloureuse du Christ sur la Croix est décrite avec un réalisme impressionnant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? » (Ps 22/21, 2).

Ces paroles, les plus bouleversantes, les plus touchantes, prononcées du haut de la Croix à l'heure de l'agonie, retentissent aujourd'hui comme une antithèse manifeste, exprimée à haute voix, de cet « Hosanna », qui retentit également durant toute la procession des rameaux.

3. Depuis quelques années, le Dimanche des Rameaux est devenue la grande journée mondiale de la jeunesse. Ce furent les

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jeunes eux-mêmes à en tracer la voie : dès le début de mon ministère dans l'Église de Rome, ce jourlà, ils se rassemblaient par milliers sur la place Saint-Pierre. A partir de ce moment, au fil des ans, se sont développées les Journées mondiales de la Jeunesse, dont la célébration touche toute l'Église et a lieu dans les paroisses, dans les diocèses, et tous les deux ans dans un endroit choisi sur le globe terrestre. A partir de 1984, les rencontres mondiales se sont successivement déroulées tous les deux ans : à Rome, à Buenos-Aires en Argentine, à Saint- Jacques-de-Compostelle en Espagne, à Czestochowa-Jasna Góra en Pologne, à Denver aux États-Unis et à Manille aux Philippines. Au mois d'août prochain, le. rendez-vous est fixé à Paris, en France.

C'est pourquoi, l'an dernier, au cours de la célébration du Dimanche des Rameaux, les représentants des jeu- nes des Philippines ont remis à leurs camarades français la croix pèlerine de la « Journée mondiale de la Jeunesse ». Ce geste est particulièrement éloquent : c'est presque une redécouverte, de la part des jeunes, de la signification du Dimanche des Rameaux, dont ils sont effectivement les protagonistes. La liturgie rappelle que les « pueri hebraeorum, portantes ramos olivarum... », « les jeunes hébreux, portant des rameaux d'olivier, allaient à la rencontre du Seigneur et l'acclamaient à grands cris : Hosanna au Fils de David » (Ant.).

Nous pouvons dire que la première « Journée mondiale de la Jeunesse » fut précisément celle de Jérusalem, lorsque le Christ entra dans la ville sainte ; chaque année, nous nous reportons à cet événement. La place des « pueri hebraeorum » a été occupée par des jeunes de différentes langues et races. Tous, comme leurs prédécesseurs en Terre Sainte, désirent accompagner le Christ, participer à la Semaine de sa Passion, à son Triduum Sacrum, à sa Croix et à sa résurrection. Ils savent qu'Il est ce « Béni » qui « est venu au nom du Seigneur », en apportant la paix sur la terre et la gloire au plus haut des cieux. Ce que les anges ont chanté, la nuit de Noël, au-dessus de l'étable de Bethléem, retentit aujourd'hui avec un vaste écho au seuil de la Semaine Sainte, au cours de laquelle Jésus

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s'apprête à réaliser sa mission messianique, en accomplissant la rédemption du monde à travers la Croix et la Résurrection.

Gloire à Toi, ô Christ, Rédempteur du monde ! Hosanna !

27 mars 1997 –messe chrismale

C'est la fête de l'institution du sacerdoce

Messe chrismale en la basilique Saint-Pierre

Dans la matinée du jeudi 27 mars 1997, Jeudi Saint, le Pape Jean-Paul II a présidé la célébration de la Messe chrismale en la basilique Saint-Pierre. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Jesu, Pontifex quem Pater unxit Spiritu Sancto et virtute — miserere nobis.

Alors que nous célébrons la sainte Messe chrismale du Jeudi Saint, ces paroles des Litanies au Christ Prêtre et Victime nous viennent à l'esprit. Au cours de cette liturgie, qui se distingue par sa particularité et son intensité, nous bénissons le saint Chrême, ainsi que l'huile des catéchumènes et celle des malades. Ce sont des huiles qui serviront ensuite à conférer les sacrements du Baptême, de la Confirmation, de l'Ordre et de l'Onction des malades.

Les lectures de la Liturgie d'aujourd'hui parlent de l'onction, signe visible de l'invisible don de l'Esprit Saint. Dans la lecture tirée du Livre du prophète Isaïe nous lisons : « L'Esprit du Seigneur Yahvé est sur moi, car Yahvé m'a donné l'onction ; il m'a envoyé porter la nouvelle aux pauvres, panser les cœurs meurtris, annoncer aux captifs la libération et aux prisonniers la délivrance, proclamer une année de grâce de la part du Seigneur » (Is 61, 1-2).

Le Seigneur Jésus fera référence à ces paroles d'Isaïe dans la synagogue de Nazareth, au début de sa mission messianique. Ce jour-là, comme le rappelle le passage évangélique, Jésus se leva pour

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lire. On lui donna le livre du prophète Isaïe. L'ayant ouvert, il trouva le passage où étaient écrites les paroles mentionnées plus haut. Jésus lut ces paroles, puis il referma le livre, le remit au serviteur et dit : « Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Écriture » (cf. Lc 4, 16-21).

2. Nous devons transposer cet « aujourd'hui » de Nazareth au Jeudi Saint, que nous célébrons à présent. En cette journée, avec la sainte Messe in Cena Domini, l'Église commence le Triduum Sacrum, les trois jours saints, qui rendent présent le Mystère pascal du Christ.

Le Jeudi Saint est le jour de l'institution de l'Eucharistie et, avec elle, du Sacrement du Sacerdoce. C'est ce que semblent indiquer de façon particulière les paroles de l'Apocalypse, qui ont retenti lors de la seconde Lecture : « Il nous aime et nous a lavés de nos péchés par son sang, il a fait de nous une Royauté de Prêtres, pour son Dieu et Père : à lui donc la gloire et la puissance pour les siècles des siècles » (Ap 1, 5- 6). Cette doxologie s'adresse au Christ « prêtre selon l'ordre de Melchisédech » (cf. He 5, 6). Melchisédech était roi et prêtre du Dieu Très-Haut. Il n'offrait pas d'êtres vivants en sacrifice, mais du pain et du vin. Au Cénacle, le Christ institua l'Eucharistie dans laquelle, sous les espèces du pain et du vin, il rendit présent jusqu'à la fin des temps le Sacrifice de sa mort sur la croix.

L'Église renouvelle continuellement, de façon non sanglante, le Sacrifice sanglant de son Seigneur, l'immolation de son corps et de son sang. Possédant le regard de la foi, ceux qui participent à l'Eucharistie savent qu'ils prennent part de façon mystique au Sacrifice de la croix, qui atteint son sommet lorsqu'un soldat romain transperce le côté du Christ. Saint Jean, faisant écho au prophète Zacharie, écrit dans l'Évangile :. « Ils. regarderont. celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37) ; et dans l'Apocalypse : « ...chacun le verra, même ceux qui l'ont transpercé, et sur lui se lamenteront toutes les races de la terre » (Ap 1, 7).

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3. Très chers frères prêtres, le Jeudi Saint est un jour particulier pour notre sacerdoce. C'est la fête de son institution. C'est pourquoi, aujourd'hui, tous les évêques, dans leurs diocèses respectifs, présents dans le monde entier, concélèbrent la Liturgie eucharistique avec les prêtres de leur communauté. C'est également ce que fait l'Evêque de Rome. L'âme pleine de reconnaissance, nous renouvelons ensemble les promesses faites le jour de l'Ordination, lorsque nous avons reçu l'Onction de l'Esprit Saint. Nous prions afin que la grâce de cette onction ne nous abandonne jamais et nous réconforte. Et aussi pour qu'elle nous accompagne chaque jour de notre ministère afin que, fidèles au Christ qui nous a appelés, nous servions avec zèle apostolique le peuple chrétien et que nous parvenions, attentifs et actifs, au terme de notre existence.

« Nous annonçons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, dans l'attente de ta venue ».

Christ, tu es « l'Alpha et l'Oméga [...] Il est, Il était et Il vient » (Ap 1, 8).

Amen !

27 mars 1997 – messe « in Cena Domini »

Le Christ réaffirme la nécessité de servir

Messe « in Cena Domini » à Saint-Jean-de-Latran

« A l'heure du Banquet eucharistique, le Christ réaffirme la nécessité de servir ». Dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, ce Jeudi Saint, le Pape Jean-Paul II a répété le geste du Christ qui, au début de la dernière Cène, lava les pieds de ses disciples. Un geste d'humilité avant de revivre l'événement fondateur de l'Église, l'institution de l'Eucharistie.

1. Chaque année, la basilique de Saint-Jean-de-Latran accueille l’assemblée réunie pour le Mémorial solennel de la dernière Cène.

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De la Ville et du monde, les fidèles viennent renouveler la mémoire de l’événement accompli un Jeudi voici bien longtemps au Cénacle, et que la Liturgie commémore aujourd’hui comme un événement toujours actuel. Il se prolonge comme Sacrement de l’Autel, sacrement du Corps et du Sang du Christ. Il se prolonge dans l'Eucharistie.

Nous sommes rassemblés d’abord pour refaire le geste accompli par le Christ au début de la dernière Cène, le lavement des pieds. L’Évangile de Jean nous a remis devant les yeux la réticence de Pierre devant l’humiliation du Maître, ainsi que l’enseignement donné par le Christ pour commenter son geste : « Vous m’appelez “Maître” et Seigneur” et vous avez raison, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns les autres. C’est un exemple que je vous ai donné, afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous » (Jn 13, 13-15).

A l’heure du Banquet eucharistique, le Christ réaffirme la nécessité de servir. « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45).

Nous sommes donc rassemblés pour retrouver la vivante mémoire du plus grand des commandements, le commandement de l’amour : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13). Le geste du Christ l’accomplit réellement au regard des Apôtres : « L’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père », l’heure de l’amour suprême : « Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1).

2. Tout cela culmine dans la dernière Cène, au Cénacle de Jérusalem. Nous sommes rassemblés pour revivre cet événement, l’institution de l’admirable Sacrement dont l’Église ne cesse de vivre, du Sacrement qui, de la manière la plus authentique et la plus profonde, constitue l’Église. Pas d’Eucharistie sans l’Église, mais d’abord, pas d’Église sans l’Eucharistie.

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Eucharistie signifie action de grâce. C’est pourquoi nous avons prié avec le psaume responsorial : « Comment rendrai- je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? » (cf. Ps 115,12). Nous présentons et offrons sur l’autel le pain et le vin, en action de grâce pour tous les biens que nous recevons de Dieu, pour les biens de la création et de la rédemption. La rédemption s’est accomplie par le Sacrifice du Christ. L’Église, qui annonce la rédemption et vit de la rédemption, doit continuer à rendre ce Sacrifice. sacramentellement présent ; elle doit y puiser les forces nécessaires pour être elle-même.

3. La célébration eucharistique in Cena Domini nous le rappelle avec une éloquence singulière. La première lecture, tirée du Livre de l’Exode, évoque l’étape de l’histoire du peuple de l’Ancienne Alliance au cours de laquelle le mystère de l’Eucharistie fut préfiguré de la manière la plus claire : l’institution de la Pâque. Le peuple devait être libéré de l’esclavage en Égypte, il devait sortir libre de la terre de l’esclavage, et le prix de ce rachat était le sang de l’agneau.

Cet agneau de l’Ancienne Alliance a trouvé tout son sens dans la Nouvelle Alliance, en particulier grâce au ministère prophétique de Jean-Baptiste, qui, désignant Jésus de Nazareth descendu au Jourdain pour recevoir le baptême, avait dit : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29).

Ce n’est pas un hasard si ces paroles se trouvent placées au centre de la liturgie eucharistique. Les lectures de la Messe de la Cène du Seigneur nous le rappellent, pour indiquer que, par ce vivant Mémorial, nous entrons dans la Passion du Christ. C’est précisément à cette heure que sera révélé le mystère de l’Agneau de Dieu. Les paroles prononcées par le Baptiste au Jourdain seront ainsi clairement accomplies. Le Christ sera crucifié. Comme Fils de Dieu, il acceptera la mort, pour libérer le monde du péché.

Ouvrons nos cœurs, participons avec foi à ce grand mystère et acclamons, avec toute l’Église réunie pour l’assemblée

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eucharistique : « Nous annonçons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue ».

28 mars 1997 – méditation à la « Via Crucis »

Un rayon de lumière s'échappe de la Croix

Méditation lors de la « Via Crucis » au Colisée

Dans la soirée du vendredi 28 mars 1997, Vendredi Saint, le Saint-Père a conduit, selon la tradition, le Chemin de Croix au Colisée. Les méditations de la Via Crucis 1997 étaient proposées par Sa Sainteté Karékine Ier, Catholicos suprême de tous les Arméniens. Au terme de la procession, le Pape a adressé aux fidèles les paroles suivantes :

« Christus factus est pro nobis oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis » (Ph 2, 8).

1. « Pour nous, le Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur la Croix » (cf. Ph 2, 8-9). Ces paroles de saint Paul résument le message que veut nous livrer le Vendredi Saint. En ce jour, l’Église ne célèbre pas l’Eucharistie, comme pour souligner qu’il est impossible, le jour où fut consommé le Sacrifice sanglant du Christ sur la Croix, de le rendre présent de manière non sanglante par le Sacrement.

La liturgie eucharistique est aujourd’hui remplacée par le rite significatif de l’adoration de la Croix, que je viens de présider à la basilique Saint- Pierre. Ceux qui ont participé à cette célébration gardent vivantes en eux les émotions éprouvées en entendant les textes liturgiques qui concernent la Passion du Seigneur.

Comment ne pas être touché par la description précise que fait Isaïe de l'« homme des douleurs », méprisé et rejeté par les hommes, qui a pris sur lui le poids de notre souffrance et a été frappé par Dieu pour nos péchés (cf. Is 53, 3sq.) ?

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Et comment rester insensible face au « cri » et aux « larmes » du Christ, évoqués par l’auteur de la Lettre aux Hébreux (cf. He 5, 7) ?

2. En suivant les stations de la Via Crucis, nous avons contemplé les étapes dramatiques de la Passion : le Christ qui porte la Croix, qui tombe sous son poids et meurt sur elle, et qui, au moment suprême de son agonie, prie en disant : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Lc 23, 46), exprimant par là tout son abandon avec confiance.

Aujourd’hui, nous regardons la Croix avec la plus vive attention. Nous méditons sur le mystère de la Croix, qui se perpétue au cours des siècles par le sacrifice de tant de croyants, de tant d’hommes et de femmes associés par le martyre à la mort de Jésus. Nous contemplons le mystère de l’agonie et de la mort du Seigneur, qui continue de nos jours dans la douleur et dans la souffrance d’individus et de peuples durement éprouvés par la violence et par la guerre.

Là où l’homme est frappé et tué, c’est le Christ lui-même qui est offensé et crucifié. Mystère de douleur, mystère d’amour infini !

Recueillons-nous en silence devant cet insondable mystère.

3. « Ecce lignum crucis... », « Voici le bois de la Croix, où fut pendu le Christ, Sauveur du monde. Venez, adorons ! »

La. Croix. brille. ce soir avec une intensité extraordinaire au terme de la Via Crucis, ici, au Colisée. Ce lieu de la Rome antique est lié dans la mémoire populaire au martyre des premiers chrétiens. C’est donc un lieu particulièrement indiqué pour revivre, d’année en année, la passion et la mort du Christ. « Ecce lignum Crucis ! » Que de frères et de sœurs dans la foi ont pris part à la Croix du Christ au cours des persécutions romaines !

Le texte des méditations qui nous ont guidés au cours de cette Via Crucis a été préparé par notre vénéré frère Karekine Ier

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Sarkissian, Patriarche Catholicos suprême de tous les Arméniens. Je l’en remercie cordialement et, encore reconnaissant pour la visite qu’il a bien voulu me rendre récemment, je le salue ainsi que tous les chrétiens d’Arménie. Bien des frères et des sœurs de cette Église et de cette nation ont pris part à la Croix du Christ en faisant le sacrifice de leur vie ! Aujourd’hui, en union avec eux et avec tous ceux qui, en tout lieu de la terre, sur tous les continents et dans les différents pays du globe, participent à la Croix du Christ par leur souffrance et par leur mort, nous désirons redire : « Ecce lignum Crucis... », « Voici le bois de la Croix, où fut pendu le Christ, Sauveur du monde. Venez, adorons ! »

4. Tandis que les ténèbres de la nuit descendent déjà, image parlante du mystère qui entoure notre existence, nous crions notre foi vers Toi, Croix de notre salut !

Seigneur, un rayon de lumière s’échappe de ta Croix. Par ta mort, notre mort est vaincue et l’espérance de la résurrection nous est offerte. Attachés à ta Croix, nous restons dans une attente confiante de ton retour, Seigneur Jésus, notre Rédempteur !

« Nous acclamons ta mort, Seigneur, nous proclamons ta résurrection, dans l’attente de ta venue ».

Amen !

29 mars 1997

Dans l'attente de cette Vie qui est la lumière des hommes

Homélie du Saint-Père lors de la Veillée pascale

Dans la nuit du 29 mars 1997, Samedi Saint, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la basilique Saint-Pierre la célébration de la Veillée pascale. Au cours de ce moment d'attente, où s'élève avec intensité la prière des fidèles du monde, le Saint-Père a conféré le Sacrement du Baptême à des catéchumènes. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée au cours de la Messe :

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1. « Que la lumière soit ! » (Gn 1, 3). Au cours de la Vigile pascale, la liturgie fait retentir ces paroles tirées du livre de la Genèse. Elles constituent un puissant fil conducteur de cette admirable célébration. Au début, on bénit le « feu nouveau » et on y allume le cierge pascal, qui est porté en procession jusqu’à l’autel. Le cierge entre et s’avance d’abord dans l’obscurité, jusqu’au moment où, après le chant du troisième Lumen Christi, la lumière revient dans la Basilique tout entière.

C’est ainsi qu’ont été liés les éléments des ténèbres et de la lumière, de la mort et de la vie. Sur ce fond retentit le récit biblique de la création. Dieu dit : « Que la lumière soit ! » (Gn 1, 3). Il s’agit, en un sens, du premier pas vers la vie. En cette nuit doit s’accomplir un passage unique de la mort à la vie, et le rite de la lumière, accompagné par les paroles de la Genèse, en donne la première annonce.

2. Dans le prologue de son Évangile, saint Jean écrit, à propos du Verbe qui s’est fait chair : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1, 4). Cette sainte nuit devient donc une extraordinaire manifestation de la vie qui est la lumière des hommes. Toute l’Église participe à cette manifestation, spécialement les catéchumènes qui reçoivent le baptême au cours de cette Vigile.

La Basilique Saint-Pierre vous reçoit pour cette célébration solennelle, chers Frères et Sœurs, qui allez être baptisés dans le Christ notre Pâque. Deux d’entre vous viennent d’Albanie et deux du Zaïre, des pays qui vivent des heures dramatiques de leur histoire : que le Seigneur veuille écouter le cri des pauvres et les guider sur le chemin de la paix et de la liberté ! D’autres parmi vous viennent du Bénin, du Cap-Vert, de Chine, de Taiwan. Je prie pour chacun d’entre vous qui, en cette assemblée, représentez les prémices de la nouvelle humanité rachetée par le Christ, pour que vous soyez toujours de fidèles témoins de son Évangile.

Les lectures liturgiques de la Veillée pascale unissent les deux éléments du feu et de l’eau. L’élément du feu, qui donne la lumière,

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et l’élément de l’eau, qui devient la matière du sacrement de la renaissance, c’est-à-dire du saint Baptême. « Personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jn 3, 5). Le passage des Israélites à travers la Mer Rouge, c’est-à-dire la libération de l’esclavage d’Egypte, est une figure et pour ainsi dire une anticipation du baptême qui libère de l’esclavage du péché.

3. Les nombreux motifs qui, dans la liturgie de la Vigile de Pâques, sont présents dans les lectures bibliques, convergent et s’entrelacent pour former une sorte d’image unique. C’est l’Apôtre Paul qui présente cette vérité de la manière la plus complète dans la Lettre aux Romains, qui vient d’être proclamée : « Ne le savez-vous donc pas ? Nous tous qui avons été baptisés en Jésus- Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés. Si, par le baptême dans sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts » (Rm 6, 3-4).

Ces paroles nous conduisent au centre même de la vérité du christianisme. La mort du Christ, la mort rédemptrice, est le début du passage à la vie, qui s’est manifesté par sa résurrection. « Si nous sommes passés par la mort avec le. Christ,. poursuit saint Paul, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; sur lui, la mort n’a plus aucun pouvoir » (Rm 6, 8-9).

4. Tenant à la main le flambeau de la Parole de Dieu, l’Église qui célèbre la Veillée pascale s’arrête comme sur un dernier seuil. Elle s’arrête pour une longue attente, au cours de cette nuit tout entière. Près du tombeau, nous attendons l’événement qui s’est produit voici deux mille ans. Les premiers témoins de cet événement extraordinaire furent les femmes de Jérusalem : elles arrivèrent au lieu où Jésus avait été enseveli le Vendredi Saint et elles trouvèrent le tombeau vide. Une voix les surprit : « Vous cherchez Jésus de

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Nazareth, le Crucifié ! Il est ressuscité, il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : “Il vous précède en Galilée”. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit » (Mc 16, 6-7).

Personne n’a vu de ses yeux la résurrection du Christ. Les femmes, venues au. tombeau,. furent. les premières à constater que l’événement s’était déjà produit.

L’Église, réunie pour la Vigile pascale, écoute à nouveau ce témoignage, dans une attente silencieuse, et elle manifeste ensuite sa grande joie. Nous l’avons entendu annoncer il y a peu par la bouche du diacre : « Annuntio vobis gaudium magnum... », « Je vous annonce une grande joie, Alléluia ! ».

Recevons cette annonce avec un cœur ouvert, participons ensemble à la grande joie de l’Église.

Le. Christ. est. vraiment ressuscité !

Alléluia !

06 avril 1997

La prière est l'âme de la mission

Le deuxième dimanche de Pâques nous invite à réfléchir sur la miséricorde divine

Dans la matinée du dimanche 6 avril 1997, le Pape Jean-Paul II s'est rendu en visite pastorale à la paroisse romaine « San Giuda Taddeo », où il a présidé la célébration eucharistique dominicale pour les fidèles du quartier. Au cours de la Sainte Messe, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Le soir... les portes étant closes... Jésus vint et se tint au milieu et il leur dit : “Paix à vous !” » (Jn 20, 19).

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Le passage de l'Évangile d'aujourd'hui, « Dimanche in albis », rapporte la double apparition du Ressuscité aux Apôtres, le jour même de Pâques et huit jours plus tard. Le soir du premier jour après le samedi, alors que les Apôtres se trouvent réunis dans un seul lieu aux portes closes, par crainte des Juifs, Jésus vient et leur dit : « Paix à vous ! » (cf. Jn 20, 19). A travers ce salut, il leur offre en réalité le don de la paix authentique, fruit de sa mort et de sa résurrection. En effet, dans le Mystère pascal s'est accomplie la réconciliation définitive de l'humanité avec Dieu, qui est la source de tout véritable progrès vers la pleine pacification des hommes et des peuples entre eux et avec Dieu. Jésus confie ensuite aux Apôtres la tâche de poursuivre sa mission salvifique, afin qu'à travers leur ministère, le salut atteigne tous les lieux et toutes les époques de l'histoire humaine : « Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20, 21). Le don de l'Esprit est également intimement lié à la mission évangélisatrice et au pouvoir de remettre les péchés qui leur sont confiés, comme l'indiquent les paroles suivantes de Jésus : « Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20, 22- 23).

A travers ces paroles, Jésus confie à ses disciples le ministère de la miséricorde. En effet, dans le ministère pascal se manifeste pleinement l'amour salvifique de Dieu, riche de miséricorde — « dives in misericordia » (cf. Ep 2, 4). En ce deuxième dimanche de Pâques, la Liturgie nous invite à réfléchir de façon particulière sur la miséricorde divine, qui dépasse toute limite humaine et qui resplendit sur l'obscurité du mal et du péché. L'Église nous encourage à nous approcher du Christ avec confiance, Lui qui par sa mort et sa résurrection révèle pleinement et définitivement les richesses extraordinaires de l'amour miséricordieux de Dieu.

2. L'Apôtre Thomas n'était pas présent lors de l'apparition du Ressuscité le soir de Pâques. Informé de cet événement extraordinaire et incrédule face au témoignage des autres Apôtres, il prétend vérifier en personne la véracité de ce qu'ils affirment.

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Huit jours après — c'est-à-dire dans l'octave de Pâques, précisément comme aujourd'hui — l'apparition se répète : Jésus lui-même répond à l'incrédulité de Thomas, en lui offrant la possibilité de toucher de la main les signes de la passion — et en l'invitant à passer de l'incrédulité. à. la. plénitude de la foi pascale.

Face à la profession de foi de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20, 28), Jésus prononce une béatitude qui élargit l'horizon à la multitude des futurs croyants : « Parce que tu me vois, tu crois. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru » (Jn 20, 29). L'expérience pascale de l'Apôtre Thomas a été plus grande que sa requête elle-même. En effet, non seulement il a pu constater la véracité des signes de la passion et de la résurrection mais, à travers le contact personnel avec le Ressuscité, il a compris la signification profonde de la résurrection de Jésus et, intimement transformé, il a ouvertement déclaré sa foi pleine et totale dans son Seigneur ressuscité et présent au milieu des disciples. Il a donc pu, en un certain sens, « voir » la réalité divine du Seigneur Jésus, mort et ressuscité pour nous. C'est le Ressuscité lui-même l'argument définitif de sa divinité et de son humanité tout ensemble.

3. Nous sommes, nous aussi, tous invités à voir, avec les yeux de la foi, le Christ vivant et présent dans la Communauté chrétienne. Très chers frères et sœurs de la paroisse romaine « San Giuda Taddeo » ! Je suis très heureux de pouvoir finalement me trouver parmi vous, dans votre belle paroisse. Je vous salue tous avec une grande affection ! Cette visite a été un peu retardé en raison d'une maladie, mais elle a finalement lieu et elle a lieu le jour le plus solennel qui soit. J'adresse une pensée cordiale au Cardinal-Vicaire, au Vice-gérant, à votre curé plein de zèle, Dom Gabriele Zuccarini et aux prêtres qui collaborent avec lui dans le soin pastoral de votre communauté.

Je salue également les sœurs de l'Institut « Sorelle Misericordiose » et les Filles de la Charité du Très Précieux Sang. Ma pensée s'étend aux habitants du quartier, en particulier à ceux qui,

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en raison d'un empêchement, ne peuvent pas être ici présents. Je pense en particulier aux malades, aux personnes âgées et à ceux qui, pour différentes raisons, se trouvent en difficulté.

Très chers frères et sœurs, dans votre paroisse, où le nombre des personnes âgées ou seules s'est accru ces dernières années et où une seconde jeune génération de familles a commencé à s'installer, il est plus que jamais nécessaire d'accomplir une œuvre étendue de nouvelle évangélisation. En effet, le défi pastoral consiste à aider toutes les familles et en particulier les plus jeunes, à découvrir la richesse de l'Évangile et à persévérer dans les engagements de la foi chrétienne.

Chers membres fidèles de tant de groupes paroissiaux, c'est à vous en particulier que je confie la tâche d'être des agents d'espérance, en apportant l'Évangile à vos frères qui vivent dans le quartier. N'attendez pas qu'ils viennent à vous, mais allez vous-mêmes à leur rencontre, en ayant confiance dans la puissance de la Parole que vous apportez. En effet, la mission dans la ville, avec ses multiples initiatives actuellement en cours, appelle chaque chrétien de Rome à redécouvrir le mandat missionnaire confié par Jésus ressuscité à tous les baptisés à travers le ministère des Apôtres. D'après les informations que je reçois du Cardinal-Vicaire et des évêques auxiliaires des secteurs, nombreuses sont les personnes disposées à prendre part à la mission dans la ville. Ce sont des personnes disponibles pour participer activement à la nouvelle évangélisation de Rome.

4. Toutefois, l'évangélisation proposée par la mission dans la ville deviendra d'autant plus efficace que l'œuvre des missionnaires sera soutenue et accompagnée par la prière. C'est pourquoi je vous félicite des nombreuses initiatives de prière et d'adoration eucharistique hebdomadaire — également nocturne — que vous effectuez dans cette belle communauté. La prière est l'âme de la mission. Très chers frères et sœurs, persévérez dans la prière, car le contact avec Dieu assure son authenticité à l'activité apostolique.

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Dans les Évangiles, nous lisons que Jésus lui-même, bien que se prodiguant en faveur de tant d'hommes et de femmes, se retirait pendant de longues périodes dans la solitude et qu'il priait (cf. Mt 14, 23 ; Mc 1, 35 ; Lc 6, 12 ; 9, 18 ; 11, 1 ; Jn 6, 15 etc.). Nous devons l'imiter et le rencontrer dans les moments de solitude et de silence consacrés à la prière. Ces temps d'arrêt spirituels providentiels vous aideront tous à être d'authentiques missionnaires de l'Évangile dans notre grande ville.

5. « La multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme » (Ac 4, 32). La communauté apostolique de Jérusalem, décrite dans les Actes des Apôtres, est le modèle de toute communauté chrétienne. Nous aussi, qui vivons au seuil du Troisième Millénaire chrétien, nous devons devenir toujours davantage un seul cœur et une seule âme dans l'action liturgique, ainsi que dans l'activité apostolique et dans le témoignage de la charité. Nous devons nous engager à témoigner avec une grande force (cf. Ac 4, 33), en communion avec les successeurs des Apôtres, de la résurrection de Jésus.

« Et telle est la victoire qui a triomphé du monde : notre foi », comme vient de nous rappeler la première Épître de Jean (5, 4). A travers la foi, qui se réalise dans l'observance des commandements, nous sommes nous aussi appelés à vaincre les forces du mal, pour préparer dès à présent, par notre apostolat,. la pleine manifestation du Royaume de Dieu.

A travers les paroles du Psaume responsorial, nous voulons exprimer la joie pour les merveilles que Dieu continue à accomplir à notre époque également. En effet, dans la Pâque de son Fils, mort et resssucité, Il vient à la rencontre de chaque homme, en lui manifestant les richesses infinies de sa miséricorde sans limites.

« Voici le jour que fit Yahvé, pour nous allégresse et joie » (Ps 118/117, 24).

Amen. Alléluia !

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12 avril 1997

Avoir le courage de demander et d’accorder le pardon

Homélie aux prêtres, religieux et religieuses à la cathédrale de Sarajevo

Jean-Paul II s’est ensuite rendu à la cathédrale de Sarajevo, consacrée au Sacré-Cœur, à une dizaine de kilomètres de l’aéroport. Il y a rencontré les prêtres diocésains, les religieux et les religieuses, et présidé le chant des vêpres. Au début de la cérémonie, il a remis à l’Église de Sarajevo la lampe qu’il avait lui-même allumée dans la basilique Saint-Pierre de Rome, le 23 janvier 1994, en signe de prière pour la paix en Bosnie-Herzégovine.

On trouvera ci-dessous le discours de bienvenue prononcé par le cardinal Puljic et la réponse du Pape1.

Après les vêpres, Jean-Paul II s’est rendu au grand séminaire, récemment restauré, où il a rencontré tous les évêques présents à Sarajevo.

Discours de bienvenue du cardinal Vinko Puljic, archevêque de Sarajevo

TRÈS SAINT PÈRE !

Soyez le bienvenu dans notre pays, la BosnieHerzégovine, dans notre capitale, Sarajevo, et dans notre cathédrale du Sacré-Cœur. Dans cette cathédrale est enterré Mgr Josip Stadler, de bienheureuse mémoire, le premier archevêque de Vrhbosna-Sarajevo, qui construisit cette cathédrale et beaucoup d’autres bâtiments d’Église, et qui renouvela spirituellement notre archidiocèse. Mes deux autres prédécesseurs sont également enterrés ici. Tous ceux qui sont ici présents vous accueillent chaleureusement au nom de tous les prêtres, religieux et religieuses, candidats au sacerdoce ou à la vie 1 Textes originaux en langue serbo-croate dans l’Osservatore Romano du 17 avril. Traduction, d’après la version anglaise officielle distribuée par la Salle de presse du Saint-Siège, titre et sous-titres de la DC.

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religieuse de notre province ecclésiastique qui ont dû se disperser dans le monde entier.

Sous cette voûte, beaucoup de grands événements se sont déroulés. Cependant, cet événement les dépasse tous et nous le garderons sûrement profondément inscrit dans notre esprit et notre mémoire. Nous vous accueillons comme le Père universel qui est venu nous fortifier dans notre foi et notre vocation, dans notre mission et notre consécration.

La province ecclésiastique de Vrhbosna-Sarajevo, qui est devenue il y a deux ans une Conférence épiscopale spécifique, a été bénie par Dieu de nombreuses vocations. De nombreux prêtres, religieux et religieuses originaires de ce lieu exercent leur ministère en dehors de ce pays. Ceux d’entre nous qui ont porté le fardeau de cette guerre souffrent de nombreux traumatismes et des blessures de la guerre. Au milieu de nos difficiles épreuves et de nos incertitudes, nous nous trouvons devant la question : comment allons-nous survivre dans cette région ?

Très Saint Père, cette question est la conséquence des souffrances que la guerre a causées à notre Église locale. Bien que vous soyez bien au courant de ces souffrances, je voudrais donner quelques chiffres qui indiquent l’échelle de nos épreuves et de nos peines, même s’ils ne les expriment pas totalement.

Une Église locale bouleversée

Avant cette guerre, la population catholique du diocèse de Banja Luka était d’environ 120 000 fidèles, en 47 paroisses. Maintenant, seuls à peu près 50 000 catholiques sont restés, avec à leur service 16 prêtres diocésains sur 35, 45 religieux et 40 religieuses. Le diocèse de Mostar-Duvno avait avant cette guerre environ 170 000 catholiques en 62 paroisses, et il compte maintenant 175 000 catholiques en 66 paroisses, 75 prêtres diocésains, environ 200 religieux prêtres et 250 religieuses. Le diocèse de Trebinje-Mrkan est le plus ancien de notre région et il comptait avant cette

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guerre environ 14 000 catholiques en 15 paroisses, 26 prêtres diocésains et 12 religieuses. Environ 3 000 fidèles ont été forcés de quitter le territoire. L’archidiocèse de Vrhbosna ou Sarajevo avait 528 000 catholiques en 144 paroisses. Maintenant, environ 200 000 fidèles seulement vivent sur le territoire de l’archidiocèse, mais beaucoup d’entre eux ne vivent pas dans la maison qui était la leur. Dans 50 paroisses, nos prêtres n’ont pas la possibilité d’exercer une activité pastorale, et dans beaucoup de paroisses seul un tout petit nombre de paroissiens ont pu conserver leur habitation. Notre Église locale compte 202 prêtres diocésains, mais seulement 104 d’entre eux exercent leur ministère dans le diocèse. Dans notre archidiocèse, 140 Franciscains sont activement présents et 96 d’entre eux sont directement engagés dans une activité pastorale. Exercent également leur ministère dans l’archidiocèse 3 Jésuites, 2 Salésiens, 1 Dominicain et 150 religieuses.

Au cours de la guerre qui vient à peine de se terminer, il nous a été donné de connaître plusieurs véritables témoignages de foi et de réels martyrs. 8 prêtres et 2 religieuses de notre Église locale ont été tués. L’Église en Bosnie-Herzégovine a eu dans un passé déjà ancien ou récent des hommes et des femmes dont la foi a été un modèle. Le souvenir de la dernière reine de Bosnie, Katarina Kosaca Kotromanic, est toujours vivant. Signalons encore comme figures spirituelles de premier plan : Mgr Stadler, dont je viens de parler ; le séminariste Petar Barbaric, et d’autres. Il est difficile de faire le compte de tous les martyrs qui ont été tués ou qui ont subi la persécution au cours de la Deuxième Guerre mondiale, ou qui ont été torturés à mort dans les prisons sous le régime communiste. Parmi ces nombreuses personnes, je voudrais mentionner ici cinq religieuses Filles de la Divine Charité, tuées en 1941, qui sont connues de notre peuple sous le nom des martyres du Fleuve Drina.

Très Saint Père, nombre d’entre nous sont encore bouleversés par les récents événements et les incertitudes. Certains sont fatigués des fardeaux qu’ils ont dû porter dans leur vie et des missions qu’ils ont accomplies dans les difficiles conditions de la guerre et de

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l’après-guerre, tandis que d’autres – fatigués des événements politiques – perdent l’amour de leur pays natal et de leur mission dans cette région. Veuillez, s’il vous plaît, nous affermir afin que nous puissions rester ici et être la lumière du Christ ressuscité, en tant que ses témoins et ses hérauts.

Tous nos remerciements, Très Saint Père, pour toutes les paroles que vous avez prononcées en ces moments difficiles provoqués par la guerre. Merci pour toutes vos invitations à prier avec nous et pour nous, merci des bénédictions que vous nous avez envoyées. Vous nous comprenez parfaitement. Quand nous nous sommes sentis vraiment seuls, votre voix paternelle nous a encouragés et nous a adressé un message que nous n’avons pas négligé.

Veuillez nous bénir, et que votre bénédiction demeure sur nous afin que nous puissions à notre tour être une bénédiction pour toute l’Église en vivant et en travaillant avec ferveur au service de nos Églises locales.

Je le redis : vous êtes le bienvenu dans votre propre maison !

13 avril 1997

Sarajevo, symbole de la souffrance de toute l’Europe

Homélie lors de la célébration eucharistique à Sarajevo

C’est au Stade Kosevo de Sarajevo que Jean-Paul II a présidé, le dimanche 13 avril vers 10 h 30, la concélébration eucharistique qui a marqué le sommet de son pèlerinage en Bosnie-Herzégovine. Malgré la neige et de grandes difficultés de voyage, cinquante mille fidèles venus de toute la région et des pays voisins ont prié avec le Pape. Voici le texte de l’homélie prononcée par Jean-Paul II2 :

« Nous avons un défenseur devant le Père, Jésus-Christ, le 2 Texte original en langue serbo-croate. Traduction, d’après la version anglaise officielle distribuée par la Salle de presse du Saint-Siège, titre et sous-titres de la DC.

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Juste » (1 Jn 2, 1).

1. Nous avons un défenseur qui parle en notre nom. Qui est ce défenseur qui se fait notre porte-parole ? La liturgie de ce jour nous donne une réponse exhaustive : « Nous avons un défenseur devant le Père, Jésus-Christ, le Juste » (1 Jn 2, 1).

Nous lisons dans les Actes des Apôtres : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a donné sa gloire à son serviteur Jésus » (3, 13). Il est celui qui a été trahi et renié par ses concitoyens, alors même que Pilate voulait le libérer. Ils demandèrent qu’à sa place soit gracié un assassin, Barrabas. Et ainsi l’auteur de la vie fut condamné à mort (cf. Ac 3, 13-15).

Mais « Dieu l’a ressuscité des morts » (Ac 3, 15). Ainsi parle Pierre qui fut un témoin direct de la Passion, de la mort et de la résurrection du Christ. C’est en cette qualité qu’il fut envoyé aux fils d’Israël et à toutes les nations du monde. Mais, lorsqu’il s’adresse à ses concitoyens, il ne fait pas qu’accuser, il excuse aussi : « Frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs » (Ac 3, 17).

Pierre est un témoin conscient de la vérité du Messie qui, sur la Croix, a mené à leur achèvement les anciennes prophéties : Jésus-Christ est devenu notre défenseur auprès du Père, l’avocat du peuple élu et de toute l’humanité.

Saint Jean ajoute : « Nous avons un défenseur devant le Père, Jésus-Christ, le Juste. Il est la victime offerte pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier » (1 Jn 2, 1-2). Cette vérité, le Successeur de Pierre qui se trouve finalement parmi vous, vient aujourd’hui vous la redire. Peuple de Sarajevo et de toute la Bosnie-Herzégovine, je viens aujourd’hui te dire : tu as un défenseur devant Dieu. Son nom est : Jésus-Christ, le Juste !

Le Christ, défenseur de Sarajevo

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2. Pierre et Jean, comme aussi les autres Apôtres, sont devenus des témoins de cette vérité parce qu’ils ont vu de leurs yeux le Christ crucifié et ressuscité. Il s’était présenté à eux au Cénacle, leur montrant les blessures de sa Passion ; il leur avait permis de le toucher pour qu’ils puissent se convaincre vraiment qu’il était bien ce même Jésus qu’ils avaient d’abord connu comme « le Maître ». Et pour confirmer totalement la vérité de sa résurrection, il a accepté la nourriture offerte, mangeant avec eux comme il l’avait fait tant de fois avant de mourir.

Jésus avait conservé son identité, malgré l’extraordinaire transformation qui s’était opérée en lui après la résurrection. Il garde encore cette identité. Il est le même, aujourd’hui comme hier et il demeurera le même pour l’éternité (cf. He 13, 8). Comme tel, en tant que vrai Homme, il est devant le Père le défenseur de tous les hommes. Et même, il est l’avocat de toute la création qui a été rachetée par lui et en lui.

Il se présente devant le Père comme le témoin le plus expert et le plus compétent de ce qui, par la Croix et la résurrection, s’est accompli dans l’histoire de l’humanité et du monde. Son langage est le langage de la rédemption, c’est-à-dire de la libération de l’esclavage du péché. Jésus s’adresse au Père comme le Fils consubstantiel et en même temps comme vrai homme, parlant la langue de toutes les générations humaines et de toute l’histoire humaine : des victoires et des défaites, de toutes les souffrances et de toutes les douleurs des hommes pris individuellement, et aussi de tous les peuples et nations de toute la terre.

Le Christ parle votre langue, chers frères et sœurs de cette Bosnie-Herzégovine qui a été si longuement et si douloureusement éprouvée. Il a dit : « C’est bien ce qui était annoncé par l’Écriture : les souffrances du Messie », mais il a ajouté : « sa résurrection d’entre les morts le troisième jour… C’est vous qui en êtes les témoins » (Lc 24, 46-48). Habitants de cette terre, Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, courage ! Vous avez un défenseur devant Dieu. Son

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nom est Jésus-Christ, le Juste !

La paix ne vient pas des armes mais de l’amour

3. Sarajevo : une ville devenue un symbole, et en un certain sens le symbole du XXe siècle. Le nom de Sarajevo est lié en 1914 à l’éclatement du premier conflit mondial. À la fin de ce siècle, au nom de cette ville est unie la douloureuse expérience de la guerre qui, après ces cinq années, a laissé derrière elle dans cette région un terrible sillage de mort et de dévastation.

Au cours de cette période, le nom de votre ville n’a pas cessé d’occuper les comptes rendus de la presse et d’être le thème d’interventions politiques de la part de chefs d’États, de stratèges et de généraux. Le monde entier a continué à parler de Sarajevo en termes historiques, politiques, militaires. Même le Pape n’a pas manqué d’élever la voix pour dénoncer à de nombreuses reprises cette guerre tragique et, en diverses circonstances, j’ai eu sur les lèvres et toujours dans mon cœur le nom de cette ville.

Depuis plusieurs années déjà, je souhaitais ardemment pouvoir venir en personne parmi vous. Aujourd’hui, finalement, ce désir a pu se réaliser. Grâces en soient rendues au Seigneur ! Les mots avec lesquels je vous salue avec affection sont les mêmes que ceux que Jésus adressa, après sa résurrection, à ses disciples : « La paix soit avec vous ! » (Lc 24, 36). La paix soit avec vous, hommes et femmes de Sarajevo ! Paix à vous, habitants de Bosnie-Herzégovine ! Paix à vous, frères et sœurs de cette terre bien-aimée !

Je salue Monsieur le cardinal Vinko Puljic, Pasteur diligent de cette Église, et je le remercie des paroles de bienvenue et de communion qu’il m’a adressées également au nom de son auxiliaire, Mgr Pero Sudar, et de toutes les personnes présentes. Je salue le vénéré et courageux Mgr Franjo Komarica, avec les fidèles de son diocèse de Banja Luka, ainsi que le vénéré et zélé Mgr Ratko Peric et les fidèles des diocèses de Mostar-Duvno et de Trebinje-Mrkan.

Je salue les cardinaux et les évêques présents, et vous tous,

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prêtres, personnes consacrées, fidèles laïcs. Ma pensée déférente s’étend aux Autorités civiles et diplomatiques qui sont ici présentes, comme aux représentants des autres Confessions religieuses que ont bien voulu nous honorer de leur présence.

La paix que Jésus donne à ses disciples n’est pas celle qui est imposée par les vainqueurs aux vaincus, par les plus forts aux plus faibles. Elle ne trouve pas sa légitimité par la force des armes mais, au contraire, elle naît de l’amour. Amour de Dieu pour l’homme et amour de l’homme pour l’homme. Le commandement de Dieu retentit aujourd’hui avec force : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Dt 6, 5 ; Lv 19, 18). Sur ces deux solides fondements, on peut consolider et construire la paix à laquelle on est parvenu.

« Bienheureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9).

Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, tu as un défenseur devant Dieu, Jésus-Christ, le Juste !

4. Comme serviteur de l’Évangile, le Pape, en union avec les Pasteurs de Bosnie-Herzégovine et avec toute l’Église, veut dévoiler une dimension encore plus profonde qui se cache dans la réalité de la vie de cette région, dont le monde entier porte le souci depuis tant d’années.

Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, ton histoire, tes souffrances, les expériences des années marquées par la guerre – dont nous espérons que, plus jamais, nous ne les connaîtrons –, ont un défenseur devant Dieu : Jésus-Christ, le seul Juste. En lui, ont un avocat auprès de Dieu de si nombreux morts, dont les tombes se sont multipliées sur cette terre ; ceux qui sont pleurés par leurs mères, leurs veuves, leurs enfants restés orphelins. Qui d’autre peut être auprès de Dieu l’avocat de toutes ces souffrances et de toutes ces épreuves ? Qui d’autre peut lire à fond cette page de ton histoire, Sarajevo ? Qui peut comprendre en plénitude cette page de votre histoire, nations des

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Balkans, et de ton histoire, Europe ?

On ne peut oublier que Sarajevo est devenue le symbole de la souffrance de toute l’Europe, au cours de ce siècle. Elle l’a été au commencement du XXe siècle, lorsque la Première Guerre mondiale commença ici ; elle l’a été d’une manière différente, une seconde fois, quand le conflit embrasa totalement cette région. L’Europe en a été le témoin. Mais nous devons nous demander : témoin toujours responsable ? On ne peut éluder cette question. Il faut que les hommes d’État, les hommes politiques, les militaires et les hommes de culture tentent de donner une réponse. Le souhait de tous les hommes de bonne volonté est que ce que symbolise Sarajevo reste confiné dans le cadre du XXe siècle, et que ses tragédies ne se reproduisent pas au cours du millénaire qui est désormais tout proche.

Pardonnons et demandons pardon

5. Pour cela, nous tournons avec confiance notre regard vers la divine Providence. Prions le Prince de la paix, par l’intercession de Marie, sa Mère, tant aimée des peuples de toute cette région, afin que Sarajevo devienne pour toute l’Europe un modèle de convivance et de collaboration pacifique entre des peuples d’ethnies et de religions différentes.

Réunis pour la célébration du Sacrifice du Christ, nous ne cessons de te remercier, Ville tant éprouvée, ainsi que vous, frères et sœurs qui habitez cette terre de Bosnie-Herzégovine, parce que d’une certaine manière, par votre sacrifice, vous avez supporté le poids de cette terrible expérience à laquelle tous ont leur part. Je vous le redis : nous avons un défenseur devant Dieu, le Christ, le seul Juste.

Devant Toi, Christ crucifié et ressuscité, se présentent aujourd’hui Sarajevo et toute la Bosnie-Herzégovine, avec le lourd bilan de leur histoire. Tu es notre grand défenseur. Cette humanité te supplie d’imprégner la douloureuse histoire qui a été vécue ici de la puissance de ta rédemption. Toi, Fils de Dieu incarné, tu chemines

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comme Homme au milieu des événements des hommes et des nations. Marche au milieu de l’histoire de ce peuple et de tous les peuples plus étroitement liés au nom de Sarajevo, au nom de la Bosnie-Herzégovine.

6. Chers frères et sœurs ! Quand, en 1994, j’ai ardemment souhaité venir ici parmi vous, je me référais à une pensée qui s’était révélée extrêmement significative en un moment crucial de l’histoire européenne : « Pardonnons et demandons pardon ». On a dit alors que ce moment n’était pas encore venu. Peut-être ce moment est-il désormais arrivé ?

Je reviens donc aujourd’hui à cette pensée et à ces paroles, que je veux répéter ici, afin qu’elles puissent pénétrer dans la conscience de tous ceux qui sont unis par la douloureuse expérience de votre ville et de votre terre, de tous les peuples et nations déchirés par la guerre : « Pardonnons et demandons pardon ». Si le Christ doit être notre avocat auprès du Père, nous ne pouvons pas ne pas prononcer ces paroles. Nous ne pouvons pas ne pas entreprendre le difficile mais nécessaire pèlerinage du pardon, qui mène à une profonde réconciliation.

« Offre le pardon, reçois la paix », ai-je rappelé dans mon Message de cette année pour la Journée mondiale de la paix, et j’ajoutais : « Le pardon, sous sa forme la plus vraie et la plus haute, est un acte d’amour gratuit » (cf. n. 5), comme le fut la réconciliation offerte à l’homme par Dieu par l’intermédiaire de la Croix et de la mort de son Fils incarné, le seul Juste. Certes, « le pardon, loin d’exclure la recherche de la vérité, l’exige », parce qu’ »un autre présupposé essentiel du pardon et de la réconciliation est la justice » (ibid.). Mais il reste toujours vrai que « demander et donner le pardon est une voie profondément digne de l’homme » (ibid., 4).

7. Alors que la lumière de cette vérité apparaît aujourd’hui clairement, ma pensée se tourne vers toi, Mère du Christ crucifié et ressuscité, vers toi qui es vénérée et aimée en tant de sanctuaires de cette terre si éprouvée. Implore pour tous les croyants le don d’un

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cœur nouveau ! Fais que le pardon, mot central de l’Évangile, devienne ici une réalité. Solidement accrochée à la Croix du Christ, l’Église réunie aujourd’hui à Sarajevo te le demande, ô tendre, ô clémente Mère de Dieu et notre Mère, ô douce Vierge Marie ! Amen.

20 avril 1997

« Je suis le bon pasteur »

Dans la matinée du dimanche 20 avril 1997, XXXIVe Journée mondiale de Prière pour les Vocations, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre, au cours de laquelle il a conféré l'ordination sacerdotale à 31 diacres du diocèse de Rome. A cette occasion, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Je suis le bon pasteur » (Jn 10, 11).

Aujourd'hui, quatrième Dimanche de Pâques, « Dimanche du Bon Pasteur », j'ai la joie d'ordonner dans cette basilique 31 nouveaux prêtres formés dans les séminaires du diocèse de Rome. Il s'agit d'une heureuse tradition, liée harmonieusement au contexte spirituel et liturgique de cette journée, consacrée à la prière pour les vocations. Très chers frères et sœurs, alors que je rends grâce au Seigneur pour le don du Sacerdoce, je voudrais m'arrêter un instant pour réfléchir avec vous sur les paroles du Christ à propos du bon pasteur.

« Je suis le bon pasteur ; le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (ibid.). Comment ne pas distinguer dans ces paroles une référence implicite au mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur ? « Je donne ma vie pour la reprendre. Personne ne me l'enlève ; mais je la donne de moi-même. J'ai pouvoir de la donner et j'ai pouvoir de la reprendre » (Jn 10, 17-18). Le Christ s'est offert lui-même librement sur la Croix et il est ressuscité en vertu de sa propre puissance divine. L'allégorie du bon pasteur revêt donc un profond

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caractère pascal, et c'est pourquoi l'Église la propose à notre réflexion au cours de ce Temps de Pâques.

« Je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît » (Jn 10, 14-15). Du mystère de la connaissance éternelle de Dieu, de l'intimité de l'amour trinitaire, naissent le sacerdoce et la mission pastorale du Christ, qui affirme : « Je donne ma vie pour mes brebis. J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos ; celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix ; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur » (Jn 10, 15-16). La mission pastorale du Christ est une mission universelle, qui ne se limite pas aux fils et aux filles d'Israël mais qui, en vertu du Sacrifice de la Croix, concerne tous les hommes et tous les peuples.

2. En lisant attentivement ce passage évangélique,. nous. découvrons.. qu'il constitue une synthèse évocatrice de la théologie du sacerdoce du Christ et du sacerdoce ministériel que vous, très chers diacres, vous apprêtez à recevoir. Vous êtes appelés, comme le bon pasteur, à donner votre vie en guidant le peuple chrétien vers le salut. Vous devez imiter le Christ, en devenant ses témoins courageux, des ministres inlassables de son Évangile.

Chers ordinands, je vous salue affectueusement ; je salue ceux qui vous ont guidés au cours de votre itinéraire de formation dans les différents séminaires de Rome ; je salue vos familles et les communautés chrétiennes dans lesquelles votre vocation a germé, ainsi que vos amis, qui partagent aujourd'hui la joie de votre Ordination presbytérale.

La vocation sacerdotale est un appel au ministère pastoral, c'est-à-dire au service du troupeau du Christ ; un service que vous allez entreprendre dans le diocèse de Rome et dans d'autres Églises particulières. La communauté chrétienne prie aujourd'hui pour vous, afin que le « grand Pasteur des brebis » (He 13, 20) vous communique cet amour total qui est indispensable aux pasteurs de l'Église.

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Les paroles que nous avons écoutées dans l'Évangile à propos du Christ bon pasteur deviennent à présent une invocation unanime au Père céleste, afin qu'il vous insuffle l'amour et le généreux dévouement du Christ. « Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11).

3. Très chers diacres, vous devrez traduire ces paroles en expérience vécue, dans chaque tâche et en chaque circonstance de votre vie. Il faudra que vous y puisiez la lumière et la force indispensables à votre ministère pastoral.

Que vous accompagne la prière de la communauté chrétienne, particulièrement intense dans cette liturgie. C'est une prière qui s'unit à votre imploration confiante, exprimée par le rite émouvant de la prostration sur le sol, qui a lieu lors du chant des Litanies des Saints. L'Église demande pour vous non seulement la grâce du sacrement du sacerdoce, mais également la sanctification, afin que, à votre tour, vous puissiez sanctifier les autres. Il s'agit d'un moment décisif de votre existence, qui restera pour toujours gravé dans votre esprit et dans votre cœur, comme c'est le cas pour chaque prêtre.

Je conserve moi aussi un souvenir vivant et émouvant de cette grande prière d'imploration qui précède le sommet de l'Ordination, lorsque l'Évêque impose les mains à l'ordinand, prononce la prière de consécration et lui transmet, à travers cet antique geste liturgique qui remonte aux Apôtres, le pouvoir sacramentel du sacerdoce, en l'introduisant dans le « presbyterium » de l'Église. Ce moment solennel est accompagné par le chant du Veni creator, à travers lequel on invoque l'Esprit Saint, qui est le Seigneur et qui donne la vie, afin qu'il vienne et transfigure par sa lumière et sa puissance, ce que nous accomplissons dans notre faiblesse humaine.

« Veni creator Spiritus, / Mentes tuorum visita, / Imple superna gratia, / Quae tu creasti pectora ».

« Viens, Esprit créateur, / visite l'âme de tes fidèles, / emplis de la grâce d'en haut / les cœurs que tu as créés ».

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4. « Béni soit au nom de Yahvé celui qui vient » (Ps 117, 26). A travers les paroles du Psaume responsorial, qui vient d'être chanté, la Liturgie du Dimanche d'aujourd'hui nous présente avec force le mystère du Christ ressuscité. C'est un. hymne. d'action. de. grâce ;. nous louons et nous rendons grâce à Dieu parce qu'Il est bon : sa miséricorde est éternelle (cf. Ps 117, 1). Nous lui rendons grâce car il a exaucé nos supplications et est devenu notre salut (cf. Ps 117, 21). Nous l'exaltons surtout pour le Christ qui, à travers sa mort et sa résurrection, est devenu la pierre d'angle de la construction divine (cf. Ps 117, 22). C'est sur Lui que l'Église est édifiée et qu'est fondé le sacerdoce royal de chaque baptisé et, plus encore, le sacerdoce ministériel des prêtres.

Les paroles de ce Psaume nous introduisent dans le mystère eucharistique, qui, à partir de ce moment et pour toujours, sera votre part particulière et votre don spirituel.

« Béni soit au nom de Yahvé celui qui vient » ! Évêques et prêtres, nous répétons tous cette invocation en célébrant le divin Sacrifice, au moment du « Sanctus » et immédiatement avant la consécration. Nous accueillons ainsi le Christ, qui se rend chaque jour présent sur l'autel, de même qu'il entra à Jérusalem le Dimanche des Rameaux, pour offrir. le. sacrifice de la rédemption. Lorsque nous prononçons en son nom, in persona Christi Capitis, les paroles de la consécration qu'il prononça au Cénacle, c'est toujours le même Christ qui, à travers notre ministère, rend présent le sacrifice de la Croix.

Sacerdos alter Christus ! Réfléchis, ministre de l'autel, réfléchis, prêtre du Christ, au grand mystère que deviennent ton rôle et ton héritage ! Quelle grande miséricorde t'a été accordée ! Demande à Dieu de savoir répondre par. un. amour. total à son amour infini.

Que la Vierge Marie, qui s'est unie au sacrifice de son Fils sous la Croix et qui nous a été donnée par Lui pour Mère, t'assiste et te

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protège par son intercession, afin que tu puisses être parmi tes frères l'image fidèle du bon pasteur.

Amen !

26 avril 1997

L’avenir des peuples d’Europe repose sur la reconnaissance de la primauté de Dieu

Homélie lors de la célébration eucharistique à Prague

Le samedi 26 avril, Jean-Paul II s’est rendu à Hradec Kralové, à une centaine de kilomètres de Prague où, sur la Grand Place (Velke Namesti) de la ville, il a célébré la messe devant environ 50 000 jeunes venus de tout le pays. Revenu à Prague, il a effectué en fin d’après-midi une visite de courtoisie au président Vaclav Havel, au château Hradcany, avant de rencontrer les malades et les membres des diverses communautés religieuses dans l’église Sainte-Marguerite du monastère de Brevnov, fondé il y a 1 004 ans par saint Adalbert.

Le dimanche 27, le Pape a présidé à 9 h 30 la concélébration eucharistique solennelle sur l’esplanade de Letna, à Prague, devant près de 150 000 personnes. Il a prononcé l’homélie suivante3 :

1. « Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11).

Nous sommes rassemblés sur cette grande esplanade pour chanter ensemble le Te Deum solennel pour le millénaire de la naissance au ciel de saint Adalbert, évêque de Prague, apôtre de l’Évangile au cœur de l’Europe et témoin du Christ jusqu’au sacrifice suprême de sa vie.

Comme le bon Pasteur, Adalbert consacra dès le début toute son existence à son troupeau, et il la donna définitivement par le

3 Texte original en langue tchèque. Traduction, d’après la version italienne dans l’Osservatore Romano des 28-29 avril, titre et sous-titres de la DC.

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martyre qu’il subit de la part des Prussiens, alors que ceux-ci suivaient encore les religions païennes. Il est donc le pasteur plein de zèle que la Providence a placé au début de l’histoire des nations slaves de l’Europe centrale, des Tchèques, des Polonais, des Slovaques, comme aussi de la nation hongroise.

Nous rappelons cette année le millénaire de son martyre : un événement que toutes les Églises particulières qui, depuis plus de dix siècles, vivent et annoncent l’Évangile sur ces terres, se sentent appelées à célébrer avec une intensité particulière, à commencer par cette terre de Bohême qui a donné naissance à cet homme illustre.

Un grand évêque missionnaire

2. Appelé par le Successeur de Pierre au service épiscopal sur le Siège de Prague, en Bohême, saint Adalbert n’a pas eu un ministère facile. Devant la résistance qu’il rencontra de la part de ses compatriotes eux-mêmes, il dut abandonner son Siège épiscopal et se rendre à Rome où, sur la colline de l’Aventin, il commença sa vie monastique selon la tradition bénédictine.

Il revint à Prague quand les circonstances lui semblèrent plus favorables. Mais l’opposition de ses compatriotes le força à nouveau à quitter sa patrie. Il passa le reste de sa vie comme missionnaire, d’abord dans la plaine de Pannonie, la Hongrie d’aujourd’hui, et fut reçu ensuite en tant qu’hôte à Gniezno, à la cour du roi Boleslas l’Intrépide. Mais il n’y demeura pas, là non plus. Il partit à nouveau comme missionnaire de l’Évangile, se dirigeant vers la Baltique, où il trouva le martyre. Boleslas l’Intrépide racheta à prix d’or les restes mortels de son ami évêque, et les fit ramener à Gniezno.

En l’An 1000, précisément près des reliques du Martyr, se tint une importante rencontre au cours de laquelle furent prises des décisions qui devaient influer grandement sur les modalités de la vie nationale et ecclésiale dans la Pologne des Piast. Aussi les chrétiens de cette nation vénèrent-ils saint Adalbert comme un de leurs Patrons principaux, voyant en lui un signe éloquent du lien d’affinité qui, dès

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le début, a uni les nations voisines de Bohême et de Pologne.

En Pologne, les souvenirs de saint Adalbert sont surtout liés à l’Église de Gniezno. Mais les fidèles se rendent souvent en pèlerinage à Prague. Ce fut en effet ici que commença la mission du saint, qui eut des liens spirituels profonds avec les Patrons de l’Église en Bohême : saint Wenceslas et sainte Ludmila, placés tous deux en tête d’une longue série de saints engendrés par votre terre.

3. Dans le passage de la Lettre aux Colossiens que nous venons d’entendre, Paul affirme : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous, car ce qu’il reste à souffrir des souffrances du Christ, je l’accomplis dans ma propre chair, pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24).

Il est difficile de trouver des paroles qui expriment mieux la signification du martyre de saint Adalbert ! Il fut ministre de l’Évangile, serviteur du Christ vivant dans l’Église. Il devint, comme les Apôtres, ouvertement, un témoin courageux du mystère du Christ. Le mystère, comme l’écrit saint Paul « qui était caché depuis toujours à toutes les générations, mais qui, maintenant a été manifesté aux membres de son peuple saint. Car Dieu a voulu leur faire connaître en quoi consiste, au milieu des nations païennes, la gloire sans prix de ce mystère » (Col 1, 26-27).

Porter le Christ aux nations païennes

4. Il s’agit d’un Mystère destiné à tous les peuples, à ceux qui, dans le monde ancien, furent atteints par les voyages apostoliques de Paul, comme à ceux qui, au cours du premier et du second millénaire, furent l’objet de l’activité missionnaire de l’Église. Trait d’union entre le premier et le second millénaire, saint Adalbert fit sien cet effort apostolique pour porter le mystère du Christ aux nations païennes de l’Europe centrale. Aujourd’hui, à la fin du second millénaire, alors que nous célébrons le millénaire du martyre de saint Adalbert, il semble nous parler lui-même avec les mots de la Lettre aux Colossiens : « Continuez donc à vivre dans le Christ Jésus, le

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Seigneur, tel que nous vous l’avons transmis. Soyez enracinés en lui, construisez votre vie sur lui ; restez fermes dans la foi telle qu’on vous l’a enseignée, soyez débordants d’action de grâce » (Col 2, 6-7). Le texte de Paul nous met en garde contre toute science et toute philosophie basées, comme l’écrit l’Apôtre, sur les « éléments de ce monde » (cf. Col 2, 8), c’est-à-dire sur une tradition seulement humaine, et non sur le Christ. En langage moderne, on pourrait dire que Paul met en garde contre la laïcisation et la sécularisation. C’est un avertissement plus que jamais actuel, en cette circonstance jubilaire.

5. Bien chers frères et sœurs ! Quelle grande joie de pouvoir célébrer aujourd’hui avec vous tous le millénaire de saint Adalbert ! Je remercie le Seigneur qui nous donne l’occasion de nous retrouver ici, sur l’esplanade de Letna, exactement comme il y a sept ans. J’adresse tout d’abord mes salutations cordiales et fraternelles au cher cardinal archevêque de Prague, Miloslav Vlk, successeur de saint Adalbert. Je salue également les évêques de la République tchèque et les cardinaux et évêques de toute l’Europe, les prêtres, les religieux et les religieuses. Mes pensées déférentes vont ensuite aux représentants du monde de la politique, de la culture et de la science qui, par leur présence, témoignent de l’importance sociale, et non seulement religieuse, de cet anniversaire.

Je vous salue cordialement, bien chers fidèles de Bohême, de Moravie et de Silésie, et vous tous, frères et sœurs, venus de Slovaquie, de Pologne et d’autres nations d’Europe, qui êtes aujourd’hui les bienvenus en cette célébration solennelle.

Je rappelle avec émotion le souvenir du cardinal Frantisek Tomasek, qui a promu la décennie de renouveau spirituel en préparation au millénaire de saint Adalbert, pour redécouvrir les racines historiques du pays et ses profondes traditions chrétiennes. Dans la perspective du grand Jubilé de l’An 2000, cette célébration pose, non seulement aux citoyens de la nation tchèque mais à tous ceux qui vénèrent le saint martyr comme leur Père dans la foi,

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certaines questions précises : qu’en est-il du patrimoine spirituel qu’il a laissé ? Quels fruits en ont été tirés ? Les chrétiens d’aujourd’hui sauront-ils trouver dans les enseignements et dans l’exemple de leur grand Patron inspiration et élan pour contribuer de manière efficace à la construction de la nouvelle civilisation de l’amour ?

Le chrétien doit s’ouvrir à la société actuelle

6. Saint Adalbert exerce aujourd’hui encore une fascination particulière par sa personnalité toute d’une pièce, dotée d’une fermeté de granit, ouverte aux besoins spirituels et matériels de ses frères. Nombreux sont ceux qui le reconnaissent comme un digne représentant non seulement de la nation tchèque, mais de la chrétienté encore heureusement indivise.

À cette lumière, saint Adalbert est un témoin, pourrait-on dire, aux multiples facettes, que Dieu a donné à la communauté chrétienne du passé et à la communauté actuelle. Il est le signe de cette harmonie et de cette collaboration qui doivent exister entre l’Église et la société. Il est le signe des liens qui existent entre les nations tchèque et polonaise. Je dis cela avec une grande satisfaction car, s’il plaît à Dieu, dans un mois je me trouverai parmi mes compatriotes pour célébrer parmi eux le millénaire de votre Saint. C’est également grâce à lui que le christianisme s’est bien développé en Pologne. Actuellement un nombre considérable de prêtres polonais se trouve dans les diocèses tchèques, fruits du sang de ce grand martyr, pour coopérer au travail pastoral dans vos communautés, en ce moment d’espérance après la longue période de violence et de répression.

Saint Adalbert est un saint pour les chrétiens d’aujourd’hui : il les invite à ne pas se crisper sur eux-mêmes, en gardant pour eux le trésor des vérités qu’ils possèdent, dans une attitude de défense stérile devant le monde. Au contraire, il leur demande de s’ouvrir à la société actuelle, dans la recherche de tout ce qu’elle possède de bon et de valable, pour l’élever et, si cela est nécessaire, le purifier à la lumière de l’Évangile.

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L’Évangile s’adresse à tous les hommes

7. « Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis ». La Liturgie de la Parole de la fête de ce jour trouve, en un certain sens, son couronnement dans ce passage de l’Évangile selon saint Jean. La parabole du « bon Pasteur » est centrée sur la personne et la mission du Christ. C’est vraiment lui, le bon Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis, comme cela s’est réalisé sur le Calvaire avec la Passion et la mort sur la Croix.

Au moment où il se donne, le Christ a une claire conscience de la valeur universelle que possède son Sacrifice. Il dit : « Je donne ma vie pour mes brebis » (Jn 10, 15). Et il ajoute aussitôt, pensant à tous ceux pour lesquels il se donne : « J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; celles-là aussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur » (Jn 10,

16). Au Golgotha, tous les peuples et toutes les nations, tous appelés au salut, sont déjà spirituellement présents.

8. L’Évangile est destiné à tous les hommes, parce que tous ont été rachetés par la Passion, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Tous : et donc aussi les peuples auxquels, il y a mille ans, saint Adalbert fut envoyé pour être témoin du mystère du Christ.

Mille ans plus tard, alors que nous nous rappelons le martyre et la vie tout évangélique de saint Adalbert, nous chantons avec toute la communauté chrétienne : « Te Deum laudamus… Dieu, nous te louons… Seigneur, nous t’acclamons dans l’immense cortège de tous les martyrs ».

Et, dans le même temps, nous recommandons à la divine Providence la terre natale du saint évêque, l’illustre nation où il est né, comme aussi tous les peuples slaves qui, au commencement de leur histoire, ont fait l’expérience des fruits de sa mission.

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« Salvum fac populum tuum, Domine » : « Sauve ton peuple, Seigneur, bénis et protège tes enfants ». Salvum fac ! Que l’œuvre de salut commencée sur cette terre par saint Adalbert reste solide et fructifie en abondance, chez vous, ses compatriotes, comme chez tous ceux auxquels il fut envoyé. Amen.

04 mai 1997

Ces exemples de charité parfaite

Les bienheureux nous enseignent à être des témoins crédibles du Christ dans la vie quotidienne

Dans la matinée du dimanche 4 mai 1997, le Pape Jean-Paul II a élevé aux honneurs des autels cinq serviteurs de Dieu. Deux Espagnols, martyrs de la foi pendant la guerre civile espagnole, deux Italiens et une Guatémaltèque. Chaque nouveau bienheureux est un exemple de sainteté recherchée dans la perfection de la charité. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père lors de la messe célébrée sur la Place Saint-Pierre :

1. « Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12).

La liturgie de ce sixième dimanche de Pâques nous invite à réfléchir sur le grand commandement de l'amour à la lumière du Mystère pascal. C'est précisément la méditation du nouveau commandement, cœur et synthèse de l'enseignement moral du Christ, qui nous introduit dans la célébration d'aujourd'hui, rendue particulièrement solennelle et suggestive par la proclamation de cinq nouveaux bienheureux.

Dans la seconde lecture et dans le passage évangélique, la loi de la charité nous est présentée comme le testament de Jésus à la veille de sa Passion. « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15, 11) : ainsi termine-t-Il son discours aux Apôtres lors de la dernière Cène.

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L'amour de Dieu est donc la source de la vraie joie. Telle est l'expérience que nos frères dans la foi ont pu faire personnellement, eux qui sont aujourd'hui présentés à l'Église comme des modèles d'adhésion généreuse au commandement du Seigneur. Ils sont « bienheureux ». Au cours de leur existence terrestre, ils ont vécu d'une façon toute particulière l'amour de Dieu et, précisément pour cette raison, ils ont pu jouir de la plénitude de la joie promise par le Christ.

Aujourd'hui, ils sont proposés à notre vénération comme des témoins privilégiés de l'amour de Dieu. A travers leur exemple et leur intercession, ils indiquent le chemin vers le bonheur total qui constitue l'aspiration profonde de l'âme humaine.

2. Comme nous l'avons répété dans le Psaume responsorial, qui vient d'être chanté, le monde entier est appelé à se réjouir pour les grandes œuvres de Dieu : « Acclamez Yahvé, toute la terre, éclatez en cris de joie » (Ps 97, 4). Aujourd'hui, de différentes parties du monde, et en particulier des lieux où les nouveaux bienheureux ont vécu et oeuvré, s'élève vers Dieu un intense chant de louange et d'action de grâce pour. la. béatification. de Florentino Asensio Barroso, Évêque et martyr, Ceferino Giménez Malla, martyr, Gaetano Catanoso, prêtre, fondateur de la Congrégation des Sœurs Véroniques de la Sainte Face, Enrico Rebuschini, prêtre, de l'Ordre des Clercs réguliers Ministres des Malades et María Encarnacíon Rosal, religieuse, réformatrice de l'Institut des Sœurs de Bethléem.

[en espagnol]

3. « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15, 9). L'Évêque Florentino Asensio Barroso demeura dans l'amour du Christ. Comme Lui, il se consacra au service de ses frères, en particulier dans son ministère sacerdotal, accompli avec générosité pendant plusieurs années, tout d'abord à Valladolid puis, durant une courte période de temps, comme Évêque Administrateur apostolique de Barbastro, siège auquel il avait été élu quelques mois avant le début de la déplorable guerre civile de 1936.

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Pour un ministre du Seigneur, l'amour se vit dans la charité pastorale et c'est pourquoi, devant les dangers qu'il voyait approcher, il n'abandonna pas son troupeau mais, comme le Bon pasteur, il offrit sa vie pour lui.

L'Évêque, en tant que maître et guide de la foi de son peuple, était appelé à la confesser à travers les paroles et les œuvres. Mgr Asensio accepta jusqu'à leurs ultimes conséquences ses responsabilités de pasteur en mourant pour la foi qu'il vivait et prêchait. Au moment de. mourir,.après avoir souffert des vexations et des tourments déchirants, il répondit avec fermeté et sérénité à l'un de ses bourreaux, qui lui demandait s'il connaissait le destin qui l'attendait : « Je vais au paradis ». Il proclamait ainsi sa foi inébranlable dans le Christ, vainqueur de la mort et dispensateur de la vie éternelle. Aujourd'hui, élevé à la gloire des autels, le bienheureux Florentino Asensio Barroso continue à encourager par son exemple la foi des fidèles de ce bien-aimé diocèse d'Aragon, et il veille sur lui par son intercession.

4. « Je vous appelle amis » (Jn 15, 15). C'est également à Barbastro que le gitan Ceferino Giménez Malla, connu sous le nom d'« El Pelé » mourut pour la foi dans laquelle il avait vécu. Sa vie révèle la présence du Christ dans les différents peuples et ethnies et le fait que tous sont appelés à la sainteté, qui peut être atteinte en observant ses commandements et en demeurant dans son amour (cf. Jn 15, 11). « El Pelé » fut généreux et accueillant avec les pauvres, étant lui même pauvre ; il était honnête dans son travail ; fidèle à son peuple et à sa culture gitane, et doté d'une extraordinaire intelligence naturelle et du don de conseil. Il fut avant tout un homme aux croyances religieuses profondes.

La participation fréquente à la Sainte Messe, la dévotion à la Vierge Marie à travers la prière du rosaire, l'appartenance à diverses associations catholiques l'aidèrent à aimer Dieu et son prochain avec plénitude. Ainsi, risquant sa propre vie, il n'hésita pas à défendre un prêtre qui allait être arrêté ; ce fut la raison pour laquelle il fut mis en

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prison, où il ne cessa jamais de prier ; il fut ensuite fusillé alors qu'il serrait le chapelet entre ses mains. Le bienheureux Ceferino Giménez Malla sut instaurer la concorde et la solidarité parmi les siens, servant également de médiateur dans les conflits qui avaient lieu dans les relations entre les gitans et les autres, démontrant que la charité du Christ ne connaît ni limites de races ni de cultures. Aujourd'hui « El Pelé » intercède pour tous devant le Père commun, et l'Église le propose comme un modèle à suivre et un signe révélateur de la vocation universelle à la sainteté, en particulier pour les gitans qui ont avec lui des liens culturels et ethniques étroits.

[en italien]

5. Le Père Gaetano Catanoso a suivi le Christ sur la voie de la Croix, en devenant comme lui une victime d'expiation pour les péchés. Il répétait souvent qu'il voulait être le cyrénéen qui aide le Christ à porter sa Croix, dont le poids est dû davantage aux péchés qu'au poids matériel du bois.

Véritable image du Bon Pasteur, il se prodigua inlassablement pour le bien du troupeau que lui avait confié le Seigneur, dans la vie paroissiale comme dans l'assistance aux orphelins et aux malades, dans le soutien spirituel aux séminaristes. et. aux. jeunes.. prêtres, ainsi que dans l'animation de la Congrégation des Sœurs Véroniques de la Sainte Face, qu'il avait fondée.

Il alimenta et il diffusa une profonde dévotion pour le Visage ensanglanté et défiguré du Christ, dont il voyait le reflet sur le visage de chaque homme qui souffre. Tous ceux qui le rencontraient, percevaient dans sa personne le bon parfum. du. Christ ;. c'est. pourquoi ils aimaient l'appeler « père », et ils le considéraient réellement comme tel, car il était un signe éloquent de la paternité de Dieu.

6. Le bienheureux Enrico Rebuschini a marché lui aussi avec fermeté, au cours de son existence, vers cette « perfection de la charité », qui constitue le thème dominant de la liturgie de la parole

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de ce dimanche. Sur les traces du fondateur, saint Camille de Lellis, il a témoigné la charité miséricordieuse, en l'exerçant dans tous les milieux où il a accompli son œuvre. Sa ferme intention de « consumer sa propre personne pour donner Dieu au prochain, voyant en lui le visage même du Seigneur », l'engagea sur un difficile chemin ascétique et mystique, caractérisé par une intense vie de prière, par un amour extraordinaire pour l'Eucharistie et par un dévouement incessant pour les malades et les personnes qui souffrent.

Il est devenu un point de référence sûr, tant pour les Clercs réguliers Ministres des Malades, que pour la communauté chrétienne de Crémone. Son exemple.. constitue.. pour.. tous.. les croyants un appel pressant à être attentifs aux malades et à ceux qui souffrent dans le corps et dans l'esprit.

[en espagnol]

7. « C'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15, 16). La Mère María Encarnacíon Rosal, première Guatémaltèque béatifiée, fut élue pour poursuivre le charisme du bienheureux Pedro de San José Betancourt, fondateur de l'Ordre de Bethléem, le premier ordre latino-américain. Aujourd'hui, son fruit demeure chez les sœurs de Bethléem qui, avec tous les membres de la grande famille de l'Association des laïcs, travaillent pour mettre en pratique son charisme évangélisateur au service de l'Église.

Femme constante, tenace et surtout animée par la charité, sa vie est fidélité au Christ — son confident assidu à travers la prière — et à la spiritualité de Belén. Elle dut affronter de multiples sacrifices et déboires, ayant dû voyager d'un lieu à l'autre pour pouvoir établir son Œuvre. Elle n'hésita pas à renoncer à de nombreuses choses dans le but de sauver l'essentiel, en affirmant : « Que l'on perde tout, sauf la charité ».

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Après ce qu'elle apprit à l'École de Belén, c'est-à-dire l'amour, l'humilité, la pauvreté, le don généreux et l'austérité, elle vécut une synthèse splendide entre action et contemplation, unissant aux œuvres éducatives l'esprit de pénitence, d'adoration et de réparation au Cœur de Jésus. Qu'elle continue à être un exemple pour ses filles, et que son intercession accompagne la vie ecclésiale du Continent américain, qui s'apprête à franchir avec espérance le seuil du troisième millénaire de l'ère chrétienne.

8. La sainteté est un appel que Dieu adresse à tous, mais sans forcer la main à personne. Dieu demande et attend la libre adhésion de l'homme. Dans le cadre de cette vocation universelle à la sainteté, le Christ choisit ensuite une tâche spécifique pour chacun et, s'il reçoit une réponse, c'est lui-même qui se charge de mener à bien l’œuvre commencée, en faisant en sorte que le fruit demeure. « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés... Vous êtes mes amis » (Jn 15, 9.14), continue à répéter le Seigneur et il attend notre réponse, comme il l'a fait avec les nouveaux bienheureux. Leur exemple nous rappelle que nous sommes tous engagés, chacun de façon différente, à porter du fruit, non seulement pour notre bien, mais pour toute la communauté.

Nous nous réjouissons aujourd'hui pour le don de ces nouveaux bienheureux. Rendons grâce à Dieu pour ce qu'ils ont accompli et pour les œuvres bénéfiques qu'ils ont laissées après leur passage sur la terre. Nous prions afin que leur exemple soit suivi par de nombreuses personnes et qu'augmente le nombre des ouvriers dans la vigne du Seigneur. Que la face de la terre soit renouvelée (cf. Ps 103, 30) par la puissance de l'Esprit Saint, et que dans chaque lieu de la terre retentissent le cantique de la joie, et l'annonce de l'amour divin. Dieu est amour : Il nous a aimés le premier. Notre tâche est à présent de nous aimer les uns les autres, comme il nous a aimés. C'est ainsi que l'on reconnaîtra que nous sommes ses disciples. De là naît notre responsabilité : être des témoins crédibles. Les nouveaux bienheureux l'ont été. Qu'ils obtiennent pour nous de l'être aussi, afin

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que ce monde que nous aimons sache reconnaître dans le Christ l'unique véritable Sauveur !

10 mai 1997

« Je vous choisis comme dépositaires du message de renouveau »

Homélie lors de la Rencontre avec les jeunes

Dans l’après midi du 10 mai, au cours d’une rencontre de prière avec les jeunes sur le thème : « L’espérance ne déçoit pas », dans la Basilique Notre-Dame du Liban, à Harissa, Jean-Paul II a signé l’Exhortation apostolique post-synodale Une espérance nouvelle pour le Liban. Du balcon de la Basilique, le Pape a salué les jeunes réunis sur la place.

Nous publions ci-après les paroles improvisées du Pape ainsi que l’homélie prononcée également du balcon4 :

Alors quel Belo Horizonte ! Vous savez ce que cela veut dire : Belo Horizonte ? Vous le savez trop. Ah ! Ça se trouve au Brésil. Alors, c’était au Brésil, en 1980. La première fois que j’ai visité ce pays et que j’ai rencontré les jeunes dans la cité qui s’appelle Belo Horizonte et quand je les ai regardés, comme vous maintenant, je disais alors quel Belo Horizonte ! Dix-sept ans sont passés, aujourd’hui je me rappelle ce moment et je le répète : quel Belo Horizonte ! Le jour de Pentecôte : il faut que vous célébriez ce « happy birthday » ce jour, ce dimanche. Mais le programme aujourd’hui est prévu à l’intérieur, alors je pense qu’on va peut-être supporter cette chaleur là-bas, sinon on va revenir ici.

CHERS JEUNES DU LIBAN,

1. Je suis particulièrement heureux de vous rencontrer ce soir, au cours de mon voyage apostolique dans votre pays. Je remercie

4 Texte original français dans l’Osservatore Romano du 15 mai. Titre et sous-titre de la DC.

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tout d’abord le cardinal Nasrallah Pierre Sfeir, Patriarche d’Antioche des Maronites, pour ses paroles de bienvenue, ainsi que Mgr Habib Bacha, Président de la Commission épiscopale pour l’Apostolat des Laïcs, pour sa présentation de la jeunesse du Liban.

Chers jeunes, je suis particulièrement sensible aux paroles que, par l’intermédiaire de vos représentants, vous allez m’adresser avec franchise et confiance. Je comprends les aspirations qui vous animent et vos impatiences devant la situation quotidienne qui vous semble ne pas pouvoir changer. Je découvre ainsi les visages de garçons et de filles, qui, avec toute l’ardeur et l’élan de leur jeunesse, ont cependant le désir profond de se tourner vers l’avenir, en priant le Seigneur de leur donner force et courage, de leur communiquer son amour et son espérance, comme nous allons le demander dans la prière d’ouverture de notre célébration. Tout au long des années passées, je vous ai soutenus par la prière, demandant au Christ de vous assister dans votre marche vers la paix et dans votre vie personnelle et sociale.

2. Nous allons entendre le récit évangélique des disciples d’Emmaüs. Leur expérience peut vous aider, car elle ressemble à celle de chacun d’entre vous. Attristés par les événements de la Semaine sainte, désorientés par la mort de Jésus et déçus qu’ils ne réalisent pas leurs attentes, les deux disciples décident de quitter Jérusalem le jour de Pâques et de retourner dans leur village. L’espérance apportée par le Christ au cours des trois années passées avec lui sur la Terre sainte semble avoir été anéantie avec sa mort. Cependant, tout en marchant sur la route, les pèlerins d’Emmaüs se rappellent le message du Seigneur, message d’amour et de charité fraternelle, message d’espérance et de salut. Ils gardent dans leur cœur le souvenir des faits et gestes qu’il avait accomplis au long de sa vie publique, des bords du Jourdain au Golgotha, en passant par Tyr et par Sidon.

Chacun d’eux se souvient de paroles et de rencontres avec le Seigneur, qui manifestait sa tendresse, sa compassion et son amour à

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l’égard de tout être humain. Tous étaient frappés par son enseignement et par sa bonté. Au-delà de la souillure du péché, le Christ regardait la beauté intérieure de l’être créé à l’image de Dieu. Il savait percevoir le désir profond de vérité et la soif de bonheur qui habitent l’âme de chaque personne. Par son regard, sa main tendue et sa parole de réconfort, Jésus appelait chacun à se relever après la faute, car toute personne a une valeur qui dépasse ce qu’elle a fait et il n’y a pas de péché qui ne puisse être pardonné. En se remémorant tout cela, les disciples commencent ainsi à méditer la Bonne Nouvelle apportée par le Messie.

Au cours de leur marche sur la route d’Emmaüs, alors qu’ils contemplaient la personne du Christ, sa parole et sa vie, les disciples sont rejoints par le Ressuscité lui-même, qui leur dévoile la profondeur des Écritures et leur fait découvrir le dessein de Dieu. Les événements de Jérusalem, la mort sur la Croix et la résurrection, apportent le salut à tout homme. La mort a été vaincue, le chemin de la vie éternelle est définitivement ouvert. Mais les deux hommes ne reconnaissent pas encore le Seigneur. Leur cœur est obscurci et troublé. Ce n’est qu’au terme de la route, lorsque Jésus leur partage le pain, lorsqu’il refait le geste de la Cène, mémorial de son sacrifice, que leurs yeux s’ouvrent pour accueillir la vérité : Jésus est ressuscité ; il les précède sur les chemins du monde. L’espérance n’est pas morte. Aussitôt, ils retournent à Jérusalem annoncer la Bonne Nouvelle. Forts de ces promesses, nous savons nous aussi que le Christ est vivant et réellement présent au milieu de ses frères, tous les jours et jusqu’à la fin des temps.

3. Le Christ refait sans cesse cette marche d’Emmaüs, cette marche synodale avec son Église ; en effet, le mot synode veut dire faire route ensemble. Il l’a refaite avec les pasteurs de l’Église catholique au Liban, au cours de l’Assemblée spéciale qui s’est tenue à Rome en novembre et en décembre 1995. Chers jeunes, il veut aussi la refaire avec vous, parce que le synode des évêques pour le Liban était fait pour vous : l’avenir, c’est vous. Lorsque vous accomplissez votre tâche quotidienne, dans l’étude ou le travail,

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lorsque vous servez vos frères, lorsque vous partagez vos doutes et vos espérances, lorsque vous méditez l’Écriture, seuls ou en Église, lorsque vous participez à l’Eucharistie, le Christ vous rejoint ; il chemine à vos côtés ; il est votre force, votre nourriture et votre lumière.

Chers jeunes, dans votre vie de tous les jours, n’ayez pas peur de vous laisser rejoindre par le Christ à l’image des disciples d’Emmaüs. Dans votre vie personnelle, dans la vie ecclésiale, le Seigneur vous accompagne et met en vous son espérance. Le Christ a confiance en vous, pour être responsables de votre propre existence et de celle de vos frères et sœurs, de l’avenir de l’Église au Liban et de l’avenir de votre pays. Aujourd’hui et demain, Jésus vous invite à quitter vos sentiers, pour faire route avec Lui, unis avec tous les fidèles de l’Église catholique et avec tout le peuple libanais.

Les changements doivent d’abord être dans les cœurs

4. Alors acceptez-vous de suivre le Christ ? Si vous acceptez de suivre le Christ et de vous laisser saisir par lui, il vous montrera que le mystère de sa mort et de sa résurrection est la clé de lecture par excellence de la vie chrétienne et de la vie humaine. En effet, dans toute existence, il y a des temps où Dieu semble faire silence comme dans la nuit du Jeudi saint ; des temps de détresse comme le jour du Vendredi saint où Dieu semble abandonner ceux qu’il aime ; des temps de lumière comme à l’aube du matin de Pâques qui a vu la victoire définitive de la vie sur la mort. À l’exemple du Christ qui a remis sa vie entre les mains du Père, c’est en mettant votre confiance en Dieu que vous ferez de grandes choses. Car, si nous comptons uniquement sur nous-mêmes, nos projets font trop souvent apparaître des intérêts particuliers et partisans. Mais tout peut changer lorsque l’on compte d’abord sur le Seigneur, qui vient transformer, purifier et pacifier l’être intérieur. Les changements auxquels vous aspirez sur votre terre nécessitent d’abord et avant tout des changements dans les cœurs.

5. En effet, il vous appartient de faire tomber les murs qui ont

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pu s’édifier pendant les périodes douloureuses de l’histoire de votre nation ; n’élevez pas de nouveaux murs au sein de votre pays. Au contraire, il vous revient de construire des ponts entre les personnes, entre les familles et entre les différentes communautés. Dans votre vie quotidienne, puissiez-vous poser des gestes de réconciliation, pour passer de la méfiance à la confiance ! Il vous revient aussi de veiller à ce que chaque Libanais, en particulier chaque jeune, puisse participer à la vie sociale, dans la maison commune. Ainsi naîtra une nouvelle fraternité et se tisseront des liens solides, car pour l’édification du Liban, l’arme principale et déterminante est celle de l’amour. En puisant dans la vie intime avec le Seigneur, source de l’amour et de la paix, vous serez à votre tour des artisans de paix et d’amour. À cela, nous dit l’Apôtre, nous serons reconnus comme ses disciples.

Vous êtes la richesse du Liban, vous qui avez soif de paix et de fraternité, et qui avez le désir de vous engager chaque jour pour cette terre à laquelle vous êtes profondément attachés. Avec vos parents, vos éducateurs et tous les adultes qui ont des fonctions sociales et ecclésiales, vous avez à préparer le Liban de demain, pour en faire un peuple uni, avec sa diversité culturelle et spirituelle. Le Liban est un héritage plein de promesses. Attachez-vous à acquérir une solide éducation civique et morale, pour prendre pleinement conscience de vos responsabilités dans la reconstruction nationale. Parmi les éléments qui créent l’unité au sein d’une nation, il y a le sens du dialogue avec tous ses frères, dans le respect des sensibilités spécifiques et des différentes histoires communautaires. Loin d’éloigner les personnes les unes des autres, cette attitude fondamentale d’ouverture est un des éléments moraux essentiels de la vie démocratique et un des moyens essentiels du développement des solidarités, pour recomposer le tissu social et pour donner un nouvel élan à la vie nationale.

Ne pas oublier l’identité chrétienne

6. Pour vous manifester mon estime et ma confiance, dans un

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instant à la fin de l’homélie, je signerai devant vous l’Exhortation apostolique post-synodale. Par vos réflexions, vous avez apporté une contribution notable à la préparation de l’Assemblée, où vous avez été représentés et entendus. Aujourd’hui, je vous choisis comme témoins privilégiés et comme dépositaires du message de renouveau dont l’Église et votre pays ont besoin. Je vous exhorte à prendre avec ardeur une part active à la mise en œuvre des orientations de l’Assemblée synodale. Avec les Patriarches et les évêques, pasteurs du troupeau, avec les prêtres, les religieux et les religieuses, et l’ensemble du peuple chrétien, vous avez la charge d’être les témoins du Ressuscité, par la parole et par toute votre vie. Dans la communauté chrétienne, chacun de vous est appelé à avoir une part de sa responsabilité. En écoutant le Christ qui vous appelle et qui veut faire réussir votre existence, vous répondrez à votre vocation particulière, dans le sacerdoce, la vie consacrée ou le mariage. Dans chaque état de vie, s’engager à suivre le Seigneur est source de grande joie.

L’église dans laquelle nous sommes se trouve au sommet de la montagne : elle est visible pour les habitants de Beyrouth et de la région, et pour les visiteurs qui arrivent sur votre terre ; ainsi, que votre témoignage soit pour vos compagnons un exemple éclairant ! N’oubliez pas votre identité chrétienne et votre condition de disciples du Seigneur. C’est votre gloire ; c’est votre espérance ; c’est votre mission. Recevez l’Exhortation comme un don que l’Église universelle fait à l’Église au Liban et à votre pays, avec la certitude que votre dynamisme et votre courage seront à l’origine de transformations profondes en vous et dans l’ensemble de la société. Mettez votre foi et votre espérance dans le Christ. En lui, vous ne serez pas déçus.

7. Demandons à la Vierge Marie, Notre-Dame du Liban, de veiller sur votre pays et sur ses habitants, et de vous assister de sa tendresse maternelle, pour être les dignes héritiers des saints de votre terre et pour faire refleurir le Liban, ce pays qui fait partie des Lieux saints que Dieu aime, parce qu’il est venu y faire sa demeure et nous

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rappeler que nous avons à construire la cité terrestre, en ayant les yeux fixés sur les valeurs du Royaume.

Alors, je dois vous dire que vous avez suivi le discours avec attention. Et je dois vous dire que je vous ai suivis aussi : est-ce qu’ils réagissent au moment juste ? Est-ce qu’ils applaudisent quand il faut applaudir ? Alors, j’ai constaté tout cela. Comme ça votre examen est réussi ! Et maintenant on doit retourner dans la basilique, dans l’église pour célébrer la partie liturgique. Vous devez encore y participer et à la fin je reviendrai ici vous voir !

11 mai 1997

Les souffrances passées fortifieront la liberté et l’unité

Homélie lors de la célébration eucharistique à Beyrouth

Environ 500 000 personnes ont participé à la célébration eucharistique, présidée par Jean-Paul II, le dimanche 11 mai sur l’esplanade de la Base navale de Beyrouth, pour la conclusion du Synode libanais.

Au début de la célébration, le cardinal Nasrallah Pierre Sfeir a adressé au Pape un discours d’hommage. Le Pape a ensuite prononcé l’homélie ci-après5.

À la fin de la célébration, Jean-Paul II a récité le Regina caeli au cours duquel il a confié tous les Libanais à Notre-Dame du Liban.

1. Aujourd’hui, je salue le Liban. Depuis longtemps, je désirais venir, et pour tant de raisons ! J’arrive dans votre pays seulement en ce jour, pour conclure l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Évêques. Il y a près de deux ans, l’Assemblée synodale a mené ses travaux à Rome. Mais sa partie solennelle, la publication du document post-synodal, a lieu maintenant, au Liban. Ces circonstances me permettent d’être sur votre terre, pour la première

5 Texte original français dans l’Osservatore Romano du 15 mai. Titre et sous-titre de la DC.

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fois, et de vous dire l’amour que l’Église et le Siège apostolique portent à votre nation, à tous les Libanais : les catholiques des différents rites maronite, melkite, arménien, chaldéen, syrien, latin, les fidèles appartenant aux autres Églises chrétiennes, ainsi que les musulmans et les druzes, qui croient au Dieu unique. Du fond du cœur, je vous salue tous, en cette circonstance si importante. Nous voulons maintenant présenter à Dieu les fruits du Synode pour le Liban.

Je remercie Monsieur le cardinal Nasrallah Pierre Sfeir, Patriarche maronite, pour les paroles d’accueil qu’il m’a adressées en votre nom à tous. Je remercie aussi les Cardinaux qui m’accompagnent ; ils soulignent par leur présence l’attachement du Siège apostolique au Liban. Je salue les Patriarches et les évêques présents, ainsi que toutes les personnes qui ont pris part aux travaux du Synode pour le Liban. C’est pour moi une joie de saluer les distingués représentants des autres Églises et Communautés ecclésiales, les Patriarches et notamment les délégués fraternels au Synode, qui ont bien voulu s’associer à cette fête de leurs frères catholiques. J’adresse aussi aux personnalités musulmanes et druzes un très cordial salut.

Avec déférence, j’exprime ma gratitude à Son Excellence le Président de la République, à Son Excellence le Président du Parlement, à Son Excellence le Président du Conseil des Ministres, ainsi qu’aux Autorités de l’État pour leur présence à cette célébration liturgique.

2. Dans cette assemblée exceptionnelle, nous voulons dire au monde l’importance du Liban, sa mission historique, accomplie au long des siècles : pays de nombreuses confessions religieuses, il a montré que ces différentes confessions peuvent vivre ensemble dans la paix, la fraternité et la collaboration ; il a montré que l’on peut respecter le droit de tout homme à la liberté religieuse ; que tous sont unis dans l’amour pour cette patrie qui a mûri au cours des siècles, gardant l’héritage spirituel de leurs pères, notamment du moine saint

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Maron.

Une paix juste et permanente au Moyen-Orient

3. Nous sommes ici dans la région que foulèrent les pieds du Christ, Sauveur du monde, il y a deux mille ans. La sainte Écriture nous apprend que Jésus alla prêcher au-delà des limites de la Palestine d’alors, qu’il visita aussi le territoire des dix cités de la Décapole, Tyr et Sidon en particulier, et qu’il y accomplit des miracles. Libanais et Libanaises, le Fils de Dieu lui-même fut le premier évangélisateur de vos ancêtres. C’est un privilège extraordinaire. Parlant de Tyr et de Sidon, je ne peux pas omettre de mentionner les grandes souffrances que connaissent leurs populations. Je demande aujourd’hui à Jésus de mettre fin à ces douleurs. Et j’implore de Lui la grâce d’une paix juste et permanente au Moyen-Orient, dans le respect des droits et des aspirations de tous.

En écoutant l’Évangile de ce jour, l’Évangile des huit Béatitudes dans le Sermon sur la Montagne, nous ne pouvons pas oublier que l’écho de ces paroles du salut, prononcées un jour en Galilée, était tôt parvenu jusqu’ici. Les auteurs de l’Ancien Testament se tournaient souvent dans leurs écrits vers les monts du Liban et de l’Hermon, qu’ils voyaient à l’horizon. Le Liban est donc un pays biblique. Se trouvant tout proche des lieux où Jésus accomplit sa mission, il fut parmi les premiers pays à recevoir la Bonne Nouvelle que vos ancêtres ont reçue de la bouche du Sauveur.

Assurément, vos ancêtres ont appris par la prédication apostolique, en particulier par les missions de saint Paul, l’histoire du salut, les événements qui se sont succédé du dimanche des Rameaux au Vendredi saint et au Dimanche de Pâques. Le Christ a été crucifié, mis au tombeau, mais il est ressuscité le troisième jour. Le Mystère pascal de Jésus Christ constitue le cœur même de l’histoire du salut, comme le montre bien, à la Messe, l’acclamation paulinienne après la consécration : « Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire ».

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Toute l’Église attend sa venue, en Orient et en Occident. Les fils et les filles du Liban attendent son nouvel avènement. Nous vivons tous l’Avent des derniers temps de l’histoire et nous cherchons tous à préparer la venue du Christ, à édifier le Règne de Dieu qu’il a annoncé.

4. La première lecture de cette liturgie, dans les Actes des Apôtres, nous rappelle la période qui a suivi l’Ascension du Christ au ciel, lorsque les Apôtres, selon sa recommandation, retournèrent au Cénacle et y demeurèrent en prière, avec la Mère de Jésus et les frères et sœurs de la communauté primitive qui fut le premier noyau de l’Église (cf. 1, 12-14). Chaque année, après l’Ascension, l’Église revit cette première neuvaine, la neuvaine au Saint-Esprit. Les Apôtres, rassemblés au Cénacle, avec la Mère du Christ, prient pour que s’accomplisse la promesse que leur a faite le Christ ressuscité : « Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit, qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins » (Ac 1, 8). Cette première neuvaine apostolique à l’Esprit Saint est le modèle de ce que fait l’Église chaque année.

L’Église prie : Veni, Creator Spiritus ! « Viens, ô Esprit créateur ! Visite les âmes de tes fidèles ; Emplis de la grâce d’en haut les cœurs qui sont tes créatures… ».

Je redis avec émotion cette prière de l’Église universelle avec vous, chers Frères et Sœurs, fils et filles du Liban. Nous avons confiance : l’Esprit Saint renouvellera le visage de votre terre. « Et renovabis faciem terrae ».

5. Dans la Lettre que nous lisons aujourd’hui, saint Pierre écrit : « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révélera. Si l’on vous insulte au nom du Christ, heureux êtes-vous, puisque l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu, repose sur vous » (1 P 4, 13-14).

On a souvent parlé du « Liban martyr », surtout dans la période

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de guerre qui a marqué votre pays voici plus de dix ans. Dans ce contexte historique, les paroles de saint Pierre concernent tous ceux qui ont souffert sur cette terre. L’Apôtre écrit : « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous », parce que l’Esprit de Dieu repose sur vous, et c’est l’Esprit de gloire (cf. ibid.). Je n’oublie pas que nous sommes rassemblés près du cœur historique de Beyrouth, la Place des Martyrs ; mais vous l’avez nommée aussi Place de la Liberté et Place de l’Unité. J’en suis sûr, les souffrances des années passées ne seront pas vaines ; elles fortifieront votre liberté et votre unité.

Aujourd’hui, la parole de Jésus inspire notre prière. Nous prions pour que ceux qui pleurent soient consolés, pour que les miséricordieux obtiennent miséricorde (cf. Mt 5, 5.7), pour que, recevant le pardon du Père, tous acceptent de pardonner les offenses à leur tour. Prions pour que les fils et les filles de cette terre soient heureux d’être des artisans de paix et d’être appelés fils de Dieu (cf. Mt 5, 9). Si, par la souffrance, nous participons à la Passion du Christ, nous aurons aussi part à sa gloire.

6. L’Esprit Saint, l’Esprit de Jésus Christ, est un Esprit de gloire. Prions aujourd’hui pour que cette gloire divine enveloppe tous ceux qui connaissent la souffrance sur la terre libanaise. Prions pour qu’elle devienne un germe de force spirituelle pour vous tous, pour l’Église et pour la nation, afin que le Liban puisse remplir son rôle au Proche-Orient, parmi les nations voisines et avec toutes les nations du monde.

Esprit de Dieu, mets ta lumière et ton amour dans les cœurs pour achever la réconciliation entre les personnes, au sein des familles, entre voisins, dans les villes et les villages et au sein des institutions de la société civile !

Esprit de Dieu, que ta force réunisse tous les fils de cette terre pour qu’ils marchent ensemble avec courage et ténacité sur le chemin de la paix, de la convivialité, dans le respect mutuel de la dignité et de la liberté des personnes, pour l’épanouissement de chacun et pour

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le bien du pays tout entier !

Esprit de Dieu, donne aux familles libanaises de développer les dons de grâce du mariage ! Donne aux jeunes de bâtir leur personnalité avec confiance et de prendre conscience de leurs responsabilités dans l’Église et dans la cité !

Esprit de Dieu, accorde aux fidèles du Liban d’affermir l’unité de chacune des Églises patriarcales, de toute l’Église catholique au Liban ! Aide-les à faire de nouveaux pas sur les chemins de la pleine unité de tous ceux qui ont reçu le don de la foi au Christ Sauveur ! Esprit de Dieu, « Toi qu’on appelle Conseiller, Source vive, Feu, Charité », manifeste en ce peuple les fruits attendus de l’Assemblée synodale ! Esprit de lumière et d’amour, sois pour les fils et les filles du Liban source de force, de force spirituelle, spécialement à cette heure, au seuil du troisième millénaire du christianisme ! Viens Esprit de Dieu. Veni, Sancte Spiritus ! Amen.

29 mai 1997

Le mystère du Corps et du Sang du Christ

Un mystère qui est sacrement du don, sacrement de l'amour du Christ poussé à l'extrême

Dans l'après-midi du 29 mai 1997, en la solennité du Corpus Domini, le Pape Jean-Paul II a célébré une Sainte Messe sur le parvis de la basilique Saint-Jean-de-Latran. Il s'est ensuite rendu en procession dans les rues de Rome jusqu'à la basilique Sainte-Marie-Majeure. Au cours de la célébration eucharistique, le Saint-Père. a. prononcé. l'homélie. suivante :

1. « Ceci est mon corps, qui est pour vous. [...] cette. coupe. est. la nouvelle Alliance en mon sang [...] faites-le en mémoire de moi » (1 Co 11, 24-25).

La liturgie d'aujourd'hui commémore le grand mystère de l'Eucharistie, en faisant clairement référence au Jeudi Saint. Lors du

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dernier Jeudi Saint, nous nous trouvions ici, dans la basilique Saint-Jean-de-Latran, comme chaque année, pour commémorer la Cène du Seigneur. Au terme de la Sainte Messe in « Cena Domini » s'est déroulée la brève procession qui accompagne le Très Saint Sacrement dans la chapelle du reposoir, où il est resté jusqu'à la Veillée pascale solennelle. Aujourd'hui, nous nous apprêtons à effectuer une procession bien plus solennelle, qui nous conduira dans les rues de la ville.

En la fête de ce jour, les paroles de Jésus prononcées au Cénacle nous aident à revivre les mêmes sentiments que lors du Jeudi Saint : « Prenez, ceci est mon corps », « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui va être répandu pour une multitude » (Mc 14, 22.24). Ces paroles, qui viennent d'être proclamées, nous font pénétrer davantage encore dans le mystère du Verbe de Dieu incarné qui, sous les espèces du pain et du vin, se donne à chaque homme, comme nourriture et boisson de salut.

2. Jean, lors du chant qui précède l'Évangile, offre une clef de lecture significative des paroles du divin Maître, en rapportant ce qu'Il dit de lui-même, près de Capharnaüm : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais » (Jn 6, 51).

Ainsi, dans les lectures d'aujourd'hui, nous trouvons la plénitude du sens du mystère du salut. Si la première, tirée de l'Exode (cf. Ex 24, 3-8), nous renvoie à l'Ancienne Alliance stipulée entre Dieu et Moïse, à travers le sang d'animaux sacrifiés, il est rappelé dans l'Épître aux Hébreux que le Christ « entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang » (9, 11-15).

C'est pourquoi la solennité d'aujourd'hui nous aide à donner au Christ la place centrale qui lui revient dans le dessein divin concernant l'humanité, et elle nous encourage à configurer toujours davantage notre vie, à Lui, Prêtre Suprême et Éternel.

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3. Mystère de la foi ! Au cours des siècles, la solennité d'aujourd'hui a été l'objet d'attentions particulières dans les diverses traditions du peuple chrétien. Combien de manifestations religieuses sont-elles nées autour du culte eucharistique ! Des théologiens et des pasteurs se sont efforcés de faire comprendre à travers la langage des hommes le mystère ineffable de l'Amour divin.

Parmi ces voix autorisées, une place particulière est occupée par le grand Docteur de l'Église, saint Thomas d'Aquin, qui, dans ses compositions poétiques, chante avec un élan inspiré les sentiments d'adoration et d'amour du croyant face au mystère du Corps et du Sang du Seigneur. Il suffit de penser au célèbre « Pange, lingua », qui constitue une profonde méditation sur le mystère eucharistique, mystère du corps et du sang du Seigneur - « gloriosi Corporis misterium, Sanguinisque pretiosi ».

Il y a également le cantique « Adoro te, devote », qui est une invitation à adorer le Dieu caché sous les espèces eucharistiques : Latens Deitas, quae sub his figuris vere latitas : Tibi se cor meum totum subjicit ! Oui, tout notre cœur s'abandonne à Toi, ô Christ, car celui qui accueille ta parole, découvre la plénitude du sens de la vie et trouve la paix véritable —... quia te contemplans totum deficit.

4. L'action de grâce pour un don aussi extraordinaire jaillit spontanément du cœur : « Comment rendrai-je à Yahvé tout le bien qu'il m'a fait », Quid retribuam Domino pro omnibus, quae retribuit mihi ? » (Ps 115 [116], 12). Les paroles du psalmiste peuvent être prononcées par chacun de nous, conscients du don inestimable que le Seigneur nous a fait avec le Sacrement eucharistique.

« Élevons le calice du salut et invoquons le nom du Seigneur » : cette attitude de louange et d'adoration se répète aujourd'hui dans les prières et dans les chants de l'Église sur tous les lieux de la terre.

Elle se retrouve ce soir ici, à Rome, où l'héritage spirituel des Apôtres Pierre et Paul est vivant. Nous allons bientôt entonner encore

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une fois l'ancien cantique d'adoration et de louange, en marchant dans les rues de la ville, à partir de cette basilique vers celle de Sainte-Marie-Majeure. Nous répéterons avec dévotion :

Pange, lingua, gloriosi...Tous les peuples, proclamezle mystère du Seigneur !

Et aussi :

Nobis datus, nobis natusEx intacta Virgine...Il nous a été donné du sein d'une mère pure,il s'incarna pour nous tous...In supremae nocte coenaeRecumbens cum fratribus...La nuit de la dernière Cène,il se trouvait avec ses frères...Cibum turbae duodenaeSe dat suis manibus.Aux apôtres émerveillés,il se donna de ses mains en nourriture.

5. Sacrement du don, sacrement de l'amour du Christ poussé à l'extrême : « in finem dilexit » (Jn 13, 1). Le Fils de Dieu se donne lui-même. Sous les espèces du pain et du vin, il donne son Corps et son Sang, incarnés à travers Marie, Mère virginale. Il donne sa divinité et son humanité, pour nous enrichir de façon inexprimable.

Tantum ergo SacramentumVeneremur cernui...Adorons le Sacrementque Dieu le Père nous donna.

Amen.

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31 mai 1997

L’Eucharistie est le cœur de l’Église et la vraie liberté de l’homme

Homélie à Wroclaw pour la clôture du 46e

Congrès eucharistique international

Après avoir rencontré dans l’après-midi du 31 mai le clergé, les religieux et religieuses dans la cathédrale de Wroclaw, le Pape a effectué une visite de courtoisie au président de la République. Puis il a présidé une rencontre œcuménique de prière dans la « Hala Ludowa » (Salle du peuple) de la ville. Devant une foule immense, Jean-Paul II a clôturé le dimanche 1er juin, à 10 h, sur une esplanade dans le centre de Wroclaw, le 46e Congrès eucharistique international. Il a prononcé à cette occasion l’homélie suivante6. Dans l’après-midi, le Pape a rencontré au grand séminaire les membres des diverses Délégations venues du monde entier assister au Congrès eucharistique.

1. La « Statio Orbis »

Voici que le 46e Congrès eucharistique international arrive à son point culminant : la Statio Orbis ! Autour de cet autel, l’Église de tous les continents du globe terrestre se réunit aujourd’hui spirituellement. Devant le monde entier, elle veut faire, une fois encore, sa solennelle profession de foi en l’Eucharistie et chanter l’hymne d’action de grâce pour ce don ineffable de l’amour divin. Vraiment, « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1). L’Eucharistie est la source et le sommet de la vie de l’Église (cf. Sacrosanctum Concilium,

10). L’Église vit de l’Eucharistie, elle puise en elle les énergies spirituelles pour accomplir sa mission. C’est l’Eucharistie qui lui donne la vigueur pour grandir et être unie. L’Eucharistie est le cœur

6 Texte original polonais dans l’Osservatore Romano du 13 juin. Traduction, d’après la version italienne dans l’Osservatore Romano des 2-3 juin, et titre de la DC.

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de l’Église.

Ce Congrès s’inscrit de manière organique dans le contexte du grand Jubilé de l’An 2000. Dans le programme de préparation spirituelle au Jubilé, cette année est consacrée à une contemplation particulière de la Personne de Jésus-Christ : « Jésus-Christ, l’unique Sauveur du monde hier, aujourd’hui et à jamais » (cf. He 13, 8). Cette profession de foi eucharistique de toute l’Église pouvait-elle ne pas avoir lieu en une telle année ?

Dans l’itinéraire des Congrès eucharistiques, qui traverse tous les continents, c’est Wroclaw qui a été choisi cette fois, la Pologne, l’Europe du Centre-Est. Les changements qui se sont produits ici ont inauguré une nouvelle époque dans l’histoire du monde contemporain. L’Église veut de cette manière rendre grâce au Christ pour le don de la liberté retrouvée par toutes ces nations qui ont tant souffert dans les années de contrainte totalitaire. Le Congrès se déroule à Wroclaw, ville riche en histoire, en traditions de vie chrétienne. L’archidiocèse de Wroclaw se prépare à célébrer son millénaire. Wroclaw est une ville située presque au point de rencontre de trois pays qui, par leur histoire, sont profondément unis entre eux. C’est en un certain sens une ville de rencontre, la ville qui unit. Ici se rencontrent d’une certaine manière les traditions spirituelles de l’Orient et de l’Occident. Tout cela confère une éloquence particulière à ce Congrès eucharistique et spécialement à cette Statio Orbis. J’embrasse du regard et par le cœur notre grande communauté eucharistique, dont le caractère est authentiquement international, mondial. L’Église universelle est aujourd’hui présente à Wroclaw par l’intermédiaire de ses représentants. J’adresse un salut particulier à tous les cardinaux, archevêques et évêques qui sont ici présents, à commencer par mon Légat au Congrès, M. le cardinal Angelo Sodano, mon Secrétaire d’État. Je salue l’épiscopat polonais sous la présidence du cardinal Primat. Je salue M. le cardinal Henryk Gulbinowicz, Pasteur de l’Église de Wroclaw, qui a assumé avec tant de magnanimité la tâche d’accueillir un grand événement comme l’est ce Congrès. La joie de cette célébration se fait encore plus

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grande avec la participation d’autres frères chrétiens. Je les remercie d’être venus s’associer à notre louange et à notre supplication. Je remercie les Églises orthodoxes qui ont décidé d’envoyer leurs représentants et, parmi eux, je remercie tout spécialement le cher métropolite Damaskinos, qui représente ici mon frère bien-aimé, le Patriarche œcuménique, Bartholomeos Ier. Cette présence est un témoignage de notre foi et affermit notre espérance de voir surgir le jour où nous pourrons, dans la pleine fidélité à la volonté de notre unique Seigneur, communier ensemble au même calice.

Je donne la bienvenue et je salue les prêtres, les familles religieuses masculines et féminines. Je vous salue tous, chers concitoyens de toute la Pologne. Je salue aussi tous ceux qui, en ce moment, s’unissent spirituellement à nous par la radio ou la télévision, dans le monde entier. Vraiment, c’est une authentique Statio Orbis ! Devant cette assemblée eucharistique aux dimensions planétaires qui, en cet instant, entoure l’autel, il est difficile de résister à une profonde émotion.

2. Le « Mystère de la foi »

Pour scruter à fond le mystère de l’Eucharistie, il nous faut toujours retourner au Cénacle où, le soir du Jeudi saint, se déroula la dernière Cène. Dans la liturgie de ce jour, saint Paul parle précisément de l’institution de l’Eucharistie. Il semble que ce soit le plus ancien texte concernant l’Eucharistie, précédant le récit même des Évangélistes. Dans sa Lettre aux Corinthiens, Paul écrit : « La nuit même où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit et dit : “Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de moi”. Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : “Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi”« (1 Co 11, 23-26). Ces paroles contiennent l’essence même du mystère eucharistique. Nous y retrouvons ce dont nous sommes chaque jour les témoins et les participants quand nous célébrons et recevons l’Eucharistie. Au Cénacle, Jésus accomplit la consécration.

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En vertu de ses paroles, le pain – conservant sa forme extérieure de pain – devient son Corps, et le vin – gardant sa forme extérieure de vin – devient son Sang. Voici le grand mystère de la foi !

En célébrant ce mystère, non seulement nous renouvelons ce que le Christ a fait au Cénacle, mais nous entrons aussi dans le mystère de sa mort. « Nous annonçons ta mort ! », la mort rédemptrice. « Nous célébrons ta résurrection ! ». Nous participons au Triduum sacré et à la nuit de Pâques. Nous participons au mystère salvifique du Christ et nous sommes dans l’attente de sa venue dans la gloire. Avec l’institution de l’Eucharistie, nous sommes entrés dans le temps ultime, le temps de l’attente de la seconde venue, définitive, du Christ, quand adviendra le jugement du monde et lorsque s’accomplira l’œuvre de la Rédemption. De tout cela, l’Eucharistie ne fait pas que parler. Dans l’Eucharistie, tout cela est célébré, tout cela s’accomplit par elle. Vraiment, l’Eucharistie est le grand sacrement de l’Église. L’Église célèbre l’Eucharistie et, en même temps, l’Eucharistie fait l’Église.

3. « Je suis le pain vivant » (Jn 6, 51)

Le message de l’Évangile de Jean complète le cadre liturgique de ce grand mystère eucharistique que nous célébrons aujourd’hui comme sommet du Congrès eucharistique international de Wroclaw. Les paroles de l’Évangile de Jean sont la grande annonce de l’Eucharistie, après le miracle de la multiplication des pains dans les environs de Capharnaüm. Anticipant d’une certaine manière sur le moment venu, avant même que fût instituée l’Eucharistie, le Christ a révélé ce qu’elle était. Il dit ainsi : « Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie » (Jn 6, 51).

Et quand ces paroles provoquèrent la protestation de beaucoup de ceux qui les écoutaient, Jésus dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’Homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange

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ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi je demeure en lui » (Jn 6, 53-56).

Ce sont là des paroles qui concernent l’essence même de l’Eucharistie. Le Christ est venu dans le monde pour faire don à l’homme de la vie divine. Non seulement il a annoncé la Bonne Nouvelle, mais il a aussi institué l’Eucharistie qui doit rendre présent jusqu’à la fin des temps son mystère rédempteur. Et il a choisi pour moyen d’expression les éléments de la nature, le pain et le vin, la nourriture et la boisson que l’homme doit consommer pour rester en vie. L’Eucharistie est précisément cette nourriture et cette boisson. Cette nourriture contient en elle toute la puissance de la Rédemption opérée par le Christ. Pour vivre, l’homme a besoin de nourriture et de boisson. Pour parvenir à la vie éternelle, l’homme a besoin de l’Eucharistie. C’est la nourriture et la boisson qui transforment la vie de l’homme et qui font entrevoir l’horizon de la vie éternelle. En consommant déjà ici, sur terre, le Corps et le Sang du Christ, l’homme porte en lui le germe de la vie éternelle, puisque l’Eucharistie est le sacrement de la vie en Dieu. Le Christ dit : « De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi » (Jn 6, 57).

4. « Les yeux sur toi, tous ils espèrent, et tu leur donnes la nourriture au temps voulu » (Ps 144, 15)

Dans la première lecture de la liturgie de ce jour, Moïse nous parle de Dieu qui nourrit son peuple au cours de la marche à travers le désert vers la terre promise : « Souviens-toi de tout le chemin que le Seigneur ton Dieu t’a fait faire pendant quarante ans dans le désert, afin de t’humilier, de t’éprouver et de connaître le fond de ton cœur […]. Dans le désert, il t’a donné à manger la manne, inconnue de tes pères, afin de t’humilier et de t’éprouver pour que ton avenir soit heureux ! » (Dt 8, 2. 26). L’image d’un peuple en marche dans le désert, qui ressort de ces paroles, nous parle aussi à nous qui nous

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approchons de la fin du second millénaire de la naissance du Christ. Dans cette image trouvent place tous les peuples et nations de la terre, et spécialement ceux qui souffrent de la faim.

Au cours de cette Statio Orbis, nous devons avoir présente à l’esprit toute la « géographie de la faim », qui comprend de nombreuses zones de la terre. En ce moment, des millions de nos frères et sœurs souffrent de la faim, et beaucoup d’entre eux en meurent, spécialement les enfants ! À l’époque d’un développement que l’on n’avait encore jamais connu, de la technique et de la technologie avancée, le drame de la faim est un grand défi et une grande accusation ! La terre est en mesure de nourrir toutes les personnes. Pourquoi donc aujourd’hui, à la fin du XXe siècle, des milliers d’hommes meurent-ils de faim ? Un sérieux examen de conscience à l’échelle mondiale est ici nécessaire, un examen de conscience qui concerne la justice sociale, l’élémentaire solidarité entre tous les hommes.

Il est opportun de rappeler ici la vérité fondamentale que la terre appartient à Dieu, et Dieu a remis entre les mains de l’homme toutes les richesses qu’elle contient pour qu’il les utilise d’une manière juste et qu’elles servent au bien de tous. Telle est la destination des biens créés. C’est en ce sens que se prononce la loi elle-même de la nature. Au cours de ce Congrès eucharistique, nous ne pouvons manquer d’élever une supplication dans la solidarité, au nom de tous ceux qui souffrent de la faim, pour qu’ils obtiennent du pain. Nous l’adressons d’abord à Dieu, qui est le Père de tous : « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ! ». Mais nous l’adressons aussi aux hommes de la politique et de l’économie, sur lesquels pèse la grave responsabilité d’une juste distribution des biens tant à l’échelle mondiale que nationale : il faut enfin mettre fin à cette plaie qu’est la faim ! Que la solidarité l’emporte sur le désir effréné du profit et sur ces applications des lois du marché qui ne tiennent pas compte des droits humains imprescriptibles.

Une petite part de responsabilité dans cette injustice pèse sur

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chacun d’entre nous. D’une certaine manière, chacun d’entre nous côtoie la faim et la misère d’autrui. Sachons partager le pain avec ceux qui n’en ont pas, ou qui en ont moins que nous ! Sachons ouvrir nos cœurs aux besoins de nos frères et de nos sœurs qui souffrent à cause de la misère et de l’indigence ! Ils ont parfois honte de l’admettre et cachent leur misère. Nous devons leur tendre, dans la discrétion, une main fraternelle. Telle est aussi la leçon que nous donne l’Eucharistie, Pain de Vie. C’est ce qu’avait repris d’une manière très éloquente le saint Frère Albert, le poverello de Cracovie, qui consacra sa vie au service des plus démunis. Il disait souvent : « Nous devons être bons comme le pain, qui est la table à la disposition de tous, ce pain dont chacun peut prendre une bouchée et se nourrir s’il a faim ».

5. « Le Christ nous a libérés, pour que nous soyons vraiment libres » (Ga 5, 1)

Le thème de ce 46e Congrès eucharistique international de Wroclaw est celui de la liberté. La liberté a une saveur particulière, spécialement ici, en cette partie de l’Europe, douloureusement éprouvée pendant de longues années parce qu’elle en fut privée par les totalitarismes nazi et communiste. Déjà le mot lui-même « liberté » provoque une palpitation plus forte du cœur. Et cela certainement parce que, pendant les décennies passées, il fallait payer pour la liberté un prix très élevé. Profondes sont les blessures qui demeurent dans les âmes après cette époque. Il faudra beaucoup de temps encore avant qu’elles puissent se cicatriser.

Le Congrès nous exhorte à regarder la liberté de l’homme dans la perspective de l’Eucharistie. Dans l’hymne du Congrès, nous chantons : « Tu nous as laissé le don de l’Eucharistie pour remettre de l’ordre dans notre liberté intérieure ». C’est une affirmation tout à fait essentielle. Nous parlons ici de « l’ordre de la liberté ». Oui, la liberté véritable exige l’ordre. Mais de quel ordre s’agit-il ? Il s’agit avant tout de l’ordre moral, de l’ordre vu dans la sphère des valeurs, de l’ordre de la vérité et du bien. Dans une situation de vide dans le

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domaine des valeurs, quand, dans la sphère morale, règnent le chaos et la confusion, la liberté meurt ; de libre qu’il était, l’homme devient esclave, esclave de ses instincts, des passions et des pseudo-valeurs.

C’est la vérité, l’ordre de la liberté ne se construit qu’avec un grand effort. La vraie liberté coûte toujours ! Chacun d’entre nous doit constamment reprendre cet effort. Et ici apparaît la vraie question : l’homme peut-il construire tout seul l’ordre de la liberté, sans le Christ, ou même contre le Christ ? C’est une question extraordinairement dramatique, mais combien actuelle dans un contexte social traversé de conceptions de la démocratie qui s’inspirent de l’idéologie libérale ! On tente en effet de persuader l’homme et des sociétés entières que Dieu est un obstacle sur le chemin vers la pleine liberté, que l’Église est ennemie de la liberté, qu’elle ne comprend pas la liberté, qu’elle en a peur. C’est là une falsification inouïe de la vérité ! L’Église ne cesse pas d’être dans le monde celle qui annonce l’Évangile de la liberté ! C’est sa mission. « Le Christ nous a libérés pour que nous soyons vraiment libres » (Ga 5, 1). Aussi un chrétien n’a-t-il pas peur de la liberté, il ne fuit pas devant elle ! Il l’assume d’une manière créatrice et responsable, comme une tâche dans sa vie. En effet, la liberté n’est pas seulement un don de Dieu : elle nous est donnée aussi comme tâche ! C’est notre vocation : « Vous, frères, vous avez été appelés à la liberté » (Ga 5, 13), nous rappelle l’Apôtre.

« Il nous a laissé le don de l’Eucharistie pour remettre de l’ordre dans notre liberté intérieure ». En quoi consiste cet ordre de la liberté, modelé sur l’Eucharistie ? Dans l’Eucharistie, le Christ est présent comme celui qui fait à l’homme le don de lui-même, comme celui qui sert l’homme : « Comme il avait aimé les siens, il les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1). La vraie liberté se mesure à l’empressement au service et au don de soi-même. Ce n’est qu’ainsi comprise que la liberté est vraiment créatrice, qu’elle édifie notre humanité et construit des liens entre les hommes. Elle construit et ne divise pas ! Comme le monde, l’Europe et la Pologne ont besoin de cette liberté qui unit !

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Le Christ eucharistique demeurera à jamais un modèle absolument unique de l’attitude de « l’existence-pour », c’est-à-dire de l’attitude de celui qui est pour autrui. Lui était totalement donné à son Père céleste et, dans le Père, donné à tout homme. Le Concile Vatican II explique que l’homme se retrouve lui-même, et donc retrouve aussi le sens plénier de sa liberté, précisément « par un don sincère de lui-même » (cf. Gaudium et spes, 24). Aujourd’hui, au cours de cette Statio Orbis, l’Église nous invite à nous mettre à cette école eucharistique de liberté afin que, en fixant l’Eucharistie du regard de la foi, nous devenions les constructeurs d’un ordre nouveau, évangélique, de la liberté, que ce soit au plus intime de nous-mêmes comme dans la société dans laquelle il nous est donné de vivre et de travailler.

6. « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? » (Ps 8, 5)

En contemplant l’Eucharistie, l’immense étonnement de la foi nous envahit, non seulement devant le mystère de Dieu et de son amour infini, mais aussi devant le mystère de l’homme. Devant l’Eucharistie, les paroles du Psalmiste montent spontanément aux lèvres : « Qu’est-ce que l’homme, que tu penses à lui ? ». Quelle grande valeur a l’homme aux yeux de Dieu, si Dieu lui-même le nourrit de son Corps ! Quel grand espace cache en lui le cœur de l’homme, s’il ne peut être comblé que par Dieu ! « Tu nous as faits pour toi »

[Dieu] », confessons-nous avec saint Augustin, « et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en toi » (Confessions, I, 1. 1.).

La Statio Orbis du 46e Congrès eucharistique international… Toute l’Église te rend aujourd’hui un honneur particulier et te rend gloire, ô Christ, Rédempteur de l’homme, caché dans l’Eucharistie. Elle confesse publiquement sa foi en toi, qui t’es fait pour nous Pain de Vie. Et elle te rend grâce car tu es le Dieu-avec-nous, parce que tu es l’Emmanuel.

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À toi soient la louange et la gloire. Amen !

2 juin 1997

Les bases de l’Europe reposent sur le Christ

Homélie à Gniezno lors de la célébration du millénaire de saint Adalber t

Le 2 juin, Jean-Paul II s’est rendu au sanctuaire marial de Legnica, où il a couronné l’image de la Vierge, puis à Gorzow Wielkopolski, pour une célébration de la Parole sur la place des Premiers martyrs polonais.

Le 3 juin au matin, il a vénéré dans la cathédrale de Gniezno les reliques de saint Adalbert, avant de présider devant une très grande foule et sept Chefs d’État la concélébration eucharistique pour le millénaire de saint Adalbert. Il a prononcé l’homélie ci-dessous7. L’après-midi, il s’est rendu à Poznan, où il a rencontré la jeunesse polonaise.

1. Veni Creator Spiritus !

Nous nous trouvons aujourd’hui près de la tombe de saint Adalbert, à Gniezno. Nous sommes ainsi au centre du millénaire de saint Adalbert. Il y a un mois, j’ai commencé cet itinéraire en l’honneur de saint Adalbert à Prague et à Libice, au diocèse de Hradec Kralové, dont il était originaire. Et nous sommes aujourd’hui à Gniezno, dans le lieu, peut-on dire, où il termina son pèlerinage terrestre. Je rends grâce au Dieu un et trine car, à la fin de ce millénaire, il m’est donné à nouveau de prier près des reliques de saint Adalbert, qui sont un des plus grands trésors de notre nation.

Nous voulons suivre ce parcours spirituel de saint Adalbert qui, en un certain sens, commence au Cénacle. La liturgie de ce jour nous conduit précisément au Cénacle, où les Apôtres retournèrent du mont 7 Texte original polonais dans l’Osservatore Romano du 13 juin. Traduction, d’après la version italienne dans l’Osservatore Romano du 4 juin, titre et sous-titres de la DC.

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des Oliviers, après l’Ascension du Christ au ciel. Pendant quarante jours après sa résurrection, il leur était apparu et avait parlé avec eux du Royaume de Dieu. Il leur recommanda de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre la promesse du Père, « celle que vous avez entendu de ma bouche », disait-il. « Jean a baptisé avec de l’eau ; mais vous, c’est dans l’Esprit saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours… Vous allez recevoir une force, celle du Saint-Esprit qui viendra sur vous. Alors vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 5. 8).

Les Apôtres, donc, reçoivent le mandat missionnaire. En vertu des paroles du Ressuscité, ils doivent aller dans le monde entier enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (cf. Mt 28, 14-20). Pour l’instant, cependant, ils reviennent au Cénacle et y demeurent en prière, attendant l’accomplissement de la promesse. Le dixième jour, lors de la fête de la Pentecôte, le Christ leur envoya l’Esprit Saint, qui transforma leurs cœurs. Ils devinrent forts et prêts à assumer le mandat missionnaire. Ils commencèrent ainsi l’œuvre d’évangélisation.

Adalbert, Patron de la Pologne et de tout le Continent

L’Église continue cette œuvre. Les successeurs des Apôtres continuent à aller dans le monde entier pour enseigner toutes les nations. Vers la fin du premier millénaire, les fils de diverses nations déjà christianisées arrivèrent en terre polonaise, spécialement ceux des nations limitrophes. Parmi eux, saint Adalbert occupe une place centrale : il vint en Pologne à partir de la Bohême voisine et aux caractéristiques similaires. En un certain sens, il fut à l’origine du second commencement de l’Église sur les terres des Piast. Le baptême de la nation, en 996, au temps de Mieszko Ier, fut confirmé par le sang du martyr. Il y a plus : avec lui, la Pologne entre dans la famille des pays européens. Près des reliques de saint Adalbert, en effet, se rencontrent l’empereur Otton III et Boleslas le Preux, en présence d’un légat pontifical. Cette rencontre, la

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« Rencontre de Gniezno », a une portée historique. À l’évidence, elle eut une portée politique mais aussi ecclésiale. Près de la tombe de saint Adalbert fut proclamée la fondation, par le Pape Sylvestre II, de la première métropole polonaise : Gniezno, à laquelle furent unis les sièges épiscopaux de Cracovie, de Wroclaw et de Kolobrzeg.

2. La semence qui meurt porte beaucoup de fruit (cf. Jn 12, 24). Ces paroles de l’Évangile de Jean, que Jésus adressa un jour aux Apôtres, trouvent une singulière application chez Adalbert. En mourant, il donna le témoignage suprême. « Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s’en détache en ce monde la garde pour la vie éternelle » (Jn 12, 25). Saint Adalbert rendit aussi témoignage au service apostolique. Le Christ dit en effet : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera » (Jn 12, 26). Adalbert suivit le Christ. Il fit un long chemin, qui l’amena, de sa ville natale de Libice à Prague, puis de Prague à Rome. Quand, plus tard, il dut encore se heurter à la résistance de ses compatriotes de Prague, il partit comme missionnaire vers la plaine de Pannonie et par la suite, empruntant la Porte de Moravie, à Gniezno et sur la Baltique. Sa mission fut comme le couronnement de l’évangélisation des terres des Piast. Et cela précisément parce que Adalbert rendit témoignage au Christ en subissant la mort par le martyre. Boleslas le Preux racheta le corps du martyr et le fit venir ici, à Gniezno.

En lui s’accomplirent les paroles du Christ. Au dessus de l’amour de cette vie terrestre, Adalbert avait placé l’amour envers le Fils de Dieu. Il suivit le Christ comme un serviteur fidèle et généreux, témoignant au prix de sa propre vie. Et voici que le Père l’a honoré. Le Peuple de Dieu l’a entouré sur la terre de la vénération que l’on réserve à un saint, dans la conviction qu’un martyr du Christ est entouré dans le ciel de la gloire du Père.

« Le grain de blé tombé en terre porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Comme ces paroles se sont réalisées à la lettre dans la vie et

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la mort de saint Adalbert ! Sa mort par le martyre, mêlée au sang d’autres martyrs polonais, est à la base de l’Église polonaise et, en un certain sens, à la base aussi de l’État polonais. La semence du sang d’Adalbert continue à porter des fruits spirituels toujours nouveaux. Toute la Pologne a continué à y puiser, aux tout débuts de l’apparition de l’État comme dans les siècles qui ont suivi. La « Rencontre de Gniezno » ouvrit à la Pologne la route de l’unité avec toute la famille des États d’Europe. Au seuil du second millénaire, la Pologne acquit le droit de s’insérer, aussi bien que d’autres nations, dans le processus de formation d’un nouveau visage de l’Europe. Saint Adalbert est donc un grand Patron de notre Continent, qui était alors en train de s’unifier par le nom du Christ. Aussi bien par sa vie que par sa mort, le saint martyr a posé les bases de l’identité et de l’unité européennes. J’ai marché bien des fois sur ces traces historiques, au moment du millénaire du baptême de la Pologne, venant de Cracovie à Gniezno avec les reliques de saint Stanislas, et je rends grâce à la divine Providence de m’avoir permis de me trouver aujourd’hui, une fois encore, sur cet itinéraire.

Nous te remercions, saint Adalbert, de nous avoir unis aujourd’hui ici si nombreux. Des hôtes illustres se trouvent aujourd’hui parmi nous. Je pense en premier lieu à Messieurs les présidents des pays liés à la personne de Vojtech-Adalbert. Je remercie de leur présence M. Kwasniewski, président de la Pologne ; M. Havel, président de la République tchèque ; M. Brazauskas, président de la Lituanie ; M. Herzog, président de l’Allemagne ; M. Kovac, président de la République slovaque ; M. Kuczma, président de l’Ukraine ; M. Göncz, président de la Hongrie. Messieurs les présidents, votre présence ici, à Gniezno, a aujourd’hui une signification particulière pour tout le continent européen. Comme il y a mille ans, elle témoigne aujourd’hui de la volonté d’un vivre-ensemble pacifique et de la construction d’une nouvelle Europe, unie par les liens de la solidarité. Je vous demande de bien vouloir transmettre mes salutations cordiales aux nations que vous représentez. J’adresse également des paroles de gratitude aux

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cardinaux venus de la Ville éternelle, à commencer par M. le cardinal Angelo Sodano, Secrétaire d’État, et par les cardinaux liés à la personne de saint Adalbert, conduits par M. le cardinal Miloslav Vlk, successeur de saint Adalbert sur le siège épiscopal de Prague. Je suis heureux que soient avec nous les cardinaux venus de lointaines parties du monde, de l’Amérique à l’Australie. Je salue cordialement et je remercie de leur présence les cardinaux polonais et en premier lieu le cardinal Primat, ainsi que les archevêques et les évêques. Je remercie également les évêques orthodoxes et les Chefs des Communautés issues de la Réforme, ainsi que les responsables des autres Communautés ecclésiales. J’adresse des paroles de salutation cordiale à Mgr Muszynski, métropolite de Gniezno, ainsi qu’à vous tous, chers frères et sœurs, qui êtes venus de toute la Pologne pour cette rencontre.

L’Europe, un grand fleuve avec de nombreux affluents

3. Je garde un très vif souvenir de la rencontre de Gniezno, en 1979, quand, pour la première fois, le Pape, natif de Cracovie, put célébrer l’Eucharistie sur la colline de Lech en présence de l’inoubliable Primat du millénaire, de tout l’épiscopat polonais, de nombreux pèlerins venus non seulement de la Pologne mais aussi des pays limitrophes. Aujourd’hui, dix-huit ans plus tard, il nous faudrait revenir à cette homélie de Gniezno qui, en un certain sens, est devenue le programme de mon pontificat. Mais elle fut avant tout une humble lecture des desseins de Dieu concernant les vingt-cinq dernières années de notre millénaire. J’ai dit alors : « Le Christ ne veut-il pas, l’Esprit Saint n’a t-il pas disposé que ce Pape polonais, un Pape slave, manifeste précisément aujourd’hui l’unité spirituelle de l’Europe chrétienne ? Nous savons que cette unité chrétienne de l’Europe est composée de deux grandes traditions : celle de l’Occident et celle de l’Orient… Oui, le Christ veut, l’Esprit Saint a décidé que ce que je dis soit dit précisément ici, maintenant, à Gniezno » (Discours dans la cathédrale de l’Assomption, 3 juin 1979).

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De ce lieu s’est alors répandue la force puissante de l’Esprit Saint. Ici, la pensée sur la nouvelle évangélisation a commencé à prendre des formes concrètes. Entre temps, de grandes transformations se sont produites, de nouvelles possibilités sont apparues, d’autres hommes ont surgi. Le mur qui divisait l’Europe est tombé. Cinquante ans après le commencement de la Deuxième Guerre mondiale, ses effets ont cessé de défigurer le visage de notre Continent. Un demi-siècle de séparation a pris fin, pour laquelle des millions d’habitants de l’Europe centrale et orientale ont payé un prix terrible. Aussi, ici, près de la tombe de saint Adalbert, je rends grâce aujourd’hui au Dieu tout-puissant pour le grand don de la liberté accordé aux nations de l’Europe, et je le fais avec les paroles du Psalmiste : « Quelles merveilles fit pour eux le Seigneur ! Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête » (Ps 125, 2-3).

Un nouveau « mur » divise les hommes

4. Chers frères et sœurs, après tant d’années, je redis la même chose : une nouvelle disponibilité est nécessaire. En effet, on a vu, et parfois d’une manière très douloureuse, que la récupération du droit à l’autodétermination et l’élargissement des libertés politiques et économiques ne sont pas suffisants pour la reconstruction de l’unité européenne. Comment ne pas mentionner ici la tragédie des nations de l’ancienne Yougoslavie, le drame de la nation albanaise et l’énorme poids qui pèse sur toutes les sociétés qui ont retrouvé la liberté et, au prix d’un grand effort, se libèrent du joug du système totalitaire communiste ? Il ne doit pas advenir qu’après la chute d’un mur, visible, un autre le remplace, celui-là invisible, pour continuer à diviser notre continent : le mur qui passe à travers le cœur des hommes. C’est un mur fait de peur et d’agressivité, de manque de compréhension pour les hommes d’origine différente, de couleur de peau différente, de convictions religieuses différentes. C’est le mur de l’égoïsme politique et économique, de l’affaiblissement de la sensibilité en ce qui concerne la valeur de la vie humaine et la dignité de tout homme. Même les succès indiscutables de la période récente

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dans les domaines économique, politique et social ne cachent pas l’existence de ce mur. Son ombre s’étend sur toute l’Europe. Le but ultime qu’est l’unité authentique du continent européen est encore lointain. Il n’y aura pas d’unité de l’Europe tant qu’elle ne sera pas fondée sur l’unité de l’esprit. Ce fondement très profond de l’unité fut apporté à l’Europe et renforcé tout au long des siècles par le christianisme avec son Évangile, sa compréhension

de l’homme et sa contribution au développement de l’histoire des peuples et des nations. Cela ne signifie aucunement que le christianisme veuille s’approprier l’histoire. L’histoire de l’Europe est en effet un grand fleuve dans lequel se versent de nombreux affluents, et la diversité des traditions et des cultures qui la forment est sa grande richesse. Les fondements de l’identité de l’Europe sont construits sur le christianisme. Et le manque actuel d’unité spirituelle de l’Europe vient principalement de la crise de cette auto-conscience chrétienne.

Ouvrez les portes au Christ !

5. Frères et sœurs, c’est Jésus-Christ, « le même hier, aujourd’hui et à jamais » (cf. Rm 13, 8) qui a révélé à l’homme sa dignité ! C’est lui qui est le garant de cette dignité ! Ce furent les patrons de l’Europe – saint Benoît et les saints Cyrille et Méthode – qui introduisirent dans la culture européenne la vérité sur Dieu et sur l’homme. Ce furent les innombrables saints missionnaires – que nous a rappelés aujourd’hui saint Adalbert, évêque et martyr – qui apportèrent aux peuples européens l’enseignement sur l’amour du prochain, et même l’amour des ennemis, un enseignement confirmé par le don de leur vie. C’est de cette Bonne Nouvelle, de l’Évangile, que nos frères et nos sœurs ont vécu tout au long des siècles, jusqu’à nos jours. Cette Bonne Nouvelle, les murs des églises, des abbayes, des hôpitaux et des universités la redisaient. Les livres, les sculptures et les peintures la proclamaient, les poésies et les œuvres des compositeurs l’annonçaient. C’est sur l’Évangile que reposaient les fondements de l’unité spirituelle de l’Europe.

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Depuis la tombe de saint Adalbert, je demande donc : nous est-il permis de repousser la loi de la vie chrétienne, cette loi qui affirme que seul porte un fruit abondant celui qui donne sa vie par amour de Dieu et de ses frères, comme une semence jetée en terre ? Ici, depuis ce lieu, je répète le cri que j’ai lancé au début de mon pontificat : ouvrez les portes au Christ ! Au nom du respect des droits de l’homme, au nom de la liberté, de l’égalité, de la fraternité, au nom de la solidarité entre les hommes et de l’amour, je crie : n’ayez pas peur ! Ouvrez les portes au Christ ! Sans le Christ, il est impossible de comprendre l’homme. Aussi le mur qui se dresse aujourd’hui dans les cœurs, le mur qui divise l’Europe, ne sera-t-il pas abattu sans un retour à l’Évangile. Sans le Christ, en effet, il n’est pas possible de construire une unité durable. On ne peut la faire en se séparant des racines à partir desquelles les pays de l’Europe ont grandi, en se séparant de la grande richesse de la culture spirituelle des siècles passés. Comment peut-on construire une « maison commune « pour toute l’Europe si elle n’est pas construite avec les briques que sont les consciences des hommes, cuites au feu de l’Évangile, unies par le lien d’un amour social solidaire, fruit de l’amour de Dieu ? C’est cette réalité que saint Adalbert s’est efforcé d’atteindre, c’est pour un tel avenir qu’il a donné sa vie. C’est lui qui nous rappelle aujourd’hui qu’il n’est pas possible de construire une société nouvelle sans un homme renouvelé, fondement le plus solide de la société.

Il faut poursuivre la nouvelle évangélisation

6. Au seuil du troisième millénaire, le témoignage de saint Adalbert est toujours présent dans l’Église et produit toujours du fruit. Nous devons reprendre avec une vigueur nouvelle son œuvre d’évangélisation. Aidons ceux qui ont oublié le Christ et son enseignement à les redécouvrir. Cela se réalisera quand un grand nombre de témoins fidèles de l’Évangile commenceront à nouveau à parcourir notre Continent ; quand les œuvres d’architecture, de littérature et d’art montreront, d’une manière convaincante pour l’homme d’aujourd’hui, Celui qui est « le même hier, aujourd’hui et à jamais » ; quand, dans la liturgie célébrée par l’Église, les hommes

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verront combien il est beau de rendre gloire à Dieu ; quand ils découvriront dans notre vie un témoignage de miséricorde chrétienne, d’amour et de sainteté héroïques.

Chers frères et sœurs, quel moment extraordinaire de l’histoire il nous est donné de vivre ! Que de tâches importantes le Christ nous a confiées ! Il appelle chacun d’entre nous à préparer le nouveau printemps de l’Église. Il veut que l’Église – la même au temps des Apôtres et de saint Adalbert – entre dans le nouveau millénaire pleine de fraîcheur, d’une nouvelle vie qui jaillisse, et d’élan évangélique. En 1949, le Primat du millénaire s’exclamait : « Ici, près de la tombe de saint Adalbert, seront allumées des flambeaux qui annonceront à notre terre “la lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple” (Lc 2, 32) » (Lettre pastorale des évêques). Aujourd’hui, nous poussons à nouveau ce cri, demandant la lumière et le feu de l’Esprit, pour allumer nos flambeaux comme des annonciateurs de l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre.

7. Saint Adalbert est toujours avec nous. Il est resté dans la Gniezno des Piast et dans l’Église universelle, auréolé de la gloire du martyre. Et il semble nous parler aujourd’hui du prochain millénaire avec les paroles de saint Paul : « Quant à vous, menez une vie digne de l’Évangile du Christ. Soit que je vienne vous voir, soit que de loin j’entende parler de vous, il faut que vous teniez bon dans un seul esprit : luttez ensemble, d’un seul cœur, pour la foi en l’Évangile. Ne vous laissez pas intimider par les adversaires » (Ph 1, 27-28). Oui, dans un seul esprit, en luttant unanimes pour la foi.

Une fois encore, mille ans plus tard, nous relisons aujourd’hui ce testament de Paul et d’Adalbert. Nous demandons que leurs paroles se réalisent aussi en notre temps. En effet, dans le Christ, la grâce nous a été donnée non seulement de croire en lui mais aussi de souffrir pour lui, car nous avons soutenu la même lutte dont Adalbert nous a laissé le témoignage (cf. Ph 1, 29-20).

Nous nous confions à saint Adalbert, en lui demandant d’intercéder pour nous, alors que l’Église et l’Europe se préparent au

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grand Jubilé de l’An 2000.

Et nous invoquons l’Esprit Saint, l’Esprit de sagesse et de force : Veni, Creator Spiritus ! Amen.

4 juin 1997

Son esprit de service fut la vraie mesure de sa grandeur

Homélie à Cracovie lors de la canonisation de la reine sainte Edwige

Le 4 juin, Jean-Paul II s’est rendu à Kalisz, ville qui abrite un sanctuaire dédié à saint Joseph, puis à Czestochowa où il a prié devant la célèbre Vierge noire de Jasna Gora. Les 5, 6 et 7 juin ont été consacrés à Zakopane, où le Pape a pris un peu de repos dans les montagnes, mais a aussi célébré la béatification, le 6 juin, de deux religieuses polonaises : Sœur Bernardina Jablonska (1878-1940), co-fondatrice des Sœurs des Pauvres du tiers-ordre de saint François, dites Albertines, et Sœur Maria Karlowska (1865-1935), fondatrice des Sœurs du Bon Pasteur de la divine Providence. Après une halte, le 7 juin, au sanctuaire marial de Ludzmierz, Jean-Paul II est arrivé à Cracovie au soir du 7 juin. Le lendemain, dimanche 8 juin, il a présidé dans le parc de Blonie à Cracovie, devant une foule de plus d’un million et demi de fidèles, la cérémonie de canonisation de la Bienheureuse Edwige d’Anjou, reine de Pologne (1374-1399).

À cette occasion, le Pape a prononcé l’homélie suivante8 :

1. Gaude, Mater Polonia ! Je redis aujourd’hui cet appel à la joie que pendant des siècles, les Polonais ont chanté en souvenir de saint Stanislas. Je le redis, car le lieu et la circonstance nous y disposent d’une façon particulière. Nous devons, en effet, revenir à la colline du Wawel, à la cathédrale royale, et nous mettre devant les reliques de la Reine, Seigneur du Wawel. Voici qu’est arrivé le grand

8 Texte original polonais dans l’Osservatore Romano du 13 juin. Traduction, d’après la version italienne dans l’Osservatore Romano des 9-10 juin, titre et sous-titres de la DC.

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jour de sa canonisation. Et donc : « Gaude, mater Polonia, prole fecunda nobili, Summi Regis magnalia Laude frequenta vigili ». Edwige, tu as longtemps attendu ce jour solennel. Près de 600 ans se sont écoulés depuis ta mort, alors que tu étais encore jeune. Aimée de toute la nation, toi qui es au commencement de l’époque des Jagellon, fondatrice de la dynastie, fondatrice de l’Université jagellonne dans la très ancienne ville de Cracovie, tu as attendu longtemps le jour de ta canonisation, le jour où l’Église proclamerait solennellement que tu es la sainte Patronne de la Pologne dans sa dimension héréditaire, de la Pologne unie par ton action avec la Lituanie et avec la Rus’ : de la République de trois nations. Aujourd’hui, ce jour est arrivé. Beaucoup ont désiré voir ce moment et n’y sont pas parvenus. Les années et les siècles passaient, et il semblait que ta canonisation était désormais tout à fait impossible. Que ce jour soit un jour de joie non seulement pour nous qui vivons à cette époque, mais aussi pour tous ceux qui, sur cette terre, n’y sont pas parvenus. Que ce soit le grand jour de la communion des saints. Gaude, Mater Polonia !

Un complément au millénaire du baptême de la Pologne

2. L’Évangile de ce jour tourne nos pensées et nos cœurs vers le baptême. Voici que nous sommes encore une fois en Galilée, d’où le Christ envoie ses Apôtres dans le monde entier : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 18-20). Tel est le mandat missionnaire que les Apôtres ont pris sur eux d’accomplir, en commençant le jour de la Pentecôte. Ils l’ont accepté et ils l’ont transmis à leurs successeurs. Par leur intermédiaire, le message apostolique a atteint peu à peu le monde entier. Et, vers la fin du premier millénaire, le temps vint ou les apôtres du Christ parvinrent jusqu’aux terres des Piast. Alors, Mieszko Ier reçut le baptême et cela – selon la conviction d’alors – constituait en même temps le baptême de la Pologne. Nous avons

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célébré le millénaire de ce baptême en 1966.

Comme aurait exulté le Primat du millénaire, le serviteur de Dieu le cardinal Stefan Wyszynski, s’il lui avait été donné de prendre part avec nous à ce grand jour de la canonisation. Elle lui tenait à cœur comme aux grands métropolites de Cracovie, comme elle tenait à cœur au Prince-cardinal Adam Stefan Sapieha et à tout l’Épiscopat de Pologne. Tous avaient l’intuition que la canonisation de la reine Edwige devait être le complément du millénaire du baptême de la Pologne. Il l’est aussi parce que, par l’action de la reine Edwige, les Polonais, baptisés au Xe siècle, entreprirent quatre siècles plus tard la mission apostolique et contribuèrent à l’évangélisation et au baptême de leurs voisins. Edwige était consciente que sa mission était de porter l’Évangile aux frères lituaniens. Et elle le fit, avec son époux, le roi Ladislas Jagellon. Sur la Baltique naquit un nouveau pays chrétien, rené de l’eau du baptême, comme, au Xe siècle, la même eau avait fait renaître les fils et les filles de la nation polonaise.

Sit Trinitati gloria, laus, honor, iubilatio… Aujourd’hui, Edwige, nous rendons grâce à la Très Sainte Trinité pour ta sagesse. L’auteur du Livre de la Sagesse demande : « Ta volonté, qui l’a connue, sans que tu lui aies donné la Sagesse et envoyé d’en haut ton Esprit Saint ? » (Sg 9, 17). Nous rendons donc grâce à Dieu le Père, au Fils et à l’Esprit Saint, pour ta sagesse, Edwige, parce que tu as reconnu le dessein de Dieu non seulement en ce qui regardait ta vocation, mais aussi en ce qui concernait celle des nations : notre vocation historique et la vocation de l’Europe ; ton œuvre a complété le cadre de l’évangélisation du Continent, pour pouvoir ensuite entreprendre l’évangélisation d’autres pays et d’autres continents dans le monde entier. En effet, le Christ avait dit : « Allez… Enseignez toutes les nations »

(Mt 28, 19). Nous nous réjouissons aujourd’hui de ton élévation à la gloire des autels. Nous nous réjouissons au nom de toutes ces nations dont tu es devenue la mère dans la foi. Nous sommes heureux de ta grande œuvre de sagesse. Et nous rendons

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grâce à Dieu pour ta sainteté, pour la mission que tu as accomplie dans notre histoire ; pour ton amour de la nation et de l’Église ; pour ton amour envers le Christ crucifié et ressuscité. Gaude, Mater Polonia !

Une sagesse apprise au pied de la Croix

3. Ce qu’il y a de plus grand, c’est l’amour. « Nous savons – écrit saint Jean – que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères » (1 Jn 3, 14). Donc, celui qui aime participe à la vie, à cette vie qui est de Dieu. « Voici à quoi nous avons reconnu l’amour : lui, Jésus, a donné sa vie pour nous » (1 Jn 3, 16). Et nous aussi, nous aurons donc à donner notre vie pour nos frères (cf. ibid.). Le Christ a indiqué qu’ainsi, en donnant notre vie pour nos frères, nous manifestons l’amour. Et c’est là le plus grand amour (cf. 1 Co 13, 13).

Et nous, aujourd’hui, en nous mettant à l’écoute des paroles des Apôtres, nous voulons te dire, ô notre sainte reine, que toi tu avais compris, comme peu de gens, cet enseignement du Christ et des Apôtres. De nombreuses fois, tu t’es agenouillée au pied du Crucifix du Wawel pour apprendre du Christ lui-même ce généreux amour. Et tu l’as appris. Tu as su montrer par ta vie que ce qu’il y a de plus grand, c’est l’amour. N’est-ce pas ce que nous chantons dans un très ancien chant polonais ? « ô Croix sainte, arbre plus noble que tout ; dans aucun bois un autre arbre n’est ton égal, toi que Dieu lui-même porta… C’est une bonté inouïe que de mourir en croix pour un autre. Qui peut le faire aujourd’hui, pour qui donner son âme ? Seul le Seigneur Jésus le fit, parce qu’il nous aima fidèlement » (cf. Crux fidelis, XVIe siècle). C’est de lui, c’est du Christ du Wawel, près de ce Crucifix noir que les habitants de Cracovie viennent chaque année vénérer le Vendredi saint, que tu as appris, reine Edwige, à donner ta vie pour tes frères. Ta profonde sagesse et ton intense activité naissaient de ta contemplation, de ton lien personnel avec le Crucifié. Alors, contemplation et vie active trouvaient leur juste équilibre. Aussi n’as-tu jamais perdu « la meilleure part », la présence du

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Christ. Nous voulons aujourd’hui nous agenouiller avec toi, Edwige, au pied du Crucifix du Wawel, pour entendre l’écho de cette leçon d’amour, que tu as écoutée. Nous voulons apprendre de toi comment la mettre en pratique en notre temps.

L’attention à la raison et à la culture

4. « Vous le savez, les chefs des nations païennes commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi : celui qui veut devenir grand sera votre serviteur » (Mt 20, 25-26). Ces paroles du Christ pénétrèrent profondément dans la conscience de la jeune souveraine de souche angevine. La caractéristique la plus profonde de sa brève vie – et, en même temps, la mesure de sa grandeur – fut son esprit de service. Sa position sociale, ses talents, toute sa vie personnelle : tout cela, elle le mit complètement au service du Christ et, quand elle dut régner, elle consacra sa vie également au service du peuple qui lui était confié.

L’esprit de service animait son engagement social. Elle s’engagea à fond dans la vie politique de son époque. Fille du roi de Hongrie, elle sut unir la fidélité aux principes chrétiens et la cohérence dans la défense de la raison d’État en Pologne. En entreprenant des grandes œuvres dans le cadre de l’État et dans le cadre international, elle ne désirait rien pour elle-même. Elle enrichit avec libéralité sa seconde patrie de tous les biens matériels et spirituels possibles. Experte dans l’art de la diplomatie, elle posa les fondements de la grandeur de la Pologne du XVe siècle. Elle anima la coopération religieuse et culturelle entre les nations, et sa sensibilité à l’égard des torts commis dans le domaine social fut bien souvent louée par ses sujets.

Avec une clarté qui illumine jusqu’à ce jour toute la Pologne, elle savait que la force de l’État comme celle de l’Église ont leur source dans une instruction sérieuse de la nation ; que la voie qui mène au bien-être de l’État, à sa souveraineté et à sa reconnaissance dans le monde passe par des Universités actives. Edwige savait bien aussi que la foi cherche la compréhension rationnelle, que la foi a

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besoin de la culture et forme la culture, que la foi vit dans l’espace de la culture. Et elle fit tout pour enrichir la Pologne de tout le patrimoine des temps anciens comme de celui du Moyen Âge. Elle donna à l’Université jusqu’à son sceptre d’or, se servant pour elle d’un sceptre de bois doré. Ce fait, même s’il a une signification concrète, est surtout un grand symbole. Durant sa vie, le prestige et le crédit dont elle a joui ne sont pas venus des insignes royaux mais de la force de son esprit, de la profondeur de sa pensée et de sa sensibilité de cœur. Après sa mort, son œuvre a continué à porter des fruits par la richesse de la sagesse et l’éclat d’une culture enracinée dans l’Évangile. Pour tout cela, nous disons à la reine Edwige notre merci, alors que nous pensons avec orgueil à ces six cents ans qui nous séparent de la fondation de la Faculté de théologie et du renouveau de l’Université de Cracovie, des années, peut-on dire, d’incessante splendeur de la science polonaise.

Et s’il nous était donné de visiter les hôpitaux du Moyen Âge de Biecz, Sandomierz, Sacz, Stradom, nous noterions avec admiration les nombreuses œuvres de miséricorde fondées par la souveraine polonaise. Sans doute, par elles se réalisa de la manière la plus éloquente l’invitation à aimer en actes et en vérité.

La grandeur de Cracovie

5. « Ergo, felix Cracovia, Sacro dotata corpore, Deum, qui fecit omnia, Benedic omni tempore ».

« Réjouis-toi, aujourd’hui, Cracovie ! ». Exulte, parce que finalement le moment est venu où toutes les générations de tes habitants peuvent rendre un hommage de gratitude à la sainte Dame du Wawel. Résidence royale, tu dois à la profondeur de son esprit d’être devenue en Europe un centre important de la pensée, le berceau de la culture polonaise et le pont entre l’Occident chrétien et l’Orient, apportant une contribution inaliénable à la formation de l’esprit européen. À l’Université jagellone se formèrent et enseignèrent ceux qui rendirent fameux dans le monde entier le nom de la Pologne et de cette ville, participant avec compétence aux

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débats les plus importants de leur époque. Rappelons simplement le grand Recteur de l’Université de Cracovie, Pawel Wlodkowic qui, déjà au début du XVe siècle, posait les bases de la théorie moderne des droits de l’homme, ou Nicolas Copernic, dont les découvertes ouvrirent la voie à une vision nouvelle du monde créé.

Cracovie, et avec toi toute la Pologne, ne dois-tu pas rendre grâce pour cette œuvre qui porta des fruits magnifiques, les fruits de la vie de saints étudiants et professeurs ? Devant nous aujourd’hui, se présentent de grandes figures d’hommes et de femmes qui appartiennent à toutes les générations, de Jean de Kenty et Stanislas Kazimierczyk au bienheureux Jozef Sebastien Pelczar et au Serviteur de Dieu Jozef Bilczewski, afin que nous insérions leurs noms dans notre hymne de louange à Dieu car, grâce à l’œuvre généreuse de la reine Edwige, cette ville est devenue le berceau de nombreux saints. Réjouis-toi, Cracovie ! Je suis heureux de pouvoir partager aujourd’hui ta joie, de me trouver ici, à Blonia Krakowskie, avec ton archevêque, le cardinal Franciszek Macharski, ses évêques auxiliaires et émérites, avec les chapitres de la cathédrale et de la collégiale Sainte-Anne, les prêtres, les personnes consacrées et tout le Peuple de Dieu. Cracovie, ma ville bien-aimée, combien j’ai désiré venir ici et, au nom de l’Église, t’assurer solennellement que tu ne t’es pas trompée en vénérant depuis des siècles la reine Edwige comme une sainte. Je rends grâce à la divine Providence que cela m’ait été donné, qu’elle m’ait permis de fixer mon regard, avec vous, sur cette figure qui resplendit de la splendeur du Christ, et d’apprendre ce que veut dire « la plus grande des choses, c’est l’amour ».

« La vérité » et la « pratique » polonaises

6. « Nous devons aimer non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3,

18). C’est ce qu’écrit l’Apôtre. Frères et sœurs, à l’école de sainte Edwige, apprenons comment mettre en œuvre le commandement de l’amour. Réfléchissons sur la « vérité polonaise

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« . Demandons-nous si elle est respectée dans nos foyers, dans les moyens de communication sociale, les services publics, les paroisses. Ne nous échappe-t-elle pas parfois sous la pression des circonstances ? N’est-elle pas déformée, simplifiée ? Est-elle toujours au service de l’amour ?

Réfléchissons sur la « pratique polonaise « . Demandons-nous si elle est mise en œuvre avec prudence. Est-elle systématique et persévérante ? Est-elle courageuse et magnanime ? Unit-elle ou divise-t-elle les hommes ? Ne frappe-t-elle personne de sa haine ou de son mépris ? Ou bien, en pratique, n’y a t-il pas trop peu d’amour, d’amour chrétien ? (cf. St. Wyspianski, Wesele).

« Nous devons aimer non pas en paroles et par des discours, mais par des actes et en vérité » !

Il y a dix ans, dans une Encyclique sur les problèmes du monde contemporain, j’ai écrit que toute nation « doit découvrir et utiliser le plus possible l’espace de sa liberté » (Sollicitudo rei socialis, 44). Nous avions alors devant nous le problème de « la découverte de la liberté ». Maintenant, la divine Providence nous confie une tâche nouvelle : aimer et servir. Aimer dans les faits et en vérité. La reine sainte Edwige nous enseigne à utiliser ainsi le don de la liberté. Elle a su que l’accomplissement de la liberté, c’est l’amour, grâce auquel l’homme accepte de se confier à Dieu et à ses frères, à leur appartenir. Elle confia donc sa vie et son règne au Christ et aux nations qu’elle voulait lui gagner. Elle donna à toute la nation l’exemple de l’amour du Christ et de l’homme, d’un homme assoiffé de foi comme de science, mais aussi désireux de pain quotidien et de vêtement. Dieu veuille qu’aujourd’hui aussi la nation puise dans cet exemple, afin que la joie du don de la liberté soit entière.

Notre sainte reine Edwige, enseigne-nous aujourd’hui, au seuil du troisième millénaire, cette sagesse et cet amour dont tu as fait le chemin de la sainteté. Conduis-nous tous, Edwige, devant le Crucifix du Wawel afin que, comme toi, nous connaissions ce que veut dire aimer dans les faits et en vérité, ce que veut dire être vraiment libres.

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Prends sous ta protection ta nation et l’Église qui la sert, et intercède pour nous auprès de Dieu, afin que la joie ne se tarisse jamais en nous. Réjouis-toi, mère Pologne ! Gaude, Mater Polonia !

06 juin 1997

Défendez la Croix du Christ

Deux bienheureuses qui ont manifesté en toute plénitude la dignité de la femme et la grandeur de sa vocation

Dans la matinée du vendredi 6 juin 1997, le Pape Jean-Paul II a célébré dans le stade « Wielka Krokiew », à Zakopane, la Sainte Messe pour la béatification des Mères Maria Bernardina Jab3onska (1878-1940), appartenant à la Congrégation des Sœurs Servantes des Pauvres du Troisième Ordre de saint François (Albertines) et de Maria Karlowska (1865-1935), qui fonda, en 1894, la Congrégation des Sœurs Servantes du Bon Pasteur et de la Divine Providence. Au cours de la cérémonie, à laquelle assistaient plus de cinq cent mille fidèles, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Nous nous rencontrons aujourd'hui au cours de cette grande assemblée liturgique au pied de la Croix sur le mont Giewont, en la solennité du Sacré-Cœur de Jésus. Je rends grâce à la Divine Providence de pouvoir célébrer dans ma patrie — sous la « Krokiew », dans la terre de Podhale — cette solennité avec vous, qui conservez fidèlement dans votre religiosité la vénération pour le mystère du Cœur de Jésus. L'Église qui est en Pologne a apporté une grande contribution à l'introduction dans le calendrier liturgique de la solennité du Sacré-Cœur de Jésus. Cela exprimait le désir profond que les fruits magnifiques de cette dévotion se multiplient dans la vie des fidèles, dans toute l'Église. C'est ce qui a eu lieu. Comme nous devrions être reconnaissants à Dieu pour toutes les grâces que nous recevons à travers le Cœur de son Fils ! Comme nous sommes reconnaissants pour cette rencontre d'aujourd'hui ! Nous l'avons attendue longuement. Cela faisait déjà longtemps que vous invitiez le

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Pape, et ce en diverses occasions, en particulier lors de vos fréquents pèlerinages dans la Ville éternelle. Vous vous rappelez certainement que je vous disais alors qu'il fallait être patients, qu'il fallait laisser décider à la Divine Providence la visite à Zakopane. Lors de mon pèlerinage en Slovaquie, à Levoca, je lisais l'inscription que vous aviez préparée : « Zakopane attend ! Zakopane te souhaite la bienvenue ! ». Et aujourd'hui, nous pouvons dire que Zakopane a réussi et que j'ai réussi. Dieu en a décidé ainsi, la Madone de Levoca a conduit le Pape à Zakopane.

Je vous salue tous, en particulier les habitants de Zakopane. Je salue les montagnards de Podhale si chers à mon cœur. Je. salue. en. particulier Monsieur le Cardinal Franciszek et l'Evêque de Torun, qui se réjouit aujourd'hui ici de la béatification, d'une fidèle de son diocèse, ainsi que tous les évêques polonais guidés par le Cardinal- Primat et tous les évêques étrangers qui participent à cette célébration. Je salue le clergé, les religieuses et en particulier les Sœurs Albertines et les Sœurs Servantes du Bon Pasteur, pour lesquelles ce jour revêt une signification particulière. J'adresse des paroles de salut au maire de Zakopane et aux Autorités locales de Podhale. Je remercie pour cet hommage éloquent de Podhale, toujours fidèle à l'Église et à la patrie. On peut toujours compter sur vous ! Rendons grâce à Dieu pour ce jour qu'Il a fait pour nous. Dans un esprit de gratitude, je voudrais, avec vous — chers frères et sœurs — méditer sur le grand mystère du Sacré-Cœur de Jésus. Il est bon que nous puissions le faire le long de l'itinéraire de mon pèlerinage, à l'occasion du Congrès eucharistique de Wroclaw. En effet, toute la dévotion au Cœur de Jésus et toutes ses manifestations sont profondément eucharistiques.

2.  » Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Voilà les paroles que nous venons d'entendre. Saint Jean termine par cette citation prophétique sa description de la passion et de la mort du Christ en Croix. Elle nous apprend que le Vendredi saint, avant la fête de la Préparation, les Juifs demandèrent à Ponce Pilate de briser les jambes des corps et de les enlever (cf. Jn 19, 31). C'est ce que

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firent les soldats aux. deux. malfaiteurs. crucifiés avec Jésus. « Venus à Jésus, quand ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l'un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l'eau » (Jn 19, 33- 34). C'était la preuve qu'il était mort. Les soldats pouvaient assurer Pilate que Jésus de Nazareth avait cessé de vivre. Saint Jean l'évangéliste voit au contraire à ce moment-là la nécessité d'une confirmation particulière. Il écrit : Celui qui a vu rend témoignage — son témoignage est véritable ». Et dans le même temps, il affirme qu'en transperçant le côté du Christ, l'Écriture s'est accomplie. En effet, il dit : « Pas un os ne lui sera brisé » et encore : « Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé » (Jn 19, 35-37).

Ce passage évangélique est à la base de toute la tradition de la dévotion au Cœur Divin. Celle-ci se développa de façon particulière dès le XVIIe siècle, suite aux révélations faites à Marguerite Marie Alacoque, mystique française. Notre siècle a été le témoin d'un développement intense de la dévotion au Cœur de Jésus, dont témoignent les magnifiques « Litanies du Sacré-Cœur » et, avec elles, l'« Acte de Consécration du Genre humain au Cœur divin », ainsi que l'« Acte de Réparation au Sacré- Cœur ». Tout cela a profondément empreint notre piété polonaise, et est devenu le devoir de nombreux fidèles qui ressentent le besoin de réparation envers le Cœur de Jésus pour les péchés de l'humanité et également des nations, des familles et des personnes.

3.  » Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé » — ces paroles portent notre regard vers la sainte Croix, vers l'arbre de la Croix, sur lequel fut accroché le Salut du monde. « Le langage de la croix, en effet, est folie pour le monde, pour nous, il est puissance de Dieu » (cf. 1 Co 1, 18). Les habitants de Podhale le savaient bien. Et, tandis que le XIXe siècle touchait à sa fin, et qu'un nouveau siècle commençait, vos pères élevèrent une Croix au sommet du mont Giewont. Elle y est aujourd'hui encore. C'est un témoin muet mais éloquent de notre époque. On peut dire que cette Croix jubilaire est tournée en direction de Zakopane et de Cracovie, et au-delà : en

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direction de Varsovie et de Danzig. Elle embrasse du regard notre terre, des monts Tatras jusqu'à la Baltique. Vos pères voulaient que la Croix du Christ règne de façon particulière sur cette belle région de Pologne. Ce fut le cas. Votre ville s'est étendue, peut-on dire, au pied de la Croix ; Zakopane tout comme Podhale vivent et se développent dans son rayon. Les petites chapelles très belles, sculptées et soigneusement entretenues, en témoignent de façon éloquente. Ce Christ vous accompagne dans votre travail quotidien et sur les chemins de vos promenades dans les montagnes. C'est ce dont témoignent les Églises de cette ville, celles anciennes, celles monumentales, qui renferment en elles tout le mystère de la foi et de la piété humaine, mais également celles récentes, édifiées grâce à votre générosité, comme par exemple, l'église paroissiale de la Sainte Croix dans la paroisse de la Madone de Fatima qui nous accueille.

Chers frères et sœurs, n'ayez pas honte de cette Croix. Efforcez-vous chaque jour de l'accepter et de répondre à l'amour du Christ. Défendez la Croix, ne permettez pas que le Nom de Dieu soit offensé dans vos cœurs, dans votre vie familiale ou sociale. Rendons grâce à la Divine Providence, car le Crucifix est retourné dans les écoles, dans les lieux publics et dans les hôpitaux. Qu'il y reste ! Qu'il nous rappelle notre dignité chrétienne et également l'identité nationale, ce que nous sommes, où nous allons et quelles sont nos racines. Qu'il nous rappelle l'amour de Dieu pour l'homme, qui trouva dans la Croix son expression la plus profonde.

L'amour s'associe toujours au cœur. L'Apôtre l'a précisément associé au Cœur qui, sur le Golgotha, a été transpercé par la lance du centurion. Dans ce geste, l'amour avec lequel le Père a aimé le monde s'est révélé pleinement. Il l'a aimé si intensément « qu'il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Dans ce cœur transpercé, la dimension de l'amour qui est plus grand que tout amour créé a trouvé son expression extérieure. En lui s'est manifesté l'amour salvifique et rédempteur. Le Père a donné « son Fils afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). C'est pourquoi Paul écrit : « Je fléchis les genoux en présence du Père, de

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qui toute paternité au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3, 14), je les fléchis pour exprimer la gratitude que j'éprouve face à la révélation de l'amour du Père à travers la mort rédemptrice de son Fils. Je fléchis les genoux dans le même temps afin que Dieu « daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intérieur » (Ep 3, 16). Le cœur est véritablement « l'homme intérieur ». Le Cœur du Fils de Dieu devient pour l'Apôtre source de force pour tous les cœurs humains. Tout cela a été exprimé de façon magnifique dans de nombreuses invocations des Litanies du Sacré-Cœur de Jésus.

4. Le Cœur de Jésus devient une source de force pour les deux femmes que l'Église élève aujourd'hui à la gloire des autels. Grâce à cette force, elles atteignirent les sommets de la sainteté. Maria Bernardina Jablonska — fille spirituelle de saint Albert Chmielowski, qui a collaboré et donné suite à son œuvre de miséricorde — vivant dans la pauvreté, se consacra au service des plus pauvres. L'Église nous propose aujourd'hui l'exemple de cette pieuse religieuse, dont la devise de vie était : « Donner, éternellement donner ». Le regard fixé sur Jésus, elle le suivait fidèlement, l'imitant dans l'amour. Elle voulait satisfaire chaque demande de son prochain, sécher chaque larme, réconforter, au moins par la parole, chaque âme souffrante. Elle voulait être toujours bonne avec tous, mais encore plus bonne avec ceux qui étaient le plus. durement frappés par le destin. Elle avait l'habitude de dire : « La douleur du prochain est ma douleur ». Avec saint Albert, elle fonda des hospices pour les malades et ceux qui étaient sans-abri à cause de la guerre.

Cet amour profond et héroïque murissait dans la prière, dans le silence du tout proche ermitage de Kalatówki, où elle séjourna pendant un certain temps. Dans les moments les plus difficiles de sa vie — en accord avec les recommandations de celui qui prenait soin de son âme —, elle se recommandait au Sacré- Cœur de Jésus. C'est à lui qu'elle offrait tout ce qu'elle possédait, en particulier ses tourments intérieurs et ses souffrances physiques. Tout cela par amour du Christ ! Comme Supérieure générale de la Congrégation

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des Sœurs Servantes des Pauvres du Troisième Ordre de Saint François — les Albertines —, elle donnait sans cesse à ses sœurs l'exemple de l'amour qui jaillit de l'union du cœur humain et du Sacré- Cœur du Sauveur. Le Cœur de Jésus était son réconfort dans son service héroïque des plus indigents.

Il est juste qu'elle soit béatifiée ici, à Zakopane, car c'est une sainte de Zakopane. Même si elle n'est pas née dans cette région, c'est ici qu'elle a grandi spirituellement pour atteindre la sainteté à travers l'expérience de l'ermitage de frère Albert à Kalatówki.

Dans le même temps, dans les territoires placés sous l'occupation prussienne, une autre femme, Maria Kar3owska, accomplissait une activité de véritable samaritaine parmi les femmes touchées par la grande misère sociale et morale. Son zèle saint attira bientôt à sa suite un groupe de disciples du Christ, avec lesquelles elle fonda la Congrégation des Sœurs Servantes du Bon Pasteur et de la Divine Providence. Pour ses sœurs et pour elle-même, elle avait établi l'objectif suivant : « Nous devons annoncer le Cœur de Jésus, c'est-à-dire vivre de lui, en lui et par lui de façon telle à devenir semblables à lui, et afin que dans nos vies, il soit plus visible que nous-mêmes ». Son dévouement au Sacré-Cœur du Sauveur développa en elle un très grand amour pour les hommes. Elle avait une faim insatiable d'amour. Un amour de ce genre, selon la bienheureuse Marie Karlowska, ne dira jamais assez, ne s'arrêtera jamais en route. C'est précisément ce qui lui arrivait, à elle qui était comme transportée par le courant de l'amour du divin Paraclet. Grâce à cet amour, elle restitua à de nombreuses âmes la lumière du Christ, et les aida à retrouver leur dignité perdue.

Il est juste qu'elle aussi soit béatifiée à Zakopane, car la Croix de Giewont embrasse du regard toute la Pologne, elle regarde vers le Nord, vers la Pomeranie et la ville de P3ock, vers tous les lieux où vivent les fruits de sa sainteté, ses sœurs et leur service aux indigents.

Chers frères et sœurs, ces deux religieuses héroïques, en accomplissant leur œuvre sainte dans des conditions extrêmement

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difficiles, ont manifesté en toute plénitude la dignité de la femme et la grandeur de sa vocation. Elles ont manifesté ce « génie féminin », qui se révèle à travers une profonde sensibilité à l'égard de la souffrance humaine, à travers la délicatesse, l'ouverture et la disponibilité à apporter son aide, et à travers d'autres qualités propres au cœur féminin. Ce génie se manifeste souvent sans bruit, c'est pourquoi il est souvent sous-estimé. Comme le monde d'aujourd'hui et notre génération ont besoin de lui ! Comme nous avons besoin de cette sensibilité féminine dans les choses de Dieu et des hommes, afin que nos familles et que toute la société soient emplies de chaleur cordiale, de bienveillance, de paix et de joie ! Comme nous avons besoin de ce « génie féminin », afin que le monde d'aujourd'hui apprécie la valeur de la vie, de la responsabilité, de la fidélité, afin qu'il conserve le respect pour la dignité humaine ! En effet, Dieu, dans son éternel dessein, a établi cette place pour la femme, en créant l'être humain « homme et femme » à son « image et ressemblance ».

5. Dans la Lettre aux Éphésiens, saint Paul fait presque une confession personnelle. Il écrit : « A moi, le moindre de tous les saints, a été confiée cette grâce-là d'annoncer aux païens l'insondable richesse du Christ, et de mettre en pleine lumière la dispensation du Mystère : il a été tenu caché depuis les siècles en Dieu, le Créateur de toutes choses » (3, 8-9). C'est ainsi qu'à travers le Cœur de Jésus crucifié, nous lisons donc le dessein éternel de Dieu pour le salut du monde. Le Cœur Divin devient d'une certaine façon le centre de ce dessein, qui est mystérieux et qui donne la vie. Ce dessein se réalise en lui. Comme l'écrit l'Apôtre : pour que se manifestent « au moyen de l'Église [...] la. sagesse. infinie. en. ressources. déployée par Dieu, en ce dessein éternel qu'il a conçu dans le Christ Jésus notre Seigneur et qui donne d'oser nous approcher en toute confiance par le chemin de la foi au Christ » (Ep 3, 10-12).

Tout est contenu ici. Le Christ est l'accomplissement du dessein divin de l'amour rédempteur. En vertu de ce dessein, l'homme a accès à Dieu, non seulement comme une créature à son Créateur, mais comme un fils à son Père. Le christianisme signifie

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donc une nouvelle création, une nouvelle vie — la vie dans le Christ à travers lequel l'homme peut dire à Dieu : Abba, mon Père, notre Père. La solennité du Sacré-Cœur de Jésus est donc dans un certain sens un complément extraordinaire de l'Eucharistie et c'est pourquoi l'Église, guidée par une profonde intuition de foi, célèbre cette fête du Cœur Divin au lendemain de la fin de l'octave du Corpus Domini.

Nous te louons, Christ notre Sauveur qui, de ton Cœur enflammé d'amour, déverses sur nous les sources de la grâce. Nous te remercions pour ces grâces à travers lesquelles les foules de saints et de bienheureux ont pu apporter au monde le témoignage de ton amour. Nous te remercions pour les bienheureuses Sœurs — Maria Bernardina et Maria — qui, dans ton cœur amoureux, ont trouvé la source de leur sainteté.

Très Saint Cœur de Jésus, prends pitié de nous !

Cœur de Jésus, fils du Père éternel, Cœur de Jésus, engendré dans le sein de la Sainte Vierge par l'opération de l'Esprit Saint, Cœur de Jésus, uni à la personne divine du Verbe, Cœur de Jésus, qui gardes tous les trésors de la sagesse et de la connaissance, prends pitié de nous !

Au terme de la Sainte Messe, après la Bénédiction apostolique, le Pape a salué les fidèles présents :

Aujourd'hui, j'ai rendu grâce à Dieu pour la Croix que vos Pères ont élevée sur le mont Giewont. Cette Croix embrasse du regard toute la Pologne, des monts Tatras à la Baltique, en disant Sursum corda ! — haut les cœurs ! — afin que toute la Pologne, en dirigeant son regard vers la Croix sur le mont Giewont, de la Baltique aux monts Tatras, puisse entendre et répéter : Sursum corda ! — hauts les cœurs ! Amen !

08 juin 1997

Edwige nous enseigne à aimer en actes et en vérité

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Sainte Edwige nous enseigne à faire un bon usage du don de la liberté

Dans la matinée du dimanche 8 juin 1997, sur l'esplanade de B3onia, à Cracovie, le Pape Jean-Paul II a présidé la célébration eucharistique à l'occasion de la canonisation de la reine Edwige de Pologne, qui vécut au XIVe siècle. Au cours de la cérémonie, à laquelle participaient près de deux millions de fidèles, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. Gaude, mater Polonia ! Je répète aujourd'hui cette exhortation à la joie, que les Polonais ont chantée pendant des siècles en souvenir de saint Stanislas.. Je. la. répète, car le lieu et la circonstance s'y prêtent de façon particulière. En effet, nous devons retourner sur la colline de Wawel, à la cathédrale royale et nous rendre auprès des reliques de la reine, Dame de Wawel. Voici venu le grand jour de sa canonisation. Et donc :

Gaude, mater Polonia,Prole fecunda nobili,Summi Regis magnaliaLaude frequenta vigili.

Edwige, tu as attendu longtemps ce jour solennel. Près de six cents ans se sont écoulés depuis ta mort, survenue alors que tu étais encore jeune. Aimée de toute la nation, toi, qui as vécu au début de l'époque des Jagellon, fondatrice de la dynastie, fondatrice de l'Université Jagellon dans la très antique Cracovie, tu as attendu pendant longtemps le jour de ta canonisation — le jour où l'Église te proclamerait solennellement la sainte patronne de la Pologne dans sa dimension héréditaire — de la Pologne unie grâce à toi avec la Lituanie et la Rus' : de la République de trois nations. Aujourd'hui, ce jour est arrivé. Tant de personnes ont désiré parvenir à ce moment et n'y ont pas réussi. Des années et des siècles se sont écoulés, et il semblait désormais que ta canonisation soit même impossible. Que ce jour soit un jour de joie non seulement pour nous, qui vivons à

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cette époque, mais également pour tous ceux qui ne l'ont pas connu sur cette terre. Que ce soit le grand jour de la communion des saints ! Gaude, mater Polonia !

2. L'Évangile d'aujourd'hui dirige notre pensée et notre cœur vers le baptême. Nous nous retrouvons une fois de plus en Galilée, le lieu d'où le Christ envoie ses Apôtres dans le monde entier : « Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 18-20) : c'est le mandat missionnaire que les apôtres ont assumé à partir du jour de la Pentecôte. Ils l'ont assumé et l'ont transmis à leurs successeurs. A travers eux, le message apostolique parvint progressivement au monde entier. Et, vers la fin du premier millénaire, les apôtres du Christ arrivèrent sur la terre. des. Piast.. Ce. fut. alors. que Mieszko Ier reçut le baptême et cet événement — selon la croyance de l'époque — constitua en même temps le baptême de la Pologne. En 1966, nous avons célébré le millénaire de ce baptême.

Comme le Primat du Millénaire, le Serviteur de Dieu le Cardinal Stefan Wyszynski se serait réjoui, s'il lui avait été donné de participer avec nous à ce grand jour de la canonisation. Celle-ci lui tenait à cœur, comme aux grands Archevêques métropolitains de Cracovie, au Prince Cardinal Adam Stefan Sapieha et à tout l'épiscopat de la Pologne. Tous pressentaient que la canonisation de la reine Edwige représenterait l'aboutissement du millénaire du baptême de la Pologne. Et c'est le cas, notamment parce que, grâce à la reine Edwige, les Polonais, baptisés au Xe siècle, entreprirent quatre siècles plus tard la mission apostolique et contribuèrent à l'évangélisation et au baptême de leurs voisins. Edwige était consciente que sa mission consistait à apporter l'Évangile à ses frères lituaniens. C'est ce qu'elle fit avec son époux, le roi Ladislas Jagellon. Sur la Baltique naquit un nouveau pays chrétien, régénéré

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par l'eau du baptême, tout comme au Xe siècle, la même eau avait fait renaître les fils et les filles de la nation polonaise.

Sit Trinitati gloria, laus, honor, iubilatio... Nous rendons grâce aujourd'hui à la Très Sainte Trinité pour ta sagesse, Edwige. L'auteur du Livre de la Sagesse demande : « Et ta volonté, qui l'a connue, sans que tu aies donné la Sagesse et envoyé d'en haut ton Esprit Saint ? » (cf. Sg 9, 17). Nous rendons donc grâce à Dieu le Père, au Fils et au Saint-Esprit pour ta sagesse, Edwige ; car tu as reconnu le dessein de Dieu non seulement en ce qui concerne ta vocation, mais également en ce qui concerne celle des nations : notre vocation historique et la vocation de l'Europe qui, grâce à toi, a complété le processus d'évangélisation dans son continent pour pouvoir ensuite entreprendre l'évangélisation d'autres pays et d'autres continents dans le monde entier. En effet, le Christ avait dit : « Allez, [...] de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19). Aujourd'hui, nous nous réjouissons de te voir élevée à la gloire des autels. Nous nous réjouissons au nom de toutes les nations dont tu es devenue la mère dans la foi. Nous sommes heureux pour la grande œuvre de sagesse. Et nous rendons grâce à Dieu pour ta sainteté, pour la mission que tu as accomplie dans notre histoire ; pour ton amour de la nation et de l'Église, pour ton amour du Christ crucifié et ressuscité. Gaude, mater Polonia !

3. La plus grande chose est l'amour. « Nous savons, nous, — écrit saint Jean — que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n'aime pas demeure dans la mort » (1 Jn 3, 14). Et celui qui aime participe donc à la vie, à la vie qui vient de Dieu. « A ceci nous avons connu l'amour — poursuit saint Jean — celui-là [le Christ] a donné sa vie pour nous » (1 Jn 3, 16). C'est pourquoi, nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères » (cf. ibid.). Le Christ a montré que de cette façon, en donnant notre vie pour nos frères, nous manifestons l'amour. C'est cela le plus grand amour (cf. 1 Co 13, 13).

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Aujourd'hui, en nous mettant à l'écoute des paroles des Apôtres, nous voulons te dire, notre sainte reine, que tu fus parmi les personnes peu nombreuses qui comprirent cet enseignement du Christ et des Apôtres. Tu t'es agenouillée plusieurs fois devant le Crucifix de Wawel pour apprendre du Christ lui-même ce généreux amour. Et tu l'as appris. Tu as su montrer par ta vie que la plus grande chose est l'amour. N'est-ce pas ce que nous chantons dans un très ancien chant polonais ?

« O sainte Croix, arbre plus noble que toute autre chose,il n'y en a pas d'égal dans aucune autre forêt,excepté celui que porte Dieu lui-même.(...)Quelle bonté sans égale que de mourir en croix pour un autre.Qui pourrait le faire aujourd'hui, pour qui donner son âme ?Seul le Seigneur Jésus le fit, car il nous aima fidèlement ».

(cf. Crux fidelis, XVIe siècle).

C'est de Lui, précisément du Christ de Wawel, au pied de ce Crucifix noir, auquel les habitants de Cracovie se rendent chaque année en pèlerinage, le Vendredi Saint, que tu as appris, reine Edwige, à donner ta vie pour tes frères. Ta profonde sagesse et ton intense activité jaillissaient de la contemplation, du lien personnel avec le Crucifié. Ici, contemplatio et vita activa trouvent leur juste équilibre. C'est pourquoi tu ne perdis jamais « la meilleure part », la présence du Christ. Aujourd'hui, nous voulons nous agenouiller avec toi, Edwige, au pied du Crucifix de Wawel, pour entendre l'écho de cette leçon d'amour que tu écoutais. Nous voulons apprendre de toi comment l'appliquer à notre époque.

4.  » Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les grands leur font sentir leur pouvoir. Il n'en doit pas être ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur » (Mt 20, 25-26). Ces paroles du Christ. pénétrèrent. profondément. la conscience de la jeune souveraine de la lignée d'Anjou. La caractéristique la plus profonde

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de sa brève vie et, en même temps, la mesure de sa grandeur fut son esprit de service. Elle offrit sa position sociale, ses talents, toute sa vie privée au service du Christ et, lorsqu'elle dut régner, elle consacra également sa vie au service du peuple qui lui était confié.

L'esprit de service animait son engagement social. Elle s'engagea avec ardeur dans la vie politique de son époque. Enfin, comme fille du roi de Hongrie, elle savait unir la fidélité aux principes chrétiens à la cohérence dans la défense de la raison d'État polonaise. En entreprenant de grandes œuvres au sein de l'État et dans le domaine international, elle ne désirait rien pour elle. Elle enrichissait avec générosité sa seconde patrie de tous les biens matériels et spirituels. Experte dans l'art de la diplomatie, elle établit les fondements de la grandeur de la Pologne du XVe siècle. Elle anima la coopération religieuse et culturelle entre les nations et sa sensibilité à l'égard des injustices sociales fut maintes fois louée par ses sujets.

Avec une clarté qui illumine aujourd'hui encore toute la Pologne, elle savait que la puissance de l'Etat comme celle de l'Église ont toutes deux leur source dans une éducation adaptée de la nation ; que la voie conduisant au bien-être de la nation, à sa souveraineté et à sa reconnaissance dans le monde passe à travers des Université dynamiques. Edwige savait bien aussi que la foi recherche une compréhension rationnelle, que la foi a besoin de la culture et forme la culture, que la foi vit dans l'espace de la culture. Et elle n'épargnait aucun effort pour enrichir la Pologne de tout le patrimoine spirituel de l'époque antique comme de celle du Moyen-Age.

Elle alla jusqu'à donner à l'Université. son sceptre d'or, utilisant quant à elle celui de bois doré. Ce fait, bien qu'ayant une signification concrète, représente avant tout un grand symbole. Durant toute sa vie, son prestige et le crédit dont elle jouissait ne venaient pas des insignes royales, mais de sa force d'esprit, de la profondeur de son âme et de la sensibilité de son cœur. Après sa mort, son œuvre continua à fructifier grâce à la richesse de la sagesse

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et l'apport d'une culture enracinée dans l'Évangile. Pour tout cela, nous remercions la reine Edwige, tandis que nous reparcourons avec orgueil ces six cents ans qui nous séparent de la fondation de la Faculté de Théologie et du renouveau de l'Université de Cracovie ; années, si l'on peut dire, de splendeur permanente de la science polonaise.

Et s'il nous était donné de visiter les hôpitaux médiévaux à Biecz, à Sandomierz, à S1cz et à Stradom, nous noterions avec admiration les nombreuses œuvres de miséricorde fondées par la souveraine polonaise. C'est en elles que se réalisa sans doute de la façon la plus éloquente l'exhortation à aimer en actes et en vérité (cf. 1 Jn 3, 18).

5. Ergo, felix Cracovia,Sacro dotata corpore,Deum, qui fecit omnia,Benedic omni tempore.

« Réjouis-toi, aujourd'hui, Cracovie » ! Réjouis-toi, car le moment est enfin venu où toutes les générations de tes habitants peuvent rendre un hommage de gratitude à la sainte Dame de Wawel. Toi, siège royal, tu dois à la profondeur de son esprit d'être devenue en Europe un centre important de la pensée, le berceau de la culture polonaise et le pont entre l'Occident chrétien et l'Orient, apportant une contribution inaliénable à la formation de l'esprit européen. A l'Université Jagellon étaient éduqués et enseignaient tous ceux qui rendirent célèbre dans le monde entier le nom de la Pologne et de cette ville, prenant part avec intelligence aux débats les plus importants de leur époque. Il suffit de rappeler le grand Recteur de l'Université de Cracovie, Pawel Wlodkowic, qui, dès le XVe siècle, établit les bases de la théorie moderne des droits de l'homme, ou Nicolas Copernic, dont les découvertes donnèrent naissance à une nouvelle vision du monde créé.

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Cracovie, et avec elle toute la Pologne, ne devrait-elle pas rendre grâce pour cette œuvre qui porta de magnifiques fruits, les fruits de la vie de saints étudiants et professeurs ? Aujourd'hui se présentent donc à nous ces grandes figures d'hommes et de femmes de Dieu, appartenant à chaque génération, de Jean de Kety et Stanislas Kazimierczyk, jusqu'au bienheureux Joseph Sébastien Pelczar et au serviteur de Dieu Józef Bilczewski, pour prendre part à notre hymne de louange à Dieu car, grâce à l'œuvre généreuse de la reine Edwige, cette ville est devenue le berceau des saints.

Réjouis-toi, Cracovie ! Je suis heureux de pouvoir partager ta joie aujourd'hui, ici à Blonia-Cracovie, avec ton Archevêque,. le. Cardinal. Franciszek. Macharski, avec les Évêques auxiliaires et les Évêques émérites, avec les Chapitres de la Cathédrale et de la Collégiale de Sainte-Anne, avec les prêtres, les personnes de vie consacrée et avec tout le Peuple de Dieu. Comme je désirais venir ici et, au nom de l'Église, t'assurer solennellement, Cracovie, ma ville bien-aimée, que tu ne te trompais pas en vénérant depuis des siècles Edwige comme sainte. Je rends grâce à la Divine Providence car il m'est donné, il m'est accordé de fixer le regard avec vous sur cette figure qui resplendit de la splendeur du Christ et d'apprendre ce que signifie : « la plus grande chose est l'amour ».

Je remercie tous les évêques polonais, tout l'épiscopat guidé par le Cardinal- Primat et tous les évêques qui nous accueillent. Je remercie les cardinaux et les évêques venus de Rome et des pays voisins, en particulier de Hongrie, de la République tchèque, de Slovaquie et de Lituanie. Chers frères, votre présence en ce jour est très précieuse pour nous.

6. « ...N'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité », écrit l'Apôtre (1 Jn 3, 18). Frères et sœurs, apprenons à l'école de la reine sainte Edwige la façon de réaliser le commandement de l'amour. Réfléchissons sur la « vérité polonaise ». Réfléchissons pour savoir si elle est respectée dans nos maisons, dans les moyens de communication sociale, dans les bureaux publics, dans

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les paroisses. Ne nous échappe-t-elle pas parfois sous la pression des circonstances ? N'est-elle pas déformée, simplifiée ? Est-elle toujours au service de l'amour ?

Réfléchissons sur la « praxis polonaise ». Méditons pour savoir si elle est réalisée avec prudence. Est-elle systématique et persévérante ? Est-elle courageuse et magnanime ? Unit-elle ou divise- t-elle les hommes ? Frappe-t-elle certains avec haine ou mépris ? Ou peut-être y a-t-il trop peu de pratique d'amour, d'amour chrétien ? (cf. St. Wyspianski, Wesele [Noces]).

« ...N'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité » !

Il y a dix ans, dans une Encyclique sur les problèmes du monde contemporain, j'écrivais que chaque nation « doit explorer et utiliser le plus possible l'espace de sa propre liberté » (Sollicitudo rei socialis, n. 44). Nous étions alors confrontés au problème de la « découverte de la liberté ». Aujourd'hui, la Divine Providence nous place face à un devoir nouveau : aimer et servir. Aimer en actes et en vérité. La reine sainte Edwige nous enseigne à utiliser de cette façon le don de la liberté. Elle savait que l'accomplissement de la liberté est l'amour, grâce auquel l'homme est disposé à se confier à Dieu et à ses frères, à leur appartenir. Elle confia donc sa vie et son règne au Christ et aux nations. qu'elle voulait conduire à Lui. Elle donna à toute la nation l'exemple de l'amour du Christ et de l'homme, d'un homme assoiffé de foi et de science, comme de pain quotidien et de vêtements. Dieu veuille qu'aujourd'hui aussi, l'on puise à cet exemple, afin que la joie du don de la liberté soit entière.

Notre reine, sainte Edwige, enseigne-nous aujourd'hui, au seuil du troisième millénaire, la sagesse et l'amour dont tu as fait la voie de ta sainteté. Conduis-nous tous, Edwige, au pied du Crucifix de Wawel, afin que nous sachions, comme toi, ce que signifie aimer en actes et en vérité, ce que signifie être véritablement libres. Prends sous ta protection ta nation et l'Église qui la sert et intercède pour

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nous auprès de Dieu, afin que la joie ne cesse pas en nous. Réjouis-toi, mère Pologne ! Gaude, mater Polonia !

10 juin 1997

Ne permettez jamais qu’on vous enlève votre dignité de chrétiens !

Homélie lors de la canonisation de saint Jean de Dukla

Le lundi 9 juin, Jean-Paul II a célébré le matin l’Eucharistie dans la chapelle Saint-Léonard, dans la crypte de la cathédrale de Cracovie, où, il y a cinquante ans, il célébra sa première messe. Il s’est ensuite rendu au cimetière de Rakowice, dans les environs de Cracovie, pour prier sur la tombe où sont enterrés ses parents et son frère. Il est parti dans la soirée pour Dukla, pays natal du Bienheureux Jean de Dukla, qu’il a inscrit au catalogue des saints le lendemain, mardi 10 juin.

La cérémonie de canonisation de saint Jean de Dukla (environ 1414-1484), religieux Franciscain, s’est déroulée dans la ville voisine de Krosno, à une vingtaine de kilomètres de Dukla. Le Pape a prononcé l’homélie ci-dessous9.

Le soir, Jean-Paul II a regagné l’aéroport de Cracovie pour la cérémonie de départ. Il est arrivé à Rome à 20 h 30.

1. « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1).

Ces paroles du prophète Isaïe, que nous avons entendues dans la première lecture, furent lues par Jésus dans la synagogue de Nazareth au début de son activité publique : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la 9 Texte original polonais dans l’Osservatore Romano du 13 juin. Traduction, d’après la version italienne dans l’Osservatore Romano du 11 juin, titre et sous-titres de la DC.

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lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordés par le Seigneur » (Is 61, 1-2). Ce jour-là, dans la synagogue, Jésus annonça que ces paroles recevaient leur accomplissement : l’Esprit Saint l’avait consacré par l’onction, en vue de sa mission messianique. Mais ces paroles avaient aussi une valeur qui s’étend aujourd’hui à tous ceux qui sont appelés et invités par Dieu à continuer la mission du Christ. Elles peuvent donc certainement aussi s’appliquer à Jean de Dukla, qu’il m’a été donné aujourd’hui d’inscrire parmi les saints de l’Église.

Je rends grâce à Dieu de ce que la canonisation du Bienheureux Jean de Dukla puisse avoir lieu dans son pays natal. Son nom et en même temps la gloire de sa sainteté sont unis pour toujours avec Dukla, une petite ville, même si elle est très ancienne, située au pied du mont Cergowa et de la chaîne du Besckid central. Je connais ces montagnes et cette ville depuis très longtemps. Je suis venu bien des fois ici quand je me rendais vers les Bieszczady, ou encore dans la direction opposée, à partir des Bieszczady, traversant le bas Besckid, jusqu’à Krynica. J’ai pu connaître la population de ce lieu, aimable et hospitalière, même si elle était parfois étonnée en voyant le groupe de jeunes en promenade dans leurs montagnes avec de lourds sacs à dos. Je suis heureux d’avoir pu revenir ici, d’avoir pu, entouré de ces belles montagnes et au pied du mont Cergowa, proclamer saint de l’Église catholique votre compatriote et concitoyen.

Jean de Dukla est un des nombreux saints et bienheureux qui ont grandi sur la terre polonaise au cours des XVe et XVIe siècles. Tous étaient liés à la cité royale de Cracovie. La Faculté de théologie, érigée par la reine Edwige vers la fin du XIVe siècle, les attirait. Ils animaient la ville universitaire du souffle de leur jeunesse et de leur sainteté et, de là, ils se rendaient à l’Est. Leurs routes les portaient surtout vers Lviv, comme ce fut le cas de Jean de Dukla, qui passa la majeure partie de sa vie dans cette grande ville, centre lié à la Pologne par des liens très étroits, spécialement depuis l’époque de Casimir le Grand. Saint Jean de Dukla est le Patron de la ville de Lviv et de tout le territoire environnant.

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Son nom sera désormais lié pour toujours à la ville où se déroule sa canonisation, Krosno sur la Wislock, mais aussi à Przemysl et à l’archidiocèse de Przemysl dont je salue cordialement le pasteur, Mgr Jozef Michalik. Je salue également son prédécesseur, l’archevêque Ignacy Tokarczuk, dont le nom s’est inscrit tout particulièrement dans l’histoire de l’Église contemporaine en Pologne. Elle ne peut oublier son grand courage pendant la période des gouvernements communistes, et avant tout la détermination qu’il montra dans ses luttes pour la construction d’édifices sacrés nécessaires à l’Église en Pologne. Je suis heureux que, en cette occasion, il me soit donné de rencontrer encore une fois le cher archevêque auquel j’étais tellement uni au temps où j’étais métropolite de Cracovie. Je salue cordialement Mgr Boleslaw, qui a été pendant de longues années évêque auxiliaire et qui est aujourd’hui évêque émérite, et l’actuel évêque auxiliaire de Przemysl, Mgr Stefan. Je suis heureux de la présence parmi nous de Mgr Marian Jaworski, archevêque de Lviv, ville où il est né et a grandi, où il est revenu comme pasteur de l’Église renaissante : Lviv, ville justement appelée semper fidelis ! Je salue tous les évêques des métropoles de Przemysl et de Lviv, et aussi les nombreux prêtres présents, diocésains et religieux, les religieuses et vous tous, bien chers frères et sœurs, habitants de cette terre qui m’a tant de fois donné l’hospitalité et que j’aime de tout mon cœur.

Jean de Dukla, prédicateur de la bonne doctrine

2. En ce jour où nous procédons à la canonisation de Jean de Dukla, nous devons regarder ce que furent la vocation de ce fils spirituel de saint François et sa mission, dans un contexte historique plus large. La Pologne avait déjà reçu le christianisme quatre siècles plus tôt. Près de quatre cents ans s’étaient écoulés depuis que saint Adalbert avait travaillé en Pologne. Les siècles suivants avaient été marqués par le martyre de saint Stanislas, par le progrès de l’évangélisation et le développement de l’Église sur nos terres. Cela était dû en grande partie à l’activité des Bénédictins. Au XIVe siècle, les fils de saint François d’Assise arrivent en Pologne. Le

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mouvement franciscain trouva dans notre pays un terrain favorable. Il fructifia aussi avec tout un groupe de bienheureux et de saints qui, suivant l’exemple du Poverello d’Assise, animèrent le christianisme polonais d’un esprit de pauvreté et d’amour fraternel. À la tradition de pauvreté évangélique et de simplicité de vie, ils unissaient la connaissance et la sagesse, qui eurent des effets sur leur travail pastoral. On peut dire qu’ils avaient pris au sérieux les paroles de la Lettre à Timothée que nous avons entendues lors de la seconde lecture de ce jour : « Devant Dieu et devant le Christ Jésus qui doit juger les vivants et les morts, je te le demande solennellement, au nom de sa manifestation et de son Règne : proclame la Parole, interviens à temps et à contretemps, dénonce le mal, fais des reproches, encourage, mais avec une grande patience et avec le souci d’instruire » (2 Tm 4, 1-2). Cette saine doctrine, déjà indispensable à l’époque de Paul, était aussi indispensable à l’époque où vécut et travailla Jean de Dukla. En ce temps-là aussi ne manquaient pas des gens qui ne supportaient pas la saine doctrine mais qui, selon leurs désirs, tout seuls, multipliaient les maîtres pour leur propre compte, tournaient les épaules à l’écoute de la vérité, au profit de récits mythologiques (cf. 2 Tm 4, 3-4).

Les mêmes difficultés sont encore présentes. Acceptons donc les paroles de Paul comme si elles s’adressaient à nous par l’intermédiaire de la vie de saint Jean de Dukla, proposées à nouveau à tous et à chacun, en particulier aux prêtres, aux religieux et aux religieuses : « Mais toi, en toute chose, garde ton bon sens, supporte la souffrance, travaille à l’annonce de l’Évangile, accomplis jusqu’au bout ton ministère » (cf. 2 Tm 4, 4).

« Vous n’avez qu’un seul Maître, le Christ. Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. Qui s’élèvera sera abaissé, et qui s’abaissera sera élevé » (Mt 23, 10-12). Tel fut bien le programme évangélique que saint Jean de Dukla a réalisé au cours de sa vie. C’est un programme christocentrique. Jésus-Christ était pour lui le seul Maître. Imitant sans réserves l’exemple de son Maître et Seigneur, il désirait par dessus tout servir. Là se trouve l’Évangile de

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la sagesse, de l’amour et de la paix. Il a réalisé cet Évangile par toute sa vie. Et aujourd’hui cette œuvre évangélique de Jean de Dukla est parvenue à la gloire des autels. En son pays natal, il est proclamé saint de l’Église universelle. Sa canonisation prend place sur cette route où toute l’Église s’avance, sur la route qui mène au rendezvous du second millénaire de la naissance du Christ. Avec tous ceux qui introduisent l’Église qui est en Pologne dans ce tertio millennio adveniente, avec saint Adalbert, saint Stanislas, sainte Edwige, lui aussi, saint Jean de Dukla, est présent. Et sa canonisation constitue une richesse nouvelle de l’Église en sa patrie. C’est peut-être un complément aux vœux que forma un jour Jean Casimir devant la Madone des Grâces dans la cathédrale de Lviv.

Hommage au travail des agriculteurs

3. Chers frères et sœurs, en ce lieu d’où l’on voit les champs de blé encore verts qui, lorsqu’ils prendront bientôt une teinte dorée, commenceront à inviter l’agriculteur au dur travail « pour le pain », en ce lieu, je veux rappeler les paroles que prononça le roi Jean Casimir, en une journée historique, devant le trône de la Madone des Grâces en la cathédrale de Lviv. Elles exprimaient une grande sollicitude pour toute la nation, le désir de la justice et la volonté de supprimer les poids qui écrasaient ses sujets, spécialement les hommes de la terre.

En ce jour, au cours de la canonisation de Jean de Dukla, fils de cette région, je veux rendre hommage au travail des agriculteurs. Je m’incline avec respect devant cette terre des Bieszczady qui, au cours de l’histoire, a fait l’expérience de nombreuses souffrances provoquées par les guerres et les conflits, qui est aujourd’hui éprouvée par de nouvelles difficultés, spécialement par le manque de travail. Je veux rendre hommage à l’amour de l’agriculteur pour sa terre, parce que cet amour a toujours constitué le fort soutien sur lequel s’est appuyée l’identité de la nation. Dans les moments de grands dangers, aux moments les plus dramatiques de l’histoire de la nation, cet amour et cet attachement à la terre se sont avérés

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extrêmement importants dans la lutte pour la survie. Aujourd’hui, à une époque de grandes transformations, il n’est pas permis de l’oublier. Je rends aujourd’hui hommage aux mains du peuple polonais, ces mains qui travaillent la terre, ces mains qui, de la terre dure et difficile, tirent le pain nécessaire au pays et qui, dans les moments où le danger est présent, sont prêtes à le garder et à le défendre.

Restez fidèles aux traditions de vos ancêtres. Quand, courbés sur la terre, ils levaient les yeux, ils embrassaient du regard l’horizon, où le ciel se conjugue avec la terre, et ils faisaient monter au ciel une prière pour une bonne récolte, pour la semence, pour le semeur et pour le blé, pour le pain. Ils commençaient chaque journée et chacun de leurs travaux en invoquant le Nom de Dieu et ils terminaient avec Dieu leur travail de cultivateurs. Restez fidèles à cette très ancienne tradition ! Elle exprime la vérité la plus profonde sur le sens et la fécondité de votre travail. Vous serez ainsi semblables au semeur de l’Évangile. Respectez tout grain de blé qui cache en lui l’admirable puissance de la vie. Respectez aussi la semence de la Parole de Dieu. Que ne disparaisse jamais de la bouche de l’agriculteur polonais ces belles salutations « Szczesc Boze » (« Dieu te soit propice ! ») et

« Loué soit Jésus-Christ ! ». Saluez-vous avec ces paroles, vous transmettant ainsi les souhaits les meilleurs. Ils expriment votre dignité chrétienne. Ne permettez pas qu’on vous l’enlève. On tente de le faire ! Le monde est plein de dangers. Par l’intermédiaire des moyens de communication sociale, certains messages parviennent jusque dans les campagnes polonaises. Créez une culture de la campagne dans laquelle, à côté des dimensions nouvelles qu’apporte notre époque, demeure – comme auprès d’un bon patron – un espace pour les choses anciennes, sanctifiées par la tradition, confirmées par la vérité des siècles.

Appelés à la sainteté

En embrassant cette terre de tout cœur, je veux aussi vous dire combien j’apprécie les sacrifices consentis pour construire des

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édifices sacrés. Souvent, à partir de votre dur labeur d’agriculteur, vous avez su extraire cette obole de la veuve, grâce à laquelle vous permettez au Christ d’avoir sa place dans ce coin de Pologne. Que Dieu vous récompense pour ces belles églises, fruit du travail de vos mains et fruit de votre foi. Et de quelle foi profonde ! « L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ! », avons-nous dit il y a peu dans le chant entre les lectures (Ps 88, 2). Vous avez construit ces nouvelles églises pour que vous-mêmes et les générations à venir ayez un lieu où chanter les gloires du Seigneur.

Il faut s’attacher fermement au Christ, le Bon Semeur, et suivre sa voix sur les routes qu’il nous montre. Et ce sont des routes d’initiatives diverses et multiples, toujours plus nombreuses aujourd’hui en Pologne. Je sais quel grand effort est fait pour la promotion des groupes et des institutions caritatives, qui témoignent de la solidarité envers ceux qui ont besoin d’aide en ce pays et au-delà de ses frontières. Nous avons nous-mêmes fait l’expérience de cette aide dans les années difficiles : nous devons maintenant savoir donner à notre tour, nous souvenir des autres. Notre patrie a aujourd’hui besoin du laïcat catholique, de ce Peuple de Dieu, qu’attendent le Christ et l’Église. Nous avons besoin de laïcs qui comprennent la nécessité d’une formation constante de la foi. Comme il est opportun que l’Action catholique ait pu renaître dans notre Église en terre polonaise ! Dans votre archidiocèse, comme en d’autres diocèses, elle devient, aux côtés d’autres mouvements et communautés de prière, une école de la foi. Avancez avec courage sur ce chemin en vous souvenant que, plus grand sera votre engagement dans la nouvelle évangélisation et dans la vie sociale, plus grande encore sera l’exigence d’une authentique spiritualité, de ce lien intime avec le Christ et avec l’Église qui se nourrit de la prière et de la réflexion sur la Parole de Dieu. C’est une union qui, avec la grâce de Dieu, doit imprégner tout mouvement du cœur, jusqu’à la sainteté.

4. Chers frères et sœurs ! La terre sur laquelle nous nous trouvons est imprégnée et remplie de la sainteté de Jean de Dukla. Ce

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saint religieux a non seulement rendu célèbre cette belle terre de Bieszczady mais, avant tout, il l’a sanctifiée. Vous êtes les héritiers de cette sainteté. Quand vos posez vos pieds sur cette terre, mettez vos pas dans les siens. Nous ressentons tous ici d’une manière mystérieuse « le trésor de la gloire de Jésus-Christ qui se manifeste en ses saints »

(cf. Ep 1, 18). Cette terre a en effet donné de nombreux témoins authentiques de Jésus-Christ, des personnes qui ont mis pleinement leur confiance en Dieu et ont consacré leur vie à l’annonce de l’Évangile. Suivez leurs traces ! Fixez votre regard sur leur vie ! Imitez leurs œuvres afin que les hommes « en voyant ce que vous faites de bien, rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux » (cf. Mt 5, 16). Que la foi semée par saint Jean dans les cœurs de vos ancêtres grandisse comme un arbre de sainteté et « porte beaucoup de fruits, et qu’il demeure » (cf. Jn 15, 5) !

Sur cette route, que vous accompagne la Mère du Christ, vénérée en de nombreux sanctuaires en ce pays. Je vais bientôt couronner les effigies de la Madone de Haczow, de Jaliska et de Wielkie Oczy. Que cet acte soit l’expression de la vénération que nous portons à Marie, de notre espoir que, par son intercession, elle nous aide à accomplir jusqu’à la fin la volonté de Dieu. À l’époque où nous avons célébré le millénaire du baptême de la Pologne, nous avons appris à chanter : « Marie, Reine de la Pologne, je suis proche de toi, je me souviens de toi, je veille » (Appel de Jasna Gora). Nous sommes heureux qu’avec nous veillent tous les saints Patrons de la Pologne. Nous sommes heureux et nous prions pour la nation polonaise et pour l’Église sur notre terre, tertio millennio adveniente. « Depuis longtemps, Marie, tu es la Reine de la Pologne… Prends sous ta protection toute la nation qui vit pour ta gloire ». Amen.

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29 juin 1997

A l'image de Pierre et Paul, chacun est appelé à poursuivre la mission confiée par le Seigneur

Dans la matinée du 29 juin 1997, solennité des saints Pierre et Paul, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique dans la basilique Saint- Pierre, au cours de laquelle il a imposé le Pallium à vingt-huit Archevêques métropolitains. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18).

La liturgie de la Parole de ce jour en la solennité des saints Pierre et Paul, présente deux éléments qui semblent en apparence contradictoires, mais qui en réalité se complètent réciproquement. En effet, d'un côté se trouve la vocation extraordinaire des Apôtres Pierre et Paul et, de l'autre, les difficultés qu'ils ont dû affronter pour accomplir la mission reçue du Seigneur.

Dans le passage évangélique, Jésus s'adresse ainsi à Simon-Pierre, près de Césarée de Philippe : « Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié » (Mt 16, 19). Le Christ annonce ainsi l'institution de l'Église, en la fondant sur le ministère de Pierre qui, en conséquence, revêt pour celle-ci une signification essentielle et permanente.

Lorsque Jésus avait demandé qui était le Fils de Dieu selon les gens, les Apôtres avaient rapporté différentes opinions qui circulaient parmi les Juifs. Mais lorsqu'il leur demanda directement : « Mais pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15), Pierre répondit au nom des Douze : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).

Pierre effectua sa profession de foi dans le Christ et cette foi constitue le fondement solide du Peuple de la Nouvelle Alliance.

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L'Église n'est pas en premier lieu une structure sociale ; elle est la communauté de ceux qui partagent la même foi que Pierre et les Apôtres ; la Communauté de ceux qui proclament l'unique foi apostolique. Cette profession de foi commune représente l'authentique raison d'être de l'Église elle-même comme institution visible : elle en motive et en soutien chaque projet et initiative.

2. Nous écoutons à nouveau ces paroles de Jésus, le jour où nous rappelons avec vénération les saints Apôtres Pierre et Paul. Les Pères aimaient les comparer à deux colonnes, sur lesquelles repose la construction visible de l'Église. Selon l'antique tradition, la liturgie les célèbre ensemble, en commémorant le même jour leur glorieux martyre : Pierre, dont la tombe se trouve sur cette Colline vaticane, et Paul, dont le sépulcre est vénéré près de la via Ostiense. Tous deux ont scellé de leur sang le témoignage rendu au Christ à travers la prédication et le ministère ecclésial.

La liturgie d'aujourd'hui souligne bien ce témoignage, laissant également entrevoir la raison profonde pour laquelle il fallait que la foi professée par la bouche des deux Apôtres soit également couronnée par l'épreuve suprême du martyre.

3. Cette raison ressort du passage des Actes des Apôtres, qui vient d'être proclamé, ainsi que du Psaume responsorial et de l'extrait de la Lettre à Timothée, et elle est proposée de façon synthétique dans le refrain du Psaume responsorial : « Béni Yahvé qui libère ses amis » (cf. Ps 33, 5).

La première Lecture rappelle la libération miraculeuse de Pierre de la prison de Jérusalem, où il avait été emprisonné par le roi Hérode. Dans la seconde Lecture, Paul affirme, en résumant presque toute l'activité apostolique et missionnaire : « Et j'ai été délivré de la gueule du lion » (2 Tm 4, 17). L'un et l'autre témoignage indiquent, dans un certain sens, le chemin commun parcouru par les deux Apôtres. Tous deux furent invités par le Christ à annoncer l'Évangile dans un contexte hostile à l'œuvre du salut. Pierre fit déjà l'expérience de cette résistance à Jérusalem, où Hérode, pour gagner

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la faveur des Juifs, le jeta en prison dans l'intention de « le faire comparaître devant le peuple » (Ac 12, 4). Mais il fut sauvé de façon miraculeuse des mains d'Hérode, et il put ainsi mener à bien sa mission évangélisatrice, tout d'abord à Jérusalem puis à Rome, en plaçant toutes ses énergies au service de l'Église naissante.

Paul, envoyé par le Ressuscité dans de nombreuses villes et au milieu de populations païennes appartenant à l'empire romain, rencontra également de fortes résistances,.tant de la part de ses concitoyens que des autorités civiles. Ses lettres constituent un splendide témoignage de ces difficultés et du grand combat qu'il dut mener pour la cause de l'Évangile.

A la fin de sa mission, il pouvait écrire : « Quant à moi, je suis déjà répandu en libation et le moment de mon départ est venu. J'ai combattu jusqu'au bout le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi » (2 Tm 4, 6- 7).

Pierre et Paul, chacun à travers sa vie personnelle et ecclésiale, témoignent que le Seigneur ne les abandonna jamais, même au cours des épreuves très difficiles. Il se trouvait avec Pierre pour le libérer des mains des opposants à Jérusalem ; il se trouvait avec Paul dans ses incessants efforts apostoliques, pour lui communiquer la force de sa grâce, afin de faire de lui un vaillant annonciateur de l'Évangile au bénéfice des nations (cf. 2 Tm 4, 17).

4. L'Église est appelée à approfondir son lien avec le témoignage des Apôtres Pierre et Paul. En célébrant la solennité liturgique d'aujourd'hui, les communautés chrétiennes du monde entier renforcent entre elles les liens d'unité fondés sur la profession de la même foi dans le Christ et sur la charité fraternelle. Un signe éloquent de cette communion ecclésiale est le rite de l'imposition du Saint Pallium par le Successeur de Pierre aux nouveaux Archevêques métropolitains provenant de différentes nations.

Très chers frères dans l'épiscopat ! Je suis heureux de vous accueillir à l'occasion de cette solennelle célébration, au cours de

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laquelle vous recevrez le Pallium, comme signe d'unité avec le siège de Pierre et de partage de la mission, confiée par le Christ aux Apôtres et à leurs successeurs, d'annoncer l'Évangile à toutes les nations. Je désire avec vous saluer et embrasser avec affection les communautés ecclésiales qui vous sont confiées, en demandant au Seigneur l'abondance des dons de l'Esprit pour vos fidèles.

5. Le témoignage de foi et la lutte difficile que les Apôtres Pierre et Paul durent affronter à cause de l'Évangile, si on les considère d'un point de vue purement humain, se terminèrent par un échec. En cela, ils suivirent également fidèlement le modèle du Christ. En effet, toujours d'un point de vue humain, la mission du Christ, condamné à mort et crucifié, se termina par un échec.

Toutefois, les deux Apôtres, gardant le regard fixé sur le Mystère pascal, ne doutèrent pas que précisément ce qui apparaissait comme un échec aux yeux du monde, constituait en réalité le début de la réalisation du plan de Dieu. Il s'agissait de la victoire sur les forces du mal, remportée tout d'abord par le Christ, puis par ses disciples, à travers la foi. Toute la communauté des croyants repose sur le fondement sûr de la foi apostolique et rend grâce au Christ pour le roc solide, sur lequel sa vie ainsi que sa mission sont construites.

Que le Seigneur, qui nous réjouit aujourd'hui avec le souvenir glorieux des Apôtres Pierre et Paul, nous accorde d'écouter avec un cœur docile, de conserver avec dévotion et de transmettre avec fidélité leur enseignement, afin que l'annonce évangélique atteigne toutes les extrémités de la terre.

Amen !

15 août 1997

Le sens plénier de notre vocation chrétienne

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En regardant Marie, nous comprenons mieux la valeur relative des honneurs terrestres

Dans la matinée du vendredi 15 août 1997, le Pape Jean-Paul II a présidé une célébration eucharistique en la solennité de l'Assomption, dans la cour du Palais pontifical de Castel Gandolfo. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « La Reine resplendit, Seigneur, à ta droite » (Psaume responsorial).

La liturgie de ce jour nous place face à l'icône resplendissante de la Vierge élevée au ciel tout en conservant l'intégrité de son âme et de son corps. Dans la splendeur de la gloire céleste brille Celle qui, en vertu de son humilité, s'est montrée grande devant le Très Haut au point que toutes les générations l'appellent bienheureuse (cf. Lc 1, 48). A présent, elle siège en tant que Reine à côté de son Fils, dans la béatitude éternelle du paradis et, d'en haut, elle regarde ses enfants.

Nous nous adressons à Elle avec cette certitude réconfortante et nous l'invoquons pour ceux qui sont ses fils : pour l'Église et pour toute l'humanité, afin que tous, en imitant sa fidélité à la suite du Christ, puissent parvenir à la patrie définitive du ciel.

2. « La Reine resplendit, Seigneur, à ta droite ».

Première de ceux qui sont rachetés par le sacrifice pascal du Christ, Marie resplendit aujourd'hui comme notre Reine à nous tous, pèlerins vers la vie immortelle.

En Elle, élevée au ciel, nous est manifesté le destin éternel qui nous attend au-delà du mystère de la mort : un destin de bonheur complet dans la gloire divine. Cette perspective surnaturelle soutient notre pèlerinage quotidien. Marie est notre Maîtresse de vie. En La regardant, nous comprenons mieux la valeur relative des honneurs terrestres et le sens plénier de notre vocation chrétienne.

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De sa naissance à son assomption glorieuse, son existence s'est déroulée selon l'itinéraire de la foi, de l'espérance et de la charité. Ce sont ces vertus, qui ont fleuri dans un cœur humble et abandonné à la volonté de Dieu, qui ornent sa précieuse et impérissable couronne de Reine. Ce sont ces vertus que. le. Seigneur demande à chaque croyant, pour l'admettre dans la gloire de sa Mère elle-même.

Le texte de l'Apocalypse, qui vient d'être proclamé, parle de l'énorme dragon rouge qui représente la tentation éternelle à laquelle l'homme doit faire face : préférer le mal au bien, la mort à la vie, le plaisir facile du désengagement au chemin exigeant mais gratifiant de la sainteté pour laquelle chaque homme a été créé. Dans la lutte contre « l'énorme Dra- gon, l'antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l'appelle, le séducteur du monde entier » (Ap 12, 9), apparaît le signe grandiose de la Vierge victorieuse, Reine de gloire assise à la droite du Seigneur.

Et dans cette lutte spirituelle, l'aide qu'elle apporte à l'Église apparaît déterminante pour parvenir à la victoire définitive sur le mal.

3. « La Reine resplendit, Seigneur, à ta droite ».

Marie brille sur la terre « en attendant la venue du jour du Seigneur [...] comme un signe d'espérance assurée et de consolation devant le Peuple de Dieu en pèlerinage » (Lumen gentium, n. 68). Mère attentionnée pour tous, elle soutient l'effort des croyants et les encourage à persévérer dans leur engagement. Je pense ici tout particulièrement aux jeunes, qui sont les plus exposés aux sollicitations et aux tentations de mythes éphémères et de faux maîtres.

Chers jeunes, tournez-vous vers Marie et invoquez-la avec confiance ! La Journée mondiale de la Jeunesse, qui commencera dans quelques jours à Paris, vous offrira l'occasion de faire encore une fois l'expérience de sa sollicitude maternelle. Marie vous aidera à vous sentir une partie intégrante de l'Église, et elle vous poussera à

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ne pas craindre d'assumer vos responsabilités de témoins crédibles de l'amour de Dieu.

Aujourd'hui, l'Assomption vous montre où conduisent l'amour et la pleine fidélité au Christ sur la terre : jusqu'à la joie éternelle du ciel.

4. Marie, Femme vêtue de soleil, face aux souffrances inévitables et aux difficultés de chaque jour, aide-nous à tourner notre regard vers le Christ.

Aide-nous à ne pas craindre de le suivre jusqu'au bout, même lorsque la croix nous semble trop lourde. Fais-nous comprendre que c'est là la seule voie qui conduit au sommet du salut éternel.

Et du ciel, où tu resplendis, Reine et Mère de miséricorde, veille sur chacun de tes fils.

Guide-les pour aimer, adorer et servir Jésus, le fruit béni de ton sein, ô clémente, ô pieuse, ô douce Vierge Marie !

22 août 1997

La Béatification de Frédéric Ozanam à Notre-Dame de Paris

Après avoir quitté vers 8 h 30 la nonciature apostolique, où il a résidé pendant tout son séjour parisien, Jean-Paul II s’est rendu vendredi matin 22 août à la cathédrale Notre-Dame de Paris pour la concélébration eucharistique au cours de laquelle il a proclamé bienheureux celui que l’on considère comme le principal fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, Frédéric Ozanam, précurseur du catholicisme social (1813-1853). Le Pape était entouré de quelque 300 évêques et de nombreux prêtres. Sur le parvis de la cathédrale, environ 7 000 personnes avaient trouvé place, la cathédrale se révélant trop petite pour contenir la foule des héritiers spirituels de Frédéric Ozanam et les représentants de la Famille vincentienne. Nous donnons ci-dessous la demande de

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béatification adressée par le cardinal Lustiger au Pape, la réponse du Pape et l’homélie de Jean-Paul II10 :

Présentation par le cardinal Jean-Marie Lustiger

TRÈS SAINT PÈRE,

Archevêque de Paris, je vous demande de bien vouloir inscrire au nombre des bienheureux Frédéric Ozanam, vénéré jusqu’ici comme vrai Serviteur de Dieu.

Il est né à Milan le 23 avril 1813. Il a été baptisé le 13 mai suivant. Il est le cinquième enfant d’une famille lyonnaise de quatorze enfants, dont quatre seulement survivront. Son père est un médecin, passionné pour les sciences, les arts et le travail. Il est habité d’une foi profonde, ce qui est fort rare en ce temps. Il sert les pauvres avec une charité inlassable.

Sa mère est une chrétienne active très proche des femmes qui sont chargées de veiller les malades.

Sa famille quitte l’Italie et revient définitivement à Lyon et il entre en 1822 au collège royal de cette ville. Nous avons du mal à imaginer l’atmosphère qui y règne à cette époque. Elle est très hostile à la foi, et les nouveaux élèves y subissent de fortes pressions anti-religieuses. Un rapport de police signale ceci :

« Si les nouveaux élèves – je le cite – se disent religieux, on les tourmente jusqu’à ce qu’on ait obtenu une sorte de rétractation » – fin de citation.

À quinze ans, Frédéric traverse une crise dont il dira, – je le cite : « Je me demandais pourquoi je croyais, je doutais ». Son professeur de philosophie, un prêtre, l’abbé Noiraud, lui permet de franchir cette étape en lui expliquant qu’il ne faut exclure, ni l’expérience, ni la raison pure, ni la tradition, c’est-à-dire la révélation chrétienne, ce qui est déjà remarquable dans le climat philosophique de l’époque. Désormais, la foi de Frédéric sera

10 Textes du Secrétariat des JMJ. Sous-titres de la DC.

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intrépide. En 1830, il entre dans la vie professionnelle, il est clerc d’avoué, et – je le cite à nouveau : « Au milieu des blasphèmes et des conversations infâmes de mes camarades de travail, j’ai un besoin immense de religion, et non seulement de christianisme, mais de catholicisme encore ».

Et voilà qu’en novembre 1831, il vient faire ses études de droit à Paris. Il sort de cette crise spirituelle, – je le cite à nouveau : « J’ai promis à Dieu de vouer mes jours au service de cette vérité qui me donnait la paix ». Et voilà qu’avec quelques amis, Lyonnais comme lui, il participe à des « débats d’idées ».

Cela ne lui suffit pas. Je le cite encore : « Il faut joindre l’action à la parole, affirmer par des œuvres, la vitalité de notre foi ». Le 23 avril 1833, jour de ses 20 ans, chez Emmanuel Bailly, dans le quartier de Saint-Sulpice, à l’extrémité du quartier Latin, ils sont sept, à donner naissance à ce qu’ils nommeront : une Société de charité.

La devise de la République et l’Évangile

La Société de Saint-Vincent-de-Paul vient de naître. Non sans résistance, Frédéric l’empêche de devenir un petit groupe fermé. Ce qui assure bien sûr un bel essor à ces conférences qui se multiplient en province. Il souligne alors, – je le cite encore : « Le rôle médiateur que notre titre de chrétien nous rend obligatoire ». À la même époque, pour défendre le catholicisme face à la critique rationaliste particulièrement violente, avec ses amis, parmi lesquels Chateaubriand, Montalembert, Lamartine, il demande à mon prédécesseur, l’archevêque de Paris, Mgr de Queslin, d’établir des conférences publiques. Mgr de Queslin en confie la mission à l’abbé Lacordaire, pour le carême 1835, et en ce carême, et en cette année là, pour la première fois, la voix de Lacordaire retentit du haut de cette chaire, et c’est à Frédéric Ozanam que nous le devons.

Attiré par la littérature italienne, il fera connaître saint François d’Assise, dont il publie les Fioretti, et, en 1839, il présente sa thèse

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de doctorat sur Dante et la philosophie catholique du XIIIe siècle.

Ce siècle où tant de grands théologiens enseignèrent à l’Université de Paris. Docteur en droit, docteur ès lettres, agrégé à 27 ans, il est professeur suppléant à la Sorbonne, et il va inaugurer la vivante tradition des universitaires catholiques. Ainsi, ferat-il reconnaître la place des intellectuels chrétiens dans la société.

Il épouse alors Amélie Soulacroix, fille du recteur de l’Académie de Lyon. De leur mariage naîtra une fille unique, Marie.

Dans le même temps, Frédéric Ozanam suit avec attention l’évolution de l’Église dans le monde entier. Il n’oublie pas les Polonais et les drames qu’ils traversent, ni les Irlandais.

Il contribue à l’œuvre de la propagation de la foi, car, dit-il, – c’est encore lui que je cite : « Elle habitue à pratiquer cette admirable doctrine de la communion des saints, qui en chacun de nos frères, nous découvre un membre de la personne de notre Seigneur Jésus Christ ». Il est l’un des précurseurs du catholicisme social. Il entend aussi réconcilier la science et la foi. Montrer rigoureusement le rôle de l’Église dans le progrès de la civilisation. Il se réjouit avec l’Église, il souffre avec elle.

Dans le domaine politique, il milite pour l’alliance du catholicisme et de la liberté, souffrant des remous provoqués en Europe par les révolutions de 1848, et principalement à Paris, où un autre de mes prédécesseurs, Mgr Affre, meurt tué sur une barricade en prêchant la réconciliation.

Et Ozanam écrit : « Au fond, la devise des républicains : Liberté, Égalité, Fraternité, c’est l’Évangile même. Rien n’est perdu si nous empêchons qu’on s’en écarte ».

Phrase prémonitoire du rappel que vous avez souvent fait, Très Saint Père, du sens évangélique de ces trois mots inscrits au fronton de tous nos édifices publics.

Ozanam connaîtra l’échec de ses espérances, en partie sur le

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terrain ecclésial ou religieux, comme dans le domaine politique et social. Lui qui est libéral, social et démocrate, une association alors fort rare. En 1849, il note : « Nous étions des serviteurs inutiles ».

En 1846, il est titulaire de sa chaire en Sorbonne depuis deux ans. Il commence à souffrir d’une maladie dont il ne guérira pas. Six années plus tard, il est contraint d’abandonner son enseignement. Il garde en lui l’espérance qui donne un sens à nos vies marquées par les épreuves, le découragement ou l’échec. Il meurt à quarante ans, ayant déjà vu les prémices de la moisson qu’il a contribué à faire lever, par toute son existence de baptisé. Il vit le mystère de la mort et de la Résurrection du Seigneur.

Merci, Très Saint Père, en déclarant Frédéric Ozanam bienheureux, de le donner comme modèle et exemple de sainteté pour les laïcs.

Réponse du Saint-Père

Par notre autorité apostolique, accueillant le vœu de notre frère Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, et de beaucoup d’autres frères dans l’épiscopat, de nombreux fidèles, et après avoir entendu l’avis de la Congrégation pour la cause des Saints, nous déclarons que dorénavant, le vénérable Frédéric Ozanam, peut être appelé bienheureux et que, le 9 septembre, on pourra célébrer sa fête chaque année, selon les règles et dans les lieux prévus par le droit, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.

Homélie de Jean-Paul II

1. « L’amour vient de Dieu » (1 Jn 4,7). L’Évangile de ce jour nous présente la figure du bon Samaritain. Par cette parabole, le Christ veut montrer à ses auditeurs qui est le prochain cité dans le plus grand commandement de la Loi divine : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même » (Lc 10, 27). Un docteur de la Loi demandait que faire pour avoir part à la vie éternelle : il trouva dans ces paroles la réponse décisive. Il savait que

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l’amour de Dieu et du prochain est le premier et le plus grand des commandements. Malgré cela, il demande : « Et qui donc est mon prochain ? » (Lc 10, 29). Le fait que Jésus propose un Samaritain en exemple pour répondre à cette question est significatif. En effet, les Samaritains n’étaient pas particulièrement estimés par les Juifs. De plus, le Christ compare la conduite de cet homme à celle d’un prêtre et d’un lévite qui virent l’homme blessé par les brigands gisant à demi mort sur la route, et qui passèrent leur chemin sans lui porter secours. Au contraire le Samaritain, qui vit l’homme souffrant, « fut saisi de pitié » (Lc 10, 33) ; sa compassion l’entraîna à toute une série d’actions. D’abord il pansa les plaies, puis il porta le blessé dans une auberge pour le soigner ; et, avant de partir, il donna à l’aubergiste l’argent nécessaire pour s’occuper de lui (cf. Lc 10, 34-35). L’exemple est éloquent. Le docteur de la Loi reçoit une réponse claire à sa question : qui est mon prochain ? Le prochain, c’est tout être humain, sans exception. Il est inutile de demander sa nationalité, son appartenance sociale ou religieuse. S’il est dans le besoin, il faut lui venir en aide. C’est ce que demande la première et la plus grande Loi divine, la loi de l’amour de Dieu et du prochain.

Appelé à aimer

Fidèle à ce commandement du Seigneur, Frédéric Ozanam, a cru en l’amour, l’amour que Dieu a pour tout homme. Il s’est lui-même senti appelé à aimer, donnant l’exemple d’un grand amour de Dieu et des autres. Il allait vers tous ceux qui avaient davantage besoin d’être aimés que les autres, ceux auxquels Dieu Amour ne pouvait être effectivement révélé que par l’amour d’une autre personne. Ozanam a découvert là sa vocation, il y a vu la route sur laquelle le Christ l’appelait. Il a trouvé là son chemin vers la sainteté. Et il l’a parcouru avec détermination.

2. « L’amour vient de Dieu ». L’amour de l’homme a sa source dans la Loi de Dieu ; la première Lecture de l’Ancien Testament le montre. Nous y trouvons une description détaillée des actes de l’amour du prochain. C’est comme une préparation biblique à la

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parabole du bon Samaritain.

La deuxième Lecture, tirée de la première Lettre de saint Jean, développe ce que signifie la parole « l’amour vient de Dieu ». L’Apôtre écrit à ses disciples : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, puisque l’amour vient de Dieu. Tous ceux qui aiment sont enfants de Dieu et ils connaissent Dieu. Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour » (1 Jn 4, 7-8). Cette parole de l’Apôtre est vraiment le cœur de la Révélation, le sommet vers lequel nous conduit tout ce qui a été écrit dans les Évangiles et dans les Lettres apostoliques. Saint Jean poursuit :

« Voici à quoi se reconnaît l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils qui est la victime offerte pour nos péchés » (ibid., 10). La rédemption des péchés manifeste l’amour que nous porte le Fils de Dieu fait homme. Alors, l’amour du prochain, l’amour de l’homme, ce n’est plus seulement un commandement. C’est une exigence qui découle de l’expérience vécue de l’amour de Dieu. Voilà pourquoi Jean peut écrire : « Puisque Dieu nous a tant aimés, nous devons aussi nous aimer les uns les autres » (1 Jn 4, 11).

L’enseignement de la Lettre de Jean se prolonge ; l’Apôtre écrit : « Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour atteint en nous sa perfection. Nous reconnaissons que nous demeurons en lui, et lui en nous, à ce qu’il nous donne part à son Esprit » (1 Jn 4,12-13). L’amour est donc la source de la connaissance. Si, d’un côté, la connaissance est une condition de l’amour, d’un autre côté, l’amour fait grandir la connaissance. Si nous demeurons dans l’amour, nous avons la certitude de l’action de l’Esprit Saint qui nous fait participer à l’amour rédempteur du Fils que le Père a envoyé pour le salut du monde. En connaissant le Christ comme Fils de Dieu, nous demeurons en Lui et, par Lui, nous demeurons en Dieu. Par les mérites du Christ, nous avons cru en l’amour, nous connaissons l’amour que Dieu a pour nous, nous savons que Dieu est amour (cf. 1

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Jn 4, 16). Cette connaissance par l’amour est en quelque sorte la clé de voûte de toute la vie spirituelle du chrétien. « Qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui » (ibid.).

3. Dans le cadre de la Journée mondiale de la Jeunesse, qui a lieu à Paris cette année, je procède aujourd’hui à la béatification de Frédéric Ozanam. Je salue cordialement Monsieur le cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, ville où se trouve le tombeau du nouveau bienheureux. Je me réjouis aussi de la présence à cet événement d’évêques de nombreux pays. Je salue avec affection les membres de la Société de Saint-Vincent-de-Paul venus du monde entier pour la béatification de leur fondateur principal, ainsi que les représentants de la grande famille spirituelle héritière de l’esprit de Monsieur Vincent. Les liens entre Vincentiens furent privilégiés dès les origines de la Société puisque c’est une Fille de la Charité, sœur Rosalie Rendu, qui a guidé le jeune Frédéric Ozanam et ses compagnons vers les pauvres du quartier Mouffetard, à Paris. Chers disciples de saint Vincent de Paul, je vous encourage à mettre en commun vos forces, pour que, comme le souhaitait celui qui vous inspire, les pauvres soient toujours mieux aimés et servis, et que Jésus Christ soit honoré en leurs personnes !

Un engagement effectif au service des pauvres

4. Frédéric Ozanam aimait tous les démunis. Dès sa jeunesse, il a pris conscience qu’il ne suffisait pas de parler de la charité et de la mission de l’Église dans le monde : cela devait se traduire par un engagement effectif des chrétiens au service des pauvres. Il rejoignait ainsi l’intuition de Monsieur Vincent : « Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages » (Saint Vincent de Paul, XI, 40). Pour le manifester concrètement, à l’âge de vingt ans, avec un groupe d’amis, il créa les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, dont le but était l’aide aux plus pauvres, dans un esprit de service et de partage. Très vite, ces Conférences se répandirent en dehors de France, dans tous les pays d’Europe et du monde. Moi-même, comme étudiant,

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avant la Deuxième Guerre mondiale, je faisais partie de l’une d’entre elles.

Désormais l’amour des plus misérables, de ceux dont personne ne s’occupe, est au cœur de la vie et des préoccupations de Frédéric Ozanam. Parlant de ces hommes et de ces femmes, il écrit : « Nous devrions tomber à leurs pieds et leur dire avec l’Apôtre :

“Tu es Dominus meus”. Vous êtes nos maîtres et nous serons vos serviteurs ; vous êtes pour nous les images sacrées de ce Dieu que nous ne voyons pas et, ne sachant pas l’aimer autrement, nous l’aimons en vos personnes » (à Louis Janmot).

5. Il observe la situation réelle des pauvres et cherche un engagement de plus en plus efficace pour les aider à grandir en humanité. Il comprend que la charité doit conduire à travailler au redressement des injustices. Charité et justice vont de pair. Il a le courage lucide d’un engagement social et politique de premier plan à une époque agitée de la vie de son pays, car aucune société ne peut accepter la misère comme une fatalité sans que son honneur n’en soit atteint. C’est ainsi qu’on peut voir en lui un précurseur de la Doctrine sociale de l’Église, que le Pape Léon XIII développera quelques années plus tard dans l’Encyclique Rerum novarum.

Face aux pauvretés qui accablent tant d’hommes et de femmes, la charité est un signe prophétique de l’engagement du chrétien à la suite du Christ. J’invite donc les laïcs et particulièrement les jeunes à faire preuve de courage et d’imagination pour travailler à l’édification de sociétés plus fraternelles où les plus démunis seront reconnus dans leur dignité et trouveront les moyens d’une existence respectable. Avec l’humilité et la confiance sans limites dans la Providence, qui caractérisaient Frédéric Ozanam, ayez l’audace du partage des biens matériels et spirituels avec ceux qui sont dans la détresse !

La recherche et la communication de la charité

6. Le bienheureux Frédéric Ozanam, apôtre de la charité, époux

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et père de famille exemplaire, grande figure du laïcat catholique du dix-neuvième siècle, a été un universitaire qui a pris une part importante au mouvement des idées de son temps. Étudiant, professeur éminent à Lyon puis à Paris, à la Sorbonne, il vise avant tout la recherche et la communication de la vérité, dans la sérénité et le respect des convictions de ceux qui ne partagent pas les siennes. « Apprenons à défendre nos convictions sans haïr nos adversaires, écrivait-il, à aimer ceux qui pensent autrement que nous, […] plaignons-nous moins de notre temps et plus de nous-mêmes » (Lettres, 9 avril 1851). Avec le courage du croyant, dénonçant tous les égoïsmes, il participe activement au renouveau de la présence et de l’action de l’Église dans la société de son époque. On connaît aussi son rôle dans l’institution des Conférences de Carême en cette cathédrale Notre-Dame de Paris, dans le but de permettre aux jeunes de recevoir un enseignement religieux renouvelé face aux grandes questions qui interrogent leur foi. Homme de pensée et d’action, Frédéric Ozanam demeure pour les universitaires de notre temps, enseignants et étudiants, un modèle d’engagement courageux capable de faire entendre une parole libre et exigeante dans la recherche de la vérité et la défense de la dignité de toute personne humaine. Qu’il soit aussi pour eux un appel à la sainteté !

7. L’Église confirme aujourd’hui le choix de vie chrétienne fait par Ozanam ainsi que le chemin qu’il a emprunté. Elle lui dit : Frédéric, ta route a été vraiment la route de la sainteté. Plus de cent ans ont passé, et voici le moment opportun pour redécouvrir ce chemin. Il faut que tous ces jeunes, presque de ton âge, qui sont rassemblés si nombreux à Paris, venant de tous les pays d’Europe et du monde, reconnaissent que cette route est aussi la leur. Il faut qu’ils comprennent que, s’ils veulent être des chrétiens authentiques, ils doivent prendre ce même chemin. Qu’ils ouvrent mieux les yeux de leur âme aux besoins si nombreux des hommes d’aujourd’hui. Qu’ils comprennent ces besoins comme des défis. Que le Christ les appelle, chacun par son nom, afin que chacun puisse dire : voilà ma route ! Dans les choix qu’ils feront, ta sainteté, Frédéric, sera

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particulièrement confirmée. Et ta joie sera grande. Toi qui vois déjà de tes yeux Celui qui est amour, sois aussi un guide sur tous les chemins que ces jeunes choisiront, en suivant aujourd’hui ton exemple !

23 août 1997

Proclamez dans chacun de vos pays les mer veilles de Dieu

Homélie lors de la messe pour le Forum des jeunes

Organisé avant chaque Journées mondiales de la Jeunesse, le VIe Forum international des jeunes s’est déroulé, du 14 au 18 août, à l’École polytechnique à Palaiseau. Ce Forum, organisé par le Conseil pontifical pour les Laïcs, a réuni 320 jeunes délégués de 135 pays et de 40 mouvements, associations et communautés internationales, impliqués dans la pastorale de la jeunesse. Des invités orthodoxes et protestants s’étaient joints à eux. C’est devant ces représentants de tous les jeunes du monde que Jean-Paul II a célébré la messe, le samedi 23 août à 9 h, en l’église Saint-Étienne-du-Mont. Il a prononcé l’homélie suivante11 :

1. « Que tous les peuples te connaissent, Seigneur ! » Ces paroles de la liturgie d’aujourd’hui s’adressent d’abord à vous, représentants de toutes les nations qui participez à la Journée mondiale de la Jeunesse à Paris. Votre présence témoigne de l’accomplissement de la mission que les Apôtres ont reçue du Christ après sa résurrection : « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19). Vous êtes les représentants des peuples où l’Évangile a été annoncé et accueilli, des peuples dont les cultures en ont déjà été imprégnées et transfigurées. Vous êtes ici, non seulement parce que vous avez reçu la foi et le baptême, mais aussi parce que vous désirez transmettre cette foi aux autres. Il y a tant de cœurs qui attendent l’Évangile ! Le cri de la liturgie de ce jour peut prendre tout son sens 11 Texte du Secrétariat des JMJ. Titre et sous-titres de la DC.

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sur vos lèvres :

« Que toutes les nations te connaissent, Seigneur ! ».

2. La Journée internationale de la Jeunesse a clairement une dimension missionnaire. La liturgie le manifeste aujourd’hui. La première Lecture du Livre d’Isaïe dit : « Comme il est beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la paix, le messager de la bonne nouvelle, qui annonce le salut, celui qui vient dire à la cité sainte : “Il est roi, ton Dieu !”« (52, 7). Le prophète pense certainement au Messie alors attendu. Ce sera le Christ, le Messie, qui annoncera d’abord la Bonne Nouvelle. Mais, cette Bonne Nouvelle, il la transmettra aux Apôtres. Par leur participation à sa mission prophétique, sacerdotale et royale, ceux-ci, et à leur suite tout le Peuple de Dieu de la Nouvelle Alliance, en deviendront les messagers dans le monde entier. Les paroles du Prophète les concernent donc : « Comme il beau de voir courir sur les montagnes le messager qui annonce la Bonne Nouvelle… ».

Devenir une terre fertile pour l’Évangile. Ces paroles vous concernent, vous qui êtes réunis ici, vous qui participez à la Journée mondiale de la Jeunesse de toutes les nations sous le soleil. Votre rassemblement est comme une nouvelle Pentecôte. Et il faut qu’il en soit ainsi ! Il faut que, comme les Apôtres au Cénacle et au-delà de la perception de nos sens, nous entendions le bruit, l’irruption d’un vent violent, qu’apparaissent sur la tête de tous ceux qui sont ici les langues de feu de l’Esprit Saint, et que tous commencent à proclamer dans les différentes langues les merveilles de Dieu (cf. Ac 2, 1-4). Alors vous serez, pour le troisième millénaire, les témoins de la Bonne Nouvelle.

3. La lecture de l’Évangile de saint Matthieu nous remémore la parabole du semeur. Nous la connaissons, mais les paroles de l’Évangile, nous pouvons les relire sans cesse et y trouver toujours une nouvelle lumière. Voilà donc le semeur sorti pour semer. Tandis qu’il semait, des grains sont tombés sur le chemin, d’autres sur le sol pierreux, d’autres dans les ronces, d’autres enfin sur la bonne terre et

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ceux-là seulement ont donné du fruit (cf. Mt 13, 3-8).

Jésus ne s’est pas contenté de présenter la parabole, il l’a expliquée. Écoutons nous aussi l’explication de la parabole du semeur. Les grains tombés sur le chemin désignent ceux qui écoutent la parole sur le Royaume de Dieu, mais ne la comprennent pas ; survient le Mauvais et il emporte ce qui a été semé dans leur cœur (cf. Mt 13, 19). Le Mauvais marche souvent sur cette route, et il s’emploie à empêcher que la semence germe dans le cœur des hommes. Telle est la première comparaison. La deuxième est celle du grain tombé sur le sol pierreux. Ce sol désigne les personnes qui écoutent la parole et l’accueillent aussitôt avec joie, mais qui n’ont pas de racines en elles et sont inconstantes.

Quand vient la tribulation ou la persécution à cause de la Parole, elles tombent aussitôt (cf. Mt 13, 20-21). Quelle psychologie dans cette comparaison du Christ ! Nous connaissons bien, en nous et autour de nous, l’inconstance de personnes dépourvues des racines qui peuvent faire croître la parole ! Le troisième cas est celui du grain tombé dans les ronces. Le Christ explique qu’il pense aux personnes qui écoutent les paroles mais qui, à cause de leurs soucis dans ce monde et de leur attachement à leurs richesses, étouffent la parole qui ne donne pas de fruit (cf. Mt 13, 22).

Enfin, la semence tombée dans la terre fertile représente ceux qui écoutent la parole et la comprennent, et la parole porte du fruit en eux (cf. Mt 13, 23). Toute cette parabole magnifique nous parle aujourd’hui, comme elle parlait aux auditeurs de Jésus il y a deux mille ans. Pendant cette rencontre mondiale de la jeunesse, devenons une terre fertile qui reçoit la semence de l’Évangile et qui porte du fruit !

Prière au Saint-Esprit

4. Conscients des timidités de l’âme humaine pour accueillir la Parole de Dieu, adressons à l’Esprit cette ardente prière liturgique : Veni, Creator Spiritus ; Mentes tuorum visita, Imple superna gratia,

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Quæ tu creasti pectora. (Viens en nous, Esprit Créateur ; Visite les âmes des tiens ; Remplis de la grâce d’en-haut ; Les cœurs de tes créatures !). Par cette prière, nous ouvrons nos cœurs, en suppliant l’Esprit de les remplir de lumière et de vie.

Esprit de Dieu, rends-nous disponibles à ta visite, fais grandir en nous la foi en la Parole qui sauve. Sois la source vive de l’espérance qui germe en nos vies. Sois en nous le souffle d’amour qui nous transforme et le feu de charité qui nous pousse à nous donner nous-mêmes à travers le service de nos frères.

Toi que le Père nous a envoyé, enseigne-nous toute chose et fais-nous saisir la richesse de la parole du Christ. Affermis en nous l’homme intérieur, fais-nous passer de la crainte à la confiance, afin que jaillisse en nous la louange de ta gloire. Sois la lumière qui vient remplir le cœur des hommes et leur donner le courage de te chercher sans relâche. Toi, l’Esprit de vérité, introduis-nous dans la Vérité tout entière pour que nous proclamions avec fermeté le mystère du Dieu vivant qui agit dans notre histoire. Éclaire-nous sur le sens ultime de cette histoire.

Éloigne de nous les infidélités qui nous séparent de toi, écarte de nous le ressentiment et la division, fais grandir en nous un esprit de fraternité et d’unité pour que nous sachions bâtir la cité des hommes dans la paix et la solidarité qui nous viennent de Dieu.

Fais-nous découvrir que l’amour est au plus intime de la vie divine et que nous sommes appelés à y participer. Apprends-nous à nous aimer les uns les autres comme le Père nous a aimés en nous donnant son Fils (cf. Jn 3, 16).

Que tous les peuples te connaissent, toi Dieu, le Père de tous les hommes que ton Fils Jésus est venu nous révéler, toi qui nous as envoyé ton Esprit pour nous communiquer les fruits de la Rédemption !

Un modèle pour les jeunes : Frédéric Ozanam

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5. Je salue ici cordialement ce matin les responsables du Conseil pontifical pour les Laïcs, organisateurs du Forum international des Jeunes qui vous a réunis pour ce temps de réflexion et de prière. Je remercie tous ceux qui ont assuré le bon déroulement de cette rencontre, particulièrement les responsables de l’École polytechnique qui l’ont accueillie avec générosité et disponibilité.

Chers amis, hier, en la cathédrale Notre-Dame de Paris, j’ai béatifié Frédéric Ozanam, un laïc, un jeune comme vous ; je le rappelle volontiers en cette église Saint-Étienne-du-Mont, car c’est ici qu’il a mené ses premières activités avec d’autres jeunes auprès des pauvres du quartier. Illuminé de l’Esprit du Christ et fidèle à la méditation quotidienne de sa Parole, le bienheureux Frédéric vous propose un idéal de sainteté pour aujourd’hui, celui du don de soi pour le service des plus démunis de la société. Je souhaite que dans le souvenir de cette douzième Journée mondiale de la Jeunesse il demeure pour vous un ami et un modèle dans votre témoignage de jeunes chrétiens !

6. Au cours des journées si denses que vous venez de vivre, vous aussi vous êtes allés à la rencontre du Christ et vous avez laissé pénétrer en vous la Parole, pour qu’elle germe et porte du fruit. Faisant une expérience exceptionnelle de l’universalité de l’Église et du patrimoine commun à tous les disciples du Christ, vous avez rendu grâce pour les merveilles que Dieu réalise au cœur de l’humanité. Vous avez aussi partagé les souffrances, les angoisses, les espérances et les appels des hommes d’aujourd’hui.

Ce matin, l’Esprit Saint vous envoie, comme « une lettre du Christ », pour proclamer dans chacun de vos pays les œuvres de Dieu et pour être des témoins ardents de l’Évangile du Christ parmi les hommes de bonne volonté, jusqu’aux limites de la terre. La mission qui vous est confiée exige que, tout au long de votre vie, vous preniez le temps nécessaire à votre formation spirituelle et doctrinale, afin d’approfondir votre foi et de devenir à votre tour des formateurs. Ainsi vous répondrez à l’appel « à grandir, à mûrir sans cesse, à

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porter toujours plus de fruit » (Christifideles laici, 57). Que le temps de renouveau spirituel que vous venez de vivre ensemble vous engage à avancer avec tous vos frères chrétiens à la recherche de l’unité voulue par le Christ. Qu’il vous conduise, avec une charité fraternelle, à la rencontre des hommes et des femmes d’autres convictions religieuses ou intellectuelles pour la connaissance authentique et le respect mutuel qui font grandir en humanité. L’Esprit de Dieu vous envoie, pour que vous deveniez avec tous vos frères et toutes vos sœurs du monde, les bâtisseurs d’une civilisation réconciliée, fondée sur l’amour fraternel. À l’approche du troisième millénaire, je vous invite à être attentifs à la voix et aux signes de la présence et de l’action de l’Esprit-Saint dans l’Église et dans le monde. Contemplant et imitant la Vierge Marie, modèle de la foi vécue, vous serez alors les véritables disciples du Christ, son divin Fils, lui qui fonde l’espérance source de vie. Très chers jeunes, l’Église a besoin de vous, elle a besoin de votre engagement au service de l’Évangile. Le Pape, lui aussi, compte sur vous. Accueillez le feu de l’Esprit du Seigneur pour devenir d’ardents hérauts de la Bonne Nouvelle !

23 août 1997

La veillée baptismale à Longchamp

Dans la matinée du samedi 23 août, après la célébration de la messe du pèlerin dans les sites d’hébergement, les jeunes ont rallié l’endroit qui leur a été affecté pour constituer, autour de Paris, sur les 36 km des Boulevards des Maréchaux, une longue chaîne de la fraternité ouverte vers l’extérieur de la capitale. Le signal a été donné par radio, à 10 h 50 précises, pour se placer au milieu de la chaussée, pendant une minute.

Ils ont chanté alors l’ »hymne à la joie ». Après ce moment de communion puis le partage du repas, les groupes se sont dirigés vers

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l’Hippodrome de Longchamp pour participer à la grande veillée baptismale.

Durant l’après-midi, des artistes internationaux se sont produits, dont Dee Dee Bridgewater, Andrea Bocelli, les chœurs Santa Cecilia de Rome et un orchestre symphonique, constitué pour l’occasion, sous la direction de Myung-Whun Chung.

Vers 19 h 45, le Pape, accompagné par le cardinal Jean-Marie Lustiger et Mgr James Francis Stafford, a longuement salué les 750 000 personnes rassemblées en faisant le tour de la prairie de Longchamp dans sa « papamobile ».

Après la liturgie de la Parole de cette veillée, le Pape a prononcé l’homélie ci-dessous12. Sur le podium de cette cathédrale de lumière reconstituée, le Pape a baptisé et confirmé dix jeunes catéchumènes, originaires des cinq continents, dont un Français. Il a ensuite pris rendez-vous pour la messe du lendemain alors que les jeunes sont restés sur place pour dormir.

Méditation de Jean-Paul II

CHERS JEUNES, CHERS AMIS,

1. Pour commencer, je vous salue tous, vous qui êtes ici rassemblés, en redisant les paroles du prophète Ézéchiel, car elles comprennent une merveilleuse promesse de Dieu et elles expriment la joie de votre présence : « J’irai vous prendre dans toutes les nations. […] Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’enlèverai votre cœur de pierre, et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit : alors vous suivrez mes lois, vous observerez mes commandements et vous y serez fidèles. […] Vous serez mon peuple, et moi je serai votre Dieu » (Ez 36, 24-28).

2. Je salue les évêques français qui nous accueillent et les évêques venus du monde entier. J’adresse aussi mes cordiales

12 Texte du Secrétariat des JMJ. Sous-titres de la DC.

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salutations aux représentants éminents des autres Confessions chrétiennes avec lesquelles nous partageons le même baptême, qui ont tenu à s’associer à cette célébration de la jeunesse.

À la veille du 24 août, on ne peut oublier le douloureux massacre de la Saint-Barthélémy, aux motivations bien obscures dans l’histoire politique et religieuse de la France. Des chrétiens ont accompli des actes que l’Évangile réprouve. Si j’évoque le passé, c’est parce que « reconnaître les fléchissements d’hier est un acte de loyauté et de courage qui nous aide à renforcer notre foi, qui nous fait percevoir les tentations et les difficultés d’aujourd’hui et nous prépare à les affronter » (Tertio millennio adveniente, 33). Je m’associe donc volontiers aux initiatives des évêques français, car, avec eux, je suis convaincu que seul le pardon offert et reçu conduit progressivement à un dialogue fécond qui scelle alors une réconciliation pleinement chrétienne. L’appartenance à différentes traditions religieuses ne doit pas constituer aujourd’hui une source d’opposition ou de tension. Bien au contraire, l’amour pour le Christ qui nous est commun nous pousse à chercher sans relâche le chemin de la pleine unité.

La démarche baptismale de Nicodème

3. Les textes liturgiques de notre veillée sont, pour une part, les mêmes que ceux de la Vigile pascale. Ils se rapportent au baptême. L’Évangile de saint Jean raconte la conversation nocturne du Christ avec Nicodème. Venant trouver le Christ, ce membre du Sanhédrin exprime sa foi : « Rabbi, nous le savons bien, c’est de la part de Dieu que tu es venu nous instruire, car aucun homme ne peut accomplir les signes que tu accomplis si Dieu n’est pas avec lui » (Jn 3, 2). Jésus lui répond : « Amen, Amen, je te le dis : personne, à moins de naître d’en haut, ne peut voir le règne de Dieu » (Jn 3, 3). Nicodème lui demande :

« Comment est-il possible de naître quand on est déjà vieux ? Est-ce qu’on peut rentrer dans le sein de sa mère pour naître une seconde fois ? » (Jn 3, 4). Jésus répond : « Personne, à moins de

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naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair n’est que chair ; ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jn 3, 5-6).

Jésus fait passer Nicodème des réalités visibles aux réalités invisibles. Chacun de nous est né de l’homme et de la femme, d’un père et d’une mère ; cette naissance est le point de départ de toute notre existence. Nicodème pense à cette réalité naturelle. Au contraire, le Christ est venu dans le monde pour révéler une autre naissance, la naissance spirituelle. Quand nous professons notre foi, nous disons qui est le Christ : « Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles : engendré, non pas créé, consubstantiel au Père, consubstantialis Patri ; par lui tout a été fait, per quem omnia facta sunt ; pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme, descendit de cælis et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria virgine et homo factus est ». Oui, jeunes, mes amis, le Fils de Dieu s’est aussi fait homme pour vous tous, pour chacun de vous !

4. « Personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3, 5). Ainsi, pour entrer dans le Royaume, l’homme doit naître de nouveau, non pas selon les lois de la chair, mais selon l’Esprit. Le baptême est précisément le sacrement de cette naissance. L’apôtre Paul l’explique en profondeur dans le passage de la Lettre aux Romains que nous avons entendu : « Ne le savez-vous donc pas : nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c’est dans sa mort que nous avons été baptisés.

Si, par le baptême dans sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, de même que le Christ, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts » (Rm 6, 3-4). L’Apôtre nous livre ici le sens de la nouvelle naissance ; il montre pourquoi le sacrement du baptême a lieu par immersion dans l’eau. Il ne s’agit pas ici d’une immersion symbolique dans la vie de Dieu. Le baptême est le signe concret et

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efficace de l’immersion dans la mort et dans la résurrection du Christ. Nous comprenons alors pourquoi la tradition a lié le baptême à la Vigile pascale. C’est en ce jour, et surtout en cette nuit, que l’Église revit la mort du Christ, que l’Église est tout entière prise dans le cataclysme de cette mort dont surgira une vie nouvelle. La vigile, au sens exact du mot, est donc l’attente : l’Église attend la résurrection ; elle attend la vie qui sera la victoire sur la mort et qui entraînera l’homme dans cette vie.

À toute personne qui reçoit le baptême, il est donné de participer à la résurrection du Christ. Saint Paul revient souvent à ce thème qui résume l’essentiel du sens véritable du baptême. Il écrit : « Si nous sommes déjà en communion avec lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons encore par une résurrection qui ressemblera à la sienne » (Rm 6, 5). Et aussi : « Nous le savons : l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la Croix avec lui pour que cet être de péché soit réduit à l’impuissance, et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché. Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. De même vous aussi : pensez que vous êtes morts au péché, et vivants pour Dieu en Jésus Christ » (Rm 6, 6-11). Avec Paul, chers jeunes, vous dites au monde : notre espérance est ferme ; par le Christ, nous vivons pour Dieu.

Le baptême rend conforme au Christ

5. En évoquant ce soir la Vigile pascale, nous touchons les problèmes essentiels : la vie et la mort, la mortalité et l’immortalité. Dans l’histoire de l’humanité, Jésus Christ a inversé le sens de l’existence humaine. Si l’expérience quotidienne nous montre cette existence comme un passage vers la mort, le mystère pascal nous ouvre la perspective d’une vie nouvelle, au-delà de la mort. C’est

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pourquoi l’Église, qui professe dans son Credo la mort et la résurrection de Jésus, a toutes les raisons de prononcer aussi ces mots : « Je crois à la résurrection de la chair, à la vie éternelle ».

6. Chers jeunes, savez-vous ce que le sacrement du Baptême fait de vous ? Dieu vous reconnaît comme ses enfants et transforme votre existence en une histoire d’amour avec lui. Il vous rend conformes au Christ, pour que vous puissiez réaliser votre vocation personnelle. Il est venu faire alliance avec vous et il vous offre sa paix. Vivez désormais en enfants de lumière, qui se savent réconciliés par la Croix du Sauveur !

« Mystère et espérance du monde à venir » (S. Cyrille de Jérusalem, Procatéchèse 10, 12), le baptême est le plus beau des dons de Dieu, nous invitant à devenir disciples du Seigneur. Il nous fait entrer dans l’intimité de Dieu, dans la vie trinitaire, dès aujourd’hui et jusque dans l’éternité. Il est une grâce donnée au pécheur, qui nous purifie du péché et nous ouvre un avenir nouveau. Il est un bain qui lave et qui régénère. Il est une onction, qui nous conforme au Christ, Prêtre, Prophète et Roi. Il est une illumination, qui éclaire notre route et lui donne tout son sens. Il est un vêtement de force et de perfection. Revêtus de blanc au jour de notre baptême, comme nous le serons au dernier jour, nous sommes appelés à en garder chaque jour l’éclat et à le retrouver grâce au pardon, à la prière et à la vie chrétienne. Le Baptême est le signe que Dieu nous a rejoints sur notre route, qu’il embellit notre existence et qu’il transforme notre histoire en une histoire sainte. Vous avez été appelés, choisis par le Christ pour vivre dans la liberté des enfants de Dieu, vous êtes aussi confirmés dans votre vocation baptismale et habités par l’Esprit Saint, pour annoncer l’Évangile par toute votre vie. En recevant le saint-chrême, vous vous engagez de toutes vos forces à faire croître patiemment le don reçu, par la réception des sacrements, en particulier de l’Eucharistie et de la pénitence qui entretiennent en nous la vie baptismale. Baptisés, vous rendez témoignage au Christ par votre souci d’une vie droite et fidèle au Seigneur, qu’il convient de maintenir par la lutte spirituelle et morale. La foi et l’agir moral

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sont liés. En effet, le don reçu nous conduit à une conversion permanente, pour imiter le Christ et correspondre à la promesse divine. La parole de Dieu transforme l’existence de ceux qui l’accueillent, car elle est la règle de la foi et de l’action. Dans leur existence, pour respecter les valeurs essentielles, les chrétiens font aussi l’expérience de la souffrance que peuvent exiger des choix moraux opposés aux comportements du monde et donc parfois héroïques. Mais la vie bienheureuse avec le Seigneur est à ce prix. Chers jeunes, votre témoignage est à ce prix. Je compte sur votre courage et sur votre fidélité.

Intégrés au Peuple de Dieu en partageant les espoirs du monde

7. C’est au milieu de vos frères que vous avez à vivre en chrétiens. Par le baptême, Dieu nous donne une mère, l’Église, avec laquelle nous grandissons spirituellement, pour marcher dans la voie de la sainteté. Ce sacrement vous intègre dans un peuple, vous rend participants à la vie ecclésiale et vous donne des frères et des sœurs à aimer, pour « être un dans le Christ » (Ga 3, 28). Dans l’Église, il n’y a plus de frontières ; nous sommes un unique peuple solidaire, composé de multiples groupes aux cultures, aux sensibilités et aux modes d’action variés, en communion avec les évêques, pasteurs du troupeau. Cette unité est un signe de richesse et de vitalité. Dans la diversité, que votre souci premier soit l’unité et la cohésion fraternelle, qui permettent le développement personnel de manière sereine et la croissance du corps tout entier. Cependant, le Baptême et la Confirmation n’éloignent pas du monde, car nous partageons les joies et les espoirs des hommes d’aujourd’hui et nous apportons notre contribution à la communauté humaine, dans la vie sociale et dans tous les domaines techniques et scientifiques. Grâce au Christ, nous sommes proches de tous nos frères et appelés à manifester la joie profonde qu’il y a à vivre avec Lui. Le Seigneur nous appelle à remplir notre mission là où nous sommes, car « le poste que Dieu nous a assigné est si beau qu’il ne nous est pas permis de le déserter » (cf. Lettre à Diognète, VI, 10). Quoi que nous fassions, notre existence est pour le Seigneur, c’est là notre espérance et notre

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titre de gloire. Dans l’Église, la présence de jeunes, de catéchumènes et de nouveaux baptisés est une grande richesse et une source de vitalité pour toute la communauté chrétienne, appelée à rendre compte de sa foi et à en témoigner jusqu’aux extrémités de la terre.

8. Un jour, à Capharnaüm, alors que de nombreux disciples abandonnaient Jésus, Pierre répondit à l’interpellation de Jésus : « Voulez-vous partir, vous aussi ? », en disant : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 67-68). Pour cette Journée de la Jeunesse à Paris, une des capitales du monde contemporain, le Successeur de Pierre vient vous redire que ces paroles de l’Apôtre doivent être le phare qui vous éclaire tous sur votre route. « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68). Plus encore : non seulement tu nous parles de la vie éternelle. Tu l’es toi-même. Vraiment, tu es « le Chemin, la Vérité et la Vie » (cf. Jn 14, 6).

9. Chers jeunes, par l’onction baptismale, vous êtes devenus membres du peuple saint. Par l’onction de la confirmation, vous participez pleinement à la mission ecclésiale. L’Église, dont vous faites partie, a confiance en vous et compte sur vous. Que votre vie chrétienne soit une « accoutumance » progressive à la vie avec Dieu, selon la belle expression de saint Irénée, pour que vous soyez des missionnaires de l’Évangile !

24 août 1997

La célébration de l’Eucharistie à Longchamp

Après la prière des Laudes chantées par les Bénédictines du Sacré-Cœur de Montmartre, de nombreux autres participants ont rejoint la foule des jeunes pour dépasser le million de personnes présentes. Le Pape a présidé, à 10 h à Longchamp, l’Eucharistie concélébrée par plus de 500 évêques et 5 000 prêtres.

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Il a prononcé l’homélie suivante13. Avant la fin de la célébration, des jeunes représentants du VIe Forum international des jeunes ont lu un message que nous publions ci-dessous.

À la fin de la messe et avant la récitation de l’Angélus, le Pape s’est adressé à l’assemblée pour annoncer la proclamation comme docteur de l’Église de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, lors du dimanche des Missions, le 19 octobre prochain, à Rome.

De même, il a lancé l’invitation aux Journées mondiales de la Jeunesse qui se dérouleront à Rome durant l’été de l’an 2000.

Homélie de Jean-Paul II

1. « Maître, où demeures-tu ? » (Jn 1, 38). Cette question fut posée un jour à Jésus de Nazareth par deux jeunes hommes. Cela se passait au bord du Jourdain. Jésus était venu recevoir le baptême de Jean ; mais le Baptiste, voyant Jésus venir à sa rencontre, dit : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1, 36). Ces paroles prophétiques désignaient le Rédempteur, celui qui allait donner sa vie pour le salut du monde. Ainsi, dès le baptême au Jourdain, Jean désignait le Crucifié. Ce furent précisément deux disciples de Jean-Baptiste qui, entendant ces paroles, suivirent Jésus : cela n’est-il pas riche de sens ? Quand Jésus leur demanda : » Que cherchez-vous ? » (Jn 1, 38), ils répondirent eux aussi par une question : « Rabbi (c’est-à-dire : Maître), où demeures-tu ? » (Ibid.). Jésus leur répondit : « Venez, et vous verrez. » Ils l’accompagnèrent, ils virent où il demeurait, et ils restèrent auprès de lui ce jour-là » (Jn 1, 39). Ils devinrent les premiers disciples de Jésus. L’un d’eux était André, qui conduisit aussi à Jésus son frère Simon Pierre. Chers amis, je suis heureux de pouvoir méditer cet Évangile avec vous, en commun avec les cardinaux et les évêques qui m’entourent. Je suis heureux de les saluer, en particulier le cardinal Eduardo Pironio, qui a tant travaillé pour les Journées mondiales. Ma gratitude va au cardinal Jean-Marie Lustiger pour son accueil, à Mgr Michel Dubost, aux évêques de

13 Textes du Secrétariat des JMJ. Titre et sous-titres de la DC.

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France et à ceux de nombreux pays du monde qui vous accompagnent et qui ont enrichi vos réflexions. Je salue aussi cordialement les prêtres concélébrants, les religieux, les religieuses, tous les responsables de vos mouvements et de vos groupes diocésains.

Je remercie de leur présence nos frères chrétiens d’autres Communautés, ainsi que les personnalités civiles qui ont tenu à s’associer à cette célébration liturgique.

En vous saluant tous à nouveau, je tiens en particulier à dire mes encouragements affectueux à ceux parmi vous qui sont handicapés ; nous leur sommes reconnaissants d’être venus avec nous et de nous apporter leur témoignage de foi et d’espérance. Je porte également dans la prière tous les malades soignés à l’hôpital ou à la maison.

Au nom de vous tous, je voudrais aussi exprimer notre gratitude aux nombreux volontaires qui assurent avec dévouement et compétence l’organisation de votre rassemblement.

Chercher l’invisible à travers le monde visible

2. Le bref fragment de l’Évangile de Jean que nous avons entendu dit l’essentiel du programme de la Journée mondiale de la Jeunesse : un échange de questions, puis une réponse qui est un appel. En présentant cette rencontre avec Jésus, la liturgie veut montrer aujourd’hui ce qui compte le plus dans votre vie. Et moi, Successeur de Pierre, je suis venu vous demander de poser, vous aussi, cette question au Christ : « Où demeures-tu ? ». Si vous lui adressez sincèrement cette question, vous pourrez entendre sa réponse et recevoir de lui le courage et la force de le suivre.

La question est le fruit d’une recherche. L’homme cherche Dieu. L’homme jeune comprend au fond de lui-même que cette recherche est la loi intérieure de son existence. L’être humain cherche sa voie dans le monde visible ; et, à travers le monde visible, il cherche l’invisible au long de son voyage spirituel. Chacun de nous

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peut redire les paroles du Psalmiste : « C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (Ps 27/26, 8-9). Chacun de nous a son histoire personnelle et porte en lui-même le désir de voir Dieu, un désir que l’on éprouve en même temps que l’on découvre le monde créé. Ce monde est merveilleux et riche, il déploie devant l’humanité ses innombrables richesses, il séduit, il attire la raison autant que la volonté. Mais, en fin de compte, il ne comble pas l’esprit. L’homme se rend compte que ce monde, dans la diversité de ses richesses, est superficiel et précaire ; en un sens, il est voué à la mort. Nous prenons davantage conscience aujourd’hui de la fragilité de notre terre, trop souvent dégradée par la main même de l’homme à qui le Créateur l’a confiée. Quant à l’homme lui-même, il vient au monde, il naît du sein maternel, il grandit et mûrit ; il découvre sa vocation et développe sa personnalité au cours de ses années d’activité ; puis approche le moment où il doit quitter ce monde. Plus longue est sa vie, plus l’homme ressent sa propre précarité, plus il se pose la question de l’immortalité : qu’y a-t-il au-delà des frontières de la mort ? Alors, au fond de l’être, surgit la question posée à Celui qui a vaincu la mort : « Rabbi, où demeures-tu ? ». Maître, toi qui aimes et respectes la personne humaine, toi qui as partagé la souffrance des hommes, toi qui éclaires le mystère de l’existence humaine, fais-nous découvrir le vrai sens de notre vie et de notre vocation ! « C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face » (Ps 27/26,8-9).

3. Au bord du Jourdain, et bien plus tard encore, les disciples ne savaient pas qui était vraiment Jésus. Il leur faudra beaucoup de temps pour comprendre le mystère du Fils de Dieu. Nous aussi, nous portons en nous le désir de connaître celui qui révèle le visage de Dieu. Le Christ répond à la question des disciples par toute sa mission messianique. Il enseignait ; pour confirmer la vérité de ce qu’il proclamait, il faisait de grands prodiges, il guérissait les malades, ressuscitait les morts, calmait les tempêtes de la mer. Mais tout ce cheminement hors du commun parvint à sa plénitude sur le Golgotha. C’est en le contemplant sur la Croix, dans le regard de la

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foi, que l’on peut « voir » qui est le Christ Sauveur, lui qui portait nos souffrances, le Juste qui a fait de sa vie un sacrifice et qui justifiera les multitudes (cf. Is 53,4.10-11).

Prêcher le Christ crucifié

Saint Paul résume la sagesse suprême dans la deuxième Lecture de ce jour, par des paroles très impressionnantes : « Le langage de la Croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. L’Écriture dit en effet : “ La sagesse des sages, je la mènerai à sa perte, et je rejetterai l’intelligence des intelligents ” […]. Puisque le monde, avec toute sa sagesse, n’a pas su reconnaître Dieu à travers les œuvres de la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu’est la proclamation de l’Évangile. […] Nous proclamons un Messie crucifié » (1 Co 1, 18-23). L’Apôtre parlait aux gens de son temps, aux fils d’Israël qui avaient reçu la révélation de Dieu sur le mont Sinaï et aux Grecs qui élaboraient une haute sagesse humaine, une grande philosophie. Mais désormais, la fin et le sommet de la sagesse, c’est le Christ crucifié, non seulement à cause de sa parole, mais parce qu’il s’est donné lui-même pour le salut de l’humanité.

Avec son exceptionnelle ardeur, saint Paul répète :

« Nous prêchons le Christ crucifié ». Celui qui, aux yeux des hommes, semble n’être que faiblesse et folie, nous proclamons qu’il est Puissance et Sagesse, plénitude de la Vérité. Il est vrai qu’en nous la confiance connaît des hauts et des bas. Il est vrai que notre regard de foi est souvent obscurci par le doute et par notre propre faiblesse. Humbles et pauvres pécheurs, acceptons le message de la Croix. Pour répondre à notre question : « Rabbi, où demeures-tu ? », le Christ nous adresse un appel : venez et vous verrez ; dans la Croix vous verrez le signe lumineux de la rédemption du monde, la présence aimante du Dieu vivant. Parce qu’ils ont saisi que la Croix domine l’histoire, les chrétiens ont placé le crucifix dans les églises et au bord des chemins, ou ils le portent sur leur cœur. Car la Croix

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est un signe véritable de la présence du Fils de Dieu ; par ce signe se révèle le Rédempteur du monde.

L’Eucharistie, lieu de la présence du Christ

4. « Rabbi, où demeures-tu ? ». L’Église nous répond chaque jour : le Christ est présent dans l’Eucharistie, le sacrement de sa mort et de sa résurrection. En elle et par elle, vous reconnaissez la demeure du Dieu vivant dans l’histoire de l’homme. Car l’Eucharistie est le sacrement de l’amour vainqueur de la mort ; elle est le sacrement de l’Alliance, pur don d’amour pour la réconciliation des hommes ; elle est le don de la présence réelle de Jésus, le Rédempteur, dans le pain qui est son Corps livré, dans le vin qui est son Sang versé pour la multitude. Par l’Eucharistie, sans cesse renouvelée dans tous les peuples du monde, le Christ constitue son Église : il nous unit dans la louange et l’action de grâce pour le salut, dans la communion que seul l’amour infini peut sceller. Notre rassemblement mondial prend tout son sens à présent, par la célébration de la Messe. Jeunes, mes amis, que votre présence soit une réelle adhésion dans la foi ! Car voici que le Christ répond à votre question et, en même temps, aux questions de tous les hommes qui cherchent le Dieu vivant. Il répond par son invitation : ceci est mon Corps, mangez-en tous. Il confie au Père son désir suprême de l’unité dans la même communion de tous ceux qu’il aime.

5. La réponse à la question « Rabbi, où demeures-tu ? » comporte donc de nombreuses dimensions. Elle a une dimension historique, pascale et sacramentelle. La première Lecture d’aujourd’hui nous suggère encore une autre dimension de la réponse à la question-thème de la Journée mondiale de la Jeunesse : le Christ habite dans son Peuple. C’est le peuple dont parle le Deutéronome, en rapport avec l’histoire d’Israël : « Par amour pour vous, le Seigneur vous a fait sortir par la force de sa main, et vous a délivrés de la maison d’esclavage. […] Vous saurez donc que le Seigneur votre Dieu est le vrai Dieu, le Dieu fidèle qui garde son Alliance pour mille générations » (Dt 7,8-9). Israël est le peuple que Dieu

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s’est choisi, et avec lequel il a fait Alliance.

Dans la Nouvelle Alliance, l’élection de Dieu s’élargit à tous les peuples de la terre. En Jésus Christ, Dieu a choisi toute l’humanité. Il a révélé l’universalité de l’élection par la rédemption. Dans le Christ, il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, tous ne font plus qu’un (cf. Ga 3, 28). Tous ont été appelés à participer à la vie de Dieu, grâce à la mort et à la résurrection du Christ. Notre rencontre, en cette Journée internationale de la Jeunesse, n’illustre-t-elle pas cette vérité ? Vous tous, rassemblés ici, venus de tant de pays et de continents, vous êtes les témoins de la vocation universelle du Peuple de Dieu racheté par le Christ ! La dernière réponse à la question « Rabbi, où demeures-tu ? » doit donc être entendue ainsi : je demeure dans tous les êtres humains sauvés. Oui, le Christ habite son Peuple, qui a plongé ses racines dans tous les peuples de la terre, le peuple qui Le suit, Lui, le Seigneur crucifié et ressuscité, le Rédempteur du monde, le Maître qui a les paroles de la vie éternelle, Lui « la Tête du peuple nouveau et universel des fils de Dieu » (Lumen gentium, 13). Le Concile Vatican II l’a dit admirablement : c’est Lui qui « nous a donné d’avoir part à son Esprit, qui étant un et le même dans la Tête et dans les membres, vivifie le corps tout entier » (ibid., 7). Grâce à l’Église qui nous fait participer à la vie même du Seigneur, nous pouvons tous maintenant reprendre la parole de Pierre à Jésus : À qui irions-nous ? À qui d’autre irions-nous ? (cf. Jn 6, 68).

6. Chers jeunes, votre chemin ne s’arrête pas ici. Le temps ne s’arrête pas aujourd’hui. Partez sur les routes du monde, sur les routes de l’humanité, en demeurant unis dans l’Église du Christ !

Continuez de contempler la gloire de Dieu, l’amour de Dieu ; et vous serez éclairés pour bâtir la civilisation de l’amour, pour aider l’homme à voir le monde transfiguré par la sagesse et l’amour éternels. Pardonnés et réconciliés, soyez fidèles à votre baptême ! Témoignez de l’Évangile ! Membres de l’Église, actifs et

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responsables, soyez disciples et témoins du Christ qui révèle le Père, demeurez dans l’unité de l’Esprit qui donne la vie !

27 septembre 1997

Le monde a besoin de saints

Pour entrer dans le troisième millénaire, l'Église qui est à Bologne sait pouvoir compter sur ses saints

Dans l'après-midi du samedi 27 septembre 1997, le Pape Jean-Paul II a présidé sur la « Piazza Maggiore » de Bologne, la cérémonie de béatification de dom Bartolomeo Maria Dal Monte, prêtre bolognais qui vécut au XVIIIe siècle, missionnaire et prédicateur de l'Évangile dans plus de soixante diocèses d'Italie. Au cours de la cérémonie, qui a eu lieu durant la célébration des premières Vêpres, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1.  » A vous grâce et paix de par notre Père » (Col 1, 2b).

Le salut de l'Apôtre, que nous venons d'écouter dans la « Lettre brève » de ces premières Vêpres du dimanche, introduit dans une perspective d'espérance : celle — dit saint Paul — « qui vous est réservée dans les cieux ». « Cette espérance, — ajoute-il — vous en avez naguère entendu l'annonce dans la parole de vérité, l'Évangile qui est parvenu chez vous » (Col 1, 5-6).

Chers frères et sœurs ! Nous béatifions aujourd'hui Bartolomeo Maria Dal Monte. Toute l'Église, et en particulier la communauté chrétienne de Bologne, dont il fut le fils, se réjouit aujourd'hui, car son nom est inscrit en lettres solennelles dans le « livre de la vie » (Ap 21, 27).

Le nouveau bienheureux consacra sa brève existence terrestre à l'annonce de la « parole de vérité de l'Évangile » (Col 1, 5). Le Seigneur l'employa, ainsi que sa fidélité, à apporter cette parole intègre, vivante et vivifiante à tant de personnes qui la recherchaient. C'est ainsi que s'accomplissait, à travers sa personne également, la

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promesse de Jésus : « Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20).

2. Très chers Bolognais, Dom Bartolomeo Maria Dal Monte est le dernier joyau venu enrichir le livre des saints de votre archidiocèse. Un livre déja riche de témoins exemplaires de l'Évangile : Apollinare, Zama, Vitale, Agricola, Procolo, Felice, Petronio, Lucia da Settefonti, Guarino, Domenico, Diana, Cecilia, Amata, Imelda Lambertini, Nicoló Albergati, Caterina de' Vigri, Marco da Bologna, Lodovico Morbioli, Giacomo da Ulma, Arcangelo Canetoli, Elena Duglioli, Clelia Barbieri, Elia Facchini, et tant d'autres.

Un livre de saints et de bienheureux, dans lequel est tracée l'identité la plus authentique de la Bologne chrétienne, et de votre terre riche d'art et de culture. Un livre que tous devraient conserver précieusement : les croyants comme les non-croyants. Un livre à aimer, comme on aime, précisément, son identité la plus authentique.

Le visage de Bologne est également celui de ses saints, qui se sont inspirés de la vérité et de la charité de l'Évangile dans leurs paroles et leurs actions parmi les hommes et les femmes de cette ville, modelant ainsi sa physionomie originelle, encore vivante aujourd'hui.

Rendons grâce au Seigneur ce soir, dans le cadre du Congrès eucharistique national, car Bologne peut se présenter au rendez-vous du troisième millénaire avec cette physionomie caractéristique : un visage humain et chrétien, qui lui permet d'affronter avec une confiance sereine les défis difficiles de notre temps. Elle sait pouvoir compter sur ses saints qui, à travers la « parole de vérité » et l'abondance de leur charité, d'autant plus efficace lorsqu'elle est cachée, lui ont permis de surmonter les moments les plus difficiles de son histoire.

3. Précieuse aux yeux de Dieu, la sainteté n'est pas inutile au monde. Non seulement elle édifie le Corps du Christ, mais elle laisse

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des traces indélébiles dans la succession des événements du temps et dans la composition et l'ordre même de la société.

L'activité terrestre de Bartolomeo Maria Dal Monte, bien que marquée par un engagement typiquement intraecclésial comme la prédication missionnaire au peuple et la formation des prêtres, a exercé une influence importante sur le tissu civil même de la nation, contribuant de façon efficace à promouvoir en celui-ci les éléments de la justice, de la concorde, de la paix. C'est également à travers l'œuvre de missionnaires dans leur patrie, comme le nouveau bienheureux, que le peuple italien a pu conserver, au cours des siècles, ce patrimoine de valeurs humaines et chrétiennes qui représente son trésor le plus précieux et qui constitue la contribution la plus significative qu'il puisse offrir à la construction de la nouvelle Europe.

4. Très chers frères et sœurs, la béatification de Bartolomeo Maria Dal Monte s'inscrit de façon providentielle dans le cadre des célébrations du Congrès eucharistique, car il souligne pleinement le lien qui existe entre une spiritualité eucharistique consciente et vécue et l'engagement personnel et ecclésial dans l'évangélisation.

Dans l'Italie du XVIIIe siècle, de saints prêtres qui se consacrèrent généreusement aux missions au service du peuple, firent front de manière surprenante aux situations d'ignorance religieuses diffuses et aux phénomènes de déchristianisation préoccupants, qui envahissaient les villes et les campagnes. Parmi eux, il y eut également saint Leonard da Porto Maurizio, qui connut personnellement dom Bartolomeo Maria et qui l'encouragea à entreprendre cette activité pastorale.

La renommée de l'efficacité des missions au service du peuple et de la sainteté et de la générosité de dom Bartolomeo se diffusa si rapidement qu'il réussissait à peine à répondre à toutes les demandes. A sa mort, à l'âge de cinquante- deux ans seulement, il avait prêché dans des missions au service du peuple et lors d'exercices spirituels dans plus de soixante diocèses italiens.

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A une époque où la formation au sacerdoce ne connaissait pas le long parcours actuel du séminaire, dom Bartolomeo Maria eut l'intuition de la nécessité de prêtres diocésains qui, en pleine communion avec leur Évêque, puissent se consacrer totalement à la prédication. Pour les préparer de façon adéquate, il institua l'« Œuvre pieuse des missions », qui devint un véritable creuset d'apôtres. Il était convaincu qu'on ne pouvait pas être autodidactes dans la difficile voie de la sainteté. C'est pourquoi il eut soin de créer des structures de formation adéquates pour ses collaborateurs, leur consacrant des écrits spirituels profonds rédigés de sa main.

5. Mais d'où dom Bartolomeo Maria puisait-il tant d'élan et de vigueur pour un ministère aussi exceptionnel ? La Sainte Messe, l'adoration eucharistique et la confession sacramentelle étaient au centre de sa vie, de son action missionnaire et de sa spiritualité. Nous trouvons des traces fréquentes de sa piété eucharistique dans ses écrits, qui font transparaître l'obsession quotidienne pour le salut des âmes, priorité de son engagement ascétique et pastoral.

Son existence tout entière fut modelée sur le ministère du Christ, proclamant la Vérité et condamnant le vice avec intransigeance, mais faisant preuve d'accueil et de miséricorde envers les pécheurs. Il devint ainsi une icône vivante de Celui qui est « riche de miséricorde » (Ep 2, 4).

Le nouveau bienheureux éprouvait en outre un amour et un élan intérieur pour la Sainte Vierge, Mère de Dieu. Étant né et ayant grandi dans la ville qui s'honore de la protection particulière de la Madone de saint Luc, dom Bartolomeo Maria éprouvait pour elle une tendre dévotion. Il La vénérait et la faisait invoquer sous le nom de « Mater Misericordiae — Mère de la Miséricorde ». Il aimait répéter : « Chaque pensée, chaque formule, chaque parole : oui, tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour Marie ».

6. Le bienheureux Dal Monte resplendit ce soir devant nous comme un témoin du Christ particulièrement sensible aux exigences des temps modernes. Il encourage chacun à affronter avec ardeur et

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confiance les défis de la nouvelle évangélisation. Un vaste domaine de travail missionnaire s'ouvre à nous, au seuil du troisième millénaire chrétien.

Puisse l'exemple du nouveau bienheureux vous soutenir et vous encourager tous, très chers frères et sœurs ici présents, que je salue avec affection. Qu'il soit un modèle pour toi, vénéré Cardinal Giacomo Biffi, Pasteur de cette communauté diocésaine ; qu'il le soit pour vous tous, très chers frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce, provenant de la ville de Bologne et de toute l'Italie. Que son zèle apostolique inlassable soit une source d'encouragement et de soutien pour vous, religieux et religieuses, personnes consacrées, appelées à apporter un témoignage particulier dans l'Église du Christ ; qu'il le soit pour vous, chers jeunes, espérance d'un. monde. renouvelé. par. l'amour ; ainsi que pour vous, chères familles, petites Églises domestiques ; pour vous, chers malades, associés de façon plus intense aux souffrances du Christ. La nouvelle évangélisation est le devoir. de. tout. croyant.. Soyez-en. tous conscients, vous tous réunis lors de ces vêpres du XXVIe dimanche du temps ordinaire. Dieu nous appelle à préserver la « parole de vérité de l'Évangile » (Col 1, 5). La ferveur missionnaire qui a habité la vie du bienheureux Bartolomeo Maria Dal Monte est le modèle que l'Église propose aujourd'hui à ses fils.

Que son intercession, — ainsi que celle de la Très Sainte Vierge Marie, vénérée ici de façon particulière dans l'image de la Madone de saint Luc, la « Odigitria », celle qui indique la voie — nous aide à en être les imitateurs humbles, fidèles et courageux.

Le « chemin » est Jésus. Nous voulons marcher sur cette voie sans trébucher jusqu'à la rencontre définitive avec Lui

Amen !

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12 octobre 1997

« Viens et suis-moi ! »

Dans la matinée du dimanche 12 octobre 1997, sur la place Saint-Pierre, le Pape Jean-Paul II a présidé une Concélébration eucharistique solennelle, au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels cinq serviteurs de Dieu. Durant la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » (Mc 10, 17).

Cette question, posée par un jeune garçon dans le texte de l'Évangile d'aujourd'hui, a été adressée au Christ au cours des siècles par d'innombrables générations d'hommes et de femmes, de jeunes et de personnes âgées, de clercs et de laïcs.

« Que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Tel est l'interrogation fondamentale de chaque chrétien. Nous connaissons bien la réponse du Christ. Il rappelle tout d'abord à son interlocuteur d'observer les Commandements : « Ne tue pas, ne commets pas d'adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignages, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère » (Mc 10, 19 ; cf. Ex 20, 12-16). Le jeune réplique avec enthousiasme : « Maître, tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse » (Mc 10, 20). A ce point, souligne l'Évangile, le Seigneur le regarde avec amour et ajoute : « Une seule chose te manque : va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens, suis moi ». Cependant, dans la suite du récit, nous lisons que le jeune homme « à ces mots s'assombrit et il s'en alla contristé, car il avait de grands biens » (Mc 10, 21-22).

2. Les nouveaux bienheureux, élevés aujourd'hui à la gloire des autels, ont en revanche accueilli avec promptitude et enthousiasme l'invitation du Christ : « Viens et suis-moi ! » et ils l'ont suivi jusqu'à la fin. Ainsi, s'est révélée en eux la puissance de la grâce de Dieu et

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ils sont même parvenus à accomplir au cours de leur existence terrestre ce qui semblait humainement impossible. Ayant placé toute leur confiance en Dieu, tout est alors devenu possible pour eux. Voilà pourquoi je suis aujourd'hui heureux de les présenter comme des exemples de fidèles disciples du Christ. Il s'agit de : Elías del Socorro Nieves, martyr, prêtre profès de l'Ordre de Saint-Augustin ; de Giovanni Battista Piamarta, prêtre du diocèse de Brescia ; de Domenico Lentini, prêtre du diocèse de Tursi-Lagonegro ; de Marie de Jésus, dans le siècle Emilie d'Hooghvorst, fondatrice de l'Institut des Sœurs de Marie Réparatrice ; de Maria Teresa Fasce, moniale professe de l'Ordre de Saint- Augustin.

3. « Alors Jésus fixa sur lui son regard et l'aima » (Mc 10, 21). Ces paroles du texte évangélique évoquent l'expérience spirituelle et apostolique du prêtre Giovanni Piamarta, fondateur de la Congrégation de la Sainte Famille de Nazareth, que nous contemplons aujourd'hui dans la gloire céleste. Lui aussi, suivant l'exemple du Christ, sut guider tant d'enfants et de jeunes à la rencontre du regard aimant et exigeant du Seigneur. Combien de personnes, grâce à son œuvre pastorale, purent démarrer avec joie dans la vie en ayant appris un métier et surtout en ayant rencontré Jésus et son message de salut ! L'œuvre apostolique du nouveau bienheureux est multiple et concerne de nombreux domaines de la vie sociale : du monde du travail au monde agricole, de l'éducation scolaire au monde de l'édition. Il a laissé une empreinte profonde dans le diocèse de Brescia et dans toute l'Église.

Où cet homme de Dieu extraordinaire puisait-il l'énergie pour son activité multiple ? La réponse est claire : la prière assidue et fervente était la source de son ardeur apostolique inlassable et de l'attraction bénéfique qu'il exerçait sur tous ceux qu'il approchait. Il affirmait lui-même, comme le rappelle le témoignage de ses contemporains : « Par la prière, l'on acquiert une force, qui est la même que celle de Dieu... Omnia possum ». Tout est possible avec Dieu, pour Lui et avec Lui.

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4. « Que la bonté du Seigneur, notre Dieu, soit sur nous » (Psaume responsorial). La profonde conscience de la bonté du Seigneur animait le bienheureux Domenico Lentini, qui lors de sa prédication itinérante, ne se lassait pas de proposer l'invitation à la conversion et au retour à Dieu. C'est pourquoi son activité apostolique était accompagnée par un ministère assidu du confessionnal. En effet, il savait bien que lors de la célébration du sacrement de la Pénitence, le prêtre devient le dispensateur de la miséricorde divine et le témoin de la vie nouvelle qui naît grâce au repentir du pénitent et au pardon du Seigneur.

Prêtre au cœur indivis, il sut conjuguer la fidélité à Dieu avec la fidélité à l'homme. Avec une charité ardente, il s'adressa en particulier aux jeunes, qu'il éduquait à être fermes dans la foi, et aux pauvres, à qui il offrait tout ce dont il disposait avec une confiance absolue dans la Providence divine. Son dévouement total au ministère fit de lui, selon l'expression de mon vénéré Prédécesseur le Pape Pie XI, « un prêtre dont l'unique richesse était son sacerdoce ».

[en français]

5. Dans la deuxième Lecture de la Liturgie, nous avons entendu : « Elle est vivante la Parole de Dieu..., elle pénètre au plus profond de l'âme » (He 4, 12). Émilie. d'Hooghvorst a accueilli cette parole au plus profond d'elle-même. Apprenant à se soumettre à la volonté de Dieu, elle réalise d'abord la mission de. tout. couple. chrétien : faire de son foyer « un sanctuaire de l'Église à la maison » (Apostolicam actuositatem, n. 11). Devenue veuve et animée par le désir de participer au mystère pascal, Mère Marie de Jésus fonde la Société de Marie réparatrice. Par sa vie d'oraison, Elle nous rappelle que, dans l'adoration eucharistique où nous puisons à la source de la vie qui est le Christ, nous trouvons la force pour la mission quotidienne. Que chacun de nous, quel que soit son état de vie, sache « écouter la voix du Christ », « qui doit être la règle. de. notre. existence »,. comme. elle aimait à le dire !

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Cette béatification est aussi pour les religieuses de Marie réparatrice un encouragement à poursuivre leur apostolat, par une attention renouvelée aux hommes de ce temps. Selon leur charisme propre, elles répondront à leur mission : éveiller la foi chez nos contemporains et les aider dans leur croissance spirituelle, participant ainsi activement à l'édification de l'Église.

[en espagnol]

6. Jésus avertit les disciples, surpris face aux difficultés pour rentrer dans le Royaume : « Pour les hommes, impossible, mais non pour Dieu : car tout est possible pour Dieu » (Mc 10, 27). Ce message fut accueilli par le Père Elías del Socorro Nieves, prêtre augustin, qui est aujourd'hui élevé aux honneurs des autels comme martyr de la foi. Sa confiance totale en Dieu et dans la Vierge du Secours, pour laquelle il éprouvait une grande dévotion, caractérisa toute sa vie et son ministère sacerdotal, exercé avec abnégation et esprit de service, sans. se. laisser. décourager. par. les obstacles, les sacrifices et les dangers. Ce fidèle religieux augustin sut transmettre l'espérance dans le Christ et dans la divine Providence.

La vie et le martyre du Père Nieves, qui, malgré les risques qu'il courait, ne voulut. pas. abandonner. ses.. fidèles, constituent une invitation à renouveler la foi en Dieu qui peut tout. Il affronta la mort avec force d'âme, en bénissant ses bourreaux et en rendant témoignage de sa foi dans le Christ. L'Église qui est au Mexique peut aujourd'hui compter sur un nouveau modèle de vie et sur un puissant intercesseur qui l'aidera à renouveler sa vie chrétienne ; ses frères augustins possèdent à présent un autre exemple à imiter dans leur recherche constante de Dieu, dans la fraternité et dans le service au Peuple de Dieu. Pour toute l'Église, il constitue un signe éloquent des fruits de sainteté que la puissance de la grâce de Dieu produit en son sein.

[en italien]

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7. La première lecture, tirée du Livre de la Sagesse, nous rappelle que la sagesse et la prudence naissent de la prière : « C'est pourquoi, j'ai prié, et l'intelligence m'a été donnée, j'ai invoqué et l'esprit de Sagesse m'est venu » (Sg 7, 7). Ces paroles s'appliquent bien à la vie terrestre d'une autre nouvelle bienheureuse, Maria Teresa Fasce, qui vécut dans la contemplation constante du mystère du Christ. L'Église l'indique aujourd'hui comme l'exemple éblouissant d'une synthèse vivante entre la vie contemplative et l'humble témoignage de solidarité envers les hommes, en particulier à l'égard des plus pauvres, des humbles, des personnes abandonnés, et de celles qui souffrent.

La Famille augustine vit aujourd'hui une journée extraordinaire, car elle voit unis dans la gloire des autels les représentants des deux branches de l'Ordre : la branche apostolique, avec le bienheureux Elías del Socorro Nieves et la branche contemplative, avec la bienheureuse Maria Teresa Fasce. Leur exemple constitue pour les religieux et les religieuses augustins un motif de joie et de satisfaction légitime. Puisse ce jour représenter également une occasion providentielle pour un engagement renouvelé dans la consécration totale et fidèle à Dieu et dans le service généreux aux frères.

8. « Pourquoi m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon que Dieu seul » (Mc 10, 18). Chacun de ces nouveaux bienheureux a entendu cette précision essentielle du Christ et a compris où chercher la source originelle de la sainteté. Dieu est la plénitude du bien qui tend par lui-même à se diffuser : « Bonum est diffusivum sui » (Saint Thomas d'Aquin, Summa Theol., I, q.5, a.4 ad 2). Le Bien suprême veut se donner lui-même et rendre semblables à lui ceux qui le cherchent. d'un. cœur. sincère. Il désire sanctifier ceux qui sont disposés à tout quitter pour suivre son Fils qui s'est incarné.

Le premier but de cette célébration est donc de louer Dieu, source de toute sainteté. Rendons gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, car les nouveaux bienheureux, baptisés au nom de la Très

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Sainte Trinité, ont oeuvré avec un héroïsme persévérant et avec la grâce de Dieu. Participant pleinement à la vie divine, ils contemplent à présent en face la gloire du Seigneur, en jouissant des fruits des béatitudes proclamées par Jésus lors de son « Discours sur la Montagne » : « Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux. est. à. eux ». (Mt 5, 3). Oui,.. le Royaume des Cieux appartient à ces fidèles serviteurs de Dieu, qui ont suivi le Christ jusqu'au bout, en fixant leur regard sur Lui. A travers leur existence, ils ont rendu témoignage à Celui qui est mort sur la croix et est ressuscité pour eux et pour tous.

L'Église tout entière se réjouit, mère des saints et des bienheureux, grande famille spirituelle des hommes appelés à participer à la vie divine.

Avec Marie, Mère du Christ et Reine des saints, avec les nouveaux bienheureux, nous proclamons la sainteté de Dieu : « Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu de l'univers. Béni celui qui vient au nom du Seigneur. Hosanna au plus haut des cieux ».

Amen !

19 octobre 1997

« Une femme, une jeune, une religieuse contemplative »

Homélie lors de la proclamation de sainte Thérèse de Lisieux comme Docteur de l’Église

C’est en la Journée mondiale des Missions, célébrée le 19 octobre, que Jean-Paul II a proclamé solennellement, devant une très grande foule réunie sur la place Saint-Pierre de Rome, Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face « Docteur de l’Église ». Il a prononcé en cette occasion l’homélie ci-dessous, commencée en italien14. Rappelons que, ce même jour, le Pape a également signé la

14 Texte dans l’Osservatore Romano des 20-21 octobre. Traduction, pour la partie en italien, titre et sous-titres de la DC.

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Lettre apostolique « Divini Amoris scientia », consacrée au « doctorat » de Thérèse de Lisieux, que nous avons publiée dans la DC, n° 2169, datée du 2 novembre.

1. « Les nations marcheront à ta lumière » (Is 60, 3). Dans les paroles du prophète Isaïe retentit déjà, comme une fervente attente et une lumineuse espérance, l’écho de l’Épiphanie. C’est précisément le lien avec cette solennité qui nous permet de mieux percevoir le caractère missionnaire de ce dimanche. En effet, la prophétie d’Isaïe étend à toute l’humanité la perspective du salut et elle anticipe ainsi le geste prophétique des Mages venus d’Orient qui, en route pour adorer le divin Enfant né à Bethléem (cf. Mt 2, 1-12), annoncent et inaugurent l’adhésion des peuples au message du Christ.

Tous les hommes sont appelés à accueillir dans la foi l’Évangile du salut. L’Église est envoyée à tous les peuples, à toutes les terres et cultures : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé » (Mt 28, 19-20). Ces paroles, prononcées par le Christ avant de monter au ciel, ainsi que la promesse faite aux Apôtres et à leurs successeurs de rester avec eux jusqu’à la fin du monde (cf. Mt 28, 20), constituent l’essence du mandat missionnaire : dans la personne de ses ministres, c’est le Christ lui-même qui va ad gentes, vers ceux qui n’ont pas encore reçu l’annonce de la foi.

La Patronne des Missions

2. Thérèse Martin, Carmélite déchaussée de Lisieux, désirait ardemment être missionnaire. Et elle l’a été au point de pouvoir être proclamée Patronne des Missions. Jésus lui-même lui a montré comment elle pouvait vivre cette vocation : en pratiquant en plénitude le commandement de l’amour, elle pourrait se plonger au cœur même de la mission de l’Église, soutenant par la force mystérieuse de la prière et de la communion les annonciateurs de l’Évangile. Elle a ainsi accompli ce qu’a souligné le Concile Vatican II, lorsqu’il enseigne que l’Église est, de par sa nature, missionnaire

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(Ad gentes, 2). Ce ne sont pas seulement ceux qui choisissent la vie missionnaire, mais tous les baptisés qui sont, d’une certaine façon, envoyés ad gentes.

C’est pourquoi j’ai voulu choisir ce dimanche des Missions pour proclamer Docteur de l’Église universelle sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face : une femme, une jeune, une religieuse contemplative.

3. Il n’échappe donc à personne qu’il se passe aujourd’hui quelque chose de surprenant. Sainte Thérèse de Lisieux n’a pas pu fréquenter l’Université et n’a pas fait d’études suivies. Elle mourut jeune : pourtant, à partir d’aujourd’hui, elle sera honorée comme Docteur de l’Église, une reconnaissance hautement qualifiée qui l’élève dans la considération de toute la communauté chrétienne, bien au-delà de ce que peut faire un « titre académique ».

En effet, lorsque le Magistère proclame quelqu’un Docteur de l’Église, il entend signaler à tous les fidèles, et tout spécialement à ceux qui exercent dans l’Église le service fondamental de la prédication ou qui remplissent la tâche délicate de la recherche et de l’enseignement théologiques, que la doctrine professée et proclamée par une certaine personne peut être un point de référence, non seulement parce qu’elle est conforme à la vérité révélée, mais également parce qu’elle apporte une lumière nouvelle sur les mystères de la foi, une compréhension plus profonde du Mystère du Christ. Le Concile nous a rappelé que, sous l’assistance de l’Esprit Saint, se développe sans cesse dans l’Église la compréhension du « depositum fidei », et à ce processus de croissance contribuent non seulement une étude riche de contemplation, à laquelle les théologiens sont appelés, le Magistère des Pasteurs, dotés du « charisme certain de la vérité », mais également cette « profonde intelligence des choses spirituelles » qui est donnée par l’expérience, avec une richesse et une diversité de dons, à ceux qui se laissent guider docilement par l’Esprit de Dieu (cf. Dei Verbum, 8). Pour sa part, Lumen gentium enseigne que dans les saints, « Dieu lui-même

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nous parle » (n.

50). C’est pourquoi, pour approfondir les mystères divins, qui demeurent toujours plus grands que nos pensées, il faut accorder une valeur spéciale à l’expérience spirituelle des saints, et ce n’est pas par hasard que l’Église choisit uniquement parmi eux ceux qu’elle entend honorer du titre de « Docteur ».

La convergence entre la doctrine et l’expérience

[En français]

4. Parmi les « Docteurs de l’Église », Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face est la plus jeune, mais son itinéraire spirituel ardent montre tant de maturité et les intuitions de la foi exprimées dans ses écrits sont si vastes et si profondes, qu’ils lui méritent de prendre place parmi les grands maîtres spirituels. Dans la Lettre apostolique que j’ai écrite à cette occasion, j’ai souligné quelques aspects saillants de sa doctrine. Mais comment ne pas rappeler ici ce que l’on peut considérer comme son sommet, à partir du récit de la découverte bouleversante qu’elle fit de sa vocation particulière dans l’Église ? « La Charité – écrit-elle – me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Église avait un corps, composé de différents membres, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d’Amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Église, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’Amour renfermait toutes les Vocations… Alors dans l’excès de ma joie délirante je me suis écriée : Jésus mon Amour… ma vocation enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour ! » (Ms B, 3 v). C’est là une page admirable qui suffit à elle seule à montrer que l’on peut appliquer à sainte Thérèse le passage de l’Évangile que nous avons entendu dans la liturgie de la Parole :

« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-

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petits » (Mt 11, 25).

5. Thérèse de Lisieux n’a pas seulement saisi et décrit la vérité profonde de l’Amour comme le centre et le cœur de l’Église, mais elle l’a vécu intensément dans sa brève existence. C’est justement cette convergence entre la doctrine et l’expérience concrète, entre la vérité et la vie, entre l’enseignement et la pratique, qui resplendit avec une particulière clarté dans cette sainte, et qui fait d’elle un modèle attrayant spécialement pour les jeunes et pour ceux qui sont à la recherche du vrai sens à donner à leur vie.

Devant le vide de tant de mots, Thérèse présente une autre solution, l’unique Parole du salut qui, comprise et vécue dans le silence, devient une source de vie renouvelée. À une culture rationaliste et trop souvent envahie par un matérialisme pratique, elle oppose avec une désarmante simplicité la « petite voie » qui, en revenant à l’essentiel, conduit au secret de toute existence : l’Amour divin qui enveloppe et pénètre toute l’aventure humaine. En un temps comme le nôtre, marqué bien souvent par la culture de l’éphémère et de l’hédonisme, ce nouveau Docteur de l’Église se montre doué d’une singulière efficacité pour éclairer l’esprit et le cœur de ceux qui ont soif de vérité et d’amour.

L’abandon confiant à la miséricorde de Dieu

6. Sainte Thérèse est présentée comme Docteur de l’Église le jour où nous célébrons la Journée mondiale des Missions. Elle eut l’ardent désir de se consacrer à l’annonce de l’Évangile et elle aurait voulu couronner son témoignage par le sacrifice suprême du martyre

(cf. Ms B, 3 r). On sait aussi avec quel intense engagement personnel elle soutint le travail apostolique des Pères Maurice Bellière et Adolphe Roulland, missionnaires l’un en Afrique et l’autre en Chine. Dans son élan d’amour pour l’évangélisation, Thérèse avait un seul idéal, comme elle le dit elle-même : « Ce que nous Lui demandons, c’est de travailler pour sa gloire, c’est de l’aimer et de le faire aimer » (Lettre 220).

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Le chemin qu’elle a parcouru pour arriver à cet idéal de vie n’est pas celui des grandes entreprises réservées au petit nombre, mais c’est au contraire une voie à la portée de tous, la « petite voie », chemin de la confiance et de la remise totale de soi-même à la grâce du Seigneur. Ce n’est pas une voie à banaliser, comme si elle était moins exigeante. Elle est en réalité exigeante, comme l’est toujours l’Évangile. Mais c’est une voie où l’on est pénétré du sens de l’abandon confiant à la miséricorde divine, qui rend léger même l’engagement spirituel le plus rigoureux.

Par cette voie, où elle reçoit tout comme « grâce », par le fait qu’elle met au centre de tout son rapport avec le Christ et son choix de l’amour, par la place qu’elle donne aussi aux élans du cœur dans son itinéraire spirituel, Thérèse de Lisieux est une sainte qui reste jeune, malgré les années qui passent, et elle se propose comme un modèle éminent et un guide sur la route des chrétiens pour notre temps qui arrive au troisième millénaire.

[En italien]

7. C’est pourquoi la joie de l’Église est grande en cette journée qui couronne les attentes et les prières de tous ceux qui ont eu l’intuition, en demandant le Doctorat, de ce don spécial de Dieu et qui en ont favorisé la reconnaissance et l’accueil. Nous désirons en rendre grâce au Seigneur tous ensemble, et particulièrement avec les professeurs et les étudiants des Universités ecclésiastiques romaines qui, ces jours-ci, ont commencé une nouvelle Année académique.

Oui, ô Père, nous te bénissons avec Jésus (cf. Mt 11, 25), car tu as caché tes secrets « aux sages et aux savants », et tu les as révélés à cette « petite », que tu proposes aujourd’hui à nouveau à notre attention et comme un exemple à imiter.

Nous te rendons grâce pour la sagesse que tu lui as donnée, en faisant d’elle un témoin particulier et une maîtresse de vie pour toute l’Église !

Nous te rendons grâce pour l’amour que tu as répandu en elle,

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et qui continue à éclairer et à réchauffer les cœurs, en les menant vers la sainteté !

Le désir que Thérèse exprima de « passer son Ciel à faire du bien sur la terre » (Œuvres complètes, p. 1050), continue à s’accomplir de façon merveilleuse.

Nous te rendons grâce, ô Père, car aujourd’hui, à un nouveau titre, tu la rends proche de nous, pour la louange et la gloire de ton nom, pour les siècles des siècles. Amen !

26 octobre 1997

La famille est le lieu d'où rayonne l'Évangile

Le 30 novembre, nous entrerons dans la deuxième année de préparation immédiate au grand Jubilé de l'An 2000

Dans la matinée du dimanche 26 octobre 1997, le Pape Jean-Paul II, Évêque de Rome, s'est rendu en visite pastorale dans la paroisse romaine des « Santi Elisabetta e Zaccaria », située dans le quartier.de Prima Porta. Au cours de la célébration eucharistique pour les fidèles, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1.  » Merveilles. que. fit. pour. nous Yahvé » (Ps 125, 3).

Le refrain du Psaume responsorial résume bien le contenu de la Parole de Dieu que la liturgie de ce jour nous propose.

Comme nous l'avons entendu dans l'Évangile, Jésus a accompli de grandes choses pour Bartimée, l'aveugle de Jéricho, qui grâce à son intervention de thaumaturge, a recouvré la vue (cf. Mc 10, 52). Dieu a fait des merveilles pour la descendance de Jacob, la libérant de l'esclavage d'Egypte et la faisant entrer dans la terre promise. Et lorsque le Peuple.élu.fut.assujetti à un nouvel esclavage, en raison de son infidélité, Dieu libéra Israël de l'exil babylonien et le reconduisit sur la terre de ses ancêtres.

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Faisant référence aux grands événements de l'histoire salvifique, le Psaume responsorial proclame :

« Quand Yahvé ramena les captifs de Sion, nous étions comme en rêve ; alors notre bouche s'emplit de rire et nos lèvres de chansons » (Ps 125, 1-2).

Les.. magnalia.. Dei.. de.. l'Ancienne Alliance constituent une préfiguration du mystère de l'Incarnation, intervention suprême de Dieu non seulement à l'égard d'Israël, mais de tous les hommes. « Car Dieu a tant aimé le monde, — écrit saint Jean — qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Le Fils unique de Dieu,.de.la.même substance que le Père,.s'est.incarné.par l'œuvre de l'Esprit Saint. Il a assumé notre nature humaine à travers Marie, la Fille de Sion élue, et il a accompli la rédemption de l'humanité tout entière.

2.  » Tu es prêtre pour l'éternité, selon l'ordre de Mélchisédech » (He 5, 6). Jésus est le Grand Prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance. L'antique prêtre, transmis par les descendants d'Aaron, frère de Moïse, cède la place au véritable et parfait sacerdoce du Christ. Nous lisons dans l'Épître aux Hébreux : « Tout grand prêtre, en effet, pris d'entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir dons et sacrifices pour les péchés » (5, 1).

Toute la vie du Christ possède une valeur sacerdotale. Cependant, la plénitude de son sacerdoce se manifeste dans le mystère pascal. Sur le Golgotha, il s'offre lui-même au Père à travers un sacrifice sanglant, unique et parfait. Ainsi, il conclut de façon définitive la prophétie adressée à Mélchisédech : « Car ceci il l'a fait une fois pour toutes en s'offrant lui-même » (He 7, 27). A la veille de sa mort, il anticipa le mémorial de ce sacrifice, sous les espèces du pain et du vin consacrés. Son geste d'immolation devint ainsi le sacrement de la Nouvelle Alliance, l'Eucharistie de l'Église. Chaque fois que nous célébrons ou que nous participons à la Sainte Messe,

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nous devons proclamer avec reconnaissance les paroles du Psaume d'aujourd'hui : « Merveilles que fit pour nous Yahvé » !

3. Très chers frères et sœurs de la paroisse des « Santi Elisabetta e Zaccaria », répétons ensemble aujourd'hui ce chant !

Je suis venu pour rendre visite à votre jeune communauté et je suis heureux de célébrer avec vous le jour du Seigneur. Je salue cordialement chacun de vous et je vous remercie pour votre accueil chaleureux. Je salue, en particulier,. le. Cardinal. Vicaire, l'Évêque auxiliaire du secteur, votre curé, dom Giorgio Cara, qui mérite un applaudissement. Il a dit beaucoup de belles choses sur vous. On voit qu'il aime ses fidèles, toutes les familles, qu'il aime les nombreux enfants que l'on voit dans sa paroisse, qu'il aime chacun de vous sans exception. Je salue également les prêtres collaborateurs qui viennent d'Afrique. Je salue aussi les personnes consacrées et les laïcs, jeunes et adultes, qui participent à la vie paroissiale. Ma pensée affectueuse s'étend aux habitants de tout le quartier de Prima Porta.

Votre paroisse a été fondée récemment ; sa constitution date de 1985, bien que ses origines remontent à une dizaine d'années, lorsque de nombreuses familles provenant d'autres quartiers vinrent s'installer dans cette zone. C'est également grâce à la collaboration des Sœurs de l'Immaculée, qui s'est poursuivie jusqu'en 1993, que votre communauté, après un début timide, s'est sensiblement développée et compte à présent 9.000 âmes. Elle s'est organisée progressivement et a connu un développement rapide, en particulier dans les domaines de la catéchèse et de la formation des catéchistes, de la liturgie et de l'activité missionnaire, à travers des expériences significatives de groupes de prière familiale.

Je rends grâce à Dieu avec vous pour ces fruits encourageants, et je souhaite de tout cœur que vous puissiez bientôt posséder comme c'est votre souhait une belle église paroissiale, centre spirituel de ce quartier qui se développe toujours plus.

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La mission dans la ville qui, lors du Carême 1998, concernera toutes les paroisses, constituera un nouvel encouragement pour alimenter la ferveur apostolique et missionnaire. A ce propos, je sais que certains jeunes, au cours de l'été dernier, ont vécu une expérience missionnaire fructueuse au Salvador et au Nord-Est du Brésil. Je m'en réjouis et je souhaite que s'approfondissent dans chaque milieu l'annonce et le témoignage du Seigneur mort et ressuscité.

4. Très chers frères et sœurs, dans le cadre de la mission dans la ville, dimanche 30 novembre, j'aurai la joie de remettre le crucifix et de confier le mandat missionnaire à plus de treize mille fidèles, qui se préparent à cette action apostolique. Je le ferai, s'il plaît à Dieu, au cours de la célébration eucharistique qui inaugurera la deuxième année de préparation immédiate au grand Jubilé de l'An 2000. Pour un bon déroulement de cette action ecclésiale, qui interpelle toute la communauté diocésaine, je compte sur la contribution généreuse de tous et, en particulier, sur celle des jeunes, appelés à être les apôtres du Christ parmi les jeunes de leur âge. La visite pastorale des évêques auxiliaires dans les communautés de jeunes, qui est en cours depuis déjà quelques semaines, a précisément pour but de souligner à quel point leur contribution et leur témoignage sont importants.

Aux côtés des jeunes, il est nécessaire qu’œuvrent également les familles chrétiennes. C'est pourquoi le diocèse de Rome consacre, au cours de cette année, une grande attention à la pastorale de la famille. Les familles en difficulté sont malheureusement nombreuses, mais il est réconfortant de voir qu'à Rome et en Italie, cette institution demeure à la première place dans l'échelle des valeurs. La famille chrétienne peut et doit donc jouer un rôle important pour aider les familles qui, pour différentes raisons, traversent des moments difficiles. Pour accomplir cette tâche, elle est appelée à prendre toujours davantage conscience de sa vocation et de sa mission : en tant qu'Église domestique, la famille est le lieu d'où rayonne l'Évangile. La famille qui vit l'Évangile, comme le rappelait mon vénéré Prédécesseur le Pape Paul VI, devient évangélisatrice de nombreuses familles et du milieu dans lequel elle est insérée. En

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d'autres termes, elle devient authentiquement missionnaire (cf. Exort. apost. Evangelii nuntiandi, n. 71).

Chers jeunes, chères familles, soyez les apôtres de notre ville. Soyez les semeurs de la vérité et de l'amour du Christ à travers votre témoignage évangélique cohérent et une participation active à la mission dans la ville.

5. Le Psaume responsorial nous rappelle que « ceux qui sèment dans les larmes moissonnent en chantant » (Ps 125, 5). L'engagement que Jésus nous demande peut sembler difficile, mais Il nous assure de son aide et de son soutien. Il est avec nous et Il agit pour nous.

Conscients de son amour, nous pouvons nous adresser à Lui avec confiance. Comme le paysan qui, après le temps des semences, savoure la joie de la récolte, Dieu nous accordera à tous de revenir avec joie, en portant le fruit de notre travail missionnaire (cf. Ps 125, 6). Il est le Père qui comble ses fils de joie.

En considérant les dons de sa grâce, nous pouvons répéter, l'âme emplie de reconnaissance : « Merveilles que fit pour nous Yahvé ». Oui, le Seigneur ne cesse d'accomplir pour nous des merveilles. Toujours !

Béni soit son saint Nom, à présent et pour les siècles des siècles. Amen !

9 novembre 1997

Trois temples de sainteté,

trois exemples pour édifier notre foi

Dans la matinée du dimanche 9 novembre 1997, solennité de la dédicace de la basilique Saint-Jean de Latran, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique solennelle sur la place Saint-Pierre, au cours de laquelle il a élevé aux honneurs des autels trois serviteurs de Dieu : Vilmos Apor, Évêque et martyr, Giovanni

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Battista Scalabrini, Evêque et fondateur des Missionnaires de Saint-Charles, et María Vicenta di Santa Dorotea Chávez Orozco, fondatrice de l'Institut des Servantes de la Très Sainte Trinité et des Pauvres. Durant la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

[en italien]

1.  » Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai » (Jn 2, 19).

Les paroles du Christ qui viennent d'être proclamées durant la lecture de l'Évangile, nous conduisent au centre même du Mystère pascal. Le Christ, qui est entré dans le temple de Jérusalem, manifeste son indignation car la maison du Père a été transformée en un vaste marché. Face à cette réaction, les juifs protestent : « Quel signe nous montres- tu pour agir ainsi ? » (Jn 2, 18). Jésus leur répond en n'indiquant qu'un seul signe très puissant, un signe définitif : « Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai ».

Il ne parle naturellement pas du temple de Jérusalem, mais de celui de son propre corps. En effet, ayant été livré à la mort, le troisième jour, il manifestera la puissance de la résurrection. L'Évangéliste ajoute : « Aussi, quand il ressuscita d'entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu'il avait dit cela, et ils crurent à l'Écriture et à la parole qu'il avait dite » (Jn 2, 22).

2. En ce dimanche, l'Église qui est à Rome et tout le peuple chrétien célèbrent la solennité de la dédicace de la basilique du Latran, considérée selon une très antique tradition comme la mère de toutes les églises. La liturgie nous propose des paroles relatives au temple : un temple qui est, tout d'abord, le corps du Christ, mais qui, à travers l'œuvre du Christ, est également chaque homme. L'Apôtre Paul se demande : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Esprit Saint habite en vous ? » (1 Co 3, 16). Ce temple est édifié sur le fondement posé par Dieu lui-même. « De fondement, en effet, nul n'en peut poser d'autre que celui qui s'y trouve, c'est-à-

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dire Jésus- Christ » (1 Co 3, 11). C'est Lui la pierre angulaire de la construction divine.

Trois serviteurs de Dieu, que j'ai aujourd'hui la joie d'élever aux honneurs des autels, ont édifié le temple de leur vie sur le Christ, solide fondement de l'Église : Vilmos Apor, Evêque et martyr, Giovanni Battista Scalabrini, Evêque et fondateur des Missionnaires de Saint- Charles, et María Vicenta di Santa Dorotea Chávez Orozco, fondatrice de l'Institut des Servantes de la Très Sainte Trinité et des Pauvres.

[en hongrois]

3. La participation intime au mystère du Christ, Temple nouveau et parfait dans lequel se réalise la pleine communion entre Dieu et l'homme (cf. Jn 2, 21), resplendit dans le service pastoral du bienheureux Vilmos Apor, dont l'existence fut couronnée par le martyre. Il fut le « curé des pauvres », un ministère qu'il poursuivit en tant qu'évêque au cours des sombres années de la Seconde Guerre mondiale, oeuvrant comme généreux bienfaiteur des indigents et défenseur des persécutés. Il ne craignit pas d'élever la voix pour stigmatiser, au nom des principes évangéliques, les injustices et les violences perpétrées contre les minorités, en particulier contre la communauté juive.

A l'image du Bon Pasteur, qui offre sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10, 11), le nouveau bienheureux vécut à la première personne l'adhésion au mystère pascal jusqu'au sacrifice suprême de la vie. Son assassinat eut lieu précisément le jour du Vendredi Saint : il fut frappé à mort alors qu'il défendait son troupeau. Il a ainsi fait l'expérience, à travers le martyre, d'une Pâque personnelle particulière, en passant du témoignage d'amour héroïque envers le Christ et de solidarité envers ses frères à la couronne de gloire promise aux fidèles serviteurs. Le témoignage héroïque de Mgr Vilmos Apor fait honneur à l'histoire de la noble nation hongroise et est aujourd'hui proposé à l'admiration de toute l'Église. Puisse-t-il

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encourager les croyants à suivre sans hésitation le Christ tout au long de leur vie. Telle est la sainteté à laquelle chaque baptisé est appelé !

[en italien]

4.  » Car le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous » (1 Co 3, 17). La vocation universelle à la sainteté fut constamment ressentie et vécue par Giovanni Battista Scalabrini en personne. Il aimait souvent répéter : « Si seulement je pouvais me sanctifier et sanctifier toutes les âmes qui me sont confiées ! ». Aspirer à la sainteté et la proposer à ceux qu'il rencontrait fut toujours son premier souci.

Aimant profondément Dieu et éprouvant une dévotion extraordinaire pour l'Eucharistie, il sut traduire la contemplation de Dieu et de son mystère en une intense action apostolique et missionnaire, se faisant tout à tous pour annoncer l'Évangile. Sa passion ardente pour le Royaume de Dieu le rendit zélé dans la catéchèse, dans les activités pastorales et dans l'action caritative, en particulier à l'égard des plus nécessiteux. Le Pape Pie XI le définit « Apôtre du catéchisme », en raison de l'engagement avec lequel il promut dans toutes les paroisses l'enseignement méthodique de la doctrine de l'Église, tant aux enfants qu'aux adultes. En vertu de son amour pour les pauvres, et en particulier pour les immigrés, il se fit l'apôtre de ses nombreux compatriotes obligés de s'expatrier, souvent dans des conditions difficiles et qui couraient le danger concret de perdre la foi : il fut pour eux un père et un guide sûr. Nous pouvons dire que le bienheureux Giovanni Battista Scalabrini vécut intensément le Mystère pascal, non pas à travers le martyre, mais en servant le Christ pauvre et crucifié chez les nombreuses personnes indigentes et souffrantes qu'il privilégiait d'un cœur d'authentique Pasteur, solidaire de son troupeau.

[en espagnol]

5. L'âme forte et humble de la nouvelle bienheureuse mexicaine, María Vicenta de Santa Dorotea Chávez Orozco, fut un

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temple précieux de la Très Sainte Trinité. Inspirée par la charité du Christ, toujours vivant et présent dans son Église, elle se consacra à son service dans la personne des « pauvres petits malades », ainsi qu'elle les appelait maternellement. Une série de difficultés et de contretemps cisela son caractère énergique, car Dieu la voulait simple, douce et obéissante pour faire d'elle la pierre angulaire de l'Institut des Servantes de la Très Sainte Trinité et des Pauvres, fondé par la nouvelle bienheureuse dans la ville de Guadalajara, afin de s'occuper des malades et des personnes âgées.

Vierge sensée et prudente, elle édifia son œuvre sur le ciment du Christ souffrant, soignant avec le baume de la charité et la potion du réconfort les corps blessés et les âmes affligées des préférés du Christ : les indigents, les pauvres et les nécessiteux.

Son exemple lumineux, soutenu par la prière, son service au prochain et son apostolat, se poursuivent aujourd'hui à travers le témoignage de ses filles et de tant de personnes de bonne volonté qui travaillent avec courage pour apporter dans les hôpitaux et dans les cliniques la Bonne Nouvelle de l'Évangile.

[en italien]

6. La première Lecture, tirée du Livre du prophète Ézéchiel, parle du symbole de l'eau. Pour nous, l'eau est associée au sacrement du Baptême et signifie la renaissance à la vie nouvelle dans le Christ. Aujourd'hui, en proclamant bienheureux Vilmos Apor, Giovanni Battista Scalabrini et María Vicenta di Santa Dorotea Chávez Orozco, nous voulons rendre grâce à Dieu pour la grâce de leur baptême et pour tout ce qu'Il a accompli dans leur vie : « à moins de naître d'eau et d'Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3, 5).

A présent, ces bienheureux, que l'Esprit Saint a fait renaître, sont entrés dans le Royaume de Dieu, et aujourd'hui, l'Église l'annonce et le confirme avec solennité. Édifiée sur le fondement du Christ, la communauté chrétienne se réjouit de la glorification de ses

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fils et élève au ciel un cantique d'action de grâce pour les fruits de bien accomplis à travers leur adhésion totale à la volonté divine.

Soutenue par leur témoignage et par leur intercession, ainsi que par la Vierge Marie, Reine des Apôtres et des Martyrs, la communauté chrétienne regarde l'avenir avec confiance, et s'apprête à franchir avec enthousiasme le seuil du nouveau millénaire, en proclamant que le Christ est l'unique Rédempteur de l'humanité : hier, aujourd'hui et à jamais. Amen !

16 novembre 1997

« Saisir les signes de la présence salvifique du Christ » dans les Amériques

Homélie du Pape lors de l’inauguration solennelle de l’Assemblée spéciale pour l’Amérique du Synode des évêques15

Dimanche 16 novembre 1997, dans la basilique Saint-Pierre, le Souverain Pontife Jean-Paul II a présidé une Concélébration eucharistique solennelle, à l'occasion de l'ouverture de l'Assemblée spéciale pour l'Amérique du Synode des Évêques, dont le thème est : « La rencontre avec le Christ vivant, chemin pour la conversion, la communion et la solidarité en Amérique ». Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par Jean-Paul II lors de la Messe qui regroupait pour l'occasion les représentants de tous les épiscopats « d'Amérique du Nord au Sud en passant par le Centre, y compris la région des Caraïbes » :

[En italien]

1. « Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où le Seigneur viendra » (cf. Mt 24, 42.44).

Cette attente dans la prière, à laquelle nous invite la liturgie d’aujourd’hui, se prête bien à l’événement important que nous 15 Texte original plurilingue dans l’Osservatore Romano des 17-18 novembre. Traduction pour les parties en italien, anglais, espagnol et portugais, titre et sous-titre de la DC.

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vivons : l’ouverture de l’Assemblée spéciale pour l’Amérique du Synode des évêques, qui a pour thème : « Rencontre avec Jésus-Christ vivant, chemin pour la conversion, la communion et la solidarité en Amérique ». Cette Assemblée voit se réunir les prélats de tous les épiscopats du continent américain, du Nord au Centre et au Sud, y compris les Caraïbes. À tous j’adresse mes cordiales salutations et une chaleureuse bienvenue à ceux qui sont venus d’au-delà de l’Océan pour cette occasion.

La Parole de Dieu nous offre aujourd’hui une bonne perspective pour le travail de discernement que nous nous préparons à faire : celle d’un regard de foi sur l’histoire, la perspective « eschatologique ».

C’est ainsi la façon de considérer les vicissitudes humaines auxquelles le Seigneur éduque les croyants. Nous avons écouté un oracle tiré du livre de Daniel, que ce prophète reçoit de la bouche d’un messager de Dieu, envoyé pour « leur manifester la vérité » (Dn 11, 2) sur les événements historiques. C’est un oracle qui parle d’angoisse et de salut pour le peuple : comment ne pas y reconnaître une annonce du Mystère pascal, unique centre de l’histoire et clé de son interprétation authentique ?

À la lumière du Mystère pascal, l’Église prépare et accomplit chaque étape de son pèlerinage sur la terre. Et aujourd’hui elle célèbre le commencement solennel d’un temps particulier de réflexion et d’échange sur la mission qu’elle est appelée à mener sur le continent américain. La Parole de Dieu lui donne le juste regard de foi pour lire, comme dit l’ange à Daniel, « ce qui est écrit dans le livre de la vérité » (Dn 10, 21). Dans cette perspective, l’Église regarde le chemin qu’elle a parcouru pour se projeter vers le nouveau millénaire avec une ardeur missionnaire renouvelée.

[En espagnol]

2. Il n’y a pas longtemps, c’était en 1992, nous avons rappelé solennellement les 500 ans de l’évangélisation de l’Amérique. Le

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Synode, qui commence aujourd’hui ses travaux dans cette basilique Saint-Pierre, rappelle idéalement ces temps où les habitants de ce « Vieux monde », grâce à l’admirable entreprise de Christophe Colomb, connurent l’existence de ce que l’on appelle le « Nouveau monde » qu’ils ignoraient jusqu’alors. À partir de ce jour historique, l’œuvre des colonisateurs a commencé et, en même temps, la mission des évangélisateurs pour faire connaître le Christ et son Évangile aux peuples de ce Continent.

L’évangélisation de l’Amérique ou, de façon plus précise, de ce que l’on appelle les « trois Amériques », qui aujourd’hui se considèrent en grande partie chrétiennes, est le fruit de cet extraordinaire travail missionnaire. Il est donc très important, à cinq siècles de distance et déjà à l’aube du nouveau millénaire, de parcourir, en esprit, le chemin réalisé par le christianisme sur toutes ces terres. Il est aussi opportun de ne pas séparer l’histoire chrétienne de l’Amérique du Nord de celle de l’Amérique centrale et du Sud. Il est juste de les appréhender ensemble, tout en sauvegardant l’originalité de chacune d’elles : aux yeux de ceux qui sont arrivés là-bas, il y a plus de 500 ans, elles apparurent comme une seule réalité et, surtout, cette communion entre les communautés locales est un signe vivant de l’unité naturelle de l’unique Église de JésusChrist, dont elles font partie intégrante.

Une vision unitaire du continent américain

[En anglais]

3. Chacun a conscience que, sur le grand continent américain, les résultats de l’action des colonisateurs sont aujourd’hui évidents dans la diversité politique et économique du Continent, avec des répercussions culturelles et religieuses indéniables. En comparaison avec d’autres pays, l’Amérique du Nord a atteint un Très-Haut niveau de progrès technologique et de bien-être économique, ainsi que dans le développement des institutions démocratiques.

Face à ces réalités, il nous est impossible de ne pas nous

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interroger sur les causes historiques qui ont fait naître ces différences sociales. Jusqu’à quel point ces différences sont-elles enracinées dans l’histoire des cinq derniers siècles ? Jusqu’à quel point l’héritage de la colonisation a-t-il de l’importance ? Et quelle influence la première évangélisation a-t-elle eue ?

Pour donner une réponse exhaustive à ces questions, il sera nécessaire, durant le Synode, de considérer le Continent comme un tout, de l’Alaska à la Terre de feu, sans introduire de séparation entre le Nord, le Centre et le Sud, pour éviter le risque de les opposer. Au contraire, nous devons chercher les raisons plus profondes qui incitent à cette vision unitaire, en faisant appel aux traditions religieuses et chrétiennes.

Ces quelques indications nous permettent de comprendre l’importance du Synode que nous inaugurons aujourd’hui.

[En portugais]

4. « Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où le Seigneur viendra ».

Cette exhortation, que nous venons juste d’entendre par la proclamation de l’Évangile, se réfère au climat spirituel dans lequel nous vivons, alors que l’année liturgique approche de sa fin. C’est un climat riche en thèmes eschatologiques, particulièrement mis au premier plan par le passage de l’Évangile de Marc, où le Christ souligne la caducité du ciel et de la terre :

« Le Ciel et la terre passeront, mais ma parole ne passera pas » (Mc 13, 31).

La figure de ce monde passe, mais la Parole de Dieu ne passera pas. Comme ce contraste est éloquent ! Dieu ne passe pas et ce qui vient de lui ne passe pas. Le sacrifice du Christ – et nous avons lu aujourd’hui dans la Lettre aux Hébreux : Jésus « a offert un unique sacrifice pour les péchés » (He 10, 12) ; et encore : « Par son unique sacrifice, il a mené pour toujours à sa perfection ceux qui reçoivent

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de lui la sainteté » (He 10, 14) – ne passe pas.

Pendant cette Assemblée synodale, nous nous arrêterons pour considérer le passé, mais tout spécialement le présent du continent américain. Nous essaierons de saisir en chacune de ses régions les signes de la présence salvifique du Christ, de sa Parole et de son sacrifice, pour que toutes nos énergies puissent être consacrées à la conversion et à l’évangélisation.

[En français]

5. Comment ne pas rappeler ici les expressions réconfortantes de la volonté, surtout en matière de collaboration entre les pasteurs en vue de la nouvelle évangélisation, qui s’était manifestée au terme de la quatrième Conférence générale de l’épiscopat latino-américain à Saint-Domingue en 1992 ? Il s’agissait alors d’intensifier la pastorale missionnaire de toutes les communautés, pour raviver dans les consciences l’engagement à aller au-delà des frontières « afin de porter à tous les autres peuples la foi qui nous est parvenue il y a cinq cents ans » (Message final de Saint-Domingue, n. 30) (DC 1992, n° 2062, p. 1087. NDLR). Rendons grâce à Dieu, car, aujourd’hui, se réalise le souhait que j’exprimais à l’ouverture des travaux de cette Conférence. Je soulignais en cette occasion :

« Cette Conférence générale pourrait proposer la célébration, dans un avenir proche, d’une Rencontre des représentants des épiscopats de tout le continent américain – laquelle pourrait avoir aussi un caractère synodal –, afin d’accroître la coopération entre les différentes Églises particulières dans les divers domaines pastoraux, et où l’on traiterait aussi les problèmes relatifs à la justice et à la solidarité entre toutes les nations d’Amérique, dans l’optique de la nouvelle évangélisation et comme une expression de la communion épiscopale » (Insegnamenti vol. XV, 2, 1992, p. 327) (DC 1992, n° 2061, p. 1028. NDLR).

Nous voici maintenant réunis avec l’intention de concrétiser ces résolutions de charité pastorale, soucieux de l’Église qui est en

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Amérique et dans un esprit de collégialité affective et effective entre tous les pasteurs des Églises particulières.

[En italien]

6. Chers frères et sœurs ! Nous ouvrons les travaux synodaux dans le contexte de la fin toute proche de l’année liturgique et du tout proche commencement de l’Avent. Puisse cette coïncidence significative déterminer l’orientation de fond de nos réflexions et de nos décisions.

Vraiment, chers frères et sœurs, cette époque invite à une grande vigilance. Nous devons veiller et prier, en nous souvenant que nous nous présenterons un jour devant le Fils de l’homme, comme pasteurs de l’Église qui est sur le continent américain.

À Toi, Marie, Mère de l’espérance, aimée et vénérée dans de nombreux sanctuaires répandus sur tout le continent américain, nous confions cette Assemblée synodale. Aide les chrétiens d’Amérique à être des témoins vigilants de l’Évangile pour être trouvés éveillés et prêts au jour, grand et mystérieux, où le Christ, Seigneur glorieux des Peuples, viendra juger les vivants et les morts. Amen.

30 novembre 1997

« Envoie ton Esprit, Seigneur »

Ouverture solennelle de la deuxième année de préparation au jubilé de l'An 2000

Dans la matinée du dimanche 30 novembre 1997, premier dimanche de l'Avent, le Pape Jean-Paul II a présidé une Concélébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre, à l'occasion de l'ouverture de la deuxième année — consacrée à l'Esprit Saint — de préparation immédiate au grand Jubilé de l'An 2000 et de la remise de la Croix aux missionnaires engagés dans la Mission dans la ville de Rome. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

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1.  » Veillez donc et priez en tout temps, afin d'avoir la force [...] de vous tenir debout devant le Fils de l'homme » (Lc 21, 36).

Les paroles du Christ, rapportées par l'Évangile de Luc, nous introduisent dans la signification profonde de la Liturgie que nous sommes en train de célébrer. En ce premier dimanche de l'Avent,.qui marque le début de la deuxième année de préparation immédiate au Jubilé de l'An 2000, l'exhortation à veiller et à prier, pour être prêts à rencontrer le Seigneur, retentit plus que jamais de façon vivante et actuelle.

Notre esprit se tourne tout d'abord vers la rencontre du prochain Noël, lorsque nous nous agenouillerons une fois de plus devant le berceau du Sauveur nouveau- né.. Mais notre pensée se dirige également vers la grande date de l'An 2000, lorsque l'Église tout entière revivra avec une intensité tout à fait particulière le mystère de l'Incarnation du Verbe. Nous sommes invités à hâter le pas vers cet objectif, en nous laissant guider, en particulier au cours de la présente année liturgique, par la lumière de l'Esprit-Saint. En effet, « dans les tâches premières de la préparation au Jubilé, figure donc la redécouverte de la présence et de l'action de l'Esprit. Il agit dans l'Église [...] » (Tertio millennio adveniente, n. 45).

Dans cette perspective, le Comité du grand Jubilé continue à accomplir son travail avec une application digne d'éloges. Son précieux service ecclésial mérite d'être encouragé, en particulier au cours de cette phase désormais si proche de la date historique. Grâce aux initiatives d'animation et de coordination mises en œuvre par cet organisme central, le chemin qui conduira le Peuple de Dieu à franchir le seuil du troisième millénaire pourra être toujours mieux orienté et encouragé.

2. L'Église qui est à Rome se réunit également aujourd'hui dans cette basilique pour une autre raison : la remise de la Croix aux missionnaires, hommes et femmes, qui assument la tâche d'annoncer l'Évangile dans les divers milieux de vie de la capitale.

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Nous avons écouté les paroles de l'Apôtre Paul : « Et vous, que le Seigneur vous fasse croître et abonder dans l'amour que vous avez les uns envers les autres et envers tous... » (1 Th 3, 12). Très chers missionnaires, tel est précisément le souhait avec lequel l'Evêque de Rome vous remet la Croix à tous, ainsi qu'à vos communautés paroissiales. N'est-ce pas là que se trouve le secret de la réussite de la Mission dans la ville ? Jésus lui-même a relié à l'amour réciproque de ses disciples l'efficacité de leur annonce évangélique : « Qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie... » (Jn 17, 21).

Le succès de la Mission dépend de l'intensité de l'amour. La troisième Personne de la Très Sainte Trinité est l'Amour qui demeure. Qui mieux que Lui peut répandre l'amour dans nos cœurs (cf. Rm 5, 5) ? La coïncidence entre l'ouverture de la deuxième année de préparation au grand Jubilé, consacrée à l'Esprit Saint, et la remise de la Croix entre vos mains, à vous qui serez les acteurs de la Mission dans toute la ville au cours de cette année, est donc providentielle. Elle vous assure de l'assistance particulière de l'Esprit Saint, en qui la Mission reconnaît son premier et incontestable acteur.

3.  » Ouvres la porte au Christ, ton Sauveur ! ». Telle est l'invitation qui est au centre de la Mission dans la ville, mais qui doit tout d'abord retentir dans notre cœur. Nous devons être les premiers à ouvrir la porte de notre conscience et de notre vie au Christ sauveur, en devenant dociles à l'action de l'Esprit pour devenir toujours plus semblables au Seigneur. En effet, on ne peut pas l'annoncer sans refléter son image, rendue vivante en nous par la grâce et par l'action de l'Esprit.

Chers missionnaires ! Faites preuve d'un grand amour pour les personnes et les familles que vous rencontrerez. Les gens ont besoin d'amour, de compréhension, de pardon. Soyez surtout attentifs et proches des familles qui vivent des situations difficiles, tant sur le plan de la foi que sur celui de leur mariage, ou encore de la pauvreté et de la souffrance. Que chaque famille qui est à Rome puisse

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percevoir dans vos gestes et dans vos paroles autant de signes de la miséricorde divine et de l'accueil de l'Église. Conservez le plus possible, même après votre visite, une relation personnelle avec les familles que vous rencontrerez et avec chacun de leurs membres.

Aimez l'Église, dont vous êtes des membres, qui vous envoie en tant que missionnaires. Enseignez à l'aimer à travers la parole et par l'exemple. Partagez avec elle la passion pour le salut des hommes. Aimez l'Église qui est sainte, car elle est purifiée par le sang du Christ répandu sur la Croix.

Efforcez-vous d'être saints vous aussi ! Accueillez l'exhortation de saint Paul, qui a retenti lors de la seconde lecture, à « affermir ainsi vos cœurs irréprochables en sainteté » (cf. 1 Th 3, 13). L'appel à la mission découle de l'appel à la sainteté. Répondez-y avec générosité. Ouvrez les portes de votre vie au don de l'Esprit Saint, le Sanctificateur, celui qui renouvelle la face de la terre et qui transforme les cœurs de pierre en cœurs de chair, capables d'aimer comme le Christ nous a aimés (cf. Jn 15, 12).

4. En vous présentant dans chaque maison, aux familles de vos paroisses, vous pourrez affirmer avec l'Apôtre Paul : Je suis venu parmi vous, faible, craintif et tout tremblant, pour vous annoncer Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (cf. 1 Co 2, 1-3). Cette simplicité dans l'annonce, accompagnée de l'amour envers les personnes à qui vous vous présentez, est la véritable force de votre service missionnaire. Face à l'appel persuasif et attrayant des nombreux messages humains qui remplissent chaque jour l'existence des personnes, l'Évangile peut sans doute apparaître limité et pauvre à un regard superficiel, mais en réalité, il s'agit de la parole la plus puissante et la plus efficace que l'on puisse prononcer, car elle pénètre dans le cœur et, grâce à l'action mystérieuse de l'Esprit Saint, elle ouvre la voie à la conversion et à la rencontre avec Dieu.

Je désire faire mienne l'invitation de l'Apôtre à croître et à vous distinguer sur la voie du bien : « Vous avez reçu notre enseignement sur la manière de vivre qui plaît à Dieu [...] c'est ainsi que vous

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vivez ; faites-y des progrès encore » (1 Th 4, 1). En effet, la Mission doit constituer pour chaque paroisse une occasion propice pour entamer une relation nouvelle avec les habitants du lieu, pour être davantage en mesure d'atteindre chacun par la proposition de la foi, pour être plus disponibles à l'égard des demandes et des attentes, plus présents dans la vie quotidienne de chacun. La paroisse pourra ainsi être plus authentiquement elle-même dans le généreux engagement apostolique et missionnaire à l'égard de ceux qui vivent en dehors d'elle.

5. Chers missionnaires de Rome ! Je vous dis aujourd'hui ce que j'ai déjà écrit aux jeunes le 8 septembre dernier, en les invitant à être disponibles pour accueillir et aider tous ceux qui veulent s'approcher de la foi et de l'Église. Qu'aucune personne, placée par le Père sur notre route, ne s'égare ! (cf. Lettre aux jeunes de Rome, n. 9 ; ORLF n. 38 du 23 septembre 1997).

Je vous le répète également, prêtres et diacres, pour que vous raviviez le don de Dieu qui est en vous grâce à l'imposition des mains de l'évêque (cf. 2 Tm 1, 6). Avec l'amour et la sollicitude du Bon Pasteur, allez à la recherche de ceux qui se sont éloignés et qui attendent un geste, une parole de votre part, pour pouvoir redécouvrir l'amour de Dieu et son pardon.

A vous, religieux et religieuses, je tiens à indiquer dans la Mission le terrain propice pour rendre un témoignage profond de service joyeux à l'Évangile. Je demande notamment aux religieuses de clôture de se placer au cœur même de la Mission, à travers leur constante prière d'adoration et de contemplation du mystère de la Croix et de la résurrection.

A vous, chers jeunes garçons et jeunes filles, je dis encore une fois : votre participation active à la Mission dans la ville est un don indispensable pour la communauté. Vous devenez les acteurs de l'aventure la plus belle et la plus enthousiasmante à laquelle il vaut la peine de consacrer sa vie : annoncer le Christ et son Évangile. A travers vos dons et vos talents, mis à la disposition du Seigneur, vous

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pouvez et vous devez contribuer à l'œuvre du salut dans notre ville bien-aimée.

Je vous renouvelle également l'invitation, chères familles chrétiennes, riches du don de la foi et de l'amour ; une invitation à vivre de façon engagée l'appel à la mission, en offrant votre service aux autres familles qui vivent à vos côtés, avec amitié, solidarité et courage dans la proposition de la vérité évangélique.

Je vous adresse une pensée particulière, chers malades, chères personnes âgées et seules. Une tâche d'une grande importance vous est confiée dans la Mission : offrir vos prières et vos souffrances quotidiennes pour la bonne issue de cette action apostolique, afin que la grâce du Seigneur accompagne la visite des missionnaires dans les familles et rende les cœurs de ceux qui les accueilleront ouverts et disponibles à la conversion.

6.  » Voici venir des jours [...] où j'accomplirai la promesse de bonheur que j'ai prononcée » (Jr 33, 14). Grâce à l'action de l'Esprit, le Seigneur conduit l'histoire du salut à travers les siècles jusqu'à son accomplissement suprême.

« Envoie ton Esprit et renouvelle la face de la terre ! ». Comme tu l'as fait pour Marie, Vierge de l'Avent, envoie ton Esprit sur nous. Envoie ton Esprit, ô Seigneur, sur la ville de Rome et renouvelle son visage ! Envoie ton Esprit sur le monde entier qui se prépare à entrer dans le troisième millénaire de l'ère chrétienne.

Aide-nous à accueillir, comme Marie, le don de ta présence divine et de ta protection. Aide-nous à être dociles aux suggestions de l'Esprit, afin que nous puissions annoncer avec courage et ardeur apostolique le Verbe qui s'est fait chair et qui est venu habiter parmi nous : Jésus-Christ, le Dieu fait Homme, qui nous a rachetés à travers sa mort et sa résurrection. Amen !

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12 décembre 1997

Dans la matinée du vendredi 12 décembre 1997, fête. de. Notre-Dame de Guadalupe, le Pape Jean-Paul II a présidé dans la Basilique Saint-Pierre, la célébration eucharistique pour la clôture de l'Assemblée spéciale pour l'Amérique du Synode des Évêques. Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le Saint-Père:

Enracinés dans l’Évangile et ouverts aux défis de la société

Homélie du Pape Jean-Paul II16

[En italien]

1. « En ces jours-là, Marie partit… » (Lc 1, 39). Qu’il est suggestif d’écouter encore une fois ce passage de l’Évangile sur la Visitation, au cours de cette célébration par laquelle se termine l’Assemblée spéciale pour l’Amérique du Synode des Évêques ! L’Église part toujours, elle est toujours en marche.

Elle est envoyée, elle existe pour cheminer à travers le temps et l’espace, en annonçant et en témoignant de l’Évangile jusqu’aux confins extrêmes de la terre.

Il y a environ cinq siècles, l’Église pèlerine dans l’histoire partit vers le continent américain, qui venait d’être découvert. Depuis lors, elle s’est enracinée dans les différentes cultures de cette terre ; son visage a pris les traits des gens indigènes, comme nous le montre l’icône bien éloquente de la Vierge de Guadalupe, dont nous célébrons la mémoire dans la présente liturgie.

Cette année, pendant que tout le Peuple de Dieu s’achemine vers le grand Jubilé de l’An 2000, a eu lieu ce Synode continental. Il s’agit, sans aucun doute, d’un point d’arrivée ; mais il représente, encore plus, un nouveau point de départ : la Communauté chrétienne, suivant le modèle de Marie, part encore sous l’impulsion de l’amour du Christ, afin d’accomplir la nouvelle évangélisation du continent

16 Texte plurilingue et traduction de la Salle de Presse du Saint-Siège. Titre de la DC.

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américain. C’est le début d’une mission renouvelée, qui a trouvé dans l’Assemblée spéciale du Synode des évêques son « Cénacle » et sa « Pentecôte », tout juste au début d’une année complètement consacrée à l’Esprit Saint.

C’est l’Esprit qui guide constamment le peuple chrétien tout au long des chemins de l’histoire du salut. De tout cela nous voulons, aujourd’hui, remercier le Seigneur, en reconnaissant que le Christ lui-même est présent parmi nous et est en marche avec nous. Frères vénérés dans l’Épiscopat, très chers Frères et Sœurs, partons ensemble, en pèlerinage spirituel à Bethléem, et déposons les fruits de notre engagement aux pieds du Fils de Dieu qui vient nous sauver : « Regem venturum, Dominum, venite adoremus ! ».

[En anglais]

2. Au cours de ces semaines, nous avons fait nôtres les derniers mots du Christ, le Fils incarné de Dieu, son testament, qui représente aussi son grand mandat missionnaire pour les baptisés : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 18-20).

Conformément à ce mandat sur lequel est fondé notre ministère, vous, les Pasteurs des Églises en Amérique, vous ne devez jamais être las de proclamer le Christ vivant, notre seul salut, à un monde qui a faim de vérité. Lui seul est notre paix ; Lui seul est cette richesse dont nous recevons notre force et notre joie intérieure.

Pendant ce Synode, nous avons entendu l’écho des voix des premiers évangélisateurs de l’Amérique, qui nous ont rappelé notre devoir d’être profondément convertis au Christ, source unique de communion authentique et de solidarité. Maintenant le temps est propice pour une nouvelle évangélisation, une occasion providentielle pour conduire le Peuple de Dieu en Amérique à passer le seuil du troisième millénaire avec un espoir renouvelé.

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Comment ne pas remercier Dieu, aujourd’hui, pour tous ces missionnaires qui au cours de cinq siècles d’histoire se sont engagés dans l’évangélisation du Continent ? L’Église a une dette énorme envers eux. Nous connaissons beaucoup de leurs noms, car ils ont été élevés à la gloire des autels. Mais la plupart de ces missionnaires, surtout des religieux, sont encore inconnus et l’Amérique leur doit beaucoup, non seulement du point de vue religieux mais aussi du point de vue culturel. Tout comme en Europe, d’où les missionnaires sont partis, en Amérique aussi le lien étroit entre foi, évangélisation et culture a été la source d’inspiration d’innombrables ouvrages artistiques, architecturaux et littéraires, ainsi que de nombreuses célébrations et traditions. Ainsi est née une riche tradition, qui représente un patrimoine significatif des peuples de l’Amérique du Sud, du Centre et du Nord.

Entre ces régions, il existe des différences qui remontent aux origines de l’évangélisation. Le Synode, cependant, a bien mis en évidence comment l’Évangile les a harmonisées. Ceux qui ont participé au Synode ont fait l’expérience personnelle de cette unité, source de solidarité fraternelle. De cette façon, le Synode a accompli sa tâche principale, contenue dans le terme lui-même, syn-odos, c’est-à-dire communion de chemins. Nous remercions le Seigneur pour cette communion de chemins, qui ont été empruntés par des générations entières de chrétiens dans ce grand Continent.

[En français]

3. Chers Frères et Sœurs, au cours de l’Assemblée synodale, les problèmes et les perspectives de la nouvelle évangélisation en Amérique ont été examinés. Toute solution se fonde sur la conscience du devoir urgent de proclamer avec ardeur et avec courage Jésus-Christ, Rédempteur de tout homme et de tout l’homme. C’est seulement en puisant à cette source vive que l’on peut relever efficacement tous les défis. Je voudrais en rappeler quelques-uns : l’enseignement authentique de la doctrine de l’Église et une catéchèse fidèle à l’Évangile, adaptée aux besoins de

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l’époque ; les tâches et l’interaction des différentes vocations et des différents ministères dans l’Église ; la défense de la vie humaine dès le moment de sa conception jusqu’à son terme naturel ; le rôle primordial de la famille dans la société ; la nécessité de faire en sorte que la société, avec ses lois et ses institutions, soit en harmonie avec l’enseignement du Christ ; la valeur du travail humain, par lequel la personne humaine coopère à l’activité créatrice de Dieu ; l’évangélisation du monde de la culture sous ses différents aspects. Grâce à une action apostolique enracinée dans l’Évangile et ouverte aux défis de la société, vous pourrez contribuer à répandre dans toute l’Amérique la civilisation de l’amour tant désirée, qui met fortement en valeur la primauté de l’homme et la promotion de sa dignité dans toutes ses dimensions, à commencer par sa dimension spirituelle. D’une manière plus profonde et plus large, l’Église en Amérique pourra se rendre compte des conséquences de la réconciliation authentique avec le Christ, qui ouvre les cœurs et permet à des frères et sœurs dans la foi de renouveler leurs façons de travailler ensemble. Pour la nouvelle évangélisation, il est fondamental que se réalise concrètement la collaboration entre les différentes vocations, les différents ministères, les divers apostolats et charismes suscités par l’Esprit, que ce soient ceux des Instituts religieux traditionnels ou ceux que de nouveaux mouvements et associations de fidèles ont fait naître plus récemment.

[En portugais]

4. Chers vénérables Pères synodaux, qui avez pris part à cette Assemblée spéciale du Synode pour l’Amérique, je veux vous exprimer mes meilleurs vœux et mes remerciement les plus sincères. J’ai cherché à être présent le plus possible aux travaux du Synode. Cela a représenté pour moi une expérience significative, tout en rendant plus facile le renforcement des liens de la communion pastorale et affective qui nous unissent en Jésus-Christ. Cette unité spirituelle trouve sa conclusion dans la célébration de l’Eucharistie, centre et sommet de la vie de l’Église et de tout son plan pastoral.

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Au moment où vous allez quitter Rome et retourner dans vos diocèses en Amérique, je vous donne ma bénédiction et vous demande de la transmettre à vos fidèles, avant tout aux prêtres, à vos collaborateurs, les religieux et les religieuses qui font partie de vos communautés, aux fidèles laïcs engagés dans l’apostolat, aux jeunes, aux adolescents et aux personnes âgées. Je leur promets mes prières et mon amour. Que le Saint-Esprit, au cours de cette année qui lui est spécialement consacrée, nous aide à marcher ensemble au nom de Dieu !

Nous avons terminé les travaux de ce Synode le jour consacré à la Vierge de Guadalupe, premier témoin de la présence du Christ en Amérique. Son sanctuaire, au cœur du continent américain, représente la mémoire indéniable de l’évangélisation accomplie au cours des cinq derniers siècles. La Mère du Christ est apparue à un homme simple, un indien appelé Juan Diego. Elle l’a choisi comme représentant de tous ses fils et de toutes ses filles aimés en cette terre, afin d’annoncer que l’appel de la Providence divine concerne les hommes et les femmes de toutes les races et cultures : les indigènes qui ont vécu dans ce Continent il y a des siècles, tout comme ceux venus de l’Europe afin d’apporter, malgré leurs limites et défauts, le don immense de la Bonne Nouvelle.

Durant ce Synode, nous avons fait l’expérience de la présence de Notre-Dame, la Mère de Dieu, vénérée dans la Basilique de Guadalupe. Et aujourd’hui, nous voulons lui confier le chemin futur de l’Église dans le grand continent d’Amérique.

[En castillan]

5. Il y a quelques jours, au terme des travaux du Synode, en vous ralliant à la proposition des trois Présidents délégués, vous avez exprimé le désir que, à l’occasion de la promulgation de l’Exhortation apostolique post-synodale, je retourne en tant que pèlerin à son sanctuaire à Mexico. À cet égard, je Lui remets mon espérance, mes plans et mes désirs. Cependant, dès maintenant je suis spirituellement prosterné à ses pieds, tout en rappelant mon

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premier pèlerinage en janvier 1979, quant je me suis agenouillé devant cette image merveilleuse afin d’invoquer son aide maternelle et sa protection pour mon mandat pontifical qui venait de commencer. C’est à cette occasion que je lui ai confié l’évangélisation de l’Amérique – avant tout de l’Amérique latine – avant de participer à la troisième Conférence générale de l’Épiscopat de l’Amérique latine à Puebla.

En Ton nom je renouvelle encore, aujourd’hui, l’appel que j’ai déjà adressé : Marie, Vierge de Guadalupe, Mère de toute l’Amérique, aide-nous à être les promulgateurs fidèles des grands mystères de Dieu, aide-nous à enseigner la vérité que ton Fils a annoncée et à répandre l’amour, ce qui représente le premier commandement et le premier fruit du Saint-Esprit. Aide-nous à confirmer nos frères dans la foi. Aide-nous à faire connaître l’espérance en la vie éternelle. Aide-nous à garder les grands trésors spirituels des membres du Peuple de Dieu qui nous ont été confiés. Reine des Apôtres ! Accepte notre disponibilité à servir, sans réserve, la cause de ton Fils, la cause de l’Évangile et de la paix, fondée dans la justice et l’amour parmi les hommes et entre les peuples.

Reine de la paix ! Sauve les nations et les peuples du Continent entier qui se confient à Toi ; sauve-les des guerres, de la haine et de la subversion. Que, dirigeants et gouvernés, apprennent à vivre dans la paix ; qu’ils puissent être éduqués à la paix et entreprendre tout ce qui est nécessaire pour instaurer la paix, la justice et le respect de chaque être humain, de sorte que la paix puisse être renforcée.

Vierge « morenita », Mère de l’Espérance, Mère de Guadalupe, écoute-nous !

16 décembre 1997

Au seuil du troisième millénaire, les jeunes sont appelés à libérer leurs énergies généreuses

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Dans l'après-midi du mardi 16 décembre 1997, le Pape Jean-Paul II a présidé la traditionnelle Célébration eucharistique dans la basilique Saint-Pierre pour dix mille étudiants et professeurs des Universités romaines, en préparation à Noël. Au cours de la cérémonie, le Saint-Père. a. prononcé. l'homélie. suivante :

Rorate coeli, desuper, et nubes pluant iustum : aperiatur terra, et germinet Salvatorem (Introït, cf. Is 45, 8).

1. A travers ces paroles, la liturgie d'aujourd'hui exprime l'attente du Sauveur du monde qui est sur le point d'arriver.

Depuis quelques années, le temps de l'Avent,.qui exhorte les croyants à « aller par les bonnes œuvres à la rencontre » du Christ qui vient, constitue pour les professeurs et les étudiants des Universités romaines une occasion de partager avec leur Évêque la grâce et la joie de l'attente du Seigneur. La participation de représentants d'universités non romaines, confère à ce rendez-vous une dimension plus riche et plus vaste, le transformant presque en la célébration de l'Avent de tout le monde académique italien. En cette occasion, je désire adresser à chacun de vous mes vœux cordiaux pour Noël, et en particulier demander à l'Enfant Divin les grâces nécessaires pour ceux qui œuvrent dans le monde universitaire. Je remercie en particulier le professeur et l'étudiante qui se sont faits les interprètes de vos sentiments communs.

2. La Parole de Dieu qui vient d'être proclamée fait référence à la vigne du Seigneur, allégorie suggestive qui revient souvent dans les Évangiles et qui constitue le thème principal de l'épisode d'aujourd'hui. Qu'évoque l'image de la vigne ? Selon les textes évangéliques, on pourrait dire qu'elle représente tout l'univers créé qui, grâce à la venue du Christ, devient à titre particulier propriété de Dieu. En effet, grâce à la rédemption du Christ, le cosmos et l'homme commencent à appartenir de façon nouvelle à Dieu. Nous pouvons donc affirmer que le Noël du Seigneur est dans une certaine mesure le jour saint où le monde visible et l'homme deviennent la vigne du Seigneur. L'univers animé et inanimé assume, à partir d'un tel

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événement, une signification différente et inattendue, car « Dieu — comme le rappelle l'évangéliste Jean — a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle » (Jn 3, 16). Ces paroles ne contiennent-elles pas le sens implicite de l'image de la vigne, à laquelle Jésus se réfère souvent dans sa prédication ?

En vertu du mystère de l'Incarnation du Verbe, l'homme et le cosmos peuvent se réjouir en se découvrant « vigne du Seigneur », objet de l'amour salvifique de Dieu.

3.  » Va-t'en aujourd'hui travailler à la vigne » (cf. Mt 21, 28), dit le père de la parabole évangélique à ses deux enfants, et il attend d'eux une réponse : il ne se contente pas de paroles, il veut un engagement concret. Les deux fils répondent de façon différente : le premier se déclare disponible, mais après, ne fait rien ; l'autre, au contraire, refuse en apparence l'invitation de son père, mais après quelques tergiversations, fait ce qui lui est demandé. L'évangéliste Matthieu présente ainsi une typologie des comportements que les hommes, au fil de l'histoire, assument à l'égard de Dieu. L'invitation évangélique à travailler à la vigne du Seigneur retentit dans la vie de chaque homme et de chaque femme, appelés à s'engager concrètement dans la vigne divine et à se laisser engager dans la mission de salut. Dans cette parabole, chacun de nous peut reconnaître son existence personnelle.

4. Très chers amis, le monde universitaire,. que. vous. représentez. ici, constitue un terrain particulièrement fertile pour le développement des talents humains, dont le Seigneur comble chacun pour le bien de tous. En les utilisant et en les valorisant à travers l'étude et la recherche, ceux qui les possèdent sont en mesure d'entreprendre les initiatives aptes à promouvoir le véritable progrès du monde.

Toutefois, comme le rappelle le Concile oecuménique Vatican II, « le progrès, grand bien pour l'homme, entraîne aussi avec lui une sérieuse tentation. En effet, lorsque la hiérarchie des valeurs est

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troublée et que le mal et le bien s'entremêlent, les individus et les groupes ne regardent plus que leurs intérêts propres et non ceux des autres. Aussi le monde ne se présente pas encore comme le lieu d'une réelle fraternité, tandis que le pouvoir accru de l'homme menace de détruire le genre humain lui-même » (Gaudium et spes, n. 37).

5. Ce n'est que lorsque l'homme, en se laissant guider par l'Esprit divin, s'engage à animer les réalités terrestres dans la perspective du Royaume de Dieu (cf. Ibid., n. 72), qu'il coopère à la réalisation du progrès authentique de l'humanité. C'est l'Esprit qui, en favorisant la rencontre avec le Fils du Dieu vivant, éloigne du cœur de l'homme toute présomption intellectuelle et conduit au véritable bien et à la véritable sagesse, qui est un don à demander et à accueillir avec humilité. Comme je l'ai écrit dans la lettre adressée aux jeunes de Rome pour la Mission dans la Ville, c'est à vous, chers jeunes, qu'il revient de prêter attention à l'Esprit du Seigneur pour libérer les énergies culturelles généreuses et fraîches dont l'enthousiasme de votre âge est sans aucun doute capable. Il s'agit d'un devoir que le Pape vous confie de façon particulière, comme une vocation et un service qui vous reviennent sur l'itinéraire de préparation au grand Jubilé du troisième millénaire.

Cela correspond d'ailleurs à l'effort que l'Église italienne est en train d'accomplir à juste titre pour élaborer et faire fructifier un projet culturel orienté dans le sens chrétien.

En effet, la connaissance qui se fonde sur la foi possède une dignité culturelle authentique. La connaissance de la foi illumine la recherche de l'homme, la rend pleinement humaine, car, comme l'enseigne le Concile Vatican II, « le mystère de l'homme ne s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné [...] Nouvel Adam, le Christ, dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l'homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » (Ibid., n. 22).

C'est ainsi que se développe une culture de l'homme et pour l'homme ; une culture riche de valeurs, attirée par la splendeur de la

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Vérité, Évangile de vie pour l'homme de tout temps, qui se diffuse et se répand dans les domaines de la connaissance, dans les différentes formes de vie et de coutumes, dans la juste organisation de la société. En effet, l'ordre des valeurs éthiques possède une fonction de première importance dans toutes les cultures.

6. Dans la perspective de l'évangélisation de la culture, il me plaît de rappeler ici deux rendez-vous profondément significatifs. L'année 1998 — désormais imminente — marquera le cinquantième anniversaire de la Chapelle universitaire de la Sapienza, don précieux de mon vénéré prédécesseur Pie XII. La célébration de l'anniversaire de ce lieu d'une haute valeur symbolique verra réunis pour la première fois en Congrès les Aumôniers des Universités européennes : initiative opportune, que je souhaite encourager, et pour laquelle je désire dès à présent remercier la Congrégation pour l'Éducation catholique et les Conseils pontificaux pour les Laïcs et de la Culture, ainsi que les Aumôniers et tous les membres de l'Université « La Sapienza », à commencer par son Recteur magnifique.

Moins proche dans le temps mais tout aussi importante, est l'initiative à laquelle nous avons fait référence au début de la célébration : la Rencontre mondiale des Professeurs universitaires, qui aura lieu en l'An 2000, à l'occasion du grand Jubilé, sur le thème : l'Université pour un nouvel humanisme. Les Congrès scientifiques de chaque discipline, qui précéderont la rencontre plénière avec le Pape et qui se tiendront dans divers sièges universitaires, constitueront une occasion particulière de montrer que la Parole de la foi sait illuminer les parcours sur lesquels l'homme exprime les dons authentiques de son intelligence qui cherche, qui découvre, et qui en tout temps, s'exprime à travers les diverses expressions culturelles de la science, des lettres et des arts.

7. Chers frères et sœurs qui vivez et œuvrez dans le monde universitaire, le climat suggestif de Noël, dont nous avons dès à présent un avant-goût, nous invite à accueillir dans une disponibilité

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totale le Verbe qui s'est fait chair pour sauver et ennoblir la créature humaine. Réunis autour de l'autel pour la célébration eucharistique, en contemplant le mystère de la naissance du Christ, nous sommes encouragés à nous interroger sur la façon dont nous pouvons être les ouvriers fidèles et généreux au service de sa vigne.

Jésus appelle chacun de nous à multiplier dans notre Ville les lieux où la Parole de vérité est proclamée et approfondie, afin qu'elle devienne lumière et soutien pour tous.

Ouvrons notre cœur au Seigneur qui vient, afin qu'à son arrivée, il nous trouve tous prêts à accomplir sa volonté.

Marie, Mère de la Sagesse, aide-nous à être, comme Toi, les serviteurs dociles de ton Fils Jésus.

Amen !

24 décembre 1997

En cette nuit, la gloire de Dieu devient le patrimoine de toute la création et tout particulièrement de l'homme

Le 24 décembre 1997, le Pape Jean- Paul II a présidé la Messe de la nuit de Noël, en la basilique Saint-Pierre. Au cours de la célébration le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Voici que je viens vous annoncer une grande joie... Aujourd’hui vous est né un Sauveur... Il est le Messie, le Seigneur » (Lc 2,10-11).

Aujourd’hui ! Cet « aujourd’hui », qui retentit dans la liturgie, ne porte pas seulement sur l’événement qui eut lieu voici maintenant deux mille ans et qui changea l’histoire du monde. Il concerne aussi cette Nuit sainte, où nous sommes rassemblés ici, dans la Basilique Saint-Pierre, en communion spirituelle avec tous ceux qui célèbrent la solennité de Noël dans toutes les régions du monde. Jusque dans les lieux les plus reculés des cinq continents retentissent en cette nuit

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les paroles angéliques qu’ont entendues les bergers de Bethléem : « Voici que je viens vous annoncer une grande joie... Aujourd’hui vous est né un Sauveur... Il est le Messie, le Seigneur » (Lc 2, 10-11).

Jésus naquit dans une étable, comme le raconte l’Évangile de Luc, « car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (Lc 2, 7). Marie, sa Mère, et Joseph n’avaient été accueillis dans aucune maison de Bethléem. Marie dut déposer le Sauveur du monde dans une mangeoire, seul berceau disponible pour le fils de Dieu fait homme. Telle est la réalité de la Nativité du Seigneur. Nous y revenons chaque année : nous la redécouvrons ainsi, nous la vivons ainsi chaque fois avec le même étonnement.

2. La naissance du Messie ! C’est l’événement central dans l’histoire de l’humanité. Dans un obscur pressentiment, tout le genre humain l’attendait ; le Peuple élu l’attendait en connaissance de cause.

Le prophète Isaïe est le témoin privilégié de cette attente, tout au long de la période liturgique de l’Avent, ainsi qu’en cette vigile solennelle, car, dans les siècles lointains, il tourne son regard inspiré sur cette unique nuit à venir à Bethléem. Ayant vécu bien des siècles avant, il parle de cet événement et de son mystère comme s’il en avait été un témoin oculaire : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné » « Puer natus est nobis, Filius datus est nobis » (Is 9, 5).

Voici l’événement historique mêlé de mystère : la naissance d’un tendre enfant pleinement humain, mais qui est en même temps le Fils unique du Père. C’est le Fils non pas créé, mais engendré éternellement, Fils de la même substance que le Père. « Dieu, né de Dieu, Lumière, née de la Lumière,.vrai Dieu, né du vrai Dieu ». C’est le Verbe « par qui tout a été fait ».

Nous proclamerons tout à l’heure ces vérités dans le Credo et nous ajouterons : « Pour nous les hommes, et pour notre salut, il descendit du ciel ; par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme ». En professant notre foi avec toute

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l’Église, nous reconnaîtrons cette nuit encore la grâce surprenante que la miséricorde du Seigneur nous accorde.

Israël, le Peuple de Dieu de l’ancienne Alliance, a été élu pour porter au monde, comme « rameau sorti de la souche de David », le Messie, le Sauveur et le Rédempteur de toute l’humanité. Avec un représentant insigne de ce Peuple, le prophète Isaïe, nous nous tournons donc vers Bethléem, en portant vers elle le regard de l’attente messianique. Dans la lumière divine, nous pouvons entrevoir comment l’ancienne Alliance s’accomplit et comment, par la naissance du Christ, se révèle une Alliance nouvelle et éternelle.

3. Saint Paul parle de cette nouvelle Alliance dans la Lettre à Tite que nous venons d’entendre : « La grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes » (Tt 2, 11). C’est cette grâce qui permet à l’humanité de vivre dans l’attente du « bonheur que nous espérons avoir quand se manifestera la gloire de Jésus-Christ, notre grand Dieu et notre Sauveur », Lui qui « s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tt 2, 14).

Chers frères et sœurs, ce message de grâce nous est adressé aujourd’hui ! Écoutez-le donc ! A tous ceux « que Dieu aime », à ceux qui entendent l’appel à prier et à veiller en cette sainte Nuit de Noël, je répète dans la joie : l’amour de Dieu pour nous a été révélé ! Son amour est grâce et fidélité, miséricorde et vérité. C’est Lui qui, en nous libérant des ténèbres du péché et de la mort, est devenu le fondement solide et inébranlable de l’espérance de tout être humain.

Le chant liturgique le redit avec une joyeuse insistance : Venez, adorons ! Venez de toutes les régions du monde contempler ce qui est arrivé dans la grotte de Bethléem. Le Rédempteur nous est né, et c’est aujourd’hui, pour nous et pour tous, le don du salut.

4. Insondable est la profondeur du mystère de l’Incarnation ! De ce fait, la liturgie de la Nativité du Seigneur est très riche : au

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cours des Messes de minuit,. de. l’aurore. et. du jour, divers textes liturgiques jettent des traits de lumière sur ce grand événement que le Seigneur veut faire connaître à ceux qui l’attendent et le cherchent (cf. Lc 2, 15).

Dans le mystère de Noël se manifeste en plénitude la vérité de son dessein de salut sur l’homme et sur le monde. L’homme n’est pas seul sauvé, mais toute la création, invitée à chanter au Seigneur un chant nouveau, exulte de joie avec toutes les nations de la terre (cf. Ps 95/96).

C’est justement ce chant de louange qui. a. retenti. avec. une. magnifique solennité. sur. la.. pauvre.. étable.. de Bethléem. Nous lisons chez saint Luc que les troupes célestes louaient Dieu en disant : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2, 14).

En Dieu réside la plénitude de la gloire. Cette nuit, la gloire de Dieu devient le patrimoine de toute la création et, tout particulièrement, de l’homme. Oui, le Fils éternel, Celui en qui le Père a mis son amour de toute éternité, s’est fait Homme, et sa naissance terrestre, dans la nuit de Bethléem, montre une fois pour toutes qu’en Lui tout homme est inclus dans le mystère de la prédilection divine, qui est source de la paix définitive.

« Paix aux hommes, qu’il aime ». Oui, paix à l’humanité ! C’est là mon vœu de Noël. Chers frères et sœurs, pendant cette nuit et toute l’octave de Noël, implorons du Seigneur cette grâce si nécessaire. Prions pour que toute l’humanité sache reconnaître dans le Fils de Marie, né à Bethléem, le Rédempteur du monde, qui apporte les dons de l’amour et de la paix. Amen !

31 décembre 1997

Rome se prépare au Jubilé

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La Ville se prépare à accueillir dans la joie et l'espérance le Christ qui vient

Dans l'après-midi du 31 décembre1997, le Pape Jean-Paul II a présidé une concélébration eucharistique en l'église » Sant'Ignazio à Campo Marzio », à l'occasion du traditionnel « Te Deum » d'action de grâce de fin d'année. Au cours de la cérémonie des vêpres le Saint-Père a prononcé l'homélie suivante :

1. « Ubi venit plenitudo temporis, misit Deus Filium suum... ». « Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale » (Gal 4, 4).

L'expression latine plenitudo temporis indique que le mystère de l'Incarnation marque la plénitude du temps. Le Fils de Dieu, en se faisant homme, est entré dans la dimension temporelle, et par sa présence il l'a introduite dans l'éternité. Jésus-Christ, le Verbe, le Fils de la même substance que le Père, Dieu de Dieu, appartient de par sa nature à la dimension divine de l'éternité mais, en se faisant homme, il a accueilli en lui celle du temps. La naissance. du. Rédempteur. à Bethléem a ainsi marqué le début d'une nouvelle façon de compter les années : on a en effet l'habitude de dire « avant » et » après » le Christ.

2. Christus heri et hodie, Principium et Finis, Alpha et Omega. Ipsius sunt tempora et saecula. Ipsi gloria et imperium per universa aeternitatis saecula. La liturgie nous fait proclamer ces paroles au cours de la Veillée pascale, alors que l'on grave les chiffres de l'année sur le Cierge pascal, symbole du Christ ressuscité. Le temps appartient au Christ. Le Fils de Dieu, se faisant homme, a accepté le temps comme mesure de son existence terrestre, le soumettant à lui. Grâce à son œuvre l'histoire de l'homme et le salut se rencontrent et se fondent.

Aujourd'hui, dernier jour de l'année, nous voulons nous tourner vers les jours, les semaines, les mois écoulés, comme vers un

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nouveau fragment de l'histoire du salut, qui nous concerne tous. Dans l'atmosphère spirituelle qui caractérise ce temps de Noël, le diocèse de Rome, en communion avec toute la chrétienté présente dans chaque partie du monde, s'arrête ce soir pour réfléchir sur l'année 1997, une autre année solaire que, d'ici peu, nous laisserons derrière nous.

3. Très chers frères et sœurs, l'année qui se conclut aujourd'hui, même si elle concerne notre communauté diocésaine, est liée de manière prédominante à la Mission dans la ville qui, après une période de préparation, a vu toujours davantage participer les paroisses et les réalités ecclésiales. Il s'agit d'un chantier d'évangélisation communautaire et permanent qui se révèle, avec la grâce de Dieu, une voie particulièrement efficace pour annoncer l'Évangile aux habitants de notre métropole.

Au cours du dernier Carême, près de douze mille missionnaires, en majorité laïcs, ont rendu visite aux familles de la ville pour leur offrir l'Évangile de Marc. La démarche d'entrer dans les maisons avec l'Évangile et le bon accueil qui en général a été réservé aux missionnaires sont profondément significatifs :les Romains, même ceux quine fréquentent pas ou qui fréquentent peu l'Église, attendent de rencontrer le Seigneur. Cela est également confirmé par le grand intérêt et la vaste participation qu'ont suscité les rencontres sur le thème de la foi et de la recherche de Dieu, qui se sont tenues dans la basilique-cathédrale de Saint-Jean-de-Latran. A travers elles, un dialogue sincère a été tissé entre ceux qui annoncent le Christ et ceux qui sont à la recherche de réponses exhaustives aux interrogations de fond sur la vie.

La Mission nous invite à tourner notre regard vers l'avenir, à préparer le terrain pour l'évangélisation de notre Ville en vue du troisième millénaire. Dans ce but, nous avons réservé, au cours de la dernière partie de l'année, une attention particulière aux jeunes, à qui je me suis moi-même adressé le 8décembre, fête de la Nativité de Marie, dans une Lettre à leur intention, les exhortant à être les

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acteurs de l'annonce et du témoignage du Christ aux jeunes de leur âge. Je souhaite que la passion pour l'Évangile pénètre toujours plus profondément dans l'âme de nombreux jeunes romains.

4. Au cours de cette célébration, alors que nous embrassons à travers la prière toute la communauté de la ville, je voudrais adresser un salut cordial au cher Cardinal Ruini, ainsi qu'à ses évêques auxiliaires, au Cardinal Canestri et au Père Kolvenbach, Préposé général de la Compagnie de Jésus, l'église qui nous accueille étant confiée aux religieux de son ordre. Mon salut s'étend ensuite à tous les habitants de la Ville. En premier lieu au Maire, qui cette année encore a voulu être présent à ce rite, pour offrir au nom de l'administration le traditionnel calice votif. Je salue également les membres du Conseil communal, que j'aurai la joie de rencontrer le 15 janvier prochain, au cours de ma visite au Capitole. J'adresse une pensée particulière au Président de la Région, au Préfet de Rome et à tous les autres représentants des autorités présents. Je salue les agents des services sociaux au service de la population et les volontaires engagés dans de multiples activités. Un souvenir particulier s'adresse à ceux qui sont en difficulté et qui passent ces jours de fêtes dans la peine et la souffrance. J'assure tous et chacun de ma pensée affectueuse, soutenue par une prière constante.

En concluant l'année 1997, c'est spontanément que surgit une requête confiante au Seigneur, afin qu'il donne son Esprit de sagesse et sa force aux annonciateurs de l'Évangile et qu'il ouvre le cœur, la conscience et la vie de chacun pour accueillir sans crainte le Christ qui vient.

En considérant l'année écoulée, je voudrais ensuite rendre grâce à Dieu qui m'a accordé de visiter d'autres communautés paroissiales, parvenant ainsi à 265 paroisses visitées depuis le début de mon ministère épiscopal à Rome. Bien qu'appartenant à différents milieux sociaux, j'ai trouvé partout des communautés vivantes, désireuses de croître dans la foi et dans le témoignage actif de la charité chrétienne.

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Ce réseau de paroisses, qui couvre tout le territoire du diocèse et qui est en train de compléter ses structures en vue du grand Jubilé, représente pour la ville même de Rome une ressource d'une valeur inestimable. En effet, il favorise le renforcement de relations sociales caractérisées par la connaissance réciproque, par l'amitié et par la solidarité. Il contribue dans une grande mesure à l'éducation des enfants et des jeunes ainsi qu'à une bonne morale de la famille, à l'accueil des exclus, aux soins des personnes seules et qui souffrent.

5. Chaque communauté paroissiale, comme toute forme spécifique de pastorale. diocésaine,. a besoin pour bien fonctionner du service généreux et fidèle des prêtres. C'est pourquoi, je rends grâce au Seigneur d'avoir pu ordonner, le dimanche 20 avril dernier, trente nouveaux prêtres pour notre diocèse.

Le séminaire romain, ainsi que les autres séminaires dans lesquels le clergé de notre diocèse est préparé, offre, grâce au Seigneur, un itinéraire de formation qualifié dans lequel le sérieux des études s'accompagne d'une intense vie de prière et de l'engagement pour une authentique communion fraternelle. Alors que j'encourage les responsables de la formation à poursuivre leur œuvre digne d'éloges, ma pensée va tout d'abord vers le Cardinal Ugo Poletti, que le Seigneur a rappelé à Lui le 25 février de cette année. Nous le rappelons aujourd'hui, en renouvelant notre gratitude à Dieu pour le bien qu'il a accompli à travers lui dans cette Église et dans cette Ville. Avec le Cardinal Poletti, nous confions également au Seigneur les autres prêtres décédés au cours de l'année, dont le très cher Mgr Luigi Di Liegro. Le témoignage et l'œuvre de prêtres qui ont consacré leur vie à Dieu et à leurs frères constituent un héritage et un exemple pré- cieux pour le clergé et pour toute la communauté diocésaine.

Un autre motif de profonde reconnaissance envers le Seigneur est la reprise sensible des vocations sacerdotales, qui fait bien augurer de l'avenir de notre communauté. J'exprime ici le souhait. que. les. vocations. à. la. vie consacrée, et en particulier les vocations

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religieuses féminines, puissent connaître la même croissance, riche de fruits apostoliques prometteurs pour tous. Cela se produira, j'en suis certain, si les prêtres et les communautés collaborent généreusement à l’œuvre que les Instituts de Vie consacrée accomplissent dans ce sens.

5. Très chers frères et sœurs ! Nous avons fait une halte pour considérer certains aspects de l’œuvre que Dieu a accomplie cette année dans notre diocèse. En regardant les mois écoulés, le désir de demander pardon et de rendre grâce à Dieu surgit naturellement : demander pardon pour les fautes commises, les manques et les omissions enregistrées, en confiant tout à la miséricorde divine, et rendre ensuite grâce pour ce que Dieu nous a accordé chaque jour.

C'est pourquoi nous chantons le Te Deum : nous louons Dieu et nous lui rendons grâce pour le bien qu'il nous a accordé et qui a marqué les différents moments de l'année qui touche à pré- sent à son terme :

Salvum fac populum tuum, Domine,et benedic hereditati tuae...Per singulos dies benedicimus te ;et laudamus nomen tuum in saeculum,et in saeculum saeculi.Amen !

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