HOCHSCHILD, A. - Travail Emotionel, Regles Des Sentiment Et Structure Sociale

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    Travail motionnel, rgles de sentiments et structure sociale

    par Arlie R. HOCHSCHILD

    | Martin Media | Travailler2003/1 - N 9ISSN 1620-5340 | pages 19 49

    Pour citer cet article : Hochschild A., Travail motionnel, rgles de sentiments et structure sociale, Travailler 2003/1, N 9, p. 19-49.

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  • Travail motionnel,rgles de sentimentset structure sociale 1

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    Rsum. Cet article propose dutiliser la perspective de la gestion desmotions en tant que lentille travers laquelle examiner le moi, lin-teraction et la structure. On y prsente largument selon lequel lesmotions peuvent tre soumises des actes de gestion et que cela seproduit souvent. Lindividu effectue souvent un travail qui vise pro-duire ou inhiber des sentiments de faon les rendre appropris la situation. La perspective de la gestion des motions emprunte aupoint de vue interactionniste des motions. Elle diffre de la perspec-tive dramaturgique dun ct et de la perspective psychanalytiquedun autre. Elle nous permet dexaminer de plus prs, plus que cesperspectives, les relations entre exprience motionnelle, gestion desmotions, rgles de sentiments et idologie. On considre les rgles desentiments comme tant laspect de lidologie qui soccupe des mo-tions et des sentiments. La gestion motionnelle est le type de travailncessaire pour faire face aux rgles de sentiments. Summary p. 49.Resumen p. 49.

    1. Cet article reprend une partie de largumentation prsente dans le livre The Mana-ged Heart et dans un article antrieur The Sociology of Feeling and Emotion : Se-lected Possibilities (1975). Cette tude a bnfici du gnreux soutien dune boursede recherche Guggenheim. Bien que la gratitude dans les notes de fin de documentcomme celle-ci soit (comme cet article va le dmontrer) conventionnelle et bien queles conventions rendent lauthenticit difficile dcoder, je dsire quand mme expri-mer ma reconnaissance Harvey Faberman, Todd Gitlin, Adam Hochschild, RobertJackson, Jerzy Michaelowicz, Caroline Persell, Mike Rogin, Paul Russell, ThomasScheff, Ann Swidler, Joel Telles et aux correcteurs anonymes de American Journal ofSociology.

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  • Lapsychologie sociale a souffert dune hypothse implicite selon la-quelle les motions, parce quelles nous semblent spontanes et in-contrlables, ne seraient pas gouvernes par des rgles sociales. Lesrgles sociales, quant elles, sont considres comme tant applicables aucomportement et la pense, mais rarement aux motions ou aux senti-ments. Si nous reconsidrons la nature des motions et la nature de notrecapacit dessayer de leur donner forme, nous sommes frapps par lem-pire des rgles sociales. Des liens importants apparaissent entre la structuresociale, les rgles de sentiments, la gestion des motions et lexpriencemotionnelle liens que jessaie dtablir dans cet article. Son utilit est deproposer louverture dun nouveau champ de recherche.

    Pourquoi lexprience motionnelle des adultes normaux, dans lavie de tous les jours, est-elle aussi rgule ? Pourquoi, de faon gnrale,les gens se sentent-ils joyeux une fte, tristes des funrailles, heureux un mariage ? Cette question nous amne examiner non pas les conven-tions sur les apparences extrieures ou les comportements visibles, maisplutt les conventions concernant les sentiments. Les conventions de senti-ments ne deviennent surprenantes que si lon se reprsente, par opposition, quel point la vie motionnelle peut savrer parfois dsordonne et im-prvisible, dans les ftes, les funrailles, les mariages et dans tous les as-pects de la vie normale dun adulte. En effet, lorsque des romanciers entre-prennent de crer des scnes poignantes, ils voquent tous le poids dunergle sociale. Par exemple, dans Un lit de tnbres (Lie Down in Darkness,en amricain),William Styron dcrit une future marie confuse et dsesp-rment malheureuse en ce jour heureux de son mariage :

    Quand elle avait prononc les paroles sacramentelles, ses lvres nestaient pas entrouvertes comme celles de toutes les jeunes maries quil avait vuesjusque-l des lvres qui dcouvrent des dents clatantes de blancheur, dans uneexpression dardeur ravie , mais plutt avec une sorte de rsignation sombre et for-ce. Peyton navait eu cette expression que le temps dun clair, mais cela avait suffipour quil la surprt. Et le oui quelle avait dit lui avait sembl moins une affir-mation quun aveu, le oui las dune triste et coupable nonne. Rien dans la gaietquelle affectait ne pouvait dissimuler cela, 2

    Face au flot chaotique des sentiments qui surgissent lors des rela-tions vritables dans toute leur complexit, il existe des rgles de senti-ments plus constantes (bien quelles soient variables). Ainsi, dans une cul-ture o les unions sont le fruit dun libre choix, la future marie devrait-elleexprimer son oui dune manire inconditionnelle.

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    2. William Styron, 1951, p. 291. Pour la traduction franaise, 1953, ditions mondiales,Gallimard, p. 434.

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    MWNota adhesivaHay lazos importantes entre estructura social, reglas de sentimiento, gestin de las emociones y experiencia emocional.La experiencia emocional de los adultos normales en la vida cotidiana esta muy regulada: la gente se siente feliz en una fiesta, triste en los funerales contentos en una boda. H. examina no las convenciones sobre las apariencias externas o los comportamientos visibles sino mas bien las convenciones concernientes a ls sentimientos.

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  • Mais alors, quest-ce quun sentiment ou une motion ? Je dfinisune motion comme tant le fruit dune coopration entre le corps et uneimage, une pense ou un souvenir , une coopration dont lindividu estconscient. Jemploierai les termes motion et sentiment de faon in-terchangeable, bien que le terme motion dnote une intensit que lemot sentiment na pas. Les termes gestion motionnelle sont ici uti-liss comme synonymes de travail motionnel et de jeu en profon-deur . Quarrive-t-il ces motions ?

    Erving Goffman suggre la fois que notre surprise puisse sexpli-quer et quelle fasse partie de lexplication :

    [] Nous observons que les participants vont contenir certains tats psy-chologiques et certaines attitudes, car, aprs tout, la rgle gnrale qui participe delatmosphre qui rgne au moment de la rencontre porte en elle-mme la compr-hension que les sentiments contradictoires seront tenus en suspensAlors gnra-lement, dans les faits, rprime-t-on laffect qui ne convient pas, nous obligeant examiner les drogations cette rgle afin de se rappeler son fonctionnement habi-tuel 3.

    Les mots cls, curieusement bureaucratiques, sont ici qui neconvient pas . la lumire de la citation de Styron ci-dessus, nous pour-rions ajouter que ce type daffect est drangeant , voire dangereux ,dans le sens motionnel du terme. Si nous considrons ce passage srieu-sement, tout comme je nous encourage le faire, nous sommes ramens la question de lordre social formule par de nombreux thoriciens clas-siques, Thomas Hobbes, John Locke, mile Durkheim, seulement cettefois, nous labordons dun point de vue trs particulier, celui de la gestiondes motions. De ce point de vue, il semble que des rgles rgissent la fa-on dont les gens essaient de ragir ou de ne pas ragir motionnellementde manire convenable une situation . Une telle ide renvoie au carac-tre profondment social de tout individu, au srieux avec lequel ilconsidre lide dtre convenable et la faon quil a de rendre hom-mage aux lments officiels dune situation, grce ou par ses motions.

    Il existe deux approches possibles lorganisation sociale de touteexprience motionnelle. Une premire consiste examiner les facteurssociaux qui induisent ou stimulent les motions primaires (cest--dire,non rflexives, quoique conscientes par dfinition) motions que lon su-bit passivement. La seconde consiste tudier les actes secondaires quisont poss dans le flot incessant, non rflexif, de lexprience motionnelleprimaire. La premire approche sintresse la faon dont les facteurs so-ciaux influencent ce que les gens ressentent, la seconde la faon dont les

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    3. Goffman, 1961, p. 23.

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  • facteurs sociaux influencent ce que les gens pensent et ce quils font pro-pos de ce quils ressentent ou pressentent quils vont ressentir (cest--dire,les actes dvaluation et de gestion). Les tenants de la premire approchepourraient considrer ceux qui privilgient la seconde approche commetant trop cognitifs , alors que ces derniers les voient pour leur partcomme tant trop simplistes. Mais, en ralit, les deux approches sont lafois ncessaires et compatibles et, en fait, la deuxime, que lon privil-giera ici, sappuie sur laccumulation dun certain nombre de connais-sances recueillies partir de la premire 4.

    Si nous prenons comme objet ce que les gens pensent ou font pro-pos des sentiments, plusieurs questions surgissent. Tout dabord, quellesseront nos hypothses de dpart au sujet des motions et des situations ? Endautres mots : a) Comment rpondent les motions lorsque lon tente deles rprimer ou de les dvelopper ? b) Quels sont les liens entre structuresociale, idologie, rgles dexpression des sentiments et gestion motion-nelle ? c) Dabord et avant tout, existe-t-il des rgles dans lexpression dessentiments ? d) Comment pouvons-nous les connatre ? e) Jusquo cesrgles servent-elles de fondement nos changes sociaux ? f) Quest-cequi, dans la nature du travail et dans lducation des enfants, pourrait ex-pliquer les diffrentes manires quont les adultes de diffrentes classes so-ciales de grer leurs sentiments ? Jbaucherai ici, dans les grandes lignes,quelques rponses possibles en ayant comme principal objectif daffinerles questions.

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    4. W. McDougall (1948) et, jusqu un certain point, S. S. Tomkins (1962) se concentrenttous deux sur le lien qui existe entre motion et pulsion ou instinct (Tomkins labore une re-lation entre motion et signaux dimpulsion par lesquels lmotion est cense amplifierles signaux dimpulsion). Les points centraux sur lesquels les deux camps thoriques sontdiviss sont la fixit, la rflexivit et lorigine. 1) Les thoriciens organicistes, la diff-rence de leurs homologues interactionnistes, prsument une fixit fondamentale des mo-tions, base sur des donnes biologiques. 2) Ils supposent que les interactions sociales naf-fectent pas fondamentalement les motions ; la surface sociale demeure ce que lon entendpar le terme surface . Ce nest pas le cas pour la perspective interactionniste. Ltique-tage, la gestion et lexpression des sentiments (plus clairement diffrencis pas les interac-tionnistes) sont des processus qui peuvent influencer les motions la manire dun r-flexe et, de ce fait, en venir constituer ce que lon entend par le terme motion .3) Encore une fois, les thoriciens organicistes sont plus proccups retracer les originesde lmotion. Pour Freud et James, les origines taient nergtiques ou somatiques, et pourDarwin, elles taient phylogntiques. Les thoriciens interactionnistes sont moins proc-cups par les origines que par linterface dune situation avec lexprience. Lintrt pourlorigine des motions a pouss les thoriciens organicistes se concentrer sur les pointscommuns entre diffrentes personnes, et entre les gens et les animaux. Lintrt port lin-terface sociale a amen les interactionnistes se concentrer sur les diffrences. Pour les der-nires innovations de la tradition interactionniste, voir Kemper (1978) et Averill (1976).

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  • motion et sentiment : deux perspectivesAfin daborder la premire question, nous allons prendre en consi-

    dration deux perspectives de base des motions et des sentiments quenous retrouvons en psychologie sociale : la perspective organiciste et laperspective interactionniste. Les deux approches sont diffrentes quant leurs hypothses sur notre capacit de grer les motions et sur limpor-tance des rgles pour les grer. Je ne peux pas, ici, rendre compltementjustice la question de savoir ce que sont les motions et comment ellessont engendres, pas plus que je ne peux rpondre la vaste littrature quiexiste sur le sujet.

    Selon le point de vue organiciste, la question centrale concerne la re-lation qui existe entre les motions et les instincts ou pulsions dori-gine biologique. Dans une trs large mesure, ce sont les facteurs biolo-giques qui entrent en ligne de compte dans les questions que les thoriciensorganicistes posent. Les premiers crits de Sigmund Freud, de CharlesDarwin et, dans une certaine mesure, mais bien relative, ceux de WilliamJames sont conformes ce modle 5. Le concept d motion renvoieprincipalement aux fragments dexprience dans lesquels il nexiste aucunconflit entre lun ou lautre aspect du moi : lindividu dborde , il est submerg . Limage qui nous vient lesprit est celle dun syndrome r-flexe, soudain et automatique , comme lexpression instantane dun gro-gnement froce pour Darwin, le relchement dune surcharge de tension un point de rupture donn pour Freud, le concept de raction viscrale sansintermdiaires et instantane en rponse un stimulus peru, pour James etLange, autant de conceptions qui ne renvoient aucune influence sociale.

    Dans ce premier modle, les facteurs sociaux peuvent entrer enligne de compte seulement si on les met en relation avec la faon dont lesmotions sont stimules et exprimes (et dans ce cas, mme Darwin aadopt la position universaliste 6). On ne considre pas que les facteurs so-ciaux puissent influencer la faon dont les motions sont supprimes oususcites de manire active. En fait, les motions sont ici associes lafixit et luniversalit dun rflexe du genou ou dun ternuement. Selonce point de vue, on peut contrler une motion comme on contrle un r-flexe du genou ou un ternuement. Si lon prsentait le concept de rgle desentiment aux thoriciens organicistes, ils auraient beaucoup de mal

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    5. Voir Freud, 1911, 1915a, 1915b ; Lofgren, 1968 ; Darwin, 1872, 1955 ; James et Lange,1922.6. Ekman, 1972, 1973.

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  • expliquer les effets de ces rgles ou quelle aptitude personnelle on peutfaire appel pour tenter dobir une telle rgle. Les rcentes tentativespour relier un concept organiciste dmotion la structure sociale, commecelle formidablement audacieuse de Randall Collins, souffrent des pro-blmes implicites propres au point de vue organiciste de dpart. DaprsCollins, comme daprs Darwin dont il sinspire, les motions sont dfi-nies comme une capacit (ou une prdisposition) inhrente une per-sonne, qui peut tre dclenche automatiquement, poursuit Collins, parlun ou lautre groupe qui possde le contrle du dispositif rituel qui oprele dclenchement 7 . Une tout autre voie du contrle social, celle desrgles dexpression de sentiment, est contourne, car la capacit de lindi-vidu dessayer dexprimer ou de ne pas exprimer un sentiment, ce quoila rgle sapplique , est inexistante dans le modle organiciste propospar Collins.

    Du ct de linteractionnisme, les motions simprgnent des in-fluences sociales avec plus dinsistance, de faon plus efficace et despoints de jonction postuls de faon plus thorique. Dans une large mesure,les facteurs sociopsychologiques entrent en ligne de compte dans les ques-tions poses par les thoriciens de linteractionnisme. Les crits de Gerthet Mills, Goffman, Lazarus, Schachter, Singer, Kemper, Averill et certainsaspects de la pense freudienne et no-freudienne correspondent ce mo-dle 8. Pour reprendre le vocabulaire freudien, limage que lon utilise nestpas celle dun a dbrid , mais celle dun Moi et dun Surmoi, agissantde concert, pour modeler et assaillir le a, mme si cest de faon ineffi-cace, temporaire ou consciente. Les motions sont parfois nonces com-me un moyen dadaptation psychobiologique comparable aux autres m-canismes dadaptation, comme le grelottement lorsquil fait froid ou latranspiration lorsquil fait chaud. Mais les motions se distinguent des m-

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    7. Collins, 1975, p. 59.8. Gerth et Mills, 1964, Goffman, 1956, 1959, 1961, 1967, 1974 ; Lazarus, 1966 ; Lazaruset Averill, 1972 ; Schachter et Singer, 1962 ; Schachter, 1964 ; Kemper, 1978 ; Katz, 1977 ;Averill, 1976. Schachter et Gerth et Mills, que je considre comme tant membres du campinteractionniste, naccordent aucune importance particulire la volition, Goffman insistesur le phnomne qui fait appel tacitement la volont. Il insiste sur les rsultats modelsqui en ressortent, mais il ne fournit aucune explication thorique de la volont elle-mme.Il ne pose en principe aucun acteur en tant que gestionnaire des motions, qui pourrait po-ser les gestes qui, par dduction, doivent tre accomplis pour la russite des rencontres quildcrit si bien. mon avis, on doit rtablir un moi capable de faire lexprience dmotionset capable deffectuer un travail sur ces motions selon des modles socialement tablis.(Pour les questions concernant la volont, voir Piaget in Campbell [1976] ; Solomon[1973]).

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  • canismes physiologiques dadaptation, en ce sens que la pense, la percep-tion et limagination, elles-mmes soumises linfluence des normes oudes situations, y sont intrinsquement mles.

    Comme nous lavons vu dans le premier modle, les facteurs so-ciaux affectent la faon dont les motions sont provoques et exprimes.En outre, les facteurs sociaux guident aussi ces microactions que sont lti-quetage, linterprtation et la gestion des motions. Ces micro-actions, leur tour, se refltent dans ce qui est tiquet, interprt ou gr. Elles sont,en somme, intgres dans ce que nous appelons motion 9 . Dans cettedeuxime cole de pense, les motions sont perues comme tant sociale-ment enracines. Les travaux de Lazarus, en particulier, ajoutent un poidsempirique au modle interactionniste. Ces travaux semblent indiquer, eneffet, que les adultes normaux, semblables aux tudiants universitairesavec lesquels Lazarus a men ses expriences, possdent une grande capa-cit de contrle des motions. Il sagit dun contrle plus grand que ce quoi lon pourrait sattendre chez un jeune enfant, un malade mental ou unanimal, partir desquels Freud (dans ses premiers travaux) et Darwin onttir leur inspiration. Mais, puisque nous cherchons comprendre lexp-rience motionnelle dadultes normaux, nous ferons mieux dexplorer lepoint de vue interactionniste.

    La conception interactionniste de lmotionet la psychologie sociale

    Si les motions et les sentiments peuvent, jusqu un certain point,tre grs ou contrles, comment pourrions-nous en saisir la dimensionconceptuelle partir dune perspective sociale ? Le point de vue interac-tionniste sur les motions nous mne dans une arne conceptuelle qui se si-tue entre , dune part, laccent port par Goffman sur la prsentation desoi, dautre part, laccent port par Freud sur les vnements intrapsy-chiques inconscients. Le point de vue de Mead et Blumer sur les gestesconscients, actifs et sensibles, aurait pu tre des plus fructueux si laccentport sur les agissements et la pense navait pas quasiment estomp lim-portance des sentiments. Le moi en tant que gestionnaire des motions estune ide qui emprunte aux deux cts, Goffman et Freud, mais qui necadre parfaitement ni avec lun ni avec lautre. Je nindique ici que les em-prunts et les pistes de dpart, et cela commence avec Goffman 10.

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    9. Schafer, 1976.10. Voir Mead, 1934 ; Blumer, 1969 ; et Shott, 1979.

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  • Erving GoffmanGoffman a saisi toute lironie de laffaire ; si, chaque instant, lindi-

    vidu ngocie activement, consciemment, une srie dactions personnelles,apparemment uniques, long terme pourtant, toutes ces actions finissentsouvent par ressembler un consentement passif certaines conventions so-ciales inconscientes. Or, la perptuation de ces conventions nest pas une ac-tivit dont on pourrait dire quelle est passive. Lapproche de Goffman doitsimplement tre largie et approfondie en dmontrant que les gens ne tententpas seulement de se conformer extrieurement, mais aussi intrieurement. Lorsquils fournissent des uniformes, ils fournissent une seconde peau ,affirme Goffman. On peut mme ajouter et deux centimtres de chair 11 .

    Sans doute est-il ironique de constater que, pour tudier pourquoi etsous quelles conditions les acteurs vont contenir certains tats psycholo-giques12 , nous sommes forcs de laisser partiellement de ct la pers-pective qui nous a permis dclairer nos lanternes. Je tenterai dexpliquerpourquoi il en est ainsi, quels pourraient en tre les correctifs et commentles rsultats pourraient tre relis sur le plan conceptuel certains aspectsde la tradition psychanalytique.

    Tout dabord, pour des raisons ncessaires sa dmonstration, Goff-man entretient une indiffrence dlibre vis--vis de ce qui a trait auxliens entre les situations sociales instantanes et la macrostructure dunct, et la personnalit individuelle de lautre. Si lon sintresse la des-cription des liens qui existent entre la structure sociale, les rgles dexpres-sion des sentiments et la gestion des motions, cette indiffrence dlibredevient un problme.

    Le situationnisme de Goffman est une ralisation brillante, maisqui doit tre considre comme un moment du dveloppement de lhistoireintellectuelle de la psychologie sociale. Au dbut du sicle, nombre de tra-vaux classiques liaient la structure sociale la personnalit, ou les insti-tutions dominantes aux identits caractristiques , reliant ainsi dumme coup les dcouvertes en sociologie et en anthropologie celles de lathorie psychologique ou psychanalytique. De telles tudes sont apparuesdans plusieurs disciplines, en anthropologie (Ruth Benedict) ; en psycha-nalyse (Erich Fromm, Karen Horney et Erik Erikson) ; en sociologie (Da-vid Riesman, Swanson et Miller, et Gerth et Mills 13).

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    11. Goffman, 1974.12. Goffman, 1961, p. 23.13. Voir Benedict, 1946 ; Fromm, 1942 ; Horney, 1937 ; Erikson, 1950 ; Riesman, 1952,1960 ; Swanson et Miller, 1966 ; et Gerth et Mills, 1964.

  • Il est probable que ce soit en rponse ce paradigme que Goffmanait propos un niveau intermdiaire dlaboration conceptuelle, entre lastructure sociale et la personnalit. Il sest concentr, tour tour, surles situations, les pisodes et les rencontres. Ce qui en ressort nest passeulement une quasi-rupture avec la structure sociale et la personnalit ;Goffman semble mme vouloir proposer son situationnisme en tant quesubstitut analytique ces concepts 14. Il semble dire que la structure peutnon seulement tre transpose, mais rduite interne et peu apparente ,tandis que la personnalit peut tre rduite active et en vue lins-tant de linteraction, ici-maintenant, ou dans un autre temps, une autresituation.

    Chaque pisode interactif prend la forme dun minigouvernement.Une partie de cartes, une fte, un change de salutations dans la rue, exi-gent de nous davoir payer certaines taxes , ralises sous la forme desapparences, et ce, au bnfice de la poursuite de la rencontre. Nous serions rembourss de cet investissement par le fait de maintenir ainsi notrerputation.

    Ce modle de la situation en tant que minigouvernement, bienquutile pour les besoins de Goffman, nous loigne de la structure socialeet de la personnalit deux concepts que les tudes sur les rgles de senti-ments et la gestion des motions auraient pourtant avantage ne pas ngli-ger 15. Afin dtudier vis--vis de qui et sous quelles conditions les acteurs vont contenir certains tats psychologiques (Goffman, 1961, p. 23),nous sommes forcs de laisser tomber le situationnisme et de retourner, dumoins en partie, au modle de la structure sociale et de la personnalit.Nous sommes amens reconnatre limportance des travaux de Goffman,

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    14. Goffman, 1976, p. 77. Merci Harvey Farberman pour la discussion ce sujet.15. Le temps : afin de relier lacte momentan du travail motionnel avec le concept de lapersonnalit, nous devons modifier notre perspective du temps. Un pisode motionnel et latentative pour lui donner forme sinscrivent, aprs tout, dans un mince intervalle de temps.Les situations tudies par Goffman sont galement courtes. Le point de mire est plac surlacte, et lacte se termine, si je puis dire, lorsque le thtre ferme ses portes et il recom-mence lors de la rouverture. Si nous poussons plus loin lanalyse de Goffman, en parlantmaintenant de jeu en profondeur , tout comme lui nous nous concentrons sur de courtspisodes, sur des images immobiles qui composent les longs films. La notion de per-sonnalit implique un modle trans-situationnel, passablement durable. La personnalitCasper Milquetoast peut mener une vie caractrise par lvitement de lanxit pendant73 ans. Il est question ici de plusieurs dcennies et non pas de moments instantans. Encoreune fois, nous devons changer notre perspective situationniste vers la limite structuralistelorsque nous en venons parler des institutions, lesquelles subsistent souvent plus long-temps que les gens.

  • alors que lui-mme ne semble pas le faire, comme le maillage conceptuelpar lequel structure sociale et personnalit, en tant que ralits concrtes,sassemblent de faon plus prcise.

    Dune faon plus spcifique, si nous dsirons comprendre les ori-gines et les causes des transformations dans les rgles de sentiments ce soubassement de lidologie , nous sommes forcs une fois de plus dedlaisser ltude des situations instantanes, durant lesquelles ce change-ment se produit, pour ltude de processus plus long terme comme leschangements dans les relations entre les classes, les sexes ou les groupesethniques.

    Pour examiner les faons dont les gens essayent de grer les senti-ments, nous aurons dfinir un acteur qui soit capable de sentiment, ca-pable de reconnatre lorsquun sentiment est inappropri et en mesurede grer ses propres sentiments. Le problme est que lacteur, tel quil estdfini par Goffman, ne semble pas ressentir beaucoup, nest pas sensible ,ne surveille pas de prs ou nvalue pas, ne provoque pas, ninhibe pas, nefaonne pas de faon active en un mot, ne travaille pas sur les sentimentsde la manire dont un acteur aurait le faire pour accomplir ce que Goff-man affirme, en fait, saccomplir rencontre aprs rencontre. Au bout ducompte, nous nous retrouvons devant le travail de rpression des mo-tions comme rsultat final, mais nous ne savons rien du processus ou destechniques par lesquels ce travail seffectue. Si nous mettons en avant lar-gument selon lequel les facteurs sociaux influencent la faon dont nous es-sayons de grer les sentiments, si nous poussons lexplication par le socialaussi loin, nous devrons faire porter notre analyse au-del de la botenoire laquelle Goffman nous renvoie en dernier lieu.

    Les acteurs de Goffman grent activement les impressions quilspeuvent donner lextrieur, mais ils ne le font pas pour leurs sentimentsintrieurs. La sociologie des motions prsuppose la capacit des humains,si ce nest lhabitude vritable, de rflchir sur les sentiments intrieurs etde les faonner, habitude qui varie travers le temps, lge, la classe et lelieu. En examinant uniquement lattention de lacteur la faade compor-tementale et en faisant lhypothse dune passivit uniforme vis--vis dessentiments, nous perdrions de vue cette variation.

    Ce travers de lacteur thorique est reli ce que je crois tre, selonmon point de vue, un autre problme : le concept de jeu selon Goffman. Ce-lui-ci suggre que nous investissions beaucoup defforts dans la gestion desimpressions cest--dire dans le jeu de lacteur. Il pose comme prin-cipe de base quil nexiste quun seul type de jeu la gestion directe de

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  • lexpression comportementale. En revanche, son explication indique effec-tivement deux types de jeu la gestion directe de lexpression comporte-mentale (par exemple, le soupir que lon pousse, le haussement dpaules)et la gestion des sentiments do peut dcouler une expression (parexemple, la pense dun projet sans espoir). Un acteur qui joue le rle du roiLear peut sacquitter de sa tche de deux faons. Cet acteur, qui aurait tform par lcole britannique, pourrait se concentrer sur son attitude ext-rieure, et dvelopper une myriade dexpressions infimes correspondant lasensation de peur et dindignation impuissante du roi Lear. Il sagit du typede jeu sur lequel Goffman tablit sa thorie. Cet autre acteur, adhrant poursa part lcole amricaine ou la mthode Stanislavsky, pourrait se guidersur ses souvenirs et ses sentiments personnels de manire susciter les ex-pressions correspondantes. Nous pourrions donner le nom de jeu superfi-ciel la premire technique et de jeu en profondeur la seconde. Goff-man narrive pas distinguer la premire de la seconde, ce qui a pour effetde masquer limportance du jeu en profondeur , nous laissant avec lim-pression que les facteurs sociaux ninfiltrent que la surface de peau so-ciale , les apparences extrieures de lindividu, ce quil essaie de montrer.Nous sommes ainsi contraints sous-estimer le pouvoir du social.

    En rsum, si nous acceptons lexplication interactionniste des mo-tions et que nous tudions le moi en tant que gestionnaire des motions,nous pouvons apprendre de Goffman les liens qui existent entre les rglessociales et les sentiments. Mais afin daffiner notre comprhension, nouspouvons tout aussi bien nous librer de manire slective des restrictionsthoriques que Goffman a imposes stoquement la convergence entre lastructure sociale et la personnalit.

    FreudLe besoin de remplacer la psychologie de la bote noire de Goff-

    man par une thorie du Moi, dans toute lacception du terme, devrait nousconduire vers la thorie freudienne ou no-freudienne. L encore, commeavec Goffman, seuls certains aspects du modle freudien me semblentutiles la comprhension des efforts conscients, volontaires, afin de sup-primer ou de susciter un sentiment. Jexposerai brivement la thorie psy-chanalytique afin dindiquer certains points de dpart.

    Freud sest occup des motions, bien sr, mais, pour lui, ellestaient secondaires la pulsion. Il a propos une thorie gnrale des pul-sions sexuelles et agressives. Langoisse, en tant que driv des pulsionssexuelles et agressives, a pris une importance capitale, alors quun large

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  • ventail dmotions autres, comprenant la joie, la jalousie, la dpression,faisaient lobjet de relativement peu dattention. Il a dvelopp, et biendautres ont poursuivi ce travail dlaboration depuis, le concept de d-fense du Moi comme un moyen gnralement inconscient, donc involon-taire, afin dviter un affect douloureux ou dsagrable. Finalement, la no-tion d affect inappropri est utilise pour attirer lattention sur desaspects du fonctionnement du Moi et nest pas utilise pour attirer latten-tion sur les rgles sociales selon lesquelles un sentiment est ou nest pasconsidr comme tant appropri une situation.

    La perspective dun contrle ou dune gestion des motions est re-devable Freud, en ce qui concerne la dfinition gnrale des ressourcespsychologiques que possdent les individus de toutes catgories pour ac-complir les tches inhrentes au travail motionnel et pour lide quilexiste une gestion inconsciente et involontaire des motions. Mais la pers-pective en termes de gestion des motions diffre du modle freudien enfaisant porter son attention sur lventail complet des motions et des sen-timents, ainsi que sur les efforts conscients et volontaires, afin de faonnerles sentiments. Dans cette mme perspective, nous considrons galementque le sentiment inappropri possde un volet social aussi importantque le volet intrapsychique.

    Prenons en considration les diffrences entre les deux perspectives.David Shapiro, dans son clbre ouvrage sur le style nvrotique , endonne un exemple :

    Un patient obsessif-compulsif un homme pos, en principe intelligent etactif manquait de faon manifeste denthousiasme ou dexcitation dans les cir-constances qui selon toutes apparences lauraient justifi. un moment donn,alors quil parlait dune perspective davenir, savoir la grande probabilit dun im-portant succs dans son travail, son expression apathique fut momentanment inter-rompue par un sourire. Durant les premires minutes de la discussion, il conservason calme avec difficult, puis il commena, en hsitant passablement, parler plusprcisment de certains espoirs auxquels il venait de faire allusion. Cest alorsquapparut un large sourire sur son visage. Pourtant, presque immdiatement, il re-prit son expression habituelle quelque peu soucieuse. Il dclara alors : Bien sr, lersultat nest en aucun cas certain et il pronona ces paroles avec un ton de voixqui, plus que tout, suggrait que le rsultat serait presque coup sr un chec.Aprsavoir numr plusieurs possibilits prcises quant une anicroche, il sembla fina-lement redevenir de nouveau lui-mme, si on peut sexprimer ainsi 16 .

    Lintrt de cet exemple diffre en fonction de la perspective thorique partir de laquelle on linterprte. Pour le psychiatre, dfinir les circons-tances qui justifient tel degr ou tel type de sentiment ne pose relativement

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    16. Shapiro, 1965, p. 192 (La mise en relief est mon initiative).

  • pas de problmes. Un mdecin sait ce quest un affect inappropri : enloccurrence, on devrait se rjouir en cas de succs professionnels. Le princi-pal problme nest pas tant de discerner labondante varit de types de lin-adaptation des sentiments aux situations, mais de gurir le patient de ce qui leperturbe. En revanche, du point de vue de la gestion des motions, la justifi-cation des circonstances est problmatique. Dailleurs, les moyens utilisspour valuer cette justification pourraient bien tre les mmes pour notre psy-chiatre que ceux pour un vendeur ou un professeur. Car, en un sens, nousagissons tous comme les psychiatres qui utilisent sans le savoir des moyensnon vrifis pour en arriver dterminer justement quelles sont les circons-tances qui garantissent autant de sentiment du mme type.

    Ce que le psychiatre, le vendeur et le professeur ont peut-tre encommun est lhabitude de comparer les situations (par exemple, un succsassoci la ralisation dun travail) avec le rle de lacteur (par exemple, lesespoirs, les aspirations, les attentes caractristiques de qui joue le rle ainsique ce que les autres attendent de lui). Des facteurs sociaux modifient les at-tentes que nous avons vis--vis dune personne qui joue ou devrions-nousdire qui va la rencontre de un rle. Si, par exemple, la place du pa-tient se trouvait une femme pose, en principe intelligente et active , etque lobservateur ( tort ou raison) suppose ou sattende ce quelle ac-corde une plus grande importance aux liens familiaux et personnels quauxsuccs matriels, lambivalence lide dune promotion pourrait semblertout fait approprie. Un manque denthousiasme serait considr commela marque de cette catgorie sociale. Autre exemple, si le patient tait un ac-tiviste antinuclaire et que ses dcouvertes aient des rpercussions dans ledomaine de lnergie nuclaire, cela modifierait les espoirs et les aspira-tions quon pourrait attendre quil prouve vis--vis de son travail, et celapourrait tre une source de consternation, non pas denthousiasme. Ou en-core, si un immigrant, la suite dun norme sacrifice familial, est envoyaux Amriques pour y connatre le succs, son enthousiasme pourrait treteint dun sentiment de grande culpabilit ou de devoir.

    Nous valuons la convenance dun sentiment en tablissant unecomparaison entre sentiment et situation, non pas en examinant le sentimentdans labstrait. Cette comparaison donne lexaminateur une mesure de normalit , normalit qui est socialement accepte, partir de laquelle ilpourra faire ressortir les facteurs qui constituent les systmes de significa-tion personnelle, lesquels pourraient amener un travailleur dformer sonopinion de la situation et prouver des sentiments inappropris quant celle-ci. Le psychiatre maintient la constance de la mesure de normalit

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  • sociale et se concentre sur les facteurs que lon vient juste de relever. Celuiqui tudie la gestion des sentiments maintient la constance des facteurs et iltudie les variations lintrieur des mesures de normalit sociale.

    Il existe une seconde diffrence dans ce qui, en fonction de nos deuxperspectives, peut sembler intressant dans lexemple ci-dessus. Du point devue de la gestion des sentiments, ce qui est intressant, ce sont le caractreet la direction de la volition et de la conscience, alors que du point de vuepsychiatrique, ce sont le prconscient et linconscient. Lhomme ci-dessusnest pas en train deffectuer un travail motionnel, cest--dire de faire unessai conscient, intentionnel afin de modifier ses sentiments. Il est plutt entrain de contrler son enthousiasme en tant lui-mme , en maintenant,selon les termes de Schutz, une attitude naturelle . Il na plus besoin dese retenir pour ne pas sourire ; il nest pas dhumeur sourire (Shapiro1965, p. 164). Afin dviter la dviance affective, certains individus aurontpeut-tre accomplir une tche plus grande que les autres, la tche dun tra-vail conscient sur les sentiments afin de compenser une attitude naturelle explicable en termes psychanalytiques qui leur cause des problmes.Lhystrique qui travaille dans un univers bureaucratique peut se retrouverdevant la ncessit deffectuer davantage de travail motionnel que lobses-sif-compulsif qui sy intgre parfaitement de faon naturelle.

    En rsum, dans la perspective de la gestion des sentiments, on placelattention sur la faon dont les gens essaient de ressentir, et non, commecest le cas pour Goffman, sur la faon dont les gens essaient de prsenteraux autres ce quils ressentent. Cela nous amne nous occuper de la fa-on dont les gens ressentent consciemment et non, comme cest le cas pourFreud, la faon dont les gens ressentent inconsciemment. La perspectiveinteractionniste sur les motions nous indique des points de jonction tho-riques alternatifs entre la conscience des sentiments et la conscience desrgles de sentiment, entre les rgles de sentiment et le travail motionnel,entre les rgles de sentiments et la structure sociale. Nous explorerons cespoints de jonction dans le reste de cet essai.

    Le travail motionnelPar travail motionnel je dsigne lacte par lequel on essaie de

    changer le degr ou la qualit dune motion ou dun sentiment. Effec-tuer un travail sur une motion ou un sentiment cest, dans le cadre de nosobjectifs, la mme chose que grer une motion ou que jouer un jeuen profondeur . Il faut bien noter que le travail motionnel dsigne leffort

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  • lacte qui consiste essayer et non pas le rsultat, qui peut tre russiou non. Les rats de la gestion des motions donnent accs aux formula-tions idales qui guident leffort et, pour cette raison, ne sont pas moins in-tressants quune gestion motionnelle russie ou efficace.

    La notion de tentative elle-mme suffit suggrer une position ac-tive en ce qui concerne les sentiments. Dans mon tude exploratoire, lesparticipants ont qualifi leur travail motionnel dun grand nombre deverbes daction : Je me suis prpar mentalement Jai cras ma co-lre Jai essay trs fort de ne pas tre du Je me suis forc davoirdu bon temps Jai tent de me sentir reconnaissant Jai dtruit lespoirqui brlait en moi. Il y avait aussi la forme passive, par exemple, Je mesuis finalement laiss aller la tristesse.

    Le travail motionnel est diffrent de la suppression ou du contrle motionnel. Ces deux derniers termes suggrent un effortorient, seulement dans le dessein de rprimer ou dempcher un sentiment.Le travail motionnel fait rfrence de faon plus large lacte qui vise voquer ou faonner, ou tout aussi bien rprimer un sentiment. Jvitele terme manipuler , car il suggre une superficialit que je nai pas lin-tention de laisser supposer. Nous pouvons ainsi parler de deux grandes ca-tgories de travail sur les motions : lvocation, pour laquelle la cognitionvise un sentiment dsir initialement absent, et la suppression, pour laquellela cognition vise un sentiment involontaire initialement prsent. Une parti-cipante, qui frquentait un prtre de vingt ans son an, nous donnelexemple des problmes du travail motionnel de type vocatoire :

    De toute faon, jai commenc essayer de lui ressembler. Je me suisconcentre sur sa faon de parler, sur certaines choses quil avait faites dans lepass Lorsque jtais avec lui, je faisais comme lui, mais lorsque je rentrais lamaison, jcrivais dans mon journal intime quel point je narrivais pas le sup-porter. Jai continu de changer mes sentiments et, lorsque jtais en sa prsence, jepensais rellement que je laimais, mais, environ deux heures aprs son dpart, jeretournais des sentiments diffrents17.

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    17. Les exemples de travail motif nous viennent de lanalyse du contenu de 261 protocolesremis aux tudiants de deux classes de luniversit de Californie, Berkeley en 1974. Denombreux exemples proviennent des rponses la question : Dcrivez le plus fidlementet le plus concrtement possible une situation relle, importante vos yeux, pour laquellevous avez fait lexprience soit dun changement de situation pour sadapter vos senti-ments, soit dun changement de vos sentiments pour sadapter la situation. Quest-ce quecela a reprsent pour vous ? Trois examinateurs ont codifi les protocoles. Les rsultatsseront communiqus dans une tude ultrieure. Je ne ferai que mentionner ici que 13 % deshommes contre 32 % des femmes ont t cods comme changeant les sentiments pluttque de changer la situation, et de ceux qui changent les sentiments, encore plus de femmesont affirm le faire en tant quagent plutt que passivement.

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  • Une autre femme nous fournit lexemple dun travail, qui vise nonpas susciter une motion, mais la supprimer :

    Lt dernier, je voyais souvent un garon et jai commenc prouverdes sentiments trs forts pour lui. Par contre, je savais quil avait rompu avec unefille voil un an, parce quelle tait devenue trop srieuse propos de leur relation,cest pourquoi javais peur de laisser paratre mes motions. Javais galement peurdtre blesse, cest pourquoi jai tent de changer mes sentiments. Jai tent de meconvaincre que je naimais pas Mike mais je dois admettre que cela na pas mar-ch trs longtemps. Afin de soutenir ce sentiment, jai presque d inventer de mau-vaises choses son sujet et my concentrer ou continuer me dire quil ne maimaitpas. Ctait un durcissement des motions, je dirais. Cela ma demand beaucoupdefforts et ctait dsagrable, car jai d me concentrer sur tout ce que je pouvaislui trouver dnervant.

    Souvent le travail motionnel est soutenu par la mise en place dunsystme travail motion, par exemple, raconter des amis les pires d-fauts de la personne dont on dsire ne plus tre amoureux et aller chercherensuite, chez ces mmes amis, un renforcement de cette faon de voir. Celadmontre un autre point : le travail motionnel peut tre accompli par lemoi sur le moi, par le moi sur les autres et par les autres sur soi-mme.Dans chacun des cas, lindividu est conscient dun moment de malaise ou de divergence entre ce quil ressent et ce quil veut ressentir (qui sontour est influenc par ce quil croit devoir ressentir dans cette situation). Enraction, lindividu peut tenter dliminer le malaise en travaillant sur lesentiment. La sensation de divergence et sa rponse peuvent tous deux va-rier dans le temps. Lacte de gestion des motions, par exemple, peut ntrequune mesure de remplacement provisoire de cinq minutes ou consisteren un effort tal sur dix ans, comme le laisse entendre le terme acheverun travail .

    Il existe diverses techniques de travail motionnel. Lune delles estcognitive : cest la tentative de changer les images, les ides ou les pensesdans le but de changer les sentiments qui y sont rattachs 18. Une deuximeest corporelle : cest la tentative de changer les symptmes somatiques ou

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    18. Il existe peut-tre plusieurs types de travail motif cognitif. Tous peuvent tre dcritscomme tant des tentatives pour recodifier une situation, pour la comprendre diffremment.Dans ce processus, nous en venons changer notre faon de classer les expriences. Nousnous demandons intuitivement : est-ce une situation o lon me fait des reproches ? Une si-tuation o jadresse des reproches ? Une situation o je reois lapprobation ? Ou une si-tuation o je recherche lapprobation ? Quelle est la catgorie de mon schma de classifi-cation des motions qui correspond lmotion que je ressens maintenant ? (cest--dire,est-ce de la colre, une anxit gnrale, de la dception ?) Pour traduire cette ide, en sefondant sur le cadre de Richard Lazarus, nous pourrions dire que lindividu tente consciem-ment de modifier son valuation dune situation afin de changer le mcanisme dadaptation(Lazarus, 1966).

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  • dautres symptmes physiques des motions (par exemple, essayer de res-pirer plus lentement, essayer de ne pas trembler). Troisimement, il y a letravail motionnel expressif o il sagit de tenter de changer dexpressivitpour changer de sentiment intrieur (par exemple, tenter de sourire ou depleurer). Cette technique se distingue du simple affichage, au sens o ellevise agir rellement sur le sentiment pour le changer. Elle se distingue dutravail motionnel corporel, au sens o lindividu essaie de modifier ou defaonner lune ou lautre des voies de communication classiques qui ser-vent exprimer les sentiments.

    Ces trois techniques sont distinctes en thorie, mais, bien sr, ellessentremlent souvent dans la pratique. Par exemple :

    Jtais une toile du foot au lyce. Avant les parties, je ne sentais pas demonte dadrnaline en un mot, je ntais pas prpar mentalement . (Ctait d des difficults motionnelles que jprouvais et que jprouve encore. Jtais aussiun excellent lve qui voyait baisser ses rsultats.) Ayant t, par le pass, un joueurfanatique, motif et intense, un cogneur reconnu par les entraneurs comme tantun trs bon travailleur et un joueur ayant de la volont, ctait extrmementcontrariant. Jai fait tout ce que jai pu pour me relever. Jessayais dtre allez,allez extrieurement ou de meffrayer devant mes adversaires , nimporte quoipour faire circuler ladrnaline. Jessayais davoir lair nerveux et concentr avantles parties, pour que, au moins, les entraneurs ne saperoivent pas lorsquenralit je me sentais trs ennuy ou, tout le moins, pas en forme. Je me souviens,avant une partie, davoir souhait tre dans les gradins pour voir mon cousin jouerpour son lyce, plutt que dtre sur le terrain.

    Le travail motionnel devient un objet de conscience le plus souvent,probablement, lorsque les sentiments de lindividu ne conviennent pas lasituation, cest--dire, lorsque ce dernier ne tient pas compte des senti-ments ou ne les lgitime pas dans la situation. Une situation (comme desfunrailles) est souvent porteuse dune dfinition adquate delle-mme( cest un temps o lon doit faire face une perte ). Ce cadre officielporte en lui-mme la notion de ce qui est convenable de ressentir (la tris-tesse). Cest lorsque cette cohrence tripartite entre situation, cadre con-ventionnel et sentiment, se rompt, pour une raison ou une autre, commelorsque lendeuill est pris dune irrpressible envie de rire de joie lidede lhritage, que rgle et gestion deviennent le centre dattention. Cest ce moment que la circulation normale des conventions profondes une fu-sion la plus normale possible entre situation, cadre et sentiment sembletre un accomplissement colossal.

    Lhtesse de lair douce et accueillante, la secrtaire toujours debonne humeur, le prpos aux plaintes toujours patient, le proctologue quina jamais la nause, lenseignant qui aime tous ses lves galement et lejoueur de poker imperturbable de Goffman peuvent tous tre appels

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  • prendre part au jeu en profondeur, un jeu qui va bien au-del de la simplecommande daffichage. Le travail qui consiste rendre le sentiment et lecadre compatibles la situation est un travail dans lequel les individusprennent part intrieurement de faon continue. Mais ils le font en obis-sant des rgles qui ne sont pas entirement dcides par eux.

    Les rgles de sentimentNous ressentons. Nous essayons de ressentir. Nous voulons essayer

    de ressentir. Les lignes de conduite sociales qui dirigent la faon dont nousvoulons essayer de ressentir peuvent tre dcrites comme un ensemble dergles partages socialement, bien quelles soient souvent latentes (on nypense pas moins quelles ne fassent lobjet dune enqute). On peut doncse demander de quelle faon ces rgles sont connues et comment elles sontcres 19.

    Pour commencer, prenons en considration plusieurs vidences propos des rgles des sentiments. En langage de tous les jours, nous par-lons de nos sentiments ou de ceux des autres, comme si des droits et des de-voirs sy appliquaient directement. Par exemple, nous disons souvent avoir le droit dtre en colre contre quelquun. Ou que nous devrionstre plus reconnaissant envers un bienfaiteur. Nous nous rprimandons ennous persuadant que la malchance dun ami, la mort dun parent aurait dnous frapper plus durement ou que la chance dune autre personne, ou lantre, aurait d nous inspirer une plus grande joie. Nous connaissons aussiles rgles de sentiment partir des ractions des autres, par ce quils d-duisent de laffichage de nos motions. Quelquun pourrait nous dire : Tune devrais pas te sentir aussi coupable : ce nest pas ta faute ou Tu naspas le droit dtre jaloux, tant donn notre entente. Quelquun dautrepeut simplement exprimer son opinion propos de ladquation dun sen-timent une situation ou mettre des rserves au sujet de notre attitude en

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    19. Le seul fait que nous puissions distinguer une chose comme ces rgles de sentiments est en lui-mme un commentaire au sujet de la position ironique que nous avons, de nosjours, vis--vis des vnements de la vie quotidienne. Les cultures urbaines modernes favo-risent une plus grande distance (la position de lego qui observe) vis--vis des sentimentsque les cultures traditionnelles. Jerzy Michaelowicz, un tudiant diplm de luniversit deCalifornie, San Diego, a observ que les sous-cultures traditionnelles forte cohsion pla-aient les gens directement lintrieur du cadre bien dfini des rgles de sentiments et abo-lissaient la distance ironique ou le sentiment de choix que lon peut y faire. Il fait mentionque, dans une certaine recherche, on avait demand un rabbin hassidique : Est-ce quevous vous sentiez heureux la crmonie des Pques ? Bien sr ! fut sa rponse in-crdule.

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  • tant que gestionnaire, en prsupposant cette opinion. Dautres encore peu-vent interroger ou demander lexplication dun sentiment prcis dans unesituation, alors quils ne demandent pas dexplication pour dautres senti-ments en situation 20. On peut considrer les demandes et les appels dex-plication comme tant des rappels de rgles. En dautres temps, une per-sonne peut, en plus, rprimander, taquiner, encourager, semoncer,sloigner en un mot, sanctionner le mauvais sentiment . Ces sanc-tions sont un indice des rgles quelles sont censes faire respecter.

    Les droits et devoirs tablissent la convenance quant ltendue (onpeut ressentir trop de colre ou pas assez ), la direction (on peut res-sentir de la tristesse lorsque lon devrait ressentir de la joie) et la duredun sentiment, compte tenu de la situation dans laquelle il se prsente. Cesdroits et devoirs de sentiment sont des indicateurs de la profondeur desconventions sociales, jusquaux limites extrmes du contrle social.

    Il existe une distinction, du moins en thorie, entre une rgle de sen-timent reconnue comme ce que lon peut sattendre de ressentir dans unesituation donne, et une rgle reconnue comme ce que lon devrait ressen-tir dans cette situation. Par exemple, on peut sattendre, de faon raliste,(se connaissant soi-mme et les rceptions de ses voisins) sennuyer une grande rception de la Saint Sylvestre et en mme temps reconnatrequil serait plus convenable de se sentir exubrant.

    Dans toutes situations, nous attribuons souvent ce que nous nousattendons de ressentir un caractre idal. Ces ralisations varient sociale-ment dans une mesure remarquable, comme nous le dmontre, ci-dessous,le cas de cette femme qui se rappelle ses expriences en tant qu adoles-cente hippie :

    [] Lorsque je vivais dans le Sud, je faisais partie dun groupe de gens,des amis. Nous passions la plupart de nos soires ensemble, aprs le travail oulcole. Nous consommions de grandes quantits de drogues, acide, coke ou fu-mions seulement de la marijuana, nous avions cette philosophie de lesprit commu-nautaire et nous tentions de notre mieux de tout partager vtements, argent, nour-riture et ainsi de suite. Jtais lie intimement cet homme et je croyais treamoureuse de lui. Il mavait dit de son ct que jtais trs importante pour lui. Tou-jours est-il quune femme, qui un certain moment avait t une trs bonne amie,et cet homme ont commenc avoir des relations sexuelles, sans que je sois au cou-rant, croyaient-ils. Mais je le savais et cela provoquait chez moi de nombreux sen-timents contradictoires. Je pensais, sur un plan intellectuel, navoir aucun droit surcet homme et je croyais que personne ne devait tenter de possder une autre per-sonne. Je croyais galement que cela ne me regardait pas et que je navais aucuneraison de minquiter de leur relation, car cela navait rien voir avec lamiti queje portais chacun deux. Je croyais aussi au partage. Mais jtais horriblement

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    20. Lyman et Scott, 1970.

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  • blesse, seule et isole, je narrivais pas me dbarrasser de la dpression et par-dessus tout a, je me sentais coupable de mes sentiments de jalousie possessive.Cest pourquoi jai continu de sortir avec eux tous les soirs et jai essay de refou-ler mes sentiments. Mon ego tait en mille morceaux. Jen suis venue au point o jenarrivais mme plus rire lorsque jtais avec eux. Alors, jai finalement affrontmes amis et je les ai quitts pour lt pour voyager avec un nouvel ami. Jai ralisplus tard le poids de la situation, et cela ma pris beaucoup de temps pour men re-mettre et me sentir pleinement moi-mme de nouveau.

    Que la convention incite essayer joyeusement de possder lautreou nonchalamment le contraire, lindividu compare et mesure lexprience une attente souvent idalise. Pour toute motivation ( ce que je veux res-sentir ), il ne lui reste qu trancher entre rgle de sentiment ( ce que jedevrais ressentir ) et travail motionnel ( ce que jessaie de ressentir ).La plupart du temps, nous vivons avec une certaine dissonance entre de-voir et vouloir ou entre vouloir et essayer de . Mais les tenta-tives de rduction de dissonance motive sont nos indices priodiques pourles rgles dexpression des sentiments.

    Une rgle de sentiment partage certaines proprits formelles avecdautres sortes de rgles, comme les rgles de ltiquette, les rgles ducomportement gestuel et les rgles dinteractions sociales en gnral(Goffman, 1961). Voici en quoi une rgle de sentiment est semblable auxautres types de rgle : elle dlimite une zone lintrieur de laquelle on ale droit dtre libre des soucis, de la culpabilit ou de la honte en ce quiconcerne le sentiment en situation. Une rgle de sentiment tablit un plan-cher, des murs et un plafond symbolique, dlimitant lespace de mouve-ment et de jeu lintrieur de limites. Comme dautres rgles, les rgles desentiment peuvent tre suivies sans enthousiasme ou audacieusementtransgresses, la transgression ayant des consquences variables. La rglede sentiment peut tre interne ou externe, en proportions variables. Lesrgles de sentiment diffrent curieusement des autres types de rgles, en cequelles ne sappliquent pas aux actions, mais plutt ce qui est souventconsidr comme prcurseur laction. Elles tendent donc tre impli-cites et rsister toute codification formelle.

    Les rgles de sentiment refltent les modles dappartenance so-ciale. Certaines rgles peuvent tre quasiment universelles, comme la rglequi dicte que lon ne doive pas prendre plaisir tuer ou tre tmoin dela mort dun tre humain 21. Dautres rgles sont propres des groupes

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    21. Mais cela aussi semble tre variable culturellement. Erving Goffman rappelle que lespendaisons du XVIe sicle taient des vnements sociaux que les participants taient cen-ss apprcier , rgle qui a disparu depuis dans la socit civile.

  • sociaux prcis et peuvent tre utilises pour se distinguer entre eux, tels desgouvernements alternatifs ou des colonisateurs dvnements internes in-dividuels.

    Rgles dencadrement et rgles de sentiments :questions idologiques

    Les rgles de gestion des sentiments sont implicites nimportequelles positions idologiques : elles sont la base de lidologie.Lidologie a souvent t interprte comme un cadre purement cognitif,sans aucune consquence sur ce que nous ressentons. Pourtant, en se ba-sant sur Durkheim, Geertz et Goffman, nous pouvons considrer lidolo-gie comme un cadre dinterprtation qui pourrait tre dcrit en termes dergles dencadrement et de rgles de sentiment 22. Par rgles dencadre-ment , je fais rfrence aux rgles selon lesquelles nous attribuons des d-finitions ou des significations aux situations. Par exemple, un individu peutdfinir une situation de licenciement comme tant un exemple de plus,dans la longue liste des abus profrs par les capitalistes lencontre destravailleurs, ou bien comme la consquence dun nouvel chec personnel.Dans chacun des cas, le cadre peut reflter une rgle plus gnrale concer-nant lattribution du blme. Par rgles de sentiment , je fais rfrenceaux lignes directrices qui rgissent lvaluation de ladquation ou de lanon-adquation entre sentiment et situation. Par exemple, selon une rglede sentiment, on peut, de faon lgitime, tre en colre contre son patronou lentreprise, selon une autre, on ne le peut pas. Les rgles dencadre-ment et de sentiment dcoulent mutuellement lune de lautre. Elles setiennent cte cte.

    Il sensuit que lorsquun individu change de position idologique,il ou elle abandonne les anciennes rgles et en utilise de nouvelles pour

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    22. Dans Les Formes lmentaires de la vie religieuse, Durkheim nous fait voir cette com-prhension de la vision du monde pour les rgles de sentiments ; Lorsque les Chrtiens,pendant les crmonies commmorant la Passion, et les Juifs, lanniversaire de la chute deJrusalem, jenent et se mortifient, ce nest pas en sabandonnant une tristesse quils res-sentent spontanment. En ces circonstances, ltat interne du croyant est hors de toutes pro-portions avec les abstinences auxquelles il se soumet. Sil est triste, cest essentiellementparce quil consent tre triste. Et il y consent afin de proclamer sa foi (Durkheim, 1961,p. 274). Une fois de plus, Un individu [], sil est fortement attach la socit laquelleil fait partie, a le sentiment quil est tenu moralement de participer ses peines et sesjoies ; ne pas sy intresser reviendrait couper les liens qui lunissent au groupe : ce seraitcomme renoncer tous ses dsirs dappartenance et se contredire lui-mme (1961, p. 446,La mise en relief est mon initiative). Voir galement Geertz, 1964 et Goffman, 1974.

  • ragir aux situations, sur les plans cognitif et motif. La notion de droits etdevoirs applique aux sentiments en situation est galement change. Onutilise les sanctions motionnelles diffremment et lon accepte des sanc-tions diffrentes de la part des autres. Par exemple, les rgles de sentimentde la socit amricaine ont t diffrentes pour les hommes et les femmesparce que lon supposait que leur nature tait fondamentalement diffrente.Le mouvement fministe apporte avec lui un nouvel ensemble de rglespour encadrer la vie des hommes et des femmes au travail et en famille : lemme quilibre des priorits pour le travail et la famille sapplique mainte-nant idalement aussi bien aux hommes quaux femmes. Cela a des cons-quences sur le plan des sentiments. Une femme peut maintenant de faonaussi lgitime (quun homme) se mettre en colre (plutt qutre simple-ment contrarie ou due) en raison dabus au travail, puisque quelle estcense mettre son cur louvrage et quelle est en droit desprer despromotions autant quun homme. Ou, un homme a le droit dtre en colreparce quil na pas obtenu la garde de ses enfants, sil a dmontr quil taitle parent le plus apte des deux. Les sentiments dmods sont mainte-nant autant soumis aux nouvelles rprimandes et aux cajoleries que lesperspectives dmodes sur le mme ensemble de situations.

    La rbellion contre une position idologique passe non seulementpar le maintien dun cadre alternatif pour une situation, mais aussi par lemaintien dun ensemble alternatif de droits et dobligations de sentiment.On peut dfier une position idologique par un affect inappropri et en re-fusant daccomplir la gestion des motions qui serait ncessaire pour res-sentir ce qui, selon le cadre officiel, serait appropri de ressentir. Le jeuprofond ou le travail sur les motions peuvent, ainsi, tre soit une formedobissance une position idologique donne, soit un indice de relche-ment ou de refus dune idologie.

    Alors que certaines idologies deviennent de plus en plus accepteset que dautres saffaiblissent, des ensembles de rgles de sentiment qui sefont la lutte apparaissent et disparaissent. Les ensembles de rgles de sen-timent se font la lutte pour obtenir une place dans lesprit des gens en tantque norme dominante avec laquelle ils pourront comparer les vritablesexpriences vcues, disons, du premier baiser, de lavortement, du ma-riage, de la naissance, du premier emploi, du premier licenciement, du di-vorce. Ce que nous appelons le climat changeant de lopinion concerne enpartie un encadrement modifi des mmes types dvnement. Parexemple, deux mres peuvent se sentir coupables de laisser leur petit en-fant la garderie pendant quelles travaillent toute la journe. Une des

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  • mres, fministe, peut penser quelle ne devrait pas se sentir aussi cou-pable. La seconde, traditionnelle, peut penser quelle devrait se sentir pluscoupable quelle ne lest.

    Une partie de ce que nous appelons les effets psychologiques du changement social rapide , ou de lagitation sociale, est un changementdans la relation de la rgle de sentiment aux sentiments et un manque declart au sujet de ce quest vraiment la rgle, redevable aux conflits et auxcontradictions entre les ensembles de rgles qui se font la lutte. Les senti-ments et leurs cadres de rfrence sont hors conventions, mais pas encorefondus dans le moule des conventions. Nous pouvons dire, commelhomme marginal, Je ne sais pas comment je devrais me sentir.

    Il reste noter que les idologies peuvent fonctionner, comme Ran-dall Collins le fait remarquer avec justesse, en tant quarmes dans le conflitentre les lites revendicatrices et les autres couches sociales 23. Collins sug-gre que les lites tentent dobtenir laccs la vie motionnelle desadeptes en obtenant un accs lgitime au rituel, ce qui pour lui est uneforme de technologie motionnelle. Pour dvelopper son point de vue,nous pouvons ajouter que les lites, et bien sr les groupes sociaux en g-nral, luttent afin daffirmer la lgitimit de leurs rgles dencadrement etde leurs rgles de sentiment. Non seulement lvocation des motions,mais des lois qui les gouvernent peuvent devenir, diffrents degrs,larne dune lutte politique.

    Rgles de sentiment et changes sociauxNimporte quel geste une salutation dcontracte, un rire dappr-

    ciation, des excuses pour une scne est mesur laune dune conceptionantrieure de ce qui est raisonnablement d lautre, tant donn le type delien concern. En considrant cette mesure darrire-plan, certains gestessembleront plus que suffisants, dautres moins. Lchange des gestes, enretour, possde deux aspects ; cest un change dactes daffichage de jeusuperficiel et aussi un change de travail motionnel cest--dire de jeuprofond. Dans lun ou lautre des cas, les rgles (rgles daffichage ou

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    23. Collins semble indiquer que lidologie fonctionne titre darme dans le conflit qui op-pose les lites. Les groupes luttent entre eux non seulement pour avoir accs aux moyens deproduction conomique ou aux moyens de rpression, mais aussi pour laccs aux moyensde production motionnelle (1975, p. 59). Les rituels sont considrs comme des outilsutiles afin dinstituer une solidarit motionnelle (qui peut tre utilise contre les autres) etpour tablir des hirarchies de statuts (qui peuvent dominer ceux qui trouvent que les nou-veaux idaux ont des effets dnigrants sur eux).

  • rgles de sentiment), une fois convenues, tablissent la valeur dun geste,et sont ainsi utilises dans les changes sociaux pour mesurer la valeur desgestes motionnels. Les rgles de sentiment tablissent ainsi les fonde-ments de la valeur qui sera assigne un ventail de gestes, le travail mo-tionnel compris. Le travail motionnel est un geste dans un change social ;il y occupe une fonction et ne doit pas tre considr simplement commeune facette de la personnalit 24.

    Il existe au moins deux manires par lesquelles les rgles de senti-ment entrent en jeu dans les changes sociaux. Dans la premire, lindividuprend le sentiment d cur, il le prend au srieux. Par exemple, unejeune femme, la veille de terminer ses tudes au lyce, se sentait anxieuseet dprime, mais croyait quelle aurait d se sentir heureuse et quelle devait ce bonheur ses parents pour avoir rendu possible la fin de sestudes.

    Mes parents et amis faisaient tout un plat de la remise des diplmes, toutspcialement mes parents puisque je suis lane de la famille. Pour certaines rai-sons, je narrivais pourtant pas me sentir excite. Javais eu de bons moments aulyce et tout, mais jtais prte en sortir et je le savais. De plus, nous avions prati-qu la crmonie tant de fois quelle avait perdu toute signification pour moi. Jaipourtant fait semblant et jai essay dtre comme si jtais vraiment mue et jaiserr mes amis dans mes bras et jai pleur, mais en dedans je savais que je ne lesentais pas vraiment 25.

    La jeune diplme a pay ses parents, pour ainsi dire, par un jeusuperficiel dissoci de sa vraie dfinition de la situation. En allant unpas plus loin, elle aurait pu les payer par un geste de jeu en profondeur enessayant de ressentir lmotion affiche. Un des gestes les plus gnreux detous est la persuasion russie, un jeu en profondeur qui prend forme, quifonctionne, et qui la fin nest pas faux (puisque lmotion est devenuevraie), bien que ce ne soit pas un cadeau naturel . Le meilleur cadeau, lecadeau souhait par les parents est, bien sr, le bonheur vritable de leurfille.

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    24. Les liens en apparence statiques entre idologie, rgles de sentiments et gestion mo-tionnelle, deviennent actifs dans le processus des changes sociaux. Les chercheurs quisintressent aux interactions sociales ont voulu dire deux choses par le terme changessociaux . Certains faisaient rfrence lchange de biens et services entre les gens (Blau,1964 ; Simpson, 1972 ; Singelmann, 1972). Dautres (G. H. Mead) ont fait rfrence unchange de gestes, sans tenir compte du calcul cot-bnfice auquel on fait rfrence dansle premier usage. Pourtant, les actes daffichage aussi peuvent tre considrs changs dans le sens restreint quun individu croit trs souvent quun geste est d lui-mme ou lautre. Je fais alors rfrence lchange dactes daffichage bas sur une comprhensionpralable, partage, de droits qui sont rgis selon un modle tabli.25. The Managed Heart, 1983, p. 82.

  • La deuxime faon dont les rgles de sentiment entrent en jeu dansles changes apparat lorsquun individu ne prend pas au srieux la conven-tion affective ; il ou elle joue avec cette convention. Prenons lexempledune observation faite dans un aroport : Voici deux guichetiers, lun pos-sde une grande exprience, lautre est novice. Le nouvel agent se dbatavec la tche de rcrire un billet complexe (entranant un changement dedate, un tarif plus bas et le crdit de la diffrence verser sur la carte depoints du voyageur, etc.). Le nouvel agent cherche laide de lancien, le-quel sest absent pendant que les clients, dans la file dattente, changentde posture et regardent fixement le nouvel agent avec une attention soute-nue. Le guichetier expriment rapparat au bout de dix minutes et lonpeut entendre la conversation suivante : Je te cherchais. Tu es cens tremon instructeur. Eh bien ! , dit lautre, avec un sourire ironique, Jesuis vraiment dsol, je me sens tellement mal de ne pas avoir t l pourtaider (les deux rient). On peut jouer avec le sentiment inappropri (lemanque de culpabilit ou de sympathie) dune manire qui signifie, Neprends pas mon non-paiement de travail motionnel ou de travail daffi-chage personnellement. Je ne veux pas travailler ici. Tu peux le com-prendre. Le rire, une distance ironique de la convention affective, sug-gre galement une intimit : nous navons pas besoin de ces conventionspour nous serrer les coudes. Nous partageons le mpris que nous avonspour elles.

    La marchandisation des sentimentsAu dbut, nous nous sommes demand de quelle faon les rgles de

    sentiment pourraient varier en importance selon les classes sociales. Unedes approches possibles pour aborder cette question passe par lesconnexions entre les changes sociaux, la marchandisation des senti-ments et la valeur, pour beaucoup demplois de classe moyenne, accorde la capacit de grer les significations.

    Les sentiments rendus conventionnels peuvent jusqu prendre lesproprits dune matire premire. Lorsque des gestes profonds dchan-ges font leur entre dans le secteur du march et quils sont achets et ven-dus comme un aspect de la main-duvre, les sentiments sont marchandi-ss. Lorsque le directeur offre la compagnie sa confiance enthousiaste,lorsquune htesse de lair offre ses passagers sa cordialit rassurante,prpare mentalement mais quasi sincre, ce qui est vendu comme un as-pect de la main-duvre, cest du jeu en profondeur.

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  • Mais la marchandisation des sentiments peut ne pas avoir la mmeimportance pour les gens de toutes les classes sociales ou de tous les sec-teurs demplois. Lorsque je parle des classes sociales, ce ne sont pas stric-tement le revenu, lducation ou le statut professionnel que jinvoque, maisquelque chose qui sy rattache grosso modo la tche qui, au travail,consiste crer et maintenir des significations appropries. Le directeur debanque, ou le cadre de chez IBM, peut tre oblig de soutenir une dfinitionde lui-mme, du bureau et de lorganisation, comme tant pleine dave-nir ou en activit constante , attentionne ou digne de con-fiance , significations qui sont tayes le plus efficacement par le travailaccompli sur les sentiments. Les rgles de sentiments sont dune porte ca-pitale pour des emplois comme ceux-l ; les rappels de rgles et les sanc-tions y sont beaucoup plus prsents. Ce nest pas, comme le suggre ErichFromm, que lhomme moderne de classe moyenne vende sa personna-lit, mais plutt que de nombreux emplois demandent une apprciation desrgles daffichage, des rgles de sentiments et une capacit pour le jeu enprofondeur.

    Les emplois de la classe ouvrire font plus souvent appel au com-portement externe de lindividu et ses productions lassemblage dunepice automobile, la livraison dun camion 800 kilomtres, la rparationdune route. La cration et le maintien des significations se poursuivent,mais ne sont pas des aspects du travail aussi essentiels. Le travail physiquedoit davantage correspondre aux rgles, la cration de significations et lessentiments le doivent moins. Il existe aussi, bien sr, des emplois de laclasse ouvrire ou de la classe infrieure qui requirent une capacit desoutenir des significations et qui demandent de laccomplir, lorsque cestncessaire, par le travail motionnel ; les emplois de prostitus, de domes-tiques, de nounous et de travailleuses qui soignent les personnes ges ap-pellent une gestion des sentiments. Ces travailleuses fournissent dailleursdes informations de premire source, pour ce qui est de la gestion des mo-tions. tant moins rcompenss pour leur travail que ne le sont leurs sup-rieurs, peut-tre sont-elles plus susceptibles de se sentir dtaches, et ca-pables de percevoir les rgles qui rgissent le jeu en profondeur. Le jeu enprofondeur est moins passible dtre vcu comme une partie de soi, maisbeaucoup plus comme une partie de lemploi. Tout comme lon peut en ap-prendre plus au sujet de la correspondance approprie entre situation etsentiment en tudiant les occasions o la correspondance ne se fait pas,on pourrait probablement mieux comprendre la marchandisation des senti-ments de celles et ceux qui ont le plus souvent se demander : est-ce vrai-ment ce que je ressens ou ce que je dois ressentir ?

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  • ConclusionNous nous sommes demand pourquoi, la plupart du temps, ce que

    nous ressentons nous semble appropri la situation. Une des rponsesproposes est que nous essayons de grer ce que nous ressentons, confor-mment des rgles implicites. Afin dlaborer cette hypothse, nousavons tout dabord pris en considration la faon dont les motions ragis-sent leur matrise ou gestion, selon les perspectives organiciste et inter-actionniste.

    Pourtant, loccasion, les motions nous envahissent comme un flotincontrlable. Nous nous sentons submergs par le chagrin, la colre ou lajoie. Pour autant que les motions soient, comme le suggre Darwin, unsubstitut laction, ou une action manque, nous pouvons nous mettre encolre plutt que de tuer, tre envieux plutt que de voler, nous dprimerplutt que de nous suicider. Ou bien encore, lmotion peut tre un prlude laction alors, nous devenons tellement enrags que nous tuons, telle-ment envieux que nous volons, tellement dprims que nous nous suici-dons. Cest en commentant ces genres dmotion que les journaux fontleurs affaires. Mais lautre moiti de lhistoire humaine aime savoir com-ment les gens se calment avant de tuer quelquun, comment ils convoitentquelque chose mais ne le volent pas, comment ils rangent le flacon de som-nifres de ct et tlphonent un ami. Comment nous retenons, modelonset, dans une certaine mesure, sommes capables de gouverner nos senti-ments ne sont pas la teneur des propos que nous lisons dans les journaux.Il se pourrait pourtant que ce soit la nouvelle la plus importante.

    Arlie R. HochschildProfesseure de sociologie

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