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4 Henri J.M. Nouwen "Se montrer compatissant veut dire qu'on en- tre, avec d'autres personnes, 18ou il y a de la souffrance, qu'on entre dans des endroits de douleur, qu'on y est avec des personnes qui sont affligees. Les gens n'ont pas I'habitude de courir vers les endroits ou ils doivent faire face 8 des gens qui en arrachent; ils essaient de rester loin de la peine et de la souffrance." Lettre aux Philippiens " Aussi je vous en conjure par tout ce qu'il peut y avoir d'appel pressant dans le Christ, de persuasion dans l'Amour, de commu- nion dans I'Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble a ma joie par I'accord de vos sentiments: ayez le meme amour, une seule a.me, un seul sentiment; n'accordez rien a I'esprit de parti, rien a la vaine gloire, mais que chacun, par I'humilite, estime les autres superieurs a soi, ne recherchez pas chacun vos propres interets, mais plut6t que chacun songe a ceux des autres. Ayez entre vous les memes sentiments qui sont dans le Christ Jesus: Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui I'egalait a Dieu. Mais il s'aneantit lui-meme, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'etant comporte comme un homme, il s'humilia plus encore, obeissantjusqu'a la mort, et a la mort sur une croix! Aussi Dieu I'a-t-il exalte et lui a-t-il donne le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jesus, s'agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enters, et que toute langue proclame , de Jesus Christ, qu'il est SEIGNEUR, a la gloire de Dieu le pere (Philippiens, 2, 1.11 ). Introduction A quelqu'un qui vous demanderait si vous etes une personne compatissante, vous repondriez probablement: "Bien sur, voyons!" Au fond de nous-memes, nous considerons tous que nous som- mes des personnes compatissantes. II y a beaucoup de points communs entre une personne compatissante et celle que I'on dit humaine. Mais a y regarder de plus pres, le mot compassion correspond a un concept un peu plus ambigu, car il signifie "Souffrir avec". Se montrer compatissant veut dire qu'on entre, avec d'autres personnes, la ou ii y a de la souffrance, qu'on entre dans des endroits de douleur, qu'on y est avec des personnes qui sont affligees. Les gens n'ont pas I'habitude de courir vers les endroits ou ils doivent faire face a des gens qui en arrachent; i's essaient de rester loin de la peine et de la souffrance en disant: " Allons ailleurs, cherchons un endroit ou ron se sente plus a raise". Personne ne recherche la peine, bien au contraire. II n'est pas normal d'aller la ou cela nous blesse; il est tres difficile, voire impossible, de le faire. Imaginez que quelqu'un vienne a vous et dise: "Je voudrais vous parler. J'aimerais beaucoup vous parler, parce que je souffre terriblement. Je voudrais vous parler, parce que je ne sais plus quoi faire de ma vie. Je voudrais vous parler, car j'ai essaye bien d'autres choses et je sens une grande tension interieure grandir en moi. Je me demande si je puis continuer a vivre ainsi encore longtemps." Votre premiere reaction serait de le reconforter, de le consoler ou de rencourager. "Ah! mais les choses ne vont pas si mal que vous le croyez", ou encore, "Regardez le beau cote des choses; il y a bien des aspects positifs que vous n'avez pas remarques," ou encore, "Allons, allons, il y a beaucoup de bon dans tout cela. Sachez regarder rautre cote de la medaille. Tout est L' Auteur Le pere Henri J.M. Nouwen, conferencier repute et auteur d'un grand nombre de livres de spiritualite et de psychologie, a adresse la parole aux participants du Congres annuel de I' Association catholique canadienne de la sante, le 15 mai dernier, a I'Hotel Skyline d'Ottawa. Le congres avait pour theme: "La pastorale de la sante". La conference principale du pere Nouwen avait pour titre: "Reflexions sur la compassion". Son allocution s'inscrivait dans un programme de trois jours sur la pastorale de la sante. Natif de Hollande, le Pere Nouwen est actuellement professeur associe de theologie pastorale a la Yale Divinity School. II a poursuivi ses etudes psychiatriques et religieuses a la Men- ninger Foundation et a l'Universite de Nijmegen. Parmi les livres les mieux connus du pere Nouwen, il faut citer: In Memoriam, Clowning in Rome, The Wounded Healer, Pray to Live, Intimacy, Creative Ministry, With Open Hands, Aging, The Fulfilment of Life, Reaching Out, Out of Solitude, and The Genesee Diary. Comme on peut le constater, ses livres touchent une grande variete de sujets, y inclus la pastorale, la vie interieure et la vieillesse.

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Henri J.M. Nouwen

"Se montrer compatissant veut dire qu'on en-tre, avec d'autres personnes, 18 ou il y a de lasouffrance, qu'on entre dans des endroits dedouleur, qu'on y est avec des personnes quisont affligees. Les gens n'ont pas I'habitudede courir vers les endroits ou ils doivent faireface 8 des gens qui en arrachent; ils essaientde rester loin de la peine et de la souffrance."

Lettre aux Philippiens" Aussi je vous en conjure par tout ce qu'il peut y avoir d'appel

pressant dans le Christ, de persuasion dans l'Amour, de commu-nion dans I'Esprit, de tendresse compatissante, mettez le comble ama joie par I'accord de vos sentiments: ayez le meme amour, uneseule a.me, un seul sentiment; n'accordez rien a I'esprit de parti,rien a la vaine gloire, mais que chacun, par I'humilite, estime lesautres superieurs a soi, ne recherchez pas chacun vos propresinterets, mais plut6t que chacun songe a ceux des autres. Ayezentre vous les memes sentiments qui sont dans le Christ Jesus:

Lui, de condition divine,ne retint pas jalousementle rang qui I'egalait a Dieu.

Mais il s'aneantit lui-meme,prenant condition d'esclave,et devenant semblable aux hommes.

S'etant comporte comme un homme,il s'humilia plus encore,obeissantjusqu'a la mort,et a la mort sur une croix!

Aussi Dieu I'a-t-il exalteet lui a-t-il donne le Nomqui est au-dessus de tout nom,

pour que tout, au nom de Jesus,s'agenouille, au plus haut des cieux,sur la terre et dans les enters,

et que toute langue proclame ,de Jesus Christ, qu'il est SEIGNEUR,a la gloire de Dieu le pere (Philippiens, 2, 1.11 ).

Introduction

A quelqu'un qui vous demanderait si vous etes une personnecompatissante, vous repondriez probablement: "Bien sur, voyons!"Au fond de nous-memes, nous considerons tous que nous som-mes des personnes compatissantes. II y a beaucoup de pointscommuns entre une personne compatissante et celle que I'on dithumaine. Mais a y regarder de plus pres, le mot compassioncorrespond a un concept un peu plus ambigu, car il signifie"Souffrir avec".

Se montrer compatissant veut dire qu'on entre, avec d'autrespersonnes, la ou ii y a de la souffrance, qu'on entre dans desendroits de douleur, qu'on y est avec des personnes qui sontaffligees. Les gens n'ont pas I'habitude de courir vers les endroitsou ils doivent faire face a des gens qui en arrachent; i's essaient derester loin de la peine et de la souffrance en disant: " Allons ailleurs,

cherchons un endroit ou ron se sente plus a raise". Personne nerecherche la peine, bien au contraire. II n'est pas normal d'aller laou cela nous blesse; il est tres difficile, voire impossible, de le faire.

Imaginez que quelqu'un vienne a vous et dise: "Je voudrais vousparler. J'aimerais beaucoup vous parler, parce que je souffreterriblement. Je voudrais vous parler, parce que je ne sais plus quoifaire de ma vie. Je voudrais vous parler, car j'ai essaye biend'autres choses et je sens une grande tension interieure grandir enmoi. Je me demande si je puis continuer a vivre ainsi encorelongtemps." Votre premiere reaction serait de le reconforter, de leconsoler ou de rencourager. "Ah! mais les choses ne vont pas simal que vous le croyez", ou encore, "Regardez le beau cote deschoses; il y a bien des aspects positifs que vous n'avez pasremarques," ou encore, "Allons, allons, il y a beaucoup de bondans tout cela. Sachez regarder rautre cote de la medaille. Tout est

L' Auteur

Le pere Henri J.M. Nouwen, conferencier repute et auteur d'ungrand nombre de livres de spiritualite et de psychologie, aadresse la parole aux participants du Congres annuel deI' Association catholique canadienne de la sante, le 15 maidernier, a I'Hotel Skyline d'Ottawa. Le congres avait pourtheme: "La pastorale de la sante". La conference principale dupere Nouwen avait pour titre: "Reflexions sur la compassion".Son allocution s'inscrivait dans un programme de trois jourssur la pastorale de la sante.

Natif de Hollande, le Pere Nouwen est actuellement professeurassocie de theologie pastorale a la Yale Divinity School. II apoursuivi ses etudes psychiatriques et religieuses a la Men-ninger Foundation et a l'Universite de Nijmegen.

Parmi les livres les mieux connus du pere Nouwen, il fautciter: In Memoriam, Clowning in Rome, The Wounded Healer,Pray to Live, Intimacy, Creative Ministry, With Open Hands,Aging, The Fulfilment of Life, Reaching Out, Out of Solitude,and The Genesee Diary. Comme on peut le constater, seslivres touchent une grande variete de sujets, y inclus lapastorale, la vie interieure et la vieillesse.

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5loin d'aller aussi mal que vous le dites. Vous n'insistez que sur lesaspects penibles." Immediatement, et presque automatiquement,nous cherchons le moyen de relever le moral de cette personne.Durant tout ce temps, toutefois, nous nous eloignons de I'endroit auil y a de la douleur. II est extrement difficile de rester avec unepersonne qui souffre. II nous arrive meme, lorsque les gens nousparlent de leurs problemes, de le ressentir dans notre coeur. Unesorte de tension nerveuse s'installe en no us et no us fait nousdemander ce qu'il faudrait dire pour que la personne arrete deparler! Nous ne sommes pas a I'aise avec des gens qui sont dansla douleur, et nous sommes prets a faire n'importe quai pour nousen eloigner. Donc, a bien y penser, il n'est pas aussi aise et naturelde se montrer compatissant. Sous bien des aspects, il s'agit la d'unmode de vie tres difficile. Mais ii y a plus, et voila justement de quaije veux vous entretenir aujourd'hui.

" Ainsi pouvons-nous prendre de plus en plus

conscience que nous ne pouvons pas, vouscomme moi, devenir reellement compatis-sants, que nous ne pouvons pas bBtir notre viesur le desir de devenir le meme que la per-sonne qui souffre. voila comment j'ai eteamene a penser que la compassion, dans sonsens le plus fort, ne peut etre attribuee qu'aDieu."

"Je n'aime pas trop I'avouer, mais telle estbien la verite: la verite, c'est que les gens nesont pas motives par la compassion, ma is parla concurrence."

autre. Lorsque nous tentons de faire preuve d'obeissance, nousnous demandons si nous sommes plus obeissants que d'autres.D'une fa9on ou d'une autre, nous ne nous departissons jamaiscompletement de cet esprit de concurrence.

Nous ne cessons jamais de nous questionner sur notre identite:"Qui suis-je en comparaison d'autres?" Ainsi, nous n'admettonsjamais completement la possibilite "d'etre le meme que", de laissertomber les differences, d'entrer la ou nous sommes faibles avec lesautres. De fa9on bien concrete, nous decouvrons que la compas-sion ne constitue pas la base de nos vies. II faudrait peut-etre nousdemander, alors, s'il est humainement possible d'etre compatis-sant. Et moi je vous dis: "Eh bien, tout le monde croit que semontrer compatissant correspond a une maniere normale devivre". Nous constatons non seulement que la compassion n'estpas une reaction spontanee, mais qu'elle va a I'encontre de latendance fonciere de notre existence, qui est d'entrer en concur-rence. Ainsi pouvons-nous prendre de plus en plus conscience quenous ne pouvons pas, VOUS comme moi, devenir reellementcompatissants, que nous ne pouvons pas ba.tir notre vie sur le desirde devenir le meme que la personne qui souffre. voila comment j'aiete amene a penser que la compassion, dans son sens le plus fort,ne peut etre attribuee qu'a Dieu.

"La Nouvelle est que celui qui est venu n'estpas d'abord venu pour nous enlever nos pei-nes, mais pour les partager, pour entrer enelles et devenir pleinement partie d'elles. voilala Bonne Nouvelle! C'est que Dieu est venupartager notre condition humaine, la ressentir ,la souffrir et en mourir ."

Un Dieu compatissant

Avant de traiter du ministere de la compassion, je crois qu'il tauts'arreter un peu a la theologie de la compassion. Peut-etre que lemessage central de l'Evangile est que Dieu, qui n'entre en aucunemaniere en concurrence avec nous, est le seul etre qui puissereellement se montrer compatissant. L'essentiel de ce messageest que celui qui est completement autre, qui ne peut en aucuneta9on etre compare a nous, qui est absolument autre, totalementdifferent, nullement comparable aux etres humains, que celui-lameme pourrait devenir comme nous sommes. Celui qui est deI'au-dela n'a pas voulu s'accrocher a sa divinite, mais a pu se viderde lui-meme et devenir comme nous sommes, il a pu entrer dansnotre situation humaine au point de devenir totalement humain, etmeme de vivre une experience humaine plus complete et plusinterieure que celle que nous pouvons avoir. Lui qui etait totale-ment autre est devenu totalement le meme; lui qui n'etait enaucune ta9on en concurrence est devenu pleinement compatis-sant; lui qui n'avait nullement souffert pouvait souffrir avec nous.

II y a maintenant quatre ans, j'ai passe quelque temps avec deuxde mes amis a Washington, D.C., a reflechir sur la compassion.Nous avons rencontre un tas de gens avec lesquels nous avonsdiscute: des journalistes, des medecins, des psychologues et despoiiticiens. Parmi ces personnes, nous avons eu roccasion decauser avec un homme que vous connaissez sOrement, le sena-teur Hubert Humphrey. Lorsque avec mes amis, j'entrai dans sonbureau, ii venait de terminer une discussion d'affaires au tele-phone. II no us invita a nous asseoir et dit: "Messieurs que puis-jefaire pour vous? Et je repondis: "Eh bien, senateur, nous voulionssavoir simplement ce que vous pensez de la compassion." II nousregarda avec un air tres meduse et dit: "Je ne pense pas qu'il mesoit possible de parler de compassion derriere ce bureau" et iipassa de son pupitre a une table a cafe autour de laquelle il no usinvita a prendre place. Et il commenc;:a a parler. "La compassion.La compassion. Ou'est-ce que la compassion?" Finalement, ilrevint a son pupitre et prit un crayon. "Messieurs, voyez-vous cecrayon? II est fait de bois et de plomb. A rune des extremites, il y aune gomme a effacer. Cette petite gomme de caoutchouc, voila ceque c'est que la compassion. La vie est faite avant tout deconcurrence. A un moment ou rautre, vous blessez quelqu'un.Alors, il s'agit de tourner le crayon et de se servir de la gomme aeffacer. C'est ce qu'on appelle la compassion. Je n'aime pas tropravouer, mais telle est bien la verite: la verite, c'est que les gens nesont pas motives par la compassion, mais par la concurrence. voilabien ce que nous sommes. Nous sommes tous des concurrents quiessaient de reussir leur vie, qui essaient de tirer un peu de profit,d'etre un peu differents, d'obtenir un peu d'honneur, quelquestrophees sur les rayons de leur bibiiotheque. Mais lorsquequelqu'un se fait faire mal, no us tournons le crayon de la concur-rence et commenc;:ons a nous montrer gentils. Mais ce n'est pas lanotre principale motivation dans la vie."

Cette conversation m'avait beaucoup frappe; comme cet hommevoyait juste! Nous sommes tous en concurrence les uns avec iesautres; nous voulons laisser notre marque dans la vie; no usvoulons etre differents, speciaux. A des niveaux tres subtils, nouscherchons constamment a faire concurrence sans meme le vouloir ,sans meme nous en rendre compte. Nous nous comparons sanscesse aux autres. Nous no us demandons toujours comment nousreussissons par rapport aux autres. Nous sommes constamment anous demander ce que les aut res pensent de nous, et jusqu'a quelpoint nous avons du succes. Meme lorsque nous no us mettons auservice des autres, no us no us demandons si notre travail vautmieux que celui d'un autre. Lorsque nous aidons d'autres person-nes, nous no us demandons si notre aide est superieure a celle d'un

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voila la Bonne Nouvelle que nous transmettent le Nouveau Testa-ment et toutes les Ecritures. Je crois qu'il fa ut insister enormementsur ce point. II ne nous est pas dit que Dieu est venu prendre notreplace ou prendre soin des pauvres, afin de modifier certaineschoses et de bien nous organiser. Dieu n'est pas venu ici bas pournous dire: je suis fort et vous etes faibles; je veux vous soigner,vous guerir et prendre sur moi vos problemes". Ce n'est pas la laNouvelle. La Nouvelle est que celui qui est venu n'est pas d'abordvenu pour nous enlever nos peines, mais pour les partager, pourentrer en elles et devenir pleinement partie d'elles. voila la BonneNouvelle! C'est que Dieu est venu partager notre condition hu-maine, la ressentir, la souffrir et en mourir .

"Notre premiere vocation n'est pas de guerirma is de soigner. Si la guerison n'est pas bienentouree de soins, elle peut etre plus nefastequ'utile."

tres fort "guts"; en franc;:ais, on pourrait dire "entrailles". Leressentir jusque dans ses entrailles. Ce mot grec est proche d'unmot hebreu qui a ete utilise dans l'Ancien Testament pour decrireYahweh. Yahweh a ressenti les souffrances de son peuple dansses entrailles. C'est une souffrance intime, maternelle, celle de lamere qui ressent les douleurs de son enfant jusque dans son etrele plus intime. Ainsi, Dieu nous est revele comme une mere quiressent la douleur de son peuple. Ce meme mot revient dans leNouveau Testament lorsqu'il s'agit de decrire Jesus. Lorsque cedernier aperc;:ut la foule qui etait sans nourriture, il ressentit la faimle tenailler lui-meme. En voyant les lepreux et les aveugles, ilexperimentait leurs douleurs au plus profond de lui-meme. Quand ilvit le boiteux, quand il aperc;:ut la femme de Nalm pleurant son filsqui eta it mort, il ressentit leur douleur jusque dans ses entrailles. IItremblajusqu'au plus profond de son etre; il fut secoue tout entier.La premiere chose que nous constatons, en lisant le recit desmiracles, c'est que Jesus connait la souffrance de ceux quiI'entourent. voila bien le grand evenement -non pas les change-ments qui viendront plus tard -mais ce premier evenement de laplus haute importance: le Seigneur lui-meme a ressenti la douleurde son peuple dans ses entrailles, au plus profond de lui-meme,dans son coeur et dans son etre meme. II a tant tremble. II a eteemu. "11 eut pitie", il ressentit de la sympathie ou de la compassion"sont des expressions bien faibles comparativement au terme grec.II a ete emu, emu jusqu'a en trembler et pour nous, c'est de cemouvement interieur qu'est nee une nouvelle vie. Tel est leresultat. Vous rendez-vous compte de cela? Jesus a ressenti siprofondement la douleur; ii a tremble si profondement que de cetremblement meme les hommes sont passes a une nouvelle vie. IIa emu, et de ce mouvement divin est ressorti pour no us unenouvelle sante; un changement, une guerison nous ont ete donnes.voila ce qu'il nous faut considerer.

"Lui qui etait totalement autre est devenutotalement le meme; lui qui n'etait en aucunefa~on en concurrence est devenu pleinementcompatissant; lui qui n'avait nullement souf-fen pouvait souffrir avec nous. voila la BonneNouvelle que nous transmettent le NouveauTestament et toutes les Ecritures."

"Prendre soin elargit la vision des choses;cela permet de voir autour de soi; cela nousouvre a de nouvelles possibilites."

Un ministere de compassion

J'espere qu'il vous est possible de voir combien I'etre du Christ aete marque par cette emprise interieure. C'est en le comprenantqu'il devient possible de voir la structure de toute guerison, lastructure de tous les soins hospitaliers et de toutes les autresformes de soins. Les mots "soins" et "compassion" sont tresapparentes; ils donnent tous deux a penser qu'il fa ut souffrir avecI'autre, qu'il faut prendre soin de I'autre. voila bien ce que nousenseigne I'Evangile. voila notre premiere vocation: s'occuper desautres, etre avec eux lorsqu'ils souffrent. C'est de ce soin de I'autreque la guerison peut venir. Une des grandes tentations de notrevie, de notre vie concurrentielle, est de nous preoccuper a ce pointde la guerison, de nous interesser a ce point aux changements et ala nouveaute que nous pouvons apporter, que nous risquons deperdre notre vocation premiere.Notre premiere tache, que dis-je, notre premiere vocation n'est pasde guerir mais de soigner. Si la guerison n'est pas bien entouree desoins, elle peut etre plus nefaste qu'utile. Bien des personnes sontsoi-disant gueries, mais autrement blessees a un niveau plusprofond, parce qu'elles n'ont pas ete prises serieusement par les

Voila ce qui constitue vraiment le coeur de la Revelation. D'unefa<;:on ou d'une autre, bien sOr, nous savons tout cela. Maisarretons-nous quelques instants et regardons un peu notre vie,pensons a nos experiences, souvenons-nous des personnes quiont eu le plus d'importance dans notre vie, rappelons-nous lesmoments ou nous avons ressenti du reconfort et une certaineconsolation. Nous nous rendons compte qu'il ne s'agit pas depersonnes qui etaient pretes a nous offrir toutes sortes de conseils,de suggestions ou de recommandations. Le veritable ami, celui quino us a vraiment apporte confort et consolation, ne nous a pasconseille d'aller voir le psychologue ou le psychiatre, ou de nousrendre a I'hopital en nous disant qu'il paierait la facture. Non, leveritable ami est celui qui nous a dit: "Meme si je ne sais pas quoifaire, tu peux etre sOr d'une chose: je suis avec toi. Chaque fois quetu auras besoin de quelqu'un, a n'importe quel moment et an'importe quel endroit, tu peux compter sur moi". voila ce que c'estqu'un ami! Non pas la personne qui a la solution, mais celle quireste avec nous meme lorsqu'ii n'y a aucune solution. II est bienimportant de prendre conscience de cela, car ainsi il sera possiblede comprendre le sens de la Revelation selon laquelle Dieu n'estpas d'abord venu pour enlever nos peines, mais pour penetrer enelles. Une douleur subie lorsqu'on est seul est bien differente d'unedouleur subie avec un autre etre humain. L'anxiete, I'angoisse, ladouleur physique et mentale se modifient quand nous sommesavec d'autres, meme lorsque la douleur persiste. Cette sorte dereconfort devient tout a fait apparent et extremement puissant dansle mystere de l'lncarnation. Dieu dit: "Je suis avec vous en touttemps et en tout lieu". II n'existe pas de douleur humaine -ni celledes petits bebes, ni celle des adolescents, ni celle des jeunesadultes, ni celle des gens maries, ni celle des personnes quiperdent leur emploi, ni celle de la maladie ou d'un conflit demenage ou meme d'un conflit international- il n'est pas une peinesur terre qui n'a pas ete pleinement entrainee au coeur meme de lavie divine. II n'y a plus rien d'humain qui ne soit pas divin; ii n'y arien qui lutte qui ne soit par partie de ('experience propre de Dieu.Tel est le grand mystere dans lequel nous sommes engages.J'aimerais maintenant que vous voyez comment cela devientapparent, de fa<;:ontout a fait concrete et particu(iere, dans la vie duChrist.Lorsque nous examinons les Evangiles, nous constatons qu'il y aun mot qui n'est utilise que pour le Seigneur Jesus. Ce mot revientdouze fois. C'est un terme grec, splanchnizomai. II s'agit d'uneexpression tres forte qui veut dire "ressentir quelque chose dansses entrailles, dans ses visceres". En anglais moderne, il yale mot

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7autres. La preoccupation de guerir, nous le voyons souvent, peutmeme conduire a un comportement assez violent. Nous voulonstellement apporter du changement -j'ai les connaissances ne-cessaires -je puis le faire -j'ai la formation voulue -j'ai fait mesetudes de medecine, de nursing, de theologie. J'ai fait quelquechose de special; j'en ai acquis maintenant I'autorite et je veux ledemontrer. Vous etes mon patient. Je vais donc faire quelquechose pour vous; j'ai besoin de sentir que je peux effectuer deschangements pour vous. Voici ce que je veux vous montrer: si c'esta titre de psychologue que je vous parle, je vais arriver a vouschanger. Si c'est a titre de pretre, je vais vous changer. voila ce quinous interesse au sujet de notre competence: que pouvons-noustaire? Mais en attachant une importance aussi enorme a ce quenous pouvons faire, nous risquons simplement d'oublier d'etreavec les gens d'une maniere qui permette a la guerison de prendre

place.

"Un individu peut sembler avoir besoin d'uneapproche ou d'un article particulier mais ennous rapprochant effectivement de cette per-sonne, de nouvelles perspectives peuvents'ouvrir, une toute nouvelle voie de guerisonpeut se manifester ."

"Yahweh a ressenti les souffrances de sonpeuple dans ses entrailles. C'est une souf-france intime, maternelle, celle de la mere quiressent les douleurs de son enfant jusquedans son etre le plus intime. Ainsi, Dieu nousest revele comme une mere qui ressent ladouleur de son peuple."

choses; cela permet de voir autour de soi; cela nous ouvre a denouvelles possibilites. Les gens peuvent ne pas etre gueris au sensetroit du terme, mais ils peuvent etre changes simplement pouravoir connu la compassion, les so ins et la preoccupation desautres, d'une maniere vraiment profonde et significative. Ainsi,lorsque les soins a donner correspondent a notre vocation pre-miere, la guerison peut etre re9ue comme un bienfait. Ensemble, lepatient et le professionnel de la sante peuvent decouvrir denouvelles perspectives. Par le fait d'etre avec d'autres, il estpossible de voir, de discerner et d'identifier ensemble ces possibi-lites. C'est ce que Jesus no us enseigne dans son Evangile. II n'estpas venu pour guerir, pour changer les gens, il est venu pour etreavec eux. Et c'est a ce moment-la que les guerisons ont commencea s'operer. Elles n'etaient pas directement recherchees, mais ellespouvaient etre re9ues comme un don divin pour lequel des prieresde louange, des actions de grace et des remerciements pouvaientetre ex primes.

Je crois avoir fait une erreur lorsque j'ai laisse entendre que nousne pouvions pas etre comme Oieu, que nous ne pouvions pas etrecomme Jesus. J'avais commence a dire que nous ne pouvions pasetre comme Lui a cause de notre concurrence, et que de ce fait,Oieu seul pouvait etre compatissant. C'est lui qui nous enseigne lastructure fondamentale de la guerison et des soins. Qu'est-ce quesignifie un ministere compatissant? Que veut donc dire, surtout,exercer un ministere compatissant? O'abord, nous avons parle deOieu comme d'un Oieu qui nous a revele certaines structures de la!:juerison et des soins. Mais nous devons maintenant parler de la

Ce sont les soins qui sont essentiels, et la guerison sans les soinspeut etre dommageable. Elle peut meme, en realite, devenirviolente. Cela peut se voir chez certains patients dans notre mondeprofessionnel, dans ce monde ou no us avons ete formes et ounous sommes tous specialises. A cause de notre desir de montreraux autres que nous avons notre propre champ de competence,nous avons tendance a faire jouer la concurrence dans la profes-sion medicale. J'estime qu'il est extremement important de rappe-ler sans cesse a ceux qui nous entourent que nous sommesappeles a soigner. En faisant des soins a donner notre preoccupa-tion principale, il est possible de decouvrir des formes de guerisonauxquelles nous n'aurions jamais pense. En ne pla9ant notreinteret que sur la methode de guerison et sur les medicamentsrequis pour cette guerison, nous ne nous concentrons pas sur lapersonne, mais plut6t sur la maladie. Par contre, si les soinscontituent notre premier souci et si nous no us montrons prets aentrer dans cette faiblesse avec I'autre personne et a I'ecouter deI'interieur, tout un eventail de guerisons possibles peut no usapparaitre. Bien des gens ne peuvent apercevoir de nouvellesfa9ons par lesquelles la guerison peut etre apportee que lorsqu'el-les sont avec quelqu'un d'autre par qui elles aper9oivent etreconnaissent la veritable situation. Un individu peut sembler avoirbesoin d'une approche ou d'un article particulier mais en nousrapprochant effectivement de cette personne, de nouvelles per-spectives peuvent s'ouvrir, une toute nouvelle voie de guerisonpeut se manifester.

"J'estime qu'il est extremement important derappeler sans cesse a ceux qui nous entourentque nous sommes appeles a soigner. En fai-sant des soins a donner notre preoccupationprincipale, il est possible de decouvrir desformes de guerison auxquelles nous n'aurionsjamais pense."

maniere par laquelle, dans nos vies, nous pouvons exercerconcretement le ministere de la compassion. Comme principegeneral, je dirais que notre vocation n'est pas d'etre des petitsdieux ou des petits Jesus qui font la meme chose que lui, maisplut6t de vivre d'une maniere telle que la compassion du Seigneurpuisse etre manifeste dans nos vies et dans la vie des autres. Vivreune vie par laquelle nous puissions reveler, rendre visible, decou-vrir la compassion de Dieu. Dans une perspective strictementreligieuse et theologique, exercer le ministere ne veut pas dire fairece que Dieu a fait, mais plut6t de vivre de maniere a temoigner desa compassion sans cesse agissante, le rendre visible, palpable,ici et maintenant dans la vie des gens. Ce que no us devonsaffirmer, c'est que Dieu est present avec nous, en 1980, aujour-d'hui et a ce moment present. II no us faut faire I'experience de cettepresence une presence guerissante, reconfortante et consolante.voila ce dont nous devons no us occuper: manifester, reveler,rendre visible la compassion puissante de Dieu, ce Dieu qui esttout puissant parce qu'il s'est fait impuissant. Mais commentpouvons-nous y arriver? Comment pouvons-nous manifester la

" Ainsi, lorsque les soins a donner correspon-

dent a notre vocation premiere, la guerisonpeut etre re~ue comme un bienfait."

Nous sommes ici devant un grand mystere. Si nous nous interes-sons non seulement a apporter du changement, mais egalement aentrer avec la personne concernee a I'interieur de sa situation defaiblesse, alors de nouvelles formes de guerison deviennent ap-parentes, parce que nous n'imposons pas les limites de vuesetroites a notre imagination. Prendre soin elargit la vision des

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"Quitter quelqu'un ne correspond pas uni-quement a la douloureuse prise de conscienceque nous ne pouvons tout faire; quitterquelqu'un c'est se rendre compte avec joieque Dieu est celui qui reste a notre place."

compassion de Dieu sans faire comme si nous etions Dieu? C'estjustement la qu'il nous est possible de voir ce qu'est reellement leservice des autres, ou notre ministere, a titre de medecine,d'infirmiere, de psychologue ou de pretre.

Permettez-moi d'introduire ici deux nouveaux termes: le ministerede la presence et le ministere de /'absence. A premiere vue cesexpressions peuvent paraitre etranges. C'est par notre desir d'etrepresents aux autres que nous manifestons la compassion de Dieu.Je I'ai deja dit, mais je le repete encore: un des moyens deguerison des plus importants est notre aptitude a etre presents lesuns aux autres. Nous devons etres bien conscients de ce pouvoir,de ce pouvoir de guerison que no us possedons. Lorsque nouscroyons qu'il vaut la peine d'etre avec une personne, memelorsque nous ne pouvons rien faire de precis, meme lorsque no usnevoyons aucun resultat, meme lorsque nous ne voyons aucunchangement, c'est la compassion de Dieu que nous manifestons.

visite une personne et parle avec elle de ce que vous considerezcomme des choses extremement superficielles ou meme triviales,comme une joute de football, ou un evenement politique ou unesimple curiosite qui s'etait produite ce jour-la. Pour vous, ce n'etaitqu'une petite visite. Or voici que, plus tard, cette personne dit a uneautre: "Ah! mais il m'a visite". Meme si vous etes parti depuislongtemps, cette visite garde encore sa puissance. II importe doncde se souvenir que no us servons egalement les autres par notreabsence; au moment ou nous quittons quelqu'un, no us lui laissonsla compassion de Dieu, qui est beaucoup plus grande que la notre.

Un grand nombre d'entre nous se sentent coupables de ne pouvoirfaire davantage pour les autres. Nous avons chacun nos engage-ments qui prennent tout notre temps. Tres souvent, nous devenonsconscients des besoins d'un grand nombre de gens, de leursproblemes et de leurs peines, et nous avons continuellement lesentiment de ne pas faire assez pour eux. II faudrait les voir plussouvent, les visiter, etre davantage presents, faire davantage;ainsi, peu a peu, notre vie interieure est marquee de culpabilite. Enmultipliant les promesses de "revenir demain", "vous voir denouveau lundi", autant de promesses que nous ne pouvons garder,nous no us sentons de plus en plus mal a I'aise. Alors, nous nousexcusons aupres de tout le monde de ne pouvoir garder nospromesses; a ce moment-la nous ne sommes pas avec eux, noussomme plutot avec notre sentiment de culpabilite. Nous nousrendons malheureux, parce que nous ne sommes pas Dieu. Jecrois que cette reaction fait partie de notre bagage culturel, denotre mode de vie en tant que chretiens; no us avons toujours lesentiment de devoir faire davantage, d'etre meilleurs et de repon-dre a toutes les attentes de l'Evangile. Mais tel n'est pas le sens de

"Je crois que cette reaction fait partie de notrebagage culturel, de notre mode de vie en tantque chretiens; nous avons toujours le senti-ment de devoir faire davantage, d'etre meil-leurs et de repondre a toutes les attentes del'Evangile. Mais tel n'est pas le sens de l'Evan-gile!"

"Lorsque nous croyons qu'il vaut la peined'etre avec une personne, meme lorsque nousne pouvons rien faire de precis, meme lorsquenous ne voyons aucun resultat, meme lorsquenous ne voyons aucun changement, c'est lacompassion de Dieu que nous manifestons."

l'Evangile! L'Evangile nous enseigne que Dieu seul est compatis-sant, et non pas nous. Ce a quoi no us sommes appeles, c'est areveler sa compassion, non seulement par notre presence maisegalement par notre absence, parce qu'en quittant quelqu'un, nousreconnaissons que nous sommes humains et que Dieu est Dieu.C'est par nos limites que la compassion de Dieu devient apparente.Nous ne pouvons tout faire. Nous devons laisser Dieu parler et lelaisser devenir present. Ainsi, quitter quelqu'un ne correspond pasuniquement a la douloureuse prise de conscience que nous nepouvons tout faire; quitter quelqu'un c'est se rendre compte avecjoie que Dieu est celui qui reste a notre place. voila bien ce quenous dirait Jesus, comme ill'a fait a ses disciples: "11 est bon pourvous que je m'en aille, parce que si je ne m'en vais pas, je nepourrai pas vous envoyer mon Esprit". "Je vais vous reveler qui jesuis, dit le Seigneur, par mon depart. Bien sur, je vous restepresent. J'ai vecu votre vie. J'ai souffert. Je suis passe par la mort.Mais ii est bon pour vous que je m'en aille, parce qu'en vousquittant, je vais pouvoir vous reveler qui je suis et, par le fait meme,qui est reellement Dieu". Telle est bien la structure de notreministere: nous revelons Dieu non seulement en venant maisegalement en quittant. Et no us ne devons pas hesiter a dire: "11 estbon pour vous que je m'en aille. J'ai ete avec vous pour un moment

II y a, au New Haven, par exemple, un nouveau programme desoins a I'intention des malades chroniques. J'imagine combien ilpeut etre difficile pour les pretres, les ministres, les psychiatres etles psychologues de travailler avec des malades chroniques, parcequ'ils ne retirent aucune satisfaction immediate dans leur r61e deguerisseur. Le grand bienfait qu'ils exercent, c'est d'etre presentsd'une fac;:on intelligente et articulee, mais surtout d'etre presents. IIest tres important de croire en ce pouvoir enorme: notre presence.J'espere que cela signifie egalement pour vous, dans votre travail,de pouvoir aider d'autres personnes a prendre conscience de leurcapacite de guerir. Une des grandes choses que nous devons faireest d'aider les gens, c'est-a-dire tous ceux qui font partie du peuplede Dieu, a devenir conscients de ce pouvoir de guerir, de cetteaptitude a etre presents, a ecouter, a reellement ecouter. II est tresimportant de le repeter -reellement ecouter -parce que le motecouter est devenu tres technique. Beaucoup de gens pensentqu'ecouter suppose que I'on s'asseoit et qu'on porte attention auxparoles d'un orateur. Ecouter suppose un engagement, une ou-verture et une reflexion. Etre present a une personne; prendre samain; lui laisser savoir que vous voulez ressentir sa presence, quece qu'il dit vous ouvre a ce qu'il est. Lui faire savoir que voussouhaitez I'ecouter, connaitre son histoire et sa personne. Ecouteravec tout ce qui vous est donne pour le faire: vos mains, vos yeuxet vos oreilles. Lui faire comprendre que vous etes la pour lui.Ecouter I'histoire des autres et la confronter a votre propre expe-rience ne veut pas dire que vous devez parler de vous-meme, quevous devez decrire vos problemes. Cela veut simplement dire quevous devez ecouter avec vos entrailles, au centre de vous-meme,avec votre coeur, de sorte que I'autre personne puisse dire quevous etes une veritable personne et que vous etes veritablementavec lui. Je crois que ce faisant, nous revelons vraiment la grandecompassion de Dieu. Cette simple croyance est fondamentale atous les ministeres: il vaut la peine d'etre ensemble et c'est de cettepresence de run a I'autre que peut s'etfectuer peu a peu une

guerison.

Mais nous pouvons egalement manifester la compassion de Dieupar notre absence. J'espere que vous etes heureux de I'entendre!Ce n'est pas seulement par notre presence que no us pouvonsapporter le reconfort. La vie est un tres grand mystere. II y a,voyez-vous, la merveille de la memoire: "11 m'a visite. Elle m'avisite." Chacun peut experimenter ce mystere. Vous avez peut-etre

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et nous avons cause. Ce fut agreable, mais il est bon pour vousmaintenant que je m'en aille. Donc, je ne me sens pas coupable.En realite, il est bien temps que je parte afin que Dieu puisse semanifester encore mieux a vous. Je suis le chemin, mais je suisaussi dans le chemin". Beaucoup d'entre nous, dans nos familIes,dans notre ministere, sont ainsi remplis de sentiments de culpabi-lite parce qu'ils ne peuvent tout faire. Permettez-moi de repeter icique tel n'est pas ce que nous demande l'Evangile. L'Evangile neveut pas que nous servions les autres avec des sentiments deculpabilite, mais que nous les servions avec cette conscience de lacompassion de Dieu, de ce Dieu qui est deja venu et qui est lasource de toute guerison, qui effectue de veritables changementset rend toutes choses nouvelles. Lui, et non pas nous. Dans notretravail medical, psychologique et pastoral, tout ce que no us faisonsest de rendre sa compassion visible. Par le truchement de notrecompetence, de notre maniere d'etre et de notre fa9on d'ecouter,nous annon9ons continuellement cette compassion divine.

"L'Evangile ne veut pas que nous servions lesautres avec des sentiments de culpabilite,mais que nous les servions avec cetteconscience de la compassion de Dieu, de ceDieu qui est deja venu et qui est la source deto ute guerison, qui effectue de veritableschangements et rend toutes choses nouvel-les."

maniere de vivre et par notre maniere de mourir. Nous savons queceux qui nous ont laisses ne nous ont pas necessairementabandonnes a nous-memes. Nous avons deja eu I'experience demembres de notre famille ou d'amis qui nous ont ainsi indiqueclairement que nous ne depend ions pas d'eux mais de Dieu, et queleur depart et leur mort constituent une manifestation de la pre-sence de Dieu. II est extremement important de bien saisir cetteverite, car c'est ce que nous voulons dire, en fin de compte, lorsquenous parlons de notre vie et de notre mort comme d'un ministere.Ma vie est un ministere pour vous, pour mes amis, pour le mondedans lequel je vis. Mais ma mort est aussi une occasion de revelerla compassion de Dieu. Dans cent ans d'ici, aucun d'entre no us nesera encore vivant; et voila justement la realite qui permet a lacompassion et a I'amour de Dieu de se manifester.

Permettez-moi de conclure par une petite histoire que je trouvetoujours emouvante, et qui resume bien ce que j'ai tente de vousdire ce matin. Vous y retrouverez le theme de I'absence et de lapresence. Vous y reconnaitrez le theme de la presence de Dieu etde nos faiblesses. Cette histoire est tiree d'un livre portant le titreMy Name is Asher Lev. Vous le connaissez peut-etre; il s'agit d'unlivre par Chaim Potok, un auteur juif. Dans cet ouvrage, il y a uncourt dialogue entre le pere et son fils. Le fils est un peintre.

Je restai saisi ...a cause de la maniere dont mon pereregardait un oiseau couche sur le bord du trottoir pres de notremaison. "Est-il mort, Papa?" J'avais six ans et avais peine a leregarder. "Qui", dit-il d'un air triste et distant. "Pourquoi est-ilmort?" "Tout ce qui vit doit mourir". "Tout?" "Qui". "Toi aussi,Papa? Et Maman?" "Qui." "Et moi?" "Qui", dit-il. Puis, il ajoutaen Yiddish: "Mais ce ne sera qu'apres avoir vecu une longueet bonne vie, mon petit Asher." Je n'arrivais par a comprendre.Je m'effor9ais de regarder I'oiseau. Tout ce qui vit deviendrait,un jour, aussi immobile que cet oiseau? "Pourquoi?" deman-dais-je. "C'est ainsi qu'll a cree le monde, Asher." "Pourquoi?""Afin que toute vie soit precieuse, Asher. Quelque chose quit'appartient pour toujours n'est jamais precieux." (Chaim Po-tok, My Name is Asher Lev, New York, Alfred A. Knof, 1972,p.156.).

Une fois qu'on a compris combien cela est vrai, on commence apenetrer dans une realite encore plus profonde: nous sommes unemanifestation de Dieu non seulement dans notre vie, mais aussidans notre mort. Etant donne que toute maladie constitue unsymptome de notre mort, tout depart est egalement un signe denotre depart final, toute separation devient une expression de notremortalite; ainsi commenc;:ons-nous a saisir que par notre ministerede guerison, nous rendons Dieu visible en ce monde par notre

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