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Hector de Saint-Denys Garneau
Regards et Jeux dans l’espace
BeQ
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Hector de Saint-Denys Garneau(1912-1943)
Regards et Jeux dans l’espace
La Bibliothèque électronique du QuébecVolume 8 : version 1.5
Mars 2002
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Claude-Henri Grignon (Valdombre) avait, semble-t-il, fait une critique sévère sur Regards et Jeux dans l’espace, dans le journal En avant! de Saint-Hyacinthe, le 26 mars 1937.
« Cet article, c’est comme s’il n’existait pas. Je sais qu’il y a des faiblesses dans mon livre, mais jusqu’à date aucun critique n’a mis le doigt dessus. Je crois que je serais obligé d’écrire moi-même une critique pour désigner les véritables faiblesses de ce livre! [...] »
Correspondance de Saint-Denys Garneau, lettre à sa mère, 29 mars 1937.
Image de la couverture:Hector de Saint-Denys Garneau
La liseusehuile sur toile, 17,9X12,1 cm.
Bibliothèque Anne-Hébert
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Table
1. Jeux.............................................................................6C’est là sans appui....................................................7Le jeu........................................................................8Nous ne sommes pas..............................................10Spectacle de la danse..............................................11Rivière de mes yeux...............................................13
2. Enfants.....................................................................14Les enfants..............................................................15II. Portrait...............................................................17
3. Esquisses en plein air..............................................18La voix des feuilles.................................................19L’aquarelle..............................................................20Flûte........................................................................21Saules......................................................................22Les ormes................................................................23Saules......................................................................24Pins à contre-jour....................................................26
4. Deux paysages..........................................................27I. Paysage en deux couleurs sur fond du ciel..........28II. Un mort demande à boire...................................30
5. De gris en plus noir.................................................32Spleen.....................................................................33Maison fermée........................................................34Fièvre......................................................................36
6. Faction......................................................................39Commencement perpétuel......................................40
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Autrefois.................................................................41Faction....................................................................43
7. Sans titre..................................................................44Tu croyais tout tranquille........................................45Qu’est-ce qu’on peut..............................................48Petite fin du monde.................................................50Accueil....................................................................52Cage d’oiseau.........................................................54Accompagnement...................................................56
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1. Jeux
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C’est là sans appui
Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise Et mon pire malaise est un fauteuil où l’on reste Immanquablement je m’endors et j’y meurs.
Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches Par bonds quitter cette chose pour celle-là Je trouve l’équilibre impondérable entre les deux C’est là sans appui que je me repose.
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Le jeu
Ne me dérangez pas je suis profondément occupé
Un enfant est en train de bâtir un villageC’est une ville, un comtéEt qui sait
Tantôt l’univers.
Il joue
Ces cubes de bois sont des maisons qu’il déplace et des châteauxCette planche fait signe d’un toit qui penche ça n’est pas mal à voirCe n’est pas peu de savoir où va tourner la route de cartesCela pourrait changer complètement le cours de la rivièreÀ cause du pont qui fait un si beau mirage dans l’eau du tapisC’est facile d’avoir un grand arbreEt de mettre au-dessous une montagne pour qu’il soit en haut.
Joie de jouer! paradis des libertés!Et surtout n’allez pas mettre un pied dans la chambreOn ne sait jamais ce qui peut être dans ce coinEt si vous n’allez pas écraser la plus chère des fleurs invisibles
Voilà ma boite à jouetsPleine de mots pour faire de merveilleux enlacementsLes allier séparer marier,Déroulements tantôt de danseEt tout à l’heure le clair éclat du rire
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Qu’on croyait perdu
Une tendre chiquenaudeEt l’étoileQui se balançait sans prendre gardeAu bout d’un fil trop ténu de lumièreTombe dans l’eau et fait des ronds.
De l’amour de la tendresse qui donc oserait en douterMais pas deux sous de respect pour l’ordre établiEt la politesse et cette chère disciplineUne légèreté et des manières à scandaliser les grandes personnes
Il vous arrange les mots comme si c’étaient de simples chansonsEt dans ses yeux on peut lire son espiègle plaisirÀ voir que sous les mots il déplace toutes chosesEt qu’il en agit avec les montagnesComme s’il les possédait en propre.Il met la chambre à l’envers et vraiment l’on ne s’y reconnaît plusComme si c’était un plaisir de berner les gens.
Et pourtant dans son œil gauche quand le droit rit Une gravité de l’autre monde s’attache à la feuille d’un arbre Comme si cela pouvait avoir une grande importance Avait autant de poids dans sa balanceQue la guerre d’ÉthiopieDans celle de l’Angleterre.
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Nous ne sommes pas
Nous ne sommes pas des comptables
Tout le monde peut voir une piastre de papier vert Mais qui peut voir au travers si ce n’est un enfant Qui peut comme lui voir au travers en toute liberté Sans que du tout la piastre l’empêche ni ses limitesNi sa valeur d’une seule piastre
Mais il voit par cette vitrine des milliers de jouets merveilleux
Et n’a pas envie de choisir parmi ces trésorsNi désir ni nécessitéLuiMais ses yeux sont grands pour tout prendre.
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Spectacle de la danse
Mes enfants vous dansez malIl faut dire qu’il est difficile de danser iciDans ce manque d’airIci sans espace qui est toute la danse.
Vous ne savez pas jouer avec l’espaceEt vous y jouezSans chaînesPauvres enfants qui ne pouvez pas jouer.
Comment voulez-vous danser j’ai vu les mursLa ville coupe le regard au débutCoupe à l’épaule le regard manchotAvant même une inflexion rythmiqueAvant, sa course et repos au loinSon épanouissement au loin du paysageAvant la fleur du regard alliage au cielMariage au ciel du regardInfinis rencontrés heurtDes merveilleux.
La danse est seconde mesure et second départElle prend possession du mondeAprès la première victoireDu regard
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Qui lui ne laisse pas de trace en l’espace— Moins que l’oiseau même et son sillageQue même la chanson et son invisible passageRemuement imperceptible de l’air —Accolade, lui, par l’immatériel
Au plus près de l’immuable transparenceComme un reflet dans l’onde au paysageQu’on n’a pas vu tomber dans la rivière
Or la danse est paraphrase de la visionLe chemin retrouvé qu’ont perdu les yeux dans le butUn attardement arabesque à reconstruireDepuis sa source l’enveloppement de la séduction.
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Rivière de mes yeux
Ô mes yeux ce matin grands comme des rivières Ô l’onde de mes yeux prêts à tout refléter Et cette fraîcheur sous mes paupières ExtraordinaireTout alentour des images que je vois
Comme un ruisseau rafraîchit l’îleEt comme l’onde fluante entoureLa baigneuse ensoleillée
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2. Enfants
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Les enfants
Les enfantsAh! Les petits monstres
Ils vous ont sauté dessusComme ils grimpent après les tremblesPour les fléchirEt les faire pencher sur eux
Ils ont un piègeAvec une incroyable obstination
Ils ne vous ont pas laissésAvant de vous avoir gagnés
Alors ils vous ont laissésLes perfides
vous ont abandonnésSe sont enfuis en riant.
Il y en a qui sont restésQuand les autres sont partis jouerIls sont restés assis gravement.
Il en est qui sont allésJusqu’au bout de la grande allée
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Leur rire s’est suspendu
Pendant qu’ils se retournaientPour vous voir qui les regardiez
Un remords et un regret
Mais il n’était pas perduIl a repris sa fuséeQu’on entend courir en l’airCependant qu’eux sont disparusQuand l’allée a descendu.
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II. Portrait
C’est un drôle d’enfantC’est un oiseauIl n’est plus là
Il s’agit de le trouverDe le chercherQuand il est là
Il s’agit de ne pas lui faire peurC’est un oiseauC’est un colimaçon.
Il ne regarde que pour vous embrasserAutrement il ne sait pas quoi faire avec ses yeux
Où les poserIl les tracasse comme un paysan sa casquette
Il lui faut aller vers vousEt quand il s’arrêteEt s’il arriveIl n’est plus là
Alors il faut le voir venirEt l’aimer durant son voyage.
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3. Esquisses en plein air
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La voix des feuilles
La voix des feuillesUne chansonPlus claire un froissementDe robes plus claires aux plus transparentes couleurs.
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L’aquarelle
Est-il rien de meilleur pour vous chanter les champsEt vous les arbres transparentsLes feuillesEt pour ne pas cacher la moindre des lumières
Que l’aquarelle cette claireClaire tulle ce voile clair sur le papier.
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Flûte
Tous les champs ont soupiré par une flûteTous les champs à perte de vue ondulés sur les buttesTendus verts sur la respiration calme des buttes
Toute la respiration des champs a trouvé ce petitruisseau vert de son pour sortirÀ découvertCette voix verte presque marineEt soupiré un son tout frais
Par une flûte.
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Saules
Les saules au bord de l’ondeLa tête penchéeLe vent peigne leurs chevelures longuesLes agite au-dessus de l’eauPendant qu’ils songentEt se plaisent indéfinimentAux jeux du soleil dans leur feuillage froidOu quand la nuit emmêle ses ruissellements.
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Les ormes
Dans les champsCalmes parasolsSveltes, dans une tranquille éléganceLes ormes sont seuls ou par petites familles.Les ormes calmes font de l’ombrePour les vaches et les chevauxQui les entourent à midi. Ils ne parlent pasJe ne les ai pas entendus chanter Ils sont simplesIls font de l’ombre légèreBonnementPour les bêtes.
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Saules
Les grands saules chantentMêlés au ciel Et leurs feuillages sont des eaux vivesDans le ciel
Le ventTourne leurs feuillesD’argentDans la lumièreEt c’est rutilantEt mobileEt cela flueComme des ondes
On dirait que les saules coulentDans le ventEt c’est le ventQui coule en eux.
C’est des remous dans le ciel bleuAutour des branches et des troncs
La brise chavire les feuillesEt la lumière saute autourUne féerieAvec mille reflets
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Comme des trilles d’oiseaux-mouchesComme elle danse sur les ruisseauxMobileAvec tous ses diamants et tous ses sourires.
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Pins à contre-jour
Dans la lumière leur feuillage est comme l’eauDes îles d’eau claireSur le noir de l’épinette ombrée à contre-jour
Ils ruissellentChaque aigrette et la touffeUne île d’eau claire au bout de chaque branche
Chaque aiguille un reflet un fil d’eau vive
Chaque aigrette ruisselle comme une petite source qui bouillonneEt s’écouleOn ne sait où.
Ils ruissellent comme j’ai vu ce printempsRuisseler les saules eux l’arbre entierPareillement argent tout reflet tout ondeTout fuite d’eau passageComme du vent rendu visibleEt paraissantLiquideÀ travers quelque fenêtre magique.
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4. Deux paysages
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I. Paysage en deux couleurs sur fond du ciel
La vie la mort sur deux collinesDeux collines quatre versantsLes fleurs sauvages sur deux versantsL’ombre sauvage sur deux versants.
Le soleil debout dans le sudMet son bonheur sur les deux cimes L’épand sur faces des deux pentes Et jusqu’à l’eau de la vallée (Regarde tout et ne voit rien)
Dans la vallée le ciel de l’eauAu ciel de l’eau les nénupharsLes longues tiges vont au profondEt le soleil les suit du doigt(Les suit du doigt et ne sent rien)
Sur l’eau bercée de nénupharsSur l’eau piquée de nénupharsSur l’eau percée de nénupharsEt tenue de cent mille tigesPorte le pied des deux collinesUn pied fleuri de fleurs sauvagesUn pied rongé d’ombre sauvage.
Et pour qui vogue en plein milieu
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Pour le poisson qui saute au milieu (Voit une mouche tout au plus)
Tendant les pentes vers le fondPlonge le front des deux collinesUn de fleurs fraîches dans la lumièreVingt ans de fleurs sur fond de cielUn sans couleur ni de visageEt sans comprendre et sans soleilMais tout mangé d’ombre sauvageTout composé d’absence noireUn trou d’oubli — ciel calme autour.
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II. Un mort demande à boire
Un mort demande à boireLe puits n’a plus tant d’eau qu’on le croiraitQui portera réponse au mortLa fontaine dit mon onde n’est pas pour lui.
Or voilà toutes ses servantes en branleChacune avec un vase à chacune sa sourcePour apaiser la soif du maîtreUn mort qui demande à boire.
Celle-ci cueille au fond du jardin nocturneLe pollen suave qui sourd des fleursDans la chaleur qui s’attarde à l’enveloppement de la nuitElle développe cette chair devant lui
Mais le mort a soif encore et demande à boire
Celle-là cueille par l’argent des prés lunairesLes corolles que ferma la fraîcheur du soirElle en fait un bouquet bien gonfléUne tendre lourdeur fraîche à la boucheEt s’empresse au maître pour l’offrir
Mais le mort a soif et demande à boire
Alors la troisième et première des trois sœurs
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S’empresse elle aussi dans les champsPendant que surgit au ciel d’orientLa claire menace de l’auroreElle ramasse au filet de son tablier d’orLes gouttes lumineuses de la rosée matinaleEn emplit une coupe et l’offre au maître
Mais il a soif encore et demande à boire.
Alors le matin parait dans sa gloireEt répand comme un vent la lumière sur la valléeEt le mort pulvériséLe mort percé de rayons comme une brumeS’évapore et meurtEt son souvenir même a quitté la terre.
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5. De gris en plus noir
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Spleen
Ah! quel voyage nous allons faireMon âme et moi, quel lent voyage
Et quel pays nous allons voirQuel long pays, pays d’ennui.
Ah! d’être assez fourbu le soirPour revenir sans plus rien voir
Et de mourir pendant la nuitMort de moi, mort de notre ennui.
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Maison fermée
Je songe à la désolation de l’hiverAux longues journées de solitudeDans la maison morte —Car la maison meurt où rien n’est ouvert —Dans la maison close, cernée de forêts
Forêts noires pleinesDe vent dur
Dans la maison pressée de froidDans la désolation de l’hiver qui dure
Seul à conserver un petit feu dans le grand âtreL’alimentant de branches sèchesPetit à petitQue cela durePour empêcher la mort totale du feuSeul avec l’ennui qui ne peut plus sortirQu’on enferme avec soiEt qui se propage dans la chambre
Comme la fumée d’un mauvais âtreQui tire mal vers en hautQuand le vent s’abat sur le toitEt rabroue la fumée dans la chambreJusqu’à ce qu’on étouffe dans la maison fermée
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Seul avec l’ennuiQue secoue à peine la vaine épouvanteQui nous prend tout à coupQuand le froid casse les clous dans les planchesEt que le vent fait craquer la charpente
Les longues nuits à s’empêcher de gelerPuis au matin vient la lumièrePlus glaciale que la nuit.
Ainsi les longs mois à attendreLa fin de l’âpre hiver.
Je songe à la désolation de l’hiverSeulDans une maison fermée.
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Fièvre
Reprend le feuSous les cendres
AttentionOn ne sait pasDans les débris
AttentionOn sait trop bienDans les débrisLe moindre souffle et le feu part
Au fond du boisLe feu reprendSournoisementDe moins en plus fort
AttentionLe feu reprendBrûle le vent à son passage
Le feu reprendMais où passerDans les débrisTout fracassésDans les écopeaux
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Bien tassés
La chaleur chauffeLe vent se brûleLa chaleur monteEt brouille le ciel
À lueurs lourdesLa chaleur sourdeChauffe et me tord
La chaleur chauffeSans flamme claireLa chaleur monteSans oriflammeBrouillant le cielTremblant les arbresBrûlant le vent à son passage.
Le paysageDemande grâceLes bêtes ont les yeux effarésLes oiseaux sont égarésDans la chaleur brouillant le ciel
Le vent ne peut plus traverserVers les grands arbres qui étouffentLes bras ouvertsPour un peu d’air
Le paysage demande grâce
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Et la chaleur intolérableDu feu reprisDans les débrisEst sans une fissure aucunePour une flammeOu pour le vent.
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6. Faction
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Commencement perpétuel
Un homme d’un certain âgePlutôt jeune et plutôt vieuxPortant des yeux préoccupésEt des lunettes sans couleurEst assis au pied d’un murAu pied d’un mur en face d’un mur
Il dit je vais compter de un à centÀ cent ça sera finiUne bonne fois une fois pour toutesJe commence un deux et le reste
Mais à soixante-treize il ne sait plus bien
C’est comme quand on croyait compter les coups de minuitet qu’on arrive à onze
Il fait noir comment savoirOn essaye de reconstruire avec les espaces le rythmeMais quand est-ce que ça a commencé
Et l’on attend la prochaine heure
Il dit allons il faut en finirRecommençons une bonne foisUne fois pour toutesDe un à centUn...
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Autrefois
Autrefois j’ai fait des poèmesQui contenaient tout le rayonDu centre à la périphérie et au-delàComme s’il n’y avait pas de périphérie mais le centre seulEt comme si j’étais le soleil: à l’entour l’espace illimitéC’est qu’on prend de l’élan à jaillir tout au long du rayon C’est qu’on acquiert une prodigieuse vitesse de bolide Quelle attraction centrale peut alors empêcher qu’on s’échappeQuel dôme de firmament concave qu’on le perce Quand on a cet élan pour éclater dans l’Au-delà.
Mais on apprend que la terre n’est pas plateMais une sphère et que le centre n’est pas au milieu Mais au centreEt l’on apprend la longueur du rayon ce chemin trop parcouruEt l’on connaît bientôt la surfaceDu globe tout mesuré inspecté arpenté vieux sentier Tout battu
Alors la pauvre tâcheDe pousser le périmètre à sa limiteDans l’espoir à la surface du globe d’une fissure,Dans l’espoir et d’un éclatement des bornesPar quoi retrouver libre l’air et la lumière.
Hélas tantôt désespoir
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L’élan de l’entier rayon devenu Ce point mort sur la surface.
Tel un hommeSur le chemin trop court par la crainte du portRaccourcit l’enjambée et s’attarde à venirIl me faut devenir subtilAfin de, divisant à l’infini l’infime distance De la corde à l’arc,Créer par ingéniosité un espace analogue à l’Au-delàEt trouver dans ce réduit matièrePour vivre et l’art.
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Faction
On a décidé de faire la nuitPour une petite étoile problématiqueA-t-on le droit de faire la nuitNuit sur le monde et sur notre cœurPour une étincelleLuira-t-elleDans le ciel immense désert
On a décidé de faire la nuitpour sa partDe lâcher la nuit sur la terreQuand on sait ce que c’estQuelle bête c’estQuand on a connu quel désertElle fait à nos yeux sur son passage
On a décidé de lâcher la nuit sur la terreQuand on sait ce que c’estEt de prendre sa faction solitairePour une étoile
encore qui n’est pas sûreQui sera peut-être une étoile filanteOu bien le faux éclair d’une illusionDans la caverne que creusent en nousNos avides prunelles.
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7. Sans titre
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Tu croyais tout tranquille
Tu croyais tout tranquilleTout apaiséEt tu pensais que cette mort était aisée
Mais non, tu sais bien que j’avais peurQue je n’osais faire un mouvementNi rien entendreNi rien direDe peur de m’éveiller complètementEt je fermais les yeux obstinémentComme un qui ne peut s’endormirJe me bouchais les oreilles avec mon oreillerEt je tremblais que le sommeil ne s’en aille
Que je sentais déjà se retirerComme une porte ouverte en hiverLaisse aller la chaleur tendreEt s’introduire dans la chambreLe froid qui vous secoue de votre assoupissementVous fouetteEt vous rend conscient nettement comme l’acier
Et maintenant
Les yeux ouverts les yeux de chair trop grands ouvertsEnvahis regardent passer
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Les yeux les bouches les cheveuxCette lumière trop vibranteQui déchire à coups de rayonsLa pâleur du ciel de l’automne
Et mon regard part en chasse effrénément De cette splendeur qui s’en vaDe la clarté qui s’échappe Par les fissures du temps
L’automne presque dépouilléDe l’or mouvantDes forêtsEt puis ce couchantQui glisse au bord de l’horizon À me faire crier d’angoisse
Toutes ces choses qu’on m’enlève
J’écoute douloureux comme passe une ondeLes chatoiements des voix et du ventSymphonie déjà perdue déjà fondueEn les frissons de l’air qui glisse vers hier
Les yeux le cœur et les mains ouvertesMains sous mes yeux ces doigts écartésQui n’ont jamais rien retenuEt qui frémissentDans l’épouvante d’être vides
Maintenant mon être en éveil
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Est comme déroulé sur une grande étendue Sans plus de refuge au sein de soiContre le mortel frisson des ventsEt mon cœur charnel est ouvert comme une plaieD’où s’échappe aux torrents du désirMon sang distribué aux quatre points cardinaux.
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Qu’est-ce qu’on peut
Qu’est-ce qu’on peut pour notre ami au loin là-bas à longueur de notre bras
Qu’est-ce qu’on peut pour notre amiQui souffre une douleur infinie
Qu’est-ce qu’on peut pour notre cœurQui se tourmente et se lamente
Qu’est-ce qu’on peut pour notre cœurQui nous quitte en voyage tout seul
Que l’on regarde d’où l’on estComme un enfant qui part en mer
De sur la falaise où l’on estComme un enfant qu’un vaisseau prend
Comme un bateau que prend la merPour un voyage au bout du vent
Pour un voyage en plein soleilMais la mer sonne déjà sourd
Et le ressac s’abat plus lourd
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Et le voyage est à l’orage
Et lorsque toute la mer tonneEt que le vent se lamente aux cordages
Le vaisseau n’est plus qu’une plainteEt l’enfant n’est plus qu’un tourment
Et de la falaise où l’on estNotre regard est sur la mer
Et nos bras sont à nos côtésComme des rames inutiles
Nos regards souffrent sur la merComme de grandes mains de pitié
Deux pauvres mains qui ne font rienQui savent tout et ne peuvent rien
Qu’est-ce qu’on peut pour notre cœurEnfant en voyage tout seulQue la mer à nos yeux déchira.
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Petite fin du monde
Oh! Oh!Les oiseauxmorts
Les oiseauxles colombesnos mains
Qu’est-ce qu’elles ont eu qu’elles ne se reconnaissent plus
On les a vues autrefoisSe rencontrer dans la pleine clarté se balancer dans le ciel se côtoyer avec tant de plaisir et se connaîtredans une telle douceur
Qu’est-ce qu’elles ont maintenant quatre mains sans plus un chant que voici mortes désertées
J’ai goûté à la fin du monde et ton visage a paru périr devant ce silence de quatre colombes devant la mort de ces quatre mains
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Tombéesen rang côte à côte
Et l’on se demandeÀ ce deuil
quelle mort secrète quel travail secret de la mort par quelle voie intime dans notre ombre où nos regards n’ont pas voulu descendre
La morta mangé la vie aux oiseaux a chassé le chant et rompu le vol à quatre colombes alignées sous nos yeuxde sorte qu’elles sont maintenant sans palpitation et sans rayonnement de l’âme.
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Accueil
Moi ce n’est que pour vous aimer Pour vous voirEt pour aimer vous voir
Moi ça n’est pas pour vous parlerÇa n’est pas pour des échanges conversations
Ceci livré, cela retenuPour ces compromissions de nos dons
C’est pour savoir que vous êtes, Pour aimer que vous soyez
Moi ce n’est que pour vous aimerQue je vous accueilleDans la vallée spacieuse de mon recueillementOù vous marchez seule et sans moiLibre complètement
Dieu sait que vous serez inattentive Et de tous côtés au soleilEt tout entière en votre fleur Sans une hypocrisie en votre jeu
Vous serez claire et seule
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Comme une fleur sous le cielSans un repliSans un recul de votre exquise pudeur
Moi je suis seul à mon tour autour de la vallée Je suis la colline attentive
Autour de la valléeOù la gazelle de votre grâce évolueraDans la confiance et la clarté de l’air
Seul à mon tour j’aurai la joieDevant moiDe vos gestes parfaitsDes attitudes parfaitesDe votre solitude
Et Dieu sait que vous repartirezComme vous êtes venueEt je ne vous reconnaîtrai plus
Je ne serai peut-être pas plus seulMais la vallée sera déserteEt qui me parlera de vous?
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Cage d’oiseau
Je suis une cage d’oiseauUne cage d’osAvec un oiseau
L’oiseau dans ma cage d’osC’est la mort qui fait son nid
Lorsque rien n’arriveOn entend froisser ses ailes
Et quand on a ri beaucoupSi l’on cesse tout à coupOn l’entend qui roucouleAu fondComme un grelot
C’est un oiseau tenu captifLa mort dans ma cage d’os
Voudrait-il pas s’envolerEst-ce vous qui le retiendrez Est-ce moiQu’est-ce que c’est
Il ne pourra s’en allerQu’après avoir tout mangé
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Mon cœurLa source du sangAvec la vie dedans
Il aura mon âme au bec.
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Accompagnement
Je marche à côté d’une joie D’une joie qui n’est pas à moiD’une joie à moi que je ne puis pas prendre
Je marche à côté de moi en joieJ’entends mon pas en joie qui marche à côté de moi Mais je ne puis changer de place sur le trottoir Je ne puis pas mettre mes pieds dans ces pas-là
et dire voilà c’est moi
Je me contente pour le moment de cette compagnieMais je machine en secret des échangesPar toutes sortes d’opérations, des alchimies,Par des transfusions de sangDes déménagements d’atomes
par des jeux d’équilibre
Afin qu’un jour, transposé,Je sois porté par la danse de ces pas de joieAvec le bruit décroissant de mon pas à côté de moi Avec la perte de mon pas perdu
s’étiolant à ma gaucheSous les pieds d’un étranger
qui prend une rue transversale.
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Cet ouvrage est le 8ème publiépar la Bibliothèque électronique du Québec.
La Bibliothèque électronique du Québecn’est subventionné par aucun gouvernement
et est la propriété exclusive deJean-Yves Dupuis.
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