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PERSPECTIVE CSF Décriminaliser la polygamie? NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010 www.placealegalite.gouv.qc.ca Tout sur la condition des femmes d’ici et d’ailleurs MONDE L’école ou la misère Envoi de Poste-publications — n o de convention : 40069512 – Port de retour garanti. Service aux abonnements, 4380, rue Garand, Saint-Laurent (Québec) H4R 2A3 Novembre-décembre 2010, vol. 32, n o 3 CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME HAÏTI RESTER DEBOUT REPORTAGE Recherche au féminin

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PERSPECTIVE CSFDécriminaliser la polygamie?

NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2010

www.placealegalite.gouv.qc.caTout sur la condition des femmes d’ici et d’ailleurs

MONDEL’école ou la misère

Envoi de Poste-publications — no de convention : 40069512 – Port de retour garanti.Service aux abonnements, 4380, rue Garand, Saint-Laurent (Québec) H4R 2A3Novembre-décembre 2010, vol. 32, no 3 CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

HAÏTI

RESTERDEBOUT

REPORTAGERecherche au féminin

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Chercheuses universitaires sur un chemin escarpéPrès d’un professeur d’université sur trois est une femme. De là à direqu’elles jouissent des mêmes conditions d’exercice de recherche queleurs collègues masculins, il y a un pas à ne pas franchir trop vite.

Polygamie et droits des femmesIncompatibilité de caractèreUn jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique quipourrait décriminaliser la polygamie au Canada sera rendu cet automne.La chercheuse Yolande Geadah expose les répercussions de cetteépineuse décision.

Le génie, ça vous dit?Pour recruter plus de femmes dans la profession, le génie ne suffit pas.Engagement et perspicacité sont requis. Rencontre avec Maud Cohen,présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

Hors de l’école, la misèreDans la partie sahélienne du Burkina Faso, les fillettes sont données enmariage dès l’âge de 7 ans. Un bouclier contre cette fatalité :l’éducation, toujours.

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RUBRIQUES 3 LA RÉDACTION VOUS PROPOSE | 5 MOT DE LA PRÉSIDENTE |32 BOUQUINS | 34 ACTUALITÉ | 35 BILLET

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DOSSIERHAÏTIRESTER DEBOUTEn dépit de la fatigue, de la détresse et des deuils à faire, elles se sontserré les coudes pour rester debout. Ébranlées, mais loin d’êtrerésignées, elles rêvent d’une autre Haïti, portée par la contributionde toutes. Les Haïtiennes sont décidées à se faire entendre. Saurons-nous les écouter?

Reconstruction d’Haïti : pas sans les femmes

Rester debout

Le défi de Michaëlle Jean

Éducation : la nécessaire révolution

Tours de force

La solidarité en marche

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:: GAZETTE DES FEMMES :: NOV.-DÉC. 2010 3

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:: LA RÉDACTION VOUS PROPOSE

ne secousse d’une violenceinouïe. Près de 250 000 per-sonnes perdent la vie et

200 000 bâtiments sont détruits ouendommagés, dont un millier d’écoles.

Neuf mois plus tard, 1,3 million desHaïtiens déplacés vivent encore dans desabris provisoires. Seulement 2% desdébris ont été ramassés et moins de19% des sommes promises par l’aideinternationale − 10 milliards sur troisans − sont arrivées à destination. L’accèsaux vivres étant limité dans les camps,les femmes sont vulnérables à la vio-lence et aux transactions sexuelles. Lesbesoins liés à l’alimentation, à l’héber-gement et à la sécurité sont criants, pourtous. Mais dans la perspective d’unereconstruction, peut-on rêver mieux?Jusqu’à envisager une société égalitaire?

Depuis Montréal, la journaliste ArianeÉmond s’est entretenue avec descitoyennes engagées et des militantesconvaincues de la nécessité de prendreen compte les initiatives des Haïtiennesdans le relèvement de leur pays. Et bienrésolues à abattre les obstacles qui ralen-tissent leur pleine contribution. À ces

entretiens s’ajoute un tête-à-tête inspi-rant avec Michaëlle Jean, passionnée deson pays natal, qui partage avec nous savision de l’aide à fournir à ce pays. Unevision qu’elle entend mettre en œuvre àtitre d’envoyée spéciale de l’UNESCOpour Haïti, son nouveau défi. Puis, sousla plume de Lisa-Marie Gervais, souli-gnons le récit passionnant de deuxfemmes militaires, à la tête de troupes àforte concentration masculine, qui ontréussi une mission humanitaire difficiletout en servant de modèle auxHaïtiennes. Enfin, à lire sur le Web,un témoignage rafraîchissant d’uneQuébécoise d’origine haïtienne,Nathalie Angibeau, partie prêter main-forte aux siens. Toutes ces femmesrêvent d’un monde meilleur. Prêtons-leur l’oreille. : :

Nathalie BissonnetteRédactrice en chef

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QU’EN PENSEZ-VOUS?

Écrivez-nous vos commentaires et vosréactions par courriel après avoirparcouru notre dossier [email protected].

RÊVER MIEUX

Depuis 1979, cette publication estélaborée à l’initiative et sous lasupervision du Conseil du statutde la femme, qui en est l’éditeur.

• DirectriceNathalie Savard

• Rédactrice en chefNathalie Bissonnette

• Rédactrice-réviseureSophie Marcotte

• RéviseurPierre-Yves Villeneuve

• Correctrices d’épreuvesSophie Marcotte et Annie Paré

• Réalisation graphiqueMichèle Tellier

• Adjointe administrativeGaétane Laferrière

• Photographie en couvertureNormand Blouin

• ImpressionTranscontinental

ForestStewardshipCouncil

• Marketing et publicitéGaétane Laferrière, tél. : 418 643-4326ou 1 800 463-2851

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Tél. : 514 333-0942, poste [email protected]

Dépôt légal : 4e trimestre 2010

ISSN : 0704-4550

© Gouvernement du Québec

Les articles publiés dans la Gazette desfemmes sont indexés dans Repèredepuis le volume 2, no 7 jusqu'àaujourd'hui. On peut égalementconsulter les textes intégraux auwww.placealegalite.gouv.qc.caà partir du volume 20, no 2.

La Gazette des femmes se dégage detoute responsabilité par rapport aucontenu des publicités publiées dansses pages.

Poste-publications — no de convention :40069512

DES PAS DE PLUS VERSL’AUTONOMIE…ET L’ÉGALITÉ!

Quelques mots pour porter à votreattention l’appellation et l’identitévisuelle communes dont se sont dotésles 11 Organismes régionaux de soutienà l’entrepreneuriat féminin du Québec(ORSEF), dévoilées en octobre.Désormais uni et désigné sous un seulvocable, Femmessor, ce réseauprofessionnel d’accompagnement et definancement des femmes entrepreneuresest un important levier de créationd’entreprises et d’emplois. Il contribueaussi à réduire les obstacles qui sedressent sur la route de celles qui osentse lancer en affaires. Depuis la mise surpied du tout premier ORSEF (le FIEFCôte-Nord) en 1995, près de 4,9 millionsde dollars ont été investis dans desentreprises détenues majoritairement pardes femmes, créant et maintenant1162 emplois, alors que 374 activités deformation, de mentorat et de réseautageont été organisées, attirant plus de17500 personnes partout au Québec.www.femmessor.com

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AVIS À : Toutes les femmes bénéficiaires du régime d’assurance maladie du Québec qui ont déboursé une somme d’argent pour obtenir une interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la province de Québec entre le 2 mai 1999 et le 13 janvier 2008. Le 17 mai 2010, la Cour supérieure du Québec a entériné une entente intervenue entre les parties prévoyant une seconde période de réclamation plus étendue. Elle sera mise en place pour permettre à toutes les femmes qui ont obtenu une IVG entre le 23 février 2006 et le 13 janvier 2008 d’être remboursées des sommes qu’elles ont déboursées à même le fonds d’indemnisation déjà constitué. La Cour supérieure a aussi permis à toutes les femmes qui ont obtenu une IVG entre le 2 mai 1999 et le 22 février 2006, et qui n’ont pas réclamé lors de la première période de remboursement, de produire une réclamation. Les femmes dont la réclamation a été refusée lors de la première phase peuvent présenter une nouvelle réclamation. La Cour a nommé la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) à titre d’administrateur des réclamations et a ordonné que les réclamations soient traitées confidentiellement, de manière à respecter l’anonymat des réclamantes. Le texte complet de l’entente et du jugement de la Cour supérieure sont disponibles sur le site de l’administrateur des réclamations à l’adresse suivante : www.reclamation-ivg.qc.ca ou sur celui des procureurs de l’Association pour l’accès à l’avortement (AAA), à l’adresse suivante : www.trudeljohnston.com.

LA PROCÉDURE DE RÉCLAMATION Pour recevoir une indemnité, chaque réclamante doit remplir un formulaire de réclamation et le poster à la RAMQ au plus tard le 31 janvier 2011. Vous trouverez une copie du formulaire de réclamation sur le site internet www.reclamation-ivg.qc.ca ou www.trudeljohnston.com. Il est aussi possible de l’obtenir en communiquant avec l’administrateur des réclamations au 1-866-504-9993. Une réclamante qui aurait obtenu plus d’une IVG devra remplir un formulaire pour chaque intervention. La RAMQ déterminera par la suite si la réclamante a droit à un remboursement. Si la réclamation est acceptée, la RAMQ lui fera parvenir son chèque de remboursement au plus tard le 31 mai 2011. Si une réclamation est refusée, la réclamante en sera avisée par la RAMQ et pourra contester la décision dans les 30 jours suivant la notification du refus en transmettant une demande de révision à la RAMQ. La réclamante pourra, si elle le désire, assister à l’audience où seront décidées les demandes de révision, et contester elle-même la décision ou se faire représenter par un avocat. Cette audience aura lieu à une date à être déterminée, entre le 15 avril 2011 et le 15 mai 2011, à 9 h 30 au palais de justice de Montréal, situé au 1, rue Notre-Dame Est. OPTIONS POUR LE PAIEMENT DES INDEMNITÉS Deux options s’offrent à la réclamante pour obtenir son remboursement : 1) Fournir une adresse à laquelle sera postée l’indemnité ou la décision de la RAMQ. La réclamante devra par la suite aviser la RAMQ de tout changement d’adresse en communiquant avec celle-ci au 1-866-504-9993. 2) À défaut de fournir une adresse, convenir avec la RAMQ d’un autre moyen de transmettre l’indemnité ou la décision en communiquant avec celle-ci au 1-866-504-9993. Les indemnités non réclamées et les chèques non encaissés au 1er décembre 2011 seront réputés faire partie du reliquat et la Cour supérieure du Québec en disposera selon la loi. DATES À RETENIR

CANADA (Recours collectif) PROVINCE DE QUÉBEC COUR SUPÉRIEURE DISTRICT DE MONTRÉAL No.: 500-06-000158-028

ASSOCIATION POUR L’ACCÈS À L’AVORTEMENT c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC ___________________________

Pour obtenir de l’information sur la procédure de réclamation : Administrateur des réclamations Régie de l’assurance maladie du Québec, Case postale 18000 Québec (Québec) G1K 9H1 Tél : 1-866-504-9993 www.reclamation-ivg.qc.ca

Pour tout autre renseignement sur le recours collectif : Procureurs de l’AAA Trudel & Johnston 750, Côte de la Place d’Armes, Suite 90 Montréal (Québec) H2Y 2X8 Tél : 514-871-8385 [email protected]

Date limite pour envoyer le formulaire de réclamation à la RAMQ

31 janvier 2011

Date limite pour demander par écrit la révision de la décision

30 jours de la notification du refus

Date de l’audition pour contester en personne un refus de réclamation

Date à déterminer, entre le 15 avril 2011 et le 15 mai 2011

Envoi des chèques de remboursement

Au plus tard le 31 mai 2011

Avis légal

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:: GAZETTE DES FEMMES :: NOV.-DÉC. 2010 5

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:: MOT DE LA PRÉSIDENTECam

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omme Haïti, le séisme du12 janvier 2010 a marqué mavie pour toujours. Une partie

de mon cœur est à jamais ensevelie sousl’hôtel Montana depuis que mon beaumari, Serge Marcil, y est décédé.

Deux cent cinquante mille morts dansce terrible tremblement de terre donton entend de moins en moins parler.Parmi eux, des femmes comme MyriamMerlet, Anne-Marie Coriolan, MagalieMarcelin, militantes féministes enga-gées dans la transformation de l’avenirhaïtien, nous manquent cruellement.Elles auraient pu, aujourd’hui, faire unedifférence dans la reconstruction bienmal engagée de ce si beau pays.

Myriam Merlet, que je connaissais etdont j’admire toujours la passion etl’habileté intellectuelle, serait du com-bat pour faire respecter la voix desHaïtiennes qui se battent pour êtrepartie prenante des décisions concer-nant le relèvement du pays. Elles ne lesont pas, en dépit du fait qu’elles sonten grande partie responsables de cesmillions de familles qui luttent tous lesjours pour survivre.

Malgré cela, les entretiens menés par laGazette des femmes dans ce dossier ontde quoi nourrir un peu l’espoir. Endépit de la tâche colossale qui attend lepeuple haïtien – l’ONU estime que troisannées seront nécessaires pour venir àbout du déblaiement des débris –, lesfemmes démontrent un courage et uneforce exemplaires en revendiquant uneplace prépondérante dans la recons-truction de leur pays. D’autant plus quele contexte ne leur rend pas la tâchefacile. Dans un point de presse tenu en

septembre dernier par la Mission desNations Unies pour la stabilisation enHaïti (MINUSTAH), le porte-paroleadjoint de la Mission et celui de laPolice des Nations Unies affirmaientqu’il était nécessaire d’investir desefforts additionnels pour lutter contrela drogue, pour faire la chasse aux kid-nappeurs et pour diminuer la violencesexuelle commise à l’endroit desfemmes, souvent mineures, dans lescamps et certaines communes.

Mais les Haïtiennes persistent. À peinedeux mois après la tragédie, ellesétaient nombreuses à participer à laréalisation et à la diffusion de deuxdocuments qui avancent des proposi-tions concrètes et qui insistent sur laprise en compte de la dimension dugenre dans le processus de reconstruc-tion du pays. Elles ont reçu un accueiltiède. Les Haïtiennes sont encore troppeu visibles aux yeux des décideurs etdes médias. Pourtant, ce sont elles qui,depuis des lunes, soutiennent le pays àbout de bras : avant le séisme, rapportela journaliste Ariane Émond, le travaild’une femme pouvait subvenir auxbesoins de six personnes, alors quebeaucoup de chefs de famille en ontaujourd’hui 10 sous leur responsabilité.C’est leur droit le plus légitime deréclamer leur part de participation!

S’il est essentiel qu’elles fassententendre leur voix, il est incontournableque nous les écoutions. Il me vient àl’esprit un ouvrage pour lequel j’aibeaucoup d’estime et qui, bien qu’il aitété publié il y a 20 ans, est toujoursd’actualité. L’univers rural haïtien. Lepays en dehors, écrit par GérardBarthélemy, invite à repenser la vision

des ruraux, « habitants d’un pays endehors », en cessant de les marginaliserpour les inscrire dans une perspectived’avenir. Parmi les solutions, l’auteurévoque celle-ci comme la plus durable :l’écoute et la patience. « L’écoute signified’abord la connaissance grâce à unerecherche enfin menée sur les méca-nismes culturels profonds de cettesociété. L’écoute signifie, en second lieu,l’acceptation, comme une donnée, desrésultats et des conclusions de larecherche. Tout cela devant conduirefinalement à une action d’intervention.Celle-ci […] doit s’appuyer […] sur lesrichesses humaines existantes et lesdynamismes sociaux. »

En 2010, 60% de la population d’Haïtivit en campagne. Soutenues, encoura-gées et encadrées, les femmes qui habi-tent les zones rurales – agricultrices,éleveuses, commerçantes – pourraientbien contribuer à changer les choses,comme le souligne Adeline Chancy,ancienne ministre à la Condition fémi-nine, qui partage avec nous sa vision del’état du mouvement des femmes dansces pages. La décentralisation, danstous les secteurs d’activité, est unesolution que plusieurs considèrentgarante d’un développement pérennedu pays.

Et si la passion des militantes disparuesfait des émules parmi les jeunesfemmes, on peut espérer la continuitédu mouvement des femmes. Ce qui,selon Adeline, « n’est pas un vœu, maisune conviction ».

Christiane PelchatPrésidenteConseil du statut de la femme

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LA VIEAPRÈS LE SÉISME

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6 :: GAZETTE DES FEMMES :: NOV.-DÉC. 2010

Les découvertesscientifiques ont longtempsconstitué une forteressemasculine. Depuis quelquesdécennies toutefois, leschoses avancent.Lentement. Mais les fondsde recherche ne sont pastoujours au rendez-vous.

| par Paule des Rivières

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:: REPORTAGE

n mai dernier, le gouverne-ment fédéral a attribué19 prestigieuses chaires de

recherche à… 19 professeurs masculins.Plusieurs femmes de science ontexprimé une légitime consternation.Et une profonde déception. «Cetépisode a démontré de façon aiguë lesdifférences entre hommes et femmesdans la reconnaissance des postes pres-tigieux pour lesquels il y a des fonds derecherche à long terme », commenteHélène Lee-Gosselin, professeure à lafaculté des sciences de l’administrationde l’Université Laval et titulaire de laChaire d’étude Claire-Bonenfant sur lacondition des femmes. Avec 10 mil-lions de dollars chacun, étalés sur septans, les titulaires de ces chaires bénéfi-cieront de conditions de rechercheexceptionnelles.

Une étude récente démontre que lesfemmes reçoivent en moyenne moinsde fonds de recherche que les hommes,qu’elles publient moins d’articles –

surtout après 35 ans – et que leurscontacts internationaux sont plus res-treints. Or, la formation d’équipes derecherche internationales est plus sus-ceptible d’apporter un rayonnementdébordant les frontières du pays. Lesorganismes subventionnaires privilé-gient les chercheurs dont les travauxauront des retombées plus larges etseront publiés dans des revues étran-gères. Les femmes s’en trouvent pénali-sées. « J’appelle cela de la discriminationsystémique », dit pour sa part Mme Lee-Gosselin.

Si les femmes reçoivent moins de fonds,c’est notamment dû au fait que leshommes recueillent beaucoup plusd’argent auprès du secteur privé, parti-culièrement en santé, où leurs fonds derecherche représentent près du doublede ceux des femmes, soit 216 000 $ enmoyenne par chercheur contre113 000 $. En d’autres termes, lesfemmes sont exclues d’un réseau indus-triel qui devient un acteur de plus en

plus important dans la recherche bio-médicale.

En sciences sociales et humaines, où lesfemmes sont présentes depuis pluslongtemps, les différences sont trèsfaibles, soit 24 000 $ contre 22 000 $. Eten sciences pures et en génie, la sub-vention moyenne pour les hommess’élève à 61 000 $, contre 54 000 $ pourles femmes. La hauteur des subventionsne dit cependant pas tout. Par exemple,en sciences pures et en génie, un phé-nomène pernicieux consiste à dépré-cier les recherches des femmes. « Lesfemmes souffrent d’un effet spécifiqueà leur sexe selon lequel leurs contribu-tions y sont systématiquement dévalo-risées », rapporte cette étude à paraîtreintitulée Financement, productivité etimpact scientifique selon le genre etdirigée par Yves Gingras et VincentLarivière de l’Université du Québec àMontréal. Leurs recherches ont doncmoins de retentissement et leursauteures seront moins bien évaluées

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Chercheuses

universitaires

sur un chemin

escarpé

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:: GAZETTE DES FEMMES :: NOV.-DÉC. 2010 7

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dans les demandes de fonds. Bref, lasignature d’une femme vaut moins!

Un milieu modelé au masculin

Mais quelle que soit la discipline, larecherche universitaire est marquée parune impitoyable concurrence. « Lesfemmes arrivent en plus grand nombreà l’université à un moment historiqueoù les établissements ont embrassé sansnuance une culture qui les oblige àobtenir des subventions de rechercherapidement et à publier. Pour les jeunesfemmes qui aspirent à la carrière, maisaussi à la vie familiale, la pression esténorme », raconte pour sa part RubyHeap, professeure au Départementd’histoire de l’Université d’Ottawa quis’intéresse à l’histoire des femmes.

Non seulement un nombre considérablede chercheuses se sentent coincées entrela vie privée et la vie professionnelle,maisplusieurs jugent tout aussi important departiciper à la vie de leur communautéque de publier. «Les femmes consacrentdavantage de temps à des tâches qui sontmoins bénéfiques à leur avancement»,note Diane Berthelette, professeure àl’École des sciences de la gestion del’UQAMet observatrice avisée de la scèneuniversitaire depuis 30 ans. Par exemple?Les femmes siégeraient davantage auxinnombrables comités départementauxet elles effectueraient beaucoup plus detâches d’encadrement auprès des étu-diants, toutes choses qui ne se traduisentpas en bons points dans une demande desubvention, où la règle première reste lenombre de publications. Pourtant, lesétudiants, il faut s’en occuper, non?

MOBILISATION PANCANADIENNEFondée en juin dernier à l’Institut Simone de Beauvoir de l’Université Concor-dia à Montréal, Femmes universitaires pour la justice est une association indé-pendante, sans but lucratif, qui vise à promouvoir l’égalité des femmes dansles universités et les collèges au Canada. Ses fondatrices, les professeuresAgnès Whitfield et Anne Marie Miraglia, précisent que l’association veillerade près à ce que les établissements d’enseignement canadiens respectent lesengagements du Canada en vertu de la Convention des Nations Unies surl’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes.

Les actions de l’association, qui regroupe des étudiantes, des membres dupersonnel de soutien, des professeures et des chargées de cours, s’élaborentautour de quatre axes d’intervention : promouvoir la sécurité des femmes surle campus, lutter contre le harcèlement sexuel et psychologique, s’assurerque les femmes ont un accès égal aux possibilités d’avancementprofessionnel et faire reconnaître la diversité et la richesse de leurscontributions à la recherche. «Étudiantes, chargées de cours, professeures,nous continuons d’être les cibles d’assauts, de harcèlement et d’intimidation.Et, nonobstant leurs déclarations publiques en faveur de nos droits, l’absenced’écoute et l’inertie de nos syndicats sont aberrantes », explique AgnèsWhitfield. Bref, autant de situations qui justifient la création d’une associationpancanadienne capable de mobiliser les efforts des femmes et d’apporter unsoutien stratégique à celles qui poussent leur cause devant les tribunaux.

Avis est donné : les membres de Femmes universitaires pour la justice s’affai-rent à constituer un palmarès des universités et des syndicats qui affichentdes pratiques exemplaires sur le plan de la protection des droits des femmeset de leur sécurité, lequel sera publié sur le site Internet de l’association. Desstatistiques y seront également compilées… et des prix citron, décernés!(N. Bissonnette)

Plus d’info : femmesuniversitairespourlajustice.academicwomenforjustice.org

Diane Berthelette,Université du Québec à Montréal

Hélène Lee-Gosselin, Université Laval

TROIS OBSERVATRICES AVISÉES DELA SCÈNE UNIVERSITAIRECANADIENNE :

Ruby Heap, Université d’Ottawa

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8 :: GAZETTE DES FEMMES :: NOV.-DÉC. 2010

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Valoriser la recherche terrain

Mme Berthelette, qui est aussi PDG duCentre de liaison sur l’intervention et laprévention psychosociale, croit juste-ment qu’il faut repenser les indicateursservant à mesurer les retombées desrecherches, notamment en santé. Ellepropose de prendre en considérationl’impact de travaux moins théoriques.Les femmes font beaucoup de recher-ches sur le terrain. Ce sont elles qui ontété les pionnières de ce genre de

recherche-action. Elles ont entreautres amorcé un dialogue avec desfemmes subissant de la violence et ontétudié les conditions de vie desfemmes immigrantes, avec ces der-nières à leurs côtés. Ce type de travaila longtemps été dévalorisé. « Les cri-tères sont encore très axés surla recherche théorique », déploreMme Berthelette.

La Fédération québécoise des profes-seures et professeurs d’université n’est

pas insensible aux différences entrechercheurs et chercheuses. FrédéricDeschenaux et Mélanie Belzile ont faitenquête. « Le modèle actuel derecherche subventionnée semble dé-savantager les femmes », résumeM. Deschenaux, professeur à la facultédes sciences de l’éducation del’Université du Québec à Rimouski.Mais qui peut se permettre de se passerdu talent de la moitié de la population,au moment où la planète affronte desdéfis gigantesques? : :

onnaissez-vous une physi-cienne? Une ingénieure enmécanique? Une statisti-

cienne? Si vous avez répondu oui troisfois, vous êtes un oiseau rare! Ou plutôt,ce sont vos amies qui font exception.Car malgré des efforts réels, la partici-pation des femmes en sciences pures eten génie reste très faible. Et le phéno-mène n’est pas propre au Québec ou auCanada.

À la fin des années 1990, une étude surles conditions de travail des femmesprofesseures au célèbre MassachusettsInstitute of Technology (MIT) levait levoile sur les inégalités entre les hommeset les femmes, que ce soit en termes depromotion, d’espace de recherche (enbonnes scientifiques, les chercheusesavaient mesuré rigoureusement l’espacedont les uns et les autres disposaientpour effectuer leurs recherches) oud’octroi de fonds. Le rapport a fait letour du monde et sonné l’heure d’unréveil brutal : l’obtention d’un poste nesuffit pas à garantir l’égalité des sexes.Deux personnes peuvent travailler aumême endroit et vivre dans deuxunivers parallèles.

Au Canada et au Québec, des mesuresont été mises en place pour stimulerl’intérêt des filles pour les sciences. Etça marche! Au secondaire, au collégial

et même à l’université, les filles pren-nent leur place. Mais juste avant d’en-tamer leur doctorat, elles décrochent.« Plus on monte dans la hiérarchie, plusles femmes se font rares », résumeNadia Ghazzali, professeure de mathé-matiques à l’Université Laval et titulairede la Chaire CRSNG-IndustrielleAlliance pour les femmes en sciences eten génie. Car d’une discipline à l’autre,les progrès ne sont pas uniformes. En2007, les femmes ne représentaient que16% du corps professoral en sciences eten génie dans les universités du Québec.

L’enjeu est d’autant plus important queles organismes subventionnaires fédé-raux et provinciaux accordent uneimportance grandissante aux secteursenglobant ces disciplines (chimie,mathématiques, physique, génie,notamment).

À la tête du Conseil de recherche ensciences naturelles et en génie duCanada (CRSNG), Suzanne Fortier semontre préoccupée par le taux d’ins-cription peu élevé des jeunes, en parti-culier des filles, aux programmesd’études postsecondaires en sciencesnaturelles et en génie. « Les sondagesindiquent que ces domaines d’étudessont perçus comme trop exigeants parrapport aux bénéfices anticipés, com-parativement, par exemple, à la méde-

cine ou au droit. De plus, poursuit-elle,les jeunes filles ne voient pas bien le lienentre les domaines des sciences et dugénie et leur désir de contribuer à lasociété. Nos efforts doivent s’intensifierafin de susciter davantage leur intérêt etde mettre en évidence les contributionsimportantes des gens qui ont fait car-rière en sciences et en génie. »

Il y a quelques mois, Tony Clement, leministre fédéral de l’Industrie, a missur pied un comité composé deMme Fortier, d’Indira Samarasekera,rectrice de l’Université de l’Alberta, etd’Elizabeth Dowdedswell, présidentedu Conseil des académies canadiennes,qui devait lui faire rapport à propos duprocessus ayant conduit aux nomina-tions, par le gouvernement fédéral, de19 professeurs masculins pour dirigerautant de chaires de recherche (voirtexte précédent). Le rapport du comitéa conclu que le processus de sélectionavait été appliqué sans discriminationfondée sur le sexe. Le nombre très peuélevé de candidates possibles dans lesdomaines de recherche des chairesexplique en grande partie le résultat.

Mais pour plusieurs observatrices, ceconstat n’est pas satisfaisant. Et il sym-bolise la nécessité de faire davantagepour faciliter les promotions des cher-cheuses à des postes stratégiques. ::

Sciences et génie cherchent chercheuses

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:: REPORTAGE

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:: PERSPECTIVE CSF

l serait facile de balayer durevers de la main une réalitéqui semble à mille lieues des

préoccupations d’une société ditemoderne, fondée sur le principe del’égalité des sexes. Mais comment nierqu’à l’autre bout du pays, des femmeset des jeunes filles, souvent mineures,sont « assignées » et mariées à deshommes ayant parfois l’âge de leur pèreou de leur grand-père? Sans compterqu’elles devront se consacrer à la pro-création de nombreux enfants pourremplir leur devoir sacré. Ont-elles leurmot à dire? Peu ou pas du tout. Ni surl’homme qui les choisit ni sur les autres

épouses à venir, dont certaines devien-dront même des colocs! Parce que lapolygamie touche directement auxdroits de toutes les femmes, peuimporte leur confession religieuse, leConseil du statut de la femme a vouluanalyser les enjeux liés à la décriminali-sation de cette pratique au Canada etfaire entendre sa voix. Entretien avecYolande Geadah, chercheuse indépen-dante mandatée par le Conseil pouranalyser cette question.

| Propos recueillis par Nathalie Bissonnette

POLYGAMIE ET DROITS DES FEMMES

Incompatibilité de caractère!

I

Un jugement de la Cour suprême de laColombie-Britannique qui pourrait décriminaliser lapolygamie au Canada sera rendu cet automne.La Gazette des femmes s’est entretenue avec lachercheuse Yolande Geadah afin de bien saisir lesrépercussions de cette épineuse décision.

CONTEXTE

1890 La loi fédérale interdit lapratique de la polygamie auCanada.

Début 2009 Le gouvernement dela Colombie-Britannique (C.-B.)porte des accusations de polyga-mie contre deux représentants del’Église mormone fondamentalistede Bountiful. Considérant quecette pratique constitue un prin-cipe fondamental du mormonisme,les accusés invoquent leur droit à laliberté de religion.

23 septembre 2009 La cour de laC.-B. rejette les accusations depolygamie sur la base d’un viceprocédural.

22 octobre 2009 Le gouverne-ment s’adresse à la Cour suprêmede la C.-B. pour vérifier la constitu-tionnalité de la loi interdisant lesmariages multiples (article 293 duCode criminel canadien). Si la loiest jugée contraire à la Chartecanadienne des droits et libertés,le résultat immédiat serait l’annula-tion de l’article 293. Autrement dit,la décriminalisation de lapolygamie.

Octobre 2010 La décision de laCour suprême de la C.-B. n’a pasencore été rendue.

Automne 2010 Interpellé par lesrépercussions éventuelles décou-lant de la décriminalisation decette pratique sur les droits desfemmes, le Conseil du statut de lafemme publie l’avis La polygamie àl’aune des droits des femmes auXXIe siècle, qui fait état des enjeuxet de sa position.

«Deux pièges sontà éviter : banaliserla polygamie etdémoniser ceux quila pratiquent. »Yolande Geadah

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Gazette des femmes : Qu’est-ce que lapolygamie?

Yolande Geadah : C’est le mariage d’unepersonne avec plusieurs conjoints, géné-ralement un homme avec plusieursfemmes. Il s’agit d’une pratique trèsancienne, autorisée dans la plupart despays africains ou musulmans, maisinterdite dans les pays occidentaux. Lesconditions de vie des familles poly-games sont variables, selon qu’ellesvivent en Afrique, en Europe, auCanada ou ailleurs. En Afrique parexemple, selon la tradition, chaqueépouse habite séparément avec sesenfants, et le mari partage son tempsentre les ménages. Mais avec l’urbani-sation croissante et des conditionsfinancières difficiles, la cohabitationentre les coépouses est parfois inévi-table. En théorie, l’homme doit pour-voir aux besoins de ses épouses et deleurs enfants, mais en pratique, lesfemmes doivent souvent se débrouillerseules. Les cas de polygamie observésdans les pays occidentaux depuisquelques années sont surtout issus depays africains.

Ce mode de vie est-il le propre d’uneseule religion?

Pas du tout. On associe spontanémentla polygamie à l’islam. En réalité, elleexistait dans des cultures fort diffé-rentes, y compris chez les Juifs et dansl’Europe chrétienne. Aujourd’hui, elleest pratiquée par les mormons fonda-mentalistes, qui se prévalent du chris-tianisme et de l’Ancien Testament. Pourles adeptes de cette Église fondée auxÉtats-Unis à la fin du 19e siècle, dontune partie des fidèles est établie dansl’ouest du Canada, la polygamie relèved’une obligation religieuse qui permetaux hommes d’accéder au royaumecéleste. Tandis que dans l’islam, apparuenArabie au 7e siècle, il s’agit d’une per-mission accordée aux hommes, justifiéepar un contexte où les veuves de guerreétaient nombreuses et n’avaient aucunmoyen de subsistance autonome.

L’islam a instauré des règles entourantla pratique de la polygamie qui limitentà quatre le nombre d’épouses qu’unhomme peut avoir, à condition qu’ilsubvienne à leurs besoins et qu’il lestraite de manière équitable. L’islampose une limite et des conditions à lapolygamie, alors que le fondamenta-lisme mormon n’en établit aucune.

Quelles sont les assises de cette pratiqueconjugale?

La polygamie est une pratique tradi-tionnelle née d’un contexte patriarcal,qui accorde aux hommes autorité surles femmes. Cette pratique institution-nalise les inégalités entre les sexes etpose de nombreux défis. Deux piègessont à éviter : banaliser cette pratiqueet démoniser ceux qui l’adoptent. Ils’agit de comprendre d’où vient cettecoutume et de réfléchir à la manièred’y faire face, dans un contexte demodernité.

Comment aborder la situation sousl’angle des droits des femmes?

La pratique de la polygamie enOccident soulève de nombreusesquestions demeurées sans réponses.Comment faire face à cette réalité,dans un contexte d’immigration,quand la polygamie est interdite dansle pays d’accueil, alors qu’elle est légaledans le pays d’origine? La polygamieest-elle compatible avec le principe del’égalité des sexes, notamment avecl’égalité des droits et des obligationsdans le couple, tel qu’il est reconnudans le droit civil canadien? Devons-nous accepter sa pratique dans des casd’exception seulement? Quel statutaccorder à une deuxième, une troi-sième ou une quatrième épouse? Etcomment s’assurer que ces femmesdisposent des mêmes droits que toutesles autres? Ce n’est pas évident dutout. La polygamie est incompatibleavec un système fondé sur l’égalité desdroits, indépendamment du sexe oude la religion.

Sur quels arguments s’appuient sespratiquants?

En partie sur les libertés individuelles,sur la liberté de religion et sur la diver-sité culturelle. Les mormons contestentla loi qui interdit la polygamie en affir-mant qu’elle brime leur liberté reli-gieuse. C’est précisément ce qui est àl’étude : déterminer si la loi canadiennequi interdit la polygamie est compatibleou non avec la Charte canadienne desdroits et libertés qui protège la libertéde religion. Dans sa décision, la Coursuprême de la Colombie-Britanniquedevra définir jusqu’où va cette libertéde religion. À mon avis, on ne peuttrancher la question du statut de lapolygamie en la considérant sousl’angle des libertés individuelles ou dela liberté de religion. Cette questiondoit être évaluée sous la lunette desdroits humains et des répercussionssociales de cette pratique sur lesfemmes et les enfants.

Parlez-nous de ces répercussionssociales…

Elles sont nombreuses. Citons lesconflits que suscite la polygamie entreles coépouses, l’atteinte à la dignité desfemmes, la pauvreté qu’elle entraîne,car un homme peut rarement subveniraux besoins de ménages multiplesincluant une nombreuse progéniture.Et ce, sans compter que les enfants desfamilles polygames sont plus suscepti-bles de manquer de soins et de surveil-lance et que les risques de violencephysique ou sexuelle à leur égard aug-mentent. Les faits démontrent que lapolygamie est une pratique préjudi-ciable aux femmes, aux enfants et auxjeunes hommes également. Parexemple, dans une société polygame, iln’y a pas assez de femmes pour per-mettre aux hommes d’en épouser plusd’une. Même si la polygamie demeureune pratique minoritaire, elle exerceune forte pression sur les jeunes fillespour les pousser à se marier de plus enplus tôt, afin de répondre à la demande.

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:: PERSPECTIVE CSF

Et puis un écart d’âge important séparele mari de ses épouses. Comme ce sontles hommes influents et riches qui pra-tiquent davantage la polygamie, celalaisse une proportion de jeunes genssans possibilité de trouver une épouse.Chez les mormons, un homme peutavoir 20 épouses ou plus. Celacontribue aussi à la traite des femmes, àdes fins de mariage polygame.

Pourquoi les jeunes filles acceptent-ellesce genre d’union?

C’est d’abord une question d’éducationreligieuse et de croyances populaires.On leur enseigne que c’est leur destinéeet qu’elles n’ont pas le choix. EnAfriquecomme dans les pays musulmans, maiségalement chez les mormons, lesfemmes ne peuvent refuser un maripolygame ni empêcher leur mari deprendre une deuxième épouse. Dans lagrande majorité des cas, c’est donc uneabsence de choix.

Quelle est la tendance internationale?

Voilà plus d’un siècle que la polygamieest partout objet de controverse. Dansplusieurs pays africains et musulmans,des groupes de femmes et de défensedes droits humains revendiquent l’abo-lition de cette pratique, en raison del’ampleur des préjudices causés auxfemmes et aux enfants. Il faut voir là unindicateur important des conséquencessociales négatives associées à la poly-gamie. Certains gouvernements onttenté d’introduire des réformes pour

freiner cette pratique, mais peu ontréussi. Ces tentatives se heurtent à l’op-position féroce des conservateurs, quiluttent pour le maintien de traditionspatriarcales, afin de préserver les privi-lèges des hommes. Quelques réformestimides ont tout de même été intro-duites avec succès. En Égypte, certaineslois rendent la pratique de la polygamieplus difficile. Par exemple, une nouvelleloi permet aux femmes de demander etd’obtenir le divorce pour préjudicecausé par le remariage de leur mari.

Dans votre rapport de recherche, vousrecommandez que l’on déploie aussi desefforts pour éduquer les populationsconcernées.

Effectivement, bien qu’il soit nécessaired’interdire une pratique qui porte pré-judice aux femmes et aux enfants, uneloi ne suffit pas à elle seule. Il imported’éduquer et de sensibiliser lesmembres des communautés pour quicette pratique fait partie des traditions.Il s’agit de déconstruire les croyancesreligieuses ou culturelles qui soutien-nent la polygamie, et de démontrer lestorts qu’elle cause aux femmes et auxenfants. Il faut aussi informer et sou-tenir les femmes issues des commu-nautés concernées, pour leur permettred’exercer leur droit de refuser cette pra-tique interdite par la loi canadienne.Enfin, il est important de faire valoirqu’il est possible de renoncer à la pra-tique de la polygamie sans pour autantrenoncer à ses valeurs religieuses. Le casdes mormons non fondamentalistes,

qui ont renoncé officiellement à la pra-tique de la polygamie depuis plus d’unsiècle, en est un bel exemple. Tant que laloi n’est pas appliquée, ça laisse la porteouverte à la propagation de cette pra-tique et des préjudices qu’elle entraîne.

Les tenants de la décriminalisation de lapolygamie soutiennent que c’est laclandestinité qui cause le plus depréjudices aux familles polygames. Qu’enpensez-vous?

Les préjudices liés à la polygamie nesont pas uniquement causés par laclandestinité. Il est faux de croire qu’onrésoudra les problèmes en décriminali-sant cette pratique. À preuve, dans tousles pays où la polygamie est légalementadmise, les torts existent bel et bien etsont énormes. C’est pourquoi il fautévaluer la polygamie à l’aune des droitsdes femmes et des enfants, et non surla base du consentement de l’épouse.Le consentement, tout comme la léga-lité de cette pratique, n’élimine en rienles dommages causés. Il importe doncde faire respecter la loi interdisant lapolygamie, car cette pratique porteatteinte à la dignité des femmes et àleurs droits. : :

PLUS D’INFO:L’avis La polygamie à l’aune des droitsdes femmes au XXIe siècle, qui com-prend notamment les recommanda-tions formulées par le Conseil dustatut de la femme sur la question, estdisponible auwww.placealegalite.gouv.qc.ca.

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Rester debout

DOSSIER

Aussi à lire sur le Web à www.placealegalite.gouv.qc.ca

Nathalie Angibeau, conseillère politiquepour le gouvernement du Québec, a prisune année sabbatique pour aller en Haïti.Entre deux déplacements sur le terrain,cette Québécoise d'origine haïtienneraconte à la Gazette des femmes la richessede son expérience et les raisons qui l’ontincitée à joindre les rangs de la Croix-Rougecanadienne. Échange avec une jeunefemme sensible, marquée à jamais par uneaventure humainement difficile, mais sourced’espoir pour des jours meilleurs.

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Elles sont le ciment desfamilles. Elles ont desidées pour remettre leurnation debout. Mais ellessont complètementignorées dans les plans dereconstruction du pays.Quand écoutera-t-onenfin les Haïtiennes?

| par Ariane Émond

RECONSTRUCTION D’HAÏTI

sans lesfemmesPAS

Les femmes ne font pas partiedes plans de reconstructiond’Haïti. C’est honteux. » La

voix au bout du fil est ferme.Marie-AngeNoël est une citoyenne pivot deJacmel, autrefois joyau patrimonial de40000 habitants, détruit à 60% par leséisme du 12 janvier 2010. Elle y dirigeFanm Deside, un organisme fondé il y a20 ans pour faire respecter les droits et lesvaleurs des femmes, spécialement cellesissues des milieux populaires de Jacmelet des environs.Mme Noël participe aussiactivement à la Coordination nationalede plaidoyer pour les droits des femmes(CONAP), une plateforme d’organisa-tions féministes très mobilisée en Haïti.

Il est 8 h. Déjà largement entamée, sajournée sera interminable, commed’habitude. Enquête dans des camps,travail pour reloger des familles, appuià des jeunes filles violées et enceintes,

suivi judiciaire pour épingler les agres-seurs, etc. « Impensable de baisser lesbras. Devant cette vulnérabilité décu-plée des femmes depuis le tremblementde terre, il faut tenir. Sinon, qui le fera? »

JACMEL. « Soixante-dix pour cent des400 morts dénombrés sont desmortes », poursuit Marie-Ange Noël.Souvent des mères, avec les répercus-sions économiques et psychologiquesqu’on imagine. Huit mois après leséisme, 2000 familles vivent toujoursdans quatre camps de fortune à Jacmel,certains sans électricité ni eau cou-rante… En Haïti, 1,6 million de per-sonnes ont été jetées à la rue. Lapopulation entière de Québec, Sher-brooke, Laval, Gatineau et Longueuilréunie; le réalise-t-on?

Des dizaines d’autres interviewées mele répéteront, sur tous les tons. En cette

«

« Impensable debaisser les bras.«Devant cettevulnérabilitédécuplée desfemmes depuis letremblement deterre, il faut tenir.Sinon,qui le fera? »Marie-Ange Noël,Fanm Deside

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période chaotique post-séisme, lesbesoins des Haïtiennes sont reléguésderrière le paravent des événements quifont les manchettes : ramassage desgravats, élections, brouhaha des15 000 ONG sur place... Pourtant, ellesdemeurent les plus touchées, en termesde déplacées, de « décapitalisées »,d’handicapées et de victimes de vio-lence sexuelle et conjugale, que la vie encamps aura rendue plus visible.

Avant le 12 janvier, 80% de la survie desfamilles en Haïti reposait sur les épaulesdes femmes, qu’elles soient profession-nelles ou petites revendeuses, en coupleou chefs du foyer. Depuis? On a du malà imaginer la statistique. On ditqu’avant le séisme, le travail d’unefemme pouvait subvenir aux besoins desix personnes. Beaucoup de chefs defamille en ont aujourd’hui 10 sous leurresponsabilité… et sous la tente.

Bien avant le séisme, les femmes ontrêvé d’une autre Haïti. Elles exigentaujourd’hui de contribuer à la bâtir.Deux documents costauds endossés pardes centaines d’organisations régio-nales, nationales, internationales ontcirculé dans les officines des décideursjusqu’à l’ONU (voir encadré p. 15). Lavision d’avenir des Haïtiennes est ambi-tieuse, centrée sur la contribution detous et toutes, dans une perspective dejustice sociale et d’égalité. Elles avan-cent plusieurs propositions qui visent àrecoudre autrement les liens sociaux.Mais leur détermination à s’engager surla grande scène de la reconstructiontrouve peu d’écho dans les médias.

Les femmes invisibles

PORT-AU-PRINCE. Depuis son bu-reau d’UNIFEM (United NationsDevelopment Fund for Women), litté-ralement entouré de ruines, SabineManigat, politologue et experte desquestions de genre, explique sonmécontentement lors de la sortie dufameux « rapport sur l’évaluation dudésastre », document fondateur de

toute reconstruction mieux connu sousson sigle anglais PDNA. «En amont dela rédaction, j’ai pris part à plusieurscomités d’experts pour faire entendre lavoix des femmes : leurs besoins criantsdevaient être au centre de la réponsehumanitaire et de la reconstruction. »Les analyses du rapport se retrouventdans le Plan d’action pour le relève-ment et le développement d’Haïti, quele premier ministre Jean-Max Bellerivea présenté aux bailleurs de fonds inter-nationaux, au siège de l’ONU, en marsdernier. On y décrit les principes, leschantiers, l’échéancier selon lesquels la« refondation » d’Haïti doit s’opérer. Ily est question d’un «nouveau départ »qui semble n’avoir convaincu personne.Le rapport a été fortement décrié enHaïti et par la diaspora.

«Ça a été commandité par le gouverne-ment, mais exécuté par les agencesinternationales (Banque mondiale,Commission européenne, etc.). Et rien,vous m’entendez, rien n’a été pris encompte parmi les propositions tou-chant la contribution des femmes, qu’ils’agisse d’une nouvelle approche de

gouvernance ou de la refonte des sec-teurs sociaux, explose Sabine Manigat.On a retenu qu’il fallait penser àembaucher des femmes! On a eu l’au-dace d’écrire que les questions liées augenre étaient “transversales”, supposé-ment présentes partout en amont desdécisions. Mais voilà, quand on esttransversal, on est transparent. »Pourquoi cet accueil fermé? « En étatd’urgence, les grandes agences déci-deuses laissent entendre qu’il faut allerau plus pressé. L’ennemi de l’égalité,c’est l’urgence! »

OTTAWA. Malgré son flegme, DenyseCôté, de l’Observatoire sur le dévelop-pement régional et l’analyse différen-ciée selon les sexes (OREGAND), estassez estomaquée de la cécité desagences responsables des stratégies dereconstruction. Elle rentre d’un énièmevoyage en Haïti, qu’elle sillonne depuis1986. « C’est un pays politiquementcomplexe, doté d’un gouvernement quis’occupe très peu de sa population. Lacommunauté internationale endosse lerôle de l’État, affaibli et corrompu, alorsque son approche déçoit tout le monde!Depuis quand la croissance de typeclassique garantit-elle la répartition desrichesses? Depuis quand cette visionéconomique dépassée permet-elle decombler les inégalités entre les hommeset les femmes? C’est quand mêmecentral quand on pense à la “refonda-tion” d’Haïti. »

Denyse Côté a corédigé le Rapportparallèle sur le genre, déposé égalementle 31 mars à l’ONU pour le compted’une centaine d’organisations et deréseaux féministes internationaux (voirencadré p. 15). « Je ne peux voir qu’uneinconscience profonde pour justifierl’aveuglement des grands acteurs de lareconstruction. La clé du succès sauteaux yeux : la population doit être aucœur du processus de reconstruction,avec un préjugé favorable envers lesfemmes, qui soutiennent l’édifice social.Mais on n’enseigne pas encore cela dansles grandes écoles de sciences écono-miques! Les notions de développement

« La clé du succèssaute aux yeux : lapopulation doitêtre au cœur duprocessus dereconstruction,avec un préjugéfavorable enversles femmes. »Denyse Côté,OREGAND

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économique n’incluent pas encore ladimension de genre, les impacts diffé-rentiels sur les femmes et les hommes,les budgets “sensibles au genre”qui per-mettent de mieux évaluer les effets despolitiques envisagées. Les féministes –et ceux qui les appuient – se tuent àrépéter qu’on doit analyser la portée desdécisions sur les populations en amont,pas après! » Y a-t-il de l’espoir? «Oui, ily a beaucoup de travail qui se fait dansl’ombre, par des gens qui comprennentla pertinence de notre analyse et qui ladéfendent à l’UNESCO, à l’UNICEF, àl’ONU. Mais bon, sur le terrain, lesfemmes s’impatientent. »

PORT-AU-PRINCE. Lody Auguste estde ces militantes qui piaffent.« D’abord devant le discours des arti-sans de malheur qui répètent surtoutes les tribunes que le pays s’en-fonce, qu’il se recolonise. Ils nebougent pas d’un poil sur le terrain etdépriment tout le monde! » La lenteurdes « pays amis » à allonger les mil-lions promis la démonte aussi. « Maisje crois à la solidarité réelle dont lesgens ont fait preuve envers Haïti. »Cette intervenante en santé commu-nautaire, détentrice d’une maîtrise engestion des services de santé del’Université de Montréal, a fondé laKlinik Sante Fanm à CarrefourFeuilles, un quartier de la capitale.Personnage coloré et chanteuseengagée, Lody Auguste porte

aujourd’hui un chapeau de plus, queplusieurs lui reprochent : elle siègecomme représentante des ONG haï-tiennes à la Commission intérimairepour la reconstruction d’Haïti(CIRH). « Parmi 5 autres femmes (sur26 membres). Je n’ai pas le droit devote, mais j’ai toute ma liberté deparole! » Coprésidée par Bill Clintonet le premier ministre haïtien, cettecommission doit coordonner efficace-ment les plans et les projets en faveurde la reconstruction et du développe-ment d’Haïti. Mme Auguste y poussevaillamment les recommandations dela Plateforme Femmes citoyennesHaïti solidaire, à laquelle elle adhère(voir encadré).

Qu’est-ce qui ralentit la prise en comptedes initiatives des femmes dans lareconstruction? «Primo, la mentalitémachiste bien ancrée chez les décideurs.Secundo, le retard dans l’applicationd’une politique d’égalité en Haïti et l’in-suffisance de la coordination des inter-ventions sur l’égalité dans le secteurhumanitaire. Finalement, les maigresmoyens dont disposent les organisationsde femmes des quartiers précaires pourdévelopper leur capacité de leadership.Pourtant, les Haïtiennes qui subissentces terribles inégalités n’en peuvent plusde rester derrière les rideaux, à attendrequ’on les écoute! » Sans doute faut-ilcomprendre par là qu’elles pourraientdécider de hausser le ton... : :

CE QU’ELLES PROPOSENT

Visant à augmenter la participation des femmes aux activités dereconstruction, le Rapport parallèle sur le genre a réussi à attirerl’attention lors de son dépôt, fin mars. Il a été concocté par le CollectifHaïti égalité, qui comprend de grands réseaux féministes de lacommunauté internationale et des groupes qui agissent sur le terrain. Iloffre une analyse éclairante sur les raisons qui motivent la prise encompte de l’égalité femmes-hommes dans la planification de lareconstruction. Il suggère aussi des mesures concrètes pour mettre cetteapproche en application dans les secteurs clés : agriculture, élevage,santé et administration publique, notamment.Plus d’info : http://tinyurl.com/ycke9h2

Soutenue par des dizaines d’autres groupes du pays, la PlateformeFemmes citoyennes Haïti solidaire a publié un document encore plusdétaillé, diffusé auprès des décideurs et sur le Web. Il vise les mêmesobjectifs, notamment l’adoption d’un budget de reconstruction sensibleau genre, c’est-à-dire explicite quant aux investissements consacrés aurelèvement des femmes, à la réduction de leur pauvreté et à leurcontribution concrète au développement du pays. Une propositionoriginale : la création de «villages de vie » pour les déplacés dans leszones périphériques et les départements ayant accueilli le plus desinistrés. À la base du concept, on note l’amélioration de l’autonomiedes chefs de famille, surtout des femmes, et la mobilisation citoyenne.Plus d’info : www.oregand.ca, onglet Publications

Les deux documents soulignent le rôle important que doivent aussi tenirles femmes de la diaspora haïtienne. Beaucoup d’initiatives individuellesont fleuri à l’échelle internationale pour aider à la reconstruction, dontcelle de la Québécoise Dominique Anglade, soutenue par le grouperock Arcade Fire : KANPE («debout » en français). Par un programmeglobal d’accompagnement, KANPE vise à soutenir les Haïtiens les plusvulnérables dans leur quête d’un avenir meilleur.Plus d’info : www.kanpe.org

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La militante Lody Auguste est l’unedes 5 femmes sur 26 membres àsiéger comme représentante des ONGhaïtiennes à la Commission intérimairepour la reconstruction d’Haïti,coprésidée par Bill Clinton.

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e mouvement des femmes enHaïti avait atteint une bellematurité, avec des leaders res-

pectées, souvent visionnaires. Là encore,le tremblement de terre a laissé des cica-trices terribles. Destruction des locaux,saignée des effectifs, responsabilitésdécuplées avec moins de ressources.«On s’est ramassées bien vite, on n’avaitpas le choix.On a plongé dans l’action. »Au bout du fil, la voix est fatiguée. « Il yavait tant à faire. Dans ma famille, pasune seule maison n’est restée debout.On s’est serré les coudes et on a portéassistance. Avec l’énergie du désespoir,sans doute. » Danièle Magloire, la jeunequarantaine, a mis huit mois à retrouverun logement pour elle et les siens, après

avoir campé tout ce temps dans la courde Droits et Démocratie à Port-au-Prince, son lieu de travail. La sociologueest aussi militante de longue date à KayFanm (« la Maison des femmes »), quifut partiellement détruite. REVIV,l’unique maison d’hébergement pourfillettes agressées sexuellement en Haïti(fondée par Kay Fanm en 2005), a été,elle, anéantie. La quinzaine de pension-naires de 10 à 14 ans, toutes enceintes,ont eu la vie sauve. Miracle. YoletteJeanty, coordonnatrice de Kay Fanm, lesa relogées sous un abri, dans sa cour.

«Nous, nous étions vivantes, poursuitDanièleMagloire, c’était l’essentiel. Et onmesurait notre chance. Il y avait tant de

femmes en détresse, blessées, avec desenfants affamés, laissées à elles-mêmespendant des semaines. Il fallait lesaccompagner. Les féministes ont misl’épaule à la roue dans tout le pays, s’oc-cupant des sinistrées sur place ouaccueillant les déplacées. Bénévolement,bien sûr. »Avec les moyens du bord, ellesont organisé l’évacuation de familles versles campagnes, cherché les survivantsdans les décombres, trouvé des abris defortune, enterré leurs morts. Elles ontbeaucoup tapé du pied avant que les res-ponsables de l’aide humanitaire accep-tent d’inclure des biberons et desserviettes hygiéniques dans les troussesoffertes aux sinistrés. Et elles ont fait ledécompte des dégâts dans leurs rangs…

Le mouvement des femmes a fait bouger Haïti comme nulle autre force de sasociété civile. Mais le séisme du 12 janvier l’a gravement ébranlé. Saura-t-ilretrouver son élan?

| par Ariane Émond

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«Avec ma longueexpérience, j’ai bien desraisons d’avoir confiancedans la détermination etl’influence des féministessur l’avenir de mon pays.Ce n’est pas un vœu,c’est une conviction. »Adeline Chancy

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Sous de grandes bâches bleues, ellesétaient en pleurs le 8 mars dernier, ruePacot, dans la capitale. Six ou sept centsféministes venues rendre un hommageémouvant à celles qui avaient péri deuxmois plus tôt, des plus illustres auxmoins connues. À l’invitation de laCoordination nationale de plaidoyerpour les droits des femmes (CONAP), lesmilitantes des villes comme celles descommunes éloignées côtoyaient lesministres anciennes et actuelles, prochesdu mouvement des femmes, et leursamies de la diaspora venues de laRépublique dominicaine et du Québec.Marjorie Villefranche, directrice de laMaison d’Haïti, dans le quartier Saint-Michel à Montréal, y était. «On adéclamé la liste des femmes fauchées parle séisme, en s’attardant sur le legsimmense de trois grandes disparues :Myriam Merlet, Anne-Marie Coriolan,Magalie Marcelin. C’étaient des amies,des femmes inspirantes; nous étionssecouées. » La fille de Magalie Marcelin,âgée de 25 ans, s’est adressée à la foule :«Ma mère était une reine. Je veuxmarcher dans ses pas,nous devons touteset tous marcher dans ses pas. » Un campde solidarité a été installé sur le site Webd’OREGAND, à la mémoire des troispassionarias féministes.

Qui étaient-elles? Les figures de proued’un mouvement qui, depuis deuxdécennies, lutte pour voir naître uneHaïti plus démocratique, plus respec-tueuse des droits et de la valeur desfemmes comme actrices du développe-ment de leur pays. Elles ont donné nais-sance à de grandes organisations − dontla trilogie haïtienne SOFA, EnfoFanm

et Kay Fanm −, déterminées à fairereculer la violence et la pauvreté endé-miques qui entravent l’épanouissementdes filles et des femmes. Avec leur stylepropre, toutes trois ont travaillé à struc-turer le mouvement, à asseoir sa crédi-bilité en construisant des réseauxnationaux et internationaux. Elles ontpoussé pour qu’on documente la réalitéintolérable des Haïtiennes, ont orga-nisé des plaidoyers et favorisé des pla-teformes communes pour menercertains combats. Cela, en dépit deleurs divergences politiques.

Une suite à donner

Le mouvement des femmes a été puis-sant en Haïti. C’est entre autres lui qui ainspiré la création du ministère à laCondition féminine et aux Droits desfemmes en 1994. Myriam Merlet en ad’ailleurs été une éminence grise, mêmeune chef de cabinet.Un choix stratégiquedouloureux, car le machisme de l’appa-reil d’État, ce n’est pas de la tarte. Desréformes capitales ont eu lieu, notam-ment en matière d’agressions sexuelles(on poursuit désormais les agresseurs,

qui encourent de lourdes peines) et depaternité responsable (pour protéger lesenfants autrefois sans identité car sanspère déclaré). Il y aurait beaucoup à diresur les acquis récents dumouvement, surses alliances et ses divisions politiques. Làcomme ailleurs, le mouvement desfemmes est morcelé et complexe.

La respectéeAdelineChancy aura bientôt80 ans. L’ancienne ministre à la

REVIV, l’unique maison d’hébergementpour fillettes agressées sexuellement

en Haïti, a été anéantie. Judette et lesautres pensionnaires ont été relogées

temporairement dans la cour de lacoordonnatrice de Kay Fanm, dans un

abri de bois pressé.

«Les féministes ontmis l’épaule à laroue dans tout lepays, s’occupantdes sinistrées surplace ouaccueillant lesdéplacées.Bénévolement,bien sûr. »Danièle Magloire,Droits et Démocratie à Port-au-Prince

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Condition féminine, spécialiste des ques-tions d’alphabétisation avant son exilsous la dictature de Duvalier, articuletoujours sa pensée avec rigueur. Deretour en 1986, elle a travaillé à rappro-cher les féministes des espaces de déci-sion pour qu’elles prennent la place quileur revient. «Avec ma longue expé-rience, j’ai bien des raisons d’avoirconfiance dans leur détermination et leurinfluence sur l’avenir de mon pays. Cen’est pas un vœu, c’est une conviction.»

Selon elle, le mouvement paraît moinsvisible,mais se réorganise. Pas de douteque la décentralisation des services,prônée comme fondement de lareconstruction d’Haïti, doit être profi-table aux femmes. Elle affirme que lespépinières de femmes leaders sont dansles zones rurales. « En Haïti, 60% de lapopulation vit en campagne. Il existequelques associations d’agricultrices etd’éleveuses de bétail, pas assez nom-breuses, ni suffisamment connues etsoutenues. Il faut les renforcer, lesencourager à se multiplier, à constituerdes réseaux susceptibles de gagner enforce et en influence. Bien encadrées,ces femmes sauront démontrer mieux

que quiconque ce dont la population abesoin. Tout avancement passe par despolitiques publiques. C’est la clé. Beau-coup plus de femmes doivent seretrouver dans les lieux de pouvoirpour favoriser la mise en œuvre depolitiques structurantes. »

Quelques jours avant ma discussionavec Mme Chancy, Danièle Magloirem’avait expliqué que le mouvement desfemmes resterait à distance des élec-tions présidentielles du 28 novembre.«Des élections précipitées et perclusesde magouilles. Mais en 2011, pour lesélections aux mairies des collectivitésterritoriales, nous allons appuyer descandidates sérieuses. » « Excellent choixstratégique, commente Adeline Chancy.Les plus jeunes disent qu’elles se sententinvesties d’une mission et qu’ellesveulent être à la hauteur des disparues.Myriam Merlet a patiemment forméune relève qui s’en inspire aujourd’hui.Nous avons des acquis. Nous avons créédes modèles qui laissent des tracesdurables, j’en vois les signes tous lesjours. Nous allons retrouver le couragede continuer. Il reste tant à faire pourles femmes et pour Haïti. » : :

Danièle Magloire, en poste à Droits etDémocratie, explique que si lemouvement des femmes reste àdistance des élections présidentiellesdu 28 novembre, jugées précipitéeset exemptes de transparence, ilappuiera des candidates sérieuses en2011 pour les élections aux mairiesdes collectivités.

8 mars 2010. En route pour participerau rassemblement destiné à rendrehommage à toutes celles qui ont périlors du séisme, cette jeune femmeporte le message suivant : «Beaucoupde femmes sont tombées. Nouscontinuons d’avancer. Haïti n’est pasmort. »

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offre lui est venue de labouche même de la nouvelledirectrice générale de

l’UNESCO, Irina Bokova. MichaëlleJean n’a pas réfléchi longtemps avantd’accepter ce mandat de quatre ans,renouvelable, qu’elle exécutera à partird’Ottawa. « Le tremblement de terre futun grand malheur. J’y ai perdu uneamie proche [NDLR : la militanteMagalie Marcelin était la marraine desa fille]. Mais la reconstruction est unebelle occasion de relancer ce paysmeurtri, principalement par la refontede l’éducation nationale. Mettons les

choses au clair : je ne m’en vais passauver Haïti! Et je n’ai pas d’ambitionpolitique non plus. Haïti est mon paysde naissance. Si je peux lui procurerplus d’outils pour se sauver lui-même,je le ferai! »

Gazette des femmes : Quelle est votrepriorité en tant qu’envoyée spéciale del’UNESCO?

Michaëlle Jean : Contribuer à mettre enplace un bon système d’éducationpublique. Et y associer les Haïtiens. Pourqu’Haïti cesse d’être perçu comme un

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Tout juste après avoirretiré son chapeau de

représentante de la reine,Michaëlle Jean en a coiffé

un nouveau : celuid’envoyée spéciale del’UNESCO pour Haïti.

Responsable desquestions d’éducation, deculture et de patrimoine,

elle entreprend cecolossal mandat portée

par une vision inspirante.

| par Ariane Émond

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défide Michaëlle Jean

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L’ex-gouverneure généraleMichaëlle Jean et son mari ontrencontré des victimes du séismeau camp des personnes déplacéessitué devant l’hôtel de ville deLéogâne, lors d’une visite officielleen Haïti en mars dernier.

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pays foutu ou un pays de la désespé-rance, ce qu’il n’est pas. Je connais sesforces et ses faiblesses. Parmi ses forces,il y a sa population, et les femmes quien sont le poto mitan [le « piliercentral »]. Et les jeunes! Soixante pourcent de la population a moins de 20 ans.Si on les écarte, y compris pour rebâtirl’éducation, on échouera. Les Haïtiensveulent être consultés. Ils ont une foiinébranlable en l’éducation.Ce n’est paspour rien qu’ils se crèvent pour envoyerleurs enfants à l’école, même si l’ins-truction est souvent inférieure à cequ’elle devrait être.

Par quoi commencer?

Comme gouverneure générale duCanada, j’ai fait quelque 40 missions àl’étranger où j’ai très souvent parléd’Haïti. J’ai établi de bons contactsque je vais réactiver, par exemple auFonds monétaire international (avecDominique Strauss-Kahn), ainsi qu’au-près des dirigeants des pays africains,latino-américains et de la communautéeuropéenne qui ont tant reçu d’Haïti,notamment des ressources intellec-tuelles. Il faudra trouver des fonds etdes partenaires déterminés à fournirdes expertises, des ressources pourque ça fonctionne. Je veux m’asseoiravec Bill Clinton, qui copréside laCommission intérimaire pour lareconstruction d’Haïti, pour qu’ons’entende sur un pourcentage de l’aideinternationale qui sera consacré à larestructuration de l’éducation.

Mobiliser des partenaires est la pre-mière chose à faire. Coordonner leurapport sera la deuxième. Malheu-reusement, depuis 50 ans, en matièred’aide humanitaire, Haïti est le labora-toire de tous les essais et erreurs. Il y aun tel éparpillement des ressources! Il

faut arrêter cela. Le saupoudrage favo-rise la corruption, bien sûr. Agir sansvéritable coordination ne sert qu’uneminorité de donneurs de services,jamais le développement durable.

L’éducation nationale est à repenser defond en comble. Qui va planifier sarefonte?

L’UNESCO pourra assister la mise enœuvre du nouveau Plan d’éducationnationale. Le président Préval a confié saconception au recteur de l’UniversitéQuisqueya, Jacky Lumarque, un hommeremarquable. Tous les programmesd’éducation sont à revoir, du primaire àl’université. Il faut implanter – enfin! –une formation technique et profession-nelle, revoir la formation des maîtres et

les normes, en se collant aux besoins dupays. L’étape suivante : planifier ledéploiement et la construction desinfrastructures. Le maître mot, c’estla décentralisation. Qu’on enseigneles techniques d’agriculture dansl’Artibonite (au centre du pays), parexemple, la gestion administrative dansle Sud-Ouest, les sciences de la santéailleurs…

Et quand ce plan sera accepté, il faudrale mettre en route. Je veux consacrertoutes mes énergies afin que lesHaïtiens se l’approprient comme unprojet d’avenir et qu’ils y travaillent, ygagnent leur vie. Je veux que les res-sources – architectes, artisans... – pro-viennent du pays, et qu’on mette àcontribution les personnes de la dias-pora comme formatrices, mentors,accompagnatrices. Et que l’on sorte dela logique d’assistance!

Quelle place les femmes pourront-ellesoccuper dans ce chantier de l’éducation?

Le mouvement des femmes haïtien estune force vive qui pense le développe-ment humain et durable d’Haïti depuis20 ans. Elles doivent être au cœur duprocessus; sans elles, on ne va nulle part.J’aime le concept des villages de vie(voir encadré p. 15), qui structurent desfaçons de mousser la valorisation etl’autonomie des femmes dans les loca-lités. Il y a beaucoup de leaders fémi-nines à accompagner. Elles serontintéressées par des formations en gou-vernance, en entrepreneuriat, en admi-nistration, en génie… Je vais chercherpar tous les moyens à augmenter leurleadership. Tout cela ne se fera pas en4 ans – sans doute en 20! –, mais l’im-portant, c’est de bien lancer les choses.Au bout du compte, c’est le travailaccompli qui importe, non? : :

Michaëlle Jean, à l’occasion de laJournée internationale des femmes,tenant des pancartes du Camp desolidarité féministe internationale, missur pied pour coordonner les effortsde solidarité et assurerl’acheminement des ressourcesessentielles aux Haïtiennes.

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«Parmi les forcesd’Haïti, il y a sapopulation, et lesfemmes qui ensont le poto mitan[le «pilier central »].Et les jeunes!Soixante pour centde la population amoins de 20 ans. »Michaëlle Jean

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Cours interrompus, vieprécarisée dans lescamps, déplacements àl’intérieur du pays… Leséisme assombrira-t-ill’avenir des filles?Beaucoup moins, sansdoute, si de solidesprogrammes d’éducationet de formation voient lejour sans tarder.

n Haïti, 90% du réseau d’édu-cation est privé, donc payant.Cet automne, le soutien de la

communauté internationale pourfinancer la rentrée scolaire de près de325 000 enfants a certainement été uncoup de pouce apprécié. On parle d’unrécent retour à la normale (!) dansdes infrastructures semi-permanentes(80% des infrastructures scolaires ontété détruites). Encore faut-il que lesfilles restent en classe. À quel prix cellesqui ont perdu des proches, leur école,leurs repères pourront-elles prendreleur avenir en main?

«À court terme, la vie des filles et desfemmes s’est trouvée plus fragilisée aprèsle séisme. Beaucoup ont dû survivreavec… rien.Pas d’économies, pas de cas-seroles, plus de travail. Les jeunes commeles mères ont beaucoup monnayé leurcorps pour parer au plus urgent »,raconte Isabelle Fortin, Montréalaised’origine, consultante et spécialiste des

questions de sécurité en Haïti, où elle vitdepuis 20 ans. «On estime à 600000 lespersonnes déplacées dans des régionsavoisinantes, dont une majorité defemmes et d’enfants d’âge scolaire, enplein choc post-traumatique. La vie s’est

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Jour de réouvertureofficielle des classes en

Haïti, le 5 avril dernier, aulycée Jean-Jacques-

Dessalines, àPort-au-Prince.

La nécessaire révolution| par Ariane Émond

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ÉDUCATION

La première étape de ce programme deretour à l’école, prioritaire pour laCommission intérimaire pour lareconstruction d’Haïti (CIRH), a permisd’allouer 94,2 millions de dollars enaoût dernier. Mis en œuvre par leministère de l’Éducation, le programmea été en partie financé par la Banqueinteraméricaine de développement.Pour les 18 prochains mois, la CIRHespère permettre à 300000 enfants quin’ont pas les moyens de fréquenterl’école de le faire (avant le séisme,34% des Haïtiennes de 10 à 14 anstravaillaient pour une maigre pitance...).On vise aussi à accorder unesubvention à 750000 étudiants del’université dans la même période.

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compliquée pour les filles, généralementplus timides. Elles ont honte de ne pasporter le bon uniforme dans leur nou-velle école (ce n’est pas un détail enHaïti), n’ont ni crayons ni manuels. Sansamies pour les protéger, elles sont plusvulnérables aux agressions. En province,les écoles sont éloignées des habitations.Si bien que lorsque leurs filles atteignentla puberté, plusieurs parents choisissentde les retirer des classes de peur qu’ellessoient violées. Bref, les filles encaissentbeaucoup de stress dans leur nouveaumilieu de vie…»

Myrto Célestin Saurel, 65 ans, a fait car-rière en éducation jusqu’à diriger leMinistère à deux reprises, avant dedémissionner en 2002. « À moyenterme, l’impact me paraît double,relate-t-elle. D’un côté, le séisme agirapeut-être positivement sur le rende-ment et la rétention scolaire des filles.J’en ai rencontré 200 en juillet, dans unpetit collège, rien de très huppé. Ellesétaient certes perturbées – leurs parentsont tout perdu –, mais absolument pasdécouragées. Fouettées, je dirais! Ellestrépignent à l’idée de finir leur forma-tion pour remplacer au plus vite “nosdirigeants qui gèrent si mal notre paysravagé”, disaient-elles en colère! D’unautre côté, il y a ces grossesses d’adoles-centes qui sautaient aux yeux à Port-au-Prince l’été dernier. On parle des“enfants du séisme” qui naîtront souspeu de mères qui ont cessé leur par-cours scolaire. Dans les camps, au vu detous, de très jeunes filles, seules, orphe-lines ou abandonnées, sont en coupleavec des hommes plus âgés. Pour avoirun semblant de protection ou parcequ’elles sont incapables de gérer leurnouvelle liberté? Où trouveront-ellesle soutien pour retrouver confianceen elles et chercher leur autonomiefinancière? »

La situation de l’éducation était chao-tique avant le 12 janvier 2010, elle l’estencore : enseignants démotivés, élèvesqui décrochent, contenu des cours basésur des connaissances déconnectées du21e siècle, frais de scolarité exorbitants,sans parler des dépenses connexes…Auminimum, 200 à 300$ par année... alorsque la majorité de la population vit avecun maigre dollar par jour.

«À long terme, le relèvement d’Haïtipasse par une refonte de l’éducationnationale. C’est le pilier essentiel pourarrimer la nouvelle Haïti. Il fautréformer les contenus au primaire et ausecondaire, ça urge! Ils sont déphasés,fondés sur l’apprentissage par cœur. Etles professeurs doivent être mieuxformés, mieux payés », martèle DiliaLemaire, juriste, mère de deux filles etimpliquée de longue date à MOUFHED(Mouvement des femmes haïtiennespour l’éducation et le développement).« Imaginez : après 14 ans d’études, lesfilles reçoivent un diplôme en ignoranttout des enjeux de l’environnement etn’ont reçu aucune éducation à lacitoyenneté. Pire, elles sont vouées auchômage! Il n’existe aucune formationtechnique pour des métiers bien rému-nérés pour elles. Et la mentalité haï-tienne culpabilise les plus audacieusesqui veulent être ingénieures plutôtqu’infirmières. On leur rebat les oreillesavec la perte de leur féminité! Ellesdoivent être fortes pour résister à cela! »

Si l’éducation nationale ne connaît pasde révolution intérieure, le redécollaged’Haïti risque bien de se faire sans lesjeunes, qui forment 60% de sa popula-tion. « Il y a un déficit criant de res-sources humaines qualifiées. On auraitbesoin de jeunes femmes capables deprendre les rênes des chantiers d’avenir,aujourd’hui et dans 10 ans. Les femmesportent ce pays à bout de bras et l’em-pêchent de sombrer. Leurs filles doiventêtre mieux outillées pour le relever! »conclut Dilia Lemaire. : :

« Il n’existe aucuneformation techniquepour des métiers bienrémunérés pour lesfilles. »Dilia Lemaire,juriste impliquée à MOUFHED

« Les filles trépignent àl’idée de finir leurformation pourremplacer au plus vite“nos dirigeants quigèrent si mal notre paysravagé”. »Myrto Célestin Saurel, qui a faitcarrière en éducation jusqu’à diriger leMinistère à deux reprises

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une était en Haïti depuis quel-ques jours et l’autre avait atterrila veille lorsque le spectre du

cauchemar est réapparu. Le 20 janvier2010, huit jours après le premier séismeravageur, la lieutenante-colonelle LindaGarand et la majore Claire Bramma ontsenti la terre trembler, alors qu’unesecousse de 6,1 à l’échelle de Richterébranlait le pays. « Je me suis dit : “On va

tous mourir” », raconte la lieutenante-colonelle Garand, médecin-chef au seindes Forces canadiennes.

Que peut-il arriver de pire qu’un autreséisme d’une telle magnitude lorsquetout est en ruine et que les habitantsn’ont pas fini de compter leurs morts?«On a entendu les cris de panique demilliers de personnes qui vivaient dans

un camp de réfugiés de l’autre côté del’aéroport. Une clameur horrifique.C’était épouvantable d’entendre ça etde ne pouvoir rien faire », se rappellecelle qui faisait partie de l’Équipe d’in-tervention en cas de catastrophe (mieuxconnue sous le sigle anglais DART).

Sans répit, les quelque 60 jours demission des deux militaires auront été

| par Lisa-Marie Gervais

Tours de force

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En janvier, la majore Claire Bramma et la lieutenante-colonelle Linda Garand ontpris un aller simple pour Haïti. Et ont réussi l’impossible : mener une mission d’aidehumanitaire dans l’un des pays les plus pauvres de la planète.

Linda Garand,lieutenante-colonelle,médecin-chef au sein desForces canadiennes

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teintés de labeur acharné, de sommeiltroublé et de chaleur accablante. Unemission qui n’avait rien à voir avec celleen Afghanistan, où les deux femmesavaient déjà été déployées. « En Haïti, iln’y avait pas de menace ennemie ouviolente, explique la majore Bramma,commandante de l’escadron d’ingé-nieurs de l’opération humanitaire enHaïti. La mission n’était pas nécessaire-ment plus facile, mais nous avions aumoins une liberté de mouvement ainsique la possibilité de distribuer beau-coup d’équipement et de travailler avecun minimum de sécurité. »

Une question de survie

Le jour même du séisme du 12 janvier,la jeune ingénieure de 30 ans a suqu’elle allait être commandante d’unescadron de 105 personnes, dont5 femmes. Moins d’une semaine plustard, elle posait le pied à Port-au-Princeavant de partir presque aussitôt pourLéogâne, à quelques kilomètres.Dégager les routes et enlever les débris,purifier l’eau potable et construire desabris transitionnels : les tâches étaientimmenses. Au final, son équipe a retirédeux tonnes de débris et libéré30 espaces publics pour faire place à la

reconstruction. «Mon personnel pro-venait de tous les régiments. Il comp-tait aussi des civils. C’était difficile dediriger des gens qui n’avaient pas l’ha-bitude de travailler ensemble », souligneClaire Bramma.

Les deux premières semaines n’ont pasété de tout repos. Faute de tentes, lamajore Bramma et son équipe ontdormi à la belle étoile, sous des filetsinsecticides, et se lavaient à l’aide debouteilles d’eau. Les rations de nourri-ture étaient composées de pâtes avecviande ou de poulet en sachet, depatates, de pain et de beurre d’arachide.

Pendant ce temps à Port-au-Prince, lalieutenante-colonelle Linda Garandveillait sans relâche à ce qu’on prodigueles soins d’urgence aux blessés, auxfemmes enceintes et aux enfants − 40%des Haïtiens ont moins de 15 ans −, enplus de s’occuper de la santé de son per-sonnel médical. Le soir, elle retournaitdans sa petite tente plantée non loin del’aéroport, dans ce qui s’est avéré unchamp de tarentules. «Ce qui était dif-ficile, c’était d’organiser tout ça ennégociant constamment.On avait droità un certain nombre d’atterrissages parjour et on disposait de deux heures[pour charger et décharger] avant quel’avion ne redécolle », raconte cettemère de famille de 52 ans, spécialiste dela médecine aéronautique. « Et alorsqu’aucun système de communicationne fonctionnait, on a procédé à uneévacuation médicale à l’aide deBlackBerry, qui nous permettaient decommuniquer avec la tour decontrôle. » Au total, elle a dirigé uneéquipe de 150 bénévoles qui onteffectué 4 500 transferts de réfugiés etsoigné plus de 16 000 patients. «Quandles machines ne fonctionnent plus etque l’équipement tarde à arriver, cesont les êtres humains qui font et feronttoujours la différence. »

Des femmes en tête

Dans l’armée comme ailleurs, s’im-poser comme femme dans un milieud’hommes n’est jamais facile. Lamajore Bramma et la lieutenante-colonelle Garand ont misé sur leurprofessionnalisme. « Pour garder notrecrédibilité, il fallait faire comme toutle monde : manger des rations dures etcoucher par terre », raconte LindaGarand. « Mais ça ne m’a pas empê-chée de me maquiller le matin et d’êtreattentive à la condition des femmesdans mon organisation », ajoute-t-elle.Car être féministe n’exclut pas la fémi-nité. La lieutenante-colonelle se dittrès privilégiée d’avoir pu bénéficier dela confiance de ses supérieurs demission. « La reconnaissance que j’aieue à mon retour d’Haïti a étéincroyable. Je dis aux femmes : n’es-sayez pas d’agir comme un homme, ceque vous n’êtes pas. Les hommesaiment qu’on ait une approche fémi-nine, qu’on n’essaie pas de fairecomme eux. »

Claire Bramma rapporte que certainsmilitaires d’autres nations ne sont pashabitués à voir des femmes occuper despostes de commandement. « Je suisrestée professionnelle et patiente pourdévelopper de bonnes relations avecmes collègues étrangers. Sur quatrechefs de section, mon équipe comptaitdeux femmes. Elles devaient travailleravec la population. Il était intéressantde voir l’inspiration qu’elles insuf-flaient aux Haïtiennes en tant quefemmes ingénieures côtoyant leurs col-lègues masculins sur un même piedd’égalité, ou dirigeant leur travail. Queles Canadiennes disposent d’une tellereconnaissance professionnelle a sansdoute constitué une source d’inspira-tion pour les femmes d’Haïti »,conclut-elle. : :

La majore Claire Bramma et le majorNamal de l'armée du Sri Lanka (Étatmembre des Nations Unies) ontcoordonné le travail de leursressources respectives pour laréalisation de tâches de génie àLéogâne.

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est dans notre sol que se trou-vent les racines de la Marchemondiale des femmes (MMF).

En 1995, la Fédération des femmes duQuébec (FFQ) organisait la marche Dupain et des roses, qui avait pour thèmela pauvreté. Loi sur l’équité salariale,hausse du salaire minimum, création delogements sociaux figuraient aunombre des neuf revendications desQuébécoises. La même année, le ventdans les voiles, ses organisatrices ontlancé une bouteille à la mer à laConférence internationale des femmesà Beijing, en Chine : « Et pourquoi pasune marche mondiale? »

Emilia Castro était aux premières logesde ce qui allait devenir un mouvementde solidarité féminine hors ducommun. Aujourd’hui vice-présidenteau Conseil central de Québec–Chaudière-Appalaches de la CSN, cetteChilienne d’origine faisait partie desmilitantes qui appuyaient la présidentede la FFQ de l’époque, Françoise David,lorsque celle-ci a déclenché l’opérationplanétaire. «On sentait un ras-le-bolchez les femmes. Il fallait se mettre enaction et cela ne pouvait pas attendre,évoque Emilia Castro, un brin de nos-talgie dans la voix. Ce qu’on voulait,c’est que chaque femme devienne unsujet politique. »

Vendre l’idée d’une marche planétaireaux déléguées présentes à Beijing n’a pasété difficile, rapporte-t-elle. Le thème dela pauvreté a encore été retenu, mais lesreprésentantes du Sud ont proposéd’ajouter celui de la violence.

En 1996, lors de la première rencontreen vue de l’organisation de la MMF, àMontréal, une soixantaine de paysétaient représentés. «Nos militantessont venues confirmer qu’il y avait déjàdes travaux entamés ailleurs dans lemonde par des femmes qui réfléchis-saient aux mêmes questions », affirme

Il y a plus de 10 ans, des femmes du monde entier quien avaient marre de subir pauvreté et violenceorchestraient la première marche mondiale pourdénoncer le système en place. En 2010, malgré leurréseau de solidarité, elles voient toujours rouge.Et récidivent.

| par Annie Mathieu

La solidarité

C’

en marche

Selon Emilia Castro, représentante desAmériques au Comité international dela Marche mondiale des femmes, lamobilisation des participantes et lesuccès de l’événement s’expliquent enpartie par une communicationininterrompue entre les 164 pays et les6000 groupes de femmes querassemble ce mouvement.

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Mme Castro, qui considère que l’effer-vescence politique de l’époque a jouéun rôle clé dans le désir des femmes des’impliquer.

En octobre 2000, après plus de quatreans de préparation, des milliers de per-sonnes déambulent dans les rues,notamment à Montréal, Bruxelles etNew York, pour déposer leurs revendi-cations auprès des décideurs politiques,devant les parlements et les siègesd’organismes internationaux commel’ONU. Les militantes dénoncent l’im-plantation du modèle économiquenéolibéral incarné par les politiques duFonds monétaire international et de laBanque mondiale. Selon elles, ces insti-tutions imposent des conditions strictesaux pays en difficulté, sans égard auxconséquences désastreuses que celles-cipeuvent avoir sur la population, parti-culièrement sur les femmes.

Alors que le soulèvement est mondial,les revendications, elles, arborent unecouleur locale. Les comités d’organisa-tion de la MMF disposent de la latitudevoulue pour ajuster leurs demandes auxréalités propres à leur lieu d’origine. Parexemple, les Québécoises réclamentune augmentation de 10 cents dusalaire minimum ainsi que 50 millionsde dollars en mesures diverses pouraméliorer leurs conditions de vie.

UNE marche, DES actions

En 2006, la MMF a quitté le nid québé-cois pour s’installer au Brésil. Le mou-vement englobe désormais près de6000 groupes de femmes de 164 pays.Mais comment parviennent-elles,malgré leurs origines et leurs réalitésdifférentes, à s’entendre depuis 10 anssur une plateforme d’actions communeet une définition du féminisme qu’ellessouhaitent incarner?

C’est la question que se sont posée leschercheuses Isabelle Giraud et PascaleDufour dans leur ouvrage Dix ans de

solidarité planétaire. Perspectives socio-logiques sur la Marche mondiale desfemmes, publié aux Éditions du remue-ménage. Pour Mme Dufour, professeurede science politique à l’Université deMontréal et spécialiste des mouvementssociaux, la réponse est simple : « Celafonctionne comme lieu d’appartenancepour les femmes dans le monde. Etla MMF suscite des espoirs, crée dessolidarités qui perdurent. »

« Le principe premier des femmes dela MMF, c’est d’aller chercher leplus grand dénominateur commun »,renchérit-elle. Par exemple, sur la ques-tion de l’homosexualité, qui ne peutêtre discutée dans plusieurs pays, ellessont arrivées au consensus suivant :«Chaque femme est libre de choisir lapersonne avec qui elle va partager savie. » Cette façon de faire, qui consiste às’attaquer à toutes sortes de problèmesau cœur de la vie des femmes, repré-sente une forme très moderne de fémi-nisme, de l’avis de la professeure.Puisque celui-ci est taillé sur mesure, augré des enjeux qui sont discutés et deleur évolution dans le temps et l’espace.

« Les femmes de la MMF se sont pro-noncées sur l’impact de l’ALÉNA dansla vie des résidantes des trois paysimpliqués », illustre la politologue.Selon elle, il n’existe un label MMFaccolé aux sujets que si ses membres endécident ainsi. La structure horizontaledu mouvement contribue également àson succès et à sa pérennité, d’aprèsPascale Dufour.

Emilia Castro, également représentantedes Amériques au Comité internationalde la MMF, témoigne de son côté del’efficacité de l’organisation, qui fonc-tionne selon le principe des vases com-municants. « La consultation est trèsimportante. Chaque pays fait parvenirses idées. Grâce à cela, en 2006, noussommes parvenues à nous entendre surquatre champs d’action pour la MMF2010 : bien commun et accès aux res-sources; travail des femmes et auto-

nomie économique; violence envers lesfemmes; paix et démilitarisation. »

Grâce à cette communication ininter-rompue, les femmes prennentconscience du fait que les problèmesdes autres sont aussi les leurs. Ce qui apour résultat que toutes se sententconcernées lorsque survient un événe-ment malheureux. Lors du séisme enHaïti, la MMF, qui dispose d’un réseaudans ce pays, n’a pas tardé à se mobi-liser, illustre Mme Castro. La SOFA(Solidarité des femmes haïtiennes),membre de la MMF, a mis sur pied descliniques médicales d’urgence et s’estassurée que des ressources d’assistancesoient rapidement disponibles pour lesfemmes dans le besoin.

Cette idée de partage et de destinéecommune a permis à de nombreusesfemmes de tisser des liens depuis les10 dernières années. Des liens quicontinueront de s’approfondir au fil desactions du mouvement. La relève, ditMme Castro, est d’ailleurs au rendez-vous pour 2010. Et même si ses préoc-cupations ou sa forme d’engagementdiffèrent, elle a une voix forte, surtoutdans les pays du Sud.

Avec pour thème «Tant que toutes lesfemmes ne seront pas libres, nousserons en marche! », il y a fort à parierque la MMF a encore de belles annéesdevant elle. Selon Pascale Dufour, cen’est pas tant l’atteinte des objectifs quicompte, mais plutôt le cheminemprunté pour y parvenir. « Les mili-tantes ne seraient pas d’accord avecmoi! affirme-t-elle en riant. Mais jecrois que ce qui est important pourelles, c’est de faire les choses ensemble. »Car le sentiment d’appartenance est unciment puissant pour la MMF. : :

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38 ans, Maud Cohen exécuteson second mandat à titre deprésidente de l’Ordre des ingé-

nieurs du Québec. Formée en génieindustriel, la jeune femme a suivi un par-cours professionnel qui l’a menée enFrance, puis en Angleterre dans l’indus-trie privée. Après son retour au Québecen 2000, elle complète un MBA auxHEC, quand une enseignante lui donneun cours sur les conseils d’administra-tion. «C’est à ce moment-là que j’aidécidé dem’impliquer», se souvient-elle.Dès 2004, elle est élue auC.A.de l’Ordre,qui compte près de 60000 membres,puis, en 2009, en devient la présidente.En femme engagée, elle a décidé d’aiderla profession à se refaire une image.

Gazette des femmes : Il y a peu defemmes ingénieures au Québec. Est-cepour cela que vous vous êtes présentée auconseil d’administration de l’Ordre en2004?

Maud Cohen : En fait, c’était surtoutpour m’impliquer dans cette professionque j’aime, et qui m’a beaucoupapporté. J’estimais que c’était à montour de lui redonner de moi-même.Cela dit, c’est vrai qu’il n’y avait pasassez de femmes. Mais depuis quelquesannées, nous sommes arrivés à la paritéau C.A.D’ailleurs, les femmes sont sur-représentées au conseil, car nous nesommes que 12% au sein de l’Ordre.On est très contents de cette parité.

Pourquoi?

Parce que cela démontre une ouverturede la part des ingénieurs : ils sont sensi-bles à la façon féminine de gérer. Nousavons effectué un sondage il y a deuxans [NDLR : auprès de 939 femmes etde 767 hommes de l’Ordre], qui a révéléqu’une bonne proportion d’hommesconsidèrent préférable d’avoir unefemme comme patron. Ils croientqu’elles seraient plus compréhensives etplus humaines. Et en général, les répon-dants des deux sexes estiment que lesfemmes sont plus flexibles à propos desquestions qui concernent la conciliationtravail-famille. Bien sûr, nous sommesdans le domaine de la perception…

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:: TÊTE-À-TÊTE

Pourquoi le génie attire-t-il si peu la gent féminine? Nous avons posé la question,et bien d’autres, à Maud Cohen, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

| Propos recueillis par Pascale Navarro

ça vousdit?

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Est-ce que cette perception vous réjouitou est-ce que vous y voyez un piège pourles femmes?

Je trouve que c’est une bonne chose. Jene crois pas que ces attentes nuisent auxfemmes. Elles ont du succès dans lamesure où elles demeurent elles-mêmes,sans essayer de devenir des hommes. Etcette perception qui nous révèle lesfemmes sous un angle plus humainchange la façon de voir le métier. Et de levendre, par exemple, aux jeunes filles.

Pourquoi voulez-vous plus de femmesingénieures?

Parce que la relève représente un enjeumajeur dans la profession. Plus de 30%de nos membres ont 50 ans passés. Lasociété québécoise va avoir besoin d’in-génieurs, notamment dans le domainede la santé et des infrastructures liées auvieillissement de la population. Notresouci est donc de recruter plus d’ingé-nieurs, hommes ou femmes. Et commeles femmes forment la moitié de lapopulation, il y a tout lieu de les inté-resser à la profession. Cela dit, nousdevons aussi nous soucier de l’autremoitié, les garçons. Or leur taux dedécrochage scolaire inquiète. Si lesgarçons, qui composent actuellement lamajorité des ingénieurs, ne finissent pasleurs études, ils n’arriveront pas àjoindre nos rangs.

Donc, vous ne voulez pas nécessairementplus de femmes pour changer la culturede travail?

Non, on veut plus d’ingénieurs engénéral! Mais je suis ouverte à ce que lemilieu du génie attende des manières defaire différentes de la part des femmes.Je pense que c’est aussi pour ça qu’on lesélit davantage dans les C. A. : parcequ’on estime qu’elles mènent les chosesautrement.

Et cette perception décrit-elle la réalité?

Je dirais que oui. Par exemple, lesfemmes ne se préparent pas de la même

façon aux réunions. Elles ont souvent lula majorité des documents et connais-sent leurs dossiers sur le bout des doigts.Mais c’est souvent parce qu’elles sontmoins confiantes en leurs capacités – jele sais pour l’avoir vécu personnelle-ment. Aussi, elles sont généralementplus posées; il y a moins d’esclandreschez les femmes que chez les hommes.Mais tout ça se résume en fait à desfaçons différentes de communiquer. Jene crois pas que les femmes sont pluscompétentes, elles s’expriment simple-ment autrement.

Quelle autre différence voyez-vous?

Un C. A. paritaire, une femme prési-dente : cela démontre qu’il y a plus deplace pour les femmes, et ça laisse destraces sur le marché du travail. Lesfemmes se sentent plus acceptées etmieux accueillies.

Lors de votre élection, vous avez ditvouloir mettre l’accent sur l’éthique et ladéontologie. Avez-vous le sentimentqu’on fait appel aux femmes pouraccroître la crédibilité de la profession,passablement écorchée dans lesdernières années?

Peut-être. Je n’avais jamais prisconscience de ça,mais je pense que voustouchez un point, qu’il faut toutefoisnuancer. Nous ne sommes pas plus«droites » que les hommes, mais plutôtmal à l’aise avec les situations ambiguës,

et peu habituées à travailler dans uneculture où il y aurait, par exemple, appa-rence de conflits d’intérêts. Les positionsénoncées par l’Ordre des ingénieurssont des orientations globales visant àrebâtir la crédibilité de la profession,auparavant très bien cotée. Et c’est pourcorriger les perceptions à l’égard de laprofession que nous sommes en faveurd’une commission d’enquête surl’industrie de la construction.

Vous dites que les femmes sont peuattirées par le génie. Commentexpliquez-vous cette situation?

En général, le type de travail qu’on faitn’excite pas l’imaginaire! On associesouvent le génie aux ponts et aux infra-structures. Pourtant, il trouve des appli-cations autant dans le milieu de la santé(pour construire les bâtiments, conce-voir les appareils médicaux, etc.) qu’enenvironnement (traitement des sols etdes eaux, entre autres) ou en médecine.Bref, des domaines beaucoup moinsconnus. Or, ce sont ces spécialisationsqui attirent le plus de filles. Elles cher-chent surtout à avoir de l’influence surla santé des gens, sur leur milieu. Ellesont envie de changer le monde!

Quelle a été votre propre expériencedans le milieu du génie?

On me pose souvent la question, car jedonne de nombreuses conférences surles femmes et le génie. Je dois avouerque la majorité des patrons que j’ai eusm’ont accueillie à bras ouverts. Ilsétaient contents d’avoir une présenceféminine, la recherchaient, même. Biensûr, pour les femmes de la générationprécédente, la réalité était bien diffé-rente; elles ont vécu des expériences plusdifficiles que nous. Nous leur sommesredevables : grâce à elles, nous profitonsaujourd’hui des mêmes conditions detravail que les travailleuses d’autres pro-fessions. La conciliation travail-familledemeure un enjeu important, en géniecomme ailleurs. Aux filles maintenantde tirer avantage de cette ouverture... etde nos acquis! : :

«Je pense quec’est aussi pour çaqu’on élitdavantage defemmes dans lesC. A. : parce qu’onestime qu’ellesmènent les chosesautrement. »Maud Cohen

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l fait encore nuit sur Saabaquand Nadège se lève. Elles’extirpe du fond de sa natte

déposée sur la terre battue. À côté de lasienne, celles de ses jeunes frère et sœur,Yves et Marthe. Les trois frissonnent unpeu. Les nuits sont fraîches durant lasaison sèche, et les écarts de tempéra-ture, impressionnants : 22 ou 23 degrésau cœur de la nuit, 36 ou 37 degrésl’après-midi.

Nadège, toute menue, va faire sa toiletteau milieu de la cour où des poules cir-culent dans tous les sens et où trône unecuvette remplie d’une eau grise. Elleprend bien soin qu’aucune goutte ne luiéchappe.Au Burkina Faso, l’eau est unedenrée rare et précieuse, comme danstoute l’Afrique.

La famille Simporé a une maison avecdes murs et un toit briquelés de terrecuite. Ce n’est pas le cas de toutes lesfamilles du voisinage, dont la plupart

habitent des huttes au toit tressé, sanseau courante ni électricité. MartialSimporé, le père de Nadège, a unemploi stable depuis 15 ans. Au volantd’une fourgonnette, il assure lesnavettes quotidiennes entre un grandhôtel de la capitale, Ouagadougou, etl’aéroport. Il travaille la nuit. Et rentreau petit matin, quand les enfants se pré-parent pour l’école.

Située à une dizaine de kilomètres deOuagadougou, Saaba émerge lente-ment de l’obscurité, au chant descoqs. Nadège retourne dans la casepour s’habiller. Elle en ressort royale.Sa tenue est impeccable et elle a fixéses tresses charbon avec des rubansmulticolores. Elle saute sur le vélo queson père lui a acheté. Elle a cettechance. Plusieurs de ses compagnonset compagnes de classe devront fran-chir à pied les nombreux kilomètres(jusqu’à huit!) qui les séparent dulycée Élisa.

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:: MONDE

De plus en plus de paysafricains mettentl’accent sur lascolarisation des filles.Car les éduquer, c’estchanger leur vie, maisaussi celle de leurfamille, de leur village.Et c’est leur procurerun bouclier contre lamisère.

| Texte et photos :Monique Durand

Hors de l’école,la misère

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La petite Nadège jouit d’un privilège qu’une Burkinaisesur deux n’a pas : l’accès à l’éducation.

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Le soleil est monté au-dessus de l’ho-rizon. On entend des ânes qui braient.La fournaise du jour est allumée et ne

s’éteindra qu’au soir venu, après avoircuit tout ce qui vit : humains, animauxet plantes. Nadège s’est jointe aux nuéesd’écoliers qui volent à pied ou en vélodans des nuages de poussière soulevéspar le passage des roues et des trou-peaux de chèvres, et le souffle de l’har-mattan qui vient du désert. Certainsont une grosse boîte de conservependue à leur cou, avec du riz ou desharicots au fond, leur repas de midi.

Arrivée au lycée Élisa, une école secon-daire privée de Saaba. Le directeur,Michel Sawadogo, accueille ses ouaillesles yeux rivés sur sa montre. À 7 h pile,les grilles du lycée seront fermées. Tantpis pour les retardataires. Nadègetremble à l’idée de rater une journée declasse.

Deux cent soixante-six élèves fréquen-tent le lycée Élisa, dont presque 50% defilles. Plus on avance dans les annéesd’études secondaires, moins elles sontnombreuses. Par exemple, en 4e annéedu secondaire, il y a encore 48 filles et22 garçons.Mais en terminale (6e annéedu secondaire), la proportion s’inverse :4 filles seulement et 16 garçons. «Onencourage peu les filles à poursuivreleurs études, relate le directeur. Parceque l’école coûte cher et que les parentspaieront d’abord pour les garçons. Etparce que les filles sont données enmariage et deviennent enceintes. »

L’utopie de l’éducationpour toutes

Au Burkina Faso, une fille sur deux nemet pas les pieds à l’école. «C’est unegrande injustice pour les filles, qui sont

aussi des citoyennes de ce pays! » s’ex-clame Bernadin Bationo, responsabledes questions d’éducation pour leBurkina à l’UNICEF. Fils de paysan, ildoit lui-même à un tirage au sort lachance d’avoir pu aller à l’école. «Dansmon village de Reo, à 115 kilomètres deOuagadougou, il y avait 16 places dis-ponibles en première année et100 enfants qui les voulaient. Dans unchapeau, j’ai tiré un OUI. » Ce chapeaua changé sa vie. « L’éducation, c’est la cléde tout. »

« L’école, ça change toute la vie, spécia-lement pour les filles », renchéritWanda Bedard, une Québécoise qui adirigé la campagne de financementd’UNICEF Canada pour construire lapremière école à Sarfalao, dans la péri-phérie de Bobo-Dioulasso, deuxièmeville du Burkina Faso. Depuis 2006,l’établissement accueille 800 élèvespar année.

«De tous les investissements effectuésdans les pays en développement, lesprogrammes visant l’éducation desfilles sont les plus efficaces, poursuitcelle qui est aujourd’hui présidente del’ONG 60 millions de filles (voirencadré). La scolarisation des filles aune influence directe sur le taux demortalité infantile et les revenus

UNE ONGQUÉBÉCOISE AUXPREMIERS RANGSC’est sa révolte devant le sort réservéaux filles par les talibans afghans quia conduit la femme d’affaires québé-coise Wanda Bedard à s’engagercomme bénévole à UNICEF Canada,puis à mettre sur pied, en 2006, uneONG exclusivement consacrée à lalutte pour la scolarisation des fillesdans le monde. L’organisme 60 mil-lions de filles – pour les 60 millions defilles privées d’école sur le globe –finance un ou deux projets d’enver-gure par année dans les pays endéveloppement qui ont les plus hautstaux de disparité entre les sexes rela-tivement à la scolarisation. «En 2009,raconte Mme Bedard, nous avonsfinancé le Réseau des filles (Girl ChildNetwork) au Zimbabwe. Cette année,nous avons choisi d’appuyer la seuleécole secondaire pour filles de lalocalité d’Atanga, située au nord del’Ouganda, dans une région dont lesinfrastructures scolaires ont été com-plètement dévastées par 21 ans deguerre civile. Nous y finançons laconstruction d’un puits, d’un inciné-rateur, de logements pour les ensei-gnants et d’équipements sportifs etrécréatifs. »

« La transformation du monde passepar un éveil de la conscience quivient souvent avec le savoir, laconnaissance et l’éducation de base,explique Ariane Émond, la marrainede l’organisme. Mon travail auprès de60 millions de filles? C’est simple :collecter des fonds pour financer desprojets auxquels je crois. C’est lemouvement des femmes qui m’aappris la solidarité et l’entraide. Jecrois en cette éthique. »

Au Burkina Faso, la gratuité dusystème public et l’écoleobligatoire de 3 à 16 ansdemeurent théoriques. Lesystème privé est mieux coté,d’abord à cause du nombred’élèves par classe : 50 enmoyenne, contre 100 dansle public.

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familiaux. Elle diminue considérable-ment le premier et augmente lesseconds (voir encadré ci-contre). »

«Ne serait-ce que pour qu’elles puissentprendre soin d’elles-mêmes, la scolari-sation des filles est importante », clameMarie-Claire Guigma, directrice de lapromotion de l’éducation des filles auministère burkinabé de l’Enseignementde base et de l’Alphabétisation. «L’écoleleur apprend les règles élémentairesd’hygiène : la propreté corporelle, vesti-mentaire, celle de l’eau et des aliments. »C’est toute leur famille, présente etfuture, qui bénéficiera de ces apprentis-sages. « Juste savoir lire une ordonnanceou composer un numéro de téléphone,c’est toute une amélioration! »

«Et puis les filles qui sont allées à l’écoleseront moins enclines à accepter le mariqu’on leur proposera et leur sort engénéral », poursuit Mme Guigma. Carleur sort est peu enviable au Burkina,

particulièrement pour celles de l’ethniepeule qui habitent la partie sahélienne,au nord. Excision et mutilations géni-tales y sont pratiquées à grande échelle.Dès l’âge de 7 ans, les filles sont donnéesen mariage. L’épouse doit avoir ses pre-mières règles chez son mari. « Et si soncorps n’est pas prêt pour la pénétration,les Peuls ont une technique : avec uneceinture, ils contractent l’abdomen et lacage thoracique de la fillette pour forcerle passage du mari. »

Retour au lycée Élisa, à Saaba. C’estl’heure du dîner. Humains et animauxcherchent l’ombre. Pour une rare fois,Nadège a obtenu 150 francs CFA(30 cents CA) de son père pours’acheter un sandwich à la cantine.

C’est Amsetou Poubere, la quarantainepétulante, qui est responsable de lacantine. Elle a deux employées qui,pieds nus, récurent récipients, chau-drons, comptoir et glacière : Patricia,14 ans, et Félicité, 12 ans. Elles sont ori-ginaires de Bobo-Dioulasso. Leursparents ne réussissaient pas à les fairevivre. Elles ont donc été confiées àAmsetou, qui les héberge et les nourritmoyennant l’exécution de travauxdomestiques chez elle et à la cantine.N’est-ce pas injuste pour Patricia etFélicité d’être privées d’école etcontraintes au travail, au milieu desélèves du lycée? «C’est comme ça ici,répond Amsetou, un peu déconte-nancée par mon trouble. Et au moins,avec moi, elles peuvent dormir abritéeset manger tous les jours. »

Quand je quitte le lycée Élisa, la four-naise du jour fait vibrer la lumière. Lesclasses ont repris pour l’après-midi.J’entends les réponses des élèves, scan-dées en chœur. Et, plus loin, à peineaudible, le tintement des chaudronsque Patricia et Félicité sont en train delaver. Me reviennent en mémoire lesmots de Jeanne Françoise Yogo, repré-sentante régionale du ministère bur-kinabé de l’Enseignement de base etde l’Alphabétisation : « C’est l’école oula misère. »

Quand la boule orangée plongera der-rière la terre, Nadège enfourchera sonvélo pour rentrer. Tandis que, sous letoit d’Amsetou, Patricia et Félicitébalaieront le plancher, éplucheront leslégumes et allumeront le feu de cuissondans la nuit du Burkina. : :

Monique Durand s’est rendue auBurkina Faso avec le soutien de l’Agencecanadienne de développement interna-tional (ACDI), d’UNICEF Canada et de60 millions de filles.

DES CHIFFRESDans les pays en développement, lagrossesse est la première cause dedécès chez les filles de 15 à 19 ans :

• 15% des filles se marient avantl’âge de 15 ans.

• Les filles de 10 à 14 ans ont cinqfois plus de risques de mourir encouches, et les filles de 15 à19 ans, deux fois plus que leursconsœurs plus âgées.

• Une fille qui a au moins sept ansde scolarité se marie générale-ment quatre ans plus tard et adeux fois moins d’enfants.

• Pour chaque année d’instructionadditionnelle qu’a reçue une fille,les taux de mortalité liés à lamaternité et de mortalité infantilediminuent de 10%.

L’éducation des filles a un effetdirect sur les revenus familiaux :

• Pour chaque année de cours pri-maire complétée, les revenus desfilles qui travaillent augmenterontde 10 à 20%.

• Les femmes investissent générale-ment 90% de leurs revenus dansl’amélioration du sort de leurfamille, contre 30 à 40% pour leshommes.

Source : 60 millions de filles(www.60millionsdefilles.org)

:: MONDE

Félicité, 12 ans, et Patricia, 14 ans,entourent Amsetou Poubere, qui lesnourrit et les héberge en échange detravaux domestiques à la cantine dulycée que fréquente Nadège.

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:: BOUQUINS

azette des femmes : Qu’est-cequi vous a incitée à écrire surles seins?

Marilyn Yalom : Mon livre précédentportait sur la Révolution française vueà travers des mémoires de femmes. J’airemarqué que dans ces textes, beaucoupinsistaient sur le fait qu’elles avaientallaité leurs enfants et en étaient toutesfières. Pourquoi parlaient-elles tant del’allaitement et en tiraient-elles une sigrande satisfaction? Ces questionsm’ont poussée dans la direction du seinet de son importance politique au18e siècle et pendant la Révolution.

Vous dites que les démocratiesoccidentales modernes ont inventé le

sein politisé puisque c’est au milieu du18e siècle que l’allaitement maternel estdevenu l’un des principes de la politiqueégalitariste.

Oui.On montrait la nouvelle nation [laFrance] comme une femme qui offreses seins à tous les citoyens, car les seinssont d’une grande beauté. Ils ont uncôté attrayant et nourricier. C’était unefaçon d’attirer les gens, en particulier lapopulation masculine, et de montrer lemeilleur côté du nouveau pays.L’importance politique du sein avaitune sous-couche érotique.

Au fil des époques, les seins ont rarementappartenu aux femmes. Par exemple,selon les textes bibliques, ils appartenaient

à leur mari et à leurs enfants par décretdivin. Ce n’est véritablement qu’à partirdes années 1960-1970 qu’elles ontrevendiqué le droit de régner sur leurcorps. Comment expliquez-vous que ça aitpris si longtemps?

En fait, il y avait eu des tentatives auMoyen Âge, mais c’est surtout depuisqu’elles ont le droit de voter que lesfemmes ont progressé vers leur éman-cipation et se sont mises à revendiquerla propriété de leurs seins. Le faitqu’elles gagnent leur vie a aussi euénormément d’importance. En contri-buant à l’économie familiale, lesfemmes ont pu prendre des décisionspar rapport à la gestion du logis et, parextension, à leur propre corps.

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| par Anne-Christine Schnyder

À QUI EST CE SEIN?Organe nourricier, objet de désir, mais aussi agent depropagande à une autre époque, le sein n’appartientvraiment aux femmes que depuis peu de temps. C’estce que révèle l’universitaire féministe Marilyn Yalomdans Le sein. Une histoire.

EXTRAIT

«Galien [médecin grec del'Antiquité] croyait que le mâleétait plus proche de laperfection que la femelle, etque le corps fémininnécessitait des adaptationsspéciales pour compenser sesinsuffisances. Il écrivit doncque les seins étaient placés àcet endroit pour donner plusde chaleur et de protectionau cœur.»

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Mots pour mauxDans la foulée du séisme qui a ravagé Haïti en janvierdernier, des journalistes et des auteurs (dont notrecélèbre compatriote d’origine haïtienne DanyLaferrière) ont écrit pour témoigner de ce qu’ilsvivaient, de ce qu’ils voyaient. Entre journalisme évé-nementiel et littérature de l’urgence, ces textes ontété publiés dans les médias et sur Internet, à chaud,avant d’être réunis dans ce recueil dont les profits irontà la reconstruction culturelle et éducative en Haïti.Poignants, désespérants ou emplis d’espoir, cestémoignages expliquent l’impact profond du séismesur la société haïtienne, l’après-tremblement, le deuil,la solidarité, etc. Ils sont aussi, pour le pays, unemanière de préserver la mémoire de ces instants etsurtout de renaître à travers les mots, car comme l’écrit

Michel Le Bris, « les livres disent qu’il est en l’homme quelque chose de plus fortque le malheur ».Collectif, Haïti parmi les vivants, Actes Sud/Le Point, 2010, 192 p.

Chemins de vieObstétricien mi-africain, mi-antillais exilé enGuadeloupe, meurtri par la vie, Babakar est veuf, sansenfants. Appelé d’urgence au chevet de Reinette, unejeune réfugiée haïtienne en train d’accoucher, il neparvient pas à la sauver. Il décide alors de s’approprierson bébé afin de lui offrir un avenir meilleur et d’irri-guer l’aridité de sa propre vie. Peu après, Movar, unami de la défunte mère, annonce à Babakar qu’il apromis à cette dernière de ramener son bébé en Haïti.Le trio s’envole pour l’envoûtante île et se réfugie chezFouad, un Palestinien qui a déjà pris sous son aile les

deux sœurs de Movar. Au-delà de la quête des origines de la fillette qui soudeles trois hommes, ce récit est peut-être et avant tout l’histoire de leurs propresquêtes, de leurs parcours tumultueux, et surtout de leur amitié qui fait fi des dif-férences et des cultures.Maryse Condé, En attendant la montée des eaux, JC Lattès, 2010, 368 p.

Autre regard, autres œuvres« Les femmes sujets au cinéma, devant et derrière lacaméra, voilà le propos de ce recueil », explique dansson introduction Thérèse Lamartine, qui répertorie etanalyse brièvement une centaine de films de réalisa-trices ou de réalisateurs offrant un point de vue ori-ginal sur les femmes. Son objectif : mettre àl’avant-plan le travail de cinéastes qui s’élèvent contrel’exploitation des femmes, dépeignent leurs combats,déboulonnent les stéréotypes, bousculent plusieursdiktats. En présentant des films «baume pour l’âme»(tel le drame Julia de Fred Zinnemann, qui célèbrel’amitié féminine) tout autant que des œuvres qui trai-

tent de violence ou qui braquent les projecteurs sur les pionnières (comme IronJawed Angels de Katja von Garnier, sur la lutte des suffragettes aux États-Unis),l’auteure nous offre un autre regard sur le féminin au cinéma.Thérèse Lamartine, Le féminin au cinéma, Sisyphe, 2010, 156 p.

Le cancer du sein occupe une grandeplace dans votre livre…

Oui, car cette maladie n’est plus unesentence de mort ni un sujet tabou, etelle a permis aux femmes de se réap-proprier leur poitrine. Depuis environ25 ans, on en parle beaucoup. On enparle en fait tellement que l’aspectmédical du sein semble l’emporter surtous les autres [sein nourricier, sexuel,politique, etc.].

Pensez-vous que le sein cessera un jourd’être tiraillé entre le devoir d’allaiter etcelui d’émoustiller?

Non.C’est d’ailleurs une incarnation del’éternel conflit entre la femme et lamère. Nous voulons être les deux. Cesdeux aspects sont intrinsèques à lanature du sein et au rôle de la femme.Mais parce que les seins font partie deson corps, qu’ils sont à elle, c’est à ellede décider de leur application : soitpour le bébé, soit pour le plaisir, le sienautant que celui des hommes, etc. Seplier aux exigences des hommes, desmédecins, des psychiatres ou des prêtresne devrait plus avoir lieu d’être. : :

Marilyn Yalom, Le sein. Une histoire (préfaced’Élisabeth Badinter), Galaade Éditions,2010, 416 p.

Marilyn Yalom

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:: ACTUALITÉ CULTURELLE

epuis 20 ans, des guerres auxenjeux politico-économiquesont fait quelque six millions

de morts parmi les civils de laRépublique démocratique du Congo(RDC). Prises au cœur de ces conflits,des dizaines de milliers de Congolaisesde tous âges, principalement dans l’estdu pays, ont été enlevées, violées etmutilées par des soldats de l’arméecongolaise ou de milices étrangères.Selon les statistiques du Fonds desNations Unies pour la population, plusde 17500 cas de violence sexuelle ont étérapportés en RDC en 2009. Ce chiffre,énorme, ne représente cependant que lapointe de l’iceberg. Et semble laisser lemonde entier indifférent…

Elle-même victime d’un viol collectif auxÉtats-Unis il y a plusieurs années, ladocumentariste américaine Lisa F.Jackson s’est rendue en 2006 en RDC, enzone de guerre, au cœur de l’atrocité,pour tourner The Greatest Silence: Rapein the Congo. Son objectif : briser lesilence et dénoncer l’horreur que subis-sent les Congolaises au quotidien, afin depousser autant le gouvernement localque la communauté internationale à sepréoccuper de ces femmes privéesd’avenir, physiquement et psychologi-quement anéanties. Car en plus d’êtreviolées puis mutilées au moyen de fusilsou de branches – au point d’avoir lavessie qui coule en permanence, les sys-tèmes reproductif ou digestif détruits etde ne plus pouvoir mener une vienormale –, elles sont reniées par leur

mari, rejetées par leur famille et seblâment pour ce qui leur arrive.

Bien sûr, il reste beaucoup de travail àfaire pour que cessent les monstruositésperpétrées contre les Congolaises, pourque les victimes ne soient plus stigmati-sées. Mais ce documentaire, sorti en2007 et récipiendaire d’un prix spécialau Festival du film de Sundance en 2008,est déjà à la source d’une résolution del’ONU décrétant que le viol est unearme de guerre. Empli d’effroyablestémoignages de victimes, de médecins,de politiciennes et même d’agresseurs, ilest disponible sur le site Women MakeMovies (www.wmm.com).

Le film est régulièrement présenté àtravers le monde, comme ce fut le cas àMontréal début juillet, à l’occasion deCongo50-Montréal. Des activités cultu-relles, sociales et militantes sont au pro-gramme de cet événement qui a lieudans la métropole jusqu’en décembre.Elles visent à sensibiliser la population àla cause des Congolaises, mais aussi àrécolter des fonds pour lutter contre lesviolences sexuelles faites aux femmes enRDC, notamment en soutenant l’hô-pital de Panzi à Bukavu, qui vient enaide aux victimes de viol. Des victimesqui ont cruellement besoin de cetteaide, comme le pays tout entier. Car telque le souligne une policière dans ledocumentaire : «Qu’est-ce qu’unefemme? Une femme, c’est la mère de lanation.Qui viole une femme viole touteune nation. » ::

Grâce à un documentaire américain et à unévénement montréalais, les Congolaises victimes deviol et de violence trouvent du soutien. Petits pasdeviendront grands?

| par Anne-Christine Schnyder

Au secours des Congolaises

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POUR PLUS D’INFO:www.operationspaix.net/IMG/pdf/RI_violences_sexuelles.pdfwww.congo50-montreal.com

LE MONDEDOIT SAVOIRLe 17 octobre, la Marche mondialedes femmes 2010 s’est terminéedans la ville de Bukavu dans le but dedénoncer les cas de violation massivedes droits des Congolaises et de sen-sibiliser la communauté internatio-nale à leur détresse. L’annonce del’événement avait été faite en juilletdernier, à Kinshasa, lors de l’ouver-ture d’un séminaire de renforcementde capacités sur le leadership fémi-nin, organisé à l’intention desfemmes du Syndicat des enseignantsdu Congo en partenariat avec la Cen-trale des syndicats du Québec.

Par ailleurs, pendant quatre jours enjuillet dernier, près de 250 Congo-laises et plusieurs enfants ont été vic-times d’une atroce vague de violenceà Luvungi, une ville de la Républiquedémocratique du Congo située à16 kilomètres d’un camp de l’ONU,pendant que quelque 250 autresviols ont été perpétrés ailleurs aupays durant la même période. Aprèsêtre rentré d’une mission en RDCquelques semaines plus tard, le sous-secrétaire général adjoint de l’ONUpour les opérations de maintien de lapaix a reconnu publiquement l’ineffi-cacité des actions des Casques bleussur le déferlement de cette violencecontre la population civile. L’aveu aété suivi d’une promesse, celle depatrouilles additionnelles dans leszones affectées, et d’une demandeau Conseil de sécurité pour quesoient imposées des sanctions contreles chefs des groupes responsablesdes viols. Des viols qui ont été attri-bués à des groupes de rebellescongolais et rwandais, notamment lesForces démocratiques de libérationdu Rwanda, comptant dans leursrangs nombre d’anciens auteurs dugénocide de 1994. (N. Bissonnette)

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rès de 20 ans après avoirquitté mon patelin pourétudier la photographie à

Montréal, j’étais convaincue de ne plusjamais y revenir. Pourtant, il y a deuxans, je suis rentrée, animée du désir demener à terme un projet de photogra-phie sociale avec, en point de mire, desvisages à faire sourire!

Ce projet qui m’a habitée durant les sixderniers mois n’est pas étranger à monpassé d’intervenante sociale. Pendantces nombreuses années, j’ai côtoyé desfemmes, des hommes et des enfantsissus de réalités bien différentes et auxprises avec divers problèmes. Forte decette expérience, et constatant qu’en2010, on allait souligner les 100 ans dela Journée internationale des femmes ettenir la troisième Marche mondiale desfemmes (MMF), j’ai compris que lesplanètes étaient alignées pour per-mettre la réalisation de ce projet que j’aiintitulé « 10 000 visages univers’elles ».À bord d’un autobus rose, surnomméla Caravane du bonheur, je suis partie àla rencontre des Québécoises, etde leur visage, accompagnée de mescoéquipières, Marilyne Champagne etAnnick Doucet.

Le but : réaliser 10000 portraits defemmes de tous âges, de tous les horizons

et provenant des quatre coins de la pro-vince, afin de créer deux œuvres pho-tographiques qui seraient présentéeslors des rassemblements de clôture dela MMF 2010, le 17 octobre. Ce qui futfait.Vingt bannières ont été portées parles marcheuses à Rimouski, pendantqu’en République démocratique duCongo, une mosaïque géante étaitremise aux représentantes internatio-nales de la MMF. Pour moi, il s’agissaitd’un geste symbolique de solidarité :ensemble, tout est possible!

Au fil de l’aventure, j’ai découvert quederrière chacun des visages se cachaitune histoire. Celle de fières autochtonesqu’on entend si rarement s’exprimer;celle des victimes d’une violence quoti-dienne qui n’ont plus le courage desourire; celle de femmes qui n’ont pasosé sourire à une caméra depuis 20 ansparce qu’elles se trouvaient trop laides.Si vous saviez ce qui s’est raconté à bordde cet autobus! Nous sommes en 2010,au Québec − une société qui se dis-tingue par des avancées importantes enmatière d’égalité entre les femmes et leshommes −, et pourtant...

Pourtant, les agressions sexuelles, la vio-lence envers les femmes et les enfants,l’intolérance, la pauvreté, la peur sont desfléaux encore trop présents. Je le sais, je

l’ai entendu de la bouche même de cellesqui en sont les victimes. En revanche, jeme réjouissais de les voir sourire, de lesécouter me dire : «C’est la première foisque je me trouve belle sur une photo!»,sachant qu’elles retournaient à lamaisonfières d’elles et le cœur un peu plus léger.Et une fois de plus, j’étais convaincue dela nécessité de continuer le travail d’aideet de sensibilisation auprès des femmes,et ce, de toutes les manières possibles.

Oui, ces femmes sont belles, et elles lesont sans retouches ni maquillage pro-fessionnel... et à tout âge! J’ai photogra-phié la plus jeune de mes sujets à l’âge de4 jours, et la plus âgée, à 106 ans. Je suisplus que jamais persuadée que lesmodèles de beauté véhiculés dans lesmédias doivent changer, car la percep-tion que la majorité des femmes ontd’elles-mêmes s’en trouve faussée. Oui,ça doit changer. Les 10000 souriresapparaissant sur mes photos en sont lapreuve… presque vivante. ::

* De retour à Sorel-Tracy après avoir travailléplusieurs années comme intervenante so-ciale, tant à l’étranger qu’à Montréal, l’au-teure a renoué avec sa passion première enréalisant un projet de photographie sociale.

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:: BILLET

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Derrièreles visages,des histoires

NATHALIE BERGERON *

POUR PLUS D’INFO:www.10000visages.comwww.nathb.ca

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