Histoire 71

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18 PAYS DE NORMANDIE VIVRE ICI Histoire TEXTE ET PHOTOS : BENOÎT SOUARD Durant des décennies, la Normandie a tissé des liens commerciaux très forts avec le Brésil. Nous sommes alors au XVI e siècle et la région importe par bateaux entiers du bois, des perroquets… et des indiens ! Retrouvons les témoignages de cee épopée au fil d’une balade guidée… O ciellement, le Brésil fut découvert le 22 avril 1500 par le Portugais Pedro Alvares Cabral. Mais il est plus que pro- bable que des marins normands et bretons aient abordé ces côtes bien avant lui. Très vite, pour commercer, les Normands importent une essence de bois recherchée en teinture, donnant un rouge couleur de braise, parfaite pour les drapiers. Par extension cela mènera au nom du pays : bois de braise, « pau-brazil » en portugais, donnera… Brésil ! Direction Honfleur En flânant autour du vieux bassin, empruntez le quai Le Paulmier. Là, vous marchez sur les traces du sieur Paulmier de Gonneville qui part un matin de juin 1503 vers les Lorsque la Normandie vivait en « ROUGE BRÉSIL » 1

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18 PAYS DE NORMANDIE

VIVRE ICI Histoire

TEXTE ET PHOTOS : BENOÎT SOUARD

Durant des décennies, la Normandie a tissé des liens commerciaux très forts avec le Brésil. Nous sommes alors au XVIe siècle et la région importe par bateaux entiers du bois, des perroquets… et des indiens ! Retrouvons les témoignages de cett e épopée au fi l d’une balade guidée…

O ffi ciellement, le Brésil fut découvert le 22  avril 1500 par le Portugais Pedro Alvares Cabral. Mais il est plus que pro-bable que des marins normands et bretons

aient abordé ces côtes bien avant lui. Très vite, pour commercer, les Normands importent une essence de bois recherchée en teinture, donnant un rouge couleur de braise, parfaite pour les drapiers. Par extension cela

mènera au nom du pays : bois de braise, « pau-brazil » en portugais, donnera… Brésil !

Direction Honfl eurEn fl ânant autour du vieux bassin, empruntez le quai Le Paulmier. Là, vous marchez sur les traces du sieur Paulmier de Gonneville qui part un matin de juin 1503 vers les

Lorsque la Normandie vivait en « ROUGE BRÉSIL »

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Rouge Brésil

1 - L’esprit d’aventure est illustré dans ce vitrail de l’église de Vatteville-la-Rue avec ce navire normand du XVe siècle voguant vers le grand large, vers les côtes du Brésil.

2 - En octobre 1550, le roi Henri II assiste à Rouen à une fête somptueuse dont l’un des « tableaux » évoquait le Nouveau-Monde. Les organisateurs avaient alors réquisitionné 50 indiens du Brésil afi n de donner plus de cachet à la reconstitution historique.

3 - A Rouen, en front de Seine, ces sculptures étonnantes ornent ce que l’on appelait l’Hôtel des Sauvages. Postérieures à l’épopée du « pau-brazil », elles sont un témoignage du passé « exotique » rouennais.

Indes orientales… que jamais il ne trouve. Par contre, il aborde les côtes du Brésil et se lie d’ami-tié avec une tribu d’indiens, avec lesquels il coha-bite pendant six mois. Il propose alors au fi ls du chef coutumier, le jeune Essomericq, d’eff ectuer le voyage de retour avec lui contre la promesse de revenir à la prochaine expédition. Le navire, les soutes pleines de bois de braise, parvient sans encombre en vue des côtes normandes.Mais la nef att aquée par des pirates s’écrase sur les rochers face aux îles anglo-normandes. Parmi les rescapés, Paulmier et Essoméricq. Ce dernier ne retrouvera jamais le Brésil ! Il épouse une parente de Paulmier à Honfl eur, assure sa descendance et meurt à plus de 90 ans. Pour la petite histoire, le dernier descendant d’Essomériq l’indien, au milieu du XVIIIe siècle, fut chanoine de la cathédrale de Lisieux…

Filons à RouenAu musée des Antiquités un superbe panneau de bois sculpté découvert sur une maison de la rue Malpalu à Rouen relate, telle une bande dessinée, l’aventure du bois de braise. On y voit des indiens

abatt ant et transportant les arbres sur les bateaux.Maintenant direction la cathédrale. Dans la cha-pelle de la Vierge, au cœur de la symbolique religieuse du tombeau des cardinaux d’Amboise, le sculpteur Roland Le Roux a intégré deux indiens. Nous sommes alors entre 1515 et 1520. On peut légitimement en déduire que des indiens étaient à Rouen ou que le sculpteur, en témoin de son époque, en avait croisés dans la région d’autant plus que, de l’autre coté de la chapelle, sur le tom-beau de Louis de Brézé apparaît le visage d’une indienne, sculptée vers 1530…En 1550, lorsque le roi Henri II visite Rouen, on donne une fête « brésilienne ». Plus précisément une fête du Nouveau Monde avec cinquante indiens, des singes, des perroquets et une cen-taine de marins normands parlant couramment le dialecte indien, des interprètes que l’on appelle des «  truchements  ». N’oublions pas qu’à cett e époque, Rouen était un port de commerce très actif.C’est encore à Rouen en 1562 que le philosophe Michel de Montaigne rencontre des indiens du Brésil (Les Essais, chapitre XXX « Des cannibales »). Avant de quitt er Rouen en direction de Dieppe,

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au bas du boulevard des Belges, l’Hôtel des Sauvages - qui date certes du début du XIXe - relate aussi le passé « brésilien » de la ville avec ses statues d’indiens.

En route pour la cité d’AngoDieppe et son port rayonnent sur le monde en ce XVIe siècle, grâce à l’armateur Jehan Ango. Un illustre personnage également gouverneur, collecteur d’impôts, conseiller du roi François Ier… Ses bateaux sillonnent les mers du monde. Et si ses fl ibustiers se déchaînent volontiers dans la «  course  » aux Portugais, d’autres nefs font simplement du commerce au Brésil et ramènent ce fa-meux bois de braise dont les drapiers sont si friands. Une preuve de ce commerce se trouve, une fois encore, dans un édifi ce religieux, l’église Saint-Jacques. Au-dessus du mur du Trésor, à la gauche de l’autel, fi gure une fresque sculptée, remarquable, pro-bablement réalisée vers 1530. Baptisée la Frise des Sauvages, elle met notamment en scène des indiens coiff és et ceints de plumes et aussi des arbres, ces fameux « pau-brazil ». On ne peut quitt er Dieppe sans évoquer l’aventure de Guillaume Le Testu. Bien que né au Havre de Grâce, dans ce nouveau port fondé par François Ier en 1517, c’est à Dieppe qu’il apprend la science de la cartogra-phie. Ce qui lui vaut d’être pilote de l’expédition huguenote montée par Nicolas Durand de Villegagnon au Brésil en 1556. Un périple romancé par Jean-Christophe Ruffi n, « Rouge Brésil », et Jean-Marie Touratier, « Bois rouge ».

Cap sur Veules-les-RosesL’historien Jean-Marc Montaigne a découvert dans son église la représentation sculptée d’une sauvagesse. Gravée sur un pilier à droite du chœur elle tient un miroir à la main alors que, sur le der-nier pilier en sortant, se trouve la sculpture d’une embarcation de l’époque. Il s’agit d’une nef et on imagine l’aventure que pouvait constituer une traversée vers le Brésil sur une telle coque de noix.

Quitt ons-nous à Saint-Valery-en-CauxQuai du Havre précisément, devant une somptueuse maison en bois, improprement baptisée Maison Henri IV. En fait, il s’agit de la maison Renaissance de l’armateur Guillaume Ladiré, probable-ment édifi ée vers 1540. Sur les poutres extérieures, des Indiens. Avec notamment une belle scène d’adoration du Dieu Soleil, sans doute unique en Normandie. Il ne reste que fort peu de « pau-brazil », également appelés « Pernambouc » sur la côte atlantique brésilienne. La surexploitation est évidemment en cause. Et cela chagrine une corporation. Non pas les drapiers qui depuis belle lurett e ont trouvé d’autres colorants plus effi caces. En fait, les plus aff ectés par la disparition de l’arbre sont les musiciens : depuis le milieu du XVIIIe, cet arbre à la densité et à la dureté exception-nelles était utilisé pour fabriquer des archets !

1 - A Saint-Valery-en-Caux, la Maison Henri IV possède quelques «trésors» comme cette scène d’adoration au Dieu Soleil.

2 - Les voyages au Brésil s’effectuaient au XVIe siècle à bord de nefs. Celle-ci sculptée sur un pilier de l’église de Veules-les-Roses fait irrésistiblement penser à une « coque de noix ».

3 - A Dieppe, les témoignages «brésiliens» du XVIe siècle se trouvent dans l’église Saint-Jacques avec quelques petits personnages étonnants.

4 - A Rouen, le musée des Antiquités présente un superbe panneau de bois sculpté représentant les opérations d’abattage et de transport du bois de braise. Ce panneau est tout ce qui reste de la maison d’un armateur rouennais installé rue Malpalu.1

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