HISTOIRE Quand les Glorieuses et Juan de Nova battaient ... · 10 SOCIÉTÉ Lundi 4 novembre 2013...

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Le Journal de l’Île 10 Lundi 4 novembre 2013 SOCIÉTÉ N umismate depuis plus de 30 ans, installé à la Réunion de- puis six ans, Philippe Delaygues est bien décidé à percer le mystère des pièces de mon- naie de Juan de Nova et des Glorieuses. « Je me suis d'abord intéressé à la numis- matique locale puis, plus récemment, à la numismatique des TAAF (Terres Australes et Antarctiques Francaises), Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, Crozet et Terre Adélie, ainsi qu’à celle des Iles Éparses, Tromelin, Bassas da India, Europa, Juan de Nova et Les Glorieuses. C’est une nu- mismatique étrange ou finalement, les pièces de monnaie fictives d’initiatives pri- vées se disputent une place auprès des cinq monnaies commémoratives officielles françaises. » En chinant pour assouvir sa passion, Philippe Delaygues fait une découverte étonnante, il y a quelques mois, de cu- rieuses monnaies françaises, réunion- naises, malgaches et quelques afri- caines contremarquées d’un étrange : P/SOFIM/JUAN DE NOVA ou C/SOFIM/LES GLORIEUSES sont appa- rues. « Elles ont d’abord été présentées sur le site : World Coins News, puis mise en vente sur ebay, à des prix plutôt élevés. Depuis, ces monnaies ont fait couler beau- coup d’encre sur certains forums français et anglais. La respectable maison Spink a aussi vendu deux lots de ces monnaies. Ayant contacté le possesseur de ce lot de monnaies, celui-ci m’a indiqué qu’il avait acheté ce lot à une personne à Madagascar. Impossible d’en savoir plus de ce côté-là. » « FAUX POUR COLLECTIONNEURS » ? Philippe Delaygues se penche alors sur l'histoire de l'implantation de la SOFIM (Société française des îles mal- gaches) à Juan de Nova et aux Glorieuses (voir ci-dessous). « Compte tenu de l’origine des ouvriers : malgaches aux Glorieuses ; mauriciens et seychellois à Juan de Nova, on comprend pourquoi ils étaient payés en roupies. Du coup, il paraît difficile de comprendre l’in- térêt de contremarquer des monnaies fran- çaises, malgaches ou réunionnaises, sans tenir compte en plus de la parité entre le franc métropole et le franc malgache ou CFA », souligne Philippe Delaygues. Le numismate avance une explica- tion. Il pourrait apparaître que ce ne serait pas la provenance des monnaies qui importerait mais plutôt la valeur indiquée sur celles-ci. La contre- marque de la SOFIM permettrait de ga- rantir et de limiter l’utilisation de ces jetons-monnaies de « nécessité » sur les îles pour une utilisation dans les « bou- tiques-entrepôts » pour de menus achats et en circuit fermé. Le P signifie proba- blement "Phosphates" et le C "Coco" ou "Coprah". « A moins qu’il ne s’agisse d’une fine arnaque profitant d’un joli flou historique. L’aigrefin avec un poinçon ad- hoc pourrait espérer berner une bonne poi- gnée de collectionneurs. » Afin de tenter de percer le mystère, Philippe Delaygues a lancé une bou- teille à la mer dans le Bulletin Numismatique. « Pour pouvoir valider l’une ou l’autre hypothèse, des témoi- gnages sûrs de personnes ayant connu ou pas de visu ce « système » à l’époque ou des documents officiels estampillés « SOFIM » sont indispensables. Je ne suis pas arrivé encore à en trouver afin de per- mettre à ces jetons-monnaies de rejoindre l’histoire numismatique des Iles Éparses, mais aussi de La Réunion, de Madagascar et d’entrer officiellement dans les ouvrages de références ou d’aller tristement rajouter une ligne de plus aux « faux pour collec- tionneurs ». Alain Dupuis Sur cette pièce réunionnaise, la mention SOFIM et Juan de Nova apparaît. Une pièce de 5F contremarquée SOFIM et Glorieuses. Une pièce de 2F marquée SOFIM et Juan de Nova. Avec le développement des activités, des infrastructures sont construites.  Ici la maison Patureau à Juan de Nova. Quand les Glorieuses et Juan de Nova battaient monnaie HISTOIRE Vers 1900, la location Juan de Nova est octroyée à un Français pour une durée de 20 ans. En 1923, Juan de Nova exporte 53 000 tonnes de guano. Avec les dé- buts de la guerre en 1939, toutes les ac- tivités cessent. En mars 1952, une pre- mière concession d’une durée de 15 ans est accordée à la SOFIM alors présidée par Hector Patureau. Suite à l’indépen- dance de Madagascar en 1960, la concession de la SOFIM est reconduite pour une période de 25 ans. L'île est alors habitée par des ouvriers mauriciens et seychellois qui exploitent le gisement de guano pour le compte de la SOFIM, dans des conditions sou- vent difficiles. Cette période marque un important développement des in- frastructures présentes sur l'île. Les conditions de vie et de travail des mi- neurs sont épouvantables (châtiments corporels, emprisonnements, etc...). A la suite d’une révolte des ouvriers et de la chute du cours du phosphate en 1968, la SOFIM est dissoute à Juan de Nova. Aux Glorieuses, un certain Caltaux, nommé garde-pavillon de l’ar- chipel pour la France, occupe les lieux de façon plus ou moins épisodique. Il exploite le coprah de la cocoteraie, ainsi que le guano de l'île du Lys jusqu’en 1907. A la suite de son départ, le droit sur ces îles revient à l’État qui accorde une concession à la SOFIM. Un petit village de 17 habitants seychellois exploite en- viron 6 000 cocotiers et y cultive des parcelles de maïs. De 1939 à 1945, l’exploitation des Glorieuses est abandonnée. En mai 1951, l’administration de Madagascar loue une seconde fois l’ar- chipel à la SOFIM dont le mandataire est le Seychellois Jules Sauzier. En 1952, Gaston Sauzier succède à son frère, poursuivant l’exploitation du coprah sur l'île. La cocoteraie compte alors 15 000 arbres. A cette époque, 22 Malgaches travaillent pour le compte de la société. La concession d’exploita- tion prend fin en 1958. SOFIM pour Société française des îles malgaches. Le coprah et le guano, l'or des Glorieuses et de Juan de Nova Aujourd'hui seulement occupés par des détachements militaires, les Glorieuses et Juan de Nova ont connu pendant des décennies une intense activité liée à l'exploitation du guano et du coprah. Numismate, Philippe Delaygues a découvert des pièces de monnaies françaises, réunionnaises, malgaches voire même africaines portant de curieuses mentions : « P/SOFIM/JUAN DE NOVA » ou « C/SOFIM/Les GLORIEUSES ». Juan de Nova et les Glorieuses sont deux Iles Éparses du Canal de Mozambique mais que peuvent bien vouloir dire les mentions P, C et SOFIM ? Appel à témoins Si vous êtes en mesure d'apporter un éclairage sur les mystérieuses pièces de monnaies de Juan de Nova et des Glorieuses vous pouvez contacter Philippe Delaygues : phil.steph.delaygues@wana doo.fr ou [email protected].

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Le Journal de l’Île10 Lundi 4 novembre 2013SOCIÉTÉ

Numismate depuis plus de 30ans, installé à la Réunion de-puis six ans, PhilippeDelaygues est bien décidé à

percer le mystère des pièces de mon-naie de Juan de Nova et des Glorieuses.« Je me suis d'abord intéressé à la numis-matique locale puis, plus récemment, à lanumismatique des TAAF (Terres Australeset Antarctiques Franc�aises), Kerguelen,Saint-Paul et Amsterdam, Crozet et TerreAdélie, ainsi qu’à celle des Iles Éparses,Tromelin, Bassas da India, Europa, Juande Nova et Les Glorieuses. C’est une nu-mismatique étrange ou� finalement, lespièces de monnaie fictives d’initiatives pri-vées se disputent une place auprès des cinqmonnaies commémoratives officiellesfrançaises. »

En chinant pour assouvir sa passion,Philippe Delaygues fait une découverteétonnante, il y a quelques mois, de cu-rieuses monnaies françaises, réunion-naises, malgaches et quelques afri-caines contremarquées d’un étrange :P/SOFIM/JUAN DE NOVA ou

C/SOFIM/LES GLORIEUSES sont appa-rues. « Elles ont d’abord été présentées surle site : World Coins News, puis mise envente sur ebay, à des prix plutôt élevés.Depuis, ces monnaies ont fait couler beau-coup d’encre sur certains forums françaiset anglais. La respectable maison Spink aaussi vendu deux lots de ces monnaies.Ayant contacté� le possesseur de ce lot demonnaies, celui-ci m’a indiqué qu’il avaitacheté ce lot à une personne àMadagascar. Impossible d’en savoir plusde ce côté-là� . »

« FAUX POUR

COLLECTIONNEURS » ?

Philippe Delaygues se penche alorssur l'histoire de l'implantation de laSOFIM (Société française des îles mal-gaches) à Juan de Nova et auxGlorieuses (voir ci-dessous).

« Compte tenu de l’origine des ouvriers :malgaches aux Glorieuses ; mauriciens etseychellois à Juan de Nova, on comprendpourquoi ils étaient payés en roupies. Ducoup, il paraît difficile de comprendre l’in-térêt de contremarquer des monnaies fran-çaises, malgaches ou réunionnaises, sanstenir compte en plus de la parité entre lefranc métropole et le franc malgache ouCFA », souligne Philippe Delaygues.

Le numismate avance une explica-tion. Il pourrait apparaître que ce neserait pas la provenance des monnaiesqui importerait mais plutôt la valeurindiquée sur celles-ci. La contre-marque de la SOFIM permettrait de ga-

rantir et de limiter l’utilisation de cesjetons-monnaies de « nécessité » sur lesîles pour une utilisation dans les « bou-tiques-entrepôts » pour de menus achatset en circuit fermé�. Le P signifie proba-blement "Phosphates" et le C "Coco"

ou "Coprah". « A moins qu’il ne s’agissed’une fine arnaque profitant d’un joli flouhistorique. L’aigrefin avec un poinçon ad-hoc pourrait espérer berner une bonne poi-gnée de collectionneurs. »

Afin de tenter de percer le mystère,Philippe Delaygues a lancé une bou-teille à la mer dans le BulletinNumismatique. « Pour pouvoir validerl’une ou l’autre hypothèse, des témoi-gnages sûrs de personnes ayant connu oupas de visu ce « système » à l’époque oudes documents officiels estampillés« SOFIM » sont indispensables. Je ne suispas arrivé encore à� en trouver afin de per-mettre à ces jetons-monnaies de rejoindrel’histoire numismatique des Iles Éparses,mais aussi de La Réunion, de Madagascaret d’entrer officiellement dans les ouvragesde références ou d’aller tristement rajouterune ligne de plus aux « faux pour collec-tionneurs ».

Alain Dupuis

Sur cette pièce réunionnaise,la mention SOFIM et Juan de Nova apparaît.

Une pièce de 5F contremarquéeSOFIM et Glorieuses.

Une pièce de 2F marquée SOFIM et Juan de Nova.

Avec le développement des activités,

des infrastructures sont construites. 

Ici la maison Patureau à Juan de Nova.

Quand les Glorieuses et Juan de Novabattaient monnaie

HISTOIRE

Vers 1900, la location Juan de Novaest octroyée à un Français pour unedurée de 20 ans.

En 1923, Juan de Nova exporte 53 000 tonnes de guano. Avec les dé-buts de la guerre en 1939, toutes les ac-tivités cessent. En mars 1952, une pre-mière concession d’une durée de 15 ansest accordée à la SOFIM alors présidéepar Hector Patureau. Suite à l’indépen-dance de Madagascar en 1960, laconcession de la SOFIM est reconduitepour une période de 25 ans.

L'île est alors habitée par des ouvriersmauriciens et seychellois qui exploitentle gisement de guano pour le comptede la SOFIM, dans des conditions sou-vent difficiles. Cette période marqueun important développement des in-frastructures présentes sur l'île. Lesconditions de vie et de travail des mi-neurs sont épouvantables (châtimentscorporels, emprisonnements, etc...). Ala suite d’une révolte des ouvriers et dela chute du cours du phosphate en1968, la SOFIM est dissoute à Juan de

Nova. Aux Glorieuses, un certainCaltaux, nommé garde-pavillon de l’ar-chipel pour la France, occupe les lieuxde façon plus ou moins épisodique. Ilexploite le coprah de la cocoteraie, ainsique le guano de l'île du Lys jusqu’en1907.

A la suite de son départ, le droit surces îles revient à l’État qui accorde uneconcession à la SOFIM. Un petit villagede 17 habitants seychellois exploite en-viron 6 000 cocotiers et y cultive desparcelles de maïs.

De 1939 à 1945, l’exploitation desGlorieuses est abandonnée. Enmai 1951, l’administration deMadagascar loue une seconde fois l’ar-chipel à la SOFIM dont le mandataireest le Seychellois Jules Sauzier. En 1952,Gaston Sauzier succède à son frère,poursuivant l’exploitation du coprahsur l'île. La cocoteraie compte alors15 000 arbres. A cette époque, 22Malgaches travaillent pour le comptede la société. La concession d’exploita-tion prend fin en 1958. SOFIM pour Société française des îles malgaches.

Le coprah et le guano, l'or des Glorieuses et de Juan de Nova

Aujourd'hui seulement occupés par des détachementsmilitaires, les Glorieuses et Juan de Nova ont connu pendant des décennies une intense activité liée àl'exploitation du guano et du coprah. Numismate, Philippe Delaygues a découvert des pièces de monnaiesfrançaises, réunionnaises, malgaches voire même africainesportant de curieuses mentions : « P/SOFIM/JUAN DENOVA » ou « C/SOFIM/Les GLORIEUSES ». Juan de Nova et les Glorieuses sont deux Iles Éparses du Canal de Mozambique mais que peuvent bien vouloir dire les mentions P, C et SOFIM ?

Appel à témoinsSi vous êtes en mesured'apporter un éclairage surles mystérieuses pièces demonnaies de Juan de Novaet des Glorieuses vouspouvez contacter PhilippeDelaygues :[email protected] ou [email protected].