HENRI, LE NAVIGATEUR - Revue des Deux Mondes

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LE GRAND INFANT DE PORTUGAL HENRI, LE NAVIGATEUR En ce mois de mars 1460, un printemps lumineux s'annonce sur l'Algarve, jardin du Portugal. Entre les serras, collines souples, habillées de bruyères, et les rivages découpés de la côte méridio- nale, les forêts de chênes et de châtaigniers reverdissent ; les massifs de camélias et de mimosas égaient déjà de leurs notes claires un sol souvent rouge où l'amandier, le figuier, l'agave et parfois la canne à sucre rappellent la proximité de l'Afrique. A l'Est, le mince promontoire de Sagrès's'avance comme un éperon dans une mer qui vient battre ses falaises. Sur l'extrême pointe, un château fait de bâtiments divers accolés et fortement défendus s'élève. C'est Terçanabal la demeure que ne quitte plus guère don Henrique. Dans son vaste cabinet, rempli de livres, l'Infant travaille. Il est tel que le représente le grand Nuno Gonçalvez, dans le polyp- tiqUe de Saint-Vincent : vêtu de sombre mais avec soin, la tête recouverte d'un chaperon large dont un pan retombe sur son épaule. Le visage fortement buriné, aux traits incisifs, semble plus rude que dur, avec ses pommettes un peu saillantes, ses lèvres dont l'inférieure est assez charnue, et que surmonte une moustache raide. Le nez est droit, le front barré de rides nettes. Les yeux laissent passer une volonté sûre d'elle-même, une sensibilité qui se domine. Le regard, chargé d'expérience, est animé d'une lueur vivante, mais c'est une lueur presque mystique. Dans ces premiers mois de l'année 1460 dont l'automne verra les derniers de son étonnante existence, l'Infant Henrique semble se

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LE GRAND INFANT DE PORTUGAL

HENRI, LE NAVIGATEUR

E n ce mois de mars 1460, un printemps lumineux s'annonce sur l 'Algarve, jardin du Portugal. Entre les serras, collines souples, habillées de bruyères , et les rivages découpés de la côte méridio­nale, les forêts de chênes et de châtaigniers reverdissent ; les massifs de camélias et de mimosas égaient déjà de leurs notes claires un sol souvent rouge où l'amandier, le figuier, l'agave et parfois la canne à sucre rappellent la proximité de l 'Afrique.

A l 'Es t , le mince promontoire de Sagrès ' s ' avance comme un éperon dans une mer qui vient battre ses falaises. Sur l ' ex t rême pointe, un châ teau fait de bâ t imen t s divers accolés et fortement défendus s'élève. C'est Terçanabal la demeure que ne quitte plus guère don Henrique.

Dans son vaste cabinet, rempli de livres, l 'Infant travaille. I l est tel que le représente le grand Nuno Gonçalvez, dans le polyp-tiqUe de Saint-Vincent : vê tu de sombre mais avec soin, la t ê t e recouverte d'un chaperon large dont un pan retombe sur son épaule. L e visage fortement bur iné, aux traits incisifs, semble plus rude que dur, avec ses pommettes un peu saillantes, ses lèvres dont l ' inférieure est assez charnue, et que surmonte une moustache raide.

Le nez est droit, le front ba r ré de rides nettes. Les yeux laissent passer une volonté sûre d 'el le-même, une sensibilité qui se domine. L e regard, chargé d 'expérience, est an imé d'une lueur vivante, mais c'est une lueur presque mystique.

Dans ces premiers mois de l 'année 1460 dont l'automne verra les derniers de son é tonnan te existence, l 'Infant Henrique semble se

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demander si, au cours de sa longue carrière, i l a bien servi l a gloire du Portugal, l 'avenir de la science et les impér ieux devoirs de sa foi.

L ' o n jugera naturel de voir le Portugal célébrer le c inquième centenaire de cette année qui connut l 'ultime éclat et la mort de l'Infant.

Mais la France, qui ne manque pas non plus de mémoire, se doit de participer à ce témoignage du souvenir. El le est, en effet, directement intéressée à tout ce qu ' i l évoque.

De 711 à la fin du x i e siècle, Arabes et Berbères avaient occupé la quasi- tota l i té de la péninsule ibérique ; puis Alphonse V I de Léon, rassemblant des éléments chrétiens, réussit à pousser ses troupes jusqu'au Tage, à enlever un instant Santarem et Lisbonne, à organiser la terra portucalense, sur le Douro, puis à former le comté de Coïmbre, dépendan t de sa propre couronne. Pour mener à bien sa t âche tant en Espagne que dans l'ancienne Lusitanie, le Souverain s 'étai t en touré de chevaliers é t rangers , a t t i rés par l 'amour de la guerre, l'espoir des prises fructueuses, et peut -ê t re aussi — faisons leur crédit — le désir de combattre « les Infidèles ».

L ' u n des plus vaillants, des plus habiles de ces gentilshommes, servit si bien Alphonse V I que celui-ci lu i donna sa fille naturelle en mariage et lu i confia le comté de Portugal, c 'est-à-dire le pays du Nord, avec le soin de le défendre contre les Maures, fortement

' installés au-delà du Tage. Le nouveau comte qui n'allait pas tarder à annexer aussi la

province de Coïmbre et à préparer une offensive vers le Sud, se nommait Henri de Bourgogne. I l n ' é t a i t autre que le petit-fils de Robert I e r , roi de France, fils lui-même d'Hugues Capet.

Ce Bourguignon laissa un hérit ier, Alphonse-Henri ou Afonso Henriquez qui prit le pouvoir en 1128, refoula les Musulmans, rentra dans Lisbonne et fit du Portugal un Eta t encore resserré mais indépendant .

Il y aurait mille choses à écrire sur cette dynastie de souche française et qui s'incorpora si bien au sol portugais dont les forces d'assimilation sont demeurées prodigieuses. On pourrait évoquer le roi Denis sous les auspices de qui fleurirent le^ romans et les poèmes de chevalerie, les cantares de Amigo (chants de l 'amitié) et les cantares de Amor (chants d'amour). Comment ne songerait-

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on pas, avec Henry de Montherlant, à l'aventure de don Pedro, fils d'Alphonse I V et d'Inez de Castro, La Reine morte ? I l fau­drait dire un mot de Ferdinand qui ordonna le partage des terres non cultivées et leur transfert — sous conditions — à ceux qui devraient les mettre en valeur (1). L ' o n n'a rien inventé au x i x e siècle !

Le sens aigu qu'avait ce prince des réalités sociales ne l 'avait malheureusement pas mis à l 'abri des orages passionnels. Quand i l mourut, en 1383, i l laissait une fille trop jeune sous la garde d'une veuve trop belle. Celle-ci prit un amant, ce qui pouvait, sur le plan moral et politique, para î t re seulement fâcheux ; mais son gendre, Jean, roi de Castille, p répa ra sans hésiter l 'annexion du pays.

Les Portugais réagirent . Ils se groupèrent autour du fils naturel de Pierre le Justicier, père de Ferdinand. Ce Joâo , grand Maître de VOrdre d'Aviz, é ta i t p rofondément patriote et le sang autoritaire et v i f des Bourguignons bouillait en lu i . I l se fortifia, s'entoura de deux hommes remarquables, le juriste Joâo das Regras et le grand soldat Nuîio-Alvarez Pereira. Reconnu par les Cortès à Coïmbre, i l v i t aussi tôt une puissante armée espagnole envahir son territoire.

L'existence m ê m e du' Portugal é ta i t en jeu. Joâo implora la Vierge, lu i promit de lu i élever un sanctuaire si El le sauvait son peuple et marcha contre l'ennemi.

Le 14 aoû t 1385, Joâo et Nuno-Alvarez Pereira battaient les Castillans à Aljubarrota.

Peu de temps après, à quelque distance du champ de bataille, la construction du monas tè re de Batalha, l 'un des plus beaux monuments « gothiques » ou mieux du « style ogival » de l 'Europe étai t commencé sous la direction d'Afonso Domingues.

Durant le règne de Joâo I e r , le Portugal avait mon t ré un sens national rare. U n seul autre pays pouvait en donner l'exemple : la France de Philippe Auguste, de Philippe le Be l et de Charles V .

Joâo eut de son épouse anglaise, Phelipa de Lancastre, plusieurs enfants : une fille Isabelle qui devait être mariée à Philippe le Bon, le grand duc d'Occident, et quatre fils, Edouard (Duarte), roi de Portugal, Pierre (Pedro), duc de Coïmbre, Henrique, duc de Vizeu, et Fernando. Si l 'on se divertit, non sans fruit, à jeter un coup d'œil sur ces alliances et leurs descendances, on découvre en passant que Dua r t é eut lui -même Afonso V , roi de Portugal, et Eléonore,

(1) Loi des Sesmarias.

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unie en 1454 à Frédéric I V , duc d'Autriche puis Empereur, et dont le fils Maximil ien épousera Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire.

Mais laissons-là ces traditions du Portugal et des deux maisons de Bourgogne, j u squ ' à l 'union de la dernière avec les Habsbourgs. Rapprochons-nous du troisième fils du roi Joâo I e r , Henrique ; ce Portugais capét ien va jouer l 'un des grands rôles du x v e siècle.

* -* *

Né à Porto le 13 mars 1394, i l reçut , de son père comme de sa mère Phelipa de Lancastre, une éducat ion virile assez rude. Non que l 'on voulut y apporter une rust ici té quelconque. Mais les princes portugais de ce temps devaient être aptes aux exercices physiques les plus variés. O n dirait aujourd'hui qu'ils pratiquaient tous les sports et n ' é t a ien t point élevés dans du coton.

Cette rigueur se compléta i t cependant par un souci de raffine­ment peu commun et sur des domaines t rès divers. S i l 'on accou­tumait les infants à apporter à leur personne comme à leur habille­ment, des soins mét iculeux, ils é ta ient tenus de manifester une égale civilisation dans leur manière de vivre. Une courtoisie, léguée par des souvenirs encore frais de la Chevalerie agonisante, régnai t autour d'eux. Duarte, Pedro, Fernando se sentaient at t i rés par les Lettres et les Arts . Ils écrivaient bien, avec lé souci d'un langage pur. Amateurs, légèrement dilettantes, ils pouvaient être qualifiés d' « humanistes ». Henrique ne méprisai t certes pas les cultures classiques, latine et grecque. Mais, suivant les traces d'Alphonse le Savant et du marquis de Vil lena, i l se tournait plus volontiers vers les Sciences. Celles dont i l voyait l 'utilisation réelle et les répercussions immédiates , ou même à terme, accrochaient son attention. Chercher, découvrir , é ta ient les1 mobiles qui agitaient son jeune cerveau. I l fallait cependant constater qu'ils reposaient sur une foi profonde, ardente et qui dominait toutes ses préoccu­pations. Ces deux poussées se manifes tèrent t rès t ô t .

Dès le débu t du x v e siècle, i l apparaissait utile à Joâo I e r , — l ' in ­dépendance nationale é t an t acquise, — de détourner vers l 'Ex té ­rieur un esprit combatif qui avait été beau, noble et nécessaire, mais pouvait devenir périlleux pour la lente et progressive cons­truction interne du pays.

Dans le même temps, le conflit de l ' Islam et de la Chrét ienté

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avait malheureusement rebondi. L a .Hongrie battue sur le Danube, par les Turcs, en 1412, une diversion pouvait sembler souhaitable en Afrique. L ' o n ignorait les divergences qui existaient .entre les forces musulmanes, et l 'on ne savait guère encore manœuvre r . On ne saurait d'ailleurs faire grief aux Portugais de cette méconnais­sance, au x v e siècle, Le x x e verra l 'Occident aussi parfaitement éloigné de ces réalités.

L'Infant se montrait ardent à soutenir le projet d'une campa­gne, destinée d'abord à dégager l ' entrée de la Méditerranée et à prendre pied sur le sol marocain. Nuno-Alvarez déclara que ce plan é ta i t « d'inspiration divine ».

E n juillet 1415, tandis que l a reine Phelipa mourait, une flotte de trente-trois vaisseaux de haut bord; cinquante galères, et cent-vingt-huit bateaux de seconde importance prenait l a mer. Le secret avait été bien gardé. Les Marocains surpris ne purent résister au choc. Le 24 août , après un déba rquemen t effectué en d'excellentes conditions et trois jours de combats, l ' armée lusitanienne enlevait Ceuta.

Les trois princes aînés avaient rivalisé de courage. Henrique ne voulut pas être a rmé chevalier sous les murs de la ville, mais quand elle fut prise, et sur les pavages brillants de la mosquée. Tandis que ses frères et son père organisaient le gouvernement de la conquête , i l s ' inquiétai t surtout de rencontrer des Arabes ou des Berbères, let t rés , savants en astronomie comme en géo­graphie ; les philosophes ne le laissaient pas indifférents.non plus,

Pedro de Mariz rapporte que « ce fut des Maures qu ' i l vint à avoir connaissance des déserts de l 'Afrique, désignés par eux sous le nom de Sahara, et des peuples appelés nègres, lesquels sont voisins du territoire des noirs Yolofs où commence la région nom­mée par leB Maures, Guinanda et par nous, Guinée.

L'Infant réussit par l 'un de ses interlocuteurs, avec qui ses relations n ' é ta ien t pas de vainqueur à vaincu, à se procurer un document fort curieux. C'étai t une « description de VAfrique et de l'Espagne », rédigée au x i e siècle par un cherif Edr is i (sans doute Idrissite) et qui aura sur les projets d'Henrique une singulière et juste influence.

Chargé d'observations et d'idées, le prince revint au Portugal pour y recevoir du Ro i les titres de duc de Vizeu et seigneur de Covilham.

C'est à cette époque qu ' i l s'installa pour méditer , à trois milles

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du Cap Saint-Vincent, sur le promontoire de Sagrès, sous un ciel pur, loin des intrigues et des obligations quotidiennes du gouverne­ment et de la politique.

A u cours des années qui s 'écoulent entre 1419 environ et 1436, i l organise plus un cénacle qu'une Cour. On parlera, plus tard et beaucoup, d'une existence monastique un peu légendaire. Sans doute faut-il être plus humain, plus vrai envers ceux qui fréquen­t è r en t Terçanaba l . On y travaille, on y discute, on y pense. L'Infant reçoit avec simplicité certes, mais c'est une simplicité princière. Les hôtes sont nombreux et bien t ra i tés , selon leur rang mais aussi leurs mér i tes . I l n'est pas question de races ni , malgré le christia­nisme ardent du maî t r e du logis, de confession, pourvu que les invités professent le respect de Dieu.

Des Portugais coudoient des Français , des Italiens, des F la ­mands, des Anglais, des Arabes, des Juifs. Ici, pas de nationalisme étroit qui repousserait des concours étrangers pour favoriser exclu­sivement des compatriotes — aux dépens des résul ta ts . L a seule discrimination, avec la croyance de la p r imau té du Spirituel, est la valeur de l'homme et la qual i té des services qu ' i l peut rendre.

Ains i les navigateurs, les marins, les cartographes, les savants ou le3 « découvreurs » de tous pays sont cherchés et accueillis, avec honneur et avec cette gentillesse dont les Portugais ont, quand ils le veulent, le secret.

Les habitants de l 'agglomérat ion voisine, Villa-do-Infante, regardent « l 'académie nautique » créée par don Henrique avec admiration et curiosité, avec in térê t aussi car ils sentent confusé­ment qu ' i l œuvre pour eux.

Son frère Pedro l ' a compris et lu i apporte une collaboration exceptionnelle. Celui-ci, c'est le voyageur. I l quitte le Portugal, parcourt la France, les Flandres, la Bourgogne chez leur beau-frère, et les Pays-Bas. E n t o u r é d'une équipe de « techniciens » et d ' in terprè tes , i l recherche les informations écrites ou verbales, et raccole, si l 'on peut dire, les meilleurs spécialistes, sans que ceux-ci aient à éprouver de difficultés pour le visa de leurs passeports ou le transport de leurs bagages et de leurs matér ie ls . Don Pedro visite Rome, Venise, la Grèce, l a Syrie, l a Terre Sainte.

' I l est assez difficile de préciser son i t inéraire exact. D 'après le Livre des Merveilles qui sera publié au siècle suivant et dont l 'au­teur, peut -ê t re un médecin de Liège, est discutable et discuté,

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l'Infant, duc de Coïmbre, aurait poussé jusqu'aux Indes. I l se serait t rouvé en présence d'un sultan, d'origine espagnole, habitant de l'Estramadure, prisonnier des Maures, converti par nécessité à l'Islamisme et qui se serait, avec une habileté mêlée de courage et de philosophie, haussé j u s q u ' à ce t rône oriental.

Don Pedro aurait rendu visite au « prê t re Jean », le mys té r i eux souverain chrét ien d'Ethiopie. Ce qui est vrai , c'est que ce dernier offrit bel et bien son alliance à l 'Occident contre l 'Islam, qu'un de ses ambassadeurs vint trouver Alphonse d'Aragon en 1427 et que le Pape Eugène I V entama des négociations avec ce monarque lointain pour l 'union des Eglises orientales avec l 'Eglise de-Rome.

Don Pedro rentra au Portugal, chargé de gens, de notes, d'obser­vations, de cartes et de documents. Parmi ceux-ci, figurait en pre­mière ligne, le récit de Marco Polo. Ce merveilleux bagage est, on le conçoit, fort bien accueilli par l'Infant Henrique. Ce dernier n'a pas d'ailleurs perdu son temps. Il a déjà a rmé des navires qui sont partis de Lagos à peu de distance du Cap Sagrès.

Joâo Gonçalvez Zarco et Tristao Vaz Teixeira ont exploré l 'Ile de Porto-Santo et Madère que Vaz et Perestrello avaient aper­çues en 1418.

L'Infant a pa r tagé entre ses deux lieutenants ces terres qu ' i l a aussi tôt cherché à rendre plus prospères. Ce n'est pas la conquête banale qui l ' intéresse, c'est son utilisation pour un progrès dont, comme le Portugal, ces colonies profiteront.

I l y fait envoyer des chevaux, inconnus là-bas, et importer, après é tude des sols et des climats, un certain nombre de plantes nouvelles. On y met en terre, la canne à sucre, les ceps de Chypre et même quelques-uns de Bourgogne, demandés aux cousins de Dijon. G i l Eanez, sur les instructions du- prince, a découvert un fleuve qu ' i l a cru aurifère et qu ' i l a n o m m é Rio de Ouro, en 1434.

*

Le roi Joâo I e r est mort en 1433. Don Duarte lui a succédé. I l a connu, jeune, la glorieuse expédit ion de Ceuta et l 'on n'a pas eu trop de peine à le convaincre que la possession de Tanger étai t nécessaire pour rendre plus « rentable » la zone de Ceuta et prévenir les ambitions espagnoles.

Malheureusement, i l fallut, pour que l 'on d e m a n d â t des crédits

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aux Cortès afin d'armer une flotte, révéler le but de l'entreprise. El le é ta i t peu populaire, insuffisante et l ivrée à une certaine publi­cité. Les Infants Henrique et Fernando débarquèren t , en aoû t 1437, leurs troupes à Ceuta et commirent la faute d'attaquer Tanger par l ' intérieur. Pr ivés ainsi du concours de la marine, les Portugais se heur tèrent- à des armées marocaines, prévenues , bien équipées et supérieures en nombre.

Après trente-sept jours de combats désespérés, l 'on dut signer un armistice et se rembarquer ; mais à quel prix ! L ' o n rendait Ceuta et l'Infant Fernando, blessé, demeurait captif, comme gage de l 'exécution de la convention.

Devait-on le sacrifier ou abandonner Ceuta et se replier en attendant de faire un nouvel effort ? On réuni t les Cortès et l 'on discuta. L e roi Duarte mourut le 9 septembre 1438. Son fils, âgé de six ans, monta sur le t rône et la Régence décida. . . de ne rien décider.

L ' Infant devait périr en prison, dix ans plus tard, avec une résignation et un courage qui feront l 'admiration de ses ennemis. Aussi bien chez eux que chez ses compatriotes, i l sera n o m m é VInfanto Santoy l 'Infant Saint.

* * *

Don Henrique s'est ret i ré à Sagrès. I l a laissé à l 'Universi té son palais de Lisbonne. Sur son promontoire, malgré l a blessure ouverte en l u i par l a capt iv i té de son frère et l 'échec de Tanger, i l a repris ses médi ta t ions et ses projets.

I l veut, dit Azurara, « avoir sur toutes choses l a certitude mani­feste », c'est « la raison de son mouvement » (1). I l désire ardemment développer l 'é tendue des connaissances humaines ; i l souhaiterait en fait constituer une sorte de laboratoire intellectuel d 'où sorti­raient des plans d 'expériences pratiques, et de recherches nouvelles. Ces tendances inspirant son esprit, i l revient plus que jamais aux principes dont i l a été imprégné : l'expansion et la grandeur du Portugal, le service de la foi. Ces deux soucis vont se conjuguer pour orienter ses desseins.

I l maintient l ' idée première de 1415 : établir des positions portu­gaises sur la terre marocaine tant pour prévenir des sursauts maures

(1) Cf. : Gomez Eanes de Azurara : Cronica do des-cobrimentos t conquista da Guiné, 2 vol., Lisbonne 4937.

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que pour posséder des bases d'actions diverses, économiques et politiques. Mais i l va beaucoup plus loin.

L ' Infant entend faire explorer et mettre en valeur le plus grand nombre d'Ues si tuées au large du Continent africain, toucher les débouchés des marchés intér ieurs et nouer des relations avec les chefs des pays noirs ; i l prévoit de contourner enfin l 'Afrique pour rejoindre, directement par l a mer, l 'empire chrét ien du «prêtre Jeans et l 'Asie elle-même. Ains i , pense-t-il, les richesses multiples de l 'Orient seraient-elles atteintes sans les intermédiaires de l 'Es t médi te r ranéen , et l ' Islam, encore offensif autour de Constanti-nople, pourra i t -ê t re pris à revers.

Pour réaliser ces vastes projets, i l faut des vaisseaux, des hommes, de l'argent. On utilise d'abord le barinel, b â t i m e n t à 2 m â t s et 2 voiles et qui transporte une chaloupe. On crée de grandes compagnies commerciales qui paieront le quint, droit fiscal sur leurs affaires. Lagos prend un essor insoupçonné. C'est là que se concentrent toutes les rumeurs qui remontent d'Outre­mer.

Quand Joâo de Barro's a dépassé le Cap Bojador, i l s'est écrié : « L a terre prend une courbure plus accentuée en comparaison de la côte ». L e voyageur et ses hommes ont craint les bas-fonds et les récifs, en pleine mer. Mais don Henrique s'est irrité : « Légendes que, tout cela, di t - i l , légendes pour les enfants 1 »

Ses efforts redoublent. I l morigène les uns et les autres pour que soient poussées les é tudes de cartes, des instruments de bord et les moyens de venir en aide aux populations locales.

Ses collaborateurs avaient pu consulter le Cartulario d 'Alco-baça de 1408, les relevés de Don Pedro, des Camaldules d'Italie et le planisphère de Saint-Marc de Venise. Aussi muni d'obser­vations récentes et de conseils, Antonio Gonçalvez a-t-il pu passer le Cap Blanc, découvrir de nouveau l 'Ile d 'Arguin, en 1442, puis l 'Ile Blanca, l 'Ile de Los Gargas et celle des Corazones. Avec Nuno Tr is tâo , i l doubla le Rio de Ouro.

Peu à peu, les cargaisons affluent, notamment de Guinée. Les navires embarquent la poudre d'or, les épices, et... les esclaves amenés par les chefs musulmans.

Mais l'Infant interdit les razzias. I l ordonne qu'on accepte seulement les hommes « conduits à la côte » qui pourront ainsi connaitre un sort meilleur. I l défend les tortures et les mauvais traitements comme les longs emprisonnements.

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Qu'ils soient « d'une blancheur tirant sur le rose, beaux et bien faits, d'autres moins blancs, se rapprochant du brun, d'autres aussi noirs que des Ethiopiens et si é t ranges de corps et de visage qu ' à ceux qui les regardaient ils semblaient presque comme des images en quelque sorte du plus bas hémisphère » (1).

Dès qu'ils sont sur le sol portugais, l 'on cherche certes à les convertir, parfois bon gré, mal gré. Mais leurs enfants deviennent en principe des Portugais libres, jouissant des mêmes droits que les autres.

Si les premiers temps d'acclimatation ne sont pas toujours joyeux, les lendemains s'éclaircissent pour les générations suivantes de ces « citoyens à part entière ».

* *

1444 : Une année importante dans la vie de l'Infant, qui prenait figure de « ministre de l'expansion ».

U n jeune Vénitien, L u i g i de Cadamosto quittait la cité des Doges pour tenter l a fortune. I l comptait en trouver l'occasion et les moyens dans les Flandres dont l'essor attirait les regards. Passé le dét ro i t de Gibraltar, i l se v i t obligé par des vents contraires d'atterrir à l 'abri du Cap Saint-Vincent. Comment n'aurait-il pas, durant cette escale forcée, entendu parler du prince qui, à quelques pas de là, du haut de son promontoire de Sagrès, déployai t son inlassable act ivi té ? Est-ce- le Consul de la Sérénissime Répu­blique qui présen ta son compatriote, est-ce l'Infant qui, naturelle­ment informé de sa présence, le manda près de lu i ? Le fait certain est que L u i g i fut reçu à Terçanaba l et ne tarda pas à s'enthousias­mer pour les projets de son hôte .

Celui-ci lui montra les produits exotiques déjà rappor tés du Sud et, devant ses yeux, ouvrit de vastes horizons. Le goût des aventures ou celui de l 'Aventure, le sens de l ' intérêt et le désir de gloire envahirent le jeune Italien. Il entra t rès vite dans la cohorte portugaise qui prépara i t , sous la direction de don Henrique, de nouvelles expédit ions.

Dès la fin de l 'année, on équipa, dans le port de Lagos, une série de caravelles. Ce vaisseau, de conception essentiellement portu-

(1) Azurara.

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gaise, jaugeait à cette époque environ 35, tonneaux. Avec ses trois m â t s , b ien tô t ^portés à quatre, et ses voiles latines, sa légèreté, sa finesse et sa maniabi l i té , i l allait porter vers l 'Afrique, l 'Asie et, à la fin du siècle, les Amériques , les espoirs, les dévouements et les ambitions de l 'Europe.

Dès 1445, Cadamosto s 'élançait vers le Rio Grande. L e Cap Vert franchi, Lanzarote de son côté reconnaissait l a Gambie en 1447.

Les navires battant pavillon de l'Infant se succédaient sur l 'Océan. On ne savait rien de la date de leur dépar t , n i de leur it inéraire, avant qu'ils ne quittent Lagos. Don Henrique tenait au secret absolu de ses plans. Tant pour les voyages directement tracés par lu i , que pour ceux effectués sous les auspices de compa­gnies qu ' i l contrôlai t et dont les bénéfices servaient à ses recherches, i l exigeait l a discrétion et l'ordre. Ses instructions é ta ient minu­tieuses et réfléchies. Elles surveillaient le rendement des entreprises, mais concernaient surtout le rassemblement des observations les plus substantielles concernant l a géographie, l'astronomie, l 'é tude des m œ u r s , des coutumes, des religions chez les peuples inconnus.

E n 1450, le Génois Zol i , qui avait, comme Cadamosto, rallié l 'équipe de l'Infant, explorait les Iles du Cap Vert . .Le « repérage » de la côte africaine se déroulai t avec mé thode . Durant ce temps, à Sagrès, l 'on montait avec soin l'organisation d'une expédi t ion plus hardie vers le Golfe de Guinée et l'embouchure du Congo.

Tandis que ses bateaux voguaient sur les océans et que son « é ta t -major » classait, é tudia i t , p répa ra i t lentement les opérat ions un messager de Lisbonne apporta, un soir de juin 1453, une terri­fiante nouvelle ; après un siège de deux mois, Mahomet II, le 29 mai, s 'était emparé de Constantinople.

Le pape Nicolas V appelait les nations occidentales à l'union pour la défense de la Chrét ienté contre le péril qui se dressait à l 'Es t . Mais l 'Europe é ta i t en proie aux plus farouches divisions. Les grandes Puissances militaires se battaient ou se défiaient les unes des autres. L'Espagne voyait un sursaut de Grenade l ' inquiéter sur son territoire.

Que pouvait faire Je Portugal, malgré son désir d'action ? I l n ' é t a i t pas question pour lu i d'envoyer des troupes sur le Danube où les Hongrois résistaient toujours. Don Henrique se rendit près du Roi Afonso V . L'oncle, le neveu et leurs conseillers décidèrent

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alors deux opérat ions : persuadés naturellement de l 'uni té poli­tique organisée de l ' Islam, ignorant les différences qui séparent les Turcs, des Arabes ou des Berbères , ils crurent gêner l'offensive du Sultan de Constantinople ou d'Istamboul, en attaquant celui de Fez et de Rabat.

D'autre part, i l leur sembla de plus en plus utile, non sans raison, dans le principe, de faire le tour de l 'Afrique et de chercher en Ethiopie, en Asie même , des alliés contre les Infidèles et des ins­truments nouveaux de puissance. L e Pape n'avait-i l pas écrit lu i -même dans sa Bulle du 8 janvier 1454 : « I l faut rendre l 'Océan navigable jusqu'aux Indes, pour secourir la Chrét ienté de l 'Occi­dent contre les Sarrasins. »

Pour mettre à exécution ces desseins, i l fallait du temps. L'Infant d'ailleurs n'aimait pas les improvisations qu ' i l estimait avec bon sens aléatoires et coûteuses.

Ce fut en 1457 seulement que le Ro i et lu i s ' emparèrent d'Alcacer près de Tanger, reprenant ainsi pied au Maroc.

A peu près à la m ê m e époque (1) sans doute, Cadamosto s ' avança jusqu'aux montagnes, de Sierra Leone ; Diego Gomez remontait assez loin le cours de la Gambie. A la recherche des grands fleuves, ils se demandaient si, en suivant leurs berges, ils ne réussiraient pas à rejoindre l 'Es t africain.

L ' o n envisagea donc une puissante expédit ion « vers les Indes », avec plusieurs vaisseaux ; Don Henrique informa, en mars 1459, le Souverain Pontife, Pie II , alors à Mantoue, et toujours attentif à l a « politique chrét ienne », de cette prépara t ion mé thod ique et intensive. Sa grande pensée prenait corps. L'Infant ne devait cepen­dant pas voir le dépa r t de ses dernières caravelles.

Dans son châ teau de Sagrès, au milieu de ses livres, de ses cartes, de ses dossiers, en touré de ses fidèles, et tandis que les vents d'Afrique venaient encore souffler sur son promontoire battu par l 'Océan, don Henrique rendait l ' âme le 13 novembre 1460.

Alors, écrit l 'un de ses lieutenants, Diego Gomez : « Le Ro i ordonna à son frère don Fernando, duc de Beja, et à divers évêques et comtes, de porter son corps au monas tère de Batalha où le R o i attendait la dépouille mortelle du défunt. E t le corps de l'Infant fut enseveli dans la grande et t rès belle chapelle que son père le Roi Jean avait fait construire ; c'est là que repose le Roi lui -même

(1) Car les chroniqueurs se contredisent souvent au sujet des dates.

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avec son épouse, l a Reine Phelipa, mère de l'Infant, et ses cinq frères ; que leur mémoire à tous soit vénérée à jamais. E t c'est là qu'ils demeurent dans la paix éternelle. Amen » (1).

* *

L e prestige n ' é t a i t pas mince, que l 'é lévation de sa pensée, l a ténacité de son œuvre et l a nouveau té de ses conceptions avaient données à l'Infant.

Sa mort fut certes profondément ressentie dans son pays, en Europe et dans les territoires au-delà des mers où ses bannières s 'étaient déployées. Mais partout et m ê m e au Portugal,, on ne semble pas avoir pu comprendre aussi tôt l'importance de la vie qui s 'étai t é te inte en ce jour d'automne, sur les rochers ensoleillés de l 'Algarve.

L e rassemblement des spécialistes, les plus divers par l'origine sociale, la nat ional i té , l a religion ou l a race, avait été , en son temps, la marque d'un l ibéralisme intelligent et réalisateur. E t cette valeur de l a collaboration des hommes, ce souci de ce que l 'on nommerait aujourd'hui « l'esprit d 'équipe » é ta i t plus remarquable encore si l 'on songe à l a foi catholique militante de don Henrique et à son incontestable sens de VEtat.

L e polyptique, chef-d 'œuvre de Nufio Gonçalvez et d'une phalange d'artistes réunis autour de ce maî t re , fait appara î t re ce caractère essentiel. Sur un panneau, se dressent l'arche­v ê q u e de Lisbonne et ses chanoines ; sur un autre, les moines cister­ciens d 'Alcobaça ; sur un troisième, le groupe des somptueux Bra-gances, avec au milieu d'eux, un guerrier maure casqué d'acier, et le Juif avec la Tora, et les pèlerins, et les pêcheurs dont on retrouve toujours les visages quand on se promène sur les quais du Tage, et les chevaliers aux brillantes armures. E t puis, au centre, le Ro i Afonso V , à genoux avec, derrière lu i , son jeune fils qui sera Joâo II ; au-dessus d'eux, l 'Infant priant, les mains jointes.

Après don Henrique, les Portugais vont prendre l'habitude de retourner au Maroc et d'y pousser leurs avantages. Ils s'empare­ront d 'Arz i la et de Tanger en 1471, puis d'Azemmour et de Sâfi. Leurs architectes iront y construire des forteresses et des résidences pour leurs gouverneurs, mais ils voyageront et poseront leurs regards sur les monuments de l 'art arabe.

(1) Cf. Fortunata de Almeida, Hiatoria de Portugal, Coïmbre, 1929.

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Quand Boytaca élèvera sans doute le cloître royal de Batalha, l 'on y retrouvera, comme l 'écrit si bien M . Reynaldo dos Santos, une « fontaine dont la saveur est si mauresque, çt où les remplages des arcs ogivaux tamisent l a lumière comme des moucharab ièhs (1).

Danzillo et Diego d 'Arruda adopteront la même voie. Francisco de Arruda, qui aura visité Sâfi et Azemmour au d é b u t

du x v i e siècle, marquera ce m ê m e souvenir sur l a tour de Belem que l 'on sent si proche de la Koutoubia. A Evora , dans le portai] mudejar du cloître des Lions, à Beja et sur le portail de Mathieu Fernandès à Batalha, l'influence du Maghreb s'inscrit avec élégance et force.

L e style manuél in , dans sa plus belle période, devra donc une part de son charme à cette conjonction lusitano-mauresque.

Ains i , m ê m e dans le jardin des Arts , l 'action indirecte de l'Infant aura largement dépassé l a fin de son époque.

Sur le domaine qui est le sien propre, celui des sciences, des découvertes , celui de l 'évolution réalisée peu à peu des pays nou­veaux et celui encore des répercussions provoquées en Europe par ces opérat ions, les résul ta ts seront immenses.

E n 1469 et 1470, les Portugais s'installeront après Fe rnaô Gomez, avec Joâo de Santarem et Pero Escobar, à l ' I le de San T h o m é ; ils gagneront l'embouchure du Congo avec Lopo Gonçalvez et Ruis Sequeira, puis Diego Cam. S i le Français de L a Fosse appa­ra î t r a en Guinée, vers 1473, on verra, en 1482, Diego de Azambuja construire un fort à Sao Jorge da Mina , en Côte de l 'Or. Bartolomeo Diaz, en 1487, franchira le Cap des Tempê tes , Cabo Tormentoso, et remontera j u s q u ' à Rio de Infante.

Quelques-unes de leurs caravelles, atteindront le sud de l 'Amérique . Joâo II p réparera l a réunion du Brésil à sa couronne. E t de 1497 à 1499, Vasco de Gama enfin abordera aux Indes. Le grand dessein de don Henrique se réalisera.

I l n'aura pas seulement servi l a grandeur du Portugal et je té les bases de son empire. Mais, suivant une formule un peu trop employée à tort et à travers au x v m e siècle, i l aura t ravai l lé au « progrès des lumières ». Celui-là, le prince l'entendait pour tous, par l'alliance thomiste de sa raison et de sa croyance.

Don Henrique, durant sa vie entière, se battit pour ces grandes causes, les seules qui valaient à ses yeux ; i l lutta souvent en silence

(1) Cf. Reynaldo dos Santos : L'Art portugais, Paris, 1953.

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et toujours sans éclat spectaculaire, avec une mé thode rigoureuse mais une confiance totale à l'heure de l 'action.

Certes, i l mér i ta i t mieux que le modeste monument élevé en 1839 à Sagrès, deux pierres scellées dans une muraille avec ses armes t imbrées d'une t ê t e de dragon ailé, et sa devise : Talent de bien faire, qu ' i l faut comprendre par « désir de bien faire ».

Sans doute, le grand Infant de Portugal serait-il plus juste­ment évoqué dans l'hommage de gratitude de son peuple et des autres, si l 'on inscrivait sur un stèle de marbre, au milieu du pro­montoire de l 'Algarve, ce beau propos de son illustre compatriote, le Prés ident Oliveira Salazar : « Nous devons tenir compte dans toute la mesure du possible de ce dualisme difficile : é tudier dans le doute et réaliser dans la foi (1). »

P H I L I P P E d ' E S T A I L L E U R - C H A N T E R A I N E .

(1) Oliveira Salazar, Principes d'action, Paris, 1953.

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