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    Auteursean Matthieu BORIS

    agali BRISSAC

    ean Pierre CERRUTI

    ean COTREZ

    phane DELOGU

    avid DORKEL

    ncent DUPONT

    anois-Xavier EUZET

    aniel LAURENT

    hilippe MASSE

    athalie MOUSNIER

    obert MUGNEROT

    ndr QUELEN

    ean Pierre RISGALLAenri ROGISTER

    ermaine STEPHAN

    rosper VANDENBROUCKE

    Ldito 3Dossier : Les combattants mconnus- Slovaquie, les combattants de la dernire chance 4- Belgique, mmoires dun combattant 16- Itinraire d'un Franais Libre 1940-1945 30- Loulou sergent FFI 1er bataillon du Morbihan 44- Tmoignage de Germaine, AFAT 52- Ceux qui firent face les premiers 56- Les rgiments ficelles 61Interview dAlain Chazette 63Un prophte oubli : Touzet du Vigier 65Focus :La politique sovitique deSeptembre1939 Aot 1940 75Le site Internet de la 1re DFL 78Le coin lecteur 80Un cimetire militaire allemand 83BTP, le Khal Burg 85

    Courrier des lecteurs 89Le coin cinma:- Documentaire Les cadets de la France libre 90- Le film Hors la loi 92

    Michelsberg le 8 mai 2010 94Le saviez-vous? 96

    Directeur de publication : Stphane Delogu

    Rdacteur en chef : Daniel Laurent

    Conseiller de rdaction : Prosper Vandenbroucke

    Responsables qualit : Nathalie Mousnier, Germaine Stphan

    et Laurent Ligeois

    Responsable mise en page : Alexandre Prtot

    Responsable rubriques : Jean Cotrez et Philippe Mass

    [email protected]

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    Ce qui s'est pass Troteval le 6 juin 2010 n'a rien

    d'extraordinaire et s'est droul ailleurs des dizainesde reprises. Il existe des sites de mmoire en biend'autres lieux, partout o se trouvent des hommes etdes femmes dtermins lutter contre l'oubli etl'gosme. Celui qui y a t inaugur possdecependant la particularit d'avoir t conu et financpar des internautes, pourtant rputs pour secomplaire dans une existence virtuelle et derrire leparavent d'un clavier informatique. Cette poque avcu, tout comme les start-up des annes 80,dinosaures d'un temps o Internet tait supposrvolutionner les comportements et les esprits. Mais,au bout du compte, la nature humaine finit toujourspar reprendre ses droits et ne se contente des ersatz

    que peu de temps. L'lectronique, sre de sa toutepuissance, a pourtant pu croire qu'elle remplacerait lamagie d'un vrai change ou d'un vrai projet commun. sa dcharge, les milliers d'amis de Facebook, dontpeu savent ce qu'est la vritable amiti et lesdiscussions d'un soir sur MSN, pouvaient facilement luidonner le change tant les apparences sonttrompeuses. Hlas, la vritable amiti ne se trouvepas sur Facebook tout comme plus l'on est seul et plusl'on parle distance par clavier interpos. La toile estcertes un outil de communication nul autre pareil,mais elle a ses limites dans le sens o elle n'est pasl'aboutissement, mais un grand portail ouvert versautre chose.C'est prcisment cet autre chose qui a prisnaissance ds 2004 l'occasion des Journes duforum et qui s'est concrtis vritablement en 2009et 2010 Troteval. Le virtuel est devenu quelquechose de visible, de palpable, de vivant, qui vibre l'unisson. Voil le rle vritable de l'univers virtuel, iln'est qu'un outil mais pas une finalitsans lendemain. Le forum s'est dotd'une structure renforce et optimisegrce au travail de titan de notrewebmestre Frdric Bonnus, ainsiqu'en tmoigne une frquentation enhausse vertigineuse : vous ftes

    presque 50 000 membres ou visiteursdiffrents vous tre bousculs auportillon, alors que le tlchargementdes numros d'Histomag44 se chiffreen milliers, soit le tirage d'un bonmagazine professionnel. Le bilan pource premier semestre 2010 est donttrs largement positif. tout celas'ajoutent des Journes du forum faire plir d'envie un tour-oprateuret une crmonie canadienne enprsence d'une dlgation des FusiliersMont-Royal en tout point russie.Plus que jamais, Le Monde enGuerre a le vent en poupe et, cetteallure, ce sont d'autres aventures versdes contres inexplores qui

    l'attendent. La barque est assez solide pour y

    naviguer sans risque de naufrage et son quipageassez soud pour regarder dans la mme direction.Peut-tre notre fonctionnement mutualiste nous vaut-il le rang de pionniers , mais ce titre pompeux,nous prfrons celui de dfricheurs . Le monded'Internet ne sera jamais rien d'autre qu'un palier, quetoutes les communauts historiques peuvent etdoivent franchir. Rencontrez-vous, parlez-vous etdcouvrez-vous, crez ensemble, n'ayez pas peurd'affronter des concepts diffrents des vtres,enrichissez vous par l'change. Le monde du Webpeut constituer une force de proposition hors ducommun, un creuset culturel d'une extraordinairevitalit, un laboratoire d'ides au potentiel presque

    illimit.Imaginons nous un instant que tous les forashistoriques traitant de la Seconde Guerre mondialemettent, chacun, un projet de mmoire en chantier, simodeste soit-il et le poussent vers la ralit tangible.Imaginons aussi un instant le vent de fracheur quipourrait souffler sur un protocole quelquefois guindet impersonnel, perdu dans son manque d'originalit.Imaginons les ttes berlues de ceux qui verraientarriver des cohortes de gars et de filles sincres etprts offrir leur nergie et leur volont pour lammoire, tous transfuges d'un monde ordinairementvirtuel et suppos inerte. Imaginez un peu ce quipourrait se passer si tous les internautes passionnsd'histoire se donnaient la main. Imaginez que toutesles communauts historiques, petites ou grandes,s'unissent contre l'oubli et imaginez-vous, au milieude ce formidable melting-pot culturel. C'est possible,puisque nous l'avons fait.

    Au prochain numro...

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    L'ditoPar Stphane Delogu

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    Il est parfois dit que la prestigieuse escadrilleNormandie-Niemen fut la seule unit de la FranceCombattante se battre sur le front de lEst. Cestinexact, une unit bien moins connue, mais toutautant valeureuse, forme de Franais vads descamps de prisonniers de guerre ou des camps du STO(Service du travail obligatoire), livra combat enSlovaquie au cours de linsurrection de fin 1944, auxcts de partisans sovitiques et dunits slovaques.Leurs aventures, parfois rocambolesques, souventdramatiques, mritent dtre racontes, ces hommesayant t deux fois volontaires, une fois pour svaderet une fois pour retourner au combat contre la

    Wehrmacht fort loin de leur pays natal et dans desconditions trs difficiles.

    Les KG (Kriegsgefangenen), les prisonniers deguerreSuite au dsastre militaire de 1940, aggrav par laphrase du Marchal Ptain radiodiffuse le 17 juin 12h20 C'est le cur serr que je vous dis aujourd'huiqu'il faut cesser le combat, environ 1 800000 soldatsfranais sont fait prisonniers, 1 580000 sont transfrsen Allemagne. Ils sont encore 940000 en 1944-45 et37000 ne rentreront jamais, morts en captivit.Tournant en rond dans leurs stalags et oflags, certainsrvent de svader. Environ 70000 russissent la

    belle (mais nombre dentre eux sont repris) et au 1er

    janvier 1996 39260 dentre eux avaient obtenu lamdaille des vads1. Les travailleurs forcs secomptent aussi par centaines de milliers, mais ils sontconcentrs dans les villes et les usines tandis que lessoldats sont dissmins dans tous les secteurs del'conomie et de la socit allemande.

    Les tentatives dvasion, en solitaire ou en groupe,sont toutes incroyables et les conditions danslesquelles elles sont entreprises ncessitent toujoursdes improvisations de type systme D et desoigneux prparatifs. Le cas dAndr Ringenbach, quisest vad cinq fois avant de russir, est tout fait

    significatif:Premire vasion, septembre 1941: volontaire pourun kommando darrachage de pommes de terre, Andrsenfuit de nuit avec son ami Albert de la baraque ouils sont cantonns en descendant laide de drapsnous les quatre mtres de hauteur qui les sparentdu sol. Ils marchent ensuite vers une gare de triage etrussissent sintroduire par une lucarne dans unwagon de sacs de bl sans endommager le plombagede la porte, le tout avant laube. Mauvais choix, letrain les emmne un entrept o les wagons, dont leleur, sont dchargs. Deux mois de baraquedisciplinaire et 21 jours de cellule sont le prix payer

    pour ce premier essai.Seconde vasion, 9 mars 1943: tentative en solitaire,mal prpare, Andr est repris quelques heures aprs.

    Bilan: un passage tabac et lenvoi dans unkommando disciplinaire Vienne.

    Troisime vasion, 17 janvier 1944: Andr, qui arussi travailler dans un kommando hors du camp,part avec son ami Toto, russit aller en train jusqula frontire austro-hongroise et la franchir, mais il

    est arrt et intern Balatonboglar en Hongrie. Sonide est de gagner la Yougoslavie et les maquis deTito. Mais linvasion de la Hongrie par les Allemandsfait capoter son plan et il reste intern.

    Quatrime vasion, 1er aot 1944: volontaire pour laSlovaquie, sa premire tentative de passage de lafrontire tourne mal et il est arrt nouveau.

    Cinquime vasion, septembre 1944: Andr, qui adcidment de la suite dans les ides, remet etcette fois-ci russit franchir la frontire sansencombre. Les maquis de Slovaquie lattendent.

    Les espoirs sont les mmes pour presque tous: rentrer

    en France, pour certains, tout simplement retrouverleurs familles et pour dautres, reprendre le combat,en fait, souvent les deux, passer dabord la maisonpuis aller vers Londres ou tout lieu o se trouvent desFFL. Mais la route est longue pour y parvenir, etnombreux sont les kilomtres franchir en territoiresallemands ou occups. En fonction des lieux dedtention, les routes les plus incroyables sontempruntes, comme celle des 218 franais quis'vadent en direction de l'URSS avant juin 1941 etrestent prisonniers dans les geles staliniennes avantdtre enfin traits en allis aprs le dclenchement deBarbarossa. Ils sont alors autoriss rejoindreLondres et la France Libre. Vingt dentre eux mourrontau combat et sept deviendront Compagnons de laLibration2.

    Le refuge hongroisLa Hongrie a longtemps conserv un statut un peu part dans les forces de lAxe. Quelques conflitsfrontaliers rapidement stopps grce la mdiationallemande permettent au rgent Horthy dagrandir lepays aux frontires de 1919, aux dpens de laRoumanie, de la Slovaquie et de la Yougoslavie, maislengagement hongrois dans lagression de lURSSreste modeste. Malgr des mesures de discriminations,les Juifs chappent dabord aux dportations de laSolution finale. La Hongrie na jamais dclar laguerre la France et Vichy y maintient une lgation oexercent des fonctionnaires fort peu ptainistescomme ils le montreront par la suite3.

    Pour les vads de Pologne, dAutriche et de lEst delAllemagne, la Hongrie est presque un point depassage oblig car elle est sur la route menant vers leSud, via la Yougoslavie et la Roumanie, donc vers lapossibilit de sortir de la zone sous contrle allemand,le voyage vers lOuest, vers la France, tant jugimpossible. De plus, la lgation, profitant habilementdes bonnes dispositions hongroises envers les

    Franais, permet ltablissement dun statut trs libre

    pour les belligrants interns franais rendantpossible leurs dplacements dans le pays, leurprocurant une situation matrielle favorable etpermettant ltablissement de nombreux liens amicauxavec la population magyare. Au dbut 1944, il y a

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    Les combattants de la dernire chance,Les combattants de la dernire chance,Les combattants de la dernire chance,Les combattants de la dernire chance,

    Slovaquie, aot 1944 mai 1945Slovaquie, aot 1944 mai 1945Slovaquie, aot 1944 mai 1945Slovaquie, aot 1944 mai 1945Par Daniel Laurent

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    environ 1000 vads franais en Hongrie et nombredentre eux travaillent des fonctions trsavantageuses, enseignants, artistes et cadres. Leurnombre augmentant, un camp est install en 1942 lhtel Savoy de Balatonboglar, au bord du clbre lac,puis tendu lhtel Nemzetti et la villa Fleiner.Certains interns vont faire du ski en Transylvanieet, pour le 14 juillet 1943, lattach militaire franais Budapest, le colonel Hallier, russit lexploit dobtenirlaccord du ministre de la Dfense hongrois quant lorganisation dun dfil de soldats franais Balatonboglar avec drapeaux tricolores et hymnenational, le tout en prsence dune dlgation militairehongroise au garde--vous4!

    Ce statut trs particulier a bien videmment diminule nombre de volontaires pour la poursuite dudangereux voyage vers le Sud! Tout change le 19mars 1944 lorsque le Reich envahit la Hongrie.Lapoudrire slovaqueSuite aux accords de Munich (septembre 1938), laTchcoslovaquie est dmantele: les Sudtes, engrande partie peuples de germanophones, sontrattaches au Reich tandis que la Slovaquie, souslinfluence active et pesante de Hitler et de saGestapo, proclament leur indpendance le 13 mars1939. la dclaration de guerre de septembre 1939,le gouvernement slovaque, dirig par Mgr Joseph Tisodu Parti Populaire Slovaque, dclare son tour laguerre la Pologne, l'Angleterre et la France,salignant totalement sur la politique nazie. Unegrande partie de la population slovaque acceptepassivement cette situation qui lui permet de sedgager de la tutelle tchque, d'viter une occupationpar la Wehrmacht ou une annexion par la Hongrie et

    qui assure mme certains avantages conomiques, aumoins durant les deux premires annes du conflit.Mais la situation commence changer avec l'agressioncontre lURSS le 21 juin 1941. Compltement soumise l'Allemagne sur le plan de sa politique extrieure, laSlovaquie est oblige d'envoyer plusieurs divisionscombattre sur le front de l'Est, mesure trsimpopulaire5.

    Une certaine solidarit slave fait voluer l'opinion peu peu en 1942-1943 tandis que s'croule le mythe del'invincibilit allemande (la nouvelle de la chute deStalingrad le 2 fvrier 1943 y contribue). Le rgime deTiso est de plus en plus isol par rapport la

    population et la rsistance intrieure devient de plusen plus active tandis que lopposition se dveloppe ausein de larme, de la gendarmerie et desfonctionnaires. De nombreux officiers sont favorables un renversement dalliance mais des divergencesdordre politique existent, certains pensant intgrerlArme rouge, dautres prfrant une actionindpendante de larme slovaque, ceci expliquant lemanque de cohsion dont font preuve les troisdivisions prsentes sur le sol slovaque lors delinsurrection, limpulsion venant davantage desPartisans.

    Le prsident Edvard Bene, en exil Londres avec le

    gouvernement tchcoslovaque, est en contactpermanent avec ces opposants via des missairesclandestins. Signalons les accords pris entre la FranceLibre et le gouvernement Bene qui rendent caduquela signature franaise des accords de Munich. La lettre

    officielle franaise est signe Gnral Charles deGaulle, Prsident du ComitNational Franais et datedu 29 septembre 1942, date anniversaire de la hontede Munich6.

    Le mouvement des partisans commence s'organiserdans diverses rgions montagneuses du pays. Lesrsistants se retrouvent au sein d'un Conseil nationalslovaque et commencent crer dans les diversesrgions du pays un rseau de comits nationaux, lesNarodny Vibor, souvent sous limpulsion du Particommuniste slovaque, interdit et clandestin, qui estractiv par le retour dexil en 1943 du leadercommuniste Karol Schmidke. La rsistance slovaquebnficie de l'envoi dofficiers sovitiques forms la

    gurilla qui sont parachuts dans les montagnes audbut de 1944. Aucunes troupes allemandes ne sontstationnes en Slovaquie et le gouvernement deJoseph Tiso est impuissant, ses formations guardistes,

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    Rejet franais des Accords de Munich

    Lettre envoye au Prsident Bens Londres le29 septembre 1942

    Monsieur le Prsident,

    Jai lhonneur de porter la connaissance duGouvernement tchcoslovaque que le ComitNational Franais, certain dexprimer lessentiments de la nation franaise, allie et amiede la Tchcoslovaquie, convaincu que la crisemondiale actuelle ne peut quapprofondir lamitiet lalliance entre la nation franaise et la nationtchcoslovaque qui, unies par la mme destine,traversent actuellement une priode desouffrances et desprances communes, fidle

    la politique traditionnelle de la France, dclarequen dpit des vnements regrettables et desmalentendus du pass, lun des butsfondamentaux de sa politique est que lalliancefranco-tchcoslovaque sorte des terriblespreuves de la prsente crise universellerenforce et assure pour lavenir.

    Dans cet esprit, le Comit National Franais,rejetant les accords signs Munich le 29septembre 1938, proclame solennellement quilconsidre ces accords comme nuls et nonavenus, ainsi que tous les actes accomplis enapplication ou en consquence desdits accords.

    Ne reconnaissant aucun changement territorialaffectant la Tchcoslovaquie, survenus en 1939ou depuis lors, il sengage faire tout ce qui seraen son pouvoir pour que le Rpubliquetchcoslovaque, dans ses frontires davantseptembre 1938, obtienne toute garantieeffective concernant sa scurit militaire etconomique, son intgrit territoriale et sonunit politique.

    Veuillez agrer, Monsieur le Prsident, lesassurances de ma trs haute considration.

    Gnral Charles de Gaulle

    Prsident du Comit National Franais

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    sorte de milice pronazie, se rvlant incapables decontrler la situation.

    Le mouvement prend bientt une telle ampleur qu'ilcommence devenir dangereux pour le Reich. Troisgrandes villes, Cracovie, Budapest et Vienne setrouvent moins de 100 km de la frontire slovaquetandis que les communications entre lAutriche et la

    Hongrie, dune part, et entre la Bohme-Moravie et lesud de la Pologne, donc vers la partie sud du frontukrainien, dautre part, passent par la Slovaquie. LaWehrmacht doit absolument conserver ces voies decommunication essentielles.

    La cavalerie bretonne au galop dans les CarpatesLe 6 juillet 1942, aprs quelques infructueusestentatives, deux jeunes Saint-cyriens, officiers decavalerie, svadent de lOflag VIII G en Basse-Silsie.Les lieutenants Georges Barazer de Lannurien etMichel Bourel de la Roncire7, issus de la vieillenoblesse bretonne, ont hrits du caractre ttu deleurs anctres. Ils ont respectivement 27 et 24 ans et

    nont quune seule et unique ide en tte : reprendrele combat. Rien ne les arrtera et de Lannurienreconnatra plus tard que leur inconscience leur aparfois tenu lieu de courage.

    Leur objectif est de gagner la Turquie et, de l, lesFFL. Ils sont arrts ds le 14 juillet(!) en Slovaquie, 300 mtres de la frontire hongroise. Ils bnficientcependant de conditions de dtention farfelues maissouples et nouent Trnava des contacts amicaux avecdes opposants slovaques. Ils en profitent pourschapper en novembre et sont de nouveau arrtsmais la frontire roumano-hongroise. Aprs leshabituels priples qui les conduisent de prisons en

    forteresses, ils se retrouvent au camp deBalatonboglar suite une efficace intervention delattach militaire franais. De dcembre 1942 juin1944, ils font fonction de responsables administratifsdes vads au sein de la lgation franaise,rencontrant ainsi de nombreux compatriotes.

    Tenus informs de lvolution de la situation enSlovaquie par leurs amis de Trnava et le chargdaffaires slovaque Budapest, M. Krno, ils dcidentdagir. Fin juin 1944, de la Roncire fait un premiervoyage en Slovaquie et en revient avec lassuranceque larme slovaque pourrait prendre en charge desFranais. Ils se lancent alors dans le recrutement et,

    fin juillet, sont rejoint par le lieutenant Poupet,laspirant Tomasi et une vingtaine de sous-officiers etde soldats.

    Le groupe sorganise et table sur la possibilit derecruter environ 400 hommes parmi les vadsfranais prsents en Hongrie, chiffre jamais atteint.Nos deux cavaliers dcident alors de se partager latche: Lannurien prend le commandement de lunit etde la Roncire se charge du recrutement et dudangereux convoyage des volontaires franais deBudapest la zone de rassemblement en Slovaquie.

    Un nouveau voyage le 2 aot apporte quelquesdceptions: la rvolte de larme nest pas imminenteet le temps presse, la situation du groupe est instableet risque. Cependant, Ludia Zejczova, que nos deuxcavaliers connaissent depuis 1942, a le contact avec

    les maquis de la valle du Turiec. Le sort en est jet:les volontaires franais rejoindront les Partisans.

    Une frontire de plus vers les combatsLe premier dtachement franais arrive le 14 aot

    dans la valle de Kantor via Turciansky Svaty Martin(Saint-Martin du Turriec) aprs un priple hasardeux.

    De la Roncire nest pas du voyage et poursuit satche de recrutement et de convoyage avec laidede Ludia Zejczova en Slovaquie et A. Acherey en

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    Georges Barazer de Lannurien

    Georges Barazer deLannurien, issu dunevieille famille de lanoblesse bretonne,est n le 26 dcembre1915 Saint-Servan,petite commune siproche de Saint-Maloquelle lui a trattache en 1967.Son pre, mile Barazer de Lannurien (1876 1954) tait gnral et commandait L'coleSuprieure de Guerre en 1936.

    Cest donc logiquement que Georges intgreSaint-Cyr (Promotion 1936 - 1938) et devientlieutenant de cavalerie, il a de qui tenir.

    Affect au 5me rgiment de Cuirassiers, lun desderniers rgiments cheval de larme franaise,il combat en Belgique et en Argonne du 10 au 23mai 1940, de l'Argonne la Somme du 24 maiau 1er juin et au sud de la Somme et enNormandie du 5 au 11 juin. Le 8 juin le rgimentse porte en direction de Neufchtel. La divisionse regroupe Yvetot. Il s'agit d'une retraiteinexorable au gr des combats livrs avec

    honneur, et dans le sang des Cuirassiers. Auhasard des tapes des groupes se forment pourrejoindre Saint-Valry-en-Caux qu'ils doiventtenir pour permettre un embarquement destination de l'Angleterre. Il s'agit d'une missionde sacrifice! Les 10 et 11 juin Saint-Mdard-en-Jalles est en feu, c'est la fin de la lutte, lacaptivit pour ceux qui ont chapp la mort,dont de Lannurien.

    Il russit s'vader de son camp en Silsie le 6juillet 1942 et gagner les montagnes slovaquesvia la Hongrie. Il ne rentre en France que fin mai1945.

    Rest dans larme aprs la guerre, GeorgesBarazer de Lannurien commande le 1er rgimenttranger de cavalerie en Algrie en 1961 - 62puis dmissionne de larme la fin de la guerredAlgrie. Il est cependant rappel et exerce desfonctions au SDECE avec le grade de colonel.

    Il a un jeune cousin, Franois Barazer deLannurien (1927 2006), qui fut Waffen-SSdans la Division Charlemagne.

    Il est dcd Roscoff le 1er mars 1988.

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    Hongrie o, suite linvasion allemande de mars 44, lascurit est de plus en plus difficile assurer.

    Trs rapidement, dautres volontaires arrivent, dontlaspirant Tomasi. Les effectifs sont de 99 hommes au28 aot, date du premier engagement, puis de 145 le2 septembre. Le maximum, 197 Franais, est atteintfin octobre 1944.

    Le parcours des franais

    Mais larme et la police hongroise ont renforc lescontrles sur la frontire slovaque. De la Roncire estarrt son 11me passage. Il tente de svader maisest bless dun coup de baonnette au poumon. Aprsun sjour lhpital et la forteresse de Komarom, ilsvade (encore!) et russit rejoindre Bucarest djaux mains de lArme rouge.

    Deux autres officiers arrivent le 12 septembre, leslieutenants J.L. Lehmann et J.P. Geyssely. En cours deroute, ils font halte aux usines Skoda Dubnica enHongrie. Environ 400 Franais requis du STO ytravaillent. Malgr les interventions de certains cadresissus des Chantiers de Jeunesse, 54 dentre eux sejoignent aux volontaires, dont deux officiers, lecapitaine G. Forestier et laspirant P. Donnadieu.

    Notons galement la prsence dvads belges parmiles volontaires: Henri Dervaux, Grard Dozo, GastonHubrechts, Alphonse Lehert et Albert Leroy. Ils sontrejoints par des compatriotes vraisemblablementvads de camps de travail : Robert De Maertelere(tu Strecno), Louis Pirson, Roger Van der Heyden(mort au combat) et Albert Froidure.

    Ces prilleux passages de frontires et voyages dansdes zones surveilles par la Gestapo seraientmortellement dangereux sans de solides complicitslocales. De nombreux Slovaques sont ainsi tour tourconvoyeurs ou fournisseurs dabris srs, certains y

    laissant leur vie. Louvrage de Monsieur BohusChoupek8 leur rend un hommage mrit: leboulanger de Sered, la Dame Blanche, Vlado, LadislavDzurany (qui servira plus tard dinterprte la BrigadeFoch et sera dcor de la Croix de guerre avec palmes

    titre posthume), Ludia Zejczova et dautresmodestes hros sans lesquels laventure desvolontaires franais naurait pas t possible.

    Constitution de la Brigade StefanikCest le 12 aot 1944 quest cre dans la valle deKantor une bien trange unit. La rgion de Turiec, depar son terrain montagneux, est propice la

    constitution demaquis et ds fin1943, des volontairesslovaques, mais aussides vads dediverses nationalits,surtout slaves,plongent dans laclandestinit etsorganisent dans lesforts avec le soutiende militaires,gendarmes et civils dela rsistance slovaqueen pleindveloppement. Alorsque ces partisans sonten cours de formationet dorganisation, unpremier groupe deparachutistessovitiques est lchsur la zone les 26 et27 juillet 1944 sous lecommandement du

    lieutenant-colonel Petr Alexjevic Velicko de lArmerouge. Le contact est rapidement tabli avec les

    partisans et, dun commun accord, ils se regroupenten direction de Kantor partir du 8 aot.

    Le 12 aot donc voit la naissance de la 1re brigade departisans tchcoslovaques, baptise Gnral M.R.Stefanik9, comptant environ 340 combattants sesdbuts, sous les ordres de Velicko et disposant duncontact radio avec le quartier gnral des partisansukrainiens bas Kiev. Le contact est galement tabliavec les autorits de la rsistance slovaque ds le 13aot par une visite du lieutenant-colonel Jan Golian,chef du comit militaire qui prpare linsurrection.

    Ne du rassemblement de volontaires de nationalitsdiverses et varies, la Brigade Stefanik prsentetoutes les caractristiques de ce cosmopolitisme tantha par les nazis. Il ne manque plus quil arrive desFranais dans ce ramassis de sous-hommes ! auraitpu dire Goebbels.

    Les Franais arrivent le 15 aot 1944.

    Le premier groupe, 7 hommes propres, dont Georgesde Lannurien, habills en civil et sans armes, suscitede la mfiance chez les partisans hirsutes armsjusquaux dents. Ils passent la nuit la belle toile enattendant le retour de Velicko. Grce linterprteVladimir Iersov, personnage tonnant, professeur demusique et Russe blanc ancien officier du Tsar, les

    deux soldats se comprennent rapidement et Velickoaccepte ce renfort inattendu. Barazer de Lanurienrussit imposer ces quelques conditions:

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    Detva, octobre 1944. De gauche droite: capitaineForestier, lieutenant Geyssely, capitaine de Lannurien,

    professeur Iersov, commissaire colonel Rapkov,lieutenant Lehman, capitaine X., chef dE.M. de la

    brigade (collection Lannurien)

    Les Franais sont regroups dans leur propre unit nerendant compte quau chef de la Brigade;

    Ils sont quips et arms par la Brigade;

    Ils ne sont pas engags contre les Hongrois;

    Ils seront dirigs vers les forces franaises dslarrive des forces rgulires sovitiques;

    Leur arrive sera signale la Mission MilitaireFranaise Moscou.

    Lattitude des premiers volontaires impressionne lespartisans et les fait rapidement accepter: discipline,comptence pour monter leur cantonnement,organisation, il est visible quil sagit de soldats et pasde bleus.

    Le 23 aot, ils reoivent de la radio de Kiev laconfirmation que les autorits militaires franaises etsovitiques expriment leur accord au sujet de lUnitfranaise et que le lieutenant de Lannurien estconsidr comme le chef des Franais se trouvant enSlovaquie et nomm capitaine titre temporaire.

    Lunit connat plusieurs appellations au cours de sacourte existence: Groupe franais, Compagniefranaise, Lgion de Combattants, Brigade Foch etenfin, la grande surprise de son chef, elle est

    officiellement dsigne comme Compagnie ducapitaine de Lannurien aprs la guerre.

    Dclenchement de lInsurrection NationaleSlovaqueLInsurrection Nationale Slovaque clate le 29 aot1944. Le 30 aot 1944, le Conseil National Slovaques'adresse la nation par la station de radio Slovaquielibre et appelle le peuple rsister.

    En quelques jours, une arme forte de quelque 30000hommes, compose de nombreux lments de lapolice et de l'arme slovaque, mais aussi renforce parprs de 15000 partisans se forme et libre une trsgrande partie du pays. Toute la partie centrale autourde Banska Bystrica, soit une superficie quivalant deux dpartements franais, chappe augouvernement de Bratislava et passe sous l'autorit dela Rsistance en septembre 1944. Une brigade

    tchcoslovaque forme et entrane en URSS estparachute au centre de la Slovaquie la fin deseptembre.

    Cependant les Allemands et le gouvernement pronazide Mgr. Tiso, sont rests matres de Bratislava et detoute la rgion des plaines. Le gnral SS Berger,commandant des SS et de la Gestapo en Slovaquie,

    qui est surpris de l'ampleur de l'insurrection mais quisait que les troupes slovaques insurges sontinexprimentes, s'efforce ds le 29 aot, de remonterla valle du Vah en direction de la capitale dumouvement insurrectionnel.

    Aprs de violents combats de chars et des attaques del'aviation, l'arme allemande russit s'emparerd'Handlova, Turcianske, Martin et Telgart, puis, aprsun court rpit, fin septembre, sur l'ordre personnel deHimmler, l'offensive allemande reprend avec l'appuid'autres formations envoyes en renfort: il dispose deprs de 45000 hommes et envoie la 19me division deGebirgsjger SS de la Moravie vers Zilina, la 86me

    division de Pologne vers Kezmarok, la 20me divisionWaffen-SS du sud-ouest vers Trnava et la 108me

    division de Kosice vers Spisska Nova Ves.

    La situation des insurgs ne tarde pas devenirintenable. la fin octobre, le gnral Viest, quicommande l'insurrection en remplacement du gnralGolian tu au combat, donne l'ordre toutes les unitsslovaques de se disperser, de passer dans laclandestinit ou de chercher rejoindre l'armesovitique. Cest la fin de lInsurrection mais lescombats continuent avec les partisans.

    Le cas de la Panzerdivision TatraEn aot 1944 a lieu la cration de la PanzerdivisionTatra, compose de troupes htroclites telles que desunits dinstruction et divers groupes de services dechars et rservistes de la Heer. Le nom Tatra serfre une chane de montagnes, les Tatras quistendent de part et dautre de la frontire polono-slovaque.

    Elle est appele combattre sous le commandementdu Generalleutnant Friedrich-Wilhelm von Lper dansles Petites Carpates dans le secteur de Malacky enSlovaquie en remplacement de la 178me Panzer-Division et est charge de la rpression contrel'insurrection et, plus tard, charge de la rpressioncontre les partisans en Moravie du Sud. Le 29 aot1944, a lieu le premier engagement de lunit Cadcaau nord-ouest de la Slovaquie, puis on la retrouve le31 aot la bataille de Streno, o se trouvent lesFranais. De septembre dcembre, les units de laPanzerdivision Tatra sont dissmines et chaquegroupe continue la lutte anti-partisans dans les PetitesCarpates et en particulier Vrutky (10-21 septembre)et Zilina.En dcembre 1944, aprs l'crasement delinsurrection Bansk Bystrica, la division blinderevient dans sa zone de formation et est renommeDivision Tatras10.

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    Les combats de la Brigade FochCes batailles, de par la disposition du terrain et le cruelet permanent manque de moyens de communication,sont embrouilles, complexes. Nous en rendonscompte ici de manire trs synthtiqueessentiellement au travers du Journal de marche delunit, dune scheresse de bon aloi, les sourcesdorigine slovaque ayant tendance enjoliver lesexploits de Georges de Lannurien et de ses hommes,ce qui est sympathique mais peu conforme au besoindexactitude.

    Les combats des volontaires franais se droulent en 2phases:

    - Combats conventionnels dans le cadre delInsurrection Nationale du 28 aot fin octobre 1944.

    - Gurilla de Partisans, ncessitant une dispersion delunit, de novembre 1944 janvier 1945.

    Batailles la rgulireStreno -VrutkyLe 29, le groupe franais est envoy la rescousse departisans slovaques aux prises avec lennemi Varin.Les combats se terminent par une chasse lhomme,les survivants allemands se noyant en tentant depasser la rivire Vh. Le dernier poste allemand deVarin tombe dans la nuit, ce qui vaut une lgreblessure la tte au sergent Peyras.

    Le 30, les Franais sont incorpors dans le dispositif debouclage de la voie ferre de Strenoet deux picesde 88 sont mises leur disposition. Cest ce jour quele capitaine de Lannurien russit dbarrasser son

    unit du commissaire politique quon lui avait attribuet faire nommer Vladimir Iersov traducteur officiel.

    Les deux premiers chars allemands, des Tigresprobablement de la division Tatra, se prsentent le 31au matin. Leurs tirs dispersent les artilleurs slovaques,le lieutenant Poupet les remplace avec quelquesvolontaires, dtruisant un char mais est grivementbless. Le soldat Jurmande immobilise lautre charmais les attaques de linfanterie allemande menacentdencercler les Franais. Lunit recule sur ordre vers13h30.

    Le 2 septembre, lunit doit repousser vers Streno

    des Allemands infiltrs sur la rive de la rivire Vhmais sont arrts par des soldats camoufls sur lescrtes qui bloquent aussi des sections slovaques.Peyras est en difficult, Tomasi est tu, les pertes sontlourdes. Le recul se fait sous le feu des Stukas, lemoral des Franais est bas, ils se sont sentis isols, deLannurien et Picard doivent compenser le manque deradio par des incessants aller-retour dune section lautre sans mme savoir o sont les Slovaques et lesSovitiques qui pourtant se battent proximit.

    La compagnie est ensuite envoye lattaque dePriekopa avec un bataillon sovitique et unecompagnie slovaque. Le combat sengage lavantage

    des Slovaques et des Franais qui repoussent lesAllemands lintrieur de la ville, mais au prix depertes srieuses, 12 blesss et 4 morts dontladjudant-chef Feunette. Mais pour russir, le planexige que le bataillon Souvoroff encercle Priekopa par

    la droite. Une fois de plus, le manque cruel de moyensde transmissions fait chouer lopration, les ordresayant t transmis trop tard et sans prcision.

    Les volontaires franais sont alors replis surTrebostovo en rserve et exploitent ce repos pour serorganiser, intgrer des nouveaux arrivs et

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    La bataille de Strecno

    29 30 aot 1944

    2 septembre 1944

    S = infanterie slovaqueF = compagnie franaiseBS = Bataillon Souvoroff

    Progression allemande

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    percevoir des vhicules en nombre suffisant pourtransporter tous les volontaires qui deviennentLgionnaires. Georges de Lannurien doit aussi jouerles diplomates entre le colonel Velicko et le gnralGolian, commandant des forces tchcoslovaques, lesdeux officiers se disputant le commandement de laLgion des Combattants, les deux tats-majorsrivalisant dinvitations en faveur des Franais et deparoles enthousiastes. Le chef de la nouvelle Lgion enprofite pour armer ses hommes jusquaux dents avecdu matriel amricain et allemand issus des stockssovitiques et slovaques.

    Svaty KrizLunit est envoye avec la Brigade Stefanik le 21septembre vers Martin-Banska Bystrica. La rgion estpeuple de Schwab, minorit germanophone quiattend la Wehrmacht. Trois compagnies dinfanterie etdeux batteries dartillerie slovaques y sont en situationprcaire, les Allemands sinfiltrant dans les valles.

    Sur ordre du colonel Velicko, des combattants

    slovaques sont adjoints aux Franais, de Lannuriennen nacceptant que soixante sous les ordres du sous-lieutenant Maco, un ancien de la Lgiontchcoslovaque en France.

    Le scnario de Priekopa se reproduit alors autour dubourg de Janova Lehota: le capitaine Forestier attaquele 24 septembre vers 18h15 avec deux sections, sadroite protge par la section Peyras qui est accrochepar des lments ennemis mais les repousse. Forestierinvestit la ville mais, sans renfort, doit se retirer lanuit aux abords.

    Une tentative plus consquente a lieu le lendemainavec tout le bataillon franais et le bataillon sovitiqueSouvoroff. Malgr lchec de la prparation dartillerie(perte de liaison avec leurs observatoires), les Franaisavancent au prix de srieuses pertes (2 tus, 5blesss) mais lappui attendu sur la droite fait dfautet lattaque est interrompue sur ordre de la brigade.Une fois de plus, ce sont les problmes decommunication qui ont raison des volontaires.

    En ligne de dfense autour de Svaty Kriz le 26septembre, le bataillon franais est attaqu en soirepar de fortes units allemandes quipes de blinds.Les Slovaques et les Sovitiques se replient mais lesFranais, pas ou mal prvenus, se retrouvent enlair et ne doivent qu linitiative de leur chefdviter, de justesse, lencerclement.

    La brigade Stefanik est retire du front le 28septembre et regroupe sur Detva ou elle restera enreformation une dizaine de jours.

    KrupinaDu 10 au 19 octobre ont lieu dans la zone de Krupinales derniers combats des Franais dans le cadre delInsurrection Nationale slovaque. Le territoire librrtrcit, les nouvelles alarmantes se multiplient, lesrenseignements sont fantaisistes et lescommunications pires que jamais.

    Les Franais vont se battre plus dune semaine dansdes zones dj patrouilles par les forces allemandes,faisant croire aux Allemands quils sont partout et nullepart, gnrant de leur part une grande consommationdartillerie sur des zones vides. Des isols rejoignent le

    bataillon Foch qui multiplie les actions meurtrires desa propre initiative. Mais, en cherchant quelquesheures de repos Senohrad, village thoriquementcalme, le bataillon se trouve attaqu par des blindsallemands et dispers avec de lourdes pertes dontcelle du lieutenant Lehmann.

    Toute rsistance organise cesse le 25 octobre, cest la

    fin de lphmre Slovaquie Libre.

    Gurilla de Partisans

    Novembre, mois de survieLa brigade donne un ordre de regroupement versJasena. Les lments slovaques et sovitiquesprcdent les Franais qui, disperss Senohrad,cherchent se regrouper en route, mais en vain: lasection Geyssely est reste en Slovaquie du Sud et lecapitaine Forestier, disparu avec quelques hommes,est fait prisonnier et fusill avec deux autres Franaispar les SS Kreminca. Les Slovaques disparaissent encours de route, se fondant dans la population civilecomme les membres de larme rgulire slovaque. Ilsreprendront le combat quelques mois plus tard.Menantdes combats darrire-garde, le bataillon, ou du moins

    les lments regroups autour de Georges deLannurien, avance avec difficult, pourchass par lesSS aids des Guardians slovaques. La dysenterie et lespieds gels affectent les hommes qui manquent denourriture et de mdicaments.

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    10 19 octobre 1944Krupina La fin de l'Insurrection nationale

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    Ayant perdu le contact avec ltat-major du ColonelVelicko, de Lannurien est contraint de faire clater soneffectif en groupes de six hommes pour avoir plus dechances datteindre Kosice. Passant par les hauteurs,dans la neige, avanant pniblement, devant leursurvie au courage des paysans slovaques qui lesguident et les nourrissent, les Franais atteignent laSlovaquie du Sud dbut dcembre.

    PartisansDe dbut dcembre 1944 jusquau 14 janvier 1945, deLannurien et ses hommes mnent la vie des partisansdans la rgion de SlovenLucenec. LArme rougeavance dans les plaines hongroises et le Bataillon Fochse livre sans rpit des oprations dembuscades lelong des routes slovaques o circulent aussi bien destroupes allemandes montant au front que des fuyardsen retraite.

    Ces hommes, faits prisonniers en 1940, ont lasatisfaction de faire des prisonniers leur tour,Hongrois en retraite. Mais ne sachant quen faire, ilsles librent aprs les avoir dlests de leurs armes,leur matriel et des vaches et moutons quilsconvoyaient.

    Le premier contact avec une patrouille derenseignement sovitique est pris le 14 janvier.

    Quelques heures plus tard, Ozdin, ils rencontrent unbataillon de lArme rouge. Cest la fin de leur longuemarche.

    Comme un poisson dans l'eauLa totalit des tmoignages franais disponiblessaccordent pour louer la gnrosit et lamiti dontles Slovaques ont fait preuve lgard descombattants franais. Le capitaine de Lannurien estpris au dpourvu lorsque, ds aprs les premierscombats de son unit Streno, des comptes-rendusdithyrambiques circulent immdiatement et danslesquels les actes dhrosme les plusinvraisemblables furent attribus nos soldats11.

    Lamicale hospitalit des Slovaques se manifeste aussidans les temps de disette: Nous navions pourassurer le ravitaillement que laide de la population quimalgr la menace de svres reprsailles nous atoujours soutenu au maximum de leurs moyens ennourriture 12.

    La presse des autorits de lInsurrection Nationale

    nest pas en reste et Le Combattant, organe delarme tchcoslovaque oprant depuis BanskaBystrica ainsi que La voix de la nation, publi partirde Zvolen, et CAS, organe central du Parti Dmocrate

    11

    Ordre de bataille du Bataillon Foch au 25 octobre 1944

    Capitaine commandant: Capitaine Georges de Lannurien

    Adjoint: Capitaine Forestier

    1 section de commandement: Adjudant-chef Bronzini

    6 sections de fusiliers:

    4 franaises*: Lieutenant Geyssely - Lieutenant Lehmann, adjoint sergent-chef Wattre - Marechal des logis-chef Peyras - Adjudant-chef Lafourcade

    2 slovaques: Sous-lieutenant Maco - Adjudant Hanak

    1 section dappui feu: (Marchal des logis-chef Cornebois) comprenant:

    Un groupe de mitrailleuses (dtach aux sections slovaques)

    Un groupe de mortier (sergent Salvator Arditty)

    Un groupe antichar (caporal-chef Maurice Lerouge)

    Un groupe de sapeurs-mineurs (sapeur Raoul Chevreau)

    1 section transport et ravitaillement: Adjudant armurier Guichard1 groupe dinfirmires

    Effectifs: 296 (197 Franais, 5 Belges, 90 Slovaques et Yougoslaves dont 36 francophones dans les sectionsfranaises, 4 infirmires slovaques bilingues dont Pim, Marianna et Rosemaria)

    * Les 7 sections de combat ne sont pas officiellement organises en compagnies mais les Franaisappelleront leurs 4 sections compagnie Leclerc.

    55 Franais et, notre connaissance, 2 Belges tombrent pendant les combats de Slovaquie. Unequarantaine furent blesss.

    Matriel :

    17 mitrailleuses lgres, 2 mitrailleuses lourdes, 46 fusils-mitrailleurs, 3 fusils-antichars, 2 mortiers de 80

    mm, plus fusils et pistolets.2 camions de 6 tonnes, un de 5 tonnes, 3 voitures, 1 vhicule de transmissions, 3 motos, une cuisineroulante.

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    en Slovaquie ouvrent leurs colonnes aux Franais tantquils sont en mesure de faire tourner leurs rotatives.

    Aux cots dentretiens de volontaires franais et decomptes-rendus de leurs combats, on trouve danscette presse des remerciements manant des hommesdu capitaine de Lannurien:

    La lgion franaise qui combat en Slovaquie a reudans tous les villages et villes un accueil si chaleureuxquelle saisit la premire occasion pour exprimer parcette voie lmotion sincre et la reconnaissance destous les hommes de la lgion (La Voix de la Nation,22 septembre 1944).

    Il faut noter que la bonne tenue de lunit participegalement sa rputation. Contrairement auxagissements de la soldatesque qui a infest lEuropecentrale pendant des sicles, les Franais ne volentpas, ne rquisitionnent pas, ne se mlent pas desrglements de comptes politiques. Sils ne sont pasinsensibles aux charmes de la population fminine

    slovaque, ils ne violent pas, disposant de techniquescaractristiques de la culture franaise pour obtenir depacifiques redditions sans conditions.

    Au sujet des ventuels problmes politiques, leurinfluence au sein de la Brigade Stefanik est dailleurstrs rduite. Les cadres sovitiques comme lesSlovaques sintressent essentiellement lacombativit des volontaires qui, tous, sont considrsuniquement comme des antifascistes. Les Franaisont mme un aumnier amicalement baptisFranzousky Pope par les Sovitiques.

    Un retour en France parfois difficileLclatement de lunit suite aux alas des combats de

    partisans fait que les Franais sont rattraps parlavance victorieuse de lArme rouge des dates etemplacements diffrents courant janvier-fvrier 1945ce qui complique singulirement leur rapatriementvers la France. Lambiance de mfiance mutuelle quicommence sinstaller entre Sovitiques et Allisoccidentaux ds la fin des combats en mai 1945namliore pas les choses.

    Les parcours sont varis, traversant lEurope dans tousles sens au milieu des cohortes de personnesdplaces errant lpoque en Europe centrale.Environ la moiti des combattants franais sontrapatris partir de Budapest par des avions

    amricains. Pour dautres, cest le bateau dans le portdOdessa, avec des interns de Hongrie qui ne lesont pas rejoints au combat mais qui sactivent pourdes embarquements clandestins, ayant choisi derentrer en France avec leur amies hongroises. Chacunsa prise de guerre, la gloire pour certains, des bellespour les autres.

    Andr Ringenbach arrive en France le 15 mai 1945,Raymond Vi le 31 juillet par exemple. Ds larrive enFrance, les volontaires regagnent tous immdiatementleurs foyers quitts cinq ans auparavant pour laplupart dentre eux. Les mauvaises surprises sont lelot de certains.

    Georges de Lannurien est charg de rendre compteaux autorits militaires et dofficialiser son unit sur leplan administratif avant de la dissoudre. Ce travailnest pas simple, son unit tant compltement

    inconnue malgr la citation lordre de larme qui luifut dcerne par Charles de Gaulle en dcembre194413.

    Cest cependant par une dcision ministrielle du 22juin 1945, soit avant le retour des derniersvolontaires, quest officiellement cre la Compagniedu Capitaine de Lannurien. Selon Georges de

    Lannurien, son travail est facilit par lintervention enhaut lieu de son camarade de promotion Alain deBoissieu, futur gendre de Charles de Gaulle et lpoque membre de son cabinet.

    Des Franais plus clbres en Slovaquie que chezeux

    La sympathie dont les Franais bnficient de la partdes civils slovaques et le respect que leurs camaradessovitiques et slovaques leur tmoignent durant laguerre ne disparaissent pas avec la paix et leur dpart.

    12

    Citation lordre de larme

    Dcision ministrielle N264 du 9 dcembre1944

    Le Groupe des Partisans Franais en Slovaquie,magnifique unit, issue de la volont dereprendre les armes et de participer aux

    combats librateurs d'un groupe de Franaisvads des geles allemandes, sous l'nergiqueimpulsion du Capitaine de Lannurien, duLieutenant Poupet et du Sous-lieutenant Tomasi,participant brillamment aux actions des partisansen Slovaquie, harcelant l'ennemi sans rpit, luicausant de fortes pertes et dtruisant sescommunications,

    combattant loin de la Mre Patrie, souvent isolau milieu des forces ennemies, fait l'admirationde ses camarades russes par son ardeur aucombat, son audace et ses hautes vertusmorales.

    Constitue un vivant tmoignage du patriotismefranais.

    Cette citation comporte l'attribution de la Croixde Guerre avec palmes.

    Moscou le 9 dcembre 1944

    De Gaulle

    Extrait certifi conforme* Paris le 19 novembre1945

    Le Gnral Gentilhomme, Gouverneur militaire

    de Paris, Commandant la Rgion de Paris,P.C. Le Colonel Ferre, Sous Chef d'tat-major

    Sign: Ferre

    *Cette copie certifie a t demande par leCapitaine de Lannurien qui aprs la guerre a tcharg de rgulariser les dossiers de seshommes puis de dissoudre lunit.

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    Aujourdhui encore, les tombes des Franais morts enSlovaquie sont toujours fleuries, leur souvenir nestaffect daucune rserve. Dinnombrables publicationsles ont clbrs et les clbrent encore. En URSS.mme, grce la fidlit de leurs camarades decombat sovitiques, les partisans Franais ont t etsont frquemment cits.

    Cette reconnaissance slovaque a eu raison des alasde la guerre froide: les volontaires ont t invits enSlovaquie en 1949, pour un sjour d'un mois dans unestation thermale, et le gouvernement tchcoslovaque arig en 1956 un imposant monument en leurmmoire Streno, lieu de leurs premiers combats.Tous les ans, lors de la clbration de lanniversaire delInsurrection Nationale, des crmonies et dpts degerbes y ont lieu sous lil vigilant dune gardedhonneur de larme slovaque et les vtrans franaissont invits.

    Les plaques apposes ailleurs en lhonneur ducommandant de lunit sont nombreuses, le capitainede Lannurien tant l-bas Georgesovi Barazerovi deLannurienovicomme indiqu sur une plaque inaugurepour le cinquantenaire en juillet 1994 et due tefanaPelikna, clbre artiste slovaque.

    A cette date fut aussi mis en service par les PostesSlovaques un timbre libell NA VEN SLVU SYNOMFRANCZSKA ( la gloire ternelle des fils de France)dessin par le mme artiste.

    Les rsistants de la dernire chanceLe titre du livre de recherche et dhommage auxFranais de Bohus Choupek, qui devint ministre desAffaires trangres de la Rpublique tchcoslovaque,est parfaitement adapt au cas de ces hommes: pluttconfortablement labri en Hongrie, librs descontraintes imposes par les Allemands dans leurscamps, ils savent que lArme rouge approche commeun rouleau compresseur, que les Allis occidentaux ontchasss lAfrika Korps dAfrique du Nord, que le CEFIFranais est dj en Italie, bref que le Reich na plusdautre alternative que la retraite et, malgr tout, ilschoisissent de reprendre les armes et tirent leurspremiers coups de feu en Slovaquie le 28 aot 1944,soit aprs le dbarquement de Normandie, aprs celuide Provence et aprs la Libration de Paris!

    Ctait vraiment leur dernire chance de se battre.Cette chance, ils la cherchent, lesprent, depuis desannes, probablement depuis lhumiliation de juin1940. Ils la tiennent, enfin, et ne la laisseront passchapper ! Cest dans les Carpates, peu importe. Ilsauraient trouv une unit de la Wehrmacht enPatagonie Orientale, cela aurait tout aussi bien fait leuraffaire. Cette rage qui les habite fait penser un titrede livre qui les concerne, il sagit de nos soldats de1940: Comme des Lions14.

    Ces lions l, ils ont pass quelques annes au zoo, aucirque, enchans et fouetts puis, par un beau matinde lt 1944, ils brisent leurs chanes et dvorentleurs dompteurs. Sil avait eu le temps de soccuper decette affaire, Adolf Hitler y aurait peut-tre vu une deces lois de la nature quil affectionnait, celle du plusfort. Mais, dans le cas de Georges de Lannurien et deses hommes, la force tait morale, dpassantlargement les concepts classiques de patriotisme, desens du devoir et de lhonneur militaire.

    LInsurrection Nationale laquelle ils ont particip futtrs bnfique la Slovaquie malgr son chec partiel.En effet, elle a permis ce petit pays alignofficiellement sur les nazis de retrouver son honneuret de ne pas tre en situation de vaincu coupable la fin de la guerre. Linsurrection fut la fois laRsistance et les Franais Libres de la nation slovaque.Il nest donc pas surprenant que leur reconnaissanceenvers ces brigades internationales dure toujours.

    Aux cts des combattants slovaques, il y eu en effet

    des Franais, des Belges, des Russes, des Polonais,des Ukrainiens, des Bilorusses, des Yougoslaves, desTchques, des Hongrois, une mission militairebritannique (SOE), une amricaine, et dautresnationalits, certaines sources en dnombrent 24.Ironie de lHistoire, certains, en face, parlaient deCroisade Europenne pour dfinir leurs proprescombats.

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    Monument commmoratif Strecno (col. Lannurien)

    Notes:[1] Claude Girard, La mdaille des vads, Farac.org.[2] Jean-Louis Crmieux-Brilhac, Prisonniers de la

    libert. L'Odysse de 218 vads par l'URSS.1940-1941, Paris, Gallimard, 2004. Lauteur faisaitpartie de ce groupe dvads.

    [3] Georges de Lannurien signale en particulier R. deDampierre, chef de la mission, Ch. De Charmasse,charg daffaires, colonel A. Hallier, attachmilitaire, J.-L. Lehmann, attach commercial quirejoignit les volontaires et fut tu au combat enoctobre 1944, Mlle A.-M. Durand, secrtaire et M.Claudon, consul Kolozsvar (RHA no.1, 1984, P.74, note 6).

    [4] I. Lagzi dans Rfugis polonais et franais enHongrie, 1939-1945, racontep. 667 cet pisode

    avec le ton dun homme qui est visiblementfrancophile.[5] Environ 45000 hommes, sous le commandementde Ferdinand Catlos, ministre de la Dfense, etcomprenant la Brigade Pilfousek et deux divisionsdinfanterie dont une motorise. Suite aux perteset au manque de motivation des troupes, lesunits slovaques sont retires du front en t1944 et replies en Italie en bataillons detravailleurs, selon Slovakia: Hitler's Slavic Wedge,1938-1945de Mark W. A. Axworthy sur AxisHistory.

    [6] Voir texte de laccord en annexe.

    [7] Michel Bourel de la Roncire, promotion Saint-Cyr1939-1940, est dcd Paris le 30 septembre2006.

    [8] Bohus Choupek, Les Rsistants de la dernirechance, des Franais dans les maquis slovaques,

    Jacques Grancher, 1986.[9] En mmoire du gnral Milan Stefanik, hros

    national slovaque, ancien officier de larmefranaise, tu dans un accident davion en 1919.

    [10] Selon le Lexicon der Wehrmacht http://www.lexikon-der-wehrmacht.de .[11] Journal de marche de lunit, 31 aot 1944.[12] Raymond Vi, interview par lauteur, voir texte

    en annexe, novembre 2009.

    [13] Voir texte de la citation en annexe.[14]Comme des Lions, Dominique Lormier, Calmann-

    Lvy, 2005.

    BibliographieDuan Halaj, Lubomr Moncol, Jn Stanislav, Francuziv Slovenskom Narodnom Povstani (Les Franais danslinsurrection nationale slovaque), Bansk Bystrica,

    Bratislava, 2003, traduction franaise par lAmicale desCombattants Volontaires Franais de Slovaquie.

    Bohus Choupek, Les Rsistants de la dernire chance,des franais dans les maquis slovaques, JacquesGrancher, 1986.

    I. Lagzi, Refugis polonais et franais en Hongrie,1939-1945in tudes historiques hongroises, AcadmieKiado, Budapest, 1985.

    Colonel Georges de Lannurien, Les Combattantsfranais en Slovaquie (aot 1944-fvrier 1945), RevueHistorique des Armes, Paris, 1984.

    Andr Ringenbach, Six annes pour la patrie, 1939-1945, compte dauteur, Rouen, 1967.

    Georges Hautecler, vasions russies, ditions Soledi,Bruxelles, 1966.

    Ren Picard, Lennemi retrouv, compte dauteur,Conflans-Sainte-Honorine, 1953.

    RemerciementsEn premier lieu, je tiens remercier chaleureusementMonsieur Raymond Vi, ancien combattant du groupede Lannurien, qui a pris la peine de rpondre mesquestions et de me confier son tmoignage. Jesouhaiterais galement remercier Philippe Monniersans qui cet article naurait pas vu le jour, VincentDupont pour qui Vincennes na plus de secrets,Prosper Vandenbroucke pour ses informations sur lescombattants belges et Krisztin Bene pour ses envoisde Hongrie.

    Dessin extrait de laplaquette dite en Slovaquepour linauguration dumonument de Strecno

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    Entretien avec Raymond Vi

    Daniel Laurent: Ou se situe le dclic qui vous a lanc dans cette glorieuse aventure en Slovaquie? Se portervolontaire ainsi, avec tous les risques que cela impliquait, force ladmiration car vous auriez pu attendretranquillement dtre libr par lArme rouge.

    Raymond Vi: Le dclic? Linimiti viscrale de lAllemand. Dj lcole lAllemagne suite aux guerres de 1870 et de

    1914-18 tait enseigne comme lennemi hrditaire de la France, sentiment renforc par les hostilits de 1939-1940.- Humiliation davoir t dports de force (NDLR: Emmens en camps de prisonniers)

    - Rapports humains dgradants, aucune considration de la personne hormis celle dtre une main duvreuniquement bonne travailler!!! Dans le pass, il y avait eu lesclavagisme noir, les nazis avaient recrslesclavagisme blanc.

    Pour toutes ces raisons et bien dautres encore, sans hsitation aucune, on a saut sur lopportunit de svader et depouvoir se battre contre les Allemands qui lpoque occupaient presque lEurope entire et la France en particulier!

    DL: Votre Histoire, et celle de vos camarades, reste peu connue en France, mme de nos jours. quoi attribuez-vousce silence?

    RV: Cela est du en premier ce que le mouvement de rvolte contre les troupes allemandes ait eu lieu dans un pays

    dEurope centrale, donc bien loin de la France. galement parce que le nombre de Franais ayant particip cetteinsurrection slovaque tait peu lev (200 environ) et que les vnements du front Est taient sans importance. Etpour finir les tmoins et principalement les officiers nont pas su faire valoir auprs des autorits militaires daprsguerre cette action patriotique de quelques Franais qui luttrent courageusement pour la reconqute dune Libertperdue, certains ne pensaient qu leur carrire personnelle!

    DL: En Slovaquie, par contre, votre mmoire est connue et honore. Quelques mots dire au sujet des Slovaques,eux aussi trs peu connus en France?

    RV: Leur Insurrection Nationale contre loccupant nazi a t pour tous les Slovaques un fait historique faisantladmiration de tout un peuple et, sachant quune poigne de Franais stait jointe leur rvolte et avait combattu leurs cots, il tait naturel pour eux de nous en tre reconnaissant dautant plus que la majorit des Slovaques taittrs francophile, ce qui dailleurs nous aura t trs utile quand aprs la reddition du mouvement insurrectionnel le 27

    octobre 1944 nous avons du prendre le maquis pour continuer la lutte. Nous navions pour assurer le ravitaillementque laide de la population qui malgr la menace de svres reprsailles nous a toujours soutenus au maximum deleurs moyens en nourriture.

    DL: Vous avez combattu pour librer la Slovaquie du joug nazi. Ce pauvre pays est ensuite immdiatement passsous le joug stalinien. En avez-vous conu du ressentiment?

    RV: Aprs 1945, nos contacts avec la Slovaquie et avec quelques amis slovaques, du fait de lloignement de ce payset des difficults de langage, ont t nuls. De plus les informations franaises sur le systme des Rgimes de lEstltaient galement do notre ignorance de ce que pouvait endurer ce pays que nous aimions tant. Par contre aprs1980 les rapports entre nos deux pays se sont resserrs et rgulirement ont eu lieu des rencontres soit en Francesoit en Slovaquie et des dlgations ont t invites participer des crmonies honorant les deux pays. Aujourdhuion peut dire que la Slovaquie a retrouv sa Libert de pense.

    DL: Quels ont t vos contacts avec les soldats de lArme rouge?

    RV: Durant les hostilits les contacts avec les Russes ont t sans problmes majeurs, cest grce leur avance quela rgion de Banska Bystrica o se trouvait le maquis auquel jappartenais a t libre en avril 1945, aprs quoi lecommandement russe ma fait un laisser-passer pour me rendre Kosice o sigeait une dlgation franaise qui apris en charge mon rapatriement et le 31 juillet 1945 jai retrouv La France.

    DL: Quavez-vous dire, conseiller, ceux qui vont lire cette interview ainsi que mon article votre sujet et qui,pour de nombre dentre eux, sont jeunes voire trs jeunes ?

    RV: En prsence de la Ralisation de lEurope qui pour linstant se btit peu peu, il est indispensable que lesjeunes de tous les pays tablissent des relations amicales, culturelles et conomiques malgr le gros handicap dulangage car cest leur avenir professionnel et la Paix dans le Monde qui en dpend.

    DL: Merci Monsieur Vi de votre temps et de votre sagesse!

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    Avant-propos

    Parce que les paroles senvolent et que les critsrestent, cela faisait dj plusieurs annes quejenvisageais de mettre sur papier les nombreux rcitsdont mon pre mavait littralement gav pendantplusieurs dcennies propos de ses annes de guerre.Je ressentais de plus en plus ce devoir de mmoire,cette obligation de prenniser, de transmettre sesdescendants et aux futurs lecteurs les souffrancesmorales et physiques quil avait endures bien malgrlui.Sur le Web, jai pu comparer ses propos avec lescomptes-rendus historiques et les mmoires dautressoldats ayant vcu les mmes msaventures et les

    mmes peurs. Cest ainsi que je me suis rendu compteque sa bonne fe lavait souvent protg du pire.Gaston GEORGES

    Celles En septembre 1938, suite la grave crise engendrepar les revendications dHitler concernant les Sudtes1,la paix europenne est en danger et je suis mobilis Celles (Dinant) au 4me Rgiment, 9me Compagnie desChasseurs Ardennais.

    Photographi lors de mon service militaire en 1934

    Prise de court par la soudainet de cette crise et parlnorme afflux de milliers de soldats mobiliss,larme belge na pas dautre choix que derquisitionner des cantonnements de fortune pour sestroupes. Avec mes compagnons darmes, noussommes logs dans une ferme des environs. Lelogement y est confortable mais les journes loin demon pouse sont interminables.

    Heureusement, cette mobilisation ne va durer que 8

    jours. Lorsque larme se rend compte que la tensioneuropenne baisse et quil ny a plus de danger auxfrontires, tous les soldats sont renvoys dans leursfoyers.

    Pour la petite histoire, cest pendant cette priode queMarcel Koob de Fouches (voir photo sur sa tombe aucimetire de Fouches), poux de Hlne Georges etbeau-frre de Victor Georges, mon cousin, se noieaccidentellement dans la Lesse Ciergnon, bien quilsache nager.

    La Mallieue Une anne plus tard, le 3 septembre 1939, cest nouveau la mobilisation gnrale suite linvasion dela Pologne par larme allemande et au refus de Hitlerde retirer ses troupes 2. Les soldats belges en congillimit doivent rejoindre au plus vite lendroit indiqusur leur ordre de rappel.

    Cette fois je suis mobilis La Mallieue (Amay) sur lesbords de la Meuse, au sud de Lige. Avec quelquescamarades nous sommes cantonns dans la salle duthtre municipal. Le logement y est prcaire, lescommodits sont vtustes et il ny a pas deaucourante. Cest au cur de lhiver que ce manque sefait le plus cruellement ressentir. Nous sommescontraints de faire fondre de la neige pour notretoilette journalire.

    linstar de ma mobilisation Celles en 1938, lesjournes sont toujours aussi ennuyeuses et ellesscoulent toujours aussi lentement loin de monpouse. Jour aprs jour nous procdons amers et

    rsigns aux mmes manuvres le long de la Meuse.De temps en temps, pour casser la monotoniequotidienne 3, nos chefs nous font faire des allers etretours en barque sur le fleuve afin de simuler uneattaque surprise de lennemi. Cest le dbut de laguerre dattente, de la Drle de Guerre 4 comme onla appele par la suite.

    En manuvre sur la Meuse pendant la Drle deGuerre Je suis en 2me position dans la barque

    Heureusement, un dimanche, ce train-train estinterrompu par un vnement aussi agrablequinattendu. Nous sommes trois amis de Fouches ne pas en croire nos yeux lorsque nous voyons sortirnos pouses respectives dune voiture. Linstant desurprise pass, nous reconnaissons galement JulesSchnock. Ce brave homme, horloger de son tat etpropritaire de notre logement Fouches, nous faisait

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    Albert GEORGES - Mes annes de guerreAlbert GEORGES - Mes annes de guerreAlbert GEORGES - Mes annes de guerreAlbert GEORGES - Mes annes de guerrePar Prosper Vandenbroucke

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    une surprise de taille. Avec la complicit de nospouses, il avait prmdit cette visite notre insu.

    Seilles Un peu plus tard nous sommes dplacs plus au sud, Seilles (Andenne), entre Huy et Namur. Cette foisnous avons nos quartiers dans une briqueterie. Il y faittrs poussireux mais heureusement bien chaud. Nosconditions de logement nont toujours pas chang et

    cest toujours la dbrouille qui prime. Pour dormir, jenai pas dautre choix que de me faire un lit de fortunedans de la paille.

    Tout comme La Mallieue, ce sont jour aprs jour lessempiternelles manuvres avec des officiers derserve rappels lors de la mobilisation. Aprs huitlongs mois de cette Drle de Guerre loin de nospouses notre moral est au plus bas. Nous navonsplus quun seul dsir: rentrer au plus vite chez nous.Dailleurs, nous sommes de plus en plus persuadsque cette chance est proche, que Hitler vaabandonner son projet dattaquer la Belgique, quil aeu le temps ncessaire de rflchir aux consquences

    dsastreuses pour ses troupes dune attaque contrenos positions solidement tablies. Ctait une sacreillusion de croire cela. Peu de temps aprs nos espoirsvont tre mis rude preuve. Le vendredi 10 mai1940 cest la dclaration de guerre et linvasion de laBelgique par les troupes allemandes.5

    Marchovelette Suite lattaque brutale des forces allemandes, nousquittons la valle de la Meuse au plus vite et nousnous replions le jour mme vers Marche les Dames,Cognele et Marchovelette, au nord-est de Namur.Bien protgs par de larges fosss et de hautsgrillages en acier 6 destins bloquer lavance des

    chars et des fantassins, nous attendons anxieux notrepremier affrontement avec lennemi.

    Barrires Cointet antichars et anti-fantassins.(Photo Internet)

    Passage dans les barrires Cointet.(Photo Internet)

    Cest Marchovelette que je revois mon frre anCamille pour la premire fois depuis notremobilisation. Tout comme moi, il avait t cantonn

    dans la valle de la Meuse, Hermalle-sous-Huy enface de La Mallieue, et avait ensuite d fuir devantlavance des troupes allemandes avec sa compagnie,le 4me Rgiment, 8me Compagnie des ChasseursArdennais.

    Le lendemain matin (le 11 mai), nous sommesplusieurs compagnies de faction dans les tranchesaux abords du village surveiller les alentours.

    Soudain une patrouille laquelle participe mon frreaperoit les uniformes Feldgrau de plusieurs soldatsallemands qui se faufilent dans un bois tout proche.Lalerte est immdiatement donne et le repli gnralest annonc sans le moindre change de coups de feu.

    Ainsi, les lments avancs des troupes allemandesont russi passer la Meuse quelques heures aprsleur offensive et cela malgr le travail de nos sapeursqui avaient pris soin de faire sauter un maximum deponts quelques temps auparavant.

    Sans la protection de la barrire naturelle queconstitue la Meuse, sans lappui de la ligne de fortinsdfendant le mme fleuve et malgr les kilomtres debarrires Cointet prtendues infranchissables, il estindniable que nos positions vont trs vite devenirintenables.7 Heureusement pour nous etmalheureusement pour eux, ce sont les Sngalais(nom erron donn aux rgiments coloniaux deTirailleurs Marocains et Algriens de larme franaisereconnaissables leurs calots rouges) qui sont defaction avec nous qui doivent affronter lennemi seulset qui vont sans aucun doute payer de leur personnepour couvrir notre repli.

    Le pont dAndenne dtruit

    Belgrade, Ligny, Charleroi, Mons A pied nous nous retirons successivement versBelgrade, Ligny, Charleroi et Mons. Au fur et mesurede notre recul nos officiers se rendent compte quelarme allemande se rapproche inexorablement et quenotre avenir de soldat ne tient plus qu un fil.Ne sachant plus quoi entreprendre, ils choisissent desclipser les uns aprs les autres pour senfuir au plusvite vers la France. Sans chefs et donc sans ordresprcis, cest laffolement suivi de la dbandade parmiles diffrentes units.Tout dabord dcontenancs par cette situationnouvelle et inattendue, nous nous ressaisissons trsvite.

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    Les Pz 38 (t) (Panzer 38 tonnes) doivent attendre quele gnie ait fabriqu des ponts suffisamment solidespour leur permettre le franchissement de la Meuse.

    Il va falloir nous aussi dguerpir le plus vite possible.

    partir de maintenant cest chacun pour soi car il sagitde sauver notre peau devant lampleur du danger quise prcise.

    Face aux inquitudes lgitimes engendres par ceBlitzkrieg, cest galement lexode massif despopulations civiles.

    Exode des civils

    Ce double afflux de soldats et de civils sur les routesengendre forcment une pagaille indescriptible et desdbordements gratuits. Un peu partout ce sont desscnes de pillages orchestres aussi bien par des civilsque par des soldats peu scrupuleux.

    Coinc au milieu de ce chaos avec mon meilleur ami,

    un compagnon dinfortune de Wolkrange que javaisrencontr par hasard au cours du dcrochage, nouscherchons dsesprment un moyen de fuir au plusvite vers la France.

    Mons la fortune nous sourit au coin dune rue sous laforme dun magasin de cycles appartenant unclbre coureur cycliste dont jai oubli le nom. Nousavons bon espoir dy trouver des vlos. Hlas, il nereste plus quun tandem, dlaiss par les pillards. Vultat durgence, nous ne faisons pas la fine bouche. Ilfera largement notre affaire.

    Mais nous ne sommes pas des voleurs. Nous avons

    notre dignit et nous voulons palabrer pour lobtenir.Mise au courant de notre situation et de notreintention, la propritaire nous le donne sans aucunerticence, arguant quil valait mieux que ce soit

    larme belge qui en profite plutt que larmeallemande.

    Nous avons peine le temps de prononcer quelquesmots de remerciement que dj cette brave damenous presse de partir au plus vite vers la France, versun destin plus favorable.

    Maubeuge

    Aprs avoir pdal comme des drats pendant plusdune heure nous sommes compltement extnusmais rassurs dtre arrivs Maubeuge, en France.

    Dans une ferme le long de la route nous parvenonstant bien que mal persuader les occupants de nousprocurer un abri pour la nuit dans leur grange etsurtout un peu de nourriture. Nous dvorons cettemaigre pitance comme des loups affams. Il faut direque nous navions plus rien mang depuis notre dpartde Charleroi, except ces quelques biscuits que desvendeuses dun magasin dalimentation nous avaientgentiment offerts.

    Nous sommes loin dtre rassasis mais tant pis. Une

    bonne nuit de sommeil devrait nous faire oublier lafaim et nous permettre de reprendre quelques forcesavant de repartir le lendemain matin.

    En France, nous tions persuads dtre protgs parlarme franaise et donc en principe dtre horsdatteinte des Panzers et de la Wehrmacht quiavaient envahi la Belgique. Nous nous faisions desillusions!

    Ds 4 heures du matin une sirne dalerte retentit. Ilne nous faut que quelques secondes pour raliser queles Boches viennent de franchir la frontire et quilssont aux portes de Maubeuge. Nous enfourchons dare-

    dare notre tandem pour dguerpir. Mais il est djtrop tard. Des obus commencent pleuvoir autour denous. Nous navons pas dautre choix quedabandonner notre cycle au milieu de la cour et deplonger derrire un mur denceinte.

    Aprs plusieurs minutes denfer, le pilonnage sarrteenfin et nous nous prcipitons vers notre tandem,presss de repartir au plus vite. Cest la douche froide!Il est hors dusage, cribl par les clats dun obus fragmentation.

    Cest bien notre veine! Il ne nous manquait plus quecela! Que faire prsent?

    Les propritaires de la ferme nous avaientsuffisamment fait plaisir la veille en nous donnant manger et en nous offrant le gte, nous ne pouvonspas en plus leur demander leurs vlos.

    Il ny a pas dautre alternative. Il va falloir nousremettre la marche et poursuivre notre nime fuiteprilleuse si nous ne voulons pas tomber aux mainsdes Allemands. Nous avons bon espoir de trouver unautre moyen de locomotion en cours de route mais enattendant cest pied que nous suivons, au hasard, lesautres soldats et rfugis sans savoir o cette fuite vanous mener mais avec un petit espoir de salut.

    Parmi tous les alas et proccupations inhrents

    notre fuite, ctait la recherche de nourriture qui est leplus problmatique. Except ces deux ou trois botesde conserves reues dans un entrept et ces quelques

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    maigres rations glanes gauche et droite, notrequotidien se rsume le plus souvent du pain et deleau. Encore heureux que notre statut de militairenous donne priorit dans les boulangeries sinon je medemande ce que nous aurions mang.

    Bavay, Valenciennes, Douai, Arras, Bthune proximit de Bavay, la poisse nous colle encore ettoujours aux basques. Sans formalit aucune, nous

    sommes enrls de force par les troupes franaises. Ilsnous placent immdiatement dans leurs lignes afindtoffer les effectifs.

    Avec nos trousses un ennemi qui nous veut du malet entours dallis qui ne nous veulent pas du bien, ilne fallait pas tre devin pour saisir lextrme dangerdune telle situation. La fuite est nouveau notre seuleplanche de salut.

    Douai la chance est de notre ct sous la forme duncamion de transport rempli de vlos. Nous nendemandons pas tant. Linstant daprs nous sommesen selle avec le fol espoir que notre salut va serapprocher beaucoup plus vite prsent. Cela auraitpu tre le cas si les Allemands ne nous avaient pasarrts Arras.

    Nous sommes plusieurs centaines, voire un millier decivils et de soldats, tre vertement houspills etensuite littralement parqus dans un immense pr.Nous ne savons pas pourquoi et nous nous demandonsce quil va advenir de nous. Notre crainte vacependant tre de courte dure. En fait, nousapprendrons que nous encombrions les routes et nousgnions la progression des units fer de lance de lamachine de guerre allemande. Aussitt aprs leurpassage, nos gardiens disparaissent nous laissantpantois et sans voix, demi rassurs sur notre sort.

    Arrivs Bthune, les Schleus nous talonnent nouveau de trs prs et nous navons pas dautreoption que de nous rfugier dans la premire maisonvenue. Les dames prsentes nous proposent de quitterimmdiatement nos vtements militaires et denfilerles bleus de travail de leurs maris mineurs de fond afinde ne pas tomber aux mains de lennemi mais aussiafin de rendre notre fuite moins prilleuse par la suite.

    Nous nhsitons que quelques instants avantdaccepter. Nous sommes persuads qu ce stade dela dbcle larme belge ne nous en tiendra pasrigueur et que nous ne serons pas traduits en cour

    martiale pour abandon duniforme et sans doute aussipour dsertion.

    Et puis zut! De toute faon, ce nest plus le moment detergiverser. Notre priorit est autre part. Ce quiimporte le plus en ce moment, cest de nous en sortir.

    Quelques heures plus tard, profitant dune accalmie,nous reprenons de plus belle notre cavale effrne endirection de Lille et de la frontire belge.

    Lille, Mouscron, Aprs avoir travers Lille sans encombre, nousdcidons de repartir vers la Belgique dans lespoir derenouer contact avec notre unit ou toute autre unit

    qui pourrait enfin nous renseigner sur les ordres suivre et galement nous informer sur la situation dela Belgique.

    Nous franchissons donc la frontire belge mais sansapercevoir le moindre uniforme de larme belgecapable de nous aider. Dsappoints, nous nousdirigeons alors vers Mouscron.

    Arrivs dans cette ville, nous sommes heureux deconstater que larme belge y est prsente. Lespoir deretrouver notre unit et nos anciens camarades renatenfin. Hlas, nous nous adressons en vain plusieurs

    bureaux de larme.Cest au cours de lune de ces visites que je reconnais,assis derrire une pile de dossiers, Lon Muller, unevieille connaissance de Freylange, greffier la Justicede Paix dEtalle et prsentement greffier adjoint duConseil de Guerre en Campagne. linstar des autresbureaux, il nous signale quil y a peu despoir deretrouver notre unit, que tous les hommes sontdisperss un peu partout de part et dautre de lafrontire franco-belge.

    En fait, le mot disperss est un gentil euphmismepour ne pas dire que cest la pagaille la plus compltequi rgne en matre dans la rgion.

    Comines Dpits par cette information peu rassurante etnayant toujours pas reu de consignes prcises, nousnous remettons en marche vers un salut de plus enplus hypothtique.

    Au-del de Comines, nous nous retrouvons malgrnous au milieu des troupes anglaises qui se replient entoute hte vers la Mer du Nord, vers Dunkerque, afinde rembarquer au plus vite vers lAngleterre. Malgrlurgence et lextrme danger de la situation, le corpsexpditionnaire de Lord Gort prend soin de dtruire leplus possible de leur matriel et armement lourds pour

    ne pas quils tombent aux mains des Allemands. etl nous voyons le rsultat de cette norme gabegie:des dizaines de vhicules et de canons ont tprcipits dans des cours deaux.

    Le nom de code attribu ce repli et aurembarquement du Corps ExpditionnaireBritanniques Dunkerque est Opration Dynamo8.

    Le contact avec les Anglais est une catastrophe pourmon ami et moi. cause de la langueluxembourgeoise que nous parlons entre nous et de saressemblance avec la langue allemande, ils noussouponnent dtre des espions la solde de

    lAllemagne et ils nous font arrter par le garde-champtre de la localit. Nous subissons une fouille enrgle avant dtre confis, ironie du sort, unesentinelle de larme belge. Sous bonne garde, nouspasserons la nuit couchs dans le foin dune grange.

    Le lendemain matin nous subissons un interrogatoireserr dirig par plusieurs officiers belges. Un major quiconnat bien notre rgion nous pose des questionsprcises sur Arlon et me demande le nom dubourgmestre de ma commune (Hachy). Linstantdaprs il confirme que nos explications sont exacteset que nous sommes bien des Chasseurs Ardennaisvenant du Luxembourg belge.

    Conscient de notre situation dsespre et de notredsarroi, il propose de nous emmener avec lui envoiture en direction du Mont Kemmel et dYpres.

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    bout de forces physiques et morales et ne voyant pasle bout du tunnel de cette fuite perdue commence ily a plus dune dizaine de jours, nous acceptons bienvolontiers son aide.

    En rouge sur cette carte lavance des troupesallemandes la veille de la Bataille de la Lys (du 24 au27 mai). On peut y voir clairement que les Allemands

    nont pas encore atteint Lille, Mouscron et Comines auxdates o nous y sommes passs.

    Mont Kemmel Dans la matine du vendredi 28 mai 1940 alors quenous nous trouvons au-del du Mont Kemmel, nousapprenons que le Roi Lopold III vient de signer lacapitulation sans conditions de son arme 4 heuresdu matin. Cest la fin de ce que lon appellera par lasuite la Campagne des 18 Jours.Peu de temps aprs, une voiture portant des drapeauxallemands vient notre rencontre pour nous signifierles conditions de la capitulation. Nous sommesquelques 3000 soldats issus de tous rgimentsconfondus nous rendre et tre faits prisonniers parles Allemands.Notre situation est devenue de plus en plus dlicate etprilleuse: cest soit attendre lennemi et nous rendre,soit fuir vers la France dont la frontire nest ququelques kilomtres. Dun ct cest affronter unavenir incertain et de lautre cest courir au devant degrands dangers puisque la France est toujours enguerre. 9

    Cette fois, cest bien fini! Cest la fin de notre fuite enavant et surtout de nos espoirs de libert. Pendant 18jours, les vtements en loques et les souliers ussjusqu la corde, nous avons zigzagu en vain entreles frontires belges et franaises.

    prsent il nous faut craindre le pire et des tas dequestions se bousculent dans nos ttes. 10

    Bien plus tard, japprendrai que notre sort que jepensais avoir t cruel et peu enviable depuis notrerepli de Marchovelette jusqu la capitulation avait tde trs loin prfrable celui de tous ces hommes dela 2me Division des Chasseurs Ardennais qui staientreplis sur la Lys et qui taient morts pour la patrie envoulant stopper lennemi.

    Alost, Anvers Aprs notre capture, les sentinelles allemandes nousdirigent par tapes et pied vers Anvers avec la

    promesse expresse de recevoir dans cette ville lecachet ncessaire notre dmobilisation. Malgr lepetit nombre de gardes qui nous entourent tout sepasse sans le moindre incident. Il est vrai que noussommes confiants et mme tout fait rassurs lorsquenous rencontrons plusieurs ex-prisonniers quiretournent chez eux aprs avoir reu le prcieuxcachet sur leurs cartes didentit.

    Colonne de prisonniers de guerre belges en 1940.(Photo Internet)

    Les soldats qui nous entourent sont corrects etarrangeants. Ils nous permettent volontiers de quitterquelques instants la colonne pour assouvir nos besoinsnaturels. Stant rendu compte du relchement de lasurveillance en ces moments-l, mon ami mannoncequil va prendre le risque de leur fausser compagnie.Je lui dis que je ne comprends pas son choix, quil vacourir des risques inutiles alors que nos problmes delibert vont tre rsolus Anvers. Il me rpond quil ades doutes sur leur promesse et que de toute faon sadcision est prise. Peu de temps aprs, sous leprtexte dune grosse commission, il demande une de nos Wache (sentinelle) la permissiondentrer quelques minutes dans une maison pendantque la colonne continue sa route.

    Les secondes et les minutes passent. Cela faitmaintenant plusieurs minutes quil est lintrieur. Jenose pas me retourner de peur de dclencher uneraction. Mais non, rien ne se passe. Aucun cri, aucunealarme. Aucun garde na remarqu son absence.

    Quelques kilomtres plus loin, je ny crois toujours paset pourtant il me faut admettre lvidence: il a bel et

    bien russi sa folle tentative. Je suis content pour luiet en mme temps triste davoir perdu mon meilleurami. Le fait davoir vcu tant de msaventures etaffront tant de dangers ensemble a cr une amitiet des liens solides entre nous.

    Japprendrai plus tard, aprs mon retour dedportation, quil est rentr sans encombre chez lui Wolkrange.

    Un soir, aprs une longue et harassante journe demarche, nous faisons halte pour la nuit dans unecaserne Aalst (Alost). Je remarque que le stock devtements du fourrier se trouve ct de notre lieu dedtention et je prends mon courage deux mains pouraborder un soldat allemand de garde et lui demanderla permission de me servir en vtements et surtout ensouliers moins uss. Il est surpris par ma connaissance

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    de la langue de Goethe et mautorise aussitt meservir.

    Je profite galement de loccasion qui mest offertepour mettre la main sur une capote bien rembourreet bien chaude. On ne sait jamais. Il vaut mieuxprvenir que gurir pour bien dormir la nuit, nesachant pas combien de jours va durer notre marchevers Anvers.

    Les deux jours suivants nous continuonsinlassablement notre pnible marche en colonne. peine nourris et les pieds en compote, nous traversonssuccessivement les bourgs de Dendermonde(Termonde), de Moerbeke, de Lokeren et de Hulstavant darriver Groenendijk/Walsoorden en Hollande.Cette petite bourgade de Zlande sur lEscautOccidental entre Terneuzen et Anvers est le terminusde notre marche. 11

    Aprs nous avoir distribu une miche de pain et deleau, les Allemands resserrent prsent lasurveillance et nous somment dembarquer aussittdans plusieurs pniches rhnanes de la compagnieRhenus.

    Cest seulement partir de ce moment que nousapprhendons la vrit, que nous nous rendonscompte quil na jamais t question de nous emmener Anvers et de nous dmobiliser par la remise duncachet. Ctait une tratrise, un leurre pour nousrendre plus dociles. prsent cest une certitude pourchacun dentre nous. On nous emmne bel et bien encaptivit.

    Serrs les uns contre les autres dans ces pnichesservant habituellement au transport du charbon, nousavons du mal respirer lair vici de la cale et

    supporter cette promiscuit extrme. De plus, sousune surveillance troite, il ne nous est permis de sortirquune petite heure pour assouvir nos besoins etrecevoir de leau et un peu de nourriture. 12

    En suivant les diffrents bras de mer du delta sud-ouest des Pays-Bas ce convoi nous emmne lentementjusqu Rotterdam.

    En cours de trajet, en passant proximit deWillemstad, nous voyons sortant de leau les restesdune pniche semblable la ntre. Nous apprenonsquil sagit dune pniche faisant partie dun autreconvoi de dportation qui a saut sur une mine

    magntique et qui a fait naufrage un ou deux joursauparavant.. 13

    Aprs guerre, de vagues rumeurs ont circul,rpandues par des soldats dports, propos de laprsence possible de Schwinden Lopold, uneconnaissance de Hachy bord du Rhenus 127 aumoment du naufrage. Vu que personne ne la jamaisrevu au terme de la guerre, il est fort probable que cesrumeurs aient t fondes et quil ait disparu corps etbiens dans la Hollandsch Diep ou alors quil ait trepch et enterr parmi les soldats inconnus aucimetire militaire belge de Willemstad.

    Lieu du naufrage de la pniche Rhnus 127

    Le Rhnus 127 rebaptis par la suite Grebbelandet Henrean - (Photo Internet)

    Rotterdam notre dbarquement Rotterdam aprs plusieursheures de navigation nous sommes tous plus noirs quedes mineurs de fond aprs une journe de travail.Nous narrivons pas nous arrter de rire en voyantnotre aspect et cela malgr la gravit de notresituation.

    Aussitt terre, la Croix-Rouge hollandaise soccupede nous. Un homme me donne de quoi manger. Tantbien que mal, je parviens engager une conversation,lui en nerlandais et moi en allemand. Je suispersuad que cet homme sympathique et avenantpeut maider. Sur un sous-bock de bire, je lui indiquemon adresse et la confirmation de ma captivit enAllemagne. Il me promet de faire limpossible pourcontacter le bourgmestre de ma commune afin quilpuisse transmettre le message mon pouse. Enagissant ainsi jespre la rassurer quelque peu enattendant de donner de plus amples nouvelles sur ladestination finale de ma captivit.

    Wesel partir de Rotterdam cest toujours en pniche quenous remontons prsent le Rhin vers une destinationinconnue.

    En fin de journe nous arrivons Wesel (Allemagne)et nos gardiens nous cantonnent dans une immensepture. Ils nous distribuent un quignon de pain gris etnous autorisent assouvir nos besoins naturels de lajourne. Nous sommes plusieurs tre assis sur descordes tendues au-dessus des latrines de campagnelorsque nous remarquons plusieurs femmes qui nous

    observent de loin comme si nous tions des btescurieuses. Nous ne comprenons pas cette curiositmalsaine !

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    En fait, leur mange est beaucoup plus louable quilny parat. Elles souhaitent simplement savoir si parhasard nous navons pas rencontr les units de leursmaris qui se battent avec les troupes dinvasion enBelgique.

    Aussitt cest une petite pense de vengeance et dejustice qui nous envahit. Ainsi donc, ces pousespartagent avec les ntres les mmes incertitudes et

    les mmes craintes quant au sort de leurs maris.La nuit, nous essayons de dormir mme le sol maiscest peine perdue. Il fait trop froid et le sol est trophumide. Alors, pendant cette longue nuit sans sommeiltoutes sortes de questions et de penses noires sebousculent nouveau dans ma tte. O vont-ils nousemmener? Combien de temps vont-ils nous garderprisonniers? Comment vont-ils nous traiter? Quallons-nous devenir? Dans quel tat desprit est mon pouseet ma famille?

    Kln, Koblenz, Ludwigshafen, Nrnberg Le lendemain matin nous changeons de moyen detransport et cest en train que notre pnible etangoissant voyage continue jusqu Kln (Cologne).Pnible parce que nous sommes debout serrs commedes sardines ou assis sur les banquettes les uns sur lesgenoux des autres. Angoissant parce que nous nesavons toujours rien de notre destination finale etsurtout de notre avenir.

    En gare de Cologne, alors que notre train est larrt ct dun autre train rempli de soldats allemands,jengage la conversation avec eux pour savoir do ilsviennent et o ils vont. Lun dentre eux me crie par lafentre quils reviennent de Belgique, quils y ont livrbataille et que la guerre est finie pour eux. Ilmexplique quils ont tous t blesss au combat,certains trs gravement, et quils sont trs heureux deretrouver leur patrie.

    Voulant en savoir plus, je lui demande o ils ontcombattu. Japprends quils viennent dArlon et quetoute la rgion a t pargne par les bombardementset autres dgradations inhrents au passage de lasoldatesque. Voil enfin une nouvelle pluttrassurante. Je sais prsent que mon pouse et mafamille nont pas eu souffrir des affres de la guerre.

    Quant nous, contrario de ces soldats blesss etrapatris pour qui la guerre est finie, nous nen avonspas encore termin avec notre interminable captivit.

    bord du train cest toujours le plus grand mutismede nos gardiens quant notre destination finale. plusieurs reprises certains dentre nous tentent bien deles amadouer dans leur langue mais cest peineperdue, ils restent inflexibles nos suppliques. Ils ontd recevoir des consignes trs strictes et ne souhaitentpas encourir le courroux de leurs chefs ou despunitions plus consquentes. Il ne nous reste plusqu attendre lultime arrt du train.

    Pendant toute la matine, nous allons voir dfiler lavalle du Rhin avec des villes aussi connues queKoblenz (Coblence), Rdesheim, Bingen et

    Ludwigshafen. En dautres circonstances ce trajetaurait t une belle promenade au cur dun sitedune beaut exceptionnelle. Hlas, nous navons pasle cur nous merveiller.

    partir de Ludwigshafen nous quittons la